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n avril 2014, je suis au bord du burnout. Je me tue au travail pour gagner des clopinettes. J’ha- bite alors à Gap, dans les Hautes-Alpes et suis journaliste agricole. Pourtant j’aime l’agriculture et le journalisme. Mais c’en est trop. J’ai envie de vivre autre chose. Pourquoi ne pas partir en reportage à l’étranger ? Tout de suite, maintenant ? J’ai 26 ans, pas d’enfants, pas de prêt à rembourser. J’ai envie de changer de boulot et de partir à l’aventure. C’est le bon moment ! TROIS MOIS PLUS TARD, LE GRAND DéPART Partir… Mais où, quand, comment ? J’ai déjà mis les pieds en Amérique du Sud et en Afrique. Par contre l’Asie ne m’a jamais vraiment attirée. Ce nom m’évoque surtout les plages touristiques de Thaïlande et les rues polluées de Pékin. Mais mon esprit de contradiction prend le dessus : le seul moyen de vaincre mes préjugés sur ce continent, c’est d’y aller ! La destination du voyage est donc choisie, et sa thématique agricole est évidente, de par ma formation d’ingénieur agro- nome. J’irai de ferme en ferme, à la rencontre des agricul- teurs d’Asie. Le tout avec un budget très réduit, donc à la force de mes mollets ! Le choix du vélo comme mode de transport est venu natu- rellement, pour des raisons pragmatiques plus qu’écolo- giques. Qui dit agriculture dit zones reculées. Aller à la ren- contre des paysans, ce ne serait pas possible en bus. Non subventionnée et en début de carrière, je n’ai pas le budget pour louer un 4x4 ou une moto. Et à cause de rotules luxées, mes genoux n’aiment pas les longues marches à pied avec un sac à dos. Il ne me reste plus que le vélo : heureusement, fervente adepte de VTT et de cyclotourisme, c’est mon sport de pré- dilection ! Avec l’aide de l’association Mobil’Idées à Gap, je décide de construire ma monture en récupérant un vieux cadre Peugeot rose et violet des années 90 et en montant toutes les pièces neuves une à une. Du simple et du solide ! Malgré de nombreuses incertitudes, l’itinéraire est tracé. Pendant un an, je traverserai la Russie en train, puis la Mon- golie, la Chine, et l’Asie du Sud-Est sur mon vélo, avant d’aller vers l’ouest en passant par le Népal et l’Asie centrale. Avant mon départ, j’appelle Hugues et Laurie, un couple d’amis de l’agro, avec lesquels j’ai fait équipe de nombreuses fois en raid multisports. « Toi aussi tu veux partir en Asie ? Nous, on part cet été pour un tour d’Asie à vélo ! ». Hasard ou destin, peu importe, il se trouve que nous avons le même trajet en tête et quasiment les mêmes dates de départ ! Nous déci- dons donc d’un rendez-vous incongru : ce sera début août, sur les bords du lac Baïkal en Sibérie. Les semaines suivantes, je quitte mon boulot, monte mon vélo pièce par pièce, commande pléthore de matériel, de- mande le visa russe, déménage, anime un camp scout pen- dant deux semaines… Il me reste ensuite seulement deux jours pour dire au revoir à mes proches et bourrer mes sa- coches de babioles, dont 6 kg inutiles que je renverrai de Russie ! Le 29 juillet, trois mois après ma première envie d’évasion, je suis dans l’avion direction Moscou, mon vélo dans la soute… LA MONGOLIE, LE PARADIS DU CYCLO Après quatre jours dans le transsibérien, je retrouve Hugues et Laurie, comme prévu, au beau milieu du lac Baïkal. Un train nous dépose ensuite à Sükhbaatar, au nord de la Mon- golie, juste derrière la frontière russe. Nous sommes rejoints le lendemain par Samuel, le cousin d’Hugues, qui vient de la capitale Oulan-Bator par le train. L’équipe est au complet ! Le premier coup de pédale est donné le 11 août. Nous sommes gonflés à bloc et ravis de pouvoir enfin chevaucher nos montures. Après quelques kilomètres de route goudron- née, nous quittons l’axe principal qui va vers Oulan-Bator et empruntons notre première piste en décodant tant bien que mal un panneau en cyrillique. De la terre, des graviers, de la tôle ondulée, la suite ne sera pas facile. Sans GPS, les cartes À travers la Mongolie Seule ou entre amis ? Agnès avait le projet de réaliser un grand voyage à vélo en Asie, pour aller à la rencontre des paysans et en rapporter un reportage original. Elle pensait partir seule, finalement ils étaient 4 amis à pédaler à tra- vers les immenses steppes mongoles. Au bout d’un mois, le groupe s’est défait, plus ou moins naturellement, et Agnès a continué seule. Dans son récit, elle compare ces deux expériences, forcément très dif- férentes et complémentaires. TEXTE : AGNèS THIARD / PHOTOS : AGNèS, HUGUES, LAURIE, SAMUEL / AGNESTHIARD.FR E MON PARCOURS Notre objectif était de suivre la Selenge jusqu’au le lac Khövsgöl, à 600 km de notre point de départ (tracé rouge puis violet). Mais au bout de 5 jours et 250 km, notre route était bloquée par des militaires à cause d’une épidémie porcine dans la région que nous devions traverser. Par dépit et manque de temps, nous avons fait un détour par la route, en minibus. Un changement de programme qui a fortement diminué le moral des troupes… Au total : 900 km, 8000 mètres de dénivelé positif, 9 €/jour et par personne, 20 jours de vélo. En rouge : à vélo à 4 / En orange : à vélo, seule En bleu : en bus / En noir : en train ITINÉRAIRE Pédaler entre amis demande quelques compromis… vite oubliés par la richesse des instants partagés Nous évoluons en harmonie avec la nature, dans un dédale de pistes plus ou moins mauvaises, avec pour seuls repères le soleil, les montagnes et les rivières. 62 - CARNETS D'AVENTURES - #HSVV3 #HSVV3 - CARNETS D'AVENTURES - 63 RÉCITS ENTRE AMIS PUIS SEULE

À travers la Mongolie Seule ou entre amis

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Page 1: À travers la Mongolie Seule ou entre amis

n avril 2014, je suis au bord du burnout. Je me tue au travail pour gagner des clopinettes. J’ha-bite alors à Gap, dans les Hautes-Alpes et suis journaliste agricole. Pourtant j’aime l’agriculture

et le journalisme. Mais c’en est trop. J’ai envie de vivre autre chose. Pourquoi ne pas partir en reportage à l’étranger  ? Tout de suite, maintenant ? J’ai 26 ans, pas d’enfants, pas de prêt à rembourser. J’ai envie de changer de boulot et de partir à l’aventure. C’est le bon moment !

Trois mois plus Tard, le grand déparTPartir… Mais où, quand, comment ? J’ai déjà mis les pieds en Amérique du Sud et en Afrique. Par contre l’Asie ne m’a jamais vraiment attirée. Ce nom m’évoque surtout les plages

touristiques de Thaïlande et les rues polluées de Pékin. Mais mon esprit de contradiction prend le dessus : le seul moyen de vaincre mes préjugés sur ce continent, c’est d’y aller  ! La destination du voyage est donc choisie, et sa thématique agricole est évidente, de par ma formation d’ingénieur agro-nome. J’irai de ferme en ferme, à la rencontre des agricul-teurs d’Asie. Le tout avec un budget très réduit, donc à la force de mes mollets !Le choix du vélo comme mode de transport est venu natu-rellement, pour des raisons pragmatiques plus qu’écolo-giques. Qui dit agriculture dit zones reculées. Aller à la ren-contre des paysans, ce ne serait pas possible en bus. Non subventionnée et en début de carrière, je n’ai pas le budget pour louer un 4x4 ou une moto. Et à cause de rotules luxées, mes genoux n’aiment pas les longues marches à pied avec un sac à dos.Il ne me reste plus que le vélo  : heureusement, fervente adepte de VTT et de cyclotourisme, c’est mon sport de pré-dilection ! Avec l’aide de l’association Mobil’Idées à Gap, je décide de construire ma monture en récupérant un vieux cadre Peugeot rose et violet des années 90 et en montant toutes les pièces neuves une à une. Du simple et du solide !Malgré de nombreuses incertitudes, l’itinéraire est tracé. Pendant un an, je traverserai la Russie en train, puis la Mon-golie, la Chine, et l’Asie du Sud-Est sur mon vélo, avant d’aller vers l’ouest en passant par le Népal et l’Asie centrale. Avant mon départ, j’appelle Hugues et Laurie, un couple d’amis de l’agro, avec lesquels j’ai fait équipe de nombreuses fois en raid multisports. « Toi aussi tu veux partir en Asie ? Nous, on part cet été pour un tour d’Asie à vélo ! ». Hasard ou destin, peu importe, il se trouve que nous avons le même trajet en

tête et quasiment les mêmes dates de départ ! Nous déci-dons donc d’un rendez-vous incongru : ce sera début août, sur les bords du lac Baïkal en Sibérie.Les semaines suivantes, je quitte mon boulot, monte mon vélo pièce par pièce, commande pléthore de matériel, de-mande le visa russe, déménage, anime un camp scout pen-dant deux semaines… Il me reste ensuite seulement deux jours pour dire au revoir à mes proches et bourrer mes sa-coches de babioles, dont 6  kg inutiles que je renverrai de Russie  ! Le 29 juillet, trois mois après ma première envie d’évasion, je suis dans l’avion direction Moscou, mon vélo dans la soute…

la mongolie, le paradis du cyclo Après quatre jours dans le transsibérien, je retrouve Hugues et Laurie, comme prévu, au beau milieu du lac Baïkal. Un train nous dépose ensuite à Sükhbaatar, au nord de la Mon-golie, juste derrière la frontière russe. Nous sommes rejoints le lendemain par Samuel, le cousin d’Hugues, qui vient de la capitale Oulan-Bator par le train. L’équipe est au complet !Le premier coup de pédale est donné le 11 août. Nous sommes gonflés à bloc et ravis de pouvoir enfin chevaucher nos montures. Après quelques kilomètres de route goudron-née, nous quittons l’axe principal qui va vers Oulan-Bator et empruntons notre première piste en décodant tant bien que mal un panneau en cyrillique. De la terre, des graviers, de la tôle ondulée, la suite ne sera pas facile. Sans GPS, les cartes

À travers la Mongolie

Seule ou entre amis ?Agnès avait le projet de réaliser un grand voyage à vélo en Asie, pour aller à la rencontre des paysans et en rapporter un reportage original. Elle pensait partir seule, finalement ils étaient 4 amis à pédaler à tra-vers les immenses steppes mongoles. Au bout d’un mois, le groupe s’est défait, plus ou moins naturellement, et Agnès a continué seule. Dans son récit, elle compare ces deux expériences, forcément très dif-férentes et complémentaires.

TexTe : Agnès ThiArd / PhoTos : Agnès, hugues, LAurie, sAmueL / AgnesThiArd.fr

E Mon parcoursnotre objectif était de suivre la selenge jusqu’au le lac Khövsgöl, à 600 km de notre point de départ (tracé rouge puis violet). mais au bout de 5 jours et 250 km, notre route était bloquée par des militaires à cause d’une épidémie porcine dans la région que nous devions traverser. Par dépit et manque de temps, nous avons fait un détour par la route, en minibus. un changement de programme qui a fortement diminué le moral des troupes…au total : 900 km, 8000 mètres de dénivelé positif, 9 €/jour et par personne, 20 jours de vélo.

En rouge : à vélo à 4 / En orange : à vélo, seuleEn bleu : en bus / En noir : en train

itin

érair

e

pédaler entre amis demande quelques compromis… vite oubliés par la richesse des instants partagés

nous évoluons en harmonie avec la nature, dans un dédale de pistes plus ou moins mauvaises, avec pour seuls repères le soleil, les montagnes et les rivières.

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précises téléchargées au préalable sur Internet nous sont très utiles dans ce dédale de pistes plus ou moins larges, sans aucune signalisation. Nous nous repérons avec le soleil, les rivières, les montagnes, les vallées…Le compteur ne dépasse que rarement les 15 km/h. Nous avons le temps d’admirer le paysage. Des steppes à perte de vue, des collines voluptueuses, des rivières rassurantes, des forêts de mélèzes somptueuses, des groupes de yourtes, des nomades chaleureux et accueillants, des troupeaux de vaches, moutons, yacks, chèvres, chevaux en liberté… Ce pays est le plus vaste terrain de camping sauvage qui existe sur Terre !Nous parcourrons ensemble près de 700  km. Mis à part quelques pistes ensablées, des traversées de rivières sca-breuses et un petit raccourci qui s’est transformé en deux heures de galère dans une forêt épaisse, la Mongolie s’est révélée être un paradis pour l’aventure à vélo. Je dis bien « aventure » car le pays possède très peu de routes goudron-nées, sauf les axes principaux que je conseille d’éviter. Il faut

souvent rouler sur des mauvaises pistes, parfois sableuses, voire directement sur l’herbe.Dans le nord du pays, plus humide que le désert de Gobi au sud, nous croisons des rivières tous les jours. La gestion de nos réserves en eau est plutôt facile, notamment grâce à nos deux poches de 10 L pour 4. Le soir, en nous écartant au maximum de 500 m de la piste, nous trouvons toujours de l’eau, du bois et une herbe rase prête à accueillir nos tentes. Ce sont des coins de bivouac vraiment paisibles où les voi-sins nomades nous repèrent parfois de loin et débarquent en moto ou à pied pour passer un peu de temps avec nous autour du feu. De temps en temps ils nous apportent même un peu de lait et des yaourts  ! Seule source de stress en Mongolie : les chiens domestiques. Issus de molosses tibé-tains, ils protègent les troupeaux et les yourtes. Et nous, nous essayons de protéger nos mollets !La communication avec les locaux est très compliquée. Les nomades mongols ne parlent pas un mot d’anglais ; source de frustration, mais parfois aussi de quiproquos amusants. Je me souviens d’Hugues essayant de demander des œufs aux habitants d’une yourte voisine pour faire des galettes d’avoine le jour de l’anniversaire de Laurie. Comme il ne connaissait pas le mot « œuf » en mongol, il mime une poule. Après quelques instants à secouer les bras, accroupi par terre et faisant mine de pondre un œuf, la femme part enfin derrière sa yourte pour lui rapporter… un rouleau de PQ !

une nuiT chez dawaSouriants, chaleureux, accueillants… Les Mongols m’ont surpris par leur simplicité et leur sérénité, à l’image de leur cadre de vie. Grâce à nos vélos, nous avons pu traverser des vallées vierges de toute trace de tourisme et plonger dans la culture passionnante des éleveurs mongols. C’est le troi-sième jour que nous ferons notre première rencontre avec une famille nomade, la plus mémorable et touchante.Ce jour-là nous étions fatigués mais fiers de nous. Nous ve-nions de parcourir 60 km de pistes, notre record de distance depuis le début du périple. Après une ultime côte, nous rejoignons une immense plaine verdoyante ponctuée de yourtes blanches et pâturée par de nombreux troupeaux. À peine le pied posé par terre, un homme vient à notre ren-contre et nous fait comprendre par des gestes qu’il aime-rait nous inviter chez lui. Il s’appelle Dawa. Arrivés dans la yourte, sa femme nous offre du thé au lait de vache accom-pagné de beurre et de sel, puis du yaourt frais de leur trou-peau. Un régal ! Nous participons à la traite et installons nos tentes à côté de la yourte, sous l’œil curieux des enfants, qui se font une joie de nous piquer nos vélos déchargés et de faire la course avec. Quel équilibre pour des enfants qui ne sont jamais montés sur un vélo, nous sommes impressionnés !Le matin, torse nu, Hugues s’adonne à un combat de lutte avec de jeunes Mongols. C’est le sport national ici. Puis nous replions nos affaires et nous nous apprêtons à partir. Mais non, ce n’est pas possible tout de suite. La nouvelle de notre présence a fait le tour des yourtes alentours. Les voisins, en

signe d’accueil, nous ont apporté une bouteille de vodka ! Il n’est que 8 heures du matin… Nous nous asseyons tous à l’ombre de la yourte et buvons trois verres chacun, comme le veut la tradition. Ils verseront même un peu de lait sur nos roues pour nous porter chance. Le départ se fera finalement deux heures plus tard, en zigzaguant gaiement !

QuaTre amis, un bon éQuilibre ?Quatre, c’est un bon chiffre. Notre groupe fonctionne bien, tant sur le partage des tâches que la prise de décisions. Hugues, le sportif de haut niveau et pro de l’orientation, est souvent à l’avant du groupe avec la carte et la boussole. Pour qu’il ne soit pas trop loin devant quand même, nous avons accroché une remorque à son vélo avec ses affaires et une bonne partie de celles de Laurie, qui elle, porte les 20 kg de nourriture de tout le groupe dans ses deux sacoches arrière. Samuel et moi transportons chacun nos affaires. Lui ne peut pas trop se charger car il a loué un vélo mongol dont la qua-lité laisse à désirer. Son porte-bagages arrière tient en place grâce à des tendeurs bricolés, sans eux il s’affaisserait sur la roue… Mais à quatre, il est difficile d’avoir le même rythme et des envies convergentes. Certains veulent avaler le maximum de kilomètres dans la journée, d’autres préfèrent prendre leur temps pour profiter des paysages et des rencontres. Quelques tensions apparaissent, elles s’amplifient à cause de la fatigue. Heureusement, comme nous sommes ensemble pour une courte durée, chacun met un peu d’eau dans son vin (ou plutôt dans sa vodka). En fin de compte, les éclats de rire sont plus nombreux que les éclats de voix.Pour gérer notre budget, nous avons une cagnotte commune dans laquelle les gros mangeurs mettent un peu plus. Les

tâches quotidiennes se répartissent naturellement. Nous fonctionnons en duos. En arrivant sur le lieu du bivouac, nous commençons par monter chacun nos tentes. Puis les filles préparent le dîner pendant que les garçons vont cher-cher du bois et essayent de pêcher quelques poissons quand une rivière est proche. Eh oui, nous étions en plein dans le cliché, je l’avoue ! La vaisselle est généralement laissée pour le lendemain matin car il fait trop froid le soir. En même temps, Sam et moi filtrons de l’eau pour la journée, alors que Laurie et Hugues préparent le porridge sur leur réchaud à es-sence. Après le petit-déjeuner, nous replions tout et nous ne commençons à pédaler que vers 10h30 ou 11 heures. C’est tellement bon de profiter du soleil, de la rivière, du calme, nous sommes en vacances après tout !

seule dans la sTeppeComme prévu, au bout d’un mois, Samuel repart en France. Avec Hugues et Laurie, nous nous rendons à la capitale en bus pour prolonger nos visas. À trois, seule avec un couple, nous avons du mal à retrouver un équilibre. Nous avons beau être amis de longue date, nous avons rapidement envie de prendre de la distance et l’ambiance s’en ressent. Nous décidons finalement de continuer nos routes séparément. L’idée de continuer seule me motive, mais c’est quand même un coup dur pour moi. Je me sens abandonnée par mes coé-quipiers, même si nous n’avions rien convenu de précis au départ. Je décide de retourner dans la steppe pendant un mois. Une nouvelle aventure commence  ! Celle-ci commence à Tsetserleg au centre du pays, chez un ami de l’agro pour faire un reportage sur son projet de serres bioclimatiques. Après cette visite, je m’élance pour la section de mon périple

Même s’ils peuvent paraître un peu rustres, les Mongols sont très respectueux des femmes. Les aventurières solitaires peuvent y voyager sereinement. seule, les ambiances, les paysages, les émotions sont sublimés… et la sensation de liberté, absolue !

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qui sera la plus intense : la traversée des monts du Kanghaï, entre Tsetserleg et Bayankhongor. Désormais seule, ma première impression est un immense sentiment de liberté, malgré les difficultés qui m’attendent. Je parcours 200 km en 5 jours, en roulant 8 heures par jour sur des pistes caillou-teuses où je dois pousser mon vélo la moitié du temps, tra-verser des rivières glaciales avec de l’eau jusqu’aux cuisses, affronter une tempête de neige, supporter des températures de -10 °C pendant la nuit. Et pourtant, je ne me sens pas vul-nérable. Au contraire, j’ai une grande confiance en moi. Au milieu de ces paysages grandioses, je me découvre pendant quelques jours la trempe d’une aventurière.

Les troupeaux de   chevaux au galop, les rayons du soleil levant sur les sommets enneigés… L’émerveillement quoti-dien fait battre mon cœur plus fort qu’à l’accoutumée. Sou-vent, je souris niaisement toute seule sur mon vélo  ! Mes émotions s’emballent car je suis seule. Je ne peux pas les partager directement, mais j’ai l’impression de ne faire plus qu’un avec les paysages et la nature.Je conseille vivement la Mongolie pour les femmes qui voyagent seules. Bien sûr, il faut être sportive et avoir le goût de l’aventure. Mais le plus important est qu’on s’y sent en sécurité. Dans la steppe, souvent déserte en apparence, je n’étais pas vraiment seule. Je savais qu’en cas de soucis, les nomades prendraient soin de moi. En plus, grâce à leur culture bouddhiste et leur mode de vie proche de la nature, les hommes sont profondément respectueux des femmes. Ceci dit, dans ces régions isolées, certains sont quand même rustres et maladroits. Plusieurs m’ont fait des propositions de manière assez directe, mais sans jamais utiliser une quel-conque violence. Un jour par exemple, un berger croisé en haut d’un col est descendu de son cheval et s’est gratté l’en-trejambe en me regardant droit dans les yeux de manière sug-gestive... Une autre fois, après m’avoir transporté mes affaires sur sa moto dans la montée très raide d’un col, un Mongol voulait en échange que je dorme dans une yourte avec lui ! J’ai refusé catégoriquement, et pour lui montrer que je ne le suivrais pas, j’ai monté ma tente là où il avait déposé mes affaires. Il a insisté encore un peu, puis il est parti. Il savait donc où j’allais passer la nuit. C’est la première et unique fois où j’ai dormi avec un couteau à côté de moi, au cas où… au reTour : amerTume ou fierTé ?J’ai quitté la Mongolie à regret pour rejoindre la Chine, puis j’ai continué encore mon voyage quelques mois en Asie avant de rentrer en France, les poches vides. À mon retour, j’avais une sensation d’inachevé, voire d’échec. Je n’étais partie que 6 mois au lieu d’un an comme je l’avais prévu, j’avais moins pédalé que ce que j’aurais souhaité. Avec plus de recul aujourd’hui, je suis tout de même fière de ces quelques mois intenses et enrichissants. Vivre la solitude, à ce moment charnière de ma vie, a été essentiel pour moi. D’ailleurs, sans hésiter, je repartirais un jour seule en Asie, et plutôt en binôme sur les autres continents. J’aimerais retourner en Mongolie, sans contrainte de temps, pour me laisser porter par le méli-mélo des pistes et m’arrêter plus longtemps chez ces nomades qui m’ont énormément tou-chée. J’aimerais m’inspirer davantage de leur vie en harmo-nie avec la nature. Et peut-être un jour trouverai-je la source intarissable de leur sérénité…Avant même d’atterrir à Paris, j’avais déjà de nouveaux projets de voyage-reportage dans la tête. Mon compte en banque étant vide, ils attendront encore un peu. Je prévois un nouveau départ vers l’Asie centrale en 2016, avec un projet de reportage plus précis et surtout mieux préparé. En attendant, je continue à travailler comme reporter agricole, mais en freelance cette fois. Quand on goûte à la liberté une fois, c’est difficile de s’en passer ensuite !

Le soir, il suffit de s’écarter légèrement de la piste pour trouver un lieu de bivouac idéal

chaleureux et accueillants, les nomades sont attentifs aux voyageurs

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