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Histoire – Terminales ES et L Thème 1 : le rapport des sociétés à leur passé Question 2 - Les mémoires : lecture historique Problématiques : Comment se construisent et se transmettent les mémoires et comment interviennent-elles dans le champ de l’Histoire ? Comment se sont élaborées et transformées les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France ? Pages du manuel : 78 à 103. Mots-clés : Personnalités : Amnésie K. Barbie H. Rousso Anamnèse R. Bousquet J. Semprun Collaboration J. Chirac P. Touvier Déportation Ch. De Gaulle S. Veil Génocide R. Faurisson Histoire B. & S. Klarsfeld Holocauste C. Lanzmann Mémoire P. Levi Négationnisme (révisionnisme) A. Malraux Pétainiste/Maréchaliste F. Mitterrand Refoulement J. Moulin Repentance M. Ophüls Résistance M. Papon Résistancialisme R. Paxton Résistantialisme P. Pétain Shoah (catastrophe en hébreu) G. Pompidou Syndrome de Vichy A. Resnais Chronologie : 25 août 1944 : Discours du Général de Gaulle à 1990 : Loi Gayssot (la négation des crimes contre l’hôtel de Ville de Paris. L’humanité est un délit). Juillet/Août 1945 : Procès de P. Pétain 1993 : Décret instaurant une journée nationale 1946 : La Bataille du Rail de R. Clément. Commémorative (16 juillet) des persécutions 1953 : Destruction du Vel’ d’hiv’ à Paris. racistes et antisémites commises sous l’autorité

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Histoire – Terminales ES et LThème 1 : le rapport des sociétés à leur passé

Question 2 - Les mémoires : lecture historique

Problématiques :

Comment se construisent et se transmettent les mémoires et comment interviennent-elles dans le champ de l’Histoire ?

Comment se sont élaborées et transformées les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France ?

Pages du manuel : 78 à 103.

Mots-clés : Personnalités :

Amnésie K. Barbie H. RoussoAnamnèse R. Bousquet J. SemprunCollaboration J. Chirac P. TouvierDéportation Ch. De Gaulle S. VeilGénocide R. FaurissonHistoire B. & S. KlarsfeldHolocauste C. LanzmannMémoire P. LeviNégationnisme (révisionnisme) A. MalrauxPétainiste/Maréchaliste F. MitterrandRefoulement J. MoulinRepentance M. OphülsRésistance M. PaponRésistancialisme R. PaxtonRésistantialisme P. PétainShoah (catastrophe en hébreu) G. PompidouSyndrome de Vichy A. Resnais

Chronologie :

25 août 1944 : Discours du Général de Gaulle à 1990 : Loi Gayssot (la négation des crimes contrel’hôtel de Ville de Paris. L’humanité est un délit).

Juillet/Août 1945 : Procès de P. Pétain 1993 : Décret instaurant une journée nationale1946 : La Bataille du Rail de R. Clément. Commémorative (16 juillet) des persécutions1953 : Destruction du Vel’ d’hiv’ à Paris. racistes et antisémites commises sous l’autorité1956 : Nuit et brouillard d’A. Resnais. du gouvernement de l’Etat français -40/44.1960 : Inauguration du Mémorial de la France 1994 : Procès Touvier.

combattante sur le Mont Valérien. Une Jeunesse française de P. Péan.1964 : Transfert des cendres de J. Moulin au Panthéon 16 juillet 1995 : Discours de J. Chirac reconnaissant les

(discours d’A. Malraux). crimes de l’Etat français durant l’Occupation.1969 : L’Armée des ombres de J-P. Melville. 1997 : Procès Papon.

Le Chagrin et la pitié de M. Ophüls. 2000 : Création de la Fondation pour la mémoire de la1973 : La France de Vichy de R. Paxton. Shoah.1985 : Shoah de C. Lanzmann. 2005 : Ouverture du Mémorial de la Shoah dans le1987 : Procès Barbie. quartier du Marais, à Paris.1990 : Le Syndrome de Vichy d’H. Rousso.

PLAN DU COURS ET DOCUMENTS REFERENTS

I. La mémoire et l’Histoire (lire les pages 78/79 du manuel)1. Mnémosyne et Clio, deux fonctions différentes voire opposées

Document 12. La mémoire, objet d’Histoire (doc. bas de la page 78)

II. L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France (sujet d’étude)

1. La pluralité des mémoires de la Seconde Guerre mondialea. La mémoire des acteurs et témoins de la guerre

Documents 2, 3, 4, 5, 6 et 7.b. Une mémoire savante, celle des historiens

Documents 8 et 9.c. La mémoire officielle

Documents 10 et 11.d. L’anti-mémoire : le négationnisme

Document 122. Les temporalités de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale

a. Le temps du refoulement et de l’amnésie (1945/1969)Documents 13 et 14 + fiche sur « Nuit et Brouillard ».

b. Obsession, anamnèse et retour du refoulé (1969/1995)Documents 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22.

c. Repentance et éloignement (depuis 1995)Documents 23 et 24.

Sujet d’étude : Nuit et Brouillard (voir p. 100/101 du manuel).

I. La mémoire et l’Histoire (p. 78/79 du manuel)1. Mnémosyne et Clio, deux fonctions différentes voire opposées

La mythologie nous dit que Mnémosyne, déesse de la Mémoire, mit au monde les neufs muses (dont le père est Zeus) parmi lesquelles Clio, dont on disait qu’elle annonçait aux mortels ce qui fut et ce qui sera. L’Histoire est donc la fille de la Mémoire ! Pourtant, tout les oppose…1.« La mémoire est la vie, toujours portée par des groupes vivants, et à ce titre, elle est en évolution permanente, ouverte à la dialectique du souvenir et de l’amnésie, inconsciente de ses déformations successives, vulnérable à toutes les utilisations et manipulations. L’Histoire est la reconstruction toujours problématique et incomplète de ce qui n’est plus. Si la mémoire est un phénomène toujours actuel, un lien vécu au présent éternel, l’Histoire est une représentation du passé. Elle ne s’attache qu’aux continuités temporelles, aux évolutions ».

Pierre Nora, Les Lieux de mémoires, Gallimard, Paris, 1989.

« L’Histoire est une pensée du passé et non une remémoration ; elle périodise et met à distance, universalise, alors que la mémoire sacralise le passé, le limite à un groupe ou à un individu en refusant chronologie et continuité ».

Jean-Pierre Rioux, Pour une Histoire culturelle, Seuil, Paris, 1997.

Qui concerne la mémoire ? Sur quoi repose-t-elle ? Quelles sont les limites de la mémoire ? Pourquoi ? Qu’est-ce que l’Histoire ? Par qui et comment se construit-elle ?

Histoire et mémoire sont deux représentations différentes mais complémentaires du passé :La mémoire concerne donc les témoins, les contemporains et leurs enfants. Elle est sujette à des choix, à des oublis, des déformations, volontaires ou non. La mémoire maintient le lien fusionnel avec le passé de façon à ce que celui-ci demeure dans le présent ; elle est « un long dialogue avec la mort » selon l’historien Pierre Laborie. La mémoire est un lien affectif avec le passé. C’est en cela que le témoignage prend tout son sens ; le survivant doit être témoin au plein sens du terme : une personne pouvant attester d’un fait en vertu d’une connaissance directe.

2. La mémoire, objet d’Histoire (doc. bas de la page 78)

Quelles évolutions historiographiques évoque Jacques Le Goff ? Quelles limites souligne-t-il ?Au moins autant qu’une tentative de reconstruction du passé, l’Histoire est devenue une interrogation sur le présent à partir des traces du passé. Ainsi, la mémoire du passé est bien souvent la clé qui permet de comprendre les comportements du présent. L’historien est à la fois celui qui met à distance les « objets chauds », les fait entrer dans le passé, mais également le passeur de mémoire qui, en mettant l’accent sur tel ou tel aspect, crée des images, des façons de percevoir le passé qui deviendront à leur tour des moteurs du devenir historique. Selon la formule de l’historien Roger Chartier, il crée « une forme de présence du passé dans le présent qui est un élément essentiel de la construction de notre être collectif ». La mémoire est un matériau essentiel de l’Histoire (témoignages…).

II. L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France (sujet d’étude)

Dans toutes les sociétés occidentales, depuis les années 70, les questions de mémoire sont omniprésentes, reflet sans doute d’une interrogation existentielle sur l’identité, individuelle ou collective. La France n’échappe pas à la règle : elle est même saisie d’une frénésie commémorative ! Le phénomène est particulièrement net en ce qui concerne la Seconde Guerre mondiale : la France est le pays qui a le plus de commémorations officielles d’événements liés à cette guerre. Quelques exemples :

27 janvier : Libération d’Auschwitz et commémoration de la libération des Camps. 26 avril : Journée de la Déportation. 8 mai : Capitulation allemande. 18 juin : Appel du Général de Gaulle. 16 juillet : Rafle du Vel d’Hiv. A ces commémorations, il faut ajouter les cérémonies locales (libération de chaque commune, lieux de

combats…) et les cérémonies ponctuelles, exceptionnelles (6 juin 2004).

1. La pluralité des mémoires de la Seconde Guerre mondialea. La mémoire des acteurs et témoins de la guerre

Il s’agit de ceux qui ont participé au conflit, l’ont vécu et subi. Leurs mémoires sont nécessairement engagées, souvent militantes, forcément sélectives.

Les soldats de 1940 : Habituellement, l’après-guerre est l’occasion d’une héroïsation des combattants. Mais ici, l’image de la débâcle, celle de la pagaille et de la désorganisation collent à la peau de ces anciens combattants. Ils n’eurent jamais droit aux honneurs nationaux, ni au prestige social que reçurent leurs prédécesseurs de 14/18. La seule part d’héroïsme qui leur fut concédée fut celle des évadés, et encore pas toujours sur un mode valorisant (Cf : La Vache et le prisonnier – 1959 ou La Cuisine au beurre – 1963).

2.

Les requis du STO : Une partie d’entre eux revendique le statut de déporté du travail mais les déportés des camps aussi bien que les résistants le leur refusent, arguant du fait qu’un requis est un non-réfractaire qui aurait fui son devoir. D’où des frictions et des luttes entre associations représentatives des deux groupes.

Les Pétainistes et Maréchalistes : Cette mémoire s’organise dès 1945 avec la déclaration lue par Pétain devant la Haute Cour de Justice. Elle développe tous les thèmes qui seront ceux de la défense de Vichy et de son œuvre : le bouclier, le double jeu, la nécessaire continuité de l’Etat… Cette mémoire se consacre à une cause principale : la réhabilitation de Philippe Pétain. Enterré à Port-Joinville sur l’île d’Yeu depuis 1951, certains demandent le transfert de ses cendres à Douaumont. Toutefois, cette mémoire s’efface peu à peu et se marginalise. En témoigne l’émoi provoqué par le fleurissement de la tombe de Pétain par Mitterrand à la fin des années 80.

3.Le résistantialisme selon un partisan du Maréchal Pétain

« Comment ont-ils accaparé le pouvoir ? On s’en est pris d’abord aux hommes de la IIIème République. Après les hommes politiques, on s’en est pris aux fonctionnaires, aux officiers, aux chefs d’entreprise, qu’on soupçonnait de tiédeur envers le régime nouveau. Sous couleur d’épuration, on les a déférés à des Comités de partisans. Après une parodie d’enquête et de justice, on les a révoqués ou mis à la retraite d’office, et ainsi on a décapité nos administrations, notre armée, notre marine, nos entreprises. Dans le même temps, pour anesthésier le pays et le mettre dans l’impossibilité de réagir, on a créé un régime de terreur. Des citoyens ont été les uns exécutés sommairement, les autres arrêtés et mis de longs mois dans des camps d’internement ou dans des prisons. Lorsque cette préparation préalable eut été achevée, le climat fut jugé favorable pour établir le nouveau régime qu’on préméditait ».

Discours de Lucien Lamoureux, ancien membre du Conseil national de Vichy, 14 mars 1948.

Quel contexte l’auteur évoque-t-il ici ? Qui sont les « ils » et « on » ? Quelle opinion traduit ce texte ? Comment ?

La vache et le prisonnierFilm français d’Henri Verneuil - 1959

En 1943, Charles Bailly (Fernandel), prisonnier de guerre de la Seconde Guerre mondiale en Allemagne, décide de s'évader de la ferme où il est employé. Sa ruse, grossière et folle en apparence, consiste à traverser le pays, la vache Marguerite en laisse et un seau de lait dans l'autre main. Ainsi va commencer cette odyssée pour l'homme et la bête, image de paix dans un pays déchiré par les haines et la violence. Après s'être séparé de l'animal, non sans lui avoir promis de ne plus jamais « manger de veau », il se dissimule sous un train pour franchir la frontière germano-française.Alors qu'il se retrouve à la gare de Lunéville, il prend la fuite devant deux policiers français et saute dans un train en partance pour... l'Allemagne ! Ce n'est que deux ans plus tard que cet anti-héros reviendra, « comme tout le monde », de captivité.

Les déportés : En 1945, leur retour suscite l’émotion. Pendant plusieurs années, les témoignages se multiplient. Pourtant, si le message est largement émis, il est relativement peu perçu. La société française du moment semble peu préparée à comprendre vraiment et les déportés ne parviennent pas à faire saisir leur expérience de l’indicible (Cf : Le Non de klara de Soazig Aaron, Pocket, Paris, 2004).4.« Et nous sommes tous morts. Morts pour rien. Nous avons souffert pour rien, absolument rien. Tout gratuit. Rien, rien qui puisse servir… Je suis partie avec un corps acceptable, un visage également, des cheveux blonds et des yeux gris. Je reviens avec un visage ravagé, des cheveux gris, un corps que je n’ose pas regarder et qui n’est pas regardable. Tout cela pour rien, rien, rien… Oui, il y aura encore des gens très savants, mais notre savoir extrême, notre savoir des extrêmes, ne sera d’aucun secours ; c’est un savoir sans continuité parce qu’il est en bascule, un savoir intransmissible, et qu’est-ce qu’un savoir qu’on ne peut transmettre ? C’est rien… Un savoir qui ne sert à personne, c’est rien. Là non plus, ce savoir n’a pas de nom… »

Soazig Aaron, Le Non de Klara (roman), Pocket, Paris, 2004.

Quel avis a l’auteur sur son expérience et sa propre mémoire ? Pourquoi ?Le cas des déportés raciaux n’est pas pris en compte dans sa spécificité. Seule est exaltée la déportation politique, outil essentiel du mythe résistancialiste. Les accusés de la Haute Cour de 1945 sont jugés pour trahison et non pour crimes raciaux. La distinction entre camps de concentration et camps d’extermination n’est pas faite, pas plus que n’est prise en compte dans sa réalité la participation française à la déportation. Indice de cette difficulté : on détruit en 1953 le Vel’ d’Hiv’, rue Nélaton dans le XVème arrondissement de Paris, sans que cela provoque de troubles de conscience.5.Du refoulement au dévoilement

« En 1945, les camps d’extermination nazis apparaissent comme un des aspects tragiques d’une guerre qui avait laissé un immense cortège de ruines, de souffrances et de morts, en frappant les populations civiles de plusieurs continents sans distinctions. Dans la plupart des cas, les chambres à gaz étaient perçues comme un aspect secondaire, sans qualité, de la violence nazie, dans le contexte d’une guerre chargée en horreurs. Le contraste avec la situation actuelle est saisissant. L’Holocauste est universellement reconnu comme un des épisodes les plus tragiques de l’Histoire de l’humanité, il a acquis le statut de paradigme de la violence du XXème siècle, sinon, tout court, de la modernité. Au-delà de la recherche historique, la mémoire de l’Holocauste est véhiculée par une masse considérable d’ouvrages de littérature et de témoignage, par des films de fiction qui s’adressent à un très large public, ou encore par des pièces de théâtre et des émissions télévisées. Tous les pays concernés par le génocide juif adoptent leur politique de la mémoire en entretenant des sites où se trouvaient des camps de transit, de concentration et d’extermination, en instituant des jours de commémoration, en créant des monuments et des musées ».

Enzo Traverso, La Mémoire de la Shoah, in Le Nouvel Observateur N°53, décembre 2003. Quelle évolution des mémoires note l’auteur ? Comment cela s’est-il traduit ?

Il faut attendre les années 70 pour que s’opère un renversement de mémoire spectaculaire, avec le renouveau de la mémoire juive, dont on peut fixer le point de départ au procès Eichmann en 1961, puis à la guerre des Six jours en 1967. Les actions et les travaux des époux Klarsfeld y jouent, en France, un rôle décisif. La spécificité du génocide est mise en exergue ainsi que les responsabilités de Vichy. En 1985, le film de Claude Lanzmann impose en France le terme Shoah. Des associations (Fils et filles de déportés juifs de France, Amicale des anciens d’Auschwitz…) multiplie les cérémonies, commémorations, débats et témoignages.

Les résistants : En toute logique, elle devrait être la mémoire dominante, voire la matrice d’une mémoire collective. Elle ne le fut que de façon très temporaire dans les années de l’immédiat après-guerre, pendant lesquelles l’émotion était encore forte, le culte du héros clandestin vivace. De cette mémoire héroïsée témoignent quelques films dont La Bataille du rail, tourné en 1946 par René Clément.6.

Sa faiblesse est qu’il s’agit d’une mémoire difractée et non d’une mémoire unitaire. La mémoire gaulliste, fondée sur l’appel du 18 juin et l’action extérieure, essentiellement militaire et politique (rebâtir l’Etat), rencontre une mémoire communiste (le parti des 75 000 fusillés) avec laquelle elle partage certains aspects du résistancialisme, mais avec laquelle elle est en opposition d’intérêt, d’autant que la Guerre froide place les anciens alliés du CNR et du GPRF dans deux camps opposés qui s’affrontent sans merci. De plus, les progrès de la connaissance historique ont montré la complexité du phénomène résistant (voir la polémique sur la carrière de Mitterrand à Vichy avant son entrée dans la Résistance). De ce fait, l’héroïsme résistancialiste s’est fortement terni ; la filmographie peut en témoigner par exemple avec le caricatural Papy fait de la Résistance réalisé en 1983.7.

b. Une mémoire savante : celle des historiens

Si le Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale commence son travail en 1951, ce n’est qu’en 1954 que l’on, dispose de la première histoire de Vichy. En 1973, La France de Vichy de Robert Paxton, sonne comme un coup de tonnerre. Par rapport aux thèses de Robert Aron, Paxton bouleverse la lecture de l' histoire du régime de Vichy en affirmant que le gouvernement de Vichy a non seulement collaboré en devançant les ordres allemands, mais qu’il a aussi voulu s'associer à l'« ordre nouveau » des nazis avec son projet de Révolution nationale. En 1978, l’Institut d’Histoire du Temps présent succède au Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale et multiplie les travaux sur la période 1940/1944. Dès lors, on assiste à une floraison presque ininterrompue de publications, mettant en lumière, entre autres, la politique antisémite de Vichy. Voulant casser le mythe d’une France résistante, on a parfois versé dans des descriptions fangeuses d’une France lâche et veule, transformant les Français en autant de Lacombe Lucien (film de Louis Malle sorti en 1974).

8.

La bataille du railFilm français de René Clément – 1946

Ce film retrace la résistance des cheminots français pendant la Seconde Guerre mondiale et les efforts de ces derniers (sabotage) pour perturber la circulation des trains pendant l'Occupation nazie.

Papy fait de la RésistanceFilm français de Jean-Marie Poiré – 1983

Helena Bourdelle (Jacqueline Maillan), dite « La Bourdelle », est une grande cantatrice et l'épouse du maestro André Bourdelle (Jean Carmet). Engagé dans la Résistance, celui-ci est tué par l'explosion d'une grenade. Suite à la défaite, la famille Bourdelle voit très vite son hôtel particulier investi par les forces allemandes. Elle doit alors composer avec les forces occupantes et les collabos…

A l’image de « tous résistants », on donne parfois l’impression de substituer l’image de « tous collabo ». Un mythe en remplace donc un autre…

9.Le syndrome de Vichy

Un peu comme l’inconscient dans la théorie freudienne, la mémoire dite collective existe d’abord dans ses manifestations, dans ce par quoi elle se donne à voir, explicitement ou implicitement. Le syndrome de Vichy est l’ensemble hétérogène de ces symptômes, des manifestations en particulier dans la vie politique, sociale et culturelle, qui révèlent l’existence du traumatisme engendré par l’Occupation, particulièrement celui lié aux divisions internes, traumatisme qui s’est maintenu, parfois développé, après la fin des événements. La mise en ordre historienne de ces symptômes a mis en évidence une évolution en quatre phases :

Entre 1944 et 1954, la France affronte directement le problème des séquelles de la guerre civile, de l’épuration à l’amnistie : c’est la phase de deuil, dont les contradictions seront lourdes de conséquences pour la suite.

De 1954 à 1971, les Français semblent refouler cette guerre civile, aidés en cela par un mythe dominant : le résistancialisme.

Entre 1971 et 1974, le miroir se brise et les mythes volent en éclat : c’est la troisième phase qui se présente comme un retour du refoulé.

Elle inaugure par la suite une quatrième phase, dans laquelle il semble que nous soyons encore, celle d’une obsession, marquée d’une part par le réveil de la mémoire juive, qui a joué et joue un rôle crucial dans le syndrome, et d’autre part par l’importance des réminiscences de l’Occupation dans le débat de politique interne ».

Henry Rousso, Le Syndrome de Vichy, Seuil, Paris, 1990.

Qu’est-ce que le « syndrome de Vichy » ? Comment évolue-t-il dans le temps ?

En 1990, paraît Le Syndrome de Vichy (ed. du Seuil, Paris) d’Henry Rousso qui traite de « ce passé qui ne passe pas ». L’historien y décrit l’ensemble des symptômes, des manifestations politiques, sociales et culturelles qui révèlent le traumatisme engendrée par l’Occupation, particulièrement celui lié aux divisions internes.

c. La mémoire officielle

C’est celle qui est le résultat de l’action des pouvoirs publics et des autorités nationales ou locales. Sa fonction est différente de celles des mémoires précédemment évoquées. Alors que les mémoires de groupes cherchent à préserver une identité et à légitimer une action passée, alors que la mémoire savante veut instiller un regard distancié et établir la vérité des faits, la mémoire officielle est par nature politique (gérer la cité et maintenir sa cohésion). Elle est une action sur le présent, afin de défendre les intérêts du pays et organiser la vie collective. Deux exemples peuvent l’illustrer :10.Paris libéré

« Pourquoi voulez-vous que nous dissimulions l’émotion qui nous étreint tous, hommes et femmes, qui sommes ici, chez nous, dans Paris debout pour se libérer et qui a su le faire de ses mains. Non ! Nous ne dissimulerons pas cette émotion profonde et sacrée. Il y a des minutes qui dépassent chacune de nos pauvres vies. Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais

Lacombe LucienFilm français de Louis Malle – 1974

En juin 1944, Lucien Lacombe retourne chez ses parents. Son père est prisonnier de guerre en Allemagne et sa mère vit avec le maire du village. Il demande à son instituteur, devenu résistant, d'entrer dans le maquis mais ce dernier refuse. Lorsqu'il est arrêté par la police, il dénonce son instituteur et rejoint alors la Gestapo française, corps auxiliaire français de la Gestapo, vivant la vie d'un agent de la police allemande. Il tombe amoureux d'une juive, France Horn. Lucien finit par s'enfuir à la campagne avec la jeune fille et sa grand-mère. Il est fusillé à la Libération comme collaborateur.

Paris libéré ! Libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de France, avec l’appui et le concours de la France toute entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle. Eh bien ! Puisque l’ennemi qui tenait Paris a capitulé dans nos mains, la France rentre à Paris, chez elle. Elle y rentre sanglante, mais bien résolue. Elle y rentre, éclairée par l’immense leçon, mais plus certaine que jamais de ses devoirs et de ses droits […]. Ce devoir de guerre, tous les hommes qui sont ici et tous ceux qui nous entendent en France savent qu’il exige l’unité nationale. Nous autres, qui aurons vécu les plus grandes heures de notre Histoire, nous n’avons pas à vouloir autre chose que de nous montrer, jusqu’à la fin, dignes de la France. Vive la France ! »

Discours prononcé par Charles de Gaulle à l’Hôtel de Ville de Paris, 25 août 1944.

Comment de Gaulle relate-t-il la Libération de Paris ? Quelle image de la France et des Français durant l’Occupation donne-t-il ? Comment et pourquoi ?

11.Jean Moulin au Panthéon (1964)

« L’hommage aujourd’hui n’appelle que le chant qui va s’élever maintenant, ce Chant des partisans que j’ai entendu murmurer comme un chant de complicité, puis psalmodier dans le brouillard des Vosges et les bois d’Alsace, mêlé au cri perdu des moutons des tabors [bataillon formé de soldats des goums marocains encadrés par des officiers et sous-officiers français des Affaires indigènes], quand les bazookas de Corrèze avançaient à la rencontre des chars de Rundstedt [officier allemand] lancés de nouveau contre Strasbourg. Ecoute aujourd’hui, jeunesse de France, ce qui fut pour nous le Chant du Malheur. C’est la marche funèbre des cendres que voici. A côté de celles de Carnot avec les soldats de l’An II, de celles de Victor Hugo avec les Misérables et celles de Jaurès veillées par la Justice, qu’elles reposent avec leur long cortège d’ombres défigurées. Aujourd’hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n’avaient pas parlé ; ce jour là, elle était le visage de la France ».

André Malraux [ministre d’Etat chargé des Affaires culturelles], Oraison funèbre pour le transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon, 19 décembre 1964.

A qui s’adresse particulièrement Malraux ? Pourquoi ? Quelles références historiques fait-il ? Pourquoi ? Quelle image donne-t-il de Jean Moulin ?

La mémoire, par la mise en avant de certains faits plutôt que d’autres, est donc utilisée comme un moyen d’action pour le présent. Elle peut être aussi une thérapie collective, une forme d’organisation de l’oubli et un moyen d’apaisement des tensions du passé. La mémoire officielle est en effet celle qui amnistie, afin de mettre un terme aux « temps où les Français ne s’aimaient pas » selon la formule de Georges Pompidou.Le législateur propose aussi des lois en lien avec le sujet : en 1990, la loi Gayssot qualifie de délit et réprime toute négation des crimes contre l’Humanité.

d. L’anti-mémoire : le négationnisme.

12.Le négationnisme et le révisionnisme« Autour de ce personnage [Albert Faurisson, universitaire français et professeur de Lettres] s’est agrégée une multitude personnes qui, au nom de la Révolution mondiale, entend détruire la fiction de l’antifascisme, c’est-à-dire le consensus qui a permis, de 1941 à 1945, la Grande Alliance qui est venue à bout de Hitler et de son régime […]. Pour soutenir cette thèse, il faut évidemment faire sauter un obstacle : le génocide perpétré contre les Juifs qui est inscrit au fer rouge sur le visage de l’hitlérisme. D’autres que moi, avant moi, en même temps que moi ont réfléchi sur ce phénomène étrange qu’est la déréalisation. Les événements les plus dramatiques ne sont plus que des mots, et même des mots de basse espèce, puisqu’il s’agit de propagande, de rumeurs, de mythes ».

Pierre Vidal-Naquet, Naissance du révisionnisme, Fayard, Paris, 1996.

« Le grand public découvre [en 1978] le milieu interlope [douteux] des “révisionnistes”, un qualificatif qu’ils s’attribuent impunément : le révisionnisme de l’histoire étant une démarche classique chez les scientifiques, on préférera ici le barbarisme,

moins élégant mais plus approprié, de “négationnisme”, car il s’agit bien d’un système de pensée, d’une idéologie et non d’une démarche scientifique ou même simplement critique ».

Henry Rousso, Le Syndrome de Vichy, Seuil, Paris, 1990.

Expliquez les deux termes. Quel est le but de ce courant ? Quels arguments utilise-t-il ?

2. Les temporalités de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale a. Le temps du refoulement et de l’amnésie (1945/1969)

Au lendemain du conflit, le temps est, de façon globale, au rassemblement. Certes, la Guerre froide, les conflits coloniaux ou l’affaire de la CED brisent assez rapidement l’unanimisme résistant. Pourtant, des solidarités demeurent. C’est durant cette période que se mettent en place les principaux mythes, relayés par les deux grandes forces politiques du pays, le gaullisme et le communisme. Mythe du résistancialisme, mythe de Vichy « nul et non avenu »… Ils s’imposent d’autant plus facilement que, pendant les Trente Glorieuses, la masse des Français veut oublier une période sombre, faite de privations, et souhaite communier dans le culte de la consommation qui met à distance la période des vaches maigres. C’est surtout à partir de 1958, que cette mémoire mythifiée atteint son apogée, relayée par une télévision aux ordres, sans référence à Vichy, faisant disparaître un gendarme français du film d’Alain Resnais, Nuit et Brouillard (1956) (Cf : Fiche). Les témoignages de déportés dérangent, provoquent malaise et mauvaise conscience plus qu’empathie.

13.

Besoin de témoigner, refus d’écouter

« On entend souvent dire que les déportés ont voulu oublier et ont préféré se taire. C’est vrai sans doute pour quelques-uns, mais inexact pour la plupart d’entre eux. Je prends mon cas, j’ai toujours été disposée à en parler, à témoigner. Mais personne n’avait envie de nous entendre. Ce que nous disions était trop dur, pouvait paraître cynique. Il aurait fallu peut-être que nous disions les choses avec plus de précaution. Ainsi, à partir du mois de juin 1945, et durant tout l’été, les familles de ceux qui n’étaient pas rentrés ont continué à attendre et espérer. Lorsque nous manifestions des doutes sur ce point, compte tenu de ce que nous savions, on préférait ne pas nous écouter, ou ne pas comprendre. On était choqué. Cette incompréhension, ces difficultés, nous les retrouvions en famille. Peut-être même surtout dans nos familles ; c’est le silence : un véritable mur entre ceux qui ont été déportés et les autres. Une sœur de mon mari a été déportée : nous nous sommes à peine croisées à Bergen-Belsen, mais nous avons des camarades communs, beaucoup de souvenirs communs. Chaque fois que nous nous voyons, nous en parlons. C’est instinctif, un besoin de la faire. Mais la famille ne le supporte pas ».

Témoignage de Simone Veil cité par Annette Wieviorka in Déportation et génocide. Entre mémoire et oubli, Plon, Paris, 1992.

Les problématiques du témoignage

« Pour mon malheur, ou du moins ma malchance, je ne trouvais que deux sortes d’attitudes chez les gens du dehors. Les uns évitaient de vous questionner, vous traitaient comme si vous reveniez d’un banal voyage à l’étranger. Vous voilà donc de retour ! Mais c’est qu’ils craignaient les réponses, avaient horreur de l’inconfort moral qu’elles auraient pu leur apporter. Les autres posaient des tas de questions superficielles, stupides – dans le genre : c’était dur, hein ? -, mais si on leur répondait, même succinctement, au plus vrai, au plus profond, opaque, indicible, de l’expérience vécue, ils devenaient muets, s’inquiétaient, agitaient les mains, invoquaient n’importe quelle divinité tutélaire pour en rester là. Et ils tombaient dans le silence, comme on tombe dans le vide, un trou noir, un rêve. Ni les uns ni les autres ne posaient les questions pour savoir, en fait. Ils les posaient par savoir-vivre, par politesse, par routine sociale. Parce qu’il fallait faire avec ou faire semblant. Dès que la mort apparaissait dans les réponses, ils ne voulaient plus rien entendre. Ils devenaient incapables de continuer à entendre ».

Jorge Semprun, L’Ecriture ou la vie, Gallimard, Paris, 1996.Déporté à Buchenwald.

A partir de ces témoignages, décrivez et expliquez l’attitude de la population française face à la déportation.

La Résistance est exaltée comme le montre l’inauguration, le 18 juin 1960, du Mémorial de la France combattante sur le Mont Valérien, près de Paris (4500 fusillés dans ce fort entre 1940 et 1944) Doc. 1 p. 80. Après La Bataille du rail, L’Armée des ombres de Jean-Pierre Melville, autre film sur la Résistance, sort en 1969.

14.

b. Obsession, anamnèse (rappel du souvenir) et retour du refoulé (1969/1995)

En 1971, graciant Paul Touvier, Georges Pompidou se justifie par la nécessité de mettre fin à cette époque « pendant laquelle les Français ne s’aimaient pas ».15.

Jeter le voile

« Notre pays, depuis un peu plus de trente ans, a été de drame national en drame national. Ce fut la guerre, la défaite et ses humiliations, l’Occupation et ses horreurs, la Libération, par contrecoup l’Epuration et ses excès –reconnaissons-le ; et puis la guerre d’Indochine, et puis l’affreux conflit d’Algérie et ses horreurs des deux côtés, et l’exode d’un million de Français chassés de leurs foyers, et l’OAS et ses attentats, ses violences, et par contrecoup la répression. Alors, je me sens le droit de dire : allons-nous éternellement entretenir saignantes les plaies de nos désaccords nationaux ? Le moment n’est-il pas venu de jeter le voile, d’oublier ce temps où les Français ne s’aimaient pas, s’entredéchiraient et même s’entretuaient ? »

Conférence de presse du Président de la République Georges Pompidou, 21 septembre 1972.

Quelles périodes évoque Georges Pompidou ? Pourquoi est-il, selon lui, nécessaire de « jeter le voile » ?

La diffusion du Chagrin et la pitié, documentaire de Marcel Ophüls (1969) montre que tous les Français n’ont pas résisté.16.

L'Armée des ombresFilm franco-italien de Jean-Pierre Melville - 1969

Adapté du roman du même nom de Joseph Kessel, écrit en 1943, ce film raconte l’histoire de Philippe Gerbier (Lino Ventura) arrêté pour « pensées gaullistes ». Il dirige alors un réseau de résistants et s'échappe lors d'un transfert vers la Gestapo parisienne. Mais les arrestations des membres de son réseau se suivent, et les tentatives de libération ne sont pas toutes fructueuses…

Ce courant de pensée sera fortement nourri par le livre de Robert Paxton, La France de Vichy publié aux États-Unis en 1972 et traduit en français en 1973. S’ouvre alors une période d’anamnèse qui va durer vingt ans et qui sera d’autant plus douloureuse que la période précédente avait accumulé les refoulements. La déportation et le génocide deviennent des thèmes populaires dont les vecteurs sont nombreux : documentaire (9 heures !) de Claude Lanzmann Shoah, sorti en 1985, diffusion à la télévision française de la Série américaine Holocauste en 1979, les témoignages sont enfin entendu, douloureusement…17.

18.

19.La parole et la mémoire retrouvées

Le Chagrin et la pitiéDocumentaire franco-suisse de Marcel Ophüls – 1969

Le film constitue historiquement la première plongée cinématographique effectuée dans la mémoire collective française sur la période de l'Occupation allemande au cours de la Seconde Guerre mondiale. À une idéologie qui ne faisait pratiquement état jusque là que des faits de Résistance, Ophüls permit de mettre l'accent sur des comportements quotidiens beaucoup plus ambigus à l'égard de l'occupant, voire de franche collaboration. En brisant l'image faussement unanime d'une France entièrement résistante, le film joue un rôle important dans l'inauguration d'une phase de la mémoire de l'Occupation que l'historien Henry Rousso appelle « le miroir brisé », à partir des années 1970. En France, ce documentaire, qui détruit le mythe d'une France dressée contre l'occupant nazi, fut interdit à la télévision pendant dix ans. Malgré cela, par sa sortie en salle, il fit l'objet d'un fort engouement par le bouche-à-oreille.

ShoahDocumentaire français de Claude Lanzmann – 1985

Tourné dans les années 1976-1981, le film (9 heures !) est composé d'entrevues de témoins de la Shoah (dont certaines obtenues par ruse) et de prises de vues faites sur les lieux du génocide, notamment à Treblinka, en Pologne.

HolocausteSérie américaine (9 h) – 1977 – diffusée à la télévision française en 1979

Holocauste reproduit toute l'histoire de l'Allemagne nazie depuis la Nuit de Cristal en 1938 jusqu'aux camps de la mort en passant par le soulèvement du ghetto de Varsovie. Le fil conducteur est le destin d'une famille juive allemande assimilée ressemblant à une famille américaine typique. Cependant, cette représentation fictive de la Shoah soulève de nombreuses critiques. Elie Wiesel trouve la banalisation de la Shoah moralement discutable et indécente. Primo Levi émet un avis globalement plus favorable, mais non exempt de reproches : par exemple, les hommes n'étaient pas aussi bien rasés, les femmes n'attendaient pas tranquillement, ce qui relève d'une foi résiduelle en l'humanité dont les Nazis ont précisément été totalement et sciemment dépourvus.

« C’est pour cela que j’explique ce que c’était, autour de moi. J’en parle à mes collègues, surtout aux jeunes. Je m’arrête quand je les vois prêts à pleurer, alors que j’ai l’impression de raconter si calmement, si froidement, si platement. Tu vois, je raconte aux autres. A mon mari, non. Lui, je voudrais sentir qu’il comprend. Pour les autres, je n’attends pas qu’ils comprennent. Je veux qu’ils sachent, même s’ils ne sentent pas ce que je sens, moi. Ce que je veux dire quand je dis qu’ils ne comprennent pas, c’est que personne ne peut comprendre. Au moins, doivent-ils savoir ».

Charlotte Delbo, Mesure de nos jours, Ed. de Minuit, Paris, 1971.Déportée à Auschwitz puis Ravensbrück.

« N’oubliez pas que cela fut. Non, ne l’oubliez pas. Gravez ces mots dans votre cœur ».

Primo Levi, Si c’est un homme, R. Laffont, Paris, 1947, traduit en français en 1987.Déporté à Auschwitz.

Quel tournant de la mémoire traduisent ces documents ?

Se succèdent alors de multiples affaires : procès Barbie (1987), Touvier (1994) et Papon (1997), affaire Bousquet, révélations sur le passé de François Mitterrand (Pierre Péan, Une Jeunesse française, Fayard, Paris, 1994)…20.

21.MAURICE PAPON

(1910 / 2007)

PAUL TOUVIER

(1915 / 1996)

RENE BOUSQUET

(1909 / 1993)

Portrait

Fonction occupée sous Vichy

Secrétaire Général de la Préfecture de Gironde dès 1942, il est responsable du bureau des questions juives.

Chef régional de la milice lyonnaise en 1944.

Préfet de la Marne puis Secrétaire Général de la police de Vichy d’avril 1942 à décembre 1943.

Une jeunesse françaisePierre Péan, Fayard, Paris, 1994.

Récit biographique écrit par le journaliste et écrivain Pierre Péan, il se penche sur le personnage de François Mitterrand, aussi complexe que contradictoire, qui s'est construit dans des décennies troubles. On découvre l'étudiant, le prisonnier de guerre puis le fonctionnaire de Vichy avant qu'il ne rejoigne la résistance en 1943. Mais quel est alors le bon camp ? Quand le maréchal seul incarne encore un pays terrassé, Mitterrand se met à son service. Il s'en éloigne quand la montée de Laval transforme le vieux soldat en otage des Allemands. Devenu Morland dans la Résistance, il tissera d'autres liens et croisera de Gaulle outre-Manche.

Que devient-il à la Libération ?

Il arrive à se faire reconnaître Résistant et est nommé Préfet des Landes, puis de Corse, puis en Algérie.

Il disparaît. Il est condamné à mort par contumace en 1946 pour intelligence avec l’ennemi.

Il est écroué à Fresnes en mai 1945. Il passe devant la Haute cour de Justice et obtient une peine clémente de 5 ans d’indignité nationale.

Poursuite de sa carrière et arrestation

En 1961, il est Préfet de police de Paris au moment des ratonnades. Député RPR, il est ministre du budget sous Giscard d’Estaing.

C’est en 1981 que le Canard enchaîné révèle son implication dans la déportation des juifs.

Il fuit la justice pendant plus de 20 ans. En 1971, le président Pompidou le gracie mais l’hebdomadaire L’Express publie un article rappelant les crimes commis par Touvier.

Ecarté de la haute fonction publique, il poursuit une brillante carrière dans la banque. En 1957, on lui rend sa légion d’honneur et il est amnistié en 1958. Il est candidat aux élections législatives cette année-là.

Crime contre l’Humanité et jugement

Il est inculpé une première fois en 1983 pour avoir participé à la déportation de 1690 Juifs. Son procès débute en 1997 et il est condamné à 10 ans de prison pour complicité de crime contre l’Humanité. En septembre 2002, il est libéré pour raison de santé.

En 1973, une première plainte pour crime contre l’Humanité est déposée par des enfants de victimes. En 1989, il est arrêté dans un prieuré de Nice. Le procès a lieu en 1994 et il est condamné à la réclusion à perpétuité pour crime contre l’Humanité. Il meurt en prison en 1996.

En septembre 1989, des associations d’anciens déportés, de résistants et la Ligue des Droits de l’Homme déposent une plainte. Il est inculpé en 1991 mais la procédure est interrompue après son assassinat par un déséquilibré en 1993.

22.Klaus Barbie (1913 - 1991) a été, durant la guerre, le chef de la section IV (Gestapo) dans les services de la police de sûreté allemande basée à Lyon ; il est alors surnommé « le boucher de Lyon ». À partir du printemps 1947, il est officiellement employé par les services secrets américains qui l'utilisent, avec d’autres nazis, dans la lutte anticommuniste. À partir de 1948, la France réclame l'extradition de Klaus Barbie, en vain. Il est condamné par la justice française, en 1952 et 1954, à la peine capitale par contumace. En 1951, il est exfiltré vers l’Argentine avec le concours des services secrets américains (CIA). Sous l'identité de Klaus Altmann, il s’installe en Bolivie et obtient la nationalité bolivienne. Après que le gouvernement français eut accordé à la Bolivie une importante aide au développement, Klaus Barbie est expulsé vers la France en février 1983 pour avoir obtenu la nationalité bolivienne sous un faux nom. Son procès débute en 1987. Sa défense est assurée par l'avocat Jacques Vergès. Barbie est condamné à la prison à perpétuité pour crimes contre l'humanité. Son procès a fait l'objet d'un enregistrement vidéo et a été diffusé par la suite à la télévision. Le 25 septembre 1991, Barbie meurt en prison à Lyon, à près de 78 ans, des suites d'un cancer du sang et de la prostate.

En même temps que l’on retrouve la mémoire, des individus, dont Robert Faurisson, universitaire français, nient l’existence des chambres à gaz et donc du génocide au nom du droit de révision de l’Histoire (révisionnisme/négationnisme). Des historiens vont alors réagir et lancer de nombreuses recherches sur la Shoah (Cf : Pierre Vidal-Naquet, Les Assassins de la mémoire, Ed. La Découverte, Paris, 1987).

c. Repentance et éloignement (depuis 1995)Un nouveau tournant mémoriel est effectué au milieu des années 90. L’éloignement générationnel y joue un rôle essentiel : la disparition des acteurs « refroidit » le débat, en fait une question exclusivement historique et non plus simplement un enjeu polémique. Le travail des historiens donne aux jeunes une vision bien plus distanciée des événements, tout en rejetant toute culpabilisation rétrospective, ce qui permet une acceptation plus aisée. Le contexte est donc favorable pour la repentance et le mea culpa expiatoire. Le 3 février 1993, paraît un décret instaurant une journée nationale commémorative des persécutions racistes et antisémites commises sous l’autorité de fait dite gouvernement de l’Etat français -1940/1944. Jacques Chirac, dans son discours du 16 juillet 1995, donne une solennité plus grande et un écho universel à cette repentance.23.Les responsabilités de la France

« Il est, dans la vie d’une Nation, des moments qui blessent la mémoire et l’idée que l’on se fait de son pays. Ces moments, il est difficile de les évoquer parce que l’on ne sait pas toujours trouver les mots justes pour rappeler l’horreur, pour dire le chagrin de celles et de ceux qui ont vécu la tragédie […]. Il est difficile de les évoquer, aussi, parce que ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’Etat français. Il y a cinquante-trois ans, le 16 juillet 1942, 450 policiers et gendarmes français, sous l’autorité de leurs chefs, répondaient aux exigences des Nazis […]. La France, patrie des Lumières et des Droits de l’Homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux […]. Transmettre la mémoire du peuple juif, des souffrances et des camps. Témoigner encore et encore. Reconnaître les fautes du passé et les fautes commises par l’Etat. Ne rien occulter des heures sombres de notre histoire, c’est tout simplement défendre une idée de l’Homme, de sa liberté et de sa dignité […]. Certes, il y a les erreurs commises, il y a les fautes, il y a une faute collective. Mais il y a aussi la France, une certaine idée de la France, droite, généreuse, fidèle à ses traditions, à son génie. Cette France n’a jamais été à Vichy. Elle n’est plus, et depuis longtemps, à Paris. Elle est dans les sables libyens et partout où se battent des Français libres. Elle est à Londres, incarnée par le Général de Gaulle. Elle est présente, une et indivisible, dans le cœur de ces Français, ces Justes parmi les nations qui, au plus noir de la tourmente, en sauvant au péril de leur vie, comme l’écrit Serge Klarsfeld, les trois quarts de la communauté juive résidant en France, ont donné vie à ce qu’elle a de meilleur. Les valeurs humanistes, les valeurs de liberté, de justice, de tolérance qui fondent l’identité française et nous obligent pour l’avenir ».

Discours prononcé par le Président de la République Jacques Chirac lors de la cérémonie commémorant la rafle du Vel d’Hiv des 16 et 17 juillet 1942, 16 juillet 1995.

A quelle occasion, Jacques Chirac prononce-t-il ce discours ? En quoi constitue-t-il une rupture importante ? Montrez qu’il ne s’agit pas seulement d’un discours de repentance.

Après ce discours, suit une période de repentance de toutes les institutions impliquées dont l’Eglise, certaines entreprises (SNCF). En janvier 2005, le Mémorial de la Shoah dans le quartier du Marais à Paris ouvre.24.La Fondation pour la mémoire de la Shoah« Conformément aux vœux de la commission Mattéoli (1997) qui avait été chargée par Alain Juppé, Premier ministre de l’époque, d’évaluer les fonds que les banques, les compagnies d’assurance ou d’autres n’avaient jamais restitués à leurs propriétaires ou à leurs ayants droits, la Fondation pour la mémoire de la Shoah a été créée à la fin de l’année 2000, pour recevoir les fonds dont les revenus doivent être utilisés pour le financement de projets de nature à œuvrer pour la mémoire de la Shoah. Les projets s’articulent autour des thèmes suivants : l’Histoire, la pédagogie et la transmission, les liens de mémoire (commémorations, lieux à préserver, livres…), la solidarité, la culture juive et la transmission culturelle (Yiddish, bibliothèques spécialisées…). Il est expressément prévu dans les statuts de la Fondation qu’une part relativement importante de ses revenus est réservée au Centre de Documentation Juive Contemporaine pour l’ensemble de ses activités : muséographie, formation, recherche, histoire et archives ».

Entretien avec Simone Veil, Réflexion sur la mémoire de la Shoah, in Historiens & Géographes N°384, octobre/novembre 2003.Déportée à Auschwitz.

Sous quelle impulsion a été créée la Fondation ? Avec quels moyens ? Quelles sont ses missions ?

L’on peut donc risquer l’hypothèse que le passé est en train de passer…La mémoire est donc un enjeu politique et social essentiel. Le devoir de mémoire doit être un instrument de vigilance pour le temps présent. Mais, au-delà, il y a un devoir de connaissance, c’est-à-dire la constitution d’un savoir seul apte à construire une mémoire vraie.

Voir aussi p. 100/101 du manuel.Le titreIl renvoie à l’ordonnance signée le 7 décembre 1941 par le maréchal Keitel, pour tous ceux qui, en Europe occidentale, représentent un danger pour la sécurité de l’armée allemande d’occupation et constituent de dangereux ennemis du Reich (saboteurs, responsables de réseaux, agents parachutés). Les NN seront transférés en camp sans laisser de trace ; dans la nuit et le brouillard donc… C’est à Wagner que les Nazis empruntent la terminologie : dans L’Or du Rhin, Alberich, coiffé du casque magique, se change en colonne de fumée tandis qu’il chante « Nuit et brouillard, je disparais ». Pour les Nazis, il ne s’agit nullement de disparaître mais de faire disparaître sans laisser de traces.Généalogie des imagesIl existe trois sources d’images :

- Les images en couleur tournées en 1955 à Auschwitz, c'est-à-dire 10 ans après la libération du camp.- Les images en NB tirées des archives nazies (beaucoup de plans fixes, photographies).- Les images des armées alliées tournées à la libération des camps (comme celles tournées par les Anglais à Bergen-Belsen).

La stratification des mémoiresVolontairement, l’accent est mis sur la déportation politique et les camps de l’Ouest. Le documentaire ne souligne pas la spécificité de la déportation et l’extermination des Juifs et élude la Shoah. Le film comporte une seule mention du mot juif, à propos d’un Stern, étudiant juif d’Amsterdam.Cette absence vient en partie de la vision de la déportation en 1956 : est exaltée la mémoire des déportés politiques, outil précieux de la cohésion nationale et vecteur du mythe du « Tous résistants ». Le film ne fait pas la distinction entre les camps de concentration de l’Ouest et les camps d’extermination de l’Est.Les difficultésLa diffusion a buté sur deux problèmes :

- Le képi du gendarme français gardant les prisonniers du camp de Pithiviers. Un représentant du Ministère de la Guerre a demandé que l’on retire cette photo. A. Resnais souhaitait rappeler le rôle de la collaboration d’Etat mais l’heure n’était pas encore au questionnement et à la repentance… La version diffusée à été censurée de cette image afin de recevoir le visa d’exploitation : le gendarme à disparu sous un coup de gouache !

- L’ambassade de RFA a fait pression (avec succès) sur le gouvernement français pour que le film soit retiré de la sélection officielle de Cannes 1956. Cette démarche a provoqué une forte mobilisation des associations de déportés politiques français. De plus, la Suisse a refusé de le diffuser au nom de la neutralité !

Film D’Alain Resnais – 1956 – 32 mn – NB et Couleur.

Texte de Jean Cayrol, poète et déporté politique à Buchenwald ; dit par Michel Bouquet.

Commande officielle de l’Institut d’Histoire de la 2de Guerre mondiale pour le 10ème anniversaire de la libération des camps.