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bibliolycée L’École des femmes Molière Livret pédagogique correspondant au livre élève n°64 établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, professeur en lycée, et Sylvie BEAUTHIER, agrégée de Lettres classiques, professeur en lycée

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L’École des femmes

Molière

L i v r e t p é d a g o g i q u e correspondant au livre élève n°64

établi par Isabelle de LISLE,

agrégée de Lettres modernes, professeur en lycée, et

Sylvie BEAUTHIER, agrégée de Lettres classiques, professeur en lycée

Sommaire – 2

S O M M A I R E

B I L A N D E L E C T U R E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5  Scène 1 de l’acte I (p. 16, v. 103, à p. 19, v. 172) ...................................................................................................................................... 5  Scène 5 de l’acte II (p. 43, v. 459, à p. 51, v. 586) ..................................................................................................................................... 8  Scène 4 de l’acte III (p. 72, v. 940, à p. 75, v. 976) .................................................................................................................................. 11  Scène 1 de l’acte IV (p. 81, v. 1008, à p. 82, v. 1038) .............................................................................................................................. 14  Scène 4 de l’acte V (p. 112, v. 1531, à p. 117, v. 1611) ........................................................................................................................... 17  

S U J E T S D ’ É C R I T . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 2  Sujet 1 (pp. 156 à 160) ........................................................................................................................................................................... 22  Sujet 2 (pp. 160 à 164) ........................................................................................................................................................................... 27  

C O M P L É M E N T S A U X L E C T U R E S D ’ I M A G E S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 7  

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 9  

Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays. © Hachette Livre, 2015. 58, rue Jean Bleuzen, CS 70007, 92178 Vanves Cedex. www.biblio-hachette.com

Bilan de lecture de L’École des femmes – 3

B I L A N D E L E C T U R E

1. Comment Arnolphe tient-il à se faire appeler ?

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2. Comment se nomme le père d’Horace ?

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3. Comment se nomme le père d’Agnès ? À qui avait-il confié sa fille ? Pourquoi ?

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4. Qui est Enrique par rapport à Chrysalde ?

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5. Quel âge avait Agnès quand Arnolphe l’a recueillie pour se charger de son éducation ?

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6. Dans quels lieux différents se déroule l’histoire ?

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7. Pour quelle raison Horace emprunte-t-il cent pistoles à Arnolphe ?

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8. Par quel moyen Agnès parvient-elle à adresser une lettre à Horace ?

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9. Quels personnages sont chargés de surveiller Agnès ?

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10. Quel personnage tente de raisonner Arnolphe à plusieurs reprises ?

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11. Quel texte Arnolphe donne-t-il à lire à Agnès ?

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12. Quel personnage Arnolphe fait-il venir pour, finalement, le chasser ?

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13. Comment Arnolphe réagit-il quand il croit Horace mort ?

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14. Quelle est l’attitude finale d’Arnolphe ?

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15. Qui prononce les derniers mots de la pièce ?

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Bilan de lecture de L’École des femmes – 4

◆ Corrigé du questionnaire de lecture 1. Arnolphe tient à se faire appeler Monsieur de La Souche.

2. Le père d’Horace est Oronte.

3. Le père d’Agnès est Enrique. Marié secrètement avec Angélique, la sœur de Chrysalde, il a eu une fille. Après le décès de sa femme, il a dû confier sa fille à une paysanne car il était obligé de quitter la France. Cette paysanne, dans la misère, a confié à son tour la fillette à Arnolphe.

4. Enrique est le beau-frère de Chrysalde.

5. Agnès était âgée de 4 ans quand la paysanne qui s’en occupait l’a confiée à Arnolphe.

6. Au-delà du lieu scénique, « une place de ville », il y a les lieux dont on parle, le hors scène, la maison d’Agnès (chambre et balcon).

7. Horace a besoin de cent pistoles pour mener à bien sa stratégie amoureuse. On comprend que la somme va servir à payer l’entremetteuse qui viendra servir les intérêts du jeune homme en invitant Agnès à le recevoir.

8. Agnès attache une lettre à la pierre qu’Arnolphe lui demande de jeter par la fenêtre si Horace vient la voir.

9. Alain et Georgette sont chargés de surveiller Agnès, et même le savetier du coin de la rue (IV, 5) !

10. Chrysalde, un ami d’Arnolphe, tente de raisonner le barbon et lui conseille notamment de renoncer à tout projet de mariage.

11. Arnolphe donne à lire à Agnès les Maximes du mariage.

12. Arnolphe fait venir le notaire pour établir son contrat de mariage mais, finalement, il le chasse.

13. Au comble du désarroi, Arnolphe, croyant sa responsabilité engagée, craint la réaction du père d’Horace, Oronte, et s’en prend aux deux valets.

14. Devant le triomphe de l’amour, Arnolphe, jetant une ombre sur le dénouement de la comédie, « s’enfuit sans rien dire ».

15. C’est Chrysalde, le porte-parole de Molière, qui souhaite « rendre grâce au Ciel qui fait tout pour le mieux ».

L’École des femmes – 5

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

S c è n e 1 d e l ’ a c t e I ( p . 1 6 , v . 1 0 3 , à p . 1 9 , v . 1 7 2 )

UNE EXPOSITION DYNAMIQUE u La pièce s’ouvre sur l’annonce du mariage d’Arnolphe. C’est Chrysalde qui en parle le premier, donnant ainsi l’illusion de poursuivre une conversation commencée avant le lever du rideau. Le « oui » d’Arnolphe au vers 2 vient confirmer l’information. La nouvelle du mariage d’Arnolphe constitue l’arrière-plan du passage étudié, comme en témoigne la récurrence du mot « femme » (avec la polysémie « sexe féminin / épouse ») dans le dialogue et plus particulièrement aux vers 124, 126, 130 (le pronom « elle » désigne précisément la jeune fille choisie par le barbon ; ce pronom est repris sous sa forme sujet comme sous sa forme complément dans la suite de la scène) et 154 (le mot « choix » est un écho du vers 126). v Le mariage d’Arnolphe pose problème à plus d’un titre : – s’il est question de l’amour d’Arnolphe pour Agnès (v. 130), cet amour s’attache à une enfant de 4 ans et n’est jamais présenté comme réciproque ; – l’écart d’âge est marqué : Arnolphe a 42 ans (v. 170) et il épouse une jeune fille tout juste sortie d’un « petit couvent » ; – pourquoi Arnolphe se marie-t-il s’il a une si piètre opinion des femmes ? Le thème du mariage étant posé dès le premier vers de la pièce, nous voilà placés d’emblée dans l’univers traditionnel de la comédie. En outre, étant présenté dans une phrase interrogative (v. 1), ce mariage semble bien au cœur de l’intrigue. Le dialogue avec Chrysalde, qui désapprouve le projet de son ami, montre également que ce mariage est source de conflits. Habituellement, les pères et les prétendants sont deux emplois distincts, mais, ici, Molière a choisi de suivre une voie plus originale bien que déjà empruntée par Plaute (Le Marchand, Casina) : le barbon s’intéresse à son propre mariage. On retrouvera cette configuration dans L’Avare en 1668. w Molière écrit sa pièce en alexandrins et a recours aux rimes plates. Le spectateur est plus habitué à écouter des tragédies en vers que des comédies, et sans doute le dramaturge a-t-il voulu donner au genre de la comédie ses lettres de noblesse. La pièce comprend cinq actes, comme les tragédies, et le spectateur est invité à la prendre au sérieux, même s’il s’agit aussi, bien entendu, de rire. Ainsi le thème traité – celui de la place et de l’éducation des femmes – acquiert-il, grâce à la versification, une légitimité littéraire. x On relève, dans cet extrait, de nombreux enjambements : v. 104-105, v. 107-108, v. 109-110, v. 125-126, v. 127-128… Ce procédé assouplit le rythme des vers et rend le dialogue plus prosaïque. Molière apprécie l’alexandrin mais il en use avec souplesse, de façon à garder à l’échange des propos son naturel et sa spontanéité. L’enjambement préserve le ton léger et enlevé de la comédie. y Pour toucher son public, Molière compose une exposition dynamique. On pourra étudier : – la modalité interrogative qui rompt la monotonie des phrases déclaratives ; l’interrogation rhétorique renforce la conviction du personnage (v. 107-108) ; – la longueur variée des répliques : Arnolphe coupe la parole à Chrysalde – ce qui peut être souligné par un jeu de scène ; – les alexandrins assouplis par une syntaxe fluide, les enjambements (cf. question 3) ; – l’illusion de réel : Arnolphe évoque des faits antérieurs à la représentation, de la rencontre avec Agnès quand elle avait 4 ans à son installation dans une de ses maisons. Cette « autre maison » (v. 146), « à l’écart » (v. 145), crée également l’illusion d’un espace plus large que la scène ; – le conflit entre les deux personnages malgré une amitié que l’on devine dans les efforts de conciliation de Chrysalde (v. 155 : « J’y consens ») ; – les procédés comiques : comique de caractère (naïveté de la jeune fille aux v. 161-164, obstination déraisonnable d’Arnolphe), comique de mots (v. 170-171) ; – l’attente du spectateur : qui est ce « elle » dont Arnolphe parle tant sans jamais la nommer ? est-elle aussi « idiote » que le barbon le dit ?

Réponses aux questions – 6

ARNOLPHE : UN PERSONNAGE « FOU DE TOUTES LES MANIÈRES »

U L’insertion du récit dans le discours direct théâtral permet à Molière un retour en arrière aux multiples fonctions : illusion de réel, informations éclairant les personnages d’Arnolphe et d’Agnès, effet d’attente concernant la jeune fille absente. Ce récit montre également combien le barbon tient à un mariage prévu depuis que sa future femme a 4 ans. Le récit, au théâtre, vient pallier la réduction de l’espace-temps à la seule scène, au seul moment de la représentation. On voit qu’Arnolphe est égoïste et autoritaire : ayant choisi sa femme quand elle avait 4 ans, il ne lui a pas demandé son avis et ne s’inquiète pas des sentiments qu’elle peut éprouver. Arnolphe se montre aussi exagérément prévoyant (v. 145 : « tout prévoir ») : il multiplie les précautions pour épouser la jeune fille qui correspond à son idéal féminin, quitte à ne pas se marier avant 42 ans. V Les propos que tient Arnolphe dans les vers 124-128 contribuent à dresser le portrait négatif d’un personnage égoïste. Tout d’abord, il se montre indépendant jusqu’à l’entêtement : le verbe vouloir (« je veux ») et l’expression « ma mode » expriment cette liberté qui, parce qu’elle est systématique (« comme en tout »), nous semble absurde. Le vers 122 nous fait comprendre qu’Arnolphe considère sa richesse comme un absolu qui lui ouvre toutes les voies : « Je me vois assez riche pour pouvoir […] / Choisir une moitié qui tienne tout de moi. » La proximité des mots « riche » et « pouvoir » est significative. En outre, Arnolphe ne se soucie pas de la réciprocité des sentiments dans le mariage ; en effet, il est le seul à choisir et sa « moitié » ne disposera d’aucune liberté : « tienne tout de moi », « soumise », « pleine dépendance ». Les deux hémistiches du vers 127 insistent, de part et d’autre de la césure, sur cet esclavage que la tournure négative du vers 128 vient confirmer. La jeune épousée est privée de tout : bien, naissance, choix, parole (v. 128) – ce qui montre l’égoïsme d’un personnage selon qui l’argent peut tout acheter. Molière s’appliquera, dans sa comédie, à dénoncer cette vision du monde. W Certains vers de Chrysalde sont inachevés, comme l’indiquent les points de suspension et l’interruption de l’alexandrin (v. 72, 106, 128 et 165 pour les vers tronqués). Arnolphe coupe la parole à son ami (v. 158 et 165), semble même lui voler les syllabes manquantes de l’alexandrin pour les prendre à son compte. Cette attitude montre qu’il n’est pas capable d’écouter les autres ni d’entendre raison. N’exprime-t-il pas d’ailleurs lui-même cette obstination dans les vers 124-125 mais aussi, de façon plus claire encore, dans les vers 121-122 ? X Arnolphe entend qu’on l’appelle Monsieur de La Souche et Chrysalde se fait le porte-parole de Molière pour dénoncer les prétentions nobiliaires du personnage. C’est un thème qui sera au cœur du Bourgeois gentilhomme, et le spectateur sera amené à rire de Monsieur Jourdain qui singe la noblesse. Juste après, dans la même scène, Chrysalde reprend sa dénonciation de façon plus virulente encore : « Quel abus de quitter le vrai nom de ses pères / Pour en vouloir prendre un bâti sur des chimères ! » La fonction de ce passage est double : dénoncer les prétentions mais aussi insister sur le double nom du barbon qui sera, par la suite, un des ressorts de l’intrigue.

DU CONFLIT À LA RÉFLEXION at Au vers 130, Arnolphe parle d’« amour » pour évoquer le sentiment qu’il éprouve pour Agnès et l’on pourrait imaginer un coup de foudre s’il ne s’agissait pas alors d’une fillette de 4 ans. Le barbon a simplement été frappé par la naïveté, l’innocence et la soumission (« air doux et posé ») de l’enfant – trois traits de caractère qui sont, pour lui, ceux de la femme idéale. Dans le récit d’Arnolphe, le pronom qui désigne Agnès est souvent complément d’objet – ce qui exprime clairement la place qui lui est assignée. La jeune fille a un statut d’objet possédé (v. 125 et 134), et Arnolphe se conduit, en somme, en propriétaire disposant de son bien comme il l’entend : « selon ma politique », « ordonnant ». Agnès est, pour Arnolphe, une créature qu’il façonne à son gré : « la rendre idiote », « me faire une femme au gré de mon souhait ». Possessif, il tient la jeune fille « à l’écart » du monde : « petit couvent », « retirée », « cette autre maison où nul ne me vient voir ».

L’École des femmes – 7

Au final, ce n’est pas de l’amour qu’il éprouve pour la jeune fille qu’il a ainsi séquestrée et façonnée, mais du mépris : « elle en dit dont je pâme de rire ». ak Thème du conflit : l’éducation des femmes. Thèse d’Arnolphe : il faut maintenir les femmes dans l’ignorance. Thèse de Chrysalde : les femmes doivent pouvoir accéder à l’éducation. al Lorsqu’il présente à son ami les « sûretés » qu’il a prises pour garantir son mariage, Arnolphe met en avant l’« innocence » de la jeune fille qu’il s’apprête à épouser. La femme idéale est, pour lui, une ignorante : « Épouser une sotte est pour n’être point sot. / Je crois, en bon chrétien, votre moitié fort sage ; / Mais une femme habile est un mauvais présage » (v. 82-84). Au vers 100, Arnolphe, pour conclure sa tirade, parle même d’« une ignorance extrême » dont l’exemple qui précède a donné la preuve. Un peu plus loin, pour souligner l’importance qu’il accorde à cette absence d’éducation, il ajoute qu’il aimerait « mieux une laide bien sotte / Qu’une femme fort belle avec beaucoup d’esprit ». L’intelligence tant critiquée étant associée à la fréquentation des salons (« Qui ne parlerait rien que cercle et que ruelle », « Et que visiteraient marquis et beaux esprits »), Agnès vit coupée du monde : d’abord élevée dans un « petit couvent », elle est ensuite « mise à l’écart » dans « cette autre maison » où nul ne vient voir Arnolphe. Une des raisons pour lesquelles Arnolphe veut épouser une sotte tient à son amour-propre : il désire dominer. C’est ce qu’exprimaient clairement les vers 91-92 : « Tandis que, sous le nom du mari de Madame, / Je serais comme un saint que pas un ne réclame ? » Lorsqu’il raconte à Chrysalde l’histoire d’Agnès, Arnolphe commence par préciser qu’il était à la recherche d’une « moitié qui tienne tout de [lui] ». Les expressions « la soumise et pleine dépendance », « une femme au gré de mon souhait » montrent toute l’ampleur d’une domination qui se traduit par l’achat de la jeune Agnès à une « mère se trouvant de pauvreté pressée ». Dans cette perspective de domination, sans doute l’ignorance offre-t-elle également une satisfaction d’ordre sexuel. Arnolphe rapporte, en effet, avec joie (« je me pâme de rire ») la question d’Agnès concernant la façon de faire les enfants (v. 161-164). am Après avoir simplement répété son indignation aux vers 81 et 103, Chrysalde défend sa position en mettant en avant la nécessité, pour la femme, d’effectuer des choix en toute connaissance de cause : « Mais comment voulez-vous, après tout, qu’une bête / Puisse jamais savoir ce que c’est qu’être honnête ? » (v. 107-108). Si cet argument est une défense de la femme et de sa pleine liberté de conscience, la suite de la réflexion se joue sur le terrain d’Arnolphe et il s’agit de défendre l’éducation des femmes en examinant l’intérêt que les hommes – et notamment, bien sûr, Arnolphe – peuvent y trouver. Selon Chrysalde, épouser une femme cultivée diminue le risque d’être trompé car il faudra qu’elle « ose le vouloir », alors que l’ignorante « peut trahir son devoir […] sans penser le faire ». C’est ce qu’illustrera le récit d’Agnès dans la scène 5 de l’acte II. En se plaçant également du point de vue des hommes, Chrysalde explique, en outre, « qu’il est assez ennuyeux […] d’avoir toute sa vie une bête avec soi ». Ainsi, au nom de la liberté des femmes mais aussi (surtout ?) pour le bien-être des hommes (ne pas s’ennuyer, ne pas être trompé), Chrysalde défend la nécessité de laisser les femmes accéder aux connaissances. an Chrysalde semble représenter la position mesurée de Molière. L’argumentation de Chrysalde est réduite parce que, cherchant à convaincre son ami, il s’écarte peu du point de vue masculin que celui-ci a adopté. Mais l’argumentation d’Arnolphe contribue, paradoxalement, à servir la thèse de Chrysalde/Molière. En effet, le portrait de la femme idéale est excessif (« une ignorance extrême ») et, de ce fait, peu crédible. En outre, l’égoïsme d’Arnolphe et son statut de barbon rendent sa réflexion inacceptable. Le spectateur comprend que, n’aimant pas vraiment la femme qu’il compte épouser, le barbon n’hésite pas à se moquer d’elle et de cette stupidité dont il est pourtant seul responsable : « je me pâme de rire ». Sa future épouse n’est pas une femme bien réelle mais le caprice d’un homme riche, une créature fabriquée artificiellement : « Pour me faire une femme au gré de mon souhait ».

Réponses aux questions – 8

S c è n e 5 d e l ’ a c t e I I ( p . 4 3 , v . 4 5 9 , à p . 5 1 , v . 5 8 6 )

PLACE ET FONCTIONS DU RÉCIT u Entre les vers 484 et 579, deux longues tirades narratives, correspondant respectivement à deux jours distincts et à deux scènes, développent le récit des rencontres entre Horace et Agnès. En effet, à la demande d’Arnolphe (v. 483), Agnès narre chronologiquement et en détail sa première rencontre avec Horace, puis, le lendemain, l’intervention de l’entremetteuse (« Une vieille m’aborde »). Un peu plus loin, à partir du vers 554, les répliques, répondant une fois encore à la demande d’Arnolphe (v. 551), évoquent les rencontres qui ont eu lieu par la suite. Dans cet échange, le passé composé a remplacé le passé simple des tirades de façon à montrer au spectateur que le récit rejoint le présent : le retour en arrière rendu possible par l’enchâssement de la narration dans le discours direct est achevé. La scène 5 est un dialogue enlevé entre deux personnages que tout oppose ; le recours à la stichomythie, à plusieurs reprises, permet une accélération tonique du rythme. Toutefois, Molière use d’un procédé courant dans les tragédies : le récit d’un épisode qui ne peut être montré. On peut parler ici de « bienséance ». En effet, la naissance du désir et le sentiment amoureux ne peuvent décemment, au XVIIe siècle, être représentés et la narration vient se substituer à la représentation – ce qui a, pour le spectateur, l’avantage de saisir la rencontre amoureuse du point de vue de l’ingénue. La naïveté de la jeune fille justifie l’absence de retenue et rend possible une double interprétation. La colère d’Arnolphe, qui voit ses principes éducatifs produire le contraire de ce qu’il avait prévu, accroît le plaisir du spectateur. Dans cette scène, pour le spectateur qui doit imaginer les rencontres entre les jeunes gens et le personnage de l’entremetteuse, le plaisir de la représentation théâtrale se double d’un plaisir romanesque. v Dans la première tirade d’Agnès, on rencontre d’abord, avec le verbe être du vers 484, un présent de vérité générale qui permet d’introduire le récit. Des vers 485 à 490, les deux temps principaux du récit alternent : l’imparfait évoque les actions de second plan, tandis que le passé simple exprime les faits principaux. Au vers 488 (« salue »), puis du vers 491 au vers 496, le présent de narration se substitue au passé simple pour donner plus de relief au récit, le rendre plus proche du spectateur. L’imparfait employé aux vers 497-498 a une valeur itérative qui rend comique la scène racontée. Les conditionnels passés des vers 499 (« fût venue ») et 500 (« serais tenue ») et l’imparfait du subjonctif du vers 502 (« pût »), prolongeant la scène de façon hypothétique, contribuent également au comique (un échange de révérences polies durant toute la nuit, aucun des jeunes gens n’étant disposé à céder). On voit que Molière exploite la richesse de l’écriture narrative à la fois pour rendre vivant (le présent de narration) le récit et pour jouer sur sa force de suggestion avec les modes de l’hypothétique. w Dans la seconde tirade d’Agnès, comme à la fin de la première, le récit s’étoffe d’un dialogue et l’on peut parler de « théâtre dans le théâtre ». Les tirets et les incises permettent l’insertion des paroles rapportées dans une trame narrative réduite à un simple cadre. Agnès, personnage tout juste capable de répéter les propos de son tuteur au début de la scène, se met à jouer deux personnages : l’entremetteuse et elle-même. Arnolphe est alors le spectateur privilégié de cette scène jouée par l’ingénue. Le procédé du théâtre dans le théâtre, plus baroque que classique, démultiplie les formes littéraires pour le plaisir du public. D’une part, ce dernier voit se mêler dialogue théâtral et récit romanesque, mais également dialogue théâtral et dialogue romanesque. D’autre part, il assiste à deux scènes en même temps : la rencontre entre deux personnages antithétiques, l’entremetteuse et l’ingénue, l’amène à émettre des hypothèses libertines ; le dialogue entre le barbon déconfit et la jeune fille naïve lui montre l’échec de l’éducation si ardemment défendue dans le premier acte.

AGNÈS : UN PERSONNAGE COMPLEXE ? x L’échange de répliques au début de la scène est particulièrement rapide, et la brièveté des répliques (7 répliques pour 2 alexandrins) peut nous amener à parler de « stichomythie » en raison du ton pressant d’Arnolphe. Arnolphe réduit au strict minimum les banalités d’usage (« La promenade est belle », « Quel beau jour ! ») afin d’évoquer la raison pour laquelle il a fait venir Agnès (v. 449, à la fin de la scène précédente) : « Quelle

L’École des femmes – 9

nouvelle ? » Comme il cherche à la prendre en défaut, sa question est aussi ouverte et succincte que possible. On devine, ici, la jalousie du personnage et son art de la manipulation. La brièveté des répliques d’Agnès tient au fait qu’elle n’a rien à dire à Arnolphe. Elle se contente d’approuver ses propos en les reprenant (« Fort belle », « fort beau ») – ce qui souligne la stichomythie. À la question posée, elle répond par une « nouvelle » totalement décalée par rapport aux soupçons d’Arnolphe. Quand lui pense à la visite du jeune homme, Agnès ne mentionne qu’un « petit chat ». Elle semble ainsi vivre dans un environnement réduit, en dehors de la société des hommes ; son attitude enfantine confirme ce qui a été dit à son propos dans l’acte I. La scène 5 montre que les deux protagonistes forment un couple bien dissemblable et met en lumière progressivement le personnage d’Agnès dont le spectateur a beaucoup entendu parler et qu’il n’a fait qu’entrapercevoir dans la scène 3 de l’acte I. S’il se demandait quels fruits avait portés l’éducation orchestrée par Arnolphe, les premières répliques lui présentent une jeune fille sans conversation et très enfantine – ce qui est une façon, pour Molière, de dénoncer les principes du barbon. y La réplique d’Agnès en réponse à la question insidieuse d’Arnolphe est très simple. La syntaxe nominale indique une pensée peu élaborée, tandis que l’incise « je pense » exprime le souci de vérité. De même que la réplique « le petit chat est mort » montre la naïveté d’un personnage enfantin, les « chemises » et les « coiffes » définissent les horizons de la jeune fille. Le fait que l’hésitation semble porter non pas sur les chemises ou les coiffes mais sur leur nombre laisse mesurer l’étroitesse de son univers et contribue à dénoncer implicitement l’enfermement physique et intellectuel imposé par Arnolphe. U Les premières répliques d’Agnès semblent celles d’une jeune fille privée d’intelligence et soumise à son tuteur au point de ne pouvoir faire autre chose que reprendre ses propos. Par la suite, elle répond consciencieusement à ses questions en les prenant au pied de la lettre. Ainsi, le verbe faire, très large dans l’esprit d’Arnolphe au vers 465 (« Qu’avez-vous fait »), se restreint au sens de « confectionner » dans la réponse nominale de l’ingénue : « Six chemises, je pense, et six coiffes aussi. » En toute sincérité, elle se soumet à l’interrogatoire, affirme dire vrai (« Chose sûre » rimant avec « je vous jure » ; « À vous dire le vrai ») et donner force détails, qu’il s’agisse de raconter la rencontre ou d’en préciser le déroulement. En réponse à la question fermée « Ne vous faisait-il point aussi quelques caresses ? », Agnès, sans retenue ou pudeur, développe : « Il me prenait et les mains et les bras, / Et de me les baiser il n’était jamais las. » V Alors qu’Arnolphe maintient Agnès dans l’ignorance la plus totale dans le but d’épouser une ingénue qui ne le trompera pas, c’est justement cette ignorance qui rend possible la rencontre d’Agnès et d’Horace. En toute naïveté et sans s’inquiéter des conséquences de ses actes, elle répond aux saluts du jeune homme et, suivant les conseils de l’entremetteuse, le reçoit chez elle. C’est donc grâce à Arnolphe qu’Agnès va connaître ses premiers émois amoureux. Et c’est aussi cette ignorance qui fait d’Arnolphe un amoureux trompé. Molière détourne le procédé de l’ironie tragique pour en faire une source de comique mais surtout un argument au service de la dénonciation. La scène 5 montre, en effet, que l’ignorance, loin de préserver les jeunes filles, les met, au contraire, en danger d’accepter n’importe quelle proposition. L’éducation des filles, seule garante du discernement, est nécessaire selon Molière. W « Ingénuité » rime avec « sincérité », et le rapprochement est chargé de significations. D’une part, tout ce que la jeune fille va dire au fil de la scène sera signe d’ingénuité, de son intérêt porté aux « chemises » et aux « coiffes » à sa façon de rapporter ses premiers émois amoureux en passant par son ignorance quant à « ces choses-là ». Exagérée, cette ingénuité est source de comique. D’autre part, ce qui fait figure de sottise est aussi une marque touchante de « sincérité ». Vue sous cet angle, Agnès ne prête plus à rire et on est ému par sa spontanéité et sa confiance. Elle est alors la victime innocente d’un personnage qui agit sans sincérité ni ingénuité. Le contraste entre la jeune fille et le barbon qui prononce l’aparté fait ressortir leurs caractères respectifs et nourrit l’argumentation. Par ailleurs, semblant s’adresser à lui-même, Arnolphe indique au spectateur la façon dont il perçoit Agnès. Il se félicite de son ingénuité, fruit de l’éducation imposée et garante, selon lui, d’un mariage heureux. La satisfaction d’Arnolphe trouvant en Agnès une ingénue à souhait étonne car le spectateur a compris que l’éducation reçue est à double tranchant : certes, la jeune fille est restée naïve, mais son ingénuité est telle qu’elle accueille le premier jeune homme venu sans prendre garde.

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En outre, l’aparté semble un clin d’œil de Molière, un trait de méta-théâtre désignant le rôle type de la jeune fille. Agnès est ainsi ingénue à double titre, comme héroïne de l’intrigue victime de l’autorité d’Arnolphe et comme personnage d’un théâtre soumis à des conventions. Ne va-t-elle pas, dans la suite de la pièce, se libérer de l’une comme des autres ?

UNE SCÈNE COMIQUE X Le comique de situation réside dans le fait que l’éducation d’Arnolphe a produit l’effet inverse de ce qui était prévu. La jeune fille, tout en demeurant ingénue, éprouve des sentiments pour le jeune homme qu’elle a reçu. C’est justement son ingénuité absolue, fruit de son éducation, qui explique le peu de retenue de son récit. Ce retournement, qui détourne le procédé de l’ironie tragique, relève du comique de situation et croise le comique de caractère. at Le comique de caractère tire sa force du contraste entre les deux personnages dont les tempéraments sont exagérés. La naïveté d’Agnès est accentuée et son ignorance prête à rire. On pourra relever plusieurs traits : elle n’a pas vu que le fait de recevoir le jeune homme pouvait choquer la morale ; elle ne comprend pas les intentions d’Arnolphe et exprime sans aucune retenue ce qu’elle a éprouvé en faisant la connaissance d’Horace. L’ignorance d’Agnès est d’autant plus amusante qu’elle a trait à « ces choses-là » et que tout ce qui a trait à la sexualité ne peut être qu’allusif dans la scène. Le caractère d’Arnolphe est comique lui aussi. On le sait terriblement jaloux et, prisonnier de l’éducation qu’il a instaurée, il ne peut qu’écouter les aveux innocents d’Agnès. Comme le spectateur ne peut que désapprouver son autorité abusive et son égoïsme, sa souffrance est, ici, source de comique. ak Différents procédés retardent la réponse du vers 571, accentuant à la fois le comique et la tension dramatique de la scène : – la brièveté des répliques réduites le plus souvent à une syllabe : des questions pressantes quasi instinctives chez Arnolphe et une incapacité à répondre du côté d’Agnès ; – l’inachèvement des répliques d’Agnès marqué par les points de suspension ; – l’inquiétude d’Agnès, due non pas à la gravité de la faute mais à son ignorance : « Et vous vous fâcherez peut-être contre moi » ; – les répétitions : « non » / « si » ; « Et vous vous fâcherez peut-être contre moi » / « Vous serez en colère » ; « Il m’a […] pris » / « Il m’a pris ». al Au titre du comique de mots, on pourra relever : – la répétition dans les quatre premières répliques ; – la polysémie du verbe faire au vers 465 qui explique la réponse d’Agnès au vers 466 ; – le décalage entre la longue réplique tortueuse (syntaxe complexe) d’Arnolphe des vers 467-473 et la brièveté de la réponse d’Agnès soulignée par la reprise (polyptote) du verbe gager ; – par la suite, le décalage s’inverse et les tirades narratives d’Agnès contrastent avec les répliques brèves d’un Arnolphe dépité ; – les exclamations d’Arnolphe aux vers 511 et 535-536 ; – les quiproquos : le premier se tisse autour de ce qu’Horace aurait pris à Agnès, Arnolphe pensant à la virginité de la jeune fille et cette dernière n’osant avouer la disparition du ruban ; le second concernera, à la fin de la scène, l’époux choisi par Arnolphe. am Les didascalies se rapportent à Arnolphe et indiquent son double jeu. On relève un « ayant un peu rêvé » avant le vers 467 qui exprime une pause, comme si l’intéressé préparait le discours général (« Le monde », « chacun », etc.) qu’il s’apprête à tenir pour dissimuler son intention de savoir si Agnès a reçu Horace. Précédant un « ouf » qui, hors de tout propos articulé, indique le désarroi profond d’Arnolphe, la participiale causale « La voyant interdite » (v. 572) permet de caractériser à la fois le visage de l’ingénue et celui du barbon de façon à accroître la tension dramatique, source, ici, de comique. La didascalie « reprenant haleine » (avant le vers 580) montre l’évolution du personnage dont le trouble est à présent manifeste. La parole semble échapper à Arnolphe, et la dernière réplique de la scène nous dira clairement à quel point elle se confond avec l’autorité : « Je suis maître, je parle. » Si Arnolphe, donc, ne parvient plus à parler, c’est que son pouvoir se délite. On relève 3 apartés, suivis ou non d’un « haut » ou d’un « à Agnès », qui révèlent le double jeu du personnage. Si le barbon parle ainsi sur le mode « bas » et sur le mode « haut », c’est pour mieux nous montrer sa duplicité. Il se présente comme le protecteur bienveillant d’Agnès mais, en réalité, « à part »,

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il n’agit que dans son propre intérêt, suivant ses propres désirs, sans prendre en compte ceux de la jeune fille. Cet exercice de mise en scène entend amener les élèves à prendre conscience du travail du metteur en scène. Voici quelques suggestions : – Les apartés d’Arnolphe sont explicitement adressés au public ; le comédien se tourne vers la salle. – Au fil du récit enthousiaste d’Agnès, Arnolphe se voûte, se fait de plus en plus petit et finit par se laisser tomber sur un siège. Agnès s’adresse principalement à la salle et ne prête pas attention à son tuteur. – Le vers 549 suppose un bougonnement d’Arnolphe qui pourra être prolongé et accentué par le comédien. – Vers 570-579 : Agnès recule et Arnolphe est de plus en plus près d’elle ; inquiet et menaçant à la fois, il la domine de sa taille – ce qui ne fait qu’accroître sa peur. an À la différence de la tragédie, qui est un genre noble et défend des valeurs, la comédie, inspirée de la farce, a souvent recours au registre bas, scatologique ou sexuel. Molière, bien qu’ayant fait le choix de l’alexandrin noble, ne renie pas les origines du genre, mais le comique grivois tire ici toute sa force de l’allusion. On ne relèvera rien d’explicitement choquant dans cette scène puisque Agnès est une ingénue qui n’a rien compris à ce qu’elle a vécu. Le récit s’attarde sur les révérences, menaçant même de les faire durer toute la nuit, ainsi que sur le dialogue avec l’entremetteuse. Le spectateur se prépare à entendre autre chose et se demande jusqu’où la jeune fille est allée dans l’aventure et jusqu’où elle osera aller dans son récit. Le retardement accroît une tension qui atteint son comble avec la stichomythie des vers 572-577, lorsque les alexandrins sont éclatés sur plusieurs répliques. Arnolphe et le spectateur, avec le participe « pris » répété, imaginent tout autre chose que ce qu’Agnès va raconter. Le « je n’ose », dans la bouche d’une ingénue qui a décrit sans retenue les « quelques caresses » d’Horace, nourrit toutes les inquiétudes. Mais il ne s’agit que d’un ruban, et l’on comprend que la relation sexuelle n’a eu lieu que dans les esprits d’Arnolphe et du spectateur. En suggérant l’interdit, Molière renoue avec la farce grivoise, sans pour autant emprunter ce chemin.

S c è n e 4 d e l ’ a c t e I I I ( p . 7 2 , v . 9 4 0 , à p . 7 5 , v . 9 7 6 )

UNE SCÈNE DE COMÉDIE u La scène 4 de l’acte III se situe à la toute fin de l’acte, juste avant le monologue dans lequel Arnolphe dresse le bilan de la situation en exprimant son désarroi et sa colère. Le malentendu qui fait du barbon le confident du jeune homme amoureux au nom de l’amitié des pères se poursuit dans cette scène et s’accentue. Non seulement Horace raconte à Arnolphe l’avancée de son histoire d’amour, mais encore il lui lit la lettre qu’Agnès lui a écrite, lui ouvrant ainsi le cœur de la jeune fille. Les amours des jeunes gens se nouent devant celui qui fait tout pour détruire cette relation contraire à ses projets. En outre, comble du malentendu, Horace demande son aide à Arnolphe pour entrer en contact avec la prisonnière : « Ne me pourriez-vous point ouvrir quelque moyen ? » demande-t-il à la toute fin de la scène. On voit également, dans cette scène, comment Agnès, malgré l’éducation qu’elle a reçue et les interdictions fermes de son tuteur, a l’idée d’attacher une lettre à la pierre qu’elle laisse tomber sur Horace. À la fin de l’acte III, le spectateur a la confirmation que la stratégie d’Arnolphe pour maintenir Agnès dans l’ignorance et épouser ainsi une jeune fille incapable de le tromper est un échec total. Peut-être même a-t-elle décuplé l’imagination de l’héroïne quand il s’agit de servir son amour pour Horace. v Les questions qu’Horace adresse à Arnolphe dans sa dernière tirade (v. 962-974) sont partagées par le spectateur. Maintenant qu’est fermé l’accès à la maison où est retenue prisonnière Agnès, comment Horace va-t-il procéder pour se rapprocher de la jeune fille ? Après le stratagème de la lettre cachée dans un pot de grès, le spectateur peut imaginer d’autres ruses de la même sorte. Il peut aussi se dire que les malencontreuses confidences adressées au barbon et les insultes proférées (« ce franc animal, / Ce traître, ce bourreau, ce faquin, ce brutal… ») vont déchaîner la colère d’Arnolphe, qui usera de son pouvoir pour séparer définitivement les jeunes gens et épouser rapidement Agnès. Ces deux hypothèses contradictoires contribuent à nourrir la tension dramatique sans pour autant chasser le comique de situation reposant sur un malentendu étonnamment persistant.

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w Les répliques sont de longueurs variées : 2 tirades d’une douzaine de vers, la lecture de la longue lettre d’Agnès, mais aussi des répliques réduites à quelques vers, à 1 seul alexandrin, voire au seul mot « Adieu ». Cette variété dynamise la scène. On remarque que les répliques d’Horace sont longues alors que celles d’Arnolphe sont très brèves. Ce vif contraste a un effet comique ; il souligne l’opposition des caractères, montre la naïveté d’Horace qui ne sait pas déchiffrer le visage de son interlocuteur (double énonciation) ainsi que la déconvenue du barbon. x Différents comiques se croisent dans notre passage : – Double comique de situation : 1) Horace s’adresse à Arnolphe sans savoir qu’il est justement le tuteur égoïste d’Agnès. Il se confie à lui, lit la déclaration de la jeune fille, critique sévèrement le barbon. 2) C’est l’ignorance d’Agnès, voulue par Arnolphe, qui fait que la jeune fille déclare sans retenue son amour à Horace. Une double tromperie se noue autour d’Arnolphe : il est malgré lui le confident d’Horace qui ne sait rien de sa relation avec Agnès et il est, sans que la jeune fille le sache et avant même d’être marié, le mari trompé. – Double comique de caractère : 1) Horace est naïf et, aveuglé par sa passion, il ne déchiffre pas l’embarras de son interlocuteur. 2) Arnolphe est dévoré par la rage et la déception, mais, prisonnier des conventions (il reçoit le fils de son ami) et désireux d’en savoir plus, il doit se contenir. Le contraste entre les deux caractères – l’impétuosité de la jeunesse et le calcul sordide du barbon – contribue au comique. – Comique de mots : les insultes proférées par Horace (v. 958-959). – Comique de gestes : les apartés d’Arnolphe (v. 946 et 948) sont le support d’un jeu de scène, de même que sa précipitation à la fin.

LA DÉCLARATION D’AMOUR D’AGNÈS y L’irruption de la prose au sein d’une pièce en vers est justifiée par la lecture de la lettre d’Agnès. Ce glissement crée une illusion de réel et se met au service de la vérité. Il serait peu vraisemblable que la jeune Agnès, maintenue dans l’ignorance par son tuteur, se mette à déclarer son amour en alexandrins. La prose se fait l’écho de ce « plus beau naturel » et de cette « tendresse innocente » qu’Horace apprécie tant. Le rythme noble de l’alexandrin est rompu – ce qui donne souplesse et vie à la pièce. Le choix esthétique de Molière n’est pas sans rappeler celui de La Fontaine, le « naturel » (de la prose ou de l’hétérométrie) primant sur l’équilibre binaire classique. U On peut relever : « je sens que je suis fâchée à mourir de ce qu’on me fait faire contre vous, que j’aurai toutes les peines du monde à me passer de vous, et que je serais bien aise d’être à vous » ; « je suis si touchée de vos paroles, que je ne saurais croire qu’elles soient menteuses » ; « vous auriez le plus grand tort du monde, si vous me trompiez ; et je pense que j’en mourrais de déplaisir ». À trois reprises, Agnès dit son amour en exprimant une souffrance liée à tout ce qui peut nuire (« contre vous », « me passer de vous », « si vous me trompiez ») à cet amour. Le procédé qui domine est l’hyperbole ; il permet de souligner l’intensité du sentiment. V Le connecteur logique le plus employé est la conjonction de coordination « mais ». Dans la première phrase (« Je veux vous écrire, et je suis bien en peine par où je m’y prendrai »), la conjonction « et » a la même valeur d’opposition. On relève : – « J’ai des pensées que je désirerais que vous sussiez ; mais je ne sais comment faire pour vous les dire, et je me défie de mes paroles. » – « En vérité, je ne sais ce que vous m’avez fait, mais je sens que je suis fâchée à mourir de ce qu’on me fait faire contre vous, que j’aurai toutes les peines du monde à me passer de vous, et que je serais bien aise d’être à vous. » – « Peut-être qu’il y a du mal à dire cela ; mais enfin je ne puis m’empêcher de le dire, et je voudrais que cela se pût faire sans qu’il y en eût. » – « On me dit fort que tous les jeunes hommes sont des trompeurs, qu’il ne les faut point écouter, et que tout ce que vous me dites n’est que pour m’abuser ; mais je vous assure que je n’ai pu encore me figurer cela de vous, et je suis si touchée de vos paroles, que je ne saurais croire qu’elles soient menteuses. »

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La répétition de cette conjonction montre le désarroi – quasi tragique – d’Agnès dont l’esprit est divisé entre son désir d’exprimer son amour pour Horace et sa peur de mal agir en raison de son ignorance. Cette structure récurrente, soulignée par des parallélismes syntaxiques et des échos sonores (« sais » / « sens » ; « j’ai » / « sais »), n’est pas sans rappeler la structure binaire de l’alexandrin articulée autour de la césure, si bien que, quand justement il choisit la souplesse de la prose, Molière ne s’écarte pas pour autant de l’esthétique classique.

LA DÉCLARATION D’AMOUR D’HORACE W Les interrogations rhétoriques prennent à parti Arnolphe et contribuent à exprimer l’amour d’Horace, de même que l’emploi du superlatif pour les adjectifs mélioratifs « douce » et « beau ». X Les vers 941-948 passent en revue les qualités qu’Horace apprécie chez Agnès. Dans l’ordre du texte, on peut noter l’habileté que suggère le verbe savoir : « sa main a su l’y mettre ». Après cette faculté intellectuelle, la « bonté » et la « tendresse » sont deux qualités morales appréciées par Horace. Mais ce qu’Horace loue le plus, c’est la vérité. En effet, le cœur et la main sont en accord – ce que soulignent les harmonies sonores et le rythme du vers 941. Les mots « innocente », « ingénuité » et « pure nature », placés à l’hémistiche ou en fin de vers, occupent une place significative dans le passage. On voit que le personnage codifié de l’ingénue acquiert, ici, une épaisseur psychologique et permet une réflexion sur les valeurs morales auxquelles Molière est attaché. N’est-ce pas d’ailleurs la vérité qu’il défend quand il critique les précieuses ou les médecins ignorants ? La tirade des vers 949-959 va dans le même sens : la « clarté », le « fonds d’âme admirable » et le « plus beau naturel » évoquent respectivement l’intelligence, les qualités morales et la transparence qui caractérisent Agnès. at Horace s’adresse à Arnolphe et lui confie son admiration amoureuse pour Agnès ; la jeune fille est mentionnée à la 3e personne dans ses propos, alors qu’Agnès, quant à elle, s’adresse directement à Horace dans une lettre. Ainsi, au lieu d’assister à une scène entre les deux jeunes gens qui s’aiment, le spectateur est face à une situation comique du fait de sa complexité : la jeune fille, dans sa lettre, avoue son amour au jeune homme qu’elle aime, mais le jeune homme, lui, exprime sa passion en même temps que celle de la jeune fille au tuteur hostile de cette dernière qui entend aussi devenir son mari. Curieux triangle dans lequel Arnolphe tient à la fois le rôle du confident, du tuteur et du mari trompé. Les élèves pourront penser que la situation est invraisemblable, et on leur fera relever alors d’autres faits peu crédibles afin de leur montrer que l’illusion de réel, qui permet au lecteur de croire à la pièce, ne veut pas dire que l’histoire soit possible. L’exagération des situations comme des caractères est un des traits du genre théâtral.

LA DÉNONCIATION IMPLICITE ak La syntaxe appelle trois perspectives : – d’abord, la poursuite de la liste d’insultes, chacune étant précédée du déterminant démonstratif ; on peut proposer : « ce maraud, ce butor, ce monstre… » ; – ensuite, l’auxiliaire modal pouvoir (« je puis ») appelle un infinitif en complément : « je puis… donner une bonne leçon ; je puis… administrer la punition qu’il mérite… ; je puis… reprendre Agnès… » ; – enfin, la conjonction « si » introduit une subordonnée hypothétique qui attend une principale : « Si… je puis… alors, je ne manquerai pas de lui dire ce que je pense de sa conduite… alors, je crierai dans toute la ville quel vil vieillard il est… ». al Les mots « douce » (v. 949), « admirable » (v. 953) et « clarté » (v. 955) riment respectivement avec « tousse », « punissable » et « stupidité ». On remarque qu’à chaque fois la rime réunit, pour mieux les opposer, un terme négatif se rapportant à Arnolphe et un terme positif concernant Agnès. am En faisant parler Horace, Molière dénonce le pouvoir abusif d’Arnolphe sur l’enfant qui lui a été confiée : l’expression forte « injuste pouvoir », à laquelle s’ajoutent « les soins maudits » égoïstement prodigués par le barbon, dénonce l’asservissement dans lequel est maintenue Agnès. Molière reproche au vieillard d’avoir agi en pleine conscience de ses actes, comme l’indiquent clairement les termes « méchamment » et « voulu ». Le verbe étouffer, employé au sens figuré, est lourd de connotations, et l’on assimile presque à un meurtre le « crime punissable » d’Arnolphe (et, par extension, de toute autorité

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abusive). Dans la logique de l’exposition, Molière s’en prend plus particulièrement à l’éducation fixée par le barbon ; la redondance du vers 954 (« dans l’ignorance et la stupidité ») accentue la dénonciation. an Les termes ou expressions évoquant la vérité : « De tendresse innocente et d’ingénuité » ; « la pure nature » ; « En vérité » ; « je suis si touchée de vos paroles, que je ne saurais croire qu’elles soient menteuses. Dites-moi franchement ce qui en est » ; « Un plus beau naturel » ; « la clarté » ; « déchirer le voile » ; « Vous voyez ce que je vous confie ». Les termes ou expressions évoquant la tromperie : « je me défie de mes paroles » ; « On me dit fort que tous les jeunes hommes sont des trompeurs » ; « que tout ce que vous me dites n’est que pour m’abuser » ; « si vous me trompiez » ; « Moi ? rien. C’est que je tousse » ; « étouffer la clarté » ; « Il m’est dans la pensée / Venu tout maintenant une affaire pressée ». On voit que, dans un sens comme dans l’autre, le thème de la vérité est au centre du passage. Arnolphe a trompé Agnès en l’élevant dans son intérêt à lui ; Agnès, ayant déchiré le voile du mensonge et de l’hypocrisie, s’inquiète des propos que lui a tenus Horace : seraient-ils trompeurs eux aussi ? Arnolphe trompe Horace en ne lui révélant pas le rôle qu’il tient dans cette histoire. Comme dans l’ensemble de son œuvre, Molière, au nom de la vérité, dénonce la tromperie, les faux-semblants dont se servent les hommes pour satisfaire leur égoïsme. Au-delà de la réflexion sur l’éducation, le texte est une défense de la vérité, de la « pure nature ». C’est bien la spontanéité et l’ingénuité d’Agnès qui viennent à bout du mensonge : Horace lui-même devient sincère, alors qu’il était peut-être, au départ, de ces séducteurs qui n’hésitent pas à recourir aux secours de serviteurs vénaux. Et si Arnolphe est quasi muet dans cette scène, c’est peut-être parce que la parole mensongère (« je tousse », « une affaire pressée ») n’a pas sa place ici.

S c è n e 1 d e l ’ a c t e I V ( p . 8 1 , v . 1 0 0 8 , à p . 8 2 , v . 1 0 3 8 )

UN MONOLOGUE DÉLIBÉRATIF u Deux monologues se font écho. À la fin de l’acte III, Arnolphe s’abandonne à son désespoir d’amoureux trahi. Il a entendu les révélations d’Horace. Partagé entre rage et douleur, il décide de rencontrer Agnès, ne serait-ce que pour voir « sa contenance après un trait si noir ». Entre les deux actes, une entrevue entre Agnès et Arnolphe a donc eu lieu. C’est une manière de se conformer à l’exigence classique d’unité de lieu. On a quitté la place de la ville pour la maison où Agnès est enfermée, et le hors scène permet un effet de resserrement dramatique. Au cours de l’entretien, la jeune fille apparemment est restée impassible (v. 1013 et 1016). Le lexique de la vue et les temps du passé permettent d’identifier ce retour en arrière (v. 1012-1023). v Le monologue, en vertu du principe de la double énonciation au théâtre, a deux destinataires : le personnage lui-même et les spectateurs. Nous sommes donc mis au courant de l’entrevue d’Agnès et de son tuteur et pouvons mesurer l’impact de cette rencontre sur le barbon dépité. Mais, surtout, Arnolphe a besoin de faire le point seul avec lui-même. Il est dans un état de confusion extrême, visible des vers 1008 à 1011. Il souhaite voir plus clair en lui, « mettre un ordre et dedans et dehors », c’est-à-dire dans l’espace fermé de la maison et dans l’espace ouvert de la ville, mais surtout dans son âme et vis-à-vis des deux tourtereaux. Le lexique témoigne de sa volonté d’analyse et de lucidité. On relève : « je l’avoue », le verbe sentir utilisé 2 fois, mais aussi les modalisateurs qui tentent de cerner la vérité (« on dirait », « semblait »). Arnolphe nous livre sa colère et sa souffrance dans cette scène de dépit amoureux. Il analyse les causes de son désarroi, s’indigne devant l’ingratitude d’Agnès. Les modalités affectives de la phrase – interrogative, exclamative – rendent compte de son état d’esprit. Sensible à ses propres contradictions, il les souligne avec des tournures concessives : « j’étais aigri […] / Et cependant ». Et cette introspection doit déboucher sur une résolution, traduite ici par le défi final adressé à Horace. w Le monologue est marqué par un jeu des temps intéressant qui témoigne de la subtilité de l’énonciation théâtrale : – les 4 premiers vers au présent d’énonciation traduisent le désarroi du personnage ; – les vers 1012-1023 opèrent une analepse et introduisent un récit dans le discours ; le passé composé alterne avec le présent de narration qui donne vie aux propos dans les vers 1014-1015 ; l’imparfait permet

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l’analyse des sentiments alors éprouvés (« J’étais aigri, fâché, désespéré contre elle ») – noter l’emploi du passé simple « jamais je ne la vis si belle » qui insiste sur l’instant précis du coup de foudre ; – les vers 1024-1025 marquent le retour du présent d’énonciation ; – des vers 1028 à 1034, on repère des futurs antérieurs qui expriment un bilan, une récapitulation, et correspondent à un passé composé : Arnolphe revient sur ses illusions passées ; – à la fin du monologue, c’est le futur qui annonce la décision prise par Arnolphe. Les variations temporelles, qui attestent du désarroi du personnage, nous ont donc permis de suivre la progression de ses émotions et de sa pensée. On retrouve d’ailleurs, dans le monologue, une évolution qui n’est pas sans rappeler la rhétorique traditionnelle du discours : – l’exorde (v. 1008-1011) : Arnolphe livre son projet ; – la narration (v. 1012-1015) : il revient sur l’attitude d’Agnès ; – le premier versant de l’argumentation (confirmation, v. 1016-1025) : discours amoureux et abandon à l’émotion ; – le second versant (réfutation, v. 1026-1034) : réveil de la raison et accusation d’ingratitude ; – la péroraison (v. 1035) : résolution, rejet de la réalité des faits et menace. On pourra noter, dans le monologue, la conciliation du formalisme classique et de la spontanéité des sentiments. x Le monologue de tragédie intervient à un moment de crise où le héros est en proie à un dilemme. Il tente de résoudre, au cours du monologue, ses déchirements intérieurs. Voir le monologue de Cinna dans la pièce éponyme de Corneille : « De quel côté pencher ? À quel parti me rendre ? » (III, 3). Dans la comédie, le monologue est plutôt un moment de pause où le personnage se livre à une introspection ou, tel Harpagon dans L’Avare, laisse libre cours à ses obsessions. À bien des égards, le monologue d’Arnolphe s’apparente à un monologue de tragédie. Le déchirement du personnage implique un dilemme : se venger des deux jeunes gens ou persévérer dans la folle illusion de se faire aimer d’Agnès ; s’abandonner à la rage ou croire encore à l’amour. Le vers 1026, avec l’interjection « Quoi ? », marque un sursaut et un revirement. Arnolphe a fini de déclarer sa flamme ; il refuse la trahison et l’ingratitude. Le vers 1035, avec la reprise de la négation « non, parbleu ! », répond aux sortes de questions oratoires précédentes et annonce la résolution adoptée, le défi adressé à son jeune rival. Le dilemme est clairement formulé avec le balancement des conjonctions « ou » (v. 1036-1037). Il faut renoncer ou persévérer. La deuxième solution est retenue ; il s’agit bien de reconquérir Agnès : « je rendrai, ma foi, vos espérances vaines ». La conclusion menaçante du vers 1038 (« Et de moi tout à fait, vous ne vous rirez point ») nous le confirme.

ARNOLPHE : VICTIME OU BOURREAU ? y Les marques du discours amoureux sont nombreuses.

• Le lexique : – le champ lexical du regard, vecteur du désir amoureux, est très présent dans le texte ; on peut relever les termes « vue », « voir », « regarder », « yeux » ; – le champ lexical du désir avec la rime « cœur »/« ardeur », les adjectifs « amoureuse » (mis en valeur par l’inversion) et « tendre ». À l’amour d’Arnolphe s’oppose l’attitude d’Agnès qui « s’amourache » d’Horace. • Les procédés rhétoriques produisent des effets lyriques : – on repère l’anaphore de l’adverbe « jamais » qui donne à la rencontre amoureuse une aura exceptionnelle ; – la métaphore filée de la flamme amoureuse est aussi caractéristique du registre lyrique (v. 1017-1019) ; – les tournures hyperboliques, symétriques en fin de vers, ajoutent au lyrisme : « si belle », « si perçants », « si pressants ». • Le jeu des pronoms, comme dans un rêve, l’associe à Agnès (v. 1022-1023). • La versification : – l’alexandrin met en valeur l’adverbe « jamais » placé à la césure au vers 1021 ; – l’enjambement du vers 2018 suggère l’exaltation amoureuse.

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U La colère d’Arnolphe s’exprime dans les jeux de scène : – le premier vers nous présente un Arnolphe nerveux, ne tenant pas en place ; – au vers 1024, il se frappe le cœur quand il s’écrie « et je sens là-dedans » ; – on peut imaginer, au vers 1026 (« Quoi ? »), un sursaut du personnage dont la gestuelle s’accélère en signe d’indignation devant l’ingratitude du sort ; – au vers 1035, s’adressant à Horace (absent) avec une apostrophe insultante (« petit sot, mon ami »), il peut même se laisser aller à des gestes menaçants. Elle s’exprime aussi par la ponctuation forte : – la modalité exclamative traduit l’emportement du personnage, son indignation au vers 1012 ou au vers 1034 ; – la réitération des exclamations injurieuses du vers 1035 (« Non, parbleu ! non, parbleu ! ») suggère la montée de la colère. V Arnolphe s’étonne lui-même des contradictions qui l’habitent : – la colère renforce son amour aux vers 1018-1019 ; – le vers 1021 (« Et cependant jamais je ne la vis si belle ») souligne, par le connecteur logique « cependant », la contradiction entre la colère et le désir ; – le dépit amoureux mis en relief par la gradation et le rythme ternaire « j’étais aigri, fâché, désespéré contre elle » n’empêche pas la déclaration d’amour total du vers suivant ; – le discours amoureux cède brutalement la place, au vers 1026, à l’indignation, Arnolphe cherchant à se persuader de son bon droit : l’amour d’Agnès lui revient. Ces contradictions font d’Arnolphe un personnage pathétique, souffrant et déchiré par des sentiments si contrastés. W Le comportement d’Arnolphe nous autorise à parler de « folie » ; elle se manifeste de plusieurs manières : – La présence obsessionnelle de la 1re personne dans le texte. Tout tourne autour d’Arnolphe. D’ailleurs, les amoureux ne sont pas nommés. Horace et Agnès sont désignés par des pronoms ou des appellations péjoratives. Horace est un « godelureau », un « jeune fou », un « petit sot », et Agnès une « traîtresse ». C’est une manière de les dénigrer, et surtout de se mettre lui-même en avant avec un je omniprésent. Perdant ses esprits à la fin du monologue, il apostrophe Horace comme s’il était à ses côtés. – Tout en lui est démesure. Arnolphe est en proie à l’hybris. Il entend dominer la destinée d’Agnès et infléchir le cours du destin. L’hyperbole des « mille soucis » qui l’accablent fait de lui une victime. Ses sentiments sont amplifiés jusqu’à la démesure puisque la mort est évoquée à plusieurs reprises (v. 1014 : « à deux doigts du trépas » ; v. 1024 : « il faudra que je crève »). – Son aveuglement est manifeste dans le rappel de l’éducation d’Agnès. Désireux de se valoriser et de se donner la part belle, il transforme la vérité. Loin de la tendresse paternelle qu’il affiche au vers 1027, il a fait d’Agnès une chose. En témoignent les structures de phrases où la jeune fille apparaît passive, manipulée, en position d’objet. Le verbe bâtir employé intransitivement (« Mon cœur aura bâti sur ses attraits naissants ») confirme cette mainmise sur l’autre.

LA DÉDRAMATISATION COMIQUE X Le discours amoureux relève du registre lyrique. Le registre pathétique est présent dans le désespoir amoureux et la souffrance d’Arnolphe rejeté par la jeunesse et trahi dans son amour. Certaines expressions nous renvoient à l’univers de la tragédie et au registre tragique : la mort qui rôde, le sort. Arnolphe confronté à un dilemme nous attendrit et nous effraie. Mais il reste un personnage de comédie, et le registre comique vient équilibrer l’ensemble. at Les ressorts du comique théâtral sont bien présents dans la scène : – un comique de gestes ; – un comique de caractère avec les emportements du barbon, ses oscillations entre amour et rage, sa menace ultime ; on assiste à la déformation comique d’un personnage qui frôle la tragédie : c’est le propre de la parodie ; – un comique de mots né du mélange des niveaux de langue, de certaines images.

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ak On relève des termes familiers tels que « godelureau », qui désigne un jeune séducteur et dit tout le mépris du barbon pour son jeune rival, les verbes crever et s’amouracher, qui renvoie à un amour éphémère et subit, ou encore le juron répété « parbleu ». Nombreuses aussi sont les tournures prosaïques, le vocabulaire réaliste : « la bile », « la moustache », le verbe mitonner qui introduit une métaphore culinaire. Arnolphe, pendant des années, a dorloté Agnès comme un plat savoureux qu’on laisse cuire longtemps ! Le mélange des niveaux de langue donne au monologue une dimension burlesque : l’amour est un mets de choix ; le cœur est évoqué par la tournure adverbiale « là-dedans ». On note des associations de termes concrets et soutenus : « me mette à deux doigts du trépas », « bouillants transports », « mon cœur aura bâti sur ses attraits naissants ». Le parallélisme des vers 1016-1017 vient renforcer le mélange des registres, de même que la métaphore filée du feu pour traduire le dépit amoureux (v. 1017-1019). Le registre héroï-comique apparaît quand Arnolphe retrace l’éducation d’Agnès, transfigurant l’enfermement tyrannique qu’il a exercé en générosité et en douceur d’aimer (v. 1026-1029). al Arnolphe nous attendrit, parce qu’il est un personnage souffrant, une victime de la jeunesse, à la recherche de ses illusions perdues. Il connaît une extrême solitude. Il nous semble pourtant ridicule dans ses contradictions, ses excès qui font de lui une parodie de personnage tragique. Le rôle du metteur en scène est déterminant et permet de trancher. Ainsi, Didier Bezace, metteur en scène de L’École des femmes au théâtre de la Commune à Aubervilliers en 2001, voit en la pièce « une tragédie autant qu’une farce », et l’interprétation de Pierre Arditi fait d’Arnolphe un personnage tragique, isolé, comme le dit le metteur en scène et comme en témoigne le décor, sur une île au-dessus du monde.

S c è n e 4 d e l ’ a c t e V ( p . 1 1 2 , v . 1 5 3 1 , à p . 1 1 7 , v . 1 6 1 1 )

UNE SCÈNE DE CONFLIT u Arnolphe désire épouser Agnès et voudrait, en outre, que la jeune fille l’aime alors que cette dernière aime Horace. Chacun des deux protagonistes tente d’imposer son point de vue à l’autre. Ainsi, le conflit est axé à la fois sur la question du mariage (Arnolphe a alors les pleins pouvoirs) et sur la question de l’amour (rien ne peut modifier les sentiments d’Agnès). C’est essentiellement ce second point qui est au cœur de notre passage, Arnolphe déployant toute une stratégie argumentative pour parvenir à ses fins et Agnès opposant systématiquement à son tuteur son amour immuable pour Horace. Il faudra attendre Marivaux et La Double Inconstance pour que soit remise en question cette invincibilité du sentiment amoureux. Chez Molière, dès lors que les jeunes gens manifestent une inclination l’un pour l’autre, rien, y compris l’autorité abusive des pères, ne peut venir à bout de ce sentiment. Marivaux montrera que l’amour-propre est plus puissant encore. v Les phrases interrogatives ont plusieurs fonctions dans le dialogue conflictuel. Tout d’abord, elles interrogent et relancent le dialogue, alimentant ainsi le débat ; elles formulent en même temps un reproche : – « Vous ne m’aimez donc pas, à ce compte ? » (on perçoit, ici également, la souffrance d’Arnolphe qui peine à admettre la réalité tant il est habitué à ce que celle-ci se plie à ses désirs) ; – « Pourquoi ne m’aimer pas, Madame l’impudente ? » ; – « Que ne vous êtes-vous, comme lui, fait aimer ? » ; – « Me rendra-t-il, coquine, avec tout son pouvoir, / Les obligations que vous pouvez m’avoir ? » ; – « Vous fuyez l’ignorance, et voulez, quoi qu’il coûte, / Apprendre du blondin quelque chose ? » Ces interrogations appellent une réponse, une explication ou un démenti de la part de celui ou celle à qui elles s’adressent. Cependant, proches de la question rhétorique, elles tracent en pointillé la réponse imaginée. Dans la bouche d’Agnès, l’interrogation peut exprimer une véritable inquiétude, un vrai souci d’atteindre une vérité et un équilibre : « Que me coûterait-il, si je le pouvais faire ? » Les deux protagonistes ont aussi recours à l’interrogation rhétorique pour exprimer leur émotion en même temps que leur pensée : – « Voulez-vous que je mente ? » ; – « une précieuse en dirait-elle plus ? » ;

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– « La belle raisonneuse, est-ce qu’un si long temps / Je vous aurai pour lui nourrie à mes dépens ? » ; – « N’est-ce rien que les soins d’élever votre enfance ? » ; – « Me veux-tu voir pleurer ? Veux-tu que je me batte ? / Veux-tu que je m’arrache un côté de cheveux ? / Veux-tu que je me tue ? » w On relève : « Madame l’impudente », « La belle raisonneuse », « coquine », « petite traîtresse », « Mon pauvre petit bec », « ingrate », « cruelle », « bête trop indocile ». On remarque que seul Arnolphe a recours à cette construction grammaticale – ce qui manifeste son emportement. Ses émotions affleurent alors qu’Agnès semble davantage maîtriser ses propos. Hormis l’adjectif « petite », qui met un bémol au substantif « traîtresse », et l’affectueux « Mon pauvre petit bec », les apostrophes sont des insultes qui épinglent ce que le barbon reproche à sa protégée : la rébellion (« impudente », « indocile »), la trahison (« traîtresse », « ingrate »), l’intelligence (« raisonneuse »).

DEUX CARACTÈRES OPPOSÉS x Alors qu’Agnès se tient face à lui, Arnolphe emploie à plusieurs reprises la 3e personne du singulier pour la désigner (v. 1541-1544, 1549, 1566-1567, 1569-1579 et 1598). Ces vers, comme des apartés (une didascalie à ce propos), manifestent un recul par rapport à la situation, un métadiscours que tiendrait Arnolphe pour comprendre ce qui lui arrive et prendre la décision adaptée. On remarque, en effet, que, dans la plupart de ces vers, l’emploi de la 3e personne pour désigner Agnès conduit à des considérations générales sur la femme ou sur l’amour. Par exemple : « Ce mot, et ce regard, désarme ma colère, / Et produit un retour de tendresse et de cœur. » Dans ces 2 vers, le déterminant démonstratif renvoie à Agnès. Dans le passage qui suit, le cas personnel s’ouvre sur une réflexion large : « Chose étrange d’aimer, et que pour ces traîtresses / Les hommes soient sujets à de telles faiblesses ! » Le démonstratif « ces » prolonge le « ce » du vers 1569 tout en généralisant le propos à l’ensemble des « traîtresses ». Molière emploie ce procédé pour amener des considérations plus larges : le théâtre devient le lieu de l’analyse – ce qui contribue à anoblir le genre de la comédie. En remarquant également que seul Arnolphe a recours à ce procédé théâtral, on peut penser que cette attitude traduit un trait de caractère. Le barbon est double : il s’adresse, d’une certaine façon, à la jeune fille mais ne lui dévoile pas le fond de sa pensée qu’il réserve aux apartés. On voit apparaître sa duplicité et son esprit manipulateur. En outre, il a peu d’estime pour l’intelligence d’Agnès et semble, en parlant ainsi, penser qu’elle ne peut pas le comprendre. D’ailleurs, le terme « animaux », employé au vers 1579, ne rend-il pas explicitement compte de sa vision des femmes ? Agnès, au contraire, qui n’utilise pas ce procédé, est un personnage monolithique, incarnant un argument en faveur de la vérité et de la transparence. Un metteur en scène pourra souligner ces passages en les traitant comme des apartés : Arnolphe adopte un ton différent, cesse de regarder Agnès ; peut-être même prend-il le public à témoin comme s’il sollicitait son aide ? L’aparté peut constituer le support d’un jeu de scène éclairant la duplicité du barbon. Agnès, quant à elle, ne tient pas un double langage : Molière, même s’il fait d’elle une jeune fille intelligente, ne lui retire pas son emploi d’ingénue. Sans doute le metteur en scène pourra-t-il accentuer le contraste entre les deux personnages, un contraste qui renforce l’éloge de la transparence et de la spontanéité ? y Arnolphe peut être considéré comme violent dans la mesure où ses propos le sont. Il a recours à des apostrophes insultantes telles que « coquine » ou « bête trop indocile », et son autorité s’exerce avec violence puisque, après avoir tenu Agnès à l’écart, il menace de l’enfermer dans un couvent. La violence verbale laisse affleurer une violence physique qui est formulée au conditionnel : « quelques coups de poing satisferaient mon cœur ». U Le changement d’humeur – et de ton – d’Arnolphe au vers 1569 s’explique par la réplique d’Agnès qui précède. Elle quitte l’agressivité qui sous-tendait des propos comme ceux des vers 1562-1563 pour exprimer son désespoir. La soumission tragique de la jeune fille (v. 1567) contraste fortement avec les « coups de poing » dont la menaçait le barbon. Plus loin (v. 1584-1585), ce sera sa sollicitude, gage de son bon naturel, qui touchera Arnolphe. La tirade introduite par le vers 1569 est touchante car le personnage égoïste et autoritaire, apparemment dépourvu de sentiments, évoque sa « tendresse » et son « cœur ». Par la suite, il tente d’expliquer son émotion en la généralisant : elle est la faiblesse de tous « les hommes » face à « ces animaux-là ». La tendresse qu’il manifeste ne veut pas dire qu’il a renoncé aux points de vue qu’il défendait au début de la

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pièce : la femme reste une créature « faible », « imbécile » et « infidèle », dont l’« extravagance » et l’« imperfection » ne font pas de doute. Dans ce contexte, l’amour est pour Arnolphe une « chose étrange » qu’il ne maîtrise pas, et ce désarroi, en plus de la passion qui s’est emparée de lui, est émouvant. V La douceur des propos d’Arnolphe dans les vers 1586-1604 est ambiguë. En effet, elle peut être acceptée comme une marque de tendresse, dans le prolongement de la tirade précédente. Les termes bienveillants d’Agnès (« meilleur de mon cœur », « vous complaire ») provoquent un effondrement de la forteresse d’insensibilité élevée par le barbon. Son soupir marque sa reddition, et il semble se soumettre entièrement à l’autorité de la jeune fille, allant même, dans la tradition de l’amour courtois reprise par la préciosité, jusqu’à lui offrir sa vie : « Veux-tu que je me tue ? » Si cette douceur est sincère, elle marque un changement radical du personnage : le barbon intraitable est devenu ce qu’il détestait et méprisait le plus, un amoureux soumis aux caprices de la femme aimée. Mais l’expression de la soumission est hyperbolique, et l’on peut aussi penser que le discours enflammé d’Arnolphe est une étape dans sa stratégie argumentative. Il compte ainsi séduire Agnès pour obtenir son amour. D’ailleurs, alors même qu’il vient de se déclarer prêt à tout, il explose de colère à la fin de la scène en condamnant la jeune fille au couvent. Dans ce cas, les propos d’Arnolphe confirment sa duplicité, son art de la manipulation. Dépourvu de sens moral, il est bien décidé à parvenir à ses fins. Sincère ou manipulateur, sincère et manipulateur à la fois peut-être, le barbon, par son discours, déconcerte le spectateur et l’amène à réfléchir sur la complexité de l’esprit humain. W Quand il compare Agnès à une précieuse au vers 1542, Arnolphe lui reproche d’avoir le sens de la répartie et une capacité à argumenter : « Voyez comme raisonne et répond la vilaine. » La précieuse est, au XVIIe siècle, une femme qui tient salon, défend ses positions et impose un parcours amoureux ; elle s’intéresse aux arts et, à sa manière, annonce le féminisme. Molière s’en moque dans Les Précieuses ridicules (1659) ou Les Femmes savantes (1672, dix ans après L’École des femmes), mais sans critiquer leur soif de savoir et de liberté car ce sont les faux-semblants qu’il dénonce. Ici, la critique formulée par Arnolphe, personnage discrédité, se lit comme un éloge : Agnès est intelligente, beaucoup plus même que les femmes qui ont reçu une éducation. Sa liberté de parole, son sens de la réponse et sa spontanéité sont les fruits imprévus de l’ignorance dans laquelle elle a été tenue ; dans cet « état de nature » avant la lettre, Agnès, non corrompue, fait preuve d’une intelligence qui n’a rien à envier aux hommes. Et c’est sans doute ce que voulait prouver Molière. X Dans cette scène, Agnès est bien différente de la jeune fille peinant à construire une phrase au début de la pièce. On l’a vue évoluer au fil des actes, et c’est un personnage doté d’un grand sens de la répartie qui affronte ici le barbon. Le personnage de théâtre type a pris du relief, et son caractère présente différents traits que cette scène laisse deviner : – Agnès dit ce qu’elle pense et répond de façon spontanée : « Voulez-vous que je mente ? », réplique-t-elle à son tuteur qui l’a abondamment mise en garde contre le mensonge et l’a maintenue dans l’ignorance de sorte qu’elle ne sache pas dissimuler à la façon des femmes habituées aux salons ; – elle est lucide quant à sa situation : l’ironie des vers 1554-1555, le vers 1563, ce qu’elle sait de l’autorité de son tuteur (v. 1568) ; – elle est décidée à se cultiver : « je ne veux plus passer pour sotte » ; on voit ici son esprit volontaire, sa décision d’apprendre et de se faire une place dans le monde ; – elle est généreuse et voudrait pouvoir répondre aux sentiments d’Arnolphe (v. 1584-1585) sans éprouver pour lui de la rancœur, alors que lui-même exprimera, à la fin de la scène, un désir de vengeance.

UNE DOUBLE ARGUMENTATION at Arnolphe, qui a le pouvoir d’imposer sa loi à Agnès, tente de s’opposer à Horace et d’obtenir l’amour de la jeune fille. Pour cela, il développe plusieurs stratégies. Désireux de la convaincre, il a recours à des arguments : le principal concerne « les soins » qu’il a pris. Il s’est occupé d’elle, l’a nourrie et élevée – ce qui, selon lui, la rend redevable : « N’est-ce rien que les soins d’élever votre enfance ? » Il se place sur le terrain de la justice et fait d’Agnès sa débitrice (« les obligations que vous pouvez m’avoir », « ingrate »), trouvant injuste que ce soit Horace qui récolte les fruits de son investissement (« je vous aurai pour lui nourrie à mes dépens ? »). Il tente également de montrer à Agnès que, si elle désire s’instruire, elle a bien mal choisi son professeur en écoutant Horace qui n’est qu’un « blondin », c’est-à-dire un jeune homme écervelé. Se posant en rival d’Horace, il promet à

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Agnès une vie heureuse : « tu seras cent fois plus heureuse avec moi » ; « je te caresserai, / Je te bouchonnerai, baiserai, mangerai ». Il lui promet même la liberté : « Tout comme tu voudras, tu pourras te conduire. » Arnolphe s’efforce de persuader, notamment en inspirant pitié : « vois ce regard mourant ». L’expression métaphorique « soupir amoureux » est doublée d’un soupir bien réel afin de toucher Agnès et de la persuader de la vérité de ses propos. Il utilise également le langage galant avec des apostrophes telles que « petite traîtresse » et « Mon pauvre petit bec », et il accumule les hyperboles sous forme d’interrogations rhétoriques dans les vers 1600-1603. À plusieurs reprises affleure la tentation de recourir à la violence pour parvenir à ses fins ; on a noté les vers 1564-1567, mais l’impératif « aime-moi », qui conclut la tirade des vers 1569-1583, résonne aussi comme un ordre auquel il est impossible de se soustraire. D’ailleurs, la double stratégie échouant, c’est la violence qui a le dernier mot : « Mais un cul de couvent me vengera de tout. » La scène, qui s’ouvrait sur une violence (« Hay ! », « Pourquoi me criez-vous »), se referme sur la violence de la séquestration (v. 1611) par vengeance. Les différentes stratégies d’Arnolphe n’ont pas abouti. ak Agnès repousse les arguments d’Arnolphe en lui opposant des démentis efficaces. À la dette qu’il évoque, elle répond qu’Horace la réglera. Quant aux « soins » prodigués, elle les minimise en faisant remarquer qu’elle a davantage appris d’Horace que de son tuteur : « C’est de lui que je sais ce que je puis savoir. » Une réplique brève rejette la longue tirade destinée à attendrir la jeune fille ; aux propos hyperboliques elle oppose les « deux mots » qu’Horace pourrait prononcer. Aucune promesse ne pourra toucher Agnès : les tentatives pour inspirer la compassion ou séduire en promettant monts et merveilles restent vaines. La réponse d’Agnès est claire à ce sujet, l’emploi du verbe toucher marquant l’échec des efforts de son tuteur pour la persuader. À la fin de la scène, Agnès se tait et laisse Arnolphe avoir le dernier mot car les paroles ne peuvent rien contre la violence. D’ailleurs, la jeune fille ne reviendra sur scène que pour un dénouement rendu possible par une intervention extérieure. al La simple scène de conflit entre le barbon et l’ingénue promue « précieuse » séduit le spectateur : elle peut être drôle si le metteur en scène accentue la duplicité d’Arnolphe et l’insolence de la jeune fille. Mais cette scène permet aussi à Molière d’exprimer son point de vue : – Les principes éducatifs d’Arnolphe n’ont servi à rien, et sa certitude de ne jamais être pris dans les rets de la passion est balayée. – L’amour ne se commande pas ; il est un fait de nature et aucun discours ne pourra venir à bout de l’inclination de deux jeunes gens l’un pour l’autre. L’amour est une passion contre laquelle il est difficile, voire impossible, de lutter ; Arnolphe l’apprend à ses dépens. – La nature pourvoit mieux que les stratégies éducatives au développement de l’intelligence. On lit en filigrane un état de nature que Rousseau défendra un siècle plus tard. – La sincérité est une qualité qui prime sur toutes les autres : Molière donne au rôle de l’ingénue une dimension nouvelle. – « La raison du plus fort est toujours la meilleure. » Comme dans la fable, Agnès se tait quand Arnolphe brandit le couvent ; quand il parle de la frapper, elle ne peut que dire : « Hélas ! » Le coup de théâtre final apportera une issue plus optimiste à la situation, mais le spectateur aura quand même frôlé la dure réalité du triomphe de la force ; Marivaux et surtout Sade emprunteront cette voie. am Pour défendre le droit des filles en dénonçant le mariage forcé, fortement présent en Inde notamment, le photographe a choisi non pas de choquer en opposant sur une même photo un homme âgé et une très jeune fille le jour de leurs noces, mais de suggérer toute l’inquiétude d’une fillette. La jeunesse est soulignée par la coiffure et la tenue d’écolière. L’enfant semble réservée, soucieuse de se conformer à ce qu’on attend d’elle. En outre, le costume d’écolière permet à la fois de faire de cette petite fille un emblème de toutes les autres (celles qui portent le même uniforme ont le même destin) et de dénoncer le fait que le mariage arrangé/forcé est, en Inde, une institution au même titre que l’école. On peut aussi voir un contraste entre ce que devrait être l’éducation (représentée par l’uniforme de l’écolière) et ce qu’elle est en réalité (préparer une petite fille pour son mariage).

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an On pourra noter : – l’extrême jeunesse de la fillette : sa tenue, sa coiffure, mais aussi son attitude (se cacher, porter sa main à sa bouche) ; – l’inquiétude de l’enfant (son regard, sa main, sa façon de se cacher) ; – les barres métalliques, qui soulignent la petite taille de l’enfant ; – les lignes droites (les barres, la bande bleue en arrière-plan), qui placent la fillette dans un cadre rigide qui pourrait représenter son destin.

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S U J E T S D ’ É C R I T

S u j e t 1 ( p p . 1 5 6 à 1 6 0 )

◆ Question préliminaire Les textes du corpus ainsi que le tableau de Vermeer présentent tous, dans des contextes variés, une image de la femme et de son statut. Médée, dans la pièce d’Euripide (Ve siècle av. J.-C.) qui porte son nom, présente la condition des femmes et Vermeer, avec sa Dentellière (milieu du XVIIe siècle), exprime lui aussi sa vision de la femme. Les deux autres auteurs font entendre, au XVIIIe siècle, une voix critique. Roxane, dans les Lettres persanes de Montesquieu (1721), affirme sa liberté. Durant la période révolutionnaire, Olympe de Gouges, précurseur du féminisme, revendique l’égalité des sexes en pastichant la Déclaration des droits de l’homme. Quelle image de la femme les différents documents proposent-ils ? Après avoir étudié la peinture d’une femme soumise, nous montrerons comment certains auteurs dénoncent la condition féminine. Le tableau peint par Vermeer évoque la vie quotidienne d’une jeune femme et célèbre les vertus domestiques traditionnelles : les travaux d’aiguille, la rigueur (la dentelle suppose la minutie), la religion (sans doute la Bible au premier plan). La jeune femme, silencieuse et penchée sur son travail, semble accepter cette existence repliée. Son regard ne quitte pas son ouvrage, comme si tout ce qui n’était pas son travail (le peintre ou notre regard sur le tableau) ne pouvait la concerner. Les textes du corpus rappellent cette condition féminine. Il « faut que nous n’ayons d’yeux que pour un seul être », s’écrie Médée avant d’évoquer sa « vie sans danger à la maison ». La vie de Roxane dans le monde clos du sérail est également soumise aux « caprices » et aux « fantaisies » d’Usbek. Le polyptote « soumis » / « soumission » souligne la « servitude » dans laquelle est maintenue la jeune femme – un esclavage supposé inhérent à sa condition même de femme : « imaginer que je ne fusse dans le monde que pour adorer tes caprices ». De même, nous pouvons lire en creux, dans le texte C, cette image de la vie des femmes : « L’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme lui oppose. » Les trois auteurs du corpus dénoncent la condition des femmes, notamment en l’opposant à celle des hommes. Sans faire d’Euripide un féministe, on voit que Médée, tout au long de sa tirade, compare deux modes de vie et va jusqu’à choisir le bouclier plutôt que l’accouchement. Mais c’est surtout la question de la liberté qui est mise en avant : « Quand la vie domestique pèse à un mari, il va au-dehors guérir son cœur de son dégoût et se tourne vers un ami ou un camarade de son âge. Mais nous, il faut que nous n’ayons d’yeux que pour un seul être. » De la même manière, Roxane oppose la vie riche d’Usbek à celle des femmes de son sérail. Quand l’un peut tout se permettre, les autres vivent « dans la servitude ». Roxane revendique sa liberté et affirme, en choisissant de se donner la mort, sa pleine indépendance : « j’ai toujours été libre », « mon esprit s’est toujours tenu dans l’indépendance ». En s’inspirant de la Déclaration des droits de l’homme, Olympe de Gouges défend énergiquement le droit des femmes, « le sexe supérieur en beauté comme en courage, dans les souffrances maternelles ». Ainsi, sans nier la spécificité des femmes mais en en faisant une marque de supériorité, elle demande l’égalité des conditions : « La Femme naît libre et demeure égale à l’Homme en droits. » Le tableau de Vermeer n’est en aucun cas féministe, et l’on ne saurait y lire une quelconque dénonciation. Cependant, par la peinture, la jeune femme est transfigurée. Repliée sur son ouvrage, elle semble vivre dans un monde mystérieux qui échappe au regard. Alors que le travail lui-même (le fil blanc, par exemple) est peint très précisément, le visage de la femme – pourtant au premier plan – est plus vague : si l’ouvrage et la fonction sociale sont accessibles, la vie intérieure, suggérée par le regard baissé et le front éclairé, se dérobe. À sa manière, Vermeer suggère la liberté intérieure de la dentellière. Ainsi, les artistes de notre corpus, sans nécessairement prendre position, évoquent la condition particulière des femmes. Au XVIIIe siècle, après la Révolution mais aussi avant, avec Montesquieu, les auteurs s’engagent en faveur de la liberté des femmes et de l’égalité des conditions.

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◆ Commentaire

Introduction

La traduction des Mille et Une Nuits par Galland en 1704-1717 a mis à la mode les récits orientaux, et Montesquieu, philosophe des Lumières, choisit de mettre en scène des Persans dans le roman qu’il publie en 1721. Le lecteur sera séduit par le regard naïf des personnages et par les intrigues du sérail. Dans la dernière lettre, Roxane annonce sa mort à Usbek et propose une réflexion sur la liberté – ce qui élargit le champ de pensée jusque-là plutôt parisien. Sous la plume fictive de la favorite, la liberté devient une valeur universelle. Nous nous demanderons donc comment cette lettre dénoue le roman tout en exprimant les priorités des Lumières. Nous verrons, dans un premier temps, que le dénouement du roman s’apparente à celui d’une tragédie, puis que la lettre d’aveu dévoile la vérité et exprime les valeurs de Montesquieu.

1. Le dénouement d’un roman qui s’apparente à celui d’une tragédie

A. Le dénouement du roman épistolaire • Les marques de la lettre. • Le retour en arrière, le présent et l’avenir (étude des temps des verbes). • La fin de l’histoire : la mort d’un personnage.

B. Une dimension théâtrale : le dénouement d’une tragédie • Imitation du discours direct ; dimension orale du « oui » liminaire, comme si le destinataire était présent. • Roxane : héroïne de Racine (Bajazet).

C. Une héroïne tragique • Un personnage hors du commun. • Une mort assumée et racontée en direct. • Une mort vécue comme un accomplissement logique de soi.

2. Une lettre d’aveu : dénouement et vérité

A. Un aveu qui vise à éclairer Usbek • Roxane avoue ce qu’elle a fait : place du « je » au début de la lettre. • Glissement du « je » vers le « tu » : il s’agit de montrer à quel point Usbek s’est trompé.

B. Dénonciation des illusions • Opposition entre la vision qu’Usbek avait du sérail et de sa favorite et la réalité dévoilée par Roxane. • Roxane regrette d’avoir vécu dans le mensonge : la vérité est une valeur essentielle.

3. Les valeurs des Lumières

A. La dénonciation de la condition des femmes et du despotisme La soumission des femmes dans le sérail est dénoncée, mais, plus profondément, il s’agit de dénoncer le despotisme d’Usbek qui impose aux autres ses désirs.

B. La liberté • La liberté de Roxane va jusqu’à se donner la mort : même si elle est l’esclave d’Usbek, son destin lui appartient. • Roxane a toujours été libre – ce qui montre que la liberté est inaliénable.

Conclusion

Ainsi, le lecteur, qui a adopté, au fil de l’échange épistolaire, le regard critique des Persans sur les mœurs et les institutions de la France, comprend que les abus dénoncés existent aussi ailleurs. La lettre qui conclut le roman s’achève sur la haine et la mort ; amère et violente, elle bouleverse le lecteur comme elle est supposée blesser Usbek, son destinataire fictif. De cette façon, sous couvert d’une intrigue orientale, Montesquieu prend la défense des femmes et fait de la liberté la priorité des Lumières.

Sujets d’écrit – 24

◆ Dissertation

La locution « dans quelle mesure » suppose un plan analytique s’achevant par une remise en question (« une autre mesure possible »). Nous proposons la démarche suivante :

Introduction

Dans ses Lettres persanes parues en 1721, Montesquieu a recours à la fiction orientale alors à la mode et au genre épistolaire pour séduire son lecteur et l’amener à réfléchir sur les mœurs de son temps mais aussi sur les institutions et les valeurs essentielles. En imaginant ses Persans et l’intrigue du sérail à laquelle la mort de Roxane apportera un dénouement tragique, il suscite l’intérêt de son lecteur et contourne plus aisément la censure. Voltaire, dans Candide puis dans L’Ingénu, adoptera une démarche similaire. De manière plus générale, nous pouvons nous demander dans quelle mesure la fiction littéraire peut contribuer à défendre une cause. Après avoir envisagé les différentes formes littéraires au service de l’argumentation et examiné comment elles pouvaient servir une opinion, nous mesurerons les limites de leur efficacité.

1. Sous différentes formes, la fiction sert l’argumentation

A. Le théâtre (principalement la comédie) se met au service de la dénonciation Deux pièces interdites : Tartuffe (critique des dévots) et Le Mariage de Figaro.

B. Les formes de l’apologue associent récit et visée didactique • Les fables de La Fontaine (« Les Animaux malades de la peste » et « Les Obsèques de la Lionne » : vision du pouvoir), les contes de Voltaire (Candide, L’Ingénu). • On peut aussi évoquer les utopies et les contre-utopies.

C. Le roman, en proposant une « vision » (Maupassant, préface de Pierre et Jean) de la réalité, contribue à critiquer la société au nom des valeurs de l’écrivain Représentation du monde ouvrier et dénonciation de leurs conditions chez Zola, dans Germinal et dans L’Assommoir, par exemple.

2. En quoi la fiction est-elle efficace ?

A. La fiction permet de contourner la censure : La Fontaine, Voltaire… • Les animaux, l’Orient… • La naïveté des Persans de Montesquieu, de Candide ou du Huron.

B. La fiction incarne une argumentation abstraite dans une situation concrète ; les personnages deviennent des symboles • Les détails de la fable donnent forme à l’argumentation : « cette bête cruelle », « cet animal plein de rage » dans « Le Loup et l’Agneau ». • Précision de l’écriture réaliste/naturaliste.

C. Les registres permettent de toucher le lecteur/spectateur • Le comique au théâtre et dans le conte voltairien. • Le pathétique chez Hugo ou Zola.

3. L’efficacité de la fiction est limitée

A. Le détour de la fiction risque de brouiller le message, le lecteur s’attachant davantage à l’histoire qu’à l’argumentation • Pour Rousseau, les fables ne sont pas destinées aux enfants. • La complexité de « La Cigale et la Fourmi » : la suppression de la morale explicite chez Ésope (« La Cigale et les Fourmis ») brouille les pistes et invite à une nouvelle lecture.

B. Il peut être préférable de s’adresser directement au lecteur • L’argumentation directe (essai). • La poésie de la Résistance.

C. Rien ne vaut l’engagement dans l’action en complément des paroles • Hugo et son discours à l’Assemblée contre la misère. • Les poètes du maquis (René Char). • Desnos arrêté comme résistant et mort en déportation.

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Conclusion

Hier et aujourd’hui dans le monde, de nombreux écrivains sont emprisonnés ou menacés parce que, pour reprendre une expression de Jean-Paul Sartre, ils ont « pris leur plume pour une épée ». Par leurs écrits et aussi souvent par leur engagement sur le terrain, ils dénoncent les abus et défendent la liberté et la dignité humaine. La fiction, qui peut contourner la censure et séduire le public, est une de leurs armes. Les différents genres touchent la sensibilité des lecteurs et des spectateurs ; en effet, en permettant une identification aux personnages, en incarnant dans une intrigue particulière une thèse abstraite et en suscitant des émotions grâce aux registres, les auteurs ont pu transmettre leurs idées. Cependant, la fiction, en s’emparant du lecteur, ne risque-t-elle pas de lui faire perdre de vue la cause défendue ? Sans doute, mais, quoi qu’il en soit, la littérature, parce qu’elle ne nous laisse pas indifférents, nous invite à poser un regard nouveau sur le monde qui nous entoure.

◆ Sujet d’invention

Le pastiche d’un pastiche… On veillera à ce que la composition de la déclaration (préambule et article) soit reprise, ainsi que son style. De façon plus subtile, les élèves devront, à la manière d’Olympe de Gouges, détourner la déclaration pour en faire une dénonciation.

◆ Questions complémentaires sur le groupement de documents

TEXTE A u En quoi la vie des femmes est-elle plus difficile que celle des hommes, selon Médée ? Médée, anéantie par la trahison de Jason, élargit sa plainte à la condition des femmes en général : « De tout ce qui a la vie et la pensée, nous sommes, nous autres femmes, la créature la plus misérable. » Puis elle argumente en avançant d’abord la question de la dot qui donne l’impression que la famille de la jeune fille doit « acheter un mari ». La soumission légale de l’épouse est, ensuite, dénoncée en termes d’appartenance, le corps féminin étant animalisé, voire réifié dans l’expression « donner un maître à notre corps ». En outre, la condition des hommes et des femmes n’est pas la même dans le mariage. En effet, d’une part, l’épouse ne peut répudier son conjoint ; d’autre part, alors que son mari « peut guérir son cœur de son dégoût », la femme, elle, demeure tenue par son engagement et doit n’avoir « d’yeux que pour un seul être ». Dans la dernière phrase, de façon implicite mais efficace, Médée répond à une objection courante. À ceux qui disent que la supériorité de l’homme est justifiée par les souffrances qu’il endure « sous un bouclier » dans l’intérêt commun, Médée rappelle les risques et les douleurs de l’accouchement : « Je préférerais lutter trois fois sous un bouclier que d’accoucher une seule. » v Quelles sont les valeurs du passé composé et du présent dans la tirade de Médée ? Le passé composé (« s’est abattu », « est devenu ») employé au début de la tirade exprime une action antérieure au présent d’énonciation des verbes « désire » et « sais ». Médée effectue un retour en arrière sur son malheur pour justifier sa décision de mourir. Par la suite, le présent de l’énonciation s’élargit en un présent de vérité générale (« sommes », « faut », « peuvent »…) et l’expression d’une douleur personnelle fait place à des considérations sur la condition misérable des femmes.

TEXTE B w Expliquez le double sens de la phrase « Ce langage, sans doute, te paraît nouveau ». La phrase « Ce langage, sans doute, te paraît nouveau » peut se comprendre de deux manières. D’abord, dans la perspective de l’intrigue, elle manifeste un rebondissement et souligne le fait qu’Usbek n’a pas vu venir la révolte du sérail, n’a pas compris sa favorite. Il a été prisonnier des apparences : « je t’ai trompé », « te paraître fidèle ». La soumission de Roxane aux lois n’était qu’un leurre, et Usbek n’a pas su qui elle était réellement : « Si tu m’avais bien connue, tu y aurais trouvé toute la violence de la haine. » Nous sommes à la toute fin du roman, et la lettre 161 constitue une ultime péripétie dans la tradition du roman d’aventures. Mais cette phrase conclusive est aussi une pierre essentielle dans l’édifice argumentatif de l’œuvre. La réflexion de Montesquieu ne se réduit pas à un regard amusé sur les mœurs et les institutions de la

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France ; incluant la Perse et la révolte du sérail, elle fait de la liberté une valeur universelle puisqu’elle est revendiquée à Istanbul et par une femme. Le « langage nouveau » qui conclut le roman est alors celui de l’indépendance : « Non : j’ai pu vivre dans la servitude ; mais j’ai toujours été libre : j’ai réformé tes lois sur celles de la nature ; et mon esprit s’est toujours tenu dans l’indépendance. » Les institutions ont beau installer des jougs, la nature a le dernier mot ; rien, y compris la servitude, ne peut ternir la liberté. La répétition de l’adverbe « toujours » en fait un droit inaliénable, un fait de nature avec lequel il faudra désormais compter. Diderot tient des propos similaires dans l’article « Autorité politique » qu’il écrit pour l’Encyclopédie.

TEXTE C x Que dénonce la déclaration d’Olympe de Gouges (texte C) ? Que revendique-t-elle ? La déclaration d’Olympe de Gouges est à la fois une dénonciation et une revendication. Tout d’abord, elle dénonce l’asservissement des femmes, leur misère dans une société dominée par les hommes : « l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme » ; « que la tyrannie perpétuelle que l’homme lui oppose ». Cet état de fait est contraire à la fois à la « nature » et à la « raison ». Comme Montesquieu, avec la voix de Roxane, Olympe de Gouges dénonce une situation qui est le produit d’une tradition et non d’une conformité à l’ordre naturel des choses. La dénonciation est aussi réclamation. Dans l’article I, elle demande l’égalité des droits ; puis ce « sont la liberté, la propriété, la sûreté, et surtout la résistance à l’oppression » dans l’article II. L’article IV rejette expressément le joug imposé par les hommes. Dans les articles X et XIII, la femme demande le droit de participer à la vie politique et professionnelle au même titre que les hommes : « la femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune ».

DOCUMENT y À votre avis, quel livre le peintre a-t-il placé à côté de la jeune fille ? Le titre du livre placé à côté de la jeune brodeuse n’apparaît pas, mais on peut supposer qu’il s’agit de la Bible car le peintre s’attache à donner une image conventionnelle et rassurante de la jeune fille. On n’imagine pas qu’elle puisse avoir d’autres lectures. La présence de cet ouvrage montre que la portée du tableau est plus symbolique que réaliste. U Dans quelle mesure cette jeune fille ressemble-t-elle à Agnès? La jeune fille représentée sur le tableau est occupée à des travaux d’aiguille, et il semble que la couture soit le seul horizon d’Agnès. En effet, en réponse au verbe faire auquel Arnolphe donne une signification élargie (« Qu’avez-vous fait encor ces neuf ou dix jours-ci ? »), Agnès se contente de mentionner « six chemises […] et six coiffes aussi ». Enfermée par le barbon et tenue à l’écart du monde, elle vit repliée sur elle-même et sur ses travaux d’aiguille. L’attitude penchée de la jeune dentellière procure une impression similaire ; le visage est incliné vers le bas, les yeux, posés sur l’aiguille, sont mi-clos, si bien qu’il est impossible de les voir. La dentellière, paisible et occupée à des travaux féminins, semble bien correspondre à la femme idéale selon Arnolphe. Cependant, comme Agnès qui a osé recevoir Horace et l’entremetteuse, la jeune fille est mystérieuse. Son regard nous échappe et son front lisse et bombé laisse imaginer tout un monde intérieur. Vermeer, tout en peignant le quotidien et le conventionnel, suggère une intériorité qui se dérobe, une intimité à la fois proche et inaccessible, l’irréductible altérité du féminin.

◆ Élargissement

QUELQUES DATES

• En 1869, l’État du Wyoming, aux États-Unis, instaure le droit de vote pour les femmes.

• Puis c’est au tour de la Nouvelle-Zélande (1893), de l’Australie (1902), de la Finlande (1907), de la Norvège (1913), de l’Islande (1914) et du Danemark (1915). La Grande-Bretagne, la Suède, l’Allemagne, l’URSS et la Pologne leur emboîtent le pas en 1918, d’autres pays européens en 1919, puis la Turquie en 1934.

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• La France est bien en retard ! Le 2 juin 1936, non sans amertume, Louise Weiss et les militantes de La Femme nouvelle offrent aux sénateurs des chaussettes sur lesquelles on peut lire : « Même si vous nous donnez le droit de vote, vos chaussettes seront raccommodées. » Il faudra attendre 1945 et le général de Gaulle pour voir les femmes voter pour la première fois.

AUTRE TEXTE

Condorcet, Cinq Mémoires sur l’Instruction publique (1792) Mathématicien et philosophe des Lumières, Nicolas de Condorcet (1743-1794), après avoir participé à la rédaction de l’Encyclopédie, siège à l’Assemblée aux côtés des girondins. Il souhaite réformer le système pénal et l’Instruction publique, demande le droit de vote pour les femmes. Collaborant au Comité d’Instruction publique, il publie, en 1792, Cinq Mémoires sur l’Instruction publique. Dans le premier volume, après avoir montré, au nom de la liberté, que l’État ne pouvait fixer l’éducation des citoyens mais seulement leur instruction, il s’interroge sur la place à accorder aux femmes.

L’instruction doit être la même pour les femmes et pour les hommes. Nous avons prouvé que l’éducation publique devait se borner à l’instruction ; nous avons montré qu’il fallait en établir divers degrés. Ainsi, rien ne peut empêcher qu’elle ne soit la même pour les femmes et pour les hommes. En effet, toute instruction se bornant à exposer des vérités, à en développer les preuves, on ne voit pas comment la différence des sexes en exigerait une dans le choix de ces vérités, ou dans la manière de les prouver. Si le système complet de l’instruction commune, de celle qui a pour but d’enseigner aux individus de l’espèce humaine ce qu’il leur est nécessaire de savoir pour jouir de leurs droits et pour remplir leurs devoirs, paraît trop étendu pour les femmes, qui ne sont appelées à aucune fonction publique, on peut se restreindre à leur faire parcourir les premiers degrés, mais sans interdire les autres à celles qui auraient des dispositions plus heureuses, et en qui leur famille voudrait les cultiver. S’il est quelque profession qui soit exclusivement réservée aux hommes, les femmes ne seraient point admises à l’instruction particulière qu’elle peut exiger ; mais il serait absurde de les exclure de celle qui a pour objet les professions qu’elles doivent exercer en concurrence. Elles ne doivent pas être exclues de celle qui est relative aux sciences, parce qu’elles peuvent se rendre utiles à leurs progrès, soit en faisant des observations, soit en composant des livres élémentaires. Quant aux sciences, pourquoi leur seraient-elles interdites ? Quand bien même elles ne pourraient contribuer à leurs progrès par des découvertes (ce qui d’ailleurs ne peut être vrai que de ces découvertes du premier ordre qui exigent une longue méditation et une force de tête extraordinaire), pourquoi celles des femmes, dont la vie ne doit pas être remplie par l’exercice d’une profession lucrative, et ne peut l’être en entier par des occupations domestiques, ne travailleraient-elles pas utilement pour l’accroissement des lumières, en s’occupant de ces observations, qui demandent une exactitude presque minutieuse, une grande patience, une vie sédentaire et réglée ?

On pourra aussi proposer des extraits du Deuxième Sexe (1949) de Simone de Beauvoir.

S u j e t 2 ( p p . 1 6 0 à 1 6 4 )

◆ Question préliminaire Les trois textes du corpus illustrent, à des époques différentes, un effet de théâtre dans le théâtre. En 1662, Molière, dans L’École des femmes (II, 5), nous présente Agnès mimant sa rencontre avec l’entremetteuse. Dans la scène 5 de La Critique de L’École des femmes écrite l’année suivante, Dorante rapporte une « comédie » qui eut lieu entre les spectateurs. Avec Les Bonnes, en 1947, Jean Genet renouvelle le principe du théâtre dans le théâtre.

Sujets d’écrit – 28

• Comment et à quelles fins les dramaturges mettent-ils en place un effet de théâtre dans le théâtre1 ? Molière recourt à l’effet de théâtre dans le théâtre par le biais de la narration. « Je vis l’autre jour sur le théâtre un de nos amis », raconte Dorante, tandis qu’Agnès, au présent de narration, rapporte son entrevue avec l’entremetteuse (« Une vieille m’aborde »). Dans les deux textes, un échange de paroles est inséré dans le récit – ce qui donne l’impression d’une scène de théâtre en miniature. Agnès devient actrice dans la mesure où elle reprend les propos de l’entremetteuse, interprétant les deux rôles, modulant sa voix, variant les tons et les gestes selon qu’il s’agit du discours mielleux et séducteur de la vieille ou de son propre étonnement. Dans La Critique de L’École des femmes, Dorante s’entretient avec le Marquis. Spectateur de la pièce, il soutient L’École des femmes, quand son interlocuteur peine à argumenter sa critique : « Elle est détestable, parce qu’elle est détestable. » Le Marquis s’en prend au parterre enchanté du spectacle (les spectateurs qui n’appartenaient pas à l’aristocratie s’y tenaient debout). Le théâtre s’insère alors dans le théâtre par le biais d’une scène rapportée par Dorante : « Ce fut une comédie que le chagrin de notre ami. » Un spectateur irrité par les réactions du parterre devient un personnage que l’on regarde et que l’on entend : « Ris donc, parterre, ris donc. » Le lexique du théâtre est très présent dans le récit de Dorante : donner la comédie, jouer. Les attitudes sont rapportées par des sortes de didascalies internes : « Il haussait les épaules et regardait le parterre sans pitié. » Voilà Dorante metteur en scène. Dans l’extrait des Bonnes, l’inversion des rôles nous permet d’évoquer le procédé du théâtre dans le théâtre. Un personnage en joue un autre, mais de manière originale puisque, si Claire, la domestique, incarne sa maîtresse, le rôle de la domestique n’est pas tenu par la maîtresse, comme dans les pièces de Marivaux (Le Jeu de l’amour et du hasard), mais par Solange, la sœur de Claire. Dès lors, les deux personnages nous donnent à voir une scène nouvelle révélant des rapports enfouis entre les personnages. • Les finalités de l’effet de théâtre dans le théâtre sont différentes selon les scènes : – Pour le texte A, il s’agit d’un intérêt dramatique. La conversation rapportée par Agnès aiguise la jalousie d’Arnolphe, que traduisent les répliques comiques en aparté : « Ah ! suppôt de Satan ! », « Ah ! sorcière maudite ». Le plaisir de la représentation théâtrale est aussi accru car le spectateur peut imaginer un nouveau personnage, celui de l’entremetteuse, et une rencontre romanesque. L’ingénue finit par céder au discours enjôleur de l’entremetteuse – ce qui confirme l’échec de l’éducation du barbon. Cette scène de « théâtre dans le théâtre » nous permet d’entrevoir une transformation d’Agnès qui évolue, ici, de la méprise à la séduction. – Les textes B et C ont une visée critique. Dorante, par l’exemple qu’il a donné, étaye son argumentation : « Le bon sens n’a point de place déterminée à la comédie. » Les critères du parterre valent ceux des loges. C’est la leçon qu’il adresse au Marquis et, en vertu du principe de la double énonciation, aux spectateurs. Dorante, en « honnête homme », oppose aux critères habituels de la hiérarchie sociale les valeurs du « bon sens » et du « bon goût ». Il rejette la prévention et plaide pour l’objectivité du jugement. – L’extrait des Bonnes permet aussi une critique sociale : en s’adonnant à un jeu de rôles, les bonnes libèrent une violence contenue (« J’en ai assez d’être un objet de dégoût. Moi aussi je vous hais »). Les différences sociales sont exhibées par l’évocation antithétique des lieux (la chambre de Madame, la cuisine de Claire) et des objets (les parfums, le velours de Madame, les gants et l’évier de la domestique). Les corps aussi sont opposés avec des accents de révolte : la belle Madame, avec sa « poitrine pleine de souffles embaumés », sa poitrine « d’ivoire », ses cuisses « d’or », s’effondre devant Claire « et l’odeur de ses dents ». – Au-delà d’une réflexion sociale, c’est une réflexion sur le théâtre que ces deux scènes de mise en abyme autorisent. Dorante nous rappelle que le spectateur a son rôle à jouer dans la représentation théâtrale puisque le spectacle est parfois dans la salle même. L’extrait des Bonnes, en brouillant les repères, exprime le pouvoir du théâtre – exutoire cathartique mais aussi interrogation sur l’identité des êtres, le jeu des masques et du dédoublement.

1 La mise en abyme, héritée de la dramaturgie baroque, fonctionne selon le système des poupées russes ; c’est une forme de spécularité (« effet de miroir », selon Gérard Genette), l’enchâssement d’un récit dans un autre récit, d’une scène de théâtre dans une autre scène de théâtre, d’un tableau dans un tableau. L’expression est utilisée par André Gide dans son Journal en 1893 : « J’aime assez qu’en une œuvre d’art on retrouve ainsi transposé, à l’échelle des personnages, le sujet même de cette œuvre par comparaison avec ce procédé du blason qui consiste, dans le premier, à mettre le second en abyme. » Au théâtre, la mise en abyme se confond avec l’effet de théâtre dans le théâtre. Il s’agit d’un spectacle interne au spectacle, d’une représentation enchâssée qui présente souvent un rapport analogique avec la pièce initiale ou qui, comme dans nos textes, est un jeu théâtral sans rapport avec la pièce-cadre.

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• Les effets de « théâtre dans le théâtre » adoptent des formes variées mais permettent au spectateur, en rompant l’illusion théâtrale, d’enrichir son plaisir et sa réflexion, conformément aux exigences de la comédie (« placere et docere »).

◆ Commentaire

Introduction En 1947, Jean Genet (1910-1986) crée une pièce en un acte intitulée Les Bonnes, où il s’inspire d’un fait divers tragique qui a défrayé la chronique : l’assassinat en février 1933 par les sœurs Papin, Léa et Christine, de leurs patronnes, Madame et Mademoiselle Ancelin. À l’intérieur de la chambre de leur maîtresse, Claire et Solange ont échangé les rôles. Claire joue le personnage de Madame et Solange celui de Claire. Une grande tension domine la scène. Comment se manifeste-t-elle et que révèle-t-elle ? Nous verrons que cette scène de théâtre dans le théâtre permet une réflexion sociale et une interrogation sur le pouvoir de l’illusion.

1. Une scène de théâtre dans le théâtre

A. Elle naît de l’inversion des rôles • Solange joue Claire et s’adresse à Madame. • Claire incarne Madame, en retrait dans l’espace textuel même.

B. Elle crée une ambiguïté pour le lecteur • Il est guidé par le jeu des pronoms. • Mais il est aussi troublé par les changements d’identité (« Claire, Solange, Claire »).

C. Elle implique un dédoublement des personnages • Claire se dédouble en appelant sa sœur « Claire ». • Le miroir reflète-t-il Claire ou sa maîtresse ? La mise en abyme illustre l’aliénation des domestiques.

2. Une réflexion sociale

A. Un climat de violence s’instaure • Violence verbale (lexique de la haine, métaphore filée de la guerre, niveau de langue). • Violence physique qui va crescendo.

B. Le jeu des oppositions suggère une dimension sociale du conflit • Les corps : antithèse entre la « poitrine […] d’ivoire », les « cuisses […] d’or », les « pieds […] d’ambre » de Madame et l’odeur des dents de la domestique. • Les lieux et les objets : antithèses entre la chambre et la cuisine, entre les « parfums », « poudre », « rouges à ongles », « fleurs » de l’une et les « gants », « l’évier » de l’autre.

C. La révolte des bonnes éclate • La défaite de Madame. • La fureur vengeresse de Claire.

3. Un questionnement sur le pouvoir du théâtre

A. La frontière entre réalité et fiction est brouillée • La prise de parole théâtrale de la bonne. • Une réflexion sur le pouvoir du théâtre est rendue possible par la cérémonie orchestrée par les bonnes.

B. Le rôle du miroir est symbolique… • Il renvoie au règne des apparences (le narcissisme de Madame, l’ombre des bonnes). • Il permet la mise à nu (la fin des masques, social et théâtral).

C. … comme le rôle du réveille-matin • Il sonne la fin de la représentation. • Il évite la tragédie.

Conclusion

La scène des Bonnes a donc permis, par l’inversion originale des rôles, de renouveler l’effet de théâtre dans le théâtre. À la différence de la comédie traditionnelle, les deux bonnes sont actrices mais aucun autre personnage de la pièce n’est spectateur. Seul le public, en vertu de la double énonciation, participe à

Sujets d’écrit – 30

la scène. La chambre de Madame devient un huis clos étouffant avec ses fleurs qui en font un sanctuaire ou un tombeau. Pareille atmosphère exacerbe les tensions et libère une violence contenue. Si le jeu de rôles, qui débouche sur la révolte des domestiques, a pu amorcer une critique sociale, il nous rappelle surtout que l’illusion est vecteur de vérité. Les personnages se confondent et le lecteur-spectateur déstabilisé s’interroge sur sa propre identité. À l’instar d’Antonin Artaud dans Le Théâtre et son Double, Jean Genet révèle le jeu des faux-semblants que constitue la représentation théâtrale et cherche à projeter sur scène la vraie nature de l’homme.

◆ Dissertation

Introduction

Selon Aristote, dans la Poétique, le théâtre est mimesis, « imitation des hommes en action ». L’esthétique classique prône, à son tour, l’imitation de la réalité. Le souci de vérité entretient alors l’illusion d’une représentation du réel. Mais il s’agit bien d’une illusion car le théâtre s’appuie sur des codes bien éloignés de la réalité et acceptés conventionnellement par le spectateur. Au XIXe siècle, Victor Hugo, dans Tas de pierres III, considère que le théâtre « n’est pas le pays du réel », mais « le pays du vrai ». Il oppose les artifices de la scène à l’authenticité, la vérité du cœur humain révélée par le théâtre. Quelle est la place de l’illusion au théâtre ? Éloigne-t-elle le spectateur de la réalité ? Si le genre théâtral relève de l’illusion, nous verrons que l’alliance de la réalité et de l’illusion permet d’approcher la vérité.

1. Le mot illusion est bien au cœur du genre théâtral

A. Illusion des repères • L’espace : illusion d’un ailleurs (le hors scène), quatrième mur. • La durée : le resserrement de l’action (l’unité de temps dans Le Cid est-elle vraisemblable ?).

B. Illusion pour les yeux et les oreilles • L’importance des costumes (Le Bourgeois gentilhomme), du décor (Électre de Giraudoux) et des objets (la bouteille de Sganarelle dans Le Médecin malgré lui). • Les accents ; le jeu des différentes voix. • Les bruits (coups de bâton, course…) : le tonnerre à la fin de Dom Juan.

C. Théâtre dans le théâtre Voir question préliminaire.

2. Mais le théâtre représente la réalité

A. Une représentation de la société • La tragédie et l’univers aristocratique : les costumes, le décor, le langage, les valeurs (devoir de Titus ou de Phèdre, de l’infante dans Le Cid). • La comédie et l’univers bourgeois et populaire : costumes, décor, langage (les proverbes dans L’École des femmes).

B. Une représentation des tensions sociales • L’autorité des pères dans la comédie. • Les relations maîtres/valets : le fourbe est une réponse théâtrale aux abus de pouvoir des maîtres. • Les exigences du pouvoir dans la tragédie (Bérénice de Racine).

C. Une représentation des préoccupations humaines • L’argent : les comédies de Molière et le barbon avare. • L’amour : le dilemme de Phèdre, la jalousie de Médée. • Le pouvoir : Britannicus, Caligula. • Le destin : Œdipe roi, La Machine infernale.

3. L’illusion véhicule la vérité

A. Le théâtre permet la distance • Les artifices du théâtre (personnages types) nous aident à prendre du recul. • Le théâtre accorde une place à l’imaginaire (le décor de L’Île des esclaves, du Dom Juan de Molière, de Rhinocéros de Ionesco) – ce qui nous permet de prendre nos distances.

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B. Le théâtre grossit et souligne • L’enchaînement catastrophique dans la tragédie souligne la force des valeurs et le poids du destin. • La comédie met en relief les défauts et prend des risques : Le Tartuffe, Le Mariage de Figaro.

Conclusion

Le théâtre n’est donc pas une stricte imitation du réel. En tant que représentation, il s’en inspire ou s’y réfère, mais le transforme nécessairement, le naturel devenant artificiel. La distance s’impose au théâtre, qui est « un monde à part », selon l’expression de Louis Jouvet. La facticité de la scène est souvent soulignée, par Eugène Ionesco ou Samuel Beckett, par exemple, qui, paradoxalement, concèdent à l’illusion un pouvoir de vérité. Dans Notes et Contre-Notes, Eugène Ionesco écrit : « Le chef-d’œuvre théâtral a un caractère supérieurement exemplaire : il me renvoie mon image, il est miroir. »

◆ Sujet d’invention Il s’agit d’une argumentation déguisée. L’introduction présente brièvement le contexte de la rencontre : deux étudiants viennent d’assister à la représentation de la pièce de Ionesco Le roi se meurt, jouée au théâtre Hébertot à Paris. Encore sous le coup de l’émotion, ils en viennent à discuter du plaisir théâtral. La consigne précise qu’ils « confrontent leurs opinions » – ce qui implique deux thèses en présence, un désir de convaincre l’interlocuteur par une argumentation construite (avec souplesse, naturel) et étayée d’exemples.

Thèse 1 : Le théâtre comme divertissement • Le théâtre est un divertissement où interviennent musique, éclairage, décor, costumes. C’est un plaisir esthétique, une fête collective (voir les origines dionysiaques). • C’est un plaisir complice où spectateurs et acteurs sont associés dans l’émotion (rires et pleurs). • Le théâtre crée une évasion, un divertissement au sens pascalien du terme. Monde de l’illusion, il ouvre les portes de l’imaginaire.

Thèse 2 : Un plaisir riche de sens • Le théâtre permet au spectateur de vivre plusieurs vies en s’identifiant aux personnages. • Il permet une libération des passions (la catharsis). • Par le biais du divertissement, il offre une réflexion critique (« Castigat ridendo mores »), une réflexion sur soi (les farces tragiques de Ionesco).

◆ Questions complémentaires sur le groupement de documents

TEXTE A u Comment se manifeste la naïveté d’Agnès ? Agnès interprète le discours de la vieille au pied de la lettre : « Moi ! j’ai blessé quelqu’un ! » ; « Sur lui, sans y penser, fis-je choir quelque chose ? ». Toute à l’émotion qui se manifeste dans son discours par les exclamations et interrogations inquiètes, elle manque de recul. De même, elle prend les menaces de l’entremetteuse très au sérieux et se dit aussitôt prête à « secourir » Horace. Tout se passe comme si la sensibilité d’Agnès, ignorante des jeux amoureux et des stratégies de langage, paralysait sa raison et son sens critique. v En quoi le discours de l’entremetteuse est-il habile ? L’entremetteuse, par son discours, manipule Agnès. Persuasive, elle sait séduire son interlocutrice. Elle recourt d’abord aux flatteries pour amadouer Agnès dans une sorte de captatio benevolentiae. Puis, pour la faire réagir, elle reprend avec insistance le verbe blesser qui devrait suffire à culpabiliser la jeune fille. Pour suggérer une blessure d’amour, elle emploie une métaphore filée et cède à la préciosité : « vos yeux ont fait ce coup fatal ». La rime avec « mal » n’est pas anodine. Agnès entendra ce discours moral : « Mes yeux ont-ils du mal pour en donner au monde ? » proteste-t-elle. Dès lors, la vieille, qui ne recule devant aucune hyperbole, utilise le champ lexical de la maladie et de la mort pour traduire l’urgence du secours : « venin », « languit », « trépas », « médecine ». Face à une telle situation, la requête semble peu de chose : « il ne veut obtenir / Que le bien de vous voir et vous entretenir ». Elle manie l’antithèse à merveille et assure que les mêmes yeux seront source de « bien ». Et la jeune Agnès accourt !

Sujets d’écrit – 32

En opposant le langage candide d’Agnès et le discours manipulateur de l’entremetteuse, Molière nous propose aussi une parodie du style précieux.

TEXTE B w Quelle géographie sociale l’extrait dessine-t-il ? Dorante, dans son récit, mentionne différents lieux du théâtre qui dessinent une géographie sociale. Il vit, « sur le théâtre », un de ces aristocrates qui prennent place sur des chaises, de chaque côté de la scène. L’homme « regardait le parterre en pitié ». En effet, au théâtre, au XVIIe siècle, il y a les « gens de qualité », tel le marquis de Mascarille, et les autres, qui se tiennent debout au parterre. Le prix des places est fonction de l’endroit et donc de la classe sociale. Et Dorante, porte-parole de Molière, d’ajouter : « la différence du demi-louis d’or et de la pièce de quinze sols ne fait rien du tout au bon goût ». Pour lui, les critères du parterre valent ceux des aristocrates installés sur les banquettes ou dans les loges et « le bon sens n’a point de place déterminée à la comédie ». x Pourquoi peut-on dire que le spectateur fait partie du spectacle ? L’étymologie même du mot théâtre (en grec, theaomai, « regarder ») nous rappelle que le théâtre est un jeu de regards. On voit et on est regardé. Le spectateur ici fait partie du spectacle, puisque l’aristocrate, qui assiste au spectacle de la pièce de Molière, donne à voir son humeur chagrine et sa réprobation, et exhibe surtout sa différence sociale en méprisant les rires du parterre : « tout ce qui égayait les autres ridait son front ». Dès lors, poursuit Dorante, « ce fut une seconde comédie que le chagrin de notre ami ». Et le récit fonctionne comme une mise en abyme. Par un jeu de miroir, une scène de théâtre est enchâssée dans une autre.

TEXTE C y Quel est le rôle des didascalies dans cet extrait ? Les didascalies sont nombreuses dans cet extrait, essentiellement associées à Solange qui joue le rôle de Claire et qui apparaît, ici, comme une véritable maîtresse de cérémonie. On note un crescendo correspondant à la montée de la révolte de Solange. Les didascalies concernent d’abord les intonations : « froidement » pour Solange. Puis la ponctuation affective (interrogations, exclamations) prend le relais pour traduire la colère qui enfle. Plus de précisions, en revanche, sont données en ce qui concerne le rôle de Claire, qui joue Madame assaillie par sa domestique qu’elle tente d’abord d’apaiser. Puis elle est dite « suffoquée », « affolée », et s’exprime « dans un murmure ». Seul le miroir où elle se mire « avec complaisance » permet de marquer une pause. Claire est manipulée par sa sœur, Madame est terrassée par sa domestique. Grâce aux didascalies, les gestes de plus en plus violents sont notés. Si Solange parle ou se déplace « doucement d’abord », elle change très vite de registre, « crache sur la robe rouge » (une attitude ironiquement blasphématoire qui n’est pas sans rappeler la Passion du Christ recouvert d’un manteau écarlate tandis qu’on lui crache au visage), « marche » sur sa maîtresse et finit par la gifler. À la douce tape sur l’épaule donnée par Claire s’oppose cette gifle violente. À la faveur du miroir qui a révélé le vrai visage de Madame et relégué Claire dans l’ombre, la folie de Solange éclate : elle tape sur les mains de Claire qui protège sa gorge et « semble sur le point de l’étrangler » quand le réveil sonne. La didascalie finale marque la fin du jeu de rôles et, après le spectacle, une sorte de retour à la normale : « les deux actrices se rapprochent, émues, et écoutent, pressées l’une contre l’autre ». Le duo des bonnes est reformé. C’est la fin de la partie. U Qu’est-ce qui pousse les bonnes à se révolter ? Les bonnes se révoltent pour mettre fin à leur humiliation. Les répliques de Solange sont tissées d’oppositions. Le corps de Madame est celui d’une déesse : comme en témoignent les compléments « Votre poitrine… d’ivoire ! Vos cuisses… d’or ! Vos pieds… d’ambre ! » À la manière d’un blason poétique, le corps précieux de Madame est évoqué en rythme ternaire. Mais la ponctuation est un indice d’alerte, et la récurrence de l’expression « je hais », « je vous hais », qui encadre l’évocation, confirme une lecture sociale du passage. À la pureté de Madame s’oppose la souillure des bonnes, suggérée par les « exhalaisons », les gants et l’odeur des dents… De même pour les lieux qui confrontent deux milieux : la chambre et le miroir, la cuisine et l’évier. Les objets eux-mêmes sont connotés.

L’École des femmes – 33

Solange souligne sa frustration par une tirade éloquente marquée par des anaphores (« vous croyez ») et des épiphores en fin de phrases (« m’en priver », « le laitier »). Habitée par la jalousie, les sentiments d’injustice et de dépossession, elle harcèle et insulte Madame (« Car Solange vous emmerde »). V Relevez et commentez les jeux de mots qui justifient le choix des prénoms Claire et Solange. En pleine confusion, Solange se reprend. Elle est Claire et le dit hautement : « Claire est là, plus claire que jamais. Lumineuse ! », car Claire a dit sa vérité. Quand Claire, dans le rôle de Madame, se saisit du miroir, elle s’admire et rejette Claire dans l’ombre, la renvoie à sa condition, son amertume, sa haine : « Claire, et toi tu n’es que ténèbres ». Ce jeu d’ombres et de lumières suggère l’enfer et le paradis, le mensonge et la vérité, la souillure et la pureté, et surtout le dédoublement des personnalités. Solange, quant à elle, est l’initiatrice du rituel, et son prénom (dérivé du latin solemnis, « solennel, rituel ») renvoie aux fêtes et aux cérémonies.

◆ Élargissement • Au XVIIIe siècle, la lettre persane 28 de Montesquieu reprend ce thème et raille la fonction sociale du théâtre. Rica confond acteurs et spectateurs : au théâtre, s’étonne-t-il, « tout le peuple s’assemble sur la fin de l’après-dînée, et va jouer une espèce de scène que j’ai entendu appeler comédie ». • Dans le tableau de Van Eyck (XVe siècle), Les Époux Arnolfini, le couple apparaît de dos dans le miroir fixé sur le mur du fond, ainsi que le peintre, comme un autoportrait caché dans une célèbre mise en abyme.

AUTRES TEXTES

Marivaux, L’Île des esclaves

Naufragés sur l’île des esclaves, Cléanthis et Arlequin, deux esclaves, sont devenus des maîtres, tandis que leurs propres maîtres, Iphicrate et Euphrosine, ont endossé leur condition de serviteurs. Les personnages ont ainsi échangé leurs costumes et leurs noms.

CLÉANTHIS. Je suis d’avis d’une chose, que nous disions qu’on nous apporte des sièges pour prendre l’air assis, et pour écouter les discours galants que vous m’allez tenir ; il faut bien jouir de notre état, en goûter le plaisir.

ARLEQUIN. Votre volonté vaut une ordonnance. (À Iphicrate.) Arlequin, vite des sièges pour moi, et des fauteuils pour Madame.

IPHICRATE. Peux-tu m’employer à cela ? ARLEQUIN. La république le veut. CLÉANTHIS. Tenez, tenez, promenons-nous plutôt de cette manière-là, et tout en conversant vous ferez

adroitement tomber l’entretien sur le penchant que mes yeux vous ont inspiré pour moi. Car encore une fois nous sommes d’honnêtes gens à cette heure, il faut songer à cela ; il n’est plus question de familiarité domestique. Allons, procédons noblement, n’épargnez ni compliment ni révérences.

ARLEQUIN. Et vous, n’épargnez point les mines. Courage ; quand ce ne serait que pour nous moquer de nos patrons. Garderons-nous nos gens ?

CLÉANTHIS. Sans difficulté ; pouvons-nous être sans eux ? c’est notre suite ; qu’ils s’éloignent seulement. ARLEQUIN, à Iphicrate. Qu’on se retire à dix pas. Iphicrate et Euphrosine s’éloignent en faisant des gestes d’étonnement et de douleur. Cléanthis regarde

aller Iphicrate, et Arlequin, Euphrosine. ARLEQUIN, se promenant sur le théâtre avec Cléanthis. Remarquez-vous, Madame, la clarté du jour ? CLÉANTHIS. Il fait le plus beau temps du monde ; on appelle cela un jour tendre. ARLEQUIN. Un jour tendre ? Je ressemble donc au jour, Madame. CLÉANTHIS. Comment ! Vous lui ressemblez ? ARLEQUIN. Eh palsambleu ! le moyen de n’être pas tendre, quand on se trouve en tête-à-tête avec vos

grâces ? (À ce mot, il saute de joie.) Oh ! oh ! oh! oh ! CLÉANTHIS. Qu’avez-vous donc ? Vous défigurez notre conversation. ARLEQUIN. Oh ! ce n’est rien : c’est que je m’applaudis. CLÉANTHIS. Rayez ces applaudissements, ils nous dérangent. (Continuant.) Je savais bien que mes grâces

entreraient pour quelque chose ici, Monsieur, vous êtes galant ; vous vous promenez avec moi, vous me dites des douceurs ; mais finissons, en voilà assez, je vous dispense des compliments.

ARLEQUIN. Et moi je vous remercie de vos dispenses.

Sujets d’écrit – 34

CLÉANTHIS. Vous m’allez dire que vous m’aimez, je le vois bien ; dites, Monsieur, dites ; heureusement on n’en croira rien. Vous êtes aimable, mais coquet, et vous ne persuaderez pas.

ARLEQUIN, l’arrêtant par le bras, et se mettant à genoux. Faut-il m’agenouiller, Madame, pour vous convaincre de mes flammes, et de la sincérité de mes feux ?

CLÉANTHIS. Mais ceci devient sérieux. Laissez-moi, je ne veux point d’affaires ; levez-vous. Quelle vivacité ! Faut-il vous dire qu’on vous aime ? Ne peut-on en être quitte à moins ? Cela est étrange.

ARLEQUIN, riant à genoux. Ah! ah ! ah ! que cela va bien ! Nous sommes aussi bouffons que nos patrons, mais nous sommes plus sages.

CLÉANTHIS. Oh ! vous riez, vous gâtez tout. ARLEQUIN. Ah ! ah ! par ma foi, vous êtes bien aimable et moi aussi. Savez-vous ce que je pense ? CLÉANTHIS. Quoi ? ARLEQUIN. Premièrement, vous ne m’aimez pas, sinon par coquetterie, comme le grand monde. CLÉANTHIS. Pas encore, mais il ne s’en fallait plus que d’un mot, quand vous m’avez interrompue. Et vous,

m’aimez-vous ? ARLEQUIN. J’y allais aussi, quand il m’est venu une pensée. Comment trouvez-vous mon Arlequin ? CLÉANTHIS. Fort à mon gré. Mais que dites-vous de ma suivante ? ARLEQUIN. Qu’elle est friponne ! CLÉANTHIS. J’entrevois votre pensée. ARLEQUIN. Voilà ce que c’est ; tombez amoureuse d’Arlequin, et moi de votre suivante. Nous sommes assez

forts pour soutenir cela. CLÉANTHIS. Cette imagination-là me rit assez. Ils ne sauraient mieux faire que de nous aimer, dans le fond. ARLEQUIN. Ils n’ont jamais rien aimé de si raisonnable, et nous sommes d’excellents partis pour eux. CLÉANTHIS. Soit. Inspirez à Arlequin de s’attacher à moi ; faites-lui sentir l’avantage qu’il y trouvera dans la

situation où il est ; qu’il m’épouse, il sortira tout d’un coup d’esclavage ; cela est bien aisé, au bout du compte. Je n’étais ces jours passés qu’une esclave ; mais enfin me voilà dame et maîtresse d’aussi bon jeu qu’une autre ; je la suis par hasard ; n’est-ce pas le hasard qui fait tout ? Qu’y a-t-il à dire à cela ? J’ai même un visage de condition ; tout le monde me l’a dit.

ARLEQUIN. Pardi ! je vous prendrais bien, moi, si je n’aimais pas votre suivante un petit brin plus que vous. Conseillez-lui aussi de l’amour pour ma petite personne, qui, comme vous voyez, n’est pas désagréable.

CLÉANTHIS. Vous allez être content ; je vais rappeler Cléanthis, je n’ai qu’un mot à lui dire ; éloignez-vous un instant et revenez. Vous parlerez ensuite à Arlequin pour moi ; car il faut qu’il commence ; mon sexe, la bienséance et la dignité le veulent.

ARLEQUIN. Oh ! ils le veulent si vous voulez ; car dans le grand monde on n’est pas si façonnier ; et, sans faire semblant de rien, vous pourriez lui jeter quelque petit mot clair à l’aventure pour lui donner courage, à cause que vous êtes plus que lui, c’est l’ordre.

CLÉANTHIS. C’est assez bien raisonner. Effectivement, dans le cas où je suis, il pourrait y avoir de la petitesse à m’assujettir à de certaines formalités qui ne me regardent plus ; je comprends cela à merveille ; mais parlez-lui toujours, je vais dire un mot à Cléanthis ; tirez-vous à quartier pour un moment.

ARLEQUIN. Vantez mon mérite ; prêtez-m’en un peu à charge de revanche. CLÉANTHIS. Laissez-moi faire. (Elle appelle Euphrosine.) Cléanthis !

Marivaux, L’Île des esclaves, extrait de la scène 10, 1725.

Marivaux, Les Acteurs de bonne foi Le valet Merlin a été chargé de préparer un divertissement. Pour cela, il a réuni sa fiancée Lisette et deux paysans promis l’un à l’autre : Colette et Blaise.

SCÈNE II

LISETTE, COLETTE, BLAISE, MERLIN MERLIN. Allons, mes enfants, je vous attendais, montrez-moi un petit échantillon de votre savoir-faire, et

tâchons de gagner notre argent le mieux que nous pourrons ; répétons. LISETTE. Ce que j’aime de ta comédie, c’est que nous nous la donnerons à nous-mêmes, car je pense que

nous allons tenir de jolis propos.

L’École des femmes – 35

MERLIN. De très jolis propos, car dans le plan de ma pièce vous ne sortez point de votre caractère, vous autres : toi, tu joues une maligne soubrette à qui l’on n’en fait point accroire, et te voilà ; Blaise a l’air d’un nigaud pris sans vert1, et il en fait le rôle ; une petite coquette de village et Colette, c’est la même chose ; un joli homme2 et moi, c’est tout un ; un joli homme est inconstant, une coquette n’est pas fidèle, Colette trahit Blaise, je néglige ta flamme, Blaise est un sot qui en pleure, tu es une diablesse qui t’en mets en fureur, et voilà ma pièce, oh ! je défie qu’on arrange mieux les choses.

BLAISE. Oui, mais si ce que j’allons jouer allait être vrai, prenez garde au moins, il ne faut pas du tout de bon ; car j’aime Colette, dame !

MERLIN. À merveille, Blaise, je te demande ce ton de nigaud-là dans la pièce. LISETTE. Écoutez, Monsieur le joli homme, il a raison, que ceci ne passe point la raillerie, car je ne suis pas

endurante, je vous en avertis. MERLIN. Fort bien, Lisette, il y a un aigre-doux dans ce ton-là qu’il faut conserver. COLETTE. Allez, allez, Mademoiselle Lisette, il n’y a rien à appriander3 pour vous, car vous êtes plus jolie

que moi, Monsieur Merlin le sait bien. MERLIN. Courage, friponne, vous y êtes ; c’est dans ce goût-là qu’il faut jouer votre rôle, allons,

commençons à répéter. LISETTE. C’est à nous deux à commencer, je crois. MERLIN. Oui, nous sommes la première scène ; asseyez-vous là, vous autres, et nous, débutons, tu es au

fait, Lisette. (Colette et Blaise s’asseyent comme spectateurs d’une scène dont ils ne sont pas.) Tu arrives sur le théâtre, et tu me trouves rêveur et distrait. Recule-toi un peu, pour me laisser prendre ma contenance.

Marivaux, Les Acteurs de bonne foi, scène II, 1757.

William Shakespeare, Hamlet

Sur le trône du Danemark est assis Claudius, frère du précédent roi dont il a épousé la veuve. Le spectre du défunt roi a appris à son fils Hamlet qu’il a péri des mains de Claudius qui lui a versé du poison dans l’oreille alors qu’il était endormi. Hamlet a demandé à des comédiens de donner devant le roi et son épouse la représentation théâtrale du crime…

Les trompettes sonnent. La pantomime commence. Un roi et une reine entrent ; l’air fort amoureux, ils se tiennent embrassés. La reine s’agenouille et fait au roi force gestes de protestations. Il la relève et penche sa tête sur son cou, puis s’étend sur un banc couvert de fleurs. Le voyant endormi, elle le quitte. Alors survient un personnage qui lui ôte sa couronne, la baise, verse du poison dans l’oreille du roi, et sort. La reine revient, trouve le roi mort, et donne tous les signes du désespoir. L’empoisonneur, suivi de deux ou trois personnages muets, arrive de nouveau et semble se lamenter avec elle. Le cadavre est emporté. L’empoisonneur fait sa cour à la reine en lui offrant des cadeaux. Elle semble quelque temps avoir de la répugnance et du mauvais vouloir, mais elle finit par agréer son amour. Ils sortent.

OPHÉLIE. Que veut dire ceci, monseigneur ? HAMLET. Parbleu ! C’est une embûche ténébreuse qui veut dire crime. OPHÉLIE. Cette pantomime indique probablement le sujet de la pièce. Entre un comédien. HAMLET. Nous le saurons par ce gaillard-là. Les comédiens ne peuvent garder un secret : ils diront tout. OPHÉLIE. Nous dira-t-il ce que signifiait cette pantomime ? HAMLET. Oui, et toutes les pantomimes que vous lui ferez voir. Montrez-lui sans honte n’importe laquelle, il

vous l’expliquera sans honte. OPHÉLIE. Vous êtes méchant ! Vous êtes méchant ! Je veux suivre la pièce. LE PROLOGUE.

Pour nous et pour notre tragédie, Ici inclinés, devant votre clémence, Nous demandons une attention patiente.

1 pris sans vert : pris au dépourvu. 2 joli homme : homme à la mode. 3 appriander : craindre.

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HAMLET. Est-ce un prologue, ou la devise d’une blague ? OPHÉLIE. C’est bref, monseigneur. HAMLET. Comme l’amour d’une femme. Entrent sur le second théâtre Gonzague et Baptista. Serments d’amour éternel du duc Gonzague et de sa femme Baptista. HAMLET, à la Reine. Madame, comment trouvez-vous cette pièce ? LA REINE. La dame fait trop de protestations, ce me semble. HAMLET. Oh ! Pourvu qu’elle tienne parole ! LE ROI. Connaissez-vous le sujet de la pièce ? Tout y est-il inoffensif ? HAMLET. Oui ! Oui ! Ils font tout cela pour rire ; du poison pour rire ! Rien que d’inoffensif ! LE ROI. Comment appelez-vous la pièce ? HAMLET. La Souricière. Comment ? Pardieu ! Au figuré. Cette pièce est le tableau d’un meurtre commis à

Vienne. Le duc s’appelle Gonzague, sa femme Baptista. Vous allez voir. C’est une œuvre infâme ; mais qu’importe ? Votre Majesté et moi, nous avons la conscience libre : cela ne nous touche pas. Que les rosses que cela écorche ruent ! Nous n’avons pas l’échine entamée.

Entre sur le second théâtre Lucianus. Celui-ci est un certain Lucianus, neveu du roi. OPHÉLIE. Vous remplacez parfaitement le chœur, monseigneur. HAMLET. Je pourrais expliquer ce qui se passe entre vous et votre amant, si je voyais remuer vos

marionnettes. OPHÉLIE. Vous êtes piquant, monseigneur, vous êtes piquant ! HAMLET. Il ne vous en coûterait qu’un cri pour que ma pointe fût émoussée. OPHÉLIE. De mieux en pire. HAMLET. C’est la désillusion que vous causent tous les maris… Commence, meurtrier, laisse là tes

pitoyables grimaces, et commence. Allons ! Le corbeau croasse : Vengeance ! LUCIANUS.

Noires pensées, bras dispos, drogue prête, heure favorable. L’occasion complice ; pas une créature qui regarde. Mixture infecte, extraite de ronces arrachées à minuit, Trois fois flétrie, trois fois empoisonnée par l’imprécation d’Hécate, Que ta magique puissance, que tes propriétés terribles Ravagent immédiatement la santé et la vie !

Il verse le poison dans l’oreille du roi endormi. HAMLET. Il l’empoisonne dans le jardin pour lui prendre ses États. Son nom est Gonzague. L’histoire est

véritable et écrite dans le plus pur italien. Vous allez voir tout à l’heure comment le meurtrier obtient l’amour de la femme de Gonzague.

OPHÉLIE. Le Roi se lève. HAMLET. Quoi ! Effrayé par un feu follet ? LA REINE. Comment se trouve monseigneur ? POLONIUS. Arrêtez la pièce ! LE ROI. Qu’on apporte de la lumière ! Sortons. TOUS. Des lumières ! Des lumières ! Des lumières !

William Shakespeare, Hamlet (III, 2), v. 1601, traduction de François-Victor Hugo.

Albert Camus, Caligula (scène 1 de l’acte III), Gallimard (1945)

Le jeune empereur de Rome Caligula, terrassé par la mort de sa sœur-amante Drusilla, tente de se reconstruire en se faisant adorer comme un nouveau dieu. « J’ai pris le visage bête et incompréhensible des dieux », déclare-t-il. À l’acte III, le voici déguisé en « Vénus grotesque, entouré de sa maîtresse Caesonia et du fidèle Hélicon ».

Se reporter à l’édition « Folio » pour le texte de la scène 1 de l’acte III.

L’École des femmes – 37

C O M P L É M E N T S A U X L E C T U R E S D ’ I M A G E S

◆ Plat II de couverture : La Dentellière de Johannes Vermeer

Le peintre Johannes Vermeer (1632-1675) est un peintre néerlandais du XVIIe siècle, né à Delft (d’où le fait qu’il soit aussi connu sous le nom de Vermeer de Delft). Sa vie ne nous est guère connue. Trois documents attestent de son baptême en 1632, de son mariage en 1653 avec Catharina Bolnes (qui lui donna onze enfants), et de sa mort en 1675. En 1676, sa veuve, accablée de dettes, dut adresser aux autorités publiques une demande de dispense. Vermeer, surnommé « le Sphinx de Delft », échappe à l’histoire de l’art. Seulement une quarantaine de tableaux sont reconnus. Jeune Femme en bleu lisant une lettre, La Jeune fille à la perle et La Dentellière sont sans doute les plus célèbres. Presque tous ses tableaux auraient été réalisés dans deux chambres de sa maison de Delft. Vermeer travaillait lentement, minutieusement, et utilisait des couleurs vives et des pigments colorés très coûteux. L’œuvre de Vermeer, redécouverte à la fin du XIXe siècle, joue un rôle très important dans le roman de Marcel Proust À la recherche du temps perdu (tome V, « La Prisonnière »), notamment le tableau intitulé Vue de Delft, « le plus beau tableau du monde » selon Proust lui-même.

Caractéristiques de l’œuvre La Dentellière est un tableau de petit format, 24,5 � 21 cm (le plus petit des tableaux de l’artiste), une huile sur toile, exposé au Louvre. Peint entre 1669 et 1671, il représente une scène de genre, une dentellière absorbée par son ouvrage, et témoigne de la vie domestique en Hollande au XVIIe siècle.

Analyse de l’œuvre La composition On remarque un effet de flou du premier plan pour mettre en relief le visage de la jeune fille. La dentellière, en légère contre-plongée, semble vue depuis un point plus bas qu’elle. Elle se détache sur un fond neutre, blanc cassé, penchée sur son ouvrage. On voit ses mains, les fuseaux autour desquels elle entoure les fils pour former la dentelle. Tout près se trouve un livre fermé par deux rubans. À gauche, une boîte à couture bleu foncé est habillée en coussin.

Couleurs et lumière Les couleurs dominantes dans cette toile sont le bleu et le jaune du corsage. Un nœud de fils blancs et rouges s’échappe du coussin et se déverse sur le tapis vert de la table, créant un effet de contraste. Contraste aussi d’ombre et de lumière qui renforce l’impression d’une scène intimiste, d’autant qu’il n’existe aucune ouverture vers l’extérieur. La lumière arrive par la droite et met en valeur le front de la jeune fille, ses doigts et l’étoffe jaune de son corsage. L’éclat de la lumière contrastant avec les meubles sombres souligne la concentration de la dentellière.

Interprétation de l’œuvre Le tableau révèle une vérité morale ou sociale. La coiffure soignée, la qualité de l’étoffe de la tenue suggèrent une jeune fille noble ou bourgeoise occupée à une tâche traditionnelle en Flandre. Vermeer présente souvent dans ses toiles les mystères de la vie domestique et sacralise le quotidien. Ici, le peintre cache l’ouvrage, créant le mystère autour de la jeune fille nimbée de lumière. L’ambiance est sereine, le silence rayonnant et la jeune fille vertueuse. Près de la boîte à couture, une bible sans doute confirme cette impression moralisante.

◆ Plat III de couverture : photographie de la jeune Indienne

Caractéristiques de l’image La photographie a été publiée sur le site du Monde (lemonde.fr) à l’occasion de la première Journée internationale de la fille. Cette journée, votée le 19 décembre 2011, a été fixée par l’ONU au 11 octobre de chaque année. L’idée est venue de l’ONG internationale PLAN qui œuvre pour l’avenir des enfants et des

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jeunes marginalisés. Il s’agit, par ces journées et les actions qui s’y rattachent, de promouvoir l’éducation des filles et de lutter contre la violence qui peut leur être faite d’une manière ou d’une autre.

Informations complémentaires L’ONU On peut lire la résolution sur le site : http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp? symbol=A/RES/66/170. Les thèmes choisis : le mariage forcé (2012) ; les inégalités entre les sexes (2013) ; les petites filles (2014). On peut lire des informations complémentaires sur ces journées sur les sites : – Journées de la fille : http://www.unwomen.org/fr/news/in-focus/girl-child. – Droits des filles : http://www.planfrance.org/droits-des-filles/.

Lemonde.fr Sur le site du journal Le Monde, un article d’Éléonore Gratiet-Taicher accompagne la photo qui figure sur le plat III de notre couverture. Extrait de cet article : « Les Nations Unies ont, à ce titre, également adressé jeudi un message particulier à l’Inde, qui enregistre 40 % des mariages d’enfants dans le monde, l’enjoignant à mettre un terme à ces “pratiques nocives” et à prendre les devants par des mesures plus fermes, rapporte The Times of India. “Le mariage d’une enfant court-circuite son éducation, limite ses possibilités, accroît son risque d’être victime de violences et met en péril sa santé. Il constitue, par conséquent, un obstacle à la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD)”, souligne ainsi la lettre adressée au gouvernement de Pranab Mukherjee. »

Analyse de l’image Voir l’analyse de l’image en réponse aux questions 13 et 14 du cinquième questionnaire (page 20).

◆ Mise en scène de Jean-Pierre Vincent au théâtre de l’Odéon (p. 58) Comme indiqué dans la rubrique « Prolongements », le site du théâtre de l’Odéon propose un dossier sur la mise en scène de Jean-Pierre Vincent, avec Daniel Auteuil dans le rôle d’Arnolphe et Lyn Thibault dans celui d’Agnès.

Citations-clés du metteur en scène Quelques citations de Jean-Pierre Vincent à propos de sa mise en scène : – « Monter L’École des femmes aujourd’hui, c’est pratiquer un constant voyage aller-retour, de mot en mot, d’entrées en sorties, d’acte en acte, entre ce XVIIe siècle et le nôtre, entre Molière (drôle de bonhomme !) et nous. » – « L’École des femmes, c’est aussi, ou d’abord, cela : l’explosion utopique de sentiments naturels, animaux, qui franchissent toutes les barrières de la raison raisonnante. Oh, nos jeunes amis ne sont pas des génies, pas des surdoués, non ! Agnès et Horace sont des personnes très ordinaires, loin du luxe baroque de Roméo et Juliette : une naïve et un gaffeur, comme on en voit dans les feuilletons, des ados comme il peut y en avoir tant. Et c’est là qu’intervient le miracle utopique qui transcende un récit qui pourrait patauger dans la médiocrité : l’intelligence arrive à Agnès par des chemins ravissants, imprévisibles. Molière, l’inquiet, le tourmenté, plaide ici pour la gaieté profonde de la vie des sens. »

Remarques sur la mise en scène S’écartant des mises en scène qui ont approfondi, voire assombri, le personnage d’Arnolphe, Jean-Pierre Vincent revendique la force du rire en mettant en exergue la préface de Molière : « Bien des gens ont frondé d’abord cette comédie ; mais les rieurs ont été pour elle, et tout le mal qu’on en a pu dire n’a pu faire qu’elle n’ait eu un succès dont je me contente. » C’est justement cette place accordée au rire, conformément au projet de Molière (il tenait le rôle d’Arnolphe), que certains critiques ont pu regretter. On peut lire, sur le site Telerama.fr, la chronique de Fabienne Pascaud à ce sujet.

Analyse de l’image Remarquons la sobriété du décor minimaliste qui, sur un fond ocre, permet aux deux acteurs de se détacher. Sous les traits de Daniel Auteuil, Arnolphe mène l’interrogatoire. Son costume en satin brunâtre rappelle celui que portait Molière et tranche avec la stricte robe bleu nuit éclairée d’accessoires blancs portée par l’ingénue (Lyn Thibault). Penché vers Agnès, il lui tient la main et se veut convaincant, pressant. On note la gêne de la jeune fille, les yeux baissés, partagée entre soumission et interrogation.

L’École des femmes – 39

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E

◆ Autre édition conseillée – Molière, L’École des femmes, édition de Michel Bouty, « Classiques Hachette », Hachette Livre, 2005.

◆ Ouvrages sur Molière – Michel Corvin, Molière et ses Metteurs en scène d’aujourd’hui, Presses universitaires de Lyon, 1985.

– Patrick Dandrey, Molière ou l’Esthétique du ridicule, Klincksieck, 1992.

– Gérard Defaux, Molière ou les Métamorphoses du comique, Klincksieck, 1992.

– Marcel Gurtwirtz, Molière ou l’Invention comique, Minard, 1966.

◆ Ouvrages généraux sur le XVIIe siècle – Paul Bénichou, Morales du Grand Siècle, « Folio Essais », Gallimard, 1988.

– Gabriel Conesa, La Comédie à l’âge classique (1630-1715), Le Seuil, 1995.

– Georges Forestier, Le Théâtre dans le théâtre : sur la scène française du XVIIe siècle, Droz, 2000.

– Jacques Scherer, La Dramaturgie classique en France, Armand Colin, 1954.

◆ Musée Parcours proposé au musée d’Orsay sur le thème « Images de la femme ».