06_Baudreu Maisons Médiévales du sud de la France

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M.S.A.M.F. hors srie 2008

MAISONS MDIVALES DU SUD DE LA FRANCE BTIES EN TERRE MASSIVE : TAT DE LA QUESTION

par Dominique BAUDREU *, Claire-Anne DE CHAZELLES ** et Franois GUYONNET ***

Longtemps ignor par lhistoriographie, lusage de la terre crue massive dans la construction mdivale rencontre un intrt renouvel de la part de chercheurs attentifs la fois, la relecture de fouilles anciennes, aux rsultats de certaines plus rcentes, lanalyse dlvations encore en place, ainsi quaux anciens termes spcifiques lis ce type ddifices. Cet tat de la question se propose de prsenter dabord le versant historiographique du problme, prolong par lvocation des techniques de mise en uvre de la terre crue et par les aspects proprement architecturaux (1).

Aspects historiographiques et renouvellement de la questionDans lhistoire de la recherche, le thme de la terre crue associ la construction mdivale renvoie dabord une contradiction. Dune part, on pressent de plus en plus la grande importance du matriau terre dans plusieurs rgions du Midi, du bassin de la Garonne la valle du Rhne, et dautre part, on constate jusqu ces dernires annes lindigence des donnes archologiques, que ces donnes proviennent de fouilles ou dlvations conserves. Il y a encore peu de temps, on pouvait sans doute affirmer quon connaissait bien mieux les constructions de terre protohistoriques plutt que celles du Moyen ge, ceci au moins pour le Midi mditerranen grce diffrents travaux et, entre autres, une synthse pour la Protohistoire et lAntiquit (2). Le fait mme davoir prvu, pour la premire fois notre connaissance, dans le cadre de ce colloque, une contribution spcifique sur la maison mdivale en terre massive, illustre aussi le retard pris par la recherche dans ce domaine. Les raisons de ce dficit tiennent trois causes principales. On peut dabord voquer les difficults de reconnaissance des vestiges en terre crue lorsquils sont observs en fouille. Tel est le cas dans la publication des recherches sur le village castral dsert de Montaigut en Albigeois, dans les annes 1960. Malgr des observations minutieuses, les auteurs utilisent lexpression de fantme de murs (3) qui en ralit, renvoie trs certainement des murs de terre, non reconnus en tant que tels par les fouilleurs. Ces derniers ne voyaient alors que des emprises de murs pierrs combls par de largile ! Il sagit sans

* Archologue, C.A.M.L. (Carcassonne). ** Charge de Recherche, C.N.R.S. (Lattes). *** Archologue au Service dArchologie du dpartement du Vaucluse (Avignon). 1. Les auteurs de ces trois parties sont respectivement D. BAUDREU, C.-A. DE CHAZELLES et F. GUYONNET. 2. Claire-Anne DE CHAZELLES-GAZZAL, Les maisons en terre de la Gaule mridionale, Monographies Instrumentum, 2, Montagnac, d. M. Mergoil, 1997, 229 p. 3. Witold HENSEL et alii, Dans lAlbigeois, le chteau et le village de Montaigut , dans Archologie du village dsert, I, Cahiers des Annales 27, cole Pratique des Hautes tudes et Acadmie Polonaise des Sciences, Paris, A. Colin, 1970, p. 13-53. Voir notamment dans le recueil des planches hors texte sur Montaigut (Archologie du village dsert, II), les mentions de fantmes de mur : Pl. IV, VI, VII, VIII.

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doute ici dun cas extrme, o les chercheurs nimaginaient mme pas quaient pu seulement exister des murs en terre. loccasion dune fouille beaucoup plus rcente, dans un ancien faubourg de Toulouse au bas Moyen ge, sur le site du jardin du Museum dHistoire Naturelle, une opration prventive a reconnu un bti en terre crue. Mais son identification na t possible quen fin de fouille, tant le contexte rendait difficile la visualisation de bases de murs en terre massive, le matriau ayant t puis dans un substrat graveleux (4). Toujours Toulouse, une autre fouille prventive vient malgr tout nuancer ces difficults de reconnaissance avec des murs en terre interprts comme des lvations en terre coffre, pour une maison canoniale du XVe sicle, sur le site du Lyce Ozenne (5). Une autre raison qui explique encore la faiblesse de nos connaissances est la raret des tudes prcises de bti, en milieu rural ou urbain, jusqu une poque trs rcente en tout cas. Do, pour linstant, limportance encore assez rduite des informations sur le bti en terre partir de ce type dtudes. Enfin, la troisime raison de ce dficit sur la terre crue mdivale tient un a priori dfavorable : pendant longtemps, on a considr la terre comme un matriau non noble et donc de peu dintrt, ct de la brique cuite ou de la pierre. Par exemple, dans un article de la fin du XIXe sicle sur les petites villes fortifies du Toulousain, sont voqus les restes de murailles dnus de tout caractre propos de vestiges denceintes en terre crue, considres comme difies en cailloutis (6). Il faut aussi se demander dans quelle mesure cette dconsidration a pu peser jusqu une poque rcente, de faon consciente ou non. cette ide peut sajouter un autre a priori concernant la fragilit suppose de la terre crue. Dans les annes 1980, Jean-Marie Pesez crivait : la construction en pis chappe lobservation : il ne faut gure compter en retrouver des tmoins anciens en place, la dure dune maison de terre tant quand mme limite et infrieure au sicle (7). Or, aujourdhui, cette opinion est en contradiction totale avec les observations archologiques les plus rcentes. Effectivement, depuis quelques annes, diverses recherches viennent rappeler ou signaler avec insistance la place de la terre crue parmi les matriaux de construction au Moyen ge, avec leur prolongement lpoque moderne. Ce nouvel intrt pour la terre crue ne fait que complter une proccupation dj bien illustre par les protohistoriens et les antiquisants. De ce point de vue, lhistoriographie rcente a t marque par une premire rencontre interdisciplinaire et diachronique (de la Prhistoire nos jours) sur la terre crue, Montpellier en 2001, publie en 2003 (8). Une deuxime rencontre du mme type sest tenue en 2005 Villefontaine (Isre), publie en 2007 (9). Pour le Moyen ge, ces dernires annes ont vu converger et se confronter divers rsultats lchelle du Midi, spcialement entre le Toulousain et la Provence rhodanienne. On peut les rsumer de la faon suivante. Dans le bassin de la Garonne, en particulier en Midi-Pyrnes, on doit un architecte, Alain Klein, un premier inventaire raisonn du patrimoine bti en terre, toujours en lvation, inventaire qui rvle la varit des types ddifices concerns mais aussi la varit des techniques employes (10). Ce travail concerne surtout lpoque moderne mais aussi en partie le Moyen ge, car il pose quelques questions relatives la datation de certaines lvations. Dans louest de lAude, en Bas-Razs et Carcasss, ont pu tre reprs plusieurs exemples dlvations en terre, en milieu villageois et urbain, o domine une technique de terre massive en couches superposes spares

4. Jrme BRIAND et Pascal LOTTI (dir.), Museum dHistoire Naturelle, Toulouse (31). Rapport final de fouille prventive, I.N.R.A.P., 2006, p. 275. 5. Jean CATALO et alii, La maison canoniale du Lyce Ozenne Toulouse , dans Rsidences aristocratiques, rsidences du pouvoir entre Loire et Pyrnes, Xe-XVe sicle. Actes du colloque de Pau, 3-5 octobre 2002. Supplment n 4 A.M.M., Carcassonne, C.A.M.L., 2006, p. 389-404. 6. A. DU BOURG, Petites villes fortifies du Moyen ge dans le Toulousain , dans M.S.A.M.F., t. X (1872-1873), p. 39. Le terme cailloutis renvoie ici des lvations de terre massive plus ou moins sature de graviers, naturellement prsents dans la terre lors de sa mise en uvre. 7. Jean-Marie PESEZ, La terre et le bois dans la construction mdivale , dans Jacques LASFARGUES (dir.), Architectures de terre et de bois. Lhabitat priv des provinces occidentales du monde romain. Antcdents et prolongements : Protohistoire, Moyen ge et quelques expriences contemporaines, D.A.F., 2, Paris, d. de la Maison des Sciences de lHomme, 1985, p. 166. 8. Claire-Anne DE CHAZELLES, Alain KLEIN (dir.), changes transdisciplinaires sur les constructions en terre crue. 1. Terre modele, dcoupe ou coffre. Matriaux et modes de mise en uvre. Actes de la table-ronde de Montpellier, 17-18 novembre 2001, Montpellier, d. de lEsprou, 2003, 460 p. 9. Hubert GUILLAUD, Claire-Anne DE CHAZELLES, Alain KLEIN (dir.), changes transdisciplinaires sur les constructions en terre crue, 2. Les constructions en terre massive : pis et bauge. Actes de la table-ronde de Villefontaine, Isre, 28-29 mai 2005, Montpellier, d. de lEsprou, 2007, 328 p. 10. Alain KLEIN, Philippe RIVIRE, Redcouvrir la terre crue Approche typologique, architecturale et technologique , dans Monuments Historiques (Midi-Pyrnes), 181 (1992), p. 23-27. Alain KLEIN, loge de la terre crue en Midi-Pyrnes. Architecture de terre crue : patrimoine et modernit , dans Les Cahiers de lA.N.A.H., n 89 (1999), p. 15-21. Alain KLEIN, La construction en terre crue par couches continues, en Midi-Pyrnes. XVIe-XXe sicles. Contribution lidentification des techniques , dans changes transdisciplinaires sur les constructions en terre crue. 1. Terre modele, p. 417-437.

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par des vgtaux. Quelques lvations de ce type ont pu livrer des tessons de cramiques pigs dans la terre au moment de sa mise en uvre, tessons datables du bas Moyen ge (11). Toujours dans ltude dlvations, quelques villes du Midi mditerranen ont commenc rvler un bti en terre crue, jusquici pratiquement insouponn dans ces agglomrations, comme Perpignan, Bziers ou Carpentras (12), dans des secteurs de faubourgs de la fin du XIIIe ou du XIVe sicle. Ces rsultats sont rapprocher dautres reprages effectus Carcassonne, dans la Ville Basse, mais aussi dans des localits de moindre importance comme Montral ou Castelnaudary, dans lAude. De telles dcouvertes sont confronter avec dautres observations issues de fouilles en milieu urbain ou rural et qui ont, elles aussi, tendance se multiplier : outre les deux exemples de fouilles toulousaines dj cites, des observations ont t par exemple ralises Marseille, Montpellier ou Narbonne (13). En milieu rural, parmi les observations majeures, il faut rappeler lexistence de maisons de terre du XIIe sicle sur le site dsert de LIsleJourdain dans le Gers (14), de murs de terre dpoque carolingienne dans un habitat rural de la rgion dArles (15), et dautre part, dans la moyenne valle du Rhne, entre Valence et Montlimar, plusieurs exemples de constructions en terre massive pour le Moyen ge central. Ces dernires donnes proviennent des fouilles prventives sur le trac du T.G.V. Mditerrane (16). Dans la mme rgion, le cas de la ville de Valence a t rcemment point, cause de lexhaussement notable de son emprise au cours de lAntiquit et du Moyen ge, exhaussement provoqu par les gnrations de constructions en terre qui sy sont succd (17). Enfin, la question de la terre crue mdivale doit tre aussi aborde travers la lecture ou la relecture des documents darchives, mdivaux ou modernes. Il faut retenir ici deux mots-cls partir des parlers vernaculaires : le mot paret et le mot tpia (18). En Toulousain et rgions limitrophes, il ressort que le terme occitan paret (parfois francis en paroit, ou paroi) a videmment dsign un mur mais plus spcifiquement un mur de terre. Ce sens est par exemple prcis au XVIIe sicle pour les murs de lglise de Plagne, en Comminges : les murailles sont des parois de tap (19), tap renvoyant au matriau quest la terre. Fond sur le mot paret, on trouve par ailleurs le terme paredir pour dsigner le maon spcialis dans la mise en uvre de la terre, terme relev aussi bien dans lAude qu Toulouse et quen Tarn-et-Garonne lpoque moderne (20). En domaine sud-occitan, de la

11. Dominique BAUDREU, Observations sur les constructions en terre crue dans lAude (Moyen ge et poque moderne) , dans Bulletin de la Socit dtudes Scientifiques de lAude, t. CII (2002), p. 57-64 ; Habitats et fortifications en terre crue dpoque mdivale dans le Midi de la France , dans changes transdisciplinaires sur les constructions en terre crue. 1. Terre modele, p. 359-375. 12. Franois GUYONNET, Aymat CATAFAU, La construction urbaine en terre aux XIIIe et XIVe sicles : lexemple de la rue de lAnguille (Perpignan) , dans changes transdisciplinaires sur les constructions en terre crue. 1. Terre modele, p. 389-411. Olivier GINOUVEZ, Bziers. Habitations mdivales et modernes sur les vestiges de lamphithatre antique. Deux nouvelles tudes de cas. D.F.S., I.N.R.A.P., 2002. Franois GUYONNET, Carpentras (84). lot Archier, parcelles 39-42-43. tude partielle du bti. Service dArchologie du Dpartement de Vaucluse, 2003, 16 p., 15 pl. 13. Robert THERNOT, Muriel VECCHIONE, Les murs en terre banche dans lhabitat de Marseille au Moyen ge (fin XIIe-dbut XIIIe sicle). Fouilles de la place Villeneuve-Bargemon , dans changes transdisciplinaires sur les constructions en terre crue. 1. Terre modele, 2003, p. 439450. Yan HENRY et alii, Dominium - Providence (Montpellier). Rapport de fouilles. S.R.A. Languedoc-Roussillon ( paratre). Claire-Anne DE CHAZELLES, milie LAL, Les murs en terre crue dun faubourg mdival de Narbonne (XIIIe-XIVe sicles) , dans changes transdisciplinaires sur les constructions en terre crue. 1. Terre modele, p. 247-261. 14. Frdric VEYSSIRE, Jean-Paul CAZES, Un exemple de bti villageois en pis aux XIe et XIIe sicles : les maisons et le rempart du site de La Gravette LIsle-Jourdain (Gers) , dans changes transdisciplinaires sur les constructions en terre crue. 1. Terre modele, p. 377-383. 15. Jrme KOTARBA, Quelques donnes sur lhabitat en terre dpoque carolingienne dAugry de Corrges (Arles, Bouches-duRhne) , dans changes transdisciplinaires sur les constructions en terre crue. 1. Terre modele, p. 385-388. 16. lise FAURE-BOUCHARLAT, Alban HORRY, La maison des champs entre Rhne et Alpes (Xe-XIIe sicles) : architecture et quipement domestique dans Revue dAuvergne, 119 (2005-1), (Lhabitation lpoque romane, Actes du XIIe Colloque international dart roman, Issoire, 25-27 octobre 2002), p. 201-219. lise FAURE-BOUCHARLAT, Jacques-Lopold BROCHIER, Les tablissements ruraux : implantation, organisation et architecture , dans Odile MAUFRAS d., Habitats, ncropoles et paysages dans la moyenne et la basse valle du Rhne (VIIe-XVe sicles). Contribution des travaux du T.G.V.-Mditerrane ltude des socits rurales mdivales. D.A.F., 98, Paris, d. de la Maison des Sciences de lHomme, 2006, p. 264-275. 17. Jacques-Lopold BROCHIER, La place de larchitecture de terre dans la construction de Valence de lAntiquit au Moyen ge , dans De mmoire de palais. Archologie et histoire du groupe cathdral de Valence, Muse de Valence, 2006, p. 63-66. 18. Dominique BAUDREU, Habitats et fortifications en terre crue dpoque mdivale dans le Midi de la France , dans changes transdisciplinaires sur les constructions en terre crue. 1. Terre modele, p. 359-375. Essai dapproche lexicographique des constructions de terre massive en domaines occitan et francoprovenal , dans changes transdisciplinaires sur les constructions en terre crue, 2. Les constructions, p. 39-52. 19. Henri MNARD, glises perdues de lancien diocse de Rieux, Saint-Girons, 1983, p. 276. 20. J. DOUJAT, Dictiounari Moundi. De l oun soun enginats principalomen les mouts les plus escarris an lesplicaciu francezo. Empoutad del biradis des mots anciens as tipiques dires daou per G. Visner, Toulouse, 1895, p. 182.

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Gascogne la Provence, avec un prolongement en Dauphin, les termes tap, tpia, tpi, tepa, dorigine pr-latine (franciss en tapie, tpe), dsignent la terre mise en uvre pour la construction et par extension, ont pu aussi dsigner les constructions elles-mmes. Au dbut du XVIIe sicle, Montpezat en Tarn-et-Garonne, on prvoit la construction dune maison de la faon suivante : seront tenus bastir et ediffier lad. maison a ung estache de murailles de tapie faite de terre que icelluy Marsilhac et Mercadi prendront lad. terre de la mesme piesse de terre o led. ediffice ce doibt construire (21). Au XVIIIe sicle, Castelnaudary, lors de la vente dune maison, on prcise que tous les murs du rez-de-chausse sont construits en terre tapie, tout comme les autres murs des autres cots, vieux et anciens (22). Par ailleurs, il ne fait aucun doute que le mot tpia tait bien en usage au Moyen ge, par exemple en Lauragais au XVe sicle (23). Il semblerait quen Gascogne et Languedoc, tpia et, sans doute en Provence, tpi, aient servi indistinctement nommer les techniques de bauge et de pis, toutes les deux relevant de la terre dite massive, mais reprsentant deux types de procds bien diffrencis.

Les procds de construction mis en uvreIl convient dinsister sur les difficults que soulve lidentification de chaque mode de construction en terre, que ce soit dans le cadre de fouilles archologiques lorsque les vestiges sont arass et enfouis, ou la dcouverte de murs conservs en lvation. Dans le premier cas, les murs de terre ont subi de telles transformations en raison de la disparition de la composante vgtale des matriaux et des effets du tassement que les indices ncessaires la reconnaissance de tel ou tel procd peuvent avoir quasiment disparu. Dans le second cas, les remaniements effectus au cours des sicles, ainsi parfois que lrosion si les parois sont exposes aux intempries, affectent considrablement laspect de leurs parements. En toutes circonstances, la fouille des murs est recommande, mais elle est rarement ralisable lorsque ceux-ci doivent tre intgrs dans un programme de rhabilitation dimmeuble. dfaut, le grattage des parements sur deux trois centimtres dpaisseur peut savrer suffisant pour mettre une technique en vidence. Les tudes de terrain menes au cours des dernires annes permettent davoir une ide assez claire des choix techniques qui soffraient aux constructeurs de la fin du Moyen ge puisque lon reconnat dsormais peu prs sans ambigut des constructions en pis et dautres en bauge, celles-ci se prsentant sous des formes diverses. Lalternative propose par la brique crue moule, dont lusage est bien connu aux priodes protohistorique et romaine, ne semble concerner que le plein Moyen ge, entre le Xe et le XIIe sicle en Roussillon et en Languedoc (24). Des structures en briques sont signales Bellegarde (Gard) dans un contexte du Xe sicle (25), Narbonne (Aude) dans un habitat datant du Xe au XIIe sicle (26) ainsi que sur plusieurs gisements du Roussillon appartenant aussi la priode Xe-XIe sicle (27). On ne connat actuellement aucune attestation ultrieure. Bien videmment, la reconnaissance dun procd ou dun autre ne constitue pas une fin en soi : elle contribue affiner lhistoire des techniques de construction. Et, si un grand pas a t franchi pour la priode qui va de la fin du XIIe sicle la fin du XIVe sicle, il reste prciser la gense des modes de construction en terre crue au cours des sicles antrieurs et tudier leur devenir partir de la Renaissance. Cest dire toute limportance que lon doit accorder lemploi dun vocabulaire technique prcis si lon veut viter de brouiller les pistes dinvestigation (28).

21. R. LATOUCHE, La vie en Bas-Quercy du quatorzime au dix-huitime sicle, Toulouse, Privat, 1923, p. 385. 22. A.D. Aude, 3E 1030, Notaire Bauzit, constat dexpert, 1753. Mention aimablement communique par Mme Marie-Rose Viala. 23. Marie-Claude MARANDET, Les campagnes du Lauragais la fin du Moyen ge (1380-dbut du XVIe sicle), Perpignan, Presses Universitaires de Perpignan, (Coll. tudes), 2006, p. 247 et 273. 24. Les constructions en briques crues moules signales sur plusieurs gisements ne sont pas contestables a priori. Toutefois, maintenant quun procd base dlments modulaires faonns ou dcoups est largement dmontr en Roussillon et en Languedoc occidental o il correspond une des formes de la bauge (voir ci-aprs), il est possible que certaines dcouvertes de briques puissent tre r-interprtes. 25. Anne PARODI, Bellegarde (Gard), Broussan , dans Archologie Mdivale, t. 19 (1989), Chronique des fouilles mdivales, p. 257. 26. Olivier GINOUVEZ, Claude LABARUSSIAT, Des maisons excaves Narbonne autour de lan Mil , dans A.M.M., t. 11 (1993), p. 53-68. 27. Olivier PASSARIUS, El Camp del Rey. Un habitat des Xe-XIe sicles (Commune de Baixas). D.F.S., S.R.A. Languedoc-Roussillon/A.A.P.O., Montpellier, juin 2004, p. 27. 28. Trop souvent revient le mot pis , terme galvaud sil en est, pour dsigner toute construction en terre. Il est parfois employ la place de torchis car les deux mots sont tort considrs comme des synonymes, ou simplement pour parler dune structure en terre dont le mode de mise en uvre na pas t identifi. Or, comme essaie de le montrer cet article, le pis procde dune mise en forme de la terre trs particulire et son cheminement historique pose encore des problmes.

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La construction en pis Ce type de construction extrmement normalis possde des traits canoniques qui doivent permettre, la plupart du temps, une identification certaine. La terre est mise en place sans prparation pralable, dame entre de grandes planches (les banches) qui sont relies entre elles par des traverses (les cls). Les banches mesurent entre 1,50 m et 3 m de long pour une hauteur courante de 0,80 m 1 m et lpaisseur des murs est au moins gale 0,40 m. Le matriau utilis sans ajout deau prsente gnralement une granulomtrie htrogne et cest le compactage qui lui confre sa cohsion. Le fait quil soit sec permet de dmouler chaque banche peine termine et de construire la suivante car le travail seffectue en assises, en dplaant les banches latralement tout autour dune pice ou dun btiment (fig. 1). Les temps de schage entre les assises sont variables en fonction du climat et de la saison. Selon les priodes, les lieux, les habitudes constructives des maons, les dimensions des banches et des cls sont diffrentes et dautres matriaux que la terre peuvent intervenir. Le plus courant est la chaux sous la forme de cordons rpandus la priphrie des banches, soit entre les assises, soit parfois entre les lits de damage lintrieur de chaque assise. On trouve aussi, mais plus rarement, entre les lits de damage des ranges de dalles de pierres, de tessons de tuiles ou de cramiques qui donnent une meilleure accroche aux enduits (29). Laspect final dun mur de pis est celui dun appareil cyclopen de terre que lui confre la succession latrale et verticale des banches. La mise en vidence de certains indices, tels des limites de coffrage, des trous de cls, des lits de damage, ou encore dun matriau assez granuleux, conduit une interprtation qui nest pas contestable.

FIG. 1. CONSTRUCTION CONTEMPORAINE EN PIS au Maroc, rgion de Marrakech. Clich C.-A. de Chazelles.

29. Claire-Anne DE CHAZELLES et Franois GUYONNET, La construction en pis du Languedoc-Roussillon et de la Provence, du Moyen ge lpoque moderne (XIIIe-XIXe sicle) , dans changes transdisciplinaires sur les construcctions en terre crue, 2. Les constructions, p.109139.

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Jusqu une priode rcente, la construction en pis tait lie en France deux ensembles principaux, dune part le Forez (dpartement de la Loire) entre Lyonnais et Auvergne, o taient connus les plus anciens tmoignages dats du XIIIe sicle (30) et, dautre part les rgions de Lyon et du Dauphin, do proviendrait prcisment le terme pis (31). Lorigine de la technique semblait par consquent devoir tre recherche dans les valles du Rhne, de lIsre et de la Loire la fin de la priode mdivale. Les donnes sont totalement changes actuellement, depuis que des fouilles archologiques et que quelques dcouvertes de murs conservs dans du bti contemporain ont rvl lexistence de constructions en pis dans le sud de la France la mme poque que dans la Loire, voire antrieurement. Les premiers exemples remontent la fin du XIIe sicle Marseille (32), mais les dcouvertes foisonnent pour les deux sicles suivants, aussi bien en Roussillon (Perpignan) que dans lAude intrieure (La Digne dAval) ou sur le littoral mditerranen (Narbonne, Bziers, Montagnac, Lunel) (33) (fig. 2, 3 et 4). De lautre ct des Pyrnes, dans la Pninsule Ibrique, le pis ainsi que dautres solutions base de matriaux mouls qui en drivent ont t introduits et dvelopps par les Arabes et/ou les

FIG. 2. MUR DE PIS DU XIV

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SICLE NARBONNE,

chantier de la Mdiathque (Aude). Clich . Lal, P. Mellinand.

30. La maison dite de La Diana Montbrison (Caroline GUIBAUD, Larchitecture en pis dans le canton de Bon (Loire) , dans In Situ, revue en ligne, Ministre de la Culture, 2005), le prieur de Montverdun (Christian LE BARRIER, Montverdun (Loire). XIIIe sicle. Logis du prieur, construit partiellement en pis. Conserv en lvation , dans Y. ESQUIEU, J.-M. PESEZ (dir.), Cent maisons mdivales en France (du XIIe au milieu du XVIe sicle). Un corpus et une esquisse, Paris, 1998, p. 179-180) et une glise Saint-Marcellin en Forez (Jacky JEANNET et alii, Le pis. Patrimoine, restauration, technique davenir. Matriaux, techniques et tours de mains , Les cahiers de la construction traditionnelle, d. C.R.E.E.R., Nonette (s. d.), p. 32. 31. Ltymologie admise, par exemple dans le dictionnaire Robert, est celle du mot lyonnais signifiant broyer , attest au milieu du XVIe sicle. 32. Robert THERNOT, Muriel VECCHIONE, Les murs en pis banch dans lhabitat de Marseille au Moyen ge (fin XIIe sicle-dbut XIIIe sicle). Fouilles de la place Villeneuve-Bargemon , dans changes transdisciplinaires sur les constructions en terre crue. 1. Terre modele, p. 439-450. 33. Isabelle RMY, Des maisons de terre sur un lot du quartier Saint-Mathieu Perpignan (Pyrnes-Orientales). tude de bti. Diagnostic archologique, D.F.S., S.R.A. Languedoc-Roussillon, Montpellier, 1988, 2003, 87 p. Claire-Anne DE CHAZELLES, milie LAL, Les murs en terre crue dun faubourg mdival de Narbonne (XIIIe-XIVe sicles) , dans changes transdisciplinaires sur les constructions en terre crue. 1. Terre modele, p. 247-261. Olivier GINOUVEZ, Bziers. Habitations mdivales et modernes sur les vestiges de lamphithtre antique. Deux nouvelles tudes de cas, D.F.S., I.N.R.A.P., 2002. lian GOMEZ, Rue Matre Gervais, Bziers. Rapport de fouilles, S.R.A. Languedoc-Roussillon, Montpellier, 2005. Thierry LOCHARD, Denis NEPIPVODA, Jean-Louis VAYSSETTES, avec la collaboration de Claire-Anne DE CHAZELLES, Inventaire du patrimoine. Commune de Montagnac, inventaire de llot Saint-Michel. Rapport de synthse. D.R.A.C. Languedoc-Roussillon, 2005.

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FIG. 3. MUR DE PIS EN LVATION, DAT DU XIIIe-XIVe SICLE la Digne dAval (Aude). Clich C.-A. de Chazelles.

FIG. 4. MUR DE PIS EN LVATION SUR DEUX TAGES DUNE MAISON, XIIIe-XIVe SICLE. Montagnac (Hrault). Clich T. Lochard.

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Berbres ds le IXe sicle en Andalousie (34). En Catalogne, non musulmane, il semble que la construction en pis soit couramment pratique au moins au XIIIe et au XIVe sicle (35). mesure que simpose la logique dune propagation de la technique partir du Maghreb puis dAl-Andalus vers le nord de la pninsule et outre Pyrnes, lhypothse dun second foyer dinvention dans le Forez perd paralllement de sa crdibilit (fig. 5). En labsence dantcdent et de phase de ttonnements, lmergence soudaine et compltement matrise dune technique aussi spcifique et qui prsenterait l les mmes caractres quen Espagne semble douteuse. Aussi faut-il peut-tre dsormais envisager un dveloppement partir de la basse valle du Rhne (Marseille), mme si les tapes demandent tre prcises par larchologie. partir de la Renaissance, les situations voluent distinctement selon les rgions. Alors que les territoires rhodaniens au sens large (Valentinois, Dauphin, Lyonnais, Bresse) et lAuvergne continuent perfectionner larchitecture de pis qui sapplique non seulement lhabitat mais aussi toutes sortes ddifices publics civils et religieux (36), le Languedoc et le Roussillon paraissent dlaisser ce procd au profit des maonneries de pierre.

Pis XIIIe-XIVes. Bauge XIIIe-XIVes.

FIG. 5. ATTESTATIONS DE PIS ET DE BAUGE AUX XIIIe ET XIV

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SICLES en

France mridionale. Carte C.-A. de Chazelles.

34. Andr BAZZANA, Pierre GUICHARD, La construction en terre dans lEspagne musulmane : les tabiyas , dans Le patrimoine europen construit en terre et sa rhabilitation, colloque international E.N.T.P.E., Vaulx-en-Velin, 18-20 mars 1987, p. 99-119. 35. Carmen BATTLE, La maison barcelonaise au XIIIe sicle : caractristiques, techniques et matriaux , dans Cahiers de la Mditerrane, 31 (1985), La construction dans la Pninsule ibrique (XIe-XVIe), approche conomique et sociale, Universit de Nice, p. 35-53. Joan Albert ADELL i GISBERT, Notes per a lestudi de la tecnologia constructiva de lhabitat en el poblament medieval de lEsquerda , dans Ausa, X/102-104 (1982), p. 345-352. 36. Caroline GUIBAUD, Larchitecture en pis dans le canton de Bon ; Jacky JEANNET et alii, Le pis. Patrimoine, restauration, technique davenir ; Larchitecture de terre, btiments caractristiques de la rgion Rhne-Alpes, S.M.E., Rsonances, C.A.U.E. de lAin, Bourg-en-Bresse, 1983, 159 p.

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En Provence, des textes rdigs aux XVIIe et dbut XVIIIe sicle attestent la permanence de la technique lpoque moderne alors quactuellement aucune dcouverte ne lillustre concrtement (37). Les constructions en pis sont en revanche nombreuses pour la priode qui stend du milieu du XVIIIe sicle au dbut du XXe sicle dans des secteurs gographiques relis au Rhne et la Durance, de Carpentras Arles (38). Dans le sud-ouest du pays, lessor de larchitecture en pis actuellement dat du XVIe sicle pourrait remonter aussi au XIVe sicle, comme en Languedoc (39) et la pratique en a toutefois t conserve dans les dpartements des Hautes-Pyrnes et du Tarnet-Garonne jusqu laube du XXe sicle (40) (fig. 6).

FIG. 6. DPARTEMENTS RECLANT ACTUELLEMENT UN PATRIMOINE VISIBLE EN PIS ET EN BAUGE. Cartes C.-A. de Chazelles.

La construction en bauge la diffrence du pis qui se singularise par des caractristiques quasiment immuables travers lespace gographique europen et le temps, la bauge ne reprsente pas une technique unique mais une pluralit de techniques. Cette diversit explique les difficults que lon a longtemps prouves pour dcrire la construction en bauge. Le matriau de base est grosso modo toujours le mme, un mlange de terre et deau additionn de fibres vgtales ou animales, et le principe identique puisquon utilise cette pte sous une forme plastique. Toutefois, lavancement de la recherche au cours des dix dernires annes, favoris par un nombre rapidement croissant de dcouvertes, permet aujourdhui de classer sous le terme de bauge diffrentes manires de construire en terre massive, sans recours des coffrages.

37. Jean BOYER, Documents indits sur la construction de cabanes en Camargue aux XVIIe et XVIIIe sicles , dans Ethnologie franaise, t. VI, 2 (1976), p. 131-142. 38. Claire-Anne DE CHAZELLES, Franois GUYONNET, La construction en pis du Languedoc-Roussillon et de la Provence, du Moyen ge lpoque moderne (XIIIe-XIXe sicle) , dans changes transdisciplinaires sur les constructions en terre crue, 2. Les constructions, p. 109-139. 39. Toulouse, les fouilles du Museum ont effectivement mis au jour des murs de terre massive de cette poque qui peuvent tre en bauge ou en pis (Jrme BRIAND, Pascal LOTTI, Museum). Celles du Lyce Ozenne ont rvl des parois de terre dates du XVe sicle probablement coffres (Jean CATALO et alii, La maison canoniale , p. 389-404). 40. Alain KLEIN, La construction en pis procdant par banches appareilles, en Midi-Pyrnes. Fin XVIIIe-dbut XIXe sicle. Contribution la reconnaissance des diffrentes techniques , dans changes transdisciplinaires sur les constructions en terre crue. 2, Les constructions, p. 157-179.

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La mthode la plus rpandue de nos jours, que ce soit dans la construction contemporaine pour certains pays (Afghanistan, Ymen, Afrique Noire) ou au travers du patrimoine rcent, antrieur la seconde guerre mondiale, en Europe (Allemagne, Tchquie, Grande-Bretagne, Italie) y compris dans le quart nord-ouest de la France (en Normandie, Bretagne, Vende) et dans le sud-ouest (Haute-Garonne), consiste dresser de hautes assises par mottes juxtaposes ou projetes, soit laide de fourches, soit manuellement, en fonction de loutillage disponible. Les parements sont ensuite galiss, parfois par talochage de la terre encore humide, plus souvent par la retaille, le raclage ou le grattage du matriau sec, ce qui contribue effacer les indices du montage. La disparition des mottes et mme des assises peut alors donner aux murs un aspect compltement homogne (fig. 7). On a identifi ce type de construction dans des btiments tardo-mdivaux du Languedoc central, par exemple Montagnac (fig. 8) et Montpellier (41) ainsi qu Carpentras dans la valle du Rhne (42). Un second procd rpandu nagure en France (Haute-Garonne, Gers, Basse-Normandie, Hainaut) lve la bauge par assises minces, spares ou non par des lits de vgtaux. Des variantes se distinguent selon que les assises sont ralises de faon continue (couches filantes ) ou laide de pains de terre plus ou moins rguliers.

FIG. 7. MAISON EN BAUGE EN BASSE-NORMANDIE (Manche). Clich C.-A. de Chazelles.

41. Yann HENRY et alii, Dominium-Providence (Montpellier). Rapport de fouilles. S.R.A. Languedoc-Roussillon, 2007. 42. Le caractre encore isol des dcouvertes de Carpentras tient sans aucun doute aux alas de la recherche archologique et on peut esprer que peu peu les lacunes gographiques seront combles entre le Languedoc, Marseille et la moyenne valle du Rhne. (Nelly DUVERGER, Franois GUYONNET, Carpentras, lot Archier, 2e phase, tude partielle du bti, D.F.S., Service dArchologie du Dpartement de Vaucluse, Avignon, 2005, 41 p.).

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FIG. 8. MUR DE REFEND MONTRANT PLUSIEURS TATS : tat primitif en bauge massive indiqu par le pendage du pignon ; rattrapage form par plusieurs rangs de terre spars par des vgtaux ; surlvation en terre massive. Montagnac, Htel de Rosines (Hrault). Clich C.-A. de Chazelles.

Ce mode de fabrication reste bien lisible et ne pose pas de problme didentification mme si les parements ont t redresss. Au bas Moyen ge, il reprsente une spcificit des rgions occidentales du Languedoc-Roussillon (Carcasss, Razs, plaine du Roussillon, Biterrois) ainsi que le rvlent actuellement un patrimoine mdival bien conserv dans certains villages du bassin moyen de lAude (43) et de rcentes tudes de btiments (Perpignan, Bziers, Montagnac, Lunel (44) (fig. 8 et 9). Un dernier type de bauge qui ralise un compromis entre les deux autres procds correspond peut-tre des interprtations locales de ceux-ci. Les attestations actuelles que lon rencontre dans la rgion de Toulouse proviennent de btiments annexes plutt que dhabitations (45). Les parois sont constitues par un empilement de mottes ou de galettes, selon que les lments sont plus sphriques ou plus aplatis, avec des variantes infinies rsultant de la teneur en eau, de la prsence ou de labsence de vgtaux enrobant les mottes, de leur tassement ou de leur juxtaposition. Les parements ne sont habituellement pas retouchs. Quelques exemples ont t reprs

43. Dominique BAUDREU, Observations sur les constructions en terre crue dans lAude (Moyen ge et poque moderne) , dans Bulletin de la Socit dtudes scientifiques de lAude, t. CII (2002), p. 57-64, et Dominique BAUDREU, Habitats et fortifications en terre crue dpoque mdivale, dans le Midi de la France , dans changes transdisciplinaires sur les constructions en terre crue. 1. Terre modele, p. 359-375. 44. Franois GUYONNET, Rue de lAnguille. tude des lvations, Perpignan (Pyrnes-Orientales), D.F.S., I.N.R.A.P.-S.R.A. LanguedocRoussillon, Montpellier, 2001, 101 p. Franois GUYONNET, Aymat CATAFAU, La construction urbaine en terre aux XIIIe et XIVe sicles : lexemple de la rue de lAnguille (Perpignan) , dans changes transdisciplinaires sur les constructions en terre crue. 1. Terre modele, p. 389-411. ClaireAnne DE CHAZELLES, La bauge dans les constructions du Languedoc et du Roussillon daprs les tmoignages archologiques du Nolithique la fin du Moyen ge. Essai de synthse , dans E. PATTE et F. STREIFF (dir.), La bauge en Europe. Actes du colloque international dIsigny-surmer, 2007, p. 211-231. 45. Alain KLEIN, La construction en terre crue par couches continues, en Midi-Pyrnes. XVIe-XXe sicles. Contribution lidentification des techniques , dans changes transdisciplinaires sur les constructions en terre crue. 1. Terre modele, p. 417-437.

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FIG. 9. CONSTRUCTION PAR LITS DE BAUGE ALTERNS AVEC DES RANGS DE VGTAUX Bziers, XIVe sicle (Hrault). Clich C.-A. de Chazelles.

dans des immeubles du bas Moyen ge, o il sagit parfois de murs porteurs (Montagnac, fig. 10), mais frquemment de structures non porteuses dans lesquelles les mottes constituent le hourdis de pans de bois (Clermont-lHrault) ou des bouchages de portes (Perpignan). Si, linstar du pis, la bauge connat un essor remarquable au cours des XIIIe et XIVe sicles dans le cadre de faubourgs tablis autour des villes romanes, son anciennet sur le sol franais nest en revanche pas douteuse (fig. 5). En Roussillon, plusieurs dcouvertes signalent des usages diversifis entre le VIIe et le XIe sicle, avec des mises en uvre base de pains de terre et dautres sous des formes plus massives (46) ; dans le Bas-Razs (Aude), comme dans la plaine dArles, des habitats carolingiens ont montr aussi des structures de bauge massive (47). Enfin, des tudes consacres lhabitat rural de la valle du Rhne mettent en lumire lexistence dune architecture en terre crue, localise entre Valence et Montlimar. Dans cette rgion, et pour cette priode, si lemploi du pis na pas pu tre dmontr, il est en tout cas certain quune partie des constructions difies entre le Xe et le XIIe sicle au moins celles dont les murs pais de 0,80 m ne disposaient pas de solin en pierre tait en bauge (48).

46. Des fouilles prventives ralises sous la direction de lI.N.R.A.P. Canohs et Villeneuve-de-la-Raho (Pyrnes-Orientales) ont livr dans le premier cas des fondations de parois et dans le second une impressionnante muraille en terre massive : Jrme KOTARBA, Cline JANDOT, Stphanie RAUX, Rapport dintervention sur le site de Manresa, Canohs (66), I.N.R.A.P.-S.R.A. Languedoc-Roussillon, 2005. Cline JANDOT et alii, Rapport dintervention sur le site de Villeneuve-de-la-Raho (66), I.N.R.A.P.-S.R.A. Languedoc-Roussillon, 2006. 47. Dominique BAUDREU, Habitats et fortifications en terre crue dpoque mdivale , p. 359-375. Jrme KOTARBA, Quelques donnes sur lhabitat en terre dpoque carolingienne dAugry de Corrges (Arles, Bouches-du-Rhne) , dans changes transdisciplinaires sur les constructions en terre crue. 1. Terre modele, p. 385-388. 48. lise FAURE-BOUCHARLAT, Alban HORRY, La maison des champs entre Rhne et Alpes (Xe-XIIe sicles) , p. 211. lise FAUREBOUCHARLAT, Jacques-Lopold BROCHIER, Les tablissements ruraux : implantation, organisation et architecture , p. 264-275.

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Aprs la priode mdivale, larchitecture en bauge semble connatre un fort recul dans la majeure partie des rgions mridionales de la France. Elle reste nanmoins peut-tre en usage en Provence rhodanienne tout comme le pis, selon le sens donn au mot tapie dans certains prix-faits des XVIIe et XVIIIe sicles (49) et elle se maintient en tout cas sans quivoque dans les dpartements de Midi-Pyrnes o elle sillustre par un riche patrimoine difi entre le XVIe et le dbut du XXe sicle (50). Paradoxalement, ce sont des rgions de louest de la France Normandie, Bretagne, Vende o les techniques de la terre massive ne sont pas encore connues pour le Moyen ge qui reclent le plus grand nombre de btiments en bauge des XVIIIe et XIXe sicles. Il est clair que dans le contexte urbain de la fin du Moyen ge les procds de construction base de terre crue permettent demployer des matriaux disponibles sur place (gratuits, sans transport) pour raliser des immeubles de faon rapide et peu onreuse. Le mme matriau se pliant diffrents types de mises en uvre, les choix dune technologie ou une autre sont encore expliciter : motivation culturelle, savoir-faire des maons, faisabilit sur place, etc., dautant plus que la prsence conjointe de murs en bauge et en pis est parfois observable dans une mme unit btie : Perpignan (rue de lAnguille et lot Saint-Mathieu), Bziers (Htel de la Mercy), Montagnac, Lunel En ce qui concerne la bauge, tant la diversit des FIG. 10. DANS LA PARTIE INFRIEURE DU MUR EN BAUGE, MOTTES procds que lexistence dattestations remontant au FAONNES MANUELLEMENT. MONTAGNAC (Hrault). Clich C.-A. de e VII sicle permet denvisager des origines locales, Chazelles. autochtones, avec des solutions techniques adaptes la fois aux matriaux du sous-sol et aux savoir-faire locaux. On note des volutions sensibles vers des procds distincts, propres des petites entits rgionales, sans doute amorces au cours du Moyen ge et en tout cas avres la fin de la priode (technique des couches minces avec lits de vgtaux, technique des mottes agglomres en hautes assises). Il en va diffremment du pis, ou terre banche, car au vu des donnes dont on dispose aujourdhui la technique parat bien emprunte une autre culture. Les arguments qui psent en faveur de cette hypothse sont, en premier lieu, labsence de vestiges antrieurs la fin XIIe-dbut XIIIe et, par consquent, une apparition qui semble la fois rapide et trs dissmine sur le territoire (La Digne dAval, Perpignan, Narbonne, Bziers, Montagnac, Lunel, Marseille, Montbrison). En second lieu, les caractres standardiss des piss rencontrs en ces diffrents points de France confortent lide quil sagit de la transposition dun modle et cest videmment larchitecture musulmane (arabe ou arabo-berbre) dveloppe en Espagne et en Afrique du Nord qui sert de rfrence. La prudence incite toutefois envisager aussi un dficit des donnes archologiques et historiques pour les priodes antrieures au XIIIe sicle. Il faut souhaiter que les recherches futures parviennent tablir de quelle manire et par quels vecteurs, sil sagit bien dun emprunt technologique, sest opre cette transmission et quels en ont t les itinraires.

49. Jean BOYER, Documents indits sur la construction de cabanes en Camargue aux XVIIe et XVIIIe sicles , p. 131-142. Claire-Anne DE CHAZELLES, Franois GUYONNET, La construction en pis du Languedoc-Roussillon et de la Provence , p. 109-139. 50. Alain KLEIN, La construction en terre crue par couches continues, en Midi-Pyrnes. XVIe-XXe sicles , p. 417-437.

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Archier 4

Piquepeyre 2

3

CARPENTRAS CARPENTRAS Localisation des lotissement mdivaux tudis Localisation des lotissements mdivaux tudisF. Guyonnet (S.A.D.V.) Mai 2006(XIIe s.?) Localisation de la enceinte (XIV s.) Localisation de la secondeseconde enceinte (XIVe s.)e

NO RD

F. Guyonnet (S.A.D.V.) mai 2006

Localisation de la premire enceinte Localisation de la premire enceinte (XIIe s. ?)

0

50

100m

Portes de lenceinte du XIV s. Portes de l'enceinte du XIVe s. 1. porte dOrange 1:porte ded'Orange 2. porte Monteux 2:porte Notre-Dame 3. porte de Monteux 4. porte Mazan 3:porte deNotre-Dame 4: porte de Mazane

Ville romane Ville romane

Zone d'extension de la ville XIIIe-XIVe s. Zone dextension de la ville XIII -XIV s. (Lotissements en terre)ee

Habitats enen terre tudis ou Habitats terre tudis ou reprs

reprs

FIG. 11. CARTOGRAPHIE DES LOTISSEMENTS EN TERRE DE CARPENTRAS (Vaucluse). F. Guyonnet.

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Larchitecture des maisons en terre massive la fin des annes 1990, les informations sur la construction en terre crue dans lhabitat civil taient trop lacunaires pour permettre aux chercheurs de dvelopper une rflexion aboutie sur ce type darchitecture. La courte synthse propose sur ces problmatiques de la maison en terre au Moyen ge dans Cent maisons mdivales en est lillustre exemple (51). Cet aspect particulier de la maison mdivale apparat depuis le changement de sicle avec des dcouvertes qui se sont multiplies un rythme soutenu dans la premire moiti de la dcennie si bien quil est dsormais possible de commencer mesurer lampleur du phnomne de construction en terre dans nos villes mdivales et de retracer les grandes lignes directrices de cette architecture vernaculaire. Lessentiel de ces nouvelles donnes sur larchitecture de terre mdivale provient du milieu urbain et correspond la phase dextension des agglomrations situe entre le dbut du XIIIe sicle et le milieu du XIVe sicle.

PERPIGNAN RUE DE LANGUILLE N 8 rue de lAnguille N 3 rue J. Denis Coupe longitudinale Localisation des structures en terreFranois Guyonnet (Afan novembre 2000)

FIG. 12. LOT DU QUARTIER SAINT-JACQUES DE PERPIGNAN (Pyrnes-Orientales) : coupe transversale. Relev F. Guyonnet.

51. Jean-Marie PESEZ, La construction en terre crue , dans Yves ESQUIEU et Jean-Marie PESEZ (dir.), Cent maisons mdivales, p. 6768.

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Ainsi, larchologie permet, par la varit de ses interventions (reprages, fouilles, tudes du bti, etc.) de mieux connatre les quartiers de lotissements mdivaux et de montrer les particularismes lis au mode de construction en terre. La consquence est un renouvellement de notre perception de ces nouveaux quartiers de la ville mdivale (fig. 11) : aurait-on pu imaginer il y a encore cinq ans que la moiti de la superficie de Perpignan ou de Carpentras tait couverte de maisons en terre au dbut du XIVe sicle ? Lanalyse architecturale de ces maisons en tpia se fonde sur la qualit des informations apportes par les tudes archologiques du bti. Il est vident que les interventions de ce type ont gnr une documentation de premier plan qui offre des possibilits importantes de rflexion et de restitution. En effet, lorsquun immeuble tudi livre des lvations compltes (pans de toitures, traces de poutraisons, etc.), fossilises dans les surlvations tardives (fig. 12), il est possible de pousser lanalyse plus loin avec lavantage dun contexte de recherches qui est nettement favoris par laspect sriel de cette forme darchitecture conue pour rpondre des besoins durbanisation rapide. Mais ces dcouvertes rcentes, mme si elles rvolutionnent dune certaine manire la proportion entre la construction en pierre et en bois et celle en terre, peuvent paratre rductrices certains gards. Il est vident que lclairage archologique est uniquement apport pour une priode bien prcise, sur les quartiers de lotissements qui aujourdhui font lobjet dinvestigations lies leur rhabilitation croissante aprs des dcennies de pauprisation (fig. 13). Pour dautres FIG. 13. UNE RUE DU QUARTIER SAINT-JACQUES DE PERPIGNAN quartiers urbains ou pour le monde rural, les donnes ne (Pyrnes-Orientales). Clich F. Guyonnet. sont pas encore la hauteur de nos esprances. Or, le processus de construction des lotissements en terre des quartiers suburbains mdivaux pourrait tre aisment transpos en milieu rural. Il ny a aucune raison pour que les villages ou lhabitat dispers du XIIIe et du dbut du XIVe sicle naient pas fait appel aux techniques de construction en terre. Un parallle contemporain peut tre mis en vidence pour illustrer cette hypothse: partir du dbut du XIXe sicle on assiste en Vaucluse un grand mouvement de colonisation de lespace rural par de nouvelles et nombreuses exploitations agricoles qui se substituent aux grands domaines de lAncien Rgime (52). La rponse architecturale ce dveloppement est alors apporte par la technique du pis, rapide et peu onreuse. Larchologie rurale pourra probablement livrer lavenir des dcouvertes dhabitats en terre, par exemple sur des sites dserts au milieu du XIVe sicle. Enfin, on peut lgitimement sinterroger sur les noyaux urbains constitus antrieurement au XIIIe sicle. lvidence, lorsque lon tend les villes par de nombreux lotissements en terre (Carpentras, Perpignan, Narbonne, Toulouse, Montpellier, etc.), on assiste en parallle une reconstruction massive de lhabitat situ lintrieur des anciennes enceintes dpoque romane (53). Les matriaux utiliss dans la construction sont les plus nobles (pierre, brique) et contribuent diffrencier, au travers de larchitecture, les lites urbaines et les populations de souche des nouveaux arrivants. Bien videmment ce constat implique une hirarchisation du matriau: dans cette perspective, la terre crue est lapanage du pauvre ou du nouveau venu.

52. Claire-Anne DE CHAZELLES et Franois GUYONNET, La construction en pis , p. 109-139. 53. Cf. les travaux sur lhabitat mdival Montpellier et Toulouse : Bernard SOURNIA et Jean-Louis VAYSSETTES, Montpellier : la demeure mdivale, Paris, 1991 (tudes du Patrimoine, n 1). Anne-Laure NAPOLONE, Les maisons romanes de Toulouse dans A.M.M., t. 6 (1988), p. 230-232 ; Les maisons gothique de Toulouse , ibid., t. 8-9, p. 121-127.

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Cependant, un tel constat, sans doute un peu trop simpliste, peut tre nuanc puisque les textes ou larchologie apportent des informations qui tmoignent de lutilisation de la terre conjointement avec la pierre (54). Ainsi, dans la demeure mdivale de qualit des XIIIe-XIVe sicles, il nest pas rare de trouver des parties secondaires difies en terre crue (cloisons, murs de refend, annexes, etc.) qui permettent une substantielle conomie de moyens. Mais plutt quune imitation honteuse dun mode de construction gnralis dans les quartiers en marge, lutilisation restreinte de la terre dans la maison mdivale patricienne du XIIIe sicle ne serait-elle pas le dernier soubresaut dune habitude sculaire ? Par consquent, on peut se poser la question de la place de larchitecture de terre dans lhabitat urbain des XIe et XIIe sicles. nouveau larchologie contribue clairer notre discours : il est probable qu Valence, la construction en terre ait t gnralise entre lAntiquit et le Moyen ge tandis qu Marseille la terre semble largement utilise ds le XIIe sicle, dans des quartiers commerants et industrieux du centre de la ville romane (55). Aprs ces quelques considrations gnrales sur le contexte dtude de larchitecture en terre mdivale, il convient de prsenter laspect le plus important de lavance de la recherche dans ce domaine : le lotissement et sa maison.

La maison en terre massive dans les lotissements des

XIIIe

et

XIVe

sicles

Nous lavons dj voqu : larchologie a rcemment contribu de faon remarquable mettre en vidence la maison en terre difie dans des zones de lotissements qui caractrisent lexpansion territoriale des villes entre le XIIIe et le milieu du XIVe sicle. Le hasard des dcouvertes, sil ne permet pas davoir une vue exhaustive sur la globalit des villes du sud de la France, apporte cependant suffisamment dindices pour pouvoir mesurer limportance des constructions en terre dans ces quartiers et pour en tirer les conclusions qui simposent. On constate que des villes et non les moindres comme Montpellier (56), Toulouse (57), Narbonne (58), Bziers (59), Carcassonne (60) et Marseille (61) sont touches par la construction en terre dans les quartiers de faubourgs alors que des villes comme Perpignan (62) ou Carpentras (63) semblent stendre exclusivement avec ce type darchitecture. Bien videmment les agglomrations secondaires et les villages paraissent suivre lexemple de leurs grands voisins. Ainsi, ce constat a pu tre tabli rcemment pour les centres anciens de Trbes dans lAude et de Montagnac ou Lunel dans lHrault o lextension de la superficie villageoise est caractrise par ce mode de construction en terre (64).

Le lotissement en terreAucune spcificit propre au mode de construction en terre ne semble dicter lorganisation du lotissement. On trouve la mme diversit dimplantation du parcellaire que dans dautres quartiers comparables o la terre nest pas choisie comme matriau. Ainsi, les lotissements de Montferrand, difis en pierre (65) ou dAvignon

54. Tel semble tre le cas Barcelone et Marseille : C. BATTLE, La maison barcelonaise , p. 46. Robert THERNOT et Muriel VECCHIONE, Les murs en pis , p. 439-450. 55. Jacques-Louis BROCHIER, La place de larchitecture de terre , p. 63-66. Robert THERNOT et Muriel VECCHIONE, Les murs en pis , p. 439-450. 56. Yann HENRY et alii, Dominium-Providence (Montpellier) . 57. Jrme BRIAND, Pascal LOTTI (dir.), Museum dHistoire Naturelle, Toulouse . 58. Claire-Anne DE CHAZELLES et milie LAL, Les murs en terre crue dun faubourg , p. 247-261. 59. Olivier GINOUVEZ, Bziers. Habitations mdivales . lian GOMEZ, Rue Matre Gervais, Bziers, Rapport de fouilles. S.R.A. Languedoc-Roussillon, Montpellier, 2005. 60. Renseignement Dominique Baudreu. 61. Robert THERNOT et Muriel VECCHIONE, Les murs en pis , p. 439-450. 62. Franois GUYONNET et Aymat CATAFAU, La construction urbaine en terre , p. 389-411. Isabelle REMY, Des maisons de terre , 87 p. Franois GUYONNET, Les maisons en terre de la rue de lAnguille Perpignan : du lotissement mdival au secteur sauvegard , dans Roches ornes, roches dresses : colloque en hommage Jean Abelanet, Perpignan, 24-25 Mai 2001. A.A.P.O. Perpignan, Presses Universitaires, 2005, p. 497-512. 63. Claire-Anne DE CHAZELLES et Franois GUYONNET, La construction en pis , p. 109-139. Nelly DUVERGER et Franois GUYONNET, Carpentras, lot Archier, 2e phase 64. Claire-Anne DE CHAZELLES et Franois GUYONNET, La construction en pis , p. 109-139. Pour Montagnac et Lunel, tudes en cours indites. 65. Pierre GARRIGOU-GRANCHAMP, Les maisons urbaines du Xe au milieu du XIIIe sicle , dans La Maison au Moyen ge dans le Midi de la France, Actes des journes dtude de Toulouse, mai 2001, M.S.A.M.F., Hors srie 2002, Toulouse, 2003, p. 75-107.

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FIG. 14. LOTISSEMENTS DU QUARTIER SAINT-JACQUES DE PERPIGNAN (Pyrnes-Orientales) : plan de masse. Dessin F. Guyonnet.

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difis en pans de bois (66) ne sont-ils pas vraiment diffrents de ceux de Perpignan ou de Carpentras. Dans ces deux dernires villes, le dveloppement des quartiers suburbains parat trs rapide ou du moins semble dbuter par un changement de statut de la cit lorsque Perpignan accueille la rsidence de la cour aragonaise ou que Carpentras reoit le Recteur et ladministration du nouvel tat pontifical (fig. 14). Ce dynamisme dune ville soudain porte sur le devant de la scne politique se caractrise en partie par une explosion dmographique dont les consquences se traduisent par un besoin exponentiel de logements. On doit construire beaucoup, vite et au prix le plus attractif pour des populations laborieuses de condition modeste. Dans le cadre de lurbanisme, la rponse est celle du lotissement que lon conjugue avec les solutions architecturales de la terre massive. Grce lexemple du bourg avignonnais on connat le principe directeur de la formation dun lotissement au dbut du XIVe sicle. Le propritaire dun terrain dcide de le morceler en plusieurs parcelles quil concde des particuliers moyennant le versement dune acapte, autrement dit, un engagement payer un cens annuel et lengagement de construire dans un certain dlai (67). Ces propritaires de lotissements peuvent avoir diffrentes origines : bourgeois et nobles, ordres religieux et peut-tre mme le roi dans le cas de Perpignan. Les populations qui font construire les maisons en terre sapparentent un proltariat ou la partie laborieuse des classes moyennes, pour reprendre une terminologie actuelle. Dans le cas du quartier Saint-Jacques de Perpignan, la population est compose de petites gens et dune grande proportion dexclus dont les Juifs qui sinstallent massivement sur les pentes du puig partir de 1251. Limplantation du lotissement sur un terrain est galement conditionne par un schma directeur qui dpend du rseau viaire. Celui-ci peut tre cr ex-nihilo comme cela semble tre le cas Perpignan pour les quartiers Saint-Jacques et Saint-Mathieu, lexception probable dune ou deux anciennes grandes voies daccs la ville. Lexemple de Carpentras est bien diffrent puisquil sagit dune ville antique dont la superficie sest rtracte entre lAntiquit tardive et les premiers sicles du Moyen ge. Il apparat que la cration de lotissements sest probablement traduite par une reconqute de lespace urbain perdu depuis la fin de lAntiquit. Cest sur des parcelles agricoles, pouvant conserver la trace de la cadastration romaine, que les lotissements en terre ont t implants en bordure de chemins dont le trac reprenait celui des rues de la ville antique. Le lotissement est divis en parcelles contigus, alignes les unes aux autres et gnralement disposes perpendiculairement la rue (fig. 15). Perpignan, les lots ont une largeur lgrement suprieure 20 m entre deux rues. Les parcelles ne sont pas traversantes car spares au centre de llot par un mur mitoyen qui dtermine de chaque ct une maison denviron 10 m de profondeur pour une largeur moyenne de 5 m. Les lotissements de Carpentras sont diffrents dans la mesure o la largeur dun lot entre deux rues dpasse rgulirement 30 m. Ds lors, lclairage de la maison, place perpendiculairement la rue, ncessite la prsence dune cour en cur dlot. Cette disposition parat rcurrente dans ces lotissements de Carpentras o les maisons dune largeur moyenne de 5 m ont une profondeur variable. Le faubourg de Belvze Narbonne, probablement contemporain, semble connatre une disposition assez similaire alors que les lots tudis sur le site de Villeneuve-Bargemon Marseille, plus anciens (XIIe-XIIIe sicle) sont nettement diffrents avec des parcelles traversantes denviron 12 m et des maisons qui ne sont pas systmatiquement accoles. Ces quelques exemples prouvent la diversit du mode dimplantation des lotissements en terre et de leur organisation interne. Il convient cependant dinsister sur la juxtaposition des maisons construites souvent en srie et sur leurs dimensions, variant entre 3,5 et 7 m de large pour 9 15 m de long.

Larchitecture de la maison en terre de lotissementLes tudes conduites Perpignan et Carpentras nous ont apport les lments essentiels pour esquisser une restitution fiable de ces maisons en terre. La plupart des murs mitoyens taient conservs avec, bien souvent, les pentes de toitures miraculeusement prserves par les surlvations postrieures au Moyen ge ainsi que les traces dencastrement des planchers et des pannes de charpente (fig. 16). Avec ces indications on peut prciser que la maison ne dpassait pas 6 m dlvation en rive de toiture sur la rue pour 9 m au maximum en fatage. Ces dimensions modestes permettaient cependant lagencement de deux, voire trois niveaux : un rez-de-chausse, ventuellement consacr une activit professionnelle (atelier, entrept, commerce, etc.), un tage pour lhabitat

66. Dominique CARRU, Anne HASLER et Isabelle CARTRON, Avignon, rue Carreterie , dans Notes dInformation et de liaison de la Direction des Antiquits de la Rgion P.A.C.A., 1990, Aix-en-Provence, 1991, p. 169-171. 67. Anne-Marie HAYEZ, Les bourgs avignonnais du XIVe sicle , dans Bulletin philologique et historique du C.T.H.S., Paris, 1975, p. 77-102.

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PERPIGNAN Quartier Saint-Jacques Rue de lAnguille Essai de restitution du parcellaire mdivalFranois Guyonnet (Afan, novembre 2000)

lots

FIG. 15. ESSAI DE RESTITUTION DU PARCELLAIRE DUN LOTISSEMENT DE PERPIGNAN (Pyrnes-Orientales). Dessin. F. Guyonnet.

et enfin, un tage bas de plafond servant de grenier ou un demi tage de comble, conu comme une mezzanine (fig. 17). partir de ce module de base, on trouve quelques variantes o des murs de refend, perpendiculaires aux mitoyens, peuvent exister. Bien que cela nait jamais t clairement identifi, il y a de fortes probabilits pour quun mur qualifi de mitoyen soit en dfinitive un simple refend longitudinal. La maison serait ainsi constitue de deux modules dont la largeur est avant tout dicte par la porte maximale de petites poutres de faible section (maximum 5 m). Un mur en terre construit sur une srie darcs, tudi dans un lotissement de Carpentras pourrait tout fait correspondre ce schma (fig. 18). Dans un autre registre, on peut avoir un mur mitoyen ltage qui spare deux cellules dhabitations distinctes alors quau rez-de-chausse, ce mur est perc douvertures qui relient deux pices associes. nouveau, lexemple des largeurs de parcelles, on saperoit que sous une apparence strotype, larchitecture de ces maisons en terre peut prsenter une varit de formes et de dispositions intrieures quil est encore trs difficile de comprendre. lexception dun exemple observ Montagnac, il semblerait que les maisons en terre ne possdaient pas de cave et ceci pour des raisons structurelles et dconomie. En effet, une excavation dans le prolongement des murs ncessite un solide confortement en pierre dont la ralisation parat disproportionne par rapport llvation de la maison. Toutefois, on ne peut pas exclure la possibilit dune cave trs rduite, situe au centre de la parcelle et couverte dun plancher. Lassise de la maison peut tre de diffrente nature : construite en pierre avec ou sans fondations ou bien constitue par le mur de terre directement pos sur le sol. Le plus souvent on trouve un soubassement en pierre, de hauteur variable et qui peut atteindre parfois le premier plancher (Bziers, lot Saint-Mathieu Perpignan). Les dparts de la maonnerie de terre au niveau du sol sont plutt lexception (lot Saint-Mathieu Perpignan,

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1. Trmie chemine XVIe s. 2. Moulure faux-plafond XVIIIe s. 3. Potager 4. Niches 5. Niveau plancher mdival ?

FIG. 16. LVATION EN TERRE conserve dans une maison du quartier Saint-Jacques de Perpignan (Pyrnes-Orientales). Relev F. Guyonnet et Richard Pell (Afan, novembre 2000).

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PERPIGNAN Quartier Saint-Jacques Rue de lAnguille Essai de restitution des maison en terre (XIIIe-XIVe s.)Franois Guyonnet (Afan, novembre 2000)

FIG. 17. ESSAI DE RESTITUTION DE LARCHITECTURE DES MAISONS DE LOTISSEMENT DU QUARTIER SAINT-JACQUES de Perpignan (Pyrnes-Orientales). Relev et dessin F. Guyonnet.

Narbonne). Les fouilles archologiques prennent ici le relais des tudes de bti pour nous renseigner sur ce sujet. Narbonne et Perpignan (lot Saint-Mathieu), les deux cas de figures sont illustrs. Lexemple du site de Villeneuve-Bargemon Marseille est galement loquent puisque lon rencontre plusieurs cas distincts de fondations en tranches surmontes dun soubassement de prparation la pose du pis. La faade sur rue ou sur cour de la maison en terre mdivale est un autre sujet de questionnement pour larchologue. En effet, les lotissements de Perpignan et de Carpentras, ce jour les mieux documents, nont livr aucune faade en terre car elles ont systmatiquement t reconstruites la fin du Moyen ge ou lpoque moderne. Pour cette raison, ltude de la maison en terre de lotissement ptit de labsence concrte dindications sur la structure et laspect de ces faades. Les diffrents indices dont nous disposons grce aux donnes de fouilles ou du bti, conjugus des comparaisons avec des difices en terre rcents, nous orientent vers quelques pistes privilgies. La faade en terre existe assurment car les fouilles de Narbonne, de Bziers et de Marseille lattestent et aussi parce que le bti dpoque moderne et contemporaine est prsent pour en tmoigner (68). Une premire hypothse simpose : les faades des maisons de lotissement taient intgralement construites en terre ou sur un rez-de-chausse en pierre, et ont disparu progressivement car la prsence de multiples ouvertures attnue leffet de masse du mur et par consquent nuit la rsistance de lensemble. Lors de la surlvation des maisons, le choix sest orient vers une destruction-reconstruction contrairement aux murs mitoyens. Lautre consquence de ces destructions est la disparition frquente des ouvertures perces en faade. On sait pourtant quune grande disparit de techniques permet de placer les baies dans un mur de terre : on trouve des ouvertures encadrement

68. Signalons quil est impossible en fouille de diffrencier un mur en terre sur rez-de-chausse en pierre dun mur intgralement construit en maonnerie de pierre. Pourtant ce type de faade existe ds le Moyen ge. On peut citer deux exemples notables de faades en terre sur un rez-de-chausse en pierre : lun Trbes (XIVe sicle) et lautre Bziers (XIVe sicle). lian GOMEZ, Rue Matre Gervais .

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FIG. 18. RELEV ET ESSAI DE RESTITUTION DUN MUR EN TERRE SUR ARCADES DE CARPENTRAS (Vaucluse). Relev N. Duverger, fvrier 2005.

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FIG. 19. FAADE PARTIELLEMENT EN TERRE (aujourdhui dtruite) avec deux baies gmines gothiques en pierre de taille Trbes (Aude). Clich J. Moreno.

de pierre ou de bois, insres dans le mur de terre ds sa ralisation (fig. 19), ou bien un simple vide amnag entre deux pans de terre massive (Trbes, Bziers, Narbonne) (69). Une deuxime hypothse peut tre propose et nest dailleurs pas incompatible avec la premire : il sagit de la prsence dun encorbellement ltage reposant sur une lvation de terre ou de pierre au rez-de-chausse. Cette proposition de restitution sappuie dune part sur les exemples de Perpignan et de Carpentras ou la largeur des rues mdivales (4,5 m) permet aisment une confrontation de deux faades de ce type de chaque ct de la rue. Dautre part, cette hypothse se fonde sur la prsence de pans de bois en encorbellement plus rcents dans ces quartiers ou leur priphrie (70). Bien videmment, une multitude de solutions techniques soffrait aux btisseurs pour difier ltage en surplomb. Des piliers en pierre ou en bois (pouvant galement servir de jambages des portes) devaient ventuellement se situer dans le prolongement des murs latraux en terre (fig. 20), pour recevoir des pices de bois de soutnement de la partie suprieure de la faade (71).

69. titre comparatif, on peut signaler un exemple de fentre gmine gothique dans une lvation en pis, LArboar de Baix, en Catalogne : Joan Albert ADELL I GISBERT, Notes per a lestudi , , p. 345-352. 70. Perpignan, la plupart des pans de bois encorbellement conservs dans certains quartiers du centre ancien sont plus rcents (XVeXVIe) alors qu Carpentras des vestiges de ce type ont t rencontrs sur les premiers remaniements des maisons en terre que lon date du courant du XIVe sicle. 71. Sur une maison du quartier Saint-Jacques de Perpignan, un exemple de pilier situ lextrmit dun mur en terre tait conserv. Cependant, bien que daspect mdival, on ne peut assurer que ce pilier ai t plac simultanment avec llvation en terre.

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PERPIGNAN (66) Rue de lAnguille Essai de restitution dune faade mdivale Hypothse dun encorbellement reposant sur des piliersF. Guyonnet (Afan, novembre 2001)

FIG. 20. ESSAI DE RESTITUTION DUNE FAADE DUNE MAISON DE LOTISSEMENT DE PERPIGNAN (Pyrnes-Orientales). Dessin F. Guyonnet.

Les planchers et la charpente dans ces maisons de terre taient trs rudimentaires. On peut supposer que le bois duvre utilis tait compos de simples grumes de faible section et de porte rduite. Les planchers taient constitus de solives espaces denviron 0,25-0,30 m ; une conception qui ne ncessitait pas de poutre intermdiaire en renfort dans les parcelles dont la largeur nexcdait pas 5 m. Dans le cas inverse on pouvait ajouter deux piliers (en faade et au centre de la pice) pour soutenir deux poutres sur lesquelles reposaient deux rangs de solives. La disposition intrieure est parfaitement inconnue mais on peut suggrer une trmie en bois pour un escalier et des chemines. Le cloisonnement pouvait tre galement conu en terre ou bois et torchis. La charpente ne diffre pas de la simplicit des planchers : des pannes sont places en travers de la maison et dcrivent une faible pente situe entre 25 et 30 %. Les traces de pannes repres dans le quartier Saint-Jacques de Perpignan dmontrent nouveau que les constructeurs cherchaient lconomie de matriaux en choisissant desFIG. 21. ARCADE EN PIERRE DE TAILLE place dans un mur en terre Carpentras (Vaucluse). Cl.ich F. Guyonnet.

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FIG. 22. ESSAI DE RESTITUTION DES FAADES DUNE MAISON DE LOTISSEMENT CARPENTRAS (Vaucluse). Relev et dessin F. Guyonnet, novembre 2003.

poutres de petite section (0,25 m) places distance rapproche et sur lesquelles taient disposs dinvitables chevrons. La couverture pouvait reposer directement sur des chevrons si elle tait constitue de tuiles comme laisse penser les dcouvertes du faubourg du Morier Marseille. Une autre solution est propose partir des observations de Carpentras o la partie sommitale dun mur latral de maison possdait encore une dcoupe en escalier, interprte comme les traces de pose de grandes voliges pouvant tre couvertes de chaume. Les modifications de ces maisons en terre, conues pour de nouveaux arrivants dans des villes en plein dveloppement, interviennent trs rapidement. Les recherches dans le quartier Saint-Mathieu de Perpignan, comme Montagnac, montrent que lon surlve en terre les maisons primitives pour crer un niveau supplmentaire ou pour permettre la construction dun lot voisin dont lorientation de toiture change. Carpentras, on remarque que les maisons construites en terre sont massivement perces darcades en plein cintre au rez-de-chausse (fig. 21). Le percement a posteriori pour la plupart dentre elles, est attest par la forme des brches qui sont pratiques dans les murs de terre, colmates avec des matriaux htroclites aprs la pose de larc. Ces percements darcs sont associs des reconstructions de faades en encorbellement et en pans de bois (fig. 22). Le processus de remembrement des rez-de-chausse de Carpentras est si important quil est dlicat de situer la limite de ces nouvelles parcelles. Une impression de transformation du lotissement primitif en immense souk lorientale ressort de la restitution parcellaire que lon peut baucher pour cette phase dvolution datant probablement du milieu du XIVe sicle (fig. 23). Les arcades permettent la circulation entre danciennes pices exigus devenant des entrepts ou des ateliers de grande taille qui dbouchent bien souvent sur de vastes cours. Les transformations vont se poursuivre dans ces lotissements qui ont rsist la chute de la population au milieu du XIVe sicle. partir du XVe sicle plusieurs parcelles dorigine sont rassembles pour dfinir de vastes maisons avec cour o lon difie un escalier vis desservant deux tages supplmentaires construits en pan de bois (Carpentras).

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Fin XIIIe-dbut XIVe s.

Milieu/fin XIVe s.

Fin XXe s.

FIG. 23. ESSAI DE RESTITUTION DU PARCELLAIRE ET DE LARCHITECTURE dune maison de lotissement Carpentras (Vaucluse). Dessin F. Guyonnet.

Perpignan lvolution est similaire car, ds la fin du Moyen ge, les lotissements du quartier Saint-Jacques se transforment progressivement en une srie de maisons assez vastes et confortables, conues comme un modle rduit dhtel particulier partir de quatre ou six maisons mdivales remembres au centre desquelles on perce une cour. trangement, ces ensembles constitus entre les XVe et XVIIIe sicles se dsagrgent au XIXe sicle pour retrouver une disposition parcellaire presque quivalente celle du lotissement mdival.

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ConclusionSi larchologie permet aujourdhui de dtailler et de gnraliser de nombreux aspects des maisons mdivales en terre situation urbaine, types dhabitat, modles architecturaux, procds de mise en uvre ces connaissances ne concernent encore quune frange chronologique limite au Moyen ge tardif et des contextes essentiellement citadins. Dimportantes lacunes restent combler, pour cette priode en ce qui concerne lhabitat rural et, pour les phases antrieures, afin dtablir la gense de ces architectures tant du point de vue morphologique que de celui des modes de construction base de terre crue. En outre, le lien nest pas encore tout fait tabli entre la construction en terre mdivale et celle des poques modernes et contemporaines. Ce constat est particulirement vrifiable en Provence o la construction en terre semble disparatre partir du XVe sicle pour resurgir la fin du XVIIIe sicle sous une autre forme, essentiellement rurale, avec lemploi exclusif de la technique du pis. On mesure ici limportance de la poursuite des recherches, notamment en direction des rgions Rhne-Alpines o lart de btir en terre ne semble stre jamais interrompu. Bien videmment, notre attention se porte prioritairement sur les nombreux centres anciens des villes et villages du sud de la France o le suivi, par des archologues, des travaux de rhabilitation ou de restructuration urbaine, apportera sans aucun doute, lavenir, des lments complmentaires de rflexion sur ce sujet.