1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)

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  • 8/18/2019 1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)

    1/23

      LAIN BR ESSON

    · ·

    L économie

    de la

    rèce

    des cités

    fin

    Vl

    e_ er siècle a.C.)

    1

    es structures

    et

    la

    production

    ,

    RM N

    D COLIN

  • 8/18/2019 1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)

    2/23

    COLLECTION U • HISTOIRE

    Ouvrage publié

    sous la direction

    de

    Maurice Sartre

    Illustration de couverwre Forgeron au travai l   Staatliche

    Museum

    .

    Alles Museum. Pergamon Museum. D ie Antikcnsammlung. Berlin

    inv. F 154196 coupe atttque à figures rouges attribuée au groupe

    du

    pseudo-Panaitios c. 150 a.C. DR

    0 Armand Colin Paris 2007

    IS N

    978-2-2002-6504-5

    Tous

    droits e traduction, d adaptation et

    de

    reproductionpar tous procédés, réservés

    pou

    r

    tous

    p a ~

    • Toute repr oducuon

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    rc?sen:attOn

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    s o i ~

    des

    pages publiées dans le présent ouvrage, faite s ns l au torisation e l éditeor, est illicite et consmuc une

    con

    trefaçon. Seul

    e>

    sont autorisées. d une

    part le>

    reproduolons strioement réservées

    à

    l'usage privé

    du copiste et non destinées à une utiltsation co

    llect•ve

    et, d autœ part.

    les

    courtes i t ~ t i o n s justifiées

    par le caraCtère scienlifique ou d information de l œuvre dans laquelle elles sont incorporées

    (art. l t 22  4. l 122-5

    et

    l.

    335

    -2

    du

    Code

    de

    lo p

  • 8/18/2019 1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)

    3/23

     

    .

    ••

    Lkonomie de fil Grèce des i és fin Vf-f siècle a.C.)

    Pour résumer, pendant longte mps.

    bi

    en plus

    que

    ce lui de Rome, le

    paysage

    des travaux co n

    sac

    rés à l économie de la

    Grèce

    ancienne s  apparentait à un

    désert.

    Aujourd hui,

    le

    désert

    a lais é

    place

    à la forêt

    dense, oo

    il

    est

    diffi

    cile

    de

    se

    re

    pérer

    tant les

    pu

    blica ti

    ons se sont multip

    liées

    sur

    tous l

    es

    sujets.

    On

    risque

    de

    se perdre dans ce tte ju ngle, d autant que les guides pour trouver son

    c

    hemin

    ne sont pas légion

    2

    • Cet ouvrage a pr

    écisément pour but

    de rem

    édie

    r à

    ceue lacune. Il ne

    pr

    é

    tend

    null

    emen

    t

    à

    ex

    haustivit

    é,

    que

    son

    format réduit lui

    mt

    crdirait de toute façon, et pas davantage

    à être

    la

    somme

    de ce

    que

    l  

    on

    pourrait

    êt

    re e n mesu re

    d éc

    rire sur

    l éco

    nomie

    antique dan

    s

    l

    é

    tat

    actuel de

    nos con

    naissances

    .

    Au

    contraire, on a eu le souci de présenter ici les bases sur

    l

    esq

    uelles se construit actuell

    ement

    le savoir en m

    atière

    d éc o

    nomie

    de la

    Grèce

    ancienne, de faire le

    point

    s

    ur quelques grands debats

    historiograpbi

    que

     ;

    ct

    d introduire à des

    méthod

    es

    de travail

    allia

    nt les outils tr

    adi

    tionnels

    d analyse des so

    urces en histoire

    ancienne

    aux perspectives de la recherche

    éco nomiq ue contempora ine . On ne trouvera donc pas ici une « histoire

    éco

    no

    llll

    >-

    un

    sujet qui

    nécess ite r

    ait

    un ou plusieurs

    autres

    ouvrages à

    lui

    tout

    seul -

    ma

    is

    une ana

    l

    yse

    thématique des stru

    ctures

    de

    l

    éco nomie de

    la Gr

    èce de

    s cités.

    Mèrne avec cette restriction, les su

    je

    ts traités auraient pu être plus nom

    hrcux, les références plus denses (en règle gé n

    éra

    le nous ne donnons qu   une

    ou c leux r

    éfére

    nces pour une so urce). Sur

    chaque questio

    n ou presque, la

    bibliographie aurait

    pu être

    beaucoup p

    lu

    s abondante.

    On

    a

    essayé

    de

    donner

    l esse nt iel,

    en

    accor

    dant

    u

    ne at

    tention particulière

    aux

    th

    ématiques

    l

    es

    plu s

    r é ~ . : e n e > ,

    e n renvoyant aussi déli

    bérément

    le l

    ecteur à

    des ouvrages

    co

    llectifs

    ou a ~ . : t c s de co

    ll

    oq ues qui , so uvent, représe

    ntent

    le moyen le plus rapide de

    fa. re le tour d une ques tion.

    1 objectif

    de

    ce

    livre est de permettre un pre

    mi

    er co ntact avec une

    matière

    réputée

    difficil

    e.

    U

    s agit

    de baliser de

    gran

    ds itiné

    raires, surtout

    de sensibili

    ser 1\ la nouvelle problématique de l économie de la Grèce anc ienne. De la

    sorte, le lecteur devrait ensuite être à même de réagir de manière

    autonome

    et

    de trùccr

    son

    propre che

    min

    face aux sources ou aux

    thèmes

    qui n  

    auront

    été

    1c1 4u ahordés rapideme

    n t ou

    pas

    du

    tou t Le

    cad

    re géographique de

    réfé

    renœ

    se

    limite

    à

    la Grèce

    égéenne

    et à la côte

    ouest

    l A

    sie

    Mineure

    3

    . Al

    ors

    4u dle jou ent un rôle s i important dans le développement économique du

    mmM

    ic

    hellénique

    dan

    s

    so

    n

    ensemble.

    les r

    égions périphériques

    de

    la

    Méditer

    muée

    co l

    onisées par

    les Grecs ne sont pas abordées pour elles-mêmes mais

    -.culcment,

    éven

    tuell

    emen

    t,

    dan

    s leurs relations avec

    l espace

    égéen. Il

    en

    va

    de

    m ~ m pour

    l

    es

    roya

    ume

    s i

    ss

    us

    de

    la

    co

    nquête d  

    Alexandre

    .

    l.

    c sty le d

     écriture diftère

    aussi

    en

    partie de ce lui

    des

    ouv

    ra

    ges classiques

    c.l h1sllmc ancienne. Certes, on y a souvent recours aux sources (s

    auf

    notation

    wntra1rc, toutes les traductions sont de

    notre cru).

    Mais ce livre réserve

    auss

    i

    um

    · place Importante a

    ux

    hypoth

    èses

    globalisantes. U

    sera lu

    de manière plus

    prohtahle

    si le l

    ecteur

    a au

    moins une

    sensibilité à l 

    approche économique en

    lncroduceion

    général,

    mai

    s il ne néces site pas un savo ir techniq ue pr

    éalabl

    e dans c e

    domaine.

    Pour

    qui souhaiterait en savoir plus

    en mat

    ière de théorie

    éco

    nomi

    que, il e x i s t ~ d_ excellents

    manue

    ls de base ou des dictionnaires qui permettent

    de

    trouver

    a1

    sement un

    accès

    aux

    questions essentielles

    4

    En raison

    des débat

    s

    qu a suscités l éco nomie du monde a ntique en général, et celle de la Grèce

    an tique en particulier, l  ouvrage

    s o

    uvre par un chapitre

    d historiographie

    . Le

    lecte

    ur

    pressé pourra

    sa

    uter

    dire

    ctement au chapitre 2 ct revenir éventuelle

    ment

    ensuite au

    chapitre t.

    Ce premier volume, consacré aux struc tures

    et

    à la

    production,

    se

    ra sui vi

    d un

    deuxiè

    me

    , qui trait

    er

    J u marché

    et

    du mon

    de de

    l échange. On trouve ra dans ce deuxième volume une liste d

     a

    bréviations et la

    bibliographie générale.

    . Nombre de d

    éve

    loppements publiés ici ont été présentés

    dev

    a nt nos étu

    diant

    s de

    ma

    s er et de

    doctorat

    de

    1Unive

    rsité de Bordeaux 3 et devant

    no

    s

    étud

    ian

    ts

    de l

     U

    nivers ité

    de Chicago pendant

    le « spring

    quarter

    » de

    2005. Tl

    s

    nous ont posé les qu estions les plus pertinentes

    et

    nous on t aus si ob ligé à

    r

    eformu

    le r ~ o m r e de

    propo

    sitions pour tenter de les re ndre plu s aisé

    ment

    comp

    réhe

    nstbles. Ce

    manue

    l aurait

    rempli

    son but si, au delà de co nna issan

    ces

    factuelles, les

    ét

    udiants

    pouvaient

    y trouver

    des pistes

    qui stimulent leur

    réflexion et prendre c

    onscience que

    le c

    hamp

    i

    mmense qui s offre

    à la r

    eche

    r

    che l

    eu

    r es t ouvert

    Nos vifs remerciem

    ents

    vont à M. Sartre,

    qui

    nous a poussé à nous lancer

    dan

    s

    cette aventure,

    et

    aux amis et

    co

    ll

    èg

    u

    es

    qui

    no

    us o

    nt

    foum i d

    es

    r

    éféren

    ces ou

    fait d utiles su

    ggestion

    s,

    en parti

    c ulier P.

    Arnaud,

    J. -

    P Bo

    st, P.

    Brun

    ,

    Fr. de

    Ca

    llat

    ay

    , C

    hr

    . Flam

    en

    t,

    1 France,

    Fr. Kirbihler, Chr. Müller, Gr.

    Oliv

    er,

    Chr. Pébarthe

    et

    R. Saller. Pour

    l

    étab lissement

    des

    ca rtes, nous avo ns bénéfi

    cié de l aide deN. Pexoto (Auso nius) e t

    nous

    l en r

    emerc

    ions vivement.

    Nous

    voudrions également

    remercier

    le

    personnel

    des

    bibliothèques qui

    a mo

    ntr

    é

    beaucoup de

    c

    ompréhension face

    à nos demand

    es

    incessantes,

    prin

    c ip

    ale

    ment celles d A usoni us, du

    camp

    us Bordeaux-Pessac,

    de

    la Sorbo nne et de

    l  INHA . Non moins , nous voudrions remercie r notre é

    dit

    eur, qui a accepté un

    manu

    scnt pl

    us

    volumineux

    que

    celui imtialement prévu. Enfin, notre r a t i t u d

    p a r t i e ~ li

    ère

    à

    Mich

    èle et à Frédéric (le «

    clan

    cestadais » de l été

    2007) pour

    l

    eur

    a1de

    pr

    é

    cteuse et leur

    so utien

    sans

    fai lle

    pendant

    la püiode

    de

    préparation

    et d écriture de ce livre.

    Cestas,

    l l août 2007

  • 8/18/2019 1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)

    4/23

    Chapitre 1

    L économie

    de la

    rèce des

    cités :

    un horizon théorique

    P eut-on

    écrire

    un livre

    sur

    l écon

    omie de la Grèce ancienne?

    Voici trois

    décennies, dans un ouvrage fameux au titre paradoxal, L économie antique,

    Mo ses I. Finley donnait à cette question une réponse négative

    1

    • Po

    ur lui, il

    était illusoire de penser pouvoir mener à bien

    un

    tel projet, non pas en raison

    de l'insuffisance de notre information, mais tout simplement parce

    qu e

    ,

    à

    ses

    yeux, Je projet

    n a

    vait pas de sens. Qu entendre par l

    à?

    Bien entendu. il ne

    faisait aucun doute

    pour M.

    Finley

    qu on

    pouvait décrire des faits de produc

    tion, d' échange ou

    de

    finance.

    En

    revanche. il était i

    ll

    usoire

    de

    chercher

    un

    e

    logique de type économique pour organiser

    ces

    faits, parce qu il n' en existait

    aucune. M. Finley visait avant tout \'existence d une« politique économique>>

    de la

    part

    des

    États.

    Mais

    la

    crit

    ique était encore plus radicale. Les détem1i

    nants qui structuraie

    nt

    les faits de production ou d  échange étaient

    de

    nature

    soc

    iale, politique ou religieuse, mais certainement pas

    de

    nature économique,

    au sens où i ls auraient eu une logique d  o rganisation qui leur ffit propre. Cer

    tes, avant comme après la proclamation de cet interdit, de nombreux livres et

    articles ont pourtant été publiés qui, chacun à leur manière, on t prétendu trai

    ter d économie

    antiqu

    e.

    Mais la question de fond demeure. JI convient de

    prendre au sérieux Je défi méthodologique lancé

    par

    M. Fin ley et, tout

    d abord, de définir sans équivoque cc qu  on entend par «économie de

    ln

    Grèce ancienne ». Il est clair qu o n doit tenir le plu1.

    prand

    comptl' dl

    don

    nées

    emp

    iriques f o u r n i par

    l e ~ c e ~

    qui sont

    u

    l'l'c(lnornic

    h i ~ t o i q u e l l

    que l

    es expériences

    de lnh 1

    atoire sont aux scacnl l's

    l XaCtl S. M.u .

    une

    1111\l

    111

    f>Oinl

    théonquc Cl lnClhodn lopaqm•

    C >l

    IIICIJI-opl ll\llhk JIOIII

    11\SIIIl

    l

    k•,

    h , t \ 1

  • 8/18/2019 1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)

    5/23

    1 lit"''""''"

    J,.

    Iii C •èce des cités (fin

    vr r

    •siècle a.C.)

    d un

    proJet

    dont

    la cohérence doit faire l  o bjet d '

    une

    ju

    stification

    préalab

    le

    à

    tuut dé \cl

    oppem

    e

      t

    De la

    sor

    te, on pourra du moi ns

    se

    prémun.i.r des

    dan

    gers

    qu'une analyse«

    nai:

    ve »ne permettrait

    pas

    d  éviter. Sur un sujet aussi périlleux

    quo

    l é l

    ·olll)mic de la Grèce ancienne, vouloir se passer d ' une réflexion th

    éor

    i

    que rcv•cndrui L

    s e

    ngager, de nuit e t sans lampe, sur un sentier de montagne :

    1

    uuc ne \Crai t que trop prévis ib le. On

    s e f

    force ra ici

    de

    fa ire d abord un

    bel•n

    r;y

    rllh6llque s ur le r

    apport

    compl

    exe

    que l é

    tud

    e des sociétés

    antiqu

    es a

    •ntrctc

    nu av

    ec ce

    qu i1

    est co

    nve

    nu

    d

     ap peler

    la sc i

    ence

    écono

    mique

    ,

    avant

    de

    faire

    d e ~

    propo

    si

    tions nou velles

    en

    se

    pla

    ça

    nt dans

    la

    perspective

    du

    néo-ins

    litutumu h mc .

    'univers de la théorie économique

    Primitivisme u modernisme

    n app.uence, l' histoire est

    connue,

    o u du moins e lle a souvent été raco ntée_

    lt &muve >a

    source dans la

    contr

    ove rse qui naqu it

    en

    tre deux illustres maîtres

    llllnua

    nd

    s de lu

    fin du XIx"

    sièc le e t du début du

    xx•

    si

    ècle

    et

    qui

    , depuis lo rs,

    1 au

    114 de rebondir. En l893, l

     éc o

    nomiste Karl Büch

    er

    (1847- 1930), profes

    IIUr

    l l'univers ité de Leipzig, pub lia sa « Genèse de

    l éco

    nomie politique »

    2

    .

    , 11Apo 1ait la vision qu  on a de puis lors définie com me « primüiviste de

    m i e

    antique.

    Deux

    ans

    plus

    tard, en 1

    895

    , le

    spécia

    liste d ' antiquité

    :JIII0411UC Eduard M

    eyer

    (1855- 1930), prof

    esseur

    à

    l univer

    s ité

    de

    H

    ambo

    urg,

    \jllll à Francfort devant le congrès des historiens allemands et en pré

    de: Bûcher , une véhé mente réfutation, auss itô t publ iée, des pos itions de

    dernaer : (' Le

    développement économi

    que de l'

    Antiquit

    é >>

    3

    • Meye r réaf-

    l l m a ~ ~ e s o n s dans divers articles et ouvrages qu il

    publia par

    la suit

    e.

    Pour

    Bucher, l'

    économ

    ie antique

    en

    était fondamentalement res tée

    à un

    &ade de dl:vcloppemeot peu avancé. EUe était c

    ara

    cté

    ri

    sée par la production

    domc,.taqu•· ct de stinée à satisfair e les besoins immédiats de la fami lle, qu ' il

    l l i le

    lll

    la production agricole ou de la production artisanale. L éc hange

    man:hunllnc jouait qu' un rô le

    limit

    é et, au con traire, les pr

    ocess

    us de tran

    sfert

    b i e n ~ M'

    ca

    ract

    érisaien

    t plutôt

    par

    le don, les

    rap

    ines ou la guerre.

    Le cap

    i-

    111, au

    IC II \

    d

     é

    lément

    de

    production, était à peu près inexistant et la monnaie,

    ntu

    t n ~

    les maisons, n

     av

    ait

    d'

    autre

    fonc t

    io

    n que

    ce

    ll

    e

    de

    réserve, de

    moyen d ' a

    s:.

    urance.

    La

    divi

    si

    on du travail pouvait apparemment être très

    p o u t r ~ e mais elle restait

    puremen

    t

    te

    chnique e t n  ava it

    pas

    de fo

    nd

    ement

    dan IIP ~ l r u c t u r e

    du

    capital, puisqu e ce dernier n' avait

    aucune

    réalité.

    Meye r voyait les choses de man.i.ère totalement opposée.

    Tl

    était d 'abord

    lllftlllhle li l ev olution qu ' avaitconnue le mon de grec entre l époq ue homérique

    •t

    l'&

    pcKJUC hcl lén.i.stique, au point qu ' il n' hésitai t pas à comparer l époque

    d

    Homère au premier Moyen Âge, l époque

    archaïque

    à la fin de l

     é

    po

    qu

    e

    IMdlc vnle, l' t l époque classique

    à l aube des te

    mps modernes. Pour lui, il ne

    L économie de la

    Cr l

    Ce des ot és

    un

    horizon lhéoriquP

    faisait pas de dou

    te

    que l écono

    mie

    de la Grèce anc

    ienne

    avait toutes les carac

    téristiques d une

    éco

    nom ie développée, car

    ac

    t

    ér

    isée

    par

    les échan

    ges

    mar

    chands, par la monnaie,

    par

    la divi sion

    du

    travail ,

    par une

    produc

    ti

    on de type

    n d u ~ et même pa r la volonté de conquérir des marchés d 'exportation par

    des Eta ts e n concurrence: d où des conflits comm e la Guerre du Pélopo nnèse.

    Bücher ou M

    eye

    r? On ne saurait départager les deux adversaires. Avec

    le

    ur

    s

    erreur

    s qui peuvent aujourd hui trop fa cile

    ment

    prête r à

    sou

    ri re, chacun

    d  e ntre

    eux

    n ét ait pas sans arg

    ument pou

    r d

    éfe

    nd re s

    on po

    int de vue.

    Ma i

    s, au

    p

    lan

    de la méthode, et p

    ou

    r

    évite

    r d e

    se

    re

    tr

    ouver dans l

    es

    imp

    asses évoquées

    précédemment, il convient de se deman

    der

    pourquoi les deux savants purent

    se retrouver sur des positions aussi o

    ppo

    sées. Comment l

     observatio

    n

    d une

    même r

    éa

    li té

    put

    -

    elle

    pu

    abo

    ut

    ir

    à produire au final deux images aussi

    oppo

    sées

    de l'

    éco

    no

    mie

    anti

    que? Sans en

    t

    rer

    dan s le détail de leurs th

    éo

    ties, on

    peut observer que chacun des deux adversaires ne sé lec tionnait que les traits

    d  o bse rva tion q u il pouvai t enrôler au serv ice de son modèle, en laissant de

    cô té les autres. De la so rte, ce n est effec

    ti

    vement

    pa

    s la même réali té que J un

    el

    l '

    autre

    d

    éc

    riva ient En revanch

    e, ces

    d

    eux

    savants part

    ageaient

    bien

    une

    même

    attitude. Avec

    des motif

    s

    diff

    érents, tous de ux ch

    erc

    hai

    en

    t à

    prono

    ncer

    sur la soc iété grecque un jugement de valeur en fonction d ' une soc i

    été

    qui leur

    servait d

     é

    talon de référence: la société

    eu r

    opéen ne de leur temps.

    C est

    en

    fon

    ct

    ion de la plus ou mo

    in

    s grande proxim ité avec ce

    modèle achevé

    et

    en

    fon

    ct

    ion des traits retenus

    qu

    e la

    soc

    iété gr

    ec

    que a n

    cie

    nne pouvait ê tre

    jugée

    soi t tout à fait «

    prim

    it ive», soi t au con

    trair

    e ple ine m

    ent «é

    vo luée».

    Les

    deux adversai res partageaie nt en effet la même co nce ption évo lutionniste,

    so us sa vers ion de« s tades nécessaires» de l évolu tio n hi storique,

    ca

    racté

    ris tique

    de

    la

    science allemande

    de

    l

    époque. avec cependant en outre pour

    Meyer la

    concep

    tion d'

    un temps cycl

    iqu

    e.

    De la

    que

    re lle « Bücher

    -Meyer »,on

    tir

    era

    la leç on qu

     o

    n

    ne

    saur

    ait

    pré

    tendre à « classifier » les soc iétés, à porter de

    jugeme

    nt de valeur

    sur

    le carac

    tère plus ou mo ins

    «primi

    tif» ou «évolué>> de J éco nomie an tique par

    rapport à la nôtre. Mais on devra aussi poser la question fondamentale de cette

    appa

    rente ambivale nce de l  éco

    nomi

    e de la Gr

    èce

    anc ien ne, qu i, paradoxale

    ment

    ,

    po

    uvait

    supponer

    tout à la fo is le ju

    gement«

    primitivis

    te

    » de Büc her

    et la visio n « moderniste »de Meyer. Or, po u

    na n

    t, si le commerce, la monnaie

    et même

    la

    production

    artisanale y

    ét a

    ie

    nt bien présen

    ts,

    l éco

    n

    omie

    de

    la

    Grèce ancienne n

     é

    tait ce rtes

    pas une

    économie « industri

    elle».

    Bien que

    1'

    agr

    iculture ait été le principal

    secteur

    productif, qu- à la ca mpagne l' autocon

    somma

    ti

    on

    de

    la production ait encore é té

    de

    règle, e lle n  ét

    ait pas

    n

    on

    plus

    une économie « primitive »

    .11

    y a là une ambivalence dont aujourd' hu i encore

    on a du mal à rendre com pte. Ce

    ca r

    actère (( double >> de la soc iété grecque,

    jugée (( p

    rimit

    ive» ou > selon le secteur

    d activité,

    la région ou

    l époque, passe

    encore souv

    ent pour être J'é trange et inexp lic

    abl

    e caractéristi

    que

    de

    l écon

    omie

    de la

    Grèce

    ancienne. Ainsi, l

     agriculture serait

    l

     exemple

    9

  • 8/18/2019 1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)

    6/23

    L économie

    de la

    Grèce des

    cirés (fl n V,.- l

    siècle a.C.)

    de la routine archaïque, tandis que la banque et« l'affairisme » sèraient à ran

    ger dans les aspects novateurs.

    La fin

    du v• siècle marquerait

    le

    début

    d un

    développement

    «moderne»

    , quand auparavant

    La

    Grèce serait restée

    «

    primitive

    »-

    Certes, avec des jugemen

    ts de ce

    type, on ne choisit pas entre

    Bücher ou Meyer. Mais

    on

    se contente alors

    de

    faire cohabiter une vision

    «

    primitiviste

    »et

    une vision « mode

    rniste»,

    d'ordinaire

    en

    accordant toute

    fois une

    place

    plus large au premier volet et en ne reconnaissant aux

    s p e c ~ s

    jugés«

    modernes » que

    Je

    statut d'îlot d'exception au milieu d' un océan

    pn-

    mitif. L'économie de

    la

    Grèce des cités ressemblerait donc à une sorte

    de

    pat

    chwork. C es t

    ce

    modèle dichotomique,

    juxt

    aposant deux types d' économie

    n'ayant presque aucune communication entre eux , qui doit révisé.

    L école historique

    e

    l économie nationale

    Les nouve

    ll

    es analyses historiographiques re

    la

    tives au débat Bücher-Meyer,

    et plus généralement aux sciences sociales dans l'Allemagne i ~ e l m i n i e n n e

    ont souligné combien les positions des deux écoles rivales éta1ent surdéter

    minées

    par

    les positions idéologiques opposées

    qu ils

    défendaient. Meyer

    croyait retrouver dans le monde grec classique les antagonismesentre grandes

    puissances qui étaient la caractéristique

    de

    l'Europe de son temps. Bücher

    s inscrivait dans le courant dit de« J'école historique allemande

    de

    l'écono

    mi e nationale », illustré par les grands noms

    de la

    science économique de

    l

    époque, Friedrich List (1789-1846), L K . Rodbertus (1805-1875), puis sur

    tout Gustav von Schmoller ( 1838-191 7)

    4

    L'Allemagne connaissait

    à

    la fin du

    >.. lx•

    sièc

    le

    une mutation décisive. Elle sortait d'un modèle

    de

    société de type

    Ancien Régime, s'unifiait politiquement et économiquement, s'in dustria

    li

    sait

    à marche forcée .

    En

    même temps, elle cherchait

    à

    rattraper et si possible

    à

    dépasser l

     éco

    nomie britannique, dont le libre-échange avait été le credo,

    J idéologie qui paraissait lui avoir ouvert les portes du succès et de la domina

    tion en

    Eu

    rope. L'école

    de

    J'économie nationale, sans contradiction avec la

    conception bismarckienne, prônait au contraire l intervention de l'État pour

    assurer le développement économique de la nation allemande et pour é s o u d ~ e

    la

    «q

    uestion sociale». Dans

    ce

    ·

    co

    mbat, Bücher fournissait des arguments

    à

    ceux qui voulaient montrer l'historicité des catégories économiques. En

    fai

    t,

    on touche là un problème méthodologique qui va bien au delà de la querelle

    Bücher-Meye

    r.

    Pour Schmoller et les adeptes

    de

    l' école historique, l'économie n'avait en

    effet aucune existen

    ce en

    soi.

    La

    méthode des tenants de cette doctrine était

    fondée sur l interprétation de l'obser

    va

    tion (et donc

    su

    r la constitution

    de

    séries statistiques), et non pas sur des modèles hypotbético-déductifs. Pour

    eux, J'économie n'était que

    Je

    produit d  un arrangement institutionnel, lui

    même résultat

    d un

    rapport de force entre groupes sociaux. L'offre et la

    demande, que certains prétendaient conceptualiser comme des réalités suscep

    tibles d

     u

    ne modélisation autonome, n'étaient que des illusi

    ons,«

    des expres-

    1

    L économie

    de

    la Grèce

    des dlés

    un horizon théorique

    sions sommaires d'ordre

    de

    grandeur dans lesquelles des groupes de volonté

    humaine s'opposent; les causes qui déterminent ces ordres

    de

    grandeur sont en_

    partie naturelles, mais, pour l'essentiel, elles sont des relations et des rapports

    de force entre les hommes

    »

     

    «L école hi

    storique de J économie nationale »

    ne

    ni

    ait donc pas la « lutte des classes

    » :

    elle en reconnaissait pleinement

    l'existence. Cependant, à la différence de Marx, elle ne prophétisait pas que

    cette lutte devaü trouver une issue

    par

    la révolution. Au contraire, elle consi

    dérait que l'Ét at devait faire en sorte que cette lutte ne tourne pas

    à

    J'affron

    tement ouvert, entre autres grâce

    à

    ses interventions en matière sociale. Pour

    c h m o l l e r

    ~ e s disciples, les institutions économiques

    é ~ i e n t

    donc

    de

    s

    arrangements

    d origine

    purement sociale, trouvant l

    eur

    racine dans l'affir

    mation des « valeurs >> propres

    à

    chaque société. TI en allait ainsi en particu

    lier du marché, qui n'était donc nullement l

     exp

    ression

    d une

    fom1e naturelle

    de l'échange. Selon Schm.oller,

    le«

    véritable principe »

    de

    l'économie poli

    tique serait« le

    fa

    çonnage des processus économiques par la société »

    6

    .

    La

    croyance en la stabili té des institutions économiques ne serait

    qu une

    autre

    illusion, fondée sur la croyance abusive en un « homme abstrait», intempo

    rel, qui aurait en tout temps

    et en

    tout

    li

    eu été

    ca

    pable

    de

    faire des choix éco

    nomiques. En dressant le portrait d

     une société«

    primitive» et sans marché,

    radicalement autre que ce

    ll

    e du monde européen, Bücher apportait ainsi une

    contribution importante

    à«

    J'écol e historique de l'économie nationale»

    da

    ns

    son combat pour démontrer la nature historique des catégories

    de

    J écono

    mie. Le monde antique, qui

    à

    l  é poque était si familier

    à

    toute personne cul

    tivée, fournissait ainsi un anti-modèle de société dominée

    par

    l

     éco

    nomie du

    libre-échange.

    es

    écono

    mi

    stes classiques

    et

    néoclassiques

    Les tenants

    de

    « J

    école

    historique » s opposaient aux théoriciens de

    l'économie libérale, qu  on désigne aujourd hui sous le nom d ' «école classi

    que»,

    dont les fondateurs et plus célèbres représentants avaient été les Britan

    niqués Adam· Smith (1723-1790), auteur du célèbre essai intitulé

    Recherche

    sur la nature et les causes de la richesse des nations

    (

    1776),

    et

    David Ricardo

    1

    772-1823)'. Face à l'encadrement réglementaire des processus économi

    ques par les sociétés d  Ancien Régime, ils avaient prôné la liberté individuelle

    et

    le

    libre jeu du marché, qui, à leurs yeux, était susceptible de résoudre la

    question de la satisfac

    ti

    on des besoins bien mieux que n

     i

    mporte quelle

    réglementation. On résume souvent la pensée

    d A.

    Smith par sa fameuse for

    mule sur «

    la

    main invisible du marché », qui devait servir l intérêt général

    de

    manière naturelle. Ricardo élabora un e théorie de la valeur, doot il considé

    rait qu elle était fondée sur le travail et non

    sur

    l' utilité, dont Marx s'i nspira

    directement.

    Tl

    fut aussi un théoricien fameux des échanges internationaux,

    en défendant

    le

    libre-échange.

  • 8/18/2019 1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)

    7/23

    Hl /ni l c r• 11 f . l l (l des cités (fin Vf' -r siècle a.C.)

    Alors

    qll

    l les thèses de« l

    éco

    nomie historique» exe rça ient une domina-

    1111

    11

    )Mrtage dans l horizon intellectuel allemand, e lles fure nt l obj et

    1

     uue

    rc

    nu 'c:

    en

    ca

    use fondamentale de la part de« l école aut

    ri

    ehienne >>.Le

    loud rieur

    cl

    l un d

    es

    repr

    ésent

    ants l

    es

    plus typiques

    de

    ce courant fu t Carl

    1cu

    gc

    r ( 1H

    40

    192 1 , fondateur d  une éco le dont les représentants l

    es

    plus

    n tu rent Ludwig

    vo

    n Mises (1 88 1-1973) et Friedrich Hayek ( 1899-

    1 I P) apport fondame ntal de Menger fut l introduction de la no tion de

    •· rn.rrg

    111ali

    sme ». Quand les économistes classiques définissaient la valeur

    par

    Il

    tra

    vm

    l ct, dans la

    fil

    ia

    ti

    on

    d Ari

    stote, essayaient de fo n

    de

    r la distin

    ct

    ion

    nln 

    valeur d usage et valeur d

     éc

    hange, Men

    ge

    r défi ni

    ssait

    la valeur par

    l ulllllè de la dernière unité dé tenue

    8

    . On assi te alors à une coupure ép isté

    urologiquc radicale, qui es t à l origine de toute la sc ience économique con

    tt•rnpmainc. Pour l école

    a u t r .

    noe, qui est au point de départ de J' école

    drtc nèoc lass ique, l économie est une

    sc

    ience. Ses modèles d  analyse n ont

    I l l l

    à

    vo1r avec des catégories histori

    qu

    e s d où une

    co

    ntr

    ove

    r

    se

    directe avec

    1 ·l·olc hi storique allemande conn ue sous le nom de « Methodens

    tr

    eich » ,

    ro nl11 t de mé thode». Elle est la sc ience des conséquences des choix exer

    n par des individus l ibres sur un marché où ils peuvent exer

    cer

    leur juge

    llll

    Ot 1.

      mdiv idu ne manquera pas d a Uer dans le

    se

    ns

    de

    son intérêt.

    L

     homo

    ,,.

    nrwnuru.\ de la th

    éo

    rie classi

    qu

    e ou néoclassique

    es

    t un acteur rationnel.

    1

    1.1

    '>nrtc, choix est prévisihle. Si te l

    est

    le cas, l éco nomie répond donc

    au p

    ri

    nc1

    pc

    de pr

    év

    isibilité d

    es

    résultats,

    co

    nsidéré alors

    comme

    le

    cr

    itère d u

    scientifique

    d

    une discipline. Dans le cadre de l éco le autrichienne,

    k u P ; économique

    do

    it

    êtr

    e fo

    ndam

    entaleme nt

    de

    nature déductive :

    d  ou, sinon avec l

    es

    fonda teu rs, du

    mo

    ins très rap ide ment avec J essor d e

    l"l' lll d1-;cipline, le recours à des modèles mathématiques. En para llèle avec

    1 l·oll: autrichienn e, ou dans sa lignée, plus ieurs écoles éco nomi ques ont vu

    I

    l

    Jour, rn uis q

    ui

    toutes parten t des mêmes prémisses, celles de« l  individua

    méthodologiqu

    e»,

    soit d

     un

    e th

    éo

    ri e qui trouve

    sa

    référence dan. > les

    d11 nx de l  individu.

    {\• sont ces écoles qui ont produit le co rpus de savoir qu on enseigne

    • llJIIUnl hui dans les universités comme « sc ience économique

    »

    et qu on dési

    J.

    IIC comme th

    éorie«

    mainstream

    »(«co

    urant principal »).

    La

    microéco

    nomtc ~ · e s constituée

    comme

    science

    de

    la gestion d

    es

    entreprises. Elle

    ll llon

    cl

    au

    r;o

    uhait de rent

    ab

    il

    ité maximale d u ch

    ef

    d

     e

    ntreprise. Quel

    vo

    lu

    me

    clt• l" ,lj)ttal do it-il investir pour pouvoir l  attei ndre? Quel es t le niveau de

    thl l" ttnn op ti mal pour son entrep rise? Comment doit- il gérer ses stocks? A

    lJIId tuvcau doit- il fi xer le prix d  un bien ou

    d

    un service? La microéconomie

    rt·,nul ces ques

    ti

    ons (qui en fa it se ramène

    nt

    à une

    seule:

    co mment maximiser

    1111

    profit?)

    à

    l aide du calcul différentiel et du ca lcul intégra l. Quant à la

    rt

    lil

    l'

    Hléconomie, e lle élabore des modè les qui doivent permettre d at teindre

    lllll c lficac ité maximale dans le jeu d es facteurs de production à l échelle de

    l c n il mble d  une so

    ci

    été. L un des modè les l

    es

    plus élabo rés est ce lui de

    1 1

    L'économie de Grèce des cités un horizon rhéorique

    l équilibre génér al proposé par Léon Walras (1834-19 10), professeur à l  uni

    versité de Lausanne, et son successeur

    V.

    Pareto (1848-1923). Pour Walras,

    une

    économie de mar

    ché

    tend vers une position d équilibre entre l offre et la

    demande, médiatisée par des

    pr

    ix

    9

    .

    Le

    modèle walrassien a donné lieu à

    d infinis débats et controverses. Il repose en tout cas sur un modèle de

    « co ncu rr

    ence

    pure et parfaite>>. L agent-décideur de l économie néoc lassi

    que évolue sur un marché où

    il

    a accès

    à

    une information

    com

    plète sur les prix

    et les produits, et les choix

    qu il

    peut faire ne sont obérés par nul obstacle de

    quelque nature que

    ce

    soi

    t.

    On voit q u

     à

    sa manière, même s il peut avoir une

    va

    leur heuristique, le

    modè le de la «c oncurrence

    pu

    re et parfaite», qui

    co

    rrespond à la plénitude

    d  homo œconomicus

    est un type abstrait : on ne le ren

    co

    ntre nulle part, m

    ême

    pas dans le monde contemporain. Dans .la réalité, l inform a tion s

    ur

    les prix et

    les produi ts est loin d être toujours transpa rente e t l  on sait bien en outre que

    toutes sortes d  obs tacles légaux, cul turels ou matériels vienn ent peu ou p rou

    défor

    mer

    le modèle de la

    co

    ncurrence pure

    et

    parfaite.

    Les

    éco nomist

    es

    ne se

    sont pas contentés de cene constatation

    d évide

    nce. Ds ont aussi élaboré toute

    une série d approches mathéma tiques qui modélisent des situations plus com

    plexes de co ncurrence imparfaite, ainsi

    ce

    lles où il y a monopole du côté du

    vendeur

    (c est

    le monopole proprement dit) ou du côté de

    l ac

    heteur (on parle

    alors de monopsone). L ap plication à l économie des modèles de la théorie des

    jeux en est une bonne illustrati on. On s intéresse cette fois aux interactions des

    déc isions des agent

    s:

    quel va être le c hoix

    de

    X en

    fo

    nc

    ti

    on

    de

    ce

    qu

    il pense

    devoir être le choix de Y (e t réciproquement pour

    Y,

    avec un effet de miroir qui

    comp

    lexi fie les choix)? On do it aussi

    me

    ntionner la théorie des« anticipa tions

    rationnelles», qui analyse les comportements économiques à l   égard des

    opt ions de politique éco nomique générale e t montre comment ces dernières

    sont détournées par les agents, ou l

     a

    nalyse de

  • 8/18/2019 1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)

    8/23

    L économie de la Grèce des

    cirés

    (fin

    V,.-f

    siècle a.C.)

    éco nomistes« mainstream » (ceux qui sont directement dans la ügne des fon

    dateurs du courant néoclassique

    et de 1École

    autriclrienne),

    toute

    intervention

    d

     É

    tat nuisant aux forces du marché est à terme contre-productive car e lle

    conduit à des équilibres beaucoup plus bas que ceux que la libre concurrence

    aurait permis d

     a

    tteindre. Pour d·autres, par exemple les disciples de Keynes,

    qui ne remettent pas

    en

    cause

    Je

    mar

    c

    comme

    système permettant

    d

    attein

    dre les niveaux

    de

    productjon les plus élevés

    pour

    la

    sa ti

    sfaction des besoins,

    l in tervention de la puissance publique peut être temporairement utile pour

    faire face aux

    «

    pannes » du marché.

    La tradition de l école historique, qui n assu maü un aspect scientifique que

    dans la

    pur

    e

    co

    nstitution

    de

    J information doctUnentaire

    et pour

    le reste consi

    dérait que« l  économie » n éta it

    que

    la résultant e

    de

    luttes soc ial

    es et

    politi

    ques, assumait plus facilement un rôle de« discours en

    gagé».

    Dans la même

    veine, mai s avec une orientation différente, les économistes altcrmondia

    li

    stes »,qui

    se

    placent

    dans

    la

    pe

    rspective marxiste

    et se

    proposent quant à eux

    d abattre le système capitaliste,

    se

    refusent aussi à accorder quelque caractère

    sc

    ientifique

    que

    ce soit à la tradition

    des

    économistes classiques, néoclassi

    ques ou néo-institutionnalistes. Ils la rédui. ent à n être qu 

    un

    simple discours

    d

     a

    utor

    it

    é au profit« des puis

    sa

    nts de

    ce

    monde»,

    selon

    la

    formule

    co

    nsacrée.

    Sous une forme extrême,

    ce t

    te vision des choses imprégnait la tradition léni

    niste,

    se

    lon laquelle les catégories de l  éco nomie ne devaient

    plus

    être un objet

    d  ét ude, mais

    de

    vaient être« transformées».

    On voit à quel point l économie, qui affirme une vocation scienüfique,

    se

    trouve néanmo ins au cœu r de débats qui relève nt du domaine de l  ac tion. T

    serait donc na:if

    de

    croire q

    ue

    les enjeux

    de

    l é tude

    d

    une économie,

    fa

    t

    -e

    lle

    celle

    de

    la Grèce ancienne, soient«

    neutres».

    Est-ce à dire

    que cela

    condamne

    par avance tout discours scientifique? Il faudrait alors rejeter toutes les scien

    ces social

    e s-

    études de sociologie politique ou religieuse par exemple - qw

    ont tout autant, et souvent bien davantage, de possibles implications dans le

    domaine

    de l a

    ction. On ne suivra pas cette voie.

    La se

    ule validité qu   un dis

    co

    urs scientifique puisse revendiquer est ce

    ll

    e

    de sa co

    hérence interne et celle

    de sa capacité à décrire la réalité. Les utilisations idéologiques qui peuvent

    être faites du résultat de ces recherches sont d un autre ordre et ne nous con

    cernent pas ici.

    Moses

    1

    inley

    et Max

    eber

    La

    prétention

    à

    la sc ienüfi.cité du di scours

    éc o

    no

    mi

    que re latif aux sociét

    és

    contemporaines n  es t donc

    pa

    s sans contestation. On peut comprendre que son

    application à l éco nomie des sociétés d avant Je capital

    isme

    ait pu a fortiori

    être débattue. Pources soc iétés, en effet, on se trouve devant une difficulté sup

    plémentaire. Est-il légitime

    pour

    les décrire d  utiliser des catégories dévelop

    pées pour rendre compte

    de

    la soci

    été

    du marché capitaliste contemporain ? Si,

    dans ces sociétés, Je marché n

     était

    pas la forme économique dominante, ou si

    14

    L économ1e

    de

    la Grèce des

    cirés:

    un horizon

    r éo

    r

    ique

    même l n  y avait

    pas

    de marché du tout, comment la théorie économique pour

    rait-eUe trouver

    une

    appücation ? Ainsi,

    pour

    prendre

    le

    seul exemple

    de

    la _

    croissance, véritable obsession du système capitaliste, comment l économie

    « mainstream » pourrait-elle être d une quelconque utilité si les sociétés du

    passé ne la posaient pas comme idéal ? Telle est l origine de la bipartition,

    implicite

    ou

    explicite, que

    l on

    retrouve fréquemment dès qu il est question

    d économie antique (ou

    de

    toute autre

    soc

    iété anc ienne): élaborée

    «p

    ar

    et

    pour» les sociétés capitaüstes contemporains, la théorie néoclassique n aurait

    au rrueux d application que limitée au monde qui 1a vu na1tre. Ainsi, même

    ceux qui lui concèdent une validité pour l analyse de l économie contempo

    raine considèrent cependant qu   il

    es

    t hors de propos

    d y

    recourir

    pour

    l

    es soc

    tés du passé. Telle était manjfestement la position de M.

    I

    Finley. A fortiori

    ceux qui dénient toute pertinence au discours économique de la tradition néo

    classique p ur l analyse de la société contemporaine refusent-ils de lui recon

    naî tre le moindre intérêt pour l analyse des sociétés d avant le capitaüsme.

    Au reste, Finley n é tait

    pas

    un théoricien. Pour J essentiel,

    l

    reprenait à

    so

    n

    com

    pte les positions

    de

    Max Weber (1864-1920), ainsi que, partiellement,

    ce

    lles

    de Karl Polanyi (1886-1964). Pour en rendre raison, il fa ut fairê un

    nouveau

    retour en

    arrière et revenir aux débats évoqués précédemment au

    sein de J université allemande au tournant du Xtx• et du xx• siècle. On a vu que

    « l éco le historique de

    l économie

    nationale » y avait longtemps exercé

    une

    domination écrasante. L émergence de l école autrichienne, puis les remises

    en question provoquées

    par

    la première Guerre

    Mo

    ndiale, avec

    l échec

    du

    modèle impérial a.llemand, eurent pour conséquence qu  en quelques années

    l école historique fut balayée par la révolution d un discours éc onomique

    désormais essentiell

    ement

    mathématique.

    Le

    derruer repr

    és e

    ntant du courant

    ancien, mais qui, paradoxale ment, sut

    en

    dépasser les bases, fut

    Max

    Webe r,

    professeur

    d économie

    nationale successivement aux universités de Fribourg

    en-Brisgau et de Heidelberg

    1

    • Les travaux de Weber le conduisirent à ê

    tr

    e, en

    Allemagne, le fondateur

    d une

    nouvelle discipline, la sociologie, au même

    mo

    ment où, en France, Émile Durkheim accomplissait une tâche analogue,

    mais sur d autres bases.

    Si l  inspiration initiale de Weber ne différait pas de celle de

    l éco

    le histori

    que, sa méthode était différente. À l évolutionnisme cherchant à expliquer telle

    forme sociale comme une « survivan

    ce»

    de formes antérieures et à la théorie

    des

    «s

    tades successifs »

    de

    l  histoire

    de

    J humanité qui avait cours

    ju

    sque l

    à

    Weber substituait

    une

    analyse par « type idéal ».

    Le

    « type idéal »

    de

    Weber

    vise à reconstruire, à partir de ses traits jugés les plus significatifs, Je portrait

    stylisé d  une société donnée. Ces traits sont cohérents les uns avec les autres.

    Ds constituent

    ce qu on

    appellerait aujourd hui des invariants,

    des

    caractéristi

    ques qui en sont la signature spécifique.

    En

    outre, Weber accordait une atten

    tion primordiale aux motivations des conduit

    es

    des acteurs et à la conscience

    qu

      ils en avaient.

    C était

    même là Je fondement de

    sa

    sociologie.

    15

  • 8/18/2019 1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)

    9/23

    1

    '111 '

    th•

    1 1 C.n

    1

    w

    des cicés (fin vr-r siècle

    a.C.J

    l'our d.1sscr les soc iétés,

    Max Weber

    ten:tit leur

    degré

    de rationalité pour

    clciJsJI

    Son

    analyse

    se

    développait su r la base de l'analyse de la rationalité

    IIIIIJvuluc·llc,

    ce ll

    e d'une logique de l' action,

    carac

    téristique la

    méthode

    de

    «

    l'11llhv1dualisme méthodologique».

    Tl définissait ainsi

    ce q u'il e ntendait

    11.11

    ratumulité :

    «A g

    it de façon ratio

    nnell

    e

    en

    finalité

    ce

    lui

    qui oriente

    son

    ·•l tl\ Ill d'après les fins, moyen > d conséquences subsidiaires

    et

    qui confronte

    en •m·mc temps rationnellement les moyens et la fin, la fin et les

    co

    n

    séq

    uences

    \llh\ldJUJres

    et

    enfin les diverses fins possibles

    entre

    elle

    • Weber précisait

    ~ o : c t t c

    déh111uon

    générale

    en

    l'appliqua nt

    aux

    buts divers

    de

    l

    'a c

    tion. De la

    \t>r tl',

    Il

    distinguait

    deux ra

    tionalités

    de l'action,

    la rationalité par rapport

    à un

    h r c ~ o : t f (ou ra tionalité ins trumentale, qui rend coh

    érents

    le but et les

    moye

    ns)

    t't la rationalité par

    rapport aux

    valeurs (q ui rend cohé rents l 'o bjectif et le

    sen

    \). S'agissant

    de ce tte dernière,

    il

    affirmait

    qu'«

    ag it d'une mani

    ère pure

    ment rationnelle en

    valeur celui

    qui

    agit sans

    tenir

    comp

    te d

    es conséquence

    s

    Jlii'VJ,iblcs de ses actes, au service q u' il

    est

    de sa conviction portant sur

    ce

    qui

    hu apparuit comme commandé par le devoir, la dignité, la beauté, les directi

    vc·s rl•hgicuses, la piété ou la

    grandeur

    d'une cause

    quelle

    qu'en soit la

    Jl.ltur

    c. .'act

    ivité rationn

    elle en

    valeur

    consi

    ste toujours (au sens de

    notre

    ter

    IIIJilologic) en une activité

    conforme à des

    " impératifs"

    ou à

    des

    ex

    igences"

    dont l'agent croit qu ' ils lui son t imposé e; ••

    12

    • Webe r établissait donc une dis

    tim.:tmn entre une r

    atio

    nalité qu'on pou t H qualifier d'ordre l, la rationalité

    lllllllt diatc

    de l 'actio

    n

    (pour

    atteindre

    un

    but,

    qu e

    l

    qu'il so

    it, il faut

    passer par

    une

    séne d'étapes

    déterminées),

    et une

    rat ion ali

    d

    'o

    rdre 2, qui

    sélectionne

    un hut

    en

    fonction d'un sys

    tème

    de va leurs.

    Quant à

    la rationalité

    économique,

    Weber

    établissait une

    différence

    entre

    dt•ux types : une rationalité matérielle, visant à satisfaire l'approvisionn

    em e

    nt

    d'un

    groupe en

    fonction de critères éthiques, religieux, politiques ou sociaux ;

    lllll' rationalité formell

    e,

    fondée sur le calcul,

    permettant

    de me s

    urer

    l'usage

    t.ut

    dlS

    re

    ssources

    disponibles. Tandis que la

    société

    capitaliste

    co

    nt

    empo

    r.unc a u ~ u t é té la seu le à co nnaître une rationalité formelle, les sociétés du

    )1.1\\l'

    auraient toutes

    conn

    u seu lement des formes diverses de rationalité

    m.atc•1

    il•

    lie . De la sorte , on tiendrait là

    un critère

    décis if de différenciation

    l'Jllll' la

    \OCJé

    té capitali

    ste développée

    et les sociétés du

    pas

    é .

    Pour cette rai

    .,on,

    Il

    \Crait vain de vouloir

    chercher dan

    s

    ces soc

    iétés

    autre

    chose qu'un

    pro

    l t ' u ' d'approvisionnement immédiat. L

    'éco

    nomie n 'y

    ét a

    it donc qu ' un

    non l

    4

    trc,

    gouvernée

    qu'elle était par

    d' a

    utres principes que ceux d'une ges

    t r.ltmnnclle.

    On

    vera

    surto

    ut peut-être

    l'insi

    stance de

    Weber

    sur le caractère

    provi

    .,curt•

    tlt• cette distinction, tant elle lui paraissa it difficile à établir

      3

    • La réflexion

    ur 1.1 rauonalHé

    économiq

    ue

    s'inscrivait elle-même dans

    le

    ca d

    re d ' une

    1é lll

    X

    HIJ\ plus vaste sur la rationalité de l 'activ ité soc iale.

    Weber

    appliqua sa

    mtthodc à

    des

    o;ociétés diverses, entre au

    tres

    au

    monde ant

    ique, mais c'est

    lert,uncmcnt à la soc iété

    capitaliste

    et à

    sa

    ge nèse

    qu'il

    accorda

    le

    plus

    l

    L économie

    e la

    Grèce des

    c i t é ~

    : un horizon théorique

    d'attention, celle qui en tout état de cause lui se rvit comme banc où

    étalo

    nner

    les autres soc i

    étés.

    La

    thèse

    de L éthique protestante et l esprit du capita

    lisme ( 1904-1 905) était que

    la so

    urce

    du développement du capitalisme

    dev:tit

    être cherchée dans

    une

    morale

    particulière: le propriét:tire calvi

    niste

    ne cherche nullement à

    jouir de

    ses profits,

    car

    sa morale le lui interdit. Ma,<

    Weber

    insistait sur l'éthique s i particulière de l 'homme capitaliste, d' un

    genre nouveau,

    réservé, ordonné, o b

    sédé par

    l' idée de mesure, de comptabi

    lité,

    par la recherche

    d

    'u

    n profit qui ne lui

    procure

    e n r

    éa

    li

    au

    cu

    n

    avantage

    immédia

    t. Il

    accumule pour

    accumuler.

    en

    un processus

    qui

    ne tr

    ouve

    pas

    en

    lu i-mê me de raison, puisque

    la

    motivation

    est

    entièrement extérieure à l'acte.

    Pour Weber, l'incarnation de cet homme nouveau était

    le

    bourgeois

    protes

    tant de l'Europe

    du

    No rd. Le fond de la thèse est en

    lui-même contestable,

    ne

    se

    rait-ce que

    parce

    qu'il fait

    bon marché

    des

    antécédents

    italie n, fl

    amand,

    puis holl

    andais du développem

    ent

    que connut l'Angleterre des xvu•

    e t xvw•

    siècles, puis 1 Allemagne du Nord au x tx• siècle. E n outre, Webern

    a

    ura it pas

    dû chercher à en rendre compte

    expérimenta

    le ment en

    observant

    les compor

    t

    ements économiques

    des diverses composantes religieuses

    des

    populations

    de l'

    Allemagne

    de

    son temps,

    car

    ses ana

    l

    yses

    ne

    sont pas convain

    canLes. 11

    est

    clair que ses

    derniers travaux

    présentaie

    nt

    des

    pi

    stes

    d'analyse

    sensible

    ment plus élaborées.

    Mais, quoi qu'il en

    so

    it, la thèse reste fort significa tive de la méthode

    weberienne.

    En

    outre,

    c'est

    par un

    e

    mar

    che

    ana l

    ogue que

    Weber lui-même,

    pui s les aut

    eurs se

    r

    éclamant

    de lui, traitèrent du

    développement

    (ou

    plutôt

    à

    leurs yeux

    de

    l

    'absence de développement

    )

    du monde antique

    . S

    'agissant du

    monde antique justement, c'est

    dans le texte

    con

    nu

    en abrégé sous

    le titre

    de

    Agraverhi iltnisse, avec ses trois éditions successives de 1897, 1898. et 1909,

    et rendu en français sous le titre Économie et société dans l Antiquité,

    que

    Weber

    s'est

    exprimé

    de la

    manièr

    e la plus nette

     

    • C'est ce texte

    qui

    a

    eu

    jusqu'à nos jours la plus

    grande

    influ

    ence

    théorique.

    Selon

    Weber, c'est faute

    d'avoir disposé d'une idéologie appropriée que la Grèce et Rome n'auraient

    pas connu le « passage au capitalisme indu triel». L'idéologie des propriétai

    res fonciers antiques,

    abse

    ntéistes, ne prenant

    aucun

    intérêt au développeme nt

    de leur ferme, aurait maintenu

    l'agri

    c ulture à un niveau

    technique

    déplorabl

    e

    ment

    bas

    15

    A cet

    égard,

    la tonalité

    des

    descriptions de Weber rejoignait

    celle

    de Bücher. Tout en ayant parfaite ment pris conn:tissance des théories de

    Meyer,

    Weber

    ne pouvait reconnaître a ux techniques

    de

    maniement du capital

    du monde

    antique

    qu'un rôle subalterne, très

    primitif par rapport

    à celui

    du

    monde moderne

    et m

    ême

    du monde médiéval. Pour

    Weber

    , le citoyen de la

    cité

    antique

    ne cherchait nullement à

    développer une « e

    ntrepri

    se »

    .

    Le

    sys

    tème

    de

    comptabilité qu'il uti.lisait était primitif

    16

    Lui -même n'était pas un

    homo œconomicus mais un homo politicus. n avait pour vocation de jouir

    des

    rentes des terres

    que

    sa

    cité

    avait

    conquises

    par la guerre. On ne constaterait

    donc

    presque aucun progrè

    s

    technique

    17

    .

    De la

    sorte, l'économie du

    monde

    17

  • 8/18/2019 1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)

    10/23

    Léconomie

    de

    l Grèce des cités (fm

    vr-f

    siècle a.C.)

    antique, au sens d  une activité consciemment orientée vers le ptofit, ne saurait

    être qu un non-être. Quant aux antagonis

    me

    s sociaux, dans l  Antiquité ils por

    taie

    nr

    sur des

    que

    stions de s

    tatut:

    le petit paysan refusait

    d être

    a

    sse

    rvi

    par

    le

    rentier, l esclave vo

    ulait

    redevenir libre. Tout

    cela

    n avait rien

    à

    voir avec les

    revendications des compagnons contre l

    es

    maîtres ou des artis

    an

    s contre l

    es

    capitalist

    es

    à

    l  époque médiévale, annonciatrices des antagonis

    me

    s modernes

    entre patrons et ouvriers

     

    Pour qui

    s i

    nscrit

    da n

    s la tradition

    de

    Max Weber,

    l éco

    nomie antique n  a

    donc pas

    d existe

    nce pr

    op

    re. On d

    oi

    t noter que , paradoxa lement, la définition

    de

    l éco

    nomie de Max Weber ne diffère

    pa

    s

    de

    celle des économistes classi

    ques ou néoclassiques. Elle consiste à admettre que J économie

    est

    la gestion

    rationnelle. rareté d

    es

    biens .Cette définilion peut-e

    lle s a

    ppliqu

    er

    au

    monde antique La répon se de Weber

    était

    que s

    eu

    le l

     é

    conomie du monde

    capitaliste occidental contemporain pouvait être considérée

    comme

    ration

    nelle. Dans toutes les autres sociétés, l économie aura

    it

    été r

    ég

    ie par des

    règles institutionn elles étrangères

    à

    la rationalité économique. Pour Weber, Je

    car

    actère non économiqu

    ement

    ra

    ti

    onnel d

    es

    institutions antérieur

    es à

    celles

    du capitalisme cont

    emporai

    n rendait illusoire toute étude proprement

    «

    éco

    nomique »

    (a

    u sens de «gestion rati

    onne

    lle >> de l

     éco

    nomie d

    es

    s

    ociét

    és

    « précapita listes ». Selon lui. on devait s

    ub

    stitu

    er

    à une impossible « écono

    mie des soc iétés précapitalistes » une soc iologie qui seule serai t susceptible

    de rend

    re comp

    te des

    com

    portements

    relatif

    s à la gestion des biens. Weber

    avait su reconnaître Je

    carac

    tère excessif d

    es

    affirmations de Bücher,

    pour

    qui

    l  économie antique n av

    ait

    pas dépassé le stade de la gestion de l  o ikos et de

    l autoconsommation. Il admettait sans difficulté J ex istence d  ensembles plus

    vastes,

    de productions dépassant le cadre de la satisfaction de l oikos, de

    l autoconsommation. Mais, pour lui, J ab

    se

    nce de gestion

    ra

    tionnelle

    co

    nfé

    r

    ait

    néanmoins un caractère irréductiblement primitif

    à

    l  éco nomie antique_

    La tâche qu il

    co

    nfiait implicitement

    à

    l  historien des mondes anciens étai t

    donc de prouver le caractère irrationnel, non-économique

    »

    (i.e. sans ratio

    nalité interne

    de na

    ture économique),

    de

    « l

     éc

    onomie antique » (e

    nt

    endue

    comme

    production et administration d

    es

    biens matériels).

    D une

    certaine

    manière, J

    es

    travaux

    de

    J_

    Ha

    seb

    roek

    sur

    le cornn1erce

    et

    l

    es co

    mmer

    ça

    nts

    dans le monde grec s inscrivaient dans le droit fil de cene tradition

    19

    .

    L héritage institutionnaliste

    t

    Karl Polanyi

    Un dernier

    courant

    mérite

    un

    e attention particulière pour l

     é

    tude

    de

    l éco

    nomie antique : celui des pen

    se

    urs institution

    naü

    stes, auquel on peut adjoindre

    Karl Polanyi

    20

    . Au

    moment même

    où, avec la première puis la deuxième

    Guerre Mondiale, le courant de J école his torique disparaissait corps et biens

    de l horizon in tellectuel allemand mais où, avec Max Weber, la sociologie

    nouvellement fondée était appelée

    à

    un si brillant avenir, de nouveaux théori

    c iens, américains u x 1 ~ prenaient le relais de la réflexion théorique.

    On

    d

    oit

    18

    L économie de la Grèce des cités :un horizon théorique

    souligner que les premiers d  entre eux se situ,aient. une filiation dire;:te et

    explicite avec l

     éco

    le historique alleman?e. C es t

    run

    s1

    que

    ,

    à

    la

    fin

    du XlX

    et

    début du siècle,

    se

    développa aux Etats-Unis Je courant des

    pe

    nseurs

    dn

    s

    « institutionnalistes », comme Thorstein Veblen (1857-.1929) et John Corn

    mons (1862-1945), qui accordaient aux

    t i t u

    soctales (au sens le plus

    large du

    terme) un rôle essentiel

    dan

    s

    Je

    u: réflex•o.n. V

    eb

    len,

    a n d

    pourfendeur

    de

    la vision utilitaristeet calculatricede 1

    éco

    nom1e néoclassJque,

    a v ~ t t o ~ t

    connu pour

    sa

    Théorie de la classe des loisirs, v : a . g e ~ a n s

    l e q ~

    JI

    1 appropriation du surplus social

    par

    un e classe d OISifs . Son analyse d:v;

    loppement institutionnel par un processus d adaptation pa. s ~ n s mteret,

    mais

    sa

    sociologie sombrant dans le racis

    me m o n t r ~

    v1

    tc

    s ~ s llmJ

    te

    s. Corn

    mons, quant à lui, centra son attention sur les t r a n tl e n a ~ t pour d

    .es

    affrontements pacifiés

    et

    ins

    ti

    tutionnalisés (on vort la fihauon avec 1 ~ o l e ht

    s

    torique allemande).

    il

    la m a ~ i dont la

    droit structuraient Je capJtalJsrne am éncam . Du frut de. eur o m m u msprra

    tion,

    il

    n

     es

    t pas rare

    de

    voir Weber et, surtout, Polan

    y•

    rangés parm1 les pen-

    seurs institulionnalistes.

    Avec Weber, c est en effet incontestabl

    ement

    Karl Polanyi .qui a

    e x e r

    la

    plus grande influence sur la

    c ~ p t a l i s a t i o

    de J écon?mte des soc1étés

    d avant

    Je capitalisme, et p

    lu

    s du n:o nde

    a o u q u ~ .

    comme

    M

    ax

    Weber, Polanyi s

     e

    st

    int

    errogé sur la smgu.larJté

    de

    la

    « vo1e o c c t d ~ »

    qui a mené

    à

    Ja Révolution indutrielle et au

    tnomp

    he du sys tè

    me

    cap1ahste:

    Pour Polanyi

    comme pour

    Weber, Je capitalisme n  est qu un.e c u l t u r ~ panru

    d autres _ sauf

    que

    J

     a

    ppréciation

    qu i

    ls en o ~ t est aux. anttpodes 1 une . de

    J autre. Pour J universitaire d origine bourge01se qu étmt ~ e ~ r captta

    lis

    me

    était

    inco

    ntestabl

    ement

    la fom1e la plus achevée

    de

    la clvthsauon.

    P ~ u r

    le pen

    se

    ur

    soc

    ialiste

    qu

    était Polanyi, Je

    p i t a l i

    n

     étai

    t qu  une forme hiS

    tori

    que

    transit

    oi

    re, dont on pouvait décnre la na1

    ssa

    nce, le développement,

    avant, pensait-il, la mort toute prochaine et le ~ c e m e n t p a r un

    soc ial iste : te l était Je sens de sa Grande transformatwn, pubhée en 1944 .

    Tr

    ois idées majeures o

    nt

    structuré la dém:rrche

    de P o l ~ n y

    premtère

    était que,

    se

    lon lui,

    da

    ns toutes l

    es

    sociét

    és

    (a une excep

    tiOn

    : celle

    capitalisme)

    l

    économie n

     a

    normalement

    pour

    but que

    de

    sa

    u

    sf

    rure

    ce

    qu

    l

    appelait « besoins de l  homme»:

    se

    nou.rrir,

    se

    vêtir,

    se

    loger, u r e r un

    environnement permettant de vivre de mamère e n des no:

    m

    es

    de vie du t

    em

    ps.

    En

    ce sens, pour lu

    i,

    ce_qu

    Il

    appela

    t,((

    1 écon?rrue

    substantive

    »

    doit être radicalement o pposé au role que prend 1 ~ o n o r r u e au

    sein d   une socié

    de marché

    commc.

    le c a p i ~ La . second

    e,

    é e . c o r o i -

    Jai re de la première, était que la c J é t é . s t e étru t l ~ r e des

    sociétés humaines la seule où 1 économ1e eXJstat comme mstance

    avec des

    ins

    titution

    s

    propres,

    autonomes. Auparavant,

    éta

    «encastrée» (« embedded » dans

    Je

    social, le politique ou le rel1g1.eUx. et

    c étaient ces institutions qui , en quelque son

    au passage», accomplissaient

    19

  • 8/18/2019 1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)

    11/23

    1 1

    't'l '>,

    esse

    n

    tie lleme nt o

    ri

    e ntée vers la

    sa

    tisfaction de la s

    ub

    s istance des pop

    ul

    atio

    ns, mais

    pas une

    économie

    « pour

    so

    i », c  es t

    -à-dir

    e un sys tème de r

    èg

    les manipulé

    co n

    sc

    iemment et

    doté

    d une logique

    propre, ce ll

    e de la cro i

    ssa

    nce. C est ce

    qua ju

    s li11

    era

    it l' absence d' une

    «s

    ci

    ence

    éco no

    miqu  »

    dans

    des

    univers qui

    ne pouvaient

    co

    n

    cep

    tualis

    er

    une réali té qui l

    eu

    r é

    tait étra

    n

    re.

    Par

    essence,

    les te ntatives visant à re

    co

    nst ituer un sys tème logique qui n ex istait pas

    se raient

    donc

    vaines. La r

    ef

    ormulation

    ac

    tuelle

    du débat

    e ntr

      «

    formal istes >>

    censés

    admett

    re l exi ste

    nc

    e d'u

    ne

    autono

    mie

    de l

     économie

    co

    mme sp

    hère

    sépar

    ée m

    ais

    moins

    sop

    hi s tiquée qu  a ujourd ' hu

    i,

    e t «

    substant

    ivi

    stes

    >>, po

    ur

    qui l

     éco

    n

    omie

    n'a

    d autre

    réalité

    que

    le

    so

    uci

    de

    l

     a

    pprovis ionnement et po

    ur

    le res te se r

    ait

    to talement sous le contrôle d a utres instances, politiques, re li

    g

    ieu

    ses, ou autres, recoupe en fait , sinon to talemen t,

    du moin

    s très largement,

    les anc ie ns

    cli

    vages

    entr

    e modernistes et prirnitivis tes

    24

    Ce sont

    les thèses de

    Max

    We

    ber

    ,

    et en

    partie

    se

    u

    lement

    et de

    ma

    nière plus

    critique, ce lle de Karl Polany i, que Finl

    ey

    a popularisées e t mises à jour dans

    son Economie antique, au titre si

    n i q u

    au reste

    en

    reco nnaiss

    ant exp

    lici te

    ment

    sa de tte

    à

    l'

    égard

    de Weber

    25

    . A la

    recher

    che illus

    oir

    e d ' un systè

    me

    or

    ga

    -

    20

    Léconomie e

    la

    C>. Il n  est

    que le

    contre

    point. en négatif, du monde

    ca

    pitaliste.

    À

    la

    m a n i è . r ~

    des co

    nf

    essio? s négati

    ves des défunt

    s arrivant au r

    oyaume

    d

    es

    morts de 1

    Egypte pharaomque

    (« Je

    n' ai pas commis d ' injustice, je n a i pas volé .. »),

    Weber

    ou Finl

    ey co

    nvient

    le

    ur

    s l

    ecte

    urs

    à

    identifier tous les «

    manque

    s ».de 1écon

    omi

    e antique

    par

    rap

    port

    à l

    éco

    no

    mie

    conte

    mpo

    raine. Certes, la liste es t l

    ongue

    .

    cet

    t

      «

    ~ s e

    par d

    éfau

    t »

    qui

    n

     es

    t que la projec

    tion

    s

    ur

    le

    mo nde an

    t1que de

    la

    gnl le

    d a

    na

    lyse du monde cap

    i

    ta

    l iste

    est au s

    si le plus sûr

    moye

    n

    de

    pas

    compren

    dre de maniè re

    positive

    l éco nomie

    antique

    et de ne pas

    reco

    nnaître so n

    éventuelle cohérence

    intern

    e. Plus

    grave encore

    , elle

    in

    cite à lire

    le

    s

    source

    s

    rchéol

    og

    iques ou

    textuelle

    s

    sys

    té matiquement

    dan

    s un se ns pr im itiviste.

    La

    tradition

    de Weber

    et Finl

    ey se di

    stingue ce rt

    es du pr

    imitivis

    me

    à la

    Büch

    er. M

    ais,

    p

    our

    les rai

    so

    ns de

    méthode évo

    q

    uées,

    elle a inévitable me

    nt

    été conduite à d

    es

    prises de pos ition se

    mblable

    s à

    celles

    des

    primiti

    vistes.

    E lle

    s e s

    t caractérisée naturell emem

    par

    le r

    efus

    de

    décrir

    e l

     éc

    onomi

    e anti

    que comme un

    sy

    s tè

    me

    in

    tégré,

    et,

    accesso

    irem ent, par la

    minimi

    sa tion d

    es

    quantit

    és

    ou

    le r

    efus systématiqu

    e

    de

    quantifier, m

    ême

    dans l

    es tr

    op rares

    occasions où

    la

    documentation antique

    l

     a

    utorise.

    Cependant, la

    not

    ion < d' e ncastrement>}, avec so n coro lla ire, l l e de

    « d

    ése

    n

    castreme

    nt >} ,

    amena

    Polan yi à faire une étr

    ange

    découverte.

    St

    toutes

    les s

    ociétés du passé

    avaient

    en

    co

    mmun

    d être des

    socié

    tés d éco

    nomie

    ta

    ntive oroani

    sées

    soit sur la base de la

    réc

    ipr

    oc

    ité, soit sur ce lle de la r

    ed

    J

    S

    t r i u t i ~ ii sera

    it donc logiquef lent

    impo

    ssible

    de

    trouver

    avant

    l épo

    qu

    e

    co

    ntemporaine un

    marché

    créateur

    de p

    ri

    x déter

    minant

    la nature et le volume

    des

    produ

    ctions. Or, r .1mi les

    soc

    iétés très

    diver

    ses_ ~ e s

    c ~ n s a -

    cra

    ses

    efforts. il en est

    une

    à la

    quelle

    , vu sa formau

    on classaque,

    tl s mter

    essa

    particuliè rement: celle

    de

    la

    Grèce

    ancienne. Polanyi eut ai nsi la surpri

    se

    d y

    o b

    server

    des phéno

    mène

    s

    qui,

    d:

    Ul

    s son

    sys

    t

    ème

    , étaient inattendus : la

    co

    ns

    titution d '

    un

    système de marché

    co

    nnai

    ssa

    nt

    des fluctuations de prix, portant

    sur des produits de con

    somma

    tion de ma

    ss

    e e t embrassant de v?Stes zo nes

    géographiques

    26

    • Certe

    s, Polanyi ava

    it

    certainement tort de voulOir

    place

    r au

    début de

    l épo

    qu

    e hellénistique, vers

    33 0

    -

    300

    a .

    C.,

    le

    «

    se

    n

    cas

    trement > 

    (

    pour

    r

    eprendre

    provisoire

    me

    nt

    ce

    vocabulaire)

    de

    la

    soc

    i

    été

    gr

    ecque

    27

    • En

    réa lité les ~ r r a

    mut

    ations de la société et de l éco nomie de la Grèce

    ancienne éutient en marche au mo i

    ns

    depuis la fin de l'

    archa

    ïsme et s inscri -

    21

    -

    ---

  • 8/18/2019 1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)

    12/23

    L économie de la Crè

  • 8/18/2019 1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)

    13/23

    >11(1111/C

    do•/J

    Gri ~ h , l l o l i : l l < l n

    es

    t la condi

    ti

    on

    de

    tout raisonneme

    nt sc

    ientifique. Cependant,

    1 1

    clhlollll.

    l entre le modèle et la réali té

    se

    mble parf

    ois

    si forte qu

    'elle peu

    t

    p.u.lllll 1nvalid

    er

    le modèle lui-même ou, à tout le moins, inviter à en lim

    it

    er

    h-

     

    omh

    li

    ons d'application. En

    fa

    it, aucune soc iété de marché contempo-

    1olllll' Ill' répo nd à la définition du marché pur et parfait ». A fortiori, n 'est

    Il Il'

    dangereux

    d'appliqu

    er le modèle

    d  homo œconomicus,

    élaboré po

    ur

    l

    ln

    .il yscr l

    es

    situations

    de

    marché, aux sociétés «sa ns

    mar

    ché »,

    et

    même à

    oi l le

    ma

    rché ne jouait pas le

    même

    rôle

    qu'aujourd'hu

    i ? L histoire

    montre une multitude de sociétés qui présentent des formes d'organisa tion

    politiqu

    es

    ct

    religieus

    es

    qui

    sem

    blent irr

    éduc

    tibl

    es

    au mudèle

    d h

    omo œcono-

    mtctts .

    Structures

    de

    parenté,

    sa

    nctuaire, empire, État-cité ou

    se

    igneurie, ces

    lt1rn1

    es

    d'organisation,

    qu

    'o n désignera d

    éso

    rmais

    co

    m

    me

    «

    inst

    itu

    tions»,

    revele nt une telle importance pour les soc iétés concernées qu'on ne voit pas

    comment on pourrait en faire abstraction dans l analyse de l

    eur éco

    nomie. En

    outre, ces institu

    ti

    ons ne demeurent jamais stables. Selon des rythmes diffé

    rents, l

    ents

    ou rap ides, elles ne cessent de

    se

    transformer,

    dans

    ce qui paraît

    Cire un étrange d

    ésor

    dre.

    es t de

    cet

    apparent chaos dont le marxisme a tenté de rendre raison.

    Pour

    Marx, les institutions ne sont que Je produit de la lutte des classes, elle-même

    déterminée par le «niveau des forces productives».

    Le

    moulin à eau aurait

    gén

    éré

    la féodalité

    et

    la machine à vapeur

    Je

    capitalis

    me

    moderne.

    On

    est là

    dans

    la

    logique d'un « moteur à deux te

    mp

    s>>, d'un sys tème causal où l évo

    lution

    in

    stitutionnelle trouve directement

    sa

    source dans la logique des forces

    productives, entendues au sens matériel du terme. Pour Marx, c  était le pro

    grès technique qui était

    «

    n dernière instan

    ce»

    le moteur de l histoire. Le

    schéma reposait sur

    une

    logique évolutionni ste accordant au progrès techni

    que, aux forces productives et à la maîtri

    se

    sans cesse plus grande de la nature

    le rôle de vecteur déterminant

    in

    éluctablement l évolution sociale. La

    co

    rr

    es

    pondance éventuelle entre un certain niveau de force productive et d organisa

    tion i nstitutionnelle est une chose (pour le moulin à eau, la règle posée éta it

    cependant bien malheureuse). Mais,

    comme on

    l 'a

    reco

    nnu depuis longtemps,

    autre c ho

    se

    est d' établir un

    li

    en

    de

    causalité univ

    oque

    entre les deux niveaux.

    En effet, on peut aussi bien soutenir que le

    cap

    italisme es t nécessaire à

    l invention de la machine à vapeur que la thèse opposée, de sorte qu   une expli

    ca

    ti

    on annule l  autre.

    Weber a inversé le paradig

    me (d'

    o

    ù,

    pendant

    lon

    gtemps, la volonté de faire

    de son enseignement

    un

    antidote

    à

    Marx). Pour lui,

    c'éta

    it

    l'in

    stitution qui

    donnait vie au sys t

    ème

    économique, et non l inverse. Pas de machine à vapeur

    sans bourgeois puritain, pourrait-on

    di r

    e. Certes, la log ique un peu simpliste

    présentée dans L éthique protestante fit place par la suite à des analyses plus

    nuancées

    3 1

    . Mais

    l'insp

    iration fondamentale resta tou

    jo

    urs la même

    et

    ce n'est

    nullement un hasard si Weber prit un intérêt particulier à décrire les formes

    religieuses et politiques du judaïsme antique ou des mondes indi

    en

    et chinois.

    24

    C

    es

    analyses

    cu

    lturelles lui paraissaient susceptibles

    de

    définir les formes

    soc iales (et économiques)

    de

    ces sociétés. L'o

    bj

    ec

    tivati

    on

    de

    s relations écono

    miqu

    es

    dans une s

    ph

    ère séparée, caractéristique de la

    soc

    iété occidentale c?n

    temporaine, apparaît bien dès lors seuleme nt comme une construction

    culturelle spécifique , parmi d'autres, même i, en homme de son époque, Max

    Weber ne pouvait s' empêch

    er

    de juger les autres constructions

    cu

    lturelles à

    aune

    de celles de

    l'Oc

    cident. Au reste, à la

    fin

    de l avant- prop

    os

    de L Éthique

    protestante, texte si intéressant

    par

    le

    té d'éba uche qui est le sien par rapport

    aux travaux plus élaborés des années 19 10, Weber lui-même ne put s'empê

    cher de po

    se

    r la

    que

    stion

    de

    l origine

    de

    la forme spécifique d

    es

    institutions.

    Avec la plus grande pruden

    ce il

    est vrai,

    et

    comme à regret,

    il

    avançait l   idée

    qu 'o n

    «é

    tait naturellement

    co

    nduit à

    y

    voir le résultat décisif

    de

    9ualités

    hérédi taires>> (entend re : de qual it

    és

    propr

    es

    à la race aryenne)

    32

    .

    Peu 1mporte

    ici Je co ntenu de la réponse, surdéterminé par l'idéologie qui était celle d 'une

    époque et d' un milieu social . Weber précisait du reste que, dans l immédiat, la

    recherc he

    des

    facteurs

    li

    és «au destin

    et

    au m ilieu l

    ui

    paraissait

    se

    ule pos

    sib le.

    Mai

    s ce qui compte

    es

    t que Weber ai t é té

    sens

    ible au prob lème

    posé

    par

    les déterminants d

    es

    institutions.

    l es t donc piquant que l'analyse de Weber ait e

    ll

    e aussi abo uti à cette

    apo rie: comment« fonder la fondation », qu

    'i

    l s'agisse de« l

    'inf

    rastructure»

    ou de la « uperstru

    ct

    ur

    ? M.

    Sah

    lins a proposé une solution radicale. Pour

    lui, toute forme d

    'i nt

    erac

    ti

    on entre l

    es

    homm

    es

    et leur milieu relève de l

    'ordre

    du«

    symboliqu

     »

    , dont l

    'a s

    pe

    ct

    arbitraire ti

    ent

    au fait qu  il

    es

    t le produit, par

    définition changean . de la volonté humaine.

    Il

    n' y a pas de« pure contrainte»

    de la nature: «Les forces matérie lles considérées é m e n ~ n 'o nt pas de vie

    propre »

    33

    Le

    filtre du rend vaine to

    ut

    e

    t e n t ~ t i v ~

    vouloir

    rechercher quelque logique

    que

    ce so1tdans l

    es

    arrangements wstttuuonnels et

    en tout

    cas ob

    lige à dénier t

    out

    ca ractère détermina

    nt

    aux facteurs matériels :

    «N o

    us avons vu que rien, dans leu r capacité de sa tisfaire un besoin matériel

    (biologique), ne peul exp liquer pourquoi on produit des pantalons pour des

    homm

    es

    et

    des jupes

    pour les femmes, ou pourquoi les chie

    nS

    s

    ont jugés

    non

    co

    mestibles, tandis

    qu'un

    quarti

    er de bœuf

    satisfait merveilleu

    se

    ment le

    besoin de mange r. Les rapports de production - la division du travail opérée

    par des catégories et d es capacités cultureUement déterminées - ne peuvent

    pas non plus être déduits des catégories et des ca pacités matériellement déter

    minées de la population

    »

    34

    La dialectique infrastructure - superstru

    ct

    ure

    chère

    à

    Marx

    et

    la vision d'une histoire orientée s effacent donc au profit du

    paradigme d'une histoire vouée à l

    'arb

    itraire d

    es co

    n

    st

    ructions cul

    tur

    elles. Si

    J'o n pousse ce tte logique

    jusqu'au

    bout, non seulemen t l   histoire n'a plus de

    sens (proposition à laquelle on serait certes prêt à sousc rire), mais elle n

    'a

    de

    logiqu

    e :

    elle

    n'est

    que

    déso

    rdre

    et

    chaos, faisant songer à la sombre medi

    tation de Macbeth sur la vie (M.5.5)

    :

    « A tale told by an idiot, full of sound

    a

    nd

    fury, signifying nothing ».

    25

  • 8/18/2019 1 - Bresson - L Économie de La Grèce Des Cités (Vol I) - (Cap I)

    14/23

    L économie de a Grèce des cirés (fin Vl -f siècle a.C )

    . L 'intérêt de

    ce

    tte analyse est certes d 'obliger à revenir sur la différenciation

    f ~ t e par Max Weber

    entre

    deux niveaux de rationalité, la rationalité maté

    celle ? e

    a ~ t i o imméd 

    ate,

    et

    la rationalité en valeur, co

    rre

    s

    pondant

    à

    des unpérattfs

    élh1

    ques, esthé11ques, moraux ou rel

    ig

    ieux. En réalité

    comme

    le montre M . Sahlins. il n  y a pas d'action qui soit « immédiate » hors co

    n

    texte institutionnel : s

    ur ce po

    in

    t,

    ses analyses

    so

    nt rigoureuses et

    c ~ n v a i n c a n

    tes. revanche. le a c t è r e

    a _ r b i t r a i r

    des traits culturels ne doit pas masq uer

    la

    réahté

    de

    cesJeux

    d opposl .J.ons. Les ma

    rqueur

    s de différenciation entre

    le

    s

    e n r e varient d'une soc iété à

    un

    e autre,

    mai

    s ce

    qu

    i demeure est la dis tin

    c

    tiOn

    , par exemple entre les genres ou entre les niveaux sociaux. �