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1 Des jeniors impliqués au travail, une nécessité sociale Les populations des pays industrialisés, celle de la France en particulier, vieillissent. Selon les experts, dont ceux de l’Insee, il y aura un actif pour une personne retraitée à l’horizon 2050 contre trois pour une en 2010, et 69 personnes sur cent auront plus de soixante ans. Pour l’heure, l’âge légal de la retraite est fixée à 62 ans 10 mais, selon l’OCDE, seulement 34 % des plus de cinquante ans occupent un emploi en France alors que l’Insee continue à se tenir au chiffre de 38 %. Ainsi, selon la dernière étude publiée le 5 janvier 2017, ce chiffre n’a pas bougé en dix ans : autant dire que toutes les réformes entreprises sont restées lettre morte. Lors des vingt dernières années, l’âge moyen du départ à la retraite a été avancé de 8 ans pour les hommes et de 7 ans pour les femmes. 10 « La retraite à 62 ans n’a pas changé fondamentalement la donne pour l’emploi des seniors, du moins pas à court terme. C’est ce que montre une étude de l’Insee publiée jeudi. La réforme de 2010, qui a retardé de deux ans l’âge d’ouverture des droits à retraite, a eu pour "effet dominant" de "figer les situations atteintes à l’approche de la soixantaine" », selon les auteurs de l’étude INSEE parue le 5 janvier 2017.

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1 Des jeniors

impliqués au travail, une nécessité sociale

Les populations des pays industrialisés, celle de la France en particulier, vieillissent. Selon les experts, dont ceux de l’Insee, il y aura un actif pour une personne retraitée à l’horizon 2050 contre trois pour une en 2010, et 69 personnes sur cent auront plus de soixante ans. Pour l’heure, l’âge légal delaretraiteestfixéeà62ans10 mais, selon l’OCDE, seulement 34 % des plus de cinquante ans occupent un emploi en France alors que l’Insee continue à se tenir au chiffre de 38 %. Ainsi, selon la dernière étude publiée le 5 janvier 2017, ce chiffre n’a pas bougé en dix ans : autant dire que toutes les réformes entreprises sont restées lettre morte. Lors des vingt dernières années, l’âge moyen du départ à la retraite a été avancé de 8 ans pour les hommes et de 7 ans pour les femmes.

10 « La retraite à 62 ans n’a pas changé fondamentalement la donne pour l’emploi des seniors, du moins pas à court terme. C’est ce que montre une étude de l’Insee publiée jeudi. La réforme de 2010, qui a retardé de deux ans l’âge d’ouverture des droits à retraite, a eu pour "effet dominant" de "figer les situations atteintes à l’approche de la soixantaine" », selon les auteurs de l’étude INSEE parue le 5 janvier 2017.

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Depuis 1968, le taux d’employabilité des jeniors a reculé de 58 % à 38 % en 2015 alors que les pays de l’Union s’étaient engagés en 1993 à atteindre un pourcentage de 50 % de plus de cinquante ans en activité. D’autres pays européens ont obtenu des résultats plus probants en raison d’une volonté politique qui s’est traduite dans les faits. La Finlande ou les Pays-Bas ont vu leur taux d’emploi des jeniors augmenter de 16 et 20 points depuis lors – et l’Allemagne de 10 points depuis 2000 –, alors que ces pays avaient un taux d’emploi des jeniors comparable à celui de la France. La Suède se retrouve en tête du hit-parade avec 70 % des plus de cinquante ans au travail et un âge moyen de départ à la retraite qui frôle les 64 ans (contre 38 % et 59 ans dans l’Hexagone)11.

1.1 L’âge de la retraite !?Pour Pierre-Louis Bras, le président du COR : « L’âge de la retraite est au cœur des débats avec une forte portée symbolique12 (…) depuis le début des premières lois sur les retraites. »

Dans la loi de 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes, l’âge était fixéà65anstandisquelaCGTdénonçait«uneretraitepourlesmorts»,carelleétaitfixéeau-delàdel’espérancedeviemoyenneencedébutdu20e siècle. En 2017, cette espérance de vie est établie à 85 ans pour les femmes et 79 ans pour les hommes alors que l’âge de la retraite a été repoussé à 62 ans.

Danscesconditions,deuxépineusesquestionsseposent:commentfinancerles 17 à 23 ans qui suivent, d’une part, et comment préparer les seniors à une activité épanouissante, d’autre part ? La première réponse doit être apportée par les politiques, la seconde par les dirigeants, et notamment par les services des ressources humaines.

Notre propos est d’aider ces derniers à prendre en charge les préretraités dans la perspective de la RSE (responsabilité sociétale des entreprises) tellequedéfinieparlanormeNFISO26000,dontnousavonsexpliquéparailleurs la méthodologie, les principes et les pratiques13.

11 Source : Insee, Eurostat.12 Rapport du 13e colloque du Conseil d’Orientation des retraites de 2015, p.7.13 Labruffe Alain, avec Nathalie Descamps, Les clés de l’organisation responsable – L’homme

au cœur de l’ISO 26000, AFNOR Éditions, 2014.

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1.1.1 Considérer les jeniors comme des futurs retraités actifs

C’estdoncunactedegouvernancemajeurquededéfiniretmettreenœuvreles actions qui doivent être menées pour préparer le départ à la retraite des salariés dans le cadre de l’éthique, des droits humains fondamentaux et d’une démarche responsable.

Reste à accomplir aussi une révolution copernicienne pour considérer les seniors commedes consommateurs avisés, afin de concevoir un pland’action en leur faveur lors de leurs dernières années de travail au sein d’une entreprise,auprofitdelaperformancesocialedecettedernière.

Il s’agit aussi de considérer les jeniors comme ayant encore besoin – dans cettephaseultime–dedévelopperleurscompétencesauprofitdelasociététout entière et de transférer leurs savoirs et savoir-faire, leur expérience et leur bon sens, leur savoir-être et leurs astuces demétier au profit desnouvelles générations. Les entreprises éviteront ainsi le trou béant que ces « compétences orphelines » constituent et dont certains dirigeants se privent sans bien cerner les conséquences sur l’expertise et l’efficacité de leurstructure. Transmises, elles deviennent une richesse et concourent à une entreprisedurable;nontransmises,ellesdépossèdent lepréretraitédesadignité, de sa motivation et de sa mission de transmission.

Il s’agit aussi de veiller à optimiser les conditions de travail et de les ajuster au plus près des exigences cognitives, physiques et physiologiques de salariés qui ont besoin d’un tel soutien pour conserver leurs compétences au top niveau des exigences de leur fonction, voire des évolutions qui s’imposent.

Enfin une gouvernance consciente de ses devoirs envers les plus âgésparmi ses collaborateurs, doit veiller à ce que leurs compétences aient un retentissement favorable sur l’environnement : par exemple, en facilitant leur transport, en leur donnant une mission particulière concernant les économies d’énergie, le tri des déchets ainsi que toute la discipline et l’organisation qui s’imposent en la matière. Il s’agit là très certainement d’une des conditions majeures pour qu’une entreprise devienne « durable » en accordant tout le crédit nécessaire à ses plus anciens collaborateurs au lieu de les jeter prématurément à la rue.

Un dernier constat s’impose aussi : la motivation au travail et le goût du travail bien fait, comme l’attachement à l’entreprise, paraissent bien plus élevés que pour les jeunes recrues auxquelles les aînés peuvent servir de mentors, d’exemples à suivre ou de tuteurs selon les cas et les opportunités.

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Le rapport du COR de juin 2015 cité plus haut montre en effet que l’attachement autravailprime–leplussouvent–legainfinancierquandunsalariéchoisitde prolonger son départ à la retraite. C’est donc toute la philosophie, les principes et l’ensemble des pratiques initiées et mises en œuvre par la norme NF ISO 26000 que cette prise en charge adaptée des jeniors réclame (de la part des dirigeants soucieux de leur éthique, de performance sociale, de rentabilité de la formation continue) jusqu’au dernier jour de travail de chaque jenior.

Un tel plan d’action devrait entraîner la réalisation ultime, voulue par la responsabilité sociale : des relations apaisées, sereines et motivantes pour tous, un épanouissement et un accomplissement réellement optimum pour chaque seniorainsiconsidéré,reconnu,apprécié,uneintensificationdelaformationcontinue de tous les personnels, de ceux qui unit un contrat intergénérationnel notamment : les jeunes et les jeniors.

Lafigure1.1ci-contreindiquequelaretraitereprésenteencoreprèsdutiersdu parcours total d’une vie. À cet égard, il est donc important pour un salarié âgé de se maintenir en activité et de se préparer pendant les dernières années de travail à l’exercice de compétences acquises et confortées pendant son parcours professionnel. Cela est d’autant plus crucial que l’accélération de l’irruption des nouvelles technologies dans tous les secteurs d’activité met l’entreprise devant un choix déterminant pour le sort des jeniors :

► faire place nette et se débarrasser de ses salariés les moins formés ou jugéslesmoinsaptesàacquérirlesnouvellescompétencesnécessaires;

► ou investir dans le capital humain représenté par les plus de cinquante ans en les perfectionnant.

Choisir la première solution, c’est réaliser la prédiction des augures qui annoncent la suppression de plus de 80 % des emplois existants à l’horizon 2050 et une augmentation sensible des laissés pour compte. Déjà audébutdel’automatisation(àlafindesannées1960),lesmêmespronosticsprévoyaient la suppression de 98 % des emplois14. Or, l’entreprise s’est adaptée, les hommes se sont formés et le capital humain des organisations detoutenatures’estenrichi.Affirmonshautetfortquecesontleshommesqui font la richesse et la survie d’une structure quand elle est confrontée à desdéfisvitauxetàlaconcurrencedelamondialisation.Faceauxnouvellestechnologies qui font, ce sont les hommes qui les conçoivent et gardent la

14 Labruffe Alain, Charge mentale et automatisation des postes de travail, Thèse de 3e cycle, Bordeaux, 1973.

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conscience de leur responsabilité sociétale. Même le développement des NBIC15 ne changera pas cette réalité.

Légende : EV = Espérance de vie, les dates concernent les générations nées de 1930 à 1990

Figure 1.1 La part de la vie retraitée dans le parcours total de vie Source : Rapport du COR 2015, Patrick Aubert

Avec l’aide du législateur, de nombreuses entreprises avaient, jusqu’à une époque récente, choisi la facilité, à savoir la première option avec les conséquences sociétales connues : augmentation du chômage, délocalisations et précarité des seniors partis prématurément. Pour avoir accompagné de nombreuses organisations (depuis le début d’une longue carrière consacrée à la gestion des compétences et à leur apprentissage), nous pouvons toutefois affirmer que le choix de la deuxième option estun pari réalisable. Des salariés âgés peuvent apprendre et acquérir des compétences qui les amènent à faire un saut impressionnant en termes de compétences professionnelles, de responsabilités et même de savoir-être (ces compétences relationnelles indispensables, aujourd’hui comme hier, pour satisfaire le « client », qu’il soit collègue ou consommateur, collaborateur ou dirigeant, fournisseur ou visiteur et toutes les « parties prenantes » avec lesquelles chacun est en contact).

Pour ce type de formation continue à l’usage de populations qui ont quitté l’école depuis longtemps, il est d’ailleurs question d’apprendre autrement

15 NBIC : Nanotechnologie, Biotechnologies, technologies de l’Information et sciences Cognitives. C’est l’ensemble des nouvelles technologies de l’information et de la cognition appelées à remplacer une multitude d’activités humaines par les tenants de la transhumanie et les dirigeants du GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple).

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à l’aide de nouvelles méthodes. En effet, il s’agit d’utiliser différemment le cerveau plutôt que d’effectuer un sempiternel retour à l’école indigeste, comme le souligne Idriss Aberkane dans un ouvrage détonant16.

1.1.2 L’âge de départ à la retraite : un rébus !

Un détour s’impose pour préciser la question : l’âge du départ à la retraite s’impose aux entreprises dans une problématique complexe. C’est même devenu, pour chaque salarié, la dernière devinette à la mode tant les règles du jeu ont changé en quelques années et risquent encore d’être bousculées.

L’âgelégaloul’âged’ouvertureàlaretraiteestfixé,àpartirdelagénération1955, à 62 ans. L’âge du taux plein passe progressivement à 67 ans pour cette même génération. Ces bornes, 62 et 67 ans, délimitent les âges effectifs de départ à la retraite. Nous éviterons de considérer les exceptions qui sont nombreuses ainsi que les catégories de métier qui en font partie.

Une autre précision est nécessaire pour différencier les âges effectifs de départ à la retraite et l’âge auquel les personnes décident de liquider leurs droits à la retraite. Après 2008, l’âge de départ à la retraite augmente en passant, en moyenne, hommes et femmes confondus, de 61 ans à 61,7 ans, soit une augmentation de 0,7 an entre 2008 et 2012.

Notons que les femmes partent plus tard que les hommes, probablement pour rattraper les trimestres perdus suite à divers aléas qui ont interrompu ou retardé leur carrière.

En outre, les personnes qui ont le moins de compétences – et donc les plus bassalaires,engénéral–retardentleurdépartafind’augmenterleurtauxdepension17.

Enfin,leCORs’estintéresséàtraversdiversesenquêtesauprèsdessalariésrelevant du régime général à évaluer l’âge idéal pour partir à la retraite. Cet âge serévèleêtreenmoyenneinférieurde11mois,maisprochedudépartfixéà62 ans, à la fois pour les personnes sans emploi et pour celles qui travaillent18.

Observons que dans la fonction publique, l’âge de départ a sensiblement augmenté entre 2005 et 2014, passant de moins de 56 ans à plus de 59 ans pour la FHP, 58 ans à 61 ans pour la FPE, et 59 ans à plus de 61 ans pour

16 Aberkane Idriss, Libérez votre cerveau – Traité de neurosagesse pour changer l’école et la société, Robert Laffont, 2016.

17 Rapport du COR 2015, p.23.18 Id. p.74.

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la FPT19. Ces chiffres, quoique se rapprochant des statistiques générales, restent bien en dessous de ceux relevés dans le secteur privé.

En résumé, suite aux réformes des retraites engagées depuis 1993, l’âge de départ à la retraite a reculé de 2 ans et demi à 3 ans pour les générations 60 à 80.

Avant leur départ à la retraite, et quels que soient leurs secteurs d’activité, les jeniors travaillent. Les entreprises ont le devoir de les prendre en charge pour les projeter dans le système social dans le meilleur état psychologique et avec le meilleur capital de compétences préservé. Pourquoi ? Car ceux qui deviennent seniors en partant à la retraite conservent une utilité sociale qui trouve son plein essor dans les associations au sein desquelles ils vont exercer leurs talents, et contribuer ensuite à la performance sociale du pays.

Or, si moins de 10 % des plus de 60 ans sont dans ce cas, entre 50 et 60 ans près de 20 % des salariés se retrouvent inactifs, préretraités sans emploi ou auchômage,commelemontrelafigure1.2pourlesannées2013et2014.

Figure 1.2 Situation des seniors entre 50 et 69 ans Source : Rapport du COR 2015, Patrick Aubert

19 FHP : FonctionPubliqueHospitalière ; FPE : FonctionPublique d’État ; FPT : FonctionPublique Territoriale.

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C’est un échec pour les entreprises de gaspiller autant de compétences, c’est ungâchispourl’Étatdedevoirfinancerautantd’individuslaissésàl’abandon,c’est une souffrance pour près de six millions de chômeurs qui sont considérés inutiles et à charge de la société (Source COR, Rapport annuel 2015).

1.2 Jeniors : une ressource insoupçonnée à ressourcer

Soulignons un aspect important qui décide du départ à la retraite. Aussi bien dans le privé que dans la fonction publique, 62 % des personnes auprès desquelles le COR a enquêté indiquent des motifs non financiers pourprolonger leur départ à la retraite. Ces chiffres peuvent être rapprochés d’autres enquêtes estimant au même niveau le pourcentage de salariés attachés à leur entreprise et satisfaits de leur travail et heureux de travailler.

Selon nous et d’autres spécialistes, ces presque deux tiers de salariés sont donc précieux pour l’organisation et pour ceux dont l’horizon est la retraite. Par conséquent, il convient de les prendre en compte comme des gens motivés et derenforcercettemotivation,cetattachementetcettefidélitéenmettantenplace un plan d’action susceptible d’optimiser les trois conséquences qui en dé-coulent pour l’organisation aux plans économique, environnemental et social.

C’est l’objectif de cet ouvrage de proposer un plan d’action contribuant à l’épanouissement de ces ressources proprement humaines que constituent les seniors, ou plutôt ces personnes âgées de plus de 50 ans que nous dénommons jeniors, réservant le terme de seniors pour tous les salariés qui prennent leurs retraites, sont inactifs ou au chômage.

Ce plan d’action devrait aussi aider, comme nous le constatons sur le terrain, un autre tiers à améliorer son sort au sein des organisations, à prévenir les RPS (risques psychosociaux) et notamment la fatigue qui les guette, etàressourcer lescadresenfindecarrièredésabusésquinesaventpluscomment motiver leurs équipes, les jeunes générations en particulier, ou qui ne savent plus comment faire face à l’irruption des nouvelles technologies dans leur zone de responsabilité.

1.3 Une situation sous contrôleSi les jeniors sont pris en compte par les entreprises comme la loi les y invite, le bénéfice pour l’État est donc double, économique d’une part, et sociald’autre part en évitant le mécontentement des populations concernées et

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les troubles qui s’ensuivraient. Cette situation paradoxale lui permet de tenir encore, par le truchement des porte-parole du gouvernement en place, un dramatique double langage. À terme, deux conséquences ont été jugulées par la succession de réformes sur les retraites : en premier lieu, les pensions servies, car leur budget a constitué un gouffre qui se creusait chaque année davantage, six à sept milliards d’euros pour 2009 et atteignait dix milliards en 2010. En second lieu, l’opposition entre les « nantis » retraités possédant l’assurance d’une pension régulièrement servie et les jeunes laissés sans emploi, comporte les germes d’une situation sociale explosive. Il convenait donc de prévenir un risque majeur : la collusion de ces deux populations, si lesretraitesnepouvaientplusêtreserviesrégulièrementàcausedudéficitde la branche retraite de la Sécurité sociale dont le trou a atteint un record de 23,5 milliards d’euros en 2009 et 30 en 201020 pour redescendre à 2,6 milliards d’euros en 2017. L’augmentation de l‘âge de la retraite, comme l’augmentation des trimestres de cotisations, ont concouru à limiter ce risque, ce qui explique la stagnation de la part de la retraite dans l’empan d’une vie, comme l’indique lafigure1.1ci-avant.

La confrontation, comme l’annoncent le dernier rapport du COR (Conseil d’orientation de retraites) de 2015 ainsi que Jacques Attali21, paraît inéluctable et beaucoup plus brutale que celle évitée, si l’âge de la retraite n’est pas encore reculé au-delà, vers 68 ans, comme certains pays semblent s’y engager. Elle devrait déboucher sur une situation latente de guerre civile entre deux camps issus de cette fracture. D’un côté, ceux qui possèdent un emploi minéparlamondialisation,perturbéparunmanagementdéficient,soumisàune actualisation continue des compétences pour faire face aux évolutions technologiquesgalopantes;del’autrecôté,tousceuxquisontlaisséspourcompte:leschômeursetlesjeunessansqualification,d’unepart,lesjeniorsdélaissés et inquiets sur leur sort, d’autre part.

Pour l’instant, les papys et mamies ne sont guère organisés dans des associations ou des mouvements revendicatifs. Dans ces conditions de relative anomie,ilsontpeuleloisirdedéfilerdanslesruesetnereprésententnullementune menace pour le pouvoir en place, d’autant qu’avec l’âge, cette population est devenue plus conservatrice, attachée à ses maigres acquis et à un paisible style de vie. Les CRS peuvent donc dormir en paix. Jusqu’au jour où un

20 29 mars 2006, Troisième rapport du Conseil d’orientation des retraite, « Retraites : perspectives 2020 et 2050 ».

21 Attali Jacques, Une brève histoire de l’avenir, Livre de poche, 2008.

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Spartacus décidera de soulever cette moitié de la population pour qu’elle soit reconnue à sa juste valeur et dont une large portion constitue une force vive22.

En effet, beaucoup de retraités consacrent temps et argent à l’action sociale en France, via les associations de toute nature qui sont tenues, organisées et gérées par des retraités actifs. Ce sont eux les seniors, alors qu’un faible pourcentage de ces retraités âgés (10 % environ, ayant en général dépassé le cap des 85 ans) a perdu son autonomie et constitue ce que nous a appelons, des « zeniors ». C’est pour cela que, depuis le début de cet ouvrage, nous appelons cette population parvenue « en deuxième partie de carrière », les plus de cinquante ans qui travaillent, ainsi que ceux qui devraient avoir un emploi, d’un terme plus approprié, comme les Américains les dénomment, à savoir les « jeniors ».

1.4 « Une saignée salutaire »Enfin,l’évictionducorpssocialdepopulationsactivesquipeuventfacilementrevendiquer et basculer dans la violence, quand leur emploi est menacé voire supprimé, devient unemesure pacificatrice. C’est aussi un puissantsignal pour ceux qui conservent leur emploi et ont ainsi à cœur de se maintenir au travail le plus longtemps possible, même si celui-ci est de plus en plus stressant et source d’une sourde pathologie : du stress au suicide en passant par les TMS (troubles musculo-squelettiques) et le burn-out. Rajoutons d’autres symptômes psychosociaux sans prétendre être complet : absentéisme, démission, sabotage, accidents, maladies professionnelles, grèves, prise d’otages, violences23.

Parailleurs,commeme leconfiaitunresponsableRHd’ungrandGroupe,cette éviction du travail (par des mises à la retraite anticipée), représente une « saignée salutaire pour le corps social ». En effet, cette éviction permet de se séparer de ceux qui sont considérés, en raison de leur âge, comme les moinsdynamiques,lesplusdifficilementformablesetlesmoinsmalléablesetcorvéables. En outre, ces départs massifs de toute une tranche d’âge, ceux que nous appelons les « jeniors », permettent de donner l’illusion aux jeunes générations qu’ils ont une place à se faire au soleil de l’emploi en postulant à des postes ainsi libérés, alors que le taux de chômage des jeunes est en pleine ascension. Or, les jeunes font aussi l’objet d’une exclusion massive.

22 Déjà le 16 octobre 2009, les retraités ont défilé dans soixante villes de France pour manifester leur inquiétude.

23 Labruffe Alain, 70 tableaux de bord pour la qualité de vie au travail – Petit guide d’ergo-psychopathologie, AFNOR Éditions, 2011.