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Arrêt du 10 octobre 2001 rendu par l'Assemblée plénière 1° HAUTE COUR DE JUSTICE. Compétence. - Acte commis par le Président de la République en dehors de l'exercice de ses fonctions (non). 2° PRESCRIPTION. Action publique. - Suspension. - Impossibilité d'agir. - Obstacle de droit. - Président de la République. - Durée du mandat. 3° INSTRUCTION. Témoin. - Obligation de comparaître. - Président de la République. - Portée. 1° La Haute Cour de justice n'étant compétente que pour connaître des actes de haute trahison commis par le Président de la République dans l'exercice de ses fonctions et le Conseil constitutionnel n'ayant statué, dans sa décision du 22 janvier 1999, que sur la possibilité de déférer le Président de la République à la Cour pénale internationale pour y répondre des crimes de la compétence de cette Cour, les poursuites engagées pour toute autre infraction ressortissent de la compétence des juridictions pénales de droit commun. 2° Etant élu directement par le peuple pour assurer, notamment, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat, le Président de la République ne peut être mis en examen, cité ou renvoyé devant une juridiction pénale de droit commun pendant la durée de son mandat. Il en résulte que la prescription de l'action publique est suspendue pendant cette même durée. 3° Le Président de la République n'est pas soumis à l'obligation de comparaître en qualité de témoin, dès lors que cette obligation est assortie d'une mesure de contrainte par l'article 109 du Code de procédure pénale et qu'elle est pénalement sanctionnée. Il s'ensuit qu'est irrecevable la demande d'une partie civile tendant à l'audition du Président de la République en qualité de témoin. LA COUR, Vu l'article 575, alinéa 2, 4°, du Code de procédure pénale et les articles L.2132-5 et L.2132-7 du Code général des collectivités territoriales ; Sur le moyen unique, pris en ses deux branches : Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué (Paris, chambre de l'instruction, 29 juin 2001) qu'au vu d'un rapport de la Chambre régionale des comptes, une information a été ouverte contre personne non dénommée pour favoritisme, détournement de fonds publics, abus de biens sociaux, prise ou conservation illégale d'intérêt, complicité, recel, concernant des irrégularités dans les marchés publics passés par la Société d'économie mixte parisienne de prestations, dissoute le 22 juillet 1996, dont la ville de Paris, le département de Paris et d'autres sociétés d'économie mixte étaient les actionnaires ; PDF Creator - PDF4Free v2.0 http://www.pdf4free.com

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Arrêt du 10 octobre 2001 rendu par l'Assemblée plénière

1° HAUTE COUR DE JUSTICE.

Compétence. - Acte commis par le Président de la République en dehors de l'exercice de ses fonctions(non).

2° PRESCRIPTION.

Action publique. - Suspension. - Impossibilité d'agir. - Obstacle de droit. - Président de la République. -Durée du mandat.

3° INSTRUCTION.

Témoin. - Obligation de comparaître. - Président de la République. - Portée.

1° La Haute Cour de justice n'étant compétente que pour connaître des actes de haute trahisoncommis par le Président de la République dans l'exercice de ses fonctions et le Conseilconstitutionnel n'ayant statué, dans sa décision du 22 janvier 1999, que sur la possibilité dedéférer le Président de la République à la Cour pénale internationale pour y répondre descrimes de la compétence de cette Cour, les poursuites engagées pour toute autre infractionressortissent de la compétence des juridictions pénales de droit commun.

2° Etant élu directement par le peuple pour assurer, notamment, le fonctionnement régulierdes pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat, le Président de la République ne peutêtre mis en examen, cité ou renvoyé devant une juridiction pénale de droit commun pendant ladurée de son mandat. Il en résulte que la prescription de l'action publique est suspenduependant cette même durée.

3° Le Président de la République n'est pas soumis à l'obligation de comparaître en qualité detémoin, dès lors que cette obligation est assortie d'une mesure de contrainte par l'article 109du Code de procédure pénale et qu'elle est pénalement sanctionnée. Il s'ensuit qu'estirrecevable la demande d'une partie civile tendant à l'audition du Président de la Républiqueen qualité de témoin.

LA COUR,

Vu l'article 575, alinéa 2, 4°, du Code de procédure pénale et les articles L.2132-5 et L.2132-7du Code général des collectivités territoriales ;

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué (Paris, chambre de l'instruction, 29 juin 2001) qu'au vud'un rapport de la Chambre régionale des comptes, une information a été ouverte contrepersonne non dénommée pour favoritisme, détournement de fonds publics, abus de bienssociaux, prise ou conservation illégale d'intérêt, complicité, recel, concernant des irrégularitésdans les marchés publics passés par la Société d'économie mixte parisienne de prestations,dissoute le 22 juillet 1996, dont la ville de Paris, le département de Paris et d'autres sociétésd'économie mixte étaient les actionnaires ;

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Que, s'étant constitué partie civile en lieu et place de la ville de Paris en vertu d'uneautorisation donnée le 7 juillet 2000 par le tribunal administratif, M. Michel Breisacher a saisile 21 novembre 2000 les juges d'instruction d'une requête motivée en vue de l'audition, enqualité de témoin, de M. Jacques Chirac, à l'époque des faits maire de Paris et aujourd'huiPrésident de la République ;

Que, par ordonnance du 14 décembre 2000, les juges d'instruction se sont déclarésincompétents pour procéder à l'acte d'information sollicité, aux motifs que la demanded'audition est formulée en des termes tendant à la mise en cause pénale de M. Jacques Chirac,qu'aux termes de l'article 68 de la Constitution, le Président de la République n'est responsabledes actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison, et que, selonl'interprétation que donne de ce texte la décision du 22 janvier 1999 du Conseilconstitutionnel, "au surplus, pendant la durée de ses fonctions, sa responsabilité pénale nepeut être mise en cause que devant la Haute Cour de justice, selon les modalités fixées par lemême article" ;

Attendu que, pour confirmer l'ordonnance entreprise, l'arrêt retient que ce dernier membre dephrase est un des motifs qui fondent la décision du Conseil constitutionnel, dont, en vertu del'article 62 de la Constitution, les décisions s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes lesautorités administratives et judiciaires, et que, dès lors, tant l'article 68 de la Constitution quela décision du 22 janvier 1999 du Conseil constitutionnel excluent la mise en mouvement, parl'autorité judiciaire de droit commun, de l'action publique à l'encontre d'un Président de laRépublique dans les conditions prévues par le Code de procédure pénale, pendant la durée dumandat présidentiel, les juges d'instruction restant néanmoins compétents pour instruire lesfaits à l'égard de toute autre personne, auteur ou complice ;

Attendu que le demandeur fait grief à l'arrêt d'avoir statué ainsi, alors, selon le moyen :

1°/ que, n'ayant statué que sur la constitutionnalité de l'article 27 du traité portant statut de laCour pénale internationale, la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999 nedispose d'aucune autorité de chose jugée à l'égard du juge pénal agissant en application desdispositions du Code de procédure pénale, qui n'ont fait l'objet d'aucune décision du Conseilconstitutionnel portant sur la question de l'immunité du chef de l'État ;

2°/ qu'en vertu du principe constitutionnel de l'égalité des citoyens devant la loi, l'immunitéinstituée au profit du Président de la République par l'article 68 de la Constitution nes'applique qu'aux actes qu'il a accomplis dans l'exercice de ses fonctions et que, pour lesurplus, il est placé dans la même situation que tous les citoyens et relève des juridictionspénales de droit commun ;

Mais attendu que, si l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel s'attache nonseulement au dispositif, mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire, ces décisionsne s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives et juridictionnelles qu'ence qui concerne le texte soumis à l'examen du Conseil ; qu'en l'espèce, la décision du 22janvier 1999 n'a statué que sur la possibilité de déférer le Président de la République à la Courpénale internationale pour y répondre des crimes de la compétence de cette Cour ; qu'ilappartient, dès lors, aux juridictions de l'ordre judiciaire de déterminer si le Président de laRépublique peut être entendu en qualité de témoin ou être poursuivi devant elles pour yrépondre de toute autre infraction commise en dehors de l'exercice de ses fonctions ;

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Attendu que, rapproché de l'article 3 et du titre II de la Constitution, l'article 68 doit êtreinterprété en ce sens qu'étant élu directement par le peuple pour assurer, notamment, lefonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État, le Président dela République ne peut, pendant la durée de son mandat, être entendu comme témoin assisté, niêtre mis en examen, cité ou renvoyé pour une infraction quelconque devant une juridictionpénale de droit commun ; qu'il n'est pas davantage soumis à l'obligation de comparaître entant que témoin prévue par l'article 101 du Code de procédure pénale, dès lors que cetteobligation est assortie par l'article 109 dudit Code d'une mesure de contrainte par la forcepublique et qu'elle est pénalement sanctionnée ;

Que, la Haute Cour de justice n'étant compétente que pour connaître des actes de hautetrahison du Président de la République commis dans l'exercice de ses fonctions, les poursuitespour tous les autres actes devant les juridictions pénales de droit commun ne peuvent êtreexercées pendant la durée du mandat présidentiel, la prescription de l'action publique étantalors suspendue ;

Attendu que, si c'est à tort que la chambre de l'instruction, au lieu de constater l'irrecevabilitéde la requête de la partie civile, a déclaré les juges d'instruction incompétents pour procéder àl'audition de M. Jacques Chirac, l'arrêt, néanmoins, n'encourt pas la censure, dès lors que lesmagistrats instructeurs, compétents pour instruire à l'égard de toute autre personne, n'avaientpas le pouvoir de procéder à un tel acte d'information ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

ASS. PLEN. - 10 octobre 2001. REJET

N° 01-84.922. - C.A. Paris, 29 juin 2001. - M. Breisacher

M. Canivet, P. Pt, Pt. - M. Roman, Rap. (dont rapport ci-après reproduit), assisté de M. Lichy,auditeur.- M. de Gouttes, P. Av. Gén. (dont conclusions ci-après reproduites).- la SCPLesourd, Av.

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Conclusions de M. de GOUTTES,

Premier avocat général

Le pourvoi qui vous est soumis aujourd'hui n'aurait pas existé si les textes constitutionnels etlégislatifs en la matière avaient été clairs.

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Mais la Constitution n'est pas claire dans son article 68, en ce qui concerne le régime de laresponsabilité pénale applicable au Président de la République pour les actes accomplis endehors de l'exercice de ses fonctions, et le Code de procédure pénale ne contient aucunedisposition sur la faculté d'entendre le chef de l'Etat en qualité de témoin.

De cette lacune, de cette "insoutenable légèreté des textes", viennent toutes les difficultésactuelles. De là les controverses doctrinales qui divisent les constitutionnalistes et lespénalistes. De là la décision interprétative contestée du Conseil constitutionnel du22 janvier 1999. De là enfin le présent pourvoi, qui vient vous demander de donner votrepropre interprétation d'une disposition de la Constitution, au risque, peut-être, de vous voirreprocher ensuite - une fois de plus - d'instaurer un "gouvernement des juges"...

Quel est en effet l'objet du pourvoi de M. Breisacher ?

En critiquant la décision d'incompétence des juges du fond tant pour procéder à l'auditiondemandée du Président de la République en qualité de témoin que pour le mettre en examen,ce pourvoi vous demande rien de moins que de contester la décision duConseil constitutionnel du 22 janvier 1999 dont a fait application l'arrêt attaqué, par laquelleles juges constitutionnels ont donné leur interprétation de l'article 68 de la Constitutionconcernant la responsabilité pénale du Président de la République, alors qu'ils étaient saisis dela question de la compatibilité avec la Constitution de la ratification du traité portant statut dela Cour pénale internationale.

Cette question a donné lieu, comme vous le savez, à un débordement de commentaires dans ladoctrine et dans la presse. On a parlé de conflit potentiel direct entre la Cour de cassation et leConseil constitutionnel, d'affrontement d'une gravité exceptionnelle entre l'autorité judiciairesuprême et l'autorité constitutionnelle suprême, de risque de substitution de la responsabilitépénale à la responsabilité politique du chef de l'Etat. La Constitution doit l'emporter sur ledroit pénal, ont affirmé les uns. Le Conseil constitutionnel ne doit pas s'immiscer dans le droitpénal, ont répondu les autres.

En arrière plan, chacun peut comprendre que l'on assiste à une confrontation entre deuxlogiques : la logique pénale, d'une part, soucieuse de l'égalité de tous les citoyens devant la loipénale, de la répression des infractions, de la protection des droits des victimes, et la logiqueconstitutionnelle, d'autre part, attachée à la continuité de l'Etat, au principe de la séparationdes pouvoirs, à la spécificité et à la dignité des fonctions du Président de la République, élu ausuffrage universel direct par la volonté du peuple français, ainsi qu'à l'esprit de la Constitutionde 1958.

Dans le vacarme d'arguments assénés dans un sens comme dans l'autre, il appartient à votreAssemblée plénière de se prononcer sereinement en droit, en opposant, serai-je tenté de dire,l'humilité et la rigueur de la démarche du juriste face aux surenchères politico-médiatiques -toutes tendances confondues - dont nous devons nous défier, et en considérant que leproblème posé n'est pas seulement celui de la situation de l'actuel Président de la République,M. Jacques Chirac, même si votre décision est de nature à influer sur le sort de plusieursaffaires similaires en cours, mais qu'au-delà et de façon permanente, le problème est celui dudegré de protection qu'il y a lieu d'accorder à la fonction de chef de l'Etat en général.

Peut-être une telle démarche de rigueur et de sagesse est-elle la voie la meilleure pourparvenir à dégager une solution équilibrée, qui réussisse à tenir compte à la fois des exigences

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constitutionnelles, des impératifs du droit pénal, mais aussi des obligations découlant de nosengagements internationaux, notamment de la Convention européenne des droits de l'homme.

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Revenons donc à l'arrêt attaqué et au pourvoi lui-même :

L'arrêt de la 3ème chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris du 29 juin 2001 a étérendu dans le cadre de l'information suivie contre X... au tribunal de grande instance de Parisdes chefs de favoritisme dans les marchés publics, détournements de fonds publics, abus debiens sociaux, prise ou conservation illégale d'intérêt, recel et complicité, concernant desirrégularités commises dans la passation de marchés publics de fournitures et de prestations detravaux d'imprimerie par la Société d'économie mixte parisienne de prestation dite"SEMPAP", dissoute le 22 juillet 1996, dont la ville de Paris, le département de Paris etd'autres sociétés d'économie mixte étaient actionnaires.

L'arrêt attaqué comporte deux parties :

- d'une part, il confirme l'ordonnance des juges d'instruction du tribunal de grande instance deParis (MM. André Riberolles et Marc Brisset-Foucault) en date du 14 décembre 2000, parlaquelle ces juges se sont déclarés incompétents pour procéder à l'audition du Président de laRépublique en qualité de témoin sur le fondement de l'article 82-1 du Code de procédurepénale, audition qui leur avait été demandée le 21 novembre 2000 par la partie civile,M. Michel Breisacher, autorisé à se constituer partie civile aux lieu et place de la ville de Parispar décision du tribunal administratif de Paris du 7 juillet 2000 ;

- d'autre part, il rejette la demande de mise en examen du Président de la Républiqueprésentée ultérieurement par M. Breisacher devant la chambre de l'instruction le 14 mai 2001sur le fondement des articles 82-1, 204 et 205 du Code de procédure pénale.

L'arrêt du 29 juin 2001 se présente ainsi comme un arrêt déclarant incompétente la juridictiond'instruction, et non pas comme un arrêt rendu sur une demande d'acte d'information, quiaurait relevé de l'appréciation souveraine des juridictions d'instruction (cf. : Cass. Crim.,25 mars 1977, Bull. Crim., n° 118).

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Le mémoire ampliatif de Me Lesourd, pour M. Breisacher, dans son moyen unique en deuxbranches, ne critique la décision de la chambre de l'instruction qu'en ce qu'elle a confirmé ladéclaration d'incompétence des juges d'instruction pour procéder à l'audition requise duPrésident de la République en qualité de témoin, mais il ne remet pas en cause expressémentle rejet, par la chambre de l'instruction, de la demande ultérieure de mise en examen du chefde l'Etat, sans doute parce que les motifs de ce rejet lui ont paru suffisamment convaincants, àsavoir :

• sur le fondement de l'article 82-1 du Code de procédure pénale, une partie civile nepeut demander, sur la base d'une interprétation toute personnelle et d'affirmationspéremptoires, qu'une personne qu'elle désigne nommément soit mise en examen parune juridiction d'instruction ;

• la chambre de l'instruction, saisie de l'appel d'une ordonnance d'incompétence, ne peutexercer à cette occasion le pouvoir qu'elle tient de l'article 204 du Code de procédurepénale, lequel ne s'applique qu'après règlement par les juges d'instruction de laprocédure.

Si vous vous en teniez littéralement au moyen, et rien qu'au moyen, vous pourriez vous bornerau seul problème du témoignage et répondre exclusivement à la question de savoir si, dans lescirconstances de l'espèce, la demande d'audition du Président de la République en qualité detémoin était régulière au regard des articles 101 et 105 du Code de procédure pénale, ce qui nesoulèverait pas de grandes difficultés, compte tenu des éléments réunis dans le présentdossier.

Cependant, dans la mesure où la chambre de l'instruction a fondé sa décision sur le motif quela demande de M. Breisacher n'était pas en réalité une demande de recueil de "témoignage",mais une demande "d'interrogatoire" du chef de l'Etat, donc une mise en cause de saresponsabilité pénale, à laquelle s'opposent - selon elle - les textes constitutionnels et ladécision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999, et dans la mesure où le mémoireampliatif critique lui-même cette décision du 22 janvier 1999, vous serez nécessairementconduits à vous prononcer aussi sur le problème des poursuites pénales contre le chef d'Etatou de la mise en cause de sa responsabilité pénale.

* *

*

Ainsi, deux questions successives sont posées par le présent pourvoi :

1 - le problème de l'audition du Président de la République en qualité de témoin ;

2 - le problème de la mise en cause de la responsabilité pénale du Président de la Républiquependant la durée de ses fonctions.

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*

Au préalable, nous devons nous assurer que le pourvoi de M. Breisacher est bien recevable auregard des articles L. 2132-5 et L. 2132-7 du Code général des collectivités territoriales.

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*

SUR LA RECEVABILITÉ DU POURVOI

Aux termes de l'article L. 2132-5 du Code général des collectivités territoriales :

"Tout contribuable inscrit au rôle de la commune a le droit d'exercer, tant en demande qu'endéfense, à ses frais et risques, avec l'autorisation du tribunal administratif, les actions qu'ilcroit appartenir à la commune, et que celle-ci, préalablement appelée à en délibérer, a refuséou négligé d'exercer".

M. Breisacher a bien respecté les prescriptions de ce premier texte, puisqu'il a été autorisé, pardécision du tribunal administratif de Paris du 7 juillet 2000, à se constituer partie civile auxlieux et place de la ville de Paris.

Mais une autre disposition du même Code, l'article L. 2132-7, ajoute :

"Lorsqu'un jugement est intervenu, le contribuable ne peut se pourvoir en appel ou encassation qu'en vertu d'une nouvelle autorisation".

Est-ce à dire que M. Breisacher devait solliciter une nouvelle autorisation du tribunaladministratif pour interjeter appel de l'ordonnance des juges d'instruction, puis pour sepourvoir en cassation contre l'arrêt de la chambre de l'instruction ?

À défaut d'une telle autorisation, faudrait-il soulever d'office l'irrecevabilité du pourvoi encassation, alors que cette question n'a été évoquée par personne ?

Je ne le pense pas, car l'interprétation raisonnable de l'article L. 2132-7 conduit à penser que,si ce texte a entendu exiger une nouvelle autorisation du tribunal administratif pour releverappel ou se pourvoir en cassation contre un jugement ou un arrêt rendu sur le fond ou mettantfin à la procédure, il n'a certainement pas voulu exiger une telle autorisation pour releverappel ou se pourvoir en cassation contre une ordonnance, un jugement ou un arrêt statuantseulement avant dire droit et ne mettant pas fin à la procédure comme en l'espèce. En effet,s'agissant en pareil cas de décisions de pure procédure pénale rendues en cours d'information,

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le tribunal administratif ne serait pas en mesure d'apprécier les chances de succès de l'appel oudu pourvoi en cassation. Exiger en ce cas une nouvelle autorisation du tribunal administratifserait à la fois inutile et générateur de retards incompatibles avec le respect des délais d'appelet de cassation en matière pénale. Cela reviendrait à paralyser le cours de l'informationjudiciaire et à subordonner entièrement le juge pénal au juge administratif.

La jurisprudence administrative en la matière ne semble d'ailleurs pas contredire cetteanalyse(1).

Quant à la jurisprudence de la Cour de cassation, il existe certes un arrêt de la chambrecriminelle ("Gérard Gilbert", Bull. Crim. 1985, n° 1) qui a dit qu'un contribuable exerçantl'action appartenant à la commune était irrecevable à se pourvoir en cassation en l'absenced'une nouvelle autorisation du tribunal administratif, mais il s'agissait dans cette affaire d'unpourvoi contre un arrêt mettant fin à la procédure et d'un demandeur qui n'avait pas obtenul'autorisation initiale d'agir, ce qui n'est pas le cas de M. Breisacher(2).

La recevabilité du pourvoi de M. Breisacher ne me paraît donc pas devoir être contestée dansle présent dossier.

PREMIÈRE PARTIE

Le PROBLÈME de l'AUDITION du PRÉSIDENT de la RÉPUBLIQUE EN QUALITÉde TÉMOIN

La chambre de l'instruction de Paris a-t-elle retenu à juste titre l'incompétence des jugesd'instruction pour procéder à l'audition demandée du Président de la République en qualité detémoin ?

Pour répondre à cette question, il convient d'examiner :

- d'une part, comment se pose le problème de principe de l'audition du Président de laRépublique en qualité de témoin ;

- d'autre part, quels sont les motifs particuliers de l'espèce qui ont conduit la chambre del'instruction à refuser la demande d'audition du Président de la République.

I - Le PROBLÈME de PRINCIPE de l'AUDITION du PRÉSIDENT de laRÉPUBLIQUE EN QUALITÉ de TÉMOIN

A - Force est de constater, tout d'abord, que l'audition comme témoin du Président de laRépublique n'est réglée par aucun texte, ni dans la Constitution, ni dans le Code de procédurepénale.

Cette lacune est d'autant plus regrettable qu'à l'inverse, les témoignages des membres duGouvernement ainsi que ceux des représentants des Etats étrangers sont, quant à eux, régis parles articles 652 et suivants du Code de procédure pénale :

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selon les articles 652 à 655 du Code de procédure pénale, la comparution comme témoin duPremier ministre et des autres membres du Gouvernement exige l'autorisation préalable duConseil des ministres ou, à défaut d'autorisation, le recueil de la déposition par écrit dans lademeure du témoin par le premier président de la cour d'appel ou par le président du tribunalde grande instance de la résidence du témoin ;

selon l'article 656 du Code de procédure pénale, la déposition écrite du représentant d'unepuissance étrangère est demandée par l'entremise du ministre des affaires étrangères et, si elleest agréée, cette déposition est reçue par le premier président de la cour d'appel ou lemagistrat qu'il aura délégué.

Par ailleurs, s'agissant des diplomates, l'article 31 de la convention de Vienne sur les relationsdiplomatiques précise que "l'agent diplomatique n'est pas obligé de donner son témoignage".

B - En présence de ce silence des textes, deux raisonnements peuvent être envisagés :

-- Selon une première analyse, vous pourriez considérer que, tant que les textes n'auront pasdéfini les conditions et les modalités de recueil du témoignage du Président de la République,son audition comme témoin devrait être exclue, étant donné, d'une part que cela reviendrait àplacer le chef de l'Etat dans une situation moins protégée que les ministres et les représentantsd'Etats étrangers, d'autre part que les mesures de contrainte et les sanctions pénales quiassortissent l'obligation de comparaître (cf. : article 109 du CPP et article 434-15-1 du Codepénal) sont incompatibles avec l'exercice des fonctions de Président de la République.

-- Mais il paraît plus cohérent d'admettre que, dès lors que les dispositions constitutionnellesne s'opposent pas à l'audition du Président de la République en qualité de témoin à propos defaits sans lien avec l'exercice de ses fonctions, les règles générales de procédure pénale ontvocation à s'appliquer à une mesure, comme le simple témoignage, qui n'a d'autre objet que dedemander à une personne extérieure et neutre d'apporter son concours à la justice en vue de lamanifestation de la vérité (articles 101 et suivants du CPP), à la condition toutefois que cettemesure n'affecte, ni le principe de la séparation des pouvoirs, ni la dignité de la fonction dechef de l'Etat(3).

- Cela signifie, d'une part, bien évidemment, que doivent être réunies alors les conditionsgénérales habituelles de validité de l'audition des témoins : il faut notamment que cetteaudition soit nécessaire à la manifestation de la vérité et qu'elle ne dissimule pas une mise encause déguisée de la responsabilité pénale de l'intéressé. Or nous verrons que c'est cetteseconde condition qui fait principalement défaut dans la présente affaire.

- Cela signifie, d'autre part, que l'audition comme témoin du Président de la République nedoit pas porter atteinte à la dignité de la fonction de chef de l'Etat, élu au suffrage universeldirect, ni au principe de la séparation des pouvoirs, ce qui entraîne trois conséquencesprincipales :

1) en premier lieu, l'audition du Président de la République en qualité de témoin ne peut,d'évidence, concerner que des faits sans lien avec l'exercice de ses fonctions.

L'existence d'un lien avec l'exercice des fonctions de chef de l'Etat explique, par exemple, laréponse négative opposée en 1984 par le Président François Mitterrand lorsque la question lui

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avait été posée de l'audition (par une commission d'enquête parlementaire, de surcroît) del'ancien Président de la République M. Valéry Giscard d'Estaing, au titre de l'instruction del'affaire dite des "avions renifleurs" (Lettre de M. Mitterrand du 29 août 1984).

Plus anciennement, a été également cité en ce sens l'arrêt du 8 février 1898, par lequel la courd'assises de la Seine avait approuvé le refus de l'ancien Président de la République, CasimirPerier, de témoigner lors du procès qui fut intenté contre Emile Zola après la publication deson célèbre "J'accuse", sur des faits dont il avait eu connaissance dans l'exercice de sesfonctions(4).

2) en deuxième lieu, l'audition du chef de l'Etat ne peut s'accompagner d'aucune mesure decontrainte, telles que celles envisagées par les articles 109 à 113 du Code de procédure pénale,ni de la sanction prévue par l'article 434-15-1 du Code pénal, mesures qui pourraient affecterla dignité de la fonction du Président de la République et le principe de la séparation despouvoirs, voire celui de la continuité de l'Etat.

Le témoignage du Président de la République ne peut donc qu'être volontaire. Il implique sonaccord.

Or nous savons, à cet égard, que le Président Chirac a clairement manifesté, à plusieursreprises, son refus de répondre à toute convocation des juges d'instruction pour une auditionen qualité de témoin, en invoquant précisément les impératifs constitutionnels liés à lafonction du Président de la République, le principe de la séparation des pouvoirs et celui de lacontinuité de l'Etat.

3) en troisième lieu, il importe, pour les mêmes raisons, que l'audition du Président de laRépublique soit effectuée dans des formes qui respectent la dignité et l'éminence desfonctions de chef d'Etat.

Il s'agit là d'un impératif qui procède tout à la fois de notre tradition républicaine, de la naturedes missions confiées au Président de la République par la Constitution du 4 octobre 1958 (cf.notamment les articles 3, 5, 6, 8, 9, 13, 14, 15, 16, 52, 64), mais aussi des exigences decohésion de la Nation et de l'image de la France à l'étranger.

C'est pourquoi, dans l'attente de l'adoption de dispositions législatives spécialesparticulièrement souhaitables à ce sujet, il convient d'approuver les auteurs(5) qui préconisenten l'état que toutes dispositions soient prises pour que le recueil du témoignage du Présidentde la République respecte pleinement la dignité de sa fonction, en s'inspirant par exemple desformes et modalités de recueil des témoignages prévues par l'article 654 du Code deprocédure pénale pour les membres du Gouvernement (à savoir le recueil par écrit de ladéposition dans la demeure du témoin par le premier président de la cour d'appel ou, si letémoin réside hors du chef-lieu de la Cour, par le président du tribunal de grande instance desa résidence).

Telles étant rappelées, dans leur principe, les conditions et les limites du recueil du simpletémoignage du Président de la République, quels sont maintenant les motifs particuliers del'espèce qui ont conduit la chambre de l'instruction à approuver le refus de demande d'auditiondu Président de la République ?

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II - LES MOTIFS de l'ESPÈCE JUSTIFIANT LE REFUS DE LA DEMANDEd'AUDITION du PRÉSIDENT de la RÉPUBLIQUE

A - Pour justifier le refus des juges d'instruction de procéder à l'audition du chef d'Etat commetémoin, telle que réclamée par M. Breisacher, l'arrêt attaqué de la chambre de l'instructionprocède par un raisonnement en trois temps :

1) en premier lieu, il rappelle la définition du simple témoin selon les règles de procédurepénale : un témoin est une personne à l'encontre de laquelle il n'existe aucun indice indiquantqu'elle ait pu participer aux infractions objet de l'information, une personne extérieure etneutre par rapport aux faits au sujet desquels il lui est demandé d'apporter son concours à lajustice, en vue de la manifestation de la vérité.

2) en deuxième lieu, l'arrêt attaqué constate qu'en l'espèce, la demande d'audition de M.Chirac ne correspond pas à celle d'un témoin, puisque la partie civile, M. Breisacher,demandait en réalité aux juges d'instruction de recueillir sous serment une déposition quipouvait se retourner contre le Président de la République, sommé de s'expliquer sur soninertie face aux anomalies de la SEMPAP et de ses sociétés satellites, révélées par les rapportsde l'Inspection générale de la ville de Paris. Il ne s'agissait donc pas, selon l'arrêt attaqué, derecueillir le "témoignage" du chef de l'Etat, mais bien de procéder à un "interrogatoire"portant sur son éventuelle participation aux faits qui se sont déroulés entre 1989 et 1995 à laSEMPAP, alors que M. Chirac était maire de Paris.

Ainsi que l'avaient souligné auparavant les juges d'instruction dans leur ordonnance du 14décembre 2000, la demande d'audition était effectivement formulée dans des termesaccusatoires tendant explicitement à la mise en cause pénale de M. Chirac.

Cette analyse est d'ailleurs pleinement corroborée par le fait que M. Breisacher lui-même,dans sa seconde demande présentée devant la chambre de l'instruction le 14 mai 2001, admetque l'audition de M. Chirac comme simple témoin n'est plus possible et sollicite sa mise enexamen pour complicité par abstention de l'ensemble des délits dénoncés.

Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 105 du Code de procédure pénale, quiinterdit l'audition comme simple témoin d'une personne contre laquelle il existe des indicesgraves et concordants d'avoir participé aux faits, les juges d'instruction se devaient, qu'ils'agisse du Président de la République ou de quiconque, de refuser la demande d'audition enqualité de témoin d'une personne contre laquelle existaient de tels indices.

Ce faisant, ce n'est pas le principe même de l'audition du Président de la République en tantque témoin qui a été proscrit par l'arrêt attaqué, mais la volonté de mettre en cause saresponsabilité pénale sous prétexte d'une demande d'audition comme témoin (cf. : rapport duprocureur de la République de Paris du 2 juillet 2001 dans l'affaire dite des marchés duConseil général d'Ile-de-France, page 2).

3) En troisième lieu, l'arrêt attaqué déduit logiquement de ces constatations que, s'agissantd'une véritable mise en cause de la responsabilité pénale du Président de la République, elleentre dans le champ d'application du considérant n° 16 de la décision du

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Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999, - ce qui n'apparaît pas discutable en soi,indépendamment de la question de savoir quelle autorité il convient d'accorder à cettedécision, question qui va faire l'objet de la seconde partie de mes conclusions.

En tant que tel, le raisonnement de la chambre de l'instruction suffit donc à justifier le refus dela demande d'audition de M. Chirac telle qu'elle avait été présentée par M. Breisacher.

B - Ce même raisonnement aurait d'ailleurs conduit à refuser, a fortiori, me semble-t-il, unedemande d'audition de M. Chirac en qualité de "témoin assisté", si elle avait été formulée (cequi n'a pas été le cas dans la requête de M. Breisacher).

En effet, outre l'obstacle tenant à l'absence de consentement du Président de la République àson audition - consentement qui est toujours nécessaire pour les raisons indiquées ci-dessus -le "témoin assisté" est, selon les dispositions des articles 113-1 à 113-8 du Code de procédurepénale, issues de la loi du 15 juin 2000, une personne contre laquelle il existe "des indicesrendant vraisemblable qu'elle ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à lacommission des infractions dont le juge d'instruction est saisi" et il est une personne dont lestatut, tout en participant encore par certains aspects de celui de simple témoin, le rapprochesur plusieurs autres points de celui de mis en examen(6) :

Ainsi, comme le relève la circulaire générale de la Chancellerie du 20 décembre 2000 (n°Crim-00-16/F 1 - 20-12-00, page 35), indépendamment des droits étendus proches de ceux dumis en examen dont il dispose, le "témoin assisté" est assimilé à une personne qui aurait étémise en examen pour l'application de l'article 105 du Code de procédure pénale relatif à laprohibition des mises en examen tardives, et il ne peut donc contester une mise en examen quiaurait été, selon lui, tardivement décidée par le juge (article 113-6, alinéa 2, du CPP).

De même, les règles édictées par l'article 652 du Code de procédure pénale pour l'auditioncomme témoins des membres du Gouvernement ne s'appliquent pas au "témoin assisté"(article 652, alinéa 3, du CPP). Les membres du Gouvernement peuvent donc être entenduscomme "témoins assistés" sans autorisation préalable du Conseil des ministres, de la mêmefaçon qu'ils peuvent être mis en examen sans autorisation.

Enfin, le "témoin assisté", comme le mis en examen, ne prête pas serment (article 113-7 duCPP), contrairement à ce que prévoyaient les textes antérieurs.

Dans ces conditions, il me semble que le "témoin assisté", même si les dispositions du Codele concernant figurent à la section intitulée "Des auditions de témoins", s'apparente à unevéritable "quasi-partie à la procédure d'instruction", selon l'expression de la circulaire de laChancellerie précitée du 20 décembre 2000 (page 31), laquelle précise même que le juge peutentendre comme "témoin assisté" ou comme "mis en examen" une personne contre laquelle ilexiste des indices graves et concordants (page 28 de la circulaire).

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En conclusion de cette première partie, il apparaît, dès lors, que même si l'on peut admettredans le principe la possibilité d'entendre le Président de la République comme simple témoinlorsque sont réunies toutes les conditions que j'ai rappelées précédemment, c'est à bon droitque la chambre de l'instruction de Paris a approuvé en l'espèce le refus opposé par les jugesd'instruction à la demande d'audition de M. Chirac telle qu'elle avait été formulée parM. Breisacher.

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DEUXIÈME PARTIE

LE PROBLÈME de la MISE EN CAUSE DE LA RESPONSABILITÉ PÉNALE DUPRÉSIDENT de la RÉPUBLIQUE

Peut-on poursuivre pénalement le chef de l'Etat devant les juridictions de droit communpendant la durée de son mandat pour des actes accomplis en dehors de l'exercice de sesfonctions ou avant le début de son mandat ? Un juge d'instruction peut-il en pareil cascontinuer à informer contre lui ?

Tel est le problème posé à travers la question de l'interprétation de l'article 68 de laConstitution(7).

A - Malheureusement, le texte de l'article 68 ne fournit pas en lui-même de réponse claire, carsa rédaction est ambiguë et imprécise.

Que dit ce texte ?

"Le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de sesfonctions qu'en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation que par les deuxassemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue desmembres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de justice".

Tel qu'il est rédigé, ce texte prête à deux lectures :

- ou bien, selon une première approche littérale, on lit ensemble les deux phrases de l'article68 comme liées entre elles et, en ce cas, l'article signifie que, pour les actes accomplis dansl'exercice de ses fonctions, le Président de la République n'est responsable qu'en cas de hautetrahison et qu'il ne peut, à ce titre, être mis en accusation que par les deux Assemblées par unvote à la majorité absolue de ses membres et jugé par la Haute Cour de justice(8). Mais, acontrario, pour les actes accomplis en dehors de l'exercice de ses fonctions, qu'ils aient été

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commis pendant ou avant la durée de son mandat, le Président de la République relèverait dudroit commun et des juridictions ordinaires ;

- ou bien, selon une approche séparatiste, on lit séparément les deux phrases de l'article 68, etl'on considère que la seconde phrase pose un principe autonome de privilège de juridiction,selon lequel le Président de la République ne peut, pendant la durée de son mandat, êtrepoursuivi, pour les actes commis avant son élection ou en dehors de l'exercice de sesfonctions, que par décision des deux Assemblées statuant à la majorité absolue de sesmembres, puis jugé par la Haute Cour de justice (comme pour le cas de haute trahisoncommise dans l'exercice de ses fonctions).

B - Face à ces deux lectures possibles, force est de reconnaître que l'on ne trouve aucuneréponse claire :

- ni dans l'histoire et la genèse des textes constitutionnels, qui ont beaucoup évolué depuis la3ème République, sans que l'on puisse souscrire à la formule du professeur Guy Carcassonneaffirmant, à l'appui de sa thèse séparatiste, que "la IIIème République affirme, la IVèmeconfirme, la Vème corrobore"(9) ;

- ni dans les documents retraçant les rédactions successives de l'article 68 de la Constitution,qui ne constituent pas des "travaux préparatoires" au sens technique du terme, ainsi que l'ontrelevé MM. Pierre Avril et Bruno Genevois(10), après les professeurs Vedel et Luchaire, desorte que ces travaux ne peuvent être invoqués pour déterminer la volonté de l'auteur (unauteur qui ne peut être d'ailleurs, ici, que le peuple français lorsqu'il a adopté la Constitution) ;

- ni dans la doctrine constitutionnelle elle-même, qui, après avoir adhéré jusqu'en 1998 à lalecture unitaire de l'article 68 et à la thèse selon laquelle le chef de l'Etat ne devait pasbénéficier d'immunité pour les actes étrangers à l'exercice de ses fonctions(11), a perdu sonunanimité lorsque le problème s'est posé concrètement avec la montée des affaires politico-judiciaires.

C - Depuis 1998, et surtout après la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999,les auteurs se sont en effet divisés en deux camps :

1) d'une part, les tenants de la lecture "unitaire" de l'article 68(12), selon lesquels laConstitution aurait entendu exclure tout privilège de juridiction du Président de la Républiquepour les actes accomplis en dehors de l'exercice de ses fonctions ou avant son élection.

À l'appui de leur analyse, ces auteurs font valoir notamment :

- que telle était l'opinion unanime de la doctrine jusqu'en 1998 ;

- que dans un jugement du 3 décembre 1974, le tribunal correctionnel de Paris, tout endéboutant le demandeur, s'était reconnu compétent pour connaître des poursuites pénalesexercées contre M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la République, pour des faitsd'affichage illégal commis avant le début de son mandat (mais, dans cette affaire, la citation àcomparaître avait été délivrée avant l'entrée en fonctions de M. Giscard d'Estaing et, par

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ailleurs, ce dernier n'avait pas contesté la compétence de la juridiction de droit commun, ainsique l'avait relevé le jugement) ;

- que la jurisprudence de la Cour de cassation a elle-même évolué dans un sens similaire pource qui concerne les ministres relevant depuis 1993 de la Cour de justice de la République. Eneffet, la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 26 juin 1995(13),que la compétence de la Cour de justice de la République "est limitée aux actes constituantdes crimes ou délits commis par des ministres dans l'exercice de leurs fonctions ou qui ont unrapport direct avec la conduite des affaires de l'Etat relevant de leurs attributions, àl'exclusion des comportements concernant la vie privée ou des mandats électifs locaux" ;

- qu'enfin, et de manière générale, la responsabilité pénale des gouvernants apparaît d'autantplus nécessaire aujourd'hui qu'il n'existe plus de responsabilité politique ou de contrôlepolitique effectifs, y compris à l'égard de l'action du Président de la République(14).

2) d'autre part, les tenants de la lecture "séparatiste" des deux phrases de l'article 68(15), quipensent que le privilège de juridiction prévu par la seconde phrase de cet article doit êtreétendu, pendant la durée du mandat, à tous les actes commis par le Président de la Républiqueen dehors de l'exercice de ses fonctions ou avant le début de son mandat.

Les arguments en faveur de cette thèse ont été abondamment analysés dans la doctrine et jeles rappellerai brièvement :

a) Il s'agit d'abord du principe de la séparation des pouvoirs, affirmé par l'article 16 de laDéclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et l'article 13 de la loi des 16 et24 août 1790(16), qui fait obstacle à ce que le pouvoir judiciaire et les tribunaux puissentcontrôler le Président de la République et s'immiscer dans le fonctionnement du pouvoirexécutif, sans que l'on puisse toujours discerner, à cet égard, les actes accomplis dansl'exercice ou hors l'exercice des fonctions présidentielles.

b) Il s'agit ensuite du principe de la continuité de l'Etat, dont le chef de l'Etat, élu au suffrageuniversel direct par la volonté du peuple français, a la charge en vertu de l'article 5 de laConstitution(15) et qui s'impose en raison même de l'importance des missions du Président dela République pour la vie de la Nation (cf. : notamment articles 3, 5, 6, 8, 9, 13, 14, 15, 16, 52,64 de la Constitution). On rappelle à ce sujet que le Président de la République est le garant del'indépendance nationale et de l'intégrité du territoire, qu'il est le chef des armées, qu'il nommeaux emplois civils et militaires, qu'il a le droit de grâce, qu'il est garant de l'indépendance del'autorité judiciaire et préside le Conseil supérieur de la magistrature, etc... Le chef de l'Etat nepourrait plus exercer librement et sereinement ses fonctions, fait-on remarquer, s'il était mis àla merci de la moindre plainte ou constitution de partie civile, s'il était exposé à unharcèlement judiciaire de ses adversaires, et s'il devait toujours compter avec la menace d'unemise en examen pour un fait quelconque ne se rattachant pas à sa fonction de chef de l'Etat.

c) Il s'agit encore du respect de la dignité de la fonction présidentielle et de sa dimensionsymbolique au plan national et international, qui oblige à mettre son titulaire à l'abri del'humiliation d'une mise en examen devant les tribunaux répressifs.

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d) Ces considérations, ajoute-t-on, ne sauraient pour autant avoir pour effet de créer uneimmunité du Président de la République pendant la durée de son mandat pour les actesaccomplis en dehors de l'exercice de ses fonctions ou avant son élection, dans la mesure où :

- d'une part, ces actes peuvent relever en principe de la procédure de mise en accusationdevant la Haute Cour de justice, pendant la durée du mandat présidentiel ;

- d'autre part, ces actes pourront être poursuivis et jugés devant les juridictions pénalesordinaires après la fin du mandat, en admettant que la prescription de l'action publiqueordinaire soit suspendue pendant la durée du mandat ;

- enfin, s'il s'agissait d'un crime particulièrement grave commis en dehors de l'exercice de sesfonctions, le Président de la République pourrait faire éventuellement l'objet de la procédureprévue par l'article 7, alinéa 4, de la Constitution, à savoir l'empêchement constaté par leConseil constitutionnel.

e) Par ailleurs, toujours à l'appui du privilège de juridiction du chef de l'Etat pendant la duréede son mandat, sont également invoqués :

- la coutume internationale, qui fait bénéficier les chefs d'Etat en exercice d'une immunitégénérale s'opposant à ce qu'ils puissent faire l'objet de poursuites devant les juridictionspénales d'un autre Etat. L'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 13 mars2001, concernant le colonel Kadhafi, est évidemment à rappeler à ce sujet, qui a déclaré"qu'en l'état du droit international, le crime dénoncé, quelle qu'en soit la gravité, (l'attentatcommis contre le DC 10 de la Cie UTA) ne relevait pas des exceptions au principe del'immunité de juridiction des chefs d'Etat étrangers en exercice" ;

- le droit diplomatique et les dispositions de l'article 31-1 de la convention de Vienne du 18avril 1961, qui accordent aux diplomates eux-mêmes une immunité générale de juridictionpénale dans l'Etat accréditaire ;

- le droit comparé, qui révèle que la plupart des pays reconnaissent, d'une façon plus ou moinsétendue, un privilège de juridiction à leurs chefs d'Etat. Selon MM. Guy Carcassonne et LouisFavoreu(17), l'Autriche, le Portugal, l'Islande, la Grèce, l'Allemagne ménagent tous unmonopole parlementaire pour la mise en accusation du chef de l'Etat, et, dans certains Etatseuropéens (Grèce, Portugal) la Constitution reporte après l'expiration du mandat présidentiell'engagement éventuel de poursuites devant les juridictions ordinaires pour infractionscommises en dehors de l'exercice des fonctions(18).

D - Face aux deux thèses en présence qui opposent les constitutionnalistes, M. Olivier Camy,dans son article sur "la controverse de l'article 68 - Aspects théologiques" (Revue de droitpublic, 2001, n° 3, pages 811 et suivantes) relève justement que "incapable de retrouver lesfondements du droit, peu assurée de ses méthodes d'interprétation, minée par le soupçon quele droit ne serait que le travestissement de la politique, la doctrine s'est divisée à l'extrême etn'a pu jouer le rôle qu'elle s'était donné : déterminer la signification exacte de l'article 68",tout simplement parce que cette signification exacte n'existe pas, puisque c'est la Constitutionelle-même qui est lacunaire sur ce point et qui ne permet pas d'apporter une réponse.

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L'on s'est trouvé, en quelque sorte, dans l'hypothèse prévue par H. Kelsen(19) et rappelée parOlivier Camy, dans laquelle le constituant a "omis de poser une règle sur un point qu'il auraitdû régler, pour qu'il soit seulement possible, techniquement parlant, d'appliquer la loi".

Pour sortir de cette situation, la véritable solution aurait été et demeure une révision del'article 68 de la Constitution.

Mais à défaut d'une telle révision, on peut comprendre que le Conseil constitutionnel, enprésence de cette lacune de la Constitution et des divisions de la doctrine, ait souhaité lui-même exprimer sa voix et donner son interprétation de l'article 68. N'est-t-il pas, après tout,l'organe le mieux placé pour le faire ?

Cette interprétation, le Conseil constitutionnel l'a donnée, il est vrai, d'une façon inattendue,en profitant de l'examen de la conformité à la Constitution du traité de Rome instituant laCour pénale internationale.

E - Constatant, en effet, que l'article 27 du statut de la Cour pénale internationale excluaittoute immunité ou exonération de la responsabilité pénale des chefs d'Etat ou deGouvernement pour les crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale, leConseil constitutionnel a, dans sa décision n° 98-408, DC du 22 janvier 1999, dit que l'article27 de ce statut était contraire au régime particulier de responsabilité institué notamment parl'article 68 de la Constitution, en énonçant le considérant suivant : "Considérant qu'il résultede l'article 68 de la Constitution que le Président de la République, pour les actes accomplisdans l'exercice de ses fonctions et hors le cas de haute trahison, bénéficie d'une immunité(cette première partie du considérant ne prête pas à discussion) ; qu'au surplus, pendant ladurée de ses fonctions, sa responsabilité pénale ne peut être mise en cause que devant laHaute Cour de justice, selon les modalités fixées par le même article".

C'est cette seconde partie du considérant qui, se ralliant ouvertement à la thèse de la lectureséparée des deux phrases de l'article 68 et à une conception extensive du privilège dejuridiction présidentiel, a suscité évidemment une vive controverse, dans laquelle se sontaffrontés à nouveau les tenants des deux thèses en présence, dont j'ai déjà évoqué lesprincipaux arguments respectifs(20).

F - Pour mieux préciser encore la portée de sa décision du 22 janvier 1999, leConseil constitutionnel a pris soin de préciser, dans un communiqué du 10 octobre 2000, quele statut pénal du Président de la République ne lui confère "pas une immunité pénale mais unprivilège de juridiction pendant la durée du mandat", qui ne lui permet d'être poursuivi quedevant la Haute Cour de justice.

À la lumière de ce communiqué, il apparaît donc :

d'une part, que si le chef de l'Etat ne peut être jugé que devant la Haute Cour de justice, il peutrépondre devant cette juridiction de deux types d'infractions : des actes commis dansl'exercice de ses fonctions et qualifiables de haute trahison, mais aussi des actes détachablesdes fonctions commis pendant son mandat ou, s'ils ne sont pas déjà prescrits, antérieurement àce mandat ;

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d'autre part, que si toute poursuite devant les juridictions pénales ordinaires est suspenduependant le mandat, il y aura retour à la compétence juridictionnelle de droit commun après lafin du mandat.

Ainsi se présente la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999 sur laquelle s'estfondé l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris.

Comme on le voit, on est passé de la protection pénale du chef de l'Etat à raison de la naturede ses fonctions présidentielles à une protection pénale du chef de l'Etat à raison de sonmandat présidentiel et pendant toute la durée de ce mandat.

Il est hors de doute que cette décision est novatrice et audacieuse et que, selon l'expression duDoyen Vedel(21), le Conseil constitutionnel a préféré à une "version littérale" du texteconstitutionnel une "lecture discrètement constructive", destinée à assurer la protection dumandat conféré au Président de la République par un vote au suffrage universel, au nom desexigences de la "séparation des pouvoirs", affirmée par l'article 16 de la Déclaration desdroits de l'homme et du citoyen, de la "continuité de l'Etat", dont le Président de laRépublique a la charge en vertu de l'article 5 de la Constitution, et du respect nécessaire de ladignité de la fonction présidentielle.

Il n'est pas douteux, non plus, que cette décision laisse bien des points dans l'ombre et desincertitudes : en disant que, pendant la durée de ses fonctions, la responsabilité du Présidentde la République ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de justice "selon lesmodalités fixées par l'article 68" (ce qui renvoit au cas de haute trahison, selon la premièrephrase de l'article 68), le Conseil constitutionnel a-t-il voulu indiquer que les actesdétachables des fonctions présidentielles devraient être poursuivis, pendant la durée dumandat, sous la qualification de haute trahison ? Doit-on comprendre que les poursuites sousune autre qualification que celle de haute trahison devant les juridictions pénales de droitcommun seraient suspendues jusqu'à l'expiration du mandat présidentiel, la victime pouvantseulement exercer son action devant la juridiction civile compétente ? Par ailleurs, quel sortdevra-t-on réserver aux procédures déjà engagées devant les juridictions de droit communavant l'élection présidentielle et n'ayant pas fait l'objet d'une décision passée en force de chosejugée ? Devront-elles être transférées à la Haute Cour de justice ? Qu'en sera-t-il en outre pourles procédures engagées devant la Haute Cour et qui n'auront pas abouti avant la fin dumandat présidentiel ? Devront-elles être continuées devant la Haute Cour ? Quel sera lerégime de la prescription ?

G - Néanmoins, si audacieuse et novatrice soit la décision du 22 janvier 1999, si complexesoit-elle dans ses effets, l'interprétation du Conseil constitutionnel peut-elle être remise encause par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation ?

-- À première vue, l'article 62, alinéa 2, de la Constitution paraît y faire obstacle, aux termesduquel les décisions du Conseil constitutionnel "s'imposent aux pouvoirs publics et à toutesles autorités administratives et juridictionnelles".

Le Conseil constitutionnel lui-même a d'ailleurs précisé, dans deux de ses décisions (CC, n°62-18, L. du 16 janvier 1962, Rec., p. 31 et n° 89-258, DC du 8 juillet,1989, Rec., p. 48) que

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l'autorité de ses décisions ne se limite pas à leur dispositif, mais s'applique à ceux des motifs"qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même".

Par la suite, le Conseil constitutionnel a cependant apporté une atténuation à ces principes, enajoutant, dans une décision n° 88-244, DC du 20 juillet, 1988 (Rec., p. 119), que l'autorité dechose jugée attachée à ses décisions "est limitée à la déclaration d'inconstitutionnalité visantcertaines dispositions de la loi déférée et qu'elle ne peut être utilement invoquée à l'encontred'une autre loi, conçue d'ailleurs en termes différents".

-- Tenant compte de cette doctrine du Conseil constitutionnel, le mémoire ampliatif de M.Breisacher critique, à travers l'arrêt confirmatif de la chambre de l'instruction, le considérantn° 16 de la décision du 22 janvier 1999, en l'attaquant sur trois fronts :

Selon M. Breisacher, cette partie de la décision serait :

- un simple "obiter dictum", non nécessaire au soutien de la décision, (première branche dumoyen) ;

- une disposition dénuée de l'autorité de chose jugée dans notre affaire (première branche dumoyen) ;

- une disposition qui violerait le principe constitutionnel de l'égalité des citoyens devant la loi(seconde branche du moyen).

Examinons chacun de ces griefs, en commençant par le troisième, qui soulève le moins dedifficultés.

* *

*

I - Le CONSIDÉRANT n° 16 de la DÉCISION du CONSEIL CONSTITUTIONNEL etl'ARRÊT ATTAQUÉ de la CHAMBRE de l'INSTRUCTION ONT-ILS VIOLÉ lePRINCIPE de l'ÉGALITÉ des CITOYENS DEVANT LA LOI ?

I - 1 - Selon le mémoire ampliatif de M. Breisacher, en faisant application en la cause duconsidérant n° 16 et en interprétant extensivement le privilège de juridiction du chef de l'Etat,les juges d'instruction et la chambre de l'instruction auraient méconnu le principe de l'égalitédes citoyens devant la loi.

En effet, note la partie civile, le principe de l'égalité des citoyens devant la loi est un principeconstitutionnel, à portée générale, proclamé depuis la Déclaration des droits de l'homme et ducitoyen de 1789(22), et toute dérogation à ce principe, spécialement lorsqu'il s'agit de l'égalitédevant la loi pénale, doit faire l'objet d'une interprétation stricte.

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À l'appui de cette analyse, il est rappelé que, pour les ministres relevant de la Cour de justicede la République, la Cour de cassation interprète aujourd'hui restrictivement leur privilège dejuridiction et considère que la compétence de la Cour de justice de la République est limitéeaux crimes et délits commis par des ministres dans l'exercice de leurs fonctions, à l'exclusiondes comportements concernant la vie privée(23). Peut-on alors admettre, écrit le mémoireampliatif, que le chef du Gouvernement puisse lui-même être poursuivi pour des faitsantérieurs à sa nomination, mais pas le chef de l'Etat ?

I - 2 - Cette argumentation, si impressionnante soit-elle, ne peut pas entraîner notre conviction:

Outre le fait que l'on ne peut pas assimiler totalement la protection de la fonction de Présidentde la République à la protection de la fonction du chef du Gouvernement (cf. : articles 5, 8, 9,13, 14, 15, 16, 64, etc... de la Constitution), l'analyse de la doctrine et de la jurisprudenceconstitutionnelle(24) nous révèle que, selon un considérant désormais classique du Conseilconstitutionnel(25) et du Conseil l'Etat, le principe d'égalité "ne s'oppose, ni à ce que lelégislateur règle de façons différentes des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalitépour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence detraitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi".

Or le privilège de juridiction reconnu par le Conseil constitutionnel au chef de l'Etat pendantla durée de son mandat, qui n'a d'ailleurs qu'un caractère temporaire, répond bien à chacune deces conditions :

a) D'une part, c'est bien dans une situation éminemment distincte de celle des autres citoyensque se trouve placé le Président de la République, de par la volonté des français et de laConstitution, en raison même de la nature de sa fonction. Il est donc normal que leConseil constitutionnel ait réglé différemment sa situation pénale par rapport à celle des autrescitoyens. À situations différentes, règles différentes. Le raisonnement contraire reviendrait àcontester aussi l'ensemble des autres immunités et privilèges de juridiction dont bénéficient,par exemple, les membres du Gouvernement (compétence exclusive de la Cour de justice dela République pour les crimes et délits accomplis dans l'exercice de leurs fonctions), lesparlementaires (article 26 de la Constitution, loi constitutionnelle du 4 août 1995) ou lesdiplomates (article 31-1 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques).

b) D'autre part, c'est bien à une exigence d'intérêt général que répond le privilège dejuridiction reconnu au Président de la République : celle qui s'attache à la continuité de l'Etat,à la dignité de la fonction présidentielle et au principe de la séparation des pouvoirs. Il ne fautpas oublier à cet égard que l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyende 1789, après avoir proclamé l'égalité entre les hommes, a ajouté que "l'utilité commune"pouvait fonder des "distinctions sociales".(26)

c) Enfin la différence de régime est évidemment en rapport avec l'objet de la dispositionconstitutionnelle qui l'établit, à savoir le statut pénal du Président de la République et ledomaine de compétence de la Haute Cour de justice.

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II - Le CONSIDÉRANT n° 16 de la DÉCISION du CONSEIL CONSTITUTIONNELdu 22 JANVIER 1999 EST-IL un SIMPLE "OBITER DICTUM" ?

II - 1 - Aux yeux de M. Breisacher et de certains auteurs, le considérant n° 16 ne serait qu'un"obiter dictum", c'est-à-dire un motif incident non nécessaire à la résolution de la questionposée (la compatibilité du traité instituant la Cour pénale internationale avec la Constitution),un motif qui ne serait ni le soutien, ni le fondement du dispositif et, à ce titre, sans portéejuridique réelle.

Autrement dit, le Conseil constitutionnel aurait statué en quelque sorte "ultra petita" etrépondu à une question qu'on ne lui posait pas, ainsi que le feraient apparaître d'ailleurs lestermes "au surplus" figurant au début de la phrase litigieuse. (cf. : notammentFrançois Luchaire, Rev. droit public, 1999, p. 457 ; Philippe Chrestia, note Dalloz 1999,jurisprudence, p. 287 ; Olivier Duhamel, journal "Le Monde", 26 janvier 1999).

II - 2 - Partageant la manière de voir exprimée par M. Bruno Genevois dans la revue françaisede droit administratif(27), je ne pense pas que ce grief soit fondé :

a) D'une part, au plan rédactionnel, dans la mesure où la terminologie duConseil constitutionnel ne diffère pas de celle en usage au Conseil d'Etat, les termesgénéralement utilisés pour introduire un motif surabondant seraient "d'ailleurs" ou "audemeurant", tandis que les expressions "en outre" ou "au surplus" serviraient plutôt àintroduire un motif "supplémentaire". À lui seul, ce premier argument, évoqué par M.Genevois, n'est sans doute pas déterminant.

b) D'autre part - et surtout -, quant au fond, lorsque le Conseil constitutionnel est saisi, sur lefondement de l'article 54 de la Constitution, de la question de la compatibilité d'unengagement international avec la Constitution, il est tenu de procéder à un examen exhaustifde la question et de rechercher si l'engagement international soumis à son examen ne compteaucune "clause contraire à la Constitution".

Afin d'éclairer les pouvoirs publics sur l'étendue de la révision constitutionnelle qui seraitnécessaire, il est normal que le Conseil constitutionnel se montre très précis.

Dans le cas présent de la Cour pénale internationale, le Conseil constitutionnel devait seprononcer sur la compatibilité avec l'article 68 des poursuites susceptibles d'être engagéescontre le Président de la République devant cette Cour internationale pour tous les crimesprévus par le traité de Rome du 18 juillet 1998 (génocides, crimes contre l'humanité, crimesde guerre, crimes d'agression), qu'ils aient été commis avant ou pendant le mandatprésidentiel, dans l'exercice ou hors l'exercice des fonctions de chef de l'Etat.

Il n'avait donc pas à se borner à traiter de la question de tels crimes commis par le Présidentde la République dans l'exercice de ses fonctions. Il devait aussi régler le problème éventuelde poursuites engagées contre le chef de l'Etat pour des crimes de cette nature qu'il aurait pucommettre avant le début de son mandat ou en dehors de l'exercice de ses fonctions.L'élargissement de la notion de crime contre l'humanité à laquelle on assiste ces dernierstemps, le caractère imprescriptible de tels crimes, la mise en cause de plus en plus fréquente

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des chefs de l'Etat dans le cadre de conflits internationaux contemporains, font que l'on nepeut plus regarder une telle hypothèse comme une pure hypothèse d'école.

En fonction d'une telle approche, M. Genevois note à juste titre que le Conseil constitutionnel,raisonnant de façon plus précise que ne l'avait fait le Conseil d'Etat dans son avis sur le mêmesujet du 29 février 1996(28), a retenu deux motifs de contrariété de l'article 27 du statut de laCour pénale internationale par rapport à l'article 68 de la Constitution :

- D'un côté, une atteinte à l'immunité de fond, en ce sens que la responsabilité du chef del'Etat pourrait être engagée pour des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions hors lecas de haute trahison ;

- D'un autre côté, une atteinte à l'immunité générale de procédure - ou, plus précisément, auprivilège de juridiction - découlant de la compétence exclusive de la Haute Cour de justicepour tous les actes accomplis par le chef de l'Etat, y compris ceux commis en dehors del'exercice de ses fonctions ou avant le début de son mandat.

La chose jugée par la décision du 22 janvier 1999 a donc impliqué que ce double obstacle soitlevé par le pouvoir constituant avant l'introduction du traité dans l'ordre juridique interne, cequi a été fait par la loi constitutionnelle n° 99-568 du 8 juillet 1999. Celle-ci, de façon trèsbrève, s'est bornée à énoncer que "la République peut reconnaître la juridiction de la Courpénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998"(article 53-2 nouveau de la Constitution), ce qui, au demeurant, ne permet pas de soutenir quele considérant sur le statut pénal du chef de l'Etat était limité dans le temps et qu'il aurait étéen quelque sorte "purgé" par la révision ultérieure et la ratification du Traité.

Il nous apparaît donc, avec M. Genevois, que le considérant n° 16 en discussion ne peut pasêtre regardé comme un simple "obiter dictum" et qu'il y a bien eu chose jugée par le Conseilconstitutionnel sur la question considérée qui lui était posée.

* *

*

III - Le CONSIDÉRANT n° 16 de la DÉCISION du CONSEIL CONSTITUTIONNELA-T-IL POUR VOUS AUTORITÉ DANS LA PRÉSENTE AFFAIRE ?

Il est utile de se référer ici à la doctrine constitutionnelle(29), et en particulier aux actes ducolloque de la Cour de cassation des 9 et 10 décembre 1994 sur "la Cour de cassation et laConstitution de la République" (Presses universitaires d'Aix-Marseille), ainsi qu'aux articlesque M. Bruno Genevois a consacrés à ce sujet(30).

Selon cette doctrine, la force obligatoire que vise l'article 62, alinéa 2, de la Constitutionconcerne les décisions du Conseil constitutionnel et non sa jurisprudence.

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Les juridictions administratives et judiciaires sont tenues d'exécuter les décisions du Conseilconstitutionnel si elles ont à appliquer le texte qui a donné lieu à vérification de conformité età interprétation par le Conseil constitutionnel. En revanche, s'il s'agit de textes différents, iln'y a pas d'obligation d'appliquer la décision du Conseil constitutionnel, comme a eul'occasion de le préciser le Conseil constitutionnel lui-même(31), tout en relevant cependantqu'aujourd'hui les juges administratifs et judiciaires suivent généralement l'interprétation duConseil constitutionnel, même lorsqu'ils n'y sont pas tenus.

Il faut donc distinguer entre :

- l'autorité "obligatoire" de la "chose jugée", inscrite dans la Constitution, qui s'attache autexte sur lequel s'est prononcé le Conseil constitutionnel ;

- l'autorité "morale" ou "persuasive", mais non écrite, qui peut être reconnue à la "choseinterprétée" par le Conseil constitutionnel ou à sa "jurisprudence".

III - 1 - S'agissant de l'autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel, consacrée parl'article 62 de la Constitution, si elle s'impose "erga omnes" en ce qui concerne les textesmêmes dont la Haute instance a examiné la constitutionnalité, la doctrine considère qu'ellen'est que relative en ce qui concerne les autres textes, le Conseil constitutionnel, pas plus quetoute autre juridiction, ne pouvant rendre "d'arrêts de règlement"(32).

Cependant, ainsi que le reconnaît le mémoire ampliatif, le Conseil constitutionnel a apportéune atténuation à l'acception rigoureuse de l'autorité de la chose jugée dans sa décision du 8juillet 1989 (Rec., p. 48), par laquelle la Haute instance a estimé que, par exception, la chosejugée pourrait être invoquée à l'encontre d'une disposition d'une autre loi que celle qui avaitété initialement déférée lorsque "les dispositions de cette loi, bien que rédigées sous uneforme différente, ont, en substance, un objet analogue à celui des dispositions législativesdéclarées contraires à la Constitution". Le Conseil constitutionnel a visé ainsi, à propos dedispositions d'amnistie au contenu semblable, le cas de la reprise matérielle, par une loinouvelle, de solutions antérieures dégagées par une loi.

- Dans le cas de la décision du 22 janvier 1999, deux analyses sont dès lors possibles :

a) Selon une première analyse, vous pourriez considérer que, de par la généralité même de saformulation, le considérant n° 16 du Conseil constitutionnel, proclamant l'immunité dejuridiction du chef de l'Etat pendant toute la durée de son mandat, s'impose nécessairementdans tous les cas où est posée la même question de la responsabilité pénale du Président de laRépublique au cours de son mandat, quand bien même ce considérant aurait été formulé àl'occasion de l'examen de la conformité à la Constitution d'un traité en particulier, celui relatifà la Cour pénale internationale.

Cette analyse, qui ouvrirait la voie à une conception de l'autorité de la chose jugée par leConseil constitutionnel plus large que celle traditionnellement admise par la doctrine, a étésoutenue par quelques auteurs, notamment MM. Bertrand Mathieu, Michel Verpeaux,François Robbe et Jacques Robert(33).

Au soutien de ce point de vue, il peut être mis en avant un argument logique, tenant à lacohérence même du raisonnement : en termes de protection nécessaire de la fonction de

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Président de la République, si le Conseil constitutionnel a estimé incompatible avec l'article68 de la Constitution l'exercice de poursuites contre le Président de la République pourgénocide, crime contre l'humanité ou crime de guerre devant la Cour pénale internationale ets'il a fallu modifier la Constitution à cet effet, comment pourrait-on admettre la compatibilitéavec l'article 68 de poursuites exercées contre le Président de la République pour n'importequel délit moins grave, voire pour de simples contraventions ? Quand bien même s'agirait-ilde poursuites exercées devant les juridictions françaises et non devant une juridictioninternationale, le risque d'atteinte à la continuité de l'Etat, à la séparation des pouvoirs et à ladignité de la fonction présidentielle serait alors bien plus grand et permanent, le Président dela République pouvant à tout moment être mis en cause pour des infractions mineures. Celane vient-il pas conforter la portée générale qui s'attache à la seconde partie du considérant n°16 ?

Si vous suiviez cette première analyse, vous pourriez rejeter le pourvoi de M. Breisacher sansaller plus avant, en admettant l'autorité de la chose jugée, au motif que le raisonnement tenupar le Conseil constitutionnel le 22 janvier 1999 vaut nécessairement dans notre cas d'espèceet que la question posée dans les deux cas est analogue.

b) Mais à l'inverse, selon une seconde analyse, vous pouvez estimer aussi qu'il est difficiled'affirmer que le considérant n° 16 du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999 a autorité dechose jugée pour le juge pénal dans le présent dossier à raison de l'identité d'objet et de cause,alors que la question posée au Conseil constitutionnel le 22 janvier 1999 touchait à lacompétence de la Cour pénale internationale, en vertu du traité de Rome du 18 juillet 1998,pour connaître des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre commis par le Présidentde la République, tandis que la question posée dans le présent dossier est celle de lacompétence et du pouvoir du juge d'instruction, en vertu des articles 80 et suivants du Codede procédure pénale, pour instruire à l'encontre du Président de la République des chefs desdélits de complicité de favoritisme dans les marchés publics, de détournements de fondspublics, d'abus de biens sociaux, de prise illégale d'intérêt et de recel.

De ce point de vue, et en s'en tenant à la conception traditionnelle stricte de l'autorité de lachose jugée par le Conseil constitutionnel, une telle autorité ne pourrait pas être reconnue à ladécision du 22 janvier 1999 dans notre cas d'espèce.

En ce cas, vous devrez vous poser alors la question de l'autorité de la "jurisprudence" duConseil constitutionnel.

III - 2 - S'agissant de l'autorité de la "jurisprudence" du Conseil constitutionnel, la doctrineconstitutionnelle considère qu'elle n'a pas de caractère obligatoire et que la Cour de cassation,comme le Conseil d'Etat, peuvent aussi interpréter la Constitution, ainsi que le rappelaitM. Favoreu dans son rapport introductif au colloque de la Cour de cassation des 9 et16 décembre 1994.

Cela est particulièrement vrai pour la Cour de cassation, "gardienne de la libertéindividuelle", selon l'article 66 de la Constitution, qui a une mission propre dans la protectiondes droits des citoyens et qui doit veiller notamment au respect des garanties et des principesfondamentaux de droit pénal participant du bloc de constitutionnalité.

III - 2-1 - Dans cet esprit, l'on peut citer quelques exemples d'arrêts du Conseil d'Etat, de la

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Cour de cassation et même du Conseil constitutionnel qui n'ont pas hésité à s'écarter d'unejurisprudence constitutionnelle antérieure :

Exemples

- pour le Conseil d'Etat :

l'arrêt du 3 février 1967, "Confédération générale des Vignerons du Midi" ;

l'arrêt du 17 mars 1997 "Fédération nationale des syndicats du personnel des industries del'énergie nucléaire et gazière" ;

- pour la Cour de cassation(34) :

l'arrêt de la chambre criminelle du 26 février 1974 ("Schiavon", Bull. crim. n° 273),concernant les peines d'emprisonnement en matière de contraventions ;

l'arrêt de la chambre criminelle du 25 janvier 1978 ("Vantalon, Bull. crim., n° 31) ;

l'arrêt de l'Assemblée plénière du 19 mai 1978 (Dame Roy, D. 1978, p. 541), par lequel laCour de cassation s'est écartée de l'interprétation de la liberté de conscience des enseignants,résultant d'une décision précédente du Conseil constitutionnel ;

l'arrêt de la chambre criminelle du 8 novembre 1979 (Trignol, JCP 1980, II, 19-337), parlequel la Cour de cassation s'est écartée de la jurisprudence du Conseil constitutionnel enmatière de fouilles des véhicules ;

l'arrêt de l'Assemblée plénière du 22 décembre 2000 (Bull., Civ., n° 12), qui a cassé plusieursarrêts de la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents dutravail, sans se référer au principe du contradictoire faisant partie, selon le Conseilconstitutionnel, du "bloc de constitutionnalité" ;

l'arrêt de la chambre sociale du 24 avril 2001, qui a admis un contrôle de "conventionnalité"des validations législatives au regard des exigences de l'article 6-1 de la Conventioneuropéenne des droits de l'homme ("Etre enfant au Chesnay c/ M. Terki") ;

- pour le Conseil constitutionnel lui-même :

la décision n° 91-290, DC du 9 mai 1991, par laquelle il a jugé contraires à la Constitution,alors qu'il les avait pourtant admises antérieurement (cf. : décision n° 82-138, DC du 25février 1982), des dispositions qui, en matière de collectivités territoriales, impartissaient auPremier ministre un délai de réponse à certaines propositions ;

la décision n° 99-410, DC du 15 mars 1999, par laquelle il a déclaré inconstitutionnelle parvoie d'exception une disposition législative figurant au nombre de celles qu'il avaitentièrement déclarées conformes à la Constitution (cf. : décision n° 84-183, DC du 18 janvier1985).

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III - 2-2 - Cependant, force est de reconnaître que ces décisions de résistance à l'égard de lajurisprudence du Conseil constitutionnel demeurent exceptionnelles(35).

Beaucoup plus nombreux sont les arrêts du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation quis'inspirent de la doctrine du Conseil constitutionnel ou qui font application des principesénoncés dans sa jurisprudence :

Citons par exemple :

- pour le Conseil d'Etat, les arrêts des :

1er juillet 1983, "Syndicat unifié des techniciens de la radiotélévision CFDT" (Rec., p. 293) ;

20 décembre 1985, "Société Etablissements Outters" (Rec., p. 382) ;

16 avril 1986, "Société méridionale de participation bancaire" (Rec., p. 93) ;

25 mai 1988, "Association des anciens élèves de l'ENA" (Rec., p. 591) ;

19 janvier 1990, "Association la Télé est à nous" (Rec., p. 9) ;

29 mai 1992, "Association amicale des professeurs titulaires du Muséum" (Rec., p. 216) ;

11 mars 1994, "Société anonyme la Cinq" (Assemblée, Rec., p. 118) ;

etc...

- pour la Cour de cassation, les arrêts :

de la chambre mixte du 25 mai 1975 ("Société Jacques Vabre", concl. Touffait, Rev. de droitpénal 1975, p.2193) ;

de la chambre criminelle du 25 avril 1985 ("Bogdan et Vuckivic", Bull. crim., n° 159);

de la première chambre civile du 1er octobre 1986 ("Guillot c/ PG Versailles", Bull. n° 232) ;

de la deuxième chambre civile du 28 juin 1995 ("Massamba", "Minga" et "Bechta", Bull. n°S211, 212 et 221) ;

de la chambre commerciale du 6 avril 1993 ("DGI c/ Lovaert", concernant la vignetteautomobile, Bull. n° 141) ;

de la chambre sociale du 10 mars 1998 ("Merle c/ Sté Trans-Europe Informatique", Bull. n°126) et du 25 mars 1998 ("CRAM Sud Alliance c/ Tallagnon, Bull. n° 175) ;

de l'Assemblée plénière du 2 juin 2000 ("Fraisse", Bull. n° 4) ;

etc...(36)

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Ainsi, s'il est vrai que le juge administratif et le juge judiciaire conservent la faculté de ne passuivre la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ils n'en usent habituellement qu'avec laplus extrême prudence(37) et ce, dans le souci de sauvegarder une harmonie de l'ordrejuridique interne.

Pour reprendre l'observation faite par MM. Louis Favoreu et Thierry Renoux dans leurintroduction au colloque de la Cour de cassation des 9 et 10 décembre 1994(38), tout se passecomme si, sans faire appel à une quelconque hiérarchie entre hautes juridictions, le jugeconstitutionnel était considéré comme le principal interprète de la Constitution. Autrement dit,le Conseil constitutionnel n'est pas un juge supérieur hiérarchiquement, mais il est chargéd'appliquer un texte, la Constitution, qui a, quant à elle, une autorité supérieure dans lahiérarchie des normes juridiques internes.

III - 3 - Ceci nous conduit à la notion d'autorité "morale" ou "persuasive", bien que non écrite,qu'il convient d'accorder, à tout le moins, à l'interprétation du Conseil constitutionnel, enreprenant les expressions utilisées par M. Bruno Genevois dans ses observations précitées.

Cette autorité "morale" ou "persuasive" qu'il apparaît nécessaire de reconnaître à la décisioninterprétative du Conseil constitutionnel, à défaut d'admettre son autorité de chose jugée, sejustifie pour plusieurs raisons :

a) En premier lieu, elle se justifie par le souci de maintenir une harmonie entre les plus hautesjuridictions françaises et de sauvegarder l'unité et l'homogénéité de l'ordre juridique interne,indispensable dans un Etat de droit, ainsi que l'admet le mémoire ampliatif lui-même.

Comme on le sait, il n'existe pas de mécanisme permettant de demander l'interprétation duConseil constitutionnel, sous la forme, par exemple, de recours préjudiciel.

Chaque haute juridiction ne peut cependant avoir son ordre juridique propre et indépendant. Ilfaut que l'unicité du droit soit assurée. Il arrive un moment où, selon l'opinion deMM. Favoreu et Renoux(39), les interprétations doivent être harmonisées et stabilisées.

Dans ce processus d'harmonisation, il est normal que le juge constitutionnel soit considérécomme le principal interprète de la Constitution et cela, d'autant mieux que la Constitution,interprétée par le Conseil constitutionnel, donne une assise majeure à la Cour de cassation et àl'ensemble de l'ordre judiciaire.

Admettre une contrariété de jurisprudence entre le Conseil constitutionnel et la Cour decassation sur un problème aussi important que le statut pénal du Président de la Républiqueserait ouvrir la porte à un conflit majeur et sans issue en droit interne, à la différence de lasolution qu'offre le Tribunal des conflits pour les divergences entre les juridictionsadministratives et les juridictions judiciaires.

b) En deuxième lieu, l'autorité "morale" ou "persuasive" de la décision interprétative duConseil constitutionnel se justifie par un impératif de sécurité juridique, dans l'intérêt mêmedes justiciables.

Citons, ici encore, MM. Louis Favoreu et Thierry Renoux(40) :

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"Le temps n'est plus où, comme dans les années cinquante et soixante, les juristes sedélectaient à étudier les divergences de jurisprudence entre l'ordre judiciaire et l'ordreadministratif... Ce qui était perçu autrefois comme un fait inéluctable est aujourd'huiconsidéré comme fâcheux et pernicieux(41). Les justiciables souhaitent pouvoir déterminerfacilement et clairement le contenu des règles de droit et la juridiction compétente pourtrancher leurs litiges sur la base desdites règles... Dans l'Etat de droit moderne, l'individuaspire à une harmonisation des branches de droit à partir de principes communs".

c) En troisième lieu, l'autorité de la décision du Conseil constitutionnel doit se justifier aussi,estime M. Genevois, par la force de conviction du raisonnement suivi par le Conseilconstitutionnel et c'est à ce propos qu'il parle "d'autorité jurisprudentielle persuasive" (onpourrait aussi parler "d'autorité interprétative persuasive") en reprenant l'expression utiliséepar certains auteurs pour les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme(42).

Telle est aussi l'opinion de M. Bernard Poullain, ancien secrétaire général du Conseilconstitutionnel, qui estime que l'influence de la doctrine du Conseil constitutionnel dépend del'autorité morale de l'interprète constitutionnel et de la cohérence de la règle qui ressort de soninterprétation.

Or, de ce point de vue, il me semble que le raisonnement qui a inspiré leConseil constitutionnel dans son considérant n° 16 de la décision du 22 janvier 1999, pourélargir volontairement sa réponse et donner une interprétation générale du statut pénal duPrésident de la République pendant la durée de son mandat, peut être regardé commesuffisamment persuasif et cohérent, même si l'on peut regretter que sa motivation n'ait pas étéplus explicite.

Il suffit de rappeler ici les motifs fondamentaux qui ont servi de fondement à cette décision etqui ont été déjà exposés : le principe de la continuité de l'Etat, le principe de la séparation despouvoirs, le respect de la dignité et de l'éminence de la fonction présidentielle.

Ainsi, malgré toutes les interrogations qui peuvent être les vôtres, vous disposez, me semble-t-il, des éléments suffisants qui vous permettent, dans votre sagesse, d'accepter sinon l'autoritéde la chose jugée, du moins l'autorité interprétative "persuasive" de la décision du Conseilconstitutionnel du 22 janvier 1999, dont vous pourrez d'ailleurs vous-même enrichir etexpliciter la motivation dans votre arrêt, en vous référant aux textes pertinents de laConstitution.

Ce faisant, votre décision ne répondra alors à aucune obligation hiérarchique stricte. L'autoritéjudiciaire est, en effet, "gardienne de la liberté individuelle", selon l'article 66 de laConstitution, et la Cour de cassation a elle-même vocation à se prononcer dans un domainequi touche aux principes fondamentaux de droit pénal, participant du bloc deconstitutionnalité.

La décision que vous prendrez, si vous me suivez, sera une décision librement choisie parvotre Assemblée plénière, une décision de "sagesse", par laquelle vous ferez vôtre, en laconfortant et l'enrichissant, la décision du Conseil constitutionnel, ceci dans un souci d'unité,d'harmonie, de sécurité juridique et, serai-je tenté de dire, de "bonne administration de notrejustice interne", au sens le plus large de cette expression.

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III - 4 - Mais, l'acceptation du considérant n° 16 du Conseil constitutionnel devrait, à monsens, s'accompagner d'un corollaire indispensable, concernant la possibilité de poursuitespénales de droit commun contre le chef de l'Etat après la fin du mandat présidentiel, le caséchéant.

Cette voie vous est ouverte par le Conseil constitutionnel lui-même qui, dans soncommuniqué ultérieur du 10 octobre 2000, a entendu écarter le risque "d'impunité de fait" duPrésident de la République, que certains avaient dénoncé.

- Certes, ce communiqué ne peut prétendre à aucune autorité juridique. Mais il n'en présentepas moins un intérêt certain pour éclairer les intentions du Conseil constitutionnel.

Or il nous précise que "le statut pénal du Président de la République ne confère pas uneimmunité pénale, mais un privilège de juridiction pendant la durée du mandat".

Cela signifie, par voie de conséquence, que si toute poursuite devant les juridictions pénalesordinaires pour des faits détachables des fonctions est suspendue pendant la durée du mandat,il y aura retour à la compétence juridictionnelle de droit commun après la fin du mandat, dèslors que le Président de la République n'aura pas été mis effectivement en accusation devantla Haute Cour de justice pour les faits concernés(43).

Mais pour que de telles poursuites soient possibles après la fin du mandat présidentiel, encorefaut-il que l'action publique ne soit pas prescrite, ce qui risque d'être le cas, en particulierlorsque les faits ont été commis avant l'élection du Président de la République.

- C'est pourquoi, même si la question ne vous est pas expressément posée, il me semble quevotre Assemblée plénière devrait se prononcer, au moins implicitement ou par une incidente,sur la non-prescription de l'action publique ordinaire pendant la durée du mandat présidentiel,car il s'agit là d'un corollaire nécessaire pour que soit respecté le principe constitutionneld'égalité devant la loi.

Cette prise de position serait d'autant plus utile que la question n'a jamais été tranchée jusqu'àprésent. Ainsi que le relevait le Garde des Sceaux le 12 juin 2001, lors du débat à l'Assembléenationale sur la proposition de réforme du statut pénal du chef de l'Etat, "aucun texten'organise les conditions dans lesquelles des poursuites entamées devant les juridictionsordinaires pourraient être suspendues, voire transférées à la Haute Cour de justice, dès lorsque ces juridictions cesseraient d'être compétentes. Symétriquement, les conditions danslesquelles ces juridictions pourraient recouvrer leur compétence à l'expiration du mandat duPrésident de la République sont inconnues".

Or, pour éviter la prescription de l'action publique ordinaire pendant la durée du mandatprésidentiel, deux types de solutions peuvent être envisagées, que je voudrais évoquer in fine,bien que cette question ne soit pas directement soulevée par le mémoire ampliatif :

a) La première solution serait celle de "l'interruption de la prescription" par des actesréguliers d'instruction ou de poursuites accomplis pendant la durée du mandat présidentiel.

Mais, dans notre affaire, cette voie paraît a priori fermée dès lors que les juges d'instruction,confirmés par la chambre de l'instruction, se sont déclarés incompétents pour instruire à

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l'égard du Président de la République (tout en admettant, par ailleurs, leur compétence pourinstruire sur les faits à l'égard, le cas échéant, de toute autre personne, auteur ou complice).

Pour que cette voie reste néanmoins ouverte, il faudrait affirmer, contrairement à l'arrêtattaqué, que les juges d'instruction demeuraient en réalité bien "compétents" pour procéder àl'audition du Président de la République, sollicitée par la partie civile, et pour instruire àl'égard de quiconque sur les faits dont ils étaient saisis, mais qu'ils étaient seulement sans"pouvoir" pour procéder à un acte d'information contre le Président pendant la durée dumandat présidentiel.

Telle a été la position soutenue par l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel deVersailles du 11 janvier 2000 qui, dans un autre dossier concernant le Président de laRépublique, avait estimé que le privilège de juridiction édicté par l'article 68 de laConstitution, selon l'interprétation donnée par le Conseil constitutionnel, avait seulement pourobjet d'interdire tout acte de poursuite à l'encontre du chef de l'Etat et sa mise en examen,mais n'entraînait aucune incompétence du juge d'instruction pour instruire sur des faitscommis par le Président de la République en dehors de l'exercice de ses fonctions ou avantson élection, dès lors que la responsabilité pénale d'une personne n'est mise en cause que parun réquisitoire la visant nommément ou par sa mise en examen.

Cette solution, qui vous conduirait à censurer pour partie l'arrêt de la chambre de l'instructionde Paris, soulèverait cependant plusieurs difficultés :

d'une part, ainsi que l'avait relevé le procureur général près la Cour de cassation dans sadépêche du 23 août 2000 concernant l'arrêt précité de la cour d'appel de Versailles du 11janvier 2000, les notions de "mise en cause" ou de "poursuites" ont été interprétées beaucoupplus largement par la jurisprudence de la chambre criminelle, pour laquelle il ne suffit pas dene pas évoquer le nom d'une personne dans un réquisitoire introductif ou de ne pas la mettreen examen pour qu'elle ne soit pas "en cause" ou "poursuivie"(44) ;

d'autre part, on voit mal comment le juge d'instruction, sans "pouvoir" pour procéder à un acted'information contre le Président de la République, pourrait continuer à instruire sur les faitsle concernant (surtout s'il était seul mis en cause), à accomplir des actes interruptifs deprescription (lesquels ?) et à accumuler, le cas échéant, des indices contre lui, en vue d'unemise en examen après la fin du mandat présidentiel, tandis que le chef de l'Etat resteraitextérieur à la procédure et ne disposerait pas des moyens de se défendre ni ne bénéficieraitdes dispositions de l'article 105 du Code de procédure pénale relatif à la prohibition des misesen examen tardives. Il y aurait là un risque évident d'atteinte aux droits de la défense du chefde l'Etat et à sa présomption d'innocence.

enfin, si le mandat présidentiel devait être renouvelé, comment pourrait-on admettre quesoient pris successivement autant d'actes interruptifs que nécessaire pour faire échec à laprescription, ce qui aurait pour effet de faire courir chaque fois un nouveau délai deprescription et d'exposer le chef de l'Etat à des poursuites très longtemps après les faits, en leplaçant ainsi dans une situation particulièrement désavantagée par rapport aux autres auteursd'infractions.

b) Aussi serait-il préférable, à mon sens, de s'orienter plutôt vers une seconde solution quis'offre pour éviter la prescription de l'action publique ordinaire pendant la durée du mandatprésidentiel : celle de la "suspension" de la prescription, en raison de l'obstacle de droit

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mettant la partie civile hors d'état d'agir et d'exercer ses droits du fait de la compétenceexclusive de la Haute Cour de justice.

Tout en sachant que l'Assemblée plénière n'aura pas à entrer plus avant dans cette question,qui n'a pas été posée directement par le moyen, je souhaiterais ajouter quelques observationscomplémentaires sur ce sujet complexe de la suspension de la prescription :

-- Une première discussion peut porter sur le point de savoir à partir de quand cette"suspension" de la prescription interviendra :

- soit à compter du jour où la partie poursuivante aura manifesté expressément sa volontéd'agir et se sera heurtée à l'obstacle de droit, comme l'avait décidé l'Assemblée plénière de laCour de cassation dans un arrêt du 23 décembre 1999 (Bull. Crim., n° 967), à propos del'impossibilité pour les victimes d'agir après avoir adressé leurs plaintes à la Commission desrequêtes de la Cour de justice de la République ;

- soit seulement à compter du premier acte de l'une des deux Assemblées manifestant unevolonté de poursuites (sous la forme d'une proposition de résolution signée d'un dixième aumoins des membres composant l'Assemblée concernée), solution qui a été retenue par l'arrêtde la Haute Cour de justice du 5 février 1993 dans l'affaire dite du "sang contaminé",contrairement aux réquisitions du procureur général Pierre Truche(45), mais qui présenteraitl'inconvénient de différer exagérément le moment de la "suspension", au risque de laisser seprescrire l'action publique ;

- soit, plus simplement encore, dès le début du mandat présidentiel, c'est-à-dire dès le momentoù toute initiative de poursuites de droit commun, qu'elle vienne d'un plaignant, d'une partiecivile ou du Parquet, se heurte à la compétence exclusive de la Haute Cour. En ce cas, il estvrai, la suspension de la prescription pourra se prolonger parfois longuement si le mandatprésidentiel est renouvelé, ce qui pourra ouvrir la voie à des poursuites pénales contre lechef de l'Etat longtemps après les faits, mais ce ne sera là que la contrepartie nécessaire duprivilège de juridiction, imposée par le respect du principe constitutionnel d'égalité devant laloi.

-- Dans tous les cas, la "suspension" de la prescription peut se justifier, me semble-t-il, auregard notamment des exigences de la Cour européenne des droits de l'homme relatives audroit d'accès effectif au juge ou à un tribunal(46) et aux garanties fondamentales de procédure,qui ne se trouvent pas pleinement satisfaites dans le cas de poursuites pénales exercées devantla Haute Cour de justice selon les règles fixées par l'ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959portant loi organique (indépendamment même de la question de la composition exclusivementparlementaire de cette Haute Cour)(47).

-- En premier lieu, en effet, la victime est dépourvue de tout droit dans la procédure de miseen accusation devant la Haute Cour de justice : elle ne peut pas se constituer partie civile etelle ne dispose d'aucun moyen de déclencher les poursuites devant cette juridiction, pas plusque le Parquet ordinaire d'ailleurs. Il y a là une première difficulté. Certes un arrêt del'Assemblée plénière de la Cour de cassation du 21 juin 1999 (Bull. Crim., n° 139) a considéréque l'irrecevabilité des constitutions de partie civile devant la Cour de justice de la République

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ne contrevenait pas à l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme, dès lorsque la loi réserve aux victimes la possibilité de porter leur action civile devant les juridictionsde droit commun. Mais il n'est pas certain que ce même raisonnement puisse être tenu dans lecas de la Haute Cour de justice, si l'on interprète strictement le dernier membre de phrase del'article 68 de la Constitution ("Il est jugé par la Haute Cour de justice").

-- En deuxième lieu, les conditions posées par l'article 68 de la Constitution pour la mise enaccusation du Président de la République devant la Haute Cour de justice rendent l'accès àcette juridiction particulièrement difficile, voire illusoire selon certains (exigence d'un voteidentique des deux assemblées statuant au scrutin public et à la majorité absolue des membresla composant). À supposer même que le processus de mise en accusation devant la HauteCour soit engagé, il est à craindre, de surcroît, que la durée de la procédure ne soit pas un"délai raisonnable" au sens de l'article 6-1 de la Convention européenne.

-- En troisième lieu, les règles applicables devant la Haute Cour de justice, juridiction àcaractère politique, ne paraissent pas, sur plusieurs points, conformes aux principesfondamentaux de droit pénal tels que consacrés notamment par la Convention européenne desdroits de l'homme, le Protocole n° 7 à cette Convention et le Pacte international relatif auxdroits civils et politiques :

Il n'existe d'abord aucune définition de la "haute trahison" visée par l'article 68 de laConstitution, cette notion ne correspondant pas à celle de trahison et d'espionnage prévue parles articles 411-1 et suivants du Code pénal. Le principe de la légalité des infractions("Nullum crimen sine lege") ne paraît donc pas bien respecté (article 7, première phrase de laConvention européenne, article 15-1 du Pacte international)(48) (49).

Aucune peine, par ailleurs, n'a été définie pour sanctionner pénalement la haute trahison, nidans l'article 68 de la Constitution, ni dans l'ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959 portant loiorganique sur la Haute Cour de justice. Le principe de la légalité des peines ("Nulla pœna sinelege") ne semble pas davantage bien respecté (cf. : article 7, seconde phrase de la Conventioneuropéenne, article 15-1 du Pacte international), à moins que la Haute Cour se borne àprononcer la sanction politique de la déchéance du mandat présidentiel ou de la destitution(47supra).

Enfin, aucune voie de recours n'est ouverte contre les arrêts de la Haute Cour de justice.L'article 35 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 précise lui-même que "les arrêts de la HauteCour de justice ne sont susceptibles ni d'appel, ni de pourvoi en cassation". Cette exclusionde toute voie de recours, du moins si un arrêt infligeait une autre sanction que la déchéance dumandat présidentiel, pose également un problème au regard de l'article 2 du Protocole n° 7 àla Convention européenne des droits de l'homme, concernant le droit à un double degré dejuridiction en matière pénale.

* *

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EN CONCLUSION, je voudrais souligner à nouveau que l'approbation de l'arrêt attaqué de lachambre de l'instruction de Paris et de la décision interprétative du Conseil constitutionnel du22 janvier 1999, à laquelle je vous invite, me paraît devoir s'accompagner d'un corollairenécessaire et d'un voeu pressant :

- le COROLLAIRE nécessaire, c'est la suspension de la prescription de l'action publiqueordinaire pendant la durée du mandat présidentiel, de façon à permettre, le cas échéant, depoursuivre devant les juridictions de droit commun, après la fin de son mandat présidentiel,celui qui a été chef de l'Etat, pour les infractions qu'il pourrait avoir commises avant sonélection ou en dehors de l'exercice de ses fonctions. Cette suspension est la contrepartieindispensable, me semble-t-il, de l'extension du privilège de juridiction de la Haute Cour dejustice décidée par le Conseil constitutionnel au bénéfice du chef de l'Etat pendant la durée deses fonctions.

- le VOEU pressant, c'est la clarification et la révision espérée des textes constitutionnels oulégislatifs, aussi bien en ce qui concerne l'audition du Président de la République commetémoin qu'en ce qui concerne son privilège de juridiction pendant la durée du mandatprésidentiel, que cette clarification des textes se fasse dans le sens de la décision interprétativedu Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999 ou selon d'autres modalités évoquées par ladoctrine ou les parlementaires (cf. : par exemple la proposition de loi constitutionnellen° 3091 tendant à modifier l'article 68 de la Constitution, présentée à l'Assemblée nationalepar un groupe de députés le 30 mai 2001(50)).

* *

*

C'est sous le bénéfice de ces observations que je conclus au REJET du pourvoi présenté parMe Lesourd pour M. Michel Breisacher.

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1. cf. : par exemple, arrêts du Conseil d'Etat des 30 avril 1997 ("Ville de Paris c/ M.Quemar"), 3 février 1984 ("Le Corre"), 31 juillet 1996 ("Ternon").

2. Voir, par ailleurs, l'arrêt de la chambre criminelle du 15 novembre 2000 (Bull. Crim., n°343) et l'arrêt de la 3ème chambre civile du 28 février 1984 (Bull., III, n° 50).

3. cf. à ce sujet l'avis de M. Robert Badinter : "Le témoin Chirac", hebd. "Le nouvelobservateur", décembre 2000 et journal "Le Monde", 17-18 décembre 2000.

voir aussi : Georges Kiejman : "Le Président témoin ou... suspect", journal "Le Monde" du20 décembre 2000.

4. arrêt cité par M. E. Dezeuze, Rev. Sc. crim., 1999, p. 504.

5. cf. notamment l'avis de M. Robert Badinter : "Le témoin Chirac", hebd. "Le nouvelobservateur", décembre 2000 et journal "Le Monde", 17-18 décembre 2000.

6. cf. : en ce sens, Bernard Bouloc : "Le témoin assisté, inculpé latent", journal "Le Figaro" du17 juillet 2001.

7. Sur toute cette question, voir notamment le Code constitutionnel commenté et annoté deMM. de Villiers et Renoux, p. 520 et suiv. et p. 620 et suiv.

8. En ce sens, François Goguel, "Les institutions politiques françaises", IEP Paris, 1967-68, p.472. Voir aussi l'interprétation donnée de l'article 68 par la Cour de cassation dans son arrêt"Frey c/ de Blignières" du 14 mai 1963 (Bull. Crim., n° 122), cité par le mémoire ampliatif.

9. Guy Carcassonne : "Le Président de la République française et le juge pénal", MélangesPhilippe Ardant - LGDJ - Montchrestien - 1999.

10. Bruno Genevois, Conseiller d'Etat, ancien Secrétaire général du Conseil constitutionnel :RFD admin. 15 (4) juillet-août 1999, pages 716 et suiv.

11. cf. : notamment Georges Vedel : "Droit constitutionnel et institutions politiques" 1960-61p. 825 et Jean Foyer, "Haute Cour de justice", Répertoire de droit pénal, Dalloz 1968, n° 44 ;A. Moreau, Revue de droit public, 1987 p. 1569 ; Olivier Duhamel, "Le pouvoir politique enFrance", 1993 p. 171.

12. Olivier Duhamel : "Le pouvoir politique en France", Seuil, 1993, p. 171, et proposrecueillis par le Monde le 29 janvier 1999.

Bruno Genevois : "Le Conseil constitutionnel et le droit pénal international" RFD admin.15(2), 1999, pages 285 et suiv. et "Observations complémentaires" RFD admin. 15 (2), 1999,pages 717 et suiv.

Dans le même sens :

D. Turpin, Droit constitutionnel, PUF, 1997, p. 366 et 546

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Philippe Chrestia, Dalloz, 1999, jurisprudence, p. 285

Pierre Esplugas, Petites Affiches, 5 juillet 1999, n° 132

D. Changnollaud, journal Libération, 7 septembre 1998

F. Naud, journal Le Monde, 26 septembre 1998

etc...

13. Cass. crim., 26 juin 1995, "Carignon", Bull. Crim., n° 235 (confirmant en cela unprécédent arrêt du 23 février 1988, Bull. Crim., n° 90) et Crim., 16 février 2000, Bull. Crim.,n° 72.

14. cf. : Olivier Beaud : "La contribution de l'irresponsabilité présidentielle au développementde l'irresponsabilité politique sous la 5ème République", RDP 1998, n° 5-6, p. 1557.

15. Guy Carcassonne : "Le Président de la République française et le juge pénal", MélangesPhilippe Ardant, LGDJ, Montchrestien, 1998, p. 275.

Pierre Avril : "À propos de l'interprétation littérale de l'article 68 de la Constitution" RFDadmin. 15 (4), juillet-août 1999, p. 715.

Dans un sens similaire :

Louis Favoreu, "Droit constitutionnel des institutions" Précis Dalloz, 1999 et Le Figaro, 16juin 1998

Philippe Ardant, "Les institutions politiques de la France", 1999

François Robbe, "L'incompétence du juge pénal pour statuer sur la responsabilité du Présidentde la République", Gazette du Palais, 12-14 novembre 1999, pages 4 et suiv.

Bertrand Mathieu, Michel Verpeaux, Dalloz, 4 mars 1999

Jacques Robert, "Le chef de l'Etat face aux juges", journal "La Croix", 9 août 2001.

16. cf. Code constitutionnel annoté de MM. de Villiers et Renoux, 2001.

Aux termes de la deuxième phrase de l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790, "les juges nepourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations descorps administratifs...".

17. Guy Carcassonne : "Le Président de la République française et le juge pénal", MélangesPhilippe Ardant 1999, p. 283.

18. En sens inverse, voir, pour les Etats-Unis, l'arrêt de la Cour suprême "Clinton v. Jones" du27 mai 1997, (AIJC, 1997-617).

19. H. Kelsen, "Théorie pure de droit", Dalloz, 1962, p. 333.

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20. cf. :

1) En faveur de l'interprétation du Conseil constitutionnel

Guy Carcassonne : "L'arrêt du Conseil constitutionnel", hebd. "Le Point" du 30 janvier 1999 ;"La responsabilité pénale du Président français" in "La responsabilité des gouvernants", 2000.

Pierre Avril : "À propos de l'interprétation littérale de l'article 68 de la Constitution" RFDadmin. 15 (4), juillet-août 1999, p. 715.

Dans un sens similaire

Louis Favoreu, "Droit constitutionnel des institutions", Précis Dalloz, 1999.

Michel Troper : "Comment décident les juges constitutionnels", journal "Le Monde" du 13février 1999.

Philippe Ardant, "Les institutions politiques de la France", 1999.

Bertrand Mathieu, Michel Verpeaux, Dalloz, 4 mars 1999.

Jacques Robert, "Le chef de l'Etat face aux juges", journal "La Croix", 9 août 2001.

François Robbe, "L'incompétence du juge pénal pour statuer sur la responsabilité du Présidentde la République", Gazette du Palais, 12-14 novembre 1999, pages 4 et suiv.

.E. Schoettl : "La responsabilité pénale du chef de l'Etat", Rev. droit public, 1999, p. 1037.

2) Contre l'interprétation du Conseil constitutionnel

Olivier Duhamel : "Le point de vue du Conseil constitutionnel n'a pas d'effet en droit", journal"Le Monde", 26 janvier 1999.

Philippe Chrestia, Dalloz 1999, jurisprudence, p. 285.

Pierre Esplugas, Petites Affiches, 5 juillet 1999, n° 132.

D. Chagnollaud : "La responsabilité pénale du Président français", in "Responsabilité desgouvernants", 2000.

Robert Badinter : "La responsabilité pénale du Président de la République sous la 5èmeRépublique", Mélanges Patrice Gelard, 1999, p. 151.

P.H. Prelot, Dalloz 2001, chronique, p. 949.

3) Contre certains aspects de la motivation du Conseil constitutionnel

Bruno Genevois : "Le Conseil constitutionnel et le droit pénal international" RFD admin. 15(2), 1999, pages 285 et suiv. et "Observations complémentaires" RFD admin. 15 (2), 1999,pages 717 et suiv.

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4) Commentaires plus neutres

E. Dezeuze, Rev. de sc. crim. et de droit comparé, 1999, p. 497.

N. Ligneul, Rev. int. de droit pénal, 1999, p. 1003.

21. Georges Vedel, "Pouvoirs", n° 92, page 75.

22. cf. : articles 2, 3 et 4 de la Constitution de 1958, alinéas 1, 3, 12, 13, 16 et 18 duPréambule de la Constitution de 1946, articles 1er, 6, 10, 11, 13 de la Déclaration de 1789.

23. cf. : arrêt déjà cité de la chambre criminelle du 26 février 1995, "Carignon", Bull. Crim.,n° 235.

24. cf. : Code constitutionnel annoté de MM. de Villiers et Renoux, 2001, p. 27 et suiv.

25. cf. : 232 DC, 302 DC, 304 DC, 348 DC, 397 DC, Cons. 14, 403 DC, Cons. 8, 107 DC,127 DC, 132 DC.

26. cf. : M. Pierre Truche, in "Le Figaro Magazine", 28 juillet 2000, p. 16.

27. cf. : B. Genevois, "Observations complémentaires", RFD admin. 15 (4), juillet-août 1999,p. 717.

28. L'avis du Conseil d'Etat se bornait à relever que "le projet de statut... aurait pourconséquence de soumettre le Président de la République... à une responsabilité pénaledifférente du régime particulier de responsabilité pénale défini... par la Constitution dans...son article 68. Il n'est donc, en l'état, pas conforme auxdites dispositions constitutionnelles".

29. cf. : Code constitutionnel commenté et annoté de MM. de Villiers et Renoux, p. 520 etsuiv. ; Traité de droit constitutionnel de MM. Louis Favoreu, Patrick Gaïa et autres, éd. 2000,p. 480, etc...

30. B. Genevois, RFD admin. 15 (4), juillet 1999, p. 717, déjà cité ; "La jurisprudence duConseil constitutionnel - Principes directeurs", éd. STH, 1988.

31. cf. : CC, 16 janvier 1962, n° 62-181, Rec., p. 31 ; 8 juillet 1989, n° 89-258, DC, Rec., p.48 ; 20 juillet 1988, n° 288-44, DC.

32. Georges Vedel : "Réflexions sur la singularité de la procédure devant le Conseilconstitutionnel", Mélanges R. Perrot, 1995, p. 551 et "Pouvoirs", n° 92, p. 75.

33. Bertrand Mathieu et Michel Verpeaux, Dalloz, 4 mars 1999, Les Petites Affiches, n° 187,20 septembre 1999

François Robbe, Gazette du Palais, 12-16 novembre 1999, p. 4 et suivantes

Jacques Robert : "Le chef de l'Etat face aux juges", journal "La Croix", 9 août 2001.

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34. cf. : M. Henri Dontenville : "De l'effet des décisions des juridictions constitutionnelles àl'égard des juridictions ordinaires en droit pénal français", in journées de la Société de lalégislation comparée", 1987, p. 431.

35. cf. : Henri Dontenville, article déjà cité

Thierry Renoux : "Le Conseil constitutionnel et l'autorité judiciaire", Paris ECONOMICA,1984

Louis Favoreu et Loïc Philip : "Les grandes décisions du Conseil constitutionnel".

36. Voir aussi, dans le même sens, les arrêts cités par Louis Favoreu dans le Dalloz n° 33 de2001 ("L'application de l'article 62, alinéa 2, de la Constitution par la Cour de cassation").

37. cf. : Louis Favoreu "Dualité ou unité de l'ordre juridique : Conseil constitutionnel etConseil d'Etat participent-ils de deux ordres juridiques différents ?" in "Conseilconstitutionnel et Conseil d'Etat" LGDJ, Montchrestien, Paris 1998, p. 145-191.

38. Ouvrage déjà cité, p. 31-32.

39. Actes du colloque de la Cour de cassation des 9 et 10 décembre 1994, p. 31.

40. Actes du colloque de la Cour de cassation des 9 et 10 décembre 1994, p. 31.

41. cf. aussi : L. Favoreu : "Du déni de justice en droit public français", Paris 1964.

42. E. Lambert : "Les effets des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme",Bruylant, éd. 1999 ; Jean-Pierre Marguenaud : "CEDH et droit privé. L'influence de lajurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme sur le droit privé français",Documentation française 2001, pages 11 et suiv.

43. Ainsi que le relève le mémoire ampliatif, dans certains pays européens, c'est laConstitution qui reporte formellement après l'expiration du mandat présidentiel l'engagementéventuel de poursuites devant les juridictions ordinaires pour des crimes ou délits commis endehors de l'exercice des fonctions de chef de l'Etat (cf. : article 49 de la Constitution grecquede 1975 et article 233 de la Constitution portugaise de 1982).

44. cf : Cass. Crim., 13 février 1975, Bull. n° 53 ; 24 octobre 1988, Bull. n° 359 ; 13 mars1997, Bull. n° 105 ; 1er décembre 1998, Bull. n° 323 ; 23 mars 1999, Bull. n° 51 ; 26 janvier2000, Bull. n° 44.

45. cf. : Dalloz 1993, jurisprudence, pages 261 et suiv. et "Droit pénal", mars 1993, p. 1.

46. cf. par ex. : arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme "Osman c/Royaume-Uni"du 28 octobre 1998 et "Tinnelly et Sons Ltd et autres" du 10 juillet 1998.

Mais voir aussi décision du Conseil constitutionnel lui-même du 9 avril 1996, affirmant "qu'ilne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes d'exercer un recoursdevant une juridiction".

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47. Sur ce point, la Commission européenne des droits de l'homme avait admis, dans unedécision du 18 décembre 1980 ("Crociani, Palmiotti, Tanassi, Lefèbvre d'Ovidio c/ Italie"),que la désignation des juges par le Parlement ne permettait pas, d'une manière générale, demettre en doute l'impartialité d'un tribunal, au sens de l'article 6-1 de la Conventioneuropéenne des droits de l'homme.

48. cf. : Serge Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, Litec, éd. 2000, p. 145.

49. Toutefois, une tentative de solution à cette difficulté a été esquissée par Georges Vedel("La compétence de la Haute Cour", Mélanges Magnol, p. 418), pour lequel la haute trahison"a pour effet de replacer le Président de la République sous un régime de responsabilité tantpolitique que pénale. Mais alors que l'appréciation de la responsabilité politique est, une foisla haute trahison constatée, absolument discrétionnaire, l'appréciation de la responsabilitépénale se fait dans le cadre des qualifications et des sanctions prévues par les lois en vigueur".

50. La proposition de loi constitutionnelle n° 3091 suggère que, pour les crimes et délitscommis antérieurement ou au cours du mandat et qui sont sans lien avec l'exercice de sesfonctions, le Président de la République pourra être poursuivi devant les tribunaux ordinaires,mais après décision d'une "commission des requêtes", saisie par le Parquet ou le plaignant etcomposée comme la commission des requêtes devant la Cour de justice de la République.

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RAPPORT

Rapport de M. ROMAN,

Conseiller rapporteur

L'Assemblée plénière est saisie d'un pourvoi contre l'arrêt d'une chambre de l'instruction ayantdéclaré les juges d'instruction incompétents pour procéder à l'audition de M. Jacques Chirac,Président de la République, demandée par une partie civile. Après avoir évoqué lescirconstances et l'objet de ce pourvoi (I), il conviendra d'examiner les principales questionsjuridiques qu'il soulève : dans quelles conditions peut être entendue par le juge d'instructionune personne quelconque (II), quel est le statut pénal du Président de la République (III),quelle est l'autorité de la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999, qui est aucoeur du débat (IV) ? Enfin, on fera l'inventaire des questions auxquelles le pourvoi invite àrépondre, en tentant d'apporter des éléments en vue du choix d'une solution (V).

I. - INTRODUCTION : LE POURVOI ET SON CONTEXTE

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1.1. - Pourvoi

M. Michel Louis Breisacher, partie civile, s'est pourvu le jour même de son prononcé contrel'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 29 juin 2001, qui aconfirmé une ordonnance par laquelle, dans l'information ouverte contre personne nondénommée pour favoritisme, détournement de fonds publics, abus de biens sociaux, priseillégale d'intérêt, complicité, recel, les juges d'instruction se sont déclarés incompétents pourprocéder à l'audition de M. Jacques Chirac, Président de la République, en qualité de témoin.

Par ordonnance du 18 juillet 2001, le président de la chambre criminelle a prescrit d'officel'examen immédiat du pourvoi, désigné un rapporteur et fixé à l'avocat constitué pour ledemandeur un délai pour produire son mémoire.

Par ordonnance rendue également le 18 juillet 2001, le premier président de la Cour decassation, faisant application de l'article L. 131-3 du Code de l'organisation judiciaire, adécidé le renvoi de l'affaire devant l'Assemblée plénière.

La société civile professionnelle Guy Lesourd a produit, dans le délai qui lui était imparti, unmémoire ampliatif comportant un moyen unique de cassation.

1.2. - Faits et procédure

1.2.1. - Ouverture d'une information concernant la SEMPAP

Le 29 septembre 1997, la Chambre régionale des comptes d'Ile de France transmet auprocureur de la République de Paris un rapport relatif à des irrégularités concernant la Sociétéd'économie mixte parisienne de prestations (SEMPAP), dissoute le 22 juillet 1996, dont lesactionnaires étaient la ville de Paris, le département de Paris et d'autres sociétés d'économiemixte. Il ressort de ce rapport que, de 1986 à 1996, la ville de Paris a conclu avec la SEMPAPsix conventions de mandat lui confiant le soin d'étudier, proposer, réaliser, livrer ou diffuserdes travaux d'impression ; que neuf sociétés commerciales ayant avec la SEMPAP desdirigeants communs ont bénéficié de commandes de sa part, avec ou sans marchés ; que desrèglements ont, notamment, été effectués au profit de deux sociétés dans lesquelles ledirecteur général de la SEMPAP, M. Brats, était intéressé, personnellement ou par le biais deson épouse, sans que les contrats intervenus aient été soumis à l'approbation du conseild'administration prévue par l'article 101 de la loi du 24 juillet 1966 (devenu l'article L. 225-86du Code de commerce).

Le 30 octobre 1997, une information, confiée à deux magistrats instructeurs, MM. Riberolleset Brisset-Foucault, est ouverte contre personne non dénommée du chef de favoritisme dansles marchés publics. Un réquisitoire supplétif du 24 septembre 1999 étend la saisine des jugesd'instruction à des faits de détournement des fonds publics, abus de biens sociaux, prise ouconservation illégale d'intérêt, recel et complicité.

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1.2.2. - Constitution de partie civile de M. Breisacher

M. Breisacher, agissant en vertu d'une décision du 7 juillet 2000 du tribunal administratif deParis qui l'a "autorisé, à ses frais et risques, à se constituer partie civile aux lieu et place de laville de Paris dans le cadre de l'information judiciaire ouverte relative aux surfacturations dontaurait été victime la ville de Paris à l'occasion des marchés qu'elle a passés par l'intermédiairede la Société d'économie mixte parisienne de prestations", se constitue partie civile dansl'information ouverte à l'initiative du ministère public.

1.2.3. - Requête aux fins d'audition de témoin et ordonnance des juges d'instruction

Le 21 novembre 2000, M. Breisacher saisit les juges d'instruction d'une requête motivée envue de l'audition, en qualité de témoin, de M. Jacques Chirac, maire de Paris à l'époque desfaits et exerçant aujourd'hui les fonctions de Président de la République. La requête demandenotamment que M. Jacques Chirac explique les raisons pour lesquelles il n'a pas "réagi face àl'hémorragie de fonds publics causée par les anomalies de la SEMPAP et de ses sociétéssatellites", alors qu'il avait été "alerté à plusieurs reprises sur les conditions d'activité de laSEMPAP".

Par ordonnance du 14 décembre 2000, les juges d'instruction se déclarent incompétents pourprocéder à l'acte d'information sollicité. Après avoir constaté que la demande d'audition estformulée en des termes tendant à la mise en cause pénale de M. Jacques Chirac, ils énoncentqu'aux termes de l'article 68 de la Constitution, le Président de la République n'est responsabledes actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison, et se réfèrentà l'interprétation qu'en donne, dans sa décision du 22 janvier 1999, le Conseil constitutionnel,saisi pour examen du traité portant statut de la Cour pénale internationale.

Dans cette décision, en effet, le Conseil constitutionnel considère que le Président de laRépublique, pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions, et hors le cas de hautetrahison, bénéficie d'une immunité et qu'au surplus, pendant la durée de ses fonctions, saresponsabilité pénale ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de justice, selonles modalités fixées par le même article.

Les magistrats en concluent que la deuxième phrase de l'article 68 de la Constitution,interprétée par le Conseil constitutionnel de manière autonome par rapport à la première,instaure un privilège de juridiction général à l'égard du chef de l'État, et que cetteinterprétation doit prévaloir en l'espèce, "en l'absence de jurisprudence de la Cour decassation... qui tendrait à estimer que le considérant précité du Conseil constitutionnel est unobiter dictum ne s'imposant pas à toutes les autorités administratives et juridictionnelles",l'audition de témoin sollicitée constituant une mise en cause, au sens de ladite décision.

1.2.4. - Appel et arrêt de la chambre de l'instruction

Ayant relevé appel de l'ordonnance des juges d'instruction, M. Breisacher fait déposer par sonavocat un mémoire dans lequel, après avoir exposé les circonstances impliquant, selon lui, laresponsabilité personnelle de M. Jacques Chirac, il fait valoir que l'audition de l'intéressé

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comme simple témoin est, dès lors, impossible. Il soutient que l'incidente de la décision duConseil constitutionnel, selon laquelle, pendant la durée de ses fonctions, le Président de laRépublique ne peut être poursuivi que devant la Haute Cour de justice, n'est pas le soutiennécessaire du dispositif et n'a donc pas autorité de chose jugée, qu'elle n'est pas justifiée par laséparation des pouvoirs et qu'elle contredit le principe constitutionnel de l'égalité de tousdevant la loi. En conséquence, la partie civile demande la mise en examen de M. JacquesChirac du chef de complicité de favoritisme dans les marchés publics, détournement de fondspublics, abus de biens sociaux, prise et conservation illégale d'intérêt, recel.

Par l'arrêt du 29 juin 2001 attaqué, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Parisconfirme l'ordonnance frappée d'appel. Elle retient que le membre de phrase selon lequel,pendant la durée de ses fonctions, la responsabilité pénale du Président de la République nepeut être mise en cause que devant la Haute Cour de justice est un des motifs qui fondent ladécision du Conseil constitutionnel et qu'en vertu de l'article 62 de la Constitution, lesdécisions du Conseil constitutionnel s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autoritésadministratives et judiciaires.

Dès lors, selon l'arrêt, tant l'article 68 de la Constitution que la décision du 22 janvier 1999 duConseil constitutionnel excluent la mise en mouvement, par l'autorité judiciaire de droitcommun, de l'action publique à l'encontre d'un Président de la République dans les conditionsprévues par le Code de procédure pénale, pendant la durée du mandat présidentiel, les jugesd'instruction restant néanmoins compétents pour instruire les faits à l'égard de toute autrepersonne, auteur ou complice.

1.3. - Moyen de cassation

Le moyen unique de cassation proposé par la SCP Lesourd, pris de la violation du principeconstitutionnel d'égalité des citoyens devant la loi, des articles 62 et 68 de la Constitution du4 octobre 1958 et des articles 80, 80-1, 81 et 82-1 du Code de procédure pénale, s'articule endeux branches :

1.3.1. - Première branche : Absence d'autorité de chose jugée de la décision du Conseilconstitutionnel du 22 janvier 1999

Dans sa première branche, le moyen fait valoir qu'il résulte de l'article 62 de la Constitution,tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel lui-même dans sa décision du 20 juillet 1988,que l'autorité de chose jugée qui s'attache à ses décisions est "limitée à la déclarationd'inconstitutionnalité visant certaines dispositions" de la loi déférée et "ne peut être utilementinvoquée à l'encontre d'une autre loi conçue, d'ailleurs, en termes différents".

Le demandeur en déduit que la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999, quistatuait sur la constitutionnalité de l'article 27 du traité portant statut de la Cour pénaleinternationale, ne dispose d'aucune autorité de chose jugée à l'égard du juge pénal statuant surla base des dispositions du Code de procédure pénale, qui n'ont fait l'objet d'aucune décisiondu Conseil constitutionnel portant sur la question de l'immunité du chef de l'État.

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La chambre de l'instruction aurait donc violé l'article 62 de la Constitution en estimant que ladécision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999 s'imposait avec autorité absolue auxjuridictions pénales de droit commun.

1.3.2. - Seconde branche : Absence d'immunité pénale en faveur du Président de laRépublique

Dans sa seconde branche, le moyen énonce que toute juridiction doit assurer le respect duprincipe constitutionnel de l'égalité des citoyens devant la loi, et spécialement devant la loipénale, auquel le statut pénal du Président de la République, prévu par l'article 68 de laConstitution, constitue une dérogation, ce qui commande d'en faire une interprétation stricte.

Le moyen rappelle les dispositions de ce texte : Le Président de la République n'estresponsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison.Il ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par un vote identiqueau scrutin public et à la majorité absolue des membres les composant ; il est jugé par laHaute Cour de justice.

Le demandeur en déduit que l'immunité ainsi instituée au profit du Président de la Républiquene s'applique qu'aux actes qu'il a accomplis dans l'exercice de ses fonctions et que, pour lesurplus, il est placé dans la même situation que tous les citoyens et relève des juridictionspénales de droit commun.

En ne mettant en cause le Président de la République, pour les actes accomplis dans l'exercicede ses fonctions, qu'en cas de haute trahison, l'article 68 de la Constitution, selon le moyen,renvoie au droit commun pour les actes détachables de ses fonctions, spécialement rationetemporis, comme ceux commis avant son élection. Le Président de la République peut êtremis en cause au plan pénal pour ces faits, puisque, avant d'être élu, il était un citoyen ordinairesoumis au statut pénal commun reposant sur le principe d'égalité garanti par l'ordre juridiquerépublicain.

La chambre de l'instruction aurait donc violé le principe, les textes constitutionnels et lestextes pénaux régissant la compétence et les pouvoirs dévolus au juge d'instruction, visés aumoyen.

1.4. - Recevabilité du pourvoi

Avant d'examiner le bien-fondé du pourvoi qui lui est soumis, l'Assemblée plénière doitévidemment s'interroger sur sa recevabilité, qui peut paraître discutable à la fois quant à laqualité du demandeur au pourvoi et quant à la nature de la décision frappée de recours.

1.4.1. - Recevabilité quant à la qualité du demandeur

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S'étant constitué partie civile au nom de la ville de Paris, en vertu de l'autorisation donnée parle tribunal administratif en application de l'article L. 2132-5 du Code général des collectivitésterritoriales, M. Breisacher avait-il qualité pour exercer les voies de recours contrel'ordonnance des juges d'instruction et l'arrêt de la chambre de l'instruction, alors que, selonl'article L. 2132-7 du même Code, lorsqu'un jugement est intervenu, le contribuable ne peutse pourvoir en appel ou en cassation qu'en vertu d'une nouvelle autorisation ?

Il semble que le terme jugement, dans ce texte, ne peut s'appliquer qu'à une décision sur lefond (1), et non à une ordonnance du juge d'instruction et à un arrêt de la chambre del'instruction rendus en matière de demande d'acte d'information, qui présentent le caractère dedécisions préparatoires, ne mettant pas fin à la procédure (2). Du reste, astreindre le demandeurà justifier d'une nouvelle autorisation pour relever appel ou se pourvoir en cassationéquivaudrait en l'espèce à un refus du droit à un recours effectif reconnu par l'article 13 de laConvention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, en raison de la brièveté (dixjours pour l'appel, cinq jours francs pour le pourvoi) des délais, lesquels courent à compter del'envoi de la notification de la décision par lettre recommandée.

1.4.2.- Recevabilité quant à la nature de la décision attaquée

Dès lors qu'il est formé contre un arrêt distinct de l'arrêt sur le fond et ne mettant pas fin à laprocédure, le pourvoi n'est en principe pas immédiatement recevable, par application del'article 170 du Code de procédure pénale. En l'espèce, M. Breisacher n'a pas déposé, dans ledélai du pourvoi en cassation, la requête prévue par ce texte et tendant à faire déclarer sonpourvoi immédiatement recevable, mais le président de la chambre criminelle a rendud'office, comme c'est souvent le cas, une ordonnance en ce sens, ce qui supprime toutedifficulté.

Par ailleurs, selon l'article 575 du Code de procédure pénale, les arrêts de la chambre del'instruction ne sont pas susceptibles de pourvoi de la part de la partie civile, en l'absence derecours du ministère public, sauf dans sept cas énumérés par le second alinéa du même article.

Jusqu'à plus ample examen, le présent pourvoi paraît devoir entrer dans les prévisions du 4°(lorsque l'arrêt a, d'office ou sur déclinatoire des parties, prononcé l'incompétence de lajuridiction saisie), que le président de la chambre criminelle a visé dans l'ordonnance du18 juillet 2001 pour ordonner l'examen immédiat du pourvoi.

Le pourvoi sera donc considéré comme recevable, ce qui permettra son examen au fond.

1.5. - Portée du pourvoi

Avant de procéder à cet examen, il est nécessaire de s'interroger sur son objet exact, qui n'estpas évident, en l'état des fluctuations de la partie civile quant à la nature de l'acted'information demandé et de l'argumentation retenue par les juges pour écarter sa requête.

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1.5.1. - Rejet d'une demande d'acte d'information ou incompétence ?

Si on le considère comme formé contre un arrêt rendu sur une demande d'acte d'information,le pourvoi doit être rejeté par le simple motif, habituel à la chambre criminelle et rendantinopérant le moyen proposé, que les juridictions d'instruction apprécient souverainementl'opportunité de donner suite à de telles demandes (3), lesquelles peuvent être réitérées en find'information (art. 175 du Code de procédure pénale), ou devant la chambre de l'instruction,tenue de répondre aux mémoires des parties, lorsqu'elle est saisie d'un appel de l'ordonnancede clôture de l'information (art. 201 et 593), ou devant la juridiction de jugement (art. 459et 463). Mais une telle réponse ne semble pas devoir être faite en l'espèce, dès lors que l'arrêtattaqué, à tort ou à raison, déclare incompétente la juridiction d'instruction et qu'il est motivéen droit et non par des considérations d'opportunité.

1.5.2. - Objet de la requête et objet du pourvoi

Si l'on s'en tient aux termes de la requête initiale, M. Breisacher a demandé aux jugesd'instruction l'audition de M. Jacques Chirac en qualité de témoin ; mais, dans son mémoireadressé à la chambre de l'instruction, il a lui-même exclu la possibilité d'une audition del'intéressé en cette qualité et a conclu à sa mise en examen, prétention que l'arrêt a écartée enconsidérant que les articles 204 et 205 du Code de procédure pénale, sur lesquels se fondait lerequérant, ne sont applicables qu'après règlement de la procédure par le juge d'instruction.

Si le demandeur ne discute pas cette argumentation dans son mémoire ampliatif, il soutientque la mise en cause pénale du Président de la République, pour des faits antérieurs à sonélection, n'est pas exclue par la Constitution, admettant ainsi que les magistrats ont à justetitre estimé que la demande d'audition de témoin qui leur était soumise comportaitl'imputation au prétendu témoin de faits susceptibles de motiver sa mise en examen.

Or l'article 82-1, alinéa premier, du Code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de laloi du 4 janvier 1993, permettait à la partie civile de demander notamment au juged'instruction de procéder à l'audition d'un témoin, mais non de prononcer une mise enexamen. Certes, l'article 21 de la loi du 15 juin 2000 modifie l'article 82-1 en ce sens que lesparties peuvent désormais demander au magistrat instructeur de procéder à tous autres actesqui leur paraissent nécessaires à la manifestation de la vérité, mais ces dispositionsnouvelles, bien qu'applicables aux procédures en cours à compter du 1er janvier 2001(art. 140 de la loi et art. 112-2, 2°, du Code pénal), ne le sont pas à une demande faite avantleur entrée en vigueur.

À la date où elle était déposée, la requête ne pouvait tendre qu'à l'audition de M. JacquesChirac en qualité de témoin, et il n'est aujourd'hui encore pas certain que la partie civile puissedemander la mise en examen de la personne à entendre, en raison des formalités nouvellesentourant cet acte de procédure (cf. ci-dessous, § 2.4). Même si les magistrats ont estimé quela requête constituait une "mise en cause pénale" du Président de la République, qu'ils ontassimilée à une mise en examen, doit-on considérer que la saisine de la Cour de cassationconcerne l'ensemble des questions posées par l'arrêt attaqué, ou qu'elle est enserrée dans les

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limites de la requête initiale, le demandeur ne pouvant prétendre, à l'occasion des recourssuccessifs qu'il exerce, faire juger des questions étrangères à l'unique objet de son appel ?

Il ne semble pas, toutefois, que l'Assemblée plénière puisse, en l'espèce, limiter son examen àla seule question de l'audition du Président de la République en qualité de témoin, ce quil'amènerait à déclarer le moyen irrecevable en ce qu'il invoque l'absence d'immunité pénale duchef de l'Etat.

1.6. - Importance de la décision attendue de l'Assemblée plénière

La Cour de cassation devant se considérer comme saisie de l'ensemble du problème de laresponsabilité pénale du Président de la République et de son audition par les magistrats, enquelque qualité que ce soit, la décision qu'elle prendra, outre l'impact médiatique qu'elle nemanquera pas d'avoir, est de nature à influer sur le sort de plusieurs autres affaires similairesactuellement en cours d'information :

- Le 15 avril 1999, M. Desmures, juge d'instruction à Nanterre, s'est déclaré incompétent pourinstruire sur des faits relatifs à des emplois fictifs consentis par la ville de Paris à des cadresdu RPR, susceptibles d'être imputés à M. Jacques Chirac, mais antérieurs à son élection à laprésidence de la République (4) ; son ordonnance a été infirmée pour partie par un arrêt du11 janvier 2000 de la chambre d'accusation de Versailles, selon lequel, si le Président de laRépublique bénéficie, pendant la durée de son mandat, d'un privilège de juridiction applicableaux faits commis en dehors de l'exercice de ses fonctions ou avant son élection, il n'en résulte"aucune incompétence du juge d'instruction pour instruire sur de tels faits, une mise enexamen demeurant éventuellement possible après l'exercice de ce mandat" (5) ;

- Le 25 avril 2001, M. Halphen, juge d'instruction à Créteil, après une vaine tentative de fairecomparaître devant lui M. Jacques Chirac en qualité de témoin dans l'affaire des HLM de laville de Paris, où il était en particulier mis en cause par les révélations posthumes contenuesdans la fameuse "cassette Méry", s'est de même déclaré incompétent ; la procédure vient d'êtrepartiellement annulée, notamment en ce qui concerne la convocation adressée au Président dela République, par un arrêt du 4 septembre 2001 de la chambre de l'instruction de Paris ;

- Le 17 juillet 2001, les juges d'instruction Riberolles, Brisset-Foucault et Van Ruymbeke, quiinstruisent l'affaire des marchés publics des lycées de la région Ile de France, dans laquelle ilserait apparu que de nombreux voyages concernant M. Jacques Chirac ont été payés en argentliquide, se sont déclarés incompétents pour interroger l'intéressé, et le procureur de laRépublique de Paris a relevé appel de leur ordonnance (6).

Il faut encore signaler que l'Assemblée nationale a été saisie par le groupe socialiste d'uneproposition de loi constitutionnelle portant modification de l'article 68 de la Constitution, dontle rapporteur est M. Bernard Roman, président de la commission des lois. L'objet de cetteproposition est d'inscrire dans la Constitution le principe de la responsabilité pénale duPrésident de la République devant les juridictions de droit commun pour les actes commis endehors de l'exercice de ses fonctions, mais de prévoir que les poursuites ne pourront être

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engagées contre lui que sur décision d'une commission des requêtes saisie par le procureur dela République ou la partie qui se prétend lésée (7).

II. - DISPOSITIONS CONCERNANT LE TÉMOIN, LE TÉMOIN ASSISTÉ ET LAPERSONNE MISE EN EXAMEN

2.1. - Évolution de la législation

Alors qu'au stade de l'instruction préalable, le Code de procédure pénale, dans sa rédactioninitiale, ne connaissait, en dehors de la partie civile, que deux catégories de personnes, letémoin et l'inculpé, la loi du 30 décembre 1987, modifiant l'article 104, a permis à la personnenommément visée dans une plainte avec constitution de partie civile de bénéficier, pourchacune de ses auditions, de l'assistance d'un avocat.

Par ailleurs, l'article 105 interdit au juge d'instruction d'entendre comme témoin les personnesà l'encontre desquelles il existe des indices graves et concordants de culpabilité (loi du13 février 1960), ou d'avoir participé aux faits poursuivis (loi du 24 août 1993).

Si la substitution de la mise en examen à l'inculpation, par les lois du 4 janvier 1993 et du24 août 1993, est une réforme plus formelle que substantielle, la loi du 15 juin 2000, entrée envigueur le 1er janvier 2001 pour l'essentiel de ses dispositions, a modifié les dispositionsconcernant l'obligation de témoigner, donné une extension considérable au statut de témoinassisté et réduit la faculté jusqu'alors reconnue au juge d'instruction de prononcer la mise enexamen de la personne soupçonnée d'avoir commis l'infraction.

2.2. - Dispositions applicables au simple témoin

La loi nouvelle a modifié les dispositions concernant l'obligation de comparaître incombant autémoin que se propose d'entendre le juge d'instruction : qu'il soit cité à comparaître devant lejuge d'instruction ou simplement convoqué, le témoin doit être avisé que, s'il ne comparaît pasou refuse de comparaître, il peut y être contraint par la force publique (art. 101), décision quele juge d'instruction prend sur les réquisitions du procureur de la République (art. 109).

La loi du 15 juin 2000, complétée par une loi du 30 décembre 2000 ayant abrogé les deuxderniers alinéas de l'article 109, a supprimé la faculté, pour le juge d'instruction, decondamner lui-même à l'amende prévue pour les contravention de la 5e classe le témoinrécalcitrant, qui encourt désormais une amende de 25 000 francs prononcée par le tribunalcorrectionnel (art. 434-15-1 nouveau du Code pénal).

Le témoin est tenu de prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité (art. 103), et letémoignage mensonger fait sous serment devant toute juridiction (y compris d'instruction,contrairement à ce que décidait l'ancien Code pénal) ou devant un officier de police judiciaireagissant sur commission rogatoire est puni de 5 ans d'emprisonnement et de 500 000 francs

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d'amende (art. 434-13 du Code pénal). En revanche, le refus de prêter serment devant le juged'instruction n'est plus sanctionné.

Il résulte de l'ensemble de ces dispositions un statut du témoin, que Faustin-Hélie (8) etGarraud (9) vont jusqu'à considérer comme un auxiliaire de la justice, opinion que vientrenforcer la distinction légale récente entre le simple témoin, extérieur aux faits sur lesquels ildépose, et le témoin assisté, qui y a participé. Un tel statut est-il compatible avec celui du chefde l'Etat ?

Les articles 652 à 655 du Code de procédure pénale spécifient que le Premier ministre et lesautres membres du Gouvernement ne peuvent comparaître comme témoins qu'aprèsautorisation du conseil des ministres, donnée par décret, et que, lorsque la comparution n'apas été demandée ou n'a pas été autorisée, la déposition est reçue par écrit par le premierprésident de la cour d'appel ou le président du tribunal de grande instance de la résidence dutémoin. Aucune disposition similaire n'existe en ce qui concerne le Président de laRépublique, auquel les articles précités ne peuvent être étendus, dès lors, notamment, qu'ilnomme lui-même les membres du Gouvernement.

Le Code d'instruction criminelle comportait, en ses articles 510 à 513, des dispositionsanalogues concernant les dépositions des ministres, des grands dignitaires de l'Etat et desprinces ou princesses du sang royal, qui ne pouvaient être cités qu'avec l'autorisation du roi,donnée par ordonnance (10). Du fait que ces textes, tardivement abrogés par la loi du20 février 1956, ne prévoyaient pas les formes de la déposition du souverain, il pouvait êtredéduit que ce dernier n'était pas astreint à témoigner.

Décider qu'aujourd'hui le Président de la République est soumis à cette obligation serait,certes, conforme aux principes démocratiques qui gouvernent la société actuelle, mais n'enconstituerait pas moins une innovation. Le professeur Chagnollaud, invoquant le précédent duPrésident Poincaré ayant déposé en 1914 devant le premier président de la cour d'appel deParis dans l'affaire de l'assassinat de Calmette, directeur du Figaro, par Mme Caillaux, estimepossible l'audition du Président de la République, s'agissant d'actes antérieurs auxfonctions (11). M. Robert Badinter, ancien ministre de la Justice et ancien président du Conseilconstitutionnel, considère qu'"il n'appartient pas au Président de la République de refuser derépondre à un juge d'instruction qui voudrait l'entendre, comme un simple témoin", ajoutantque "ce qui est obligation faite au citoyen ordinaire est, pour le Président, un devoir de sacharge" (12). En sens inverse, le professeur Carcassonne soutient que le Président de laRépublique peut refuser d'obtempérer à une convocation comme témoin qui lui apparaîtraitcomme une "tentative de déstabilisation de sa fonction ou de sa personne" (13).

2.3. - Dispositions applicables au témoin assisté

Selon les articles 113-1 et suivants du Code de procédure pénale issus de la loi du15 juin 2000, la qualité de témoin assisté est attribuée obligatoirement ou facultativement àtrois catégories de personnes :

- toute personne nommément visée par un réquisitoire introductif doit obligatoirement êtreentendue en cette qualité, si elle n'est pas mise en examen (art. 113-1) ;

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- toute personne nommément visée par une plainte, avec ou sans constitution de partie civile,ou mise en cause par la victime, peut être entendue en qualité de témoin assisté et l'estobligatoirement si elle en fait la demande au juge d'instruction (art. 113-2, al. 1) ;

- toute personne mise en cause par un témoin ou contre laquelle il existe des indices rendantvraisemblable qu'elle ait pu participer, comme auteur ou complice, à la commission desinfractions dont le juge d'instruction est saisi peut également être entendue comme témoinassisté (art. 113-2, al. 2).

Le témoin assisté, qui ne prête pas serment (art. 113-7), bénéficie, comme la personne mise enexamen, du droit d'être assisté d'un avocat, qui est avisé préalablement des auditions et a accèsau dossier de la procédure, et peut demander des confrontations (art. 113-3), mais ne peut niêtre placé sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire, ni être renvoyé devant unejuridiction de jugement sans être préalablement mis en examen, d'office ou sur sa demande(art. 113-6 et 113-8).

Il est avisé par le juge d'instruction lorsque celui-ci estime l'information terminée, mais nepeut ni invoquer la nullité de la procédure, ni demander au magistrat instructeur de procéder àdes actes d'information complémentaires (art. 175, dernier alinéa).

Tout comme la personne mise en examen ou la partie civile, le témoin assisté peut demanderau juge d'instruction de prononcer soit le renvoi devant la juridiction de jugement, soit le non-lieu, en procédant, le cas échéant, à une disjonction (art. 175-1). Si le juge d'instruction ne faitpas droit à sa demande, le témoin assisté peut saisir le président de la chambre de l'instruction,qui décide s'il y a lieu ou non de saisir cette chambre (art. 207-1).

Le témoin assisté doit recevoir notification des ordonnances de règlement (art. 183, al. 1),mais sans pouvoir exercer les voies de recours. Toutefois, en cas d'appel d'une ordonnance denon-lieu, il peut, par l'intermédiaire de son avocat, faire valoir ses observations devant lachambre de l'instruction, dont la date de l'audience lui est notifiée dans les mêmes formesqu'aux parties (art. 197-1).

Ainsi, même s'il comporte des droits analogues à ceux reconnus à la personne mise enexamen, le statut du témoin assisté ne lui confère pas la qualité de partie à la procédure,comme l'avait déjà décidé la jurisprudence antérieure à la loi du 15 juin 2000 (14). Si le témoinassisté ne peut faire l'objet d'un mandat d'amener, d'arrêt ou de dépôt, les mesures decontrainte prévues à l'égard du témoin ordinaire lui sont applicables (15), mais non les peinesréprimant le faux témoignage, puisqu'il ne prête pas serment.

2.4. - Dispositions applicables à la personne mise en examen

Au lieu d'être, comme par le passé, librement décidée par le juge d'instruction, la mise enexamen obéit désormais à des règles rigoureuses : à peine de nullité, le juge d'instruction nepeut mettre en examen que les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves etconcordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteur ou commecomplice, à la commission des infractions dont il est saisi, et s'il estime ne pas pouvoirrecourir à la procédure de témoin assisté ; il ne peut procéder à la mise en examen qu'après

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avoir entendu les observations de la personne concernée ou l'avoir mise en mesure de lesfaire, avec l'assistance de son avocat (art. 80-1).

Rappelons que le juge d'instruction peut décerner mandat d'amener ou mandat d'arrêt(art. 122) et qu'une fois la mise en examen prononcée, l'intéressé, qui peut être placé souscontrôle judiciaire ou en détention provisoire (art. 137 et suiv.), ne peut être interrogé qu'enprésence ou après convocation régulière de son avocat (art. 114).

Partie à la procédure, la personne mise en examen peut notamment en demander l'annulation(art. 173) et relever appel de la plupart des ordonnances du juge d'instruction (art. 186 et 186-1), prérogatives qui ne sont pas reconnues au témoin assisté.

III. - RESPONSABILITÉ DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

La discussion engagée tant devant la chambre de l'instruction que dans le mémoire ampliatifet la polémique consécutive à la décision du Conseil constitutionnel sur laquelle s'est fondél'arrêt attaqué portent surtout sur la responsabilité pénale du Président de la République quantaux actes commis soit dans l'exercice de ses fonctions, soit en dehors de cet exercice et surl'étendue de l'immunité et du privilège de juridiction que lui confère l'article 68 de laConstitution. Mais, pour avoir une vue complète de la question, il paraît nécessaire d'élever ledébat et de s'interroger, d'une manière plus générale, sur le statut du Président de laRépublique sous l'empire de la Constitution actuelle, à la lumière des précédents historiques etdes opinions exprimées en doctrine, avant d'aborder la décision du Conseil constitutionnel du22 janvier 1999 et de s'interroger sur sa portée.

3.1. - Statut constitutionnel du Président de la République

3.1.1. - Pouvoirs du Président de la République

On ne saurait oublier que le Président de la République est, à certains égards, l'héritier despouvoirs des rois et empereurs qui ont régné sur la France, avec diverses interruptions etvicissitudes, jusqu'en 1870. À ce titre, il est, aujourd'hui encore, co-prince des Valléesd'Andorre en vertu de textes remontant au Moyen-Age, il accrédite les ambassadeurs (art. 14),il est le chef des armées (art. 15) et il exerce le droit de grâce, considéré traditionnellementcomme un droit régalien (art. 17).

Mais le fondement de ses prérogatives n'est plus l'hérédité ou l'onction divine : la souverainetéqu'exerçait autrefois le monarque a été transférée au peuple, qui l'exerce par ses représentantset par la voie du référendum (art. 3). Or - et c'est là que la Constitution du 4 octobre 1958,depuis sa modification, après référendum, par la loi du 6 novembre 1962, innove par rapport àcelles des IIIe et IVe Républiques - le Président de la République est élu au suffrage universeldirect, pour une durée de sept ans, ramenée pour l'avenir à cinq ans par la loi constitutionnelledu 2 octobre 2000 (art. 6). Loin de tenir, comme ses prédécesseurs, ses pouvoirs d'un collège

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d'élus du peuple, il est directement et personnellement mandaté par le peuple souverain pourexercer, avec le Gouvernement dont il nomme les membres, le pouvoir exécutif.

D'après l'article 5, le Président de la République veille au respect de la Constitution et assure,par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, ainsi que la continuité del'Etat. Il dispose, en cas d'urgence, de pouvoirs exceptionnels pour prendre toutes les mesuresexigées par les circonstances (art. 16). S'il ne peut décider ces mesures qu'après diversesconsultations, il les prend seul.

On ne saurait oublier que le Président de la République est le garant de l'indépendance del'autorité judiciaire, mission qu'il assume avec le concours du conseil supérieur de lamagistrature dont il est de droit le président (art. 64 et 65). À ce titre, il nomme les magistratsdu siège et du parquet, dans les conditions prévues par la loi organique portant statut de lamagistrature (ord. du 22 décembre 1958, maintes fois modifiée).

Encore que cela ne figure pas dans la Constitution, il n'est pas inutile de signalerqu'aujourd'hui encore, et malgré diverses propositions d'abrogation, l'article 26 de la loi du29 juillet 1881 punit d'un an d'emprisonnement et de 300 000 francs d'amende l'offense auPrésident de la République commise par voie de presse, ce qui fait apparaître que, même si letexte cité n'a plus été appliqué depuis 1974, le Président de la République n'est pas tout-à-faitun citoyen comme les autres.

3.1.2. - Responsabilité du Président de la République

Avant la Révolution, le roi, en vertu de la maxime Le roi ne peut mal faire, était de plein droitirresponsable. La Constitution de 1791 a maintenu le principe de l'immunité pénale du roi,mais a prévu qu'il serait réputé avoir abdiqué, et redeviendrait ainsi un justiciable ordinaire,dans trois cas spécifiés de faute grave envers la Nation (16). Sous la Restauration et laMonarchie de juillet, la Charte déclarait sa personne "inviolable et sacrée", disposition donton ne trouve pas l'équivalent dans les Constitutions républicaines.

Les dispositions actuelles concernant la responsabilité du Président de la République sontcontenues dans le titre IX de la Constitution, intitulé La Haute Cour de justice et comportantdeux articles : l'article 67 concernant l'institution de cette Cour, composée de membres élus,en nombre égal, par les deux assemblées parlementaires, et l'article 68 concernant sacompétence pour juger le Président de la République et, jusqu'à la loi constitutionnelle du27 juillet 1993 instituant la Cour de justice de la République (art. 68-1), les membres duGouvernement pour les actes commis dans l'exercice de leurs fonctions. Le libellé actuel del'article 68 est le suivant :

Le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de sesfonctions qu'en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation que par les deuxassemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue desmembres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de justice.

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3.1.2.1. - Principe : immunité du Président de la République

Des conditions très restrictives de la responsabilité du Président de la République et de samise en accusation devant la Haute Cour, ainsi que de la construction négative des deuxphrases de l'article 68, se déduit le principe général de l'immunité du Président de laRépublique pour tous les actes commis dans l'exercice de ses fonctions. Cette immunité esttriple :

a) Immunité politique : Si le Président de la République, comme tout élu, répond de ses actesdevant les électeurs à l'expiration de son mandat, ses actes sont, pour la plupart, contresignéspar le premier ministre et par les ministres responsables (art. 19). Ils ne peuvent donner lieu,de la part de l'Assemblée nationale, qu'à la censure du Gouvernement (art. 49 et 50). Lapratique constitutionnelle de la IIIe République, qui a vu la Chambre des députés contraindreà la démission le Président Mac Mahon en 1879 en menaçant ses ministres de poursuites pourhaute trahison, et le Président Millerand en 1924 en refusant toute relation avec leGouvernement minoritaire qu'il avait constitué (17), paraît ne pas devoir revivre sous la Ve,l'Assemblée nationale ne pouvant aujourd'hui se débarrasser d'un Gouvernement qu'en votantcontre lui la censure et en s'exposant ainsi à la dissolution.

b) Immunité pénale : Aucune poursuite pénale n'est possible contre le Président de laRépublique devant une juridiction pénale de droit commun.

c) Immunité civile : Le Président de la République ne peut pas davantage être poursuivipersonnellement devant les juridictions civiles ou administratives, mais ses actes peuventengager la responsabilité de l'Etat, ce qui préserve les droits des personnes qui en auraient étévictimes.

3.1.2.2. - Exception : Privilège de juridiction

La compétence exclusive de la Haute Cour de justice pour juger le Président de la Républiqueen cas de haute trahison est un héritage des Constitutions des IIIe et IVe Républiques, quidisposaient l'une et l'autre que le Président de la République n'est responsable que dans le casde haute trahison (L. 25 février 1875, art. 6 ; Constitution de 1946, art. 42), sans spécifier sicette responsabilité ne concernait que les actes commis dans l'exercice de ses fonctions.

Le sens du terme de haute trahison, qui semble s'appliquer à tout manquement grave duPrésident de la République aux devoirs de sa charge (18), n'a été défini par aucune desConstitutions successives. Dès lors, son contenu ne peut être déterminé que par les assembléesparlementaires, dans la résolution de mise en accusation, et par la Haute Cour elle-même,comme elle l'a fait notamment dans son arrêt du 6 août 1918 à l'occasion du procès engagédevant elle contre le ministre Malvy (19). Le seul exemple de saisine de la Haute Cour à l'égardd'un chef de l'Etat (le maréchal Pétain, en 1945, dans les circonstances particulières que l'onsait) n'est pas topique.

De même, la nature des sanctions susceptibles d'être prononcées par la Haute Cour ne résulted'aucun texte, ce qui ne pose aucun problème s'il s'agit d'une sanction purement politique telleque la destitution ou un simple blâme, mais heurte le principe de légalité des délits et des

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peines consacré par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août1789 et par les traités internationaux ratifiés par la France (Pacte de New York, art. 15 ;Convention européenne des droits de l'homme, art. 7).

Le doyen Vedel propose de résoudre cette contradiction par la distinction suivante : "Alorsque l'appréciation de la responsabilité politique est, une fois la haute trahison constatée,absolument discrétionnaire, l'appréciation de la responsabilité pénale se fait dans le cadre desqualifications et des sanctions prévues par les lois en vigueur" (20). Il appartiendrait donc auxassemblées, pour respecter le principe du procès équitable garanti par les mêmes conventionsinternationales, d'énoncer avec précision les faits poursuivis dans la résolution de mise enaccusation, en mentionnant les textes qui leur sont applicables, exigence qui, en l'absence dedispositions spéciales en ce sens dans la Constitution, risque de rester un voeu pieux.

3.1.2.3. - Portée de l'immunité et du privilège de juridiction du Président de la République

Comme on l'a vu, la seconde phrase de l'article 68 dispose que le Président de la Républiquene peut être mis en accusation que par un vote des deux assemblées. La Constitution actuellereprend ainsi, à peu de chose près, le texte de l'article 12 de la loi constitutionnelle du16 juillet 1875, alors que l'article 42 de la Constitution de 1946, après avoir énoncé dans sonalinéa premier que le Président de la République n'est responsable qu'en cas de hautetrahison, ajoutait dans son alinéa 2 qu'il peut être mis en accusation par l'Assemblée nationaleet renvoyé devant la Haute Cour de justice. Cette différence de rédaction, qui n'est pas due auhasard, signifie-t-elle que le Président de la République ne peut faire l'objet d'aucunepoursuite, sinon devant la Haute Cour ?

Avant la décision du 22 janvier 1999, il était généralement admis en doctrine quel'irresponsabilité du Président de la République ne concerne que les actes de sa fonction. Telleétait l'opinion exprimée sous la IIIe République par Barthélemy et Duez, qui citaientl'exemple d'un Président tuant un perdreau alors que seule était ouverte la chasse à labécasse (21), sous l'empire de la Constitution de 1946 par M. Vedel (22) et sous l'empire de laConstitution actuelle par M. Foyer (23), M. Moreau (24), M. Badinter (25), M. Duhamel (26) etbien d'autres. Certains auteurs, tels que MM. Luchaire et Cannac, ne se posaient même pas laquestion, se bornant à insister sur la nature de juridiction politique de la Haute Cour (27), etLaferrière estimait la question "sans intérêt" (28).

En revanche, M. Carcassonne, rappelant qu'en fait la responsabilité du Président de laRépublique n'a jamais été mise en cause sous la IIIe République et insistant sur la différencede rédaction des textes constitutionnels de 1946 et de 1958 et sur la difficulté de distinguer lesactes antérieurs ou extérieurs aux fonctions de ceux commis dans leur exercice, professait que"la Constitution de la Ve République offre au chef de l'Etat une immunité à peu prèsabsolue..., mais limitée à la durée de son mandat", grâce au privilège de juridiction résultantde la seconde phrase de l'article 68 (29). Cette opinion était approuvée par M. Favoreu (30).

On ne connaît qu'un exemple de poursuite d'un Président de la République, pour uneinfraction antérieure à son entrée en fonctions, devant la juridiction pénale de droit commun :à l'occasion de l'élection présidentielle de 1974, M. René Dumont, candidat malheureux, a faitciter le 3 mai 1974 devant le tribunal correctionnel de Paris M. Valéry Giscard d'Estaing pourun délit d'affichage illégal au cours de la campagne électorale. Le tribunal, par jugement du

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3 décembre 1974, après avoir constaté l'amnistie en vertu de l'article 2 de la loi du16 juillet 1974, a, sur l'action civile, débouté le demandeur de ses prétentions (31). Cet uniquejugement, qui ne spécifie pas si la citation avait été délivrée avant l'entrée en fonctions deM. Giscard d'Estaing en qualité de Président de la République et se borne à constater qu'il n'apas contesté la compétence de la juridiction de droit commun, ne suffit pas à faire unejurisprudence.

3.1.3. - Empêchement du Président de la République

L'analyse du statut du Président de la République serait incomplète si l'on ne mentionnait lesdispositions de l'article 7 de la Constitution concernant la vacance de la présidence de laRépublique ou l'empêchement du Président :

L'empêchement du Président de la République est constaté par le Conseil constitutionnel, saisipar le Gouvernement et statuant à la majorité absolue de ses membres, et ses fonctions sontprovisoirement exercées par le président du Sénat ou, si celui-ci en est à son tour empêché,par le Gouvernement. Lorsque l'empêchement est déclaré définitif par le Conseilconstitutionnel, ou en cas de vacance, il est procédé à une nouvelle élection.

L'histoire nous offre plusieurs exemples de vacance, mais aucun exemple d'empêchementproprement dit : décès du Président Pompidou en 1974, à la suite d'une grave maladie ;démission du Président de Gaulle en 1969, après l'échec du référendum sur la régionalisationet la réforme du Sénat ; démission du Président Deschanel en 1920, pour cause d'aliénationmentale ; démission du Président Grévy en 1887, en raison du scandale des décorations dontson gendre était accusé d'avoir trafiqué.

Si la définition de la vacance, qui suppose le décès ou la démission du titulaire, ne pose aucunproblème, il semble que l'empêchement ne peut résulter que d'un fait mettant le Président dela République dans l'impossibilité d'exercer normalement sa charge : maladie physique oumentale, disparition, enlèvement, etc. L'indignité morale du Président, déduite de lacommission d'un crime au cours de son mandat ou de la révélation de quelque grave forfaitantérieur à son élection, ne pourrait-elle pas également caractériser une telle impossibilité ?

Cette interprétation extensive de la notion d'empêchement serait séduisante, puisqu'ellepermettrait au Gouvernement de mettre fin au scandale et de rétablir le fonctionnementnormal des institutions en saisissant le Conseil constitutionnel et qu'elle limiterait ainsi lesinconvénients de l'irresponsabilité pénale du chef de l'Etat (32). Mais elle menacerait l'équilibreinstitutionnel en privant les assemblées parlementaires de leur pouvoir de mettre le Présidenten accusation devant la Haute Cour et en faisant dépendre le sort du Président de laRépublique de la décision prise par un Gouvernement dont il a lui-même nommé lesmembres. On doit donc s'en tenir à une conception restrictive de l'empêchement prévu parl'article 7 de la Constitution française, qui ne saurait devenir l'équivalent de la procédureaméricaine d'impeachment, telle qu'elle a été exercée contre les Présidents Nixon et Clinton.

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3.1.4. - Comparaison du statut du Président de la République avec ceux des membres duGouvernement et du Parlement

La Constitution accorde un régime spécial à deux catégories de personnes : les membres duGouvernement et ceux des assemblées parlementaires.

3.1.4.1. - Privilège de juridiction des membres du Gouvernement

Précédemment justiciables, comme le Président de la République, de la Haute Cour de justice(ancien art. 68, al. 2), les membres du Gouvernement sont, depuis l'entrée en vigueur de la loiconstitutionnelle du 27 juillet 1993, jugés, pour les actes accomplis dans l'exercice de leursfonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis, par la Cour de justicede la République, qui est liée par la définition des crimes et délits ainsi que par ladétermination des peines telles qu'elles résultent de la loi (art. 68-1).

La Cour de justice de la République a ainsi jugé plusieurs ministres renvoyés devant elle pourhomicide involontaire (affaire du sang contaminé) (33) et une ministre renvoyée devant ellepour diffamation (34).

La Cour de cassation a jugé que la compétence de la Cour de justice de la République àl'égard d'un ministre ne concerne que les actes ayant un lien direct avec la conduite desaffaires de l'Etat dépendant de son ministère (35).

Tous les autres actes des membres du Gouvernement sont de la compétence des juridictionsde droit commun. Si, comme on l'a vu, l'audition d'un ministre comme témoin ordinaire estsoumise à des conditions particulières, son audition comme témoin assisté ou sa mise enexamen n'est assortie par la loi d'aucune formalité. La pratique constitutionnelle récente veutque le membre du Gouvernement mis en examen renonce à ses fonctions ministérielles (cf.aff. Tapie, Carignon, Longuet, Strauss-Kahn, etc.).

3.1.4.2. - Immunité parlementaire

En vertu de l'article 26, alinéa premier, de la Constitution, aucun membre du Parlement nepeut faire l'objet de poursuites à l'occasion des opinions ou votes émis par lui dans l'exercicede ses fonctions. Il s'agit donc d'une irresponsabilité limitée aux actes de la fonction, mais necomportant aucune exception, à la différence de l'irresponsabilité du Président de laRépublique prévue par l'article 68.

Par ailleurs, le même article, alinéa 2, dans sa rédaction issue de la loi constitutionnelle du4 août 1995, dispose qu'aucun membre du Parlement ne peut faire l'objet, en matièrecriminelle ou correctionnelle, d'une arrestation ou de toute mesure privative ou restrictive deliberté qu'avec l'autorisation du bureau de l'assemblée dont il fait partie, cette autorisationn'étant, cependant, pas requise en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation

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définitive. En outre, selon l'alinéa 3, la détention, les mesures privatives ou restrictives deliberté ou la poursuite d'un membre du Parlement sont suspendues pour la durée de la sessionsi l'assemblée dont il fait partie le requiert. Les députés et sénateurs jouissent ainsi d'uneinviolabilité limitée, qui n'empêche pas leur mise en examen par le juge d'instruction, ni leurcitation ou leur renvoi devant la juridiction de jugement.

3.1.5. - Droit comparé

Dans tous les pays où le chef de l'Etat est un président élu, il bénéficie d'un statut pénal trèsprotecteur. La plupart des Constitutions prévoient sa mise en accusation devant une juridictionspéciale pour des faits particulièrement graves commis dans l'exercice de ses fonctions(Allemagne, Italie). Certaines spécifient qu'il ne répond des actes étrangers à l'exercice de sesfonctions qu'après l'expiration de son mandat, devant les tribunaux ordinaires (Brésil, Grèce,Portugal). Cependant, aux Etats-Unis, si le Président peut être destitué de ses fonctions pourtrahison, corruption ou autres crimes et délits, la poursuite étant décidée par la Chambre desreprésentants et exercée devant le Sénat (36), la Cour suprême a décidé qu'il peut être jugé parles juridictions civiles ordinaires, même pendant son mandat, pour des faits survenus avant saprise de fonctions (37).

3.2. - Décision du 22 janvier 1999 du Conseil constitutionnel

Alors que, comme on vient de le voir, les auteurs estimaient, pour la plupart, que le Présidentde la République est responsable conformément au droit commun des actes commis en dehorsde l'exercice de ses fonctions, le Conseil constitutionnel s'est prononcé en sens inverse par unedécision du 22 janvier 1999 qui, cependant, est loin d'avoir clos le débat, tant son bien-fondéest discuté et son autorité contestée.

3.2.1. - Analyse de la décision

3.2.1.1. - Dispositions examinées par le Conseil constitutionnel

Un traité signé à Rome le 18 juillet 1998 a institué une Cour pénale internationale, siégeant àLa Haye, complémentaire des juridictions criminelles nationales et ayant compétence à l'égarddes crimes les plus graves, commis par des personnes physiques, qui touchent l'ensemble de lacommunauté internationale, notamment le crime de génocide (art. 6), les crimes contrel'humanité (art. 7) et les crimes de guerre (art. 8), dont le traité donne la définition, et qui sontdéclarés imprescriptibles (art. 29).

L'article 27 de ce texte spécifie :

1. - Le présent statut s'applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur laqualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d'Etat ou de Gouvernement, de

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membre d'un Gouvernement ou d'un Parlement, n'exonère en aucun cas de la responsabilitépénale au regard du présent statut, pas plus qu'elle ne constitue en tant que telle un motif deréduction de la peine.

2. - Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s'attacher à la qualitéofficielle d'une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n'empêchent pasla Cour d'exercer sa compétence à l'égard de cette personne.

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 24 décembre 1998 par le Président de la République etle Premier ministre, conformément à l'article 54 de la Constitution, de la question de savoir si,compte tenu des engagements souscrits par la France, l'autorisation de ratifier le traité portantstatut de la Cour pénale internationale doit être précédée d'une révision de la Constitution.

3.2.1.2. - Sens de la décision du Conseil constitutionnel

Par sa décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999 (38), le Conseil constitutionnel a décidé quel'autorisation de ratifier ledit traité exige une révision de la Constitution, notamment en ce quiconcerne la possibilité de poursuivre devant la Cour pénale internationale le Président de laRépublique, les membres du Gouvernement et les membres du Parlement, et qu'il pourrait êtreporté atteinte à la souveraineté nationale par l'application du statut à des faits couverts, selonla loi française, par l'amnistie ou la prescription, ainsi que par le pouvoir reconnu au procureurde la Cour pénale internationale de procéder à certains actes d'enquête hors la présence desautorités de l'Etat requis et sur le territoire de ce dernier.

La Constitution a été modifiée conformément à cette décision par la loi constitutionnelle du 8juillet 1999, qui a créé un article 53-2 disposant que la République peut reconnaître lajuridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le18 juillet 1998. On pourrait être tenté de déduire de cette modification constitutionnelle que ladécision du 22 janvier 1999 est devenue sans objet (39). Cependant elle subsiste, et il doitnécessairement en être tenu compte, ne serait-ce que comme jurisprudence relative àl'interprétation de l'article 68.

Seuls nous intéressent, bien entendu, les motifs de la décision relatifs au défaut de conformitéde l'article 27 du statut.

3.2.1.3. - Motifs de la décision du Conseil constitutionnel

Après avoir rappelé les principes applicables, et notamment les dispositions des articles de laConstitution ayant trait à la souveraineté nationale (art. 3) et à la primauté des traités ouaccords régulièrement ratifiés (art. 53 et 55), et avoir analysé les dispositions du statut de laCour pénale internationale, le Conseil constitutionnel prononce par les motifs ci-après en cequi concerne le Président de la République (il paraît inutile de reproduire ceux qui concernentles membres du Gouvernement et du Parlement) :

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Considérant qu'il résulte de l'article 68 de la Constitution que le Président de la République,pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions et hors le cas de haute trahison,bénéficie d'une immunité ; qu'au surplus, pendant la durée de ses fonctions, sa responsabilitépénale ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de justice, selon les modalitésfixées par le même article ;

Considérant qu'il suit de là que l'article 27 du statut est contraire aux régimes particuliers deresponsabilité institués par les articles 26, 68 et 68-1 de la Constitution.

Le Conseil constitutionnel, selon les commentateurs de sa décision, reconnaît donc auPrésident de la République une immunité quant aux actes commis dans l'exercice de sesfonctions, hors le cas de haute trahison, et un privilège temporaire de juridiction quant à sesautres actes.

Telle est, du reste, l'interprétation que le Conseil constitutionnel lui-même a cru devoir endonner, sans doute dans l'espoir de mettre un terme aux polémiques, dans un communiqué du10 octobre 2000 où il rappelle les conditions de sa saisine, le caractère collégial et impartialde ses délibérations et ajoute :

Conforme au texte de l'article 68 de la Constitution, la décision du 22 janvier 1999 préciseque le statut pénal du Président de la République, s'agissant d'actes antérieurs à ses fonctionsou détachables de celles-ci, réserve, pendant la durée de son mandat, la possibilité depoursuites devant la seule Haute Cour de justice.

Le statut pénal du Président de la République ne confère donc pas une "immunité pénale",mais un privilège de juridiction pendant la durée du mandat.

En outre, le secrétariat général du Conseil constitutionnel a publié sur son site Internetplusieurs documents non datés relatifs à la responsabilité pénale du chef de l'Etat, danslesquels est explicitée la démarche qui aurait guidé les magistrats de la haute juridiction. Il neparaît pas que l'on doive reconnaître la moindre autorité, sinon comme commentaires dedoctrine, à ce communiqué et à ces documents, par lesquels le Conseil constitutionnel semblevouloir défendre une décision qui vaut par elle-même et par l'autorité que lui confèrel'article 62 de la Constitution.

3.2.2. - Critiques et commentaires de la décision du 22 janvier 1999

La décision du Conseil constitutionnel a donné lieu à une polémique passionnée et parfoispartisane, certains allant jusqu'à supposer une collusion, voire un "troc", entre le présidentd'alors du Conseil constitutionnel, M. Roland Dumas, lui-même mis en cause dans l'affaireElf, et M. Jacques Chirac (40), et à un échange de points de vue opposés entre spécialistes dudroit constitutionnel.

3.2.2.1. - Opinions favorables à la décision

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M. Carcassonne approuve la décision du Conseil constitutionnel, qui, selon lui, ne pouvaitéviter de se prononcer sur la responsabilité pénale du Président de la République, et estimeraisonnable l'interprétation donnée de l'article 68, dès lors que, dans la personne du chef del'Etat, aussi longtemps qu'il est à l'Elysée, l'homme disparaît derrière la fonction (41). Descommentaires favorables ont été également émis par M. Troper (42), M. Ardant (43) etM. Robbe, qui voit notamment dans cette décision un refus de la "judiciarisation" dupolitique (44).

M. Jacques Robert, ancien membre du Conseil constitutionnel, justifie la décision, d'unemanière pragmatique, par la nécessité de "sauvegarder l'institution présidentielle en évitantque le chef de l'Etat puisse être inquiété par la justice pendant son mandat pour un oui ou unnon", sans pour autant le faire bénéficier d'une totale impunité. Il se dit "intimementconvaincu qu'il ne faut pas que le Président soit à la merci d'un juge d'instruction" (45).M. Vedel, lui aussi ancien membre du Conseil constitutionnel, estime que "la solution duConseil est exacte sur le fond, mais n'a pas autorité absolue de chose jugée et ne s'imposedonc pas au juge pénal" (46).

3.2.2.2. - Opinions opposées à la décision

Dans plusieurs publications, M. Chrestia soutient que la prise de position du Conseilconstitutionnel est aussi inopportune que contestable. Selon lui, en se prononçant sur laresponsabilité du Président de la République pour des actes étrangers à l'exercice de sesfonctions, le Conseil constitutionnel aurait statué ultra petita, et "cet obiter dictum, parce qu'iln'est ni le soutien, ni le fondement du dispositif, n'aura pas de réelle portée juridique". LeConseil constitutionnel aurait, du reste, isolé à tort les deux phrases de l'article 68, alors qu'onne voit pas "pourquoi, formant un seul article, (elles) seraient sémantiquement etgrammaticalement indépendantes", ni "pourquoi le Président de la République bénéficieraitd'une immunité absolue *et d'un privilège de juridiction pour des infractions de droit communn'entrant pas dans l'exercice de ses fonctions" (47).

M. Olivier Duhamel affirme que le Conseil constitutionnel "n'avait pas à trancher le point desavoir si le Président peut, ou non, répondre devant les juges de droit commun des crimes etdélits ordinaires, sans le moindre lien avec l'exercice de ses fonctions" et que "le point de vueexprimé par le Conseil constitutionnel n'a pas d'effet en droit", dès lors qu'il n'est qu'"unobiter dictum, une incidente qui n'est pas nécessaire pour résoudre le problème posé" (48). Denombreux auteurs se prononcent dans le même sens ; notamment M. Esplugas (49), M. RobertBadinter (50), M. Chagnollaud (51).

M. Genevois, conseiller d'Etat et ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, estime,à partir de son libellé et des conditions dans lesquelles il a été élaboré (sans véritables travauxpréparatoires, puisque le texte a été soumis à référendum sans débats parlementaires), quel'interprétation donnée de l'article 68 de la Constitution par la décision du 22 janvier 1999 esterronée : pour le Président de la République comme pour les membres du Gouvernement(ancien alinéa 2 de l'article 68), les rédacteurs du texte entendaient limiter la compétence de laHaute Cour aux actes accomplis par eux dans l'exercice de leurs fonctions. En cas depoursuites contre le Président de la République pour des actes détachables de cet exercice, lesprocédures constitutionnelles destinées à pourvoir à un empêchement suffisent à assurer la

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continuité de l'Etat. Enfin, selon M. Genevois, "l'autorité qui s'attache à la décision du Conseilconstitutionnel est juridiquement circonscrite au texte qui était soumis à son examen" (52).

M. Camy, critiquant aussi bien les méthodes d'interprétation des autres auteurs que celle duConseil constitutionnel, énonce, par une "interprétation de l'article 68 de la Constitution àl'aide de la théologie sécularisée", que le chef de l'Etat, à l'instar du Christ, "est persona mixta,possédant un corps naturel et un corps politique inséparables". Il conclut comme suit :"L'irresponsabilité de l'article 68... ne concerne que le seul corps politique. Elle n'implique pasune immunité de fond ou de procédure au plan pénal du Président, sauf à confondrel'institution et le corps naturel. Dès lors, rien ne s'oppose, en l'absence de dispositionsexpresses, à ce que le Président soit traité comme un simple citoyen pour tout ce qui concerneles actes détachables de sa fonction" (53).

3.2.2.3. - Commentaires ne remettant pas en cause la décision

Plusieurs auteurs, notamment M. Schoettl, conseiller d'Etat (54), M. Dezeuze (55),M. Ligneul (56), ont publié des commentaires fortement documentés, mais ne prenant pasposition pour ou contre la décision du Conseil constitutionnel.

M. Prélot, qui en analyse finement les conséquences, s'interroge sur la nature del'irresponsabilité du Président de la République : inviolabilité, immunité fonctionnelle ouprivilège de juridiction ? Si, comme l'indique le communiqué explicatif du 10 octobre 2000, laHaute Cour est compétente pour juger les faits extérieurs à sa fonction, il s'agit d'un privilègede juridiction. Or la Haute Cour "n'est absolument pas adaptée pour la répression des délitspénaux extrafonctionnels" commiss par le Président de la République et n'est pas tenue par lesqualifications pénales, de sorte qu'on peut se demander si la prescription a toujours un sens.L'auteur observe, néanmoins, que la chambre d'accusation de Versailles, dans son arrêt du11 janvier 2000, s'est déjà prononcée de manière implicite en faveur d'une suspension de laprescription pendant l'exercice du mandat (57).

IV. - AUTORITÉ DE LA DÉCISION DU 22 JANVIER 1999 DU CONSEILCONSTITUTIONNEL

Comme on l'a vu, de nombreux auteurs dénient toute autorité à la décision par laquelle leConseil constitutionnel a entendu résoudre la question de la responsabilité pénale du Présidentde la République pour les actes extérieurs ou antérieurs à l'exercice de ses fonctions. Ons'interrogera sur le principe de l'autorité des décisions de cette haute juridiction, sur la manièredont cette autorité est respectée par les juridictions administratives et judiciaires et surl'application qu'il convient de faire à l'espèce des principes ainsi dégagés.

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4.1. - Principe de l'autorité des décisions du Conseil Constitutionnel

L'article 62, alinéa 2, de la Constitution, dispose que les décisions du Conseil constitutionnels'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.Malgré les termes énergiques employés dans ce texte, dont le Conseil constitutionnel a donnélui-même une interprétation, la portée de ce principe est loin d'être évidente.

4.1.1. - Interprétation du principe par le Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel a lui-même rendu à plusieurs reprises des décisions précisantl'étendue de l'autorité affirmée par l'article 62 :

- Décision du 16 janvier 1962 : L'autorité des décisions visées par l'article 62, alinéa 2, de laConstitution s'attache non seulement à leur dispositif, mais aussi aux motifs qui en sont lesoutien nécessaire et en constituent le fondement même. ;

- Décision du 20 juillet 1988 : L'autorité de chose jugée attachée à une décision antérieure estlimitée à la déclaration d'inconstitutionnalité visant certaines dispositions de la loi qui luiétait alors soumise ;

- Décision du 8 juillet 1989 : Si l'autorité attachée à une décision du Conseil constitutionneldéclarant inconstitutionnelles des dispositions d'une loi ne peut en principe être utilementinvoquée à l'encontre d'une autre loi conçue en termes distincts, il n'en va pas ainsi lorsqueles dispositions de cette loi, bien que rédigées sous une forme différente, ont, en substance, unobjet analogue à celui des dispositions législatives déclarées contraires à la Constitution.

Le principe indiscutable posé par la décision de 1962 est la conséquence du fait que ledispositif des décisions du Conseil constitutionnel se borne à constater la conformité oul'absence de conformité à la Constitution des lois votées par le Parlement ou, comme dans lecas de la décision du 22 janvier 1999, des traités soumis à ratification.

Cependant il ne semble pas que l'on puisse admettre que l'autorité attachée par l'article 62 auxdécisions du Conseil constitutionnel s'étend à celles par lesquelles il prétend en définir lui-même les limites. Du reste, on ne doit pas exagérer la portée des décisions précitées de 1988et 1989, qui ont pour objet de déterminer quels moyens développés devant le Conseilconstitutionnel par les autorités ou parlementaires auteurs de sa saisine méritent une réponsede sa part et non de définir l'autorité de ses décisions à l'égard des juridictions.

L'autorité du dispositif et des motifs qui en sont le fondement s'étend aux réservesd'interprétation dont le Conseil constitutionnel assortit fréquemment la déclaration deconformité à la Constitution des lois qui lui sont soumises. Bien que parfois critiquées en leurprincipe, ces réserves, qui permettent au Conseil constitutionnel de sauver des textesimparfaits, orientent l'action des autorités administratives chargées de les appliquer et limitentles pouvoirs d'interprétation des juridictions (58).

Le mémoire ampliatif tente de démontrer que le Conseil constitutionnel ne respecterait paslui-même l'autorité de ses propres décisions, qui, dès lors, ne s'imposeraient pas auxjuridictions de l'ordre judiciaire. C'est ainsi que, par sa décision n° 99-410 DC du

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15 mars 1999 (prod. 19), il a déclaré non conformes à la Constitution certaines desdispositions des articles 195 et 217 de la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, alorsque, par sa décision n° 84-183 DC du 18 janvier 1985 (prod. 20), il avait constaté laconformité à la Constitution des dispositions identiques de la loi relative au redressement et àla liquidation judiciaire des entreprises (loi du 25 janvier 1985, aujourd'hui intégrée au Codede commerce).

Mais cette apparente discordance s'explique par le fait que le Conseil constitutionnel, qui doitstatuer à très bref délai, n'examine en détail que les dispositions dont la contrariété à laConstitution est évidente ou lui est spécialement dénoncée, se bornant, pour le surplus, à unexamen plus superficiel résumé par un "considérant-balai" figurant dans sa décision du18 janvier 1985 : Considérant qu'en l'espèce il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel desoulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne lesautres dispositions de la loi soumise à son examen. L'autorité de ses décisions n'estévidemment pas la même dans les deux cas, et le Conseil constitutionnel en est tellementconscient que, depuis sa décision précitée du 20 juillet 1988, il a abandonné l'ancien"considérant-balai" (59).

4.1.2. - Limites de l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel

La question de l'étendue de l'autorité conférée par l'article 62 de la Constitution aux décisionsdu Conseil constitutionnel est obscurcie par le fait - qui trompe la plupart des commentateurs -que les juges ordinaires s'y conforment le plus souvent, alors même que, juridiquement, ilsseraient libres de s'en dispenser. Les juridictions, en effet, et surtout les juridictionsadministratives, qui motivent souvent leurs décisions en se référant à des principes plutôt qu'àune loi déterminée, recherchent l'unité d'interprétation et l'harmonie plutôt que le conflit avecle Conseil constitutionnel. Analysant la jurisprudence, les auteurs confondent l'autorité desdécisions de celui-ci au regard du texte constitutionnel et de la théorie juridique et la manièredont elles sont effectivement respectées.

Il n'est plus sérieusement discuté que le Conseil constitutionnel est une juridiction et que sesdécisions ont l'autorité de la chose jugée, expression dont il fait lui-même usage. Cependant,comme le constate M. Favoreu, il n'est pas possible d'appliquer strictement les règleshabituelles en matière de chose jugée, notamment d'exiger l'identité des parties, de l'objet etde la cause, ne serait-ce que parce qu'il n'y a pas véritablement de parties au procèsconstitutionnel (60).

Il résulte logiquement de l'application des règles de la chose jugée que l'autorité des décisionsdu Conseil constitutionnel est absolue en ce qui concerne les textes mêmes dont il a examinéla constitutionnalité, mais n'est que relative en ce qui concerne les autres textes (61).

Toutefois l'étendue de cette limitation de l'autorité de chose jugée des décisions du Conseilconstitutionnel reste floue, notamment en ce qui concerne la constitutionnalité des textes nonsoumis à son contrôle avant leur promulgation et l'interprétation des lois. Deux conceptions del'autorité de ces décisions se font jour, l'une extensive, l'autre restrictive, qu'il y a lieu depasser en revue avant de tenter une synthèse.

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4.1.2.1. - Conception extensive de l'autorité de chose jugée des décisions du Conseilconstitutionnel

Selon une première conception, qui est celle du Conseil lui-même, ses décisions auraientautorité toutes les fois que le Conseil s'est prononcé sur la conformité d'un texte à laConstitution, à quelque titre que ce soit, donc même à l'occasion de l'examen d'une loinouvelle. Il aurait ainsi le pouvoir d'imposer son appréciation en dehors même du contrôle apriori de la constitutionnalité des lois qui lui est confié par l'article 61 de la Constitution et aumépris des bornes posées par sa propre décision du 20 juillet 1988, ce qui est pour le moinssurprenant. Dès lors que la notion de chose jugée s'applique difficilement à l'interprétationincidente d'une loi ancienne à l'occasion de l'examen d'une loi nouvelle, les décisions duConseil constitutionnel auraient, en pareil cas, l'autorité de la chose interprétée, laquelles'exercerait conformément à l'article 62, comme l'autorité de la chose jugée.

M. Favoreu adhère avec prudence à cette conception, puisqu'il estime raisonnable "deconsidérer que les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent aux juges judiciaires etadministratifs lorsque la loi que doivent appliquer ceux-ci a fait l'objet d'une interprétation parle Conseil constitutionnel". Selon lui, "cette interprétation, dès l'instant qu'elle est contenuedans des motifs soutiens du dispositif ou dans le dispositif lui-même, est obligatoire pour lejuge judiciaire ou le juge administratif" (62).

Le secrétariat général du Conseil constitutionnel a explicité la position de ce dernier enpubliant sur son site Internet, à propos de la décision du 15 mars 1999 relative à la loiorganique sur la Nouvelle-Calédonie déjà évoquée ci-dessus (cf. § 4.1.1), un étonnantdocument intitulé Effets du contrôle exercé par le Conseil constitutionnel sur la loipromulguée, dans lequel on lit notamment :

"Certes, la loi promulguée déclarée non conforme subsiste dans le droit positif... On peutcependant penser qu'après qu'elle ait été expressément déclarée contraire à la Constitution,une telle loi se trouvera désormais privée d'effets...

"Dès lors que le Conseil constitutionnel a, fût-ce de manière incidente, jugé qu'une dispositionlégislative était contraire à la Constitution, on voit mal, compte tenu des termes de l'article 62,alinéa 2, de la Constitution, les autorités administratives et juridictionnelles continuerbenoîtement à l'appliquer. Sans doute écarteront-elles la loi contraire à la Constitution commeelles écartent, en application des jurisprudences Nicolo et Jacques Vabre, et pour des motifsanalogues, la loi contraire au traité. Il en va du respect de la hiérarchie des normes.

"Seule en effet l'existence du Conseil constitutionnel est susceptible de faire obstacle àl'application de ce principe, le juge administratif ou judiciaire n'étant pas juge de laconstitutionnalité. Mais dans le cas où le Conseil constitutionnel lui-même s'est expressémentprononcé sur l'inconstitutionnalité d'une loi promulguée, l'écran législatif part en fumée, et lejuge ordinaire est en droit d'écarter la loi contraire. Ce faisant, il ne se prononce pas sur laconstitutionnalité de la loi mais se borne à tirer les conséquences de la décision du Conseil quis'impose à lui".

À supposer (mais rien ne permet d'en douter) que ce document reflète bien les intentions duConseil constitutionnel, celui-ci n'hésite pas à élargir son contrôle de constitutionnalité auxlois déjà promulguées et à instituer, sous couleur de hiérarchie des normes, une hiérarchie desjuridictions, le juge ordinaire devant mettre en application les décisions d'inconstitutionnalité

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prises par le juge constitutionnel en dehors même du contrôle a priori qui lui est attribué parl'article 61 de la Constitution. Une telle extension de compétence ne laisse pas d'inquiéter,même si elle paraît, pour l'instant, limitée au contrôle de constitutionnalité, à l'exclusion de lasimple interprétation.

Il convient, du reste, de rappeler que les articles 61 et 62 de la Constitution n'attribuentnullement au Conseil constitutionnel le pouvoir de définir lui-même les limites de l'autorité deses propres décisions. Les principes qu'il pose, notamment dans ses décisions des16 janvier 1982 et 20 juillet 1988, n'ont que l'autorité morale d'une jurisprudence, enl'occurrence universellement acceptée, à laquelle, en bonne logique, il devrait lui-même seconformer.

4.1.2.2. - Conception restrictive de l'autorité de chose jugée des décisions du Conseilconstitutionnel

L'autorité des décisions du Conseil constitutionnel, qui, selon l'article 62 de la Constitution,s'impose erga omnes, trouve ses limites dans la mission même qui lui est impartie parl'article 61. Or ce texte ne lui a donné aucune compétence pour apprécier la constitutionnalitédes lois existantes, qu'il n'appartient qu'au législateur d'abroger, ni même pour les interpréter.Dès lors, les décisions du Conseil constitutionnel n'ont l'autorité absolue prévue parl'article 62 de la Constitution, comme il l'a proclamé lui-même dans sa décision du16 janvier 1982, qu'en ce qui concerne les dispositions de la loi soumise à son examen avantsa promulgation. Pas plus que toute autre juridiction, le Conseil constitutionnel ne rendd'arrêts de règlement, de sorte que, selon l'expression de M. Vedel, "sa jurisprudence n'aqu'une valeur doctrinale" (63).

Comme l'écrit le même M. Vedel, fin connaisseur de l'institution, "le Conseil constitutionneladmet lui-même qu'il est un juge d'attribution, ayant reçu compétence pour se prononcer sur laconstitutionnalité des lois, mais non sur leur interprétation. L'interprétation des lois et desrèglements revient aux juridictions administratives ou judiciaires, qui ont à connaître de leurapplication. Sous peine de s'ériger en Cour suprême, ce qu'il n'est pas, le Conseil ne peutusurper la fonction d'interprétation" (64).

MM. Duhamel et Mény en déduisent que, s'il "est lié par les décisions du Conseilconstitutionnel lorsqu'il a à appliquer une loi déjà contrôlée par ce dernier", en revanche "lejuge ordinaire n'est pas juridiquement lié par la jurisprudence du Conseil constitutionnel,c'est-à-dire par les prises de position que celui-ci a pu développer dans des motifs qui ne sontpas le soutien nécessaire du dispositif ou dans une décision concernant une loi autre que celleque le juge ordinaire a à appliquer, même si les problèmes juridiques soulevés par les deuxlois sont les mêmes" (65).

Quant au principe de la hiérarchie des normes, auquel se réfère le texte précité du Conseilconstitutionnel, sa portée ne doit pas être exagérée. La jurisprudence relative au fameux "blocde constitutionnalité", auquel le Conseil se réfère pour décider qu'une loi est ou non conformeà la Constitution est seulement l'outil dont il s'est doté pour exercer sa mission. Elle nes'impose nullement aux juridictions, qui ne sont pas tenues de faire prévaloir les principesconstitutionnels dégagés par le Conseil constitutionnel sur les lois dont l'application leur est

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demandée, démarche qui, du reste, les induirait à exercer un contrôle de constitutionnalitéétranger à leur mission.

Ainsi, lorsque l'Assemblée plénière a cassé, le 22 décembre 2000, plusieurs arrêts de la Cournationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail rendus sansque les parties aient pu discuter contradictoirement les éléments sur lesquels les juges s'étaientfondés, elle l'a fait au visa de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droitsde l'homme et de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile, applicable à toutes lesjuridictions civiles, sans se référer au "principe du contradictoire" faisant partie, selon leConseil constitutionnel, du bloc de constitutionnalité (66). Il a, du reste, fallu une loi, celle du15 juin 2000 (art. 1er), pour rendre ce principe expressément applicable aux juridictionspénales (art. préliminaire du Code de procédure pénale, al. 1er).

4.1.2.3. - Essai de synthèse

Si la question théorique de l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel paraît si confuse,c'est sans doute parce que l'on tente d'appliquer une règle uniforme à des situationsdifférentes, ou de dégager une règle générale de solutions partielles concernant des situationsdifférentes, ce qui revient au même. On peut, en effet, distinguer, dans les décisions duConseil constitutionnel, plusieurs cas de figure qui semblent ne pas devoir obéir tous au mêmerégime :

- Tantôt le Conseil constitutionnel déclare contraire à la Constitution une disposition d'une loiavant sa promulgation : en ce cas, qui correspond exactement aux prévisions de l'article 62, ilest incontestable que sa décision s'impose à tous.

- Tantôt, à l'occasion de l'examen d'une loi nouvelle qu'il ne déclare pas contraire à laConstitution, il émet des réserves d'interprétation : la même solution est applicable, dès lorsque ces réserves sont le soutien nécessaire de la décision de conformité globale de la loi à laConstitution.

- Tantôt le Conseil apprécie, à l'occasion de l'examen d'une loi nouvelle, la constitutionnalitéd'une loi déjà promulguée : sa décision ne vaut alors que comme simple jurisprudence, dèslors que le Conseil n'a compétence que pour effectuer un contrôle a priori de la loi nouvellepar rapport à la Constitution, et non par rapport à la loi ancienne, et que les motifs concernantcelle-ci ne peuvent être le soutien du dispositif. La mise en oeuvre de cette jurisprudence parles juridictions administratives et judiciaires est impossible, puisqu'elles ne sont pas juges dela constitutionnalité des lois.

- Tantôt, toujours à l'occasion de l'examen de la constitutionnalité d'une loi nouvelle, leConseil constitutionnel interprète une loi déjà promulguée : là encore, même si cetteinterprétation est un des éléments de son raisonnement, elle n'est pas l'un des motifs essentielsdu dispositif, lequel ne concerne que la conformité à la Constitution de la loi soumise àl'examen du Conseil et ne peut avoir qu'une autorité jurisprudentielle relative, les juridictionsconservant leur pouvoir d'interprétation de la loi.

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- Tantôt, et c'est le cas de la présente espèce, le Conseil constitutionnel interprète unedisposition de la Constitution : le cas ne s'étant, semble-t-il, pas encore produit, on peuthésiter entre deux solutions.

a) Ou bien on considère que le Conseil constitutionnel n'a pas le monopole de l'interprétationde la Constitution et que, dès lors, les juridictions sont libres de se conformer à soninterprétation, ce qu'elles feront le plus souvent possible, ou de s'en écarter. Ce système risqued'aboutir à la cacophonie, puisqu'en l'absence de recours préjudiciel analogue à celui queprévoit, en matière de droit communautaire, l'article 177, devenu 234, du Traité sur l'Unioneuropéenne, le Conseil constitutionnel ne dispose d'aucune possibilité constitutionnelle oulégale de faire prévaloir son interprétation.

b) Ou bien, mais il s'agit d'une solution prétorienne, on estime que le Conseil constitutionnel ale monopole de l'interprétation de la Constitution, qui ne peut être qu'uniforme, et qu'enconséquence les juridictions suprêmes de l'ordre administratif et de l'ordre judiciaire, quiassurent l'uniformité de l'interprétation de la loi ordinaire, sont tenues de se conformer àl'interprétation de la Constitution donnée par le Conseil.

- Tantôt, enfin, le Conseil constitutionnel se prononce sur la constitutionnalité d'une loianalogue à celle que les juges ont à appliquer : sauf à renverser tous les principes existants, sadécision ne peut qu'être privée d'effet, puisque, comme on l'a vu, la décision du Conseil du8 juillet 1989 ne s'impose pas aux juridictions, que les conditions de l'autorité de chose jugéesont exclues et que les juridictions administratives et judiciaires n'ont pas le pouvoird'apprécier la constitutionnalité des lois.

Ces observations théoriques permettront peut-être de mieux comprendre comment etpourquoi, en pratique, les juridictions se conforment ou non aux décisions du Conseilconstitutionnel.

4.2. - Autorité des décisions du Conseil constitutionnel à l'égard des juridictions del'ordre administratif et de l'ordre judiciaire

L'autorité des décisions du Conseil constitutionnel à l'égard des deux ordres de juridiction afait l'objet de nombreux débats (67) et d'importants ouvrages (68), dans lesquels un auteur vajusqu'à parler de leur exécution par les juges administratifs et judiciaires (69), termenécessairement impropre, eu égard à la mission de ces juges et à leur indépendance à l'égardde toute autre autorité. Le Conseil constitutionnel a, d'ailleurs, constaté lui-même le caractèreconstitutionnel de l'indépendance de la juridiction judiciaire et de la juridiction administrative,que ni le législateur, ni le Gouvernement ne peuvent remettre en cause (70).

4.2.1. - Respect des décisions du Conseil constitutionnel par les juridictions administratives etjudiciaires

Même si elles ont pu sembler le faire avec peu d'empressement, les juridictionsadministratives et judiciaires se sont le plus souvent conformées aux décisions du Conseil

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constitutionnel. Ainsi, le Conseil d'Etat a renversé sa jurisprudence concernant la naturefiscale ou non fiscale des redevances de pollution pour se conformer à une décision du23 juin 1982 du Conseil constitutionnel (71). De même, le Conseil constitutionnel ayant décidé,le 15 janvier 1975, que le contrôle de conformité d'une loi à un traité n'est pas un contrôle deconstitutionnalité (72), la Cour de cassation a exercé ce contrôle, comme cela lui était suggéré(73).

Dans deux arrêts Bogdan et Vuckovic du 25 avril 1985, la chambre criminelle a déclaré qu'ilappartient aux juridictions de l'ordre judiciaire d'apprécier la régularité d'un contrôle d'identitéexercé à l'égard d'un étranger, conformément aux dispositions combinées de l'article 136 duCode de procédure pénale et de l'article 66 de la Constitution, tel que l'avaient interprétéplusieurs décisions antérieures du Conseil constitutionnel (74).

On s'est étonné de ce que la Cour de cassation se réfère rarement aux décisions du Conseilconstitutionnel, même si elle s'y conforme. C'est ignorer, d'une part, le fait que ces décisionsne valent le plus souvent que comme jurisprudence et, d'autre part, les dispositions del'article 5 du Code civil et l'obligation faite au juge de fonder sa décision sur l'application de laloi, et non d'une jurisprudence (pour le juge de cassation, cf. art. 1020 du nouveau Code deprocédure civile et 591 du Code de procédure pénale). En appliquant directement la loi, lesjuridictions ne méconnaissent pas, pour autant, les principes constitutionnels.

Les réserves d'interprétation faites par le Conseil constitutionnel ont toujours étérigoureusement suivies par les juridictions. Le Conseil d'Etat, dans son arrêt SA La Cinq du11 mars 1994, a jugé que le Conseil supérieur de l'audiovisuel n'avait pu légalement infliger àla société La Cinq une sanction sans la mise en demeure préalable nécessaire suivant unedécision du 17 janvier 1989 du Conseil constitutionnel (75). La Cour de cassation, dans un arrêtBechta rendu par la 2e chambre civile le 28 juin 1995, a fait siennes et a même cité lesréserves d'interprétation concernant la loi du 10 août 1993 sur les contrôles d'identité, émisespar le Conseil dans sa décision du 5 août 1993 (76). Elle s'y est encore conformée, sans lesciter, dans un arrêt Benzitouni rendu par la chambre criminelle le 10 octobre 1996 (77).

4.2.2. - Résistance des juridictions administratives et judiciaires à l'autorité des décisions duConseil constitutionnel

Si, dans plusieurs cas, les juridictions ordinaires ne se sont pas conformées à des décisions duConseil constitutionnel portant sur la question en litige, encore faut-il se demander s'il s'agitd'actes de rébellion ou de la simple application du principe de l'autorité relative de certainesde ces décisions.

Dans son arrêt dame Roy du 19 mai 1978, la Cour de cassation a paru méconnaître le principede la liberté de conscience des maîtres affirmé par une décision du Conseil constitutionnel du23 novembre 1977, parce qu'elle a estimé exclusivement soumis au contrat le litige entrel'enseignante et l'établissement privé qui l'avait licenciée (78), mais elle n'était pas obligée des'y conformer, dès lors qu'elle n'a pas appliqué la loi sur la constitutionnalité de laquelle s'étaitprononcé le Conseil (79).

Plus intéressants sont les arrêts par lesquels le Conseil d'Etat et la Cour de cassation ont faitapplication de la "théorie de l'écran législatif" : les juridictions administratives et judiciaires

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n'ont pas à se conformer aux décisions du Conseil constitutionnel lorsqu'elles font applicationd'une loi qui, n'ayant pas été soumise au contrôle a priori prévu par l'article 61, n'a pas étédéclarée contraire à la Constitution.

Alors qu'il était admis sans discussion que, selon l'article 34 de la Constitution, lescontraventions sont du domaine réglementaire, et alors que les dispositions législatives desarticles 464 et 465 du Code pénal en vigueur à l'époque prévoyaient qu'elles pouvaient êtrepunies d'un emprisonnement d'un jour à deux mois, le Conseil constitutionnel a cru devoir,par sa décision n° 73-10 du 28 novembre 1973, énoncer incidemment que la déterminationdes contraventions et des peines qui leur sont applicables appartient au domaineréglementaire lorsque lesdites peines ne comportent pas de privation de liberté.

Le Conseil d'Etat, par un arrêt CFDT et CGT du 3 février 1978 (80), et la Cour de cassation,par des arrêts Schiavon du 26 février 1974 et Vantalon du 25 janvier 1978 (81), n'ont tenuaucun compte de cette décision, au motif que les dispositions des articles 464 et 465 du Codepénal, ayant valeur législative, s'imposent aux juridictions, qui ne sont pas juges de leurconstitutionnalité (82). Il a fallu une loi du 19 juillet 1993 pour abroger, avant même l'entrée envigueur du nouveau Code pénal, les textes prévoyant une peine d'emprisonnement en matièrede police.

En refusant ainsi de s'incliner devant la décision du Conseil constitutionnel, le Conseil d'Etatet la Cour de cassation, qui auraient pu se borner à constater que cette décision, prononcéeincidemment à l'occasion du contrôle de constitutionnalité d'une autre loi et n'étant pas lesoutien nécessaire du dispositif, n'avait pas l'autorité de la chose jugée, ont tenu à affirmerqu'ils ne sont, ni l'un, ni l'autre, juges de la constitutionnalité des lois. En effet, la Constitutionelle-même n'a prévu, en la matière, qu'un contrôle a priori, réservé à la compétence exclusivedu Conseil constitutionnel. Mais ce dernier, comme le révèle le document précité diffusé surson site Internet (cf. § 4.1.2.1), tient apparemment leur jurisprudence pour non avenue.

V. - ÉLÉMENTS EN VUE DU CHOIX D'UNE SOLUTION

Le moyen proposé par le demandeur place l'Assemblée plénière en face d'une série de choixsuccessifs à faire, conduisant à plusieurs solutions possibles, soit quant à la suite à donner aupourvoi, soit quant à la motivation de la décision, compte tenu des implications de chacun deces choix.

5.1. - Autorité ou défaut d'autorité de la décision du Conseil constitutionnel ?

La discussion sur l'autorité de la décision du Conseil constitutionnel, qui est l'objet de lapremière branche du moyen, porte, d'une part, sur le caractère incident (obiter dictum) ou nonde son motif essentiel et, d'autre part, sur la nature de cette autorité.

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5.1.1. - Obiter dictum ou fondement de la décision ?

On a vu que la plupart des auteurs hostiles à la décision du Conseil constitutionnel soutiennentqu'il n'était nullement tenu de se prononcer sur la possibilité de poursuites pénales contre lePrésident de la République pour des faits extérieurs ou antérieurs à l'exercice de ses fonctions.

Or la question posée au Conseil constitutionnel, s'agissant d'une demande d'avis sur laratification d'un traité, l'obligeait à envisager toutes les éventualités d'immunités ou règles deprocédure spéciales qui peuvent s'attacher à la qualité officielle d'une personne, selon lestermes de l'article 27 du traité de Rome, et toutes les implications de ce texte.

En notre époque où des guerres proprement dites ou des conflits idéologiques, religieux ouethniques, accompagnés de massacres, déportations de populations civiles, viols collectifs, ontsévi et sévissent encore dans toutes les parties du monde, et où personnes, idées etmarchandises ne cessent de circuler sans limitation de frontières, est-il déraisonnabled'envisager l'hypothèse d'un Président de la République ayant, avant son élection, participé àde tels actes comme coauteur ou complice par instructions données, par aide et assistance oupar fourniture de moyens ? Que l'on songe à la révélation tardive du passé hitlérien deM. Kurt Waldheim, successivement secrétaire général de l'ONU et Président de la Républiqued'Autriche, au rôle parfois peu glorieux joué par certains de nos concitoyens dans la guerred'Algérie, aux manipulations financières et trafics de toute sorte ayant pour but de soutenirl'une ou l'autre des parties aux conflits du Rwanda ou de la Bosnie, à l'assistance techniqueque certains se vantent d'avoir apportée aux tortionnaires argentins ou chiliens !

L'argument selon lequel le considérant du Conseil constitutionnel relatif à la responsabilitépénale du Président de la République pour des actes extérieurs à ses fonctions ne serait qu'uneincidente sans portée juridique ne pourra entraîner la conviction de l'Assemblée plénière, cequi ne l'empêchera nullement de s'interroger sur l'autorité juridique de la décision du22 janvier 1999.

5.1.2. - Autorité absolue ou relative de la décision du Conseil constitutionnel du22 janvier 1999 ?

Comme on l'a vu, la question théorique de l'autorité des décisions d'interprétation de laConstitution par le Conseil constitutionnel n'est pas résolue.

Deux thèses s'affrontent à ce sujet : ou bien la décision du Conseil constitutionnel adéfinitivement tranché, à l'égard de tous et de toutes les instances en cours ou susceptiblesd'être engagées et avec l'autorité affirmée par l'article 62 de la Constitution, le problème de laresponsabilité pénale du Président de la République, ou bien elle n'a que l'autorité moraled'une simple jurisprudence.

5.1.2.1. - Thèse de l'autorité absolue

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Le principal argument susceptible d'être retenu pour soutenir la thèse de l'autorité absolue dela décision du 22 janvier 1999 est que le considérant discuté ne s'applique pas seulement àl'appréciation de la constitutionnalité du texte soumis à l'examen du Conseil constitutionnel,mais aussi à tout autre texte ayant un objet analogue, selon la formule de la décision du8 juillet 1989 (cf. ci-dessus, § 4.1.1), et par conséquent, en l'espèce, aux dispositions du Codede procédure pénale permettant au juge d'instruction d'exercer ses pouvoirs d'investigation àl'égard de n'importe quelle personne. Or on a vu que la décision précitée n'a pas elle-mêmeautorité à l'égard des juridictions.

Quant au support textuel de l'article 62 de la Constitution, il est bien fragile, puisque leConseil constitutionnel a lui-même qualifié d'autorité de chose jugée la force obligatoire deses décisions et qu'il faudrait, en l'espèce, fermer les yeux sur l'absence des conditionsd'application d'une telle autorité.

Certes le communiqué du 10 octobre 2000 du Conseil constitutionnel et les différents textesaccessibles sur son site Internet ne laissent aucun doute sur son intention de trancher une foispour toutes la question posée, mais est-ce suffisant ? Le Conseil constitutionnel a-t-il, à ladifférence des juridictions de l'ordre judiciaire et nonobstant l'opinion de M. Vedel, le pouvoirde rendre des arrêts de règlement, qui auraient force de loi, voire de loi constitutionnelle ?

Sans aller jusque là, il n'est pas interdit de penser que l'indispensable unité d'interprétation dela Constitution ne peut être assurée que si l'on reconnaît au Conseil constitutionnel, sinon unecompétence exclusive en la matière, puisque les juridictions ordinaires peuvent être saisies dequestions impliquant cette interprétation, du moins le pouvoir de rendre des décisions ayantautorité erga omnes, conformément à l'article 62, sans qu'il soit nécessaire de constater quesont remplies les conditions de l'autorité de chose jugée. Cette interprétation téléologique destextes constituerait une innovation, mais aurait pour elle le mérite d'une certaine logique etd'une grande simplicité.

La thèse de l'autorité absolue, si elle était adoptée par l'Assemblée plénière, conduirait auREJET du pourvoi. En effet, le moyen devrait être déclaré mal fondé en sa première brancheet inopérant en sa seconde branche, puisque le principe constitutionnel général de l'égalité detous devant la loi ne saurait prévaloir sur une disposition spéciale de la Constitution, enl'espèce celle de l'article 68.

Une telle décision présenterait le risque d'être interprétée comme signifiant que la Cour decassation se soumet à la suprématie du Conseil constitutionnel ; elle ouvrirait alors la voie àun contrôle de la constitutionnalité des lois déjà promulguées par les juges administratifs oujudiciaires, qui, à défaut de pouvoir en proclamer l'inconstitutionnalité, en constateraient lacaducité, comme semble le souhaiter le Conseil, alors qu'un tel contrôle, empiétant sur lepouvoir législatif, n'est ni possible en l'état actuel des textes, ni souhaitable, même sous laforme d'un recours préjudiciel au Conseil constitutionnel, comme l'ont prévu plusieurspropositions de révision constitutionnelle jusqu'ici demeurées sans suite, dès lors qu'ilintroduirait un facteur d'insécurité juridique constante et aboutirait à la paralysie desjuridictions administratives et judiciaires et du Conseil constitutionnel lui-même.

La réponse qui vient d'être suggérée laisserait subsister une difficulté de taille, celle de lanature du privilège dont bénéficie le Président de la République. On verra en effet (cf. ci-dessous, § 5.3) les inconvénients de la notion de privilège de juridiction qui semble s'évincerde la décision du 22 janvier 1999, mais qui résulte plutôt des commentaires et du

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communiqué du 10 octobre 2000 du Conseil. En se considérant comme liée parl'interprétation de la Constitution faite par le Conseil constitutionnel, la Cour de cassationpeut-elle s'attribuer compétence pour l'interprétation de la décision du Conseilconstitutionnel ?

Si l'on relit le considérant concernant la responsabilité pénale du Président de la République,on constate qu'il exclut, certes, la possibilité de la mettre en cause autrement que devant laHaute Cour pendant la durée du mandat présidentiel, selon les modalités fixées parl'article 68, c'est-à-dire pour haute trahison et par un vote identique des deux assemblées, maisqu'il ne spécifie pas que les infractions commises en dehors de l'exercice des fonctions ouavant l'élection peuvent être soumises à la Haute Cour. Tout ce qu'il précise, c'est quel'immunité s'applique aux seuls faits commis dans l'exercice des fonctions, ce qui signifie que,pour les autres faits, le régime est différent.

Par conséquent, contrairement à ce qui a été écrit par la quasi-totalité des auteurs, le Conseilconstitutionnel ne s'est pas ouvertement prononcé pour le privilège de juridiction, ce qui laisseà l'Assemblée plénière la faculté de tirer elle-même les conséquences de sa décision.

5.1.2.2. - Thèse de l'autorité relative

Si l'on se réfère aux opinions d'auteurs aussi éminents que M. Vedel et M. Favoreu (cf. ci-dessus, § 4.1.2 et suiv.), les conditions de l'autorité de chose jugée ne sont pas remplies enl'espèce, puisque la décision du 22 janvier 1999 du Conseil constitutionnel ne s'impose auxpouvoirs publics et aux autorités administratives et judiciaires, dans les conditions prévues parl'article 62 de la Constitution, qu'en ce qui concerne la possibilité de déférer le Président de laRépublique à la Cour pénale internationale pour y répondre des crimes de la compétence decette Cour, non en ce qui concerne l'éventualité de poursuites pénales devant les juridictionsde droit commun pour d'autres infractions.

Dès lors, cette décision, dépourvue de toute force obligatoire dans la présente espèce, n'a quela valeur morale d'une jurisprudence, ce qui ouvre la porte à deux solutions :

a) Absence de base légale de l'arrêt attaqué : Dès lors qu'il s'est fondé à tort sur l'autorité de ladécision du Conseil constitutionnel, et non sur l'application de la loi constitutionnelle ou de laloi ordinaire, l'arrêt de la chambre de l'instruction est privé de base légale (art. 593 du Code deprocédure pénale). En effet, il appartenait à la chambre de l'instruction de rechercher elle-même si le Président de la République, justiciable de la Haute Cour pour les seuls actes de sesfonctions qualifiés de haute trahison, peut être poursuivi devant les juridictions de droitcommun pour y répondre de toute infraction commise en dehors de l'exercice de sesfonctions. On peut encore lui faire le reproche de n'avoir pas prononcé sur la possibilité del'audition de M. Jacques Chirac en qualité de témoin, voire de témoin assisté, telle quedemandée initialement par la partie civile.

La CASSATION de l'arrêt est donc encourue de ce chef sur la première branche du moyen.Mais cette cassation minimale pour défaut de base légale n'est même pas demandée parM. Breisacher, puisque son mémoire articule dans la seconde branche un grief de violation dela loi qui suppose l'examen du problème de fond posé par le pourvoi.

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b) Examen du problème de fond par la Cour de cassation : Dès lors qu'elle aura écartél'autorité de chose jugée de la décision du 22 janvier 1999 du Conseil constitutionnel,l'Assemblée plénière est entièrement libre de sa propre décision.

5.2. - Adhésion à la jurisprudence du Conseil constitutionnel ou divergence ?

Si la Cour de cassation décide de ne pas reconnaître l'autorité de la décision du 22 janvier1999, une nouvelle option s'ouvre à elle : s'en écarter entièrement ou s'y conformer d'unemanière plus ou moins complète en donnant ses propres motifs, la première éventualitéconduisant évidemment à la cassation de l'arrêt attaqué.

5.2.1. - Rejet de la jurisprudence du Conseil constitutionnel

Comme l'ont écrit les nombreux auteurs hostiles à la décision du Conseil constitutionnel,l'article 68 ne prévoit aucune disposition spéciale en ce qui concerne la responsabilité pénaledu Président de la République pour les actes commis en dehors de l'exercice de ses fonctionsou antérieurs à son élection, ce dont il se déduit qu'il doit en répondre devant les juridictionsde droit commun, dans les mêmes conditions que n'importe quel autre justiciable.

Si l'Assemblée plénière se rallie à cette thèse, elle devra prononcer la CASSATION pourviolation des articles 62 de la Constitution relatif à l'autorité des décisions du Conseilconstitutionnel, 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, quiproclame l'égalité de tous les citoyens devant la loi et auquel renvoie le préambule de laConstitution, 81, alinéa premier, du Code de procédure pénale, selon lequel le juged'instruction a le pouvoir de procéder à tous les actes d'information utiles à la manifestation dela vérité, et 82-1 du même Code, qui permet aux parties de lui demander de procéder à diversactes d'information, et notamment à des auditions de témoin.

Dans cette hypothèse de cassation, il n'apparaît pas utile d'entrer dans la distinction entre lapossibilité de poursuivre le Président de la République devant les juridictions de droitcommun et celle de l'entendre en qualité de témoin, puisque le principe d'égalité s'appliqueaux deux éventualités.

Une telle décision aurait un retentissement considérable et pourrait même provoquer une crisepolitique majeure : dès lors que la coutume constitutionnelle veut qu'un ministre mis enexamen présente sa démission, comment la même règle ne s'appliquerait-elle pas aussi auPrésident de la République ? Mais le risque serait alors que le Président démissionnairesollicite à nouveau le suffrage des électeurs, ce qui, en l'absence de condamnation définitive àune peine le rendant inéligible, serait possible. Or sa réélection amènerait un conflitinextricable entre le Président réélu, fort de l'onction populaire, et l'autorité judiciairecompétente pour le juger et éventuellement le condamner, conflit que seule pourrait résoudreune révision constitutionnelle.

On observera encore qu'il serait paradoxal de voir le Président de la République astreint àcomparaître pour le moindre délit devant les juges de son pays, alors qu'en droit international,même pour des crimes graves, tant que le traité de Rome instituant la Cour pénaleinternationale n'est pas entré en vigueur, la coutume reconnaît une immunité aux chefs d'Etat

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étrangers, comme la chambre criminelle l'a récemment constaté en ce qui concerne lePrésident libyen Kadhafi (83), et que même la possibilité de poursuivre en justice un ancienchef d'Etat, tel le général Pinochet, a été controversée.

5.2.2. - Adhésion à la jurisprudence du Conseil constitutionnel

Si l'Assemblée plénière entend consacrer l'impossibilité de poursuivre le Président de laRépublique devant les juridictions pénales de droit commun pendant la durée de son mandat,doit-elle pour autant se rallier à la motivation donnée par le Conseil constitutionnel, ou est-ilpréférable qu'elle s'en écarte pour asseoir la solution sur des bases plus solides ?

5.2.2.1. - Adoption des motifs de la décision du Conseil constitutionnel

On se rappelle que, pour dire (ou plutôt laisser entendre : cf. ci-dessus, § 5.1.2.1.) que,pendant la durée de son mandat, le Président de la République ne peut être poursuivi quedevant la Haute Cour de justice, même pour des actes étrangers à ses fonctions, le Conseilconstitutionnel a fait, selon les commentateurs, une lecture de l'article 68 de la Constitutionconsistant à considérer la seconde phrase de ce texte comme autonome par rapport à lapremière, qui ne prévoyait que le cas des actes commis dans l'exercice des fonctions, couvertspar une immunité totale, hors le cas de haute trahison.

Il serait peut-être plus pertinent de dire qu'il en a fait une interprétation globale a contrario, enestimant que, dès lors que l'article 68 ne mentionne aucune autre possibilité de poursuite, lePrésident de la République ne peut être poursuivi que devant la Haute Cour, sans que celle-cisoit nécessairement compétente pour juger des actes autres que ceux commis dans l'exercicedes fonctions et susceptibles d'être qualifiés de haute trahison.

Cette manière de comprendre la décision du 22 janvier 1999, contraire à l'interprétation de laplupart des commentateurs et au communiqué du 10 octobre 2000 du Conseil constitutionnel,serait préférable, parce qu'elle éviterait d'étendre démesurément et hors des prévisions de lapremière phrase de l'article 68 la compétence de la Haute Cour. Elle paraît possible, si l'onconsidère que le libellé de la décision elle-même est assez flou pour laisser à la Cour decassation le soin d'en définir les conséquences.

5.2.2.2. - Justification de la décision par des motifs autres que ceux du Conseil constitutionnel

Comme l'ont écrit des commentateurs avisés tels que MM. Carcassonne, Robert et Vedel (cf.ci-dessus, § 3.2.2.1), il est raisonnable que le Président de la République soit à l'abri depoursuites intempestives qui empêcheraient l'exercice normal de son mandat, et notammentdes pouvoirs que lui confère l'article 5 de la Constitution, sans parler même de l'article 16. Ilsemble même permis d'affirmer que c'est indispensable : imaginerait-on que, dans unesituation de crise grave, le chef de l'Etat doive se soumettre à un mandat d'amener décerné parun juge d'instruction ?

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Mais en dehors de cette considération d'opportunité, qui ne suffirait pas à justifier uneinterprétation assez éloignée de la lecture littérale de l'article 68, on doit se rappeler que lePrésident de la République est élu directement par le peuple (art. 6), lui-même titulaire de lasouveraineté (art. 3), qu'il assure la continuité de l'Etat (art. 5), qu'il est le chef des armées(art. 15), qu'il nomme aux emplois civils et militaires de l'Etat (art. 13) et nomme enparticulier les magistrats, même s'il ne les choisit pas. L'ensemble de ces dispositions permetd'écarter l'application du principe d'égalité de tous devant la loi édicté par l'article 6 de laDéclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, invoqué par la secondebranche du moyen, et peut ainsi fournir une assise solide à une décision de rejet quis'écarterait de la motivation contestée de la décision du Conseil constitutionnel.

En se fondant sur ces seules considérations, l'Assemblée plénière affirmerait sonindépendance à l'égard du Conseil constitutionnel, tout en calquant d'une manière plus oumoins fidèle sa décision sur la sienne. Mais la motivation ainsi suggérée prêterait le flanc à lacritique si elle n'intégrait pas la référence à l'article 68 de la Constitution.

La sagesse commande donc que la Cour de cassation, si elle adopte une solution identique ouanalogue à celle du Conseil constitutionnel en ce qui concerne la responsabilité pénale duPrésident de la République pour les actes extérieurs à l'exercice de ses fonctions, la fonde surle rapprochement de l'article 68 et des articles 3, 5 et 6 de la Constitution, dont l'analyseconduit à une appréciation plus pertinente du sort particulier réservé au Président de laRépublique que celle du seul article 68, lequel présente une lacune évidente.

Contrairement à l'argumentation de la seconde branche du moyen, le Président de laRépublique n'est pas tout-à-fait un citoyen comme les autres, et il est bien difficile de sépareren lui ce qui appartient à la fonction et ce qui appartient à l'homme privé. Remettrejudiciairement en question la fonction en raison des fautes imputées à l'homme privé présenteun caractère tellement disproportionné que, sous la IIIe République, Barthélémy et Duez n'onttrouvé, pour illustrer le problème de la responsabilité pénale du Président de la République,que l'exemple dérisoire du "perdreau mort" et que Laferrière a estimé la question sans intérêt.

Même en l'absence de travaux préparatoires parlementaires, il ne fait aucun doute que lesrédacteurs du projet de Constitution de 1958, le Gouvernement du général de Gaulle qui l'asoumis au référendum et les électeurs qui l'ont approuvé ont entendu réagir contrel'effacement excessif du Président de la République sous les IIIe et IVe Républiques et luifournir les moyens de jouer un rôle politique important dans la direction des affaires de l'Etat,de sorte que doit être écarté tout ce qui entraverait sans nécessité sa liberté d'action.Interpréter d'une manière globale les dispositions constitutionnelles qui le concernent, et endéduire qu'il doit être tenu à l'abri de poursuites judiciaires intempestives, n'a rien deconjectural et procède d'une méthode d'exégèse classique, la partie n'ayant de sens que parrapport au tout (84).

L'argument supplémentaire d'une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, invoquépar un communiqué de l'Elysée du 28 mars 2001, ne semble pas devoir être évoqué dans ladécision à prendre, la notion de séparation des pouvoirs étant fort complexe et ressortissant àl'un de ces principes constitutionnels dont le Conseil constitutionnel fait courammentapplication, mais dont les juridictions de l'ordre judiciaire, obligées de motiver leurs décisionspar référence directe aux textes, n'usent qu'avec précaution. En l'occurrence, une motivationqui exclurait toute intervention des autorités judiciaires de droit commun à l'égard du

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Président de la République en raison des dispositions des articles 5 et 6 de la Constitutiondispenserait de toute mention expresse de la séparation des pouvoirs.

5.3. - Immunité, privilège de juridiction ou inviolabilité ?

Si l'Assemblée plénière décide, comme le Conseil constitutionnel, que le Président de laRépublique, pendant la durée de son mandat, n'a pas à répondre devant les juridictions pénalesde droit commun de ses actes extérieurs à ses fonctions ou antérieurs à son élection, il estindispensable qu'elle se prononce sur la nature du privilège qui lui est ainsi reconnu. En effetles conséquences très différentes qui s'en évincent commandent la suite de la procédure (85).

5.3.1. - Immunité de procédure

Tout comme les membres du Parlement au bénéfice du premier alinéa de l'article 26 de laConstitution pour les opinions ou votes émis dans l'exercice de leurs fonctions, le Président dela République, en vertu de l'article 68, n'est pas responsable des actes accomplis dansl'exercice de ses fonctions, hors le cas de haute trahison. Il s'agit dans les deux cas d'uneimmunité de fond, qui a pour conséquence une absence totale de poursuite.

Selon l'analyse de M. Genevois, ce même Président de la République bénéficierait, pendant ladurée de son mandat, en ce qui concerne les actes extérieurs ou antérieurs à l'exercice de sesfonctions, d'une immunité de procédure, caractérisée par la compétence exclusive de la HauteCour et par les règles spéciales de procédure applicables devant elle (86). L'expression estséduisante, mais n'a guère de sens, puisque la prétendue immunité de procédure s'identifie àun privilège de juridiction.

Pour la clarté du débat le terme d'immunité est donc à éviter, bien que le langage courantconfonde sous l'expression d'immunité parlementaire les deux privilèges très dissemblablesreconnus aux membres des deux assemblées par les deux alinéas de l'article 26 de laConstitution. On observera, du reste, que la décision du 22 janvier 1999 n'emploie le termed'immunité que pour les actes accomplis dans l'exercice des fonctions, hors le cas de hautetrahison.

5.3.2. - Privilège de juridiction

Comme on l'a vu, la décision du 22 janvier 1999 du Conseil constitutionnel est habituellementinterprétée comme conférant au Président de la République un privilège de juridiction auprofit du Président de la République, tant pour les actes commis dans l'exercice des fonctionsque pour les actes détachables des fonctions, qui ne pourraient être poursuivis, pendant ladurée du mandat, que sous la qualification de haute trahison. Ce privilège serait définitif pourla première catégorie d'actes, temporaire pour la seconde, et il en serait de même en ce quiconcerne la compétence exclusive de la Haute Cour.

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La complexité de ce système le rend quasiment impraticable, notamment en ce qui concernel'application de la qualification de haute trahison aux actes étrangers à l'exercice desfonctions. On ne voit pas quel sort pourrait être réservé aux procédures engagées devant lesjuridictions de droit commun avant l'élection présidentielle ou devant la Haute Cour avantl'expiration du mandat présidentiel et n'ayant alors fait l'objet d'aucune décision passée enforce de chose jugée : ces procédures devraient-elles être transférées à la juridiction devenueou redevenue compétente ou être continuées devant la juridiction saisie ? Quel serait lerégime de la prescription ?

Par ailleurs, une extension excessive de la compétence de la Haute Cour, dont les conditionsde saisine sont fort restrictives, aboutirait à une impunité de fait des infractions étrangères àl'exercice des fonctions : l'amalgame que paraît faire le Conseil constitutionnel entre lesinfractions commises dans l'exercice et hors l'exercice des fonctions n'entraînerait donc passeulement des conséquences quant à la compétence et à la procédure, mais aussi quant aufond, alors même que le constituant de 1958 a voulu pour les premières seulement uneimmunité totale, sauf le cas de haute trahison, conformément aux Constitutions précédentes.

En outre, cette extension, en ouvrant la voie à des poursuites devant la Haute Cour en dehorsdu cas de haute trahison expressément prévu par l'article 68 de la Constitution, encourageraitdes initiatives parlementaires tendant à la destitution du Président de la République, telles quela proposition de résolution de mise en accusation de M. Montebourg, dont la presse s'est faitl'écho. Si cette proposition est fondée sur les scandales financiers faisant l'objet desinformations en cours, la qualification de haute trahison paraît difficilement applicable, sauf àconsidérer que le refus de s'expliquer devant les juges de M. Jacques Chirac constitue unmanquement grave aux devoirs de sa charge, ce qui est discutable.

5.3.3. - Inviolabilité

Si l'on interprète la Constitution comme ayant entendu mettre le Président de la République àl'abri de poursuites pénales pour des faits extérieurs ou antérieurs à ses fonctions, sans pourautant lui assurer, au mépris du principe d'égalité, une totale impunité, il ne peut s'agir qued'une inviolabilité, privilège temporaire analogue à celui dont bénéficient les députés en vertudu second alinéa de l'article 26 de la Constitution.

Selon cette interprétation, le Président de la République reste responsable des faits pénalementpunissables qu'il a commis soit avant son élection, soit pendant son mandat, mais en dehors del'exercice de ses fonctions. La poursuite de ces infractions redevient possible, dans lesconditions du droit commun, dès l'expiration du mandat. Mais cette solution relativementsimple oblige à poser le problème de la prescription.

5.4. - Régime de la poursuite : possibilité d'interruption ou de suspension de laprescription ?

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Alors que la Haute Cour de justice, si elle est compétente, ne peut être saisie qu'à l'initiativedes parlementaires et par un vote des deux assemblées, la juridiction de droit commun peutêtre saisie soit par le procureur de la République, soit par la partie civile, qui dispose du droitde se constituer partie civile devant le juge d'instruction ou devant la juridiction de jugement.Il en résulte un régime de poursuite et de prescription totalement différent. D'où l'importancedes choix qui incombent à l'Assemblée plénière.

5.4.1. - Régime de la poursuite et prescription en cas de privilège de juridiction

L'existence d'un privilège de juridiction au profit d'une personne implique que celle-ci ne peutvalablement être poursuivie que devant la juridiction compétente, et, par conséquent, que lesactes de poursuite de cette personne devant une autre juridiction sont nuls (87) et n'ont aucuneffet interruptif (88), comme l'a jugé à maintes reprises la chambre criminelle sous l'empire desanciens articles 679 à 688 du Code de procédure pénale, abrogés par la loi du 4 janvier 1993,qui instauraient au profit des magistrats, de divers élus tels que les maires et de certainsfonctionnaires un privilège de juridiction, la poursuite ne pouvant avoir lieu qu'aprèsdésignation, par la chambre criminelle, de la chambre d'accusation compétente pour instruire.Même la requête adressée à cette fin par le procureur de la République à la chambrecriminelle n'avait pas d'effet interruptif (89). Les actes de poursuite ou d'instruction accomplisavant que le bénéficiaire du privilège de juridiction fût identifié comme pouvant être l'auteurde l'infraction restaient seuls valables.

S'agissant de la Haute Cour de justice, il a été jugé, à l'époque où elle était compétente àl'égard des membres du Gouvernement pour les actes commis dans l'exercice de leursfonctions, que les dispositions de l'article 68 de la Constitution excluent pour le ministèrepublic et les particuliers la possibilité de mettre en mouvement l'action publique et d'en saisirles juridictions de droit commun (90). Il en résulte l'impossibilité de toute poursuite àl'initiative de la victime, puisque la constitution de partie civile n'est pas recevable devant laHaute Cour.

La commission d'instruction de la Haute Cour, qui avait été saisie d'une résolution de mise enaccusation de trois anciens ministres pour abstention d'empêcher un crime ou un délit ou deporter assistance à une personne en péril, a, par un arrêt du 5 février 1993, constatél'extinction de l'action publique par la prescription, aux motifs que l'action publique exercéepar les assemblées législatives devant la Haute Cour, juridiction pénale de natureconstitutionnelle obéissant à des règles de saisine, de compétence et de fonctionnementexorbitantes du droit commun, n'est pas celle qui est prévue par l'article 1er du Code deprocédure pénale et que, dès lors, les actes de poursuite ou d'instruction accomplis devantd'autres juridictions, notamment à l'égard d'autres personnes, n'avaient pu interrompre laprescription (91).

La Cour de justice de la République, ultérieurement créée par la loi constitutionnelle du27 juillet 1993 pour juger les ministres pour les actes commis dans l'exercice de leursfonctions (art. 68-1 à 68-3 de la Constitution), a rencontré des difficultés nées del'irrecevabilité des constitutions de partie civile devant elle. L'Assemblée plénière a jugé quecette irrecevabilité ne contrevient pas à l'article 6.1 de la Convention européenne des droits del'homme, dès lors que la loi réserve aux victimes la possibilité de porter leur action civiledevant les juridictions de droit commun (92).

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Elle a également jugé que la prescription est de droit suspendue à l'égard des partiespoursuivantes dès lors que celles-ci ont manifesté expressément leur volonté d'agir et qu'ellesse sont heurtées à un obstacle résultant de la loi elle-même, tel que l'impossibilité, pour lesvictimes, d'agir après avoir adressé leurs plaintes à la commission des requêtes (93).

Si des poursuites devaient être engagées devant la Haute Cour contre le Président de laRépublique, devraient-elles être soumises aux règles énoncées par la commission d'instructionde cette juridiction, ou à celles résultant de la jurisprudence de l'Assemblée plénièreconcernant la Cour de justice de la République ? Dès lors que cette question n'est pas poséeaujourd'hui à la Cour de cassation, il ne lui appartient pas d'y répondre. Mais ne conviendrait-il pas, pour prévenir le grief d'absence de recours effectif à une juridiction, de mentionnerdans l'arrêt à rendre la faculté, pour la victime, de saisir de son action civile la juridiction dedroit commun ?

5.4.2. - Régime de la poursuite et prescription en cas d'inviolabilité

Si l'on considère que le Président de la République, pour les actes commis en dehors del'exercice de ses fonctions, reste justiciable des juridictions de droit commun, mais ne peutêtre poursuivi devant elles pendant la durée de son mandat, il en résulte les conséquencessuivantes : toute poursuite engagée contre lui avant son entrée en fonctions est suspenduejusqu'à l'expiration de ce mandat ; toute nouvelle poursuite, que ce soit pour des faitsantérieurs à l'élection présidentielle ou pour des faits postérieurs, mais étrangers à l'exercicedes fonctions, est irrecevable ; le magistrat saisi d'une information contre d'autres personnesdoit surseoir à tout acte de poursuite à l'égard du Président de la République, sans pour autantque la validité des actes concernant les autres personnes mises en cause en soit affectée.

Dès lors, les actes de poursuite ou d'information contre d'autres ou contre personne nondénommée interrompent la prescription à l'égard de tous jusqu'à la "mise en cause pénale" duPrésident de la République ; à partir de cette date, la prescription est suspendue à son égard,comme elle l'est également en ce qui concerne toute poursuite le concernant, soit à compter deson entrée en fonctions si la poursuite a déjà été exercée auparavant, soit à compter de la dateoù il est apparu, dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique, que saresponsabilité pénale est engagée, et ce jusqu'à l'expiration du mandat.

L'Assemblée plénière appréciera s'il convient qu'elle se prononce expressément sur lasuspension de la prescription, pour éviter toute mauvaise interprétation de son arrêt. Il semble,du reste, que la chambre d'accusation de Versailles, dans son arrêt du 11 janvier 2000, auraitimplicitement opté pour une telle suspension.

5.5. - Possibilité ou impossibilité d'entendre le Président de la République en qualité detémoin ?

5.5.1. - Audition du Président de la République à l'initiative du juge d'instruction

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Si le Président de la République ne peut être pénalement poursuivi devant les juridictions dedroit commun pendant la durée de son mandat, il en résulte nécessairement qu'il n'est pasastreint à l'obligation de témoigner prévue par l'article 101 du Code de procédure pénale,puisque la violation de cette obligation est sanctionnée par une amende de police jusqu'àl'entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000, correctionnelle depuis cette date.

En outre, le pouvoir, conféré au juge d'instruction par l'article 109 du Code de procédurepénale, de contraindre à comparaître par la force publique le témoin récalcitrant estincompatible avec le libre exercice des fonctions du Président de la République et avec sesprérogatives de chef des armées (et donc de la gendarmerie nationale) et d'autorité denomination des magistrats et hauts fonctionnaires.

Pour vider entièrement sa saisine, il appartiendra à l'Assemblée plénière, si elle écarte lemoyen, de spécifier que le juge d'instruction ne pouvait déférer à la demande d'audition detémoin qui lui était présentée par la partie civile. En effet, s'il avait accueilli cette demande, ilse serait ainsi engagé à exercer tous les pouvoirs que lui attribue le Code de procédure pénalepour parvenir à l'audition sollicitée.

5.5.2. - Déposition spontanée du Président de la République

Aucune disposition constitutionnelle ou légale n'implique qu'il soit interdit au Président de laRépublique d'apporter spontanément ou volontairement son témoignage à la justice, commel'a fait le Président Poincaré en 1914, et ce dans les formes du droit commun puisque lesarticles 652 à 655 du Code de procédure pénale ne sont applicables qu'aux membres duGouvernement. Ainsi, le juge d'instruction instruisant un crime ou délit auquel le Président dela République a assisté sans y avoir participé n'est pas entièrement démuni, puisqu'il a lafaculté de demander au chef de l'Etat s'il consent à être entendu, ce que l'intéressé est libre derefuser.

Il serait donc souhaitable que la Cour de cassation mentionne dans son arrêt cette facultéofferte au Président de la République de témoigner spontanément, faisant ainsi clairementressortir qu'il n'est soustrait aux règles applicables aux autres citoyens que dans la mesure oùelles comportent à son égard une contrainte ou menace de contrainte, voire une sanctionpénale ou menace de sanction pénale, incompatibles avec les devoirs de sa charge.

5.6. - Incompétence ou défaut de pouvoir du juge d'instruction ?

Un des aspects les plus troublants de l'ordonnance des juges d'instruction et de l'arrêt de lachambre de l'instruction est qu'ils retiennent l'incompétence du juge d'instruction pouraccomplir l'acte d'information demandé par la partie civile.

Or cette formulation comporte une erreur de droit manifeste : la compétence du juged'instruction concerne l'information en général, non un acte d'information en particulier. Saisisd'une requête en vue d'accomplir un acte déterminé, les magistrats instructeurs ne pouvaient

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prononcer sur la compétence, sauf à communiquer la procédure au procureur de la Républiquepour obtenir de sa part des réquisitions à ce sujet et à prononcer, le cas échéant, unedisjonction en ce qui concerne les faits pour l'instruction desquels ils se seraient déclarésincompétents.

Ils pouvaient, en revanche, se borner à rejeter la demande comme inopportune, ce qui n'auraitdonné lieu à aucun débat devant l'Assemblée plénière, les juridictions d'instruction appréciantsouverainement l'opportunité des investigations complémentaires sollicitées.

Mais, dès lors qu'ils constataient que la requête impliquait en fait, par sa motivation, la miseen cause pénale du Président de la République, ils devaient la déclarer irrecevable, les jugesd'instruction n'ayant pas le pouvoir de procéder à l'audition du chef de l'Etat, que ce soit enqualité de témoin ordinaire, en qualité de témoin assisté ou de personne mise en examen.

Il n'est évidemment pas question de relever un moyen d'office pour censurer l'erreur de lachambre de l'instruction, puisqu'en tout état de cause la requête de M. Breisacher ne pouvaitêtre accueillie, mais il paraît nécessaire qu'en cas de rejet du pourvoi l'Assemblée plénièrespécifie que les juges d'instruction n'étaient pas incompétents pour procéder à l'acted'information demandé, mais seulement qu'ils ne pouvaient légalement y procéder en raisonde la limitation de leurs pouvoirs à l'égard de la personne du Président de la Républiquedéduite des articles 3, 5, 6 et 68 de la Constitution.

1. Cf. CE, 3 février 1984, Le Corre, ayant déclaré irrecevable l'appel d'un jugement sur lefond relevé par le contribuable sans nouvelle autorisation du tribunal administratif.

2. Cf. CE, 30 avril 1997, Ville de Paris c/Quémar, concernant un contribuable ayant obtenuune nouvelle autorisation du tribunal administratif pour relever appel de l'ordonnance denon-lieu rendue sur sa constitution de partie civile par le juge d'instruction.

3. Cf. Crim., 25 mars 1997, Bull. crim., n° 118, et l'arrêt cité.

4. Le Monde, 22 mars et 17 avril 1999.

5. Le Monde, 14 janvier 2000 ; D. 2000, IR 45. ; D. 2001, chron., p. 135 (publication de lalettre du procureur général près la Cour de cassation au procureur général de Versaillesquant à l'opportunité d'un pourvoi dans l'intérêt de la loi) ; cf. M. Fatin-Rouse, Annuaireinternational de justice constitutionnelle, 1999, chron., p. 627.

6. Le Monde, 19 juillet et 25 juillet 2001 ; Libération, 18 juillet 2001 ; cf. rapport du2 juillet 2001 du procureur de la République de Paris, M. Dintilhac, site Internet du Midilibre, 4 juillet 2001.

7. J.O. des débats de l'Assemblée nationale, 13 juin 2001, notamment p. 4062 (l'homonymiedu rapporteur de la commission des lois et du rapporteur de la présente affaire, de qui il estinconnu, est une pure coïncidence).

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8. Faustin-Hélie, Traité de l'instruction criminelle, 2e éd., 1866, t. IV, n° 1835, p. 442.

9. R. Garraud, Traité théorique et pratique d'instruction criminelle, 1909, t. II, n° 379, p. 24.

10. Ibid., note 5 sous le n° 387, p. 45.

11. D. Chagnollaud, "Le Président Poincaré, premier témoin", dans Le Monde.

12. R. Badinter, "Président ET témoin", Le Monde, 17 décembre 2000.

13. G. Carcassonne, "L'immunité du Président", Le Point, 23 mai 1998.

14. Crim., 30 octobre 1990, Bull. crim., n° 362 ; D. 1991, somm. 213, obs. Pradel -25 janvier 1993, Bull. crim., n° 38 - 20 mars 1995, Bull. crim., n° 112.

15. Circulaire Crim-00-16/F1 du 20 décembre 2000, § 1.1.2.2.1, a, p. 24.

16. Cf. R. Badinter, "La responsabilité pénale du Président de la République sous la VeRépublique", Mélanges, Patrice Gélard, 1999, p. 152.

17. A. Moreau, La haute trahison du Président de la République, Revue de droit public, 1987,p. 1586 et 1593.

18. M. Duverger, La Ve République, 1963, p. 141.

19. DP, 1923.2.25, note Sarrut.

20. G. Vedel, "La compétence de la Haute Cour", Mélanges Magnol, 1948, p. 418.

21. Barthélemy et Duez, Traité de droit constitutionnel, 1933, p. 620.

22. G. Vedel, Manuel de droit constitutionnel, p. 430 ; Droit constitutionnel et institutionspolitiques, Les cours de droit, 1960-1961, p. 825.

23. J. Foyer, "Haute Cour de Justice", Répertoire Dalloz de droit pénal, 1968, n° 44.

24. A. Moreau, op. cit., p. 1569-1570.

25. R. Badinter, "Pouvoir et justice : le roi est nu", Le Nouvel observateur, 28 mai 1998.

26. O. Duhamel, Le pouvoir politique en France, 1993, p. 171.

27. F. Luchaire et G. Cannac, La Constitution de la République française, 2e éd., 1987.

28. Laferrière, Manuel de droit constitutionnel, 1947, p. 102.

29. G. Carcassonne, "L'immunité présidentielle", Le Point, 29 août 1998 ; "Le Président de laRépublique française et le juge pénal", Mélanges Ardant, 1999

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30. L. Favoreu, "Egalité devant la justice et séparation des pouvoirs", Le Figaro,16 juin 1998.

31. TC Paris, 17e ch., 3 décembre 1974, JCP 1975, n° 17969, obs. R. Lindon.

32. En ce sens, cf. Debbasch, Bourdon, Pontier et Ricci, Droit constitutionnel et institutionspolitiques, Economica, 2e éd., 1986, p. 582 ; B. Genevois, Le Conseil constitutionnel et ledroit pénal international, Rev. française de droit adm., 1999, p.298.

33. 9 mars 1999, cf. Ass. plén., 21 juin 1999, Bull. crim., n° 139.

34. 16 mai 2000 ; cf. Ass. plén., 12 juillet 2000, Bull. civ., n° 6.

35. Crim., 26 juin 1995, Carignon, Bull. crim., n° 235 - 6 février 1997, Noir, Bull. crim.,n° 48 - 13 déc. 2000, Toubon, Bull. crim., n° 375.

36. Fabien Ganivet, "Les chefs d'Etat bénéficient généralement d'un statut pénal trèsprotecteur", Le Monde, 31 mai 2001 ; B. Genevois, "Le Conseil constitutionnel et le droitpénal international", Rev. française de droit adm., 1999, p. 298.

37. 27 mai 1997, Clinton v. Jones.

38. D. 1999, 285, note Ph. Chrestia ; D. 2000, somm., p. 197, obs. Sciortino-Bayart.

39. cf. G. Courtois, "Le Conseil constitutionnel ne veut pas voir contester sa décision sur lestatut pénal du chef de l'Etat", Le Monde, 22 et 23 juillet 2001.

40. Article de E. Emptaz, "Au secours de Chirac, le Conseil constitutionnel en fait troc" etarticle de L.-M. Hoareau, "Les Sages et l'irresponsable", Le Canard enchaîné,27 janvier 1999 ; cf. dessin de Pancho, "Et merci encore", paru dans Le Monde et reproduitdans Le Nouvel observateur du 28 janvier 1999.

41. G. Carcassonne, "L'arrêt du Conseil constitutionnel", Le Point, 30 janvier 1999 ; "Il fautmodifier la Constitution", ibid., 13 octobre 2000 ; "La responsabilité pénale du Présidentfrançais", in La responsabilité des gouvernants, 2000.

42. M. Troper, "Comment décident les juges constitutionnels", Le Monde, 13 février 1999.

43. Ph. Ardant, "La responsabilité pénale du Président français", in La responsabilité desgouvernants, 2000.

44. F. Robbe, "L'incompétence du juge pénal pour statuer sur la responsabilité du Présidentde la République", Gaz. Pal., 12 au 16 novembre 1999, doctrine, p. 4.

45. J. Robert, "La responsabilité pénale de Jacques Chirac est à la fois juridique etpolitique", Revue politique et parlementaire, septembre-octobre 2000, p. 37.

46. G. Vedel, "La responsabilité pénale du Président français", in La responsabilité desgouvernants, 2000.

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47. Ph. Chrestia, note sous la décision du 22 janvier 1999, D. 1999, 285 ; "La Constitutionsaisie par la politique", D. 2000, Point de vue, * ; "Responsabilité politique et responsabilitépénale entre fléau de la balance et fléau de société, Rev. de droit public, 2000, p. 739.

48. O. Duhamel, "Le point de vue du Conseil constitutionnel n'a pas d'effet en droit", LeMonde, 26 janvier 1999 ; Droit constitutionnel, Le pouvoir politique en France, 4e éd., 1999,p. 161.

49. P. Esplugas, "Le Conseil constitutionnel et la responsabilité pénale du chef de l'Etat",Petites Affiches, 5 juillet 1999 ; "Conseil constitutionnel et responsabilité pénale du chef del'Etat en France", Revue belge de droit constitutionnel, n° 2000/1, p. 165.

50. R. Badinter, "La responsabilité pénale du Président de la République sous la VeRépublique", Mélanges Patrice Gélard, 1999, p. 151.

51. D. Chagnollaud, "La responsabilité pénale du Président français", in La responsabilitédes gouvernants, 2000.

52. B. Genevois, "Le Conseil constitutionnel et le droit pénal international", Rev. française dedroit adm., 1999, p. 293 ; "Le Conseil constitutionnel et le droit pénal international,observations complémentaires", ibid., p. 717.

53. O. Camy, La controverse de l'article 68. Aspects théologiques, Rev. du droit public, 2001,p. 811.

54. J.-E. Schoettl, "La responsabilité pénale du chef de l'Etat", Rev. du droit public, 1999,p. 1037.

55. E. Dezeuze, "Un éclairage nouveau sur le statut pénal du Président de la République",Rev. de sc. crim. et de droit pénal comparé, 1999, p. 497.

56. N. Ligneul, "Le statut des personnes titulaires de qualités officielles en droitconstitutionnel français et l'article 27 de la Convention de Rome portant statut de la Courpénale internationale", Rev. int. de droit pénal, 1999, p. 1003.

57. P.-H. Prélot, "Le perdreau mort. L'irresponsabilité du Président de la République :inviolabilité personnelle, immunité fonctionnelle, privilège de juridiction ?", D. 2001, chron.,p. 949.

58. La Constitution, introduite et commentée par G. Carcassonne, 4e éd., 2000, p. 277 à 279 ;G. Vedel, "Réflexions sur la singularité de la procédure devant le Conseil constitutionnel",Mélanges R. Perrot, 1995, p. 553 s.

59. Cf. Intervention de B. Poullain dans "L'autorité de chose jugée des décisions desjuridictions constitutionnelles, Table ronde", Actes du colloque "La Cour de cassation et laConstitution de la République" des 9 et 10 décembre 1994, 1995, p. 279.

60. Note Favoreu sous CE, 20 décembre 1985, D. 1986.283.

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61. L. Favoreu, La Cour de cassation, le Conseil constitutionnel et l'article 66 de laConstitution, D. 1986, chron., p. 169 ; G. Drago, L'exécution des décisions du Conseilconstitutionnel. L'effectivité du contrôle de constitutionnalité des lois, p. 294 et 313.

62. L. Favoreu, op. cit., D. 1986, chron., p. 169.

63. G. Vedel, "Réflexions sur la singularité de la procédure devant le Conseilconstitutionnel", Mélanges R. Perrot, 1995, p. 551.

64. G. Vedel, op. cit., p. 552 ; cf. décision n° 78-96, DC du 27 juillet 1978, faisant état de lacompétence d'attribution, "limitée à l'examen des lois avant leur promulgation", quel'article 61 de la Constitution confère au Conseil constitutionnel.

65. O. Duhamel et Y. Mény, Dictionnaire constitutionnel, p. 62.

66. Ass. plén., 22 décembre 2000, Bull. civ., n° 12 (pourvois n° 98-15.567 et 98-21.238).

67. Cf. La Cour de cassation et la Constitution de la République, Actes du colloque des 9 et10 décembre 1994, 1995 ; communications de L. Favoreu et H. Donthenwille aux Journées dela société de la législation comparée, 1987, p. 463 et 481 ; Rapport de notre collèqueM. Dorly à l'Assemblée plénière du 8 mars 1996, Rev. Française de droit constitutionnel,1995, p. 154.

68. Cf., notamment : A. Derrien, Les juges français de la constitutionnalité, étude sur laconstruction d'un système contentieux, Thèse Bordeaux, 2000, p. 232 s.

69. G. Drago, L'exécution des décisions du Conseil constitutionnel. L'effectivité du contrôlede constitutionnalité des lois, spéc. p. 275 à 324 s.

70. Déc. du 22 juillet 1980,citée par L. Favoreu, L'effet des décisions du Conseilconstitutionnel à l'égard du juge administratif français, Journées de la Société de lalégislation comparée, 1987, p. 466.

71. CE, ass., 20 décembre 1985, Société des Ets Outters, cité par L. Favoreu et L. Philip, Lesgrandes décisions du Conseil constitutionnel, 10e éd., p. 177.

72. D. 1975, p. 529.

73. Ch. Mixte, 25 mai 1975, Société Jacques Vabre, concl. Touffait, Rev. de droit pénal, 1975,p. 2193.

74. Crim., 25 avril 1985, Bull. crim., n° 159 ; D. 1985, p. 329, concl. Dontenwille ; cf. chron.Favoreu, D. 1986, p. 169.

75. Cf. L. Favoreu et L. Philip, Les grands arrêts du Conseil constitutionnel, 10e éd., p. 178.

76. Cass. 2e civ., 28 juin 1995, JCP 1995, II, 22504, concl. Sainte-Rose ; cf. L. Favoreu etL. Philip, ibid., p. 180.

77. Crim., 10 octobre 1996, Bull. crim., n° 356.

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78. Ass. plén., 19 mai 1978, D. 1978.541, concl. Schmelck, note Ardant ; JCP 1978, II, 19009,rapp. Sauvageot, cité par A. Derrien , op. cit., p. 248.

79. Cf. Intervention de B. Poullain dans "L'autorité de chose jugée des décisions desjuridictions constitutionnelles, Table ronde", Actes du colloque "La Cour de cassation et laConstitution de la République" des 9 et 10 décembre 1994, 1995, p. 281.

80. CE, 3 février 1978, CFDT et CGT, Rec., p. 47, cité par A. Derrien, op. cit., p. 258 ; cf.G. Drago, L'exécution des décisions du Conseil constitutionnel. L'effectivité du contrôle deconstitutionnalité des lois, p. 302.

81. Crim., 26 février 1974, Bull. crim., n° 82 ; D. 1974, p. 273, concl. Touffait et note Vouin -25 janvier 1978, Bull. crim., n° 31.

82. Cf. A. Derrien, op. cit., p. 258 s.

83. Crim., 13 mars 2001, Bull. crim., n° 64.

84. Voir cependant l'opinion contraire d'O. Camy, La controverse de l'article 68. Aspectsthéologiques, Rev. du droit public, 2001, p. 816 s., qui s'élève contre la conception deM. Troper selon laquelle la Constitution forme un tout cohérent et complet, dont lesdispositions s'éclairent les unes par les autres.

85. Cf. le texte d'une communication de B. Genevois destinée à un colloque international,"Immunités constitutionnelles et privilèges de juridiction", dont votre rapporteur a pu avoirconnaissance.

86. B. Genevois, "Le Conseil constitutionnel et le droit pénal international", Rev. française dedroit adm., 1999, p. 297.

87.Ass. Plén., 31 mai 1990, Bull. crim., n° 221 - Crim., 12 février 1991, Bull. crim., n° 68 -16 avril 1991, Bull. crim., n° 181 - 25 mai 1993, Bull. crim., n° 189 - 13 octobre 1993, Bull.crim., n° 292 - 11 juillet 1994, Bull. crim., n° 272, etc.

88. Crim., 24 avril 1979, Bull. crim., n° 142 - 16 décembre 1986, Bull. crim., n° 372 -7 mai 1991, Bull. crim., n° 195.

89. Crim., 4 novembre 1986, Bull. crim., n° 321.

90. Crim., 17 octobre 1991, Bull. crim., n° 354.

91. Commission d'instr. de la Haute Cour de justice, 5 février 1993 : Dr. Pénal, mars 1993,comm., n° 75.

92. Ass. plén., 21 juin 1999, Bull. crim., n° 139.

93. Ass. plén., 23 décembre 1999, Bull. crim., n° 312.

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