366
COLLECTION DE VIES DE SAINTS _______________ UN SAINT pour chaque jour du mois SEPTEMBRE

1 Septembre I

Embed Size (px)

DESCRIPTION

1 Septembre I

Citation preview

Page 1: 1 Septembre I

COLLECTION DE VIES DE SAINTS_______________

UN SAINT

pour chaque jour du mois

SEPTEMBRE

Page 2: 1 Septembre I

SAINT GILLESSolitaire et Abbé en Languedoc (t vers 721).

Fête le 1er septembre.

Il est assez difficile de préciser à quelle époque a vécu saint Gilles. Quelques-uns le font naître dans la première moitié du VIe siècle, tandis que la plupart des auteurs, s'attachant aux termes mêmes de ses Actes, dont Mabillon, d'ailleurs, déclare qu'ils n'ont rien de très authentique, et au commentaire qu'en a donné le P. Stilting, voient en lui un contemporain de Charles Martel, ce qui suppose que le Saint vécut aux VIIe et VIIIe siècles ; c'est cette chronologie que nous adopterons.

Le chrétien d'Athènes.

Gilles ou Egidius, en grec Aigidios (Chevrier), naquit à Athènes. Ses plus anciens historiens assurent qu'il était de race royale. Quelle province ses ancêtres avaient-ils jadis gouvernée, on ne le sait plus ; au reste, à l'époque où naquit Gilles, la Grèce était soumise aux Romains depuis des siècles. Son père s'appelait Théodore et sa mère Pélagie. Ils donnèrent à leur fils l'exemple de toutes les vertus chrétiennes, et le formèrent à une solide piété.

Quoique bien déchue de son ancienne splendeur, Athènes était doué des plus belles qualités de l'âme et du corps, reçut une éducation brillante à laquelle il fit honneur. On lui a même attribué encore l'un des principaux centres intellectuels de l'Orient. Gilles, des ouvrages de médecine et de poésie remarquables. Mais Athènes avait vu tant d'autres hommes habiles dans les sciences humaines, et qui n'en étaient pas plus vertueux pour cela !

Ce qui devait placer Gilles au-dessus d'eux, c'était le goût des choses divines, qui le portait à étudier la science des Saints et de la perfection évangélique, à méditer avec fruit les Saintes Écritures, à réaliser chaque jour des progrès dans la pratique des vertus.

Page 3: 1 Septembre I

De bonne heure Dieu se plut à honorer son serviteur en lui accordant le don des miracles. Gilles se rendait souvent à l'église. Un jour, il rencontre sur son chemin un pauvre mendiant, malade et presque nu, qui lui demande l'aumône. Emu de compassion, le généreux étudiant se dépouille de sa riche tunique et la lui donne. A peine le mendiant s'en est-il revêtu qu'il recouvre une parfaite santé. Gilles comprit à ce miracle combien l'aumône était agréable à Dieu. Aussi, quelque temps après, la mort de ses parents l'ayant laissé maître d'une fortune considérable, il la distribua toute aux malheureux, se réservant pour lui-même de suivre Jésus-Christ dans la pauvreté volontaire, la souffrance et l'humilité.

De nouveaux miracles attirèrent sur le jeune homme l'attention de ses compatriotes. Un homme, piqué par un serpent, voyait déjà l'enflure gagner ses membres sous l'action d'un venin mortel, quand il fut subitement guéri par les prières du Saint. Un dimanche, un malheureux, possédé du démon, remplissait l'église de ses hurlements ; Gilles, qui était mêlé à l'assemblée des fidèles, força le malin esprit de quitter sa victime. Le jeune exorciste se vit dès lors entouré de la vénération publique ; la foule se pressait sur son passage, répétait ses louanges, lui amenait des malades à guérir. L'humilité de Gilles s'effraya de tant d'honneurs. Il s'enfuit secrètement d'Athènes et s'embarqua sur un navire en partance pour l'Occident.

Ermite en France. – Saint Vérédème.

Le fugitif voguait avec assurance sur cette mer Méditerranée, jadis traversée par saint Paul et aussi par les premiers apôtres des Gaules, saint Lazare et ses compagnons, quand une tempête terrible s'éleva et le vaisseau courut les plus grands dangers. Gilles ne craignait pas la mort, mais, touché du désespoir des autres passagers, il se mit en prière et le Tout-Puissant calma les flots. On débarqua heureusement à Marseille, et le jeune Grec, remontant à l'intérieur, s'arrêta dans la ville d'Arles où il reçut l'hospitalité chez une pieuse chrétienne nommée Théocrita. Pendant que la charitable dame préparait le repas, Gilles entendit des gémissements venus de la chambre intérieure de la maison. « Hélas ! seigneur, dit Théocrita c'est ma fille ; voilà trois ans qu'elle souffre de la fièvre, j'ai eu recours aux médecins, j'ai fait beaucoup de dépenses, tout est resté inutile. Si vous saviez quelque remède efficace, vous recevriez de grandes marques de ma reconnaissance. » Comment résister aux plaintes de cette pauvre mère, si charitable pour lui ? L'hôte de passage pria Dieu de rendre la santé à l'enfant, et l'enfant guérit. Mais Théocrita ne put témoigner longtemps sa reconnaissance à son bienfaiteur, qui alla se cacher dans les gorges solitaires et profondes traversées par le torrent du Gardon, dont les eaux élargies forment la rivière du Gard.

Le solitaire savait-il qu'un de ses compatriotes l'avait précédé dans ces parages ? S'il l'ignorait, ce dut être pour lui une bien agréable surprise de trouver en ce lieu un autre ermite, saint Vérédème, peut-être le futur évêque d'Avignon. Vérédème, Grec de nation, vivait dans une grotte naturelle, située sur la rive gauche du Gardon, non loin de Collias. Cette grotte, d'un accès difficile, et qui se prolonge assez loin dans la colline, est encore aujourd'hui un lieu de pèlerinage ; on y remarque trois petites croix taillées dans le roc.

Page 4: 1 Septembre I

Peut-être le fervent ermite voulait-il affirmer par ce signe sa croyance à la Sainte Trinité. L'Athénien fugitif fut heureux de se mettre sous la direction de Vérédème, dont il avait reconnu bien vite l'éminente sainteté. Sous ce maître expérimenté dans les choses divines, Gilles fit de grands progrès dans l'oraison et l'union avec Dieu. Cependant, les habitants des villages voisins venaient parfois à la grotte prendre conseil des solitaires, solliciter le bienfait de leurs prières, et même la guérison de leurs maladies. La prière des ermites obtenait souvent des prodiges, dont le disciple avait soin de rapporter tout l'honneur à son maître. Ainsi advint-il lors d'une sécheresse désastreuse, que Dieu fit cesser à sa requête. La vénération des habitants en fut accrue d'autant, et Gilles craignit pour son humilité les dangers qui l'avaient forcé de quitter Athènes. Un jour qu'il était seul, on apporta un malade à son ermitage ; Gilles eut beau protester qu'il n'était qu'un pécheur et que Vérédème seul pouvait leur obtenir la guérison désirée, les paysans déclarèrent qu'ils ne s'en retourneraient pas avant que le malade n'eût recouvré la santé. Gilles céda à leurs instances ; il pria Dieu de récompenser la foi de ces pauvres gens et le malade fut guéri. Mais le solitaire n'hésita plus. Malgré l'affection qu'il avait pour son maître, il lui dit adieu, et sans indiquer à personne le lieu de sa nouvelle retraite, il alla se fixer à six ou sept lieues de là, non loin du Rhône, dans une plaine sauvage, couverte de bois et de broussailles, alors appelée la « Vallée flavienne ».

La « Vallée flavienne ». – La biche amie. – La chasse royale.

Le temps qu'il avait passé sous la direction de saint Vérédème avait été pour Gilles comme un noviciat providentiel, pendant lequel il s'était formé à la vie religieuse. Il pouvait maintenant marcher seul dans un chemin connu de lui, sans craindre les surprises du démon trompeur. Ayant avisé dans la Vallée flavienne une grotte près de laquelle coulait une petite source, il rendit grâces à la Providence et s'installa dans cette demeure avec autant de joie que s'il eût découvert un palais. Dégagé de toute préoccupation terrestre, tout à Dieu, il commença un genre de vie d'une ferveur et d'une austérité extraordinaires. Ses jours, ses nuits presque entières s'écoulaient dans une prière continuelle, dans l'adoration de Dieu et la contemplation des vérités célestes. Son âme, souvent portée sur les ailes de l'extase, semblait appartenir au ciel plutôt qu'à la terre. Ses pénitences étaient effrayantes, tellement que, plusieurs siècles après, on a cru en retrouver des marques visibles sur ses ossements. Il jeûnait tous les jours ; le lait d'une biche de la forêt, que la Providence lui envoyait, suffisait à son entretien. Trois années se passèrent de la sorte, pendant lesquelles ce solitaire inconnu du monde obtint pour les hommes beaucoup de grâces. Alors Dieu jugea bon d'employer son serviteur d'une manière directe à l'édification et au salut de ses frères.

A cette époque, écrit Jules de Kerval dans sa Vie de saint Gilles, les Wisigoths, établis en Espagne, possédaient une partie du sud de la Gaule ; ils étaient gouvernés par Wamba (670-680). Ce roi, qui se glorifiait de compter parmi ses ancêtres l'empereur Vespasien, prenait le surnom de Flavius. L'an 673, le comte Haldéric, gouverneur de Nîmes, se révolta contre lui et chassa du diocèse l'évêque Arégius, demeuré fidèle à son souverain.

Page 5: 1 Septembre I

Flavius Wamba vint avec une armée assiéger la ville rebelle et la força à capituler. Il demeura quelque temps dans la contrée pour y établir la paix.

Un jour qu'accompagné d'une suite nombreuse il chassait dans la forêt, ses chiens poursuivirent la biche qui nourrissait Gilles. Exténuée de fatigue, prés de tomber sous les coups des chasseurs, la pauvre bête accourut vers la grotte et, poussant des gémissements, implora le secours du Saint. Celui-ci sortit de la caverne. Il entendit les aboiements des chiens et les cris des chasseurs... A la pensée du péril qui menaçait la biche, son cœur fut saisi de douleur ; il leva ses regards vers le ciel et, en versant des larmes, supplia le Seigneur de conserver la vie à cet innocent animal. Cependant, les chiens ne cessaient d'aboyer, sans néanmoins avancer vers la grotte... Un des chasseurs, pour faire sortir la biche de sa retraite, décocha une flèche à travers les broussailles. Elle atteignit à la main le serviteur de Dieu. Le roi, touché d'une crainte secrète et pressé par la nuit, se retira.

Il revint le lendemain, accompagné de l'évêque de Nîmes, et fit couper les buissons qui défendaient l'accès de la caverne. Il aperçut alors le Saint en prière, couvert de sang et protégeant la biche réfugiée auprès de lui. A l'aspect du saint ermite, plein de douceur et de majesté, orné de l'auréole de la sainteté et de la souffrance, le roi tombe à genoux, il lui demande pardon et veut faire panser sa plaie. Le Saint, se souvenant de cette parole de l'Apôtre : « C'est au milieu des souffrances que se perfectionne la vertu », n'y voulut point consentir. Il supplia Dieu de ne jamais permettre qu'il guérît de cette blessure, mais de l'éprouver sans cesse par de nouvelles douleurs. Cette scène charmante, empreinte d'une inexprimable poésie, est restée chez nos pères le trait le plus populaire de la vie de saint Gilles. Ils voyaient une touchante image du rôle bienfaisant de l'Eglise protégeant le faible contre le fort, l'innocent contre l'oppresseur, et inspirant, à ces natures fières et sauvages du moyen âge, la douceur et l'horreur du sang, le plus beau et le plus incontestable caractère de la civilisation chrétienne.

Le monastère.

L'humble ermite avait espéré achever ses jours dans cette solitude silencieuse, sans être connu des hommes ; ce fut pour son âme une vive douleur de se voir ainsi découvert, mais il se soumit pleinement à la volonté de Dieu. Le roi profitait de son séjour dans la contrée pour venir voir souvent l'homme de Dieu, dont il admirait la sainteté et dont les entretiens étaient grandement utiles à son âme. Il lui offrit souvent des présents de toutes sortes, mais l'ermite ne voulut jamais rien accepter. Un jour que le prince insistait davantage, Gilles lui dit : « Si vous tenez à signaler votre générosité dans une bonne œuvre, fondez un monastère où vous placerez des religieux d'une vie très régulière, qui serviront Dieu fidèlement jour et nuit et prieront pour vous. – Je veux bien, répondit Wamba, mais à une condition, c'est que vous consentirez à être supérieur de l'abbaye, et à diriger dans la vertu ceux qui viendront s’y consacrer au Seigneur. » Cette réponse déconcerta le solitaire ; il se croyait incapable et indigne de commander à personne, et peut-être songeait-il à se chercher quelque nouvelle retraite inconnue.

Page 6: 1 Septembre I

Saint Gilles à l'école de saint Vérédème.

Mais le roi le supplia si vivement, que Gilles eut peur d'empêcher, par un refus obstiné, une œuvre si utile à la gloire de Dieu et au bien des âmes. Il accepta.

Wamba, tout joyeux, donna immédiatement l'ordre de construire deux églises, et le bon ermite en indiqua l'emplacement et les dimensions ; l'une fut dédiée en l'honneur de saint Pierre et de tous les Apôtres, l'autre en l'honneur de saint Privat, évêque de Mende et martyr. Cette dernière était près de la grotte de l'homme de Dieu, qui ne voulut pas avoir d'autre cellule.

Un monastère s'éleva près de l'église Saint-Pierre. Le roi, avant de retourner en Espagne, avait fourni les sommes nécessaires aux constructions et donné à la nouvelle abbaye toute la Vallée flavienne, sur un rayon de quinze milles. De nombreux disciples, désireux de se consacrer à Dieu sous la direction de Gilles, ne tardèrent pas à peupler le monastère. L'ancien compagnon de saint Vérédème fut ordonné prêtre, et conduisit sa famille religieuse avec un zèle plein de vigilance, de fermeté et d'incomparable douceur. Nul ne le surpassait dans les jeûnes, la prière et les saintes veilles. Afin de donner à son œuvre toute la stabilité désirable, Gilles voulut la placer sous la protection du Pape. Il fit donc le pèlerinage de Rome, se prosterna avec amour aux tombeaux des saints Pierre et Paul, vénéra les souvenirs des martyrs, se présenta au Souverain Pontife, saint Benoît II, qui l'accueillit avec une bonté paternelle, et, par une Bulle datée du 26 avril 685, mit sous la juridiction immédiate du Saint-Siège le monastère de la Vallée flavienne.

Le pèlerin quitta Rome, comblé de présents et de bénédictions.

Page 7: 1 Septembre I

Séjour en Espagne.

C'est une ancienne tradition de la Catalogne et des provinces voisines, que l'abbé du monastère Saint-Pierre a vécu quelque temps en Espagne. Sans doute céda-t-il de nouveau, peu d'années après son retour de Rome, en voyant sa fondation monastique solidement établie, à son attrait pour la vie solitaire et cachée. « La montagne de Nuria, au territoire de la ville de Caralps, sur les confins du diocèse d'Urgel, lui offrit une grotte profonde.

Un manuscrit de la plus haute antiquité atteste que saint Gilles habita la montagne de Nuria, qu'il y sculpta l'image de la Vierge vénérée aujourd'hui, et qu'au moment de son départ, il la cacha dans la grotte où elle fut miraculeusement découverte en 1079, et où elle n'a cessé, depuis plus de huit siècles, d'opérer les prodiges les plus éclatants. » (Abbé d’Everlange.) On attribue le retour de Gilles en France, aux persé-cutions, exercées contre les catholiques, par l'un des indignes successeurs de Wamba, le débauché Witiza, grand ennemi de la morale chrétienne, et dont le règne fut néfaste à l'Espagne qui, en 711, un an après sa mort, tomba sous le joug des Sarrasins.

Saint Gilles et Charles Martel. – Derniers jours.

Après avoir conquis l’Espagne, les sectateurs de Mahomet franchirent les Pyrénées en 719, et envahirent le midi de la France. Gilles se réfugia auprès de Charles Martel, duc d’Austrasie. Divers miracles signalèrent son voyage. A Orléans, il délivra un possédé du démon. Charles le reçut avec une grande joie, car il avait souvent entendu parler de ses vertus. La chronique rapporte que le duo, homme actif et vaillant, mais trop souvent dominé par ses passions, avait commis un péché grave, qu'il n'osait avouer à personne, pas même au Saint. II se recommanda toutefois avec beaucoup d'instances à ses prières.

Or, pendant que le serviteur de Dieu disait la messe et priait pour le duc d'Australie, un ange lui remit un billet où étaient écrits le péché de Charles et la promesse du pardon, en cas de repentir. Après la messe, le Saint montra le billet au duc. Celui-ci, tombant à ses pieds, confessa qu'il était en effet, coupable de cette faute, et en reçut l'absolution. En souvenir de ce trait, on invoquait autrefois saint Gilles contre la timidité qui paralyse parfois les pécheurs au tribunal de la Pénitence.

L'année 721, le duc Eudes d'Aquitaine ayant vaincu les Sarrasins dans une grande bataille livrée sous les murs de Toulouse, Gilles et ses religieux purent relever les ruines de leur monastère et reprendre leurs exercices réguliers. Le saint fondateur y acheva ses jours et mourut âgé d'environ, quatre-vingts ans.

Page 8: 1 Septembre I

Le culte de saint Gilles. – L'abbaye et la ville.

Les nouvelles invasions des Sarrasins n'empêchèrent pas les moines d'affluer dans la Vallée Flavienne. Les nombreux miracles opérés au tombeau du Saint rendirent son culte populaire dans tout l’Occident. Une ancienne ville, depuis longtemps ruinée, se reforma peu à peu autour de l'abbaye, qui devint, grâce à la science de ses religieux, le siège d'une école célèbre au moyen âge. De tous les points de la chrétienté on accourait en pèlerinage à Saint-Gilles, dont la population, sans cesse accrue aux XIe, XIIe, et XIIIe siècles, alla jusqu'à dépasser, dit-on, cent mille habitants. En 1095, le Pape, le bienheureux Urbain Il, venu en France pour susciter l'héroïque mouvement des Croisades, s'arrête à Saint-Gilles et y consacre l'autel majeur d'une magnifique crypte. Sur cette église souterraine, ne tarde pas à s'élever une splendide basilique, la merveille de l'art romano-byzantin dans nos contrées occidentales.

L'un des chefs les plus intrépides de la première Croisade, Raymond IV, comte de Toulouse, qui, par dévotion pour le Saint, se faisait appeler Raymond de Saint-Gilles, tomba malade après la conquête de Nicée (1096). En quelques jours, raconte Raymond d'Agile, son chapelain et son historien, le mal fit d'effrayants progrès, et ce fut dans l'Armée un désespoir immense. Or, un chevalier saxon se présenta sous la tente du malade, et lui dit : « A deux reprises votre patron saint Gilles m'est apparu : Va trouver, m'a-t-il dit, mon serviteur Raymond de Saint-Gilles. Dis-lui qu'il ait bonne confiance, il ne mourra pas de cette maladie ; j'ai obtenu pour lui cette grâce et je continuerai à le protéger. » Cependant, la maladie poursuit son cours et ne laisse plus d'espoir. Guillaume, évêque d'Orange, qui avait administré au comte l'Extrême-Onction, commence les prières des agonisants avec le légat du Saint-Siège, Adhémar, évêque du Puy. Mais, dit l'historien, Dieu n'avait conduit le comte aux portes du tombeau que pour mieux faire éclater la puissance de Saint Gilles et rendre subitement le moribond à la santé.

Au moyen âge, la France, la Belgique, l'Angleterre, l'Ecosse, la Pologne, glorifièrent le Saint par des églises et des chapelles bâties en son honneur. Edimbourg se targuait de posséder un monastère placé sous son vocable dès 1150, et surtout une relique insigne. Cette ville prit saint Gilles pour patron, et le représenta dans ses armes. Par la suite, le blason a changé, l'effigie du célèbre abbé en a disparu, mais la biche est restée au moins dans l'écusson complet.

Saint Gilles était invoqué contre la frayeur, l'incendie, l'épilépsie, la folie, la fièvre, etc. En 1085, Ladislas, prince de Pologne, et son épouse Judith, après avoir vu leur union demeurer stérile, obtenaient, par l'intercession du Saint, la naissance miraculeuse de Boleslas III. En 1633, Louis XIII et Anne d'Autriche, à l'occasion de la naissance de Louis XIV, ordonnèrent qu'une députation du clergé et de la noblesse se rendrait, neuf jours de suite, à l'église Saint-Leu-Saint-Gilles, à Paris, et que pendant cette neuvaine on ferait des prières solennelles au saint Abbé pour la conservation du royal enfant.

Page 9: 1 Septembre I

A l'époque de ce dernier événement, la ville de Saint-Gilles était bien déchue. La domination des Albigeois lui avait porté un premier coup ; les religieux eux-mêmes, oubliant leur ferveur primitive, ont demandé leur sécularisation en 1538.

Bientôt les protestants déchaînent la guerre civile contre leur patrie, des centaines d'églises sont renversées, la France déchirée. Pour soustraire le corps de saint Gilles à la fureur des hérétiques, on le transporte à Toulouse en 1552 ; la même année, les protestants pouvaient écrire dans leurs fastes ecclésiastique, à la date du 15 septembre : « En ce jour, la ville de Saint-Gilles fut mise au pillage, les prêtres égorgés et jetés dans le puits qui est joignant l'église intérieure... » On reconnaît encore aujourd’hui, aux parois de la partie supérieure, de longues traces des martyrs. La belle basilique est renversée ; toutefois les protestants n'eurent pas le temps d'en détruire le portail. La Révolution n'oublia pas d'ajouter encore à leurs ravages.

Des fouilles entreprises au XIXe siècle ont permis de retrouver, le 29 août 1865, le tombeau du Saint ; la crypte du XIe siècle a été réparée, l'église paroissiale embellie. Toulouse a rendu quelques reliques du saint Abbé ; on en a trouvé d'autres fragments dans son tombeau. Le Zèle des évêques de Nîmes et des curés de Saint-Gilles a ranimé la foi des fidèles, et des grâces éclatantes obtenues par l’intercession du Saint prouvent qu'il suffit de l'invoquer avec la même confiance que nos pères, pour en obtenir les mêmes faveurs.

Sous le pontificat du bienheureux Urbain IV (XIVe siècle), la fête de saint Gilles a été placée au rang des fêtes simples.

Maxime Viallet.

Sources consultées. – P.E. d’Everlange, Saint Gilles et son pèlerinage (Avignon, 1876). – Julien de Kerval, Vie et culte de saint Gilles (Le Mans, 1876). – Rembry, Saint Gilles, sa vie, ses reliques (Bruges, 1881). – (V.S.B.P., n° 446.)

Page 10: 1 Septembre I

SAINT ETIENNE 1er

Premier roi et apôtre des Hongrois (977 ?-1038)

Fête le 2 septembre.

Les Hongrois, d'origine asiatique, de la même race que ces terribles Huns qui ravagèrent jadis l'Europe sous la conduite d'Attila, « le fléau de Dieu », firent à leur tour, au IXe siècle, la conquête d'une partie de la Pannonie et de la Dacie, et dès lors les deux pays portèrent le nom de Hongrie. Cette conquête fut d'autant plus facile que Charlemagne avait renversé le royaume élevé dans ces contrées par les Huns et les Avares.

Conversion de Geysa.

A la fin du Xe siècle le peuple hongrois était gouverné par un duc du nom de Geysa, qui régna de 972 à 997. Trois autres ducs l'avaient précédé. La Providence lui réservait une épouse d'élite. Tandis que son père gouvernait Geysa avait résidé quelque temps à la cour de Gyula, duc de Transylvanie ; il avait apprécié dans ce milieu l'élé-vation de la doctrine chrétienne et s'était épris en même temps de la fille du duc Gyula, laquelle avait nom Sarolta. Cette princesse joignait à une beauté remarquable une intelligence et une énergie peu communes. Profondément chrétienne, elle convertit son époux. Geysa se fit instruire et baptiser. Nombre de seigneurs suivirent son exemple, et l'évêque Pilégrim pouvait écrire au Pape Benoît VII qu'il venait de rendre à Jésus-Christ, par le baptême, 5000 nobles hongrois. Il est certain cependant que la conversion de Geysa ne fut pas complète, car, par politique peut-être, tout en participant au culte chrétien, il continua à honorer les idoles. Prague, capitale des Tchèques, possédait un saint évêque, Adalbert. Elevé à cette charge alors qu'il était à peine âgé de vingt-sept ans, il se sentit découragé devant les difficultés de son ministère au milieu des rudes guerriers tchèques. Il obtint alors du Pape la permission de se retirer dans la solitude et se réfugia à Rome, où il mena la vie monastique. Vers 994, par obéissance, il retournait en son diocèse; mais bientôt de nouvelles persécutions le contraignirent à fuir et il se rendit en Hongrie avec un groupe de religieux. Le duc Geysa les reçut avec empressement.

Page 11: 1 Septembre I

Naissance et jeunesse de saint Etienne.

Cependant, la princesse Sarolta avait progressé rapidement dans les voies de la perfection.

Vers l'an 977, peut-être en 979, lui était né, dans la ville d'Esztergom ou Strigonie, un enfant sur lequel le Seigneur avait de grandes vues. Etienne était son nom. Peut-être fut-il ondoyé peu de temps après sa naissance, car il ne reçut le baptême que vers sa dix-huitième année, des mains de saint Adalbert, précisément au moment où l'évêque, comme nous l'avons dit, avait été chassé une deuxième fois de Prague. On lui donna pour gouverneur le pieux Théodat, comte d'Italie, qui lui inspira de bonne heure de vifs sentiments de religion. Il fut élevé avec soin et reçut une brillante éducation. Ses progrès dans les sciences et les vertus furent remarquables, et, dès sa jeunesse, il devint le prince le plus accompli de son siècle. Il n'avait pas encore atteint sa vingtième année quand le duc son père assembla tous les seigneurs de la cour et, de leur consentement, le déclara son successeur.

Avènement de saint Etienne.Ses travaux pour étendre le christianisme.

Geysa mourut en 997. Le premier soin d'Etienne fut de conclure la paix avec tous les peuples voisins. Il s'appliqua ensuite avec un zèle infatigable à établir solidement dans ses Etats la religion de Jésus-Christ ; mais un grand nombre de Hongrois, opiniâtrement attachés à leurs superstitions, se révoltèrent. Ils prirent les armes contre leur souverain et, après avoir pillé plusieurs villes, ils vinrent mettre le siège devant Veszprém, qui était alors la ville la plus importante après Esztergom.

Etienne, plein de confiance en Dieu, se prépara à la guerre par le jeûne, l'aumône et la prière; il implora aussi le secours du ciel par l'intercession de saint Martin de Tours, originaire de la Pannonie, et celle de saint Georges ; l'image de ces deux Saints figurait sur ses enseignes.

Il marcha ensuite contre ses sujets rebelles et les défit complètement, malgré l'infériorité numérique de sa petite armée. En reconnaissance, il fit bâtir sur le lieu où s'était livré le combat un monastère sous l'invocation de saint Martin. Après cette victoire, Etienne reprit son premier dessein de propager l’Evangile dans tous ses Etats. Il fit venir des prêtres et des religieux qui fondèrent des monastères, bâtirent des églises et civilisèrent le peuple. Quelques-uns obtinrent la couronne du martyre. Bientôt l'idolâtrie fut presque entièrement bannie de la Hongrie.

Le prince divisa le pays en évêchés, dont il voulait qu'Esztergom fût la métropole. Des hommes d'une grande vertu furent placés sur ces différents sièges, et la religion catholique commença à fleurir dans tout le duché.

Page 12: 1 Septembre I

Couronnement de saint Etienne.

Mais il manquait à Etienne de voir son autorité reconnue du Saint-Siège. C'est pourquoi il députa à Rome l'évêque Astric, qui occupait le siège de Kalocsa, pour prier le Pape Sylvestre II de recevoir la Hongrie, nouvellement convertie, au nombre des Etats chrétiens ; il le suppliait en même temps de lui donner sa bénédiction apostolique, d'approuver l'érection des évêchés, de confirmer les évêques élus et d'agréer que lui-même prît le titre de roi et en porta les insignes, afin que cette dignité lui donnât plus d'autorité pour l'exécution de ses bons desseins. Vers ce même temps, le duc de Pologne Mieceslas, qui avait aussi embrassé le christianisme, sollicitait également du Pape le titre de roi. Le Souverain Pontife fit préparer une couronne d'or ornée d'émaux, pour en faire présent au duc de Pologne.

Or, un ange du Seigneur lui dit que cette couronne ne devait pas être donnée à Mieceslas, mais à Etienne, prince de Hongrie, dont les députés ne tarderaient pas à se présenter devant lui, parce que ses grandes vertus et son ardeur pour la propagation de l'Evangile lui faisaient mériter cette préférence. En effet, Astric parut bientôt devant Sylvestre Il. Ce dernier, apprenant tout ce qu'Etienne faisait pour le christianisme, lui donna un plein pouvoir apostolique pour fonder des Eglises, et pour y nommer les personnes qu'il jugerait dignes de les gouverner. I1 lui accorda la couronne, y ajoutant une croix qui serait portée devant le nouveau roi, comme un signe de son apostolat. « Car, dit-il, je suis l'Apostolicus, mais lui mérite le nom d'apôtre (apostolus), puisqu'il a acquis un si grand peuple à Jésus-Christ. »

La couronne offerte par Sylvestre II existe encore, non toutefois dans sa forme primitive, car au XIe siècle le roi Geysa 1er fit ajouter à la calotte un diadème d'or que lui avait offert l'empereur de Byzance, Michel Doucas. Au sommet est une croix, inclinée à la suite d'un accident, mais qui a été maintenue dans cette position, devenue traditionnelle. A travers les siècles, la couronne est restée comme le grand trésor national du peuple hongrois. Une controverse a eu lieu au sujet de l'authenticité d'une lettre écrite, dit-on, par le Pape au saint roi et dans laquelle nous lisons :

Les envoyés de Votre Noblesse, principalement Notre bien-aimé frère Astric, évêque de Kalocsa, ont d'autant plus réjoui Notre cœur, ils ont d'autant plus facilement rempli leur mission, que Nous-même, averti de Dieu, Nous attendions ardemment leur arrivée d'auprès d'une nation qui Nous était inconnue... Avant toutes choses, Nous rendons grâces à Dieu le Père et à Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui, en nos jours, a trouvé un David, le fils de Geysa, un homme selon son cœur, et qui l'ayant éclairé de la lumière céleste, l'a suscité pour paître son peuple d'Israël, la nation choisie des Hongrois. Ensuite Nous louons votre piété envers Dieu et votre respect envers la Chaire apostolique, à laquelle, par la miséricorde divine, Nous présidons sans aucun mérite de Notre part. C'est pourquoi, glorieux fils, tout ce que vous Nous avez demandé, à Nous et au Siège apostolique : le diadème, le nom de roi et les évêchés, de l'autorité du Dieu tout-puissant, ainsi que des bienheureux apôtres Pierre et Paul, Dieu Nous en ayant averti et Nous l'ayant ordonné, Nous vous l'accordons de grand cœur avec la bénédiction des Apôtres et la Nôtre. Nous recevons la nation des Hongrois sous la protection de la Sainte Eglise Romaine.

Page 13: 1 Septembre I

Lorsque l'évêque Astric fut de retour en Hongrie, les prélats, les seigneurs, le clergé et le peuple s'assemblèrent, et le duc Étienne fut reconnu roi, sacré et couronné solennellement en l'an 1000. Le prince fit ensuite couronner reine Gisèle, sa femme, sœur de l'empereur d'Allemagne saint Henri.

Libéralité de saint Étienne pour les églises. – Les fondations.

Nous avons vu que le Pape Sylvestre II l'avait autorisé à fonder de nouveaux évêchés. Étienne usa avec un tact judicieux et tout apostolique de ce pouvoir extraordinaire. Bientôt la Hongrie allait compter dix évêchés autour de l'archevêché d'Esztergom. Chaque diocèse était doté royalement des revenus nécessaires ; non seulement les cathédrales, mais encore les plus pauvres églises, étaient pourvues de vases sacrés, de vêtements liturgiques et des ressources suffisantes pour entretenir le clergé.

Mais le zèle du saint roi ne se renfermait pas dans son royaume. Il fonda un monastère à Jérusalem et lui donna des revenus suffisants en terres et en vignes ; à Rome une Collégiale de douze chanoines et des maisons d'hospitalité pour les Hongrois qui allaient en pèlerinage au tombeau des saints Apôtres ; enfin il bâtit une très belle église à Constantinople. Comprenant l'importance énorme de l'éducation et de la culture intellectuelle dans la vie d'un peuple, Étienne prit les éducateurs là où ils étaient à cette époque : dans les couvents.

Tous les religieux qui offraient des garanties de vie chrétienne et studieuse étaient reçus avec joie dans le royaume. Non seulement liberté leur était laissée d'exercer leur ministère, mais le roi lui-même bâtissait les couvents et les dotait de tous les revenus nécessaires. Il fonda ainsi, en 998, le couvent de Pécsvar, destiné aux Bénédictins, et plus tard, la célèbre abbaye de Pannonhalma.

Sa dévotion envers la Sainte Vierge.

Toute sa vie, Étienne eut une très grande dévotion envers la Mère de Dieu. Par un vœu particulier, il mit sous la protection de la Vierge sa personne et son royaume, qu'il appela « la famille de sainte Marie ». Les Hongrois, en parlant de la divine Mère, ne lui donnaient point le nom de Marie, ni aucun autre : tel était leur respect pour elle qu'ils disaient seulement « la Dame » ou « Notre-Dame » ; à ce nom seul, ils inclinaient la tête et fléchissaient le genou.

Le saint roi fit bâtir une église magnifique, à Székes-Fehérvàr, en l'honneur de sa glorieuse patronne. Il l'orna de peintures et de sculptures et y fit placer plusieurs autels enrichis de pierreries.

Page 14: 1 Septembre I

Saint Etienne et les pauvres. – Son caractère.

Mais rien n'égalait la charité que le saint roi exerçait à l'égard des malheureux, des veuves et des orphelins. Très souvent, il faisait faire des aumônes générales dans tout le royaume, principalement lorsqu'il voulait obtenir de Dieu le succès d'une affaire importante. Il pourvut, avec une libéralité et une sagesse qui ont peu d'exemples, à la subsistance des familles dans le besoin, et cela avec tant d'ordre et tant de succès que, sous son règne, la Hongrie semblait n'avoir point de pauvres.

Un jour, voulant lui-même faire l'aumône, il se déguisa pour n'être pas reconnu. Les premiers mendiants qu'il trouva, hommes encore violents et barbares, n'eurent pas plutôt vu la bourse remplie d'argent qu'il allait distribuer, qu'ils se jetèrent brutalement sur lui, l'étendirent à terre, le meurtrirent de coups, lui arrachant les cheveux et la barbe, et s'enfuirent après lui avoir enlevé des mains la bourse qu'il tenait.

Le roi se laissa outrager sans proférer une seule parole et sans faire entendre une seule plainte. I1 se releva tout couvert de boue et de sang, et s'adressant à la Sainte Vierge, sa chère et douce Mère, la prit doucement à témoin de cet affront, exprimant sa reconnaissance envers ceux qui le lui avaient infligé.

Etienne se vengea comme savent se venger les Saints, il promit de ne jamais refuser l'aumône à aucun pauvre et d'augmenter ses largesses. On aurait tort de croire d'après ce trait à un excès de faiblesse. Au contraire, le prince avait un caractère admirablement équilibré. Sa bonté, son inépuisable générosité ne dégénéraient jamais en faiblesse. A un peuple neuf, à peine fixé, il fallait faire comprendre la nécessité de l'ordre et du respect des lois. Sa justice était quelque fois sévère. Une soixantaine de Petchénèques qui s'étaient réfugiés en Hongrie après la mort de leur chef Kean, furent assaillis et dépouillés par les cavaliers magyars. L'affaire fut portée devant le roi. Après une instruction soigneuse de la cause, les cavaliers furent condamnés à mort et exécutés.

Saint Etienne triomphe de l'empereur Conrad II.

L'empereur saint Henri, beau-frère et intime ami d'Etienne, venait de mourir. Son successeur, Conrad, envoya une puissante armée en Hongrie pour s'emparer des Etats du roi Etienne. Celui-ci mit aussitôt toutes ses troupes sur pied ; mais comme il savait que, sans l'intervention du secours divin, les plus grandes armées ne sont que faiblesse, il s'adressa à la Reine du ciel, pour obtenir ce secours par son intercession.

Sa prière achevée, il se mit généreusement à la tête de son armée.Conrad s'était fait un allié de Bracislav, duc de Moravie. Ce dernier envahit la

Hongrie par le Nord, en suivant la vallée de la Vag. Mais le propre père du chef morave, ami du roi Etienne, envahit le duché pour détourner Bracislav de son projet. Le duc fut contraint de renoncer à pénétrer plus avant en Hongrie. Pendant ce temps, l'armée impériale avançait. Etienne la laissa pénétrer sur son territoire sans livrer bataille. I1 connaissait son terrain. L'armée ennemie s'embarrassa dans d'immenses territoires, presque déserts et couverts de marais.

Page 15: 1 Septembre I

Les fièvres de toute sorte et le manque de vivres la dissocièrent sans que les troupes hongroises eussent besoin d'intervenir. Le cynique et rapace empereur d'Allemagne s'enfuit honteusement, laissant la cavalerie hongroise décimer les restes de sa malheureuse armée. Un traité de paix avantageux pour la Hongrie termina cette guerre. En 1002, son oncle Gyula, duc de Transylvanie, ayant attaqué la Hongrie plusieurs fois, Etienne marcha contre lui, le fit prisonnier avec sa famille, et joignit ses Etats à la monarchie hongroise. Il vainquit de même Kean, duc des Petchénèques, et repoussa avec le même succès les Besses, peuple voisin de la Bulgarie.

Epreuves de saint Etienne.

Dieu éprouva la vertu de son serviteur par de grandes afflictions. II fut tourmenté d'une maladie aigüe qui dura trois ans. Ensuite, il se vit enlever par la mort plusieurs de ses enfants ; mais il s'en consolait par les grandes espérances que lui donnait le seul qui lui restait, nommé Imre ou Emeric, né en 1007 à Székes-Fehérvàr. Etienne le fit élever avec soin, lui donna pour précepteur saint Gérard, abbé du couvent de Saint-Georges de Venise, plus tard évêque de Csanad et martyr, et composa pour son instruction un admirable traité de politique et de législation chrétiennes, connu sous le titre de Admonitiones ou Monita (avertissements pour le duc Emeric, véritable testament d'Etienne en dix courts chapitres, et destiné non seulement à son fils, mais aussi à ses successeurs.

Le jeune prince profita si bien de la bonne éducation qu'il avait reçue qu'il parvint à une haute piété. Il promit à Dieu de garder la virginité ; mais il tint cette résolution très secrète, et lorsque par obéissance il eut accepté de contracter mariage avec la fille du roi de Pologne Mecislav II, les deux époux se montrèrent à ce point de vue parfaitement dignes l'un de l'autre.

Déjà Emeric commençait à porter une partie du poids du gouvernement, lorsque Etienne le vit mourir sans postérité (1031). Tout le royaume fut consterné en apprenant la douloureuse nouvelle, mais rien ne put ébranler la constance du saint roi. Emeric fut enterré à Székes-Fehérvàr, et il se fit plusieurs miracles à son tombeau. L'Eglise l'honore au nombre de ses Saints, le 4 novembre.

Quarante années de travaux avaient épuisé les forces d'Étienne. Dans son fils Emeric, il avait perdu son héritier naturel. Il voulut installer son successeur ; son choix s'arrêta sur son neveu Pierre, fils de sa sœur.

Sa mort. – Ses reliques et son culte.

Une fièvre lente le saisit ; elle l'affaiblit tellement qu'il ne pouvait plus se soutenir. Quatre courtisans profitèrent de cette circonstance pour attenter à ses jours. L'exactitude avec laquelle il faisait observer la justice, sans acception de personnes, les avait poussés à cette action honteuse. L'un d'entre eux , tenant son épée nue sous son manteau, entra pendant la nuit dans la chambre du roi pour exécuter son malheureux

Page 16: 1 Septembre I

dessein. Mais Dieu veillait sur son fidèle serviteur. Le courtisan laissa par mégarde tomber son épée, ce qui réveilla Etienne. Celui-ci n'eut pas de peine à deviner l'attentat qui se préparait. Et comme le misérable était tombé à ses pieds et lui demandait pardon, le roi lui fit grâce. Mais ce lâche attentat l'avait profondément affecté. Il com-prit que sa fin était proche, bien qu'il atteignît tout juste la soixantaine. Il fit appeler les évêques et les seigneurs de sa cour, et leur recommanda de conserver toujours la religion catholique.

Il reçut avec une grande ferveur le sacrement de l'Extrême-Onction et le saint Viatique, et son âme s'envola vers le ciel. C'était en l'année 1038, le jour de l'Assomption de la Sainte Vierge. On l'enterra auprès de son fils Emeric, dans l'église de Székes-Fehérvàr, où sa sainteté fut attestée par de nombreux miracles.

Le cardinal Lambertini (plus tard Pape sous le nom de Benoît XIV), dans son Traité des béatifications et canonisations, rapporte que quarante-cinq ans après la mort d'Etienne, c'est-à-dire en 1083, le roi de Hongrie saint Ladislas demanda au Pape – c'était alors saint Grégoire VII –  la permission « d'élever les corps » des personnages qui avaient converti la Pannonie, c'est-à-dire la permission de les honorer d'un culte public. Nous n'avons pas le document de cette concession, mais elle dut revêtir une forme solennelle équivalant non seulement à une béatification, mais même à une ca-nonisation, car un légat pontifical fut envoyé en Hongrie à cette occasion.

Le 20 août 1683 on procéda à l'ouverture du sarcophage ; les précieux restes du roi furent recueillis dans une fine batiste et enfermés dans un vase d'argent qui fut déposé sur l'autel de la Vierge. La main droite, préservée de toute décomposition, fut déposée dans un reliquaire spécial et confiée à la garde de religieux pour lesquels le pieux roi Stanislas fonda un couvent qui prit le nom de « Sainte-Droite ».

(E. Horn.)

Sur les instances de l'empereur Ferdinand, Urbain VIII, en 1631, fit inscrire au Martyrologe la commémoraison de saint Etienne 1er. Le Pape Innocent IX, le 28 novembre 1686, à la demande de l'empereur Léopold, roi de Hongrie, ordonna que la fête fût célébrée désormais le 2 septembre par l'Eglise universelle sous le rite semi-double. Le texte de l'office fut approuvé par un nouveau décret, le 19 avril 1687.

Saint Etienne est mort le 15 août, ainsi qu'on l'a vu, et son nom était inscrit au Martyrologe au 20 du même mois, qui correspond à la date de l'élévation de ses restes. Quant à celle du 2 septembre, elle a été choisie en souvenir d'une grande victoire remportée ce jour-là par l'empereur Léopold sur les Turcs qui assiégeaient Buda.

M.G.

Sources consultées. – Acta Sanctorum, t. 1er de septembre (Paris et Rome, 1868). – E. Horn, Saint Etienne, roi apostolique de Hongrie (Collection « Les Saints », Paris, 1907). – Mgr Albert Battandier, Annuaire pontifical catholique pour 1907 (Paris). – (V.S.B.P., n° 291.)

Page 17: 1 Septembre I

SAINT MANSUYPremier évêque de Toul ( Ier ou IVe siècle)

Fête le 3 septembre.

Saint Mansuy ou Mansuet (Mansuetus), l'apôtre du pays toulois, et qu'il ne faut pas confondre avec l'évêque saint Mansuet de Trèves, est honoré depuis des siècles, dans tout l'est de la France et jusqu'au Canada, comme l'un des évangélisateurs des Gaules et le premier évêque de Toul, capitale du pays des Leukes ou Leuquois. Ce glorieux évêque missionnaire eut une existence bien remplie. On lui attribue de nombreux miracles durant un épiscopat de plus de quarante ans à Toul, qui ne fut atteint par aucun de ses successeurs, un seul excepté, saint Gauzelin (922-962)

Controverse historique. – Sources de la vie de saint Mansuy.

Le Martyrologe romain au 3 septembre dit simplement ceci : « A Toul, dans les Gaules, saint Mansuy, évêque et confesseur. »

A quelle époque ? Ier, IIe ou IIIe siècle ? Nous ne voulons pas entrer ici dans les controverses qui se sont élevées, surtout depuis trois cents ans, entre divers historiens, au sujet de la date de l'apostolat de saint Mansuy au pays des Leukes. Deux thèses principales sont en présence, tenant respectivement pour le Ie et le IIIe siècles. Les uns – et il n'y pas de raisons péremptoires pour infirmer leur témoignage traditionnel – ont soutenu que saint Mansuy avait été envoyé par saint Pierre lui-même dans la Gaule- Belgique, avec les saints Materne, Euchaire et Valère de Trèves, Clément de Metz et les autres Pères apostoliques des Gaules ; les autres, par suite surtout des lacunes considérables des premiers siècles dans les listes épiscopales, affirment, mais sans preuves certaines, que saint Mansuy ne serait venu évangéliser le pays des Leukes qu'au III ou même au IVe siècle. Cette dernière thèse est celle des Bénédictins et des historiographes religieux les plus récents. Quant aux sources, voici ce que dit Dom Calmet, dans sa grande Histoire de Lorraine :

«  Nous avons deux Vies de saint Mansuy, qui se trouvent dans un manuscrit de l'Abbaye bénédictine de Saint-Mansuy, au faubourg de Toul. Ce manuscrit est de

Page 18: 1 Septembre I

l'onzième siècle. »La première sert en quelque sorte de préface à la Vie des Evêques de Toul ; la

seconde est une pièce bien plus étendue, composée par Adson ou Asson, abbé du monastère bénédictin de Montier-en-Der, qui la dédia à saint Gérard, évêque de Toul, mort en 994.

L'une d'elles porte que Mansuy, ainsi qu'Adson l'a appris par le rapport des anciens, était né d'une famille noble d'Ecosse (d'autres auteurs disent scot d'Irlande) ; qu'ayant été exilé de son pays, il se rendit à Rome et y embrassa la foi chrétienne en entendant la prédication de l'apôtre saint Pierre ; que ce vénérable apôtre de Jésus-Christ, après lui avoir donné la consécration épiscopale, l'envoya dans les Gaules avec plusieurs autres Saints.

Mansuy vint dans la ville de Toul, qui était alors considérable par son commerce, ses richesses, le grand nombre de ses habitants et ses fortifications. Elle avait un « roi »  – l'auteur aurait dû dire un gouverneur – nommé Léon, homme barbare et idolâtre. Mansuy prêcha dans la ville et aux environs et se bâtit une humble demeure couverte de feuillages près des murs de la cité, vers le nord, et là il instruisait dans la foi chrétienne tous ceux qui venaient le visiter. Les domestiques du gouverneur ayant raconté à leur maîtresse ce qu'ils savaient de l'étranger, celle-ci voulut le voir et s'entretenir avec lui. Mansuy lui annonça Jésus-Christ et la convertit ; elle aurait dès lors reçu le baptême si elle n'eût été arrêtée par la crainte de son mari. Plein d'humilité et de confiance en Dieu, le missionnaire ne se découragea pas ; il se réfugiait souvent dans sa petite cabane, et il y passait de longues heures, des jours et des nuits, dans la méditation, la prière et la pénitence.

C'est là qu'il renouvelait la ferveur de son âme et qu'il se consolait avec Dieu ; c'est là qu'il livrait à Satan une guerre redoutable et se préparait pour de nouveaux combats.

L'enfant ressuscité.

Un jour de grande fête, tout le peuple de Toul se livrait aux réjouissances, lorsque le fils unique du gouverneur, en jouant sur les remparts, tomba dans la rivière dont les eaux, très profondes à cet endroit, baignaient les murailles de la ville.

Le malheureux père accourut, poussant des cris de désespoir, appelant ses faux dieux à son secours et au secours de son enfant. Mais ce fut en vain. On essaya inutilement de sauver le noyé ; on ne put même pas retrouver son corps. La journée, commencée dans les plaisirs et les cris de joie, s'acheva dans la désolation. La nuit suivante, la femme du gouverneur, après avoir pleuré longtemps la perte de son fils, s'endormit enfin, vaincue par la fatigue, le sommeil et la douleur. Elle vit en songe Mansuy, le prédicateur de la religion des chrétiens, si souvent méprisé à Toul ; majestueux et divin, l'évêque lui promit, au nom du seul vrai Dieu, de lui rendre son fils, si elle voulait croire à ce Dieu vivant et véritable. A son réveil, la pauvre mère courut raconter à son mari le songe qui avait fait briller dans son cœur comme une aurore d'espérance. Le gouverneur envoya chercher Mansuy. L'apôtre arriva. « Ah ! s'écria le père, si vous pouviez, par la puissance de votre Dieu me ramener au moins le corps de mon fils pour que je l'embrasse une dernière fois et que je l'ensevelisse avec

Page 19: 1 Septembre I

honneur, je vous promets de recevoir le baptême que vous prêchez. »Suivi du magistrat, Mansuy se rend au bord de l'eau, près de l'endroit où l'enfant

était tombé. Il s'agenouille sur la rive et supplie Jésus-Christ de manifester sa puissance. Bientôt le corps de l'enfant remonte et vient flotter à la surface. On l'amène sans effort sur la rive et on le dépose aux pieds du gouverneur :

- Voici le corps de votre fils, dit l'évêque en se relevant ; mais si vous êtes sincère à tenir la promesse que vous m'avez faite, la clémence de mon Dieu vous accordera un bienfait encore plus grand.

- Si mon pauvre enfant revient à la vie, reprend le gouverneur d'une voix entrecoupée de larmes, je jure de renoncer à mes dieux et d'embrasser la religion chrétienne !

L'évêque s'agenouille de nouveau ; quelques chrétiens, ses premières et rares conquêtes dans cette ville, s'unissent à lui pour prier. Tout à coup, le petit cadavre s'agite et recommence à respirer. Mansuy lui ordonne de se lever ; l'enfant se lève, et le serviteur du Christ le rend plein de vie à son père. Pendant que celui-ci le couvre de baisers, le peuple, accouru à ce spectacle, éclate en cris de joie et de reconnaissance, acclamant le Dieu des chrétiens, seul vrai, seul puissant, seul maître de la vie et de la mort. Le gouverneur tint parole. Il se fit instruire de la religion chrétienne et reçut le baptême avec toute sa famille. Une grande partie de la population de Toul imita son exemple.

Accroissement du nombre des chrétiens

Peu à peu, par les prédications du saint missionnaire et le zèle des nouveaux convertis, le paganisme disparut de la ville. Deux églises furent construites ; Mansuy dédia la première à la Sainte Vierge et à saint Etienne, protomartyr ; et la seconde, située près de sa demeure, à saint Pierre. En même temps, il travaillait à étendre le christianisme dans les villes et les villages des environs.

Il ordonna des prêtres et des diacres pour le seconder dans le saint ministère. Les conversions se multiplièrent. Des églises furent bâties en diverses localités ; les nouveaux fidèles s'y réunissaient pour recevoir les sacrements et rendre à la majesté du vrai Dieu les honneurs qui lui sont dus. On assure aussi que Mansuy dédia encore une autre église, située au coté méridional de la première, à Saint-Jean-Baptiste, et qu'elle fut surnommée Saint-Jean-aux-Fonts, parce que c'était apparemment l'ancien baptistère.

Dom Calmet ajoute ceci : « Ayant appris la mort et le martyre de saint Pierre, son maître, Mansuy, éleva au même endroit (abbaye Saint-Mansuy) une église plus magnifique, où il déposa le gage qu'il avait reçu en partant de Rome. »

L'auteur ne dit pas quel était ce gage ; mais, dans la vie de saint Gauzelin, il est dit que c'était « le bâton de saint Pierre » dont saint Gauzelin fit présent à Théodoric, évêque de Metz, en reconnaissance de ce que celui-ci lui avait cédé la place où était

Page 20: 1 Septembre I

située l'abbaye de Bouxières-aux-Dames, près de Nancy.Cette mention du « bâton de saint Pierre » est embarrassante pour les hagiographes

qui placent saint Mansuy au IVe siècle ; ils interprètent les termes : « envoyé par saint Pierre, bâton de saint Pierre » de la manière suivante : « envoyé et donné par le Pape, successeur de saint Pierre », le Pape donnant alors le bâton pastoral ou la crosse à tout évêque missionnaire, comme il donne souvent aujourd'hui une croix pectorale à un nouvel évêque.

Mort de saint Mansuy. – Son tombeau.

Mansuy mourut à Toul, dans son ermitage, après avoir multiplié les groupes de chrétiens et les lieux de prière durant son épiscopat de quarante ans. On a toujours fixé sa mort au 3 septembre. Les restes mortels de l'apôtre des Leukes furent déposés dans l'église Saint-Pierre qu'il avait élevée et qui devint par la suite l'église de l'abbaye bénédictine de Saint-Mansuy.

Le tombeau du Saint fut célèbre, à travers les âges, à Toul et dans l'immense diocèse. On déposa autour de lui des corps de plusieurs de ses successeurs, tous honorés comme Saints. Plus tard, au XVIe siècle, l'évêque Hugues des Hazards fit élever sur cette tombe une stèle magnifique avec l'effigie de son premier prédécesseur plus grande que nature. Ce tombeau existe encore, dominant l'ancien sarcophage appelé « le tombeau de saint Mansuy ». On a bâti au-dessus, à la fin du XIXe siècle, une chapelle qui sert de centre du culte pour les habitants du faubourg Saint-Mansuy.

Quelques miracles du saint évêque.

De nombreux miracles vinrent au cours des siècles, glorifier l'influence auprès de Dieu du thaumaturge toulois. Le grand saint Martin de Tours, se rendant à la cour

impériale à Trèves, passa par Toul en allant et en revenant, et vint prier sur le tombeau de saint Mansuy, obtenant plusieurs prodiges. Plus tard, saint Gérard, l'un des

principaux évêques de Toul, atteint d'une maladie grave, recouvra la santé en priant son vénéré prédécesseur. Le pieux abbé de Montier-en-Der, Adson, puis d'autres

chroniqueurs des XIe et XIIe siècles ont enregistré les principaux faits merveilleux opérés par l'intercession de saint Mansuy. Nous en citerons quelques-uns. C'est une

femme aveugle depuis sept ans, habitant une métairie de Walon, au comté de Toul, et qui recouvra la vue sur le tombeau de l’apôtre, la veille de sa fête. Un enfant, emporté par la colère, refusa insolemment obéissance à sa mère et l’accabla d’injures. Sur-le champ sa langue s’enfla, en lui causant d’affreuses douleurs, et tout son visage fut

bientôt endolori au point de lui arracher des larmes.

Page 21: 1 Septembre I

Saint Mansuy ressuscite et rend à son père le filsdu gouverneur de Toul.

Il promit à Dieu, s'il recouvrait la santé, de se vouer au service de l'église et du monastère de Saint-Mansuy. Il vint donc s'offrir à l'autel ; et au moment où, suivant le cérémonial de ces sortes de consécrations, on étendait sur sa tête le bord de la nappe de l'autel, du sang corrompu s'échappa de sa langue et il fut guéri.

Un homme, nommé Bruno, était affligé d'une triple infirmité ; il était bègue, boitait de la jambe gauche et avait la main droite desséchée ; il fut délivré de tous ces maux en priant dans l'église de Saint-Mansuy, au tombeau du vénéré pontife.

L'abbé du monastère de Saint-Mansuy fit consigner encore dans les archives le fait suivant, plus extraordinaire encore. C'était le 3 septembre, jour de la fête du Saint ; pendant que les habitants de la contrée se rendaient joyeux aux églises pour honorer leur glorieux patron, une pauvre mère, du village de Rogéville, pleurait à côté du berceau où son enfant venait d'expirer. En songeant au puissant protecteur que la contrée invoquait en ce jour, elle le supplia, avec une foi égale à sa douleur, de lui rendre son fils. Alors le petit cadavre, déjà tout glacé et raidi par la mort, s'agita. L'enfant ouvrit les yeux et sourit à sa mère. La pieuse femme le prit entre ses bras, le couvrit de baisers et l'habilla. La joie lui donnant des forces, elle franchit les quelques lieues qui séparent Rogéville de Toul, et alla présenter son fils ressuscité à l'église Saint-Mansuy.

On raconte aussi qu'une année, le jour chômé de la Saint-Mansuy, des paysans du Barrois, conduisant des chariots chargés de sel, traversaient le bourg de Gondreville, près de Toul. Les habitants les avertirent de respecter le repos de ce jour consacré à un

Page 22: 1 Septembre I

si grand Saint. Les charretiers s'en moquèrent ; mais leur insolence dura peu, car ils faillirent se noyer avec leurs bêtes de somme et leurs marchandises en voulant traverser à gué la Moselle. Dans ce pressant danger, ils invoquèrent avec repentir saint Mansuy, promettant de respecter désormais sa fête. Aussitôt leurs bêtes devinrent dociles et ils purent sortir promptement de ce mauvais passage,

Sindebard, comte de Toul, souffrait affreusement d'une main, et les médecins ne voyaient plus d'autre remède au mal que l'amputation. Dans cette extrémité, le comte invoque avec ferveur le saint patron de la cité, et sa main, déjà toute desséchée, est aussitôt parfaitement guérie. Les archives de l'abbaye contenaient encore les récits d'autres miracles ; ceux que nous venons de citer suffisent à montrer la puissance de cet intercesseur auprès de Dieu.

Translation des reliques de saint Mansuy.

Dès l'année 1104, l'évêque de Toul, Pibon, fit la première translation des reliques de l'apôtre des Leukes le 14 juin, en présence du duc de Lorraine ; on transporta les reliques dans une prairie, que l'on appelle encore de nos jours le pré Saint-Mansuy ; c'est là que se tenaient jadis les foires annuelles du Saint-Clou, en avril, et de la Saint-Mansuy, en septembre ; puis la châsse fut rapportée à l'église et placée en un lieu élevé.

En 1441, sous l'épiscopat de Louis de Haraucourt, et par les soins de son suffragant, Henri de Vaucouleurs, eut lieu une nouvelle translation des reliques. Elles furent « reconnues » en 1500 par Hugues des Hazards qui sépara le chef du reste du corps, pour le déposer dans une chasse très précieuse en argent et ayant la forme d'un buste. En 1629, ce buste fut concédé à la cathédrale de Toul et mis en très grand honneur.

C'est aussi le lieu de rappeler la fameuse procession, dite « du Gouverneur » : le jour de l'Ascension, les Bénédictins portaient solennellement en procession le corps du Saint à travers la ville, d'accord avec les magistrats. Pendant la cérémonie, un de ceux-ci était retenu au monastère comme otage. Le corps du saint évêque resta dans sa châsse à l'abbaye hors les murs jusqu'à la Révolution.

L'abbaye ayant été supprimée, l'évêque constitutionnel de la Meurthe, du nom de Lalande, transféra, le 6 août 1792, toutes les reliques de saint Mansuy à la cathédrale de Toul. Beaucoup furent perdues ou détruites à cette époque si néfaste ; d'autres furent dispersées en plusieurs églises du diocèse, où elles sont encore vénérées aujourd'hui, comme, par exemple, au trésor de la basilique de Saint-Nicolas de Port, des reliques provenant de l'abbaye de Bouxières-aux-Dames.

A Toul, le chef de saint Mansuy est conservé avec honneur dans une châsse magnifique, sur le premier autel, à droite en entrant à la cathédrale, à côté de ceux de saint Gérard et de sainte Aprône, sœur de l'évêque saint Epvre ou Evre (Aper),

Nous avons dit que le tombeau de l'évêque, avec sa haute dalle effigiée, existe toujours dans les vestiges de l'importante abbaye de Saint-Mansuy.

Page 23: 1 Septembre I

Suppression du diocèse de Toul. – Culte de saint Mansuy.

Le peuple des Leukes, la gens optima de Jules César, avec Toul pour ville principale, était encadré par les Verodunois et les Médiomatriks, qui ont laissé leur nom à Verdun et à Metz. Les chrétientés de ces trois diocèses, Toul, Metz et Verdun, fondées par saint Mansuy, saint Clément et saint Saintin furent longtemps célèbres dans l'histoire sous le nom « des Trois-Évêchés » ; réunis pour le temporel à la couronne de France, sous le roi Henri II, ils laissèrent le duché de Lorraine sans évêché, avec une simple Primatiale d'honneur à Nancy jusqu'à la veille de la Révolution (1777 ). Dix-neuf des successeurs de saint Mansuy sont honorés comme Saints, dont neuf d'un culte public reconnu par Rome : ce sont les saints Amon, Alchas, Auspice, Epvre, Bodon, Jacob, Gauzelin et Brunon de Dabo (le Pape saint Léon IX), Le dernier évêque de Toul mourut en 1801.

L'évêque de Nancy porte aussi le titre d'évêque de Toul, qui fut rétabli par Léon XII le 29 février 1824. En 1919, Mgr Ruch, au moment de quitter le siège épiscopal de Nancy pour celui de Strasbourg, voulut officier pontificalement dans sa seconde cathé-drale, celle de Toul. Une cérémonie de ce genre n'avait pas eu lieu depuis fort longtemps.

Un indult de la Congrégation des Rites, en date du 27 août 1919 et valable pour dix ans, fixait pour tout le diocèse la solennité de saint Mansuy au dimanche qui suit le 3 septembre, sauf en cas d'occurrence d'une fête double de première classe.

A Nancy même, une belle église paroissiale a été bâtie, en l'année 1880, en l’honneur de l'apôtre du Toulois.

Maxime Viallet.

Sources consultées. - Les diverses Histoires de Lorraine, notamment Dom Calmet et Benoît Picard. – Adson, moine de Montier-en-Der, Vie de saint Mansuy. – Abbés Guillaume et Eugène Martin, Histoires des diocèses de Toul, Nancy, Saint-Dié. – Abbé Lhôte, Vies des Saints du diocèse de Saint-Dié. – Abbé Guillaume, Mémoire sur l'apostolat de saint Mansuy à Toul et dans le pays leuquois (1862) ; L'abbaye de Saint-Mansuy à Toul. – Abbé Vanson, La crypte de Saint-Mansuy, notice historique et archéologique. – (V.S.B.P., n° 6o8.)

Page 24: 1 Septembre I

………….

PAROLES DES SAINTS________

Comment il faut user du monde.

Use de ce monde, mais qu'il ne te captive pas ; tu suis le chemin par lequel tu es entré ; tu es venu pour sortir, non pour demeurer.

Use des richesses comme dans l'auberge, le voyageur use de la table, du verre, de la cruche, du lit ; tu dois les laisser, tu ne dois pas demeurer.

Use du monde comme n'en usant pas ; sache que c'est une voie où tu dois avancer. Tu te réconfortes, tu es étranger ; ranime-toi et passe ; tu n'emportes pas avec toi ce que tu trouves dans l'hôtellerie. Un autre voyageur viendra, s'en servira, mais ne l'emportera pas.

Saint Augustin.

La vanité.

La vanité au dehors est la marque la plus évidente de la pauvreté au dedans. Saint Jean Chrysostome.

Vanité des choses d'ici-bas.

Disons-le-nous souvent ; tout passe. Donc, il ne nous importe guère que nous ayons ici-bas des peines ou des joies, pourvu qu'à tout jamais nous soyons bienheureux et qu'après le peu de jours qui nous restent de cette vie mortelle, vienne la sainte éternité, puisque Dieu ne la promet qu'à ceux qui auront bien usé de son temps.

Saint François de Sales.

Utilité de la communion.

La communion fait à l'âme comme un coup de soufflet à un feu qui commence à s'éteindre…Nous devons travailler à mériter de recevoir l'Eucharistie tous les jours.

Saint Jean-Marie Vianney, Curé d’Ars.

Page 25: 1 Septembre I

SAINTE ROSALIE DE PALERMEVierge et solitaire (1130 ?-1160),

Fête le 4 septembre.

Le nom composé de Rosalie, « rose et lis », évoque deux fleurs dont l'éclat et le parfum semblent se confondre dans la jeune Sainte qui est la gloire de Palerme. Elle sut encore y joindre la grâce de la violette, c'est-à-dire l'humilité. Dieu garda pour lui seul, pendant les courtes années de la vie de cette fleur, la bonne odeur qu'elle ne devait répandre que longtemps après sa mort.

Sa famille. – Vocation.

Rosalie vint au monde vers l'an 1130, au palais de Roger II, roi de Sicile ; son père, Sinibald, comte des Marses et descendant de Charlemagne, avait été attiré à la cour de Roger, qui lui avait fait épouser une de ses proches parentes. Ce fut donc au milieu des grandeurs terrestres que l'enfant fut élevée ; mais les immenses richesses de sa famille, loin de captiver son cœur, lui inspirèrent de bonne heure un immense dédain. Elle avait à peine atteint sa quatorzième année, et déjà ses compagnes enviaient sa beauté ; chacun lui présageait l'avenir le plus brillant. Mais Rosalie était une âme que Jésus avait prévenue de trop de grâces pour la laisser dans un monde indigne de la posséder. De son côté, la Vierge Marie veillait sur ce lis. La Reine du ciel lui apparut une nuit et lui conseilla de fuir même la maison paternelle et de se laisser conduire par les messagers qu'elle enverrait.

Fuite dans la solitude. – Vie extraordinaire.

C'est ici que commence une vie admirable, dont les charmes et la douceur ne peuvent être appréciés par le commun des hommes et même des chrétiens : encore une de ces paroles dont Notre-Seigneur déclare que « tous ne peuvent les comprendre ». Mettant au-dessus de toutes les espérances mondaines, au-dessus des sentiments les plus doux de la nature, ceux que la grâce lui inspire, Rosalie trouve le courage de quitter ses parents, et, forte de sa seule confiance en Dieu, elle suit l'appel qu'elle a entendu. A la porte du palais, deux anges l'attendaient ; l'un est armé comme un chevalier et la précède, l'autre la suit sous l'habit de pèlerin. Les ténèbres de la nuit favorisent cette pieuse évasion, et la jeune fille, n'emportant que ses instruments de pénitence, un Crucifix et quelques livres, traverse la ville endormie et sort de Palerme, sous la garde des deux messagers de Marie.

Page 26: 1 Septembre I

Elle les suivit sur la montagne de Quisquina, distante de quelques lieues de Palerme, et là, dans une grotte ignorée, presque ensevelie sous les neiges qui couvrent fréquemment les sommets de la forêt, Rosalie passa quelques mois, n'ayant plus de relations qu'avec le ciel. Sa nourriture se composait de racines qu'elle rencontrait dans le voisinage de sa retraite.

Elle y vécut dans la seule compagnie des anges, avec lesquels elle entretenait un familier commerce. La prière était son unique occupation ; elle faisait ainsi sur la terre l'apprentissage de la vie des Bienheureux. Parfois, elle se délassait par quelque travail manuel, tel que le comportaient son dénuement ou ses modestes besoins. Elle grava sur le rocher une inscription que l'on y lit encore, et qui constate son séjour dans cette pauvre caverne :

Ego Rosalia, Sinibaldi Quisquine et Rosarum Domini filia, amore Domini mei Jesu Christi ini (in) hoc antro habitare decrevi. – Moi, Rosalie, fille de Sinibald, seigneur de Quisquina et de Rose, pour l'amour de mon Seigneur Jésus-Christ, j'ai résolu d'habiter cette caverne.

On y voit aussi une petite fontaine qu'elle creusa pour réunir les eaux qui filtraient à travers les parois de la grotte ; il y a encore un autel grossier et un long morceau de marbre sur lequel elle prenait son repas, un siège taillé dans le roc et une vigne fort ancienne qui, selon la tradition, fut plantée par la vierge solitaire.

Sa vie dans une autre grotte.

Cependant la famille désolée, faisait de continuelles recherches par toute la Sicile ; des récompenses étaient promises à celui qui découvrirait la retraite de la jeune disparue. Rosalie fut avertie par les anges qu'elle serait bientôt découverte si elle restait sur le mont Quisquina. Elle quitta donc cet asile sauvage et, sous la conduite de ses célestes guides, s'enfonça dans les sentiers d'une forêt voisine pour parvenir au mont Pellegrino.

Elle allait y trouver, dans la partie la plus élevée, une autre grotte presque inaccessible et plus sauvage encore que la première ; l'ouverture était à peine suffisante pour entrer ; on y voyait peu clair et le sol était si détrempé que Rosalie eut quelque difficulté à trouver un coin pour se reposer sans être dans la boue ; la voûte était très basse et l'obligeait à rester presque toujours courbée.

C'est dans cet affreux réduit que la solitaire passa les dernières années de sa vie. Sa nourriture consistait, comme à Quisquina, dans quelques racines et dans les glands recueillis par elle sous les chênes rabougris de ces sommets. Une autre nourriture faisait toutes ses délices ; souvent la sainte Eucharistie, dont elle eût été privée, lui était apportée par le ministère des anges.

Page 27: 1 Septembre I

Sa mort. – Sépulture dans un tombeau de cristal.

Rosalie mena pendant seize ans environ, cette vie surhumaine, et elle n'avait encore que trente années, quand Dieu lui fit entendre que ses aspirations vers le ciel allaient être satisfaites. Elle se coucha donc dans la sombre grotte qui allait devenir son tombeau ; elle appuya sa tête sur sa main droite, de la gauche elle tenait son Crucifix. Sur sa poitrine, elle plaça une petite croix d'argent, puis elle s'endormit dans le Seigneur, le 4 septembre 1160.

Si sa vie avait été extraordinaire, sa sépulture ne le fut pas moins, et Dieu réservait à sa servante un tombeau aussi nouveau que brillant. Le corps de Rosalie ne connut point la corruption, car l'eau du rocher, tombant en stalactites, le pétrifia en quelque sorte, et le recouvrit en peu de temps d'une couche calcaire transparente comme l'albâtre et aussi dure que le cristal. Toute riche qu'elle fût, sa famille eût-elle pu jamais fournir à cette vierge un plus magnifique tombeau ?

Cependant, de tous les côtés sa sainteté se révéla, tantôt par des apparitions, tantôt par des miracles ; le culte de Rosalie se répandit rapidement dans la Sicile, puis de l'Italie à travers toute l'Europe, et bientôt son nom devint très populaire.

Mais, en vain cherchait-on son tombeau. Les deux grottes qui avaient successivement abrité ses vertus, ces grottes aujourd'hui si célèbres et si visitées, furent fouillées à diverses reprises, sans révéler leur secret ; le bloc de calcaire enveloppant le corps fut enfoui dans les décombres retirés de la grotte soigneusement explorée. Dieu réservait la découverte de ce trésor à un autre temps, et la croyance se répandit peu à peu, parmi le peuple de Sicile, que le corps ne serait retrouvé que le jour où la ville de Palerme serait dans un pressant danger.

Découverte du tombeau.

Cinq siècles après la mort de Rosalie, un vieillard, cherchant lui aussi, avait entendu ces mots : « Le temps n'est pas venu ; il faut attendre que Palerme s'arrache les cheveux de désespoir. » A la même époque, en 1625, pendant les fêtes de la Pentecôte, un habitant de Palerme, nommé Amodéo, causait sur le mont Pellegrino avec les ermites qui étaient venus habiter dans les roches voisines, et déplorait l'inutilité de tous les travaux entrepris par eux-mêmes, après tant d'autres personnes, quand survint une femme de Trapani, du nom de Girolama del Gatto : « J'étais malade à l'hôpital de Palerme, et tout récemment, leur dit-elle, j'étais sur le point d'expirer, quand une jeune fille très belle parut près de mon lit : « Ne crains pas, me dit-elle doucement. Tu guériras si tu fais vœu d'aller en pèlerinage au mont Pellegrino et de visiter ma grotte. » J'y vins, ajouta cette femme ; et là, il m'a été dit par une voix mystérieuse : « C'est ici que mon corps est caché. Creuse, et je te donnerai les preuves d'une plus grande certitude ! »

Amodéo et les ermites écoutaient, incertains, le récit de cette femme ; ils la suivirent cependant dans la grotte où elle leur montra le lieu précis qui lui avait été

Page 28: 1 Septembre I

indiqué, ils se résolurent à tenter des fouilles nouvelles, qui furent fixées au 29 mai.Ce même jour, un navire venant d'Afrique, et infesté de la peste, abordait à

Trapani. Le fléau eut bientôt gagné toute la Sicile. A Palerme, les ravages furent épouvantables, malgré toutes les mesures que put prendre le vice-roi de Sicile, Philibert de Savoie. Le cardinal Jean Doria, archevêque de Palerme, était alors aux bains de Termini ; sitôt qu'il apprit la calamité dont souffrait son peuple, il revint, en bon pasteur, partager le péril et porter à tous les consolations.

Dans la grotte, les fouilles s'avançaient lentement, et ce ne fut qu'au bout de deux mois, le 15 juillet, que l'on découvrit enfin une pierre d'albâtre, longue de six palmes et large de deux. Quand on la remua, cette pierre se fendit, et quelle ne fut pas l'admiration de tous lorsqu'on s'aperçut qu'elle contenait des ossements humains et que de ces ossements s'échappait une suave odeur !

La nouvelle se répandit rapidement dans la ville de Palerme et dans le voisinage. L'archevêque et le Sénat envoyèrent le jour même des commissaires chargés de vérifier le récit. De son côté le peuple reprenait confiance : «  C'est par Rosalie, disait-on, que Dieu va nous sauver. » Cependant, la peste continuait ses ravages, et les morts se multiplièrent dans les mois de juillet, août et septembre. Le jour de la fête de la Sainte, 4 septembre, l'archevêque et le Sénat mirent la ville sous la protection de la Vierge Immaculée et de sainte Rosalie.

Le fléau dès lors commença à baisser ; mais il ne devait disparaître que le jour où une Commission de théologiens, de médecins et de savants, eut solennellement reconnu l'authenticité de ces précieux restes. Cet examen se prolongea jusqu'au mois de février de l'année suivante, et la peste sévissait toujours.

Reconnaissance authentique des restes.

Le cardinal Doria, avec cette sage lenteur que l'Eglise garde toujours dans les matières qui touchent à la foi, attendait que les décisions de la Commission fussent confirmées par quelque manifestation du ciel. Or, voici ce qui advint et fit cesser toute hésitation. Dans la ville de Trapani, un pauvre pestiféré, nommé Bonelli, avait mandé, pour l'assister à sa dernière heure, un prêtre du nom de Pierre del Monaco.

Après sa confession, le moribond lui raconta ce qui suit : « il y a peu de temps, le jour même du carnaval, j'eus la douleur de perdre mon épouse, à peine âgée de quinze ans, que la peste emporta en quelques heures. Mon chagrin fut très profond, et, pour me distraire, je résolus d'aller à la chasse. Sans aucun but arrêté, je me rendis au point du jour, sur le mont Pellegrino.

J'arrivais au point appelé Scala (l'Echelle), quand je vis distinctement une jeune fille sous l'habit d'un ermite : « Où vas-tu ? me dit-elle. » - Je vais à la chasse, lui répondis-je tout tremblant. - Viens avec moi, reprit l’inconnue, et je te ferai voir ma cellule de pèlerine. » Je gravis à sa suite le rocher, et elle me montra la grotte : « voici, dit-elle où reposait mon corps, que tant de chasseurs ont inutilement cherché. Mais retourne à Palerme, et je te ferai savoir en chemin de ce que tu dois faire… Ne me reconnais-tu pas ? me demanda-t-elle avec bonté. – Non, madame. – Je suis Rosalie. »

Page 29: 1 Septembre I

Sainte Rosalie, conduite par deux anges quitte la maison paternelle.

Mon trouble seul m'avait, jusque-là, empêché de la reconnaître. Je me jetai à genoux et j'osai lui dire : « 0 sainte Rosalie, comment laissez-vous périr votre malheureux pays ? Nous mourons par milliers, et moi-même j'ai perdu ma jeune épouse ! - Il faut se soumettre à la volonté de Dieu, et ce fléau en convertira plusieurs. On a trop discuté sur mon corps. Mais, quand on le portera en procession par la ville, on pourra chanter le Te Deum ; car, alors, le pays sera sauvé. Je te recommande d'aller trouver le cardinal ou de lui envoyer quelque fidèle messager. Quant à toi, confesse toi et communie ; car, en signe de la vérité de ma parole, voici que tu tomberas malade toi-même, et tu en mourras au bout de quatre jours ; et c'est ton confesseur qui sera chargé de faire savoir ce que je te dis. »

Don Pierre del Monaco, retenu au chevet des mourants, n'avait pu quitter Trapani, mais il envoya un de ses confrères, du nom de Vincent Setaiolo, vers le cardinal Doria, qui reçut cette révélation avec le plus grand intérêt. Sur-le-champ, l'archevêque députa deux prêtres auprès de Bonelli, qui vivait encore ; et celui-ci leur répéta son récit. I1 avait à peine achevé que la mort le réunissait à sa femme. Le cardinal se décida enfin à prendre une décision officielle, et le 22 février 1625, après avoir exposé les reliques de la Sainte à la vénération publique, il les fit porter en procession par les rues de Palerme et la peste cessa.

Page 30: 1 Septembre I

Culte et miracles.

La reconnaissance des habitants se traduisit sous toutes les formes ; une châsse d'argent fût offerte pour abriter les reliques ; une magnifique chapelle fût bâtie en l'honneur de la Sainte ; les deux grottes devinrent dès lors, et elles sont restées, le but de pèlerinages ; la pierre du rocher a disparu sous les ex-voto pour bienfaits reçus. Ce culte passa les monts et la renommée de sainte Rosalie s'étendit dans l'Europe entière. En 1628, Anne d'Autriche demanda et obtint une insigne relique. Vers le même temps, Clément de Bonzi, évêque de Béziers, reçut de Palerme, la mâchoire inférieure et la relique, apportée dans la ville, y fit cesser la peste.

Il en fut de même pour les villes de Thiers, en Auvergne, et de Moulins, dans le Bourbonnais. Le roi d'Espagne Philippe IV, en même temps roi de Sicile sous le nom dé Philippe III, se fit attribuer pour son peuple quelques ossements ; déjà auparavant, en 1653, l'archiduc Jean d'Autriche, pendant le siège de Barcelone que détenaient alors les Français, avait ressenti les effets de la protection de sainte Rosalie. En Belgique, la ville d'Anvers avait été délivrée de la peste ; et la Pologne avait eu la preuve du crédit dont Rosalie était investie auprès de Dieu.

Guérison du Fr. François de Castille.

En 1653, la guérison du Fr. François de Castille, novice de la Compagnie de Jésus, porta le culte de sainte Rosalie jusque dans « les Indes », comme on disait alors, c'est-à-dire en Amérique. Ce jeune homme, atteint d'une maladie de cœur, était réduit à une telle extrémité, que, sitôt après lui avoir administré les derniers sacrements, son supérieur songeait à son ensevelissement, car on le tenait pour mort. Mais, comme le moribond allait exhaler le dernier soupir, sainte Rosalie, accompagnée de quelques autres saints personnages, lui apparut et lui dit : « François, tu étais sur le point de mourir, mais j'ai obtenu pour toi la santé, si tu la veux, elle servira à la gloire de Dieu. Seulement, tu vas prononcer un vœu dans les termes que j'indiquerai. »

Et, docilement, François répéta les paroles qu'il entendit alors : « Je fais vœu d'être votre serviteur et de répandre votre louange et votre gloire dans le monde entier. »

« Tu iras, à pied à ma grotte, continua la Sainte, et tu y communieras - Mais, repartit le novice, quelle preuve donnerai-je de la vérité de cette apparition, à laquelle on ne croira pas ? Vous n'en serez pas glorifiée ! - Pendant que tu mourais, répondit la Sainte, le P. Grimoldi t'a administré l'Extrême-Onction, et quelques-uns des assistants, après t'avoir touché, ont dit qu'il n'y avait pas d'espérance de vie. Maintenant, te voilà guéri. » Et, se laissant baiser les pieds, elle disparut aux regards éblouis du jeune religieux, qui s'écria «  Je suis guéri ! ». Se levant aussitôt, il raconta ce qu'il venait de voir et d'entendre, et son confesseur en écrivit les détails sous sa dictée.

Le Fr. François reprit les exercices du noviciat ; puis, trois jours après, selon l'ordre qu'il avait reçu et malgré les grandes chaleurs du mois d'août, il fit à pied l'ascension du mont Pellegrino.

Page 31: 1 Septembre I

Ce miracle fit grand bruit dans toute l'Italie. Des médailles furent frappées pour en conserver le souvenir ; le récit, traduit dans toutes les langues de l'Europe, porta partout la renommée de la Sainte. L'Électeur de Bavière députa quelqu'un à Rome pour s’assurer de l'exactitude du prodige, que l'archevêque de Palerme avait reconnue après mûr examen. Le P. François de Castille, ordonné prêtre, se trouvait alors dans 1a Ville Eternelle, où il était venu demander la bénédiction du Pape Alexandre VII, avant de s'embarquer pour les Indes occidentales. I1 certifia de nouveau, par serment, la vérité des circonstances de sa guérison. Lorsqu'il passa par Lisbonne, il fut mandé par le roi de Portugal, qui désirait le voir. Touché du récit du miracle et confiant en la puissance d'une telle Sainte, le prince choisit sainte Rosalie pour la Patronne de son royaume.

Enfin, le P. François de Castille s'embarqua à Lisbonne au mois d'avril 1666. Don Jean de Nugno, comte de Saint-Vincent et vice-roi des Indes, se rendait alors dans son gouvernement ; il voulut avoir avec lui ce jeune missionnaire, pour qui il professait une singulière vénération. La traversée fut longue et difficile. A l'arrivée dans la région du Cap de Bonne-Espérance, la flotte fut assaillie par d'épouvantables tempêtes. Par surcroît de malheur, la peste sévissait à bord. Jean de Nugno en fut atteint des premiers, et ne voulut recevoir des soins que de son fidèle ami. La maladie continuant et menaçant d'avoir un prochain dénouement, le jeune prêtre prépara le vice-roi à la mort et lui administra le saint Viatique. Mais il lui proposa en même temps, en vue de recouvrer la santé, de faire un vœu à la Sainte, Jean de Nugno y consentit volontiers et promit de bâtir, à Goa, une église en son honneur, et d'y fonder une messe à perpé- tuité.

A peine ce vœu fut-il fait, que Jean de Nugno se sentit guéri. Mais, presque en même temps, et comme si le Père avait fait l'offrande de sa vie, offrande agréée de Dieu, François se sentit atteint ; il succomba deux jours après, le 27 août.

A peine débarqué, Jean de Nugno accomplit sa promesse, et bientôt une magnifique église s'éleva à la porte de la ville, sous le titre de Sainte-Rosalie.

La fête de sainte Rosalie est fixée dans le Martyrologe Romain, au 4 septembre ; mais l'Invention de ses reliques, qui figure aussi au Martyrologe, à la date du 15 juillet, est l'objet d'une grande réjouissance pour le peuple de Palerme, qui considère sainte Rosalie comme sa Patronne principale.

Les Palermitains célèbrent cette dernière fête avec un tel enthousiasme, un tel luxe d'illuminations, qu'on aurait peine à trouver en d'autres pays des cérémonies plus éclatantes. Les fêtes durent cinq jours. Dès le premier, la châsse de l'illustre vierge, saluée par des pièces d'artifices et des coups de canon, est traînée triomphalement dans les principales rues de la ville. Pour cela, on se sert d'un char gigantesque attelé de quarante mules et rempli de musiciens ; son sommet atteint le faîte des plus hautes maisons. Cette procession, qui se déroule au milieu d'un immense concours de peuple, se renouvelle pendant cinq jours ; mais, le dernier jour, le cortège est plus imposant et son trajet plus long.

Page 32: 1 Septembre I

Le troisième centenaire de la découverte des reliques de la Santuzza, comme on l'appelle en son pays, a été célébré à Palerme avec un très grand éclat, du 2 au 7 septembre 1924, par un Congrès eucharistique, le VIII Congrès national italien. En juillet 1927, les fêtes traditionnelles de sainte Rosalie se déroulèrent avec une solennité particulière, le Pape Pie XI, à la demande du cardinal Lualdi, alors archevêque de Palerme, ayant élevé la fête de la Sainte au rang de fête de précepte pour Palerme et ses environs,

Jean-Emmanuel Drochon.

Sources consultées. – Acta Sanctorum, t. II d'août (Paris et Rome, 1867). – (V.S.B.P., n° 334.)

…………….

PAROLES DES SAINTS

______________

La simplicité qui plaît à Dieu.

Lorsque vous ferez l'aumône, que Dieu seul vous voie. Lorsque voue jeûnez, que votre visage soit joyeux. Que vos vêtements ne présentent ni une propreté étudiée, ni une saleté dégoûtante, ni une singularité bizarre, de peur que la foule des passants ne s'arrête pour vous regarder, et que l'on ne vous montre au doigt... Ne désirez de paraître ni plus religieuse ni plus humble qu'il ne faut, et ne cherchez point la gloire, tout en la fuyant.

Saint Jérôme.

(Épître 22 à Eustochium.)

Page 33: 1 Septembre I

SAINT LAURENT GIUSTINIANIPremier patriarche de Venise (1381-1456).

Fête le 5 septembre

La noble famille Giustiniani, qui descend des empereurs d'Orient, fut longtemps l'une des plus illustres de la République de Venise. Elle se distingua par ses vertus non moins que par sa valeur militaire et ses richesses.

Le 1er juillet 1381, toute la ville de Venise était en fête pour une éclatante victoire que l'armée de la République venait de remporter sur les Génois en leur reprenant l'ile de Chioggia. Ce même jour, naissait Laurent Giustiniani, et sa mère, une Quirini, d'une famille non moins illustre que celle des Giustiniani, entendant les cris de joie de la foule s'écria : « Mon Dieu, faites que cet enfant devienne un jour la terreur de nos ennemis et le soutien de sa patrie. » Laurent sera, en effet, une des illustrations de Venise, mais sa gloire sera plus pure et plus durable que celle du monde.

Une jeune veuve.

Sur cette terre, les douleurs suivent les joies de près. Le père de Laurent, Bernard Giustiniani, mourut prématurément, laissant dans le deuil une jeune femme de vingt-quatre ans avec trois garçons et deux filles en bas âge. La jeune veuve refusa de se remarier et consacra sa fortune et sa vie à l'éducation de ses enfants.

Le jeune Laurent se distingua bientôt parmi ses frères par son esprit vif et sérieux ; les bagatelles qui amusent les enfants ne lui plaisaient point ; il lui fallait de grandes choses. « Mon fils, lui dit un jour sa mère alarmée, l'ambition et l'orgueil mènent en enfer. - N'ayez pas peur, maman, reprit l'enfant avec un sourire, vous me verrez devenir un grand serviteur de Dieu. »

Page 34: 1 Septembre I

La vocation.

La jeunesse de Laurent se passa sous le regard de sa mère dans la pratique des vertus chrétiennes. Cependant, il allait atteindre l'âge de vingt ans et le monde s'offrait à ses yeux avec ses multiples attraits. « Alors, raconte-il lui-même, une vierge éblouissante de céleste splendeur m'apparut et me dit : « 0 jeune homme, pourquoi répandre ton cœur de tous côtés et chercher la paix dans l'instabilité des choses qui passent ? Ce que tu veux, je l'ai ; ce que tu désires, je te le promets : prends-moi pour épouse. - Et qui êtes-vous donc ? répond Laurent. - Je suis la divine Sagesse. »

Dès ce jour, Laurent, décidé à renoncer au monde, commence à mener une vie plus recueillie et plus austère. Il communique son dessein à son oncle maternel, Chanoine régulier, le pieux Marin Quirini, lequel l'encourage. Sa mère remarque bientôt ce changement ; un jour même elle découvre dans le lit de son fils un dur paquet de sarments. N'écoutant que son amour maternel effrayé, elle soumet à une dangereuse épreuve la vocation de son fils : elle lui cherche puis lui propose une fiancée digne de lui.

Le jeune homme considère sérieusement, d'une part toutes les espérances que le siècle lui offre, et, d'autre part, tous les renoncements de la vie religieuse. « Laurent, se dit-il, réfléchis bien. Pourras-tu renoncer à tous ces avantages et accepter tous ces sacrifices ? » Alors, se tournant vers le Crucifix, il s'écria : « Seigneur, vous êtes toute mon espérance et mon refuge assuré. »

Sans plus tarder, il quitte le palais paternel et s'en va rejoindre son oncle Marin au couvent de Saint-Georges d'Alga.

Un religieux modèle.

Dans le monastère, le jeune Laurent commence par déclarer une rude guerre à son corps : « Flatter ses sens et espérer être chaste, dira-t-il plus tard, c'est vouloir éteindre du feu en y jetant du bois. » Il s'infligeait de sanglantes disciplines. Jamais il ne mangea jusqu'à être rassasié ; à peine prenait-il le nécessaire. Jamais, en dehors des repas, il ne consentit à calmer sa soif, même durant les ardeurs de l'été. Quand, parfois, ses frères l'invitaient à prendre quelque rafraîchissement : « Et comment supporterons-nous la chaleur du Purgatoire, disait-il, si nous ne pouvons endurer un peu de soif ? » Durant l'hiver, jamais il n'approchait du feu. Plus tard, malade et septuagénaire, on le verra persister à ne point manger de la viande, malgré l'avis des médecins.

La nuit, il arrivait le premier à l'office de Matines ; il restait ensuite en prières jusqu'à l'heure de Prime, se refusant d'aller prendre le second repos permis par la règle. Pendant l'office, il se tenait debout, sans jamais s'appuyer à la stalle.

Atteint, jeune encore, d'un mal connu sous le nom d'écrouelles ou scrofules, il accepta d'entourer son cou d'une espèce de collier en crin de cheval pour dégager les humeurs. Ce remède aventureux n'ayant point suffi, le médecin déclara qu'il fallait recourir au fer et au feu ;

Page 35: 1 Septembre I

« Coupez et brûlez sans crainte, répondit Fr. Laurent, les martyrs ont enduré bien d'autres supplices. » A la première atteinte de l'instrument de chirurgie, il s'écria : « Jésus ! » et il souffrit le reste de l'opération sans pousser un soupir.

La vraie sainteté a ses fondements dans l'humilité ; Laurent s'exerçait à cette vertu avec une rare constance. Un jour, dans l'assemblée des religieux au Chapitre, un Frère l'accusa à tort de quelque faute contre la règle. Laurent se lève aussitôt, et s'agenoui- llant : « Mes Pères, dit-il, j'ai péché contre Dieu et contre vous, je suis prêt à recevoir telle pénitence que vous m'imposerez. » A cette vue, l'accusateur, ému jusqu'aux larmes, se jette aux genoux de Laurent pour lui demander pardon.

L'ancien patricien, le noble rejeton des Giustiniani, devenu simple religieux, n'était pas exempté d'aller à son tour quêter à travers la ville de Venise le pain nécessaire à la communauté. Un jour, il traversait ainsi une place très fréquentée ; son compagnon voulut presser le pas et prendre une route plus solitaire. « Allons lentement, répondit Fr. Laurent ; à quoi sert de renoncer au monde en paroles, si on ne le fait en pratique ? Marchons, portant notre sac sur les épaules en guise de croix et remportons aujourd'hui une belle victoire sur le monde. »

Je me souviens très bien, dit son historien, l'avoir vu, quand j'étais encore enfant, arriver faisant sa quête devant le palais de sa famille ; il n'entrait pas, demandait humblement l'aumône à la porte et attendait qu'on vont la lui donner. Sa mère, ne pouvant souffrir de voir son fils continuer plus longtemps sa tournée de quêteur, ordonnait à ses serviteurs de remplir de pains sa besace, mais le religieux, qui ne voulait pas perdre le mérite de son humiliation, acceptait au plus trois pains et continuait sa route. Il entra pourtant une fois dans le palais paternel ; ce fut pour assister sa chère mère à ses derniers moments. Il soutint son courage dans cette suprême épreuve et reçut son dernier soupir.

Sacerdoce. – Une vocation inattendue.Deux novices découragés.

Une vertu éminente ne peut s'acquérir et se conserver sans un grand esprit de prière et de vie intérieure. Laurent était homme d'oraison et de contemplation. Il aurait souhaité, s'il l'avait pu, passer tout son temps à l'église ou dans le silence de sa cellule ; obligé par l'obéissance et la charité de s'occuper aussi d'œuvres extérieures, il s'efforçait de conserver son âme dans un grand recueillement et consacrait à s'entretenir avec Dieu tout le temps qui lui restait libre.

Depuis son élévation au sacerdoce, il célébra chaque jour la messe avec une admirable ferveur ; une nuit de Noël, Notre-Seigneur se montra à ses yeux comme il était autrefois dans la crèche.

La faiblesse de sa poitrine et de sa voix lui interdisait la prédication ; mais rien n'était édifiant comme ses conversations. Sa parole était suave et pleine de sagesse. Il fit par ce moyen un grand bien à ses Frères et aux personnes qui l'approchèrent.

Un de ses compagnons d'enfance, au retour d'un voyage en Orient, avait appris à Venise que son noble ami était entré au couvent. Il s'empressa de venir à Saint-

Page 36: 1 Septembre I

Georges d'Alga, dans l'espoir de le détourner de sa sainte résolution. Ce fut le contraire qui arriva, Laurent persuada au jeune homme de se consacrer à Dieu.

Un novice, assailli par des tentations de découragement contre sa vocation, vint trouver le saint prêtre : « Père, dit-il, je ne puis plus y tenir, venez à mon secours, sinon je retourne dans le monde. - Pas encore, mon Frère, répondit Laurent, ne vous en allez pas aujourd'hui ; demain, nous verrons. » Le Frère attendit et Laurent passa la nuit en prières. Le lendemain, la tentation avait disparu et elle ne revint plus jamais.

Un autre Frère était aussi fortement tenté de rentrer dans le monde. « Inutile de continuer, se disait-il en lui-même, je ne persévérerai pas. »

Laurent prit un petit rameau de laurier qu'on avait fait bouillir dans l'eau et dit au jeune homme : « Allez planter ceci dans le jardin ; si ce laurier prend racine et revit, ce sera la preuve que vous persévérerez aussi, avec l'aide de Dieu. » Le Frère obéit ; le rameau prit racine et la sève le ranima, et le Frère, joyeux, persévéra dans sa sainte vocation. Le P. Giustiniani fut élu deux fois, en 1413 et en 1421, Supérieur général des Chanoines réguliers de Saint-Georges d'Alga, dont il rédigea lui-même les Constitutions définitives. Ses efforts pour réaliser l'observance régulière de sa famille religieuse et pour en assurer la diffusion lui ont valu d'en être considéré comme un nouveau fondateur.

Sur un siège épiscopal.

Sur l'ordre formel du Pape Eugène IV, Laurent fut obligé d'accepter malgré lui, le 12 mai 1433, le siège épiscopal de Castello, situé dans une des îles de la lagune de Venise, l'île d'Olivolo. Les évêques prenaient volontiers le titre d'évêques de Venise et avaient des conflits assez fréquents avec le patriarche de Grado, leur métropolitain. On verra que cette situation aura précisément sous l'épiscopat de Laurent Giustiniani une solution heureuse. L'homme de Dieu avait alors cinquante-deux ans. La première nuit qui suivit son entrée au palais épiscopal, il la passa tout entière dans la prière et les larmes, suppliant le Seigneur de l'aider à bien remplir ses nouvelles fonctions.

Il fit régner à la fois dans son palais la pauvreté et la propreté.

Sa chambre était comme une cellule de moine, et son lit une simple paillasse, cachée sous une couverture vulgaire. Si pauvre et si austère pour lui-même, le prélat était d'une géné- rosité sans bornes pour les œuvres et pour les pauvres. Dès les premiers temps de son épiscopat, il fit réparer la cathédrale, il réorganisa le Chapitre, augmenta le nombre des prêtres et des chantres. Plusieurs autres églises attirèrent aussi ses soins et ses largesses. Il restaura également plusieurs monastères et en fonda de nouveaux. Il fournit des ressources à des religieuses qui étaient trop pauvres et s'efforça de faire régner dans les communautés la régularité et la ferveur. A son arrivée, il n'avait trouvé qu'une vingtaine de couvents de femmes dans son diocèse ; à sa mort, il en laissait trente-cinq.

Juge, modèle et père de son clergé, il travailla sans relâche à le rendre plus nombreux et plus digne de ses sublimes fonctions.

Page 37: 1 Septembre I

Sa mère ordonnait aux serviteurs de remplir sa besace, mais le religieuxn'acceptait au plus que trois pains.

Sa famille terrestre ne gagna rien à son élévation à l'épiscopat, car elle pouvait se suffire à elle-même et Laurent savait que les biens de l'Eglise sont destinés au service de Dieu et au soulagement des pauvres. Un jour même, il arriva qu'un indigent vint se présenter à l'évêché, avec une recommandation de son frère Léonard. « Retournez auprès de Léonard, lui répondit l'évêque, et dites-lui de ma part qu'il vous fasse l'aumône de son propre bien, puisque Dieu lui en a donné les moyens. »

Un parent vint le prier de l'aider à doter sa fille. « Si je vous donne peu, lui dit Laurent, cela ne changera rien à la situation de votre fille ; si je vous donne beaucoup, je ferai tort à un grand nombre de pauvres à qui cet argent est nécessaire. » Et il le con-gédia sans lui rien donner. Il était pourtant rempli d'affection pour sa famille ; mais le service de Dieu et les devoirs de sa vocation passaient avant tout. Aux principales fêtes de l'année, il envoyait du pain bénit à ses frères en signe d'affection. Mais il évitait d'aller leur rendre visite chez eux. Marc, l'un d'eux, étant tombé gravement malade, le fit prier de venir, car il ne voulait point mourir sans sa bénédiction. « J'irai quand il en sera temps », répondit le prélat. En effet, la maladie se prolongea longtemps, il y eut même des périodes de mieux. Enfin, un jour, l'évêque se présenta tout à coup de lui-même à la maison, et se fit conduire auprès du malade. La joie de celui-ci fut grande à cette visite, mais sa dernière heure était arrivée. Assisté de son saint frère, il s'endormit pieusement dans le Seigneur.

Page 38: 1 Septembre I

Le père des pauvres.

Dans les premiers siècles chrétiens, les veuves d'âge mûr et d'une vertu éprouvée étaient employées par l'Eglise au service des œuvres de charité. L'évêque de Castello sut trouver un certain nombre d’entre elles, remplis de dévouement ; il les chargeait de s’enquérir sur la situation des familles pauvres, et en particulier, de découvrir ces misères cachées, d’autant plus dignes de compassion qu’elles se dérobent aux regards du public. C’est ainsi que plus d’une famille, naguère dans l'aisance, puis ruinée et n'osant tendre la main reçut discrètement de son évêque les secours dont elle avait besoin dans un moment de détresse.

Chaque jour, un grand nombre de personnes affluaient au palais épiscopal : les uns cherchant des paroles de consolation, les autres un conseil dans leurs difficultés, d'autres le soulagement de leur pauvreté. Le prélat les recevait d'une manière si paternelle et avec de telles paroles que chacun se retirait content. Pendant un hiver plus rigoureux, il fit distribuer gratuitement du bois à quantité de familles pauvres. En un mot, toutes les ressources de son évêché s'en allaient en bonnes œuvres, il préférait, d'ailleurs, les dons en nature aux aumônes en argent.

Parfois, il n'avait plus rien et les pauvres venaient encore. Ne pouvant se résoudre à les renvoyer sans secours, il contractait alors des dettes, au grand effroi de son intendant : « Ayez confiance, lui disait le prélat, je sers un Maître qui saura payer pour moi. » En effet, l'argent nécessaire ne tardait pas à lui arriver d'un côté ou de l'autre.

L'évêque et le Doge. – Œuvres spirituelles.

Une année, il jugea de son devoir de publier un mandement contre le luxe inconvenant et effréné que déployaient les dames de Venise et contre les représentations indécentes des théâtres. Comme il fallait s'y attendre, l'ordonnance épiscopale souleva de nombreuses fureurs. On se plaignit au doge, François Foscari, on accusa l'évêque d'empiétement sur les attributions du pouvoir civil.

C'était sans doute atteindre le point sensible du premier magistrat de la République. Et, en effet, celui-ci, irrité, envoya prier l'évêque de venir à son palais. Laurent s'empressa de s'y rendre. Foscari, cédant à la violence naturelle de son caractère, se laissa aller à de vives récriminations.

L'évêque le laissa dire, puis il prit lui-même la parole, mais avec tant de calme et de sérénité, avec tant de sagesse et de vérité, que le magistrat, ému jusqu'aux larmes, se tourna vers les assistants et leur dit : « Ce n'est pas un homme, c'est un ange que nous venons d'entendre. » Puis, s'adressant au prélat : « Allez, ajouta t’il, et continuez à faire votre devoir. » Le saint évêque n'avait nul besoin de cette invitation pour con-tinuer à se montrer en tout et partout un apôtre du Christ. Un saint solitaire apprit par révélation que Dieu avait préservé la république Vénitienne de plusieurs grands périls à cause des prières de son évêque.

Page 39: 1 Septembre I

On avait d'ailleurs une telle confiance dans la justice et les lumières du prudent pontife, qu'on le prenait souvent pour arbitre dans les difficultés de famille et dans les procès.

Un autre monument insigne des lumières surnaturelles que Dieu versait dans son âme, ce sont les beaux ouvrages de piété qu'il a composés et qui le rattachent à la glorieuse lignée des grands écrivains spirituels qui avaient brillé au moyen âge ; tels sont, outre l'Arbre de vie, ses nombreux traités : l'Humilité, la Vie solitaire, la Discipline religieuse, les Fiançailles spirituelles de l’âme avec le Verbe divin, l'Agonie triomphante de notre Médiateur Jésus-Christ, l'Eucharistie, le Mépris du monde, l'Obéissance, etc.

Premier patriarche de Venise

Pour mettre fin aux difficultés entre les patriarches de Grado et leur suffragant de Castello, le Pape Eugène IV (t 1447) avait décidé d'unir les deux sièges dans les conditions suivantes : l'un des deux prélats venant à mourir, les deux Églises resteraient dévolues au survivant, avec tous leurs titres et leurs droits. Or, le patriarche Dominique Michieli mourut le premier ; dès lors Laurent Giustiniani se trouva investi de la dignité patriarcale et c'est ainsi que prit naissance le patriarcat de Venise dont il fut le premier titulaire (8 octobre 1451). Cette nomination fut ratifiée par le Pape Nicolas V qui avait pour le serviteur de Dieu la même estime que son prédécesseur, Eugène IV.

Le croirait-on ? Le Sénat se montra d'abord mécontent de l'insigne honneur que le Pape accordait à la capitale vénitienne. Jaloux de sa liberté et de ses prérogatives, il craignait que ses droits et ses privilèges ne fussent lésés et que l'évêque devenu patriarche ne devint trop puissant en face du Sénat. Pendant qu'on agitait cette affaire avec passion, l'évêque se présenta devant l'assemblée et offrit de quitter sa charge. Son humilité et sa douceur firent bientôt tomber cette crainte, et tout le monde applaudit le nouveau patriarche. Sa renommée s'était répandue dans l'Eglise entière. Les nombreux étrangers que le commerce ou les pèlerinages en Terre Sainte amenaient à Venise ne voulaient pas en repartir sans l'avoir vu.

Sainte mort.

A l'âge de soixante-quatorze ans, au milieu de ses travaux apostoliques, le pieux évêque trouva encore des loisirs pour composer un dernier et important ouvrage : les Degrés de perfection. Sa carrière touchait à sa fin ; usé par l'âge, les austérités, les fatigues de l'apostolat, il désirait vivement quitter cet exil terrestre.

Dieu exauça ses désirs. Pris d'une fièvre mortelle, il reçut avec un grand esprit de foi les derniers sacrements. « Pourquoi redouter la mort, dit-il, depuis que notre Dieu et Sauveur a voulu la subir pour nous ? Mais, ô bon Jésus, recevez-moi, vous qui êtes

Page 40: 1 Septembre I

ma vie et le salut de mon âme. Votre miséricorde est ma seule espérance. Ô bon Pasteur, voici la brebis perdue qui revient à vous !... » A l'approche de sa mort, les habitants de Venise vinrent en foule le contempler une dernière fois.

Il expira doucement le 8 janvier 1456. On garda son corps soixante-sept jours avant de le livrer au tombeau ; il exhalait une odeur suave et demeurait sans corruption. Le procès de béatification commença dès 1472, mais il fut interrompu par les événements ; les pièces du procès furent détruites par un incendie. En 1524, Clément VII autorisa le culte de saint Laurent à Venise et dans le territoire de la République. Le procès fut repris en 1613, sous Paul V, mais il traîna en longueur. Les œuvres du pieux évêque furent approuvées en 1647. Sa canonisation solennelle fut célébrée le 16 octobre 1690 par Alexandre VIII. Innocent XII fixa la fête au 5 septembre et Clément XIII la rendit de précepte.

Saint Laurent Giustiniani est le patron et le protecteur particulier de Venise après saint Marc. Ses reliques sont conservées à Venise sous le maître-autel de l'église de Saint-Pierre de Castello qui demeura la cathédrale jusqu'en 1807.

A.E.A

Sources consultées. Petits Bollandistes. – Les Vies des Saints (œuvre des Bonnes Lectures, Lyon). – E. Amann, Saint Laurent Justinien (Dictionnaire de Théologie de Vacant et Mangenot). – Abbé Rohrbacher, Vie des Saints (Paris, 1854). – (V.S.B.P., n° 709.)

Page 41: 1 Septembre I

BIENHEUREUX VINCENT D'AQUILAConvers de l'Ordre des Frères Mineurs (v, 1430-1504).

Fête le 6 septembre.

Le bienheureux Vincent, naquit vers l'an 1430 à Aquila, cité qui faisait alors partie du royaume de Naples. Ses parents habitaient le quartier dit Poggio Santa-Maria (coteau Sainte-Marie), charmant Eden couronné de verdure et rafraîchi par des sources jaillissantes dont les eaux descendent en cascade jusqu'à la rivière de l'Aterno.

La famille. – Vocation franciscaine de Vincent.Saint Bernardin de Sienne.

Sa maison paternelle était contiguë au monastère cistercien de Notre-Dame du Refuge. Pourtant, lorsqu'il s'agit pour lui de se vouer à la vie religieuse, ce ne fut point vers les fils de saint Bernard, mais vers ceux de saint François qu'il se dirigea. L'extraordinaire popularité de saint Bernardin de Sienne mort à Aquila peu d'années auparavant, le 20 mai 1444, son tombeau de jour en jour plus glorieux, expliqueraient, au défaut même des appels intérieurs de la grâce, les préférences de Vincent pour l'Ordre franciscain.

En effet, au mois de mai 1444, l'infatigable prédicateur siennois, dont le zèle ne se laissait arrêter ni par l'âge ni par les infirmités, abordait au royaume de Naples qu'il voulait encore évangéliser. Mais quant il arrive à sept milles d'Aquila, ses forces le trahissent. Ses compagnons le décident à se laisser mettre sur une litière et le portent ainsi « triste et gémissant dit la vieille chronique », jusqu'à la ville. Déposé au monastère des Frères Mineurs Conventuels, Bernardin se voit bientôt à toute extrémité, malgré les soins empressés de ses Frères et des médecins les plus habiles que les magistrats ont dépêchés auprès de lui. Ne pouvant plus parler, il fait signe qu'on l'étende sur le pavé de sa cellule et c'est dans cette humble posture, les bras croisés, les yeux levés au ciel, la face souriante, qu'il rend doucement à Dieu sa sainte âme, le 20 mai.

Page 42: 1 Septembre I

Aquila ne laissa point échapper le trésor que la Providence venait de lui confier ; elle garda le corps vénéré en dépit des instances des députés siennois qui avaient fait secrètement des préparatifs pour l'emporter en leur patrie. Les obsèques de Bernardin revêtirent un tel éclat, dit un témoin, que jamais roi ou reine n'en eut de pareilles. D'insignes miracles se produisirent autour du cercueil. Vincent, alors âgé de quatorze ans environ et témoin de ces triomphes, dut en garder un impérissable souvenir.

« San-Giuliano ».

Le couvent de San-Giuliano ou Saint-Julien où il se présenta avait été fondé en 1415 par le bienheureux Jean de Stroncone, commissaire général des Frères Mineurs Observants d'Italie. D'édifiants souvenirs se rattachaient à la création de ce monastère. Les religieux l'avaient construit de leurs mains ; eux-mêmes avaient fabriqué les tables et les bancs grossiers qui en constituaient à peu près tout l'ameublement et dont plusieurs, par égard pour la mémoire de Vincent d'Aquila, ont été conservés avec un soin respectueux. Le couvent, conçu d'après le plan sévère des premières maisons de l'Ordre, était des plus modestes ; c'était une réunion de cabanes accrochées au flanc de la montagne, à peine éclairées et ressemblant plutôt à des ermitages.

L'on se demanderait volontiers comment un refuge aussi étroit put rassembler, en l'an 1452, au temps de Vincent, un Chapitre général de quinze cents Frères Mineurs, si l'on ne savait que ces solennelles assises se tenaient le plus souvent en plein air ou sous des tentes improvisées, véritable camp retranché où la milice franciscaine venait s'organiser pour les saints combats.

Mortification. – Le Frère quêteur.

Bien qu'il eût reçu sous le toit paternel une éducation soignée – il avait appris les lettres, chose rare alors même chez les fils de noble famille – Vincent voulut par humilité rester Frère convers.

Ses biographes signalent comme une des caractéristiques de sa sainteté l'esprit de mortification. Cet austère religieux ne portait même pas les sandales permises aux déchaussés : il allait toujours pieds nus. Son habit de couleur gris brun, qu'on montre encore aujourd'hui, était le plus lourd et le plus grossier de tous, il ne le quittait ni jour ni nuit. En outre, il portait un cilice et s'infligeait de fréquentes et cruelles flagellations. II se contentait de pain et d'eau pour sa nourriture, y ajoutant quelques herbes crues, et si quelquefois on l'obligeait par obéissance à goûter au régime de la communauté, il trouvait néanmoins le moyen, de se mortifier, ne prenant qu'une partie de sa portion et y mêlant de la poussière ou quelques substances amères.

Les travaux les plus humbles étaient ceux qu'il recherchaitc'est ainsi qu'il aimait porter des fardeaux, aider les Frères dans leurs emplois, ressemeler leurs sandales, car, pour se rendre utile, il avait voulu apprendre le métier de cordonnier, et l'on conserve quelques-uns des instruments qui furent à son usage.

Page 43: 1 Septembre I

D'autres fois aussi il se livrait aux travaux des champs. Aux moments où les Frères prenaient un peu de repos, il se retirait dans une anfractuosité du rocher, à une centaine de pas environ du couvent, et là il s'abandonnait à l'oraison, ravi parfois jusqu'à l'extase. La tradition locale veut qu'un cyprès, desséché seulement en 1861, ait été planté de ses mains. Plus tard on le chargea de la quête. Vincent trouvait dans cette fonction pénible sans aucun doute pour qui aimait comme lui la solitude et l'obscurité, de multiples occasions de renoncement. Son principal souci dans ses pérégrinations quotidiennes était de faire du bien aux âmes, et les chroniqueurs ajoutent que sa conduite, sa conversation, sa tenue, tout en lui était une prédication. Dans les autres couvents où on l'envoya par la suite, à Penne, à Città Sant'Angelo, à Francavilla et à Sulmona, Vincent fut toujours Frère quêteur ; il a donc passé la plus grande partie de sa vie à aller de porte en porte, demandant l'aumône pour ses Frères, mendiant par obéissance, ce qui ne l'empêcha pas, comme on va le voir, de posséder au plus haut point l'estime et la confiance des princes de la Maison d'Aragon, souverains de Naples.

Quelques prédictions.

Pendant la période si troublée, pour les Etats du sud de l'Italie, qui va de 1458 à 1500, plusieurs compétiteurs se disputent le royaume de Naples. La ville d'Aquila ressent plus que toute autre, le contre-coup de ces vicissitudes politiques et passe tour à tour au pouvoir de la Maison d'Anjou, à celui de la Maison d'Aragon, à celui du Pape. Elle change ainsi plusieurs fois de drapeau en l'espace de quarante ans. Le Fr. Vincent, très sensible aux maux sans nombre dont souffrent ses compatriotes grevés d'impôts, décimés par la guerre, éprouvés par la famine et par la peste, redouble dans les moments de crise ses prières et ses pénitences et passe des nuits entières en oraison.

A Ferdinand 1er, duc de Calabre et roi de Naples, qui vient le consulter avant d'entreprendre une expédition contre les troupes pontificales, il prédit un désastre. Malgré cet avis, le prince engage la campagne et est en effet vaincu. Ce ne fut pas la seule circonstance où l'humble convers parut avoir reçu le don de lire dans l'avenir. L'histoire a gardé le texte d'une de ses prédictions. Longtemps avant l'événement, il annonça au fils du roi de Naples, Alphonse, duc de Calabre, qu'un roi de France (Charles VIII) ferait la conquête de son royaume. Il précisa en même temps les maux qui allaient fondre sur l'Eglise. Voici ce texte, dont les termes parfois un peu apocalyptiques appellent une explication. De l'ensemble se dégage, selon nous, une prédiction assez nette et assez frappante.

Lorsque vous verrez le bœuf mugir dans l'Eglise de Dieu (un bœuf figurait dans les armoiries du Pape Alexandre VI, de la famille des Borgia, ici désigné), alors commenceront des malheurs. Quand vous verrez trois symboles réunis : le bœuf, l'aigle et le serpent (alliance du Pape Alexandre VI, de Maximilien 1er, empereur d'Allemagne, dont le blason renfermait un aigle, et de Ludovic Sforza, dit le More, qui, successeur des Visconti à la tête du duché de Milan, avait laissé partout le serpent de leurs armoiries), alors un roi viendra du côté de l'Occident (Charles VIII qui, appelé par Ludovic Sforza, opérera une descente en Italie en 1474). Il désolera le royaume de Naples, et, ayant recueilli son butin, il retournera en son pays (1475).

Page 44: 1 Septembre I

L'exil de César Borgia et de Ludovic Sforza, vaincus par le roi Louis XII, est insinué dans les lignes suivantes :

Il y aura un schisme dans l'Eglise de Dieu, deux Pontifes, l'un élu légitimement, l'autre schismatique (allusion possible à l'infâme parodie qui voulut faire de Luther un antipape, lorsque qu'en 1527 les luthériens, aidés des Impériaux, firent le sac de Rome). Le vrai Pape sera forcé de s'exi1er (Clément VII dut s'enfuir à Orvieto). La violence sévira contre l'Eglise de Dieu. Trois armées très puissantes entreront en même temps en Italie, l'une venant de l'Est, l'autre de l'Ouest, la troisième du Nord, elles se réuniront et il y aura beaucoup de sang versé. Puis il se fera dans la Ville (Eternelle) une réforme atteignant les clercs (réforme de la dis-cipline ecclésiastique préparée par le Concile de Trente), et les mahométans seront arrêtés dans leur marche. (Ils furent en effet vaincus à Lépante, en 1571, sous le pontificat de saint Pie V.)

Une résurrection. – Retour à Aquila.

Vincent accomplit de son vivant plusieurs miracles. Dans la ville d'Aquila, il rendit la parole à un muet. Durant son séjour à Penne, il guérit un enfant qui avait les jambes difformes et ne pouvait marcher. A Sant'Angelo, trois estropiés lui durent leur guérison parfaite. Mais le prodige le plus admirable attribué à la puissance de ses prières, fut le retour à la vie de l'évêque de Sulmona, Barthélemy della Scala, des Frères Prêcheurs. Si nous en croyons les historiens d'Aquila contemporains du serviteur de Dieu, l'évêque, malgré les prières du clergé implorant sa guérison, avait succombé aux graves infirmités dont il était atteint.

Vincent, qui jouissait de l'estime particulière du prélat et en avait reçu beaucoup de marques de bienveillance, ne l'eut pas plutôt appris qu'il demanda à aller prier auprès du cadavre. Soudain, comme sur une inspiration d'en haut, il se mit à appeler par trois fois son illustre ami, dont les yeux s'ouvrirent enfin et dont les membres reprirent vie peu à peu. La guérison ne fut pas subite, mais le mal alla diminuant de telle sorte que, quinze jours plus tard, le 29 juin 1491, en la fête de saint Pierre, celui qu'on avait cru retranché pour toujours du nombre des vivants, venait en personne au couvent des Franciscains rendre grâces à son sauveur.

Il est vrai d'ajouter qu'il mourut, cette fois pour de bon, quelques jours après, ce qui a fait dire à certains chroniqueurs, à tort ou à raison, que ce prélat avait eu besoin d'un délai de vingt-deux jours pour se reconnaître et rentrer en grâce avec Dieu avant d'affronter le redoutable jugement. Quoi qu'il en soit, le miracle eut un grand retentissement dans les Abruzzes, et les visiteurs affluèrent au couvent de Saint-Nicolas de Sulmona où vivait à ce moment-là le thaumaturge. On lui amenait les malades afin qu'il priât sur eux et leur obtint la guérison. Cette popularité croissante effraya bientôt Vincent.

Le désir de la solitude le poussa à demander à ses supérieurs la permission de revenir à son petit oratoire de San-Giuliano d'Aquila où il espérait achever sa vie religieuse comme il l'y avait commencée, dans la retraite et l'humilité.

Page 45: 1 Septembre I

Une lettre aux magistrats d'Aquila.

A peine était il de retour qu'il fut le témoin attristé de discordes civiles et de grands troubles politiques. L'évêque, Jean-Baptiste Galioffi, venait d'être exilé. En ces graves circonstances, Vincent crut de son devoir d'adresser aux premiers magistrats, qu'il savait disposés à agréer ses conseils, quelques paroles pleines de foi.

Il le fit en des termes qui accusent non seulement sa profonde piété, mais même une certaine culture littéraire au-dessus de sa condition.

Le zèle de votre maison me dévore, ô Seigneur  ! (Ev, selon saint Jean, II.)

Monsieur le Gouverneur, Messeigneurs,

L'affection que je porte à votre cité m'inspire ces quelques lignes. Vous venez de perdre le père de vos âmes. Vous devez donc être maintenant pour vos sujets des pasteurs spirituels et des pasteurs temporels.

Vous subissez de terribles épreuves ; vous en redoutez de plus terribles encore. Voyez si ce n'est pas à cause de vos fautes et amendez-vous. Dieu envoya Jonas à Ninive qu'il voulait anéantir à cause de ses péchés, et dès que Ninive se repentit il révoqua la sentence. Le propre de Dieu n'est-il pas d'être toujours miséricordieux ? Cessons de pécher et les fléaux cesseront.

Vous avez dans la ville des religieux, à Collemaggio et ailleurs. Demandez-leur des processions de pénitence, chaque couvent la faisant dans son quartier ; des messes en l'honneur de la Sainte Vierge et de nos saints patrons. Demandez des prières aux Filles de Sainte-Claire. J'ai confiance que par ces moyens, l'infinie miséricorde de Dieu mettra fin à ces calamités.

Si j'allais aux pieds du roi solliciter une faveur et qu'en même temps j'agisse de manière à lui déplaire, il me chasserait de sa présence. Vous de même, pour l'amour de Dieu, cessez de blasphémer si vous voulez être exaucés ! Tous vos maux viennent de là. Je m'arrête en vous priant encore de vous rendre dignes de la charge qui vous est imposée.

Votre frère en Notre-Seigneur. Fr. Vincent.

Celui qui tenait ce noble langage était alors un vieillard estimé et vénéré de tous, reconnu comme Saint, orné de l'éclat des miracles. Aussi sa parole fut-elle entendue et suivie. Il ne tint pas à lui que l'évêque ne revînt à Aquila. L'infortuné pontife périt assassiné par les factieux à Rome même, chez le cardinal Julien della Rovere (le futur Pape Jules Il), le 23 février 1493.

Page 46: 1 Septembre I

Une dernière conquête : la bienheureuse Christine de Lucoli.Mort du bienheureux Vincent.

Un jour qu'il quêtait dans la ville de Lucoli, la fatigue l'obligea de s'arrêter dans une famille amie. I1 y fit la rencontre d’une enfant, Matthia Ciccarelli, qui devait être l'une des gloires de l'Ordre augustinien. Vincent, qui avait reçu de Dieu, pour la direction de quelques âmes, des lumières extraordinaires, reconnut dans cette petite fille une âme d'élite, et ses conseils l'engagèrent résolument dans les voies austères de la sainteté. Il lui inspira le dégoût des vanités mondaines, l'attrait des pénitences les plus héroïques dont il donnait lui-même l'exemple. Sur son avis, Matthia se mit à réciter chaque jour l'Office de la Sainte Vierge et celui des défunts, et toute sa vie elle resta fidèle à cette pratique.

Dès qu'il eut ainsi raffermi ses premiers pas, il ne cessa plus de la soutenir et de l'encourager qu'il ne l'eût conduite au seuil du cloître.

Le 7 août 1504 – et non le 28 avril – vers le soir, de la fenêtre de la maison qu'elle habitait encore à Lucoli, Matthia, encore dans le monde, vit le bois voisin du couvent de Saint-Julien tout illuminé et l'âme de son saint conseiller monter au ciel dans un magnifique cortège. Elle sut le lendemain que, à l'heure de la vision, Fr. Vincent avait en effet rendu le dernier soupir. Cette révélation la remplit de joie et la confirma dans la conviction que son guide spirituel était vraiment un Saint. Docile à ses recommandations, elle ne tarda pas à entrer au monastère augustinien de Sainte-Lucie, à Aquila, et y prit le voile sous le nom de Sœur Christine ; elle est honorée aujourd'hui au 12 février sous le nom de bienheureuse Christine de Lucoli.

Culte et reliques du bienheureux Vincent.

Les restes du pieux Frère convers avaient été enterrés dans la sépulture commune des Frères Mineurs. Quatorze ans plus tard on les exhuma, par suite d'une circonstance fortuite, peut-être pour les déposer dans la nouvelle église de Saint-Julien qu'on inaugurait. L’on s'aperçut alors de l'odeur suave qu'exhalait le cercueil du Fr. Vincent et de la parfaite conservation de son corps. Les vêtements qui le recouvraient s'en allaient en lambeaux et tombaient en poussière, tandis que la chair du serviteur de Dieu avait gardé sa blancheur et sa consistance. Ce concours de faits incita ses Frères en religion à déposer le corps de Vincent dans une châsse de noyer et de verre et à le transférer en un lieu honorable. Dès lors il commença à briller par des miracles qu'attestèrent des dons et des inscriptions votives.

Plus d'un siècle après en 1634, la conservation du corps était aussi manifeste. C'est alors qu'il fut placé – ou replacé – dans une chapelle située à l'entrée de l'église conventuelle, avec cette inscription :

D.O.M.. – Sous le pontificat du Pape Urbain VIII et le règne du roi catholique Philippe IV, et le gouvernement du vice-roi de Naples, S. Exc. D. Emmanuel de Fonseca y Zuniga, comte de Monterrey et Fuentes. Corps du bienheureux Vincent d'Aquila, après cent trente ans, demeuré intégral et sans corruption, depuis longtemps enfermé dans une châsse de verre,

Page 47: 1 Septembre I

puis déposé en un lieu plus éminent, et de temps immémorial, objet de la vénération et de la dévotion la plus grande. L'Illme et Rme D. Gaspar de Gayozo, évêque d'Aquila et conseiller royal, très dévoué à l'Ordre séraphique, et Père très miséricordieux envers les pauvres petits Frères réformés de ce couvent, a pris soin, poussé par sa piété et une dévotion particulière, d'en assurer la conservation d'une manière plus honorable et plus sûre, et, par des aumônes pieuses et libérales, il a donné au tombeau et à la chapelle un aspect plus décent et plus beau, les rendant ainsi plus vénérables. – L'an du Seigneur 1634.

Plus récemment, en 1868, deux médecins furent chargés par l'autorité ecclésiastique de reconnaître la persévérance du prodige de la conservation du corps du Fr. Vincent. A l'endroit où il avait été déposé primitivement, une autre inscription en italien disait :

Dans ce tombeau repose le corps du bienheureux Vincent d'Aquila qui est passé à une vie meilleure le 7 août 1504.

C'est à cette date du 7 août que les Acta Sanctorum donnent la notice du « bienheureux » Vincent d'Aquila ; par contre, les Frères Mineurs de l'Observance, qui seuls, à la fin du XIXe siècle, célèbraient la fête de ce serviteur de Dieu, la célébraient le 6 septembre. Le couvent de Saint-Julien, généreusement rendu aux Frères Mineurs par le duc François Rivera, noble d’Aquila, abritait à la même époque l’un des plus florissant scolasticats de l’Ordre des Frères Mineurs.

Au mois d'août 1904, le quatrième centenaire de la mort du bienheureux Vincent d'Aquila fut célébré solennellement. A cette occasion eut lieu la translation de ses reliques du couvent de Saint-Julien à l'église métropolitaine, où il fut pendant trois jours exposé à la vénération publique.

A.D.

Sources consultées. Acta Sanciorum, t. II d'août (Paris et Rome, 1867). – Giuseppe Rivera, II B. Vincenzo dall’Aquila (Aquila, 1904). – P.Thureau. Dangin, Saint Bernardin de Sienne. – P. Léon, F.M., L’Auréole séraphique, t. III (Paris). – (V.S.B.P., n° 1331.)

...................

PAROLES DES SAINTS__________

L'amour de Dieu pour nous.

0 douceur ! ô grâce ! ô puissance de l'amour ! Le maître suprême de tous est-il donc devenu l'un de nous tous ? Qui a fait cela ? L'amour, qui ne sait point sa dignité, qui est riche en condescendance, puissant en affection, irrésistible en persuasion. Qu'y a-t-il de plus violent ? L'amour triomphé de Dieu. Mais quoi d'aussi violent ? C'est l'amour. Quelle est donc cette force, je vous prie, qui déploie tant de violence pour vaincre, et qui, cédant à la violence, est si aisément vaincue ?

Saint Bernard.(Sermons sur le Cantique, LXIV, I0.)

Page 48: 1 Septembre I

SAINTE REINEVierge et martyre (236-251)

Fête le 7 septembre.

Alise-Sainte-Reine, l'antique et fameuse Alésia, aujourd'hui bourgade de la Côte-d'Or, à douze kilomètres au nord-est de Semur, n'a pas vu dans ses murs les seuls combats du héros gaulois, Vercingétorix, Sainte Reine soutint dans cette ville, à laquelle elle a donné son nom, une de ces luttes qui font véritablement honneur à l'humanité régénérée dans le sang de son Dieu, et elle y remporta une victoire plus durable que celle de César.

Jeunesse de sainte Reine.

On sait combien fut terrible, malgré son peu de durée, la persécution du farouche Dèce. Le mouvement qu'il lui imprima fut tel que, deux ans après sa mort, les chrétiens étaient encore traqués sur tous les points de l'empire.

En 251, le préfet des Gaules, Olybrius, arrivant au pied de la montagne d'Alise, au lieu qu'on appelle aujourd'hui Les Trois-Ormeaux, fut frappé par la vue d'une jeune fille d'une rare beauté. Le gouverneur forma le dessein de l'épouser et sans autre forme de procès il commanda son arrestation.

Reine – tel était le nom de la jeune fille – était née à Alise vers 236. Son père, nommé Clément, comptait parmi les plus grands seigneurs du pays, et manifestait un vif attachement à l'idolâtrie. L'histoire est muette sur le nom de sa mère qui mourut en mettant au monde la future Sainte. Celle-ci fut confiée à une nourrice dont un des premiers soins fut de lui faire administrer le baptême. Lorsque plus tard, Clément apprit la chose, il entra dans une si violente colère qu'oubliant les sentiments de la nature, il chassa Reine de sa maison, avec défense d'y rentrer jamais.

Page 49: 1 Septembre I

L'humble bergère. – Son arrestation.

Reine retourna auprès de sa nourrice. A son école elle apprit à croître chaque jour dans l'amour de Dieu. D'un recueillement profond, d'une modestie angélique, elle s'éprit bientôt de la beauté céleste du divin Epoux des âmes : un jour elle se jeta à genoux et lui donna tout son cœur.

L'humilité, gardienne des autres vertus et surtout de la pureté, n'était pas moins admirable dans cette âme de choix. L'occupation de cette noble patricienne était de conduire aux champs les troupeaux de sa nourrice, qui permettait plutôt cet emploi à sa vertu qu'à sa condition. Elle préférait les charmes de la solitude aux plus délicates compagnies d'Alise, parce qu'elle y conversait plus à l'aise avec son Dieu. Là, elle avait tout le temps de faire oraison, de s'exciter au mépris d'un monde qui passe, pour ne s'attacher qu'aux biens éternels. Elle s'y délectait surtout de la lecture de la vie des martyrs ; l'exemple de ces courageux athlètes de la foi l'enflammait du désir de donner son sang pour son divin Epoux.

Ses vœux furent exaucés. Suivant sa pieuse habitude, Reine menait paître ses troupeaux à la campagne, quand Olybrius approchait d'Alise. On la saisit sur un mot du gouverneur. La vierge, qui soupçonne quelque dessein infâme, lève les yeux au ciel et adresse au Seigneur cette ardente prière : « Ah ! mon Sauveur vous êtes l'Epoux des âmes chastes et le protecteur des vierges ; souffrirez-vous qu'un homme corrompe ma fidélité, et triomphe de la faiblesse de mon âge et de mon sexe au préjudice du sacri- fice que je vous ai fait de mon âme et de mon corps ? Ne permettez pas, mon Dieu, que l'on me fasse cette injure et que l'on m'enlève un trésor dont je ne suis que la dépositaire ; accordez-moi la grâce de mourir plutôt que de le perdre ! Cette mort me rendra doublement votre épouse, et comme vierge et comme martyre. »

Premier interrogatoire. – Fermeté de sainte Reine.

On emmène la vierge aux pieds d'Olybrius. - Ta race, jeune fille ? demande le tyran.- Je suis de race noble.- Ton nom ?- Je m'appelle Reine.- Ta profession ?- J'adore la Très Sainte Trinité.- Tu portes donc le nom de ce Galiléen ou Nazaréen ?...- Oui, je suis chrétienne, et je demande à Jésus-Christ de me regarder et de me

protéger comme sa servante.Olybrius comprend qu'il perdra son temps à essayer de séduire une âme si

fermement chrétienne. Aussi va-t-il changer de tactique et tenter par tous les moyens de l'amener à l'apostasie. En attendant, il fait mettre la vierge sous bonne garde, se promettant de l'interroger le lendemain, devant tout le public d'Alise, sans doute dans l'espoir de l'intimider davantage. Il n'y réussit pas.

Page 50: 1 Septembre I

Deuxième interrogatoire.

Le lendemain, à l'aube, Olybrius prend place à son tribunal, et là, en face de ses vaines idoles qu'il vient d'honorer par un sacrifice, en face d'une foule immense accourue à ce spectacle, il mande la courageuse chrétienne et l'interpelle en ces termes :

- Jeune fille, adore les dieux, prends pitié de ta vie que tu t'exposes à perdre sans retour. Ecoute-moi, et je te promets des monceaux d'or et un rang honorable dans ma maison. Mais si tu t'obstines, je n'épargnerai rien pour te torturer ; le fer et le feu sont à ma disposition.

- Je suis chrétienne, répondit la vierge, et je préfère cette qualité, que j'ai reçue au baptême, à toutes celles que la nature et la fortune pourraient me donner. Je me fais gloire d'être la servante de Jésus-Christ, mon Seigneur et mon Dieu ; je me suis entièrement consacrée à lui, et jamais rien ne sera capable de m'en séparer ; je signerai de mon sang cette profession et je souffrirai volontiers tous les tourments imaginables pour la soutenir jusqu'à la mort.

La prison. – Barbarie du père de sainte Reine.

L'amour d'Olybrius l'emporta-t-il sur sa cruauté ? Ou bien se flattait-il qu'avec le temps l'épouse de Jésus-Christ changerait de sentiment ? On ne sait. Toujours est-il qu'il ne poussa pas plus loin l'interrogatoire et qu'il se contenta de faire conduire Reine en prison jusqu'à son retour de Germanie où une soudaine incursion de barbares l'appelait au secours des frontières de l'empire.

En l'absence d'Olybrius, le propre père de Reine se fit l'exécuteur de la sentence prononcée contre elle par le préfet des Gaules. Il l'enferma dans l'une des tours du château de Grignon qui lui appartenait. Suivant une respectable tradition, Reine aurait été emprisonnée à Flavigny, dans un caveau souterrain, sur l'emplacement duquel s'éleva plus tard un monastère de l'Ordre de Saint-Benoît. L'église des Bénédictins est entièrement détruite, mais à l'endroit où s'élevait le chœur il existe encore une voûte souterraine connue sous le nom de prison de sainte Reine.

Le père barbare ordonna de ceindre son enfant d'un anneau de fer tenant à une chaîne composée de quarante-sept chaînons et longue de onze pieds, laquelle était fixée à la muraille par ses deux extrémités, de sorte que la prisonnière se voyait forcée de demeurer debout jour et nuit, sans pouvoir changer de place. Soutenue de la force d'en haut, l'héroïque chrétienne endura ce supplice avec une patience invincible. Elle n'avait aucun secours humain sauf un peu de pain et d'eau qu'un chrétien lui apportait en cachette au péril de sa vie.

Enfin, on annonça à Alise le retour d'Olybrius, A peine arrivé, il s'informa des dispositions de sa prisonnière. Quelle ne fut pas son irritation en apprenant que le cœur de Reine était encore plus fortement attaché à Jésus-Christ, que son corps ne l'était aux fers dont on l'avait garrottée !

Page 51: 1 Septembre I

Nouvel interrogatoire. – Tortures effroyables.

Le préfet veut pourtant tenter un nouvel assaut de caresses d'abord, de tortures ensuite. On lui amène donc l'innocente vierge. Olybrius déroule à ses yeux toutes les plus belles promesses que peut faire un amour passionné. A l'entendre, il suffirait à la jeune chrétienne de jeter un grain d'encens dans la cassolette qui brûle devant les statues des dieux pour se voir à l'instant la première dame des Gaules. Inutile effort, Reine demeure inébranlable dans la foi de son Dieu. Aux promesses succèdent alors les cruautés. Sur l'ordre d'Olybrius, Reine est étendue sur le chevalet, des bourreaux la flagellent à coups redoublés. La victime, les yeux fixés au ciel, n'a qu'un mot à la bouche : « Seigneur, c'est en vous que j'ai placé toutes mes espérances, et je ne serai pas confondue. » Le sang coule à flots, la chair vole en lambeaux. Les assistants, païens pour la plupart, en sont émus jusqu'aux larmes.

- De quels honneurs te prives-tu ! lui crient quelques-uns. II te suffit d'un oui ; immole aux dieux, et tu seras la plus heureuse des femmes ; quelle folie que de perdre une si belle fortune pour soutenir le parti d'un crucifié !

- Mauvais conseillers, mauvais conseils ! répliquait la vierge. Je ne sacrifierai pas à de vaines idoles de pierre ou de bois. J'adore Jésus-Christ, seul vrai Dieu, qui me remplit de sa force au milieu de mes cruelles souffrances.

Exaspéré, le préfet ordonne qu'on lui arrache les ongles et que, l'ayant suspendue en l'air, on lui déchire la peau de tous côtés avec des peignes de fer. L'horreur qu'inspire cette scène de cruauté sauvage, arrache de nouvelles larmes aux assistants. Le farouche Olybrius se voile lui-même la face du pan de sa toge, tant le spectacle est écœurant. Mais le calme de la martyre au milieu de l'émotion générale le pétrifie d'étonnement.

« Etrange mystère ! s'écrie-t-il. Es-tu donc seule à ne pas prendre garde à tes tourments ? Le sang ruisselle de tes membres, ton corps n'est qu'une plaie, et tu t'obstines toujours ! Sacrifie aux dieux, sinon tu n'échapperas pas encore à ces tortures. » Reine semble ne plus même faire attention à ce langage.

Agonie morale.

La nuit seule fut capable de mettre un terme à tant de barbarie. Reine est enfermée dans un affreux cachot pour y attendre le lever de l'aurore. A peine introduite dans la prison, la vierge n'a rien tant à cœur que de tomber à genoux et d'attribuer à son divin Epoux la gloire du triomphe qu'elle vient de remporter. En même temps elle lui demande de nouvelles grâces pour continuer la lutte. Mais, par une permission mystérieuse de Dieu, elle entra dans une agonie semblable à celle de Jésus au jardin des Oliviers. Sans doute Notre-Seigneur voulait donner à son épouse un trait de res- semblance de plus avec lui. L'obscurité de la prison, la solitude où elle se trouvait, le souvenir des supplices de la veille, la perspective des tortures que le cruel Olybrius lui préparait encore, les douleurs aiguës que lui causaient ses plaies, la frappaient

Page 52: 1 Septembre I

d'abattement. Plus de consolations sensibles de la grâce, plus de joies célestes ; mais une tristesse, un dégoût d'où il lui semblait impossible de sortir.

Épreuve inouïe. Elle y résiste cependant, et reste ferme dans son désir d'aimer Jésus-Christ par-dessus toute chose.

Dieu console et guérit sa servante.

Dieu est content d'elle ; à la tempête il fait succéder le calme et inonde son âme de consolations d'autant plus grandes que ses peines avaient été plus poignantes. Ravie en extase, elle vit une grande croix qui touchait de la terre au ciel. Au sommet était une colombe d'une blancheur éclatante. Pour l'assurer que cette vision n'était pas l'effet de l'illusion, Dieu la guérit instantanément de toutes ses plaies et la remplit d'un courage tel, que la martyre attendit le lever du jour avec une impatience ineffable, prête à endurer de nouveaux tourments.

Dernier interrogatoire.

Le lendemain Olybrius la fait comparaître devant son tribunal. Mais il est bien étonné de la revoir en pleine santé. Le feu de la passion se rallume en lui ; il la conjure d'adorer les idoles et d'accepter sa main. Nouveaux refus de la part de la vierge, nouvelle barbarie de la part du préfet.

- Je méprise vos vaines promesses, réplique Reine. Vous ne vous servez de la religion que comme d'un prétexte pour couvrir vos criminelles convoitises. Mais je vous déclare, encore une fois, que je serai fidèle à mon Dieu, malgré vos tourments, et malgré la mort. La franchise et la fermeté de ce langage mettent le tyran au paroxysme de la colère. Reine est encore étendue sur le chevalet en forme de croix.

On applique sur ses flancs des torches enflammées. Ce supplice paraît ne lui faire aucune impression. Elle est si heureuse de se voir crucifiée à l'imitation de son Dieu et de son Epoux, que l'allégresse de son âme rayonne sur son visage. Olybrius, qui s'en aperçoit, la fait jeter dans une cuve d'eau froide, pour voir si cette transition brusque du feu dans l'eau glacée ne lui enlèvera rien de sa sérénité. Nouveau triomphe de la vierge et de la grâce, nouvelle défaite du tyran. Le corps surnage et la martyre de louer son Dieu : « Le Seigneur a montré sa puissance, le Seigneur a manifesté sa gloire. Jésus, mon Maître, qui m'avez sauvée tant de fois de la mort, soyez béni dans les siècles des siècles. »

Discours de sainte Reine aux assistants. – Sa mort.

Olybrius comprit enfin qu'il n'avait rien à attendre d'une âme si vaillante. Il condamna Reine à avoir la tête tranchée ; une heure de délai lui était accordée pour se préparer au coup de la mort. Le peuple se transporta en foule à l'endroit destiné à

Page 53: 1 Septembre I

l'exécution, qui était hors de la ville. La vierge demanda la permission de parler aux assistants ; elle le fit avec tant de grâce et d'onction, de majesté et de vigueur à la fois que tous les cœurs en furent attendris. On admirait cette jeune et noble patricienne qui affrontait la mort avec l'héroïsme du plus intrépide soldat. Puis, se tournant vers les chrétiens qui l'entouraient, elle les supplia d'employer leurs prières et leurs larmes pour lui obtenir le pardon de ses péchés : touchante humilité d'une âme qui avait toujours gardé une innocence angélique.

Elle les exhorta avec feu à soutenir jusqu'à la mort, s'il le fallait, l'honneur de la seule véritable religion, de cette religion que le Fils de Dieu était venu établir sur la terre en mourant sur une croix pour notre salut. Enfin, la victime tendit le cou au bourreau qui lui trancha la tête, le 7 septembre, l'an de grâce 251. Les spectateurs virent son âme s'élever au ciel, en compagnie des anges dont elle avait si bien reproduit la pureté dans sa chair virginale.

Translation de ses reliques au monastère de Flavigny.

Le corps de sainte Reine fut enseveli par les chrétiens au pied de la montagne d'Alise. On n'oublia pas de déposer dans son cercueil la chaîne qui avait été un des plus rudes instruments de son martyre. Sa tombe fut illustrée par de nombreux miracles, mais par suite des malheurs des temps, la mémoire de sainte Reine s'affaiblit si bien de jour en jour qu'on finit par oublier même l'endroit de son tombeau.

Au milieu du IXe siècle, les Bénédictins du couvent de Saint-Pierre de Flavigny, qui possédaient des domaines à Alise, résolurent de relever le culte d'une si illustre vierge. Leur abbé, Egile ou Cigile, en conféra avec Jonas, évêque d'Autun, qui approuva fort et encouragea ce pieux dessein. Après un jeûne de trois jours, les moines de Flavigny, précédés de leur abbé et de l'évêque de Dol, Salacon ou Salomon, que Jonas avait prié de le remplacer, se rendent en procession au tombeau présumé de la Sainte. Une colombe, qui vient de reposer en ce même endroit, enlève jusqu'au moindre doute sur le point du sol qui cache le précieux trésor.

Egile creuse lui-même la terre, pendant que ses religieux chantent des psaumes. Enfin le sépulcre apparaît ; le corps est là avec le chef, couvert encore des cheveux, ainsi que la chaîne de fer que l'on connaît.

Dès le lendemain, la sainte dépouille fut transportée à Flavigny, avec toute la pompe possible, au milieu d'un grand concours de peuple. On l'ensevelit dans l'église de l'abbaye. Cette translation se fit l'an 864, sous le règne de Charles le Chauve, et tous les ans, les moines de Flavigny en solennisaient la mémoire, le 22 du mois de mars.

Après une existence plus que millénaire l'abbaye de Saint-Pierre disparut comme tant d'autres à la fin du XVIIIe siècle et son église fut détruite, tandis que l'ancienne collégiale devenait église paroissiale. Par la suite le diocèse de Dijon eut à Flavigny un Petit Séminaire, où le P. Henri-Dominique Lacordaire établit sa troisième fondation dominicaine vers 1849.

Page 54: 1 Septembre I

Le culte de sainte Reine.

A l'époque de la Terreur, les agents du district de Semur s'emparèrent des reliquaires et des châsses contenant les restes de la Sainte, qu'ils laissèrent intacts et qui sont encore conservés dans l'église paroissiale de Flavigny. Auprès se trouve la chaîne aux quarante-sept anneaux. Chaque année, le dimanche de la Trinité et le dimanche qui suit la fête de sainte Reine, les reliques sont portées en triomphe par les rues de la petite ville. Même en pleine Terreur, le 26 mai 1793, la municipalité de Flavigny avait organisé une procession officielle des reliques. Mais actuellement la procession ne se rend plus, comme elle le faisait autrefois, de Flavigny à Alise Sainte-Reine. Une seconde commune de la Côte-d'Or, celle de Grésigny, ajoute aussi à son nom primitif celui de la Sainte. Trois communes de France, situées respectivement en Loire-Inférieure, en Haute-Saône et en Savoie, s'appellent Sainte-Reine.

La vierge martyre est la patronne de la paroisse d'Alise, et, dans le même diocèse de Dijon, la patronne et titulaire de deux églises paroissiales, l'une du doyenné de Flavigny, Jailly-les-Moulins, l'autre du doyenné de Baigneux-les-Juifs, Orret. Le culte de la Sainte s'est conservé dans le Nivernais et en Champagne. Une source abondante, dans la commune de Menestreau, arrondissement de Cosne, porte le nom de sainte Reine. Au diocèse de Troyes, on compte trois chapelles dédiées à la vierge d'Alise et qui sont l'objet d'un pieux pèlerinage : ce sont les chapelles de Roche, de Bérulle et de Brevonnes. La première obtint des reliques de la Sainte en 1851.

II existait autrefois dans la paroisse de Saint-Eustache, à Paris, une célèbre confrérie érigée en 1608 par Paul V, en l'honneur de sainte Reine. En 1685, l'autel de la confrérie y était encore orné d'une belle image de pierre de la Sainte, rapportée d'Angleterre par un négociant de la paroisse, ce qui prouve que le culte de la vierge d'Alise s'était implanté au moyen âge de l'autre côté de la Manche.

E. Gayraud.

Sources consultées. – Les petits Bollandistes. – Abbé Fr. Grignard, La vie de sainte Reine d’Alise (Paris et Dijon, 1881). – (V.S.B.P., n° 453).

…………..PAROLES DES SAINTS

___________

Pour la vie future.

Tant que nous sommes enchaînés dans les liens du corps, il faut bien que nous soyons assujettis à la commune destinée du corps ; et ce n'est qu'en se séparant de ses semblables par la mort, que l'homme s'affranchît des maux qui pèsent sur tout ce qui est homme. Enfermés, bons ou méchants, dans une même enceinte, nous en partageons tous ensemble les accidents divers, jusqu'au discernement qui sera fait des uns et des autres, à la consommation des siècles, pour assigner aux uns et aux autres l'immortalité des récompenses et des châtiments.

Saint Cyprien.(Traîté contre Démétrien.)

Page 55: 1 Septembre I

SAINT ADRIENMartyr (t 306 ?)

Fête le 8 septembre.

Les « Actes » du martyre de saint Adrien ont été écrits en grec. On en connaît plusieurs versions ; l'une a pour titre : Actes de saint Adrien et de ses compagnons ; une autre, Martyre des saints martyrs Adrien et Natalie ; la troisième, qui est beaucoup plus brève : Du saint martyr Adrien, de Natalie et de leurs compagnons.

Arrestation et supplice d'un groupe de chrétiens.

C'était vers l'an 306 ; la grande persécution de Dioclétien contre les disciples de Jésus-Christ commençait à se ralentir, lorsque son successeur Maximien-Galère la ranima dans tout l'Orient. La ville de Nicomédie, en Bithynie, résidence ordinaire du tyran, était la plus exposée à ses cruautés. Les émissaires du prince parcouraient les quartiers et les maisons de la ville, obligeant tous les habitants à prendre part aux sacrifices idolâtriques, et ils arrêtaient ceux qui refusaient. Des récompenses étaient promises à quiconque dénonçait un chrétien, des menaces étaient proférées contre ceux qui le cacheraient : la crainte d'une part, la cupidité de l'autre, poussaient les païens à dénoncer ceux de leurs parents ou de leurs voisins qui professaient la religion de Jésus-Christ.

La chasse aux chrétiens était organisée de même aux environs de la ville. C'est ainsi qu'un groupe de vingt-trois d'entre eux, qui s'étaient réfugiés dans une caverne pour chanter des psaumes, furent dénoncés. Un détachement de soldats fut envoyé pour les arrêter ; les soldats environnèrent la caverne, saisirent les innocents adorateurs du vrai Dieu, et se mirent en devoir de les amener, enchaînés comme des malfaiteurs, devant l'empereur lui-même.

Maximien Galère leur fit subir de rudes tourments, puis, n'ayant pu vaincre leur constance, il ordonna de les jeter tous, chargés de chaînes, dans un cachot, en attendant de les faire périr dans des supplices tels que les autres chrétiens du pays en fussent effrayés.

Page 56: 1 Septembre I

Saint Adrien ambitionne la gloire éternelle des martyrs.

Parmi les spectateurs de cette scène, se trouvait un des grands officiers du palais, nommé Adrien. Vivement ému de l'intrépide courage des martyrs, il leur dit :

- Je vous en conjure, au nom de votre Dieu, dites-moi la vérité. Quelle est donc cette gloire et cette récompense que vous attendez en échange de si cruels supplices ?

Les Saints répondirent :- Nous te l'avouons avec sincérité, la bouche ne peut exprimer, le cœur ne peut

comprendre tout ce que nous espérons avoir un jour en partage.Le dialogue se poursuivit, puis Adrien, subitement transformé par la grâce,

s'adressa aux greffiers :- Inscrivez mon nom, leur dit-il, avec ceux de ces hommes respectables, car, moi

aussi, je suis chrétien.La liste des accusés ne tarda pas à être remise à l'empereur. Celui-ci, apercevant le

nom d'Adrien, s'imagina que l'officier voulait porter quelques témoignages contre les martyrs, et jeta cet ordre :

- Ecrivez sur-le-champ l'accusation portée par le très intègre Adrien.Mais sur la réponse du greffier que l'officier venait de se déclarer chrétien, le tyran

entra dans une violente colère, et, s'adressant au néophyte, il s'écria :- Demande-moi pardon promptement ; déclare que ces paroles t'ont échappé par

surprise, et j'effacerai ton nom de la liste des condamnés.Adrien répondit :- Je ne veux plus désormais demander pardon qu'à mon Dieu des égarements de ma vie passée et des fautes que j'ai commises. A ces mots, Maximien ordonna qu'il fût chargé de fers.

L'épouse d'un martyr ; sainte Natalie.

Cependant, un des serviteurs d'Adrien vint en toute hâte annoncer à Natalie, femme de l'officier impérial, ce qui était arrivé :

- Mon maître Adrien, dit-il, vient d'être arrêté et jeté en prison. Natalie se lève, et dans sa douleur déchire ses vêtements.

- Quel crime a-t-il donc commis ?- J'ai vu, reprend le serviteur, livrer au supplice certains hommes à cause du nom

de celui qu'on appelle Christ, et qui refusaient de sacrifier ; alors mon maître a dit : « Je mourrai volontiers avec eux. »

A ces mots, Natalie fut transportée de joie, car elle était née de parents chrétiens, et jusqu'alors elle n'avait pas osé déclarer publiquement sa foi, à cause de la violence de la persécution.

Elle change de vêtements, court à la prison, se jette aux pieds de son mari, en baise les chaînes avec transport, l'encourageant à se montrer fort dans la lutte.

Adrien lui promit d'être fidèle à la foi, avec l'aide de Dieu, malgré tous les

Page 57: 1 Septembre I

supplices, et il ajouta avec une tendre sollicitude pour son épouse, désormais sa sœur en Jésus-Christ : « Ma chère femme, voici la nuit qui approche, retourne à la maison. Quand on nous appellera au tribunal, je te ferai avertir. »

Avant de s'éloigner, Natalie baisa aussi les chaînes des vingt-trois compagnons d'Adrien, puis, leur montrant son mari :

- Je vous en supplie, seigneurs, fortifiez cette brebis du Christ ! Quelques jours après, Adrien, apprenant qu'il va être appelé au tribunal, dit à ses compagnons :

- Souffrez que je me rende dans ma demeure et que j'amène ma sœur, votre servante, car je lui ai promis de la faire assister à notre dernier combat.

Les Saints y ayant consenti, il donne une forte somme d'argent au gardien de la prison et sort, laissant ses compagnons pour garants de sa parole.

Cependant, Natalie apprend que son mari vient d'être aperçu dans la ville. Croyant qu'il a fui devant le martyre, elle en est toute terrifiée, des larmes amères coulent de ses yeux. A ce moment, Adrien paraît au seuil de la maison, mais elle, dans son désespoir, lui ferme brusquement la porte, et l'accuse de lâcheté.

En entendant ces paroles inspirées par les sentiments les plus nobles, l'ancien officier impérial se sentait pénétré d'une ardeur toute nouvelle pour accomplir sa promesse. Il s'étonnait et était heureux à la fois. Mais voyant sa femme si cruellement affligée, il lui dit :

- ouvre-moi ta maison, ma chère Natalie, je ne me suis point soustrait au martyre ; loin de mon cœur une pareille lâcheté ! Je viens au contraire te chercher, selon ma promesse, car l'heure du dernier combat est proche.

Et comme la jeune femme restait incrédule, Adrien parla de se retirer, ajoutant que le groupe de chrétiens répondait de sa personne.

A ces mots, Natalie ouvrit joyeusement la porte.- ô femme bénie, dit Adrien, dont le courage soutient la foi de ton mari pour le

conduire au salut, ta couronne sera digne de celle des martyrs, bien que le persécuteur ne t'inflige pas leurs tourments.

Les deux époux se dirigèrent alors vers la prison. En route, Adrien demandait sa femme :

- Maintenant, que penses-tu faire de nos biens ?- N'aie point de soucis à cet égard, répondit Natalie, mais que désormais rien de

terrestre n'embarrasse ton âme.Dès qu'ils furent entrés dans la prison, Natalie se prosterna de nouveau aux pieds

des Saints et baisa leurs chaînes. Ayant remarqué que leurs chairs étaient putréfiées par suite des meurtrissures, au point que les vers sortaient de leurs plaies, elle envoya ses servantes chercher des linges les plus fins et les plus précieux pour laver les plaies des martyrs et bander leurs membres tout disloqués par le poids des chaînes. Elle demeura sept jours dans la prison, donnant tous ses soins aux disciples de Jésus-Christ.

Au tribunal du tyran.

L'ordre fut enfin donné de faire comparaître les captifs chrétiens devant le tribunal impérial. Les licteurs les placèrent tous attachés à une même chaîne sur des bêtes de

Page 58: 1 Septembre I

somme, car leurs corps brisés par la torture ne pouvaient plus les soutenir. Adrien suivait, les mains liées derrière le dos. Maximien voulut soumettre tous les

martyrs à la torture, mais le président du tribunal lui fit observer que leurs corps étaient dans un tel état de faiblesse, qu'il serait impossible de leur imposer ce nouveau supplice sans les faire mourir sur-le-champ. Adrien fut donc seul appelé.

Dépouillé de ses riches habits d'officier impérial et couvert du vêtement des condamnés, il s'avança, portant lui-même le chevalet sur ses épaules. Et toujours encouragé par sa sainte femme, il fut introduit devant l'empereur qui l'interpella :

- Persistes-tu dans ta folie ?- J'ai renoncé à la folie, et c'est pourquoi je suis prêt à sacrifier ma vie pour sauver

mon âme.- Sacrifie aux dieux immortels, reprit le tyran, adore-les comme nous, ou, si tu

refuses, tu seras soumis à des tourments dont tu ne peux te faire l'idée.Adrien lui répliqua :- Empereur, je plains ton aveuglement. Pour moi, jamais je ne reconnaîtrai pour

dieux des blocs de pierre. Fais donc promptement ce que tu as résolu.Le tyran donna l'ordre de le frapper de verges. Alors Natalie courut prévenir les

Saints :- Mon mari vient de commencer son martyre, dit-elle.Et tous, se prosternant, adressèrent pour lui leurs prières au Seigneur mort pour

nous.Déjà la chair du héros tombait en lambeaux et son sang inondait la terre quand

Maximien lui cria :- Ce sont des hommes trompeurs qui t'ont enseigné cette doctrine.Le témoin du Christ répondit :- Comment oses-tu appeler trompeurs ceux qui m'ont montré le chemin de la vie

éternelle ?

Furieux, l'empereur commanda de frapper le martyr avec encore plus de violence. Mais Adrien lui dit :

- En redoublant mes tourments, tyran sanguinaire, tu ne fais qu'augmenter l'éclat de ma récompense.

Alors, peut-être ému à la vue de ce corps broyé au point que les entrailles apparaissaient, Maximien lança un dernier appel :

- Invoque seulement les dieux, dit-il à Adrien, et je ferai aussitôt appeler les médecins pour panser tes blessures, et tu demeureras dans mon palais.

- C'est en vain, reprit le généreux chrétien dont ces tortures affreuses n'avaient pas abattu le courage, c'est en vain que tu me promets le secours des médecins, les honneurs les plus grands, et l'hospitalité dans ta demeure, je ne cèderai jamais.

Le tyran, vaincu, remit à plus tard l'exécution de sa vengeance ; il commanda de ramener en prison le groupe des martyrs, et fixa un jour pour les interroger plus à loisir.

Page 59: 1 Septembre I

Héroïsme sans exemple.

Les soldats les entraînèrent aussitôt, tirant avec violence ceux qui pouvaient encore se tenir debout, et traînant par terre ceux qui étaient entièrement épuisés.

Natalie soutenait elle-même son mari presque agonisant, et elle lui disait :- Tu es heureux, Adrien, puisque tu as été jugé digne de souffrir pour Celui qui est

mort pour toi ! Encore quelques instants et tu partageras dans le ciel la gloire de Celui dont tu partages maintenant les douleurs.

Quand ils furent tous réunis dans la prison, les martyrs s'approchèrent de leur héroïque frère pour le saluer, et ceux qui ne pouvaient plus marcher se traînaient sur leurs mains pour venir lui offrir le baiser de paix. Natalie essuyait son sang et pansait les blessures dont son corps était couvert.

Les diaconesses et d'autres femmes nobles étaient restées dans la prison pour soigner les martyrs ; Maximien, l'ayant appris, en fut très courroucé et leur en interdit l'accès ; mais elles se firent couper les cheveux, et, revêtues de tuniques d'hommes, apportèrent de nouveau leurs soins à leurs frères.

Le tyran connut bientôt ce stratagème ; on l'avertit en même temps que les forces des chrétiens s'épuisaient par la violence des douleurs que leur causaient leurs plaies envenimées ; il ordonna d'apporter une enclume, de la placer sous leurs pieds et de leur briser les jambes avec une barre de fer.

- Je saurai, ajouta-t-il, faire en sorte qu'ils ne terminent pas leur vie par une mort ordinaire.

Bientôt les licteurs apportèrent les instruments du supplice. Natalie, tout enflammée d'amour pour le Christ, et animée vis-à-vis d'Adrien des sentiments les plus nobles et les plus désintéressés, puisqu'elle ne désirait rien tant, que le salut éternel et l'auréole de gloire pour son mari, eut peur de le voir faiblir dans ces dernières luttes. Elle osa demander qu'Adrien frit le premier soumis à cette épreuve terrible. Les bourreaux y consentirent. Lorsquils eurent placé l'enclume près d'Adrien, sa femme, lui saisissant les jambes, les étendit sur l'instrument fatal. Alors les licteurs, frappant de toutes leurs forces, coupèrent les pieds et brisèrent les jambes du martyr agonisant. Puis, d'après l'hagiographe, Natalie ajouta, dans un élan que notre nature humaine a peine à comprendre :

- Je t'en supplie, serviteur du Christ, tandis que tu respires encore, étends aussi la main, afin qu'ils la coupent et que tu sois en tout, semblable aux saints martyrs qui vont souffrir;

Docile, Adrien étendit aussitôt la main et la présenta à sa femme. Natalie la plaça sur l'enclume, et le licteur la trancha d'un seul coup.

A l'instant même, le valeureux soldat du Christ rendit sa belle âme à Dieu. C'était le 4 mars. Il avait vingt-huit ans et il n'était marié que depuis treize mois.

Les autres martyrs subirent le même tourment. En présentant leurs pieds aux licteurs, ils disaient :

- Seigneur Jésus, recevez notre esprit.

Page 60: 1 Septembre I

Et leurs âmes saintes et pures s'envolaient vers le ciel.

Maximien ordonna que les corps fussent jetés aux flammes, mais un orage épouvantable, accompagné de grêle et de tremblements de terre, chassa les païens et éteignit le feu du bûcher. Les chrétiens recueillirent avec un grand respect les corps de leurs frères martyrs et les déposèrent secrètement sur un vaisseau qui les transporta sur les rivages du Bosphore, à Byzance, ville qui devait bientôt s'appeler Constantinople.

La veuve du martyr.

Natalie conserva précieusement la main de son mari ; elle l'enveloppa d'un tissu de pourpre et la plaça à son chevet. Sollicitée par un haut personnage de lui accorder sa main, la jeune et sainte veuve demanda à Dieu de la délivrer de cet importun. Sa prière fut exaucée, et un des compagnons d'Adrien lui apparut et l'engagea à partir pour Byzance, ce qu'elle fit.

Après avoir vénéré les restes des témoins du Christ et en particulier ceux de son saint époux, elle fut prise d'un sommeil profond pendant lequel elle passa de vie à trépas. Sa fête se célèbre le 1er décembre. Les chrétiens placèrent son corps près de ceux des vingt-quatre martyrs de Nicomédie.

Eux-mêmes, ayant renoncé au monde, se renfermèrent en grand nombre auprès de ces dépouilles sacrées, pour y vivre dans le jeûne et la méditation des merveilles dont ils avaient été les témoins.

Le culte de saint Adrien.

Les Grecs-ruthènes honorent, le 26 août, saint Adrien et sainte Natalie ; le même jour ils célèbrent aussi la mémoire d'un autre martyr, l'homonyme du martyr de Nicomédie, ce qui a provoqué certaines confusions, allant jusqu'à ne faire des deux Saints qu'un même personnage.

Le saint époux de Natalie est le patron des bourreaux, des bouchers, des brasseurs, des courriers, des geôliers et des grainetiers ; il est surtout invoqué, concurremment avec les saints Roch et Sébastien, contre les maladies contagieuses, notamment à Preures, au diocèse d'Arras.

La ville de Walpeke en Allemagne, dans le diocèse de Magdebourg, se glorifiait de posséder l'épée de l'officier impérial ; il est raconté que l'empereur d'Allemagne, saint Henri, obligé de partir pour la guerre, se recommanda aux martyrs Adrien, Georges et Laurent, et que, pendant la bataille, il les vit précédant son armée avec un ange qui frappait l'ennemi ; l'église où était conservée ce glaive sur l'authenticité duquel nous n'oserions nous prononcer, fut détruite par un incendie, et l'épée a disparu.

Page 61: 1 Septembre I

Les reliques de saint Adrien et son culte à Grammont.

Le corps du martyr fut transporté de Constantinople à Rome, le 8 septembre, d'où la date de sa fête principale ; une partie est vénérée dans l'église qui porte son nom, au Forum. Son culte prit surtout une grande extension à Grammont (Belgique), où l'abbaye Saint-Pierre, plus tard abbaye Saint-Adrien, reçut ses reliques vers la fin du XIe siècle.

Si sa fête principale y était célébrée le 9 septembre, il y en avait deux autres dans l'année : le 4 mars et le 27 mai, cette dernière coïncidant avec la date de l'arrivée des reliques à Grammont. En son honneur, avaient lieu aussi de fréquents exercices religieux. Ainsi tous les jeudis était célébrée une messe solennelle avec exposition de ses reliques ; après les Complies, les moines chantaient une antienne avec verset et oraison du Commun d'un martyr. Chaque jour voyait arriver quelque pèlerinage.

Il ne peut être question de citer ici tous les personnages qui vinrent à Grammont solliciter l'appui du Saint ; bornons-nous à deux : la duchesse de Lancastre en 1376, et, en 1457, Louis, le dauphin de France. Devenu le roi Louis XI, il fera en 1482, à la fin de son règne, deux offrandes importantes en l'honneur de saint Adrien, et, ayant appris que ses dons vont être affectés à l'achat de cloches, il demande que l'une d'elles porte son nom.

En 1378 fut fondée à l'abbaye une confrérie placée sous le patronage de la veuve du martyr. Elle fit place en 1627 à la confrérie de Saint-Adrien et de Sainte-Natalie, où s'inscrivit l'élite de la Belgique à la suite de la princesse Isabelle et de l'archevêque de Malines. Approuvée par ce prélat le 6 mai, et par le Pape Urbain VIII le 15 juillet de la même année, elle tomba en décadence par suite des malheurs des temps, mais elle fut restaurée peu après 1714.

Le culte de saint Adrien connut cinq siècles florissants à Grammont ; les événements politiques, et principalement les guerres dont cette région de l'Europe fut le théâtre au XVIe et au XVIIe siècle, devaient forcer plusieurs fois les religieux à transporter les reliques du saint martyr pour les mettre en lieu sûr. On est frappé de les savoir si souvent sur la route. En 1578, elles partent pour Tournai, et de là pour Arras ; elles sont à Mons-en-Hainaut en 1580, à Ath en 1586-1587 ; de nouveau à Tournai en 1635, à Ath en 1645, à Gand en 1649, puis en 1655 et encore l'année suivante ; en 1683 à Termonde, à Mons en 1689 ; dans l'intervalle de ces déplacements, elles reprenaient leur place à l'abbaye de Grammont.

Toutes ces précautions sont une preuve évidente du culte rendu au martyr ; cette ferveur fut récompensée par de nombreux miracles qui ont été enregistrés avec soin. Si les premiers récits sont perdus, il en reste beaucoup d'autres, impressionnants, où figurent même des résurrections.

A.J.D.

Sources consultées. - Acta Sanctorum, t. III de septembre (Paris et Rome, 1868). – Les Petits Bollandistes. – (V. S. B. P., n° 6o.)

Page 62: 1 Septembre I

SAINT SÉVÉRIENSoldat et martyr à Sébaste d'Arménie (t 320).

Fête le 9 septembre.

La vie de saint Sévérien d'Arménie fait suite à l'histoire tragique et bien connue des 40 Martyrs de Sébaste, laissés nus toute une nuit sur un étang glacé, et conquérant ainsi la palme du martyre (vers l'an 320). Il fut victime de la même persécution, celle de l'empereur Licinius.

Un soldat de fortune devenu empereur.

Le cas n'était pas rare. Comme plusieurs autres Césars ou Augustes, Licinius était un soldat de fortune. Né vers 263, en Dacie, d'une famille de paysans ; ambitieux, dur et violent, d'une très grande ignorance dissimulée, il s'éleva des derniers rangs de la milice romaine aux fonctions les plus importantes. Une guerre contre les Perses le signala à l'attention ; il reçut le titre d' « Auguste » en 307, fut chargé du gouvernement de la Pannonie et de la Rétie, et plus tard, après la mort de l'empereur Galère, son protecteur et compatriote (311), il occupa la Thrace et la Macédoine.

Son mariage avec Constance, la sœur de Constantin, augmenta encore son influence, et il aida son beau-frère à triompher de Maxence, en 312. Attaqué en Thrace par un rival, Maximin Daïa, il vainquit celui-ci à deux reprises, et ce double succès lui valut la préfecture de l'Orient. Il fut moins heureux par la suite, car, en 314 notamment, ayant fait la guerre contre Constantin lui-même, il dut céder plusieurs provinces.

Dès lors, Licinius semble s'être vengé de sa défaite en persécutant les chrétiens, que protégeait ostensiblement son beau-frère, et son nom est resté comme celui d'un homme sanguinaire, se livrant, contre les disciples de Jésus-Christ, à toute la violence cruelle de sa nature. Après une seconde guerre contre Constantin, il devait finir déchu de la pourpre, exilé, et étranglé en 324.

Page 63: 1 Septembre I

La « Légion fulminante ».

Tel est le triste personnage dont fonctionnaires et soldats eurent particulièrement à souffrir. Les chrétiens de son palais eurent à choisir entre l'apostasie et l'exil ; ceux qui étaient répandus dans les rangs de l'armée durent se résigner ou bien à pratiquer l'idolâtrie, à offrir aux faux dieux les sacrifices réglementaires, ou bien à déserter la milice.

Quelques-uns d'entre eux, cependant, apportèrent à leur refus tant de fermeté, à la confession de leur foi un tel éclat, que, pour faire un exemple, les généraux de Licinius se crurent tenus de leur infliger, non la simple dégradation ou le congé, mais la mort, et d'en faire des martyrs. Tels furent les 40 héros de Sébaste, parmi lesquels il y avait déjà un Sévérien ; tel aussi l'officier du même nom, qui est fêté le 9 septembre.

Ce dernier appartenait à la célèbre légion XII Fulminata, cantonnée depuis plusieurs siècles dans la province de la Petite-Arménie. L'historien catholique Paul Allard, bien connu pour ses ouvrages sur les persécutions, nous donne ce résumé des traditions de ce corps d'élite que le langage courant appelle la « Légion fulminante » :

Un de ses officiers, Polyeucte, fut martyrisé sous Dèce. A une époque plus reculée, l'histoire de la Légion se confond avec d'antiques souvenirs chrétiens. D'après un apologiste du IIe siècle, un de ses détachements, composé tout entier de soldats baptisés, suivit Marc-Aurèle dans l'expédition contre les Quades, et par ses prières obtint une pluie miraculeuse qui sauva l'armée. Si cette tradition est fondée, elle dut se transmettre d'âge en âge, et entretenir dans la Légion la croyance et le dévouement au christianisme. Indépendamment même de tels souvenirs, d'autres causes purent y favoriser la propagande chrétienne. A certaines époques, celle-ci avait beaucoup à gagner au système des camps permanents, où une légion s'immobilisait pendant une durée presque indéfinie, mêlée à la population civile par les mariages, le commerce et les relations quotidiennes ; il en fut vraisemblablement ainsi pour le corps d'armée de la Petite-Arménie, voisine et sœur de cette Arménie indépendante où récemment la croix avait conquis tout un peuple et, par la victoire d'un roi chrétien sur le persécuteur Maximin, préludé à celle de Constantin sur Maxence. Mais les motifs qui, dans la Légion, enflammaient le zèle des soldats chrétiens accrurent la sévérité et la défiance des officiers de Licinius.

Son général, en 320, était Lysias ; c'était un ministre zélé de Licinius, et il ne pouvait supporter la moindre contravention aux édits impériaux. Sévérien allait être une nouvelle victime de ce zèle du chef païen. Nous résumons ici les données fournies par les Actes du martyre, tels qu'ils nous ont été conservés par deux manuscrits grecs du XIe siècle (Paris, gr. 1506 et 1519 ; cf. aussi 1523, du XIIe s.). Des juges sévères, comme l'historien Le Nain des Tillemont au XVIIe siècle, et le P. Jean Stilting, bollandiste, en 1790, ont déclaré tenir ces Actes pour dignes de foi : nous pouvons donc les accepter avec eux.

Page 64: 1 Septembre I

L'officier devant son général.

Peu après la mort des 40 Martyrs de Sébaste, le général Lysias reçut un rapport conçu en ces termes :

« Le chef de légion Sévérien contrevient ouvertement aux ordres de l'empereur et aux tiens. Il se vante d'être chrétien et d'avoir indirectement causé la mort des 40 braves militaires, en les exhortant à désobéir à l'empereur. En outre, comme il est très riche, il a fait donner des aliments à ces 40 soldats, ainsi qu'à beaucoup d'autres chrétiens emprisonnés pour leur foi. »

Or, une ordonnance impériale défendait précisément de procurer de la nourriture aux détenus et de témoigner quelque compassion aux hommes qui souffraient de la faim dans les prisons. Quiconque était convaincu d'avoir donné l'aumône à l'un d'eux était considéré comme son complice et puni de la même peine que lui.

Sévérien l'ignorait-il ? Non. Il savait bien à quoi il s'exposait et, dès le commencement de la persécution, il répondait à ses amis qui le conjuraient de fuir s'il ne voulait pas être sacrifié au courroux de ses persécuteurs :

- N'ayez point de crainte à mon sujet. Je sais que je m'expose à la mort ; je vous prie même de recueillir, après mon trépas, ma dépouille mortelle, afin de la soustraire aux profanations. Mais il faut que je confesse Jésus-Christ. Je ne puis cacher mon indignation à la vue des superstitions auxquelles se livrent les adorateurs des faux dieux. Ne craignez pas que les idolâtres l'emportent sur moi et me confondent. Je me charge, au contraire, de leur démontrer l'absurdité de leur doctrine et de leur culte ; car un soldat de Jésus-Christ a plus de force qu'un empereur impie.

II parlait ainsi presque publiquement, au milieu de la ville de Sébaste. A la lecture du rapport, Lysias entra dans une violente colère. Une sorte de joie sauvage se mêlait à sa fureur, car il trouvait une occasion de se montrer cruel, et la cruauté était chez lui, dit une recension des Actes, presque naturelle. Il donna ordre de chercher Sévérien, menaçant de mort ses émissaires au cas où ceux-ci ne le lui amèneraient pas promptement.

L'officier chrétien leur évita cette peine. Loin de céder aux objurgations de ses amis, il prévint les envoyés de Lysias, se présenta de lui-même devant le général, et, jugeant le moment opportun, lui dit avec une grande liberté :

- Rien n'intimide un vrai soldat du Christ. Pour te le prouver, je viens me livrer volontairement entre tes mains. Est-ce que les martyrs qui nous ont précédés n'ont pas fait échouer toutes tes machinations sacrilèges ? Est-ce que tu as pu, par la violence des tortures affreuses auxquelles tu les as soumis, les faire changer de sentiment ? Non, certes ! et pendant que vous autres, les adorateurs des démons, vous étiez encore tout couverts de confusion, eux, déjà, avaient reçu de la main du Christ la couronne de l'immortalité.

Page 65: 1 Septembre I

Fermeté de saint Sévérien devant les supplices.

Ces paroles jetèrent Lysias dans une sorte de démence. Quelle incroyable audace chez ce subalterne ! Un moment il demeura muet de surprise, puis il se tourna vers ses licteurs et, désignant de la main le martyr, il leur dit :

- Arrachez-lui ses vêtements, étendez-le par terre, et frappez-le sans pitié avec des nerfs de bœuf.

Durant ce supplice, Sévérien se réjouissait de souffrir pour le Christ et, empruntant au Psalmiste un verset du psaume CXXVIII, il s'écriait : « Les pécheurs ont multiplié les coups sur mes épaules, ils ont prolongé leur iniquité. »

Cependant, les bourreaux étaient à bout de forces. Lysias ordonna de suspendre les coups et dit à la victime :

- A ce que je vois, tu es un rude soldat, capable de supporter plus d'un assaut. Tu peux t'attendre à en subir. Ce n'est pas ton Christ qui t'apportera le bonheur ni la fortune.

Sévérien, que la souffrance rendait plus éloquent, répondit sous l'inspiration de la grâce :

- Si tu avais des yeux, je te montrerais les biens que me valent tes supplices ; mais tu es aveugle et ne peux rien voir de la récompense vraiment royale qui m'est réservée. Et comment donc, lorsque mon âme, élevée jusqu'aux cieux, contemple avec délices ce grand objet des promesses du Christ mon Sauveur, comment pourrais-je être sensible aux tortures que tu infliges à mon corps ?

- J'y crois si peu, repartit Lysias, que, par de nombreux tourments, je me prépare à te rendre plus modeste et plus sage. Tu te fais gloire d'avoir séduit de pauvres insensés, mais ne t'imagine pas que tu m'entraîneras avec eux. Je suis décidé à te torturer et à t'accabler d'outrages jusqu'à ce que tu reconnaisses la puissance souveraine de nos dieux.

- Agis comme tu voudras, dit Sévérien ; mais, quoi que tu fasses, tu verras éclater la puissance de mon Seigneur et tu te lasseras de me torturer plutôt que je me lasserai de souffrir.

- Aurais-tu donc oublié, misérable, s'écria Lysias, que je suis ton chef ?- Je suis ici comme soldat du Christ, répondit Sévérien, non comme soldat de

l'empereur. J'appartiens à une religion qui m'enseigne le devoir d'obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes. Tu me rappelles mon infériorité vis-à-vis de toi comme soldat ; je te réponds que, par le baptême et par le sang du Christ, j'ai acquis une noblesse supérieure à tous les titres de grandeur selon le monde et une dignité supérieure à celle des potentats de la terre. Aux yeux du chrétien, la gloire du monde n'est que fumée, les richesses du monde que du clinquant sans valeur, les plaisirs du monde que fumée et que boue. C'est pourquoi je te parle comme à un esclave, quoique, dans la hiérarchie militaire, tu sois mon supérieur. D'ailleurs, garde-toi de penser que le souffle de ta colère va me renverser et me réduire en poussière. Celui qui combat en moi et pour moi, c'est le Christ lui-même !

Page 66: 1 Septembre I

Nouveaux tourments encore plus cruels.

Ces paroles portèrent à son paroxysme la fureur de Lysias ; celui-ci, fidèle à sa promesse, ordonna de nouveaux supplices. On essaya des chevalets, puis des ongles de fer. Les licteurs chargés de la torture se relayaient et rivalisaient de cruauté ; c'était à qui trouverait le moyen de faire souffrir davantage le martyr. Durant ce temps, disent les Actes, Sévérien priait ainsi : « Seigneur Jésus-Christ, Créateur du monde visible et du monde invisible, qui avez triomphé des puissances de l'enfer, qui, du haut de la croix, avez enchaîné le dominateur de ce monde, qui avez donné aux Apôtres la force d'en haut contre la fureur de leurs ennemis ; vous qui, autrefois à Babylone, avez assoupi les flammes qui, dans la fournaise, devaient dévorer les trois jeunes hommes ; Seigneur Jésus, soutenez-moi et fortifiez-moi. Vous connaissez la faiblesse humaine ; vous savez que notre vie est semblable à l'herbe des champs et que nos jours sont comptés comme ceux d'une fleur éphémère. Rendez gloire à votre nom en confondant l'orgueil de ceux qui s'acharnent contre votre bercail sacré, afin que toute la terre reconnaisse que vous êtes le seul vrai Dieu. »

Le général donna enfin l'ordre de ramener Sévérien en prison :

- Si, au deuxième interrogatoire, tu ne te montres pas plus docile, dit-il menaçant, je saurai bien te rendre raisonnable.

Ces paroles n'effrayèrent point Sévérien ; tandis qu'il traversait les rues de Sébaste pour retourner à son cachot, il parlait à la foule immense des curieux formant la haie sur son passage :

- Vous qui voyez les plaies d'un soldat du Christ, s'écriait-il, songez aussi à la récompense qui l’attend ! Si l'empereur accorde des gratifications magnifiques aux parents de ceux qui ont péri à son service, à combien plus forte raison le Christ ne rendra-t-il pas participants de son royaume ceux qui auront combattu pour lui !

La foule grossissait à mesure que s’avançait le confesseur de la foi, et il ne cessa de l’instruire jusqu’à son entrée dans la prison. Cinq jours après, Lysias, légèrement apaisé, le manda de nouveau et essaya de la douceur, comme font beaucoup d'hommes de son espèce lorsqu'ils ont échoué en employant la violence.

- Sévérien, lui dit-il, tu es un homme courageux. Tu en as donné des preuves, l'autre jour au milieu des supplices. C'est grand dommage que tu ne réserves pas ta force et ta constance pour les combats à livrer aux ennemis. Mais l'employer à défier inutilement le fer du bourreau, les pierres ou les bêtes féroces, c'est une folie. Allons, tu es assez intelligent pour comprendre ce qui t'est avantageux et ce qui ne l'est pas. Ne me force donc pas, par ton fol entêtement, à user envers toi des dernières rigueurs : sacrifie aux dieux.

Sévérien répondit :

- Homme insensé, tu n'as pu ébranler ma foi par des tourments, comment espères-tu y parvenir maintenant par des paroles ? Quels que soient les supplices dont tu puisses m'accabler, jamais je ne renierai mon Seigneur Jésus.

Page 67: 1 Septembre I

Prédication, prières et souffrances du martyr.

A ces mots, Lysias leva le masque, revint à ses instincts de cruauté, et fit frapper avec une grosse pierre la bouche du martyr en disant :

- Ne prononce pas ici le nom du Crucifié. Ce nom m'irrite et profane l'enceinte du prétoire.

Le vaillant Sévérien répliqua, malgré ses souffrances :- Homme pervers, en nommant tes dieux, tu crois faire grand honneur à ton

tribunal, et tu oses dire qu'en nommant le Christ, Roi des rois, on le déshonore ! Je te comprends : ce nom adorable t'irrite, non parce que tu crains de voir profaner ce sanctuaire de la justice, mais parce que ce nom trouble et agite ta conscience coupable.

- Je vois qu'il n'est pas encore corrigé, dit Lysias à ceux qui l'entouraient. Suspendez-le au chevalet et déchirez-lui tout à fait les flancs.

Pendant qu'on suspendait le martyr, Lysias lui dit :- Avant que je ne donne l'ordre d'exécution, promets-moi de sacrifier aux dieux,

regarde ton corps et aie pitié de toi.Le disciple du Christ répondit :- Il n'y a pas de proportion entre les souffrances que nous éprouvons ici-bas et la

gloire éclatante dont nos travaux seront un jour récompensés. C'est pourquoi j'ai hâte de te convaincre de ton impuissance et de parvenir à l'héritage éternel.

Lysias, voyant qu'il ne pouvait rien obtenir de sa victime, s'écria :- Qu'on le suspende au haut d'une muraille, qu'on lui attache une grosse pierre au

cou et une autre aux pieds, afin que, par l'effet de la pesanteur des pierres, son corps soit tout disloqué.

Puis il ajouta ironiquement :- Allons, Sévérien, combats vaillamment, ta récompense n'en sera que meilleure.

Bourreaux, déchirez-le un peu plus fortement, afin qu'il nous rende grâce de ce que nous sommes ainsi ses bienfaiteurs.

Cependant, les licteurs faisaient consciencieusement leur œuvre ; ils déchiraient de plus belle la chair du supplicié, les os étaient mis à nu en maints endroits. Le martyr dit en soupirant et les yeux au ciel : « 0 Dieu, créateur de toutes choses, vous qui êtes l'espérance de ceux qui croient en vous, exaucez-moi, Seigneur mon Dieu ; accordez-moi, dans votre bonté, la vie éternelle, et que cet homme impie ne puisse se glorifier d'avoir prévalu sur moi ! »

Ensuite, s'adressant à Lysias, il lui dit encore :- Malheureux ! si tu savais l'avantage des souffrances que j'endure, tu

comprendrais quelles sont un moyen d'éviter les châtiments éternels et d'être admis au royaume du Christ ; tu désirerais être soumis aux mêmes tourments.

- Vraiment, reprit Lysias, tu parles comme un orateur ! Je te supposais ignorant, illettré, je vois que je me suis trompé.

- Et quel orateur pourrait être comparé au Christ qui parle en moi ? Ce n'est pas moi qui te parle ainsi ; je ne suis, en effet, qu'un ignorant ; mais la grâce divine me met sur les lèvres une parole éloquente et m'aide à combattre.

Page 68: 1 Septembre I

La fin du combat.

Les forces du martyr s'en allaient avec son sang. Quand il se sentit sur le point de remporter la victoire définitive, il cessa ses discussions avec le tyran pour ne plus converser qu'avec Dieu, et, dans un effort suprême, entonna cette prière d'actions de grâces : « Je vous remercie, Seigneur mon Dieu, de m'avoir arraché aux pièges des méchants, de m'avoir délivré des mains de ceux qui voulaient la mort de mon âme, d'avoir mis sous mes pieds tous ces hommes élevés contre moi ; ils ne savaient pas que le Christ est ma vie, et qu'en me réunissant à lui, la mort elle-même m'est un gain.

0 Christ, je vous recommande tous ceux qui, en ce moment, souffrent persécution pour votre nom ; soyez en eux un lutteur invincible ; renversez ceux qui attaquent votre saint troupeau, confondez leur malice, faites-leur ressentir la puissance de votre bras. Car c'est à vous, ô Christ, qu'appartiennent à jamais le royaume et la gloire. Et maintenant, daignez me recevoir dans vos parvis, et m'accorder les biens que l'on goûte dans votre paradis. »

La prière achevée, il expira. C'était le neuvième jour de septembre de l'an 320.Le lendemain, selon le désir de Sévérien, les pieux chrétiens, auxquels il avait

prédit sa fin glorieuse, vinrent prendre son corps et l'emportèrent en sa patrie, au chant des hymnes, avec les témoignages de la plus touchante vénération.

G.Rieutort.

Sources consultées. – Bollandistes, Acta Sanctorum, au 9 septembre. – Surius, Historiae Sanctorum. – Tillemont, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique (Paris, 1698), t. V, p. 511-512. – Migne, Patrologia gracca, t. CXV, col. 640-652. – Paul Allard, La persécution de Dioclétien et le triomphe de l’Eglise. – Champagny, Les Césars du IIIe siècle. – Abbé Profillet, Les saints militaires, t. V. – (V.S.B.P., n° 1038.)

Page 69: 1 Septembre I

………….

PAROLES DES SAINTS_________

La joie des impies.

Ce que les impies appellent se réjouir n'est pas la joie véritable. Ecoute le prophète Isaïe : « Il n'y a pas de paix pour les impies » (Is. LVII), dit le Seigneur : Crois en lui.

Quelle est donc la joie des impies ? Se réjouir de l'iniquité, de l'infamie, de la honte, du vice ; car les impies se réjouissent en toutes ces choses.

Qu'est-ce donc encore que la joie des impies ? Je le dis brièvement l'allégresse des impies est dans leur méchanceté impunie.

Des hommes vivent dans la luxure, la fornication, la frivolité des spectacles, le vice de l'ébriété, ils se souillent de toutes les hontes, ils repoussent toute épreuve, et voilà la joie des impies.

Ni la faim, ni la crainte de la guerre, ni quelque maladie ou adversité que ce soit, ne châtient ces crimes ; mais ils ont tous les biens en abondance, dans la tranquillité de la chair, dans la sécurité de leur mauvais esprit ; et voilà la joie des impies.

Mais Dieu ne pense pas comme l'homme : autre est l'opinion de Dieu, et autre celle de l'homme.

Le commencement des impies est sans prévoyance, et leur fin est pleine de regrets.Car toutes leurs œuvres périront, elles ne porteront point de fruits ; elles paraissent

pour un temps, avoir quelque force ; plus tard ils chercheront, et ne trouveront plus rien de ce qu'ils ont fait.

Car leur langage sera celui-ci : « A quoi nous a servi notre orgueil, et que nous a rapporté l'ostentation de notre richesse ? Toutes ces choses ont passé comme l'ombre. » (Sap, v, 8.)

Saint Augustin.

Page 70: 1 Septembre I

SAINT NICOLAS DE TOLENTINConfesseur, Ermite de Saint-Augustin (1245-1306)

Fête le 10 septembre.

Dieu, qui crée ses Saints pour la gloire éternelle, sait sanctifier non seulement leur vieillesse et leur âge mur, mais encore leur naissance. C'est ainsi qu'il fit à saint Nicolas l'honneur d'envoyer des anges annoncer sa venue en ce monde. Compaignon de Guarutti, son père, et Aimée de Guidiani, sa mère, qui vivaient au bourg de Sant- Angelo in Pontano, dans la Marche d'Ancône, pleurèrent longtemps l'infécondité de leur mariage. Grands dévots de saint Nicolas de Myre, ils espéraient, par ses mérites, voir cesser leur opprobre. Ils firent donc vœu d'aller vénérer ses reliques à Bari, ville du royaume de Naples. Alors un ange leur apparut.

- Vos prières sont exaucées, leur dit-il ; allez au tombeau de saint Nicolas, il vous apprendra qui doit naître de vous.

Les prédictions de saint Nicolas de Myre.

La joie de cette vision réveille les deux époux. Ils se lèvent aussitôt et rendent grâces au ciel. Confiants dans le message divin, ils laissent leur patrimoine à la garde de leurs amis, et se mettent en route.

Arrivés à Bari, ils vont avant tout, comme il convient à de pieux pèlerins, faire leurs dévotions au Christ et au seigneur saint Nicolas son serviteur. Tandis qu'ils prient au pied de l'autel, malgré leur ferveur et leur religion, ils s'endorment vaincus par la fatigue.

Les yeux de leur âme s'ouvrent alors aux choses célestes, et voient saint Nicolas qui leur dit :

- Je viens confirmer les paroles que l'ange vous a apportées. Vous aurez bientôt un fils. Appelez le Nicolas puisque c'est à moi que vous le devrez. Cet enfant réjouira le Seigneur par sa vie de prière et de pénitence. Il sera prêtre et illustrera son nom par de nombreux miracles. Pour vous, regagnez maintenant en paix votre demeure. Revenus à eux, Compaignon et Aimée gémissent sur leurs péchés, qui les rendent indignes de tant de grâces, et ils mêlent des pleurs de repentir à leurs élans de reconnaissance et de joie.

Page 71: 1 Septembre I

Ces deux sentiments luttaient encore dans leur cœur, quand ils revinrent à Sant-Angelo. Leur fils y naquit enfin, au mois de septembre 1245. Ils le présentèrent au baptême dans un grand sentiment de foi et le firent appeler Nicolas.

Modèle des enfants.

Dès ses premières années, l'enfant est appliqué à l'étude. Les femmes immodestes, les compagnons légers lui font horreur. I1 fuit leur commerce et s'attache à imiter les vertus qui resplendissent chez les vrais chrétiens. Il attire les pauvres à la maison paternelle, et les sert de ses mains. Son bonheur est ensuite d'assister aux divins offices. A l'église il écoute la parole de Dieu avec tout le respect d'un homme. Sa dévotion est si profonde, son maintien si religieux, que les fidèles sont persuadés qu'il voit le Christ des yeux du corps.

Si Dieu laisse vivre cet enfant, se disent-ils, ce sera quelque jour un grand saint.Ces heureux présages firent dès lors recevoir Nicolas parmi les chanoines de la

collégiale de Sant-Angelo. Il reçut la tonsure et les ordres mineurs. Mais, quoiqu'il fût bien jeune encore, son ambition tendait plus haut. Il cherchait un état qui put l'élever à un tel point de vertu, que le monde ne fût plus digne de le posséder. Pour s'y préparer, il s'imposa trois jours de jeûne par semaine.

Sa vocation.

Il y avait dans le monastère augustinien de Sant-Angelo un prieur, le P. Régnault, dont la parole et la vie faisaient l'édification du peuple. Un jour la foule l'écoutait sur la place publique. « N'aimez point le monde, disait-il, n'aimez point le monde, car le monde et ses plaisirs passeront vite pour nous. » Nicolas était parmi les auditeurs. Cette pensée le frappe et jette dans son âme le désir de la vie religieuse. Dès la fin du discours, il se met aux pieds du prédicateur et réclame l'habit de saint Augustin. Mais le Père refuse de recevoir un novice si jeune sans le consentement des siens, craignant que le bonheur de l'enfant ne fit le désespoir des parents.

Aimée et Compaignon aimaient trop leur fils pour s'opposer au bien de son âme. Ils s'en séparèrent, en bénissant Dieu, qui commençait ainsi à remplir ses promesses.

Un novice fervent.

Grâce à la paix et au recueillement du cloître notre Saint passa vite maître en vertu. « Il ne vit pas en homme, disait-on, mais en ange. » Nicolas cependant s'estimait le dernier de tous. Comme tel, il obéissait à chacun de ses frères, et il ne pouvait se défendre d'un spécial attachement pour ceux qui lui procuraient quelque humiliation imprévue. Le temps du noviciat. S'écoula rapidement, et Nicolas fut admis à prononcer

Page 72: 1 Septembre I

ses vœux solennels de religion. Le jeune profès comprit que la loyauté oblige, devant Dieu comme devant les hommes, à garder des engagements si sacrés. Aussi, sentant qu'il ne pourrait sauvegarder sa pureté qu'au prix des plus rudes sacrifices, il surpassa tous ses frères en austérité. Sa prière, ses jeûnes prolongés, ses cruelles macérations lui donnèrent la victoire. Au milieu des souffles empoisonnés de la terre, il conserva dans toute sa fraîcheur et son éclat, le lis de la virginité.

Quelquefois on lui demandait s'il était possible à l'homme de repousser tous les assauts de la luxure. Mais il se gardait bien de révéler ses triomphes sur ce point.

« C'est Satan qui inspire cette question, pensait-il, pour me faire tomber dans le péché, il voudront m'embarrasser dans le filet de l'orgueil et de la présomption. »

Nicolas fut envoyé à San-Ginesio pour faire ses études théologiques sous la direction du célèbre Rupert, puis à Macerata.

Une messe votive des Morts le dimanche.

Après avoir reçu les ordres sacrés, à Cingoli, dans l'église collégiale de Sainte-Marie, des mains de saint Bienvenu, évêque d'Osimo, Nicolas passa au monastère de Valmanente, près de Pise. Plein d'une ardente et constante dévotion, il y célébrait le Saint Sacrifice tous les jours, contrairement à l'usage du temps. A l'autel son visage s'enflammait d'un feu divin, et des larmes d'amour coulaient de ses yeux. Aussi les fidèles s'empressaient à sa messe, pour participer à ses prières.

Mais ce n'était point seulement la terre qui venait réclamer ses suffrages. Une nuit, il entend des gémissements et des soupirs confus :

- Frère Nicolas, serviteur de Dieu, daigne avoir pitié de moi, répétait une voix lamentable.

- Mais qui es-tu ? répondit-il.Je suis l'âme du Fr. Pellegrin d'Osimo, qu'autrefois tu connus. Aujourd'hui, hélas !

je souffre dans les flammes du purgatoire. Je t'en prie, dis demain la messe des trépassés pour me délivrer de mes peines.

- Que le sang du Rédempteur se répande sur toi ; mais je ne puis me rendre à tes désirs. Demain c'est dimanche, et il ne m'est point permis de changer l'office du jour. De plus je dois présider au chœur cette semaine, et chanter la messe conventuelle.

- Viens donc, vénérable Père, et vois si tu peux repousser aussi cruellement les supplications des infortunés qui m'envoient.

Nicolas fut alors transporté dans la solitude qui entourait son couvent.Là, une foule d'enfants, de femmes, d'hommes, s'agitaient comme dans une mer de

douleur.- Pitié ! Pitié pour ceux qui réclament ton secours ! s'écrièrent-ils à sa vue. Demain

tu nous délivreras presque tous de nos peines, si tu veux dire la messe pour nous.Le religieux fut pris d'une telle compassion qu'il revint à lui. Aussitôt il se jette à

genoux et répand devant Dieu des prières et des larmes abondantes pour le soulagement des âmes du purgatoire. Dès le matin il découvre à son supérieur les instances que l’Eglise souffrante a faites auprès de lui ; il obtint sans peine d'être délivré de toute charge, et pendant toute la semaine, il consacre ses messes, ses

Page 73: 1 Septembre I

oraisons et ses pénitences, à la délivrance des défunts. Le dernier jour, l'âme du Fr. Pellegrin vint le remercier de lui avoir ouvert le ciel, ainsi qu'à un grand nombre de ses malheureux compagnons.

Telles furent les prémices de son apostolat. Il s'apprêtait, par la mortification, à le rendre plus fécond encore dans la suite. Le cilice ne le quittait jamais. Souvent il y joignait une ceinture de fer, dont les pointes acérées pénétraient ses chairs. Enfin il achevait d'ensanglanter son corps innocent par de fréquentes flagellations.

Il s'obligea à une abstinence perpétuelle et à cinq jours de jeûne par semaine.Devant sa grande sainteté, les supérieurs de l'Ordre lui confièrent l'importante

charge de maître des novices, qu'il exerça, à la grande satisfaction de tous, au monastère de Sant-Elpidio, durant une année.

Il fut envoyé ensuite, comme prédicateur, à Fermo, petite ville qui se dresse au sommet d'une colline dominant la mer Adriatique. Son cousin, abbé d'un riche monastère bénédictin situé non loin de là, tenta de l'amener dans son couvent. Mais Nicolas, resta sourd à ses propositions. Il courut à l'église s'armer du bouclier de la prière.

- Seigneur, s'écriait-il, faites que je marche toujours devant vous !Bientôt, vingt jeunes gens divisés en deux chœurs l'entourèrent et chantèrent par

trois fois : « C'est à Tolentino, c'est à Tolentino, c'est à Tolentino que tu mourras. Persévère dans ta vocation, tu y trouveras le salut. » A leur aspect radieux, l'homme de Dieu comprit que c'étaient des anges qu'il avait entendus. Le jour même, rentré à Fermo, il reçut l’ordre de passer au couvent de Tolentino. La plupart des historiens s'accordent pour placer ce départ en 1275.

Quelques traits de ses mortifications.

Pour se préparer à la mort qu'il croyait bientôt trouver à Tolentino, Nicolas entra dans une voie encore bien plus étroite que jamais. Il s'interdit l'usage du lait, des œufs, des fruits et des poissons ; quelques herbes bouillies faisaient son seul aliment. Ces nouvelles privations le firent tomber dans une grave maladie. Confiant dans le médecin souverain, Notre-Seigneur Jésus-Christ, il n'en voulait pas voir d'autres. Ses frères, cependant, en firent venir malgré lui. Les hommes de science décidèrent que, pour recouvrer la santé, le malade devait manquer aux promesses qu'il avait faites à Dieu, et manger de la viande. Sur leur conseil son supérieur le lui commanda. Nicolas « préférait avoir la mort entre les dents plutôt qu'un seul morceau de viande ». Néanmoins, il prit par obéissance une bouchée de viande.

Une autre fois, il fut contraint d'accepter une perdrix rôtie, L'infirmier en a déjà coupé un morceau, quand le malade lève les yeux au ciel et s'écrie :

- Mon Dieu, vous connaissez mon cœur !A ce moment, rapporte un contemporain, les deux parties de la perdrix se

réunissent, le corps se couvre de plumes, et l'oiseau, après avoir reçu la bénédiction du Père, s'envole du plat et de la chambre, à la vue de tous les assistants. La maladie part en même temps, et Nicolas se trouve parfaitement guéri.

Page 74: 1 Septembre I

Les « petits pains » de saint Nicolas.

Il eut, dans la suite, un autre accès si violent qu'il se crut aux portes du tombeau. La crainte des jugements de Dieu vint encore augmenter son mal. Mais la Sainte Vierge, saint Augustin et sainte Monique le rassurèrent dans une apparition.

- Ne craignez point, lui dirent-ils, votre Sauveur vous aime et nous intercédons pour vous auprès de lui. L'heure de la mort n'est point venue pour vous. Envoyez à la ferme voisine demander un morceau de pain cuit aujourd'hui : trempez-le dans l'eau, mangez-le, et vous recouvrerez la santé. Nicolas obéit et se releva plein de force et de vie. En mémoire de ce miracle, les religieux Augustins bénissent des petits pains le jour de sa fête. Ceux qui en usent en invoquant le nom de la Vierge Marie et celui de saint Nicolas sont souvent délivrés de leurs maux. On en fait aussi manger aux animaux pour les préserver des accidents et des épidémies.

Vaines tentatives du démon.

Le religieux profita du temps qui lui était donné pour monter avec plus d'ardeur sur le chemin de la sainteté. Il continua de plus belle ses mortifications.

Pour le détourner de ces pratiques salutaires le démon lui mit en pensée que son genre de vie offensait Dieu. « Vous ne le suivez que par orgueil, disait-il, se transformant en ange de lumière. Sachez donc vous contenter de la règle commune, autrement vous vous exténuez, vous devenez inutile au prochain et une charge onéreuse pour tout votre Ordre.» Ces réflexions jetèrent Nicolas dans de grandes souffrances, car il ne voulait que se conformer à la volonté divine. Le divin Maître eut pitié de lui : il dissipa les craintes de son fidèle serviteur et l'engagea à continuer ses mortifications.

A tous ses travaux l'homme de Dieu joignait une prière incessante. La communauté quittait le chœur le soir après Complies. Quand elle y venait le lendemain à l'aurore, pour le chant des Matines, elle y retrouvait Nicolas encore en oraison. Après l'office, il disait sa messe, avec la piété débordante dont nous avons parlé. Puis il se livrait à l'apostolat : prêchant, confessant, donnant des conseils, faisant germer la vertu. Il reprenait ensuite sa contemplation. Or, un soir, le démon vint renverser et briser la lampe qui l'éclairait. Sans la moindre impatience, l'homme de Dieu rassemble les morceaux. Dans ses mains ils se réunissent si étroitement qu'on n'aurait pas même cru que la malice infernale les eût un instant séparés. Deux fois encore l'esprit de ténèbres renouvelle cette persécution, et deux fois encore Nicolas renouvelle le miracle.

Furieux, Satan va se placer sur le toit de la chambre où prie le religieux. Pour le distraire, il imite tour à tour le cri des bêtes les plus farouches ; il feint de casser les tuiles, de couper les charpentes et de vouloir renverser le monastère. Mais tout est en vain. Nicolas reste invinciblement uni à Dieu. Dans sa rage, le démon s'arme d'une massue : il accable de coups le Saint, le traîne dans le cloître et le laisse tout couvert de blessures et de sang.

Sa grande charité.

Page 75: 1 Septembre I

Nicolas se releva, mais il demeura boiteux. Malgré cette infirmité il ne voulut rien diminuer de ses travaux. Comme par le passé, il allait visiter les malades, et leur porter les secours corporels et spirituels. Ses paroles étaient alors comme des flèches enflammées, qui réveillaient l'amour divin dans les cœurs. Quand son tour arrivait, il allait humblement, de porte en porte, quêter pour la subsistance de ses frères. Un jour, une pauvre femme lui remit un pain tout entier en disant :

- Je n'ai plus de farine que pour en faire un semblable ; quand nous l'aurons mangé, nous mourrons.

Emu de cette charité, il supplia le Seigneur de renouveler pour sa bienfaitrice le prodige accompli par le prophète Elie en faveur de la veuve de Sarepta. Il fut exaucé, et la généreuse femme trouva dans son grenier une grande quantité de farine.

II remplissait aussi la charge d'hôtelier du couvent. Il recevait les étrangers comme les envoyés de Dieu. Pour honorer Jésus-Christ, il baisait les pieds et les mains de ceux qui venaient demander l'aumône à la porte de son monastère.

Ses miracles.

Les dernières années du serviteur de Dieu furent illustrées par de nombreux miracles.

Une jeune femme de Tolentino perdit son premier-né. Elle s'affligea tellement de ce trépas qu'elle en contracta une grave infirmité et, pendant plusieurs années, elle ne donna le jour qu'à des enfants morts. Dans sa douleur, elle vint se jeter aux pieds du saint vieillard. Celui-ci la bénit, et elle devint dans la suite, mère d'une famille nombreuse et florissante.

Une autre avait souffert longtemps des yeux. Les soins des hommes n'avaient fait qu'aggraver son mal. Ils l'avaient rendue folle et paralytique. Le Saint posa la main sur la tête de cette malheureuse, il récita pour elle l'Oraison dominicale et la guérit ainsi sur-le-champ.

Le signe de la croix était le remède qu'il employait le plus souvent. Un jeune homme tomba dans le feu. Quand on l'en retira il était complètement aveugle. Nicolas fit le signe de la croix sur les plaies, et l'infortuné recouvra la vue. C'est de la même manière qu'il délivra un des religieux de sa communauté, auquel une chute avait fait contracter une maladie intestinale.

Au milieu de ces brillantes récompenses, dont son humilité s'alarmait, il en avait d'autres plus intimes et plus chères. Notre Seigneur le remplissait de consolations spirituelles. Une nuit, il entendit chanter les anges avec tant d’harmonie et de suavité qu’il s’écria à plusieurs reprises :

- Je voudrais mourir pour vivre avec le Christ.

Le triomphe.

Page 76: 1 Septembre I

Son vœu ne tarda pas à se réaliser. Les mauvais traitements que lui avait infligés Satan l'avaient toujours fait souffrir. Mais bientôt il sentit son mal augmenter. Il eut besoin de béquilles pour aider sa marche défaillante. Enfin il dut renoncer à tout mouvement, et s'étendre sur un lit.

On proclamait partout la sainteté de l'homme de Dieu, mais il était le seul à ne pas la reconnaître. Sentant sa fin venir, il fit rassembler la communauté :

- Mes frères, dit-il en gémissant, ma conscience ne me reproche rien, mais ce n'est pas à dire que je sois innocent. Si j'ai offensé quelqu'un de vous, je lui en demande humblement pardon. Pour vous, Père prieur, daignez m'absoudre de toutes mes fautes, et m'administrer les sacrements de notre très sainte mère l'Eglise. Donnez-moi surtout le Corps du Seigneur. Soutenu par ce viatique, j'arriverai sûrement à la céleste patrie.

Pour protéger son agonie il demanda encore une relique de la vraie Croix. Puis il dit à l'infirmier :

- Répétez souvent à mon oreille ces mots du Psalmiste : « Seigneur, parce que vous avez rompu mes liens, je vous offrirai un sacrifice de louange. » Au moins, quand ma langue n'aura plus la force de louer Dieu, mon cœur pourra demeurer uni à lui.

Il resta plusieurs heures en extase, puis son visage s'illumina d'un reflet divin et d'une allégresse surnaturelle.

- Notre-Seigneur Jésus-Christ est là, dit-il, appuyé sur la Vierge, sa mère, et sur notre père saint Augustin. Il me répète : « Courage, bon et fidèle serviteur ; entre dans la joie du Seigneur. »

Joignant alors les mains, il jeta un dernier regard sur la croix et s'écria : « Mon Père, je remets mon esprit entre vos mains », et il rendit l'âme. C'était un samedi, le 10 septembre 1306.

Eugène IV l'inscrivit au catalogue des Saints le 1er Février 1446 ; les fêtes de la canonisation eurent lieu en grande pompe le 5 juin suivant ; et Sixte V le mit au martyrologe en 1585.

Dès 1345, on, avait détaché du corps les deux bras qui, après la canonisation, furent conservés dans une châsse. Le corps lui-même resta inhumé dans la basilique qui fut élevée en l'honneur du Saint. On en avait perdu l'emplacement exact depuis trois siècles lorsqu'il fut retrouvé en 1926. A la suite de cette découverte, le corps et les bras ont été réunis et déposés dans une châsse magnifique, pesant 300 kilos, et de grandes fêtes ont eu lieu à cette occasion en 1932.

A.R.

Sources consultées. – R.P. Antonin Tomma-Barthet, O.S.A., Vie de saint Nicolas de Talentino (1896). – (V.S.B.P., n°239 et 1228.)

Page 77: 1 Septembre I

SAINT PATIENTÉvêque de Lyon (t 491)

Fête le 11 septembre.

L'Église de Lyon venait de perdre son illustre et docte pontife, saint Eucher. Le clergé et les fidèles s'étaient réunis pour lui choisir un successeur, et on se demandait avec anxiété qui serait capable d'occuper dignement le siège primatial des Gaules après un tel pasteur.

La Providence tourna les yeux de tous vers un prêtre, peu connu des hommes, bien que riche aux yeux de Dieu du trésor de la vertu et de la sainteté, et qui, devenu évêque, allait remplir de son nom les fastes de l'Eglise des Gaules au Ve siècle. Ce prêtre était saint Patient.

Le Ve siècle de l'ère chrétienne.

Le nouveau pontife prenait possession de sa charge à une époque de l'histoire qui nous apparaît, maintenant vive et saisissante, comme un tableau qui, par un singulier rapprochement d’ombre et de lumière, attire le regard étonné. Siècle étrange, que ce Ve siècle, tout entier d'oppositions et de contrastes ! D'un côté, le monde ancien, pourri, corrompu jusqu'à la moelle, conscient de son impuissance ; de l'autre, le monde nouveau, monde barbare, mais jeune et vigoureux, avide de conquêtes. L'empire romain, comme fatigué et blasé de sa civilisation, n'a plus le courage de vivre et ne consent point à mourir, Ses derniers maîtres sentent les rênes du gouvernement échapper de leurs mains sans faire d’effort pour les ressaisir. C'est ainsi que l'empereur Honorius mène à Ravenne une vie oisive et nonchalante. On lui annonce la prise de Rome par Alaric (410) ; il se laisse aller à un violent désespoir, ayant compris, dit-on, qu'on lui parle d'une de ses poules favorites à laquelle il a donné le nom de Rome ; mais il se console bien vite en apprenant que cette Rome n'est rien de moins que la capitale de son empire. Après lui, Valentinien III, puis une série d'empereurs faits et détrônés presque aussitôt pour la plupart par le Suève Ricimer, hâtent par leur insouciance ou leurs querelles la chute de l'empire d'Occident.

Page 78: 1 Septembre I

Les barbares, au contraire, se précipitent sur les riches provinces romaines, poussés les uns par les autres, comme les flots d'une mer en fureur. A l'époque où Patient monte sur le siège épiscopal de Lyon, Attila ravage le nord des Gaules et l'Italie, les Burgondes ont envahi la Grande-Séquanaise et se sont établis dans les bassins de la Saône et du Rhône, les Wisigoths possèdent l'Aquitaine, et bientôt l'empereur Julien Nepos va leur céder la province des Arvennes, de la Loire jusqu'au Rhône.

Que fait l'Eglise de Jésus-Christ au milieu de ces transformations et de ces bouleversements ? Par son influence surnaturelle et l'autorité de ses évêques, elle s'empare, pour l'adoucir, du caractère énergique et féroce des hommes du Nord, et ramène à l'empire du devoir les peuples amollis et énervés du Midi, de manière à tirer de ces éléments imparfaits et disparates la magnifique chrétienté du moyen âge.

Saint Patient lutte contre l'arianisme.

Nous ne savons rien des premières années de Patient. « Dieu, dit un de ses biographes, environne bien des berceaux de mystère et d'ombre, et quand il veut employer une âme, il sait où il doit la tremper. »

C'est donc dans le silence et la vie cachée que se prépara une grande âme d'évêque, et quand, vers 451, le choix du peuple et du clergé lyonnais s'arrêta sur sa personne, Patient était, par son énergie, sa doctrine et ses vertus, à la hauteur de sa tâche. Le simple fait d'avoir été choisi pour succéder à saint Eucher en serait un suffisant témoignage quand nous n'aurions pas l'attestation d'un contemporain ami de Patient, saint Sidoine Apollinaire, l'évêque et poète de Clermont.

Ces qualités lui étaient nécessaires, car, indépendamment des calamités de l'époque, un ennemi contre lequel il fallait lutter énergiquement avait envahi les Gaules. Dans ce pays où, jusque-là, la foi n'avait eu pour adversaire que le vieux paganisme druidique, l'hérésie arienne avait pénétré à la suite des Wisigoths d'Espagne et des Burgondes.

Le grand saint Hilaire de Poitiers n'était plus là pour arrêter ce torrent dévastateur. Patient comprit qu'il devait porter ses efforts de ce côté. Il forma son clergé à la résistance, et prêcha avec éloquence les doctrines de Nicée, imitant à Lyon ce que saint Athanase avait fait à Alexandrie et saint Ambroise à Milan.

Il existe un certain nombre d'homélies publiées sous le nom d'Eusèbe d'Emèse, en Syrie ; au dire des hagiographes, elles ont été composées par des évêques des Gaules, dans le siècle qui nous occupe, et presque tous s'accordent à penser que la XLVIIIe est de Patient. Développant ce texte du psaume CXXII ; Ecce quam bonum et quam iucundum (qu'il est bon et agréable pour des frères d'habiter ensemble), elle combat la plus grossière erreur d'une branche particulière de l'arianisme, les photiniens, nombreux à Lyon.

Page 79: 1 Septembre I

Le succès de l'apôtre fut grand, et à sa parole les conversions se multiplièrent. Son ami l'évêque de Clermont l'en félicite en ces termes dans une de ses lettres :

Vous enlacez tellement les hérétiques dans les filets de vos prédications qu'ils ne peuvent plus s'échapper ; vous les tenez, apostolique chasseur, comme une proie qui est terrassée et vaincue ; un invisible lien, celui de la charité, les attache pour jamais au Dieu que vous leur avez fait connaître.

Saint Patient et le roi Euric.

Euric ou Evaric, roi des Wisigoths, était un ambitieux sectaire. Prince cruel et despotique, il avait fait assassiner son frère, Théodoric II, pour occuper le trône, et il brûlait du désir de conquérir toutes les contrées méridionales entre la Loire et le Rhône. Terrible par sa puissance, écrit Sidoine Apollinaire, il me semble plus l'ennemi des lois chrétiennes que des murailles romaines. Le nom de catholique, déplaît tant à ses oreilles qu'on ne sait dire au juste s'il est le chef de sa nation ou celui de sa secte.

Ce roi barbare cherchait, en effet, de toutes manières à persécuter l'Eglise, à chasser les évêques, à violenter les prêtres et les moines, à fermer les temples.

« Il barricadait, dit le même auteur, l'entrée des églises avec des buissons d'épines afin que la difficulté d'y pénétrer engendrât l'oubli de la vraie foi. »

Ce monstre couronné n'était pas le maître de Lyon, qui appartenait aux Burgondes. Mais ses violences s'exerçaient dans les provinces voisines et devaient avoir un retentissement jusque dans la cité primatiale. Dans leur détresse, les peuples opprimés tournaient leurs regards vers Patient.

L'évêque de Lyon voyait avec douleur les ravages exercés par ce loup dans le bercail du Christ ; il voulut donc l'humaniser, sinon le convertir. Sa douceur, son affabilité, sa sainteté triomphèrent de tous les obstacles. Il adoucit le persécuteur et le gagna si bien qu'Euric depuis lors fit preuve d'une certaine modération. On attribua ce changement à un miracle.

Saint Patient construit des églises.

Plus tranquille de ce côté, le pontife de Lyon se sentit pressé de réparer la mal fait à l'Eglise par les précédentes vexations. Dans les provinces, un grand nombre de temples catholiques avaient disparu sous les coups des barbares. Il voulut rendre à Dieu des sanctuaires capables de faire oublier par leur splendeur les ruines du passé. « La plupart des églises de Lyon, dit le P. Croiset, sont les fruits de sa magnificence. » Saint Sidoine Apollinaire le loue de cela en ces termes : « On ne sait ce que l'on doit le plus admirer, ou les nouveaux temples que vous élevez ou les anciens que vous réparez. » Rien n'est plus juste. C'est en effet, Patient qui assura notamment la construction de l'église primitive de Saint-Irénée et la transformation en un riche sanctuaire de la grotte où saint Zacharie avait déposé les corps d'un grand nombre de martyrs et celui de saint Just, de Lyon.

Page 80: 1 Septembre I

Avant le XVIe siècle, on lisait sur le pavé en mosaïque de ce sanctuaire une antique inscription dont le texte a été conservé.

En voici la traduction :

Ici, sous un même toit, sont construits deux temples dont Patient fut le fondateur. Un rayon de lumière venant d'en haut éclaire les corps de martyrs jadis ensevelis dans une grotte profonde. Le sanctuaire inférieur resplendit, tandis que le faîte de l'édifice surgit avec majesté dans les airs. Celui-là chemine sûrement vers le ciel qui prépare au Christ, sur la terre, d'aussi magnifiques demeures.

Cette crypte, remarquable par la richesse de ses ornements, fut, plus tard, indignement profanée et presque entièrement détruite par les calvinistes.

Mais rien n'égale la magnificence des restaurations que l'évêque de Lyon apporta à la basilique principale des Macchâbées ; saint Sidoine semble même dire qu'il la rebâtit entièrement. Quand elle fut terminée, on y replaça le corps de saint Just avec une grande solennité.

Nous étions réunis au sépulcre de saint Just, raconte l'évêque-poète. On avait fait avant le jour la procession annuelle au milieu d'un concours prodigieux de fidèles des deux sexes, que la basilique immense, la crypte et les superbes portiques ne pouvaient contenir. Après que les moines eurent chanté Matines, on se retira. Les dimensions du lieu, la foule qui nous entourait, les innombrables lumières nous avaient éblouis et fascinés.

L'illustre écrivain composa une inscription latine qui fut gravée sur le fronton de l'église :

Qui que tu sois qui vantes cet ouvrage de Patient, notre pontife et notre Père, puisses-tu voir tes vœux exaucés et tes demandes écoutées ! Ici s'élève un temple ; il n'est tourné ni vers le Nord ni vers le Midi, mais sa façade regarde l'Orient équinoxial. La lumière étincelle au dedans, le soleil est attiré contre les lambris dorés et promène sur le métal jaunâtre ses rayons de même couleur. Des marbres de différentes natures enrichissent la voûte, les fenêtres et le pavé ; et sous des figures peintes, un enduit d'un vert printanier fait éclater des saphirs sur des vitraux verdoyants. Un triple portique, soutenu par de magnifiques colonnes de marbre d'Aquitaine, forme l'entrée du temple ; d'autres portiques, semblables au premier, embellissent le fond du vestibule ; une forêt de colonnes de pierre se déroule au loin et environne la grande nef.

D'un côté retentit la voix publique ; de l'autre, l'Arar (la Saône) se voit repoussé ; c'est vers le temple que se retournent le piéton, le cavalier et celui qui dirige le chariot bruyant ; c'est vers le temple que le chœur des matelots inclinés, élève la voix en saluant le Christ… et les rives répètent de joyeux Alleluia !...

Chantez, chantez ainsi, matelots et passants : Voilà le lieu où chacun doit se rendre ; voilà le chemin qui conduit au salut.

Patient fit aussi construire l'église Saint-Romain à l'endroit où les eaux de la colline, teintes du sang des martyrs, avaient formé un lac avant de s'écouler dans la Saône ; puis celles de Saint-Pierre-le-vieux et des Saints-Pierre et Saturnin.

Page 81: 1 Septembre I

Précurseur de saint Vincent de Paul.

Tout en relevant et en bâtissant des sanctuaires, Patient dispensait de tous les côtés les trésors de son immense charité. On est frappé d'étonnement à la lecture des auteurs contemporains, en face des merveilleuses proportions que prit cette vertu dans le cœur du saint prélat, et on ne peut s'empêcher, en voyant la grandeur et l'universalité de ses largesses, de songer à un Saint qui, mille ans plus tard, devait être curé quelque temps dans la province de Lyon, à saint Vincent de Paul.

Aussi le saint évêque de Clermont écrivait-il à son collègue Patient : « Quelques-unes de vos vertus peuvent être communes aux autres prélats, mais

votre charité n'a point d'exemple. » Or, à cette époque, tout comme au temps de saint Vincent de Paul, la charité trouvait largement à s'exercer. La guerre était partout, les provinces étaient pillées et ravagées, la terre en friche ne nourrissait plus ses enfants. Ce fut bientôt une détresse telle, que les hommes tombaient d'inanition sur les routes ou dans les rues des villes. Qui sauvera ces multitudes affamées ? Ce sera Patient. Pour s'en convaincre, il suffit d'écouter le cri de reconnaissance des peuples, que Sidoine Apollinaire lui transmet dans cette lettre :

Ce n'est pas assez, Vénérable Frère, pour votre ardente charité, de voler au secours des infortunés que vous connaissez : N'allez-vous pas encore jusqu'à l'extrémité des Gaules chercher, pour les soulager, ceux que vous ne connaissez pas ?

En vérité, c'est admirable. Un seul cri vous touche, celui de l'indigence. Que la personne qui souffre soit de telle contrée ou de telle condition, peu vous importe. Dès qu'elle est dans le besoin, vous avez pour elle comme pour les autres, des entrailles de père. Si la faiblesse ou la maladie l'empêche de venir à vous, vous avez le talent de venir jusqu'à elle ; à l'aide de vos bienfaisantes mains, vous savez atteindre ceux que leurs pieds refusent de porter au seuil de votre demeure !

Qui ne le sait ? Votre sollicitude n'est pas circonscrite par les bornes de votre province ; elle s'étend bien au delà. Elle a, pour ainsi dire, l'intelligence de toutes les misères ; elle découvre celles qui se cachent par honte ou par respect humain, comme celles qui étalent leurs maux. Il n'y a pas d'exagération à dire que vous essuyez souvent les larmes des yeux que vous n’avez jamais vus. N'en avons-nous pas été témoins ? Après l'invasion des Goths, qui ont pillé nos villes, ravagé nos campagnes, incendié nos moissons, vous avez envoyé gratuitement à une grande partie des Gaules une provision de blé : car, pour ces peuples épuisés de faim, c'eût été déjà un bienfait inexprimable si ce blé leur fût venu à titre de marchandise, et non pas à titre de présent. Oui ! les chemins devenaient trop étroits. Ils semblaient ne pouvoir suffire aux transports de vos convois !... A vous seul vous avez rempli les multiples greniers qui sont placés de distance en distance sur les rives de nos deux fleuves.

Mais, outre les nombreuses distributions que vous avez faites dans l’intérieur des terres, combien n'avez-vous pas envoyé de secours aux villes et villages que baigne la mer de Toscane ? Je ne saurais rassembler tous les témoignages de gratitude et de reconnaissance que vous adressent aussi de toutes parts une foule de villes du Midi ; Arles, Avignon, Riez, Orange, Viviers, Saint-Paul-Trois-Châteaux, etc, n'ont pas assez de voix pour chanter vos louanges. Impossible d'apprécier, au poids de l'or et de l'argent, les vœux de ceux que vous avez nourris sans en recevoir une obole. Pour moi, je viens, au nom de la capitale de l'Auvergne, dont je suis l'évêque, vous offrir les plus vives comme les plus sincères actions de grâces...

Page 82: 1 Septembre I

Maintenant, si je me suis bien acquitté de la commission qu'on m'avait donnée, laissez-moi vous apprendre quelques nouvelles qui ne seront pas sans intérêt pour vous. Je veux que vous sachiez que votre nom est proclamé avec bonheur, là, comme partout ailleurs ; vous êtes béni et aimé, chéri et estimé. On serait heureux de vous voir et de vous posséder. Oui, vous régnez sur tous les cœurs ; vous êtes au milieu de ces jours d'épreuves et de tribulations, le bon prêtre, le meilleur des pasteurs, le plus vrai des amis.

L'effort était si considérable pour un seul homme, et une fortune, si grande qu'on la conçût, semblait si incapable de secourir tant de peuples et d'enrayer tant de maux, que chacun vit dans les résultats obtenus par Patient un nouveau miracle de Dieu. Le blé paraissait se multiplier dans ses mains, comme jadis en Judée les pains se multipliaient dans les mains du Sauveur. L'évêque de Lyon justifia vraiment ces belles paroles de Sidoine : « Il a sauvé plus de pays que les Goths n'en détruisirent, et à ce nouveau Joseph on peut donner le titre de nourricier du royaume. »

Saint Patient et le roi Gondebaud.

Gondebaud, roi des Burgondes et oncle de Clotilde, mariée un peu plus tard (493) à Clovis, avait fixé sa cour à Lyon. Les rapports entre l'évêque et le roi à demi arien furent toujours très courtois et très bienveillants.

A ce propos, on s'étonne souvent de voir la nièce de Gondebaud demeurer fidèle à la foi catholique, quoique élevée au sein d'une cour hérétique ; Patient n'est peut-être pas étranger à ce fait. II suffit, en effet, pour appuyer cette opinion de se souvenir du zèle de l'évêque de Lyon pour la conversion des ariens et la sauvegarde des âmes qui lui étaient confiées. Quoi qu'il en soit, l'estime sincère qu'avait pour lui le roi des Burgondes fut sans doute cause que ce dernier ne contraria en rien les sentiments de sa nièce.

Ce qu'il y a de sûr, au rapport de saint Sidoine Apollinaire, c'est que des relations, même amicales, s'établirent entre le prélat et le roi. Quand l'évêque recevait le prince chez -lui, il savait le faire avec autant de largesse que d'éclat. Aussi Gondebaud ne tarissait-il pas d'éloges sur l'hospitalité de Patient, pendant que la reine louait la mortification, la sobriété et les jeûnes du saint pontife. Grâce à cette amitié, le mouvement vers la vraie foi ne fut pas arrêté, et l'hérésie arienne, professée à la cour du roi des Burgondes, ne put entamer la ville de Lyon qui resta toujours unie avec son évêque, à l'orthodoxie doctrinale.

Autres travaux de saint Patient

La conversion des hérétiques, la pratique de la charité, le soulagement des pauvres, la construction et la réparation des temples de Dieu ne suffirent pas au zèle du prélat. Il lui fallait encore davantage. Bien persuadé qu'un peuple ne vaut que ce que valent ses prêtres et ses ministres, il s'efforça de garder l'intégrité de la foi et des mœurs dans son

Page 83: 1 Septembre I

clergé. Encouragements, leçons, réprimandes, il sut prendre les meilleurs moyens pour entretenir le zèle et augmenter la sainteté des prêtres de Lyon. Il ne montra jamais d'aigreur dans ses réprimandes, et, de même qu'il avait calmé Euric par sa patience, ainsi fit-il accepter de ses prêtres les reproches qu'il avait à leur adresser, tant sa fermeté était mêlée de douceur.

Il assista au Concile d'Arles en 475 et on dit qu'il assembla un autre Concile à Lyon quelque temps après et qu'il y produisit un travail où il avait rassemblé les dogmes de l'Eglise, mais cette œuvre a été perdue.

L'Eglise et la littérature sont encore redevables à Patient de la Vie de saint Germain d'Auxerre, qu'il fit écrire par le savant et modeste Constantius, prêtre de son clergé, lequel lui dédia ce travail.

Mort de saint Patient.

Plein de jours et de mérites, Patient mourut à Lyon le 11 septembre 491. Ce fut une désolation universelle. Les pauvres pleuraient leur providence, les riches leur conseil, tous leur père. Aussi l'on peut juger de ce que furent ses funérailles. Les malheureux en firent le plus beau et le plus touchant ornement.

Ses restes furent inhumés dans l'église de Saint-Just, où ils restèrent intacts jusqu'au XVIe siècle ; à cette époque de trouble et d'agitation, ils furent dispersés et jetés au vent par les calvinistes, et l'église qui les abritait fut ruinée.

A.E.A.

Sources Consultées. – Saint Sidoine Apollinaire, Epistolae. – Bollandiste, Acta Sanctorum, II sept., t. III. Commentaire historique. – Gallia christiana, t. IV. – Histoire littéraire de la France, t. II. – H. Fisquet. La France pontificale : Lyon. – C. Barthélemy, Les Saints de France, t. V. – (V.S.B.P., n° 915.)

…………….

PAROLES DES SAINTS__________

Les bons et les méchants.

Cette terre-ci est celle des mourants ; de là je passe, mais il importe de savoir où. Parce que l'homme méchant et l'homme bon, voyagent également ici-bas ; l'un et l'autre ne font qu'y passer, mais ils ne vont pas tous deux au même but. I1 est, pour les recevoir, des lieux différents, où leurs divers mérites les conduisent ; entre les bons et les méchants est un espace infranchissable. Mais parce que, ici-bas, je voyage loin de toi, il faut encore souffrir les tentations, les angoisses, les périls de tous genres.

Page 84: 1 Septembre I

Saint Augustin.

SAINT GUY ou « LE PAUVRE D'ANDERLECHT »

Sacristain et pèlerin de Terre Sainte (950 ?-1013).

Fête le 12 septembre.

Saint Guy ou Guidon, communément appelé le Pauvre d'Anderlecht, naquit vers le milieu du Xe siècle, dans le village de ce nom, à une demi-lieue de Bruxelles. La future capitale de la Belgique, aujourd'hui incorporée à l'archidiocèse de Malines, était alors une commune du diocèse de Cambrai, qui englobait dans ses limites non seulement l'Eglise d'Arras, mais une notable partie de ce qu'on appelait la Germanie inférieure ou Pays-Bas. Ce fut seulement en 1559 que furent érigés, par prélèvement sur le territoire de Cambrai, les diocèses flamands de Malines et d'Anvers.

L’« ange du village ».

Les parents de Guy, de pauvres journaliers, lui inculquèrent de bonne heure les principes de la religion et s'appliquèrent à ne lui donner que de vertueux exemples.

L'enfant répondit à leur sollicitude par une piété précoce, qui lui valut d'être surnommé l’« ange du village ». Il se rendait volontiers à l'église pour y faire ses prières ; il aimait aussi à porter quelque secours, fruit de ses privations, aux malades du voisinage, les exhortant à prendre leur mal en patience et à se faire un mérite de leurs souffrances. Ses parents ne purent, faute de ressources, le mettre en apprentis- sage chez un homme de métier ; Guy fut quelque temps valet de ferme ou garçon de charrue. Mais il aimait son humble condition et continuait à y remplir toutes les pratiques de piété et de vertu auxquelles il s'était habitué dès l'enfance.

Il s'entretenait volontiers avec les prêtres et les personnes dévotes, cherchant à tirer profit pour son âme de leurs pieuses conversations. Il désirait qu'on lui racontât des traits de la vie des Saints, et, ces récits l'enflammaient au point qu'il eût volontiers quitté le monde pour la solitude, tout prêt à ne se nourrir que d'herbes et de racines, comme les Pères du désert.

Page 85: 1 Septembre I

L'attrait du sanctuaire.

Dieu disposa autrement de son existence. Un jour que Guy était en prière dans l'église Notre-Dame de Laeken, sanctuaire situé à une demi-lieue environ de Bruxelles et qui renferme aujourd'hui la chapelle funéraire des souverains belges, le curé, qui l'observait depuis quelque temps, fut on ne peut plus édifié de son recueillement. Il s'enquit avec intérêt de son passé, de la situation de ses parents, de ses désirs, et, charmé des excellentes dispositions dans lesquelles il le voyait, il lui proposa de demeurer au service de l'église en qualité de sacristain.

Le pieux jeune homme n'avait jamais porté si haut ses aspirations. Pourtant, nul emploi ne pouvait mieux lui convenir ; passer tout le jour en compagnie du Très Saint Sacrement, prier à loisir, sans être l'objet de regards indiscrets, se donner tout entier à l'entretien du sanctuaire confié à sa garde, c'est tout ce qu'il pouvait désirer. Il remercia chaudement le prêtre de cette offre et se mit avec ardeur à ses nouvelles fonctions.

Un sacristain modèle.

Jamais l'église de Laeken ne parut mieux entretenue. Les autels étaient chaque jour époussetés, le pavé balayé, les ornements rangés, les vases sacrés nettoyés, la lampe entretenue, les voûtes mêmes débarrassées des moindres toiles d'araignées, les châsses de Saints ornées de fleurs ; en un mot, Guy mettait tous ses soins à ne rien omettre de ce qui pouvait contribuer à la splendeur du saint lieu et exciter la piété des fidèles.

Ce sacristain modèle observait pendant son travail un religieux silence. Son attitude, toujours humble et recueillie, témoignait hautement de son esprit de foi et disait à tous : « Nous sommes ici dans la maison du Seigneur ! »

Notre-Dame de Laeken.

Le sanctuaire on Guy passa une bonne partie de sa vie a son histoire, qu'on nous pardonnera d'esquisser.

La dévotion à Notre-Dame de Laeken remonte, dit-on, au IXe siècle. La chapelle qui lui fut dédiée était à l'origine le mausolée d'un héros, peut-être Hugues, fils du roi Louis de Saxe, qui trouva la mort dans un combat victorieux livré par son père aux Normands en 882. Une première fois les Barbares scandinaves s'étaient abattus sur le diocèse de Cambrai, vers 850, et remontant l'Escaut, puis la Dyle, ils avaient réduit en cendres Anvers et Malines. De nouvelles incursions normandes marquèrent la seconde moitié du IXe siècle, En 551, notamment, une horde d'envahisseurs s'abattit sur Cambrai, qu'elle livra au carnage et à l'incendie. L'année suivante, Arras subit le même sort. Dès le Xe siècle, l'image miraculeuse de Notre-Dame de Laeken était en grand honneur : on venait la vénérer de France, d'Allemagne, de Bohème et de Hongrie, et

Page 86: 1 Septembre I

« d'autres contrées si éloignées que les monnaies présentées en payement par les pèlerins étaient tout à fait inconnues ». Les Pieux voyageurs s'en retournaient presque toujours exaucés dans leurs demandes et ils ne manquaient pas de rapporter dans leur patrie, comme une relique, un peu de terre ramassée par eux auprès du saint édifice.

Plus tard, après l'an 1300, la réputation du sanctuaire s'accrut à tel point que le Saint-Siège lui accorda une faveur extraordinaire. Tous les sept ans, le dimanche de Quasimodo, on put y célébrer un jubilé solennel auquel étaient attachés les indulgences et les privilèges des jubilés de la Ville Éternelle, dont le premier authentiquement connu venait précisément d'être promulgué en 1300 par le Pape Boniface VIII. Le curé avait ce jour-là, pour l'absolution des péchés et des censures, des pouvoirs semblables à ceux du Grand Pénitencier de Rome, et il siégeait au saint tribunal, tenant en main la verge blanche, insigne de sa prérogative. Au rapport de témoins oculaires, la Porte de Laeken, à Bruxelles, restait ouverte, contrairement à l'usage, toute la nuit qui précédait cette solennité, et la grosse cloche sonnait par intervalles pour souhaiter la bienvenue aux pèlerins : ils étaient si nombreux que, faute de logement, beaucoup couchaient « à la belle étoile ».

Au service des pèlerins.

Nous ne voulons pas dire qu'il en fût déjà ainsi au temps du bienheureux Guy. On sait seulement qu'à ses fonctions de sacristain venaient s'adjoindre pour lui les préoccupations multiples d'un pèlerinage où affluait toute la chrétienté et que, grâce à son exquise charité, les étrangers étaient assurés de trouver toujours à Laeken un accueil bienveillant. Sa vie était de plus en plus édifiante. Il passait â l'église les nuits entières, souvent en oraison ; et si, parfois, cédant à la fatigue, il s'étendait sur le pavé du sanctuaire et s'accordait un peu de repos, c'était pour reprendre bientôt la prière interrompue. Il s'infligeait, en outre, de rigoureuses pénitences et se soumettait à des jeûnes fréquents. II parlait de lui-même avec tant d'humilité, qu'à l'entendre on l'eût pris pour un grand pécheur. Les pèlerins nombreux qui eurent à traiter avec lui ne surprirent jamais dans sa conduite quoi que ce fût de répréhensible. Il évitait les rires déplacés et s'interdisait toute familiarité, surtout avec les personnes du sexe féminin. Mais, malgré sa réserve et la gravité de ses manières, il se montrait si prévenant et si dévoué qu'il réussissait à rendre l'austérité aimable.

Une tentation délicate.

Cependant, pour accroître sa vigilance, Dieu permit que Guy fût un moment la victime d'une funeste illusion. Pendant la journée, s'il avait quelque loisir, il l'employait à visiter les malades et les indigents. C'était là pour lui le plus agréable délassement. Il distribuait aux nécessiteux les aumônes qu'il tenait de la générosité des pèlerins et ses propres épargnes, et parfois, si le besoin s'en faisait sentir, il n'hésitait pas à tendre la main de porte en porte, à l'instar d'un mendiant, pour soulager ses chers

Page 87: 1 Septembre I

pauvres. Donner, c'était son faible. Le démon le savait, et il se servit de cette inclination, qui, si sainte qu'elle soit, demande parfois à être réglée et raisonnée, pour induire en tentation le serviteur de Dieu. Un jour, Guy conçut le désir de faire fortune afin de pouvoir donner davantage. Noble et généreuse aspiration, si elle eût été con-forme aux desseins de Dieu ; pour le « Pauvre d'Anderlecht », elle fut la source d'une amère déception et l'occasion d'une pénible épreuve.

Un riche marchand de Bruxelles vint à Notre-Dame de Laeken et fut accueilli par Guy avec l'affabilité qui lui était coutumière. Quand l'étranger eut satisfait sa dévotion, le sacristain le prit à part et s'enhardit jusqu'à lui confier ses sollicitudes à l'égard de ses pauvres. Peut-être espérait-il l'intéresser pratiquement à sa bonne œuvre.

« Mais, lui dit le marchand, il y aurait un moyen d'assurer à vos protégés un secours plus abondant et plus continu. Entrez à mon service ; vous serez bien payé. Je vous aiderai ensuite à placer votre avoir et à le faire fructifier. Vous serez ainsi à même de donner beaucoup plus. »

Le bon sacristain, aveuglé, on peut le dire, par sa charité, se laissa séduire. Au grand étonnement du curé et de toute la paroisse, il abandonna ses humbles fonctions, quitta le sanctuaire où il avait si longtemps travaillé et prié, pour se lancer à l'étourdie dans d'aventureux trafics, auxquels il était d'ailleurs très peu préparé.

Cependant Notre-Dame de Laeken, sa sainte protectrice, ne permit point qu'il demeurât longtemps dans une si dangereuse illusion.

Aux conseils de la mer il faut fermer les oreilles.

Tout d'abord, ses nouvelles occupations lui plurent et il espérait se trouver bientôt à même de faire des aumônes considérables. Encouragé par ces débuts, il se prêta volontiers aux propositions, que lui fit son maître, d'engager au fur et à mesure ses appointements dans une spéculation d'outre-mer ; l'entreprise promettait les plus beaux bénéfices. Mais au moment de rentrer dans le port, le bateau échoua, et toute la cargaison au sujet de laquelle Guy avait hasardé son avoir, fut submergée. Voilà notre nouveau commerçant ruiné, plus pauvre et plus dénué que ceux mêmes qu'il avait l'intention de secourir !

Sa mésaventure lui ouvrit les yeux. Il reconnut que la Providence le punissait de s'être écarté de la voie qu'elle lui avait tracée. Il crut même avoir cédé à une précipitation coupable, et pour se châtier, il s'imposa de nouvelles austérités et adressa à Dieu d'ardentes prières en vue d'obtenir son pardon. Si du moins il avait pu reprendre le poste qu'il avait si imprudemment déserté !

Dans cet espoir, il revient à Laeken. Hélas ! la place est occupée, et tenue, depuis son départ, par un homme actif et probe dont les services sont trop appréciés pour qu'on songe à le renvoyer. Guy a « lâché la proie pour l'ombre », et il ne lui reste plus qu'à se retirer, triste, mais soumis à la divine main qui le frappe et l'instruit en même temps.

Page 88: 1 Septembre I

Vers les Lieux Saints.

Alors, cédant à un attrait qui l'avait souvent sollicité, il prend le bâton de pèlerin, et, comme tant d'autres à cette époque, il se dirige vers les Lieux Saints. Il serait intéressant de le suivre dans ses immenses pérégrinations, à Rome, à Jérusalem, aux sanctuaires les plus vénérés de la chrétienté. Les détails nous manquent sur ce point. On se représente sans peine les difficultés, les fatigues, les vexations de tout genre qu'entraînaient nécessairement de si lointains voyages accomplis à pied et sans ressources. Au besoin, les récits des anciens pèlerins pourraient nous en donner une idée plus précise. Si, les souffrances étaient parfois bien vives, en revanche les conso-lations abondaient au cours de ces randonnées interminables, et elles étaient de nature à faire oublier toutes les fatigues et toutes les traverses.

Une rencontre inattendue.

Depuis plusieurs- années déjà, le « Pauvre d'Anderlecht » errait ainsi en priant le long des grands chemins, quand, revenu à Rome, il se trouva un jour inopinément en présence de plusieurs de ses compatriotes, parmi lesquels Wondulf, doyen de la collégiale de son village natal. Ceux-ci eurent peine à le reconnaître, tant le soleil d'Orient avait hâlé ses traits. Mais lui, s'approchant, les salua de leur nom : « Frères très aimés, leur dit-il, je suis ce pécheur appelé Guy, qui habita autrefois en Brabant l'église consacrée à Marie, la sainte Mère de Dieu, au village de Laeken, et qui, par amour pour Dieu, a visité cette ville de Rome, est même allé jusqu'à Jérusalem, implorant la protection des Saints. »

Aucune rencontre ne pouvait être plus agréable à Wondulf et à ses compagnons, sur cette terre lointaine, que celle d'un compatriote. Leur joie fut au comble lorsque celui-ci, avec sa charité ordinaire, s'offrit à leur servir de guide aux Lieux Saints d'où il venait. Ils s'embrassèrent comme des frères en Jésus-Christ et organisèrent leur prochain départ. Le biographe ne nous renseigne pas plus sur ce second pèlerinage de Guy que sur le précédent. Il dit seulement que, sur le point de quitter la Palestine pour reprendre le chemin de l'Occident, le doyen d'Anderlecht et ses compagnons, Guy seul excepté, succombèrent tous, aux suites d'une infection contagieuse, malgré le dévoue-ment de leur guide et infirmier, qui se multiplia pour leur procurer quelque soulagement.

Wondulf, doyen d'Anderlecht, meurt en Palestineentre les bras de saint Guy.

Avant de mourir, Wondulf fit à son charitable ami ses suprêmes confidences. «  Mon très aimable Père, lui dit-il, je remercie de tout ce qui nous arrive le bon

Dieu, qui exauce les vœux de ceux qui espèrent en lui. Je vous remercie aussi des

Page 89: 1 Septembre I

services que vous m'avez rendus pendent mon pèlerinage. Je vois bien que l'heure de ma mort approche. Mais, pour vous, Dieu me dit que vous retournerez dans notre pays. Vous informerez de ma mort mes amis et tous ceux qui attendent mon retour. Voici mon anneau que je vous lègue pour eux et qui leur fera ajouter foi à vos paroles. »

Après plusieurs autres recommandations, Wondulf se recueillit, leva les yeux et les mains vers le ciel et rendit l'âme. C'était, dit la, chronique, un vrai serviteur de Dieu, dont la charité envers les pauvres avait toujours été inépuisable. Comme sa vertu avait éclaté par plusieurs miracles durant sa vie, Dieu l'honora encore après sa mort de semblables merveilles, Guy fut témoin de la guérison de trois boiteux et de deux aveugles à son tombeau.

Retour en Brabant et mort de saint Guy.

Resté seul encore une fois sur la terre après ces longs mois de fatigues et d'épreuves, Guy se mit en devoir d'exécuter au plus tôt les dernières volontés du pieux Wondulf. Il regagna par le chemin le plus direct le Brabant qu'il n'avait pas revu depuis sept ans, et s'empressa d’aller trouver les chanoines d'Anderlecht. Il arrivait épuisé. Dans ce dernier voyage, il avait plus que jamais souffert de la faim, de la soif et de privations de tout genre. En outre, une hémorragie l'avait réduit à une extrême faiblesse. Aussi les chanoines, touchés de son état, et émus du souvenir douloureux qu'il était chargé de leur transmettre, non moins que du dévouement avec lequel il avait jusqu'au bout assisté leur confrère, entourèrent le pieux pèlerin de prévenances et de soins. Le nouveau doyen du Chapitre, après avoir ouï de sa bouche le récit de la mort précieuse de Wondulf, engagea Guy à venir demeurer chez lui pour y passer le reste de ses jours.

Le « Pauvre d'Anderlecht » ne jouit pas longtemps de l'hospitalité qui lui était ainsi offerte, car Dieu, ne voulant pas le laisser davantage dans les misères de cette vie, l'en délivra au plus tôt pour lui en donner une immortelle. La nuit du 12 septembre 1012, qui fut le jour de sa naissance au ciel, sa chambre fut remplie d'une lumière céleste, au milieu de laquelle parut une colombe qui articula ces paroles : « Que notre bien-aimé vienne maintenant recevoir la couronne d'une allégresse éternelle, parce qu'il a été fidèle ! » Ainsi se termina le pèlerinage terrestre de Guy.

Culte et reliques.

Son corps fut enterré avec honneur dans le cimetière des chanoines d'Anderlecht. Des prodiges accomplis sur sa tombe révélèrent sa sainteté, et, après cinquante ans, on transporta ses restes dans une chapelle dédiée à la Sainte Vierge. Un peu plus tard, Gérard II, évêque de Cambrai et d'Arras, ordonna de les transférer à l'église paroissiale, et en 1112, l'évêque Odon procédait à « l'élévation » du corps du Saint, autrement dit à la canonisation du « Pauvre d'Anderlecht ». On invoque saint Guy contre la dysenterie et pour la préservation des bestiaux. Il a été choisi, à juste titre,

Page 90: 1 Septembre I

comme patron, par les sacristains et aussi par les laboureurs.Saint Guy dans l'iconographie.

Les œuvres d'art le caractérisent de diverses manières ; par un costume de pèlerin, des anges, un autel, un balai ou plumeau, un bâton, des bœufs, une herse ou charrue. On le représente d'ordinaire en pèlerin, le bourdon à la main droite et deux palmes à la main gauche ; auprès de lui sont couchés un cheval et un bœuf. Au-dessus de sa tête plane l'Esprit-Saint, et des rayons se répandent à l'entour de l'homme de Dieu, dont les yeux sont fixés au ciel comme pour implorer les miséricordes du Seigneur. Les artistes lui mettent quelquefois deux clés à la main, pour rappeler qu'il fut longtemps le gardien du sanctuaire. Les pèlerins de Terre Sainte peuvent également le ranger au nombre de leurs innombrables saints protecteurs. Le souvenir des souffrances endurées par ce vrai pèlerin de la pénitence, leur fera sans doute trouver légères les petite croix semées çà et là le long de leur route.

Louis-Antoine Verhaegen.

Sources consultées. – Grands Bollandistes, t.IV de septembre. – Vie de saint Gui (dans les Vies des Saints ouvriers, de l’œuvre des Bons Livres, 1833.) – H . Coekel- bergs, curé doyen, Précis historique de la dévotion à Notre-Dame de Lacken. – Abbé Destombes, Vies des Saints des diocèses de Cambrai et d'Arras. – (V.S.B.P., n° 1333.)

………….

PAROLES DES SAINTS________

L'inquiétude.

L'inquiétude provient d'un désir déréglé d'être délivré du mal que l'on sent ou d'acquérir le bien qu'on espère. Et néanmoins il n'y a rien qui empire plus le mal, et qui éloigne plus le bien, que l'inquiétude et l'empressement. Les oiseaux demeurent pris dans les filets et dans les lacs, parce qu'en s'y trouvant engagés, ils se débattent et remuent déréglément pour en sortir, ce que faisant, ils s'enveloppent toujours d'autant plus. Quand donc vous serez pressé du désir d'être délivré de quelque mal, ou de par-venir à quelque bien, avant tout, mettez votre esprit en repos et tranquillité, faites rasseoir votre jugement et votre volonté ; et puis tout bellement et doucement pourchassez l'issue de votre désir, prenant avec ordre les moyens qui seront convenables ; et quand je dis tout bellement, je ne veux pas dire négligemment, mais sans empressement, sans trouble et sans inquiétude ; autrement, au lieu d'avoir l'effet de votre désir, vous gâterez tout, et vous vous embarrasserez plus fort.

Saint François de Sales.

Page 91: 1 Septembre I

SAINT MAURILLE Évêque d'Angers (336 ?-427)

Fête le 13 septembre.

La divine semence germa sur le sol de l'Anjou dès le commencement du second siècle de l'ère chrétienne. Le premier apôtre de cette province est saint Firmin, devenu plus tard premier évêque d'Amiens, et mort martyr. Toutefois, cet intrépide messager de la bonne nouvelle avait eu des précurseurs dans l'évangélisation de la Gaule celtique ; car, à son arrivée à Angers, il trouva déjà établis un évêque et une Eglise.

De saint Julien à saint Maurille.

Saint Julien, évêque du Mans, selon toute vraisemblance, aurait lui-même fondé cette Eglise. Lui-même aurait, de ses mains, sacré l'un de ses disciples, nommé Auxilius, et l'aurait préposé au gouvernement spirituel de la terre des Andes ou Andegaves dont la cité principale, située au bord du Liger, c'est-à-dire de la Loire, s'appelait Juliomagus. Cette cité qui, deux siècles plus tard, lors de la chute de la puissance romaine en Occident, devait prendre le nom du peuple dont elle était le chef-lieu : Andegavia, Angers, était comme un avant-poste en face des peuplades armoricaines sans cesse en rébellion contre les armées de l'empire.

Juliomagus était alors le centre le plus important de la Gaule chevelue. Il lui convenait de devenir un centre de prédication de la doctrine du Christ.

Après Auxilius, et avant Maurille, trois évêques d'Angers seulement ont laissé un nom : Defensor, saint Apothème et Prosper. Au jour de la promotion de l'illustre saint Martin sur le siège de Tours, Defensor aurait encouragé les évêques présents à se pro-noncer contre l'élection du serviteur de Dieu, lui reprochant, au dire de Sulpice Sévère, de porter une chevelure en désordre et des habits trop négligés ; plus éclairée, l'assemblée passa outre et saint Martin fut élu et sacré. De saint Apothème, l'on ne connaît que le lieu d'origine, la Grèce, la date probable du début de son épiscopat (385), et le culte que l'Eglise d'Angers lui a toujours rendu.

Page 92: 1 Septembre I

Sa fête est fixée dans ce diocèse au 20 novembre. Puis vient Prosper, vers 389 ou 390. Enfin parut saint Maurille, le plus illustre des disciples du thaumaturge des Gaules et, sous son épiscopat, s'ouvrit pour l'Anjou une ère nouvelle, qui devait garder longtemps dans le cœur et dans la mémoire du peuple le beau nom d'âge d'or de cette province.

Enfance et jeunesse de saint Maurille.

Issu comme Firmin d'une famille sénatoriale, Maurille naquit dans la Haute-Italie, à Milan, vers l'année 336. Son père jouissait d'une fortune considérable et était gouverneur de la Gaule cisalpine. Femme d'une rare prudence, sa mère l'éleva sous l'œil de Dieu, loin des écueils qui causent le naufrage de tant de jeunes gens.

Pour s'épanouir aux rayons de la grâce, à une fleur déjà si suavement éclose, il ne fallait que la bienfaisante rosée de saints exemples et de sages conseils. Ces exemples, ce secours, saint Martin les donna à Maurille.

Simple exorciste de l'Eglise de Poitiers, le futur thaumaturge des Gaules était en effet, venu jusqu'en Italie pour combattre l'hérésie d'Arius qui y exerçait d'affreux ravages. II avait bâti près de Milan un monastère, où il élevait les jeunes gens dans la vertu et l'étude des saintes lettres, quand Maurille, âgé d'environ vingt ans, et qui, lui aussi, soupirait après la joie d'être uniquement à Dieu dans le silence et la prière, s'attacha à ses pas et le prit pour maître.

Dans la cléricature.

Deux ans plus tard, chassé de Milan par l'évêque arien Auxena, Martin regagnait Poitiers. Comme Maurille attendait dans son monastère que Dieu lui donnât un autre maître, saint Ambroise l'en retira pour le faire lecteur de son Eglise. Peu de temps après, le jeune clerc perdit son père ; et alors, voulant pratiquer le conseil de l'Evangile, il renonça à ses biens, quitta sa mère et son pays, malgré les supplications et les promesses du grand évêque de Milan, pour venir rejoindre saint Martin qui avait été élevé dans l'intervalle sur le siège métropolitain de Tours.

Il y passa quelques années à chanter l'office divin. Cependant, son maître avait dessein de garder près de lui ce fidèle disciple et d'en faire son coadjuteur pour le gouvernement de l'Eglise de Tours. Dans cette pensée, il conféra à Maurille deux des Ordres majeurs, puis le sacerdoce, malgré les résistances d'une humilité effarouchée par un tel honneur. Mais le désir de saint Martin ne put se réaliser, Maurille avait d'autres projets. Après s'être donné le baiser d'adieu, l'un et l'autre se séparèrent, le cœur rempli de tristesse, et le disciple s'en alla où Dieu l'appelait.

Page 93: 1 Septembre I

La lutte contre le paganisme.

C'est vers l'Anjou que l'apôtre porta ses pas. Malgré les prédications de saint Firmin et de saint Apothème, presque toute la contrée occupée par les Andes était encore infectée de paganisme. Le druidisme régnait en souverain sur les bords de la Loire, et l'impénétrable canton des Mauges, que n'avaient pu jadis subjuguer les légions de César, terre de genêts et d'ajoncs ombragée de chênes séculaires, était en particulier comme le sanctuaire des druides. Chaque année, en ce pays où le druidisme a laissé jusqu'aujourd'hui des vestiges, au retour de la saison, les prêtres, avec leur faucille d'or, y recueillaient en abondance le gui sacré, pour eux le symbole de l'immortalité de l'âme, qui faisait le fond de leur religion. Aussi, Bellefontaine, près Cholet, le sommet et les abords de la colline des Gardes, Le Marillais, Chalonnes-sur-Loire, constituaient, à l'arrivée de saint Maurille en Anjou, comme autant de foyers de superstitions.

Dans les villes ou les localités plus importantes qui avaient pu être en contact avec les Romains, ce n'étaient pas les dieux gaulois, le dieu du feu, ou le dieu des chênes, qui étaient adorés mais les divinités de Rome. La situation, comme on peut le voir, était complexe, puisque trois religions se trouvaient en conflit ; saint Martin avait connu lui-même une situation identique dans la Touraine.

Au nouveau prêtre milanais, son glorieux disciple, il était réservé d'éteindre les feux de ces superstitions sur le territoire des Andes, et de sanctifier quelques-uns de ces lieux par des fondations qui ont jusqu'à nos jours porté son nom.

Sur les ruines du druidisme.

Chalonnes, célèbre alors par son collège de druides, citadelle du paganisme aux rives de la Loire, requit d'abord, et pendant plus de douze ans, tous les efforts de son zèle. Un jour enfin, nouvel Elie et marchant une fois de plus sur les traces de son maître saint Martin dont Sulpice Sévère nous raconte un miracle analogue, Maurille obtint que le feu du ciel descendit sur l'un des temples élevés en l'honneur des faux dieux et le réduisit en cendres. A l'endroit même du prodige que marque actuellement l'église Saint Maurille de Chalonnes, le missionnaire bâtit un premier temple à la gloire du vrai Dieu. Toute une population fidèle vint habiter autour de l'édifice. Ce que voyant, l'apôtre s'empressa de fonder près de là un monastère qui devint sa résidence et dont il fit, à son tour comme le centre de ses opérations contre Satan.

Non loin de Chalonnes, aux confins des paroisses de Saint-Maurille et de Chaudefonds, existe encore un rocher dit, Pierre Saint Maurille, du haut duquel, maintes fois, le serviteur de Dieu aurait distribué le pain de la divine parole aux foules avides de la recueillir. Mais, sur le faite d'une colline voisine, semblant défier la puis- sance même de Jésus-Christ, se dressait encore un temple païen plus fameux que le premier. Fort de la protection du ciel, Maurille, un jour y monta, une torche enflammée à la main, s'arrêta sur le seuil maudit et, malgré les cris et les réclamations de l'enfer,

Page 94: 1 Septembre I

qui avait là une de ses plus chères retraites, mit le feu aux lambris de l'édifice. Là aussi, un oratoire chrétien, que remplace aujourd'hui l'église Notre-Dame de Chalonnes, surgit sur les ruines du sanctuaire païen et, à ses côtés, un second monastère qui dura jusqu'à la grande Révolution. On le plaça successivement sous le patronage de saint Pierre et sous celui de la Mère de Dieu. Lorsqu'il sera devenu évêque, saint Maurille jettera de même les premiers fondements de la cité de Rochefort-sur-Loire et du futur lieu de pèlerinage de Notre-Dame du Marillais, l'une et l'autre en Anjou. Ajoutons à tant de glorieux souvenirs une fontaine longtemps fréquentée comme miraculeuse : la fontaine Saint-Maurille, à quelques pas de Chalonnes, sur la voie qui descend vers Nantes. Elle rappelle la puissance accordée par Dieu à l'infatigable propagateur de l'Evangile en toute cette contrée.

Saint Maurille évêque d'Angers.

Vers l'an 397, le siège épiscopal d'Angers resta quelque temps vacant. Le clergé et le peuple de la ville s'étaient assemblés sous la présidence des évêques de la province pour l'élection d'un nouveau pontife. Les avis étant partagés et cette divergence d'opinions pouvant amener les plus fâcheux résultats, saint Martin, en sa qualité de métropolitain, prit la parole pour éclairer et orienter les suffrages :

« Maurille, s'écria-t-il, ce prêtre qui gouverne avec tant de sagesse l'Eglise de Chalonnes, est celui que le ciel a choisi pour être votre pasteur. »

Son langage si ferme et comme inspiré apaisa toute division. Maurille fut élu. Aussitôt informé de son élection, il lui fallut, les yeux pleins de larmes, suivre les envoyés de l'assemblée qui lui avait imposé le fardeau inattendu de l'épiscopat. C'est au milieu des félicitations de tout le peuple qu'il fit son entrée dans la cité angevine et qu'il franchit le seuil de sa cathédrale. On raconte qu'au moment où il allait recevoir des mains de Martin la consécration épiscopale, une colombe au cou d'albâtre, planant au-dessus de sa tête, vint se poser sur les épaules de l'élu : « Vive Maurille, l'élu du Seigneur ! » s'écria alors la foule enthousiaste. Il est digne « d'être notre évêque » ! La colombe symbolique: ne reprit son vol qu'à l'instant où le prélat consécrateur s'approcha pour oindre de l'huile sainte, le front du nouveau pontife. Cet épisode est représenté sur une miniature d'un manuscrit du moyen âge qui se trouve présentement à la bibliothèque de Tours.

Ses miracles.

A partir de ce moment, et pendant plus de trente ans, des miracles fréquemment renouvelés semblent tomber des mains du saint évêque avec les bénédictions qu'il donne, Saint Maimbœuf, le premier biographe de Maurille, exprime bien l'étendue de sa puissance, lorsqu'il affirme que pour le nombre et l'éclat des prodiges opérés par lui durant son épiscopat, ses contemporains osaient le comparer aux apôtres.

Un jour, dans l'église Saint-Pierre d'Angers, le pieux pontife rendit la vue à un

Page 95: 1 Septembre I

aveugle-né, et celui-ci, plein de reconnaissance, fit aussitôt le vœu de consacrer au service de cette église le reste de sa vie. Un paysan, n'ayant pas craint de profaner le saint jour du dimanche, avait vu soudain sa main comme figée à l'outil qu'il maniait. Après cinq mois de cette dure épreuve, s'étant jeté aux pieds de Maurille, il fut guéri.

Voici un autre miracle dont les détails rappellent de bien près celui de la résurrection du fils de la veuve de Naïm dans l'Evangile. C'est au bourg de Savennières, dans son diocèse, que le thaumaturge l'accomplit : un étranger de passage à Savennières, venait d'y succomber victime de la peste.

Étendu dans un cercueil, le corps allait être transporté au lieu de son repos. Des pleureurs à gages (trait qui semble emprunté aux mœurs d'Orient) avaient commencé leurs cris plaintifs, lorsque Maurille, se sentant inspiré de prier pour cet homme, s'approche du cercueil et entre en oraison. Bientôt le cadavre reprend doucement vie et vigueur ; il se soulève et le ressuscité est rendu à sa famille.

La légende des clés. Saint René.

En racontant l'histoire qui va suivre, nous ne prétendons pas faire œuvre critique, mais seulement rapporter à titre strictement documentaire une légende très ancienne. Les Petits Bollandistes qui la résument très brièvement ajoutent que le fait est d'authenticité douteuse ; il n'est en aucune façon article de foi.

Maurille donc par ses prières avait obtenu à une femme longtemps stérile un enfant qui tomba ensuite dangereusement malade. Sa mère s'empressa de le porter à l'église Saint-Pierre, pour prier l'évêque de lui administrer le sacrement de Confirmation. Le prélat célébrait alors une messe solennelle. On l'avertit de ce qui se passait, mais il ne crut pas devoir s'interrompre pour accéder au désir de la pauvre femme, si bien que l'enfant mourut sans avoir reçu le Saint-Esprit.

A cette nouvelle, l'évêque d'Angers se résolut à expier ce qu'il se reprochait comme une faute par une pénitence de plusieurs années. Après mûre réflexion, il forma le dessein d'abandonner son diocèse et de se retirer en quelque lieu inconnu où il lui serait loisible de s'adonner sans témoin à la mortification. Sorti en cachette de sa ville épiscopale, il gagna un port de mer où il s'embarqua sur un vaisseau à destination de l'Angleterre. En pleine mer, il s'aperçut qu'il avait emporté par mégarde les clés du reliquaire de son église, et comme il les tenait dans ses mains, le démon les fit tomber à l'eau. Alors Maurille de s'écrier les yeux pleins de larmes : « Si je ne retrouve point ces clés, je ne retournerai jamais dans le pays que j'ai quitté. » Aussitôt débarqué, il prit un pauvre habit et se loua à un seigneur pour en être le jardinier, afin de mortifier son corps par un dur labeur.

Le clergé et le peuple d'Angers furent dans la désolation en constatant l'absence de leur pasteur. Il fut révélé à plusieurs que de grands malheurs en résulteraient pour la région si les habitants ne se mettaient en devoir de le retrouver. Ceux-ci déléguèrent à cette mission quatre d'entre eux, qui parcoururent inutilement l'Europe pendant sept ans à la recherche du disparu. Comme ils séjournaient dans un port breton d'où ils comptaient faire voile pour l'Angleterre en vue d'y poursuivre leurs investigations, ils aperçurent, le long du rivage, une pierre portant ces mots : « Par ici passa Maurille,

Page 96: 1 Septembre I

évêque d'Angers », avec la date du jour de son départ. Ils s'embarquèrent pleins de confiance, et voilà qu'au cours de la traversée un gros poisson sortant des flots s'échoua sur le pont du navire. Quelle ne fut pas leur surprise lorsqu’après l'avoir ouvert ils retirèrent de son ventre les clés de l'église d'Angers ! Arrivés au port, ils se rendirent directement, guidés par une inspiration, à la maison du seigneur où leur prélat s'était fait jardinier, et, l'ayant aperçu, se jetèrent à ses pieds en le conjurant de revenir sur le continent. Maurille s'y refusait, alléguant son serment, mais les quatre envoyés lui montrèrent les clés, non sans insister sur les circonstances dans lesquelles ils en étaient devenus détenteurs. L'évêque, convaincu, accepta donc de les suivre. La nuit de son départ, un ange lui apparut et lui dit : « Levez-vous Maurille, et rendez-vous incessamment à votre peuple.

Vos prières et votre piété ont conservé vos ouailles durant votre absence ; et même, pour récompense de votre vertu, Dieu vous restituera l'enfant dont vous déplorez la mort depuis si longtemps.

Dès qu'il fut, en effet arrivé à Angers, Maurille se rendit au tombeau de l'enfant, le fit ouvrir et, par ses prières, obtint la résurrection du mort à qui, en raison de cette seconde naissance, il donna le nom de René, en le confirmant sur-le-champ, Depuis lors, il en eut un soin particulier, le destina aux autels, le forma à la vertu et l'eut pour successeur sur son siège épiscopal. Telle est du moins l'ancienne tradition, vieille de plus de douze cents ans, des Eglises d'Angers et de Sorrente en Italie, dont saint René a été évêque. Cette tradition s'appuie sur un récit qui a été attribué tour à tour, d'ailleurs à tort, à saint Fortunat de Poitiers et à saint Grégoire de Tours.

Mort de saint Maurille.

Les Actes de saint Maurille, si explicites au sujet de ses miracles, rapportent plus brièvement le chapitre de ses vertus. Ils montrent cependant que toute sa vie n'a été qu'une suite de bienfaits répandus à profusion, en faveur des pauvres, des infirmes et des malades. Ils disent qu'au moment de sa mort, âgé de quatre-vingt-dix ans, le saint évêque avait, selon la croyance de ceux qui l'avaient connu, conservé probablement l'innocence de son baptême. Fidèle aux promesses qu'il avait jadis déposées aux pieds de saint Martin, Maurille fut toujours l'ami de l'humble pauvreté ; et jusqu'à ses derniers instants, il s'attacha à dompter sa chair par des austérités effrayantes ; ses repas se bornaient le plus souvent à un morceau de pain d'orge qu'accompagnaient un peu de sel et de l'eau du torrent.

Le 13 septembre, vers l'an 427, le grand apôtre rendit son âme à son Créateur. Sa dépouille mortelle fut déposée dans une crypte qu'il s'était préparée de son vivant, à l'ombre des murs de Saint-Pierre d'Angers. A la Révolution, les reliques du Saint furent sacrilègement dispersées et c'est à peine s'il en reste encore quelques parcelles à Chalonnes.

Page 97: 1 Septembre I

Son culte.

En Anjou, saint Maurille jouit d'une grande popularité. Il fut d'abord choisi comme l'un des patrons principaux du diocèse ; et, à diverses reprises, au cours du moyen âge, en mémoire de diverses translations de ses reliques, plusieurs fêtes furent instituées en son honneur. Beaucoup d'églises et d'autels lui restent consacrés ; mais si, depuis la fin du XVIIe siècle, il a perdu, ainsi que saint René, son disciple et successeur, le titre de patron principal, ce grand serviteur de Dieu est toutefois resté patron secondaire du diocèse d'Angers.

Le calendrier du rite ambrosien à Milan le fête aussi le 13 septembre.

Abbé L.Tardif.

Sources consultées. – Acta Sanctorum. – Surius, Vitae Sanctorum. – Propre du diocèse d'Angers. – Dom Chamard, 0.S.B., Saints personnages de l'Anjou. – Dom Piolin, O.S.B., L'Eglise du Mans. – Barthélemy Roger, Histoire de l'Anjou. – Grandet et Rangeard, manuscrits sur l'histoire du diocèse d'Angers. – (V.S.B.P., n° 1184).

………….

PAROLES DES SAINTS________

L'Eucharistie.

Lorsque vous vous approchez de ce sacrement, prenez garde de vous laisser ébranler par le doute et d'être comme un aveugle qui tâtonne... Mais soumettez-vous tout entier à Dieu, et tenez votre âme captive sous le joug de la foi qui vous apparaît fortifiée par des témoignages si imposants. Quel doute, en effet, pouvez-vous former sur ce sacrement donné par Jésus-Christ d'une façon si expresse et si claire, enseigné par les apôtres et tous les saints docteurs de l'Eglise, figuré pendant une si longue série d'années, et confirmé par tant de cérémonies, de miracles, de prodiges et de saintes observances, qui sont comme autant de témoignages palpables de sa vérité ? Otez de l'Eglise ce sacrement ; que restera-t-il dans le monde, si ce n'est l'erreur et l'infidélité ? Vous verrez alors si le peuple chrétien ne sera point comme un troupeau dispersé, et s'il ne se plongera pas dans l'idolâtrie, ainsi que le reste des infidèles. C'est par ce sacrement que l'Eglise se maintient, que la foi s'affermit, que la religion de Jésus- Christ se conserve en sa jeunesse, et le culte de Dieu dans sa force. C'est pour cela que le Sauveur a dit : Je suis avec vous jusqu'à la fin du monde.

Saint Bonaventure.

Page 98: 1 Septembre I

SAINT MATERNEÉvêque, apôtre de l'Alsace (1er siècle)

Fête le 14 septembre.

L'apostolat de saint Materne fournit à l'histoire religieuse de l'Alsace une de ses plus belles pages. Les régions de la Moselle, de la Meuse, du Bas-Rhin, d'autres encore, se glorifient de l'avoir eu pour premier évangéliste.

Disciple de saint Pierre, si l'on en croit des traditions vénérables, le Prince des apôtres l'aurait lui-même envoyé avec saint Eucher et saint Valère dans les contrées qui constituaient alors la première et la seconde Germanie. Des écrivains de renom ont cru pouvoir suspecter cette créance. Ils reculent au IIIe siècle les commencements des Églises des Gaules. Pour eux, le saint Materne que le Martyrologe romain nous présente comme un envoyé de l'apôtre Pierre ne serait autre qu'un savant évêque de Cologne connu au IVe siècle, honoré de la confiance de l'empereur Constantin et apprécié de ses contemporains pour ses travaux aux Conciles de Rome et d'Arles (313-314). Des érudits de valeur se sont prononcés en sens contraire. Nous nous en tiendrons à la tradition vieille de treize siècles, qui distingue saint Materne, premier apôtre, dont la mission marque les débuts du christianisme dans la Gaule-Belgique, de son homonyme de Cologne, quel que soit d'ailleurs l'éclat qui auréole la mémoire de ce dernier.

Patrie de saint Materne.

Materne fut-il, comme l'ont assuré certains chroniqueurs, l'heureux ressuscité de Naïm, le fils unique rendu à sa mère par Jésus-Christ ? Ce serait téméraire de l'affirmer. Est-il originaire de Lombardie, comme le disent d'autres écrivains confondant sans doute saint Materne de Trèves avec un autre Materne, fils du comte Papias, et qui vécut à la fin du IIIe siècle ? Avouons-le, ses origines sont peu connues.

La chose en somme est de peu d'importance ; « son meilleur titre de noblesse et notre suprême bonheur, dit l'historien Fisen, c'est qu'il avait reçu du Prince des apôtres la lumière qu'il fit briller aux yeux de nos ancêtres. »

« En ce temps-là, lisons-nous dans la vie des saints Eucher, Valère et Materne,

Page 99: 1 Septembre I

l'Esprit parla à Pierre, et l'apôtre résolut de porter la parole du salut à la Gaule et à la Germanie. » On sait que vers l'an 47 l'empereur Claude bannit les Juifs de Rome. La religion chrétienne, pure superstition juive aux yeux des Romains, fut comprise dans la proscription. II est vraisemblable que saint Pierre quitta alors la capitale du monde romain pour évangéliser diverses contrées d'Occident. Un auteur syriaque du VIe siècle exhumé par le docte cardinal Maï, un biographe grec du VIIIe siècle, et le vénérable Bède nous montrent le saint apôtre occupé à évangéliser la Grande-Bretagne.

C'est probablement après son retour à Rome en l'an 52 que le premier Pape choisit, pour parfaire son œuvre apostolique, « trois hommes d'une vertu consommée et d'une science éprouvée ». C'étaient l'évêque Eucher, revêtu de la dignité épiscopale ; Valère, son diacre, et Materne, jeune clerc âgé d'environ vingt ans.

La vocation.

La Gaule-Belgique, que saint Pierre leur aurait désignée comme théâtre de leur zèle, était dès cette époque en rapports suivis avec la métropole de l'empire. Auguste venait d'octroyer à ses habitants le droit de bourgeoisie romaine, l'empereur Claude leur avait accordé l'accès aux dignités et à toutes les charges de la ville et du Sénat.

Le pays était traversé en tous sens par des voies larges et spacieuses, chemins tout tracés aux missionnaires, aussi bien qu'aux légions guerrières chargées de défendre les rives du Rhin et de la Meuse. Nos saints apôtres suivirent probablement ces voies de communication dont Rome avait doté nos pays. Peut-être même accompagnaient-ils quelqu'une de ces armées romaines où se rencontraient bon nombre de chrétien et dont les migrations facilitaient merveilleusement la mission des pionniers de la civilisation. Aux fatigues de la route, nos missionnaires joignaient celles d'une incessante prédication. Ils traversèrent les Alpes, arrivèrent en Alsace et s'arrêtèrent dans un bourg nommé Helvetus, sur la rive droite de l'Ill, à deux milles environ de Benfeld. C'est, dit-on, le village actuel de Ehl.

Là, suivant une croyance populaire, Materne, surpris par une fièvre maligne au cours de son ministère, aurait été rapidement emporté par la mort. Ses deux compagnons d'apostolat, Eucher et Valère, rendirent les derniers devoirs à leur défunt et revinrent en hâte informer Pierre du deuil qui les frappait. Ici se place l'agréable légende du bâton de saint Pierre

Légende du bâton de saint Pierre.

L'apôtre console les deux voyageurs et leur donne son bâton pastoral. Qu'ils le posent sur le corps du défunt et lui disent : Materne, l'apôtre Pierre t'ordonne au nom de Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant, de revenir à la vie et d'achever avec nous la mis-sion qu'il t'a confiée. » Ainsi parle Pierre. Eucher et Valère accueillent avec joie l'ordre de celui dont l'ombre seule rendait la santé aux infirmes. Remplis de confiance, ils arrivent auprès du tombeau où repose Materne, ils l'ouvrent et font toucher le bâton de

Page 100: 1 Septembre I

l'apôtre à ce corps endormi du dernier sommeil. Soudain, le défunt, ouvrant les yeux, aperçoit Eucher, se dresse, présente la main à l'évêque son frère et sort de sa tombe, en présence de la multitude effrayée. I1 y avait, dit toujours la légende, quarante jours qu'il était mort. Et beaucoup de se convertir à la vue du prodige. L'instrument du miracle, le bâton pastoral de saint Pierre, ne fut pas profané ; il a été conservé jusqu'à nos jours ; Cologne et Trèves se le sont partagé et gardent précieusement, comme une relique, chacune des deux moitiés.

Divers Martyrologes et écrits du IXe et du Xe siècle se font les échos de cette tradition qu'ils rapportent comme admise de temps immémorial. Détail qui a son intérêt, c'est à ce miracle que certains auteurs font remonter la coutume prise par les Papes de ne point se servir de crosse dans les cérémonies liturgiques. Le Pape Innocent III (1198-1216), dans un passage inséré au Corpus iuris ecclesiastici, en donne la raison : « Le bienheureux apôtre Pierre, dit-il, envoya son bâton pastoral à Eucher, premier par la vertu de ce bâton. »

«  C'est pourquoi, ajoute saint Thomas d'Aquin, le Pape ne portait ce bâton que s'il allait dans le diocèse de Trèves et nulle part ailleurs. » Le saint docteur donne à propos du même fait une explication toute mystique : «  La forme recourbée de la crosse, dit-il, est l'indice d'une juridiction limitée » et donc ne convient pas au Souverain Pontife.

Apostolat de saint Eucher et de saint Valère.

Materne et ses deux compagnons poursuivirent leur fructueux ministère et opérèrent en Alsace de nombreuses conversions à la foi chrétienne. Comment résister à l'éloquence autorisée d'un ressuscité ?

Nos missionnaires pourtant ne se fixèrent pas pour toujours en cette province ; Trèves attirait leurs regards ; Trèves alors la première ville de Germanie, cité opulente, dont le renom, la puissance, la valeur guerrière l'emportaient, au dire de César, sur celles de tous les peuples de la Gaule. Elle avait, comme Rome, son Capitole et son Sénat, ses théâtres et ses thermes. Cent idoles y recevaient un culte public et avaient leurs statues dressées sur une des hauteurs de la ville.

On devine quels obstacles dut rencontrer la première prédication du saint évêque et de ses compagnons. Les prêtres païens, jaloux de leur influence grandissante, les chassèrent de la ville ; ils eussent été lapidés si le ciel n'eût comme paralysé le bras du peuple furieux. Malgré les mauvais traitements, nos missionnaires ne perdirent pas courage. Ils attendirent en paix le moment des miséricordes divines sur tant d'âmes rebelles. Dieu confirmait par des miracles leur sainteté et l'autorité de leur parole. Ainsi, saint Eucher ressuscita le fils de la noble dame Albana, veuve d'un puissant sénateur. La merveille fit grand bruit et servit puissamment à la cause de l'Évangile.

Albana reçut, en effet, le baptême avec tous les siens et fit de sa maison un lieu de prières et de réunion. De nouveaux prodiges firent une telle impression sur le cœur des barbares qu'on les vit se présenter en foule pour recevoir le saint baptême. Trois jours durant, un ruisseau qui traverse la ville servit de fontaine baptismale aux innombrables néophytes.

Page 101: 1 Septembre I

Quand, après vingt-trois ans d'épiscopat, l'évêque Eucher mourut, chargé de mérites et de bonnes œuvres, la ville presque entière avait déserté les sanctuaires de l'idolâtrie et fréquentait les oratoires élevés au vrai Dieu. Valère fut son successeur au siège de Trèves. I1 n'eut, disent ses biographes, qu'à affermir l'œuvre de son illustre prédécesseur.

Sa piété ardente, sa vie toute céleste, la persuasion surtout de sa parole lui conquirent la population, et les quinze ans de son épiscopat virent le christianisme faire de tels progrès aux environs de Trèves que, selon Herigere, le nombre des chrétiens y surpassait celui des païens. Pour qui connaît l'attachement de nos ancêtres à la religion de leurs druides, cette affirmation du chroniqueur peut paraître exagérée. Le fait est que, à la mort du saint évêque (vers l'an 89 ou 90 après Jésus-Christ), Materne, appelé à lui succéder, avait encore un champ immense à défricher.

L'épiscopat de saint Materne. – Ses travaux apostoliques.

Laissé seul à la tête du troupeau, Materne donna libre cours à son zèle. Sa sollicitude pastorale déborda dès lors de sa ville épiscopale sur les contrées les plus éloignées. Rome, sans cesse préoccupée de défendre ses frontières du Rhin, ne songeait pas à ce moment à proscrire les adorateurs du Christ. Longtemps ils passèrent inaperçus, mêlés à des populations toujours frémissantes sous le joug odieux de l'empire. Aussi, plus heureux que leurs frères du Sud, les chrétiens de la Gaule-Belgique et de la Germanie jouissent longtemps d'une liberté relative. Materne en profite pour étendre ses courses apostoliques. Il descend la Moselle et le Rhin, s'arrête à chacune des bourgades échelonnées sur les rives des deux fleuves et y prêche la bonne nouvelle. Dans chaque agglomération, c'est à la conversion des chefs qu'il travaille d'abord. Les membres n'opposeront pas de résistance sérieuse à la prédication de la vérité si la tête s'incline devant elle et s'y soumet.

L'Alsace le revoit et, d'après la tradition, il y établit plusieurs oratoires ou lieux de réunions des fidèles. Au petit bourg d’Ehl, qui fut, nous l’avons déjà vu, comme le berceau du christianisme en ce pays, l’ancien ressuscité remporte les plus consolantes victoires sur l’enfer. Strasbourg, Worms, Mayence entendirent successivement le pontife. Ils conservent toujours religieusement le souvenir de son passage et des merveilles qu’il opéra dans leurs murs. A Bonn, si nous en croyons le chroniqueur Berthius, son éloquence détruisit à jamais le culte de Mercure, très florissant en cette ville. Sa Sainteté y gagna au Christ le gouverneur, centurion des légions romaines ; avec sa permission, il y fonda une église célèbre qui, de nos jours encore, est la seconde église paroissiale de la ville. Le serviteur de Dieu avait hâte d’arriver à Cologne. La grande cité était alors d’un accès difficile pour un chrétien. Devant la porte dédiée à la déesse Papia, était un foyer toujours allumé, et nul ne pénétrait dans la ville qu’il n’eût offert d’abord l’encens à la fausse divinité.

Pourtant, après dix-sept jours, par un heureux hasard, le Saint parvint, sans se soumettre à l’idolâtrique cérémonie, à pénétrer dans l’enceinte et il y exerça son zèle toujours fructueux.

Page 102: 1 Septembre I

Après quarante-cinq jours de sépulture, saint Materne est ressuscitépar le bâton de saint Pierre.

Une dévotion très ancienne se rattache à cet épisode de la vie du saint évêque. Ce sont les prières solennelles de dix-sept jours consécutifs, du 13 septembre à la fête de saint Michel, faites de nos jours encore dans les églises de la ville de Cologne, en l'honneur de saint Materne.

Bientôt « la florissante et noble cité de Tongres – ce sont les termes du chroniqueur – Devient, elle aussi, tributaire du Christ, et, la première des villes de la Gaule-Belgique, elle voit s'élever dans son sein un temple dédié à la Très Sainte Vierge. Tongres était alors le point d'aboutissement de trois chaussées romaines : l'une venait de Cologne, l'autre de Nimègue, la troisième côtoyait les rives sauvages de la Meuse et se dirigeait vers Bavai.

Il est à présumer que Materne a suivi cette dernière voie et ainsi, dès le début du second siècle, Maestricht, Huy, Namur, Dinant et Ciney ont reçu l'Evangile. Partout à son passage des prodiges marquent du sceau de la vérité ses enseignements ; ici des aveugles recouvrent la vue, là les démons sont contraints d'abandonner les corps de ceux qu'ils tourmentent ; à Ciney, les cinq enfants du gouverneur, ensevelis sous les ruines d'une maison écroulée, en sont retirés sains et saufs ; il n'est pas, dit un ancien

biographe, d'infirmité corporelle ou spirituelle qui ne reçoive du soulagement.çà et là des oratoires s'élèvent en l'honneur du Christ et de la bienheureuse Vierge. Dans la seule ville de Tongres, Gilles d'Orval en compte jusqu'à soixante-dix.

Page 103: 1 Septembre I

Peut-être ici encore l'enthousiasme du chroniqueur se laisse-t-il aller à quelque pieuse exagération. Mais ce qui ne semble pas douteux, c'est que Materne, seul évêque d'un immense territoire qui comprenait la première et la seconde Germanie, eut à cœur d'établir dans les centres, comme Cologne et Tongres, des lieux de prière, et, pour les desservir, des prêtres chargés de conserver et de faire mûrir le fruit de ses labeurs.

Vertus de saint Materne.

Nous aimerions à connaître quelque chose des vertus de Materne. Herigere célèbre son zèle pour le salut des âmes, son humilité, sa simplicité ; mais entre toutes ses vertus, dit un autre biographe, trois surtout brillaient en lui d'un incomparable éclat :

« la douceur, la bonté et l'austérité de vie ». Chose remarquable, ces trois vertus se retrouvent inséparablement unies au cœur de tous les grands apôtres. Les hommes n'ont-ils pas toujours besoin d'une douceur extrême dans le langage et les actes de ceux qui veulent leur faire du bien ? et la bonté qui se donne sans espoir de retour, n'est-elle pas la caractéristique des hommes qui de tout temps ont le plus attiré l'amour et la vénération de leurs semblables ?

L'apôtre, comme Jésus-Christ, se fait tout à tous ; s'oublier pour ne plus penser qu'à la gloire de Dieu et au salut des âmes, se pencher d'autant plus vers ces âmes qu'elles sont plus pauvres, plus misérables, plus abandonnées, telle est sa grande règle de conduite. Ce fut celle de Materne ; il aimait à consoler les affligés, nourrissait à ses frais les malheureux et, en secourant les corps, il gagnait leurs âmes.

Débonnaire pour les autres, il observait lui-même un régime si sévère qu'il semblait pratiquer un jeûne continuel. Quelques heures à peine étaient consacrées au sommeil, le reste de la nuit il le passait en prière, et de grand matin il partait à la conquête des âmes. Pour se donner à tous, il eût désiré pouvoir se multiplier et se trouver à la fois présent dans les trois églises qui possédaient son cœur.

On dit que Dieu exauça parfois les vœux de son zèle et qu'au jour de Pâques on le vit transporté miraculeusement, comme un autre Habacuc, à Trèves, à Cologne et à Tongres où il célébra pontificalement à la grande joie de ses fidèles. Le fait, pour être prodigieux, ne serait pas inouï dans l'histoire des Saints. Ce serait, reporté à 1'époque évangélique, ce temps si fertile en miracles qui doivent aider à l'établissement du christianisme, le phénomène de la bilocation.

Mort de saint Materne.

Depuis déjà quarante ans, le fardeau de l'épiscopat pesait sur les épaules du vieillard presque centenaire, quand Dieu daigna l'appeler à recevoir la récompense. Selon un auteur anonyme, c'est à Cologne qu'il acheva ses jours. Une nuit qu'il vaquait comme de coutume à la prière, le sommeil le surprit et il eut une céleste vision. Eucher et Valère, les compagnons de son apostolat, lui apparurent le front ceint d'une couronne. « Dans trois jours, lui dirent-ils, tu quitteras ce monde misérable pour entrer

Page 104: 1 Septembre I

dans les joies qui ne doivent plus finir », et, lui montrant une couronne semblable à la leur, ils remontent aux cieux.

Materne, à son réveil, se sent animé d'une douce confiance en la vérité du céleste message. D'ailleurs, sa faiblesse croissante, la fièvre qui le consume lui sont un avertissement. Il groupe autour de lui ses disciples et leur annonce son prochain départ pour une vie meilleure. Les deux jours suivants se passent en sublimes entretiens. C'est un père qui prodigue ses conseils ; ses paroles suprêmes, d'autant plus sacrées qu'on les sent imprégnées davantage du calme et de la grandeur de cette éternité où il va entrer, voudraient mettre au cœur de ses fils la flamme de l'amour qui le dévore.

Au troisième jour, le viatique du Seigneur est venu le réconforter, et le bienheureux Materne exhale doucement le dernier soupir.

Funérailles.

Ses trois églises se disputèrent ses reliques vénérées. La Providence, à en croire une poétique légende, se chargea de trancher le différend. Les saintes dépouilles furent placées sur une embarcation qu'on devait abandonner au milieu des flots du Rhin. Cologne garderait le corps si la barque revenait vers la ville ; si elle descendait le fleuve, Tongres aurait le droit d'emporter les reliques ; remontait-elle au contraire le cours de l'eau, Trèves, en possession déjà des corps de saint Eucher et de saint Valère, hériterait des restes de l'apôtre.

Contre les prévisions humaines et sans le secours d'aucun pilote, la barque remonta le courant du fleuve. Les heureux habitants de Trèves emportèrent donc les saintes reliques et les réunirent à celles des deux prédécesseurs de Materne. Ainsi ces hommes apostoliques, unis ici-bas dans une même charité, partagèrent après la mort le même tombeau.

A.G.

Sources consultées. – Abbé A. Servais, Etude historique et critique sur saint Materne, sa mission et son culte (Namur, 1890). – Acta Sanctorum, t. IV, sept., et t. II, janv. – Abbé Gœckler, Sankt Maternus (Rixheim, 1884). – Hunckler, Les saints d'Alsace. - (V.S.B.P., n° 1349.)

Page 105: 1 Septembre I

…………..

PAROLES DES SAINTS_________

Les tentations.

Tenez pour certain que toutes les tentations de l'enfer ne sauraient souiller un esprit qui ne les aime pas. Laissez-les donc courir. L'apôtre saint Paul en souffre de terribles, et Dieu ne les lui veut point ôter ; et le tout, par amour. Courage donc ! que ce cœur soit toujours à son Jésus, et laissez clabauder ce mâtin à la porte, tant qu'il voudra. Vivez avec le doux Jésus et sa sainte Mère parmi les ténèbres, les clous, les épines et les lances. Vivez longtemps en larmes, sans rien obtenir ; enfin Dieu vous ressuscitera et vous réjouira, et vous fera voir le désir de votre cœur. Je l'espère ainsi ; et, s'il ne le fait pas, encore ne laisserons-nous pas de le servir ; il ne laissera pas d'être notre Dieu ; car l'affection que nous lui devons est d'une nature immortelle et impérissable.

Saint François de Sales.

(Lettres, 1. IV, 47.)

Page 106: 1 Septembre I

SAINTE CATHERINE DE GÊNESVeuve, Hospitalière (1447-1510)

Fête le 15 septembre.

Catherine naquit à Gênes, en 1447. Son père, Jacques Fieschi, était vice-roi de Naples. Sa famille fut féconde en grands hommes ; elle donna à l'Eglise deux Papes, Innocent IV (1243-1254) et Adrien V (1276), et huit ou neuf cardinaux ; deux archevêques à Gênes, et beaucoup de magistrats et de capitaines à sa patrie.

Son enfance.

Les parents de Catherine, en bons et fervents chrétiens, l'élevèrent dans la crainte et l'amour de Dieu, et elle profita si bien de leurs leçons, que, dès l'âge de huit ans, elle se mit à pratiquer des mortifications très rudes. Elle dormait sur une simple paillasse et n'avait qu'un morceau de bois pour oreiller, mais elle avait soin de cacher ses pénitences à son entourage. Elle eut aussi de bonne heure le don d'oraison à un degré extraordinaire. Elle avait dans sa chambre une image représentant Notre-Seigneur mort, couché sur le sein de la Sainte Vierge. Elle sanglotait toutes les fois qu'elle contemplait ce tableau.

A l'âge de douze ans, son oraison atteignit un degré encore plus sublime ; elle éprouvait les délicieuses ardeurs de l'amour de Dieu, particulièrement quand elle méditait sur la Passion de son Sauveur ; sa disposition était celle de l'abandon le plus parfait à la volonté divine, elle n'avait de joie que dans la contemplation des choses du ciel, et tous les biens de la terre lui inspiraient horreur et dégoût. Voulant se donner entièrement à Dieu, qui se communiquait à elle avec tant de familiarité, l'enfant résolut d'entrer dans le cloître. Parmi les nombreux monastères de femmes qu'on comptait alors à Gênes, elle choisit le couvent de Notre-Dame des Grâces, soumis à la règle de saint Augustin. Elle ouvrit son cœur à son directeur spirituel, et le pria instamment, s'il approuvait ses pensées, de la faire admettre dans ce monastère. Le prêtre éprouva quelque temps sa vocation ; la voyant inébranlable, il fit la demande à la Supérieure du couvent ; mais Catherine n'avait que treize ans, et la Règle s'opposait à ce qu'on admît des postulantes d'un âge aussi tendre. Les religieuses connaissaient les grâces extraordinaires dont jouissait l'enfant, pourtant elles aimèrent mieux renoncer au trésor qu'on leur proposait, que de transgresser leurs règlements.

Page 107: 1 Septembre I

Mariage de sainte Catherine.

Elle fut fort affligée de ce refus ; mais, après avoir ployé un instant, elle se redressa avec énergie et dit : « C'est Dieu qui me fait subir cette épreuve, je lui remets le soin de ma personne, afin qu'il me fasse arriver à mon but par les voies que sa sagesse jugera les meilleures. » Ces voies devaient être douloureuses ; dès l'âge de seize ans, elle commença à y entrer. Elle perdit son père en 1460, et se trouva ainsi sous la tutelle de son frère aîné, Jacques.

A cette époque, la ville de Gênes était le théâtre de guerres sanglantes, en raison de la rivalité des Guelfes et des Gibelins. Mais le duc de Milan, profitant de ces troubles civils, vint à s'emparer de Gênes et fit cesser l'anarchie. Les familles ennemies se rapprochèrent et c'est ainsi que les Fieschi firent la paix avec les Adorno ; pour cimenter cette réconciliation, Jacques Fieschi donna à Julien Adorno la main de sa sœur Catherine.

Habituée à voir l'ordre divin dans tout ce qui lui advenait de la part des créatures, celle-ci se laissa mener à l'autel et contracta avec un époux mortel cette union qu'elle eût tant désiré de ne conclure qu'avec Jésus-Christ (13 janvier 1463).

Cet esprit d'obéissance aveugle peut sembler étrange. Il est pour la servante de Dieu un principe de perfection. Dans ses Dialogues (ch, XVIII), l'Esprit dit à l'Humanité : « Jamais tu ne considéreras ni quel est celui qui t'appelle, ni quelle est la chose que tu vas faire. Jamais tu n'agiras par choix ; il faut au contraire, que la volonté d'autrui devienne la tienne et qu'en aucun cas tu ne fasses la tienne propre. » Le mariage de Catherine semble n'avoir été qu'une application de cette règle mystique. Julien Adorno était d'un extérieur avenant, riche et d'illustre naissance ; mais c'était un homme dur, violent et emporté, joueur et voluptueux. On comprend tout ce que Catherine eut à souffrir d'un tel époux.

Méprisée par lui, elle se séquestra chez elle et se mit à prier nuit et jour  ; mais il semblait que le Seigneur aussi l'eût abandonnée. Cela dura cinq ans. Consumée par l'affliction, elle maigrit au point de devenir entièrement méconnaissable. Sa parenté, effrayée de ce changement, eut recours à toutes sortes de moyens et d'artifices pour la rendre au monde. Elle céda et commença à se donner quelque liberté, entretenant un commerce de visites avec les femmes de son rang, et usant avec modération de certains plaisirs permis, dont jusqu'alors elle s'était toujours tenue éloignée. Mais la soif de son cœur s'en accrut au lieu de s'apaiser. Elle ressentit un vide affreux, plus amer encore que sa sécheresse intérieure. Telle était sa situation, lorsque, le jour de la fête de saint Benoît, en 1474, elle entra dans l'église consacrée à ce Saint, et, s'étant prosterne à terre, elle s'écria, presque désespérée :

- Saint Benoît, demandez à Dieu qu'il m'envoie une maladie de trois mois.Cette prière ne fut pas exaucée, mais ce fut pour Catherine dès le lendemain le

point de départ d'une vie nouvelle.

Page 108: 1 Septembre I

Jésus-Christ apparaît à sainte Catherine.

Toujours en proie aux mêmes tourments, la pieuse femme confia sa peine à sa sœur Limbania, religieuse à Notre-Dame des Grâces, et sur son conseil, alla ouvrir son cœur au confesseur du monastère, prêtre éclairé et de très sainte vie.

« Dieu, qui la regardait du haut du ciel, dit Ribadeneira, ne put tenir à tant de droiture unie à une douleur si vraie ; son cœur de père s'émut, et un rayon de la divine bonté descendit dans l'âme de Catherine. » A la flamme de ce rayon, le cœur de la jeune femme s'embrasa ; elle comprit d'un seul coup l'amour infini de Dieu. Une douleur immense serra son âme et la brisa. Les joies du monde s'éteignirent pour elle. Un seul regard de Dieu lui avait révélé les joies ineffables de l'amour divin. Absorbée dans l'extase de ce nouvel amour, elle ne savait que répéter ces mots : « Plus de monde, plus de péché ! Elle retourne à sa demeure, s'enferme dans sa chambre, et jette loin d'elle, pour ne plus les reprendre, ses vains ornements de femme. Elle ne cesse de répéter d'une voix entrecoupée de sanglots :

- O amour, se peut-il que vous m'ayez parvenue avec une telle bonté, et qu'en un moment vous m'ayez fait connaître tant de choses que ma langue ne saurait exprimer !

A ce moment, Notre-Seigneur lui apparaît chargé de sa croix ; il est couvert de sang, de la tête aux pieds, et en répand en si grande abondance que toute la maison en paraît inondée.

- Vois, ma fille, lui dit-il, tout ce sang répandu au Calvaire pour l'amour de toi, en expiation de tes fautes.

La vue de cet excès d'amour allume en Catherine une haine inextinguible contre elle-même.

- Amour ! s'écrie-t-elle, je ne pécherai jamais plus, et, s'il en est besoin, je suis prête à confesser mes péchés en public !

Trois jours après cet événement, elle fit avec larmes sa confession générale, et aussitôt elle fut touchée d'un ardent désir de la sainte Communion. Elle obtint la permission, rare alors, de communier tous les jours. Le céleste aliment était sa vie, non seulement quant à l'âme, mais même quant au corps.

En effet, pendant vingt-trois ans, il lui fut impossible de prendre autre chose que la sainte Communion. Elle buvait seulement chaque jour un verre d'eau, mêlée de vinaigre et de sel, pour modérer le grand feu qui la dévorait intérieurement ; pendant cette prodigieuse abstinence, elle fut mieux partante et plus vigoureuse qu'auparavant.

Ses austérités.

Elle avait constamment devant les yeux ses fautes passées, et quoique, d'après le témoignage de son confesseur, elle n'eût pas commis de péché mortel, ce souvenir entretenait cependant son repentir et sa haine d'elle-même. Elle interdit à sa langue toute parole inutile ; et, pour se punir de l'abus qu'elle estimait en avoir fait autrefois,

Page 109: 1 Septembre I

il lui arrivait souvent de la frotter contre le sol de manière à la mettre en sang. Elle s'astreignit aussi à dormir fort peu, souvent elle mettait dans on lit des ronces et des chardons pour se priver de la douceur du repos. Mais, ainsi qu'elle le dit elle-même, Dieu, qui voulait la laisser jouir du sommeil nécessaire, déjouait son calcul, et elle dormait aussi bien sur les épines que sur le duvet. Tous les jours elle passait six à sept heures en prière, agenouillée sur la terre.

Elle s'attacha avec plus de soin encore à la mortification intérieure qu'à la mortification extérieure. « Les macérations infligées au corps, disait-elle, sont parfaitement inutiles, quand elles ne sont pas accompagnées de l'abnégation du moi.

Pour mettre cette maxime en pratique, Catherine s'efforçait de découvrir toutes ses affections et les tendances de sa volonté propre, afin de les vaincre et de les détruire. Elle en vint ainsi à n'avoir plus aucun désir, aucune préférence, à se trouver vis-à-vis de tout ce qui n'était pas Dieu dans un état parfait de sainte indifférence.

Extraits de ses « Dialogues ».

Une piété ordinaire s'alarme de telles macérations et d'un idéal de perfection si opposé à !a nature. Après avoir noté qu'il serait d'une suprême imprudence de s'engager sans une « vocation », sans l'avis de son directeur, dans une voie si extraordinaire, donnons quelques explications nécessaires. Comme tous les saints, et comme tous les chrétiens qui ont une vie intérieure ardente, Catherine s'est posé le redoutable problème des relations des biens naturels avec les biens spirituels. Les biens naturels élèvent-ils l'âme vers Dieu ou l'éloignent-ils de lui ? Chacun donne au problème une solution conforme à sa grâce, à son tempérament et, disons le mot, à son égoïsme ; et beaucoup se réfugient dans une vertu moyenne en se répétant qu'il n'y a rien de mieux à faire.

Ce n'était pas l'avis de Catherine. Pour elle, l'amour de Dieu ne connaît pas ces calculs mesquins ; il tend à l'oubli complet de tout ce qui n'est pas Dieu lui-même, et au sacrifice total de l'égoïsme même spirituel. Les Dialogues qu'elle écrivit et qui, animés d'une vérité palpitante, ne sont que sa propre histoire, nous montrent une âme gravissant les degrés de la voie purgative, puis s'élevant à la plus haute perfection, après avoir glissé un instant sur la pente de l'humaine faiblesse. Et rien n'est plus émouvant que les combats entre la nature et la grâce qui se livrent dans la plaine avant l'ascension mystique. L’auteur met en scène l’Ame, le Corps et l’Amour-propre :

– Pour pouvoir te servir de ton corps, ô Ame, il est nécessaire que tu lui accordes ce dont il a besoin, autrement il mourra ; si tu as soin de lui donner ce qu’il faut, il te laissera tranquille…

Et l’Ame de riposter d’abord à ses deux compagnons :

 – Je suis fort mécontente et affligée de devoir condescendre au corps en tant de choses, et je crains qu’en m’obligeant à le repaître sous prétexte de nécessité, vous ne me poussiez à prendre part moi-même à ses plaisirs, car en goûtant les choses terrestres, je perdrai le goût des choses spirituelles…

Page 110: 1 Septembre I

Sainte Catherine de Gênes assistant les pauvres.

Mais, pour renouveler l'attaque, le Corps fait appel à toute la sagesse charnelle.

- …Tu dois comprendre que Dieu n'aurait pas créé les choses qu'il a faites, si elles devaient porter dommage aux âmes… J'ai nécessité de me vêtir, de manger, de boire et dormir, d'être soigné et de me récréer en quelque chose, afin de pouvoir te servir lorsque tu auras besoin de moi !...

Ce sont bien les arguments de la nature lorsqu'elle cherche à abuser des dons de Dieu. Et nous assistons à la déchéance progressive de l'âme défaillante. Elle est décrite par la Sainte en termes si vrais que cela fait sourire comme une scène de fine comédie, et finalement, il ne restait à l'âme qu'un petit remords dont elle tenait d'ailleurs très peu compte ! »

Après avoir jugé, en termes profondément exacts, les exigences du corps, elle réplique :

Maintenant, j'ai l'intention de vous faire à vous-mêmes ce que vous vouliez me faire à moi, et je n'aurai pour vous, d'autres égards que ceux que l'on a pour des ennemis mortels... Je ne vous accorderai que le strict nécessaire...

Page 111: 1 Septembre I

Mais elle ajoute :

Plus tard vous aurez tout ce que vous voudrez ! Je vous mènerai à une satisfaction si grande et si certaine que vous-mêmes, et dès la vie présente, ne pourrez plus désirer autre chose… Laisse-moi agir, ô corps, je ferai en sorte que toi-même tu changeras d'avis, et tu vivras en un si grand contentement, que si tu n'en faisais l'expérience tu ne le croirais toi-même !

Si la décision est terrible, on voit que les effets en sont délectables. C'est en ce monde un avant-goût de la béatitude céleste.

Elle s'adonne au soin des malades.

Il existait à Gênes une Société dite de la Miséricorde, composée de quatre des principaux personnages de la ville et de huit dames de charité choisies parmi les plus nobles et les plus riches. Cette Société avait pour but le secours des pauvres et l'administration des aumônes. Catherine y fut admise et commença sans délai l'exercice de son nouvel emploi. Tous les jours, elle parcourait les rues de la ville, pour découvrir les pauvres et les malades qui cachaient leur détresse. Rencontrait-elle quelque lépreux, quelques infortunés couverts d'ulcères ou de plaies engendrant la gangrène, elle leur procurait des demeures saines, des lits, du linge, la nourriture et les remèdes dont ils avaient besoin ; elle remplissait auprès d'eux les offices de garde et de servante, jusque dans les détails les plus rebutants.

Elle avait dû livrer de rudes combats avant d'arriver à ce degré héroïque de charité. Elle avait une horreur instinctive pour les maladies, pour les mauvaises odeurs surtout. Lorsqu'elle sentait son estomac en pleine révolte, à la vue de certains ulcères purulents, elle portait résolument à la bouche ce qui causait son dégoût et l'avalait. Elle répéta ces actes héroïques jusqu'à ce qu'elle eût remporté le triomphe le plus complet.

Elle s'était imposé trois règles principales de perfection. La première, de ne jamais dire : Je veux ou Je ne veux pas ; ni mon ou mien ; mais seulement : Faites ceci, ne faites pas cela ; notre livre, notre habit...

La seconde, de ne point s'excuser, mais d'être toujours prête à s'accuser.La troisième, de prendre pour fondement de toute sa vie cette parole du Pater :

« Que votre volonté soit faite. »

Conversion de son époux.

Julien Adorno avait continué à mener une vie dissipée et comme il n'avait pas mis de bornes à ses folles prodigalités, au bout de quelques années, il se trouva complètement ruiné. Vaincu par la douceur et la patience de Catherine, il rentra en lui-même, la pria humblement de lui pardonner sa conduite passée s'associa à ses bonnes œuvres, se fit recevoir Tertiaire dans l'Ordre de Saint-François. Cependant, un mauvais caractère et des habitudes invétérées ne se réforment pas en un jour. Vers la fin de

Page 112: 1 Septembre I

l'année 1497, il fut atteint d'une douloureuse infirmité. L'emploi des remèdes prescrits par les médecins aggrava le mal. L'irascibilité du malade se réveilla avec une violence inouïe. Catherine, au chevet de son époux, cherchait en vain à le calmer. Craignant enfin que ces impatiences ne missent le salut de Julien en danger, elle se retira dans une chambre voisine, se jeta à genoux en pleurant, et répéta plusieurs fois :

- O mon Seigneur, je vous demande cette âme ; je vous supplie de me la donner ! Vous pouvez le faire !

Rentrant dans la chambre du malade, elle le trouva changé et parfaitement résigné, et elle continua à l'exhorter jusqu'au moment où il rendit son âme doucement au Créateur.

Sainte Catherine à la tête du grand hôpital de Gênes.

Avant la mort de son mari, elle avait été demandée au grand hôpital de Gênes, pour diriger le service des malades. Elle s'acquitta de ses fonctions avec un zèle sans bornes. Entre autres faits héroïques qu'elle accomplit, les contemporains rapportent qu'il y avait là une Tertiaire franciscaine, atteinte d'une fièvre pestilentielle. Elle la visitait fréquemment et l'engageait à invoquer le nom de Jésus. La moribonde ne pouvait proférer un son ; mais le mouvement de ses lèvres et l'expression de son regard prouvaient qu'elle avait la volonté de le faire et que son cœur était brûlant d'amour. « Alors, dit un biographe, Catherine, lui voyant la bouche pleine de Jésus, ne se contint plus ; elle baisa avec transports les lèvres de la mourante, pour y recueillir le nom sacré de son Bien-Aimé. » Mais elle y prit aussi le germe de la peste, qui la réduisit à toute extrémité. Elle guérit contre toute espérance, et reprit ses fonctions.

Extases de sainte Catherine. – Sa mort. – Son culte.

Semblable au Roi-Prophète ou à saint François d'Assise, Catherine exhortait la création entière à louer le Seigneur : « Petites fleurs, mes amies, disait-elle en entrant dans son jardin, vous êtes les créatures de mon Dieu, aimez-le donc et bénissez-le à votre manière. »

Elle était tellement dévorée de l'amour divin qu'elle perdait l'usage de la parole : à peine pouvait-elle encore prononcer tout bas ces mots : « Mon cœur s'en va, je le sens consumé. »

Quand elle commençait à parler de Dieu et du Purgatoire, son visage devenait radieux et semblable à la face d'un chérubin. En entendant la doctrine admirable qui coulait de ses lèvres, on croyait assister aux leçons d'un ange initié aux mystères du ciel. Son directeur l'obligea à écrire plusieurs de ses enseignements ; en particulier son Traité du Purgatoire et ses Dialogues.

Les dix dernières années de sa vie ne furent qu'un long et continuel martyre. Elle prit par obéissance les remèdes ordonnés par les médecins, bien qu'ils augmentassent ses souffrances physiques.

Page 113: 1 Septembre I

Elle assurait elle-même « qu'il lui semblait être dans un moulin qui lui triturait l'âme et le corps ». Tandis qu'elle souffrait ainsi, des anges venaient de temps en temps l'encourager.

Le 25 août 1510, après un long évanouissement, elle fit ouvrir ses fenêtres, pour contempler le ciel, et chanta le Veni Creator Spiritus. Puis elle eut une extase d'une heure et demie :

- Allons-nous-en ! Plus de terre ! disait-elle.Le 14 septembre, elle parut se ranimer. Un peu après minuit, on lui demanda si

elle communierait. Connaissant sa fin prochaine, elle montra du doigt le ciel, afin de faire comprendre qu'elle y était attendue. Puis son visage prit une incomparable expression de sérénité. D'une voix pleine de douceur, elle prononça les dernières paroles de Jésus-Christ : « Mon Père, je remets mon esprit entre vos mains », et elle rendit le dernier soupir.

Dix huit mois après sa mort, elle fut mise au nombre des Bienheureux par le Pape Jules II. La canonisation fut décrétée le 30 avril 1737 par Clément XII, et la cérémonie eut lieu le 15 juin suivant. Sa fête, d'abord fêtée au 22 mars pour commémorer sa conversion en 1474, est au 15 septembre depuis 1922.

Son corps est conservé dans une magnifique châsse en verre, à la chapelle supérieure du grand hôpital de Gênes.

A.B.

Sources consultées. – Vte de Bussière, Vie et œuvres de sainte Catherine de Gênes, revue par le P. Millet, S.J. (Paris). – (V.S.B.P., n° 187).

Page 114: 1 Septembre I

SAINT CYPRIENÉvêque de Carthage et martyr (210 ?-258)

Fête le 16 septembre.

Saint Cyprien est une des figures les plus célèbres de l'Eglise d'Afrique, qui fut particulièrement florissante au IIIe siècle de l'ère chrétienne. Cet ancien rhéteur païen garda toujours un caractère fougueux, qui le portait à ne pas faire les choses à demi. Dans sa lutte contre le schismatique Novatien, comme dans ses discussions doctrinales avec le Pontife de Rome, il montra la même ardeur qui lui fit dépasser de justes limites. Mais l'auréole du martyre qui couronna sa carrière mouvementée est l'attestation éclatante de sa parfaite bonne foi, de sa volonté ferme de rester fidèle à Jésus-Christ et à son Église. C'est ce que dit excellemment, en termes imagés, saint Augustin, lui aussi honneur et gloire de l'Eglise africaine :

Si quelque nuage s'est élevé dans son âme, si éclairée d'ailleurs, il fut dissipé par le glorieux éclat de son sang répandu pour Jésus-Christ, car ceux qui ont le plus de charité peuvent avoir encore quelque rejeton sauvage, que, le laboureur arrache tôt ou tard.

Conversion de saint Cyprien.

Né à Carthage, en Afrique, entre 200 et 210, d'une famille sénatoriale, Thascius Cyprianus – le futur saint Cyprien – s'était distingué dans les lettres et donnait des leçons publiques d'éloquence ; riche et instruit, d'un goût délicat, mécontent du paga-nisme, qui ne rassasiait ni son esprit ni son cœur, il chercha autour de lui un secours pour son âme défaillante. Il s'en ouvrit à un ami intime, le prêtre chrétien Cécilius, qui lui montra les beautés de la religion du Christ et le gagna au vrai Dieu.

Plongé dans les ténèbres d'une nuit épaisse, et flottant au hasard sur la mer orageuse du siècle, nous dit saint Cyprien lui-même, j'errais çà et là, sans savoir où diriger ma vie, étranger à la lumière comme à la vérité. La bonté divine m'assurait que, pour être sauvé, il fallait naître une seconde fois, prendre une nouvelle vie dans les eaux du baptême, et, tout en gardant le

Page 115: 1 Septembre I

même corps, se transformer quant à l'esprit et au cœur. Mystère incompréhensible pour moi et que repoussaient alors mes désordres. L'homme accoutumé à la bonne chère et au luxe des festins, apprit-il jamais la sobriété ? Celui qui aime à faire parade de ses vêtements somptueux, à briller sous l'or et la pourpre, ira-t-il déposer son faste pour prendre des habits simples et ordinaires ? Le magistrat qui se complaît dans les faisceaux et dans les honneurs, pourrait-il se résigner à l'obscurité de la vie privée ?

Cécilius, cependant, lui présentait l'admirable tableau des vierges, des veuves, des hommes de tout âge et de toute condition que le Christ avait transformés en Saints. Cyprien sentit ses doutes s'évanouir à la vue d'un tel spectacle. Autant il avait mis de maturité pour prendre sa détermination, autant il montra de zèle à la suivre jusqu'au bout. Sans retard, il vendit ses biens, pour les mettre au service de la communauté chrétienne suivant le principe de l'assistance collective dans la primitive Église, fit vœu de continence perpétuelle, et se consacra tout entier au service de Jésus-Christ. C'était débuter en maître dans le noviciat de la vertu. « Il n'est pas ordinaire de moissonner aussitôt que l'on a semé, dit son biographe, saint Jérôme… Chez Cyprien, tout marcha rapidement à la maturité. L'épi précéda la semence… »

Cyprien était donc prêt pour le baptême, il y fut admis en 245 ou 246. Nature d'élite, de celles qui ne savent rien faire à demi, il voulut que le baptême devînt pour lui, suivant son énergique expression, «la mort des crimes et la résurrection des vertus ».

Dès ce moment, il mit au service du christianisme son talent littéraire, et s'adonna avec ardeur à l'étude de la Bible, dont toute la substance devait passer dans ses œuvres. Il lisait pareillement avec assiduité les auteurs ecclésiastiques, mais surtout Tertullien, son compatriote, « Apportez-moi le Maître », disait-il plus tard pour désigner les ouvrages de celui dont le souvenir finit par lui devenir une obsession. C'est vers cette époque qu'il composa son Traité de la vanité des idoles et son Livre des témoignages, dans lequel il prouve que la loi juive n'était que pour un temps.

Évêque de Carthage. – Persécution. – Les « lapsi ».

Tant de science et de vertu le fit élever à la prêtrise, quoique encore néophyte. Un an ne s'était pas encore écoulé depuis sa conversion qu'à la mort de Donatus, évêque de Carthage, tout le peuple le demanda pour remplir cette charge. Cyprien, malgré ses résistances, fut contraint d'obéir au vœu général. Aussitôt élu, il mit à profit le repos dont jouissait alors l'Eglise pour fortifier la discipline ecclésiastique. Mais les paroles du pasteur ne suffisaient cependant pas à réveiller les chrétiens du relâchement où les avait plongés une longue paix. Dieu permit pour le bien de son peuple la violente persécution de Dèce, en 250.

Cyprien était évêque depuis un an, quand éclata cette terrible épreuve. Après mûre réflexion en face de Dieu, il crut de son devoir de se dérober, pour le plus grand bien de son troupeau ; pendant que, sur les degrés du cirque, la populace criait : « Cyprien, aux lions ! », il se mit en sûreté avec ses clercs, non loin de Carthage. L'avenir allait manifester la prudence de l'évêque, en montrant combien son Eglise avait besoin de

Page 116: 1 Septembre I

ses lumières et de son zèle. Du fond de sa retraite, Cyprien, par ses lettres, exhortait à la pénitence ceux qui avaient apostasié et consolait ceux qui gémissaient dans les prisons. Cependant, dès son élection, un parti s'était formé contre Cyprien. On y critiquait la fuite de l'évêque. Ce parti se grossit bientôt de lâches chrétiens, tombés à l'heure de la persécution, sous prétexte que l'évêque avait traité trop sévèrement «  les tombés » ou lapsi, c'est-à-dire ceux qui, au cours de la persécution, avaient apostasié. Cyprien décida que les apostats n'auraient de pardon qu'en se soumettant à la pénitence, abrégée en danger de mort, et que ceux qui seraient appelés à confesser le nom du Christ, et le feraient courageusement, seraient réhabilités de plein droit. D'autre part, il s'efforçait d'abattre la vanité de certains chrétiens qui, sortis victorieux de l'épreuve, prétendaient conférer eux-mêmes aux apostats repentants des certificats de réhabilitation.

Cette question des lapsi devait avoir une grave répercussion à Rome même, sous le pontificat de saint Corneille ; un Concile y condamna le rigorisme de Novatien, l'allié des ennemis de Cyprien. La persécution ayant cessé, l'évêque de Carthage put revenir au milieu de son troupeau, et il traita avec autant de fermeté que de sagesse, en trois Conciles réunis dans sa ville épiscopale en 351, 352 et 353, le sort des diverses catégories d'apostats,

Il rachète des chrétiens captifs. – Question des rebaptisants.

Les barbares, vers ce même temps, commençaient déjà à ravager l'empire. Plusieurs villes de Numidie furent attaquées par eux, et un grand nombre de chrétiens emmenés en exil. Huit évêques en écrivirent à Cyprien, lui demandant quelques secours pour racheter les captifs. L'évêque de Carthage fut ému par ces récits. Il lut les lettres aux fidèles de son Eglise, et ces généreux chrétiens se dépouillèrent de leurs richesses pour nourrir leurs frères.

C'est vers cette époque que s'éleva entre saint Cyprien et le Pape saint Etienne la question des rebaptisants. Sans doute pour protester contre l'attitude de Novatien qui rebaptisait les catholiques, passant au schisme, l'évêque de Carthage prétendit, à tort, que le baptême conféré par les hérétiques était nul, et que, partant, il fallait de nouveau baptiser ceux qui revenaient au bercail. Cette pratique erronée était admise par un certain nombre d'évêques africains. Une question si grave n'était pas seulement disciplinaire comme le pensait Cyprien, elle était dogmatique au premier chef, mais il ne semble pas que ses adhérents en aient aperçu l'immense portée.

La doctrine de l'évêque de Carthage se trouvait déjà en germe dans son fameux traité De l'Unité de l'Eglise (251), si véhément, mais d'une théologie pas toujours irréprochable. C'était un écrit de circonstance et de polémique, où tous les coups fouaillaient vigoureusement le schismatique Novatien. L'ardeur de la controverse cacha peut-être à l'éloquent polémiste la portée de certains arguments qui, pour mieux écraser Novatien, exagéraient et faussaient les données de la foi. En 255 et 256, Cyprien réunit deux Synodes ou Conciles, qui maintenaient les positions prises sur la question des rebaptisants.

Page 117: 1 Septembre I

Les conclusions communiquées au Pape saint Etienne 1er, furent rejetées dans les termes suivants :

Si quelqu'un vient à vous de l'hérésie, vous ne devez rien innover de contraire à la tradition ; vous vous contenterez de lui imposer les mains pour la pénitence.

La décision pontificale était nette, tranchante, formulée impérativement, comme un édit légitimement porté par l'autorité compétente et qu'on ne discute pas. Mais Cyprien tenait trop à ses idées, et il les affirmait dans un nouveau Concile (257). Le Pape ne céda pas et menaça d'excommunier les évêques de l'opposition. La controverse ne s'apaisa que sous le pontificat suivant. En effet, Sixte II, « bon et pacifique évêque » au dire des Africains eux mêmes, se montra moins rigoureux, sans toutefois rien abandonner de l'édit de son prédécesseur et des anciens usages romains.

Persécution de Valérien. – Arrestation de saint Cyprien.

Des épreuves d'un autre genre apportaient de nouveaux soucis aux chefs des Églises ; l'empereur Valérien, qui s'était montré sympathique pour ceux qu'il appelait « les hommes de Dieu », c'est-à-dire les chrétiens, ne tarda pas à suivre la même voie que ses prédécesseurs. Un édit de persécution générale fut donné, motivé, semble-t-il, par la convoitise des richesses que la renommée publique attribuait aux chrétiens, et le sang coula dans tout l'empire. Les yeux des fidèles d'Afrique se tournèrent alors vers Cyprien, L'évêque Fortunatus, se faisant l'organe de ses collègues, lui demanda un plan de conduite pour les luttes qui s'annonçaient. Cyprien composa, dans son exil de Curubis, son opuscule sublime : De l'exhortation au martyre (septembre 257).

C'est un recueil de divers passages de l'Écriture, divisés en douze chapitres. Il n'y ajouta que quelques mots, afin que Fortunatus et les autres évêques pussent y puiser des idées propres à encourager les fidèles confiés à leurs soins.

J'ai envoyé de la laine empourprée du sang de l'Agneau qui nous a sauvés et vivifiés, leur écrivait-il ingénieusement, à vous maintenant d'en tisser une tunique à votre usage.

Les chrétiens d'Afrique étaient ainsi prêts à descendre dans la lice. Après les avoir excités au combat par ses paroles, Cyprien les anima par son exemple. Le 30 août 257, le saint évêque fut convoqué par le proconsul d’Afrique Paternus, que la haute personnalité du prélat offusquait.

- Les très saints empereurs Valérien et Gallien, dit le proconsul, ont daigné m’adresser des lettres, où ils ordonnent à quiconque ne professe pas la religion des Romains, d’en observer sans délai toutes les cérémonies. Quelles sont tes intentions ?

- Je suis chrétien et évêque…C’est ce Dieu que nous servons, nous, chrétiens ; c’est lui que nous prions nuit et jour pour nous-mêmes et pour tous les hommes, en particulier pour le salut des empereurs.

- Persistes-tu dans cette résolution ?- Une sage résolution inspirée de Dieu ne peut changer.

Page 118: 1 Septembre I

Les mains liées, les yeux bandés, saint Cyprien estfrappé par le bourreau.

- Tu peux donc te disposer à partir en exil pour Curubis, ainsi que l'ordonnent Valérien et Gallien. Cyprien répondit :

- Je pars.- Les ordres que j'ai reçus, ajouta Paternus, ne concernent pas seulement les

évêques, mais encore les prêtres. Je veux donc savoir le nom des prêtres établis dans cette ville.

- Vos lois ont sagement et utilement proscrit la délation, je ne puis donc les dénoncer. Ne crains rien, je saurai les trouver. Les empereurs, dit encore le proconsul, interdisent également les réunions dans n'importe quel lieu et l'entrée des cimetières. Quiconque violera cette sage défense, sera puni de mort. Faites ce qui vous est ordonné, conclut Cyprien.

Saint Cyprien en exil.

Curubis, aujourd'hui Kourba, près du cap Bon, était un lieu très agréable sur le bord de la mer, quoique désert et écarté. Par déférence pour la vertu du saint évêque, que les païens eux-mêmes ne pouvaient se lasser d'admirer, il fut permis aux clercs et aux fidèles d'approcher de leur pasteur. A Curubis comme à Carthage, Cyprien resta

Page 119: 1 Septembre I

l'âme de tout ce peuple qui l'honorait comme un père, ne cessant de correspondre avec lui, stimulant l'ardeur des uns, prodiguant tour à tour ses exhortations au clergé, au peuple, aux confesseurs de la foi.

En apprenant comment des prêtres et des évêques vénérables avaient été traînés au fond des cachots et dans les mines où ils mouraient d'une lente et affreuse agonie, le pasteur écrivait avec une éloquence émue :

Je ne m'étonne pas que des vases d'or et d'argent aient été envoyés aux lieux où sont l'argent et l'or, si ce n'est que peut-être les mines, changeant de nature et de fonctions, reçoivent de nous l'or et l'argent, qu'elles étaient habituées à nous fournir.

On a chargé vos pieds d'entraves ; des liens enchaînent votre corps, membre fortuné et temple de Dieu ; mais vos ennemis ont-ils garrotté votre âme ? Le contact du fer a-t-il rouillé votre or ? Loin du chrétien les chaînes qui déshonorent !

Les vôtres sont la matière précieuse dont on formera votre couronne. 0 pieds glorieusement liés ! ce n'est pas un artisan, mais le Seigneur qui vous déliera. 0 pieds enchaînés pour le temps, afin de rester libres pendant l'éternité ! 0 pieds retardés un moment par de jaloux obstacles, mais qui vous élancerez bientôt d'une course glorieuse vers le Christ ! Une terre nue, je le sais, reçoit vos membres harassés par le travail ; mais ce n'est pas un supplice d'être couché à terre avec le Christ. Le pain n'y est pas abondant, mais l'homme ne vit pas seulement de pain, il vit encore de la parole de Dieu. Point de vêtement à opposer au froid qui vous glace ; mais on est suffisamment couvert, on est richement paré quand on a revêtu le Christ. Ils oint placé l'ignominie sur votre tête à demi rasée ; mais puisque le Christ est le chef de l'homme, quel que soit cet outrage, tout sied bien à une tête ennoblie par la confession du nom chrétien...

Cependant, les fils très chers de Cyprien trouvèrent le moyen de lui faire parvenir l'expression de leur reconnaissance.

Demandez au Seigneur, leur avait dit Cyprien, qu'il m'enlève, moi aussi, aux ténèbres de ce monde, afin que des cœurs unis ici-bas par les liens de la charité et de la paix, après avoir lutté de concert, se réjouissent ensemble dans le royaume des cieux.

Adieux de saint Cyprien à son Eglise. – Le martyre.

On put croire que ce jour était éloigné. En effet, par une permission de l'Empereur, Cyprien, revenu de son exil, habitait depuis quelque temps un jardin, près de Carthage. Ce fut là qu'il acheva de régler les affaires de l'Eglise et de distribuer aux pauvres ce qui lui restait. Il y apprit que la persécution avait repris une forme sanglante, et comme on faisait courir divers bruits confus, il envoya des chrétiens à Rome pour s'informer du véritable état des choses.

Ils rapportèrent le décret de Valérien : « On frappera de mort, sans délai, y était-il dit, les évêques, les prêtres et les diacres. »

Trois cents chrétiens, la célèbre « Masse blanche » (Massa candida), périrent d'un seul coup, à Utique. On précipita les victimes, déjà mortes probablement, dans une vaste fosse remplie de chaux vive.

Page 120: 1 Septembre I

A cette nouvelle, bon nombre de chrétiens conseillèrent à leur pasteur de se retirer dans des lieux écartés :

- Non, dit Cyprien, je veux mourir pour mon Dieu. Il nous faut maintenant plutôt penser à l'immortalité qu'à la mort.

En apprenant toutefois que le proconsul, qui se trouvait à Utique, avait envoyé des soldats pour l'y amener, il chercha une autre retraite, mais ne voulut pas quitter Carthage, estimant qu'un évêque doit confesser le Christ dans sa ville épiscopale.

On était au début de septembre de l'an 258. Cyprien se prépara au martyre. Le proconsul revint à Carthage, et le saint évêque, sortant alors de sa retraite, reparut dans ses jardins. En vain, on l'exhorta à fuir. Il sentait que l'heure de la moisson avait enfin sonné, il ne voulut pas reculer.

Deux officiers du proconsul se saisirent de lui. Cyprien, le visage souriant, se laissa faire ; on le fit monter dans une voiture qui le conduisit au Champ de Sextus, où le proconsul Galerius, alors convalescent, avait sa maison de campagne. Ce magistrat, prévenu de la capture, renvoya le jugement au lendemain et fit transporter l'auguste prisonnier à Carthage, dans le quartier de Saturne.

La relation du martyre rapporte ce fait si émouvant que « le peuple de Dieu » passa la nuit sur place, veillant durant la passion de son évêque. Le lendemain, quand celui-ci retourna au prétoire, une foule de chrétiens l’entourèrent, comme pour lui faire un rempart.

Le proconsul arriva :

- Es-tu Cyprien ? lui dit-il.- Oui, c’est moi.- Es-tu le chef de ces hommes sacrilèges ?- Oui.- Les empereurs sacrés t’ordonnent de sacrifier aux dieux.- Je n’en ferai rien.- Pense à toi.- Faites ce qui vous est ordonné, dit Cyprien ; dans une chose si juste, il n’y a

pas à délibérer .Le proconsul prit pourtant l'avis de son Conseil et prononça une sentence de mort.- Dieu soit loué ! s'écria l'évêque.Et il ajouta :- Je vous rends grâces, Seigneur, de ce que vous daignez retirer mon âme de ce

corps mortel.Les fidèles, qui ne l'abandonnaient pas, s'écrièrent :- Qu'on nous décapite tous avec lui !Cependant, la communauté chrétienne obéit aux recommandations suprêmes de

son pasteur. Elle se contenta de le suivre en silence jusqu'au lieu du supplice. Ce lieu était entouré d'arbres comme la foule était grande, plusieurs y montèrent pour mieux contempler le héros.

Page 121: 1 Septembre I

Cyprien ôta son manteau, se mit à genoux et se prosterna pour prier quelque temps. Puis il se dépouilla de sa dalmatique, qu'il donna aux diacres, ne gardant qu'une tunique de lin. Lorsqu'il vit le bourreau, il lui fit donner vingt-cinq pièces d'or ; après quoi, il se banda les yeux lui-même, et un prêtre et un diacre lui attachèrent les mains, tandis que les fidèles jetaient des linges tout autour de lui pour recueillir son sang.

Le bourreau parut tremblant quand il dut faire son office, mais le martyr l'encouragea à lui donner le coup fatal, et il laissa tomber le glaive.

On était au 18 des calendes d'octobre (14 septembre 258). Le soir, des chrétiens, portant des cierges, vinrent chercher sur le terrain d'exécution le corps du saint martyr pour le déposer dans le domaine funéraire du procurateur Macrobius Candidus.

Sa fête a été fixée dans le Sacramentaire grégorien au 16 septembre. A.A.P.

Sources consultées. – Paul. Monceaux, Saint Cyprien (Collection Les Saints, 1914). – Abbé Joseph Boutet, Saint Cyprien (Avignon, 1923). – E. Lacoste, Les Papes à travers les âges (Revue Rome, Paris). – (V.S.B.P., n° 188.)

Page 122: 1 Septembre I

SAINTE HILDEGARDEVierge et Abbesse Bénédictine (1098-1179)

Fête le 17 septembre,

Le Saint-Esprit souffle où il lui plaît, et bien souvent c'est aux humbles et aux ignorants qu'il révèle les secrets de sa sagesse infinie. Sainte Hildegarde va nous en fournir un précieux exemple.

Enfance privilégiée. – Une recluse de huit ans.

Hildegarde naquit en 1098, dans la région d'Allemagne située sur la rive gauche de la Nahe, au-dessus de Kreuznach, au château ou au village de Bœckelheim, sur le territoire et au diocèse de Mayence. Ses parents, Hildebert et Mathilde, étaient renommés par leur noblesse et par l'étendue de leurs biens. Hildegarde était la dixième enfant de cette famille bénie, circonstance qui inspira à ses parents l'idée d'offrir leur fille spontanément et d'un commun accord à Dieu, qui, sous la loi ancienne, exigeait la « dîme ».

L'enfant était d'une constitution chétive, et toute sa vie, qui fut longue, elle n'eut qu'une médiocre santé. Si le corps était faible, par contre l'âme fut de bonne heure favorisée de grâces et de visions extraordinaires. Nul autre Saint n'a joui d'une telle précocité. A ma troisième année, nous dit-elle, je vis une si grande lumière que mon âme en fut tout effrayée ; mais à cause de l'impuissance de l'âge, je n'en pus rien manifester... La Sagesse qui enseigne à la lumière de la vérité m'a fait un ordre de dire comment j'ai été constituée en cet état... « Tu diras : dans ma première formation, lorsque Dieu m'a insufflé la vie dans le sein de ma mère, il a fixé à mon âme ce don de vision… » Plus tard, je demandai un jour à ma nourrice si elle voyait quelque chose de semblable, elle ne me répondit pas, parce qu'elle ne voyait point. Alors, saisie d'une grande appréhension, je n'osai plus rien manifester à personne.

Lorsqu'elle eut huit ans, ses parents, se rendant à ses instances, la confièrent à une pieuse vierge, Judith de Spanheim, qui avait abandonné les vanités du monde pour vivre cloîtrée dans un couvent accolé à l'église de Disenberg. Ce monastère avait été sanctifié par la longue présence de saint Disibode, évêque irlandais qui le fonda au

Page 123: 1 Septembre I

VIIIe siècle. Dans un âge si tendre, Hildegarde eut donc à partager cette existence alimentée de pain et d'eau. Bien qu'elle ne fût là qu'à titre d'oblate, presque de pension- naire, la fillette suivait déjà, avec bon nombre de compagnes, la règle de saint Benoît, s'appliquant, en dehors des exercices religieux, à l'étude de l'allemand, sa langue maternelle, du latin qu'elle sut fort bien, de la musique et du chant liturgique.

Supérieure du monastère.

Après sept années de noviciat, donc à quinze ans, en 1113, Hildegarde reçut le voile des mains de l'évêque de Bamberg, saint Othon, frère d'une religieuse du couvent. Avant comme après sa profession, les visions ne cessèrent pas.

Il m'était habituel, raconte-t-elle, de dévoiler l'avenir dans les conversations. Et quand j'étais pleinement absorbée par une vision, je disais beaucoup de choses qui paraissaient étranges à ceux qui les écoutaient. Cela me faisait rougir et pleurer et bien souvent, je me serais tue, si cela eût été en mon pouvoir.

Dans ma crainte, je n'osais avouer à personne ce que je voyais, si ce n'est à la noble femme à qui j'avais été confiée et qui en fit part à un moine qu'elle connaissait.

Mais voici qu'en décembre 1136, sa pieuse maîtresse mourait en odeur de sainteté, et, après bientôt trente ans de vie commune, Hildegarde était privée de celle qui avait constitué jusque-là son principal appui. Néanmoins, sa sainteté et ses mérites la faisaient si bien distinguer de ses compagnes, qu'elle fut à l'unanimité désignée pour succéder à la fondatrice. Godefroy de Gembloux, qui fut plus tard son directeur et son biographe, nous a tracé d'elle ce portrait flatteur :

Une immense bienveillance faisait le fond de son caractère, une charité admirable qui ne savait exclure personne. Les murailles d'enceinte de l'humilité défendaient le donjon de sa virginité. Elle n'accordait à son tendre corps que très peu de nourriture et de boisson, et elle gardait la paix de son cœur par la chasteté de ses propos.

Dieu, qui voulait faire d'Hildegarde un vase précieux, la mit au creuset des souffrances et l'y laissa longtemps. Elle fut toute sa vie en proie à de cruelles et incessantes maladies. Son corps devint si faible que, plusieurs fois, on crut sa dernière heure arrivée. Mais elle, au milieu de ses tourments, était joyeuse, car ses révélations étaient en proportion de ses souffrances.

D'autres fois, l'intimité de Dieu avec elle disparaissait au moment même où la douleur se faisait sentir plus cruellement, afin de fléchir la volonté de la religieuse, qui, par excès de timidité ou par crainte d'attirer des désagréments à sa maison, s'obstinait à garder un silence condamné du ciel. Ainsi vers 1147, elle devint momentanément aveugle, et ses visions cessèrent pour un temps. Elle souffrit tous ces maux, dit-elle elle-même, parce qu'elle avait essayé de se réfugier dans ce silence qui lui réussissait si peu, voulant taire la vision dans laquelle Dieu lui avait montré le lieu où elle devait se rendre avec ses filles.

Page 124: 1 Septembre I

Une autre fois, très souffrante, elle écrivait :

Mon corps était toujours exposé au feu de la tribulation, ainsi que Dieu a coutume d'éprouver ceux qu'il charge de parler en son nom. Il m'a accordé un grand soulagement dans la compassion infatigable de deux de mes filles et de plusieurs autres personnes. Je l'ai remercié de ce que les hommes ne me rebutaient pas. Car ma chair n’eût pu résister à une semblable torture qui ne serait pas venue de sa main ; tandis qu'au milieu de ce martyre j'ai pu dicter, écrire et chanter dans une vision céleste ce que le Saint-Esprit m'inspirait.

Cet état de langueur fiévreuse dura trois ans et, finit comme les autres, par l'intervention divine. Elle vit, dit son historien, un chérubin poursuivant d'un glaive enflammé les esprits aériens qui la tourmentaient. Et ceux-ci s'enfuirent en criant : « Ah ! malheur ! malheur ! Elle nous échappera sans que nous en ayons pu triompher. » Aux consolations comme aux épreuves la Sainte se soumettait avec une résignation touchante et une admirable simplicité...

Ordre d'écrire ses visions.

Un jour, pendant une vision, Notre-Seigneur lui commanda de mettre par écrit tout ce qu'elle avait vu jusque-là. Elle s'en attrista et négligea d'obéir. Notre-Seigneur redoubla alors l'intensité de ses souffrances, sans cependant cesser de lui continuer ses bienfaits. Car il punit en père ses enfants. C'est même pendant le cours de cette maladie qu’il lui accorda une précieuse faveur. Pendant que, clouée sur son lit de douleur, elle ne donnait presque plus signe de vie, elle vit le ciel s'ouvrir et un feu très lumineux lui pénétra la tête, le cœur et toute la poitrine, sans la brûler, mais avec une chaleur douce, et aussitôt elle reçut l'intelligence des Psaumes, des Evangiles et des autres livres de la sainte Ecriture. Hildegarde voyait bien que ses souffrances étaient une punition de sa désobéissance, et cependant elle hésitait. Comment, en effet, accorder cet ordre du ciel avec son excès d'humilité ? Enfin, ses souffrances augmentant, elle résolut de découvrir au religieux son confesseur le trouble où elle était. Le religieux ne voulut pas décider par ses propres lumières dans une affaire si difficile ; il demanda conseil à son supérieur. Celui-ci fut d'avis que la pieuse recluse devait obéir à l'ordre qu'elle avait reçu. C'était en l'année 1141.

Hildegarde se mit donc à l'œuvre et écrivit les révélations qu'elle avait eues jusqu'alors. Elle remit ensuite aux mains de son confesseur les parties rédigées de son ouvrage, afin que celles-ci fussent soumises au jugement de l'Eglise. Le religieux les présenta d'abord à son supérieur, qui, lui-même, alla en conférer avec l'archevêque Henri de Mayence et les savants de son Eglise. L'archevêque, sachant que la Pape Eugène III était à Trèves, où il s'était rendu après le Concile de Reims, en référa au Souverain Pontife. Le Pape, à son tour, ne voulut rien décider sans une mûre délibération. Il envoya donc vers Hildegarde l'évêque de Verdun, le bienheureux Albéron avec d'autres personnes fort éclairées, afin d'entamer une enquête approfondie sur les merveilles que la renommée publique attribuait à la pieuse moniale. Celle-ci leur raconta avec simplicité ce qui la concernait et leur remit une copie de son livre, Scivias ou Connais les voies du Seigneur, du moins, de ce qui était écrit.

Page 125: 1 Septembre I

Les envoyés, de retour vers le Pape, l'assurèrent que l'humilité et la simplicité de la Sainte étaient des marques assurées que le Saint-Esprit la conduisait. On était alors à la fin de l'année 1147. Eugène III prit le livre d'Hildegarde et le lut lui-même, à haute voix, en présence des cardinaux, des évêques et de tout le clergé. Et tous bénirent Dieu de s'être manifesté d'une manière si extraordinaire à une simple fille.

Saint Bernard, abbé de Clairvaux, était présent. Il pria le Souverain Pontife de ne pas permettre qu'une si pure lumière fût étouffée sous le boisseau, mais d'employer son autorité pour confirmer ce que la recluse avait dicté et pour l'engager à continuer. Eugène III acquiesça de grand cœur à sa demande et, écrivit à Hildegarde, le 6 février 1148, une lettre fort élogieuse que nous avons encore.

Nous admirons, ma fille, lui disait-il, que Dieu accomplisse de nos jours de nouveaux miracles, en vous remplissant de son esprit. On dit que vous voyez, comprenez et révélez des secrets. C'est ce qui Nous a été rapporté par des personnes dignes de foi qui attestent vous avoir vue et entendue... Soyez bénie de cette faveur divine dont Nous vous félicitons, vous rappelant que Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles. Conservez précieusement cette grâce qui est en vous ; ce que l'Esprit-Saint vous imposera d'annoncer, annoncez-le avec prudence, vous rappelant cette parole : Ouvrez votre bouche et je la remplirai. Ce que vous Nous avez demandé au sujet du lieu qui vous a été montré en vision, exécutez-le avec Notre bénédiction et la permission de votre évêque. Vivez-y régulièrement avec vos Sœurs, selon la règle de saint Benoît, et dans la clôture.

Fondation d'un monastère. – Visites et missions apostoliques.

Cette approbation solennelle du Pape répandit partout le bruit de la sainteté d'Hildegarde. Le parfum de ses vertus attira bientôt d'autres jeunes filles, qui vinrent se ranger sous sa conduite pour vivre dans la pratique des conseils évangéliques, de sorte que l'ermitage du mont Saint-Disibode ne tarda pas à devenir trop étroit.

Notre-Seigneur ordonna à la Sainte de se retirer avec ses compagnes sur le mont Saint-Rupert, là même où la Nahe se jette dans le Rhin, près de Bingen, à cinq heures environ du mont Saint Disibode. Son confesseur et les autres moines s'y opposèrent de toutes leurs forces, pensant que c'était la vanité qui poussait la Mère abbesse à s'établir ailleurs.

Un d'entre eux surtout se fit remarquer par l'ardeur qu'il mettait à animer les autres à la résistance. Aussi, quelques jours après, il fut subitement frappé d'une maladie étrange. La langue lui enfla outre mesure, tellement que sa bouche devint trop étroite pour la contenir. Il fit alors signe qu'on le portât dans l'église de Saint-Rupert. Là, il fit vœu, s'il recouvrait la santé, de cesser toute opposition et même d'aider à l'établissement des Sœurs.

Miraculeusement guéri, il mit autant d'ardeur à seconder Hildegarde qu'il en avait mis à entraver ses desseins. Dès que l'abbesse eut repris son projet de fondation, elle qui était alors en danger de mort, sentit un grand soulagement dans tout son corps ; quand tout fut prêt et le jour de départ arrivé, elle put se lever comme si jamais elle n’eût été malade.

Page 126: 1 Septembre I

Le mont Saint-Rupert appartenait au comte de Spanheim, dont la fille Hiltrude avait embrassé la vie religieuse sous la conduite de la Sainte ; il en fit don au nouveau monastère, qui fut fondé vers la fin de l'année 1147. La sainte abbesse y continua cette vie de souffrances physiques et d'illuminations surnaturelles qu'elle avait menée jusqu'alors. Longtemps après, en 1165, elle fonda à Eibingen, sur la rive droite du Rhin, à une lieue de Saint-Rupert, un monastère nouveau sous le vocable de Saint-Gilbert, lequel fut pourvu d'un revenu suffisant à l'entretien de trente religieuses, et ce prieuré resta soumis à l'abbaye.

Hildegarde dut entreprendre aussi plusieurs missions pour annoncer aux moines et au clergé ce que Dieu voulait qu'elle dit. Le plus grand nombre de ses voyages se placent entre les années 1152 et 1162, c'est-à-dire au moment de sa vie où elle eut le plus à souffrir. Ils eurent lieu dans les régions rhénanes et même quelques autres, depuis Bamberg et Wurtzbourg à l'Est jusqu’à Werden sur la Rhur et Metz en Lorraine. Plusieurs furent accomplis pour la réforme de monastères bénédictins, soit d'hommes, soit de femmes, dont la discipline s'était relâchée ; quelques visites n'eurent pour objet que de porter à la connaissance de tous, les avertissements qu'elle tenait du ciel.

Moi, frêle et timide créature, écrit-elle un jour, je me suis beaucoup fatiguée pendant deux ans pour publier ces oracles de vive voix en présence des pasteurs, des docteurs et autres sages, me rendant pour cela aux divers lieux de leur résidence.

Quelques miracles.

Hildegarde fit un grand nombre de miracles. Qu'il suffise d'en rapporter quelques-uns. Un jour qu'elle naviguait sur le Rhin, tout près de Rudesheim, une femme s'approcha de la barque portant dans ses bras un petit enfant aveugle. Elle conjura Hildegarde d'imposer les mains au petit infirme. Celle-ci, eu souvenir du Christ qui avait dit à l'aveugle : Va vers la fontaine de Siloé et lave-toi, puisa dans sa main gauche de l'eau à même dans le fleuve, la bénit de sa main droite et en aspergea les yeux de l'enfant qui recouvra la vue.

Une jeune fille eut une passion si violente qu'elle tomba dans une langueur qui la mit à deux doigts de la mort. Ses parents, apprenant de sa propre bouche la cause de sa maladie, l'envoyèrent vers la Sainte pour lui découvrir son mal et lui demander le secours de ses prières. Hildegarde se mit aussitôt en oraison, puis elle bénit du pain, l'arrosa de ses larmes et le donna à la malade. La jeune fille n'en eut pas plus tôt goûté qu'elle fut entièrement délivrée de la passion qui la desséchait.

Près de Cologne vivait une possédée nommée Sigervise, que rien ne pouvait soulager. On faisait pour elle déjà depuis plusieurs années, des aumônes aux pauvres et des pèlerinages à tous les sanctuaires d'alentour. Mais le démon, au lieu de sortir de sa victime, n'en était que plus furieux à la tourmenter. Un jour cependant, torturé par les prières, il s'écria :

- Pourquoi tant faire pour me chasser ? Cessez de prier. Il n'y a qu'une vieille qui puisse me chasser ; elle n'habite pas loin d'ici et s'appelle Scrumpilgarde.

Page 127: 1 Septembre I

Malgré ce nom, défiguré par dérision, les amis de la possédée comprirent qu'il s'agissait d'Hildegarde. Ils lui écrivirent donc une lettre de supplications et en reçurent cette réponse, qui n'était qu'une formule d'exorcisme révélée par le ciel :

Esprit de blasphème et de dérision, moi, femme ignorante, je te commande, au nom de la Vérité éternelle, qui a illuminé par sa sagesse mon humilité et mon ignorance, je t'ordonne de sortir de cette femme.

A la lecture de la lettre, le démon frémit, poussa d'horribles gémissements et, pendant environ une demi-heure, tortura sa victime au milieu des cris de rage. Enfin il dut obéir et sortit ; mais ce ne fut pas pour longtemps. Cherchant, comme dit l'Évangile, un lieu pour reposer et n'en trouvant pas, il revint à celui d'où il était sorti. On lut de nouveau la lettre d'Hildegarde. Il rugit, mais ne sortit point. On la lut une troisième fois, il rugit encore et dit :

- Je ne sortirai d'ici que si cette vieille, que je hais tant, me le commande elle-même.

On mena donc la malheureuse possédée au monastère de Saint Rupert. Mais le démon s'obstina. La Sainte vit que trois choses surtout irritaient cet esprit de malice et d'orgueil : les pèlerinages, les aumônes et les prières des religieux. Elle demanda donc à tous les monastères des environs des prières extraordinaires depuis la Purification de la Sainte Vierge jusqu'au Samedi-Saint. Vaincu par ces incessantes prières, le démon confessait souvent, malgré lui, son impuissance et les grandeurs de Dieu, il proférait aussi, en grinçant des dents, d'horribles menaces contre celle qui le faisait tant souffrir.

Enfin, le Samedi-Saint, pendant qu'à la bénédiction des fonts, le prêtre prononçait ces mots en soufflant sur l'eau : L'esprit du Seigneur était porté sur les eaux, la possédée fut prise d'une rage inaccoutumée ; elle tremblait et, dans son excitation, creusait la terre avec ses pieds en soufflant avec force comme pour se venger de Dieu en contrefaisant les cérémonies de l'Eglise. Enfin, le démon dut sortir et, cette fois, pour ne plus revenir.

Visions et écrits de sainte Hildegarde.

L'état d'intuition surnaturelle de la Sainte dura toute sa vie. Beaucoup venaient la consulter ; elle recevait avec la même charité, riches et pauvres, savants et ignorants. On vit accourir auprès d'elle les plus hautains comme les plus humbles, les empereurs schismatiques et même les prêtres et les évêques simoniaques. Elle donnait à tous, d'excellents conseils pour le bien de leur âme et convertissait beaucoup de pécheurs. Souvent Dieu lui révélait le secret des consciences et les besoins des personnes qui venaient lui parler. Elle écrivit à plusieurs Papes, à un grand nombre d'évêques et de théologiens, tantôt pour leur manifester ce que Dieu lui avait révélé à leur sujet, tantôt pour répondre à leurs propres interrogations. Guibert de Gembloux, son directeur, lui ayant posé trente-huit questions fort difficiles, elle y répondit avec des lumières extraordinaires. Elle composa à l'usage de ses religieuses, en langue allemande, un recueil d'Homélies sur tous les Evangiles de l'année ; il n’en est resté qu'une soixantaine et en mauvais état. Son Explication du symbole de saint Athanase fait

Page 128: 1 Septembre I

encore le charme des théologiens par la profondeur de ses aperçus ; son Exposé de la régle de saint Benoît a produit également des fruits abondants de sainteté. Son Livre de la vie des mérites décrit l'entraînement des passions et leurs remèdes, le purgatoire, l'enfer et le ciel, avec cette magie de style qui en fait comme un poème chrétien. Enfin le Livre des œuvres divines est l'exposé des œuvres de Dieu dans l'ordre de la nature et dans celui de la grâce. Nous y trouvons le même parallélisme qu'ailleurs entre l'existence matérielle d'un objet et son côté spirituel, entre les deux mondes distincts mais non séparés, de la grâce et de la nature. C'est en un mot la science vue à la lumière de la foi.

Les autres ouvrages de la sainte abbesse ont aussi concouru à lui faire une place de choix parmi les auteurs chrétiens du moyen âge. On y trouve même quelques données scientifiques qui ont été mises en lumière par la science moderne.

Sa mort. - Son culte et ses reliques.

Après avoir exercé sur les hommes et les événements de son temps une influence considérable, elle mourut le 17 septembre 1179 ; elle avait un peu plus de quatre-vingts ans. A l'heure de sa mort qui arriva à la pointe du jour, on vit en l'air deux arcs-en-ciel, se croisant l'un sur l'autre sur tout l'hémisphère, vers les quatre parties du monde ; au point de leur jonction, il paraissait un corps lumineux grand comme le disque de la lune, du milieu duquel sortait une croix, assez petite d'abord, mais qui ensuite s'élargissait et était environnée d'autres cercles lumineux, chargés eux aussi de croix éclatantes. Il en jaillissait une clarté merveilleuse, dont toute la montagne était illuminée. Le renom de sainteté d'Hildegarde s'étendit après sa mort. Aussi, sur l'ordre du Pape Grégoire IX, trois dignitaires de l'Eglise de Mayence vinrent faire l'enquête canonique sur ses vertus et ses miracles au monastère de Saint-Rupert et, le 16 décembre 1233, en dressèrent l'acte que les Bollandistes ont reproduit. La Sainte fut donc vraisemblablement canonisée peu après, au moins sous la forme équipollente.

Son corps avait été enseveli avec honneur au couvent de Saint-Rupert. Lorsqu'il fut pillé et incendié en 1632 par les protestants suédois, les religieuses s'enfuirent au monastère d'Eibingen, qui subsista jusqu'en 1814. L'église du couvent, d'abord désaffectée, fut rendue au culte en 1831. Elle sert actuellement d'église paroissiale et les reliques de sainte Hildegarde y sont encore conservées.

François Delmas.

Sources consultées. – Franche, Sainte Hildegarde (Paris, 1903). – Vie de sainte Hildegarde, thaumaturge et prophétesse du XIIe siècle, écrite par les moines Théodoric et Godefroid ; traduite du latin en français (Paris, 1907). – F. Vernet, Sainte Hildegarde (Dictionnaire de théologie catholique). - (V.S.B.P., n° 240.)

Page 129: 1 Septembre I

SAINT JOSEPH DE COPERTINOFrère Mineur Conventuel (1603-1663).

Fête le 18 septembre.

S'il est un Saint dont les esprits forts se soient moqués et se moquent encore, c'est assurément saint Joseph de Copertino. Tout autant que saint Benoît-Joseph Labre, il a eu l'honneur d'exciter leur verve. Un pauvre Franciscain qui, pendant plus de quarante ans, étonne l'Italie par ses miracles, s'élève chaque jour dans les airs comme la colombe, sous l'effort de l'amour divin, et cela, sous Louis XIV, aux beaux jours des jansénistes, quel camouflet pour les incrédules qui, au nom de la science, refusent à Dieu le droit de déroger aux lois de la nature !

Le jeune infirme.

Joseph-Marie Desa naquit le 17 juin 1603, à Copertino, petite ville du royaume de Naples, d'une humble famille de menuisiers ; comme peut-être saint François d'Assise et comme Notre-Seigneur Jésus-Christ, il vint au monde dans une étable où sa mère, Françoise Panara, s'était réfugiée pendant que des créanciers faisaient saisir les meubles de la pauvre maison. La mère de Joseph le consacra à saint François d'Assise ; elle avait une foi vive, elle sut en remplir le cœur de son fils, non sans une certaine rigueur. Il disait plus tard n'avoir pas eu de noviciat à faire en religion, l'autorité maternelle y ayant pourvu.

Dès son jeune âge, Joseph fut prévenu de grâces extraordinaires, il vivait constamment avec la pensée des choses célestes, et son esprit en était si absorbé, qu'il semblait impropre à tout ce qui n'était pas prière ou contemplation. Il se plaisait uniquement dans les églises et, chez lui, devant un petit autel où il récitait constamment le rosaire et les litanies de la Sainte Vierge. C'est à peine si on parvint à lui apprendre à lire et à écrire ; mais Dieu, qui voulait être lui-même son instituteur, le mit tout jeune à la grande école de la souffrance. Sa santé s'altéra, son corps se couvrit d'ulcères, et, pendant longtemps, il devint un objet de dégoût, comme si tout en lui devait être surnaturel, l'enfant fut guéri miraculeusement de cette douloureuse maladie, au sanctuaire de Notre-Dame des Grâces, à Galatone.

Page 130: 1 Septembre I

Dès lors, Joseph n'eut plus qu'une idée : se consacrer à Dieu. Mais ses parents, pour lui faire gagner sa vie et fuir l'oisiveté, le mirent en apprentissage chez un cordonnier ; il n'y réussit guère.

Il était toujours à l'église. Déjà sa mortification prenait toutes les formes, il vivait de fruits, de pain et d'herbes assaisonnées d'absinthe ; il passait souvent plusieurs jours sans manger, et quand on le réprimandait, il répondait en souriant : « J'ai oublié. » Il portait sur sa chair encore tendre un rude cilice. A dix-sept ans, il se présenta chez les Frères Mineurs Conventuels, où deux de ses oncles étaient religieux. On le refusa parce que, illettré et ignorant, il ne pourrait jamais être prêtre. Il alla chez les Capucins, où il fut admis comme Frère lai, et, sous le nom de Fr. Étienne, prit l'habit, au mois d'août 1620, au couvent de Martina. Il y vécut neuf mois, mais, toujours ravi en Dieu, il se montra complètement impropre à l'accomplissement de ses nouveaux devoirs. Il mettait un temps considérable à exécuter les moindres travaux, ses mains naturellement maladroites, brisaient tout ce qu'elles touchaient ; en mettant du bois sur le feu, il faisait tomber les casseroles, prenait du pain bis pour du pain blanc ; bref, il montra une telle incapacité, qu'à son grand désespoir il fut renvoyé du couvent.

Il alla vainement frapper à d'autres portes ; repoussé comme vagabond et insensé, il dut revenir à Copertino, où il fut sur le point d'être jeté en prison, car son père venait de mourir et les dettes n'étaient point payées. Sa mère était dans la misère ; elle le reçut sévèrement :

- Vous vous êtes fait chasser d'une maison sainte, dit-elle, choisissez entre la prison ou l'exil ; car il ne vous reste qu'à mourir de faim !

De nouveau chez les Conventuels. – Examen de prêtrise.

Cependant, à force de démarches et de sollicitations, elle obtint que son fils serait reçu, comme Tertiaire Oblat, chez les Frères Mineurs Conventuels de Santa-Maria de Grottella, pour soigner la mule du couvent. Les nouveaux supérieurs de Joseph, plus éclairés, ne tardèrent pas à remarquer l'humilité, l'obéissance, les pénitences de leur nouvelle recrue, et reconnaissant le prix du trésor qu'ils possédaient, ils décidèrent son admission au noviciat, en qualité de clerc, bien que la science lui fit totalement défaut. Il parvint cependant, à force de zèle et de persévérance, à lire et à écrire passablement, et à traduire un Évangile, celui où sont écrites ces paroles en l'honneur de Marie :

« Bienheureux le sein qui t'a porté ! » Pour arriver au diaconat, il était indispensable de subir un examen. L'évêque de Nardo l'interrogea et lui demanda l'explication d'un Évangile : le sort indiqua le seul que sut le candidat. Par cette heureuse ou plutôt miraculeuse chance, il fut admis. Le 4 mars 1628, il fut ordonné prêtre, sans autre examen, ce qui ne peut manquer de surprendre, quand on songe aux longues et sérieuses études que doit faire un clerc pour parvenir au sacerdoce.

Voilà pourquoi saint Joseph de Copertino est invoqué par les étudiants, à la veille de subir des épreuves qu'ils redoutent.

Page 131: 1 Septembre I

Esprit de pauvreté et succès populaires.

A partir de ce moment, le P. Joseph redoubla de ferveur et de mortification. Pendant cinq ans, il ne mangea pas de pain, et pendant quinze ans ne but pas de vin ; quelques herbes et de mauvais légumes assaisonnés avec de l'absinthe, et des fruits secs, étaient sa seule nourriture. Le vendredi, il se contentait d'une herbe d'un goût si repoussant, qu'un religieux, ayant voulu en goûter du bout de la langue, en eut des nausées pendant toute la journée. A l'imitation du patriarche saint François, il jeûnait sept Carêmes par an. Du jeudi au dimanche, il ne prenait rien et n'était soutenu que par la sainte Eucharistie. Il se donnait la discipline toute la nuit jusqu'à en perdre haleine et portait un cilice armé de pointes de fer. Pauvre par vocation, il voulut l'être davantage et se dépouiller de quelques menus objets, dont l'usage ne lui était cependant pas interdit par la règle. Chose étonnante ! cet homme, si détaché des biens du monde, devait à l'occasion de sa pauvre robe de bure, supporter une de ces tentations d'avarice que l'on croit, bien à tort, réservées aux riches :

- Je ne savais pas encore, dit-il longtemps après, ce qu'il me restait à combattre, et je n'avais pas réfléchi que le mérite de la pauvreté ne consistait pas à ne rien posséder, mais bien à n'avoir aucune affection pour les choses de la terre.

Depuis son enfance, il vivait en étroite union avec Dieu, et son oraison était continuelle et presque toujours accompagnée d'extases. Après sa promotion au sacerdoce, ce furent des ravissements prodigieux qui se manifestèrent ; au seul nom de Jésus ou de Marie, il tombait en extase, en quelque lieu qu'il se trouvât, et son corps s'élevait vers les cieux.

Joseph ne prêchait pas, ne confessait pas, il évitait le bruit et tout ce qui pouvait le mettre en évidence. Cependant, son renom de sainteté était si grand, que sa seule présence produisait un effet extraordinaire. Les populations venaient en foule lui demander des grâces, qu'il distribuait comme un médecin ses ordonnances ; on lui dérobait des lambeaux de son vêtement, son cordon, son rosaire, pour en faire des reliques ; il ne s'en apercevait pas. Ses supérieurs, dans un dessein d'édification, l'envoyèrent parcourir les diverses maisons de son Ordre, situées dans le royaume de Naples ; il ne devait rester que trois ou quatre jours dans chacune. Dune pareille course, on a pu dire ces paroles :

« Un homme de trente-trois ans entraîne, comme le Christ, des populations entières, les prodiges et les miracles se renouvellent à chaque pas. »

Dénoncé au tribunal de l'Inquisition.

Cependant, un personnage ecclésiastique, offusqué de cet empressement « d'une plèbe incapable de discerner le vrai de l'apparence » et voulant empêcher ce « désordre » d'empirer, dénonça le P. Joseph au tribunal de l'Inquisition. Le religieux fut mandé à Naples, à sa grande affliction. Il avait été surnaturellement informé de cette épreuve, de cette « croix vivante » comme il lui avait été dit. En route, Joseph ne

Page 132: 1 Septembre I

faisait qu'entretenir son compagnon de ses péchés, de son indignité et des châtiments dont il s'était rendu digne. Dieu en jugea autrement, car, après trois interrogations rigoureuses, le tribunal le proclama irréprochable dans sa doctrine et dans ses mœurs.

Plusieurs jours après, la ville de Naples, toute remplie du bruit de ces merveilles, put en juger par elle-même. L'Inquisition avait ordonné au P. Joseph de célébrer une messe à l'église de Saint-Grégoire l'Arménien ; il s'y rendit, mais à peine s'était-il agenouillé qu'en présence de la foule, il poussa un grand cri, et, s'élançant dans les airs, vola jusqu'à l'autel, où il vint se poser debout, les bras en croix, le corps penché sur les fleurs et les cierges allumés qui ne le brûlaient pas. Puis, il fit entendre un autre cri, s'élève d'un second vol en tournoyant et en chantant : « 0 bienheureuse Vierge ! ô bienheureuse Vierge ! » et revint prendre la place qu'il occupait d'abord.

Le vice-roi de Naples voulut le voir, mais l'humble religieux, craignant de se produire devant la cour, réussit à partir pour Rome avec le Fr. Ludovic, son compagnon.

En approchant de la Ville Éternelle, il est envahi par les pensées les plus sublimes. Il ne se croit pas digne de fouler ce sol jadis inondé du sang des martyrs ; se rappelant son modèle saint François, venu là, dénué de tout, il se retourne vers le Frère et lui ordonne d'abandonner une petite pièce de monnaie qu'il tenait en réserve :

- Notre affaire, dit-il, à nous qui sommes voués à une stricte pauvreté, est d'arriver tout à fait pauvres dans la ville de la foi. Un peu plus tard, en présence du Pape Urbain VIII, le spectacle de la grande majesté du Vicaire de Jésus-Christ émeut son cœur à tel point qu'il est ravi en esprit, s'envole et demeure suspendu dans les airs, dans la salle même des audiences.

Le saint religieux fut ensuite envoyé à Assise, dans un couvent de stricte observance. Il se réjouit vivement en songeant qu'il allait demeurer en ce lieu béni par la naissance et la vie du patriarche séraphique ; il ne tarda pas cependant à y trouver les épreuves qui l'assaillaient partout : d'injustes méfiances et de mauvais traitements de la part de ses supérieurs, trompés sur son compte, des tentations terribles et jusqu'à la honte de se voir un objet de curiosité à raison des dons de Dieu ; toutes les consolations divines disparurent peu à peu et l'horrible sécheresse intérieure désola son âme, durant plus de deux ans.

Les épreuves devinrent telles, que le Général dut rappeler le P. Joseph à Rome pour quelque temps, au moment du Carême de 1644.

Au bout de plusieurs mois, il retourna à Assise ; les esprits étaient changés à son égard. Il arrive à l'église où les notables habitants et les religieux l'attendaient ; à peine a-t-il dépassé le seuil, qu'apercevant une image de la Sainte Vierge tout à fait semblable à celle de Grottella, qu'il aimait depuis sa jeunesse, il entre en extase, s'élève dans son vol à dix-huit pieds de haut jusqu'à la sainte effigie, qu'il baise tendrement en disant :

- ô ma Mère, vous m'avez accompagné ici !L'assistance était émerveillée, la joie à son comble dans la ville« Le Saint est revenu ! » criait-on de toutes parts. D'une seule voix, le Conseil de

la cité le fait bourgeois d'Assise ; on lui porte le diplôme d'honneur en le priant de ne pas refuser.

Page 133: 1 Septembre I

- Et comment refuserais-je, dit-il, de devenir concitoyen de mon père saint François ?

Puis, immédiatement, il s'envole dans un ravissement et demeure quelque temps en l'air, la tête touchant les solives du plafond.

Pendant les neuf années qu'il habita cette communauté, les dons surnaturels dont le Seigneur avait enrichi son âme se manifestèrent dans tout leur éclat.

Science merveilleuse d'un ignorant.

Le pauvre religieux ignorant de toute science humaine était devenu un grand savant devant Dieu. Des princes, des cardinaux, des prélats réclamaient ses conseils. Le prince royal de Pologne, Jean Casimir, s'était ouvert à lui de son désir d'entrer dans les Ordres :

- Ne le faites pas, lui fut-il répondu, vous serez obligé de rentrer dans le monde ; Dieu ne tardera pas à vous faire connaître sa volonté.

L'événement justifia cette prophétie, car, bien que fait cardinal pat Innocent X, Casimir fut élu roi en 1648, à la mort de son frère, et monta sur le trône sous le nom de Casimir V, avec une dispense pontificale.

La très dévote princesse Marie de Savoie, religieuse du Tiers-Ordre de Saint-François, commença avec lui, vers cette époque, des relations toutes mystiques, qui rappelaient celles de saint François et de sainte Claire en d'autres temps.

Le duc Jean de Brunswick, prince luthérien, âgé de vingt-cinq ans, visitait, en 1649, les cours de l'Europe. Il avait entendu parler du grand thaumaturge d'Assise, et souhaitait vivement d'assister à quelque miracle. Le Père gardien, pour le satisfaire, le fit conduire un matin à la porte de la chapelle où Joseph disait sa messe. Celui-ci, arrivé au moment de diviser la sainte Hostie, ne peut y parvenir. Tout affligé, il lève au ciel ses yeux pleins de larmes, fait, au-dessus du sol, cinq pas en arrière, puis revient et reprenant la sainte Hostie, parvient à la diviser avec un grand effort.

Le prince était dans l'étonnement et désirait savoir la cause d'une chose si extraordinaire :

- Vous m'avez amené ce matin, dit le P. Joseph au Père gardien, des gens qui ont le cœur dur et ne veulent pas croire tout ce qu'enseigne l'Eglise ; voilà pourquoi l'Agneau s'est durci dans mes mains au point que je ne pouvais le diviser.

Ces paroles, rapportées à Jean de Brunswick, le frappèrent au cœur. Après avoir entretenu le saint religieux de diverses choses relatives au salut, il manifesta le plus vif désir d'assister une fois encore à la messe. Un nouveau prodige l'y attendait : à l'Élévation apparut sur l'Hostie une croix noire ; Joseph poussa un cri, s'envola et resta en l'air pendant un demi-quart d'heure. Ce spectacle atterra le prince et le fit éclater en sanglots. Le Père, cependant, priait toujours :

«  Mon Seigneur, disait-il au Christ en croix, cette œuvre est bien vôtre, en elle je ne veux que votre gloire, donc inspirez et amollissez ce cœur, rendez-le agréable à votre divine Majesté ! » Admirable prière qui fut exaucée ; quelque temps après, le duc de Brunswick abjura le protestantisme.

Page 134: 1 Septembre I

De couvent en couvent.

Cependant, les prophéties, les guérisons, les extases et les élévations devenaient si fréquentes que le Souverain Pontife, Innocent X, conçut des craintes sur toute cette affaire. Il redoutait quelque supercherie et un scandale à la suite. Avec cette prudence attentive dont ne se départit pas l'Eglise en pareilles circonstances, il se décida à agir de rigueur.

L'inquisiteur de Pérouse fut chargé, en juillet 1653, de venir à Assise, pour enlever Joseph, afin de le conduire, dans un couvent de Capucins à Pietra Rubbia. On voulait ainsi, par défiance, le séparer de sa famille religieuse et le placer sous la surveillance d'étrangers, dans une chambre à l'écart de tout visiteur.

Le voyage fut marqué par d'éclatants miracles, opérés devant l'inquisiteur et les soldais ; de même le séjour à Pietra Rubbia fut signalé par des prodiges renouvelés si fréquemment, et l'affluence du peuple fut telle qu'on dut établir une auberge dans le voisinage pour loger les pèlerins. Ceux-ci, dans leur empressement, allèrent jusqu'à tenter d'enlever le toit de la chapelle où le Père disait la messe, afin de le voir plus à leur aise.

Au bout de trois mois, il fut décidé que le P. Joseph serait, à l'improviste et dans le plus grand secret, conduit dans une solitude si retirée, que nul ne pourrait aller l'y chercher. On le mena chez les Capucins de Fossombrone. Dans ce nouvel asile, les mêmes miracles se produisirent, et le peuple proclama de mille manières la sainteté du serviteur de Dieu.

Après quelque temps, il fallut quitter Fossombrone, où devait se tenir le Chapitre général de l'Ordre, pour se rendre dans un troisième couvent de Capucins, à Montevecchio ; vains efforts ! Un dimanche, qui était le deuxième après Pâques, le Père aperçoit un agneau ; il se rappelle l'Evangile du jour, celui du bon Pasteur.

Puis, s'élevant à la contemplation du Christ, Agneau et Pasteur, il dit : «  Voilà la petite brebis » ; il prend l'agneau sur ses épaules et, courant d'allégresse, arrive devant le Père gardien en disant : « Voici le bon Pasteur qui porte sur ses épaules la brebis égarée ! » Ces paroles l'enflamment, sa figure s'empourpre, il prend son vol avec son agneau à une telle hauteur, qu'il dépasse la cime des arbres, et, pendant deux heures, il demeure dans les airs, à genoux, les bras ouverts, les yeux au ciel.

Une autre fois, tandis qu'il célébrait la messe de la Pentecôte, arrivé au Veni Sancte Spiritus, son cœur fut inondé d'un tel torrent d'amour divin, que, ne pouvant en supporter l'effort, il s'éleva de l'autel en poussant un grand cri, et se mit à tournoyer en l'air tout autour de la chapelle ; les cellules des Frères en furent ébranlées, les religieux se précipitèrent dehors, croyant à un tremblement de terre.

Page 135: 1 Septembre I

Derniers voyages. – La mort.

Cependant, l'exil du P. Joseph touchait à son terme. Innocent X avait tenu à sa résolution d'une manière inébranlable ; mais Alexandre VII, qui lui succéda, consentit à rendre le serviteur de Dieu à ses Frères les Mineurs Conventuels, Le 6 juillet 1657, le serviteur de Dieu se mit en route pour Osimo, où devait être sa dernière étape en ce monde. Comme on arrivait près de Lorette, un religieux lui montra la coupole de la Santa-Casa. Dès qu'il l'eut considérée, il parut en proie au plus grand étonnement :

- Je vois, dit-il, les anges qui montent et descendent du ciel à la Santa-Casa.Puis il pousse un cri, et s'élève à la hauteur de douze palmes (1 m. 45). Le 10

juillet, il entrait au couvent d'Osimo. Il y passa ses six dernières années dans une réclusion presque absolue. Ses ravissements furent pour ainsi dire continuels ; il vécut de la vie extatique plus que de la vie naturelle.

Ses forces diminuaient peu ù peu, et, le 10 août 1663, il fut atteint d'une fièvre qui devait l'emporter. L'esprit prophétique dont il était doué lui avait révélé l'époque du grand passage auquel il s'était préparé par un redoublement de ferveur. Avec une résignation parfaite, il se mit entre les mains des médecins, qui allaient torturer son pauvre corps épuisé par les jeûnes et les macérations.

Le P. Joseph célébra la messe le jour de l'Assomption pour la dernière fois. Ce ne fut qu'une suite d'extases et d'élévations. Dès lors, la fièvre qui le dévorait lui enleva progressivement le reste de ses forces. Le 17 septembre, on lui apporta le saint viatique. Il ne pouvait plus faire un mouvement ; cependant, au son de la cloche annonçant l'arrivée du Saint Sacrement, il retrouva sa vigueur et se leva de son lit, comme un homme bien portant ; il fut enlevé par un dernier vol les bras en croix, la figure resplendissante, et alla jusqu'à la porte de sa chambre pour y recevoir son Dieu. Puis il entra en agonie, et, le lendemain, il rendait le dernier soupir. Il avait soixante ans et quelques mois. Son corps fut enseveli dans l'église du couvent d'Osimo, où on le vénère aujourd'hui,

Saint Joseph de Copertino a été canonisé par Clément XIII, le 16 juillet 1767, cent quatre ans après sa mort, et Clément XIV, qui avait été Frère Mineur Conventuel, a étendu sa fête à l'Eglise universelle, le 8 août 1769.

La chapelle de l'œuvre de la Première Communion ou œuvre d'Auteuil, à Paris, est un centre important de dévotion en l'honneur de saint Joseph de Copertino ; une chapelle lui a été aussi consacrée dans la cathédrale Saint-Pierre, à Lisieux.

Z.E.A.

Sources consultées. – Domenico Bernino, Vie de saint Joseph de Cupertino (Paris, 1899). – (V.S.B.P., n° 55).

Page 136: 1 Septembre I

SAINT JANVIERÉvêque de Bénévent et martyr ( 305)

Fête le 19 septembre.

Patron très aimé de la ville de Naples, saint Janvier doit son renom mondial principalement à un phénomène merveilleux qui se produit chaque année, sauf de très rares exceptions. Autour de ce phénomène se sont livrées de tout temps les polémiques les plus ardentes. C'est le miracle universellement connu sous le nom de « miracle de saint Janvier ».

Après avoir brièvement raconté la vie du saint martyr, nous décrirons les manifestations populaires qui gravitent autour du fait prodigieux, et rassemblerons les preuves morales et matérielles démontrant la sincérité en même temps que le caractère surnaturel et divin du miracle de Naples.

Vie admirable et mort héroïque de saint Janvier.

Janvier naquit probablement à Naples, vers l'an 270. A vingt-quatre ans il reçut la prêtrise, et sa ferveur fut si remarquée qu'en 301 les Bénéventins le mirent par acclamation à la tête de leur Église. Le jeune évêque avait donc à peine trente et un ans, quand il devint le successeur de saint Théodat.

Poste périlleux, car alors sévissait la persécution de Dioclétien. Dans la Campanie, dont dépendait la ville de Bénévent, le gouverneur Timothée se montra particulièrement féroce. Sans s'exposer inutilement, Janvier déployait une activité merveilleuse au service de son peuple. Étant allé visiter en prison un saint diacre du nom de Sosie, il fut reconnu, arrêté et conduit devant le gouverneur. Sur son refus de sacrifier aux idoles, il fut, dit la tradition, soumis successivement à divers supplices ; le feu d'un four, d'où il sortit sain et sauf ; la dislocation de ses membres ; l'exposition aux ours, avec six compagnons, dans ce bel amphithéâtre de Pouzzoles qui tiendrait encore aujourd'hui, dit Taine, 30 000 spectateurs. On dit que les ours, calmes et doux, vinrent se coucher aux pieds des martyrs, sans leur faire aucun mal. Finalement, le gouverneur condamna ceux-ci à avoir la tête tranchée. L'exécution eut lieu à quelques

Page 137: 1 Septembre I

pas de l'amphithéâtre. Les noms des compagnons de saint Janvier suivent le nom de celui-ci dans le Martyrologe romain, à la même date du 19 septembre. Ce sont ceux des saints Festus, diacre de l'Eglise de Bénévent ; Didier, lecteur ; Sosie, diacre de l'Eglise de Misène ; Procul, diacre de Pouzzoles, Eutyche et Acuce.

Tandis qu'il était conduit au supplice, l'évêque de Bénévent fut abordé par un vieillard qui lui demanda respectueusement quelque objet à garder comme un « souvenir » ; Janvier ne possédait qu'un morceau de toile et il se le réservait pour s'en bander lui même les yeux ; il promit pourtant au vieillard, en présence des bourreaux incrédules, de le lui remettre après sa mort. Or cette pièce de toile, teinte du sang de la victime, foulée aux pieds par la foule, fut retrouvée le jour même, contrairement à toute attente, entre les mains de celui à qui elle avait été promise : le martyr avait tenu parole.

Quand la tête du saint évêque fut tombée, une chrétienne, nommée, dit-on, Eusébie, recueillit goutte à goutte dans deux fioles, à l'aide d'un fétu de paille, le sang vénérable. D'ordinaire les chrétiens des premiers siècles plaçaient ces fioles dans les tombeaux des martyrs, à côté de leurs restes vénérés.

Eusébie n'en usa point ainsi. Elle garda le sang et l'emporta dans sa maison.

Histoire des reliques de saint Janvier.

Dix ans plus tard, Constantin ayant par l'édit de Milan, rendu la paix à l'Eglise, le corps de saint Janvier fut exhumé ; sous la conduite de leur évêque, les chrétiens emportèrent ces précieuses reliques dans la direction de Naples. Le cortège dut passer par le village d'Antoniana, aujourd'hui Antignano, où habitait Eusébie, détentrice du sang sacré.

Là, le cortège fit halte. Eusébie prit dans sa maison les ampoules, s'avança vers l'évêque et lui en fit hommage. Le prélat reçut ce don précieux et le plaça près du corps. Or, s'il faut en croire une vieille tradition napolitaine, ce sang coagulé, desséché et mort, depuis dix ans, retrouva tout à coup et même, ce semble, reprit comme de son être intime et moteur, la vie, en présence du corps qu'il avait animé autrefois. Ce fut la première liquéfaction, laquelle devait être suivie de tant d'autres, au cours des siècles, jusqu'à nos jours.

On déposa ensemble la tête, le corps et le sang, dans une catacombe située hors de la ville, Vers 440, Jean, évêque de Naples, ramena ces reliques à l'intérieur, et les plaça dans l'hypogée d'un petit oratoire annexé à la cathédrale Sainte-Stéphanie, qui devait par la suite perdre son titre, pour devenir la cathédrale Saint-Janvier.

En 1309, le roi Charles II d'Anjou donnait un grand exemple de piété en faisant construire, sur l'emplacement de l'hypogée démoli, la grande cathédrale actuelle. La tête fut alors enfermée à part, dans un buste d'argent, et les ampoules de sang placées dans la première tour, à gauche près de la porte.

Quant au corps, il eut une histoire plus orageuse. Il prit le chemin de Bénévent, enlevé par Sicon, prince de Bénévent, qui avait assiégé et emporté Naples d'assaut au commencement du IXe siècle. Mais, sur la fin du XVe siècle, sous le pape Alexandre VI, Ferdinand, roi de Naples, fit rendre par Bénévent, à la capitale, son antique trésor.

Page 138: 1 Septembre I

Le corps fut déposé dans la cathédrale le 13 janvier 1497. Le jour même, la peste, qui affligeait depuis longtemps la ville de Naples, cessa ses ravages.

La chapelle de la cathédrale où la relique fut déposée existe encore, elle se nomme Soc-corpo ou « Confession ». Le corps y repose sous l'autel unique. Ainsi, depuis 1497, les trois reliques de saint Janvier : sa tête, son corps et son sang, se trouvent heureusement réunies dans la cathédrale napolitaine qui porte son nom glorieux.

Le Vésuve et saint Janvier.

Pour tout bon Napolitain, saint Janvier dépasse de cent coudées les cinquante patrons, au bas mot, que Naples s'est donnés. Saint Joseph même, et saint Alphonse de Liguori qui naquit à Naples, ne sont que les serviteurs très humbles de sa cour. C'est qu'ils l'invoquent dans tous les périls graves, et surtout contre le Vésuve terrible. Ce volcan leur inspire, à juste titre, une telle frayeur qu'ils fuiraient tous un voisinage si dangereux ; mais sous l'égide de saint Janvier, ils retrouvent une tranquillité confiante.

Quand le danger paraît imminent, ils courent à la cathédrale et demandent qu'une procession s'organise. Et malheur à l'autorité civile, et même à l'archevêque lui-même, s'ils font mine de résister !

L'histoire a gardé le souvenir de plusieurs éruptions fameuses, durant lesquelles Naples se crut à deux doigts de sa perte. Faut-il attribuer sa préservation à la distance de huit kilomètres qui la sépare du volcan, ou à quelque autre cause naturelle ? Saint Pierre de la Martinique était plus éloigné du danger lors de l'éruption tristement célèbre de la montagne Pelée (1902). Et puisque la liquéfaction du sang repose sur une base scientifique qui ne saurait être contestée, pourquoi écarter l'intervention surnaturelle de Dieu qui n'a pas plus de difficulté à arrêter un volcan, qu'à liquéfier un peu de sang ?

L'éruption de 1631.

Après l'éruption de l'an 79, qui causa la ruine d'Herculanum et de Pompéi, et où mourut l'écrivain latin Pline l'Ancien, celle de 1631 est la plus terrible dont l'histoire fasse mention. Dans la nuit du 15 au 16 décembre, la terre se mit tout à coup à trembler fortement. Les secousses furent si violentes qu'on les ressentit aux extrêmes confins de la Pouille. Vers le point du jour, une explosion retentit, formidable ; c'était le flanc du cône, du côté de la mer, qui venait de s'ouvrir ; des trombes immenses d'eau, de gaz et de rocs enflammés entraînaient avec elles des masses énormes de matières pulvérisées. Toutes les populations s'enfuyaient. Au milieu des ténèbres, pas la moindre lueur n'apparaissait, si ce n'est celle des éclairs, produits par les gaz enflammés brusquement au sortir du volcan.

A Naples, plongée dans l'obscurité, les églises étaient remplies, les prêtres exhortaient les fidèles à la pénitence finale. L'archevêque, qui était le cardinal Buoncompagno, ordonna d'exposer le Saint Sacrement dans toutes les églises, et de

Page 139: 1 Septembre I

placer les reliques de saint Janvier sur le maître-autel de la cathédrale. Bientôt une procession, portant la tête et le sang du Saint, s'organisa. Une multitude immense, précédée du vice-roi, du Conseil d'Etat et de la bourgeoisie, criait miséricorde. Quand le cortège fut parvenu près de l'église de Notre-Dame du Mont-Carmel, d'où l'on apercevait le mont redoutable vomissant sans relâche la lave et la fumée, l'archevêque, élevant les saintes reliques, les présenta au volcan comme pour lui intimer, au nom du Martyr, l'ordre de s'arrêter. Alors, on vit les nuées orgueilleuses s'incliner tout à coup dans un sens opposé. Naples, menacé d'une destruction totale, sembla alors sauvée.

Mais le lendemain 17, l'éruption recommença. Une brèche nouvelle se forma. On eût dit que la montagne elle-même se liquéfiait. En moins de deux heures, le torrent igné atteignit le rivage de la mer, à La Scala et au Granatello.

Il reste encore des coupures de cette lave vomie le 17 décembre 1631 : ce sont des carrières, dont les pierres servent aujourd’hui à paver les rues. L'historien belge Le Hon estime à 73 millions de mètres cubes le volume de la lave que le volcan éructa ce jour-là. Quand la procession fut parvenue près de la porte Capuana, on vit la nuée de cendres, qui cachait le Vésuve, s'acheminer vers Naples. Il paraissait certain que la ville allait périr ensevelie sous un monceau de cendres. Le cardinal refit, avec le sang de saint Janvier, le même geste que la veille ; alors, dit l'historien Le Hon, on vit la nuée quitter la route qu'elle suivait pour s'infléchir vers la mer. C'est à saint Janvier que Naples devait son salut.

D'autres éruptions eurent lieu encore en 1767 et en 1779. Les mêmes actes de foi se renouvelèrent. D'autres fléaux sont tombés sur Naples ; inondations, famine, guerres, choléra. Jamais ne s'est démentie la confiance du peuple en son protecteur.

Le « miracle de saint Janvier ». En quoi il consiste.

C'est le sang de saint Janvier, conservé intact depuis seize siècles, qui est la matière du miracle. Présentement encore, il est contenu dans deux ampoules ou petites fioles de verre, d'inégales dimensions.

La grande, au col étroit, mais aux flancs rebondis, ressemble à une poire écrasée ; sa capacité est d'environ 60 centimètres cubes ; elle contient de la substance jusqu'à la moitié de sa hauteur, environ. La petite a une forme mince et allongée ; la substance ne s'y trouve qu'à l'état de légères taches rougeâtres sur les parois intérieures.

Ces deux ampoules, libres autrefois, sont enfermées aujourd'hui dans un reliquaire de verre donnant l'impression d'une grosse loupe à main surmontée d'une couronne royale et d'une croix. A travers les plaques de verre, on aperçoit nettement à l’intérieur les deux ampoules, ainsi que la substance qu’elles contiennent, et l’on peut, par conséquent, suivre nettement les diverses phases que subit cette substance dans les cérémonies du miracle de l’exposition : liquéfaction, variation du volume, ébullition, variation dans la couleur.

Dans ces diverses phases, les deux qui offrent une réelle importance sont la liquéfaction et la variation du volume ; cette dernière plus surprenante et plus miraculeuse encore, peut-on dire, que la première.

Page 140: 1 Septembre I

Saint Janvier apporte son bandeau à un vieillard.

Lors de la liquéfaction, la substance, tantôt dure, tantôt figée, tantôt tendre, passe de cet état plus au moins solide à un état plus ou moins fluide. L'augmentation du volume de la substance se produit au cours des fêtes de mai, d'une manière régulière et progressive, de façon à remplir, les derniers jours, l'ampoule entière, puis elle revient à son niveau habituel vers le 19 septembre.

Le temps que la substance met à entrer en liquéfaction varie d'une minute à plu-sieurs heures. La couleur ordinaire de la substance, qui est le rouge sombre, passe parfais au rouge vif ; dans ce dernier cas, il peut se faire que l'on constate à la surface la présence d'une écume. Il arrive, mais très rarement, que la substance ne se liquéfie pas.

La foi du peuple napolitain.

Le miracle a lieu à trois époques de l'année : mai, septembre et décembre, dans la vaste salle du Trésor de Saint-Janvier. A 8 heures, la porte s'ouvre. La foule pénètre sans désordre et entonne des cantiques pieux. Lorsque 9 heures retentissent, par la porte de la sacristie, débouche un cortège imposant de prélats qui vont prendre dans les niches le reliquaire du sang et l'apportent devant l'autel. Aussitôt que le prélat officiant

Page 141: 1 Septembre I

l'a pris dans ses mains, un prêtre, placé à sa droite, et tenant un cierge allumé, examine la substance, tandis que l'officiant tient le reliquaire sens dessus dessous. Des milliers de regards sont fixés sur le reliquaire et ne s'en détacheront plus.

E duro ! s’écrie le prêtre. « Le sang est dur ! ». Les prières s’élèvent. On parle au Saint à haute voix : « vient, ô notre Saint, viens à nous ! protège-nous, ô petit Saint, Saint joli ! Santino ! Santo bello ! vive Jésus ! Vive Marie ! Vive Celui qui a créé Janvier et l'a fait Saint. Parle hardiment à la Trinité Sainte, présente-lui ton martyre et fais-nous grâce ! » Et les supplications se font plus humbles ; c'est le Miserere : « Ayez pitié de nous Seigneur, selon votre grande miséricorde... » ; puis le recours aux apostrophes plus familières : « Si tu ne fais pas ton miracle, ô notre Saint, nous serons châtiés ! » Parfois, si le retard se prolonge, c'est un reproche affectueux : « Fais donc ton miracle, éclaire ce visage sombre, ô notre compatriote ! »

Cependant l'officiant continue de montrer à la foule le reliquaire retourné complètement, avec la substance obstinément coagulée au fond de l'ampoule.

Enfin, voici que se produit un certain mouvement parmi les clercs ; de l'émotion se manifeste sur leurs visages, un murmure court dans l'assistance, du doigt on se montre l'ampoule. Tout à coup, le reliquaire étant toujours tenu sens dessus dessous, on voit la substance ramollie se détacher peu à peu du fond, et glisser lentement le long des parois de l'ampoule, puis, finir par toucher le col ; à ce moment précis la liquéfaction se produit d'un seul coup et d'une façon brusque. Aussitôt le prêtre assistant agite un mouchoir blanc ; c'est le signe indiquant que le miracle est fait. Tout le monde l'a compris. Le moment, dit un témoin, est solennel, difficile à décrire dignement. Puis sous les voûtes le Te Deum retentit. L'officiant qui tient le reliquaire l'élève au-dessus des têtes pour que chacun puisse constater ; il le tourne et le retourne de temps en temps avec respect, afin que chacun constate facilement que la substance liquéfiée suit les mouvements imprimés au reliquaire. La liquéfaction est réelle ; la preuve est sans réplique ; aucun doute, même léger, n'est désormais possible. Vient ensuite le baisement de la relique par la foule, en commençant par les prêtres ; chacun peut voir et vénérer le liquide miraculeux. Le défilé se prolonge jusqu'à 11 heures.

Miracle ou supercherie ?

Il répugne à l'homme sans parti pris, qui sort de ce spectacle grandiose, de croire à une basse manœuvre, à une supercherie, de la part de ces prêtres dont le visage ouvert respire une absolue conviction de la réalité surnaturelle du miracle. Cependant, à entendre certains incrédules systématiques, la grande cérémonie qui, depuis cinq siècles, se déroule publiquement dans la salle du Trésor, ne serait qu'une misérable comédie, bien préparée et habilement jouée par les prêtres. « Solennelle mystification ! représentation charlatanesque ! » osait écrire un journal impie de l'est de la France en 1910, et, la même année, un autre journal employait des termes encore plus grossiers.

Si nous considérons la situation sociale des gens préposés à la garde de la relique, on n'y trouve que des hommes de la plus haute honorabilité. Le maire de Naples est de droit le président des deux députations chargées de la garde du trésor, l'une laïque et

Page 142: 1 Septembre I

l'autre ecclésiastique. Les laïques appartiennent tous aux familles les plus honorablement connues à Naples. Durant l'octave de septembre, le sang est confié, pendant l'après-midi entière, à un groupe de députés. Depuis plusieurs siècles, le nombre des personnes, archevêques, prélats, chanoines, prêtres, laïques, qui ont pu approcher la relique d'une manière intime est donc considérable.

S'il y avait imposture, est-ce que le secret en aurait été gardé si longtemps, par tant d'hommes, à travers tant de révolutions napolitaines ? Cette fidélité même serait si extraordinaire, qu'Alexandre Dumas a pu l'envisager comme plus miraculeuse que le miracle lui-même.

Un phénomène inexplicable

Mais que valent les insinuations de ces partisans de la supercherie ? Parmi ceux-ci les uns refusent dédaigneusement d'étudier le problème ; d'autres prétendent l'expliquer chimiquement, et le plus étrange est de voir plusieurs de ces « savants », très sûrs d'eux-mêmes, indiquer chacun une formule différente ; dissolution d'anti- moine ; mélange de suif et d'éther, coloré de vermillon ou de terre de Sienne ; corps gras coloré, dissous dans une huile légère et pouvant fondre à une température de 30 à 35 degrés, etc.

Remarquons que les hypothèses de mélanges dans lesquels entrerait l'éther n'expliqueraient pas le miracle, puisque l'éther ne fut découvert qu'en 1540 et que le miracle napolitain se produisait déjà alors depuis près de cent cinquante ans.

Les hypothèses de compositions d'antimoine et de baume sont également fantaisistes. Quoi qu'il en soit, il est une conclusion autrement sérieuse qui résulte des travaux scientifiques exécutés depuis la fin du XIXe siècle sur la substance enfermée dans le reliquaire.

Les expériences entreprises par le chimiste Pierre Punzo l'ont amené à cette conclusion que le phénomène est physiquement inexplicable et que la seule conformation du reliquaire, hermétiquement clos et soudé, démontrait qu'une supercherie serait matériellement impossible. C'était déjà l'avis de Montesquieu ; il avait assisté deux fois, en 1728, à la liquéfaction et il s'exprimait ainsi dans ses Voyages : « Je puis déclarer que le miracle de saint Janvier n'est point une supercherie, les prêtres sont de bonne foi, et il ne peut en être autrement. »

En 1902, les professeurs Sperindio et Jannario, de l'Université de Naples, firent l'analyse spectrale de la substance contenue dans l'ampoule et reconnurent que c'était du vrai sang. La même année, ils pesèrent le reliquaire avec l'ampoule complètement remplie, puis avec l'ampoule à demi remplie suivant son état normal et ils trouvèrent une différence de poids correspondant à la différence du volume, l'ampoule demeurant perpétuellement close.

Ces résultats prodigieux ruinent toute hypothèse de supercherie et toute explication physique du « miracle de saint Janvier ».

Page 143: 1 Septembre I

L'Ordre de Saint-Janvier.

Dans l'ancien royaume de Naples, qui disparut en 1860, existait un Ordre de chevalerie, dit l'Ordre de Saint-Janvier. Il fut institué en 1732 par Charles VI, roi des Deux-Siciles, qui fut aussi roi d'Espagne sous le nom de Charles III.

Les chevaliers portaient en écharpe un large ruban ponceau auquel pendait une croix d'or pommetée, à huit pointes, émaillée de blanc, anglée de fleurs de lis d'or ; au milieu figurait le buste de saint. Janvier, crossé et mitré, donnant sa bénédiction. Au revers de l'insigne, une couronne de lauriers entourait un livre fermé, sur lequel étaient posées les deux fioles du « miracle » remplies de sang à moitié, avec cette devise :

In sanguine foedus (l'union est dans le sang) ; le tout entouré de deux palmes vertes. Le roi de Naples était le grand-maître de cet Ordre.

A.Poirson.

Sources consultées. – Léon Cavène, Le célèbre miracle de saint Janvier à Naples et à Pouzzoles. – Une gloire napolitaine : saint Janvier et le miracle de son sang (Paris, Bonne Presse). – (V.S.B.P., n° 241 et 1743.)

Page 144: 1 Septembre I

BIENHEUREUX JEAN-CHARLES CORNAYdes Missions Étrangères de Paris, martyr au Tonkin (1809-1837)

Fête le 20 septembre.

Jean-Charles Cornay est de ces privilégiés qui, après quelques jours de captivité, quelques instants de torture couronnés par le martyre ravissent aussitôt la béatitude céleste. La simplicité et la gaieté sont les traits particuliers de son caractère, et c'est en chantant qu'il accepta les souffrances et reçut la mort.

L'appel de Dieu.

Il vit le jour le 27 février 1809, dans le Poitou, à Loudun, sur la paroisse Saint-Pierre, où ses parents tenaient un commerce de rouennerie.

Rien, pendant ses années d'études au collège de Saumur, en Anjou, puis au Petit Séminaire de Montmorillon, ne donnait au tranquille jeune homme les allures d'un héros : « D'une grande simplicité, voisine de la bonhomie, d'un caractère paisible et doux, ne blessant jamais aucune susceptibilité, parce qu'il y avait chez lui absence totale d'amour-propre, il était bien vu de tous ceux qui l'entouraient », a dit un de ses biographes.

La situation aisée de ses parents le mettait en mesure de suivre une brillante carrière ; mais lui, le moment venu de prendre une décision, déclara simplement son désir de devenir prêtre. Le 20 octobre 1827, à 18 ans, il entra au Grand Séminaire de Poitiers, et, là encore, ne se distingua pas autrement que par une vie régulière, studieuse et pieuse, exempte de toute saillie de caractère et de toute originalité.

Mais la grâce agissait dans l'intérieur de cette âme, et, sans en faire briller beaucoup au dehors les qualités latentes, Dieu s'y préparait un vase d'élection.

Le jour vint où le désir du sacrifice commença à y germer. Un missionnaire de la Compagnie de Marie ayant donné au Grand Séminaire une conférence sur la Propagation de la Foi, le séminariste sentit s'éveiller en lui le désir des missions et celui du martyre. Après avoir mûri son projet, il s'en ouvrit à sa famille qui d'abord s'y opposa. Il faut lire avec quelle tendre fermeté le jeune homme répond aux lettres de ses parents.

Page 145: 1 Septembre I

Ma bonne mère, je n'ai pu m'empêcher de répandre un torrent de larmes à la vue de la peine que je te cause... Si Dieu m'appelle véritablement, ce sera pour moi le plus grand sacrifice de vous quitter, car mes biens, mes amis, ma patrie, je compte tout cela pour rien ; la seule chose qui me fasse de la peine, c'est vous... Sache donc qu'il n'y a point de raisons qui tiennent contre la vocation ; que, quand Dieu appelle quelqu'un à un emploi, il ne lui donne que les grâces qu'il faut pour cela et qu'il frappe de stérilité tout ce qui n'est point selon sa volonté ; et que, si j'obéis à la tienne, au mépris de la sienne, j'aurai toute ma vie le regret de n'agir pas selon sa volonté... Et il n'y a pas à dire : « Pourquoi y aller, toi ? laisse, aller les autres. » Dieu ne dit point cela. Il envoie quelqu'un et ne lui donne pas le droit de s'en décharger sur d'autres... Dieu et une mère sont deux terribles ennemis quand il s'agit de se disputer un fils. Quand Jésus-Christ a dit : « Si quelqu'un ne laisse son père et sa mère pour me suivre quand je l'appelle, il n'est pas digne d'être mon disciple », il savait bien ce que c'était que le cœur d'une mère et que son refus n'était point le signe de sa volonté.

A l'automne de 1830, il partit pour le Séminaire des Missions étrangères de Paris, et l'année suivante, en septembre, n'étant encore que diacre, il fut envoyé à la mission du Setchouen en Chine. Il aborda à Macao en mars 1832. Mais, faute de courriers capables de le guider à travers le Yunnan, il dut résider cinq ans à la procure de Hanoï, dans le Tonkin occidental. C'est là qu'il fut ordonné prêtre le 20 avril 1834. Bientôt atteint de la fièvre, il se considérait comme devenu presque inutile à la mission, mais voici que, par ses souffrances et par le sacrifice de sa vie, il allait procurer à l'Eglise du Tonkin plus de bien et plus de gloire que par de longs travaux !

Arrestation. – Captivité racontée par lui-même.

La persécution, sans être aussi violente au Tonkin que sur d'autres points, sévissait toujours à l'état latent, par suite de certains édits qui n'avaient jamais été rapportés et dont on pouvait à tout instant renouveler l'application.

Un chef de pirates, chassé de la paroisse de Bau-Nô, située au nord de la mission et où M. Cornay exerçait son ministère, connaissait sa présence. Le mandarin ne l'ignorait pas non plus, mais, assez bienveillant pour le moment, il préférait fermer les yeux. Ce fut la femme du chef de pirates qui, pour venger l'expulsion de son mari, accusa le village de Bau-Nô d'être le foyer d'une insurrection fomentée par l'Européen Cornay. L'indigne femme enfouit secrètement des armes près du presbytère de Bau-Nô, et, sûre de son fait, dénonça le missionnaire.

Le gouverneur était obligé d'accueillir l'accusation, et, pour témoigner de son zèle, le 20 juin 1837, il envoya un général et 1500 soldats avec ordre de cerner la chrétienté. Le missionnaire ne pouvait échapper aux recherches. Laissons-le raconter lui-même, dans un langage simple, calme, joyeux même, les préliminaires de son martyre, dans quelques lettres écrites à ses parents et à l'un de ses confrères et parvenues à destination grâce à la bienveillance d'un mandarin :

A l'instant où l'on vint m'arrêter, je partais pour célébrer la sainte messe. Comme il n'y avait pas un moment à perdre, un chrétien me conduisit bien vite sous un épais buisson, où je me tapis comme je pus. On se mit à battre et à examiner tous les buissons du village . Le danger devenant plus pressant, je dis mon chapelet et vous pouvez penser à quels mystères

Page 146: 1 Septembre I

j'en appliquai les dizaines ; vous pouvez imaginer aussi quel sacrifice j'avais offert le matin au lieu de la sainte messe, quelle méditation avait remplacé celle du jour. Ce ne fut cependant qu'à 4 heures du soir que les soldats parvinrent jusqu'à moi. Quand je vis pénétrer dans les buissons leurs longues lances armées d'un pied de fer, je ne songeai pas qu'il eût été préférable de me laisser percer sur place, ce qui eût évité toutes les misères qui découlent des circonstances présentes ; je sortis avant que le fer m'eût atteint et me livrai à eux. Me voilà donc pris ! On me mit à la cangue.

Après être resté longtemps exposé aux ardeurs du soleil, je m'assis et attendis patiemment ce qu'on ordonnerait de moi. Vers les 5 heures, voyant mon jeûne se prolonger, je demandai au mandarin un peu de riz. Il m'en fit donner trois cuillerées qui furent toute ma réfection. Ainsi se termina cette première journée. On m'avait donné une mauvaise natte déchirée. Je m'assis donc dessus comme je pus avec ma cangue, mais il me fut impossible de fermer l' œil pendant cette nuit tout entière.

Cependant, le commandant de la troupe, voulant donner à sa capture plus de valeur et traiter M. Cornay comme un grand criminel, lui fit construire une cage :

Me voilà donc enfermé comme un loup, raconte gaiement le missionnaire. Dans cette cage, je fus du moins à l'abri des coups qu'on distribuait à tout venant. De plus, quand la bête fut en cage, ses gardiens, la voyant en sûreté, s'apprivoisèrent. Les officiers examinèrent mes effets saisis et ne les traitèrent pas, comme on pense, avec la délicatesse d'un sacristain. Toutefois, ils accordèrent à mes instances six volumes qui se trouvaient devant moi. Interrogé sur leur usage, je leur dis que c'étaient des livres de prières et que je m'en servirais afin de prier pour eux. Cette réponse leur fit plaisir.

- Rendez-moi aussi l'image de mon Dieu, leur dis-je, en montrant un Christ parmi les objets enlevés. Elle m'aidera à supporter ma captivité.

Les soldats accédèrent à cette demande, et Mr. Cornay, dans sa cage portée par huit hommes, fut dirigé sur Son-Tay, chef-lieu de la province, situé à six lieues de Bau-Nô.

Le trajet fut très pénible. La cage, confectionnée avec de gros bambous, était si large, que les chemins, trop étroits, ne lui permettaient que difficilement de passer. Il fallait sans cesse ouvrir les buissons, élaguer les branches, et souvent quitter les sentiers battus pour aller à travers champs. On avançait très lentement. La première nuit, la cage et le prisonnier furent laissés en plein air. Le lendemain, au point du jour, poursuit M. Cornay, on se remit en route, et cette marche était, en un sens, fort pompeuse. Environ 150 soldats me précédaient et autant me suivaient avec des mandarins en fileta surmontés de dais ; ma cage, portée par huit hommes et ombragée à l'aide de mon tapis rouge, occupait le milieu. J'étais suivi de dix chrétiens arrêtés en même temps que moi, qui marchaient tristement, attachés ensemble par l'extrémité de leur cangue. Sur la route, quantité de peuple accourait à la nouveauté du spectacle. Ce fut ainsi qu'on arriva au relais d'une préfecture ; je fus déposé devant un mandarin qui, s'étant enquis des officiers, commença avant tout par me dire de chanter, parce que mon talent en ce genre était déjà renommé. J'eus beau m'excuser sur ce que j'étais à jeun, il fallut chanter. Je déroulai donc toute l'étendue de ma belle voix, desséchée par une espèce de jeûne de deux jours, et leur chantai ce que je pus me rappeler des vieux cantiques de Montmorillon. Tous les soldats étaient à l'entour, et un peuple nombreux se fût précipité vers la cage, sans la verge en activité de service. Dès ce moment, mon rôle changea : je devins un oiseau précieux par son beau ramage. Après cela, on me donna à manger.

Page 147: 1 Septembre I

On se remit en route et on arriva au chef-lieu du gouvernement de la province de Doai.

Je fus déposé devant l'hôtel du gouverneur général. Ce gouverneur est un homme assez grand, d'environ cinquante ans, sans barbe et d'une belle figure, relevée par une blancheur peu ordinaire au Tonkin. Il vint gravement jeter quelques regards sur mon attirail et se retira. Puis il me fit dire que, dans peu de jours, je serais envoyé à la cour de Cochinchine et remis à la discrétion du roi.

Lorsque le gouverneur se fut éloigné, ma cage fut entourée d'une foule d'enfants et des satellites des mandarins de la place. Je me composai de mon mieux, et, refusant de répondre aux questions qui m'étaient adressées de toutes parts, je ne prononçai que ces mots :

- Je n'ai pas peur.Ces paroles furent répétées de bouche en bouche.- Non, n'ayez pas peur, me disaient-ils, nous ne voulons vous faire aucun mal ; c'est la

curiosité qui nous attire auprès de vous, nous n'avions jamais vu d'Européen.Dans toutes les visites que je reçois, une des questions que me font les curieux est de me

demander si j'ai une femme et des enfants ; je leur réponds bien vite que non, et je leur explique la cause et l'utilité de cette privation, ce qui ne laisse pas d'être bien compris de mes auditeur.

Il en profite pour leur parler de Jésus-Christ et de sa doctrine, puis il chante un cantique à la Sainte Vierge.

Supplices divers. – Adieux à sa famille.

La grossière cage de bambous n'était que provisoire. Une seconde, plus élégante, mais plus douloureuse pour le martyr, lui fut offerte dans la capitale de la province.

Cette cage carrée, haute de cinq pieds sur quatre pieds de large, n'était ni assez élevée pour lui permettre de se tenir debout ni assez longue pour qu'il put s'y étendre. Elle faisait endurer au prisonnier de rudes souffrances.

Depuis huit jours que je suis en cage, écrit-il, je suis déjà bien fatigué d'être toujours couché ou assis dans une si étroite circonférence ; la nuit surtout, je suis rompu par la dureté du bois, mais il faut bien souffrir, sans autre perspective qu'une augmentation de douleurs de jour en jour, telle est la volonté de Dieu. Fiat !

Quant à mes occupations, je dis mon office, je médite et m'abandonne à la volonté de Dieu ; je le prie de me pardonner mes péchés, de me donner la force de souffrir patiemment ; je lui demande surtout de confesser son saint Nom devant les infidèles.

Le missionnaire ne se faisait pas illusion sur le sort qui l’attendait. On le voit dans une admirable lettre à ses parents :

Lorsque vous recevrez cette lettre, mon cher père et ma chère mère, ne vous affligez pas de ma mort ; en consentant à mon départ, vous avez déjà fait la plus grande partie du sacrifice. Lorsque vous avez lu les relations des maux qui désolent ce malheureux pays, inquiets sur mon sort, ne vous a-t-il pas fallu le renouveler ? Bientôt, en recevant ces derniers adieux de

Page 148: 1 Septembre I

Le Bienheureux Cornay au supplice de la cangue.

votre fils, vous aurez à l'achever ; mais déjà, j’en ai la conviction, je serai délivré des misères de cette vie et admis dans la gloire céleste. Oh ! comme je penserai à vous ! comme je supplierai le Seigneur de vous donner part à la récompense, puisque vous en avez une si grande au sacrifice ! Vous êtes trop chrétiens pour ne pas comprendre ce langage. Je m'abstiens donc de toute réflexion. Adieu, mon très cher père et ma très chère mère, adieu ; déjà, dans les fers, j'offre mes souffrances pour vous. Je ne vous oublie pas non plus, ô mes sœurs ; si, sur la terre, chaque jour je vous ai recommandées à Marie, que ne pourrai-je point près d'elle, si j'obtiens la palme du martyre !

Cependant, le roi, averti par les mandarins de la capture faite par les soldats, retardait sa réponse. Quinze jours après, il fit savoir qu'il s'en remettait à l'arbitrage des mandarins. Les interrogatoires commencèrent alors ; les instances succédèrent aux instances pour contraindre le martyr à apostasier. Devant leur inutilité, on le frappa cruellement.

Quelque douloureuse qu'ait été cette question, écrit-il encore, la plus vive souffrance était celle que me causaient mes bras, liés vers les poignets et engourdis de plus par la cangue sur laquelle ils étaient tendus. Enfin, on m'a traîné dans ma cage, et, en arrivant à ma prison, j'ai chanté le Salve Regina. Dites à mon servant Kim ; que je n’ai pas jeté un seul cri, ni poussé même de soupir jusqu'à la fin, lorsque mes bras me faisaient souffrir outre mesure ; je m'attendais à de nouveaux tourments le lendemain, selon les promesses que l'on m'avait faites ; Jésus m'a épargné ce calice d'amertume.

Page 149: 1 Septembre I

Dans l'un des interrogatoires suivants, on voulut le contraindre à fouler aux pieds la croix. Voici comment le missionnaire s'en explique, dans une lettre à l'un de ses confrères :

Avant de me frapper, on a voulu me faire fouler la croix, mais je me suis prosterné de mon long, le visage sur la croix, puis je l'ai relevée, portée à ma bouche, d'où on me l'a arrachée. On m'épargne si peu qu'on a usé trois verges la première fois sur mon corps. Les 65 coups que j'ai reçus cette fois-ci avec une verge neuve n'ont pas été moins douloureux. Après la question, rentré dans la cage, on m'a fait sortir le pied ; croyant que c'était pour le pincer avec des tenailles, je l'ai allongé en l'offrant à Jésus-Christ ; mais, quand on l'a tenu, on a fait paraître la croix que l'on a appliquée dessous ; un instant après, on me l'a ôtée, me demandant si j'y consentais :

- Oh ! non, ai-je répliqué.Voilà le fait important à vous dire, de peur qu'on ne le dénature.

Le roi Ming-Mang, surnommé le Néron annamite, apprenant qu'il ne pourrait vaincre la constance de l'Européen, le condamna à avoir tous les membres coupés.

Le Bienheureux se prépara courageusement au sacrifice et écrivit en même temps à sa famille une dernière et touchante lettre que l'on peut appeler le « testament du martyr » :

En cage, le 18 août 1837.

Mon cher père et ma chère mère.

Mon sang a déjà coulé dans les tourments et doit encore couler deux ou trois fois avant que j'aie les quatre membres et la tête coupés. La peine que vous ressentirez en apprenant ces détails m'a déjà fait verser des larmes ; mais aussi, la pensée que je serai près de Dieu à intercéder pour vous quand vous lirez cette lettre m'a consolé, et pour moi et pour vous. Ne plaignez pas le jour de ma mort, il sera le plus heureux de ma vie, puisqu'il mettra fin à mes souffrances et sera le commencement de mon bonheur. Mes tourments mêmes ne sont pas absolument cruels ; on ne me frappera pour la seconde fois que quand je serai guéri de mes premières blessures. Je ne serai point pincé, ni tiraillé comme fit, M. Marchand, et, en supposant qu'on me coupe les quatre membres, quatre hommes le feront en même temps et un cinquième coupera la tête ; ainsi je n'aurai pas beaucoup à souffrir. Consolez-vous donc ; dans peu, tout sera terminé, et je serai à vous attendre dans le ciel.

J.C. Cornay.

Le martyre.

La 20 septembre 1837, mercredi des Quatre-Temps, eut lieu l'exécution, avec cet appareil solennel et sinistre qui caractérise les actes de ce genre en Extrême-Orient.

Trois cents soldats forment le cortège, et autour de la cage du martyr se rangent les bourreaux, le sabre et la hache à la main. Devant la cage un satellite porte une planche où se lit la sentence. Un général ferme la marche. Le P. Thé, un prêtre annamite, est au milieu de la foule, et, sur un signe convenu, donne au martyr une dernière absolution.

Page 150: 1 Septembre I

Après vingt minutes de marche, le convoi s'arrête dans un champ ; le condamné est retiré de sa cage. On le fait asseoir pour lui ôter ses chaînes. Pendant que les soldats s'empressent à cette opération, les bourreaux enfoncent en terre quatre piquets destinés à fixer les membres de la victime. Sur un signe du mandarin, M. Cornay se dépouille lui-même de ses vêtements et s'étend, la face contre terre, sur le tapis de son autel, qu'on lui avait toujours laissé dans sa cage. A peine est-il ainsi couché que les bourreaux lui attachent les pieds écartés, puis les mains aux poteaux, tandis que la tête est étroitement maintenue entre deux autres pieux.

Ces préparatifs n'avaient pas duré moins de vingt minutes. Le missionnaire était condamné à avoir toutes les articulations coupées et la tête devait être tranchée la dernière, mais le mandarin dérogea à l'ordre royal et commanda de commencer par la décapitation.

Au signal donné par le général, un coup de cymbale retentit, et le principal bourreau, levant son sabre, le laisse retomber. La tête du martyr est tranchée d'un seul coup. Le bourreau la saisit par une oreille, la rejette à quelques pas, et, portant son sabre à ses lèvres, il en lèche tranquillement le sang, il coupe ensuite le bras gauche et laisse à ses subalternes le soin de trancher les autres membres.

Sitôt que les bras et les jambes ont été ainsi détachés, le tronc, conformément à la sentence, est coupé en quatre ; les bourreaux en arrachent le foie, le dépècent et le mangent. C'était pour les indigènes un horrible, mais suprême témoignage de leur admiration pour ceux qu'ils considéraient comme des héros :

- En mangeant leur foie, disaient-ils, nous deviendrons courageux comme eux.L'exécution terminée, les chrétiens s'approchèrent et rassemblèrent ces restes

sanglants, imbibèrent de sang tout ce qui se trouva sous la main, les habits du martyr, des mouchoirs, du papier.

Les païens eux-mêmes, surmontant leur horreur profonde pour les cadavres des suppliciés, vinrent recueillir quelques gouttes de ce sang précieux, afin, disaient-ils, de faire de ces reliques rares des espèces de charmes contre le diable ». Sur le soir, un catéchiste apporta un cercueil ; on y déposa les, membres, réunis à l'aide de bandes de toile, et on les enterra au lieu même du supplice.

Quant à la tête, elle devait être, d'après la sentence, exposée pendant trois jours, puis jetée dans le fleuve. Elle fut d'abord emportée par un enfant qui, en passant devant les boutiques, s'arrêtait pour la montrer. Les chrétiens obtinrent qu'elle fût enveloppée de toile et placée dans une corbeille. Au bout des trois jours, ils parvinrent à la soustraire aux païens et l'emportèrent à Chieu-ung, chrétienté voisine de Bau-Nô, où un confrère de M.Cornay la mit dans un coffre précieux placé dans la paillotte qui servait de chapelle au couvent.

L'année suivante, au mois de juillet, ces mêmes chrétiens réussirent à enlever, de nuit, le corps lui-même et le transportèrent aussi à Chieu-ung. C'est là qu'il repose, dans la petite église en brique élevée en 1901 en l'honneur du martyr.

Page 151: 1 Septembre I

On conserve, au Séminaire des Missions étrangères, un curieux tableau peint par un témoin annamite et qui représente fidèlement la scène de l'exécution ; puis, entre autres reliques, le tapis sur lequel le martyr fut décapité et coupé en morceaux. On a peine à retenir une impression d'horreur à la vue des larges taches de sang que le temps a rendues presque noires, des entailles faites par la hache des bourreaux dépeçant les membres de la victime. Mais la pensée se reporte bientôt vers le ciel, et lorsqu'on y considère le « poids immense de gloire » dont Dieu récompense ses martyrs, on éprouve le besoin de rendre grâces et de redire ce mot de l'Évangile « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume des cieux est à eux ».

Le 27 mai 1900, Jean-Charles Cornay a été béatifié par Léon XIII, en même temps que 76 autres martyrs missionnaires de cette époque.

C. Octavien.

Sources consultées. – Adrien Launay, M.E.P., Vie des 52 Serviteurs de Dieu, français, annamites, chinois (2 vol, illustrés, Paris, 1893), – Abbé de Larnay, Vie de trois missionnaires apostoliques (Poitiers, 1856). – Vie du bienheureux Jean-Charles Cornay, par ses petits-neveux (Paris, 1905). – (V.S.B.P., n° 1064.)

Page 152: 1 Septembre I

SAINT MATTHIEUApôtre et Évangéliste ( 1er siècle)

Fête le 21 septembre.

Saint Matthieu fut un des douze Apôtres que Notre-Seigneur choisit pour être avec lui durant sa vie mortelle, et pour continuer son œuvre après son Ascension. Parmi ces Douze, deux seulement, Matthieu et Jean, nous ont raconté par écrit la vie du Sauveur. Leur témoignage est direct, tandis que celui des deux autres Évangélistes, Marc et Luc, n'est généralement que l'écho de ce qu'ils avaient appris des Apôtres ou des témoins immédiats.

Saint Matthieu fut le premier des auteurs inspirés qui rédigea ce que les Apôtres avaient coutume de dire sur le Seigneur Jésus dans leurs prédications ordinaires. La primauté de son Évangile, affirmée par la tradition unanime des Pères, contestée dans les temps modernes par la critique protestante et libre-penseuse, a été proclamée véritable par une décision de la Commission biblique le 19 juin 1911. Il en résulte que saint Matthieu est vraiment le premier des Évangélistes, et que son œuvre, écrite en araméen, dont le texte original est perdu, est fidèlement conservée dans la traduction grecque que nous possédons encore.

Ces raisons expliquent pourquoi l'Évangile de saint Matthieu est mis à la tête des autres Évangiles dans tous les exemplaires du Nouveau Testament.

Le percepteur de l'impôt.

Matthieu, fils d'Alphée, selon saint Marc, était un Juif de Galilée. Il portait aussi le nom de Lévi, mais après sa vocation on ne l'appelle plus que Matthieu.

Avant sa vocation, Matthieu était receveur des impôts publics. Les Juifs détestaient ces fonctionnaires, les appelaient publicains et les enveloppaient d'un souverain mépris. Matthieu avait son bureau à Capharnaüm, centre important de trafic, à cause de sa position sur le lac, à cause aussi de la route des caravanes qui passait par cette ville. Capharnaüm se trouvait, en effet, sur la « voie de la mer », que suivaient les

Page 153: 1 Septembre I

marchands de Damas et de la Mésopotamie pour se rendre en Palestine, en Egypte et aux ports de la Méditerranée. A titre d'employé de la douane-octroi-péage de Capharnaüm, Matthieu était donc très mal vu de ses concitoyens – non qu'il fut un Juif infidèle – tout porte à croire, au contraire, qu'il était un homme pieux, irréprochable et même de haut caractère ; mais la haine dont sa profession était l'objet le plaçait, aux yeux de ses compatriotes, dans la classe exécrée des publicains.

Le publicain.

En aucun pays les « gabelous » n'ont la faveur de la foule. Mais il fut un temps où cette profession était particulièrement honnie, c'était l'époque où l'impôt, au lieu d'être perçu d'après des règles fixes et uniformes par des agents officiels, était affermé à des sociétés ou à des particuliers qui, en faisant rentrer les redevances dans les caisses de l'État, avaient la réputation, pas toujours imméritée, d'opérer aussi pour leur compte et de s'enrichir par des malversations. L'histoire nous apprend qu'en France, par exemple, sous l'ancien régime, le titre de « fermier général » était regardé comme une tare indélébile, quelle que fût, d'ailleurs, l'honnêteté personnelle de celui qui remplissait cette charge tant décriée.

Or, dans l'antiquité, la perception de l'impôt avait lieu par le système de la « ferme générale », et tous les agents du fisc étaient des publicains. Le publicain chef versait à l'État une certaine somme à forfait, et il taxait à son tour les individus, les propriétés, les marchandises, pour rentrer dans ses propres fonds au moyen de ses agents à lui, et, naturellement, avec bénéfice. C'était, dans l'empire romain, une source de gains formidables pour les « fermiers », et aussi de cruelles vexations pour le peuple.

Chez les Juifs, cette impopularité générale à l'égard des agents du fisc était encore aggravée par une susceptibilité d'orgueil national. L'impôt perçu pour les Romains rappelait trop aux Juifs qu'ils étaient un peuple conquis, et cette marque de servitude leur était particulièrement odieuse.

Vocation de saint Matthieu.

Or, c'est dans ce milieu détesté que Notre-Seigneur voulut se choisir un Apôtre. Après la guérison sensationnelle du paralytique qu'on avait introduit devant Jésus par le toit de la maison, le Sauveur se dirigea vers le lac. Il aperçut Matthieu assis au bureau de la douane et lui dit : « Suis-moi. » Aussitôt Matthieu se leva et le suivit.

Ce fut, à n'en pas douter, un grand scandale parmi les scribes et les pharisiens. Ils étaient déjà vexés que Notre-Seigneur eût recruté ses disciples parmi les humbles mariniers du lac : Pierre, André, Jacques et Jean, et voilà que maintenant il prenait un publicain !

Ce fut bien pire quand ils virent Jésus entrer dans la maison de ce péager et se mettre à table avec lui, au milieu de beaucoup d'invités, tous des publicains et des pécheurs, comme l'amphitryon lui-même. Ils ne purent contenir leur indignation, et

Page 154: 1 Septembre I

s'adressant aux disciples, comme pour leur faire honte :- Pourquoi votre maître mange-t-il avec les publicains et les pécheurs ?Ceux-ci ne savaient peut-être quoi répondre, mais Jésus, ayant entendu le

reproche, répondit pour eux :- Ce ne sont pas ceux qui se portent bien, qui ont besoin du médecin, mais ceux

qui se portent mal.Engageant ensuite ces venimeux critiqueurs à considérer la supériorité de la

charité envers le prochain sur les rites sacrificiels et les observances légales, il ajouta :- Allez et apprenez ce que signifie cette parole (du prophète Osée VI, 6) : « Je veux

la miséricorde et non le sacrifice. »Enfin il leur déclara que sa mission en ce monde était justement de sauver les

coupables :- Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs, (Matth., IX, 9-13.)

A partir de ce jour, Matthieu fait partie du collège apostolique. De sa vie avant sa vocation nous ne savons rien, sauf qu'il était publicain. Il est vraisemblable qu'il connaissait déjà le divin Maître et n'ignorait pas les prodiges accomplis par lui à Capharnaüm et dans la Galilée ; qu'il l'avait entendu prêcher dans la synagogue de Capharnaüm, et qu'il avait été ému par la parole de cet homme qui parlait comme nul homme n'avait jamais parlé. Aussi, sur l'appel inattendu que Jésus lui adressa, il n'hésita pas un instant, il quitta tout pour le suivre. Il n'était pas un illettré. Les citations fréquentes de l'Ancien Testament qu'il fera dans son Evangile prouvent sa science des Écritures. Il devait jouir aussi d'une certaine aisance, il possédait une maison, et on peut supposer qu'elle devint désormais celle du Sauveur pendant ses longs séjours à Capharnaüm.

II est cependant fort peu question de saint Matthieu dans l'Évangile. Il n'y est mentionné que trois fois, à l'occasion de sa vocation, du festin qu'il donna à Notre-Seigneur et de l'énumération des Douze dans la liste du collège apostolique. Il ne figure personnellement dans aucune autre scène évangélique.

La liste des Apôtres.

Elle nous est donnée complète par les trois Évangélistes, Matthieu, Marc, Luc et par les Actes des Apôtres. Nous y voyons les Douze toujours répartis en trois groupes de quatre, dont les chefs de file sont toujours les mêmes ; Pierre, Philippe et Jacques le Mineur. L'ordre des autres membres est variable dans l'intérieur de chaque groupe ; aucun cependant ne passe jamais d'un groupe à l'autre.

Pourquoi cette classification et cet ordre ? Il est difficile d'en dire le motif. Est-ce à cause de certains liens de parenté ou d'amitié entre les Apôtres, ou de leurs relations personnelles avec le divin Maître, ou de la date de leur appel à l'apostolat ? Il semble que ce soit pour cette dernière raison, au moins dans le premier groupe ; Pierre, André, Jacques et Jean, qui furent, en effet, les premiers appelés. Toutefois, sur cette classification, on en est réduit aux hypothèses.

Saint Matthieu fait partie du second groupe. Il est à noter que, tandis que

Page 155: 1 Septembre I

l'Évangile de saint Marc et celui de saint Luc mettent Matthieu avant Thomas, Matthieu lui-même, dans la liste qu'il dresse, se place après Thomas, sans doute par humilité ; il est ainsi le dernier du second groupe dans le premier Évangile. Notons aussi que la liste des Actes, faite après la défection de Judas et avant l'élection de Mathias, ne renferme que onze noms.

Voici, d'ailleurs, ces quatre listes, mises en regard les unes des autres.

S.Matthieu S. Marc S. Luc Actes (X, 2-4) (III, 16-19). (VI, 14-16) (I, 13).

1er Simon (Pierre) Simon (Pierre), Simon (Pierre) Pierrepuis André, puis Jacques et André, et Jean,Jacques et Jean, Jacques Jacqueset Jean, André, Jean, et André,

Philippe Philippe, Philippe Philippeet Barthélemy, Barthélemy, et Barthélemy, et Thomas,Thomas Matthieu, Matthieu Barthélemyet Matthieu, Thomas, et Thomas. et Matthieu

Jacques Jacques, Jacques Jacqueset Thaddée Thaddée, et Simon, et Simon et Simon Simon Jude Jude.et Judas. et Judas. et Judas.

Cette liste reparaît au canon de la sainte messe, avec l'addition de saint Paul, toujours inséparable de saint Pierre. Quant à Mathias, le douzième Apôtre élu au Cénacle, il figure seulement dans la seconde liste du canon, après la consécration.

L'Évangile de saint Matthieu.

Cet Évangile est le premier en date, comme nous l'avons dit. Bien qu'il soit impossible de préciser par des documents contemporains l'année et le lieu de sa composition, on peut affirmer qu'il fut écrit à Jérusalem, avant la dispersion des Apôtres, laquelle eut lieu vraisemblablement en l'an 42, après la décapitation de saint Jacques le Majeur, c'est-à-dire neuf ou dix ans après l'Ascension du divin Maître.

Il fut rédigé primitivement en araméen, dialecte hébraïque qui était la langue de la Palestine, et il s'adressait spécialement aux Judéo-chrétiens, ainsi que l'affirme la tradition, et que le prouvent d'ailleurs les caractères intrinsèques de cet écrit. L'auteur, en effet, y rapporte les usages civils et religieux sans les expliquer ; il y parle des villes et des lieux sans en fixer la position topographique, comme ayant en vue des lecteurs parfaitement informés de toutes ces circonstances.

Page 156: 1 Septembre I

Saint Matthieu écrivant l'Évangile.

Toutefois, comme bientôt les chrétiens de langue grecque furent de beaucoup les plus nombreux, une traduction ne tarda pas à en être faite en grec, afin que l'Evangile écrit put être lu dans toutes les assemblées chrétiennes. On ne connaît ni l'auteur ni la date de cette traduction, mais elle est fort ancienne : la première génération qui suivit celle des Apôtres l'avait déjà entre les mains.

Un exemplaire du texte primitif fut emporté, semble-t-il, par les Apôtres lors de leur dispersion, car on en retrouva des traces dans divers pays. Ainsi saint Pantène, le fameux docteur alexandrin, allant, au IIe siècle, évangéliser l'Arabie Heureuse, y trouva l'Évangile araméen de saint Matthieu. « L'Apôtre Barthélemy, au dire d'Eusèbe, avait apporté jadis en ces contrées la bonne nouvelle et laissé aux habitants ce livre écrit en lettres hébraïques, et ils l'avaient conservé jusqu'alors. » (Eusèbe, Hist. Eccl., v, 10.)

Quant au texte grec, le seul qui a subsisté et d'après lequel a été faite la traduction latine de la Vulgate, on en conserva longtemps un exemplaire à Constantinople, au palais des empereurs, voici dans quelles circonstances merveilleuses, elles nous sont racontées par le lecteur Théodore dans la Vie de l'empereur Zénon et par le moine Alexandre dans les Actes de saint Barnabé.

Saint Barnabé avait été enseveli dans l'île de Chypre. Comme on avait perdu la trace de son tombeau, il apparut à Anthémius, évêque de Salamine, et lui indiqua le lieu de sa sépulture, ajoutant qu'on trouverait sur sa poitrine l'évangile de saint Matthieu qu'il avait transcrit de sa propre main.

Les choses se passèrent ainsi que saint Matthieu les avait annoncées.

Page 157: 1 Septembre I

Anthémius en informa l'empereur Zénon et lui envoya le précieux manuscrit, qui fut reçu par l'empereur avec les marques du plus religieux respect, richement revêtu d'or et déposé dans le trésor impérial. Tous les ans, à la « grande cinquième férie de Pâques », c'est dans ce volume qu'on lisait l'Évangile en la chapelle du palais, pendant les saints mystères.

II était donc en grec, langue liturgique dans le rite oriental, et c'est une preuve que cette version grecque datait de l'époque apostolique. Plusieurs l'attribuent à saint Barnabé, ou à saint Jacques le Mineur, ou à Matthieu lui-même.

Caractéristiques du premier Évangile.

En lisant l'Évangile de saint Matthieu on est frappé de l'idée dominante qui y règne d'un bout à l'autre ; c'est de prouver aux Juifs que Jésus est vraiment le Messie promis, tant attendu par eux. L'Évangéliste en appelle sans cesse à l'Ancien testament, surtout aux prophéties, dont il montre l'accomplissement dans la personne du divin Rédempteur. Souvent les faits qu'il rapporte sont accompagnés de cette formule :

« Afin que fut accompli tel oracle de l'Écriture. »Il donne d'abord la généalogie temporelle de Jésus, par où on voit que le Messie

descendait bien de David et d'Abraham comme les prophètes l'avaient annoncé.En nous dévoilant le mystère de la conception de l'Homme-Dieu dans le sein de

Marie par l'opération du Saint-Esprit, il a soin de nous rappeler l'oracle d'Isaïe annonçant que le Messie naîtrait d'une Vierge (I, 22, 23). Il nous rappelle aussi que la fuite en Égypte accomplissait la parole d'Osée : « J'ai fait revenir mon Fils de l’Égypte » (II, 15) ; – que le retour de la Sainte-Famille à Nazareth et non à Bethléem répondait à un autre oracle qui avait appelé Jésus le Nazaréen (II, 23) ; – que le massacre des Innocents avait été vu longtemps d'avance par Jérémie quand il dépeignait l'affreuse lamentation de leurs mères (II, I7).

Il nous dit aussi qu'Isaïe avait annoncé le Précurseur en parlant de la « Voix qui crie dans le désert » (III, 3) ; – que ce même prophète avait fourni la réponse de Jésus aux disciples de Jean lui demandant qui il était (XI, 5) ; – que si Jésus parlait en paraboles, c'était pour accomplir un autre oracle d'Isaïe (XIII, 14) ; – que si le Sauveur se révélait doux et humble de cœur, c'est qu'il était ce « serviteur » mystérieux dont Isaïe avait dit « qu'il ne disputerait ni ne crierait sur les places publiques, qu'il ne briserait pas le roseau cassé et n'éteindrait pas la mèche qui fume encore » (XII, 18).

Dans l'entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, Matthieu voit la réalisation d'une prophétie de Zacharie (XXI, 4, 5). Et de même dans diverses particularités de la Passion : l'arrestation de Jésus, la fuite des Apôtres, la trahison de Judas, les trente pièces d'argent, les dernières paroles de Jésus, toutes ces circonstances sont placées par l'Évangéliste en regard des prophéties qui les annoncent.

Cette recherche du rapport des faits avec les prophéties est très caractéristique du premier Evangile. Ce qui ne l'est pas moins c'est la simplicité du récit, mêlée à tant de majesté et de sublimité.

Tout en étant très populaires, ces pages sont d'une dignité vraiment royale.

Page 158: 1 Septembre I

En outre, les grands discours de Jésus, qui sont aussi une spécialité de Matthieu, donnent à son Evangile un cachet à part.

Il importe encore de se rappeler que Matthieu ne s'astreint pas à suivre un ordre chronologique ; il groupe plutôt les faits, les miracles, les paraboles, les discours, selon un ordre logique. Ce sont comme des tableaux systématiquement arrangés pour nous peindre le Fils de Dieu vivant parmi les hommes. Les choses, sans doute, se passent en gros selon l'ordre des temps, depuis la naissance du Sauveur jusqu'à sa mort, mais on aurait tort d'y chercher un enchaînement chronologique que l'auteur n'y a pas voulu mettre. Ses formules de transition sont ordinairement vagues. C'est ainsi que les expressions : alors, voici, en ce temps-là, en ces jours-là, or il arriva que, reviennent sans cesse sous sa plume.

L'apostolat de saint Matthieu.

Une grande obscurité enveloppe l'apostolat de Matthieu. Quels pays évangélisa-t-il ? En réalité, on n'en sait rien. Les souvenirs traditionnels abondent cependant, mais ils sont tardifs, incohérents, embrumés de légendes et parfois contradictoires.

D’après l'historien Socrate, Matthieu aurait évangélisé l'Ethiopie, mais une Éthiopie qui serait au Sud de la mer Caspienne. Saint Ambroise fait de lui l'apôtre des Perses, saint Isidore celui des Macédoniens, Simon Métaphraste celui des Parthes et des Mèdes. Clément d'Alexandrie assure qu'il mourut de mort naturelle. Nicéphore, au contraire, raconte tout au long le récit merveilleux de son martyre par le feu chez les Éthiopiens, tandis que la légende du Bréviaire le fait massacrer à l'autel pendant qu'il célébrait les saints mystères.

Il est certain que les Apôtres ont parcouru de vastes pays, nous le voyons par l'exemple de saint Paul dont les itinéraires nous sont connus. Aussi l'Eglise applique justement à eux tous, cette parole du psaume XVIII : « In omnem terram exivit sonus eorum, et in fines orbis terrae verba eorum, leur bruit s'est répandu par toute la terre et leurs accents jusqu'aux extrémités du monde. » I1 est vraisemblable que Matthieu, comme les autres Apôtres, a porté la lumière de la foi en diverses contrées, mais quant à préciser avec certitude les lieux qu'il a évangélisés, c'est impossible. Mieux vaut se résigner humblement à ignorer des faits que Dieu a jugé à propos de laisser tomber dans l'oubli.

Culte. – Reliques.

Les Latins et les Grecs honorent saint Matthieu comme martyr, les premiers le 21 septembre, les seconds le 15 novembre. Ses reliques, transportées en 954 d'Éthiopie à Salerne, y furent et soigneusement cachées qu'on en perdit la trace pendant cent vingt ans. On les découvrit dans le caveau secret qui les recelait, seulement en 1080, sous le pontificat de saint Grégoire VII, comme l'atteste une lettre de ce Pape à Alfane, évêque de Salerne. C'est en allant faire la dédicace de l'église de Salerne, consacrée à saint

Page 159: 1 Septembre I

Matthieu, que l'illustre Pontife, persécuté et chassé de Rome par l'empereur d'Allemagne Henri IV, mourut en disant : « J'ai aimé la justice et haï l'iniquité, c'est pourquoi je meurs en exil. »

Le corps de saint Matthieu est toujours entouré à Salerne d'une grande et pieuse vénération. Son chef sacré fut donné à la cathédrale de Beauvais, d'où il a disparu en 1793 pendant la grande Révolution. Toutefois, et heureusement, une partie avait été cédée à Chartres, où on la conserve encore à la Visitation. D'autres localités se vantaient aussi de posséder cette insigne relique : Bruxelles; le monastère de Saint-Tanguy en Bretagne, enfin l'abbaye de Prémontrés de Rengéval en Lorraine d'où elle passa à l'église de Jouy-sous-les-Cotes, où elle est aujourd'hui. Cette étrange multipli-cation de têtes ne peut s'expliquer que par la possession, en ces divers lieux, de fragments du chef de l'Apôtre.

A Rome, une église était dédiée à saint Matthieu, via Merulana. Elle datait du IVe siècle. Pascal II la restaura et la consacra en 1120. C'était un titre cardinalice. A la disparition de ce sanctuaire, sous Napoléon 1er, le titre fut transféré à Saint-Étienne-le-Rond, puis à Notre-Dame de la Victoire.

E.Lacoste.

Sources consultées. – Les saints Evangiles. – M.J. Lagrange, Etudes bibliques : Evangile selon saint Matthieu. – Acta Sanctorum, t. VI de septembre (Paris et Rome, 1867). – L.Venard, Saint Matthieu, dans Dictionnaire de théologie catholique de Vacant, Mangenot et Amann (Paris, 1928). – (V.S.B.P., n° 242).

Page 160: 1 Septembre I

SAINT THOMAS DE VILLENEUVEReligieux Augustin et archevêque de Valence (1488-1555)

Fête le 22 septembre.

Pendant qu'un ex-moine Augustin, l'apostat Martin Luther, scandalisait, déchirait et pervertissait l'Allemagne, un autre moine Augustin, Thomas de Villanueva, dit de Villeneuve, édifiait et sanctifiait l'Espagne.

La famille de Thomas.

Thomas naquit en 1488, à Fuenllana, diocèse de Tolède. Son père, Alphonse-Thomas Garcia, de Villanueva, et sa mère, Lucie Martinez, avaient pour les pauvres une charité si grande qu'on leur donnait le surnom d'aumôniers. Alphonse leur distribuait tout le revenu d'un moulin, et prêtait aux paysans du blé pour la semence, dont il leur faisait ensuite la remise.

Lucie était extrêmement pieuse. Elle se confessait et communiait toutes les semaines. Sous des vêtements simples, elle portait un cilice, jeûnait tous les vendredis, et se retirait à certaines heures dans un oratoire qu'elle avait, avec ses nièces et ses servantes, pour y vaquer à la prière. Elle travaillait pour les pauvres, demandait souvent leur ouvrage à de pauvres ouvrières, le faisait elle-même, puis le leur rendait tout en leur en laissant le salaire. Elle avait pour les pauvres honteux, pour les prisonniers et pour les malades, une véritable tendresse de mère que Dieu se plut à récompenser par des miracles.

Un jour qu'elle avait distribué toute la farine qui lui était venue du moulin, survint un mendiant demandant l'aumône. Elle envoya des servantes examiner s'il n'y avait vraiment plus de farine au grenier. Celles-ci affirmèrent qu'elles avaient tout distribué le matin et qu'il n'en restait pas même la poussière. Lucie insista :

- Allez toujours pour l'amour de Dieu ; balayez bien le grenier car Dieu ne permettra pas que ce pauvre s'en aille de chez nous sans rien avoir.

Les servantes obéirent et s'écrièrent à l'entrée :- Ah ! Madame, qu'est-ce que ceci ? Nous avions laissé le grenier entièrement vide

et le voici tout plein !Et elles se mirent à louer Dieu de sa libéralité.

Page 161: 1 Septembre I

Le petit aumônier.

Témoin des œuvres de miséricorde et de la charitable compassion de sa mère, et prévenu de la grâce de Dieu, Thomas se montra de bonne heure digne de la grâce et digne de sa mère. A l'école, il donnait son déjeuner aux enfants pauvres. Quand il en voyait un mal vêtu, il lui offrait ses propres vêtements pour le garantir du froid. Il revint ainsi à la maison sans habit, sans souliers, tête nue.

Lorsque sa mère avait distribué tout le pain destiné aux pauvres et qu'il survenait quelque mendiant, l'enfant priait sa mère de lui donner sa part du dîner. Souvent la mère y consentit pour mettre sa vertu à l'épreuve. D'autres fois, elle s'y refusait ; alors il demandait sa portion de dîner comme pour la manger avec ses camarades, mais c'était pour la remettre aux pauvres. Un jour que sa mère était sortie sans laisser de pain pour l'aumône, six mendiants vinrent à la porte. Ne pouvant leur refuser la charité, comme il n'avait point la clé de la dépense, il fit main basse sur six petits poulets qui suivaient une poule dans la cour et en remit un à chaque pauvre. Sa mère, ne les trouvant plus à son retour, lui demanda ce qu'ils étaient devenus.

- Ah ! maman, lui dit-il en souriant, lorsque vous sortez, ayez soin de laisser du pain pour les pauvres si vous voulez retrouver vos poulets, car les pauvres sont venus ; comme il n'y avait pas de pain et que je voulais leur faire l'aumône, je leur ai donné un poulet à chacun. S'il en était venu un septième, j'aurais offert la poule.

Quand il recevait quelque monnaie de ses parents, il achetait des œufs et courait les porter aux malades des hôpitaux. A la moisson qu'il présidait, il donnait aux pauvres qui glanaient une partie de son dîner et de celui des moissonneurs, sans qu'il manquât jamais rien à personne, parce que la providence de Dieu y suppléait. Si jeune qu'il fût, il observait les abstinences et les jeûnes de l'Eglise, et faisait sentir à sa chair l'aiguillon d'autres mortifications par les flagellations secrètes, prévenant ainsi les révoltes de la nature ; sa mère le savait et s'en réjouissait.

A l'âge de quinze ans, ses parents, frappés de son intelligence, l'envoyèrent à l'Université d'Alcala. Il y fit ses études avec tant de succès, qu'il fut jugé digne de professer la philosophie et la théologie au collège Saint-Ildefonse en cette ville. Il remplit les mêmes fonctions à Salamanque. Ses vertus croissaient avec l'âge. Il méditait plus que jamais les paroles du Maître : « Celui qui ne renonce pas à tout ce qu'il possède ne peut être mon disciple », et ses exemples, ainsi que ses paroles, gagnaient à la perfection beaucoup de ses compagnons d'étude.

Religieux Augustin.

Ayant appris, pendant le cours de ses études la mort de son père, il se rendit à Villanueva pour sécher les larmes de sa mère et disposer du patrimoine que lui laissait son père en héritage. Il fit de sa maison un hôpital, garda ce qui était nécessaire pour l'entretien de sa mère, et distribua tout le reste aux pauvres. Il entendit alors plus distinctement les invitations du Seigneur : « Oubliez votre peuple et la maison de votre père. » Dans sa vingt-huitième année, il entra dans l'Ordre des Ermites de Saint-

Page 162: 1 Septembre I

Augustin, à Salamanque, y prit l'habit le 21 novembre 1516, jour de la Présentation de la Sainte Vierge pour laquelle il eut toute sa vie la dévotion la plus filiale. Après un an passé dans une admirable austérité de vie, il fit profession le 25 novembre 1517.

Ordonné prêtre trois ans plus tard, Thomas célébra sa première messe dans la nuit de Noël avec une ferveur telle qu'il parut en extase, en disant le Cantique des anges et la préface. Le mystère de cette fête, la naissance du Verbe fait chair pour l'amour des hommes, le pénétrait si vivement que vers la fin de sa vie il ne pouvait dire en public les trois messes de Noël, à cause des ravissements qu'il y éprouvait toujours. Il avança si vite dans la perfection que ses supérieurs, malgré son amour pour une vie obscure, ne lui permirent pas de cacher les talents qu'il avait reçus du Maître.

Il fut employé à enseigner la théologie à Salamanque ; il expliqua aux religieux de son Ordre et à d'autres disciples la doctrine de Pierre Lombard, dit le Maître des Sentences, se conformant en tout à celle de saint Thomas d'Aquin, portant à la fois ses écoliers à la science et à la piété. Il avait coutume de dire que le recueillement du cloître n'excluait point l'étude des lettres, mais aussi que la science sans la piété est une épée dans les mains d'un enfant qui ne peut que se faire du mal sans faire aucun bien aux autres.

Dans le même temps, on le fit prêcher à Salamanque, où la profondeur de sa doctrine et son zèle le faisaient comparer à saint Paul et au prophète Elie. Il réforma tellement la ville, que tous les chrétiens n'y aspiraient plus qu'à la pénitence, à la fréquentation des sacrements, aux œuvres de charité.

L'empereur Charles-Quint l'ayant une fois entendu, voulait toujours l'entendre et se mêlait pour cela souvent à la foule. Il en fit son prédicateur ordinaire, et le Saint sut profiter de son influence pour obtenir de lui de nombreuses grâces en faveur des condamnés.

Elu successivement prieur de Salamanque, de Burgos et de Valladolid, deux fois provincial d'Andalousie et une fois de Castille, il s'acquitta de ces différentes charges avec tant d'humilité, de mansuétude de cœur et de fermeté tout à la fois, qu'il maintenait tous les religieux dans le devoir. Il s'opposait surtout aux nouveautés, se contentant de faire observer toutes les ordonnances des différentes Provinces et des maisons particulières. Il recommandait avant tout quatre choses : la célébration dévote, attentive, respectueuse des divins offices, la méditation et la lecture spirituelle assidue, comme devant chasser toutes les inquiétudes, tous les chagrins, toutes les tentations des religieux ; l'union de la charité fraternelle, sans laquelle les couvents sont des images de l'enfer, la fuite de la paresse, ce vice qui est l'écueil des plus belles vertus religieuses.

Archevêque de Valence.

La sainteté de Thomas allait grandissant de jour en jour, au milieu de ses travaux apostoliques ; il conduisait des personnes du monde à la plus haute perfection, et faisait fleurir les vertus dans toutes les maisons de sa juridiction. Il était prêt pour accomplir de plus grandes œuvres. L'archevêché de Grenade étant devenu vacant, en 1528, Charles Quint, de son propre mouvement, y nomma Thomas de Villeneuve,

Page 163: 1 Septembre I

alors provincial de son Ordre et en cours de visite. Le moine alla trouver l'empereur et fit de si vives instances pour ne pas accepter, qu'il obtint ce qu'il demandait. Seize ans plus tard, l'archevêché de Valence étant libre, Charles-Quint, alors en Flandre, ordonna à son secrétaire d'expédier un brevet de nomination à un religieux Hiéronymite, qu'il désigna. Or, le secrétaire établit le brevet au nom de Thomas. L'empereur, surpris, en ayant demandé la raison, le secrétaire lui répondit qu'il croyait avoir entendu ce nom, mais qu'il pouvait réparer la méprise.

- Non, non, dit le prince ; je reconnais là une Providence particulière, et il faut nous conformer à sa volonté.

Il signa le brevet de nomination (5 août 1544) et l'envoya au Saint, alors prieur de Valladolid.

Thomas, consterné de cet événement, employa les moyens qui lui avaient déjà réussi. Il résista, malgré les instances de Philippe d'Espagne qui gouvernait à la place de son père, malgré les supplications des grands du royaume ; mais il dut céder à l'injonction qui lui fut faite en vertu de l'obéissance et sous peine d'excommunication. Le Pape Paul III, qui avait confirmé son élection le 10 octobre, lui envoya le pallium le 14 novembre. Le prieur agita en pleurant sa cellule, se fit nacrer et se mit en route pour Valence, à pied, avec son habit monastique fort usé, accompagné d'un seul religieux de son Ordre et de deux domestiques.

Le royaume de Valence était depuis longtemps affligé de sécheresse et de stérilité. Tout à coup, quelques jours avant Noël, jour où le nouvel archevêque comptait prendre possession de son Eglise, la pluie tomba en grande abondance comme pour présager les nombreuses grâces de salut qui lui étaient réservées.

Humilité et austérité.

Pendant que la pluie tombait à verse, le portier du couvent des Augustins, hors des murs de la ville, vit arriver deux moines de son Ordre, qui lui demandèrent l'hospitalité pour deux jours. Le prieur, qui attendait la venue de l'archevêque, fut pris de soupçon. Mais en ne voyant que deux religieux, sans lettres d'obédience, sans cortège, il ne sut que penser. Il les reçut cependant, sur la recommandation de leur air modeste, s'excusant de ne pouvoir, à cause de la pauvreté du couvent, leur rendre tous les services dont il les croyait dignes.

- Ne vous en inquiétez pas, Père prieur, lui dit Thomas ; ce père et moi serons contents chacun d’une petite cellule, tant que dureront les pluies ; pour les vivres, nous y pourvoirons nous-mêmes ; tout à l’heure viendra le domestique chargé des dépenses du voyage. Le prieur s’enhardit à la fin et lui dit :

- Je vous en prie, pour l’amour de Dieu, mon Père, ôtez-moi un doute : êtes-vous le seigneur archevêque ?

- Oui, c’est moi, répondit Thomas, qui ne pouvait plus cacher la vérité, quoique je n’en sois ni digne ni capable.

Et le bon prieur de se jeter à ses genoux et de lui baiser la main.

Page 164: 1 Septembre I

Saint Thomas vient prendre possession du siège archiépiscopal de Valence.

Thomas fit son entrée à Valence le 1er janvier 1545, avec ses pauvres habits de moine. Il frappa tout le monde par son recueillement et sa ferveur. Le Chapitre, sachant sa pauvreté, lui fit présent de quatre mille ducats pour son ameublement, mais il les fit porter à l'hôpital pour le soulagement des pauvres.

Une partie du clergé se trouvait dans un de ces dérèglements qui ne prouvent rien si ce n'est la vitalité divine de l'Eglise, laquelle a subsisté malgré tous les scandales. Un grand nombre d'ecclésiastiques menaient une vie mondaine. Le peuple s'autorisait de ces exemples pour s'abandonner aux passions frivoles. Thomas entreprit la réforme, en continuant à mener une vie pauvre et austère.

Son rang d'archevêque ne lui fit rien changer à ses habitudes de religieux. Il n'y avait jamais à sa table que des mets communs. Outre les jeûnes de sa règle qu'il continua à observer aussi rigoureusement qu'au couvent, pendant l'Avent, le Carême, et les veilles de fêtes, il jeûnait au pain et à l'eau, le faisant en secret pour n'être vu de personne. Il garda son habit monastique qu'il raccommodait lui-même comme par le passé. Quand on le Pressait de s'habiller d'une manière conforme à sa dignité, il répondait qu'il avait fait vœu de pauvreté ; que son autorité ne dépendait pas de son extérieur, qu'on ne devait exiger de lui que du zèle et de la vigilance.

Page 165: 1 Septembre I

Son palais était une vraie maison de pauvreté : point de tapisseries, point de meubles recherchés. Il ne portait du linge que quand il était malade, il couchait souvent sur un paquet de branches d'arbres avec une pierre pour oreiller. L'exemple de sa vie, voilà quelle fut la principale industrie de Thomas pour réformer son clergé.

Zèle et charité.

Son premier acte officiel avait été d'annoncer la visite de son diocèse par une lettre pastorale, dans laquelle il exhortait tout le monde à une sincère conversion. Après avoir bien connu l'état des brebis et des pasteurs, il assembla un Concile provincial pour rappeler aux prêtres les règles de l'Eglise. Quelques-uns se soumirent, d'autres résistèrent. A force de douceur, de fermeté, de bons exemples, il en ramenait toujours quelques-uns.

Certains bénéficiers persistaient dans leur vie peu édifiante. Thomas les sollicita longtemps par des paroles amicales à se corriger. Ils promettaient, mais ne tenaient pas. A la fin, l'archevêque les conduisit l'un après l'autre dans son cabinet, puis, fermant la porte, se découvrant les épaules, prosterné devant son crucifix, il disait à chacun :

- Mon frère, ce sont mes péchés qui sont cause que vous ne vous êtes pas retiré de votre mauvaise voie, et que vous avez méprisé tous mes avertissements.

En conséquence, il est juste que je subisse la peine due à ma faute.Et il se flagellait cruellement. Les bénéficiers, émus jusqu'aux larmes, le

supplièrent de s’épargner, promirent de corriger leur vie, et tinrent parole. Il faudrait un volume pour raconter tous les traits du même genre. Et que dire de sa charité ?

L’archevêché de Valence avait un revenu annuel de dix-huit mille ducats. Thomas en donnait trois mille à son prédécesseur, Georges d'Autriche, démissionnaire et devenu évêque de Liége; il en devait deux mille autres pour l'érection de collèges en faveur des fils des Maures ; il en consacrait dix mille au soulagement des pauvres, et le reste servait à l'entretien de sa maison. Chaque jour, cinq cents pauvres se pressaient à sa porte et chacun d'eux recevait une portion avec du pain, du vin et une pièce d'argent. Il contribuait à la dot des filles pauvres ; il avait pour les enfants trouvés une tendresse particulière, récompensait ceux qui les lui apportaient ainsi que les nourrices qui en prenaient le plus de soin. Il n'y avait point de misère qu'il ne soulageât.

Souvent la charité du saint archevêque était accompagnée de miracles. Un jour, considérant de sa fenêtre les pauvres à qui on distribuait l'aumône, il en vit un qui le regardait fixement. C'était un homme perclus des pieds et des mains et qui se soutenait péniblement avec des béquilles. Le Saint se le fit amener :

- Mon frère, lui dit-il, je me suis aperçu de ma fenêtre que vous me regardiez attentivement, et pourquoi cela ? Est-ce que l'aumône qu'on vous accorde ne vous suffit pas ?

- Seigneur, répondit le pauvre, elle me suffit bien à moi, mais j'ai une femme et deux enfants, et cela est partagé entre nous tous, nous sommes tous éprouvés par la misère.

Page 166: 1 Septembre I

- Est-ce que tu ne sais aucun métier pour entretenir ta famille avec ce que je te donne ?

- Seigneur, je suis tailleur, je gagnerais encore ma vie comme auparavant, si je n'étais impotent des pieds et des mains.

Lequel aimerais-tu mieux, de la santé ou d'une aumône plus considérable ?- Ah ! si seulement je jouissais de la santé ! répliqua le pauvre.- Au nom de Jésus-Christ le Nazaréen qui a été crucifié, laisse tes béquilles et va-

t'en guéri chez toi à ton ouvrage.Et le pauvre se leva guéri et s'en alla à son ouvrage.

Extases. – La mort.

Toutes ces œuvres, animées de la foi la plus vive, de la plus tendre piété, de la charité la plus ardente, furent souvent récompensées par des grâces extraordinaires. Pendant ses oraisons, dans la récitation de l'office, dans ses prédications même, il était ravi en extase. L'amour de la prière lui faisait désirer sa cellule pour s'entretenir seul avec Dieu. Jamais il n'avait eu plus d'inquiétude pour son âme que depuis qu'il était archevêque, et il désirait se démettre. Mais ni le Pape Jules III, ni l'empereur, à qui il s'adressa, ne voulurent l'entendre. Il eut recours à Dieu. C'était en 1555. Il passa plusieurs nuits prosterné devant l'image de Jésus crucifié, pleurant et priant pour obtenir de Dieu sa retraite. Il venait d'achever le Miserere en versant un torrent de larmes, lorsque le Sauveur lui dit : « Aie bon courage, au jour de la Nativité de ma Mère, tu viendras à moi et tu te reposeras. »

Il fut atteint, le 29 août 1555, d'une fièvre qui augmenta de jour en jour. L'évêque de Ségovie étant venu lui dire que les médecins conservaient peu d'espoir. Il rendit grâces à Dieu, se mit à genoux, et répéta avec le Psalmiste : « J'ai été réjoui de ce qu'on vient de me dire. Nous irons dans la maison du Seigneur. » Puis il ajouta en modérant sa joie : « Seigneur, si je suis encore nécessaire à votre peuple, je ne refuse pas le travail, autrement, je désire ma dissolution pour être avec vous. »

Il reçut le viatique en présence du clergé, auquel il recommanda de garder les commandements de Dieu, de mener une vie conforme à la sainteté du ministère sacerdotal, de professer toujours un attachement inviolable au Saint-Siège, assurant que, si Dieu lui faisait miséricorde, comme il l'espérait de sa bonté, il prierait pour que la foi ne défaillit point dans l'Eglise de Valence.

II envoya ensuite distribuer tout ce qui lui restait d'argent et ses meubles, donna son lit à un pauvre père de famille, concierge d'une prison, et il voulait être déposé par terre en attendant le dernier soupir, afin que le geôlier put emporter ce qui lui appartenait. On ne voulut point y consentir. Alors le moribond se tourna vers le geôlier et le pria, par le Cœur de Jésus-Christ, de lui prêter ce lit jusqu'à sa mort.

Il demanda que l'on célébrât la sainte messe dans sa chambre et adora une dernière fois, sous les espèces du pain et du vin, Celui qu'il allait contempler bientôt face à face.

Page 167: 1 Septembre I

A la communion du prêtre, il commença le cantique Nunc dimittis, puis, ayant ajouté : « Seigneur, je remets mon âme entre vos mains », il s'endormit dans le Seigneur le 8 septembre, jour de la Nativité de la Sainte Vierge, dans la soixante-septième année de son âge et la onzième de son épiscopat.

II fut enterré, selon son désir, dans le couvent des Augustins où il avait demandé l'hospitalité en entrant à Valence. Son tombeau devint vite le théâtre de miracles sans nombre. Emu de tant de merveilles et se rendant à la sollicitation d'un grand nombre de princes et d'évêques, le Pape Paul V proclama Thomas de Villeneuve Bienheureux le 7 octobre 1618. Alexandre VII l'inscrivit au catalogue des Saints le 1er novembre 1658. Sa fête est fixée au 22 septembre pour l'Eglise universelle, mais l'Ordre des Augustins la célèbre le 18 septembre.

A.R.

Sources consultées. – Œuvres de saint Thomas de Villeneuve. – Monseigneur Paul Guérin, Petits Bollandistes (Paris). – (V.S.B.P., n° 86 et 1072).

Page 168: 1 Septembre I

SAINTE THECLEVierge et martyre (1er siècle).

Fête le 23 septembre.

Il n'y a pas dans l'antiquité chrétienne de nom plus célèbre que celui de cette vierge. On la loue, on l'honore partout d'un culte public et enthousiaste. Lorsqu'on veut souligner les vertus extraordinaires d'une femme, on dit qu'elle est une nouvelle Thècle. C'est ainsi que saint Jérôme nomme sainte Mélanie, et saint Grégoire de Nysse, sa sœur sainte Macrine.

Malgré cette célébrité universelle, on ne sait, d'une façon certaine, que peu de choses sur la vie et le martyre de sainte Thècle. Elle a vécu à Iconium ; elle a été convertie par saint Paul ; elle a gardé sa virginité au Christ ; elle a souffert pour sa foi et sa chasteté ; elle est venue à Séleucie où elle est morte en paix. Toutes ces assertions constituent la trame historique des biographies ou des nombreux panégyriques consacrées à cette vierge martyre. On ne possède pas d'actes authentiques de sa passion. Les écrits de plusieurs Pères ou Docteurs des premiers siècles fournissent des indications assez précises sur les principales circonstances de la vie de celle qu'ils pro-posent comme modèle aux vierges, mais il semble que toutes ces indications aient été puisées à une même source, à un ouvrage apocryphe intitulé : Les Actes de saint Paul, dont la troisième partie, séparée d'assez bonne heure des deux autres, s'occupe tout spécialement de sainte Thècle, de sa conversion, de ses rapports avec l'apôtre, de sa passion.

Les « Actes de Paul et de Thècle ».

On désigne ordinairement cette troisième partie sous le titre d'Actes de Paul et de Thècle. Elle est très ancienne, ayant été composée probablement au IIe siècle, en Asie Mineure (peut-être à Antioche de Pisidie), par un prêtre. Conservé avec plus on moins d'intégrité ou d'exactitude dans des manuscrits syriaques, coptes, grecs, dont certains sont antérieurs au VIIIe siècle, ce document contient des indications, des narrations ou renseignements qui cadrent avec les mœurs de l'époque, l'histoire et la géographie

Page 169: 1 Septembre I

locales. On y trouve aussi des choses invraisemblables, des erreurs théologiques ou historiques. Les Actes de Paul et de Thècle sont loin assurément d'offrir une histoire intégralement authentique de la vie de Thècle : tous leurs détails ne sont pas dignes de créance, mais il serait exagéré de leur refuser, à cause de leur caractère apocryphe, toute valeur, au moins pour certains traits, que l'on a pu contrôler par d'autres documents contemporains.

Malgré les éloges qu'ils leur ont donnés et les emprunts qu'ils leur ont faits, jamais les ecclésiastiques des premiers siècles écrivains n'ont admis l'authenticité de ces Actes. Tertullien écrivait à la fin du IIe siècle :

Qu'on sache bien que celui qui a écrit les Actes de cette sainte Thècle est un prêtre d'Asie ; il les a donnés comme ayant été écrits par Paul l'apôtre, mais, convaincu de fausseté, il dut avouer qu'il les avait inventés par amour pour Paul. On le punit de la dégradation.

Quelques siècles plus tard, l'historien Eusèbe, saint Jérôme et l'auteur du décret gélasien, rangeront les Actes de Paul et de Thècle et les Actes de saint Paul parmi les livres apocryphes, mais non parmi les écrits hérétiques. Vers la fin du IVe siècle cependant les hérétiques commencent à faire usage de l'ouvrage ; ils lui font subir, pour les besoins de leurs doctrines, certaines interpolations ou remaniements alors l'Eglise met les fidèles en garde contre ces fraudes, et les Actes de Paul et de Thècle ne jouissent plus de la même considération auprès des panégyristes ou biographes de la sainte martyre.

La vierge d'Iconium.

Thècle naquit très probablement à Iconium. Cette ville (actuellement Koniah) était située au nord-ouest du mont Taurus, sur les hauts plateaux de l'Asie Mineure, dans la province de Lycaonie. Elle était devenue depuis peu, colonie romaine quand eut lieu, aux environs de l'an 30, vraisemblablement, la naissance de l'enfant. Les parents de Thècle, comptés parmi les familles riches de la cité, lui firent étudier, comme l'affirme saint Méthode d'Olympe, la philosophie et aussi les belles lettres. Ils la fiancèrent ensuite, c'est du moins ce qu'on lit dans les Actes, à un jeune homme appelé Thamyris, appartenant lui aussi à l'une des plus importantes familles d'lconium. Mais Dieu allait bientôt offrir à la jeune fille un autre époux plus digne de son amour et de son cœur virginal. Ce fut l'apôtre Paul qui lui fit connaître cet Epoux céleste auquel elle était réservée.

Sainte Thècle écoute la prédication de saint Paul à Iconium.

Paul et Barnabé s'étaient rendus, vers l'an 45, à Antioche de Pisidie, centre important de nombreuses juiveries, leurs prédications eurent un grand succès. Cependant sous la pression de certains Juifs, ils furent expulsés de ce territoire. Alors ils revinrent sur leurs pas et s'arrêtèrent à Iconium. Durant leur assez long séjour dans

Page 170: 1 Septembre I

cette ville, ils convertirent un grand nombre de Grecs et de Juifs. Dieu opérant par leurs mains miracles et prodiges rendait témoignage à la parole qui annonçait sa grâce. Les habitants d'Iconium étaient comme partagés en deux camps ; les uns étaient dévoués aux apôtres, les autres leur étaient hostiles, excités par les juifs, ennemis de Paul. Ces derniers réussirent à soulever la populace contre les missionnaires de l'Évangile. Pour éviter les mauvais traitements et la lapidation, Paul et Barnabé se réfugièrent dans les villes de Lystres et Derbé ; ils y firent un grand nombre de disciples.

Saint Paul devait repasser encore plus d'une fois par les routes de Lycaonie et d'Iconium. C'est peut-être à son premier séjour à Iconium, lors de sa première mission, qu'on doit rattacher la conversion de Thècle et son extraordinaire entrevue avec l'apôtre. Selon le récit des Actes de Paul et de Thècle, Paul et Barnabé furent reçus dans la maison d'un homme vertueux, nommé Onésiphore. Ils se mirent aussitôt à prêcher, dans cette maison et dans la synagogue, le nom et la doctrine de Jésus-Christ, faisant ressortir, en particulier, l'excellence et la beauté de la chasteté chrétienne.

Des échos de cette philosophie religieuse nouvelle parvinrent jusqu'à Thècle : son âme en fut émerveillée et presque conquise. La jeune fille ne pouvant, à cause de la surveillance ou la tenait sa mère Théoclia, pénétrer jusqu'à saint Paul, se plaçait de longues heures à la fenêtre de sa maison, située non loin de celle d'Onésiphore, pour écouter l'apôtre et recueillir ainsi dans sa source cet enseignement qui lui paraissait si beau. Cette attitude étrange, jointe au peu d'empressement que Thècle mettait à recevoir les visites de son fiancé, inquiéta ses parents. Ils firent de vains efforts pour la soustraire à la force conquérante de l'Évangile et de la chasteté.

Une visite héroïque et bienfaisante.

Si l'on croit les Actes de Thècle et le témoignage de saint Jean Chrysostome, saint Paul fut mis en prison à Iconium. On l'accusa de jeter le trouble dans la ville, d'ensorceler les femmes et de pervertir la jeunesse par ses nouvelles maximes. Les parents et le fiancé de Thècle ne furent probablement pas étrangers à ces imputations calomnieuses. Loin d'effrayer la jeune fille, l'incarcération de l'apôtre ne lui inspira que plus de courage. Voulant à tout prix voir le prisonnier pour être mieux instruite de la vérité divine, elle offre au geôlier et au gardien ses pendants d'oreilles, son miroir d'argent, et obtient l'autorisation de pénétrer jusqu'à saint Paul.

« Elle sacrifiait son or et ses parures, dit saint Jean Chrysostome, plus empressée d'embellir son âme des invisibles grâces de la foi que son corps de l'éclat des pierres précieuses. » L'apôtre se hâta d'instruire cette âme avide de lumière, de la fortifier dans sa foi naissante et dans sa résolution de garder la chasteté. A mesure qu'il parlait, Thècle, dit saint Grégoire de Nysse, « sentait s'éteindre le feu de la jeunesse, lui devenir indifférents les charmes de la beauté, s'évanouir tous les attraits des sens ; la parole divine prenait vie et finissait par subsister seule dans son âme, y ayant fait mourir tout le reste ».

Page 171: 1 Septembre I

Épouse du Christ et victorieuse des flammes du bûcher.

La jeune fille était devenue parfaitement chrétienne et bien décidée à rester vierge pour l'amour de Jésus-Christ son Sauveur. A cette nouvelle inattendue qui contrecarrait tous leurs plans, sa mère et son fiancé furent profondément surpris et irrités. Sollicitations, caresses, menaces, colère, tout vint échouer contre l'inébranlable résolution de la néophyte. On eut alors recours aux magistrats afin de l'effrayer et de l'amener plus sûrement à se soumettre aux volontés de ses parents. Thècle fut accusée d'être chrétienne et infidèle à la promesse de mariage qu'elle avait faite. Sommée de renoncer à Jésus-Christ et d'accepter la main de l'époux qui lui était destiné, elle répondit qu'elle était chrétienne et qu'elle voulait demeurer vierge. Il est à croire que bien des moyens furent employés pour vaincre sa constance ; ils n'eurent aucun succès. A la fin, les magistrats, influencés peut-être par les clameurs de la populace, la con-damnèrent à être brûlée vive.

Un grand brasier fut préparé sur la place publique ou dans l'amphithéâtre. La vierge y entra intrépide et modeste ; elle fit le signe de la croix, priant Dieu de recevoir son âme : c'était pour sa foi et pour garder sa virginité qu'elle allait mourir. Les assistants, voyant les flammes envelopper de toutes parts le corps de Thècle, crurent qu'il serait vite consummé. Il n'en fut rien. Le feu respecta sa chair virginale : « miracle de la virginité », dit saint Grégoire de Nazianze. Un épais nuage déversa sur le bûcher une pluie abondante et mit le désordre parmi les spectateurs. Thècle, miraculeusement délivrée, fut recueillie par une famille chrétienne.

Avec saint Paul évangélisant l'Asie Mineure.

Sur la route d'Iconium à Daphné, elle retrouva saint Paul qui, chassé de la ville avec plusieurs disciples, s'était réfugié dans un monument funéraire des environs. Elle demanda, paraît-il, à l'apôtre, de pouvoir le suivre dans ses courses apostoliques, afin de l'aider à gagner des âmes au Christ. Paul consentit à ce que Thècle l'accompagnât jusqu'au moment où elle put se fixer au milieu de quelque chrétienté naissante. Là, elle serait tout à l'abri des persécutions de sa famille et comme un apôtre parmi les néophytes.

Condamnée aux bêtes pour avoir défendu sa chasteté.

Se trouvant à Antioche, la vierge chrétienne fut l'objet d'insolentes et violentes attaques d'un homme puissant qui avait du crédit auprès du gouverneur romain. Insultée en pleine rue, Thècle déchira la tunique de son agresseur, lui arracha la couronne qu'il portait en qualité d'organisateur de réjouissances religieuses, le couvrit de contusion devant les spectateurs. Furieux d'avoir été ainsi éconduit et humilié, cet homme la dénonça aux magistrats d'Antioche comme chrétienne et comme coupable

Page 172: 1 Septembre I

de sacrilège. Elle fut condamnée à être exposée aux bêtes. Les femmes de la ville qui avaient connaissance de la conduite de Thècle protestèrent avec force contre cette sentence injuste. En attendant le jour fixé pour le supplice, la vierge fut hébergée par une princesse de sang royal, qui, ayant perdu son mari et sa fille Falconilla, s'était retirée à Antioche.

Triphéna, c'était le nom de cette veuve, avait obtenu du gouverneur l'autorisation de recueillir Thècle et d'abriter ainsi sa vertu.

Au jour indiqué, elle la conduisit avec des larmes jusqu'à l'amphithéâtre. Thècle fut dépouillée d'une partie de ses vêtements, attachée à un poteau au-dessus duquel se trouvait un écriteau portant ce simple mot : sacrilège.

Malgré les cris indignés d'un grand nombre de femmes présentes, on lâcha contre elle une lionne furieuse. Oubliant sa férocité naturelle, l’animal vint lécher de sa langue les pieds de la vierge. On fit alors avancer un lion et un ours. La lionne couchée à côté de Thècle se retourna, les yeux étincelants, prête à la défendre contre ces deux ennemis.

Et de fait, elle engagea avec chacun d'eux une lutte terrible et victorieuse ; pendant tout ce temps, la martyre priait. Dans son célèbre ouvrage consacré aux vierges, saint Ambroise a retracé en termes saisissants cette victoire de la chasteté chrétienne qui força les bêtes les plus sanguinaires au respect et à la compassion. La lionne, en demeurant couchée, les yeux fixés en terre, enseignait aux persécuteurs cruels, impies, impudiques, l'humanité, la religion, la pudeur.

« Je suis la servante de Dieu. »

Selon ses Actes, Thècle eut à subir une troisième catégorie de supplices. On la jeta dans une sorte de fosse remplie probablement de reptiles venimeux ou d'autres animaux dangereux. Elle en sortit saine et sauve. Attachée ensuite à des taureaux furieux qui dans leur marche désordonnée devaient l'écarteler, elle ne ressentit aucun mal, car les liens se brisèrent d'eux-mêmes.

Des prodiges aussi éclatants ouvrirent les yeux du gouverneur romain. Il fit approcher Thècle et lui dit : « Qui es-tu ? Qu'y a-t-il en toi pour qu'aucune des bêtes sauvages ne t’ait touchée ? » Elle répondit : « Je suis la servante de Dieu, maître de l'univers. Il n'y a pas en moi autre chose que la foi en Jésus-Christ, Fils de Dieu et Sauveur du monde. » Elle fut ensuite remise en liberté et vécut quelque temps dans la maison de Triphéna déjà gagnée à la foi chrétienne.

La joie était grande parmi les chrétiens d'Antioche de posséder la martyre, mais celle-ci m'avait qu'un désir : revoir saint Paul. Accompagnée de plusieurs disciples, elle se rendit à Myre à cette fin. Elle raconta au grand apôtre les grâces dont Dieu l'avait favorisée au milieu des supplices qui lui avaient été préparés à Antioche. Elle le quitta dans les larmes, ayant reçu sa bénédiction et ses recommandations suprêmes.

Page 173: 1 Septembre I

Mort de sainte Thècle.

Thècle revint à Iconium pour y prêcher la parole de Dieu. Thamyris était mort depuis longtemps. Théoclia vivait encore. Pour l'amener à la foi chrétienne, sa fille employa tous les moyens : ce fut en vain. Ne pouvant arriver à convertir sa mère et ses parents, Thècle quitta la maison paternelle et le pays natal. Elle se rendit à Daphné et de là, à Séleucie d'Isaurie.

Cette ville était située au sud du Taurus, non loin de la mer.Dans ses environs immédiats, Thècle se fit comme un petit ermitage où elle vécut

de longues années, édifiant les chrétiens par sa chasteté et sa charité, instruisant tous ceux qui s'adressaient à elle pour connaître l'Evangile du Christ. Elle mourut en paix, dans un âge fort avancé. Quoiqu'elle n'ait pas perdu la vie d'une manière sanglante à cause de sa foi, les terribles souffrances qu'elle a endurées pour le Christ lui ont valu le titre de martyre.

L'épisode de la persécution soulevée par les médecins de Séleucie contre Thècle, coupable de guérir les malades sans exiger d'eux des honoraires, celui du rocher qui s'entrouve miraculeusement pour protéger la vierge contre des scélérats qui en voulaient à sa vertu et pour servir de sépulture à son corps, le voyage de Thècle à Rome, n'ont aucun fondement historique. Ces divers épisodes ont été ajoutés au texte primitif des Actes de Paul et de Thècle, vers la fin du Ve siècle au plus tôt.

Tombeau et reliques.

Thècle est morte à Séleucie. C'est là que son tombeau est vénéré, aussi bien par les habitants de la ville et des environs que par les étrangers. Saint Grégoire de Nazianze va chercher près de ces reliques sacrées, un asile contre les honneurs de l'épiscopat qui le poursuivent. Retournant dans les Gaules par l'Asie Mineure et Constantinople, la pèlerine qui fit, vers 395, un voyage aux Lieux saints (elle a laissé le récit de son long pèlerinage), visita le tombeau ou martyrium de sainte Thècle à Séleucie. Basile, évêque de Séleucie au Ve siècle, affirme que Thècle est une des gloires de cette cité qui possède son corps sacré.

Des prodiges de tout genre s'accomplissent sur le tombeau, que surmonte une colonne, et attirent de nombreux visiteurs, car, la Sainte exauce toujours les demandes qui lui sont adressées. Il est question de ces célèbres pèlerinages dans les Actes du septième concile œcuménique. Jacques II (1260-1327), roi d'Aragon, demanda au roi d'Arménie, dont dépendait au XIVe siècle la ville de Séleucie du Taurus, une partie des reliques de sainte Thècle. On voulut bien lui donner un os du bras de la martyre. Cette relique insigne, transportée vers 1320 à Barcelone, fut ensuite déposée dans l'église métropolitaine de Tarragone, dédiée à sainte Thècle. En 1223, l'église cathédrale de Riez, aujourd'hui au diocèse de Digne, était, paraît-il, en possession d'une partie

Page 174: 1 Septembre I

notable des restes de sainte Thècle : le crâne et un os d'un bras ; cette dernière relique fut ensuite cédée à l'église collégiale de Notre-Dame de Vernon, au diocèse d'Evreux.

Les églises cathédrales de Chartres et de Milan, ainsi que diverses localités d'Italie et d'Allemagne, vénèrent aussi des reliques plus ou moins considérables de la vierge d'Iconium.

Culte universel témoigné à la vierge martyre.

Dès avant le IVe siècle, une église est bâtie à l'endroit où se trouve le tombeau de sainte Thècle. Plus tard, l'empereur Zénon (474-491) élève à Séleucie un superbe temple en l'honneur de la martyre dont l'assistance lui avait permis de vaincre l'usurpateur Basilisque et de recouvrer l'empire. Le culte de sainte Thècle se répand dans l'Asie Mineure, en Égypte, dans la Haute-Italie : on trouve à Constantinople, à Nicée, à Milan, etc., des églises qui lui sont dédiées. A Rome, il y avait au Borgo San-Spirito un monastère et une chapelle sous son vocable : ils furent enrichis de nombreux privilèges par les Papes Jean XIX et Benoît IX.

La fête de la vierge « protomartyre », l'émule de saint Étienne, est Célébrée partout dès la plus haute antiquité, remarque Baronius. Les plus anciens pères de l'Eglise ne tarissent pas d'éloges quand ils parlent d'elle. Saint Epiphane la place à côté de la vierge Marie ; saint Jean Chrysostome souligne qu'elle a donné ses bijoux pour voir Paul ; saint Ambroise lui a voué un culte spécial ; il en parle avec admiration, et une émotion pleine de tendresse. Sans cesse il la propose à l'imitation des vierges chrétiennes et lui fait élever une église à Milan. Dans son célèbre ouvrage intitulé le Banquet, saint Méthode (. 311), évêque d'Olympe (Asie Mineure), met sur les lèvres de sainte Thècle un éloge de la chasteté qui l'emporte sur celui de ses neuf compagnes et lui mérite la palme.

L'Eglise grecque, au moins depuis le VIIe siècle, célèbre la fête de sainte Thècle le 24 septembre. Croyant posséder le chef de la vierge martyre, l'église de Milan avait adopté cette même date. C'est au 23 septembre que le Martyrologe romain insère l'éloge de « sainte Thècle, vierge convertie à la foi par l'apôtre saint Paul ». Quant à l'office liturgique de la Sainte, il a été réduit par saint Pie V à une simple commémoraison : il avait, dans le Bréviaire antérieur à la réforme faite par ce Pape, un rite plus élevé. Dans l'oraison destinée à recommander à la miséricorde divine les âmes des agonisants, l'Eglise fait cette prière : « Nous vous supplions, Seigneur, qui avez délivré la bienheureuse Thècle, vierge et martyre, de trois cruels tourments (bûcher, bêtes, eau) d'avoir aussi la bonté de délivrer cette âme et de lui faire la grâce de jouir avec vous des biens célestes. »

F.C.

Page 175: 1 Septembre I

Sources consultées. – Acta Sanctorum, t. Vl de septembre (Paris et Rome, 1867). – F.Cabrol, La légende de sainte Thècle, dans la revue Gethsémani et le monde (Paris, 1895). – Tillemont, Mémoires, etc., t. II. – L. Vouaux, Les Actes de Paul et ses lettres apocryphes (Paris, 1913). – F. Martin, Les vierges martyres, t. 1er (Paris, 1874). – L. Duchesne, Les anciens recueils de légendes apostoliques, dans Comptes rendus du Congrès scientifique international des catholiques (1894). – (V.S.B.P., n° 294.)

………….

PAROLES DES SAINTS________

La persévérance finale.

Embrassez d'un grand courage tous les moyens et voies nécessaires pour avancer et persévérer jusqu'à la fin ; car un bon commencement ne suffit point sans la persévérance.

Sainte Angèle Merici.

Page 176: 1 Septembre I

SAINT GÉRARDEvêque de Csanad et martyr (t 1046).

Fête le 24 septembre.

Saint Gérard est l'un des nombreux patrons de la Hongrie. Sa vie nous est connue par deux récits d'une valeur inégale ; le premier est dû à un auteur anonyme qui est presque le contemporain du saint évêque et qui a pu le connaître en sa jeunesse, bien qu'il écrive après 1083, date de l'élévation des reliques. Le second, publié à Venise en 1597, et qui a pour auteur un Bénédictin flamand, Dom Arnold Wion, offre beaucoup moins de garanties quant à la véracité des faits racontés. C'est du premier presque exclusivement qu'il convient de s'inspirer.

Formation bénédictine.

Gérard naquit à Venise vraisemblablement vers 970 ou 980. Une tradition qui ne semble pas remonter plus haut que le XVe siècle et dont un office local se fera l'écho, fait de lui le descendant de la famille Sagredo ; la chose n'est point prouvée. Quoi qu'il en soit, dès sa plus tendre enfance il se signala par sa piété angélique ; aussi ses parents le confièrent-ils, âgé tout juste de cinq ans, aux moines Bénédictins de l'abbaye de Saint-Georges le Majeur à Venise, pour lui faire apprendre les sciences divines et humaines. Nous n'oserions affirmer, comme on l'a fait, que Gérard fut admis à un âge si tendre dans l'Ordre Bénédictin.

D'un talent précoce, l'enfant se mit à étudier avec ardeur les sciences humaines, heureux surtout de pouvoir joindre à ces occupations le service de l'autel, et ainsi la culture de la piété ne le cédait en rien chez lui à celle de l'intelligence.

Il est difficile de prouver que Gérard entra finalement dans la famille bénédictine et fit profession au couvent de Saint-Georges ; la chose toutefois n'est pas impossible.

Par contre, il ne fut jamais Abbé de ce monastère, et si Saint-Georges eut à sa tête, comme il a été dit, un personnage nommé Gérard Sagredo, il faut voir en cet Abbé un homonyme quant au nom de baptême ou au nom de religion, et non le même personnage.

Page 177: 1 Septembre I

II est rapporté aussi que dans son adolescence Gérard, en raison des vertus qu'il pratiquait avec tant de perfection, jointes à la noblesse de sa naissance, se vit offrir une stalle canoniale par le Chapitre de la basilique de Saint-Marc à Venise. Ici encore les preuves font défaut.

Départ pour l'Orient.

Sous l'impulsion de la grâce, Gérard conçut le dessein de suivre l'exemple que donnaient, vers le début du XIe siècle, de nombreux chrétiens d'Italie ou de France, c'est-à-dire de faire le pèlerinage des Lieux Saints. Il recruta quelques compagnons de route et partit pour aller vénérer les traces du Sauveur à Jérusalem. C'était selon toute vraisemblance, aux environs de l'an mille.

Les pèlerins arrivèrent en Hongrie. Ce pays avait alors à sa tête l'illustre saint Étienne ; en 997 le prince avait reçu le titre de duc ; trois ans après il devait ceindre la couronne royale. Avec le zèle d'un apôtre, Étienne détruisait les temples des idoles et plantait en même temps que l'étendard de la foi catholique, la vraie civilisation au milieu d'un peuple encore barbare.

Depuis longtemps, il cherchait des ouvriers apostoliques pour défricher cette terre que le Seigneur lui avait confiée.

Gérard voulait s'édifier au spectacle des vertus du saint roi ; mais ce dernier ne mit pas longtemps à apprécier le trésor que le ciel venait de lui envoyer. Il retint par la persuasion le serviteur de Dieu et congédia avec de bonnes paroles les autres pèlerins.

Nous ne nous arrêtons pas au récit que l'on trouve ailleurs, d'un pèlerinage en Terre Sainte, d'un séjour au Mont Carmel, d'une mission confiée à Gérard par le patriarche de Jérusalem, près des princes chrétiens d'Europe, d'un voyage à Rome où le Pape Benoît VIII à son tour, charge le jeune Vénitien d'une autre mission près de l'empereur d'Allemagne saint Henri II.

L'histoire suffit ; elle est assez belle par elle-même sans qu'on y ajoute des épisodes édifiants mais dénués de fondement.

Cependant l'heure n'était pas venue d'entreprendre l'évangélisation méthodique de la Hongrie, qu'il fallait tout d'abord pacifier. En attendant le moment propice, Gérard, sur qui la solitude exerça toujours un attrait particulier, se retira en un lieu appelé Boel ou le Beel, au diocèse de Veszprem. Là, comme un nouveau Moïse, il ne cessa d'élever ses mains vers le ciel, pour obtenir l'entière conversion du peuple hongrois. Joignant à la prière les pénitences les plus rigoureuses, le corps recouvert d'un rude cilice, n'ayant pour couche que la terre nue, se faisant parfois battre de verges comme un malfaiteur, il passa sept années dans cette retraite.

Son âme, souvent favorisée de douceurs surnaturelles et de célestes visions, n'en ressentait pas moins cependant, à certaines heures, les attaques du démon. Dieu se plut à récompenser tant de vertus par des prodiges remarquables. Au milieu de son désert de Beel, dit un hagiographe, les cerfs s'approchaient de l'ermite pour le servir, comme autrefois le corbeau qui apportait du pain au prophète Elie, et, vivant dans sa compagnie, les animaux lui obéissaient comme à Adam dans le Paradis terrestre.

Page 178: 1 Septembre I

Retour au milieu des hommes.

L'âme de Gérard avait pris des forces nouvelles dans les exercices d'une si longue et si fervente retraite. Il avait retrempé ses armes spirituelles et se trouvait prêt à de nouveaux combats. Il céda donc aux instances du roi Etienne qui le suppliait de revenir éclairer et civiliser son peuple et se livra de toutes ses forces au ministère de l'évangélisation. Malgré leur férocité, d'ailleurs tempérée par une grande loyauté, les Hongrois idolâtres ressentirent en peu de temps les effets merveilleux de sa parole. Pour la rendre plus efficace, le missionnaire ne cessait d'implorer le secours de la Vierge Marie, qu'il honorait d'un culte spécial, et de s'imposer de rudes mortifications.

L'épiscopat.

Au début du XIe siècle, saint Etienne, en vue de faciliter la conversion de son royaume, avait divisé la Hongrie en évêchés qu'il avait lui-même pourvus. Son initiative reçut la pleine approbation du Pape Sylvestre II. C'est dans ces conditions que Gérard se vit appelé au siège de Csanad. Il s'employa plus que jamais au salut des âmes dont il avait la charge. On le vit parcourir les campagnes du royaume pour annoncer la foi. Dieu mettait sur ses lèvres tant d'éloquence et dans ses paroles tant d'onction, qu'il convertit un grand nombre d'âmes. Le progrès de la foi était attesté par les églises qu'on voyait s'élever dans les agglomérations importantes, et ou, des populations, naguère encore idolâtres et barbares, venaient apprendre à aimer le vrai Dieu par-dessus toutes choses et les autres hommes comme leurs frères. C'est ainsi que Csanad s'enrichit d'une basilique somptueuse, dotée d'immenses bénéfices par la largesse de saint Etienne.

Gérard pouvait-il oublier Celle à qui il s'était consacré dès sa plus tendre enfance ? Non content de dédier à Marie une chapelle spéciale, il établit dans la semaine un jour spécialement consacré à l'honorer, pieux usage qui, ensuite, s'étendit à beaucoup d'autres églises. Chaque samedi, en effet, une fête se célébrait en l'honneur de la Très Sainte Vierge ; et les autres jours, après les Vêpres, l'évêque se dirigeait lui-même, avec tout son clergé, devant son image pour chanter quelque hymne mariale. Par les soins de Gérard, le royaume tout entier fut placé sous la puissante protection de la Mère de Dieu. Tel était son respect pour elle, qu'il ne prononçait son nom qu'à genoux et en baisant la terre. Sa dévotion mariale ressort encore de ce trait que si quelque coupable, implorait son pardon au nom de la Mère de Jésus, l'homme de Dieu versait des pleurs en abondance et comme un coupable implorait lui-même miséricorde.

Le cœur du serviteur de Marie se faisait surtout remarquer par son admirable charité. Riches et pauvres accouraient à lui. Les uns pour recevoir ses conseils, les autres pour implorer sa charité bienfaisante. Ayant sans cesse devant les yeux l'exemple du Fils de Dieu qui voulut, pour notre amour, vivre de la vie des pauvres, Gérard se dépouillait de tous ses biens pour les donner aux indigents. Un jour, un lépreux se présente à la demeure de l'évêque qui ne sait d'abord comment lui venir en aide, car il a tout donné ; mais la charité est ingénieuse à trouver des moyens pour

Page 179: 1 Septembre I

secourir le prochain. Gérard fait reposer le pauvre sur sa couche et, quant à lui, il se contente de la terre nue, ne le voyait-on pas parfois, durant la nuit, sortir de son palais, se diriger vers la colline voisine, et là, après avoir coupé du bois, le rapporter lui-même, autant pour exercer son humilité que pour soulager ses serviteurs !

Ses travaux apostoliques avaient fini par lui occasionner une grande faiblesse. Comme il ne pouvait plus marcher à pied, il avait coutume de se faire conduire dans un petit chariot. Or, il advint que le conducteur, soit par négligence, soit par malice, le laissa tomber, ce qui fut pour l'infirme, la cause de grandes douleurs. Distrait par d'autres pensées, Gérard s'abandonne à un mouvement d'impatience et, sans réfléchir, il ordonne à ses serviteurs de châtier le délinquant. Quel ne fut pas son saisissement d'apercevoir, quelques instants après, le malheureux conducteur attaché à un arbre et les épaules couvertes de sang. A cette vue, navré de douleur, il se jette à ses pieds, lui demande pardon les yeux en larmes, baise ses plaies et le renvoie après l'avoir comblé de présents.

Courageuse fermeté de saint Gérard.

Ce fut au milieu des progrès toujours croissants du catholicisme en Hongrie, que Dieu appela à lui, au jour de l'Assomption de l'année 1038, saint Étienne, le fidèle serviteur de Marie. A sa place fut élu un fils de sa sœur, nommé Pierre. D'un caractère faible, sans amour de la justice, et livré aux plus mauvaises passions, le nouveau roi fut bientôt pour tout son peuple l'objet du plus grand mépris. Son cœur déjà endurci au mal ne se laissa toucher par aucune des paternelles observations de Gérard. Après trois ans d'un règne scandaleux, il fut chassé par ses sujets. Les Hongrois jetèrent alors les yeux sur Aba, que les Allemands appellent Ovon, cousin de saint Étienne, et ils le proclamèrent roi.

Tout d'abord, les catholiques purent à juste titre fonder sur l'élu les plus belles espérances ; mais bientôt lui aussi se précipita avec tant d'ardeur dans la voie du vice, qu'il en vint à faire regretter son prédécesseur. Présumant que plusieurs seigneurs de son entourage voulaient replacer Pierre sur le trône, il les fit égorger devant lui, et sans leur fournir aucun moyen de défense. Les mains encore teintes du sang des victimes, il demanda à Gérard, qui était sans doute le doyen des membres de l'épiscopat, et peut-être en l'absence de l'archevêque d'Esztergom, de placer sur sa tête la couronne royale, le jour de Pâques 1042, L'évêque de Csanad repoussa avec force une telle proposition, mais d'autres eurent le triste courage de se prêter à ces désirs coupables.

Gérard ne peut rien contre la force, mais du moins fera-t-il entendre les protestations de son cœur indigné. Au jour fixé pour le couronnement, l'âme remplie d'une sainte indignation, oubliant dans cette circonstance sa douceur habituelle, il monte en chaire, et là, devant la foule, adresse au roi ces paroles énergiques :

« Prince, l'Eglise a institué le saint temps du Carême pour que les pécheurs puissent faire pénitence. Tu n'as pas demandé à Dieu pardon de tes crimes ; aussi, devant Dieu et devant cette foule, tu es indigne, je le déclare, que je t'appelle du doux nom de fils. Je méprise ta colère et je suis prêt à mourir sur-le-champ, si cela est nécessaire, pour venger l'honneur de mon Dieu. Je te le prédis cependant, à la

Page 180: 1 Septembre I

troisième année de ton règne, le glaive dont tu t'es servi si cruellement contre tant d'autres se retournera contre toi, et tu seras forcé de laisser ce sceptre encore teint du sang de tes injustices. »

Couvert de honte, Aba dissimula sa colère et résolut de remettre à plus tard l'heure de la vengeance. Dieu ne lui en laissa pas le temps, car Pierre, son prédécesseur, crut le moment favorable pour ressaisir la couronne. Aba marcha à sa rencontre avec une armée formidable ; mais l'heure de la justice divine avait sonné. Il trouva la mort sur le champ de bataille.

Les ennemis de la foi. – Le martyre.

Le moment approchait où Gérard allait recevoir la récompense de tous ses travaux apostoliques, mais auparavant Dieu voulut qu'à la couronne des confesseurs vint se joindre sur son front celle des martyrs.

Pierre avait donc été replacé une seconde fois sur le trône de saint Étienne. Son peuple pouvait à juste titre compter sur une conversion sincère, mais il fut trompé dans ses espérances. S'enfonçant de plus en plus dans l'abîme, le prince donna libre cours à ses injustices et à ses cruautés, malgré les avertissements de Gérard. Après trois ans d'un règne honteux, les hongrois résolurent de secouer de nouveau le joug intolérable qui pesait sur eux.

Exilés depuis le couronnement de Pierre, deux jeunes seigneurs, André et Leventa, attendaient un moment favorable pour pouvoir revenir dans leur patrie. Les seigneurs de la cour les prièrent de venir partager ensemble les honneurs du trône, mais à des conditions honteuses. « Promettez-vous, leur dirent-ils, de faire tous vos efforts pour abolir la religion catholique dans le royaume ? » Les deux prétendants, excités par l'appât des honneurs, le promirent ; ils s'appuyaient d'ailleurs sur ce faux principe que l'État peut s'accommoder de toutes les lois. Parvenus au terme de leurs désirs, ils se hâtèrent d'accomplir leurs promesses en essayant de déraciner du cœur de leurs sujets les germes de cette foi catholique qui, grâce aux travaux de Gérard, avait produit des fruits admirables.

Bientôt le sol de Hongrie n'offrit plus que le spectacle de la désolation. Les prêtres et les moines étaient décapités, les églises profanées, et sur cette terre, hier encore féconde en prodiges de foi, l'œil attristé voyait surgir de nouveau des temples d'idoles. Malgré les persécutions dont ils étaient les auteurs, les deux princes voulurent se faire couronner à Buda, où séjournait alors la cour, à la grande douleur de tous les cœurs catholiques. Ils partirent donc accompagnés d'une nombreuse suite. Plusieurs prélats, parmi lesquels se trouvait Gérard, vinrent à leur rencontre pour les saluer. Ce dernier passa en oraison la nuit qui devait précéder l'entrevue, dans une église dédiée à sainte Sabine. Là, le front prosterné à terre, et le cœur rempli d'amertume, il disait : « Seigneur, prenez pitié de vos fidèles et défendez notre cause. - Ne crains point, lui répondit Notre-Seigneur; mais tressaille plutôt d'allégresse, car aujourd'hui je poserai sur ton front la couronne des martyrs. »

Page 181: 1 Septembre I

Encouragé par ces paroles, Gérard se revêtit alors des ornements sacerdotaux pour célébrer les Saints Mystères, et, s'adressant aux évêques qui l'accompagnaient, il leur dit : « Aujourd'hui même, vous verserez votre sang pour la cause du Christ, mais quant à vous, Bénétha (il s'adressait à l'un des évêques), vous n'aurez pas ce bonheur. Je le sais, car cette nuit j'ai vu le Christ nous distribuant à tous son corps et le calice de son sang : vous seul n'étiez pas admis à cette table où se trouve la force des martyrs. »

Tous alors se disposèrent à la mort et célébrèrent le Saint Sacrifice. Ils marchèrent ensuite jusqu'au Danube afin de rencontrer ces nouveaux chefs. Ils arrivaient sur les bords du fleuve, quand, tout à coup, ils voient accourir sur eux une bande de païens à la figure sinistre dont le chef avait été le premier à apostasier la vraie foi pour retourner au culte des idoles.

En apercevant les pontifes du Seigneur, l'apostat est saisi d'une violente colère ; leur vue excite au fond de son âme de nouveaux remords, aussi ordonne-t-il de les massacrer à coup de pierres. Bénétha seul parvient à s'échapper. Mais c'est surtout contre Gérard que s'exerce la colère des meurtriers. Ils dirigent sur lui une grêle de pierres, en poussant des cris horribles.

L'évêque de Csanad fait le signe de la croix, et aussitôt les pierres restent suspendues en l'air. A la vue de ce miracle, la rage des meurtriers ne fait que s'accroître ; ils foncent sur lui comme des bêtes fauves, le traînent au sommet des roches gigantesques qui dominent le Danube, le précipitent dans l'abîme et contemplent, avec une joie sauvage, le corps meurtri du martyr bondissant de rocher en rocher et les teignant de son sang.

D'autres soldats l'attendaient en bas ; ils ont peine à reconnaître les traits d'un homme dans la masse ensanglantée qui tombe à leurs pieds. Cependant, ils remarquent que le cœur palpite encore, et, dans leur haine inassouvie, transpercent le martyr avec leurs armes puis jettent son corps dans les crevasses de la montagne.

Pendant sept ans, les vagues du fleuve, en venant se briser contre la pierre, ne purent faire disparaître les taches de sang, qui restèrent ainsi longtemps pour attester le courage de l'évêque et la cruauté des bourreaux. Le récit des évêques se rendant à la rencontre de deux princes apostats, a paru invraisemblable à plusieurs critiques. Ils expliquent ainsi les circonstances de la mort de Gérard qu'ils ramènent à un événement dépouillé des enjolivements, de la légende. L'évêque de Csanad accompagné de quelques clercs ou de quelques moines aurait cherché une retraite pour se soustraire à ses ennemis. En essayant d'atteindre Szekes-Fehervar il aurait été attaqué près du Danube, jeté hors de son char, lapidé et achevé d'un coup de lance à la poitrine. Cette version a pour elle la sobriété du Martyrologe romain où il n'est pas question de chute du haut d'un rocher.

On assure qu'à la manière d'Étienne le protomartyr, le martyr de Pannonie s'agenouilla, disant à haute voix :

« Seigneur Jésus, ne leur imputez pas ce péché, parce qu'ils ne savent ce qu'ils font. » Et ayant ainsi parlé, frappé d'un coup de lance dans la poitrine, il expira.

Peut-être cette prière proférée à ce moment, a-t-elle valu à Gérard de recevoir le titre de protomartyr, c'est-à-dire de premier martyr de la Pannonie ou Hongrie, qui figure au Martyrologe dès le XVIe siècle mais qui est relativement récent.

Page 182: 1 Septembre I

Culte et reliques.

Saint Gérard obtint la palme du martyre le 24 septembre 1046. Presque aussitôt son corps fut porté à Sainte-Marie de Pesth. A quelques mois de là, en 1047 ou 1048, les chanoines de Csanad l'y vinrent chercher avec le consentement d'André, couronné en 1047 et pacificateur du royaume.

Le culte du Saint, d'abord privé, commença de devenir public sous le roi saint Ladislas. L'élévation du corps est de 1083. Il fut transféré, au moins en partie, à Murano, près de Venise, et déposé sous une pierre tombale en l'église Saint-Donat. La translation, dont l'année est inconnue, est célébrée le 23 février, mais cette date correspond probablement à une fête plus ancienne, peut-être à la première élévation du corps.

Plusieurs des reliques conservées à Murano furent données à d'autres églises. Ainsi le couvent de Saint-Georges Majeur possédait des lettres attestant que l'évêque Antoine Grimarni, évêque de Torcello, dans le diocèse de qui se trouvait Murano, avait donné des reliques à l'Abbé et aux moines de Saint-Georges. Le fait est donné comme s'étant passé en 1593, dans l'église paroissiale de Saint-Donat, à Murano. L'évêque tira ces reliques d une boîte de plomb et se montra libéral dans son présent.

Une autre relique importante, un os crural, fut offerte par le même évêque à l'église de la Sainte-Trinité à Venise, que l'on croyait être l'église paroissiale de saint Gérard, sur la demande de la famille Sagredo, et placée à l'autel dédié au même Saint.

Prague se glorifie aussi de posséder deux ossements importants de saint Gérard apportés de Hongrie en l'an 1304, certainement avant la translation des reliques à Venise ; de même l'église des Frères Mineurs Conventuels de Bologne.

Maximin Vion.

Sources consultées. – Acta Sanctorum, t. VI de septembre (Paris et Rome, 1867). – (V.S.B.P. n° 342.)

Page 183: 1 Septembre I

SAINT FIRMIN DE PAMPELUNEEvêque d'Amiens ( IIIe siècle)

Fête le 25 septembre.

La date à laquelle vécut et mourut saint Firmin a été très discutée. Parfois on a voulu placer sa passion sous le règne de Trajan († 117), c'est-à-dire au début du IIe siècle. En s'appuyant sur les données les plus sûres de la biographie du Saint, où l'on voit intervenir saint Honeste, disciple de saint Saturnin, les Bollandistes tiennent en substance le raisonnement suivant :

Saint Firmin est postérieur à saint Saturnin, et il fut baptisé par saint Honeste, disciple de saint Saturnin. Or, ce que dit Grégoire de Tours à propos de saint Saturnin ne permet pas de l'éloigner du milieu du IIIe siècle – entre 250 et 260 – encore moins de le reporter à un siècle antérieur ; donc saint Firmin n'a pu vivre lui-même avant la seconde moitié du IIIe siècle. Telle est aussi l'opinion de Baronius et d'autres hagiographes.

Cette remarque s'imposait. Maintenant il ne reste plus qu'à suivre le récit des Actes de son martyre, lesquels paraissent avoir été écrits au Ve ou au VIe siècle.

Le sénateur Firmus. – Sa conversion.

Au temps où la foi chrétienne commençait à fleurir à travers le monde, la ville espagnole de Pampelune avait à la tête de sa noblesse un sénateur riche, juste, pacifique, appelé Firmus. Il vivait dans une grande paix avec sa femme, nommée Eugènie, remarquable par sa beauté et par l'intégrité de ses mœurs.

Suivant la coutume, Firmus s'était rendu au temple de Jupiter pour assister à un sacrifice. Soudain, au milieu des cérémonies, les portes s'ouvrent et l'on voit entrer un étranger qui ne craint pas d'interrompre les louanges que l'on adressait aux dieux, par un discours sur la fausseté de la religion païenne. Firmus, scandalisé, demanda des explications que l'étranger lui donna avec une grande franchise : cet interrupteur n'était autre que saint Honeste, né à Nîmes, disciple de saint Saturnin, évêque de Toulouse et

Page 184: 1 Septembre I

disciple des Apôtres, d'après la tradition. Le païen Firmus était un homme de bonne foi. Deux de ses collègues, Faustin et Fortunat, ne l'étaient pas moins. Ils convinrent de prier Honeste de faire venir l'évêque de Toulouse, et cette proposition fut acceptée avec empressement. Bientôt l'arrivée de Saturnin est annoncée ; le bruit de ses miracles vole de bouche en bouche.

La semaine suivante, les trois premiers sénateurs de la cité, Firmus, Faustin et Fortunat, se réunissent auprès de Saturnin, se font instruire plus complètement dans la religion chrétienne, reçoivent le baptême avec leurs familles, décrètent l'abolition du culte des idoles dans la ville de Pampelune et deviennent d'infatigables propagateurs de la foi chrétienne.

Saint Firmin, confié à saint Honeste, est ordonné prêtre,puis sacré évêque.

Firmus et Eugénie avaient trois enfants : deux fils, Firmin et Faustus, et une fille du nom d'Eusébie. L'éducation du premier fut confiée à saint Honeste. Sous un tel maître, le jeune chrétien, qui atteignait sa dix-septième année, fit des progrès extraordinaires dans la science et la vertu. Plus tard, saint Honeste, qui vieillissait, le prit pour compagnon dans ses courses apostoliques, et, témoin de son zèle et de ses autres qualités éminentes, il le juge digne de l'épiscopat et l'adressa au nouvel évêque de Toulouse, saint Honorat.

Celui-ci, reconnaissant dans ce clerc tous les caractères du véritable apôtre, après lui avoir imposé les mains, lui adressa publiquement ces paroles : « Réjouissez-vous, mon fils, car vous avez mérité d'être pour le Seigneur un vase d'élection. Allez, dans toute l'étendue des nations, vous avez reçu de Dieu la grâce et la fonction de l'apostolat. Soyez sans crainte, car le Seigneur est avec vous ; mais, en toute circonstance, sachez qu'il vous faudra beaucoup souffrir pour son nom avant d'arriver à la couronne de gloire. »

Firmin, rempli d'une sainte allégresse, vint raconter à saint Honeste tout ce qui lui était arrivé, séjourna quelque temps à Pampelune et quitta pour toujours son père spirituel, ses parents, sa patrie, heureux de tout sacrifier pour gagner des âmes à Jésus-Christ. Il avait alors environ trente et un ans. Telle aurait été, d'après les Actes de son martyre, l'existence de Firmin antérieurement à son départ définitif de Pampelune. Certains hagiographes de ces derniers siècles ont cru devoir la simplifier en faisant de lui un converti de saint Saturnin, qui, venu prêcher le christianisme à Pampelune, l'aurait à la fois baptisé sur place, ordonné prêtre, puis désigné comme son successeur sur le siège de cette ville.

Cette manière de voir est d'accord avec le sentiment des habitants de Pampelune qui ont inséré le nom de Firmin dans le catalogue de leurs évêques où il occupe la première place. Volontiers nous nous rangerions à l'opinion des Acta Sanctorum qu'au contraire, Firmin ne semble pas avoir été consacré pour occuper le siège épiscopal de Pampelune ; il suffit d'ailleurs de se rappeler que d'après ses Actes saint Honorat l'a envoyé prêcher l'Évangile « dans toute l'étendue des nations ».

Page 185: 1 Septembre I

Il prêche l'Évangile à travers les Gaules.

Firmin commença son apostolat dans le midi de la Gaule. Arrivé à Agennum (aujourd'hui Agen), où le paganisme dominait encore, il rencontra un saint prêtre, nommé Eustache, et travailla quelque temps avec lui à cultiver dans ces contrées la foi que saint Martial de Limoges y avait semée quelque temps auparavant.

D'Agen, Firmin se rendit chez les Arvernes et s'arrêta près d'Augustonemetum, (Clermont-Ferrand), leur capitale. Arcade et Romule, les deux plus ardents sectateurs des idoles, mirent tout en œuvre pour arrêter les succès de l'apôtre. Firmin engage avec eux une longue controverse sur la fausseté des idoles ; il multiplie les discussions et sort victorieux de la lutte. Les deux idolâtres embrassèrent la vraie religion, détestèrent la leur ; ils attirèrent ainsi un grand nombre de païens sous l'étendard de la croix. Quand Firmin quitta le pays des Arvernes, la plus grande partie des habitants de la contrée professaient le christianisme.

Du pays des Arvernes il passa dans celui des Andes, c’est-à-dire en Anjou ; là l'évêque Auxilius le retint pendant quinze mois. Ses prédications dans la ville et dans tout le pays y furent encore couronnées de magnifiques succès. Une chose cependant préoccupait beaucoup le messager de Dieu. Saint Honorat de Toulouse lui avait prédit de grandes souffrances et jusque là il n'avait éprouvé que des joies en comparaison desquelles les fatigues des voyages et de l'apostolat lui semblaient légères.

Dans son désir de souffrir pour son divin Maître crucifié, il souhaitait voir s'accomplir la prophétie de son consécrateur. Il apprit alors que Valère, gouverneur des Bellovaques (territoire de Beauvais), persécutait cruellement les chrétiens. Emu par le récit lamentable de leurs souffrances et surtout passionné du désir de recevoir la palme du martyre, il prit le chemin de cette contrée, évangélisant tout le pays qui se trouvait sur son passage. Les païens le firent prisonnier. Il espérait verser son sang pour Jésus-Christ, mais les chrétiens l'arrachèrent à la prison.

Ici nous nous écartons du récit des Actes pour emprunter à des traditions locales des données qui ont pour elles au moins leur antiquité. Firmin s'empressa d'user de sa liberté pour annoncer la foi dans le pays de Caux et finit par entrer dans Beauvais. Il se mit alors à prêcher avec ardeur les fidèles de cette Église, abandonnés à eux-mêmes depuis le martyre de l'évêque saint Lucien, à les encourager, à les fortifier au milieu des embûches et des persécutions.

Valère croyait avoir noyé le christianisme dans le sang des chrétiens. Quelle ne fut pas sa fureur d'apprendre que, par le zèle d'un nouveau Lucien, la religion nouvelle menaçait une seconde fois de remplir la cité ! Il jura de faire couler derechef des flots de sang. Firmin, cité devant son tribunal, confessa généreusement la foi de Jésus-Christ, fut cruellement battu de verges, chargé de chaînes et jeté dans un cachot noir et malsain.

Cette fois il se croyait assuré de la palme du martyre. Dieu toutefois en décida encore autrement. Les iniquités de Valère étaient montées à leur comble et le sang innocent criait vengeance. Le persécuteur périt misérablement dans une émeute populaire. Sergius, son successeur, imita sa cruauté et périt également d'une mort subite et malheureuse. Les chrétiens profitèrent de ces événements pour délivrer leur Père.

Page 186: 1 Septembre I

Firmin recommença aussitôt ses prédications avec un courage incroyable. Il alla jusqu'à faire bâtir au milieu de la cité idolâtre une église dédiée au protomartyr saint Étienne. Le feu de la persécution ne tarda pas à se rallumer. Les chrétiens, qui ne voulaient pas priver l'Eglise d'un si vaillant défenseur, obligèrent leur intrépide évêque à sortir de la ville.

Le pontife alla porter la bonne nouvelle de la foi chrétienne aux environs de Beauvais ; ses ennemis ne songèrent pas à l'y inquiéter. Désespérant enfin de donner sa vie pour le Christ, il jeta les yeux sur les peuples du nord de la Gaule, encore ensevelis dans les ombres de la mort : « Allons plus loin, dit-il, vers les Ambiani, chez les Morins, ces hommes barbares dont la cruauté fera couler mon sang. »

Saint Firmin dans la ville d'Amiens.

Le 10 du mois d'octobre, Firmin arriva près de la capitale des Ambiani. C'est au lieu où se trouve aujourd'hui la place Saint-Martin, nous dit la tradition, qu'il s'arrêta en face du bois sacré et du château fort comme pour braver le temple de Jupiter, et annonça pour la première fois aux Ambiani étonnés la bonne nouvelle de l'Évangile.

Faustinien, l'un des principaux sénateurs, l'accueillit avec joie dans sa maison. L'apôtre de la Picardie baptisa sa famille et le reçut lui-même au nombre des catéchumènes.

Empruntons encore aux souvenirs des régions qui avoisinent la Picardie et l'Artois. Firmin commença ses prédications avec le zèle infatigable et le courage dont il avait déjà donné tant de preuves. Il joignait aux charmes de son éloquence le témoignage invincible d'une suite non interrompue de miracles. Un jour, c'est Castus qui arrive au pied de la chaire, ne voyant que d'un œil : l'évêque lui rend l'autre en invoquant sur lui les trois personnes de la Sainte Trinité.

Le lendemain, deux lépreux étaient guéris. Des malades de toute sorte : des aveugles, des boiteux, des sourds, des muets, des paralytiques, des possédés du démon trouvaient chaque jour, avec la santé de l'âme, celle du corps. On conçoit facilement comment, avec de tels arguments, le nouveau venu put convertir plus de trois mille personnes, dans les trois premiers jours qu'il passa dans la ville.

Quand Samarobriva (Amiens) fut devenue ville chrétienne, Firmin sortit de son enceinte pour évangéliser les autres cités de l'Ambianum. Il fit aussi plusieurs voyages apostoliques dans la Morinie et prêcha l'Evangile dans les villes de Thérouanne, de Boulogne, de Montreuil et dans une partie du Ponthieu. Toutefois, Amiens restait toujours sa ville chérie entre toutes, et il répétait souvent ces paroles à son peuple :

« Mes fils, sachez que Dieu le Père, Créateur de toutes choses, m'a envoyé vers vous pour purifier cette cité du culte de ses idoles, pour vous prêcher Jésus-Christ, crucifié selon la faiblesse de la chair, mais vivant par la force de Dieu. » Il continua son apostolat avec un succès si extraordinaire que peu de temps après les temples de Jupiter et de Mercure furent complètement déserts.

Page 187: 1 Septembre I

Saint Firmin devant les gouverneurs Sébastien et Longulus.

Sébastien et Longulus étaient gouverneurs de la province de Gaule Belgique dont Samarobriva faisait partie. Les prêtres de Jupiter portèrent devant eux des accusations nombreuses contre Firmin et ses disciples. Les deux magistrats vinrent de Trèves à Amiens et ordonnèrent à tous les citoyens de se réunir dans le prétoire au bout de trois jours. Quand tout le peuple fut rassemblé, Sébastien harangua la foule en ces termes : « Les très sacrés empereurs ont prescrit que l'honneur et le culte dus à nos dieux immortels leur soient conservés dans toute l'étendue de l'empire, dans toutes les contrées du monde, par tous les peuples, par toutes les nations. Qu'on leur offre donc de l'encens sur ces autels, qu'on les vénère selon les antiques coutumes des princes. Si quelqu'un essayait de contrevenir aux décrets des très saints empereurs ou d'y apporter la moindre opposition, on lui infligerait toute sorte de tourments ; et d'après les décrets des sénateurs et des princes de la République romaine, il subirait impitoyablement la peine de mort. »

Auxilius, prêtre de Jupiter et de Mercure, prit ensuite la parole :« Il y a ici, dit-il, un pontife des chrétiens qui, non seulement détourne la ville

d'Amiens du culte et de la religion des dieux, mais qui semble encore arracher l'empire romain et l'univers entier au culte des immortels. »

- Quel est cet impie ? reprend Sébastien.- Je me nomme Firmin, précise Auxilius, c'est un Espagnol habile, éloquent, plein

de sagacité... Il prêche, et il détourne tellement le peuple de notre religion qu'il ne vient plus personne prier et offrir de l'encens dans les temples respectables de Jupiter et de Mercure ; il entraîne, tous les sénateurs dans la religion chrétienne. Si vous n'accablez cet homme de divers supplices pour offrir un exemple terrible au peuple, il mettra bientôt toute la république dans un grand péril. Ecoutez donc nos sages conseils, très excellent, gouverneur ; sauvez la République, délivrez nos dieux et nos déesses de ce péril imminent. Faites comparaître le coupable ici devant votre tribunal, en présence de tout le peuple.

Sébastien ordonna à ses soldats de se saisir de Firmin et de le lui amener dans deux jours aux jeux du théâtre, à la porte Clipienne.

Firmin apprend que les soldats le cherchent, il vient lui-même se présenter au prétoire, et proclame hautement, avant même d'être interrogé, qu'il faut adorer Jésus-Christ et détruire les idoles.

- Es-tu ce malfaiteur, interroge Sébastien, cet impie qui veut renverser les temples des dieux, et éloigner le peuple de la religion des très saints empereurs ? Quel est ton nom, ta patrie, ta condition ?

Je m'appelle Firmin ; je suis Espagnol, sénateur, citoyen de Pampelune ; chrétien par la foi et par la doctrine ; je suis évêque et j'ai été envoyé pour prêcher l'Evangile du Fils de Dieu, afin que les peuples et les nations sachent qu'il n'y a pas d'autre Dieu ni dans le ciel ni sur la terre que celui que je prêche. Dieu qui créa tout de rien et par qui tout subsiste. Il est entouré des anges et des Vertus célestes ; il tient en ses mains la vie et la mort, et rien n'échappe à sa puissance. Au ciel, sur la terre, dans les enfers, tout genou fléchit devant lui. Il abaisse ou détruit les royaumes.

Page 188: 1 Septembre I

Il brise les sceptres des rois. Les générations s'écoulent et changent autour de Lui : Lui seul ne change pas. Lui seul reste immobile en face de la mobilité des siècles. Quant aux dieux que vous adorez, sous l'influence perfide des démons, ils ne sont que des simulacres sourds, muets, insensibles, qui trompent les hommes et précipitent leurs adorateurs au fond de l'enfer. Je déclare donc ici librement qu'ils ne sont que des fabrications diaboliques, et que vous devez les renier si vous ne voulez être engloutis vous-mêmes dans les abîmes éternels du Tartare, où gémit la puissance infernale.

A ces mots, Sébastien, transporté de colère, poussa un grand cri, et d'une voix éclatante prononça cette sentence : « Au nom des dieux et des déesses immortels, au nom de leur invincible puissance, je t'adjure de laisser ta folie et de ne pas abandonner la religion qu'ont pratiquée tes pères, sinon, tremble devant les tourments qui t’attendent, devant la mort ignominieuse que tu endureras en présence de toute cette assemblée.

- Sache, réplique Firmin, que je ne crains ni ta personne ni tes tourments. Je gémis plutôt sur ta folie et ta vanité, toi qui oses croire que la diversité et la multiplicité des tortures puissent faire trembler un serviteur de Celui qui est le Maître du monde. Accumule les supplices, Dieu proportionnera ses secours pour me faire obtenir la couronne de la gloire impérissable. Je ne veux pas échapper aux souffrances dont tu me menaces en sacrifiant l'éternité de bonheur que le Fils de Dieu me réserve dans son royaume. Pour toi, tu seras condamné aux flammes éternelles de l'enfer, à cause des cruautés que tu exerces envers les serviteurs de Dieu.

Tout le monde admira la constance du martyr et la fermeté de ses réponses. Soudain un mouvement d'agitation se produit dans le sein de la vaste assemblée : le peuple, se rappelant les miracles que l'évêque accomplissait chaque jour, voulait l'arracher de vive force des mains du président. Sébastien effrayé, craignant de provoquer une émeute populaire, leva la séance et laissa son contradicteur en liberté. Mais il ordonna secrètement à ses soldats de l'arrêter un peu plus tard, de le conduire en prison, de lui trancher la tête pendant la nuit et de cacher son corps afin de le soustraire à la vénération des chrétiens.

Martyre de saint Firmin.

L'évêque continua de proclamer la vérité évangélique avec la même ardeur ; mais bientôt les satellites du gouverneur l'arrêtèrent et l'enfermèrent dans un cachot ; et, quand Samarobriva fut ensevelie dans les ombres de la nuit, des soldats se rendirent à la prison pour accomplir les ordres de Sébastien. Dès que le prisonnier les aperçut, il tomba à genoux, et versant des larmes de joie il adressa à Dieu cette prière :

« Je vous rends grâces, ô Seigneur Jésus-Christ, souverain rémunérateur de tous les biens, ô bon Pasteur, de ce que vous daignez m'adjoindre à la société de vos élus, ô Roi miséricordieux et très clément, veillez sur ceux que vous avez appelés par ma voix, et daignez exaucer tous ceux qui vous invoqueront en mon nom ». Comme il achevait ces mots, un soldat lui trancha la tête.

Page 189: 1 Septembre I

Ainsi mourut saint Firmin, le premier évêque d'Amiens, à une date que la tradition des anciens martyrologes fixe au 25 septembre. Le corps du martyr, adroitement dérobé par le sénateur chrétien Faustinien, fut dignement enseveli dans un sépulcre neuf, et plus tard, saint Firmin le Confesseur fit bâtir au-dessus de son tombeau une église dédiée à la Sainte Vierge.

Culte de saint Firmin.

Avec le temps se perdit le souvenir du lieu précis de la sépulture de saint Firmin ; ses reliques furent retrouvées par un de ses successeurs, connu et honoré sous le nom de saint Saulve, entre 588 et 614.

Vers l'an 1110, sous l'épiscopat de saint Godefroy, le corps fut déposé dans une chasse précieuse. Cinq ans après, la ville d'Amiens fut ruinée par un incendie qui la détruisit presque de fond en comble ; l'église Saint-Firmin, qui était alors la cathédrale, demeura debout parmi quelques rares édifices.

A la fin du XIIe siècle, au temps de l'évêque Théobald d'Heilly, les reliques furent déposées dans une riche chasse, ornée de pierreries, qui existait encore à la veille de la Révolution.

En dehors d'Amiens, le culte et la mémoire de saint Firmin demeurèrent vivants aussi dans le Beauvaisis et en Normandie, spécialement à Rouen et dans l'ancien diocèse de Lisieux. II en est de même de la province espagnole de Navarre et de Pampelune qui l'honorent pour patron. En cette dernière ville sa fête est au 9 juillet.

Bernard Menthon.

Source consultées. – Acta Sanctorum, t. VII de septembre (Paris et Rome, 1867). (V.S.B.P., n° 451.)

……………..

PAROLES DES SAINTS_________

La prière publique.

Prier dans le particulier, c'est ne prier que pour soi. Qui dit prière, exprime vœu public, manifesté en présence de tous. C'est l'union des membres qui forme tout le corps du peuple chrétien.

Saint Cyprien.(Traité de l'oraison dominicale.)

Page 190: 1 Septembre I

SAINT NIL LE JEUNEAbbé de Grottaferrata (910-1005 ?)

Fête de 26 septembre.

Ce moine Basilien, originaire de la presqu'île de Calabre, fondateur de l'abbaye de rite grec de Grottaferrata, près de Rome, est un des grands Saints de l'Italie byzantine au Xe siècle. Pour le distinguer de son célèbre homonyme du Ve siècle, saint Nil le Sinaïte, moine lui aussi et écrivain ascétique de valeur, on l'appelle d'ordinaire Nil le Jeune ou bien encore Nil de Rossano. Un de ses disciples, qui prit par ailleurs une part très importante dans l'établissement du monastère de Grottaferrata et en devint le troisième abbé, le moine saint Barthélemy (mentionné dans le Mar-tyrologe romain à la date du 11 novembre), écrivit en grec la vie de son maître. Cette biographie, composée peu d'années après la mort de saint Nil par un compatriote, fournit à l'hagiographe, comme l'a montré Dom Martène, des renseignements dignes de créance et fort précieux.

Jeunesse d'abord très édifiante, puis mondaine.

Nil naquit en 910 très probablement, dans la petite ville de Rossano. Cette cité épiscopale, située sur les bords du golfe de Tarente, appartenait à la Calabre, la première et la dernière province qu'aient occupée les Grecs en Italie. L'enfant reçut au baptême le nom de Nicolas et fut spécialement consacré à la Sainte Vierge. Comme la plupart de celles qui habitaient la Calabre, sa famille était d'origine et de langue grecques et suivait pour la liturgie le rite de l'Eglise de Constantinople. Elle éleva l'enfant dans les sentiments et la pratique d'une piété solide et lui fit donner une instruction et une formation scientifique et littéraire assez complète. Plus tard, devenu par ses vœux religieux, le. Fr. Nil, celui-ci donnera par ses écrits des témoignages indiscutables de sa connaissance des Saintes Écritures, de la philosophie et des autres sciences. Engagé assez jeune dans l'état du mariage, Nicolas n'abandonna pas pour autant sa vie de prière et d'austérité chrétienne. Chaque jour il savait se réserver

Page 191: 1 Septembre I

quelques moments de solitude et de calme pour s'adonner à la méditation et à l'examen de conscience. Peu à peu, cependant, le démon et les séductions du monde eurent raison de sa ferveur et de sa fidélité aux exercices pieux. Nicolas les abandonna, et son âme n'étant plus soutenue par les grâces que Dieu accorde à ceux qui le prient, tomba dans le relâchement et ne sut pas résister aux attraits du fruit défendu. Le jeune homme en arriva à mener une vie opposée à l'esprit et à la loi de l'Évangile et conforme, par contre, aux maximes du monde.

La mort de sa femme lui fit comprendre la gravité du danger où il se trouvait à cause de ses péchés et de ses habitudes vicieuses. Homme de résolution, il décida de se délivrer des tentations incessantes qu'il rencontrait dans le monde en se retirant dans la solitude.

Saint Nil se fait moine Basilien.

Obéissant à la lettre des conseils donnés par Jésus dans son Évangile, Nicolas quitta la maison paternelle, ses parents, ses amis, ses biens, et alla frapper à la porte du couvent de Saint-Jean-Baptiste de Rossano. Il ne tarda pas à entrer dans celui de Saint-Mercure, et c'est là qu'il prit l'habit monastique. Peu de temps après, on ne sait pour quel motif, il se retirait dans l'abbaye de Saint-Nazaire, située à environ cinq milles de la précédente. Après y avoir fait sa profession monastique, le Fr. Nil – c'est sous ce nom qu'il est désormais connu – s'adonna tout entier, à la grande édification des autres moines, à la pratique de la prière et de la pénitence selon les règles données par saint Basile. Son temps était occupé par la récitation des psaumes, le travail et les divers exercices de la vie religieuse.

Anachorète, puis fondateur de monastères.

Après avoir séjourné de nouveau dans le monastère de Saint-Mercure, Nil, désirant mener la vie des anciens Pères du désert, sollicita et obtint l'autorisation d'aller vivre dans un ermitage attenant à une petite chapelle dédiée probablement à saint Michel. La majeure partie de ses journées était donnée à la prière et à la méditation. Après le coucher du soleil, l'anachorète mangeait un peu de pain, des herbes cuites ou des fruits selon la saison. Hiver et été, un vêtement en forme de sac, fait avec des poils de chèvre, couvrait son corps, et, en raison de la vermine, était un continuel instrument de pénitence. Pas de mobilier dans la pauvre caverne : une pierre tenait lieu de lit, de chaise ou de pupitre pour écrire, selon les moments ou les besoins.

Attirées par la sainteté de l'ermite, plusieurs personnes de Rossano et des environs vinrent se mettre sous la direction douce, mais forte, de Nil. Ce dernier exigeait d'elles le renoncement complet ; il les exerçait surtout à la pratique de l'humilité et au sacrifice de la volonté propre ; le mépris de soi et l'obéissance parfaite étaient à ses yeux les vertus essentielles à tout vrai religieux. Pour protéger ses disciples contre les incursions et les razzias des pirates ou des pillards sarrasins, fréquentes à cette époque

Page 192: 1 Septembre I

au sud de la péninsule italique, Nil bâtit dans la montagne une espèce de petite forteresse où il se retirait avec ses moines quand les ennemis étaient signalés dans les environs. Entre temps, les journées du supérieur du petit monastère étaient remplies par l'accomplissement scrupuleux des diverses prescriptions de la vie régulière, et aussi par de multiples œuvres de charité et de zèle. Pauvres et riches, esprits grossiers ou très cultivés, venaient chercher auprès de Nil les secours, les conseils, la consolation dont ils avaient besoin, sûrs d'être toujours accueillis avec une bonté aussi suave que distinguée. De hauts personnages, comme le métropolitain de Calabre et le seigneur de la contrée voulurent s'assurer par eux-mêmes de la science théologique et de la sainteté du célèbre moine.

Ce dernier s'en aperçut. Après avoir prié, il présenta à l'un des visiteurs un manuscrit où se trouvaient écrits divers passages de la Sainte Ecriture et des Pères de l'Eglise, concernant le petit nombre des élus. Il expliqua et justifia ces divers textes et en profita pour prêcher la pénitence et le respect des lois évangéliques à des hommes qui se préoccupaient bien plus de savoir si Salomon était sauvé que de mener eux-mêmes une vie chaste et régulière.

Les habitants de Rossano, s'étant révoltés contre le représentant du gouvernement impérial de Constantinople, obtinrent leur pardon grâce à l'intervention de leur compatriote. Lors de la vacance du siège épiscopal, ils demandèrent pour lui l'évêché de Rossano ; mais l'ermite refusa cette charge, comme d'ailleurs celle qu'on lui offrit à la cour de Byzance. Sa réputation parvint jusqu'aux monastères du mont Athos.

Les moines de saint Basilefraternisent avec les fils de saint Benoît.

Voulant fuir et la vénération, qu'il jugeait dangereuse pour son humilité, et les malheurs que la domination sarrasine allait bientôt infliger à la Calabre, Nil réunit ses disciples et leur annonça sa résolution de quitter pour toujours les lieux qu'il avait habités jusque-là. La petite caravane se mit donc en route dans la direction du Nord-Ouest. Après de longues et fatigantes journées de voyage, elle arriva dans les environs de la ville de Capoue. Le gouverneur et les habitants de la cité reçurent avec beaucoup de respect et de charité les pieux pèlerins. Ils offrirent à Nil de le choisir pour évêque. Evidemment, celui-ci écarta un pareil honneur et se hâta de quitter des amis qui menaçaient son humilité et son amour de la solitude. Il prit la route du Mont-Cassin. Le seigneur de la contrée avait prié Aligerne, abbé du célèbre monastère bénédictin, d'accorder à Nil et à ses moines, sur le territoire de l'abbaye, le couvent qui leur con-viendrait.

Quand les religieux Basiliens parvinrent au bas de la colline sur laquelle est bâtie l'immense abbaye, ils furent reçus au chant des hymnes par les fils de saint Benoît, descendus en procession au-devant d'eux. Il guérit plusieurs infirmes dès son arrivée dans l'enceinte où reposa, jusqu'au début du VIIIe siècle, le corps du grand patriarche, et il goûta pendant quelques jours les douceurs d'une hospitalité vraiment fraternelle. Il fut ensuite conduit au couvent de Valleluccio, ou Val-di-Luce, situé dans le voisinage du Mont-Cassin, et il s'y établit avec ses moines.

Page 193: 1 Septembre I

Pour témoigner à ses hôtes sa religieuse gratitude, Nil composa en grec, plusieurs hymnes en l'honneur de saint Benoît. Avec les siens, il passa une nuit dans l'église du monastère bénédictin, y chantant l'office liturgique selon le rite grec. Aux religieux qui le visitèrent, il donna des avis empreints de sagesse surnaturelle. Comme on lui demandait en particulier, de caractériser la fonction d'un moine, il répondit :

« Le moine est un ange. Sa charge est la miséricorde et la louange de Dieu dans le sacrifice. »

Les religieux Basiliens demeurèrent plus de dix ans dans le monastère de Valleluccio. Ne trouvant pas cette résidence assez solitaire, Nil, accompagné par plusieurs disciples, la quitta et se retira à Serperi, près de la ville de Gaëte ; la nouvelle colonie se fixa dans des huttes ou des cabanes de planches mal jointes, abris temporaires des travailleurs de la terre et des chasseurs.

Schisme de Crescentius.Saint Nil et l'antipape Jean Philagathe.

L'empereur Othon III (980-1002) était venu à Rome se faire couronner par le Pape Grégoire V. Ce dernier avait obtenu du monarque qu'il épargnât, malgré les crimes commis, Crescentius, patrice des Romains. Il fut bien mal récompensé pour cet acte de charité généreuse. Othon avait à peine repassé les Alpes, que Crescentius s'emparait du Pape, Grégoire V, le chassait de Rome, et suscitait dans l'Eglise un schisme, en faisant monter sur le trône pontifical (997) l'évêque de Plaisance, Jean Philagathe, qui prit le nom de Jean XVII (ou Jean XVI). L'antipape était né à Rossano, il avait été moine dans le même couvent que Nil, et était finalement devenu évêque de Plaisance. Envoyé en mission à Constantinople pour y négocier le mariage de l'empereur Othon III avec la princesse Hélène, fille de Constantin VIII, il en avait rapporté une grande ambition et de l'argent.

Nil, mis au courant de la scandaleuse conduite de son compatriote, lui écrivit de ne pas se laisser aveugler par l'amour des honneurs et des biens de ce monde, et d'assurer le salut de son âme en laissant la chaire de saint Pierre à son véritable successeur. Il l'invitait à rentrer dans un monastère pour y faire pénitence, sinon Dieu lui enverrait un châtiment terrible. L'antipape répondit à son père spirituel une lettre dans laquelle il le remerciait de ses charitables conseils, mais il ne paraissait guère décidé à les suivre. Dieu allait réaliser la prophétie de Nil.

Punition terrible infligée à l'antipape.

Cependant l'empereur étant revenu à Rome avec son armée, Crescentius et ses partisans furent battus (998). L'antipape s'enfuit, des soldats d'Othon parvinrent à se saisir de lui. On lui coupa la langue, le nez, les oreilles, on lui creva les yeux et, ainsi mutilé, il fut jeté dans un cachot. A cette nouvelle, Nil, en proie à une grande tristesse, partit pour Rome. Son dessein était d'obtenir du Pape et de l'empereur que le

Page 194: 1 Septembre I

malheureux Philagathe lui fût confié : il achèverait sa vie dans la pénitence, enfermé dans un monastère basilien, sous la garde de son compatriote. Le Pontife et Othon témoignèrent beaucoup de respect et d'affection à leur illustre visiteur. Ils écoutèrent avec bienveillance sa requête, firent grâce de la vie à l'antipape ; mais Nil ne voulant pas rester à Rome, ils décidèrent de confier Philagathe à l'abbé du monastère grec de Saint-Sabas, en cette ville. Sur ces entrefaites, la populace romaine réussit à s'emparer du prisonnier, le promena par les rues, monté à rebours sur un âne, ayant au cou une outre gonflée de vent ; il fut ramené en prison après cette injure suprême de la ridicule cavalcade.

Ce traitement ignominieux, infligé à un prêtre et à un évêque déjà cruellement puni par ailleurs, indigna l'âme compatissante de Nil. Le moine crut que l'empereur en était responsable, n'ayant rien fait pour l'empêcher, il en ressentit une profonde douleur et cessa de voir le monarque. Othon lui envoya un évêque de sa cour, chargé de donner des explications.

- Allez, répondit Nil, trouver l'empereur et le Pape, et dites-leur :« Voici la dernière parole de ce vieillard qu'on appelle Nil ; vous m'aviez fait don

du malheureux aveugle, non en raison de ma propre considération, car je ne suis rien, mais par un juste sentiment de crainte de Dieu. C'est donc à Dieu que vous l'aviez donné et non à moi. Maintenant vous avez aggravé sa peine, sans nul respect pour le nom du Seigneur. Le Seigneur vous punira. »

Et l'ermite quitta à la dérobée la ville de Rome.

L'empereur Othon III au monastère de Serperi.

Selon le biographe de Nil, l'empereur Othon aurait été très ému par les menaces de l'homme de Dieu. Dans une pensée d'expiation, il aurait fait le pèlerinage de Saint-Michel au mont Gargan. Quoi qu'il en soit, Othon voulut rendre visite aux moines de Serperi. A la vue de ces petites huttes ou cabanes rangées autour de la pauvre chapelle, il s'écria : « Ce sont vraiment les tentes d'Israël au désert ! Voici les citoyens du royaume des cieux ; ils sont campés sur la terre, non comme des habitants, mais comme des étrangers et des voyageurs. »

Avec ses religieux, Nil vint à la rencontre de l'empereur. On le conduisit à la chapelle, puis dans la pièce où Nil recevait les visiteurs. Là, le prince engagea le vieillard à pourvoir avant sa mort à l'avenir de ses fils spirituels. A cette fin, Othon offrait dans ses Etats un emplacement convenable pour un monastère qu'il doterait de revenus suffisants.

- Si les religieux, mes frères, répondit Nil, sont des moines dignes de leur vocation, Jésus-Christ ne les abandonnera pas lorsque je ne serai plus avec eux.

Et il refusa les offres qui lui étaient faites.- Demandez-moi du moins, Père, telle grâce que vous voudrez, afin que j'aie la joie

de vous prouver mon amour filial.- Je n'ai qu'une grâce à demander à Votre Majesté, lui dit Nil ; songez au salut de

votre âme. Tout empereur que vous êtes, vous mourrez comme un autre homme et vous aurez à rendre compte de vos actions au Souverain Juge.

Page 195: 1 Septembre I

L'empereur reçut avec respect ce grave avertissement : il ôta sa couronne et fut béni par le vieillard. Après son départ, Nil annonça à ses religieux que le prince mourrait bientôt. Ce qui avait été prédit ne tarda pas, en effet, à s'accomplir.

Saint Nil fonde l'abbaye de Grottaferrata.

Quand le bienheureux Étienne, disciple préféré de Nil à cause de sa candeur et de son parfait esprit religieux, mourut, son maître ressentit douloureusement cette séparation. En confiant à la terre la dépouille de son cher fils et frère, il exprima le désir d'être un jour enseveli près de lui. Mais la Providence en avait disposé autre- ment. L'âge avancé du vieillard faisait supposer que sa mort n'était pas très éloignée. Jaloux de conserver à la ville de Gaëte les restes mortels du grand moine, le seigneur de l'endroit se préoccupa de lui préparer un somptueux tombeau. Nil connut ce dessein. Une inspiration du ciel lui apprit qu'il devait chercher ailleurs le lieu de sa sépulture. Toujours il avait demandé à Dieu que ce lieu demeurât inconnu des hommes. C'est pourquoi il annonça à ses disciples qu'il allait partir pour préparer un monastère où il réunirait les frères et les fils dispersés.

Et le vieillard plus que nonagénaire quitta avec plusieurs de ses moines la Campanie. Pouvant à grand'peine se tenir à cheval, il prit la direction de Rome où d'ailleurs il n'entra pas. Il s'arrêta à Tusculum (Frascati), ville du Latium où Cicéron avait eu sa villa, et fut reçu dans le monastère de Sainte-Agathe. Sur sa demande, Grégoire, comte de Tusculum, lui accorda de bon gré l'emplacement d'une grande villa romaine, située à quelques kilomètres au sud de la cité. Nil donna à ses moines l'ordre de nettoyer ces lieux couverts de broussailles et de ruines, et d'y préparer les fondements d'un nouveau monastère. Ils se mirent courageusement au travail dans la première partie de l'année 1004. Leur Père et supérieur leur avait promis de se rendre bientôt auprès d'eux. Mais, comme Moïse, il ne devait pas apercevoir vivant cette maison de bénédiction, celle abbaye de Grottaferrata qu'il venait de fonder au terme de son séjour ici-bas.

Testament spirituel. – Mort de saint Nil.

Averti de sa mort prochaine, Nil rassembla ses fils présents dans les environs et leur adressa ces recommandations :

- Je vous prie de ne pas tarder, quand je serai mort, à ensevelir mon corps. Ne le déposez pas dans une église, c'est un honneur dont je ne suis pas digne. Vous n'élèverez ni oratoire ni monument quelconque sur le lieu de ma sépulture. Si vous tenez à y placer un signe qui en conserve la mémoire, contentez-vous d'y mettre une pierre plate sur laquelle puissent s'asseoir les voyageurs, car je fus moi-même pèlerin sur la terre tous les jours de ma vie. Surtout souvenez-vous de moi dans vos saintes prières. Puis il bénit ses enfants et demanda qu'on le transportât à l'église du monastère, car, disait-il, c'est là qu'un moine doit mourir. Le divin Maître rappela à lui

Page 196: 1 Septembre I

son fidèle serviteur probablement au jour de la fête de saint Jean l'évangéliste, fixée par le calendrier grec au 26 septembre. C'était en 1004 ou en 1005. Nil avait près de quatre-vingt-quinze ans. Lorsque le nouveau monastère construit à Grottaferrata put recevoir les disciples du saint moine, ils s'y établirent, mais ils eurent soin d'y transporter la dépouille mortelle de leur Père, universellement vénéré comme un Saint. Cette translation se fit avec une grande solennité.

L'abbaye de Grottaferrata. – Culte de saint Nil.

Le nom de saint Nil est étroitement uni à celui de l'abbaye de Grottaferrata dont il fut le fondateur. Il avait prédit que cette maison grouperait et abriterait ses disciples dispersés. Tous, en effet, vinrent résider au lieu béni où son corps fut déposé. Ce n'est pas une vulgaire pierre tombale, mais un monastère imposant par ses constructions et son aspect féodal, qui indique aux pèlerins de tous les siècles le tombeau de l'illustre moine basilien. Ce monastère, situé à environ 23 kilomètres de Rome, près de Frascati, abrite toujours des moines qui, comme le faisait saint Nil, suivent la règle de saint Basile et célèbrent les offices liturgiques dans le rite grec. Ils se sont sans cesse signalés par leurs travaux scientifiques et par leurs efforts pour ramener à l'Unité catholique les Grecs dissidents ou schismatiques.

Dans l'église de l'abbaye, une chapelle est consacrée au fondateur. Elle a été enrichie, au XVIIe siècle, de belles fresques exécutées par Le Dominiquin (Domenico Zampieri), représentant divers épisodes de la vie de saint Nil. L'une d'elles a pour sujet la rencontre du Saint et de l'empereur Othon III. Dans une autre, on voit le moine age-nouillé devant un rocher qui supporte un Crucifix : le Christ, de sa main droite détachée de la croix, bénit son serviteur. Ailleurs, le peintre a représenté saint Nil à genoux à coté de saint Barthélemy, son disciple, et écartant par sa prière un orage qui menaçait les récoltes.

En 1904, à l'occasion du IXe centenaire de la fondation de l'abbaye, fut inauguré dans ses murs un monument en l'honneur du grand religieux. Saint Nil est le patron principal du diocèse et de la ville archiépiscopale de Rossano. Ce diocèse célèbre sa fête en septembre, avec office et messe propres approuvés en 1904 par la Congrégation des Rites. A la date du 26 septembre, le Martyrologe Romain mentionne « saint Nil, abbé (jamais de son vivant le Saint n'avait consenti à prendre ce titre), fondateur du monastère de Grottaferrata, homme d'une grande sainteté ».

F.C.

Sources consultées. – Acta Sanctorum, t. VII de septembre (Paris et Rome, 1867). – Il Bollettino della Badia greca di Grottaferrata (Grottaferrata, 1929). – Petits Bollandistes. – (V.S.B.P., n° 1125.)

Page 197: 1 Septembre I

SAINTS COSME ET DAMIEN et leurs trois frères Anthime, Léonce et Euprèpe, martyrs en Cilicie († 297)

Fête le 27 septembre.

Cosme et Damien naquirent en Arabie, vers le milieu du IIIe siècle, d'un père que l'histoire ne nomme pas et d'une mère ornée de grandes vertus. Restée veuve avec cinq enfants, Anthime, Léonce, Euprèpe et les deux Saints que Grégoiro de Tours dit être jumeaux, elle mit tous ses soins à leur donner une éducation distinguée et surtout chrétienne. Avec; le lait maternel, elle sut leur donner la crainte et l'amour de Dieu.

Premières années. – Deux bons médecins.

A la science des saints, ils joignirent l'étude des belles-lettres, qu'ils vinrent chercher en Syrie. Cosme et Damien surtout se distinguaient par leur activité, leur science et leur dévouement. La médecine fut la carrière qu'ils embrassèrent ; elle leur fournit l'occasion d'exercer un véritable apostolat, car, à travers les corps, ils savaient pénétrer jusqu'aux âmes, les toucher et les convertir.

La grâce de l'Esprit-Saint vint encore féconder leur science et leur accorder le don des guérisons miraculeuses. Leur puissance s'étendait même au delà de ce monde visible, et, sur leur ordre, les esprits immondes abandonnaient les corps des malheureux qu'ils torturaient. Tout cela, ils le faisaient par pure charité, accomplissant ainsi le précepte du Seigneur : « Vous avez reçu gratuitement, donnez aussi gratuitement. » (S. Matth., x, 8.)

Piété et désintéressement.

A cette époque, vivait une noble matrone nommée Palladie. Tourmentée par une violente maladie, elle avait dépensé presque toute sa fortune à consulter les médecins, et cela sans résultat. Le bruit de la réputation de Cosme et de Damien parvint jusqu'à elle. Sans perdre un instant, elle vint se jeter à leurs pieds et implorer sa guérison en

Page 198: 1 Septembre I

versant d'abondantes larmes. Touchés de sa foi, les deux frères firent une prière à Jésus-Christ, et incontinent la suppliante fut guérie. Se voyant délivrée, Palladie entonna un cantique d'actions de grâces en l'honneur de Dieu et de ses Saints. Pour témoigner sa reconnaissance, elle voulut offrir à ses libérateurs une aumône con-sidérable, mais lorsqu'on lui eut appris qu'ils refusaient toute récompense, elle usa d'un stratagème pour leur faire accepter son offrande. L'occasion s'en présenta bientôt. En effet, le lendemain, elle rencontra Damien qui priait seul dans un lieu retiré. En toute hâte, elle se jette à ses pieds et le conjure d'accepter son offrande.

Gomme celui-ci la refusait, elle ajouta : « Au nom du Christ que vous servez, je vous supplie d'agréer cette preuve de ma gratitude envers vous. » Par respect pour le nom adorable qui venait d'être prononcé devant lui, Damien n'osa pas refuser.

A quelque temps de là, Cosme fut instruit de ce qu'avait fait son frère. Cette nouvelle le jeta dans une grande tristesse, et il déclara qu'il ne voulait pas être enseveli avec lui dans un même tombeau. La même nuit, Notre-Seigneur lui apparut et lui dit :

- Cosme, mon serviteur, pourquoi avez-vous ainsi parlé contre votre frère ? Ne savez-vous pas que l'aumône qu'il a reçue, ce n'est point en récompense de son miracle, mais uniquement par respect, pour mon nom, qu'il l'a acceptée ?

Au tribunal de Lysias. – Premier interrogatoire.

Leur gloire devait resplendir d'un plus pur éclat au milieu des persécutions et des tortures, dont les Bollandistes ont publié trois récits d'une valeur inégale.

En 297, sous le règne des empereurs Dioclétien et Maximien, Lysias siégeait sur son tribunal dans la ville d'Egées, en Cilicie, lorsque quelques-uns de ses officiers lui firent le récit des merveilles opérées par les glorieux serviteurs du Christ, Cosme et Damien.

- Ces deux hommes, lui dirent-ils, guérissent toutes sortes de maladies, et ils chassent même les démons au nom de leur Dieu qu'ils appellent le Christ. Ils entraînent après eux des foules nombreuses ; ils leur persuadent de fuir les temples de nos dieux tout-puissants ; ils méprisent nos redoutables sacrifices, et ils traitent notre culte de superstition et d'infamie.

A cette nouvelle, le préfet donne l'ordre d'amener à son tribunal ces perturbateurs de la tranquillité publique. Mis en sa présence, les deux confesseurs ne perdent rien de leur calme ; leur front demeure serein et un sourire plein de charme est encore sur leurs lèvres. Le préfet jette sur eux un regard sévère, et, d'une voix foudroyante :

- Quelle est votre audace, leur dit-il, de parcourir ainsi les bourgades et les villes, semant partout le germe de l'impiété, persuadant aux habitants d'abandonner le culte de nos dieux et leur prêchant un Dieu crucifié ? Croyez-moi, si vous ne cédez à mes menaces, je saurai bien avoir raison de votre obstination ; je vous tourmenterai tellement que je vous réduirai à demander grâce. Mais, d'abord, dites-moi, quel est votre pays, votre nom, votre fortune ?

- Si tu veux savoir à qui tu parles, lui répondit Cosme, sache que nous sommes des citoyens de la province d'Arabie. Quant à nos noms, les voici : Moi, je m'appelle Cosme, et mon frère Damien.

Page 199: 1 Septembre I

Tu nous demandes maintenant quelle est notre fortune ?... Nous l'ignorons nous-mêmes, car les chrétiens ne la connaissent pas, ils n'en parlent même pas. Nous sommes issus de la noble race des enfants du Christ, et l'héritage que nous vaut cette filiation est préférable toutefois à tous les biens de la terre. Nous avons encore trois autres frères, et, si tu le désires, nous te dirons leurs noms.

- Eh bien ! oui, dis-moi leurs noms, et ne crains rien.- Ils s'appellent Anthime, Léonce, Euprèpe, répondit Cosme.Le préfet donna aussitôt l'ordre de les amener.

Confession des trois frères.

Les gardes obéirent aussitôt, et quand les trois frères arrivèrent devant le tribunal, le préfet les regardant, leur dit :

- Écoutez mes ordres ; vous avez le choix entre ce qui vous est le plus avantageux. N'allez pas, à l'exemple de ces deux insensés, mépriser mes faveurs et me désobéir. Si vous vous rendez à mes conseils, vous recevrez de la part des empereurs de grands et magnifiques honneurs ; si au contraire, vous repoussez mon invitation, je vous soumettrai à mille sortes de tourments, et quand vous serez épuisés par la souffrance, alors vous renierez votre Christ.

Les trois chrétiens n'eurent qu'une voix pour lui répondre :

- Fais ce que tu voudras, épuise tous les ressorts de ta cruauté, invente les instruments de supplice les plus horribles ; nous n'avons rien à craindre de tes tourments. Le Christ est à notre droite, il nous soutiendra dans la lutte, et si le Christ est pour nous, qui sera contre nous ! Si nous avons pour nous aider la main toute-puis-sante de Dieu, que nous importent les raffinements d'un faible tyran ? Non, nous le déclarons hautement, jamais nous ne brûlerons d'encens devant l'autel de tes idoles, elles n'ont ni vie ni sentiment elles sont impuissantes à nous secourir ; comment veux-tu donc nous faire adorer de telles divinités ?

A ces mots, le préfet ordonna de leur lier les mains et les pieds et de leur infliger une terrible flagellation. Les verges tombaient comme une pluie sur leur corps mais, au milieu de leurs tortures, ils chantaient :

Seigneur, vous êtes notre refuge de génération en génération. Avant la formation des montagnes, avant la création de la terre et de l'univers, vous existez à travers les siècles ; ne vous détournez pas de nous dans notre bassesse, car vous avez dit : « Convertissez-vous, enfants des hommes. » Tournez vers nous votre face et prêtez l'oreille à la prière de vos serviteurs. Délivrez-nous des pièges du démon et des embûches de son fils, le préfet Lysias ; car en vous est notre espérance, et votre gloire demeure pendant l'éternité…

Au milieu de ces ardentes prières, ils ne ressentirent aucun mal et ils dirent au préfet :

- Si tu as de nouveaux supplices à nous infliger, hâte-toi de le faire, et tu verras combien, avec la grâce du Christ, nous redoutons peu tes tourments.

- Je croyais, répondit le tyran, vous résoudre à sacrifier aux dieux en vous

Page 200: 1 Septembre I

soumettant seulement à une légère épreuve ; mais, comme je le vois, vous persévérez dans votre impiété et dans votre folie ; je vais donc châtier votre obstination comme elle le mérite et vous verrez si l'on résiste impunément à ma volonté.

On les jette à la mer. – Un ange les sauve.

S'adressant alors à ses soldats :- Qu'on leur mette les fers, et qu'on les jette à la mer !- Encore un moment, s'écrièrent les trois généreux athlètes du Christ, et la gloire

du Seigneur éclatera sur nous.On les couvre aussitôt de chaînes pesantes et on les conduit à la mer au milieu

d'une foule immense. Pendant le trajet, leurs visages rayonnaient d'une douce joie, et ils chantaient ces versets du Psalmiste :

Nous nous délectons, Seigneur, dans la voie de vos commandements, comme au sein d'abondantes richesses. Lors même que nous marcherions dans les ombres de la mort, si c'est pour la gloire de votre nom, nous ne craignons rien, car vous êtes près de nous dans la souffrance. Votre verge et votre bâton mêmes nous ont consolés et nous ont guidés, ô céleste Pasteur ! Vous avez préparé devant nous une somptueuse table contre ceux qui nous tourmentent. Vous avez répandu l'huile de la force sur notre tête, et vous nous avez enivrés du breuvage divin du Nouveau Testament, votre miséricorde nous accompagnera tous les jours de notre vie et nous mènera au port de votre sainte volonté.

En priant ainsi, les confesseurs de la foi arrivèrent au rivage, et les soldats les jetèrent brusquement dans la mer. Au moment où les flots allaient les engloutir, voici que l'ange du Seigneur apparaît et plane au-dessus d'eux. Un silence profond règne dans la foule étonnée. Alors le messager divin s'approche des saints martyrs, rompt leurs liens, et les dépose sains et saufs sur la grève.

Nouvel interrogatoire. – Les soufflets du diable.

En présence de l'admiration générale, les soldats prennent la fuite et courent annoncer à leur maître le prodige dont ils viennent d'être témoins. Celui-ci, saisi d'étonnement, se fait amener les trois martyrs, avec Cosme et Damien, et leur dit :

- Par Jupiter, vos maléfices surpassent toute mesure ! Les tourments vous sont un jeu, et les flots devant vous déposent leur furie. Enseignez-moi votre art, et je m'engagerai dans votre compagnie.

- Nous ne connaissons pas de maléfices, reprirent les cinq frères car nous sommes chrétiens ; au nom de notre Dieu, nous réduisons à néant toute la puissance des magiciens. Toi-même, si tu le veux, fais-toi chrétien, et tu connaîtras alors la vertu du Christ.

- Au nom de mon dieu Apollon, répondit le préfet, je vous suivrai partout où vous irez. Il parlait encore que deux malins esprits se précipitent sur lui et le frappent si

Page 201: 1 Septembre I

violemment à la figure qu'il se met à pousser de grands cris sous la lourde main du diable. Enfin, n'y tenant plus :

- Soldats du Christ, dit-il, je vous en conjure, priez pour moi votre Dieu, afin qu'il me délivre de ces mauvais esprits.

Touchés de compassion, Cosme et Damien firent une ardente prière, et les démons disparurent avec fracas, mais à peine fut-il délivré que l'ingrat préfet apostropha ainsi les confesseurs de la foi :

- Vous le voyez, je n'avais qu'un vague désir d'abandonner leur culte, et déjà les dieux ont déchargé sur moi leur colère.

- Insensé ! lui répondirent-ils, jusqu'où pousseras-tu ton aveuglement ? Ne vois-tu pas que notre Dieu vient de te donner une preuve de sa miséricorde ? Pourquoi persévérer dans ton obstination ? Pourquoi vénérer comme des dieux des idoles sourdes et muettes ?

Troisième interrogatoire. – Supplice du feu. – Nouveaux prodiges.

Ces exhortations loin de toucher le cœur du préfet ne firent qu'aiguiser sa fureur.- Les dieux m'en sont témoins, s'écria le tyran, jamais je ne me rendrai à vos

persuasions ; je vous ferai, au contraire, déchirer les entrailles avec des ongles de fer ; je vous ferai battre de verges et brûler à petit feu, car, je vous le dis, ou vous vous soumettrez à mes ordres, ou vous payerez de la vie votre audace insensée. En attendant, qu'on les jette en prison.

Le jour suivant, Lysias remonte à son tribunal et ordonne qu'on lui amène les cinq frères. Comme on les conduisait, ils chantaient :

Donnez-nous, Seigneur, votre secours dans la tribulation, car vain est le salut qui vient de l'homme. Avec l'aide de Dieu, nous ferons des prodiges, et il réduira à néant toute la puissance de nos persécuteurs.

La voix du préfet interrompt ces chants :- Eh bien ! Quelle est votre détermination ? Etes-vous résolus à sacrifier aux

dieux ? Répondez.- Ecoute, ennemi de la vérité, nous te l'avons déjà dit, nous sommes chrétiens ;

chrétiens nous avons vécu, chrétiens nous voulons mourir. Nous combattons pour la vérité, nous marchons sous la noble bannière du Christ, nous crois-tu assez lâches pour déserter notre drapeau ? Non, perds-en l'espérance, jamais nous n'abandonnerons notre Dieu pour nous courber devant de viles idoles et accepter le joug humiliant du prince des ténèbres. Tu sais notre résolution, n'espère donc plus nous séduire par des caresses ou des menaces. Et maintenant, si tu as imaginé de nouvelles tortures, hâte-toi de nous les infliger, car nous avons soif de souffrir pour la gloire de notre Roi et de notre Dieu.

A cette déclaration, le préfet ne peut retenir sa colère ; ses yeux s’empourprent de sang et ses traits se décomposent.

Qu'on apporte, dit-il, des sarments et des épines ; qu'on allume un immense brasier et qu'on y précipite ces insolents !

Page 202: 1 Septembre I

Aussitôt dit, aussitôt fait, bientôt les martyrs sont jetés dans les flammes. Mais quel n'est pas l'étonnement du bourreau quand il voit ses victimes se promenant doucement sur ces brasiers incandescents comme dans un jardin de délices et chantant ces cantiques d'allégresse :

Vers vous nous levons les yeux, ô Seigneur qui régnez dans les cieux. De même que les yeux des serviteurs sont fixés sur les mains de leurs maîtres, et les yeux de la servante sur celles de sa maîtresse, ainsi nos yeux sont tournés vers le Seigneur, notre Dieu, jusqu'à ce qu'il nous fasse miséricorde. Ayez pitié de nous, Seigneur, ayez pitié de nous, parce que nous sommes accablés de mépris. Jetez sur nous un regard de protection, afin que ceux qui ne connaissent pas votre nom ne disent pas :

« Où donc est ce Dieu en qui ils ont placé leur espérance ? »

Leur prière fut exaucée.Au moment où les païens lançaient contre le Dieu des chrétiens d’horribles

blasphèmes, voici que les flammes de la fournaise se divisent : une partie s'échappe dans les airs à la vue de toute la foule saisie d'admiration ; l'autre, comme un torrent, se précipite sur les plus exaltés des païens et les réduit en cendres.

Quant aux martyrs, ils sortirent de la fournaise sans avoir été touchés par le feu, qui n'avait fait que consumer leurs liens. Leur visage rayonnait d'une clarté toute céleste et leur bouche chantait des cantiques à la gloire du Très-haut. Témoin de ces merveilles, le peuple assemblé n'eut qu'une voix pour louer le Dieu de Cosme et de Damien, et bon nombre d'idolâtres se convertirent. Seul, le préfet s'endurcissait dans son incrédulité. Revenu de son étonnement, il renchérit encore sur sa première cruauté :

- Par les dieux tout-puissants, dit-il aux martyrs, vous me jetez dans une véritable inquiétude, et vos maléfices sans cesse renouvelés me font craindre pour vous. Mais, cependant, je veux une fois encore user de miséricorde : sacrifiez, et les plus grands honneurs sont à vous.

- Perfide ! répliquèrent les martyrs, tu n'as pu nous vaincre par la torture, voici maintenant que tu aiguises d'autres armes. Mais, sache-le, c'est en vain que tu veux nous séduire, car ce n'est point la magie, mais la puissance de notre Dieu qui nous a sauvés du feu. Une fois encore, nous le répétons, jamais nous ne sacrifierons à des idoles sans raison. Dieu est notre maître, il le sera jusqu'à la fin.

Le chevalet. – La lapidation.

A ces mots, le préfet s'écria plein de rage :- Ah ! vous ne voulez pas obéir à mes ordres ! Eh bien ! moi je ne me lasserai pas

de vous tourmenter. Vous avez subi les tortures de la flagellation, vous allez endurer maintenant celles du chevalet, et cette fois, j'en suis sûr, je vaincrai votre obstination.

Les martyrs s'étendirent eux-mêmes sur leur lit de douleur. Mais l'ange du Seigneur descendit de nouveau du ciel pour les protéger. En effet, les bourreaux avaient beau déchirer leurs chairs sanglantes, le médecin du ciel guérissait aussitôt leurs plaies et ils ne ressentaient aucune souffrance. Les « questionnaires », harassés

Page 203: 1 Septembre I

de fatigue, tombaient épuisés. A ce spectacle inouï, le préfet fit cesser la torture, et les glorieux athlètes se présentèrent pleins de la grâce de Dieu et le visage resplendissant de bonheur. Leurs bienheureux corps étaient exempts de toute blessure. Il est évident, dit alors le préfet, que vos maléfices seuls ont pu vous faire affronter de tels supplices, mais j'en prends les dieux à témoin, je ne cesserai pas de vous torturer jusqu'à ce que vous obéissiez aux édits de l'empereur.

- Ces édits nous les méprisons, répondirent Cosme et Damien, car nous avons dans le ciel un Roi dont la puissance est autrement grande, c'est Jésus-Christ, le Fils de Dieu, dans la main de qui les rois de la terre ne sont que des jouets. Quant à tes tourments, tu sais mieux que nous, combien ils nous sont peu redoutables.

Sur l'ordre du préfet, Cosme et Damien furent attachés sur des croix, près desquelles se tenaient leurs trois frères Anthime, Léonce et Euprèpe. Au signal donné, la lapidation commença. Mais, ô prodige, les pierres, au lieu d'atteindre les patients, revenaient frapper ceux qui les avaient lancées. Le juge, encore une fois déçu, ne contint plus sa fureur. Il fit venir quatre archers qui décochèrent contre les deux frères des flèches empoisonnées. Mais le même miracle se renouvela : les flèches détournées de leur direction, venaient semer la mort parmi les spectateurs.

Le triomphe dans la mort.

Consterné à la vue de ce nouveau prodige, le préfet donna l'ordre de décapiter les saints martyrs. Ils furent donc conduits au lieu de leur supplice. Pendant le trajet, ils chantaient tous d'une voix :

Il est bon de bénir le Seigneur et de louer votre nom, ô Très-Haut, de publier votre miséricorde dès le matin et votre vérité pendant la nuit ; votre bonté a éclaté magnifiquement sur nous. L'insensé ne connaît pas ces choses, et le fou ne les comprend pas.

Après ce cantique, les bienheureux levèrent les mains au ciel, et ayant prié intérieurement, ils dirent tous : Amen. Ils s'offrirent alors à leurs bourreaux, et, tandis que leur tête tombait sous la hache, leur âme était reçue dans les joies ineffables de l'éternité. C'était, dit-on, le 27 septembre 297. Les chrétiens recueillirent leurs corps. Mais il s'éleva entre eux une discussion à propos du désir que Cosme, on s'en souvient, avait manifesté de n'être pas enseveli avec son frère Damien. Par un nouveau miracle Dieu fit connaître que ne fussent pas séparés dans la mort ceux qu'une si vive affection avait unis pendant leur vie. Une même tombe renferma donc les restes des martyrs. Plus tard, ceux des saints Cosme et Damien furent transférés à Rome et honorés dans la crypte d'une église qui leur est dédiée au Forum. Leur culte s'est répandu en Occident comme en Orient. Les documents de la liturgie et plusieurs monuments en font foi. Et leurs noms figurent au Canon de la messe. Bien que le Bréviaire et le Missel ne mentionnent au 27 septembre, que saints Cosme et Damien, le Martyrologe Romain leur associe nommément leurs trois frères dans le même éloge.

A.L. D’Esprées.

Sources consultées. – Mgr Paul Guérin, Petits Bollandistes (Paris). – Dom Paul Piolin, Supplément aux Vies des Saints (Paris). – (V.S.B.P., n° 345.)

Page 204: 1 Septembre I

SAINT EXUPÈREÉvêque de Toulouse († vers 415)

Fête le 28 septembre.

A défaut de documents, l'historien de saint Exupère n'a d'autre ressource que de s'appuyer sur la tradition constante du pays commingeois et toulousain, tradition consacrée par les anciens Bréviaires et les monuments d'Arreau ; une chapelle du XVe siècle et les restes d'un oratoire fondé au XIe siècle sur le même emplacement, dit « du champ et de la maison de saint Exupère ».

L'évêque de Toulouse, dont il est ici question, n'eut rien de commun avec Exupère le Rhéteur, qui fut précepteur des frères puînés de Constantin le Grand, obtint une préfecture en Espagne et alla mourir à Cahors. Il n'en est pas de même d'Exupère, le saint prêtre de Bordeaux, dont parle saint Paulin, évêque de Nole, et que le docte Baronius identifie avec l'évêque de Toulouse.

Humbles origines. – Prêtre à Bordeaux.

Exupère naquit à Arreau, petite ville du diocèse actuel de Tarbes, gracieusement blottie dans un repli verdoyant de la vallée d'Aure. Ses parents étaient d'humbles cultivateurs, et, à différentes époques de sa vie, le futur Saint partagea leur modeste labeur. Selon Baronius, Exupère, aidé par les libéralités de saint Paulin, qui naquit et vécut assez longtemps à Bordeaux, aurait fréquenté les écoles de cette dernière ville et fait partie des pieuses phalanges que l'évêque Delphin groupait autour de lui.

Dans une lettre écrite, vers 397, à saint Amand de Bordeaux, le futur évêque de Nole, soucieux d'assurer la subsistance de Sanamarius qu'il veut affranchir, nous apprend qu'Exupère avait la charge d'une église de la ville, dotée sans doute par Paulin, puisque celui-ci peut disposer des biens de ce sanctuaire.

«  Prie, dit-il, le saint prêtre Exupère, notre frère, de prélever sur les fonds de l'église un lopin de terre d'où Sanamarius puisse tirer sa subsistance.»

Cet Exupère était donc prêtre de Bordeaux et méritait déjà la qualification de « saint ». Ce personnage vénérable est-il le futur évêque de Toulouse ? On en jugera plus loin.

Page 205: 1 Septembre I

Le même témoignage d'admiration se retrouve un peu plus tard, sous la plume de Paulin, et, cette fois, à l'adresse d'Exupère, évêque de Toulouse, qu'il range avec saint Amand de Bordeaux, son ami, parmi les pontifes des Gaules, « les plus admirables défenseurs de la foi et de la religion ».

Quelques années plus tôt, en 394 saint Jérôme, attiré lui aussi par la renommée du prêtre Exupère, le recommande à la jeune veuve romaine Furia, comme un directeur éclairé : « Vous avez Exupère le Saint, homme d'une foi et d'une maturité éprouvées ; il vous assistera fréquemment de ses conseils. »

Est-ce que, voyageant comme Jérôme, Paulin, Ruffin et d'autres prêtres de son temps, Exupère se trouvait provisoirement à Rome à cette date ? Ou bien, s'agit-il, dans ce passage, d'une direction à solliciter par correspondance ? On l'ignore ; d'ailleurs un seul point importe ici, c'est l'éloge réitéré qui est fait, à la même époque, du prêtre Exupère.

A Exupère le prêtre, à Exupère l'évêque signalé dans les lettres de Paulin, à Exupère le sage directeur d’âmes recommandé par saint Jérôme, tous reconnaissent un âge équivalent, une même sainteté ; il serait bien extraordinaire que ces traits identiques appartinssent simultanément à trois Exupère des Gaules, qui seraient différents. Il semble plus vraisemblable de conclure, avec les Bollandistes, que saint Paulin et saint Jérôme désignent un personnage unique : le petit montagnard commingeois, connu peut-être et apprécié de Paulin au cours de quelque villégiature aux Pyrénées, et devenu à Bordeaux, sous l'égide de son noble protecteur, un prêtre consommé en vertu, que son juste renom va désigner aux suffrages de l'Eglise de Toulouse.

Appel au siège épiscopal de Toulouse. – L'aiguillon fleuri.

Ces suffrages, moins que tout autre, l'humble prêtre les désirait. Aux premières rumeurs qui s'élevèrent autour de son nom, Exupère s'enfuit, désirant à tout prix éviter le fardeau de l'épiscopat. La tradition toulousaine et commingeoise nous le montre réfugié à Arreau, vivant en ermite, auprès de ses parents, et cachant, sous des dehors rustiques, des vertus qu'il entendait réserver pour Dieu seul. Les délégués du peuple et du clergé de Toulouse vinrent jusqu'à Arreau où ils le découvrirent d'une manière merveilleuse.

Des fresques peintes au XVe siècle autour du tombeau de saint Exupère à Blagnac, près de Toulouse, et dues au pinceau d'un Italien et probablement à la munificence du cardinal Joffredi, évêque d'Albi et abbé de Saint-Sernin, racontent en effet le miracle de l'aiguillon fleuri, dont voici la teneur essentielle.

La mère d'Exupère, quand elle ouït nommer son fils, dit aux délégués :- Celui que vous demandez est ici ; vous le voyez aux champs, avec son père ; c'est

celui qui touche à cette heure les bœufs de l'aiguillon.Les messagers, en apercevant leur évêque élu, se mirent à courir après lui, et dès

qu'ils l'eurent rejoint, ils le saluèrent humblement, mais avec joie, le priant d'accepter la charge épiscopale. Dans l'hymne des Laudes, la liturgie nous rappelle les appréhensions et la frayeur du Saint à ce message :

Page 206: 1 Septembre I

- Exupère, pourquoi trembles-tu devant le fardeau qui s'impose à toi ? N'es-tu pas l'élu du peuple, l'élu de Dieu ?

L'interpellé répondit qu'il lui était aussi impossible de les suivre, qu’à son aiguillon de fleurir. A l'instant, le bois desséché se mit à reverdir et à se couvrir de fleurs ; Exupère, émerveillé d'un tel miracle, se détermina aussitôt.

- Véritablement, dit-il, la volonté de Dieu est que j'aille à Toulouse.Après quoi, il se sépara de ses parents, non sans de grandes lamentations, car le

père et la mère désiraient fort jouir toute leur vie de la présence de leur fils.Les habitants de Toulouse vinrent au-devant de leur premier pasteur, en procession

et en chantant des hymnes. Une des fresques du tombeau représente le sacre. Exupère, revêtu de riches ornements Pontificaux, est assis sur un trône à baldaquin, et assisté de deux prélats consécrateurs. C'est entre les années 397 et 404 que, selon toute vraisemblance, doit se placer cet événement.

Zèle pour la foi et la discipline ecclésiastique.

Au début du Ve siècle, les persécutions n'étaient plus à craindre, mais des ennemis, non moins redoutables pour les âmes, menaçaient l'Eglise. L'hérétique commingeois Vigilance, condamnant la virginité, les jeûnes, le culte des images et des reliques, fut un sujet de scandale dans la région de Toulouse. A peine sacré, le nouvel évêque dut remédier à bien des abus, régler des situations difficiles, ramener une foule d'âmes à l'intégrité de la foi et de la discipline. Pour éclairer ses décisions et leur donner une autorité indiscutable, Exupère consulta, sur divers points, le Siège apostolique. La réponse élogieuse du Pape saint Innocent 1er (mars 405) a été classée parmi les décrétales des Papes. Innocent 1er y déclare indignes de toute fonction ecclésiastique les clercs infidèles aux vertus de leur état ; il accorde la réconciliation, à l'heure de la mort, aux pécheurs publics, taxe d'adultère le mariage contracté entre divorcés et termine sa lettre par l'énoncé du Canon des Saintes Ecritures.

En présence de cet acte de zèle pastoral et après cette réponse où la Pape égale Exupère aux meilleurs pontifes de son temps, il est impossible d'attribuer au Saint le reproche qu'adresse saint Jérôme un évêque gaulois, dans sa lettre à Riparius et Desiderius. Ces deux prêtres, chargés d'âmes dans une localité voisine de celle où vivait Vigilance, s'étaient facilement procuré les ouvrages de l'hérétique et les avaient adressés à Jérôme en 405 par l'intermédiaire du moine Sisinnius. Dans sa réponse, l'illustre Docteur reproche à un pieux évêque, qu'il ne nomme pas, de tolérer dans son diocèse le prêtre dépravé qu'est Vigilance, et de favoriser ses erreurs par le silence. Le reproche, accompagné de menaces, s'adresse sans nul doute à l'évêque du Comminges, dans le diocèse duquel dut se réfugier Vigilance impénitent ; mais il ne saurait s'appliquer à Exupère.

Le moine Sisinnius, en effet, député par Riparius et Desiderius, ne portait-il pas en même temps à Jérôme les aumônes de l'évêque de Toulouse ; et le saint Docteur aurait-il pu blâmer, dans sa lettre à Riparius, celui dont il louait au même moment la charité en lui dédiant son prologue sur le prophète Zacharie (406) ?

Page 207: 1 Septembre I

Relations avec saint Jérôme.

Le geste touchant d'Exupère subvenant aux besoins des pauvres moines de Palestine et d'Égypte est renouvelé des premiers âges de l’Église. Il émut saint Jérôme et lui dicta la magnifique lettre, dont nous venons de parler, adressée à l'évêque de Toulouse.

« A la fin de l'automne, lui écrit-il, notre frère, votre fils, le moine Sisinnius, m'a remis votre lettre. En la lisant, je me suis réjoui, parce que vous daignez vous souvenir de moi et me secourir avec les frères consacrés au service de Dieu, dans les Lieux Saints. Avec l'argent vous vous faites des amis parmi ces moines et vous vous préparez une place au ciel...

« J'apprends que, dans la vallée de larmes, dans le lieu préparé par le Seigneur pour la lutte et le couronnement des vainqueurs, vous allez de vertu en vertu, vous êtes ardent à l'étude des Écritures et vous imitez la pauvreté du Seigneur, afin de vous enrichir avec lui et de devenir l'objet de sa sollicitude. »

« Comme je désirais, vous offrir un faible hommage de mon modeste talent et que l'Explication des prophètes que j'avais commencée touchait à sa fin, je n'ai pas voulu abandonner l'ouvrage ; mais ce que je devais écrire encore, c'est surtout à vous, sans votre agrément, que je l'ai dédié. Vous serez assez bon pour y voix, non ma science qui est, ou nulle ou très petite, mais mes sentiments empressés pour vous. Vous m'encouragerez à poursuivre cette œuvre et à courir dans le vaste champ des Écritures. S'il y avait quelques personnes auxquelles j'eusse promis auparavant le commentaire de ces livres ou d'autres encore, qu'elles veuillent bien pardonner à mon incroyable affection pour vous, et qu'elles regardent comme adressé à elles-mêmes tout ce que je vous ai écrit...

« Bien cher Exupère, pontife vénérable, soyez-nous présent par vos prières, quoique absent de corps. Notre frère Sisinnius, votre envoyé près des moines d'Orient, se hâte d'aller répandre en Égypte le parfum de votre charité ; car les déserts desséchés ne sont pas seulement rafraîchis par le fleuve d'Éthiopie, mais aussi bien par les Saint flots abondants, venus des Gaules. Recevez notre livre, un peu trop négligé, non pas tant par notre faute, que par suite du départ précipité de celui qui vous l'apportera, car il brûle de partager vos trésors avec les saints, et il ne nous laisse pas le temps de payer notre dette. »

Saint Exupère sauve Toulouse des barbares.

En 407, les Alains, les Vandales, les Suèves, après avoir occupé une portion de la Pannonie et ravagé la Belgique, firent irruption dans les Gaules. Semant la désolation et les ruines sur leur passage, ils franchirent les Pyrénées et s'arrêtèrent en Espagne. Après les violences de l'invasion, les populations des pays ravagés connurent les horreurs de la famine. Prince de la charité, Exupère sacrifia à son peuple en détresse jusqu'aux trésors de son Eglise, qu'il convertit en aumônes, comme l'atteste, en 409, saint Jérôme, dans sa lettre, au moine Rusticus :

Page 208: 1 Septembre I

« Dans les temps malheureux où nous vivons, sous les glaives qui nous menacent de toutes parts, c'est être assez riche que d'avoir du pain... ; le saint évêque de Toulouse, Exupère, pareil à la veuve de Sarepta, qui manquait de tout, trouve encore le moyen de secourir ses frères dans l'indigence. Consumé par le jeûne, il est encore plus tourmenté des privations de ses frères.

Tout ce qu'il avait, il l'a distribué à ses enfants, et je ne connais rien de riche comme cet évêque qui porte le Corps de Jésus-Christ dans une corbeille d'osier et son Sang précieux dans un vase de verre… Marchez sur les traces de ce grand homme et de tous ceux qui lui ressemblent, de ceux que le sacerdoce rend plus pauvres et plus humbles. »

En commentant ce trait, ainsi connu grâce aux lettres de saint Jérôme, Massillon s'écriait :

« O sainte magnificence, ô faste vraiment épiscopal et digne d'un ministre de la croix ! O spectacle de la charité, mille fois plus digne du respect et des hommages des peuples, que tout l'éclat d'un luxe profane ! »

Père de son peuple, Exupère était devenu, par un miracle de Dieu, l'invincible défenseur de sa cité, dont il interdit l'accès aux barbares. C'est encore saint Jérôme qui nous l'apprend, dans l'épître qu'il adresse à la veuve Ageruchia, en 411 :

« Si nous vivons encore, quoique en petit nombre, dit-il, nous ne le devons pas à notre mérite, mais à la miséricorde du Seigneur. D'immenses et cruelles nations ont occupé toutes les Gaules... Des régions qui se trouvent entre les Alpes et les Pyrénées, entre l'Océan et le Rhin, elles ont tout ravagé... Je ne puis, sans verser des larmes, faire mention de Toulouse, à laquelle les mérites de son saint évêque Exupère ont obtenu jusqu'à ce jour de ne pas succomber. Je passe le reste sous silence, afin de ne pas paraître désespérer de la clémence de Dieu. »

Les peintures du tombeau et les tapisseries de la cathédrale de Toulouse ont fixé ce souvenir en représentant Exupère, debout sur les remparts, le goupillon à la main, renversant les assaillants de leurs échelles.

Transfert des reliques de saint Saturnin.

Exupère acheva la basilique commencée par son prédécesseur. L'heure était venue de transférer les restes de saint Saturnin ou Sernin, évêque de Toulouse, dans ce temple élevé à sa mémoire. Saint Hilaire s'était borné à élever une voûte sur le sarcophage de l'évêque martyr, et à surmonter ce caveau d'un modeste oratoire de bois. Saint Sylve voulut l'agrandir, et jeta les fondements d'un temple auprès du sépulcre vénéré, qu'il avait dessein d'annexer à sa construction nouvelle.

Exupère compléta le monument. Il sollicita ensuite et obtint de l'administration impériale toutes les autorisations nécessaires ; après quoi, il s'empressa de recueillir les précieuses reliques de saint Saturnin et de les exposer à la vénération de son peuple. Une tradition lui attribue encore la purification et la consécration à Marie d'un temple dédié à Minerve et devenu depuis la basilique de Notre-Dame de la Daurade.

Page 209: 1 Septembre I

Physionomie de saint Exupère. – Sa mort.

Au XVIe siècle, Bertrandi, historien souvent plus naïf que critique, avança que, après plusieurs années d'épiscopat, Exupère, découragé par l'obstination de ses ouailles, les aurait abandonnées pour retourner au pays natal. La vie entière de l'évêque dément une pareille assertion, dont les contemporains ne parlent pas, et que les Bollandistes traitent de fable. Rapprochons les traits épars dans sa biographie, ils esquissent une figure bien attachante.

Favorisé des dons de l'intelligence, Exupère est initié par une brillante éducation aux secrets de la science, de celle de Dieu surtout, qu'il recherche sans cesse, se livrant, malgré les labeurs de son ministère, à l'étude constante des Saintes Ecritures. Les vertus chrétiennes et sacerdotales s'étaient développées de si bonne heure dans cette nature d'élite, qu'Exupère jouissait à juste titre d'une réputation de sainteté dès avant son élévation à l'épiscopat. Aussi saint Jérôme reconnaissait-il en lui un guide parfait des âmes.

Humble, le Saint fuit les honneurs, et ne les accepte que pour mener sur le trône épiscopal une vie pauvre et modeste ; il se dépouille de son superflu et répand d'abondantes aumônes. Pieux, son cœur reste sans cesse élevé vers Dieu ; il vénère filialement l'apôtre martyr de Toulouse et n'a de repos qu'il n'ait élevé en son honneur une basilique. Vienne la famine, le prélat atteindra l'héroïsme de la charité. Dépouillé de tout, il montera à l'autel pour offrir le saint sacrifice dans un calice de verre, et renfermer le Corps du Christ dans un panier d'osier.

Le dernier acte de sa vie est encore une libéralité. Il fonda un hospice à Blagnac, petite localité voisine de Toulouse, et où les Romains avaient construit des thermes. C'est là, au milieu des pauvres et des malades, que le charitable évêque devait rendre son âme à Dieu, vers 415. La légende raconte que sa vieille mère, avertie de sa maladie, arriva en toute hâte, et, comme elle allait entrer à Blagnac, elle aperçut une colombe, symbole de l'âme de son fils, qui montait au ciel.

Les reliques. – Le culte.

Les restes de saint Exupère demeurèrent plus de cent ans à Blagnac, pour être transportés ensuite à Toulouse auprès du tombeau de saint Saturnin, à côté des reliques de saint Honorat, de saint Hilaire et de saint Sylve, ses prédécesseurs. Quand, vers la fin du XIe siècle, le bienheureux Pape Urbain II consacra la nouvelle basilique romane de Saint-Saturnin, il fit la translation des reliques de plusieurs Saints, parmi lesquelles celles d'Exupère.

En 1219, Toulouse, délivrée d'un fléau par l'intercession du Saint, décida par l'entremise de ses capitouls qu'une lampe brûlerait à perpétuité devant les reliques. En 1399, l'archevêque Pierre de Saint-Martial offrait un buste d'argent pour enchâsser le chef de saint Exupère ; en 1489, l'un des bras du Saint était enfermé dans un bras de vermeil rehaussé de pierreries ; l'autre fut donné à Arreau, lieu natal du Saint, où il est encore conservé dans un précieux et antique reliquaire.

Page 210: 1 Septembre I

La cathédrale de Chartres et le monastère de Gassan, dans l'ancien diocèse de Béziers, obtinrent au moyen âge quelques reliques.

En 1527, une maladie contagieuse décimant le peuple de Toulouse, on eut encore recours et avec succès à saint Exupère, regardé dès lors comme un des principaux protecteurs de la ville. En 1586, au nom de la cité, les capitouls reconnaissants lui offraient une châsse de vermeil en forme de chapelle à clocheton, ornée en relief de son image et de celles de la Sainte Vierge et des Apôtres. Les précieuses reliques furent alors déposées dans la chapelle du chevet de la basilique.

La Révolution fit disparaître les reliquaires, mais les restes du Saint, préservés de toute profanation et descendus aux cryptes, reposèrent jusqu'en 1902 dans un pauvre coffret en bois. A cette date, une châsse en cuivre doré et ouvragé les reçut, mais sans faire oublier l'antique châsse d'argent.

Le culte de saint Exupère est répandu dans la région toulousaine et commingeoise ; on le retrouve aussi dans le Bigorre, le Rouergue et le Bas-Quercy.

A.F.S.

Sources consultées. – Acta Sanctorum, t. VIII de septembre (Paris et Rome, 1865).

Cayre, Histoire des évêques de Toulouse. – Massot, Histoire de saint Exupère. –Baccalerie, « Saint Exupère et son culte » (dans la Revue de Comminges, 1901 et 1902). – (V.S.B.P., n° 138.)

……………..

PAROLES DES SAINTS_________

Les biens périssables.

Si vous êtes sage, ne cherchez pas des biens dont l'acquisition rend misérable. Heureux qui n'a pas couru après des biens qui dégoûtent quand on en jouit, qui corrompent quand on les aime, qui désolent quand on les perd ! Ne vaut-il pas mieux avoir la gloire de les mépriser que la douleur de les perdre ? Ne vaut-il pas mieux en être dépouillé par l'amour que par la mort ?

Saint Bernard.

Page 211: 1 Septembre I

SAINT CYRIAQUEMoine de Palestine (448-556)

Fête le 29 septembre.

Saint Cyriaque se donnait à juste titre comme le disciple et l'héritier de saint Euthyme et de saint Gérasime, car nul plus que lui ne sut faire revivre les vertus de ces deux grands serviteurs de Dieu.

Premières années.

Il naquit à Corinthe, capitale de la province d'Achaïe, le 9 janvier 448. Son père, nommé Jean, était attaché au service de la cathédrale ; sa mère, Eudoxie, avait un frère, Pierre, qui était archevêque de la ville et qui, comme bien on pense, s'intéressa particulièrement à son neveu.

Aussi celui-ci, encore enfant, reçut-il l'Ordre mineur du lectorat, qui requérait de lui une étude approfondie des Saintes Ecritures. Rarement donc quelqu'un fut plus à même que Cyriaque de se former de bonne heure à toutes les vertus et à toutes les manières que l'on rencontre d'ordinaire chez les hommes du sanctuaire.

Saint Cyriaque quitte le monde.

Un jour qu'il entendit chanter à l'église cette parole de l'Évangile :

« Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il renonce à lui-même, prenne sa croix et me suive », Cyriaque conçut aussitôt le dessein de renoncer définitivement au monde. Sans informer qui que ce fût de son projet, il se rendit à Cenchrées, le port de Corinthe, où il trouva un bateau qui faisait voile pour la Palestine et il s'y embarqua.

Page 212: 1 Septembre I

Sa vie religieuse en Palestine.

Quelques jours après, Cyriaque arrivait à Jérusalem. C'était au mois de septembre 465, il n'avait pas encore terminé sa dix-huitième année.

La Palestine était alors, comme l'Égypte, la Syrie et l'Arménie, couverte de nombreux monastères. En ces régions vivaient des milliers d'hommes retirés du monde, cénobites, c'est-à-dire menant une existence commune, ou anachorètes vivant de la vie érémitique. Sur eux le désert exerçait une véritable attirance qu'on s'explique quand on lit cette lettre adressée par saint Jérôme à Héliodore :

O désert émaillé des fleurs du Christ ! O solitude, où se forment les pierres avec lesquelles on bâtit la cité du grand Roi ! O désert, où l'on jouit plus qu'ailleurs de la familiarité divine ! Que fais-tu dans le siècle, ô mon frère Héliodore, toi qui es plus grand que le monde ? Combien de temps resteras-tu plongé sous l'ombre des maisons ? Combien de temps seras-tu captif dans la prison des villes enfumées ?... Crains-tu de meurtrir tes membres exténués par les jeûnes en les étendant sur la terre nue ? Mais le Christ s'étend à tes côtés... L'immensité du désert t'épouvante-t-elle ? Mais que ton âme fasse une excursion dans le paradis. Toutes les fois que tu t'y élèves en pensée, tu cesses d'habiter le désert.

Cyriaque passa donc l'hiver de 465-466 dans le monastère que l'abbé Eustorge venait d'élever aux environs de la Ville Sainte.

Son amour de la retraite et de la solitude le poussait, au printemps de l'année suivante, vers saint Euthyme, qui le revêtit de l'habit religieux, mais refusa, en raison de son extrême jeunesse, de l'admettre dans la laure ou monastère qu'il dirigeait. Et comme saint Théoctiste, qui dirigeait un couvent non loin de là, venait de mourir, Euthyme adressa le jeune Cyriaque à saint Gérasime.

Neuf années durant, le novice se forma sous cette sage direction, à tous les travaux et à toutes les coutumes du monachisme, accompagnant son maître dans les landes incultes du désert de Rouba, jeûnant comme lui et s'essayant à reproduire son genre de vie. Dès ce moment, il se nourrissait surtout de pain et d'eau, ne touchant jamais ni à l'huile ni au vin, que se permettaient parfois même les anachorètes.

Ses préoccupations, en dehors de la récitation de l'office, étaient des plus modestes. Il coupait du bois, portait de l'eau, épluchait des légumes, aidait le cuisinier de son mieux. Mais en tout, il se montrait si humble et si obéissant que saint Gérasime le proposait déjà comme un modèle aux vétérans de la vie religieuse.

Saint Cyriaque assiste aux funérailles de saint Euthyme.

Dans la nuit du 19 au 20 janvier 473, saint Euthyme avait rendu sa belle âme à Dieu. A la même heure, saint Gérasime en prière voyait l'âme du grand solitaire monter vers le ciel, ainsi que nous l'apprend un récit très vivant et très circonstancié qu'un biographe dit tenir de Cyriaque en personne.

La cinquième année de mon séjour dans la laure de Gérasime, rapporté donc Cyriaque, le 19 du mois de janvier, un vendredi soir, j'étais en train de préparer la

Page 213: 1 Septembre I

cuisine pour les Frères. Or, à la cinquième heure de la nuit, tandis que je veillais pour éplucher les légumes, saint Gérasime accourut tout à coup vers moi et me dit :

- Cyriaque, mets tes sandales, prends ton manteau et suis-moi. Ce que je fis à l'instant même.Et comme nous arrivions à Jéricho, je dis au vieillard :- Père vénéré, quel est le motif de ce voyage ?- C'est que, reprit Gérasime, Euthyme le sanctifié est mort.- Et comment le savez-vous ? repartis-je.Alors le vieillard me répondit :- A la troisième heure de la nuit, tandis que j'étais en prière, j'ai vu le ciel s'ouvrir

et un éclair déchirer la nue et descendre jusqu'à terre. Et l'éclair resta ainsi assez longtemps sous la forme d'une colonne lumineuse qui allait de la terre au firmament. Et, comme j'étais indécis sur le sens de cette vision et que je demandais à Dieu de m'en indiquer la cause, j'entendis une voix qui sortait du ciel et qui me dit : « C'est l'âme du grand Euthyme qui monte vers les cieux. » Et peu à peu, 1a colonne lumineuse s'éleva de terre avec des chants harmonieux et elle disparut dans les nuées.

Aux funérailles de l'illustre solitaire, que présidait Anastase, patriarche de Jérusalem, tout le peuple monastique des environs de Jérusalem et de la plaine du Jourdain s'était réuni. La foule fut même si considérable que l'on dut employer des soldats pour la contenir. Tous, semblaient confondus dans un même sentiment pour rendre à ce champion de l'Eglise des honneurs funèbres dignes de sa mémoire.

Séjour au monastère de Saint-Euthyme.

La mort de saint Gérasime, arrivée le 5 mars 475, laissa Cyriaque orphelin. Il retourna à la laure de saint Euthyme, où l'higoumène Elie lui donna une cellule isolée des autres pour y mener la vie contemplative. Il était alors dans sa vingt-septième année, remarque l'historien, et il ne possédait rien des biens de ce monde.

Peu après, Cyriaque s'employa, et avec beaucoup de zèle, à la transformation de la laure de Saint-Euthyme en monastère, avec les autres moines ses confrères. Saint Euthyme, en effet, avait laissé en mourant deux maisons religieuses fondées par lui, un monastère, celui de Saint-Théoctiste, et une laure qui portait son propre nom.

Or, après la dédicace solennelle de l'église de Saint-Euthyme (7 mai 484), mourut Longin, supérieur de Saint-Théoctiste, qui fut remplacé par le moine Paul. Celui-ci n'hérita pas de la mansuétude de son prédécesseur ni de ses sentiments pacifiques à l'égard du monastère de Saint-Euthyme. Un conflit ne tarda pas à éclater.

Dans les premiers mois de l'année 485 succomba le cheikh des Arabes catholiques, dont la guérison miraculeuse, obtenue par saint Euthyme, avait jadis décidé la conversion de toute la tribu. A ses derniers moments, il laissa de grandes sommes d'argent et d'immenses propriétés qu'il déclara, de vive voix, devoir être partagées amicalement entre les deux monastères.

Page 214: 1 Septembre I

L'abbé Paul, au lieu de se concerter avec le supérieur de Saint-Euthyme, devança le par toge ; il s'adjugea le corps du cheikh, ainsi que l'argent et les propriétés, et poussa l'audace jusqu'à venir construire un mur de clôture et une tour près de Saint-Euthyme.

Naturellement cela n'alla pas sans de vives protestations. Des dissensions s'ensuivirent, puis des disputes violentes, puis enfin la séparation des deux monastères. Tant de tumulte ne convenait guère à l'âme pacifique de Cyriaque, qui se retira alors à la laure de Saint-Chariton (août 485) ; il avait reçu le diaconat pendant son séjour à Saint-Euthyme.

Séjour à la laure de Saint-Chariton.

La laure fondée par saint Chariton dans la première moitié du IVe siècle, se trouve à trois kilomètres environ à l'est de Thécoa, la patrie du prophète Amos, dans une gorge désolée, entourée de montagnes abruptes. Durant les quatre premières années de son séjour, Cyriaque fut employé successivement à la boulangerie, à l'infirmerie, à l'hôtellerie, enfin à l'économat. Comme il s'acquitta fort bien de ces diverses fonctions, on lui confia ensuite le soin des vases sacrés et des reliques, c'est-à-dire du « trésor » de la laure, suivant l'expression consacrée, en même temps qu'on le nomma « canonarque ». A ce dernier titre, le nouveau dignitaire annonçait les exercices de la communauté en frappant le fer ou le bois des simandres, mais surtout, selon l'étymologie du mot, il dirigeait le chant du « canon », c'est-à-dire de l'office, en donnant le ton des morceaux à exécuter. Il était donc musicien, et musicien habile, puisqu'il conserva sa fonction pendant trente et un ans. De cela nous avons, d'ailleurs, un témoignage formel.

Deux siècles après la mort de Cyriaque, dans l'hymne qu'il composa pour sa fête, saint Etienne le Sabbaïte le représente « chantant harmonieusement dans les vigiles ».

Les mots employés par saint Etienne ne peuvent être regardés comme une formule banale applicable à tous les moines morts en odeur de sainteté, car son hymne suit visiblement pas à pas la vie de saint Cyriaque que nous possédons encore ; c'est donc ainsi qu'il interprète le mot de canonarque.

On peut en conclure que saint Cyriaque a été un mélode et un hymnographe, car les premiers chantres de l'Eglise grecque, dont nous connaissons les œuvres d'une manière certaine, ont tous été à la fois poètes et musiciens.

Dès lors, il y a lieu de se demander si Cyriaque n'est pas l'auteur d'un fort beau poème liturgique sur la résurrection de Lazare de Béthanie, que l'acrostiche attribue nettement à un auteur de ce nom. On le chantait dans l'Eglise grecque le samedi qui précède la fête des Rameaux et qui est un jour baptismal. C’est pendant qu’il exerçait cet emploi, vers l’année 500 selon toute probabilité, que le diacre Cyriaque fut élevé à la dignité du sacerdoce. Il la méritait plus que tout autre par ses talents et par ses vertus. Lui qui parlait si peu de sa personne avouait pourtant un jour à son biographe, Cyrille de Scythopolis, qui nous l’a rapporté, que durant ces trente et un ans, il ne s’était jamais mis en colère et n’avait jamais mangé avant le coucher du soleil.

Page 215: 1 Septembre I

Saint Cyriaque gardé par un lion.

Long séjour dans le désert.

Au cours de l'année 525, alors qu'il était dans sa soixante-dix-septième année, Cyriaque abandonna les diverses charges qu'il remplissait à la laure, puis la laure elle-même, et il s'enfonça avec un disciple dans la profondeur du désert de Natoupha.

Pendant cinq ans les deux solitaires s'y nourrirent d'oignons de scilles, sorte de lis sauvages qui, une fois cuits et bénits par Cyriaque, perdaient et leur venin, analogue à celui de la digitale, et leur amertume. Un des principaux habitants de Thécoa leur ayant un jour apporté une charge de pain et le disciple ayant continué, sans en avoir informé son maître, à faire cuire et à manger des scilles, celles-ci conservèrent leur amertume naturelle, et le jeune religieux ne fut guéri que par les prières de Cyriaque et par la réception de la sainte Eucharistie. Une fois que la provision de pain fut épuisée, les oignons de lis purent être mangés comme précédemment sans danger.

Du désert de Natoupha, après avoir guéri un enfant lunatique de Thécoa, Cyriaque gagna un désert plus abandonné encore, celui de Rouba, où il resta également cinq ans, prenant pour toute nourriture des racines d'herbes sauvages et de la moelle de roseaux. Plusieurs personnes malades ou affligées par les esprits malins lui furent apportées et s'en retournèrent guéries. D'ordinaire, Cyriaque opérait ces guérisons en invoquant le nom de Jésus-Christ et en traçant sur les malades le signe de la croix.

Page 216: 1 Septembre I

Comme la foule envahissait de plus en plus sa solitude, l'anachorète prit la résolution de mettre entre elle et lui le plus d'espace possible ; il s'enfonça donc dans le « tout-désert », pour employer l'expression du biographe, au confluent de deux gorges affreuses, brûlées par un soleil tropical et presque dépourvues de toute végétation. Le lieu s'appelait Sousakim, et Cyriaque y demeura sept années encore.

Lutte contre les origènistes.

A ce moment, les querelles des partisans d'Origène, qui soutenaient trois erreurs principales – l'inégalité des personnes divines, l'éternité de la création et des âmes et la durée temporaire de l'enfer – provoquaient des tempêtes dans tous les couvents de Palestine. Nonnos et Léonce de Byzance, leurs deux chefs, ouvertement soutenus par leurs anciens confrères, les évêques Domitien et Théodore Askidas, recrutaient des adhérents dans les monastères, déposant de force les supérieurs favorables à l'orthodoxie et les remplaçant par leurs créatures.

L'abbé de la laure de Saint-Chariton, Isidore, étant mort, les origénistes mirent tous les moyens en œuvre pour entamer ce couvent célèbre et l'attirer, si possible, de leur côté. Ils y réussirent en partie et s'efforcèrent de lui imposer comme supérieurs deux des leurs, Pierre d'Alexandrie et Pierre de Grèce. La communauté se révolta contre un pareil despotisme. Par deux fois, elle expulsa les créatures des origènistes et choisit en fin de compte un moine de Saint-Sabas nommé Cassien, dont l'orthodoxie était irréprochable (540).

Mais comme tout était à redouter de la part des hérétiques, instruits, nombreux et turbulents, les religieux fidèles résolurent de mettre à couvert l'autorité de Cassien sous le grand nom de Cyriaque ; ils se rendirent donc à Sousakim, emmenèrent le vieil ermite à la laure de Saint-Chariton, et pendant cinq ans, de 542 à 547, ils l'opposèrent comme une digue vivante aux flots toujours montants de l'hérésie.

Cyriaque habitait tantôt l'ancienne cellule de saint Chariton, tantôt la grotte du même nom, aujourd'hui Moghar-Khareitoun.

Histoire de l'anachorète Marie.

Nous rapporterons ici la touchante histoire que nous a racontée le biographe de Cyriaque, saint Cyrille de Scythopolis, parce qu'il l'a placée lui-même un peu avant la mort du saint moine et que celui-ci y est étroitement mêlé.

Cette histoire d'ailleurs n'est pas sans analogie avec celle de sainte Marie l'Égyptienne qui vivait un siècle auparavant et qui avait été découverte dans le désert par saint Zosime.

Accompagné du moine Jean, raconte Cyrille, je m'en allais un jour à travers la solitude visiter saint Cyriaque. En chemin, Jean me montra le tombeau de la bienheureuse Marie. Comme je n'en avais jamais ouï parler et que je demandais des explications, il me narra le trait suivant :

Page 217: 1 Septembre I

- Il n'y a pas longtemps, me dit-il, je montais avec mon condisciple Parammon vers l'abbé Cyriaque. Tout à coup, parmi les plantes et 1es arbustes du désert, une forme humaine apparut à nos yeux. Croyant à la rencontre fortuite d'un anachorète, nous commencions à presser le pas, lorsque l'apparition s'évanouit subitement. Cette fois, nous pensions avoir affaire à un mauvais esprit. Une prière suppliante s'échappait déjà de nos lèvres quand, en promenant les yeux de côté et d'autre, nous aperçumes une grotte souterraine dans laquelle le serviteur de Dieu s'était réfugié. Aussitôt s'établit entre nous et l'anachorète un dialogue conçu à peu près en ces termes :

- Père ! ne nous privez pas de vos prières et de votre société.- Que me voulez-vous ? Je suis une femme. Et où allez-vous maintenant ?- Nous allons trouver le solitaire Cyriaque. Dites-nous votre nom, ce que vous faites ici et

pourquoi vous y êtes venue.- Retirez-vous ; je vous le dirai à votre retour.- Nous voulons bien sortir de la grotte, mais après que vous aurez répondu à nos

questions.

Je m'appelle Marie. J'étais autrefois chanteuse à l'église du Saint Sépulcre. Comme le démon tentait un grand nombre de personnes à mon sujet et que je craignais d'être responsable de leurs égarements, je pris un jour la résolution de m'enfuir. Descendue à la piscine de Siloé, je remplis d'eau ce vase, j'emportai cette corbeille de légumes cuits à l'eau et je sortis durant la nuit de Jérusalem. Dieu me conduisit ici, où, pendant dix-huit ans, je l'ai servi avec sollicitude, sans que cette eau ni ces légumes aient en rien diminué. Depuis le jour de mon arrivée, vous êtes les premières personnes que j'ai aperçues. A présent, allez, accomplissez votre message et venez me voir à votre retour.

Là-dessus, nous prîmes congé d'elle pour nous rendre auprès de l'abbé Cyriaque. Ce dernier, instruit de cet événement, nous engagea fort à nous conformer à ce qu'elle avait recommandé. Au retour, nous vînmes, suivant l'usage des anachorètes, frapper à la porte de la grotte, mais personne ne nous répondit, et quelle ne fut pas notre surprise en entrant de trouver Marie inanimée. Nous n'avions ni outils sous la main pour creuser une fosse, ni ce qui est requis pour des funérailles. On vint à notre aide de la laure de Souca et nous pûmes enterrer Marie dans sa grotte, puis nous retirer après en avoir obstrué l'entrée.

Voilà ce que m'a raconté le moine Jean, ajoute Cyrille ; j'ai jugé bon de le transmettre par écrit pour le profit spirituel de nos lecteurs et la plus grande gloire de Jésus-Christ.

Les derniers jours de saint Cyriaque.

La mort du chef des origènistes, Nonnos, lui ayant rendu quelque tranquillité, Cyriaque échangea une fois encore la grotte de Saint-Chariton pour l'ermitage de Sousakim, (février 547-décembre 554). C'est là qu'il fit la connaissance du jeune Cyrille, qui devait être un jour son biographe et qui, dans les longues conversations échangées entre eux, lui demandait les renseignements les plus précis et les plus circonstanciés sur saint Euthyme, saint Sabas, saint Théodose, etc., dont il voulait se faire l'historien.

Page 218: 1 Septembre I

Le bon vieillard accueillait son hôte avec les marques de la plus vive sympathie et il lui témoignait la plus grande tendresse. Pour le futur biographe, le lion apprivoisé, qui s'était constitué le gardien du potager de Cyriaque et protégeait ses légumes contre les dents des chèvres sauvages et surtout contre celles des Bédouins, faisait taire un instant sa défiance à l'égard de tout étranger et il le laissait circuler impunément. Ce n'est pas toutefois sans un certain frisson, le lecteur le devine sans peine, que Cyrille se rendait d'ordinaire à ces rendez-vous. Il eût préféré trouver le vieil anachorète seul que d'être obligé de passer près d'un pareil portier.

Au bout de huit années, les religieux de Saint-Chariton ramenaient encore Cyriaque à la grotte du fondateur, où il terminait, le 29 septembre 556, une vie consacrée tout entière au service de Dieu et de la religion. Il était âgé d'environ cent neuf ans et en avait passé plus de quatre-vingt-dix dans la vie religieuse. Jusqu'à sa dernière maladie, il assistait régulièrement à la récitation de l'office, servait de ses mains ceux qui le visitaient, et Cyrille note avec soin que sa haute taille ne s'était pas encore courbée.

Sa fête est marquée au 29 septembre dans le Martyrologe romain, ainsi que dans le calendrier de l'Eglise grecque.

Fr. Delmas.

Sources consultées. – Acta Sanctorum, t. VIII de septembre (Paris et Rome, 1865). – RR. PP., Vailhé et Pétridès, Saint Jean le Paléolaurite (Paris, 1905). – (V.S.B.P., n° 1681.)

…………..

PAROLES DES SAINTS_________

Le bienfait de l'adversité.

Dans la prospérité, on oublie aisément ce que l'on doit à Dieu ; dans l'adversité on y revient.

Saint Barnabé.

(Epître.)

Page 219: 1 Septembre I

SAINT JÉROMEConfesseur, Père et Docteur de l’Eglise (331- 420)

Fête le 30 septembre.

Avec saint Hilaire, son aîné d'environ quarante ans, saint Ambroise et saint Augustin, ses contemporains, saint Jérôme forme le groupe illustre des quatre Pères de l'Eglise latine aux IVe et Ve siècles.

Dès les premières lignes de l'Encyclique Spiritus Paractitus du 15 septembre 1920, publiée à l'occasion du quinzième centenaire de sa mort, Benoît XV déclare solennellement que l'Eglise catholique reconnaît et vénère en saint Jérôme « le plus grand Docteur que lui ait donné le ciel pour l'interprétation des Saintes Ecritures ».

Un ancêtre des humanistes.

Jérôme naquit vers l'an 331 à Stridon, petite ville aujourd'hui disparue, située aux confins de la Dalmatie et de la Pannonie, d'une famille riche et chrétienne. Quand il atteignit l'âge de dix-huit ans, ses parents l'envoyèrent poursuivre à Rome l'étude des belles-lettres, où il devait exceller par la profondeur de son jugement, la vigueur de son intelligence, l'éclat de son imagination. Epris de livres, dont il avoue qu'il ne pouvait se passer, il se forme, au prix du plus opiniâtre travail, c'est-à-dire en les copiant de sa main, une riche bibliothèque, se préparant ainsi à son insu aux œuvres qui devaient remplir sa vie.

Les séductions de la grande ville entraînèrent un instant le jeune étudiant, qui n'était encore que catéchumène, hors de la voie droite, mais bientôt, revenant à des idées plus saines, il demanda et reçut le baptême des mains du Pape libère vers 366. C'est au cours d'un voyage en Gaule, entrepris vers cette époque, afin d'étendre ses connaissances et où il poussa jusqu'à Trèves, qu'il forma le projet de renoncer au monde pour se consacrer tout entier à Jésus-Christ.

Page 220: 1 Septembre I

Au désert de Chalcis.

Un séjour assez bref à Aquilée, métropole de sa province natale, l'ayant exposé à des inimitiés et à des persécutions, il résolut de passer en Orient, vraisemblablement en 372, n'emportant avec lui que sa bibliothèque. I1 fit route par la Thrace, le Pont, la Bithynie, traversa la Galatie, la Cappadoce, la Cilicie et une partie de la province syrienne. Obligé par sa mauvaise santé de s'arrêter à Antioche, il en profita pour entendre les hommes les plus versés dans les Saintes Lettres, notamment Apollinaire, évêque de Laodicée, le même qu'il combattra, dix ans plus tard, au Concile de Rome.

Aussitôt guéri, il s'enfonça dans le désert de Chalcis, où il devait séjourner environ cinq ans. En vue de pénétrer plus à fond le sens de la Parole divine en même temps que pour refréner par un travail acharné les ardeurs de la jeunesse, il se mit à l'école d'un Juif converti qui lui apprit l'hébreu et le chaldéen.

« Quelle peine il m'en coûta, que de difficultés à vaincre, que de découragement, combien de fois j'ai abandonné cette étude pour la reprendre ensuite, stimulé par ma passion de la science, moi seul pourrais le dire, qui l'éprouvai, et ceux avec qui je vivais. Je bénis Dieu pour les doux fruits qu'a portés pour moi la graine amère de l'étude des langues. »

Ainsi s'exprime-t-il dans une de ses lettres. Et pour mater sa chair, il couchait sur la terre nue, passait les nuits et les jours à verser des larmes, refusait toute nourriture pendant des semaines entières. Ces prières et ces larmes furent enfin victorieuses, et les attaques mêmes du démon firent éclater sa sainteté.

Les querelles disciplinaires et dogmatiques qui divisaient alors l'Eglise d'Antioche l'obligèrent vers l'an 377 à venir dans cette ville. Cédant aux instances de l'évêque Paulin, il consentit à recevoir de ses mains la prêtrise vers 378 ; tout en se réservant la faculté de retourner au désert et de rester moine, afin d'être libre de toute attache avec une Eglise particulière quelconque. C'est ainsi qu'en 380 nous le trouvons à Constantinople, à l'école de saint Grégoire de Nazianze. En 382, ce dernier ayant résigné ses fonctions pour se retirer à Arianze, Jérôme quitta Constantinople et se rendit à Rome, où le Pape saint Damase venait de convoquer un Concile contre l'hérésie des appollinaristes.

Deuxième séjour à Rome.

L'évêque de Milan, saint Ambroise, désigné par le suffrage public pour être le secrétaire du Concile, tomba malade au dernier moment. Les Pères cherchaient en vain un suppléant, quand saint Damase se leva, fit approcher le moine Jérôme, retiré humblement au dernier rang et le présenta à l'assemblée qui, d'un accord unanime, le proclama secrétaire. La tâche de saint Jérôme était difficile ; il lui fallait non seulement soutenir la lutte contre les fauteurs de l'appollinarisme, mais encore les ramener à résipiscence. Les hérétiques se défendirent avec opiniâtreté durant plusieurs séances ;

Page 221: 1 Septembre I

mais le Saint les pressa si bien qu'ils finirent par signer le formulaire présenté par le Concile. Ce succès attira sur Jérôme l'attention du Pontife qui se l'attacha en qualité de secrétaire et d'archidiacre. Sur l'ordre du Pape, le grand docteur entreprit l'œuvre capitale de sa vie, la traduction des Livres Saints, que l'Eglise devait un jour adopter sous le nom de « Vulgate ». En même temps, il écrivait la correspondance officielle du Pontife ; malheureusement, cette partie de son œuvre est perdue.

Dans son nouvel état, l'ancien solitaire n'avait rien changé à sa vie ; il portait son habit de moine et jeûnait comme au désert. Sous son impulsion, des réunions monastiques composées de vierges et de veuves se formèrent autour de plusieurs femmes illustres par la noblesse de leur origine et la sainteté de leur vie, Paula, Marcella, Eustochium.

Devant cet auditoire d'élite, il commentait les passages les plus difficiles de l'Écriture, et ses leçons étaient si bien comprises que les prêtres eux-mêmes venaient consulter ces saintes vierges, pour résoudre les questions d'exégèse les plus embarrassantes. Grâce à la salutaire influence du Saint, l'on vit des dames de la plus haute société quitter le siècle pour mener une vie cachée en Jésus-Christ.

De sa correspondance avec ces personnes, il nous est resté toute une série de lettres riches de spiritualité et d'enseignement scripturaire. Jérôme savait leur inspirer pour les Livres Saints cet amour et ce culte que lui-même leur avait voués. La lettre à Eustochium apparaît, pour l'ampleur et pour la solidité du fond, comme un véritable traité sur l'excellence de la virginité et un code de morale et d'ascétisme à l'usage des vierges consacrées à Dieu.

Jérôme était établi à Rome depuis moins de trois ans lorsque le 11 décembre 384, saint Damase mourut. Les gens de plaisir, les captateurs de testaments dont sa verve satirique avait dénoncé l'infamie, levèrent hautement la tête, et lancèrent contre le secrétaire du Pape d'indignes insinuations. Comme l'honneur de Paula et de sa fille Eustochium était en jeu, le grand Docteur porta l'affaire devant le préfet de Rome et les calomniateurs furent condamnés à une rétractation publique.

Jérôme ne voulut point profiter de son retentissant triomphe. Plus dégoûté du monde que jamais, il dit un adieu définitif à Rome et s'embarqua, en août 385, à Ostie pour la Palestine, vers laquelle l'attiraient toutes ses pensées et tous ses goûts. Avant de quitter l'Italie, il écrivit une lettre d'adieux aux communautés de vierges, dont il était le père, et qui, toutes, pleuraient son départ :

Je vous écris ces lignes à la hâte, disait-il à l'illustre Asella, tandis que le vaisseau déploie ses voiles. J'écris entre les sanglots et les larmes, rendant grâces à Dieu de m'avoir trouvé digne de l'aversion du monde. On peut m'appeler malfaiteur, je n'ai jamais servi que la foi du Christ, et je m'en fais gloire ; magicien, c'est ainsi que les Juifs appelèrent notre divin Maître ; séducteur, c'est le nom que reçut l'Apôtre. Puissé-je ne jamais être exposé qu'aux tentations qui viennent des hommes ! L'infamie d'un faux crime m'a été imputée, mais ce ne sont point les jugements des hommes qui ouvrent ou ferment la porte des cieux. Saluez Paula et Eustochium, miennes en Jésus-Christ, malgré tout l'univers. Dites-leur que nous nous trouverons un jour réunis devant le tribunal de Dieu. Enfin, souvenez-vous de moi, ô vous, modèle illustre de sainteté ; que vos prières calment les flots sous l'éperon de mon navire.

Page 222: 1 Septembre I

Le solitaire de Bethléem.

A Antioche, où il demeura quelques mois auprès de l'évêque Paulin, Jérôme fut rejoint par Paula, Eustochium et d'autres patriciennes, poussées, elles aussi, par la nostalgie de la Terre Sainte. Ensemble ils parcoururent la Galilée, la Samarie, la Judée, visitant les lieux consacrés par les récits évangéliques ou bibliques. Les pèlerins passèrent de là en Egypte, où ils désiraient s'édifier au spectacle des légions des ascètes. Puis ils revinrent, vers l'automne de 386, à Bethléem avec l'intention de s'y fixer pour toujours.

Jérôme, après avoir visité les établissements monastiques de Nitrie et de Scété, s'établit auprès de la grotte de la Nativité, à Bethléem. De nombreux disciples accoururent autour de l'illustre cénobite, et bientôt, grâce surtout aux largesses de Paula, deux monastères, l'un d'hommes, l'autre de femmes, furent fondés. Jérôme prit la direction du premier et confia le second à Paula. Au lieu d'occuper son temps à tresser les corbeilles, comme les solitaires de Thébaïde, le Docteur continuait à étudier l'hébreu, le chaldéen, le syriaque et achevait sur les textes originaux la traduction de la Bible.

Afin de donner à son œuvre tous les perfectionnements nécessaires, saint Jérôme eut recours à la science des rabbins de Tibériade et de Lydda au grand scandale de ses ennemis : « Le secrétaire du Pape Damase, disait-on, est devenu un digne membre de la synagogue de Satan ; à l'exemple des Juifs, ses amis et ses maîtres, il préfère Barabbas à Jésus-Christ. » Il y avait, en effet, parmi ces rabbins, un docteur que Jérôme appelle tantôt Baranina et tantôt Barabbas et dont il dit que, par crainte de ses coreligionnaires, il avait coutume, « nouveau Nicodème », de ne se rendre auprès de son élève qu'à la faveur des ténèbres.

Ces insinuations malveillantes n'arrêtèrent pas le concours des fidèles auprès des solitaires de Bethléem. L'immense hospitium était insuffisant, et le fondateur pouvait dire dans une de ses lettres : « La multitude romaine semble s'être donné rendez-vous à Bethléem; Si Joseph et Marie revenaient, ils auraient autant de peine à se loger que la première fois. » Les solitaires travaillaient et mangeaient séparément, mais faisaient leur oraison en commun, et se réunissaient dans les grottes de la Nativité pour chanter l'office.

Saint Jérôme et l'origènisme.

Le monastère fameux du Mont des Oliviers, près de Jérusalem, était alors dirigé par le prêtre Rufin d'Aquilée. Cet homme avait d'abord témoigné pour Jérôme une grande admiration, mais la question de l'origènisme, qui agitait alors tout l'Orient, allait être entre les deux amis l'occasion d'une querelle orageuse et d'une irrémédiable rupture. Les disciples d'Origène, exagérant ses doctrines, soutenaient que I'Ecriture Sainte ne devrait jamais être prise dans un sens littéral, qu'elle n'était qu'un symbole perpétuel dont l'esprit de Dieu révélait à chacun, selon ses mérites et sa science, le secret véritable.

Page 223: 1 Septembre I

Saint Jérôme dans sa grotte à Bethléem.

De violents contradicteurs s'étaient levés contre cette fausse doctrine, mais, dépassant la mesure, ils étaient tombés dans l'exagération opposée, et ils prétendaient que tout, dans l'Ecriture Sainte, devait être pris au pied de la lettre. Ils étaient même arrivés à soutenir que l'homme, dans son corps et dans son âme, reproduisait de telle façon la ressemblance et l'image de Dieu, que Dieu était réellement le type substantiel de l'homme. On avait donné le nom d'anthropomorphites à ces adversaires acharnés de l'origènisme.

Au moment où l'agitation était à son comble, c'est-à-dire vers 393 ou 394, un des anthropomorphites les plus exaltés, le moine Aterbius, passa par Jérusalem, et il taxa publiquement d'origènisme l'évêque Jean et les prêtres Rufin et Jérôme. L'émotion fut grande dans toute la province, et Jérôme, accusé à la fois par les deux partis, se trouva placé dans une situation des plus pénibles. Ce fut au point que Jean, évêque de Jérusalem, lança l'interdit contre le monastère de la Nativité. Rufin, plus habile, avait su faire intervenir en sa faveur l'autorité épiscopale et il ne fut pas autrement inquiété.

Le Saint, injustement frappé, obéit aux censures portées contre lui. Pendant de longs mois, les solitaires de Bethléem furent privés de la communion, comme des infidèles ; on les chassait de l'église, et on refusait à leurs cendres les cimetières des chrétiens. Cependant, l'univers catholique, s'était ému à la nouvelle de ces rigueurs. L'évêque de Salamine, saint Epiphane, avait fait entendre une vigoureuse protestation, et le Pape allait prononcer lui-même son jugement, quand l'évêque de Jérusalem,

Page 224: 1 Septembre I

effrayé des proportions que prenaient les événements, porta la cause devant le patriarche d'Alexandrie, Théophile, dont on connaissait les sympathies pour l'origènisme. On attendait avec anxiété la décision du patriarche, quand, par un revirement soudain, Théophile condamna les erreurs d'Origène et se déclara en faveur de Jérôme. Jean de Jérusalem n'osa pas résister à l'autorité du métropolitain ; il leva l'interdit qu'il avait porté, et, pour prévenir de nouveaux conflits, il exigea que saint Jérôme acceptât le titre de parochus de Bethléem. Leur réconciliation eut lieu vers 397. Rufin, lui aussi, tendit la main au solitaire de Bethléem, mais ce fut un geste sans lendemain. Entre les deux moines la guerre devait reprendre, ardente, à la suite de la publication, faite par le premier, alors à Rome, d'une traduction du Periarchôn d'Origène et de ses Invectives contre Jérôme. A son tour Jérôme répondit par une Apologie. Lutte que saint Augustin déplore en termes touchants :

Quels cœurs oseront désormais s'ouvrir l'un à l'autre ? Est-il un ami dans le sein duquel on pourra sans crainte répandre son âme ? Où est l'ami qu'on ne redoutera point d'avoir un jour pour ennemi, si, entre Jérôme et Rufin, la rupture que nous pleurons a pu éclater  ? O misérable condition des hommes, et bien digne de pitié ! Quel fond ferons-nous sur ce qu'on voit dans l'âme de ses amis, quand on ne voit pas ce qu'elle sera dans la suite ?

Saint Jérôme et saint Augustin.

Les relations entre saint Jérôme et saint Augustin méritent d'être notées. Elles furent purement épistolaires, au vif déplaisir du second, qui se plaint une fois du long espace séparant Hippone de Bethléem, et des lenteurs sans fin que subissait leur correspondance.

Je découvre tant de choses dans celles de tes lettres qui ont pu me parvenir, que mon désir le plus vif serait d'être attaché à ton côté. Et comme cela ne m'est point possible, je songe à envoyer à ton école l'un de mes fils, si toutefois tu daignes me répondre. Car je n'ai pas, je n'aurai jamais cette science des Ecritures que tu possèdes. Et le peu que j'en ai, je le distribue au peuple de Dieu. Me livrer à une telle étude plus assidûment que ne l'exige l'instruction de mon peuple, m'est rendu impossible par mes occupations d'évêque.

La constante déférence témoignée par l'évêque d'Hippone à celui qui l'appelait « son fils par l'âge, son père par la dignité », les ménagements dont il usait quand il ne croyait pas devoir se rendre aux raisons de l'illustre exégète, assurèrent la solidité de leur amitié :

Qu'il n'y ait entre nous que pure fraternité, répond Jérôme à Augustin, en matière de conclusion de la controverse ouverte entre eux au sujet de l'attitude de saint Paul à Antioche à l'égard de Céphas ; échangeons seulement des messages de charité. Exerçons-nous dans le champ des Ecritures, sans nous blesser l'un l'autre.

Et de fait les deux amis devaient jusqu'à la fin combattre dans la plus parfaite union pour la défense de la foi catholique.

Page 225: 1 Septembre I

Les dernières épreuves.

Du fond de sa retraite, Jérôme ne se désintéressait pas de la grande cause pour laquelle il avait tant souffert. Il continua, malgré toutes les difficultés, sa traduction et ses commentaires de la Bible, et sa version fut bientôt adoptée par toutes les Églises d'Occident. Mais, au milieu de tant de travaux, le Docteur avait d'autres luttes à soutenir. De nouveaux hérétiques s'étaient élevés contre le dogme catholique, principalement le trop célèbre Pélage.

C'était à saint Augustin qu'était réservé l'honneur de porter le dernier coup à cet adversaire ; mais le solitaire de Bethléem n'était pas d'humeur à demeurer indifférent et inactif dans la lutte, et il s'éleva avec toute la vigueur de son génie contre les pélagiens qui s'étaient répandus en grand nombre en Palestine.

Impuissants à répondre par des arguments solides à la dialectique de Jérôme, les hérétiques employèrent la violence pour se débarrasser de leur contradicteur. Une nuit de l'an 416, ils se jetèrent, à la tête d'une troupe de paysans, sur le monastère de Bethléem. Les serviteurs de Dieu furent l'objet des plus sanglants outrages ; un diacre fut tué, on mit le feu aux édifices du couvent, et la foule des moines et des religieuses fut obligée de chercher un refuge dans une grande tour qui s'élevait près du couvent. Jean de Jérusalem ne prit aucune mesure pour réparer le désastre, et il fallût que le Pape lui-même, saint Innocent 1er, intervînt énergiquement auprès des évêques de Palestine en faveur des persécutés.

Jérôme ne survécut à cet attentat que pour subir une des plus grandes épreuves de sa vie. A la fin de 418 ou au commencement de 419 mourut Eustochium, qui avait remplacé sa mère Paula à la tête du monastère des religieuses de Bethléem. Après ce coup, ajouté à tant d'autres, et à l'épuisement résultant d'une vie toute de mortifications et de fatigues, le vieillard ne fit plus que languir. A peine pouvait-il parler, et c'est à l'aide d'une corde qu'il se levait sur son indigente couche, pour donner des instructions à ses moines. Il s'endormit dans la paix du Seigneur le 30 septembre 420, à l'heure des Complies. Il avait environ quatre-vingt-dix ans.

Le même jour, a-t-on écrit, saint Augustin, dans sa cellule, à Hippone, méditait sur la gloire qui environne les âmes des bienheureux. En présence des difficultés que soulevait cette question, il avait conçu le dessein de s'adresser au vénérable Jérôme pour lui demander ses conseils, et déjà il avait pris la plume pour écrire, quand une lumière inconnue, une odeur ineffable pénétrèrent dans sa cellule : c'était l'heure des Complies. A cette vue, frappé de stupeur et d'admiration, le saint évêque attendait, sans savoir ce que signifiait ce prodige, quand une voix céleste retentit.

« Augustin, Augustin, disait-elle, à quoi vous occupez-vous ?... Attendez encore quelque temps, mais n'essayez pas de faire l'impossible, tant que vous n'aurez pas achevé le cours de votre vie. »

Hors de lui-même, saint Augustin répondit d'une voix tremblante : » 0 vous, qui êtes si heureux et si grand, qui courez avec tant d'ardeur à ces joies divines, et dont les paroles sont si douces pour mon racer, faites qu'il ne me soit pas permis de douter de ce que j'entends I -- Je suis l'âme du prêtre Jérôme, répondit la voix. A cette heure même, à Bethléem de Juda, j'ai déposé le fardeau de la chair ; je marche maintenant en compagnie de Jésus-Christ et de toute la cohorte céleste. » Et, continuant cet entretien céleste, l'âme prédestinée dévoila à l'évêque d'Hippone quelle était la condition des âmes bienheureuses.

Page 226: 1 Septembre I

D'abord enseveli dans une grotte de Bethléem, non loin du lieu de la Nativité, le corps de saint Jérôme fut rapporté plus tard à Rome pour être enseveli à Sainte-Marie Majeure, sous l'autel du Saint-Sacrement. La fête de la translation est célébrée le 9 mai. Une de ses reliques est conservée à Digne dans l'église Notre-Dame du Bourg et la cathédrale est placée sous son patronage.

Nul Saint n'a moins prêté à la légende que le Docteur dalmate, car toute sa vie nous est connue. Il convient néanmoins de signaler l'aventure merveilleuse du lion blessé qui, guéri par lui, devint le gardien des moines de Bethléem et l'auxiliaire de leurs travaux rustiques.

Ce lion apparaît, couché près du lit de mort du Saint, dans le célèbre tableau du Dominiquin qu'on voit à la Pinacothèque du Vatican.

Ce n'est pas en vain, écrit, à ce propos, le R.P. Largent, que la peinture a donné à Jérôme le lion comme symbole. Lequel des Pères a reproduit mieux que le solitaire de Bethléem ce type du lion, tel qu'il nous est décrit par l'histoire naturelle, par la fable ou par la poésie ? Jérôme a été intrépide et généreux ; il a affronté ses adversaires sans compter leur nombre et sans mesurer leurs forces ; et s'il a poussé parfois des rugissements terribles, s'il a eu des colères éclatantes, ses rugissements étaient les cris d'une âme éprise et inquiète de la vérité seule, et ses colères furent souvent les colères de l'amour.

A.L.

Sources consultées. – R.P. Largent, Saint Jérôme (Collection Les Saints). – J. Forget, Saint Jérôme (dans le Dictionnaire de Théologie catholique). – Benoît XV, Encyclique Spiritus Paraclitus (traduite dans les Actes de Benoît XV, tome II, Paris, Bonne Presse). – (V.S.B.P., n°25.)

Page 227: 1 Septembre I

SOMMAIRE________

SEPTEMBRE

1. Saint Gilles, solitaire et abbé en Languedoc (t vers 721), Maxime Viallet.2. Saint Etienne 1er, premier roi et apôtre des Hongrois (977 ?-1038), M.G.3. Saint Mansuy, premier évêque de Toul (1er ou IVe siècle), Maxime Viallet.4. Sainte Rosalie de Palerme, vierge et solitaire (1130 ?-1160), Jean-Emmanuel Drochon.5. Saint Laurent Giustiniani, premier patriarche de Venise (1381-1456), A.E.A.6. Bienheureux Vincent d'Aquila, convers de l'Ordre des Frères Mineurs (v.1430- 1504), A.D.7. Sainte Reine, vierge et martyre (236-251), E.Gayraud. 8. Saint Adrien, martyr (t 306 ?), A.J.D.9. Saint Sévérien, soldat et martyr à Sébaste d'Arménie (t 320), G. Rieutort.10. Saint Nicolas de Tolentin, confesseur, ermite de Saint-Augustin (1245-1306), A.R. 11. Saint Patient, évêque de Lyon (t 491), A.E.A.12. Saint Guy ou « Le Pauvre d'Anderlecht », sacristain et pèlerin de Terre Sainte (950 ?-1013), Louis-Antoine Verhaegen.13. Saint Maurille, évêque d'Angers (336 ?-427), abbé L.Tardif.14. Saint Materne, évêque, apôtre de l'Alsace (1er siècle), A.G.15. Sainte Catherine de Gênes, veuve, Hospitalière (l447-1510), A.B. 16. Saint Cyprien évêque de Carthage et martyr (210 ?-258), A.A.P. 17. Sainte Hildegarde, vierge et abbesse Bénédictine (1098-1179), François Delmas.18. Saint Joseph de Copertino, Frère Mineur Conventuel (1603-1663), Z.E.A.19. Saint Janvier, évêque de Bénévent et martyr (t 305), A. Poirson.20. Bienheureux Jean-Charles Cornay, des Missions Étrangères de Paris, martyr au Tonkin (1809-1837), C.Octavien.21. Saint Matthieu, apôtre et évangéliste (1er siècle), E. Lacoste.22. Saint Thomas de Villeneuve, religieux Augustin et archevêque de Valence (1488-1555), A.R.23. Sainte Thècle, vierge et martyre (1er siècle), F.C.24. Saint Gérard, évêque de Csanad et martyr (t 1046), Maximin Vion.25. Saint Firmin de Pampelune, évêque d'Amiens (IIIe siècle), Bernardin Menthon.26. Saint Nil le Jeûne, abbé de Grottaferrata (910-1005?), F.C.27. Saints Cosme et Damien, et leurs trois frères Anthime, Léonce et Euprèpe, martyrs en Cilicie (t 297),. A.L. D'Esprées.28. Saint Exupère, évêque de Toulouse (t vers 415), A.F.S. 29. Saint Cyriaque, moine de Palestine (448-556), FR. Delmas.30. Saint Jérôme, confesseur, Père et Docteur de l'Eglise (331-420), A.L.

(Illustrations de J.M. Breton et de Jos. Girard.)

Page 228: 1 Septembre I

TABLE DES MATIÈRES_____________

Les pages en chiffres gras indiquent les biographies complètes ; les pages suivies d'un astérisque (*) les citations des écrits ; les autres pages de simples notes.

SAINTS Mansuy, 17. Materne, 105.Adrien, 57. Matthieu, 161.Ambroise, 234. Maurille, 97. Apothème, 97. Nicolas de Myre, 73.Augustin, 238, 24*, 72*, 88*. Niclolas de Tolentino, 73.Barnabé, 178, 232*. Nil le Jeune, 201.Bernard, 132, 48*, 224*. Patient, 81.Bernardin de Sienne, 41. Paul, 178.Bonaventure, 104*. René, 103.Cosme et Damien, 209. Sernin, 222.Cyprien, 121, 50*, 200*. Sévérien, 65.Cyriaque de Palestine, 225. Thomas de Villeneuve, 169.Damase 1er, 234. Valère de Trèves, 107.Damien, 209. Vérédème, 2.Étienne 1er, roi, 9.Eucher de Trèves, 107. SAINTESEuthyme, 226.Exupère de Toulouse, 217. Angèle Mérici, 184*.Firmin de Pampelune, 193. Catherine de Gênes, 113.François de Sales, 24*, 96*, 112*. Hildegarde, 129.Gauzelin, 17. Nathalie, 57.Gérard de Csanad, 185. Reine, 55.Gilles, 1. Rosalie de Palerme, 25.Guy d'Anderlecht, 89. Thècle, 177.Honeste, 194Janvier, 145. BIENHEUREUXJean Chrysostome, 24*. Jean-Marie Vianney, 24*. Jean-Charles Cornay, 153.Jérôme, 233,32*,220. Vincent d’Aquila, 41.Joseph de Copertino, 137.Julien du Mans, 97. BIENHEUREUSESLaurent Giustiniani, 33. Christine de Lucoli, 45.