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10 LA SCULPTURE DANS L’ESPACE PUBLIC
Après avoir présenté les œuvres majeures de Carpeaux,
Rude et surtout celles de Rodin, nous proposons à nos lecteurs
de sortir des musées et d’aller admirer les statues de
sculpteurs français qui ornent les villes en France et en
dehors des frontières de l’Hexagone. En effet, la production
sculpturale et statuaire du XIXe siècle est très variée du
point de vue des styles, mais aussi de par ses objectifs. Elle
répond aux commandes officielles de l’État et privées, ces
dernières destinées souvent aux monuments funéraires.
Depuis l’Antiquité, les villes rendent hommage aux
personnages politiques et historiques en leur édifiant des
monuments, les élevant, parfois, au rang des dieux. L’art sert
la politique, et lorsqu’un régime est aboli, ses images sont
détruites, ce que prouve, entre autres, le destin de la
colonne dressée au milieu de la place Vendôme à Paris. À son
sommet, une statue de Napoléon Ier en César, exécutée par
Chaudet61, est placée en 1810. Elle est détruite en 1814 et
remplacée par celle d’Henri IV. On remet l’Empereur (1863),
cette fois-ci en Petit Caporal, mais huit ans plus tard, lors
de la Commune, la statue est abattue une nouvelle fois. En
1874, elle est définitivement remplacée par la copie de
l’original de Chaudet. Tous ces changements témoignent des
turbulences politiques du XIXe siècle. La France a traversé
trois révolutions, trois républiques, deux monarchies et deux
empires. Les luttes politiques ont divisé le pays qu’il faut
réunir autour des personnages historiques comme Vercingétorix,
Jeanne d’Arc ou Sainte Geneviève. Les sculpteurs vont
s’atteler à la réalisation de cet objectif. Un autre aspect
qui marque la création statuaire se traduit par le besoin de
mettre à l’honneur ceux qui sont devenus célèbres grâce à
61 Antoine-Denis Chaudet (1763-1810) est un sculpteur et peintre
néoclassique.
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leurs découvertes scientifiques, à leurs œuvres artistiques et
autres mérites. Les figures mythologiques et les allégories
les plus diverses peuplent surtout les espaces verts des
villes. Les modifications architecturales et urbanistiques que
connaissent les grandes villes, Paris avant tout,
l’élargissement des rues, la construction de nouveaux
édifices, l’aménagement des places, jardins publics et parcs,
représentent une occasion pour les artistes sculpteurs de
mettre en valeur leurs œuvres.
Place Vendôme (Paris)
Paris est un énorme musée à ciel ouvert de sculptures de
genres pratiqués au XIXe siècle : statues en pied, statues
équestres, groupes, bustes, bas-reliefs, haut-reliefs, etc.
Rien que les grandes places offrent au flâneur le plaisir
de contempler d’innombrables œuvres d’art et réalisations
architecurales. Celle que les Parisiens prennent pour la plus
belle place du monde et qu’ils appellent familièrement la
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Concorde62 a été dessinée par Ange-Jacques Gabriel, architecte
de Louis XV. Elle est transformée entre 1836 et 1846. Jacques-
Ignace Hittorff, chargé par le roi Louis Philippe, désirant
faire oublier les mauvais souvenirs63 qu’elle évoque, lui donne
l’aspect que l’on connaît aujourd’hui. En 1836, l’obélisque en
granit rose64, offert par Méhémet-Ali, vice-roi d’Égypte, est
dressé au centre de la place. De chaque côté, les deux belles
fontaines aux bassins superposés sont inspirées de celles qui
ornent la place Saint-Pierre à Rome. Elle est construite sur
un plan octogonal et à ses angles sont installées huit statues
allégoriques des principales villes de France. C’est James
Pradier65 qui est auteur des statues symboles de Lille et de
Strasbourg.
Place de la Concorde (Paris)
62 Son nom symbolise la réconciliation nationale. 63 Sous la Révolution, elle est le théâtre des exécutions capitales par la
guillotine. 64 Ce monument couvert de hiéroglyphes est choisi par Champollion,
égyptologue français qui a le premier déchiffré les hiéroglyphes. 65 L’essentiel de la carrière du sculpteur d’origine genevoise James Pradier
(1790-1852) se déroule en France. Sous la Restauration et la Monarchie de
Juillet, il exécute des œuvres importantes pour la Chambre des députés et
pour la place de la Concorde.
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La place de la Bastille, haut lieu de la Révolution
française, est aménagée sur l’emplacement de la Bastille,
forteresse rasée entre le 14 juillet 1789 et le 14 juillet
1790. Aujourd’hui, une ligne ondulée sur le pavé marque le
périmètre de l’ancienne forteresse. En 1840, la Colonne de
Juillet, avec à son sommet le Génie de la Liberté, y est
inaugurée en souvenir des Parisiens tués au cours de la
Révolution de Juillet (1830). Cette statue ailée, œuvre
d’Auguste Dumont66, symbolise la Liberté sous des traits
masculins. Dans sa main droite, elle brandit un flambeau et
dans sa main gauche les chaînes brisées du despotisme.
Le Génie de la Liberté
Une autre place tire son nom d’une ancienne forteresse,
le Grand Châtelet, détruite sous Napoléon Ier. C’est à lui que
66 Le sculpteur Auguste Dumont (1801-1884) est, entre autres, auteur de la
copie de la statue Napoléon en César qui surmonte la colonne de la place
Vendôme, et de la statue de Blanche de Castille, installée au jardin du
Luxembourg.
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la place doit son aspect actuel. La colonne, de 1808, est
érigée pour rappeler les victoires de l’Empereur. Étant ornée
de feuilles de palmier, on appelle la fontaine, au centre de
laquelle elle se dresse, la Fontaine du Palmier. La colonne
est couronnée d’une Victoire en bronze doré qui tient dans ses
deux mains les lauriers, symboles de la victoire. La statue a
été exécutée par Louis-Simon Boizot (1743-1808), sculpteur
néoclassique. Les quatre sphinx qui crachent des jets d’eau,
œuvres de Henri-Alfred Jacquemart67, ont été rajoutés plus
tard.
Place du Châtelet (Paris)
67 Henri-Alfred Jacquemart (1824-1896) s’est spécialisé dans la sculpture
animalière. Sur le parvis du musée d’Orsay est installé son Rhinocéros, en
fonte de fer, réalisé pour l’Exposition Universelle de 1878 à Paris. Au
Jardin des Plantes à Paris, on peut admirer son Lion reniflant un cadavre,
statue en bronze.
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Un lion monumental domine le centre de la place Denfert-
Rochereau, dédiée au colonnel qui, à Belfort, a opposé une
farouche résistance aux Prussiens en 1870. Le Lion de Belfort
est réalisé par Auguste Bartholdi dont nous allons encore
parler. Une réplique de cette statue se trouve à Montréal au
square Dorchester.
Lion de Belfort (la place Denfert-Rochereau)
Aménagée en 1854 par le baron Haussmann, la place de la
République est aujourd’hui le lieu de rassemblement des
Parisiens. Au centre s’élève le Monument à la République des
frères Morice, inauguré en 1883. Le socle est orné de bas-
reliefs en bronze qui racontent les grands événements de
l’histoire de la République. Cette impressionnante figure
féminine, vêtue d’une toge et coiffée du bonnet phrygien,
symbole de la liberté, et d’une couronne de feuilles, tient
dans une main un rameau d’olivier, symbole de la paix, l’autre
main est posée sur une tablette des Droits de l’homme. Aux
pieds de la statue, une guirlande de bronze, les armoiries de
Paris et l’inscription À la gloire de la République française
– La Ville de Paris – 1883. La Marianne, symbole de la
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République, est l’œuvre de Léopold Morice. Son frère Charles a
sculpté les trois statues, allégories de la Liberté, de
l’Égalité et de la Fraternité, que comporte le soubassement.
En bas, un lion avec une urne rappelle le Suffrage universel.
Place de la République
La petite place des Pyramides est ornée de la statue
équestre, en bronze doré, de Jeanne d’Arc, œuvre d’Emmanuel
Frémiet (1824-1910). Elle est inaugurée en 1874 près de
l’endroit où l’héroïne nationale a été blessée pendant
l’assaut de Paris en 1429. Frémiet en a exécuté une autre
version, installée depuis 1889 à Nancy. Le Front national,
parti de l’extrême droite française s’est approprié Jeanne
d’Arc, et le 1er mai, ses représentants et partisans se
réunissent annuellement autour de sa statue.
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Place des Pyramides
En bas du boulevard Saint-Michel, une imposante fontaine
occupe tout un mur pignon. Commandée par le baron Haussmann,
elle est conçue par l’architecte Gabriel Davioud dans un style
éclectique qui, à l’époque de l’inauguration de la fontaine en
1860, soulève des critiques. La statue de l’archange Michel
terrassant le démon, qui évoque la lutte du Bien contre le
Mal, est exécutée par Francisque Duret (1804-1865).
La fontaine du boulevard Saint-Michel
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Le jardin du Luxembourg, dans le 6e arrondissement de
Paris, a été aménagé à la demande de la reine de France Marie
de Médicis au début du XVIIe siècle. Ce lieu magnifique et
calme en plein centre de la capitale a, à part ses autres
qualités, le mérite de mettre à la portée du passant une
multitude de sculptures de tous genres, de styles et d’époques
différents qui représentent des reines de France et femmes
célèbres, des poètes, écrivains, musiciens ou peintres. Nous
pouvons y admirer également des sculptures faites d’après les
modèles antiques, des sculptures animalières, etc. Une grande
partie de ces œuvres date du XIXe siècle, par ex. les reines de
France et parmi les femmes illustres la statue de Sainte
Geneviève, patronne de Paris. Mentionnons encore la splendide
Fontaine de Médicis dont la niche centrale abrite un groupe
sculpté par Auguste Ottin68 en 1863 qui représente Polyphème
surprenant Galatée avec le berger Acis. De l’autre côté se
trouve le bas-relief Léda et le cygne, œuvre d’Achille Valois,
datant de 1806.
La fontaine de Médicis
68 Le sculpteur Auguste Ottin (1811-1890) exécute, entre autres, plusieurs
œuvres pour les églises de Paris, pour le Louvre, la façade de l’Opéra
Garnier, etc.
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Du jardin du Luxembourg une belle avenue mène jusqu’à
l’Observatoire. Au milieu de l’avenue, dans la verdure, se
dresse la célèbre fontaine dite des Quatre parties du Monde,
conçue par Davioud en 1875. Elle est formée d’un groupe de
figures féminines symbolisant les quatre parties du monde,
sculptées par Carpeaux.
La fontaine dite des Quatre parties du Monde
À Paris, lorsqu’il n’arrête pas de pleuvoir pendant
plusieurs jours, les habitants de la capitale observent
attentivement une statue, celle du Zouave69 du pont de l’Alma.
Cette figure en pierre mesure 5,2 mètres de haut et pèse près
de huit tonnes. Quand le Zouave a les pieds dans l’eau, cela
signifie que la Seine est en crue, mais n’est pas encore
dangereuse. Quand l’eau atteint les genoux de la statue, les
quais de Seine sont fermés, et la navigation interdite.
Aujourd’hui, le Zouave a donc une fonction importante : selon
la hauteur de l’eau, des mesures sont prises par les autorités
pour éviter les accidents.
69 Zouave est un mot d’origine arabo-berbère qui désigne les soldats des
régiments français d’Afrique du Nord ayant combattu pendant la guerre de
Crimée (1853-1856).
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Le Zouave du pont de l’Alma
Mais qui est ce Zouave et d’où vient le nom du pont ? Le
pont de l’Alma tire son nom d’une bataille qui s’est déroulée
sur les rives du fleuve Alma en Crimée en 1854, pendant
laquelle un régiment de zouaves s’est particulièrement
illustré. Les Anglais, les Français et les Turcs Ottomans y
ont vaincu les Russes. Napoléon III, voulant célébrer cette
victoire, a fait placer la statue sur ce pont.
À l’origine, le Zouave était accompagné de trois autres
soldats : un artilleur, un grenadier et un chasseur. Lors de
la reconstruction du pont en 1970, ces trois statues ont été
retirées. Le Zouave date de 1856 et a été exécuté par Georges
Diebolt70. Napoléon III inaugure le pont de l’Alma la même
année.
Nous avons choisi quelques unes des innombrables statues
et fontaines de Paris, ornées de sculptures, pour démontrer
l’incroyable productivité des sculpteurs et architectes au XIXe
siècle. Rien qu’entre 1870 et 1914, cent cinquante statues
70 Georges Diebolt (1816-1861) est aussi l’auteur du Grenadier du pont de
l’Alma, transféré à Dijon, ville natale du sculpteur.
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sont érigées dans la capitale à la mémoire des personnages
historiques de tous genres qui ont contribué à la gloire de la
France.
Avant de terminer ce chapitre, il nous semble
indispensable de présenter encore un artiste qui est
universellement connu grâce à l’une de ses œuvres, installée
loin de la France. Frédéric Auguste Bartholdi (1834-1904) est
l’auteur de la colossale statue de la Liberté71, dont le nom
complet est La Liberté éclairant le monde et qui est devenue
le symbole de New York. Ce cadeau du peuple français à la
jeune nation des États-Unis à l’occasion du centième
anniversaire de l’Indépendance des États-Unis en 1876
surveille depuis 1886 l’entrée du port de New York.
La Liberté éclairant le monde (New York)et Pio Fedi: La statue de la
Liberté (basilique Santa Croce à Florence)
71 À Florence, la basilique de Santa Croce abrite la statue de la Liberté
(1863) réalisée par Pio Fedi (1816-1892). Elle représente la liberté de la
poésie et de l’art par la lyre à la main gauche et la chaîne brisée tenue
dans la main droite. La statue orne le monument funéraire du poète et
historien italien Giovanni Battista Niccolini. Bartholdi s’en serait-il
inspiré ?
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Les attributs de la statue, conçue dans l’esprit propre à
l’Antiquité gréco-romaine, sont fort éloquents. Le flambeau
qui apporte la lumière, la table de la loi et les chaînes
brisées de la servitude forment une image des valeurs
auxquelles sont attachés les deux pays séparés par
l’Atlantique. La forme extérieure du monument est donc due à
Bartholdi, sa structure interne métallique et toute sa partie
technique sont réalisées par l’ingénieur Gustave Eiffel.
Le premier modèle de la statue, coulé en bronze, a été
installé dans le jardin du Luxembourg. Depuis 2012, c’est le
musée d’Orsay qui l’abrite et une copie a été placée dans le
jardin. Près du pont de Grenelle, non loin du lieu où se
trouvait l’atelier de Bartholdi, une autre copie de la statue
est inaugurée en 1889. La réplique de la Flamme de la Liberté
est érigée place de l’Alma.
La Flamme de la Liberté
Bartholdi est l’auteur de plus d’une trentaine de
sculptures dont le Lion de Belfort, installé aux pieds d’une
falaise pour commémorer la résistance héroïque de la ville
lorsqu’elle a été assiégée par les Prussiens. La statue
équestre, en bronze, de Vercingétorix, vainqueur de César, est
placée sur un haut piédestal sur la place de Jaude à Clermont-
Ferrand. Vercingétorix, le chef gaulois des Arvernes, qui a
repoussé les légions romaines à Gergovie en 52 avant notre
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ère, est représenté en dressant son glaive sur un cheval
cabré, un soldat romain mort à ses pieds. Notons qu’aucune des
quatre pattes du cheval ne touche le sol.
Vercingétorix
Dans le centre de Lyon, place des Terreaux, se trouve une
très belle fontaine réalisée par Bartholdi. Ayant les traits
de Marianne, la figure féminine, assise dans un quadrige,
représente la France, et les chevaux ses quatre fleuves. Cette
œuvre monumentale surprend non seulement par ses dimensions,
mais également par sa structure métallique à laquelle Gustave
Eiffel a probablement travaillé.
Place des Terreaux (Lyon)