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1,00 € Numéros précédents 2,00 € L’O S S E RVATORE ROMANO EDITION HEBDOMADAIRE Unicuique suum EN LANGUE FRANÇAISE Non praevalebunt LXXI e année, numéro 30 (3.643) Cité du Vatican mardi 28 juillet 2020 Des gestes de tendresse envers les grands-parents Angelus du 26 juillet page 2 DANS CE NUMÉRO Page 3: Entretien avec le père Awi Mello. Septième anniversaire de la JMJ de Rio. Pages 4 et 5: Instruction sur la conversion pastorale des paroisses: pré- sentation d’Andrea Ripa et entretien avec le cardinal Stella. Page 6: Primat et infaillibilité, par Sergio Centofanti. Page 7: Le récit: Les conséquences de la distanciation sociale sur notre rapport avec Dieu, par Timothy Radcliffe. Page 9: Le cardinal Hollerich et le Fonds de relance européen. Décès du cardinal Grocholewski. Page 11: Informations. Page 12: Note de l’Académie pontificale pour la vie «Humana communitas», par Vincenzo Paglia.

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L’O S S E RVATOR E ROMANOEDITION HEBDOMADAIRE

Unicuique suum

EN LANGUE FRANÇAISENon praevalebunt

LXXIe année, numéro 30 (3.643) Cité du Vatican mardi 28 juillet 2020

Des gestes de tendresseenvers les grands-parents

Angelus du 26 juilletpage 2

DANS CE NUMÉROPage 3: Entretien avec le père Awi Mello. Septième anniversaire de la JMJ deRio. Pages 4 et 5: Instruction sur la conversion pastorale des paroisses: pré-sentation d’Andrea Ripa et entretien avec le cardinal Stella. Page 6: Primatet infaillibilité, par Sergio Centofanti. Page 7: Le récit: Les conséquences dela distanciation sociale sur notre rapport avec Dieu, par Timothy Radcliffe.Page 9: Le cardinal Hollerich et le Fonds de relance européen. Décès ducardinal Grocholewski. Page 11: Informations. Page 12: Note de l’Académiepontificale pour la vie «Humana communitas», par Vincenzo Paglia.

Page 2: 1,00 € Numéros précédents 2,00 € OL’ S S E RVATOR E ROMANO€¦ · acquérir au cours du pontificat. Avec la JMJ de Rio, et le puissant élan missionnaire donné aux jeunes,

page 2 L’OSSERVATORE ROMANO mardi 28 juillet 2020, numéro 30

Des gestes de tendresse envers les grands-parentsAu terme de l’Angelus du 26 juillet le Pape évoque le cessez-le-feu dans le Donbass

Chers frères et sœurs, bonjour!L’Evangile de ce dimanche (cf. Mt 13, 44-52)correspond aux derniers versets du chapitreque Matthieu consacre aux paraboles duRoyaume des cieux. Le passage comprendtrois paraboles à peine esquissées et très cour-tes: celle du trésor caché, celle de la perle pré-cieuse et celle du filet jeté à la mer.

Je m’arrête sur les deux premières dans les-quelles le Royaume des cieux est assimilé àdeux réalités «précieuses» différentes, à savoirle trésor caché dans le champ et la perle degrande valeur. La réaction de celui qui trouvela perle ou le trésor est pratiquement la mê-me: l’homme et le marchand vendent toutpour acquérir ce qui désormais leur tient leplus à cœur. A travers ces deux similitudes,Jésus se propose de nous impliquer dans laconstruction du Royaume des cieux, en pré-sentant une caractéristique essentielle de la viechrétienne, de la vie du Royaume des cieux:ceux qui adhèrent pleinement au Royaumesont ceux qui sont disposés à tout mettre enjeu, qui sont courageux. En fait, aussi bienl’homme que le marchand des deux parabolesvendent tout ce qu’ils ont, abandonnant ainsileur sécurité matérielle. A partir de cela, oncomprend que la construction du Royaumerequiert non seulement la grâce de Dieu, maisaussi la disponibilité active de l’homme. Lagrâce fait tout, tout! De notre côté, il doit yavoir seulement la disponibilité à la recevoir,pas la résistance à la grâce: la grâce fait toutmais elle requiert «ma» responsabilité, «ma»disp onibilité.

Les gestes de cet homme et du marchandqui partent en quête, en se privant de leursbiens, pour acheter des réalités plus précieu-ses, sont des gestes décisifs, ce sont des gestesradicaux, je dirais seulement un aller, pas unaller-retour: ce sont des gestes d’un aller. Et,de plus, accomplis avec joie car tous les deuxont trouvé un trésor. Nous sommes appelés àassumer l’attitude de ces deux personnagesévangéliques, en devenant nous aussi deschercheurs sainement inquiets du Royaumedes cieux. Il s’agit d’abandonner le lourd far-deau de nos sécurités mondaines qui nousempêchent de chercher et de construire leRoyaume: l’avidité de posséder, la soif degain et de pouvoir, ne penser qu’à nous-mê-mes.

De nos jours, nous le savons tous, la vie decertains peut être médiocre et terne car ils nesont probablement pas partis à la recherched’un vrai trésor: ils se sont contentés de cho-ses attrayantes mais éphémères, de lumièreschatoyantes mais illusoires, car elles laissentensuite dans l’obscurité. En revanche, la lu-mière du Royaume n’est pas un feu d’artifice,c’est la lumière: le feu d’artifice ne dure qu’uninstant, la lumière du Royaume nous accom-

Que la Sainte Vierge nous aide à rechercherchaque jour le trésor du Royaume des cieux,afin que dans nos paroles et dans nos gestesse manifeste l’amour que Dieu nous a donnéà travers Jésus.

A l’issue de l’Angelus, le Pape a ajouté lesparoles suivantes:

Chers frères et sœurs, en la mémoire dessaints Joachim et Anne, les «grands-parents»de Jésus, je voudrais inviter les jeunes à ac-complir un geste de tendresse envers les per-sonnes âgées, en particulier les plus seules,dans les maisons et dans les résidences, cellesqui ne voient plus leurs proches depuis tantde mois. Chers jeunes, chacune de ces person-nes âgées et votre grand-parent! Ne les laissezpas seules! Utilisez l’imagination de l’a m o u r,téléphonez, faites des appels vidéo, envoyezdes messages, écoutez-les et, là où cela estpossible dans le respect des normes sanitaires,allez aussi les voir. Envoyez-leur un baiser. El-les sont vos racines. Un arbre détaché de sesracines ne grandit pas, il ne donne pas defleurs ni de fruits. C’est pourquoi l’union et lelien avec vos racines sont importants. «Ce quel’arbre a de fleuri, vient de ce qu’il a d’enter-

ré», dit un poète de mon pays. C’est pourcette raison que je vous invite à applaudiravec force nos grands-parents, tous!

Je viens d’apprendre qu’un nouveau cessez-le-feu concernant la zone du Donbass a ré-cemment été décidé à Minsk par les membresdu Groupe de contact trilatéral. Alors que jeremercie pour ce signe de bonne volonté vi-sant à ramener la paix tant désirée dans cetterégion martyrisée, je prie pour que cet accordsoit finalement mis en pratique, également àtravers un processus concret de désarmementet de déminage. Ce n’est qu’ainsi que l’onpourra reconstruire la confiance et établir lesbases de la réconciliation, si nécessaire et tantattendue par la population.

Je vous salue tous de tout cœur, Romainset pèlerins de divers pays. Je salue en particu-lier les fidèles de Franca (Brésil), on voit leurdrapeau là-bas, et les jeunes de l’archidio cèsede Modena-Nonantola et ceux de la paroissedes Saints Fabiano et Venanzio à Rome. Ilssont nombreux, ils se font entendre!

Je souhaite à tous un bon dimanche. S’ilvous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi.Bon déjeuner et au revoir!

pagne tout au long de notrevie.

Le Royaume des cieux estl’opposé des choses super-flues qu’offre le monde, c’estle contraire d’une vie banale:c’est un trésor qui renouvellela vie chaque jour et la dilatevers des horizons plus vastes.En effet, celui qui a trouvé cetrésor a un cœur créatif et enquête, qui ne répète pas maisinvente, en traçant et en sui-vant de nouveaux chemins,qui nous conduisent à aimerDieu, à aimer les autres, ànous aimer vraiment nous-mêmes. Le signe de ceux quimarchent sur cette route duRoyaume est la créativité,toujours en cherchant davan-tage. Et la créativité est cequi prend la vie et donne lavie, et donne, et donne etdonne… Elle cherche tou-jours de nombreuses façonsdifférentes de donner la vie.

Jésus, qui est le trésor ca-ché et la perle de grande va-leur, ne peut que susciter lajoie, toute la joie du monde:la joie de découvrir un sens àsa vie, la joie de la sentir en-gagée dans l’aventure de lasainteté.

Saint Joachim et sainte Anne

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numéro 30, mardi 28 juillet 2020 L’OSSERVATORE ROMANO page 3

Entretien avec le père Alexandre Awi Mello

Contaminer le mondepar une espérance chrétienne renouvelée

GIANLUCA BICCINI

A un peu moins de cinquante ans, le pèreAlexandre Awi Mello est depuis 2017 secrétai-re du Dicastère pour les laïcs, la famille et lavie. En tant que directeur national du Mouve-ment de Schoenstatt dans son pays, il a pusuivre de près le Pape François au cours dupremier voyage international du pontificat àl’occasion de la journée mondiale de la jeu-nesse de Rio de Janeiro. Dans cet entretien, le

prêtre brésilien raconte à «L’Osservatore Ro-mano» son expérience au cours de ces jour-nées et parle des perspectives de la pastoraledes jeunes en ce temps marqué par la pandé-mie.

Du 22 au 29 juillet 2013, il y a exactement septans, le peuple du Brésil — le pays ayant le plusgrand nombre de catholiques au monde — a puvoir de ses propres yeux le nouveau Pape, arrivépour y célébrer ce qui fut défini comme «une JMJ

au rythme de la samba». Vous qui êtes originairede la métropole de Rio, quels sont les souvenirspersonnels que vous gardez avec le plus d’affec-tion?

Je me souviens surtout de l’accueil chaleu-reux que le peuple brésilien et les jeunes dumonde entier ont réservé au Pape. Lui-mêmea dit avoir été impressionné. Je garde en mé-moire d’innombrables gestes d’affection entrele Saint-Père et les personnes, comme parexemple lors de la rencontre privée avec huitjeunes détenus. A cette occasion, sa capacitéd’écoute — une écoute attentive, patiente etpleine d’empathie — m’a profondément frap-pé. Le jour où j’ai accompagné le Saint-Pèreau sanctuaire marial d’Aparecida a égalementété important pour moi. Nous nous y étionsen effet rencontrés en 2007 pour travaillerensemble au cours de l’inoubliable expériencede la cinquième Conférence générale de l’épis-copat latino-américain et des Caraïbes, dontles lignes de programme marquent au-j o u rd ’hui encore son pontificat.

Lors de la première JMJ du Pape Bergoglio, denombreuses personnes ont été frappées par son in-vitation adressée aux jeunes argentins à «fairedu bruit», à «créer de la confusion». Selon vous,cette consigne a-t-elle été accueillie? Peut-on par-ler d’une nouvelle génération de catholiques nonplus enfermée dans les sacristies, mais capables desortir vers le monde comme continue à le deman-der le Pape?

Cette rencontre avec les jeunes argentinsn’était pas prévue et le discours fut entière-ment improvisé; on voyait qu’il jaillissait deson cœur enthousiaste de pasteur. A cette pé-riode, je travaillais au Brésil avec les jeunes etje peux vous assurer que l’invitation du Papefut très bien reçue. Cela a été le premier si-gnal de l’importance que les jeunes allaientacquérir au cours du pontificat. Avec la JMJde Rio, et le puissant élan missionnaire donnéaux jeunes, le Pape commençait un cheminqui a culminé dans le synode de 2018 sur «lesjeunes, la foi et le discernement vocationnel»,et dans la publication de son exhortation suc-cessive, Christus vivit; un chemin qui continueà plein régime à travers de nombreuses initia-

Septième anniversaire de la JMJ de Rio de Janeiro

Les jeunes, les personnes âgéeset la prophétie de Joël

ALESSANDRO GISOTTI

«Combien est importante la rencontre et ledialogue entre les générations, notamment ausein de la famille». Nous sommes le 26 juillet2013, le Pape François se trouve sur le balconde l’archevêché de Rio de Janeiro. Pourl’écouter, lors de la récitation de l’Angelus,des milliers de jeunes du monde entier sontvenus au Brésil pour les journées mondialesde la jeunesse, le premier voyage apostoliqueinternational du Pape élu le mois de marsprécédent. Ce jour-là, l’Eglise célèbre lessaints Joachim et Anne, les parents de la Vier-ge Marie, les grands-parents de Jésus. Fran-çois a donc profité de l’occasion pour souli-gner — reprenant le Document d’A p a re c i d aauquel il avait tant travaillé en tant que cardi-nal — que «les enfants et les personnes âgéesconstruisent l’avenir des peuples; les enfantsparce qu’ils vont poursuivre l’histoire, les per-sonnes âgées parce qu’elles transmettent l’ex-périence et la sagesse de leur vie».

Jeunes et vieux, grands-parents et petits-en-fants. Ce binôme devient une des constantesdu pontificat à travers les gestes, les discours,les audiences et les «hors programme», no-tamment lors des voyages. Ce sont eux, lesjeunes et les personnes âgées, note amèrement

François, qui sont souvent les premières victi-mes de la «culture du déchet». Mais ce sonttoujours eux qui, ensemble, et seulement s’ilssont ensemble, peuvent partir en voyage ettrouver l’espace pour un avenir meilleur. «Siles jeunes sont appelés à ouvrir de nouvellesportes», observe le Pape lors de la Messepour les personnes consacrées le 2 février2018, «les personnes âgées ont les clés», «iln’y a pas d’avenir sans cette rencontre entreles personnes âgées et les jeunes; il n’y a pasde croissance sans racines et pas de floraisonsans nouvelles pousses. Jamais de prophétiesans mémoire, jamais de mémoire sans pro-phétie; et toujours se rencontrer».

Pour François, le terrain de rencontre entrejeunes et personnes âgées est celui des rêves.D’une certaine manière, il s’agit d’une conver-gence surprenante et presque improbable. Etpourtant, comme l’expérience de la pandémienous l’a montré, c’est précisément le rêve, lavision de demain, qui a tenu et tient ensembleceux, grands-parents et petits-enfants, qui ontété soudainement séparés, ajoutant un poidssupplémentaire au fardeau de l’isolement. Deplus, ce centrage sur la dimension du rêve aété longtemps médité par le Pape et a des ra-

SUITE À LA PA G E 10 SUITE À LA PA G E 10

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numéro 30, mardi 28 juillet 2020 L’OSSERVATORE ROMANO pages 4/5

Instruction de la Congrégation pour le clergé

La conversion pastorale de la communauté paroissialeau service de la mission évangélisatrice de l’Eglise

«Tout mettre en œuvre pour aller à la rencontre deceux qui sont le plus éloignés»: tel est l’objectif de lanouvelle Instruction de la Congrégation pour le clergéintitulée «La conversion pastorale de la communautéparoissiale au service de la mission évangélisatrice del’Eglise» qui nous est présentée ici par le sous-secrétairede la Congrégation et dont on trouvera le texte intégralsur www.clerus.va

ANDREA RI PA

L’Instruction de la Congrégation pour le clergé sur«la conversion pastorale de la communauté parois-siale au service de la mission évangélisatrice del’Eglise», veut concrétiser, dans la vie de l’Eglise,l’impulsion que le Pape François ne cesse de don-ner en invitant à la «sortie missionnaire» (La joie del’Evangile, nn. 20-24).

D’origine latine, le terme «mission» évoque l’en-voi. Mais de quel envoi s’agit-il? Dès le début de savie publique Jésus, qui s’est défini comme «celuique le Père a consacré et envoyé» (Jn 10, 36; cf. Jn3, 16-17), a fait en sorte que l’Eglise soit envoyéecomme lui: il a appelé douze disciples «pour les en-voyer proclamer la Bonne Nouvelle» (Mc 3, 14) etles a appelés «apôtres», ce qui signifie «envoyés».Jour après jour, il les a entrainés dans son propremouvement de «sortie» (cf. Mc 1, 38). Enfin, en unmoment particulièrement solennel, juste avant des’élever au Ciel, il leur a donné son dernier com-mandement: «Allez! De toutes les nations faites desdisciples: baptisez-les au nom du Père, et du Fils, etdu Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ceque je vous ai commandé» (Mt 28, 19-20). L’Eglisecesserait d’exister si elle n’était pas missionnaire.

Pourtant, dans un certain nombre de communau-tés chrétiennes, la pratique de la foi consiste surtoutà vivre ensemble et à recevoir les sacrements. Cer-tains ont tendance à réduire la mission à l’envoi auloin de prêtres et de religieuses. D’autres con-sidèrent qu’elle est l’affaire du curé de la paroisse etde quelques laïcs qui donnent de leur temps. Il leursuffit que la Messe dominicale soit assurée, queleurs enfants aillent au catéchisme, que les bap-têmes, les mariages et les obsèques soient célébrésquand ils le demandent. Ils ont cantonné leur foidans la sphère de leur vie privée et dans quelquespratiques sacramentelles.

Le Pape François ne cesse de rappeler que l’an-nonce de la foi est une exigence inscrite dans lagrâce du baptême. On ne peut pas être vraimentchrétien si on ne fait pas siens «les sentiments duChrist» (Ph 2, 5) qui est envoyé par le Père pourque tous aient la vie. Il en est de même pour l’Eu-charistie, moment essentiel pour la constitution dela communauté paroissiale qui accueille la présencevivante et salvifique de son Seigneur. L’Eucharistie«contient tout le trésor spirituel de l’Eglise, c’est àdire le Christ lui-même», raison pour laquelle elleest «la source et le sommet de toute l’évangélisa-tion» (Presbyterorum ordinis, n. 5). Chaque baptisé,chaque participant de l’Eucharistie doit devenir ac-teur de l’annonce du Christ à ceux qui l’e n t o u re n t .Quelle conversion exige cette perspective si fonda-

mentale! C’est ce qu’on appelle la «conversion pas-torale», inséparable de la nouvelle évangélisation.

En de nombreux pays, la déchristianisation mas-sive de la société se poursuit depuis des décennies,si bien que ce ne sont pas seulement des personnesqui s’éloignent de la foi, mais des générations en-tières qui n’ont pas entendu le nom de Jésus. «Siquelque chose doit saintement nous préoccuper etinquiéter notre conscience», écrit le Saint-Père dansLa joie de l’Evangile (n. 49), c’est que cette multitu-de qui est faite pour Dieu, souvent sans le savoir,est affamée, et «Jésus nous répète sans arrêt: “D on-nez-leur vous-mêmes à manger” (Mc 6, 37)».

Il est urgent que chaque communauté chrétienneentende cette parole du Seigneur et accepte de quit-ter les rives du lac pour sortir «au large», en «eauxprofondes» (cf. Lc 5, 4), à la rencontre de ceux quise sont éloignés du Christ ou qui ne le ne connais-sent pas. Ce dynamisme, qui repose sur «un choixclairement missionnaire» (n. 5), doit être le premiercritère pour vérifier l’authenticité d’une vie chrétien-ne et d’une action pastorale.

Tel est l’esprit qui sous-tend cette Instruction.Avant même d’envisager des questions canoniques,elle développe une vérité de base: l’Esprit Saintpousse l’Eglise, chaque communauté paroissiale,chaque baptisé, à se renouveler en retrouvant le dy-namisme originel qui rend compte des débuts del’Eglise et que les apôtres Pierre et Jean ont ainsiexprimé devant le Sanhédrin: «Quant à nous, ilnous est impossible de nous taire sur ce que nousavons vu et entendu» (Ac 4, 20).

Souvent explicitée, cette perspective est désor-mais classique. On pourrait cependant la réduire àun slogan si on la répétait sans s’impliquer person-nellement. L’Instruction s’emploie donc à montrercomment concrétiser, jusque dans ses formes cano-niques, l’esprit missionnaire de l’Eglise dans la réa-lité des communautés chrétiennes.

Le XXe siècle a connu des mutations profondes.Le déplacement des populations a vidé de nom-breuses communes rurales, étendu les banlieues,créé les zones périurbaines. En bien des endroits, ilen est résulté une inadéquation du maillage parois-sial qui fut efficacement réalisé pendant de longssiècles et jusqu’au début du XXe. La baisse des vo-cations empêche le maintien d’une présence sacer-dotale partout où se dresse un clocher, les commu-nautés chrétiennes se sont parfois réduites à quel-ques fidèles. Il faut repenser la présence de l’Eglisedans le territoire des diocèses.

Le Magistère récent est formel: nées dans lestout-débuts de l’Eglise, les paroisses restent incon-tournables car elles permettent l’enracinement de lafoi dans la réalité des hommes. Elles possèdent suf-fisamment de plasticité pour qu’on puisse les remo-deler sans remettre en cause leur raison d’ê t re .

Mais on ferait fausse route si on cherchaitd’abord les évolutions qu’il conviendrait d’app orteraux structures. Selon la définition du Droit canon,la paroisse est une «communauté précise de fidèlesqui est constituée d’une manière stable dans l’Egliseparticulière, et dont la charge pastorale est confiéeau curé, comme à son pasteur propre, sous l’autori-té de l’évêque diocésain» (can. 515, §1). Cela signi-fie que cette communauté doit avant tout se mani-

fester comme un «mystère de communion et demission» (Pastores gregis, n. 37), à l’image de l’Egli-se elle-même. Le Pape François nous invite à envi-sager les réformes nécessaires à la lumière du mys-tère de l’Eglise qui peut, de manière équivalente, sedéfinir ainsi: «L’intimité de l’Eglise avec Jésus estune intimité itinérante, et la communion se présenteessentiellement comme communion missionnaire»(La joie de l’Evangile, n. 23). Intimité avec Jésus,communion, mission: trois fruits de l’Esprit Saintdont l’authenticité est concrètement vérifiée par l’at-tention aux pauvres, «destinataires privilégiés del’Evangile» (Benoît XVI aux évêques du Brésil, 11mai 2007). La paroisse ne pouvant se définir sansson pasteur propre qu’est le curé, une tâche princi-pale de celui-ci sera de former son peuple à vivreces quatre dimensions de manière inséparable.

Avec l’Onction qui vient de l’Esprit (1 Jn 2, 20),tout membre de la communauté chrétienne a reçuune grâce particulière, qu’il est appelé à mettre enœuvre en utilisant toutes les richesses de sa person-nalité, dans le respect de la vocation et de la mis-sion spécifique de chacun. Le seul fait d’être bapti-sé confère le droit et le devoir de devenir un acteurvivant de la communion et de la mission. Aussi,l’Instruction détaille, avec cette insistance, le rôle dechacun: curés, vicaires paroissiaux, diacres, consa-crés, laïcs. Dans l’Eglise, il y a de la place pour toutle monde. Avec le pouvoir propre qui lui revient depar son sacerdoce ministériel et sa fonction ecclésia-le irremplaçable, il appartient au curé, principal col-laborateur de l’évêque, de reconnaître, discerner etencourager les charismes, sans craindre leur diversi-té, en faisant au contraire grandir la communionpar l’acceptation mutuelle des complémentarités,avec une attention particulière sur les risques possi-bles de «cléricaliser» les laïcs et de «laïciser» lesclercs, ou encore de faire des diacres des «demi prê-tres» ou des «super laïcs». L’équilibre de la vie sefaisant dans le mouvement, c’est la dynamique mis-sionnaire de la paroisse, sous l’impulsion du curé,qui en garantit l’unité. L’expérience montre d’ail-leurs que c’est bien dans l’action missionnaire,nourrie de la Parole de Dieu et de l’Eucharistie, quegrandissent la foi et la communion ecclésiale. Parailleurs, puisque la communion et la mission doi-vent être intrinsèquement liées, les prêtres sont cha-leureusement encouragés à penser que leur investis-sement missionnaire est plus fécond s’ils dévelop-pent entre eux une vie fraternelle concrète. La Ratiofundamentalis (nn. 87-88) a longuement explicitécette exigence de la fraternité sacramentelle en ensuggérant de nombreuses formes, y compris la viecommune.

Telle est la réforme des cœurs: reconnaître à l’Es-prit Saint son rôle central, lui permettre de diffuserla charité dans les cœurs (cf. Rm 5, 5), se mettresous sa conduite (cf. Rm 8, 14) pour faire dechaque paroisse un reflet du mystère de l’Eglise:qu’elles soient «encore plus proches des gens, qu’el-les soient des lieux de communion vivante et departicipation, et qu’elles s’orientent complètementvers la mission» (La joie de l’Evangile, n. 28). Sansoublier la gratuité. Le don de soi et le service desprêtres et des fidèles doivent être généreux et désin-

téressés pour refléter la gratuité de l’amour salvi-fique de Dieu.

Lorsque cette priorité est bien comprise, on peutréfléchir à la conversion pastorale des structures.

Pour rester une réalité vivante, au service de lacommunauté des fidèles et de sa mission, la structu-re paroissiale doit évoluer avec la communauté quila compose. Or on sait que les problématiquesd’a u j o u rd ’hui ne sont plus les mêmes qu’au XIXe ouau XXe siècle. Dans l’option missionnaire qui veutrejoindre tout le monde, les structures paroissiales,leur taille en particulier, doivent servir la «culturede la rencontre» en favorisant en toute chose laproximité des hommes au milieu desquels l’Eglisevit, témoigne et accueille. Une réorganisation peutêtre nécessaire en certains endroits, à conditionqu’elle soit ordonnée à la mission et réalisée avecsouplesse et sagesse, dans le respect du droit.

Il est des cas où il faudra associer des paroisses,ou bien fondre l’une dans l’autre, ou au contraireen créer deux à partir d’une seule qui serait deve-nue trop importante en taille ou en nombre d’habi-tants. Dans certaines situations difficiles, comme lemanque de prêtres, l’exercice de la charge pastoralepourra être exceptionnellement confié à un ou plu-sieurs diacres ou laïcs, sous la responsabilité d’unprêtre modérateur. Des lieux de vie chrétienne quin’ont pas la capacité d’être une paroisse ou unequasi-paroisse, peuvent devenir des centres mission-naires pour promouvoir l’évangélisation et la chari-té. L’Instruction envisage ainsi de nombreux cas defigure, en précisant les procédures canoniques à sui-vre. Outre la question de la structure de chaque pa-roisse, on pourra donner plus d’importance aux«unités pastorales» qui promeuvent des formes decollaboration organique entre paroisses voisines(Apostolorum Successores, art. 216b), aux vicariats fo-rains déjà décrits dans le Code de droit canonique,voire aux «zones pastorales» qui, dans les grandsdiocèses, favorisent le lien entre leur «centre» etleurs «périphéries» (Apostolorum Successores, art.220). Les droits et les devoirs de chacun sont expli-cités pour que chaque acteur de la vie diocésaine etparoissiale puisse donner le meilleur de lui-mêmedans le respect de la fonction et du charisme desa u t re s .

L’Instruction s’attarde sur deux organismes pa-roissiaux: le conseil pour les affaires économiques etle conseil pastoral. Le premier, obligatoire et prési-dé par le curé, permet, par sa gestion prudente ettransparente, de mettre au service de la communionmissionnaire les biens ecclésiastiques dont disposela paroisse. Quant au second, le Saint-Père sait quele Droit n’en exige pas l’existence, mais il l’encoura-ge vivement car il y voit un organisme essentiel enfaveur de l’engagement fructueux des acteurs de lavie paroissiale.

Le 15 août 1997 a vu la publication d’une Instruc-tion interdicastérielle Ecclesia de mysterio, «sur quel-ques questions relatives à la collaboration des fi-dèles laïcs au ministère des prêtres». La Congréga-tion pour le clergé a ensuite publié l’I n s t ru c t i o n«Le prêtre, pasteur et guide de la communauté» (4août 2002). Cette nouvelle Instruction tient comptede la situation actuelle de l’Eglise en mettant en re-lief l’importance et la spécificité des différents mi-nistères qui contribuent à l’action évangélisatricedes paroisses. Elle ne contient pas de nouveauté lé-gislative mais profite de l’expérience de la Congré-gation pour le clergé et des Eglises locales pour ex-pliciter les normes existantes (cf. can. 34) et aiderainsi chacun à évaluer, améliorer, éventuellementcorriger des choix pastoraux déjà mis en œu v repour adapter les structures paroissiales aux nécessi-tés actuelles de l’évangélisation. En considérantinséparablement la norme et la pastorale, le droit etla prophétie en vue d’une action authentiquementecclésiale, cette Instruction invite donc les évêquesà unir l’expérience juridico-pastorale séculaire del’Eglise et sa «capacité inventive» pour que la pa-roisse, comme «lieu de créativité, de référence, dematernité», se renouvelle selon une «conversionpastorale» qui la met en dynamisme de «sortie». Ils’agit bien de tout mettre en œuvre pour aller à larencontre de ceux qui sont le plus éloignés, leur an-noncer la joie de l’Evangile du Christ et les inviterà son banquet eucharistique, d’où part et aboutittoute l’évangélisation.

Des paroisses capablesd’aller chercher ceux qui sont loin

Entretien avec le cardinal Stella

FABIO COLAGRANDE

Renouveler les structures paroissiales en redécou-vrant la vocation missionnaire de chaque baptiséet en dépassant l’idée d’une pastorale limitée auterritoire. Ce sont les aspects centraux de l’Ins-truction: «La conversion pastorale de la commu-nauté paroissiale au service de la mission évangé-lisatrice de l’Eglise», rédigée par la Congrégationpour le clergé et publiée le lundi 20 juillet. Ledocument souligne qu’il existe aujourd’hui unrisque réel que les paroisses restent des structuresorganisationnelles bureaucratiques plus soucieu-ses de se préserver que d’évangéliser et les inviteà être de plus en plus projetées vers de nouvellesformes de pauvreté. L’Instruction veut en parti-culier se mettre au service de certains choix pas-toraux déjà engagés et expérimentés afin de con-tribuer à les évaluer et à les orienter dans uncontexte plus universel, comme le confirme lecardinal Beniamino Stella, préfet de la Congré-gation pour le clergé: «Dans le monde dit “o cci-dental”, il y a, d’une part, la rareté des prêtresqui est devenu une réalité objective. Mais il y aaussi le fait que les limites des paroisses ontchangé: elles ont en quelque sorte “d i s p a ru ”. Au-j o u rd ’hui, nous voyons d’autres besoins: la mobi-lité est plus accentuée. Tout cela nous fait com-prendre qu’il faut regarder au-delà de l’idée de laparoisse traditionnelle. Aujourd’hui, les gens sedéplacent, ils vont à l’église du lieu où ils setrouvent. De nombreux projets de réforme descommunautés paroissiales et de restructurationdes diocèses sont donc déjà en cours. Il est ce-pendant nécessaire que la norme ecclésiastique,qui doit réglementer ces restructurations, garde àl’esprit la sphère canonique de l’Eglise, qui a desdimensions universelles. Il est nécessaire que cesréformes ne soient pas dictées uniquement par legoût — je dirais presque “par caprice” — de per-sonnes compétentes et expertes. Il est nécessairequ’elles obéissent aux nouvelles exigences, maisaussi qu’elles prennent en compte une perspecti-ve plus large, qu’elles regardent l’Eglise dans sonuniversalité.

Pourquoi l’Eglise ressent-elle ce besoin de renouvelerles structures paroissiales dans une optique mission-n a i re ?

Nous ne sommes pas engagés dans une entre-prise, mais nous appartenons à une communau-té, une famille. Cette foi qui est la nôtre, qui si-gnifie adhésion, rencontre, adoration du visagede Dieu, doit nécessairement nous amener à re-garder au-delà de nos besoins personnels et fa-miliaux, à sentir que notre champ d’action estl’humanité, mais une humanité plus large quenotre jardin, que nos frontières. Etre missionnai-re signifie oublier le village, oublier la famille,oublier surtout nos propres conforts et, à partirde la beauté de la foi et de la joie de l’Evangile,sentir que nous appartenons au Seigneur et doncpartager notre trésor avec ceux qui ne l’ont pas,avec ceux qui ont perdu le sens de sa valeur,avec ceux qui ont besoin de revenir pour rencon-trer le Seigneur, pour sentir sa présence dansleur vie.

L’Instruction appelle également à dépasser l’idéed’une pastorale paroissiale limitée à son territoire etsouhaite une «pastorale globale», caractérisée par un«dynamisme en sortie». Qu’est-ce que cela signifieconcrètement?

Cela signifie que si nous sentons que notre foiest une foi à annoncer, à proposer, il n’y a pasque les presbytères, les murs des églises, mais il ya des gens qui ont besoin de cette foi. La parois-se a peut-être été ressentie jusqu’à présent com-me un palais, un château à garder, à protéger...Il me semble qu’il faut enlever les clés, ouvrir les

portes, aérer l’environnement et sortir. Ici, ce dy-namisme d’ouverture dont le Pape parle tant defois signifie regarder ailleurs, voir qui a besoinde la foi: le monde de la jeunesse, le monde deceux qui ont besoin de Dieu mais ne savent pasoù aller. La paroisse doit être une structure enrecherche. Les prêtres, les diacres et les person-nes consacrées doivent savoir sortir, resterdehors. Le Pape parle souvent d’«être avec»: ce-la signifie pouvoir consacrer du temps, découvrirles richesses des personnes, des familles, simple-

ment en vivant ensemble. C’est un grand sacrifi-ce car nous aimons tous les coutumes, notre ha-bitat qui nous rend paisibles, sereins, à l’aise.Mais ce n’est pas la dynamique de la foi. Il y aaussi la nécessité d’une coopération entre les pa-roisses, d’une coordination des calendriers. Toutcela nous amène à ressentir la paroisse commeune «vie communautaire», une «vie de grandefamille». Le prêtre doit donc être le guide decette procession sortante: il doit aider ses colla-borateurs, aider les familles à «rester dehors», àchercher ceux qui sont loin et à n’attendre qu’unsigne de tête, un mot, une invitation à s’engagerdans ce chemin de foi qui donne aussi de la joie,de la sérénité et à son tour une projection mis-s i o n n a i re .

Statuette du Bon Pasteur, Musées du Vatican

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A 150 ans de la proclamation des dogmes

Primat et infaillibilitéSERGIO CE N T O FA N T I

Il y a cent cinquante ans, le 18 juillet 1870, futpromulguée la constitution Pastor aeternus. El-le définissait les deux dogmes de la primautédu Pape et de l’infaillibilité pontificale.

Discussions longues et agitéesLa constitution dogmatique fut approuvée à

l’unanimité par les 535 pères conciliaires pré-sents «après des discussions longues, fières etagitées» comme le dit Paul VI lors d’une au-dience générale, décrivant cette journée com-me «une page dramatique de la vie de l’Egli-se, mais non moins claire et définitive» (au-dience générale du 10 décembre 1969). Qua-tre-vingt-trois pères conciliaires ne parti-cipèrent pas au vote. L’approbation du textearriva lors du dernier jour du Concile VaticanI, suspendu à cause de la guerre franco-prus-sienne débutée le 19 juillet 1870 et fut prorogésine die après la prise de Rome par les troupesitaliennes, le 20 septembre de cette même an-née, qui marqua la fin des Etats pontificaux.La constitution reflète une position intermé-diaire entre les différentes réflexions des parti-cipants, excluant par exemple que la défini-tion de l’infaillibilité puisse être étendue éga-lement intégralement aux encycliques ou auxautres documents doctrinaux. Le schisme desvieux-catholiques, qui ne voulurent pas accep-ter le dogme sur le magistère infaillible du Pa-pe, suivit les disputes qui émergèrent durantle concile.

Le dogme sur la rationalitéet le caractère surnaturel de la foi

Les deux dogmes furent proclamés aprèscelui de la rationalité et du caractère surnatu-rel de la foi, contenu dans l’autre constitutiondogmatique du Concile Vatican I Dei Filiusdu 24 avril 1870. Le texte affirme que «Dieu,principe et fin de toutes choses, peut être con-nu avec certitude à la lumière naturelle de laraison humaine à travers les choses créées; eneffet, les choses invisibles à Lui sont connuespar l’intelligence de la créature humaine à tra-vers les choses qui furent faites (Rm 1, 20)».Ce dogme, expliquait Paul VI lors de l’audien-ce de 1969, reconnaît que «la raison, avec sesseules forces, peut atteindre la connaissancecertaine du Créateur à travers les créatures.L’Eglise défend ainsi, dans le siècle du ratio-nalisme, la valeur de la raison», soutenantd’une part «la supériorité de la révélation etde la foi sur la raison et sur ses capacités»,mais déclarant, d’autre part, qu’«il n’y a aucu-ne opposition entre la vérité de foi et la véritéde raison, étant Dieu la source de l’une et del’a u t re » .

Le dogme sur la primautéDans Pastor aeternus, Pie IX, avant la pro-

clamation du dogme sur la primauté, rappellela prière de Jésus au Père pour que ses disci-ples soient «un»: Pierre et ses successeurssont «le principe durable et le fondement visi-ble» de l’unité de l’Eglise. Ainsi, affirme-t-ilsolennellement: «Nous enseignons donc etnous déclarons, suivant les témoignages del’Evangile, que la primauté de juridiction surtoute l’Eglise de Dieu a été promise et donnéeimmédiatement et directement au bienheureuxapôtre Pierre par le Christ notre Seigneur.(…) Ce que le Christ notre Seigneur, chef despasteurs, pasteur suprême des brebis, a insti-tué pour le salut éternel et le bien perpétuelde l’Eglise doit nécessairement, par cette mê-me autorité, durer toujours dans l’Eglise, qui,

dination hiérarchique et de vraie obéissance,non seulement dans les questions qui concer-nent la foi et les mœurs, mais aussi dans cel-les qui touchent à la discipline et au gouver-nement de l’Eglise répandue dans le mondeentier. Ainsi, en gardant l’unité de commu-nion et de profession de foi avec le Pontife ro-main, l’Eglise est un seul troupeau sous unseul pasteur. Telle est la doctrine de la véritécatholique, dont personne ne peut s’écartersans danger pour sa foi et son salut».

Le magistère infaillible du PapeDans la primauté du Pape, écrit Pie IX, «est

contenu aussi le pouvoir suprême du magis-tère», conféré à Pierre et à ses disciples «pourle salut de tous», comme «le confirme la tra-dition constante de l’Eglise. (…) Mais commeen ce temps, qui exige au plus haut point l’ef-ficacité salutaire de la charge apostolique, ilne manque pas d’hommes qui en contestentl’autorité, Nous avons jugé absolument néces-saire d’affirmer solennellement la prérogativeque le Fils unique de Dieu a daigné joindre àla fonction pastorale suprême. C’est pourquoi,nous attachant fidèlement à la tradition reçuedès l’origine de la foi chrétienne, pour la gloi-re de Dieu notre Sauveur, pour l’exaltation dela religion catholique et le salut des peupleschrétiens, avec l’approbation du saint concile,nous enseignons et définissons comme undogme révélé de Dieu: le Pontife romain, lors-qu’il parle ex cathedra, c’est-à-dire lorsque,remplissant sa charge de pasteur et de docteurde tous les chrétiens, il définit, en vertu de sasuprême autorité apostolique, qu’une doctrinesur la foi ou les mœurs doit être tenue partoute l’Eglise, jouit, par l’assistance divine àlui promise en la personne de saint Pierre, decette infaillibilité dont le divin Rédempteur avoulu que fût pourvue son Eglise, lorsqu’elledéfinit la doctrine sur la foi et les mœurs. Parconséquent, ces définitions du Pontife romainsont irréformables par elles-mêmes et non envertu du consentement de l’Eglise».

Quand a-t-on recours à l’infaillibilité?Jean-Paul II a expliqué le sens et les limites

de l’infaillibilité lors de l’audience générale du24 mars 1993: «L’infaillibilité, affirmait-il, n’estpas donnée au Pontife romain comme à unepersonne privée, mais dans la mesure où ilremplit l’office de pasteur et de maître de tousles chrétiens. En outre, il ne l’exerce pas com-me ayant cette autorité en soi et par soi, mais“par sa suprême autorité apostolique” et “parl’assistance divine qui lui est promise dans lebienheureux Pierre”. Enfin, il ne la possèdepas comme s’il pouvait en disposer ou y com-pter en toute circonstance, mais seulement“quand il parle ex cathedra”, et seulement dansle champ doctrinal limité aux vérités de foi etde morale et à celles qui y sont strictementliées. (…) Le Pape doit agir comme “pasteuret docteur de tous les chrétiens”, se pronon-

çant sur des vérités concernant “la foi et lescoutumes”, avec des termes qui manifestentclairement son intention de définir une certai-ne vérité et de réclamer la définitive adhésionà celle-ci de la part de tous les chrétiens. C’estce qu’il advint — par exemple — dans la défi-nition de l’Immaculée Conception de Marie,au sujet de laquelle Pie IX affirma: “c’est unedoctrine révélée par Dieu et elle doit être,pour cette raison, fermement et constammentcrue par tous les fidèles”, ou dans la défini-tion aussi de l’Assomption de la Très SainteVierge Marie quand Pie XII dit: “avec l’autori-té de Notre Seigneur Jésus Christ, des bien-heureux apôtres Pierre et Paul, et avec notreautorité, nous déclarons et définissons commedogme divinement révélé… etc.”. Dans cesconditions, on peut parler de magistère papal“e x t r a o rd i n a i re ”, dont les définitions sont irré-formables “en soi et non par le consensus del’Eglise”. (…) Les Souverains Pontifes peu-vent exercer cette forme de magistère. Et c’estce qu’il se passa en effet. Beaucoup de Papes,cependant, ne l’ont pas exercé».

Qu’est-ce qu’un dogme?Les dogmes sont des vérités de foi que

l’Eglise enseigne comme étant révélées parDieu (cf. Catéchisme de l’Eglise catholique,nn. 74-95). Ce sont des points fixes de notrecroyance. Les principaux sont les suivants:Dieu est Un et Trine; le Père est le créateurde toutes choses; Jésus, le Fils, est vrai Dieuet vrai homme, incarné, mort et ressuscitépour notre salut; le Saint-Esprit est Dieu;l’Eglise est une, comme le baptême est un. Etencore: le pardon des péchés, la résurrectiondes morts, l’existence du paradis, de l’enfer etdu purgatoire, la transsubstantiation, la mater-nité divine de Marie, sa virginité, son Imma-culée conception et son Assomption. Toutesces vérités ne sont pas abstraites et froides,mais doivent être comprises dans la grandevérité de Dieu qui est amour et qui veut par-tager la vie divine avec ses créatures. Jésus ré-vèle les plus grands commandements: l’amourde Dieu et du prochain (Mt 22, 36-40). A lafin de notre vie, nous serons jugés surl’a m o u r.

Dogmes et développement de la doctrineUn dogme est donc un point fixe pour la

vie de la foi. Il est défini par le Magistère del’Eglise qui le reconnaît dans l’Ecriture Saintetelle que révélée par Dieu et en lien étroitavec la tradition. La tradition, cependant,n’est pas quelque chose d’immobile et de sta-tique, mais — comme le dit Jean-Paul II (Let-tre apostolique Ecclesia Dei) à la suite du der-nier Concile — elle est vivante et dynamique àmesure que l’intelligence de la foi grandit. Lesdogmes ne changent pas, mais grâce à l’EspritSaint, nous comprenons de plus en plus

SUITE À LA PA G E 8

fondée sur la pierre,subsistera ferme jusqu’àla fin des siècles. (…)Dès lors, quiconquesuccède à Pierre en cet-te chaire reçoit, de parl’institution du Christlui-même, la primautéde Pierre sur toutel’Eglise. (…) Les pas-teurs de tout rang et detout rite et les fidèles,chacun séparément outous ensemble, sont te-nus au devoir de subor-

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numéro 30, mardi 28 juillet 2020 L’OSSERVATORE ROMANO page 7

Les conséquences de la distanciation sociale sur notre rapport avec Dieu

La beauté de raconter nos histoires à DieuNous présentons ci-dessous à nos lecteurs les ré-flexions du théologien dominicain, frère de la pro-vince d’Angleterre, écrites au cours du mois demai, au cœur du temps de confinement, et quisont une invitation à élargir nos horizons.

TIMOTHY RAD CLIFFE

Les 22 et 23 janvier 2020, le directeur généralde l’Organisation mondiale de la santé a pré-sidé un comité d’urgence pour évaluer si unnouveau virus apparu à Wuhan constituaitune question d’urgence sanitaire publique in-ternationale. Le comité ne réussit pas à trou-ver un accord. Le lendemain, le 24 janvier2020, le Pape François a publié son Messagepour la 54e journée mondiale des communica-tions sociales, sur l’art de la narration. Lemonde était sur le point de prendre conscien-ce d’un nouveau fléau mondial. Quelles his-

toires pouvons-nous raconter face à une pan-démie?

Le Pape affirme que nous avons besoind’histoires «pour ne pas s’égarer (...) des ré-cits qui construisent, et non qui détruisent;des récits qui aident à retrouver des racines etla force d’aller de l'avant ensemble». Nos his-toires, communautaires et individuelles, for-gent notre sens du temps, afin que nous puis-sions naviguer avec espérance vers un avenir.Mais en ce temps de confinement, les calen-driers habituels qui nous donnent un sens dufutur tombent. Les rencontres familiales, àl’occasion de mariages et d’enterrements, nesont plus possibles; nous ne pouvons pasnous réunir pour célébrer les grandes solenni-tés de l’année liturgique; pas même le calen-drier sportif ne nous donne plus un sentimentd’anticipation. Notre temps est devenu infor-me. Une pandémie nous a laissés sans aucunrepère. Nous avons besoin d’histoires qui mo-dèlent notre vie dans une période de fléau.

De façon providentielle, le message du Pa-pe commence par une citation — «Afin que tupuisses raconter à ton fils et au fils de tonfils» (Ex 10, 2) — qui fait directement référen-ce aux fléaux infligés aux Egyptiens. Le sangdes agneaux au-dessus des portes des juifs lessauva du dernier fléau, la mort de tous lespremier-nés mâles. Les fléaux dans la Biblenous placent face à la mort, non seulementcomme destin inévitable de toute chose vivan-te, mais également comme pouvoir impitoya-ble que seul le Seigneur de la vie et de lamort peut renverser. Toute pandémie contientune référence à l’apocalypse, au «cheval ver-dâtre; celui qui le montait, on le nomme: laMort; et l’Hadès le suivait» (Ap 6, 8).

Les épidémies ont souvent jeté l’ombre dela mort sur l’humanité, mais nous n’avions ja-mais été auparavant aussi conscients d’unemenace mondiale. Tous les jours, je lis lenombre de victimes qu’il y a eu dans chaquepays du monde. Quelle histoire d’esp érancepeut offrir aujourd’hui le christianisme face aucovid-19?

La Pâque juive était une commémorationdes fléaux qui conduisirent à la libération desisraélites de l’esclavage en Egypte. Cette mé-moire forgeait la confrontation du Seigneuravec le plus grand ennemi de l’humanité, la Viktor Vasnetsov, «Les quatre chevaliers de l’Apocalypse» (1887)

e ré c i tE M O T D E L’ANNÉEl

mort, la nuit avant d’être trahi. C’est l’h i s t o i reavec laquelle nous pouvons retrouver nos re-pères à une époque de pandémie. Cette nuit-là tout ce qui pouvait donner des repères etune direction aux disciples s’effondrait. Toutce en quoi ils avait placé leur espérance étaitsur le point de s’écrouler. Devant eux, il n’yavait que trahison, négation, désertion, l’ef-fondrement de leur petite communauté et lapassion et la mort de celui qui les appelait sesamis. Comme le dirent les disciples sur la rou-te d’Emmaüs: «Nous espérions, nous, quec’était lui qui allait délivrer Israël» (Lc 24, 21).La croix semblait ne pas être uniquement lamort d’une personne, mais la victoire de lamort même.

Le geste de Jésus de prendre le pain, de lebénir et de déclarer que c’était son corps, etque le vin était son sang, fut donc un gesteempreint d’une espérance qui allait bien au-delà de leur imagination. Il n’affrontait passeulement sa mort le lendemain, mais leroyaume de la mort, en se projetant vers lavictoire du jour de Pâques.

On perçoit la splendeur du drame de cettedernière nuit dans des situations où la mortjette son ombre obscure sur les peuples. Celam’a frappé la première fois au cours d’une vi-site au Rwanda en 1993, alors que le génocidevenait de commencer. Je devais aller rendrevisite aux sœurs dominicaines du nord, quandarriva l’ambassadeur belge qui nous conseillade rester chez moi car le pays était à feu et àsang, mais nous partîmes quand même. Aprèsune journée chargée de violence, de rebelles etde soldats, d’enfants mutilés par les mines, jeme rendis en visite auprès de mes sœurs do-minicaines. Que pouvais-je dire au milieu detant d’horreur? Je ne trouvais pas les mots.Puis, je me rappelais que j’avais une mémoireet une promesse à réitérer, qui défiaient lamort et promettaient communion quand l’hu-manité était dispersée. Telle est l’histoire aveclaquelle nous défions la menace du fléau, etc’est pour cela qu’il est très triste que la majo-rité d’entre nous ne puisse pas se réunir pourla célébrer mais doive la suivre sur internet.

Le message du Pape François pour la jour-née mondiale des communications sociales estune invitation à se souvenir que même dansl’isolement de nos maisons, nous pouvonssoutenir la communion de façons qui n’ont ja-mais été possibles auparavant.

Nous répondons à une crise mondiale parune communion mondiale. Le nombre de per-sonnes qui assistent à l’Eucharistie quotidien-ne en ligne dans mon prieuré à Oxford est letriple de celles qui venaient à l’Eglise avant le

covid-19. Je reçois un tsunami de messages deposte électronique et d’appels téléphoniques.J’utilise Skype et Zoom comme jamais aupa-ravant.

Toutefois, l’isolement physique consumenotre humanité. Nous avons besoin de lanourriture du visage des autres et du soutiend’un contact doux. Si nous en sommes privés,notre humanité meurt de faim. Les grand-pa-rents ne peuvent embrasser leurs enfants etnous nous retrouvons séparés des personnesque nous aimons. Zoom et Skype ne suffisentpas. Comment pouvons-nous supporter toutcela?

L’histoire de la Dernière Cène raconte unecommunion née de l’isolement toujours plusprofond de Jésus. Au cours de la DernièreCène, il préside une communauté qui se désa-grège déjà. Dans le jardin du Gethsémani, sesdisciples dorment pendant qu’il lutte seulpour affronter son destin. C’est une figure so-litaire quand il se retrouve devant le jugementdes prêtres suprêmes et de Ponce Pilate, puisil atteint la solitude extrême de la croix, ren-due indiciblement plus grave par la foule quihurlait à ses pieds. Une façon de supporterl’isolement imposé à des milliards de person-nes est donc de participer à la solitude de Jé-sus, qui l’a supportée afin que nous puissionsappartenir les uns aux autres en lui.

Au Rwanda, et plus récemment en Syrie, àportée de voix de la ligne de front avec l’EI(le soi-disant Etat islamique), m’a été dévoiléel’espérance significative de notre simple his-toire eucharistique. C’est la narration qu’aucu-ne épidémie ne peut renverser. Et toutefois,pour des millions de personnes qui vont à laMesse, elle est perçue simplement comme en-nuyeuse. Pour de nombreuses personnes, ellene touche pas leur imaginaire, mais elle estuniquement un morne devoir à supporter.

Il est paradoxal que l’un des récits les pluspopulaires du XXe siècle, Le Seigneur des an-neaux, de J.R.R. Tolkien, est une explorationde sa foi dans l’Eucharistie. Il écrivit à son filsMichael, peu avant sa première communion:«Je te présente l’unique grande chose à aimersur terre: les saints sacrements. Là, tu trouve-ras aventure, gloire, honneur, fidélité et la vé-ritable voie pour tout tes amours sur cette ter-re». Il peut sembler étrange qu’un roman quia touché l’imaginaire du monde soit eucharis-tique, alors que souvent, l’Eucharistie ne réus-sit pas à le faire. Comment la beauté de sanarration peut-elle devenir évidente?

SUITE À LA PA G E 8

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SUITE DE LA PA G E 6

Primat et infaillibilité

Le Pape François identifie l’héroïsme com-me une caractéristique des histoires passion-nantes: «Les récits de tous les temps ont un“c a d re ” commun: la structure prévoit des “hé-ro s ”, même quotidiens, qui, pour poursuivreun rêve, affrontent des situations difficiles,combattent le mal, stimulés par une force quiles rend courageux, celle de l'amour. En nousimmergeant dans les récits, nous pouvons re-trouver des motivations héroïques pour faireface aux défis de la vie». Le Seigneur des an-neaux est l’histoire de petits êtres laborieux,qui redoutent l’aventure mais qui deviennentdes héros.

Si nous réussissons à voir le drame de notreEucharistie comme une histoire d’h é ro ï s m e ,cela pourrait susciter notre imagination. Deuxexemples viennent immédiatement à l’esprit.Le premier est l’antique poème anglais Th eDream of the Rood, qui remonte probablementau VIIe siècle. Il représente Jésus comme unjeune héros qui monte sur la croix pour com-battre comme un chevalier.

Le deuxième est le film Des hommes et desdieux, réalisé par Xavier Beauvois, qui a rem-porté en 2010 le Grand Prix au festival du ci-néma de Cannes. Il a frappé l’imaginaire demillions de personnes parce que c’est l’h i s t o i revraie de timides moines ordinaires qui sontdevenus des héros. Il raconte l’histoire d’unepetite communauté de moines trappistes enAlgérie dans les années 90 du siècle dernier,qui se retrouvent emportés dans une vague

croissante de violence. Doivent-ils rester et ris-quer de mourir ou s’en aller? La scène la plusémouvante est leur Dernière Cène. Le frèreâgé Luc met deux bouteilles de vin sur la ta-ble et met sur le tourne-disque la musique duLac des Cygnes. Pas un mot n’est prononcé.Nous voyons seulement leurs visages, pleinsde tristesse en raison de la souffrance qui lesattend et de joie parce qu’ils participeronttous à l’histoire des derniers jours de leur Sei-gneur. C’est la beauté absolue d’un héroïsmeeucharistique silencieux et sans prétention.

Comment pouvons-nous vivre la situationactuelle de façon héroïque et toucher ainsil’imaginaire de nos contemporains? Au cours

des fléaux du passé, par exemple la Mort noi-re, les chrétiens sortaient et prenaient soin desmalades, en risquant la mort. Les héros de no-tre pandémie sont les infirmiers et les méde-cins qui travaillent en première ligne. Ungrand nombre d’entre eux le font comme ex-pression de leur foi chrétienne, mais commentl’Eglise peut-elle vivre de façon explicite ledrame de l’histoire eucharistique à présentque les églises sont fermées et que de nom-breux hôpitaux, tout au moins au Royaume-Uni, ne laissent pas entrer les aumôniers?

J’ai fini par accepter, avec difficulté, la sa-gesse et le bien-fondé de la décision d’auto-isoler le clergé. Autrement, nous deviendrionsnous-mêmes des instruments de contagion. Ilexiste des exemples d’héroïsme: le père Giu-seppe Berardelli, le prêtre âgé de soixante-douze ans qui a renoncé à son ventilateur afinqu’un jeune puisse vivre, et qui en est mort;ou encore, il me vient à l’esprit un jeune do-minicain américain qui travaille à New York,et qui s’est transféré dans un hôpital pour ai-der les personnes atteintes par le virus, mêmesi cela a signifié quitter sa communauté. Maisil m’est difficile d’imaginer comment l’Eglisepeut rendre explicite l’héroïsme de notre gran-de histoire face au covid-19. L’auto-isolementest sans doute nécessaire, mais il n’apparaîtpas héroïque! Peut-être est-ce possible, à tra-vers une sorte de saint réalisme, en regardanten face la mort, en reconnaissant la tragédieunique vécue par chaque victime, mais en re-fusant de se laisser aller à la panique, car nouscroyons que la domination de la mort est ter-minée.

Il y a un dernier thème dans le message duPape qui, dans la crise actuelle, a revêtu uneimportance inattendue. François souligne labeauté de raconter nos histoires à Dieu. «Seraconter au Seigneur, c’est entrer dans son re-gard d’amour compatissant envers nous et en-vers les autres. Nous pouvons lui raconter leshistoires que nous vivons, porter les person-nes, confier les situations. Nous pouvons aveclui reprendre le tissu de la vie, en recousantles déchirures».

Cette année à Pâques, nombreux sont ceuxqui n’ont pas pu recevoir le sacrement de laréconciliation. Deux mois après la publicationde son message, le Pape a exhorté les fidèles àconfesser leurs péchés à Dieu en l’absenced’un prêtre disponible. Cela ne doit pas né-cessairement signifier réciter ses péchés, mais,comme le suggère le message du Pape, parta-ger sa propre histoire avec Dieu, avec ses dra-mes, ses échecs et ses triomphes. Saint Tomasd’Aquin, dans son Scriptum super librum IV

Sententiarum, va plus loin et affirme qu’enl’absence d’un prêtre, on peut raconter ses pé-chés à un autre laïc, qui ne peut donner l’ab-solution, mais qui est une sorte de ministre dusacrement «par nécessité». Donc, dans cettecrise, nous pouvons tous représenter l’o re i l l emiséricordieuse de Dieu, en participant audrame de la vie les uns des autres, en nousrassurant les uns les autres de la victoire finalede l’a m o u r.

SUITE DE LA PA G E 7

Les conséquences de la distanciation sociale sur notre rapport avec Dieu

l’étendue et la profondeur des vérités de lafoi. Ainsi, le Pape Wojtyla a pu affirmer que«l’exercice du Magistère se concrétise et mani-feste la contribution du Souverain Pontife audéveloppement de la doctrine de l’Eglise»(Audience générale, 24 mars 1993).

Primauté, collégialité, œcuménismePaul VI, lors d’une audience de 1969, a re-

vendiqué la pertinence du Concile Vatican I etle lien avec le Concile suivant: «Les deuxconciles du Vatican, le premier et le second,sont complémentaires» même s’ils diffèrentgrandement «pour de nombreuses raisons».Ainsi, l’attention portée aux prérogatives duPontife dans Vatican I est étendue dans Vati-can II à l’ensemble du peuple de Dieu avecles concepts de «collégialité» et de «commu-nion», tandis que l’accent mis sur l’unité del’Eglise, qui a en Pierre le point de référencevisible, est développé dans un engagementfort en faveur du dialogue œcuménique. Aupoint que Jean-Paul II dans Ut unum sint p eutlancer un appel aux communautés chrétiennespour trouver une forme d’exercice de la pri-mauté qui, «sans renoncer à l’essentiel de samission, s’ouvre à une situation nouvelle»,comme «un service d’amour reconnu par lesuns et les autres» (Ut unum sint, n. 95). Et lePape François dans Evangelii gaudium parled’une «conversion de la papauté». «Le Conci-le Vatican II, note-t-il, a affirmé que, d’unemanière analogue aux antiques Eglises patriar-cales, les conférences épiscopales peuvent«contribuer de façons multiples et fécondes àce que le sentiment collégial se réalise con-crètement» (Lumen gentium). Mais ce souhaitne s’est pas pleinement réalisé, parce que n’apas encore été suffisamment explicité un sta-tut des conférences épiscopales qui les conçoi-ve comme sujet d’attributions concrètes, ycompris une certaine autorité doctrinale au-thentique. Une excessive centralisation, au

lieu d’aider, complique la vie de l’Eglise et sadynamique missionnaire» (Evangelii gaudium,n. 32). Et il faut rappeler que, selon le Conci-le Vatican II, «l’infaillibilité promise à l’Egliseréside aussi dans le corps des évêques quandil exerce son magistère suprême en union avecle successeur de Pierre» (Lumen gentium,n. 25).

Aimer le Pape et l’Eglise,c’est construire sur le Christ

Au-delà des dogmes, Pie X a rappelé, lorsd’une audience en 1912, la nécessité d’aimer lePape et de lui obéir, disant aussi qu’il étaittriste que cela ne se produise pas. Don Boscoa exhorté ses collaborateurs et ses garçons àgarder dans leur cœur les «trois amoursblancs»: l’Eucharistie, la Vierge et le Pape. EtBenoît XVI, le 27 mai 2006, s’adressant à Cra-covie aux jeunes qui avaient grandi avec saintJean-Paul II, a expliqué en termes simples ceque ces vérités de foi, proclamées en 1870, af-firment: «N’ayez pas peur de construire votrevie dans l’Eglise et avec l’Eglise! Soyez fiersde l’amour pour Pierre et pour l’Eglise qui luiest confiée. Ne vous laissez pas tromper parceux qui veulent opposer le Christ et l’Eglise!Il n’y a qu’un seul roc sur lequel il vaut lapeine de construire sa maison. Ce roc est leChrist. Il n’y a qu’une seule pierre sur laquel-le il vaut la peine de faire reposer toute chose.Cette pierre est celui à qui le Christ a dit: «Tues Pierre et sur cette pierre je bâtirai monEglise» (Mt 16, 18). Vous, les jeunes, vousavez bien connu le Pierre de notre temps.C’est pourquoi n’oubliez pas que ni le Pierrequi nous observe à présent depuis la fenêtrede Dieu le Père, ni ce Pierre qui est mainte-nant devant vous, ni aucun des Pierre à venirne sera jamais contre vous, ni contre la cons-truction d’une maison durable sur le roc. Aucontraire, il engagera son cœur et ses mains àvous aider à construire la vie sur le Christ etavec le Christ».

Une scène du film «Des hommes et des dieux» de Xavier Beauvois (2010)

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Décès du cardinal polonaisZenon Grocholewski

Le cardinal polonais Zenon Grocholewski, préfet éméritede la Congrégation pour l’éducation catholique (et desinstituts d’étude), est décédé le vendredi 17 juillet àl’âge de 80 ans. Né le 11 octobre 1939 à Bródki, dansl’archidiocèse de Poznań, il avait été ordonné prêtre le27 mai 1963. Elu à l’Eglise titulaire d’Agropoli le 21décembre 1982 et nommé dans le même temps secrétairedu Tribunal suprême de la Signature apostolique, ilavait reçu l’ordination épiscopale le 6 janvier 1983. Le16 décembre 1991 il avait été promu archevêque et le 5octobre 1998, il avait été nommé préfet du mêmetribunal, charge qu’il a maintenue jusqu’au 15novembre 1999, quand il avait été nommé préfet de laCongrégation pour l’éducation catholique. Il avait étécréé cardinal par Jean-Paul II et publié lors duconsistoire du 21 février 2001, avec la diaconie de SanNicola in Carcere, élevée ensuite «pro hac vice» autitre presbytéral le 21 février 2011. Le 31 mars 2015, ilavait conclu son service comme préfet de laCongrégation. Ayant appris la nouvelle de son décès, lePape François a envoyé au frère du défunt cardinal,Władisław, le télégramme suivant:

Ayant appris la nouvelle de la mort de votre bien-aimé frère, le cardinal Zenon Grocholewski,je désire vous exprimer, ainsi qu’à votre famille, ma proximité pour le deuil qui a frappé ceuxqui ont connu et estimé le défunt cardinal. Je rappelle avec gratitude l’œuvre de grand méritequ’il a accomplie en tant que professeur apprécié de droit canonique dans les universités ponti-ficales grégorienne et du Latran, et également comme auteur de nombreuses publications scien-tifiques. En particulier, il s’est consacré avec générosité au service du Saint-Siège, d’abord entant que secrétaire et préfet du Tribunal suprême de la Signature apostolique, puis en qualitéde préfet de la Congrégation pour l’éducation catholique. Dans ces domaines, il a fait preuvede zèle sacerdotal, de fidélité à l’Evangile et d’édification de l’Eglise. Tandis que j’élève uneprière au Seigneur Jésus afin qu’il accorde au défunt cardinal la récompense éternelle promise àses disciples, je vous envoie, ainsi qu’à ceux qui pleurent sa disparition, la Bénédiction apos-tolique.

FRANCISCUS P P.

Un télégramme analogue a été envoyé par le cardinal-secrétaire d’Etat, Pietro Parolin.

Le cardinal Hollerich sur le Fonds de relance

L’Europe de la solidarité

GIANCARLO LA VELLA

L’accord historique atteint sur le Fonds de re-lance (Recovery fund) par les dirigeants euro-péens au terme de négociations qui ont duréquatre jours et quatre nuits représente untournant important, non seulement en raisondes effets concrets qu’il aura pour surmonterla crise provoquée par la pandémie, mais aussiparce qu’il donne à l’avenir de l’Union euro-péenne une nouvelle façon de gérer les rela-tions entre les pays membres. Le Fonds de re-lance dispose d’une dotation de 750 milliardsd’euros, dont 390 milliards de subventions et360 milliards de prêts. Les Etats bénéficiairesdevront commencer à rembourser les sommesd’ici la fin du prochain budget de sept ans del’UE, c’est-à-dire d’ici 2027. Le Premier minis-tre néerlandais, Mark Rutte, s’est déclaré sa-tisfait des «ristournes importantes» découlantdes rabais et a défini le plan approuvé commeun «bon ensemble de mesures pour les Pays-Bas et pour l’Europe». Mark Rutte a été leleader des pays dits frugaux. «Avec 209 mil-liards, nous avons la chance de remettre l’Ita-lie sur les rails et de changer le visage dupays. Nous devons maintenant courir», a dé-claré le chef du gouvernement italien, Giusep-pe Conte. L’Italie, l’un des pays les plus tou-chés en Europe par la pandémie, recevra 28pour cent. Le président du gouvernement es-pagnol, Pedro Sánchez, est également satis-fait: «Aujourd’hui, nous jetons les bases d’uneréponse à la crise du covid-19 sans oublier de-

main». La chancelière allemande Angela Mer-kel, est également très satisfaite. Un jour his-torique pour l’Europe, a été le commentairedu président français Emmanuel Macron.

Le cardinal Jean Claude Hollerich, prési-dent de la Commission des conférences épis-copales de la Communauté européenne (CO-MECE), commente également de manière posi-tive le tournant du Fonds de relance. Il y voit

une ouverture significative de l’Europe à unelogique de solidarité, qui se traduira certaine-ment au-delà des frontières continentales.

Pouvons-nous dire que l’Europe a choisi la so-lidarité?

«Nous pouvons dire que l’Europe a choisila solidarité, même si beaucoup d’efforts ontdû être faits pour y parvenir. Je suis heureuxque les 27 y soient parvenu. L’Union euro-péenne doit exprimer — c’est dans sa nature —la solidarité. Cela fait partie de l’ADN del’Union européenne. Je pense que l’Europe ades problèmes aujourd’hui: l’Europe n’estplus le centre économique du monde avec lesEtats-Unis. Le monde a changé et je penseque la crise du coronavirus a accéléré ce chan-gement. Nous porterons encore les consé-quences de cette pandémie, mais j’espère, enparticulier pour les jeunes, que cela leur per-mettra de vivre leur vie en paix, et toujoursconscients qu’il faut aider les autres.

Le rôle de l’Eglise, des Eglises, est-il importanten ce moment?

Oui, parce que nous devons toujours êtredu côté des plus pauvres. Nous devons expri-mer notre solidarité, nous devons aussi don-ner des ressources aux personnes qui en ontbesoin. En ce sens, je suis très heureux quecette aide soit apportée aux pays qui ont étéles plus touchés par la pandémie, c’e s t - à - d i rel’Italie, l’Espagne et la France. Je me sensprofondément européen et je ne peux pasimaginer une Europe qui ne soit pas solidaire.Nous sommes tous dans la même situation. Etje pense qu’aider les autres sera égalementune bénédiction pour l’économie même despays.

Une Europe avec les difficultés provoquées par lapandémie parviendra-t-elle encore à être accueil-lante pour ceux qui cherchent une vie meilleure,les migrants?

Cela aussi est un sujet très important pourmoi, car il est trop facile de donner quelquechose de notre superflu. Nous, les chrétiens,ne sommes pas appelés à quelque chose deplus. Nous sommes appelés à partager ce quiest nécessaire pour aider d’autres personnes.Hier, j’ai reçu chez moi une famille irakienne.En cette période de pandémie, ils ont fa-briqué des masques pour de nombreuses au-tres personnes. C’est une très belle idée et onvoit qu’ainsi, l’Europe reçoit aussi beaucoup sielle est ouverte à donner quelque chose.

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cines bibliques profondes. François aime, eneffet, à plusieurs reprises se rappeler ce que leprophète Joël nous enseigne lorsqu’il dit: «vosanciens seront instruits par des songes, et vosjeunes gens par des visions» (3, 1) et «ils pro-p h é t i s e ro n t » .

Qui, sinon les jeunes, demande le Pape,peut prendre les rêves des anciens et les faireavancer? De manière significative, lors du sy-node dédié à la jeunesse célébré en octobre2018, il a souhaité que soit vécu un événementspécial sur le dialogue entre les générations,d’où la rencontre: «La Sagesse du Temps» quis’est déroulé à l’Institut patristique Augusti-nianum. A cette occasion, répondant auxquestions des jeunes et des moins jeunes surles questions d’actualité pour l’Eglise et lemonde, François a exhorté «à défendre les rê-ves comme on défend les enfants», notant que«les fermetures ne connaissent pas les hori-zons, les rêves oui». Le Pape, qui est aussi unhomme âgé, a confié une grande responsabili-té aux jeunes. «Toi», a-t-il dit, en s’a d re s s a n tidéalement à chaque jeune, «tu ne peux pasporter toutes les personnes âgées sur toi, maisleurs rêves oui, et ceux-là porte-les de l’avant,porte-les, cela te fera du bien». Et toujourslors de cette réunion, il a mis l’accent surl’empathie, ce qui aujourd’hui, à la lumière del’expérience dramatique de la pandémie, sem-ble encore plus nécessaire. «On ne peut pas —

a-t-il prévenu — partager une conversationavec un jeune sans empathie». Mais où pou-vons-nous trouver aujourd’hui cette ressourcesi nécessaire pour aller de l’avant? Dans laproximité répond le Pape. Un atout précieux,comme nous l’avons vécu ces derniers moislorsque cette dimension fondamentale del’existence a été soudainement «suspendue» àcause du virus. «La proximité fait des mira-cles», le Pape en est convaincu, «la proximitéavec ceux qui souffrent», «la proximité avec

les problèmes et la proximité entre jeunes etvieux». Une proximité qui, en nourrissant la«culture de l’espoir», nous immunise contre levirus de la division et de la méfiance.

Le Pape revient sur ce lien dans l’un de sesderniers voyages apostoliques, celui effectuéen Roumanie en juin 2019. C’est là que Fran-çois est touché par une image, alors qu’il est àIaşi pour la rencontre avec les jeunes et les fa-milles du pays. C’est lui-même qui a confié lajoie d’une rencontre inattendue, celle avec unefemme âgée. «Dans ses bras — dit le Pape —elle portait son petit-fils qui avait plus oumoins deux mois, pas plus. Quand je suispassé, elle me l’a montré. Elle a souri, un sou-rire complice, comme si elle me disait: “Re-garde, maintenant je peux rêver!”». Une ren-contre de regards de quelques secondes qui aenthousiasmé le Pape, toujours attentif à cap-ter dans l’autre une étincelle qui, dépassantles limites du moment, devient un cadeau etun message pour tous. «Les grands-parents —commente-t-il — rêvent quand leurs petits-en-fants vont de l’avant, et les petits-enfants ontdu courage quand ils prennent racine chezleurs grands-parents».

Des racines et des rêves. Il ne peut pas yavoir d’un côté l’un sans l’autre, car l’un estpour l’autre. Et c’est certainement plus vraia u j o u rd ’hui que par le passé, car il est urgentd’avoir une «vision d’ensemble» qui ne laissepersonne à l’écart. François le souligne dansun entretien avec les magazines anglophonesTablet et Commonweal au moment le plussombre de la pandémie en Europe. Pour lePape, qui s’attarde sur le sens de ce que nousvivons en cette dramatique année 2020, la ten-sion entre jeunes et personnes âgées «doittoujours se résoudre dans la rencontre». Lejeune, répète-t-il, «est bourgeon, feuillage,mais a besoin de la racine, sinon il ne peutpas porter de fruits. Le vieil homme est com-me la racine». Il rappelle une fois de plus la«prophétie de Joël». Aux personnes âgéesd’a u j o u rd ’hui, effrayées par un virus qui brisela vie et étouffe l’espoir, François demande unsurplus de courage. Peut-être le plus difficile:le courage de rêver. «Regardez ailleurs»,exhorte le Souverain Pontife, «souvenez-vousde vos petits-enfants et ne cessez pas de rêver.C’est ce que Dieu vous demande: de rêver».Ce que nous vivons, au milieu des peurs etdes souffrances, nous dit avec force le Pape,«c’est le moment propice pour trouver le cou-rage d’une nouvelle imagination du possible,avec le réalisme que seul l’Evangile peut nousoffrir». C’est le moment où la «prophétie deJoël» peut devenir réalité.

Septième anniversaire de la JMJ de Rio de Janeiro

Entretien avec le père Alexandre Awi Mello

tives de notre dicastère et dans le monde en-t i e r.

Vous qui avez eu un rôle significatif lors de laJMJ de Rio, auriez-vous jamais imaginé être ap-pelé ensuite à en organiser une sur le continentaméricain, celle à Panama en 2019?

Servir d’interprète au Pape au Brésil a étéune expérience pour le moins insolite! En réa-lité, je n’ai pas eu beaucoup de travail parceque le Pape communiquait très bien avec lesBrésiliens et tous comprenaient la force de sesgestes et la tendresse de ses paroles! Je n’au-rais jamais imaginé, alors, que j’aurais collabo-ré aussi directement à l’organisation d’une au-tre JMJ en Amérique latine, et encore moinsque je l’aurais fait de l’intérieur du Saint-Siè-ge. Mais je dois dire que, sur un plan stricte-ment personnel, l’expérience de Panama a dé-passé celle de Rio. Travailler à la JMJ de 2019a été une profonde expérience de communionecclésiale: le professionnalisme et la joie duComité d’organisation local, ainsi qu’unegrande ouverture et flexibilité, m’ont profon-dément marqué.

Dans le Mouvement de Schoenstatt, auquel vousappartenez, la dévotion à la Vierge est profondé-ment enracinée. Dans quelle mesure pensez-vousque François soit un Pape marial?

Je n’ai aucun doute à ce sujet. Plus qu’unesimple dévotion, c’est une véritable spiritualitémariale, enracinée dans le saint peuple deDieu, qui marque la vision et le projet ecclé-sial de son pontificat. J’ai eu la grâce de l’in-terviewer deux fois, d’écrire un livre et unethèse de doctorat sur ce sujet. L’amour du Pa-pe pour la Vierge est lié à la vision d’une

Eglise en sortie, à la révolution de la miséri-corde et de la tendresse, et à la figure d’uneEglise au visage féminin et maternel, qu’ilpromeut toujours plus.

Enfin, une question sur la prochaine édition de lajournée mondiale de la jeunesse, qui se tiendra àLisbonne, au Portugal, en août 2023. Initiale-ment prévue pour 2022, elle a été reportée d’unan à cause de l’urgence du coronavirus. Pensez-vous que les limitations et l’isolement imposé pourfaire face au covid-19 puissent éloigner les jeunesde la pratique religieuse?

Je crois sincèrement que la pandémie peutêtre une excellente opportunité pour faire ar-river la proposition chrétienne aux jeunes àtravers des modalités différentes. L’imp ortan-ce des liens familiaux et personnels, la com-munication, le soin entre les générations, lasolidarité et de nombreuses valeurs évangéli-ques se diffusent de diverses façon en ce mo-ment particulier. L’Eglise elle-même apprendà parler à travers d’autres langages. J’e s p è reque quand la pandémie sera passée, la JMJ deLisbonne pourra être une grande occasion derecueillir les leçons apprises aujourd’hui, enoffrant aux jeunes du monde entier la possibi-lité de se rencontrer de nouveau personnelle-ment pour alimenter leur foi en tant que dis-ciples et pour se sentir envoyés en tant quemissionnaires, dans un avenir peut-être diffici-le et incertain, en laissant la «place à la créati-vité que seul l’Esprit est capable de susciter»,comme le dit le Saint-Père. J’imagine des jeu-nes qui, à leur retour dans leur pays, se sen-tent appelés à s’engager dans de nouvellesformes d’accueil, de fraternité et de solidarité,et qui puissent «contaminer» leur communau-té par une espérance chrétienne renouvelée.

SUITE DE LA PA G E 3

SUITE DE LA PA G E 3

La grand-mère dont François croisa le regard lors de larencontre avec les jeunes et les familles à Iaşi (1er juin 2019)

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numéro 30, mardi 28 juillet 2020 L’OSSERVATORE ROMANO page 11

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Curie romaineNominations

Le Saint-Père a nommé:

4 juillet

S.Em. le cardinal JOSEPH WILLIAMTOBIN, archevêque de Newark; etLeurs Excellences NN.SS.: MARIOGRECH, évêque émérite de Gozo etpro-secrétaire général du synode desévêques; PAU L O CEZAR CO S TA ,évêque de São Carlos; PAU L ROU-HANA, évêque titulaire d’Antaradoet auxiliaire de Joubbé, Sarba etJounieh des Maronites; et RichardKuuia Baawobr, évêque de Wa:membres du Conseil pontifical pourla promotion de l’unité des chré-tiens.Leurs Excellences NN.SS.: GIACO-MO MORANDI, archevêque titulairede Cerveteri et secrétaire de la Con-grégation pour la doctrine de la foi,et GIORGIO DEMETRIO GA L L A R O,archevêque, évêque émérite de Pia-na degli Albanesi et secrétaire de laCongrégation pour les Eglisesorientales: consulteurs du Conseilpontifical pour la promotion del’unité des chrétiens.

8 juillet

Leurs Eminences MM. les cardi-naux: LUIS ANTONIO G. TAGLE,préfet de la Congrégation pourl’évangélisation des peuples; DIEU-D ONNÉ NZ A PA L A I N G A , a rc h e v ê q u ede Bangui; LOUIS-MARIE LINGMANGKHANEKHOUN, vicaire aposto-lique de Vientiane; IG N AT I U S SUHA-RYO HA R D J O AT M O D J O, archevêquede Djakarta et évêque aux arméespour l’Indonésie; JEAN-CL AU D EHÖLLERICH, archevêque de Luxem-bourg; et MICHAEL CZ E R N Y, sous-secrétaire de la section migrants etréfugiés du Dicastère pour le servicedu développement intégral; et LeursExcellences NN.SS.: LAW R E N C EHUCULAK, archevêque de Winnipegdes Ukrainiens; FELIX ANTHONYMACHAD O, archevêque, évêque deVasai; GEORGE FREND O, a rc h e v ê q u ede Tiranë-Durrës; MARK TIN WIN,archevêque de Mandalay; JEAN-MARC AVELINE, archevêque deMarseille; PAU L YOSHINAO OTSU-KA , évêque de Kyōto; THOMASCHUNG AN-Z U, archevêque de Tai-pei; RAPHY MA N J A LY, évêque d’Al-lahabad; AMBRO GIO SP R E A F I C O,évêque de Frosinone-Veroli-Ferenti-no; MICHAEL JOSEPH MCKENNA,évêque de Bathurst; WILLIAM HAN-NA SHOMALI, évêque titulaire deLidda; DENIS CHIDI ISIZOH, évêquetitulaire de Legia; PAT R I C K JOSEPHMCKI N N E Y, évêque de Nottingham;JAMES MASSA, évêque titulaire deBardstown; PAU L DE S FA R G E S , a rc h e -vêque d’Alger; et JOSEPH ĐÌNHĐÚC ĐA O, évêque de Xuân Lôc:

membres du Conseil pontifical pourle dialogue interreligieux.

10 juillet

M. PEDRO MORANDÉ CO U R T, p ro -fesseur émérite de sociologie à l’uni-versité pontificale catholique duChili (Chili): membre ordinaire del’Académie pontificale des sciencesso ciales.

Né à Santiago du Chili le 3 août1948, Il a été professeur de sociolo-gie, pro-recteur et doyen de la fa-culté des sciences sociales à l’uni-versité catholique du Chili. Il estspécialisé en sociologie de la cultureet de la religion et en sociologie dela famille, particulièrement en réfé-rence au peuple latino-américain età son histoire sociale.

M. MARIO DRAGHI, ancien prési-dent de la Banque centrale euro-péenne (Italie): membre ordinairede l’Académie pontificale des scien-ces sociales.

Né à Rome (Italie) le 13 septem-bre 1947, il a été gouverneur de laBanque d’Italie, puis président dela Banque centrale européenne jus-qu’en 2019. Il est membre du Con-seil d’administration de l’Institutefor Advanced Study (Ias) et dugroupe des Trente (G30). Il est l’au-teur de divers ouvrages sur la ma-cro-économie, l’économie internatio-nale et la politique monétaire.

Mme KO KU N R E AD E T O KU N B O AG-B O N TA E N EGHAFONA, professeure desociologie et d’anthropologie àl’université du Bénin (Nigéria):membre ordinaire de l’Académiepontificale des sciences sociales.

Née le 1er octobre 1959 à Londres(Grande-Bretagne). Elle est profes-seure de sociologie et d’anthrop olo-gie à l’université du Bénin au Nigé-ria et a été responsable du dévelop-pement durable dans le cadre duRéseau des solutions durables desNations unies. Ses activités actuellesincluent les mesures pour combattrela traite des êtres humains au Nigé-ria.

Représentationp ontificale

Le Saint-Père a nommé:

4 juillet

S.Exc. Mgr CL AU D I O GUGEROT-TI, archevêque titulaire de Ravel-lo, jusqu’à présent nonce aposto-lique en Ukraine: nonce aposto-lique en Grande-Bretagne.

Collège épiscopalNominations

Le Saint-Père a nommé:

8 juillet

le père STEPHEN D. PARKES, duclergé du diocèse d’Orlando (Flori-de, Etats-Unis d’Amérique), jusqu’àprésent doyen du Central DeaneryNorth et curé de l’Annunciation Pa-rish à Altamonte Springs: évêque deSavannah (Etats-Unis d’Amérique).

Né le 2 juin 1965 à Mineola (NewYork), dans le diocèse de RockvilleCentre (Etats-Unis d’Amérique), ila été ordonné prêtre pour le diocèsed’Orlando (Floride) le 23 mai 1998.

le père Angelo Ademir Mezzari,R.C.I., jusqu’à présent curé de Nos-sa Senhora das Graças a Bauru(Brésil): évêque auxiliaire de l’a rc h i -diocèse métropolitain de São Paulo(Brésil), lui assignant le siège titu-laire épiscopal de Fiorentino.

Né le 2 avril 1957 à Forquilhinha,diocèse de Criciúma, Etat de SantaCatarina (Brésil). Le 31 janvier 1981,il a émis sa profession religieusedans la congrégation des rogation-nistes du Cœur de Jésus et a reçul’ordination sacerdotale le 22 dé-cembre 1984.

9 juillet

S.Exc. Mgr GONZALO DE VILLA YVÁSQUEZ, S.J.: archevêque métropo-litain de l’archidiocèse de Guatema-la (Guatemala), le transférant dudiocèse de Sololá-Chimaltenango.

Né le 28 avril 1954 à Madrid (Es-pagne), il a été ordonné prêtre àPanamá le 13 août 1983 et a émis sesvœux perpétuels dans la Compa-gnie de Jésus le 6 février 1993. Le 9juillet 2004, il a été nommé évêquetitulaire de Rotaria et auxiliaire del’archiodiocèse métropolitain deSantiago de Guatemala, et a reçul’ordination épiscopale le 25 sep-tembre suivant. Le 28 juillet 2007, ila été transféré dans le diocèse deSololá-Chimaltenango. Du 2 octo-bre 2010 au 14 juillet 2011 il a étéadministrateur apostolique de l’ar-chidiocèse métropolitain de Los Al-tos Quetzaltenango - Totonicapán.Il est président de la conférenceépiscopale depuis 2017.

11 juillet

S.Exc. Mgr PE TA R PALIĆ, jusqu’àprésent évêque de Hvar (Croatie):évêque du diocèse de Mostar-Duv-no et administrateur apostolique adnutum Sanctae Sedis de Trebinje-Mrkan (Bosnie et Herzégovine).S.Exc. Mgr DRAŽEN KUTLEŠA: ar-chevêque coadjuteur de l’a rc h i d i o -cèse métropolitain de Split-Makar-

ska (Croatie), le transférant du dio-cèse de Poreč i Pula.

Né le 25 septembre 1968 à Tomis-lavgrad, dans le diocèse de Mostar-Duvno (Bosnie et Herzégovine), ila été ordonné prêtre le 29 juin 1993pour le diocèse de Mostar-Duvno.Le 17 octobre 2011, il a été nomméévêque coadjuteur du diocèse dePoreč i Pula et a reçu l’o rd i n a t i o népiscopale le 10 décembre suivant,et en est devenu évêque diocésain le14 juin 2012. Au sein de la conféren-ce épiscopale croate, il est membredu conseil permanent, président dela commission épiscopale pour lesrelations avec les Etats et présidentde la commission juridique.

Démissions

Le Saint-Père a accepté la démis-sion de:

8 juillet

S.Exc. Mgr STA N I S ŁAW GĘBICKI,qui avait demandé à être relevé dela charge d’évêque auxiliaire dudiocèse de Wło cławek (Pologne).

11 juillet

S.Exc. Mgr RAT KO PERIĆ qui avaitdemandé à être relevé de la chargepastorale du diocèse de Mostar-Duvno et de l’administration apos-tolique ad nutum Sanctae Sedis deTrebinje-Mrkan (Bosnie et Herzé-govine).

S.Exc. Mgr JOSÉ CÂ M N AT E NA BIS-SIGN qui avait demandé à être rele-vé de la charge pastorale du diocèsede Bissau (Guinée Bissau).

Vi c a i reap ostolique

Nomination

Le Saint-Père a nommé:

8 juillet

le père JESÚS MARÍA ARISTÍN SE-C O, C.P., jusqu’à présent adminis-trateur apostolique du vicariat deYurimaguas (Pérou): vicaireapostolique du vicariat aposto-lique de Yurimaguas (Pérou).

Né le 25 décembre 1954 à San-ta Cecilia del Alcor, Palencia(Espagne), il a émis sa professionperpétuelle le 14 avril 1979 dansla congrégation de la Passion deJésus Christ. Il a été ordonnéprêtre le 23 septembre 1979.

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page 12 L’OSSERVATORE ROMANO mardi 28 juillet 2020, numéro 30

A propos de la note de l’Académie pontificale pour la vie

L’«Humana communitas»que le covid-19 nous fait redécouvrir

VINCENZO PAGLIA*

Nous devons repenser nos modèles de déve-loppement et de coexistence, afin qu’ilssoient toujours plus dignes de la commu-

nauté humaine. Et donc, à la hauteur de l’hommevulnérable, non pas en dessous de ses limites,comme si elles n’existaient pas: à l’intérieur de ceslimites, en effet, il y a des hommes, des femmes etdes enfants qui méritent davantage de soins.Tous, pas seulement les nôtres. Si nous ouvronsles portes aux menaces véritablement mondialespour la communauté humaine, en pensant exclu-sivement à mettre à l’abri les nôtres, pas même lesnôtres ne pourront se sauver. Enfin, de la «répéti-tion générale» de cette pandémie, nous attendonsun sursaut de fierté de l’humana communitas. Ellepeut y arriver si elle le veut.

C’est sur ce thème — la pandémie, ses consé-quences, l’avenir du monde — que l’Académiepontificale pour la vie développe actuellementune réflexion spécifique. Le 30 mars (ndlr: le 7avril dans notre édition en langue française), nousavons publié un premier texte — «Pandémie etfraternité universelle» — qui est complété au-j o u rd ’hui avec ce deuxième texte intitulé «Huma-na communitas à l’ère de la pandémie: méditationsintempestives sur la renaissance de la vie», (dis-ponible sur le site www.academyforlife.va).

Humana communitas est le titre de la lettre quele Pape François a adressée à l’Académie pontifi-cale pour la vie le 6 janvier 2019, pour les 25 ansde sa fondation. Elle indique dès le titre, la pers-pective de travail: réfléchir sur les relations quiunissent la communauté humaine et engendrent

fet, à une époque où la vie semble être en suspenset où nous sommes touchés par la mort d’ê t re schers et par la perte de points de référence pournotre société, nous devons trouver le courage dene pas nous limiter à discuter du coût des soins etde l’ouverture des écoles. Nous devrions commen-cer à discuter du «système» de notre économie etde notre éducation, qui ne sont plus à la hauteurdes exigences de la communauté, ni même des in-dividus. Il s’agit d’une «prétention» élevée, d’unerequête forte à nos sociétés, à la politique, aumonde de l’économie et de la culture. Face à l’ur-gence, elle peut sembler excessive, mais elle estdécisive pour cette urgence et pour toutes les au-tres à venir. Voilà ce que signifie «intempestif».

Le fait sans précédent de cette crise est repré-senté par la vitesse et par l’ampleur avec lesquel-les le virus s’est répandu à travers le réseau des re-lations et de transports. Ce qui est nouveau estégalement le rôle des médias, qui ont décidé com-ment devait se diffuser la prise de conscience dela crise: on a parlé à juste titre d’«infodémie». Lanouveauté est donc l’étrange mélange de confor-misme et de confusion induits par les réactions àla représentation du danger à l’ère des sociétés«hyperconnectées» qui sont cependant aussi «hy-p er-individualistes».

La faiblesse de la communauté, qui devraitnous offrir des assurances de soutien et de protec-tion dans le danger, nous laisse exposés de façonconfuse et angoissante à nos incertitudes et à nosvulnérabilités. C’est la première leçon «donnée»par le virus à notre individualisme insouciant. Dupoint de vue de l’assistance sanitaire, nos capaci-tés d’intervention technique et de gestion nousdonnaient l’illusion de pouvoir tout contrôler. Eten revanche, même dans les sociétés économique-ment plus riches, la pandémie a mis à mal l’effica-cité des structures médicales et des laboratoires. Ila été difficile de prendre conscience de l’échec denotre efficacité et de reconnaître nos limites: cesont surtout les personnes âgées qui ont été frap-pées, les enfants et les jeunes ont été contraints derester à la maison et nous découvrirons les consé-quences du long confinement sur ces derniers aucours des mois et des années à venir. Les relationsentre les adultes ont été durement mises à l’é p re u -ve. Aucun secteur de la vie collective n’a été épar-gné. Pensons à l’économie et aux nombreux paysoù l’on meurt encore et au manque de mesurescommunes au niveau international.

De plus, la crise, comme le souligne la Note del’Académie pontificale pour la vie, est assurémentliée au mauvais traitement infligé à notre environ-nement naturel. C’est l’un des aspects de l’inter-dépendance: des phénomènes poursuivis avec desintentions spécifiques et particulières dans les do-maines agricole, industriel, touristique, logistique,s’ajoutent les uns aux autres et les effets de cha-cun s’amplifient. La déforestation met les ani-maux sauvages en contact avec des habitats hu-

des valeurs, des objectifs et une réciprocité parta-gés.

Cette pandémie rend extraordinairement sensi-ble une double conscience. D’une part, elle nousfait voir que nous sommes tous interdépendants:ce qui se produit quelque part sur la terre im-plique désormais tout le monde. D’autre part, elleaccentue les inégalités: nous sommes tous dans lamême tempête, mais pas sur la même barque. Quia une barque plus fragile, coule plus facilement.

L’éthique de la vie devient en somme véritable-ment mondiale, précisément à un moment oùnous nous étions habitués à sa gestion purementindividuelle: c’est pourquoi, dans le sous-titre, il ya cet adjectif «intempestives». Intempestif est unmot qui vient de la tradition philosophique (Niet-zsche par exemple), où il est utilisé comme uneprovocation: il se réfère à une pensée qui seraittrès actuelle, mais qui n’est plus à la mode. En ef-

mains où, par ailleurs, l’élevage intensif soumet lebétail à la logique consumériste de la productionindustrielle. Tout cela facilite la transmission demicro-organismes pathogènes d’une espèce à l’au-tre, jusqu’à l’être humain.

Dans le document, on souligne l’importance demieux équilibrer la production et la distributiondes ressources investies dans la prévention desmaladies et celles consacrées aux soins. Il fautporter l’attention non seulement sur les grandshôpitaux et les centres spécialisés, mais aussi surles réseaux territoriaux, sur l’économie familiale,sur la subsidiarité associative, tant pour l’assistan-ce que pour l’éducation à la santé. La santé dechacun est étroitement liée à la santé de tous: elleest elle-même précisément un «bien commun».Nous avons besoin de comportements responsa-bles non seulement pour protéger notre proprebien-être, mais aussi celui des autres. Ce n’estqu’ainsi que l’on peut rendre efficace le droit uni-versel aux niveaux les plus élevés de soin de san-té, en tant qu’expression de la protection de la di-gnité inaliénable de la personne humaine. Danscette logique, le vaccin également, quand il seradécouvert, devra être disponible pour tous (le caspathétique, pour ne pas dire autre chose, des mas-ques et des moyens élémentaires de protection nedevra absolument pas se répéter à ce niveau). Ilest également indispensable d’avoir une organisa-tion qui puisse être soutenue par tous et qui coor-donne les opérations dans les différentes étapesde surveillance, de maîtrise et de traitement desmaladies et qui permette une circulation avertiede l’information. L’Organisation mondiale de lasanté (OMS) apparaît indispensable, même si ellea certainement eu quelques défaillances dans cettepandémie: elle doit apprendre de ses erreurs etaméliorer son fonctionnement.

Enfin, la communauté chrétienne doit illuminerde façon exemplaire son témoignage spéciald’amour qui développe une proximité responsableégalement dans les conditions les plus extrêmesde la vulnérabilité humaine: après tout, la racinehumaniste de la compassion et de l’i n t e rc e s s i o npour les plus petits et les plus exclus est partie delà. Nous pouvons tous aider nos frères et sœursde la planète à interpréter la crise non seulementcomme un fait organisationnel, qui peut être sur-monté en améliorant l’efficacité. Il s’agit de com-prendre plus profondément que l’incertitude et lafragilité sont des dimensions constitutives de lacondition humaine. Il faut respecter cette limite etla garder à l’esprit dans tout projet de développe-ment, en prenant soin, tous et chacun, de la vul-nérabilité des autres, car nous sommes confiés lesuns aux autres. L’horizon d’une fraternité mon-diale — le grand «oublié» de la révolution moder-ne — apparaît désormais comme la voie la plusréaliste du progrès humain.

*Président de l’Académie pontificale pour la vie

Le couraged’une conversion moraleDans le monde bouleversé par le covid-19,l’Académie pontificale pour la vie, à traversle document Humana communitas, tente dejeter un regard sur les faits récents, dans laperspective toutefois d’un horizon plusample, et avec l’objectif déclaré decomprendre les dynamiques profondes del’événement et parvenir à des réponses nonseulement contingentes, mais à long-terme.La Note est divisée en deux sections: lapremière («La dure réalité des leçonsapprises») analyse ce qui a eu lieu et qui aencore lieu dans de nombreuses parties dela planète; la deuxième («Vers une nouvellevision: la renaissance de la vie et l’appel à laconversion») propose des objectifs, avanttout culturels, à poursuivre pour toute lacommunauté humaine.