10.Dulau_alexandra_viorica Le Fantastique Chez Maupassant Et Poe

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Le fantastique dans les contes de Maupassant et de PoeLect. dr. Alexandra Viorica Dulu Universitatea Babe-Bolyai , Cluj On prsente les traits communs et les diffrences entre les uvres fantastiques des deux crivains. Ils se dclarent contre le romantisme et cherchent loriginalit tout en se basant sur la lucidit, mais tous les deux utilisent des symboles romantiques pour raliser latmosphre surnaturelle. Lauteur franais considre que le talent est d au travail, que lcrivain doit avoir un point de vue personnel. Si Maupassant se base sur lauto-analyse, Poe place le point culminant la fin de luvre ; moraliste, il fait appel Dieu. Lcrivain amricain croit la possibilit de lhomme de tout connatre, pendant que celui franais considre que lincapacit de savoir caractrise lhumanit. Le fantastique est le bizarre, le fait trange qui dpasse la capacit de comprendre. Le travail prsente aussi les thmes fantastiques des crits de Guy de Maupassant et les lments qui contribuent la cration de celui-ci, tout comme de la science-fiction, car ils ont pour premire source luvre de Edgar Allan Poe. Certes, mes bons amis, je ne sais rien de pire/Que de faire des vers quand on na rien dire. Guy de Maupassant a la mme pense que Mihai Eminescu avec qui il partage non seulement lpoque, mais aussi la maladie, et cela sans oublier leur penchant pour le fantastique. Limpossibilit dune inter-influence est presque certaine, bien quils aient des points communs. Les choses nen restent pas l dans le cas de linfluence quEdgar Allan Poe a exerce sur lcrivain franais. Mme dans le domaine thorique, Maupassant et Poe ont des points de vue souvent diffrents. Une comparaison y est possible, mais seulement si lon tient compte du fait que lcrivain franais sest occup de la thorie du roman, tandis que Poe a trait de la posie et du conte. Disciple de Flaubert, Maupassant trouve que le talent doit son existence surtout au travail, la patience. Pour donner quelque chose de nouveau, il faut trouver partout ce quil y a dindit, parce que nous sommes habitus ne nous servir de nos yeux quavec le souvenir de ce quon a pens avant nous sur ce que nous contemplons. La moindre chose contient un peu dinconnu. Trouvons-le. [] Cest de cette faon quon devient original. 2 Loriginalit dun crivain nexistera jamais sil ne trouve pas la nouveaut de la chose la plus banale. Tout crivain doit avoir son point de vue personnel, sans accepter linfluence de ses prdcesseurs ou contemporains. Pour tre original, il faut travailler. On retrouve la mme ide chez Poe, mais en dautres termes : The fact is, that originality (unless in minds of very unusual force) is by no means a matter, as some suppose, of impulse or intuition. 3 Lorsquil crit, lartiste ne doit jamais soublier. Si la lucidit intervient quand il observe, son uvre sera meilleure4. Cette ide, qui domine la pense esthtique de Poe, peut tre retrouve chez Maupassant aussi : il faut discerner avec une extrme lucidit toutes les modifications de la valeur dun mot suivant la place quil occupe 5. La lucidit de lcrivain franais se dirige, donc, vers lacte de la cration lui-mme, tandis que lAmricain accorde plus dimportance lobservation pralable.1

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Mais une grande diffrence entre les deux auteurs rside dans le fait que, pour Maupassant, luvre est simplement lexpression gnralise dun temprament qui sanalyse 6. Cest pour cela que ses contes sont gnralement crits la premire personne. La vraie analyse dun temprament se fait de lintrieur du hros. En sanalysant, le conteur se laisse pntrer dans ses penses les plus caches, il rvle un monde lui. Ce monde est aussi le ntre, donc lauteur doit nous connatre afin de pouvoir nous exprimer. Il nen viendra jamais cela sil nest pas libre. Pour tre artiste, lcrivain doit avoir la libert dobserver, de comprendre et de concevoir. Les deux artistes ont la mme ide : luvre doit tre quelque chose de beau. Pour Poe, il faut que luvre soit courte parce quelle ne peut crer une unit dimpression si elle nest pas lue tout entire, si lon doit en interrompre la lecture7. Cest pour cela quil crit des contes, que ses pomes ont une certaine longueur. Comme Maupassant a cr aussi des romans, il est clair quil y a ici une diffrence entre eux. Poe, tout comme Maupassant, se lve contre le romantisme, soutenant lide de lintelligence cratrice. Le conte a trs souvent pour but la Vrit, parce quil est pratiquement impossible davoir comme thme dun conte seulement le Beau. Dans son uvre, le Franais veut donner la vision la plus complte, plus saisissante, plus probante que la ralit mme et non pas une photographie8. Il veut donc la vrit, tandis que Poe soutient lart pour lart, parce que : The demands of Truth are severe. 9, parce que la vrit nest pas toujours belle. Finalement, il accepte aussi la vrit qui impose lartiste dtre simple, precise, terse. We must be cool, calm, unimpassioned 10. La lucidit intervient donc encore une fois. La plus grande diffrence entre Maupassant et Poe consiste dans leurs Penses sur la fin de luvre : Au lieu de machiner une aventure et de la drouler de faon la rendre intressante jusquau dnouement, [lcrivain] prendra son ou ses personnages une certaine priode de leur existence et les conduira, par des transitions naturelles, jusqu la priode suivante. 11 Il en rsulte que, mme dans les contes fantastiques, Maupassant est pour lanalyse des hros, de leurs caractres et actions, sans accorder de limportance lintrigue, lvnement racont. Au contraire, Poe soutient que : It is only with the dnouement constantly in view that we can give a plot its indispensable air of consequence, or causation, by making the incidents, and especially the tone at all points tend to the development of the intention. 12 Donc Poe prte attention laction, aux consquences ou aux causes de laventure, tant convaincu que le point culminant de luvre doit se trouver la fin, fin vers laquelle tend chaque mot quil crit. Trop rationnels, les Franais sont plutt contre le fantastique. Les crivains qui sen sont occups constituent gnralement des cas dexception. Tout en voluant entre le ralisme et le naturalisme, Guy de Maupassant, auteur de contes fantastiques, semble tre non seulement une exception dans la littrature franaise, mais aussi en contradiction avec lui-mme. Au fond, le ralisme de Maupassant nentre pas en opposition avec son aspiration vers le fantastique. Plus le monde rel est solide, plus il sera ravag au moment de lirruption du fantastique13. En consquence, ce nest pas tonnant quun peintre de la vie quotidienne devienne lun des matres du conte fantastique. Les rgles du monde rel doivent tre trs claires, ses limites bien fixes pour que lon puisse mieux remarquer linsolite dans cet univers de lhabitude, du commun. Or, le mlange entre la ralit (dans la description de laquelle Maupassant excelle), et lau-del (qui lattire) prouve justement que lcrivain a russi dans ses contes fantastiques jeter un pont au-dessus du prcipice qui sparait les deux univers runis dans sa personnalit. Guy de Maupassant deviendra lun des matres incontests du conte fantastique franais et universel. Bien quinfluenc par Edgar Allan Poe, lcrivain gardera son originalit : il prend des thmes son prdcesseur amricain, mais il ne sagit que dun emprunt parce que lauteur franais va toujours employer ses propres moyens artistiques. De plus, appliquant surtout la technique du conte dans le conte, il laisse entendre des rcits pendant un voyage ou une promenade, une soire, et ainsi de suite. Cette technique de Maupassant est due son ascendance littraire franaise. Les contes de Poe semblent plutt tre des articles de journal, des contes de fes ou, tout simplement, des rcits construits indpendamment. Maupassant emploie aussi sa technique lui dans les contes

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crits la manire de Poe (une sorte de plaidoyer sur la peur, par exemple , suivi par le rcit proprement-dit ayant comme base les faits , vient soutenir la thorie). Linfluence de Poe est vidente. Il a plus dun conte dont le thme sera repris par Guy de Maupassant, mais cela ne prouve rien ct dun argument trs fort : dans ni plus ni moins que trois uvres lcrivain franais fait appel au nom de lAmricain14, une fois mme pour caractriser ses personnages : Ils me firent leffet, tout de suite, de personnages dEdgar Poe [] 15. Il emprunte des thmes poesques, mais les transforme, les adaptes son poque, son milieu. A son dbut, les contes de Maupassant taient domins par la technique de Poe mme en ce qui concerne la localisation. LAmricain vite de donner la date ou lendroit prcis, rendant de cette faon, son rcit plus proche du conte de fes. Maupassant changera de mthode parce quil comprend que plus le monde semble rel, habituel, plus leffet de ltrange sera grand. Presque tous les contes fantastiques de Maupassant se droulent en France, et surtout dans la Normandie natale. Lcrivain aime son pays, et, ce qui plus est, son ralisme lempche de parler de rgions inconnues. L exotisme de Maupassant se limite lEurope ; il ne fait que mentionner le Brsil ou lAmrique, il ne parle presque jamais de lOrient et seulement quelquefois de lAfrique (de formation franaise, bien sr), et cela afin que largumentation soit plus forte. Venant dun pays de la science et de la logique, quil aime dune tout autre faon, Poe ne choisit presque jamais les Etats-Unis comme lieu de laction de ses contes. Dailleurs, lAmrique ne correspond pas aux normes que le fantastique impose : cest un Etat trop jeune pour quil puisse avoir un pass de lgendes et de fantmes, un cadre propice au surnaturel. Le fantastique de Poe cherche un site dans la vieille Europe ; en change, ses contes policiers ou de science-fiction (seulement une partie des derniers) se passent toujours dans son pays natal. Il faut reconnatre que, chez Poe, il y a une raison personnelle aussi : il se sent attir par le voyage, il a mme imagin un voyage en Europe quil a voulu faire passer pour rel. Edgar Allan Poe voyage autant quil peut ; son imagination aussi. Mais ses hros sont des gens plutt stables (ils habitent une maison depuis des gnrations entires), except ceux qui sont hants par le voyage (en ballon, en bateau, etc.). La science-fiction de Poe se caractrise surtout par le voyage, tandis que son fantastique par la stabilit du hros. Par contre, Maupassant, qui aime changer tout le temps dendroit, fait voyager ses personnages jusqu obliger le lecteur penser la dromomanie. Les deux auteurs usent de lonomastique pour souligner leffet que produira le climat fantastique : dans Le Horla, par exemple, la cousine du hros sappelle Mme Sabl, nom qui veille en nous le souvenir du sable, cest--dire de la mer, de leau douce, mais aussi celui du dsert dans La Peur. Le ton de Maupassant joue sur toute la gamme en passant de linquitude qui angoisse au frisson de lpouvante, de la polissonnerie lgre lhumour macabre16. Cest de la mme manire que Poe crit lui aussi. Le ton des deux crivains alterne entre le burlesque et lironie amre ; linquitude devient peur chez eux pour aboutir la mort (physique ou de lesprit). Dans le conte fantastique, on associe gnralement la mort au noir. Maupassant, tout comme Poe, fait appel au blanc pour parler de lau-del. Dautres lments qui produisent un climat propice au fantastique peuvent tre retrouvs chez les deux conteurs : la nuit, lorage, le vent, le feu, lobjet (surtout le miroir chez Maupassant), lanimal (les chats les obsdent plus que le cheval, mais le Franais se base surtout sur les chiens). Tout comme chez les romantiques, quoiquils les condamnent Poe na t romantique que grce lpoque o il avait vcu, tandis que chez Guy de Maupassant lon retrouve quelques influences du courant , la nature contribue crer latmosphre surnaturelle. Llment qui les rapproche le plus, cest leau. Marc Saporta, en parlant dEdgar Poe, fait des affirmations qui peuvent tre employes caractriser Maupassant aussi : Cette conception cosmique de la Peur trouve sintgrer chez Poe, de prfrence, dans llment le plus charg de symboles, [] : leau, la mer image de dissolution de toute cration aprs la mort. 17 Le fantastique est li, chez les deux crivains, leau. Surtout dans le cas de Maupassant, leau douce contribue produire la peur. Or, la peur est lide directrice dans leurs contes fantastiques, parce quelle joue le rle le plus important dans la dcouverte de la vrit : La mort, comme la peur, est

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connaissance. 18 Il faut avoir peur ou rencontrer la mort pour pouvoir se connatre soi-mme. Lhomme ne se dcouvre rellement que dans une situation-limite. Le fantastique lintroduit justement dans ce contexte : Linterrogation sur lanormal est insparable, pour le personnage humain, dune interrogation sur lui-mme. 19 Traversant une aventure plus ou moins surnaturelle, le hros cherche se dcouvrir soi-mme, car Cest un fantastique intrieur que Maupassant pratique20, la qute de la preuve de sa propre lucidit. La peur tient, donc, du fantastique. Les contes de science-fiction dEdgar Allan Poe ne font presque jamais peur. Chez Maupassant, la crainte pntre mme dans le fantastique scientifique ; cest pour cela que les contes de lcrivain franais nappartiendront pas compltement la science-fiction ; dailleurs, il mle en gnral les genres. Conteur lucide, Poe sera aussi moraliste : les mauvais sont toujours punis. Il fait mme des concessions son poque : face la peur de lInconnu, certains personnages appellent Dieu qui semble (cest peut-tre une simple concidence) vouloir les aider. Les hros de Maupassant ne pensent jamais cette solution. Le meilleur exemple pour soutenir cette diffrenciation, cest le thme du Double. Chez E. A. Poe, le Doppelgnger symbolise la conscience du hros, tandis que Maupassant le fait nuire lhumanit, et surtout venir dune autre plante. Ayant lu Sade, Maupassant rencontre ce grand contre-moraliste dans lide que la nature nous veut du mal, est mal agence pour lhomme 21. La grande diffrence entre eux rside dans le fait que Poe croit la possibilit de tout connatre, pendant que Maupassant soutient que cest lincapacit de savoir qui caractrise lhomme. Ecrivain lucide, Edgar Allan Poe a comme point de dpart le savoir ; il sintresse la ralit. Au contraire, Maupassant part de lobsession pour faire tomber le lecteur dans lignorance car, dans Le Horla par exemple, La folie du personnage, avec laquelle il ruse, camoufle celle de lcriture, qui guette la narration. 22 Il arrive ainsi dmontrer que Mme si le double sert de masque la folie, cette folie nest jamais elle aussi quune image reprsentative, puisquelle vise le narrateur reprsent, lnonciateur du journal. Et ce journal son tour intervient comme dplacement de lcriture [] 23. Limbroglio quil cre dans ce texte afin de faire viter aux yeux du lecteur la superposition auteur/narrateur prouve, notre avis, la parfaite lucidit de lcrivain. Daprs les dictionnaires, fantastique (du grec phantastikos, qui concerne limagination) signifie chimrique, cr par limagination ; ou bien incroyable, extravagant. Le terme grec avait une seule acception : ce qui tient de la capacit dimaginer nimporte quoi. Le long des sicles, le mot tout en gardant son sens premier volue, reoit des acceptions qui en compltent le sens originaire : fantastique dsigne une chose bizarre, trange, un fait qui attire lincrdulit, lillusion. A la naissance du genre littraire dont les thmes sont compris parmi les diverses acceptions du terme fantastique, les critiques ont dcid de restreindre le sens du mot pour quil puisse effectivement dfinir ce genre nouveau. Continuant lide de Castex ( le fantastique se caractrise par une intrusion brutale du mystre dans le cadre de la vie relle 24), Roger Caillois affirme que dans le fantastique, le surnaturel apparat comme une rupture de la cohrence universelle. [] Il est lImpossible, survenant limproviste dans un monde do limpossible est banni par dfinition 25. Le fantastique est donc le bizarre, la chose trange qui dpasse la capacit de comprendre parce que nappartenant pas au monde rel, le fait qui dtruit lunit de lunivers commun. Il est alors vident que le fantastique ne peut exister que dans un monde organis, soumis aux rgles26, tout fait habituel et normal : Le fantastique nest rien dautre que la saisie de ltrange derrire le banal, que le dessin de la complexit partir dun monde pauvre ou uniforme 27. Pour saisir ltrange, lhomme doit connatre le monde rel ; il lui faut un certain niveau intellectuel afin de savoir faire la diffrence exacte entre les deux mondes. Lhomme du peuple et surtout la femme que Maupassant mprise , ignorants et superstitieux, se laissent impressionner par nimporte quoi. Cest pour cela que le paysan, louvrier ne seront pratiquement jamais hros du conte fantastique.

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Dans la mme ligne, Tzvetan Todorov, qui, dans son Introduction la littrature fantastique, veut dmontrer que le surnaturel nat du langage 28, soutient que le fantastique signifie lhsitation de quelquun qui, ne connaissant que les lois naturelles, se trouve devant un vnement apparemment surnaturel29. En effet, tout personnage essaie de sexpliquer logiquement ce qui lui arrive. Sil nest pas de narrateur, lcrivain lui-mme revt ce visage. Lhistoire est un pass. Cest un souvenir, susceptible de staler sur certaines circonstances [] 30. Dans la plupart de ses contes, Maupassant offre des motifs, des causes, cherche des explications rationnelles. Son hros ne dcouvre quun monde apparemment fantastique. Ses contes fantastiques sont plus ou moins bons, mais ses chefs-duvre sont ceux o le mystre reste inexplicable, ceux qui appartiennent vraiment au genre du conte fantastique. En guise de conclusion partielle : le fantastique rsulte du thme de luvre littraire. Prenant de nouveau comme point de dpart la dfinition du terme, on voit que la sciencefiction est un genre littraire faisant appel aux thmes du voyage dans le temps et dans lespace extraterrestre, o lauteur imagine lvolution de lhumanit, en particulier les consquences de ses progrs scientifiques. Cette dfinition met en vidence le statut de nouveau-n de ce genre par rapport au fantastique. Le terme de fantastique existait comme adjectif auparavant ; le mot devient nom et reoit un sens spcialis aprs le dveloppement du genre. La science-fiction doit son existence lessor de la science ; le mot destin la dsigner na pas dautre sens parce quil a t cr aprs la naissance du nouveau type duvre littraire. Adrian Marino donne un sens plus large au terme : De fapt, ceea ce se numete azi science-fiction [] nu se rezum numai la povetile fantastice de anticipaie, ntemeiate pe invenii i tehnologie. n realitate, alturi de explorarea vieii viitoare, ea include i lumile necunoscute i vizitatorii necunoscui (marienii, farfuriile zburtoare etc.). [] tiina joac n toate aceste cazuri, n mod aparent paradoxal, rolul antitiinific tradiional al imaginaiei fantastice, substituie modern a procedeelor magice, a tehnicilor de totdeauna ale misterului etc. Mecanismul fantastic, modelul rmne acelai 31. En employant la technique du conte fantastique mais en changeant les donnes du sujet, les crivains de science-fiction devraient tre dous dune imagination prospective parce quils annoncent lunivers en expansion ; leurs uvres deviennent donc des modles imaginaires dune humanit qui change sans cesse32. Ces changements sont dus la science. Plus les dcouvertes scientifiques sont fascinantes, plus elles deviennent source du genre. Les ralits de la science donnent un essor aux auteurs de science-fiction et les changent en scientistes. Mais, parce que limagination de lhomme dpasse de trs peu ses connaissances, lcrivain danticipation rapporte lavenir au niveau et lexprience du prsent33 ; ce rapport a aussi un but : soutenir la tendance vers la vraisemblance34. La science-fiction du XXe sicle est beaucoup plus volue que celle du XIXe cause, certes, de lessor des recherches scientifiques ; il est normal donc que limagination de lcrivain contemporain soit plus hardie. Pourtant le dsir de paratre vraisemblable reste le mme chez les auteurs des deux poques. Sil ny a pas de vraisemblance, luvre nentre plus dans les limites du genre. La science sajoute au fantastique, donnant naissance au nouveau genre. Les deux, science et fantastique, nentrent donc pas en contradiction. La science, par son essor, contribue au dveloppement de la littrature : la science-fiction noppose pas le fantastique la science : avec elle, il en drive . Cest pourquoi, le nouveau genre de conte se trouve aussi sous lempire de la peur : la science devient un danger, un vritable pril pour le maintien de la vie sur notre plante35. Les crivains usent du genre pour attirer lattention sur linconscience des gens qui utilisent les ralisations scientifiques contre les intrts de lhumanit. Selon lavis de Hobana, la diffrence essentielle entre le fantastique et le fantastique scientifique rside dans la manire par exemple de changer lespce : le premier transforme laide dun miracle les animaux en hommes, tandis que lautre dcrit lvolution rationnelle, bien quimaginaire, de lespce36. Maupassant lui-mme crit dans une chronique portant le titre Le fantastique : Elle a eu, cette littrature, des priodes et des allures bien diverses, depuis le roman de chevalerie, les Mille et une Nuits, les pomes hroques, jusquaux contes de fes et aux troublantes histoires dHoffmann

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et dEdgar Poe. 37 Comme nous lavons dj dit ci-dessus, lide originaire, le sens initial du mot fantastique tait tellement tendu que les critiques ont t obligs de faire des dmarcations lintrieur du genre. Cest ainsi que le fantastique est devenu un genre indpendant, un genre se suffisant lui-mme ; cest ainsi quil a t spar du merveilleux et, puis, de la science-fiction. Cependant, les critiques ont trouv une sorte despce littraire qui nappartient ni la sciencefiction ni au fantastique. Il sagit dun type de conte qui oscille entre le fantastique et le fantastique scientifique, qui mle les explications rationnelles aux explications irrationnelles38. Parmi les crivains de cette catgorie, on pourrait inclure Maupassant galement. Les thmes, appartenant la science-fiction que lcrivain traite, sont gnralement inclus dans ses contes fantastiques : la mtempsychose (Le Docteur Hraclius Gloss) ; la catalepsie (Le Tic) ; lhypnose (Conte de Nol, Le Horla) ; le magntisme (Un Fou ?) ; la socit de lavenir proche (LEndormeuse) ; lemploi de certaines substances inconnues (LEndormeuse) ; la visite dun objet volant non-identifi (LHomme de Mars). Seul ce dernier conte peut tre vraiment considr comme faisant partie de la science-fiction. Dailleurs, il ny a que les trois derniers thmes qui appartiennent en vrit au fantastique danticipation, les autres dmontrant seulement lintrt que lcrivain prte la science, aux questions qui touchent linexplicable. Ce quil y a dintressant dans les conceptions de Maupassant concernant ce problme, cest que, malgr son attraction pour la science, lauteur franais nie (dans la grande majorit de ses contes) la possibilit de tout connatre. Son hros, face linexplor, affirme son incapacit de lexpliquer, son impossibilit de tout savoir. Cela prouve et en mme temps justifie le pessimisme de lcrivain qui considre que les cinq sens ne suffisent pas pour connatre : nous sommes entours de choses que nous ne souponnerons jamais, parce que les organes nous manquent qui nous les rvleraient 39 A cause de lnorme varit thmatique du genre, nous essaierons dtablir maintenant les principaux thmes fantastiques de Guy de Maupassant, en prenant comme point de dpart le classement gnral de Roger Caillois40 : ltre invisible, le double, le Horla, qui hante, qui nuit, qui tue ou fait tuer (Lui ?) ; le fantme de ltre aim qui revient de lau-del (Apparition) ; les parties du corps humain qui agissent indpendamment, qui tuent (La Main) ; les objets qui saniment (Qui sait ?) ; la peur de lInconnu, de lInexplicable (Sur leau) ; lobsession du suicide, ayant pour cause surtout la solitude (LEndormeuse) ; le cauchemar que lon dcouvre soudain comme rel (La Morte, dans une certaine mesure) ; larrt ou la rptition du temps (La Nuit) ; la phobie de certains animaux (Sur les chats) ; la peur physique de la folie, de la maladie (Enrage ?) ; les superstitions ( Coco, coco, coco frais ! ). On pourrait toujours ajouter une sorte de fantastique (explicable) qui tient plutt au conte de fes (Le Loup), mais qui a en commun avec les thmes ce-dessus la peur. La peur est, au fond, le seul fil dAriane 41 du conte fantastique, elle en est le but, cest vers elle que tend tout crivain qui se considre comme un matre du genre, parce que la peur est un plaisir, un jeu dlicieux, une sorte de pari avec linvisible, o linvisible, auquel on ne croit pas, ne semble pas devoir venir rclamer son d 42. Etant donn que le fantastique se fonde sur lessai de suggrer la crainte, de faire peur, il est logique den exclure lide de happy-end parce que celui-ci dtruit toute pouvante. La peur panique est la seule chose qui compte dans le genre fantastique. Un aspect qui caractrise le fantastique de Maupassant, cest la prsence de certains lments de science-fiction dans la plupart de ses contes. Dailleurs, il a crit un seul conte qui appartient compltement la science-fiction, peut-tre toujours sous linfluence dEdgar Allan Poe, celui qui a dcrit un voyage imaginaire en ballon, mais que lcrivain franais a ralis pour de bon. Dans la grande majorit de ses contes, Maupassant explique le fantastique par un cauchemar, ou par un rve aux yeux ouverts, ou par la prsence dun animal, ou par lapport de lhomme, ou bien par une hallucination ou une vision. Selon lavis dIrne Bessire, qui dit que le vritable objet de luvre nest pas lvnement fantastique, mais la peur comme source esthtique 43, il ne faut pas laisser de ct ces contes o le surnaturel est expliqu et que certains critiques considrent comme impossibles inclure dans le genre du fantastique authentique. Mme explique, la peur y existe, le lecteur prouve de la crainte except, bien sr, les contes qui satirisent le genre. Louis Vax pense

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quexpliquer peut mme justifier et renforcer le fantastique puisque lexplication, cest rduire linconnu au connu 44, or le surnaturel nest quun dtour pour mieux saisir le rel 45. Pour conclure, lexplication rend luvre moins attirante, car llment trange devient un fait banal, parce que la source de la peur est une chose commune et que les rgles du monde ne sont plus dtruites. Si tout est comme dhabitude, lattrait exerc par le surnaturel disparat, mais cela ne lui fait pas perdre la place dans le genre du conte fantastique parce que le fantastique est cette chose instable et paradoxale qui, tout la fois, veut tre et ntre pas. Reconnu, il perd la fois la dignit et lexistence ; repouss comme absurde, il se remet hanter le monde qui lexclut 46. Les lments qui contribuent la cration du fantastique chez Guy de Maupassant sont assez nombreux. Il sagit tout dabord de lapparition : le fantme ; ltre invisible (le double, ou lhabitant dune autre plante Mars surtout) ; la folle que lon prend pour un monstre. Toujours dans la catgorie des tres vivants, figurent le chat, le cheval qui est la cause de la jalousie, et surtout le chien que lon confond souvent avec un tre de lautre monde ( cause, probablement, du Cerbre qui garde lentre des enfers). Les animaux sauvages, mme domestiqus, ne sont pas oublis, mais leur rle est moins important (le loup, le singe). Quant aux objets, certains dentre eux se rattachent plutt au genre humain : la chevelure (dune femme morte depuis longtemps dj), la main (dun criminel), le rtelier (de Schopenhauer). Les fleurs se trouvent ct des meubles, dont il faut mettre en vidence le miroir qui occupe une place de choix tout comme leau dans les contes fantastiques car, par le jeu de miroirs [,] labsence du Horla reflte lintolrable prsence de Maupassant lui-mme 47, dans le cas o la critique ne fait pas de distinction auteur/narrateur. Cet homme, qui avait la phobie de son image, qui vitait de se laisser photographier, qui protestait contre la publication de son portrait ( Nos uvres appartiennent au public, mais pas nos figures. 48), tait dit Lanoux - fascin par les miroirs : Jaime les miroirs anciens. Jaime mattarder devant le miroitement sombre des glaces. Ils enferment dinviolables secrets damour et de mort. 49. Il a essay de faire connatre ces secrets tout le monde. Il est intressant quil parle de miroirs anciens. Les objets anciens de toutes sortes et surtout les miroirs constituent chez lui lune des principales ressources du fantastique. Tout comme le miroir qui reflte limage, il y a le reflet dans leau. Peut-tre est-ce pour cela quil les rapproche, quil sen occupe presque dans la mme mesure. Leau quelle soit boire, ou leau de la pluie pendant lorage, ou mme de la mer joue un rle extrmement grand dans la cration du monde fantastique : Maupassant en vient mme comparer le mouvement du fantme (devant une glace) celui dune eau douce. Pourtant, une chose est tonnante : il adore la mer, leau en gnral, et il en fait lun des instruments de la peur ; la fascination des miroirs ne lempche pas de les transformer en agents principaux de la peur ; il aime les chiens, mais il les fait tuer par les hros de ses contes, parce quils les prennent pour des tres doutre-tombe. Cest justement ce dernier point qui est le plus curieux dans les contes fantastiques de Maupassant. Les chiens, mis dehors, hurlent de peur, et cela attire leur mort : cause de leurs hurlements, on les prend pour des tres de lau-del. Or, les fantmes ne parlent jamais, donc pourquoi hurler ? Qui plus est, le conteur fait causer un fantme mme, mais il ne dote pas son premier Horla du don de la parole. La liste dlments provoquant le fantastique comprend aussi le bateau, la maison dont les dimensions forment une antithse avec la taille dautres objets, en verre par exemple. Les derniers attirent ltre invisible par leur transparence ; ils sont invisibles pour le Horla qui les casse. En change, le Horla lui-mme est invisible, mais opaque. Le conteur utilise aussi le symbole de la couleur (le blanc surtout). En ce qui concerne les phnomnes dits naturels, nous devons faire mention de la tempte, du soleil, de la nuit, du feu. Et dernirement, mais non pas en dernier lieu, il y a surtout lInexplicable qui cause la peur farouche. Loriginalit et, en mme temps, la modernit de Guy de Maupassant viennent du fait que ses contes tellement simples ont des structures fouilles ; ils sont parsems de jeux de thmes et de langage qui sintgrent au fantastique pour en garantir la recration par le lecteur attentif50. En guise de conclusion, on peut reprendre les paroles dYvan Leclerc51 qui voit rconcilis la nostalgie des

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peurs anciennes et le dsir de faire un fantastique nouveau, par la reconnaissance dun mme invisible qui se manifestera sous des formes varies, fes ou lectricit, et se classera selon les catgories littraires chronologiquement dates, merveilleux ou fantastique, peu importe au fond, puisque reste inchange la charge de terreur inspire par le mystre unique de la littrature. Guy de Maupassant, in Lanoux, A. (1967), Maupassant le Bel-Ami, Fayard, Paris, p. 43. Guy de Maupassant (1909), Pierre et Jean, Conard, pp. IX-XXV (Prface). 3 E. A. Poe (1962), The Philosophy of Composition, in Bradley, S., Beatty, R. C., Long, E. H., The American Tradition in Literature, revised, W. W. Norton & Company Inc., New York, vol. II, pp. 871-877. 4 Poe (1962), Letter to B-, in idem, p. 861. 5 Maupassant (1909), pp. IX-XXV (Prface). 6 ibidem. 7 Poe (1962), Twice-Told Tales, in idem, pp. 866-867. 8 Maupassant (1909), pp. IX-XXV (Prface). 9 Poe (1962), The Poetic Principle, in idem, p. 885. 10 ibidem. 11 Maupassant (1909), pp. IX-XXV (Prface). 12 Poe (1962), The Philosophy of Composition, vol. II, pp. 871-877. 13 Roger Caillois (1975), Obliques prcds de Images, images, p. 17. 14 A. V. Dulu (1999), Guy de Maupassant et le XIXe sicle, in Bulletin Flaubert-Maupassant, Rouen, No 7, pp. 75-81. 15 Maupassant (1970), Contes et Nouvelles, A. Michel, Paris, vol. II, p. 951. 16 A. Sablayrolles (1956), Contes choisis et extraits de Guy de Maupassant, Classiques illustrs Vaubourdolle, p. 5. 17 M. Saporta (1970), Histoire du roman amricain, Seghers, Paris, pp. 47-48. 18 ibidem. 19 Irne Bessire (1974), Le rcit fantastique (la potique de lincertain), Larousse Universit, Paris, p. 83. 20 Marie-Claire Bancquart (1993), Maupassant, un homme nigmatique, M. A. E., Paris, pp. 13-17. 21 ibidem. 22 Marie-Claire Ropars-Wuillemier (1978), La Lettre brle, in Le naturalisme, Colloque Cerisy, UGE, 10/18, p. 359. 23 ibidem. 24 P.-G. Castex (1951), Le Conte fantastique en France de Nodier Maupassant, Corti, p. 5. 25 Caillois (1975), Obliques prcds de Images, images, p. 15. 26 Louis Vax (1964), La sduction de ltrange, P. U. F., p. 243. 27 Bessire (1974), Le rcit fantastique (la potique de lincertain), p. 119. 28 in op. cit., p. 87. 29 Tz. Todorov (1973), Introducere n literatura fantastic, Ed. Univers, Bucureti, p. 42. 30 A. Niderst (1994), Sartre lecteur du Horla, in Etudes normandes, numro spcial : Maupassant, du rel au fantastique, no 2, Rouen, p. 61. 31 Adrian Marino (1973), Dicionar de idei literare, Ed. Eminescu, Bucureti, pp. 674-675. 32 Nicolae Balot (1976), Odiseea marian, in Romnia Literar, IX, no 15., p. 19. 33 Marino (1973), Dicionar de idei literare, p. 674. 34 I. Hobana (1975), Odiseea marian. Maetrii anticipaiei clasice, Minerva, Bucureti, p. 26. 35 Caillois (1975), Obliques prcds de Images, images, p. 210, p. 190. 36 Hobana (1975), Odiseea marian. Maetrii anticipaiei clasice, p. 167. 37 Maupassant ( 1980), Chroniques. 2, 10/18, Union Gnrale des Editions, Paris, p. 257. 38 Hobana (1975), Odiseea marian. Maetrii anticipaiei clasice, p. 207. 39 Maupassant (1970), Contes et Nouvelles, vol. II, p. 973. 40 Caillois (1975), Obliques prcds de Images, images, pp. 29-30. 41 Bessire (1974), Le rcit fantastique (la potique de lincertain), p. 136. 42 Caillois (1975), Obliques prcds de Images, images, p. 31. 43 Bessire (1974), Le rcit fantastique (la potique de lincertain), p. 165. 44 Vax (1964), La sduction de ltrange, pp. 104-105. 45 Bessire (1974), Le rcit fantastique (la potique de lincertain), p. 128. 46 Vax (1964), La sduction de ltrange, p. 170. 47 H. Juin (1980), Prface Guy de Maupassant, Chroniques, 10/18, Union Gnrale des Editions, Paris, p. 14. 48 Maupassant (1970), Contes et Nouvelles, vol. II, p. 330. 49 A. Lanoux (1967), Maupassant le Bel-Ami, p. 398. 50 M.-C. Bancquart (1976), Maupassant conteur fantastique, Archives des lettres modernes, 5, VII, no 163662-668, p. 98. 51 Yvan Leclerc (1994), Dun fantastique vraiment littraire, in Etudes normandes, numro spcial : Maupassant, du rel au fantastique, no 2, Rouen, p. 73.2 1