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DSC 142 DSCTC 16 F Original : anglais Assemblée parlementaire de l’OTAN SOUS-COMMISSION SUR LA COOPÉRATION TRANSATLANTIQUE EN MATIÈRE DE DÉFENSE ET DE SÉCURITÉ (DSCTC) RAPPORT DE MISSION ALGER - ALGÉRIE 12 - 14 AVRIL 2016

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142 DSCTC 16 FOriginal : anglais

Assemblée parlementaire de l’OTAN

SOUS-COMMISSION SUR LA COOPÉRATION TRANSATLANTIQUE EN MATIÈRE DE DÉFENSE ET DE

SÉCURITÉ (DSCTC)

RAPPORT DE MISSION

ALGER - ALGÉRIE

12 - 14 AVRIL 2016

www.nato-pa.int juillet 2016

Le présent rapport de mission est présenté à titre d’information uniquement et ne représente pas nécessairement le point de vue officiel de l’Assemblée. Il a été rédigé par Ethan Corbin, directeur de la commission de la défense et de la sécurité.

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I. INTRODUCTION

1. Dans le cadre d’un dialogue amical transméditerranéen, la sous-commission sur la coopération transatlantique en matière de défense et de sécurité (DSCTC) de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN (AP-OTAN) s’est rendue à Alger du 12 au 14 avril 2016 afin de mener un dialogue avec les responsables politiques algériens ainsi que d’autres acteurs de la région. Le président de la DSCTC, Sverre Myrli (Norvège), a conduit cette délégation composée de parlementaires représentant sept pays membres de l’Alliance lors de cette visite de deux jours.

2. Soulignant l’importance de cette visite, M. Myrli a tenu à indiquer être ici « pour mieux comprendre le vaste contexte de sécurité en Afrique du nord et en Méditerranée, dont l ’Algérie est un acteur fondamental. » Conscients du rôle central joué par l’Algérie dans la paix et dans la stabilité de la région, plusieurs membres de la délégation se sont déclarés pleinement en faveur d’un renforcement des relations et de la coopération entre l’Algérie et l’AP-OTAN.

3. Lors de cette visite de deux jours, les débats ont essentiellement porté sur les questions de terrorisme et la longue expérience de l’Algérie en la matière. Les principaux dirigeants algériens, faisant référence à la « décennie noire » des années 90 durant laquelle l’Algérie a fait face à une insurrection de groupes djihadistes, ont rappelé que leur pays avait dû trouver une solution à la violence par ses propres moyens. Comme l’ont indiqué plusieurs responsables algériens, le problème terroriste qui touche actuellement l’Europe requiert une solution sur le long terme que doivent élaborer non seulement les institutions chargées de la sécurité, mais également tous les niveaux du pouvoir national. Cette question a été approfondie lors d’un briefing et d’un débat entre la délégation et les représentants du Centre africain d’études et de recherche sur le terrorisme (CAERT).

4. Présente lors de cette visite, Nicole Ameline (France), présidente de la commission de la défense et de la sécurité de l’AP-OTAN, s’est exprimée sur le défi à relever par son pays : « Dans la mesure où nous sommes confrontés aux mêmes menaces et où nous pouvons améliorer la façon de relever ces défis à long terme, il est actuellement d’une importance capitale de renforcer la coopération par un partenariat plus étroit sur ces questions avec nos homologues algériens. » Les appels de Mme Ameline à une coopération interparlementaire sur les problèmes communs à la région Méditerranée ont été relayés par ses homologues algériens tout au long de cette visite.

5. Le présent rapport s’articule autour de plusieurs thèmes. Il donne tout d’abord un aperçu des développements politiques, économiques et sécuritaires actuels dans le pays tels qu’ils ont été évoqués avec divers interlocuteurs au cours de la visite. Il examine ensuite la politique algérienne de sécurité et les activités régionales de lutte contre le terrorisme. Une large place est par ailleurs accordée aux relations que l’Algérie entretient avec l’OTAN et l’AP-OTAN. Le rapport s’achève par un aperçu de l’entretien que la délégation a eu avec des responsables du CAERT.

II. L’ALGÉRIE AUJOURD’HUI : UN CARREFOUR STRATÉGIQUEA. STABILITÉ INTÉRIEURE ET TRANSITION POLITIQUE IMMINENTE

6. L’Algérie est un havre de stabilité dans une région de plus en plus instable. La délégation a appris quelles étaient les deux principales raisons à cela : premièrement, le souvenir de la guerre civile dévastatrice que le pays a traversée dans les années 90, période tout simplement nommée « décennie noire » ; deuxièmement, la relative stabilité économique et sociale favorisée par le président Abdelaziz Bouteflika, qui en est à son quatrième mandat successif au pouvoir depuis 1999.

7. Vu de l’extérieur, le système de gouvernance algérien est un ensemble complexe de groupes interagissant les uns avec les autres. Le président Bouteflika demeure un personnage

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populaire à la tête d’un système présidentiel fort – plus fort encore que celui des États-Unis ou même de la France – ce qui lui confère un rôle central majeur dans la gestion des affaires du pays ; le Premier ministre exécute quant à lui la politique du chef de l’État.

8. Comme l’ont indiqué des interlocuteurs internationaux, l’accident ischémique qu’a subi le président Bouteflika en 2013 a soulevé des questions sur la stabilité du statu quo politique. Des interlocuteurs ont évoqué certains remaniements à titre de preuve, à savoir, par exemple, la mise à la retraite forcée du chef du Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), le très ancien service central du renseignement, et la scission de cet organisme en trois agences distinctes..

9. La succession politique, imminente, est aujourd’hui au cœur du débat. La classe politique dirigeante, au pouvoir depuis la guerre franco-algérienne, disparaît peu à peu, et avec elle la capacité de tirer une légitimité de la guerre d’indépendance. Aussi la nouvelle classe politique cherche-t-elle une source de légitimité autre, comme le laisse entrevoir une récente campagne en faveur d’élections libres et transparentes. De plus, la nouvelle constitution est considérée comme une avancée pour le pays car elle impose une limitation des mandats et elle élève le tamazight (langue berbère) au rang de langue officielle.

10. La longue et pénible décennie des années 90, qui, comme évoqué plus haut, a été dominée par une guerre civile violente, reste une plaie ouverte pour la société. Plusieurs interlocuteurs internationaux ont indiqué à la délégation que certains secteurs (en particulier l’éducation, les affaires religieuses, la politique sociale et les droits de la famille) sont encore lourdement influencés par des éléments islamiques. Face à la menace croissante du djihadisme transnational, le gouvernement algérien s’évertue à promouvoir l’islam d’État. Des interlocuteurs gouvernementaux ont indiqué que leur modèle est plus modéré et débarrassé de toute influence salafiste, et prévoit notamment l’exercice d’un contrôle étatique des lieux de prière et des imams.

B. POLITIQUE ÉTRANGÈRE ALGÉRIENNE

11. Comme indiqué plus haut, l’Algérie tire une importance géostratégique évidente de sa place dans la région et de sa politique étrangère. Il est clairement apparu au cours des réunions avec les représentants officiels algériens que la politique étrangère algérienne est dominée par les principes de non-ingérence et d’autodétermination. De par ses caractéristiques uniques, l’Algérie a de multiples identités et, par conséquent, plusieurs axes de perspectives et de politique extérieures, selon qu’elle se positionne en tant que pays maghrébin, saharien, arabe, méditerranéen, africain ou acteur de la scène internationale.

12. La stabilité relative que connaît l’Algérie est de plus en plus rare non seulement en Afrique du Nord, mais aussi dans l’ensemble du monde arabe. L’Algérie s’efforce d’être regardée par ses voisins comme un bon allié stratégique dans la lutte contre le terrorisme a appris la délégation au cours des réunions. Elle s’emploie également à constituer une barrière solide à l’immigration illégale. Il s’est également dégagé qu’Alger se considère comme un exportateur de sécurité aux échelons régionaux et internationaux. Pour ce qui est de ses voisins, l’Algérie se concentre principalement sur la Libye, la Tunisie et le Mali.

13. Des réunions avec des parlementaires algériens et représentants gouvernementaux ont révélé que trouver une solution politique durable en Libye est la grande priorité de la politique étrangère algérienne. La sécurité de l’Algérie en étant directement affectée, une instabilité persistante le long des frontières avec la Libye continuera d’avoir un impact sur la stabilité intérieure du pays jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée. Il est clair que le gouvernement d’Alger souhaiterait trouver de préférence une solution qui permette à la fois de maintenir la cohésion nationale tout en évitant une ingérence extérieure.

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14. En ce qui concerne le reste de son voisinage, la délégation a appris aussi bien de ses interlocuteurs internationaux et algériens que l’Algérie joue un rôle clé dans la sécurité de l’Afrique du Nord. Ils ont indiqué, plus particulièrement, que l’Algérie, estime avoir un rôle important à jouer dans la stabilité de la Tunisie et essaie de contribuer de façon constructive à la transition actuelle vers la démocratie. Elle est bien consciente du fait que le Mali est un pays clé dans la stabilité du Sahel, ce qui ressort clairement de son haut degré de collaboration avec ce pays à tous les niveaux. Elle estime avoir un rôle diplomatique à jouer. Pour terminer, il subsiste un point de discorde entre l’Algérie et le Maroc autour du statut du Sahara occidental. Alors que le Maroc pourrait continuer d’exercer sur la région ce qu’il estime être un contrôle légitime, l’Algérie considère qu’il s’agit d’une question de décolonisation et d’autodétermination. Aussi Alger continue-t-elle à prendre fait et cause pour les droits du peuple sahraoui. Dans l ’ensemble de la région, l’Algérie juge indispensables ses activités de lutte contre le terrorisme.

15. Plus généralement, la délégation a appris qu’Alger est un acteur de poids dans des initiatives multilatérales telles que les diverses institutions méditerranéennes, par exemple le dialogue 5+5. En outre, des interlocuteurs internationaux ont indiqué que l’Algérie estime avoir un rôle prépondérant à jouer au sein de l’Union africaine ainsi que des Nations unies. Cependant, ont-ils déclaré, elle se distancie quelque peu de l’Union européenne en raison de ce qui est à ses yeux, de la part de Bruxelles, un manque général d’attention à son égard et envers ses intérêts ont-ils déclaré

C. ÉCONOMIE

16. Des interlocuteurs internationaux ont indiqué que le pétrole et le gaz sont les principales sources de revenu de l’Algérie, ce qui rend son économie intrinsèquement vulnérable. Suite à l’effondrement des marchés mondiaux du pétrole et du gaz, le pays connaît à présent un déficit commercial non négligeable et un sérieux problème d’équilibre budgétaire. Il s’en remet à l’heure actuelle à ses réserves de caisse, qui s’élèvent à environ 140 milliards de dollars, contre 192 milliards il y a seulement deux ans. Mais le PIB algérien devrait malgré tout augmenter d’environ 3,5 % en 2016.

17. Pour faire face à d’indéniables coups durs économiques à long terme, le gouvernement cherche à réduire les importations et à diversifier l’économie comme l’ont fait remarqué des interlocuteurs internationaux. Il faudra toutefois des années pour parvenir à une diversification effective de l’économie car les investissements réels hors du secteur des hydrocarbures sont bien en deçà du potentiel. Un programme d’investissement antérieur, axé sur des projets de construction de grandes infrastructures civiles, a été en grande partie gelé. Actuellement, la Banque mondiale classe l’Algérie à la 153e place du point de vue de la facilité de faire des affaires.

18. Problème supplémentaire pour Alger : même en Algérie le secteur des hydrocarbures est en perte de vitesse ; l’OPEP a récemment signalé qu’il s’était replié de 2 % en 2015. Outre la diminution de la part de l’Algérie dans le marché mondial, la demande intérieure est en augmentation, ce qui ne fait que compliquer davantage les affaires économiques ont ajouté des interlocuteurs internationaux. Le gouvernement cherche par conséquent à développer son secteur pétrolier et son secteur gazier et à en accroître l’efficience. Par ailleurs, il a annoncé qu’il souhaitait investir dans de nouvelles sources d’énergie, en particulier renouvelables ont indiqué des représentants algériens à la délégation.

D. SECTEUR ALGÉRIEN DE LA DÉFENSE : CAPACITÉS ET AXES DE TRAVAIL

19. Comparativement, les forces de défense algériennes (ADF) sont hautement performantes, de très loin les plus performantes du continent africain. Les experts régionaux ont noté que les ADF se classent probablement 10 et 20 places devant, respectivement, les forces de l’Afrique du Sud et celles du Maroc.

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20. La délégation a appris qu’elles se composent actuellement de 512 000 militaires d’active et de 400 000 réservistes. Le pays a un service national obligatoire ainsi qu’un corps d’officiers de métier bien organisé. Les femmes sont intégrées dans tous les services, mais seuls les hommes sont astreints au service militaire obligatoire.

21. Les ADF se répartissent entre l’armée de terre, la marine, l’armée de l’air, le CFDAT (Commandement des forces de défense aérienne du territoire) et la gendarmerie. Des unités de contrôle des frontières, des unités terrestres et la police nationale font toutes partie intégrante de la gendarmerie. Des interlocuteurs internationaux ont indiqué que le secteur militaire du pays a hérité de l’ère post-coloniale puis de la Guerre froide une organisation quelque peu soviétique : la prise de décision peut être cloisonnée à cause d’une structure hiérarchique très lourde.

22. Les ADF sont principalement équipées d’armes russes, majoritairement conventionnelles. Les forces aériennes disposent principalement d’aéronefs de transport, d’aéronefs de combat à voilure fixe et d’hélicoptères de combat. La marine dispose quant à elle de 69 vaisseaux, relativement modernisés, principalement des frégates et des corvettes.

23. Le budget 2015 de la défense s’établissait à environ 10,5 milliards d’euros, soit une portion considérable du PIB de l’Algérie. Il a été indiqué que la doctrine des ADF est largement fondée sur la notion de souveraineté étatique, qui ressort plus généralement du soutien du pays à l’indépendance et à la souveraineté des États de la région et au-delà. Il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un héritage tenace de la guerre d’indépendance qui a opposé l’Algérie à la France de 1954 à 1962 ont noté des interlocuteurs internationaux.

24. La délégation a également appris que l’actuelle stratégie de défense est modelée par la décennie de guerre civile des années 90, où le pays s’est senti abandonné face au défi du terrorisme. Il s’ensuit que, comme l’ont indiqué des représentants internationquaux, Alger a tendance à considérer ses forces de défense comme des pionnières en matière de tactiques de lutte contre le terrorisme, le reste du monde ayant été forcé de rattraper son retard au lendemain des attentats terroristes du 11 septembre 2001.

25. Des représentants internationaux ont également informé la délégation que, de par l’insularité de sa stratégie de défense, le pays préfère le non-alignement et il maintiendra des capacités indépendantes. Même s’il semble que l’Algérie restera farouchement attachée à l’indépendance de sa politique de sécurité, ont-ils continué, cela ne s’oppose en rien à ce qu’elle pratique une coopération étroite aux niveaux bilatéral et multilatéral. Par exemple, ont-ils noté, alors qu’elle a refusé de se joindre à la coalition menée par l’Arabie saoudite dans la lutte contre le terrorisme, l’Algérie a continué de déployer des efforts soutenus en la matière à l’échelon régional. En outre, elle apporte un soutien énergique aux opérations de paix de l’Union africaine, mais essentiellement en mettant à disposition ses capacités de transport aérien.

E. EFFORTS DE LUTTE CONTRE LE TERRORISME DE L’ALGÉRIE

26. Comme indiqué plus haut, l’Algérie mène de longue date d’importantes activités de lutte contre le terrorisme nécessitant l’allocation de ressources intérieures non négligeables. Ferdi Miloud, membre de l’Assemblée populaire nationale estime que « le terrorisme est la principale menace ici, en Algérie, et dans le monde entier. Les organisations terroristes, qui parviennent à diffuser leur propagande grâce aux nouvelles technologies, pénètrent plus que jamais au cœur de nos sociétés. Par ailleurs, comme elles entretiennent des liens avec les réseaux criminels internationaux, elles sont en mesure de se financer et de s’armer bien plus qu’elles ne l’étaient ne serait-ce qu’il y a quelques décennies. » M.Miloud a poursuivi en faisant observer que vu la complexité des défis terroristes, l’Algérie utilisait tous les moyens à sa disposition pour combattre le terrorisme, de l’échelon local jusqu’aux Nations unies.

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27. Au cours de la visite, il est clairement apparu que les conflits et les troubles civils constants en Libye préoccupent énormément les Algériens et sont sans aucun doute leur grande priorité. Endiguer les trafics potentiels de toutes sortes entre la Libye et l’Algérie est un redoutable défi. Selon Noureddine Belmeddah, du Comité des affaires étrangères de l’Assemblée populaire nationale : « La situation en Libye est extrêmement grave pour l’Algérie et pour toute la région car la déstabilisation persistante et la formation de milices dans le pays font de la Libye un exportateur du terrorisme, d’armes illégales, de drogue et de réfugiés de guerre. » Poursuivant, il a ajouté que « l’avenir dépend maintenant d’un dialogue entre les Libyens eux-mêmes. Nous estimons qu’il faut soutenir le gouvernement d’union nationale dans ses efforts de réconciliation des Libyens – une intervention militaire étant inutile lorsqu’il s’agit de trouver des solutions durables. »

28. Vu l’immensité des régions frontalières algériennes (notamment le long des frontières avec la Tunisie, la Libye, le Niger et le Mali), il est particulièrement difficile d’en assurer la stabilité. Mohamed Chenouf, vice-président et chef de la commission des relations internationales auprès de l’Assemblée populaire nationale, a été très clair avec la délégation en déclarant que : « l’armée algérienne n’intervient jamais hors de nos frontières : sa mission est de protéger les frontières et elle ne participera jamais à une mission en dehors de celles-ci. » Il n’en demeure pas moins que gérer 6 743 km de frontières est une tâche considérable pour quelque pays que ce soit. Plusieurs interlocuteurs algériens ont relevé que la meilleure forme de coopération entre l’OTAN et l’Algérie consisterait en un soutien ISR (Renseignement, Surveillance et Reconnaissance) destiné à améliorer la gestion des frontières.

29. La délégation a appris de plusieurs interlocuteurs internationaux que l’Algérie s’efforçait de développer les capacités militaires tunisiennes. Il a été noté que les progrès continus de l’armée tunisienne dans le contrôle de son territoire contribuaient assurément à alléger quelque peu la pression qui pèse sur les forces algériennes. Il est toutefois clair qu’il reste encore beaucoup à faire en matière d’activités de formation, de conseil et d’assistance entre l’Algérie et la Tunisie.

30. En ce qui concerne la frontière méridionale de l’Algérie, la délégation a appris que le Niger était, en substance, un allié volontaire mais faible. Alger s’associe à Niamey pour coordonner les activités régionales destinées à combattre la présence de Boko Haram et d’Al-Qaida dans cette zone. L’Algérie s’est donc engagée en parallèle auprès du Niger dans un partenariat en matière de renforcement des capacités. Elle soutient en outre la présence française et états-unienne au Sahel dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Mais plusieurs interlocuteurs algériens ont signalé qu’une présence prolongée créerait des problèmes.

31. L’instabilité qui règne dans le nord du Mali est également une menace constante car les institutions gouvernementales ne sont tout simplement pas assez solides. Les interlocuteurs algériens ont émis des doutes sur les bienfaits de l’intervention française pour la région. Ils ont indiqué que maintenir la stabilité dans le nord du Mali était aussi un lourd fardeau pour l’armée algérienne.

32. Comme évoqué plus haut, la délégation a constaté, lorsque ses interlocuteurs algériens ont fermement condamné les actions du Maroc à l’encontre du peuple sahraoui, que le Sahara occidental était toujours une poudrière régionale en puissance. De ce fait, la frontière maroco-algérienne reste une zone de conflit potentielle.

F. L’ALGÉRIE ET L’OTAN

33. L’Algérie adhère depuis mars 2000 au Dialogue méditerranéen de l’OTAN, qui a été créé en 1994 dans le but de promouvoir la paix et la sécurité régionales, principalement en renforçant le dialogue entre les pays. La sécurité des frontières et la lutte contre le terrorisme sont des éléments centraux du Dialogue méditerranéen.

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34. Des interlocuteurs internationaux ont indiqué que l’Algérie continue de se montrer fermement résolue à être un partenaire régional performant, principalement grâce à des échanges d’officiers dans le cadre d’exercices, de formations militaires professionnelles, de centres d’excellence et des divers commandements de l’OTAN. Dix-neuf pays membres de l’OTAN ont actuellement des missions diplomatiques en Algérie et 12 d’entre eux des attachés de défense. L’Espagne est à l’heure actuelle l’ambassade point de contact de l’OTAN dans le pays.

35. Djamel Ould Abbes, vice-président du Conseil de la nation, la chambre haute du Parlement algérien, a fait savoir que l’Algérie désirait renforcer ses relations avec l’OTAN ; il a insisté sur l’importance des visites que le président Bouteflika a effectuées en 2001 et 2002 au siège de l’OTAN et sur le fait que de nombreux hauts responsables de l’OTAN ont été reçus à Alger ces dix dernières années. Selon lui, l’Algérie considère que sa coopération avec l’OTAN s’inscrit dans l’éventail plus large de ses activités d’ouverture en région méditerranéenne et en Afrique du Nord, et vient s’ajouter à ses activités au sein du dialogue 5+5 et de l’Union pour la Méditerranéenne.

36. Par ailleurs, M. Ould Abbes, critique à l’égard du rôle de l’OTAN dans la région, a fait observer que la problématique des armes en circulation dans la zone est en grande partie due à l’intervention de l’OTAN en Libye, qui, selon lui, « n’avait rien prévu pour la suite et qui a laissé dans son sillage un vaste espace non gouverné, ce qui a permis aux milices et aux réseaux criminels d’exploiter les importants dépôts d’armes accumulés par le régime de Kadhafi. » Il a poursuivi en ces termes : « […] il y a quelques jours à peine, l’armée algérienne a pu déjouer une tentative de livraison de missiles Stinger qui proviendrait de la Libye. » À l’Assemblée populaire nationale, d’autres interlocuteurs algériens, se faisant l’écho des déclarations de M. Ould Abbes, se sont dits favorables à ce que le soutien de l’OTAN à la transition en Libye soit renforcé, mais également à ce que l’on autorise les Libyens à s’approprier la transition, sans influence de la part de puissances extérieures.

37. À propos de l’intervention de l’OTAN en Afrique du Nord, M. Ould Abbes a déclaré que « ce type d’erreur montre bien pour quelle raison les parlementaires de l’OTAN doivent s’employer davantage encore à exercer une supervision sur les opérations extérieures de l’OTAN. » Nombre de parlementaires algériens contestent en particulier le fait que rien n’a été concrètement planifié pour assurer un soutien humanitaire suivi et pour appuyer la construction du pays, « quand les canons se seront tus » en Libye. Les deux chambres du Parlement ont insisté sur l’idée d’une coopération interparlementaire étendue.

G. L’ALGÉRIE ET L’AP-OTAN

38. L’AP-OTAN travaille en étroite collaboration avec des parlements non membres afin de favoriser un dialogue parlementaire constructif et des initiatives de renforcement des capacités. L’Algérie coopère avec l’AP-OTAN en tant que partenaire régional et membre associé méditerranéen, tout particulièrement dans le cadre des activités du Groupe spécial Méditerranée et Moyen-Orient de l’Assemblée. En outre, la délégation algérienne auprès de l’AP-OTAN envoie des représentants tant à la session de printemps qu’à la session annuelle de l’Assemblée.

39. Comme l’a déclaré Sverre Myrli au début de la visite : « La situation en Afrique du Nord et en Méditerranée est aux yeux de l’AP-OTAN plus importante que jamais, tout comme la compréhension des questions de sécurité et le Dialogue méditerranéen. » Se faisant l’écho de l’opinion de M. Myrli, Nicole Ameline a affirmé que « l’AP-OTAN est ici pour développer des partenariats parce que nous estimons que ces problèmes sont mondiaux et non pas propres à un pays. » Elle a poursuivi en ajoutant : « J’estime qu’il nous faudra hiérarchiser les menaces et les réponses, ce qui nous permettra de trouver un niveau de coopération englobant les droits de tous les peuples et de chaque nation. »

40. Les homologues algériens de la délégation de l’AP-OTAN ont exprimé un sentiment analogue durant la visite : Ghania EDDALIA, vice-présidente de l’Assemblée populaire nationale a

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affirmé sans ambages que « cette visite montre bien l’importance que vous attachez à notre pays et à cette région. Les crises mondiales ont poussé les pays à renoncer à leur égoïsme. Nos activités internationales fondées sur la coopération visent à trouver des solutions appropriées aux crises que traverse le monde ; ensemble, nous pouvons trouver une issue. » Djamel Ould Abbes a indiqué qu’une délégation algérienne assisterait à la session de printemps de l’AP-OTAN, qui se tiendra à Tirana (Albanie), du 27 au 30 mai. À cette session, a-t-il précisé, il espère que le dialogue destiné à favoriser une plus grande coopération entre l’Algérie et l’AP-OTAN se poursuivra.

H. LES EFFORTS RÉGIONAUX DE LUTTE CONTRE LE TERRORISME

41. La délégation a été accueillie par le CAERT pour un exposé et un débat concernant les résultats des travaux du Centre et des programmes d’ouverture. Le directeur du CAERT, Idriss Mounir Lallali, a fait savoir à la délégation que le Centre, inauguré en 2004, avait été créé dans le cadre des travaux de l’Union africaine sur la lutte contre le terrorisme et dans le droit fil des activités visant à mettre en œuvre la résolution 1373 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui demande aux États membres « de coopérer d’avantage et d’appliquer intégralement les conventions et protocoles internationaux relatifs au terrorisme ainsi que les résolutions 1269 (1999) et 1368 (2001) du Conseil de sécurité. » M. Lallali a expliqué que le protocole aux conventions prévoyait qu’un mécanisme d’organisation devait être mis en place pour que les pays puissent développer leurs capacités de lutte contre le terrorisme : ce pour quoi le CAERT a été créé.

42. Les activités du CAERT portent sur trois grands axes : 1.) bases de données et documentation – des informations sont collectées sur les réseaux et les activités terroristes, mais également sur les capacités de chaque pays ; 2.) systèmes d’alerte rapide – un centre d’opération est en mesure d’exercer une veille mais également d’alerter un correspondant dans chaque pays d’Afrique ; 3.) les audits de pays – il s’agit d’audits et d’analyses des succès et des carences des pays ; à ce jour, le CAERT a procédé à l’audit de 18 des 54 pays d’Afrique continentale (dont 52 sont membres de l’UA). Tout au long de l’année, le CAERT travaille activement à recenser les secteurs nécessitant un renforcement des capacités, à suivre l’investissement de l’argent des donateurs et à réfléchir de façon créative à de futurs projets.

43. Eu égard à l’ouverture en matière de renforcement des capacités, la délégation a appris que le CAERT avait mis en place un immense réseau d’information. Ce réseau, apparemment très efficace, aurait, selon M. Lallali, un impact sur les efforts que déploient les organismes des Nations Unies (y compris le Conseil de sécurité) pour atténuer les causes et les conséquences du terrorisme. À la suite de quoi, a-t-il ajouté, deux plateformes importantes ont été mises en place : le processus de Nouakchott (pour l’échange d’informations, notamment sur Boko Haram et AQMI) et le processus de Djibouti, qui prévoit une collaboration avec les pays d’Afrique de l’Est et de la Corne de l’Afrique menacés par Al-Shabab et l’Armée de résistance du Seigneur.

44. Un parlementaire a demandé à M. Lallali son point de vue sur les réseaux de recrutement au sens large et sur la façon dont ils fonctionnent. Ce à quoi M. Lallali a répondu : « Nous devons spécifier de quel type de terrorisme nous parlons : de djihadistes, de groupes locaux violents ou de pirates. Le plus visible et le plus menaçant est le terrorisme djihadiste. Pourquoi ? Le principal facteur de radicalisation est économique. Dans de nombreux pays d’Afrique, les réseaux terroristes et criminels sont les principaux employeurs. » Il a ajouté que les écoles coraniques (les madrassas) officieuses sont les lieux de recrutement les plus courants. M. Lallali a précisé sa pensée en faisant observer que bon nombre de pays d’Afrique ont souvent un double système d’enseignement : les écoles publiques et les réseaux de madrassas.

45. À propos des réseaux de madrassas, il a indiqué que ces écoles pouvaient être officielles ou officieuses. Il a ensuite demandé, pour la forme, quelle réalité se cachait derrière une école coranique officieuse. Un groupe désirant ouvrir une telle école n’a pas besoin d’autorisation tant qu’il dispose des moyens nécessaires. À bien des égards, a-t-il précisé, ces écoles se situent à mi-

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chemin entre une maison des jeunes et une école ; les enfants y sont pris en charge lorsque les parents n’en ont pas la possibilité. Il s’agit souvent en outre de systèmes scolaires gratuits dont l’État ne contrôle ni les programmes d’enseignement ni la sélection des enseignants.

46. Dans le prolongement du débat sur les systèmes scolaires, les experts du CAERT ont indiqué que bien des gens étaient loin de la vérité en pensant que c’était la pauvreté qui menait au terrorisme, alors qu’il est préférable d’aborder la question sous l’angle de l’incapacité générale des États à intégrer leurs populations dans un cadre durable. De surcroît, selon plusieurs experts, la mondialisation a dilué les identités locales et suscité une attirance artificielle pour l’oumma (terme désignant la communauté musulmane au sens large) mondiale, qui semble donner à la vie des gens (particulièrement des jeunes) un sens supérieur à celui que leur donnent leurs gouvernements locaux, ce qui est l’un des facteurs précis de l’augmentation considérable de l’afflux de combattants étrangers en Syrie et en Iraq.

47. L’un des membres de la délégation a indiqué ce qui suit : « tout ce que vous avez dit correspond à ce qui se passe au Royaume-Uni – les facteurs sont les mêmes à une exception près : la radicalisation se passe principalement sur les médias sociaux plutôt que dans des madrassas. Même dans nos écoles bien financées et totalement contrôlées, nous observons encore une radicalisation des musulmans. La peur d’être perçus comme étant racistes nous a conduits à être trop timides dans nos politiques. »

48. M. Lallali a souligné que l’exploitation des médias sociaux permet aux réseaux terroristes d’étendre leur pouvoir sur une zone bien plus grande. Ils ont la possibilité de parcourir, sur les réseaux sociaux, les réponses et les posts des utilisateurs afin de comprendre leurs penchants. À titre d’exemple, M. Lallali a cité des cas dans lesquels des jeunes filles qui avaient exprimé une inquiétude au sujet des droits humains ont été contactées par des recruteurs qui leur ont dit pouvoir les mettre en relation avec des réseaux de défense des droits humains. Les interlocuteurs ont noté que les recruteurs parvenaient même à tromper des non-musulmans en se servant de leur penchant pour des idées humanistes. Le but du recrutement sur internet est d’avoir la possibilité de couper les liens des personnes avec leur famille et de leur donner les moyens de voyager et, ainsi, de les attirer dans le groupe.

49. Un autre parlementaire est alors intervenu en ces termes : « les médias sociaux sont bien là, alors comment annihiler le message ? Quel est le lien entre gouvernement et développement ?  » Les experts du CAERT ont répondu que bien que la propagande de groupes comme Daech* soit captivante, il était possible de trouver des façons de mettre au point des produits similaires pour adresser un message attrayant à la jeune génération. « Nous avons affaire à un adversaire redoutable, que nous devons affronter sur son terrain, qui n’est pas nécessairement militaire », a conclu M. Lallali.

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* Acronyme arabe du groupe État islamique

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