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L’analyse des modalités véridictoires et thymiques: Vrai/faux, euphorie/dysphorie LOUIS HÉBERT J’écris des mensonges. Car, selon les dires de Lu Xun dans un de ses méchants articles, si un rêve est une réalité, le récit de ce rêve devient un mensonge. — Ying Chen, Les lettres chinoises Je marche à côté d’une joie D’une joie qui n’est pas à moi D’une joie à moi que je ne puis pas prendre — Saint-Denys Garneau, Regards et jeux dans l’espace La sémantique interprétative fondée par F. Rastier, élève de Greimas et de Pottier, est une synthèse ‘de seconde génération’ de la sémantique structurale européenne, développée à la suite des travaux de Bréal et Saussure, puis Hjelmslev, Greimas, Coseriu, Pottier. Selon la sémantique interprétative, quatre composantes structurent le plan sémantique des textes: la thématique (les contenus investis), la dialectique (les états et pro- cessus et les acteurs qu’ils impliquent), la dialogique (la modalisation de unités sémantiques) 1 et la tactique (les positions linéaires des contenus). Les principaux éléments caractéristiques de la dialogique sont les types de modalités sémantiques (ontiques, véridictoires, thymiques, etc.), les classes modales propres à chaque type de modalités (factuel, irréel ou impossible, possible; vrai, faux; positif, négatif; etc.), les univers (U) et les mondes (M). Dans ce qui suit, nous synthétiserons, préciserons, compléterons et développerons la composante dialogique proposée par Rastier; 2 mais nous ferons de même, en fin de parcours, pour un autre dispositif voué à la description véridictoire: le carré véridictoire greimassien. Pour l’essentiel, Rastier étudie les modalités ontiques et véridic- toires; 3 quant à nous, nous voudrons jeter les bases d’une dialogique thymique intégrée à une dialogique qui soit véritablement générale. Pour Semiotica 144–1/4 (2003), 261–302 0037–1998/03/0144–0261 © Walter de Gruyter

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L’analyse des modalités véridictoires et

thymiques: Vrai/faux, euphorie/dysphorie

LOUIS HÉBERT

J’écris des mensonges. Car, selon les dires de LuXun dans un de ses méchants articles, si un rêveest une réalité, le récit de ce rêve devient unmensonge.

— Ying Chen, Les lettres chinoises

Je marche à côté d’une joie D’une joie qui n’estpas à moi D’une joie à moi que je ne puis pasprendre— Saint-Denys Garneau, Regards et jeux dansl’espace

La sémantique interprétative fondée par F. Rastier, élève de Greimas et dePottier, est une synthèse ‘de seconde génération’ de la sémantiquestructurale européenne, développée à la suite des travaux de Bréal etSaussure, puis Hjelmslev, Greimas, Coseriu, Pottier. Selon la sémantiqueinterprétative, quatre composantes structurent le plan sémantique destextes: la thématique (les contenus investis), la dialectique (les états et pro-cessus et les acteurs qu’ils impliquent), la dialogique (la modalisation deunités sémantiques)1 et la tactique (les positions linéaires des contenus).Les principaux éléments caractéristiques de la dialogique sont les types demodalités sémantiques (ontiques, véridictoires, thymiques, etc.), les classesmodales propres à chaque type de modalités (factuel, irréel ou impossible,possible; vrai, faux; positif, négatif; etc.), les univers (U) et les mondes (M).

Dans ce qui suit, nous synthétiserons, préciserons, compléterons etdévelopperons la composante dialogique proposée par Rastier;2 mais nousferons de même, en fin de parcours, pour un autre dispositif voué à ladescription véridictoire: le carré véridictoire greimassien.

Pour l’essentiel, Rastier étudie les modalités ontiques et véridic-toires;3 quant à nous, nous voudrons jeter les bases d’une dialogiquethymique intégrée à une dialogique qui soit véritablement générale. Pour

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ce faire, nous prendrons appui sur les modalités onto-véridictoires etthymiques de propositions sémantiques dégagées au palier macro-sémantique, par opposition aux paliers méso- et microsémantiques (cestrois paliers correspondent grosso-modo, respectivement, au texte, à laphrase et au mot). Plus précisément, nous parlerons (1) des types d’univers(d’assomption, de référence), (2) des types de mondes (factuel, contre-factuel, possible), (3) de types de modalités (ontiques, véridictoires, thy-miques, etc.), (4) des modalités rattachées à chaque type (ontiques: factuel,irréel ou impossible, possible; véridictoires: vrai/faux; etc.), (5) d’unitésmodalisées, (6) de leur statut (unité normale, réplique ou image) et (7)relations (exclusion mutuelle, présupposition, etc.). Nous évoqueronségalement (8) les relations entre mondes (d’un même univers et d’ununivers à un autre), (9) entre univers (autonomie, inclusion, intersection,regroupement en galaxies), (10) entre acteurs et univers (acteur sansunivers propre, etc.), (11) ainsi que les transformations possibles desunivers et mondes. Il restera notamment à constituer d’autres dialogiquesspécifiques que les dialogiques onto-véridictoire et thymique (déontique,par exemple) et à approfondir les interactions dialogiques. Ainsi, lechangement de modalité onto-véridictoire s’accompagne souvent d’unchangement de la modalité thymique ou de son intensité. Voici quelquesexemples. Dans les contes, le faux héros célébré à tort passe au négatiflorsque le vrai héros rétablit les faits. Un tien vaut mieux que deux tul’auras, dit la fable, dévalorisant le possible. Le Rousseau des Confessionsse dit déçu lorsqu’il compare le plaisir anticipé, possible, et le plaisirfactuel. Une tentative de meurtre sera jugée moins sévèrement qu’unmeurtre accompli, factuel, etc.

La dialogique onto-véridictoire et la dialogiques thymique

Modalités, types de modalités et unités modalisées

Les modalités sémantiques (et non-logiques)4 sont des catégories généralesqui articulent l’univers sémantique en espaces modalisés. Rastier retient,sans exclusive, les types de modalités suivants (les modalités proprementdites figurent entre parenthèses): les modalités ontiques (les modes d’être:factuel, irréel ou impossible, possible), véridictoires5 (vrai, faux), alé-thiques (nécessité, possibilité, impossibilité, contingence), épistémiques(certain, établi, démontré, exclu, plausible, contestable, indécis, connu,inconnu, etc.), déontiques (obligatoire, permis, interdit, facultatif),boulestiques ou boulomaïques (les notions optatives: désir, souhait,volonté), thymiques6 (euphorique, dysphorique, etc.), sémiotiques (par

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exemple: de re, de dicto, c’est-à-dire portant sur la ‘chose’ ou sur l’énoncé)7

(1989: 82).

REMARQUE: Les modalités se traitent également comme des sèmes, particuliè-rement en microsémantique (par exemple, pour les modalités thymiques, on trouveles sèmes /péjoratif/ et /mélioratif/).

En principe, toute unité (u) sémantique (énoncée dans le texte ou inféra-ble) de tout palier peut être modalisée (sémème, sémie, molécule sémique àtous les paliers, énoncé, isotopie, sème, etc.), fût-ce par défaut. Une mêmeunité sémantique peut évidemment être marquée de plusieurs types demodalités (par exemple: elle peut être possible et marquée de l’interdit).Une même unité ou des unités analogues peuvent subir de multiplesévaluations. En général, si la définition de l’unité et de l’acteur auquel elleest associée ne change pas, toute variation modale qui l’affecte seracorrélative à un changement de position temporelle.8 Cependant, les poly-évaluations peuvent provenir du même foyer, être contradictoires et avoirlieu dans la même position ou le même intervalle temporel dialectique (ousans qu’il soit nécessairement possible de les ordonner entre elles dans cetintervalle). La modalisation d’une unité est susceptible d’apparaître (pas-sage de l’indécidé au décidé), de se transformer (par exemple, passage duvrai au faux), voire de disparaître (par exemple, passage du décidé àl’indécidable voire à l’indécidé).

REMARQUE: Le mot ‘acteur’ (dans le sens qu’il a en sémantique interprétative)en réalité n’est pas pleinement satisfaisant puisque les évaluations ne relèvent pasque du palier textuel (discursif) mais également des paliers périodique, où lesacteurs correspondent à des actants (dans le sens que prend le mot en sémantiqueinterprétative), et lexical, où la sémantique interprétative ne leur a pas trouvé dependants, semble-t-il. À défaut d’un meilleur terme (foyer évaluatif ?), en généralici, nous parlerons d’acteurs au sens large, en englobant tous les paliers analytiques,même si nos exemples impliqueront plutôt des acteurs au sens restreint, nousétendrons même parfois ce sens aux ‘acteurs’ non-représentés, non-thématisés,empiriques ou non (en parlant, par exemple, de l’auteur inféré et de l’auteurempirique). Enfin, même si les éléments évalués sont des acteurs au même titre queles acteurs évaluateurs, nous privilégierons l’appellation ‘unités évaluées’.

Une unité est dite décidable relativement à un type de modalité donné sielle est affectée d’au moins une modalité relevant de ce type; dans le cascontraire, elle est réputée indécidable (noté # ou IND).9 Un même universou monde peut comporter les deux sortes d’unités. Les modalitésproprement dites constituent des spécifications de la décidabilité, ainsi en

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va-t-il du vrai et du faux pour les modalités véridictoires. Par ailleurs, lanotion d’indécidé sera sans doute de quelque utilité pour caractériser uneunité (encore) absente dans un univers ou qui, quoique pertinente à cetunivers (c’est-à-dire incluse en lui), n’y a pas subi (encore) d’évaluation.

Les modalités, dans leur aspect qualitatif, peuvent être affectées d’unquantificateur, en quel cas s’ouvre une logique graduelle (avec ou sansseuils) et non plus catégorielle. Les intensités sont descriptibles par desmots ou expressions (voire des chiffres: 40 %, 0,4, etc.): ‘absolues’,descriptives (de type faible, normale, forte) ou normatives (de typeinsuffisamment, assez, trop); comparatives ou relatives (de type moins,aussi, plus); superlatives (de type le moins, le plus). La gradualité est suscep-tible d’affecter chaque modalité et de modifier la relation entre modalitéset entre types de modalités. Par exemple, une proposition sera atténuée enl’inscrivant comme faiblement vraie (ou fortement fausse) ou, plusradicalement, comme fortement vraie dans un monde du possible voirefaiblement indécidable dans le monde factuel. Les textes convoquentla dimension quantitative de manière plus soutenue, semble-t-il, dans lecas des modalités thymiques que des modalités onto-véridictoires, où uneapproche uniquement catégorielle (non graduelle) s’avère souvent suffi-sante. Rien n’empêche que, dans un même texte et pour un même type demodalité, un acteur recourre au catégoriel et un autre au graduel.

Les intensités thymiques permettent souvent de structurer en hiérarchiece qui ne serait qu’un simple inventaire d’unités, où, par exemple,l’euphorie devant un plat savoureux ne se distinguerait pas de l’euphoriedevant l’être aimé . . . Dans le cas d’une idéologie (au sens général etnon au sens qu’il prend dans la sémiotique greimassienne), les élémentsles plus fortement évalués correspondront aux ‘valeurs’ fondamentales.Les idéologies concurrentes partagent souvent des évaluations thymiquesidentiques quant à la modalité qualitative mais distinctes quant àl’intensité. Ainsi, dans un conte, si l’ogre et le chevalier convoitent tousdeux la princesse comme épouse, le premier enlèvera brutalement lademoiselle pour en faire sa femme alors que le second en méritera la main(et le reste): l’ogre survalorise thymiquement ce mariage au détriment de lamorale. Par ailleurs, une évaluation contrastive d’une catégorie généralesemble se répercuter, par une modalisation intensive, sur les catégoriesparticulières subsumées. Soit les trois oppositions suivantes, typiques durécit du terroir québécois et où le premier terme est euphorique, le seconddysphorique: monde spirituel/monde temporel, paradis/enfer, campagne/ville. Le spirituel ayant, dans ce genre textuel, la primauté sur le temporel,les quatre espaces particuliers forment, en allant de l’euphorie la plusintense vers la dysphorie la plus intense, la séquence suivante: /paradis/,/campagne/, /ville/, /enfer/ (pour l’analyse complète voir Hébert 2000 a).

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Unités et représentations référentielles

Les classes ontologiques représentées par les unités dialogiques ne sont paslimitées a priori. Au point de vue de l’ontologie naïve (qui définit les sortesd’entités qui forment le ‘réel naïf’), une unité représentera: un élément per-ceptible ou intelligible; une chose, un processus, un état, un concept, un êtreanthropomorphe (personne ou personnage humain, animal, etc.); un indi-vidu ou un collectif (par exemple, la société); un individu ou une classe;une occurrence ou un type; un tout ou une partie; un élément mondain oulinguistique;10 etc. Évidemment, l’unité peut prendre une dimension ‘méta-dialogique’ et correspondre à ce qui est par ailleurs un foyer, une modalité,une intensité, une unité, un univers dialogiques, etc. Par exemple, dansles modalités thymiques, en sus de l’évaluation réflexive de l’acteur sur luimême comme acteur-unité, on peut considérer une évaluation au seconddegré: par exemple, A considère bien d’évaluer u négativement. L’éva-luation méta-dialogique donnée en exemple diffère de l’évaluation de laseule valeur (une valeur négative est jugée négativement, etc.). SelonScheler (cité dans Auroux 1989: 219), ‘L’existence d’une valeur positive estelle-même une valeur positive. L’existence d’une valeur négative est elle-même une valeur négative. La non-existence d’une valeur positive est elle-même une valeur négative. La non-existence d’une valeur négative estelle-même une valeur positive’. Nuançons: l’existence d’une valeur positive,par exemple, selon un premier acteur implicite ou explicite, peut êtreconsidérée comme négative par un second acteur (par exemple: Je hais lebonheur). Enfin, si les modalités thymiques affectent souvent des entitésontologiquement isolables, les modalités onto-véridictoire s’appliquent àdes propositions de type logique (par exemple, on affecte plutôt une valeurde vérité à La table est carrée et non à table). Évidemment, on distinguerace problème de celui du nombre de lexies (approximativement, de mots)nécessaires pour présenter l’unité (ainsi ‘table’ peut équivaloir à sadéfinition en plusieurs lexies).

Les propriétés ontologiques spécifiques de chaque classe peuventévidemment être conférées aux éléments représentées relevant de cetteclasse. Nous circonscrirons quelque peu les relations tout-partie ou genre-espèce et type-occurrence thématisées, représentées dans le texte. Il nes’agit donc ni d’une contribution à une analyse référentielle de ces relations(par exemple, le rapport tout-partie entre une vraie ‘rose’ et ses épines), nid’une étude de ces relations telles qu’elles apparaissent dans la mise enoeuvre de l’appareil d’analyse des textes (par exemple, le rapport entrel’acteur rose et ses occurrences au palier mésosémantique: ‘rose’, ‘elle’, ‘lafleur’). Avant d’approfondir, intégrons un exemple synthèse. Dans Le petit

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prince, la rose, en tant qu’acteur sémantique, est un type descriptifmanifesté dans des occurrences textuelles comme ‘rose’, ‘elle’, etc.Cependant, en termes de représentations référentielles, on distingue dans letexte les fleurs (le roi dit: ‘Si j’ordonnais à un général de voler d’une fleur àl’autre’), constituant un type représenté, de la rose du petit prince, commeoccurrence représentée. Enfin, dans le texte, on parle des épines, partiereprésentée de la rose.

D’autre part, on peut tenir compte de la nature atomique/complexe del’élément représenté et, dans le cas d’un élément considéré commecomplexe, de la nature locale/globale du jugement. Ainsi l’évaluationpourra varier selon qu’on observera telle ou telle partie d’un élément oul’élément en entier. Par exemple, la rose sera euphorique globalement,tandis que les épines seront dysphoriques. Le jugement global se fait entenant compte des jugements ponctuels, toutefois en vertu du principe denon-compositionnalité stricte, il ne s’agit pas nécessairement d’une simple‘addition’; une hiérarchie peut pondérer les différents aspects. Dans le casou des modalités différentes sont attribuées aux parties, la valeur globalepourra être composée (par exemple, un métaterme comme le termecomplexe ou le terme neutre) ou se résorber en une valeur franche avec unquantificateur ou non.

Un différentiel dialogique est susceptible également de se loger dans larelation type/occurrence. Par exemple, on pourra détester les parfums engénéral (type), mais apprécier tel parfum en particulier. Les mêmesprincipes sur le passage du jugement local (ici une occurrence) au jugementglobal (ici un type) s’appliquent (par exemple, une occurrence négative nemodifie pas nécessairement l’évaluation positive accordée à son type).Plusieurs sortes de types et d’occurrences doivent être découplés.Distinguons notamment les types et occurrences référentiels représentésdes types et occurrences-mots (une lexie, un syntagme, etc.). Soit J’aimebien les parfums mais pas celui-là, qui est détestable:

1. On trouve une seule occurrence représentée du type parfumreprésenté et ce, dans une seule occurrence-mots: on évoque un seultype parfum représenté une seule fois par les mots ‘les parfums’.Remarquons que dans un texte qui respecte la vraisemblanceconventionnelle, il ne saurait y avoir deux types représentésidentiques (deux classes parfums identiques qui coexisteraient). Parcontre, deux occurrences représentées d’un même type représentécohabiteront sans problèmes (deux parfums).

2. On trouve aussi une seule occurrence représentée du type parfumreprésenté et ce, dans deux occurrences-mots: on évoque un seulparfum particulier dans les mots ‘celui-là’ et ‘qui’. Par le fait même,on compte deux occurrences-mots du type parfum particulier.

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Autrement dit, il convient de distinguer dans l’analyse les unitésabstraites descriptives (les types) des unités qui les manifestent (lesoccurrences). Ainsi, l’unité descriptive ‘chien’ (comme acteur oucomme constituant d’une unité dialogique) peut être manifestéedans un texte par les mots ‘chien’, ‘compagnon’, ‘toutou’, etc. Parailleurs, là où une analyse voit deux unités analytiques, une autrepourra en voir une seule. Par exemple, on peut subsumer les mots‘excréments’ et ‘ordures’ dans une entité analytique ‘déchets’, oubien, si cela est conforme aux objectifs et à la stratégie de l’analyse,les distinguer.

Mondes et modalités

Définissons l’univers comme la partie d’un univers sémantique composéedes unités modalisée assumées par un acteur ou un foyer énonciatif: ‘toutemodalité est relative à un site (un univers) et un repère (un acteur).11 Parexemple, quand le narrateur de la Cousine Bette [roman de Balzac, ch. 18]parle d’une mauvaise bonne action, ‘bonne’ renvoie à l’univers de deuxacteurs, et ‘mauvaise’ à son propre univers’ (Rastier et al. 1994: 181).

Un monde est l’ensemble des unités affectées de la même modalité ausein d’un même univers. En dialogique onto-véridictoire, ‘Chaque universest susceptible de se diviser en trois mondes: (i) le monde factuel estcomposé des unités comportant la modalité assertorique; (ii) le mondecontrefactuel, des unités comportant la modalité de l’impossible ou del’irréel; (iii) le monde du possible,12 des unités comportant la modalitécorrespondante’13 (Rastier et al. 1994: 181). Comme on le voit, ce sont lesmodalités ontiques, et non véridictoires, qui délimitent des mondes (il n’y apas de monde du vrai, par exemple). Dans les autres dialogiquesspécifiques, la preuve n’est pas faite de la nécessité descriptive, si ce n’estthéorique, de séparer les univers en autant de mondes qu’il y a demodalités.

REMARQUE: Toute modalité est inscriptible dans une proposition (par exemple:Il est vrai que la terre se meut). Une unité marquée d’un autre type de modalité peutgénéralement, semble-t-il, être traduite par une proposition marquée onto-véridictoirement (par exemple, Il est nécessaire que la terre se meuve vrai et factueltraduit une proposition aléthique). Cette dernière propriété est utile en dialogiqueglobale ou polydialogique (étude simultanée de plusieurs types de modalités): onpourra élire la partition des univers onto-véridictoires comme partition d’accueilpour les autres modalités. Par exemple, dans ‘Le chien et le flacon’ de Baudelaire(Le spleen de Paris), la proposition à teneur thymique Le chien aime le parfum,

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marquée de l’obligation par l’appel du maître, est d’abord factuelle (à tout le moinspossible) et vraie dans l’univers du maître puis, comme le chien recule horrifié,contrefactuelle et vraie ainsi que factuelle et fausse.

Mondes et modalités onto-véridictoires

Abordons les relations entre mondes ontiques et valeurs de vérité oumodalités véridictoires. Nous recourrons simplement aux valeursclassiques que sont le vrai (V) et le faux (F).

En principe, tout monde est susceptible de contenir des unités affectéesde toutes les valeurs de vérité (se rappeler que l’indécidable n’est pas unemodalité à proprement parler). Cependant, le possible interagit de manièreparticulière avec les modalités véridictoires. La nécessité ou la possibilitépratique voire théorique d’adjoindre la modalité véridictoire aux unitéspossibles est discutable. Nous considérerons que le possible n’accepteou ne nécessite pas la distinction des modalités véridictoires (voir letableau 1).

REMARQUE: D’autres avenues sont envisageables. Si l’on tient à marquervéridictoirement le monde du possible, il faudra tenir compte de la relation suivanteentre unités dialogiques: une proposition possible et fausse semble impliquerl’existence de la même proposition marquée du vrai et vice-versa. Pour peu qu’ilsoit légitime de traduire cette relation propositionnelle en une seule propositions’offrent trois grandes façons de traduire la double modalité véridictoire. Unemême proposition possible sera affectée: (1) d’une valeur complexe équilibrée (vraiet faux); (2) d’une valeur neutre équilibrée (ni vrai ni faux), conversion possible del’indécidable en modalité véridictoire; d’une valeur ‘floue’ ou graduelle (+−−−−− V ou +−−−−−F) par quantité ou intensité: si p est vrai à 0,7, il est faux à 0,3 (Martin 1987: 17); ppeut être peu vrai, moyennement vrai, etc. Une valeur non catégorielle peut êtresimplement notée par la tendance véridictoire (par exemple, une proposition pos-sible vraie indiquera la tendance vers le vrai). Par ailleurs, Martin (1987: 21) ajouteaux valeurs de vérité le possiblement vrai et le possiblement faux. Ainsi uneproposition possiblement vraie (ou fausse) dans le monde factuel se trouve vraie(ou fausse) (en tant qu’image?) dans un monde possible. Pour nous cetteproposition appartient seulement au monde du possible.

Tableau 1. Mondes, modalités ontiques, et véridicto

MONDE factuel contrefactuel possible

MODALITÉ ONTIQUE assertorique irréel ou impossible possibleVALEUR DE VÉRITÉ v/f v/f (v/f)

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Modalités et carré sémiotique

Les logiques plurivalentes et/ou graduelles ont enrichi l’inventaire desvaleurs de vérité (cf. le possiblement vrai et le possiblement faux chezMartin). En particulier, l’utilisation d’un carré sémiotique pour articulerla catégorie vrai/faux sur un carré sémiotique14 dégage quatre grandesvaleurs fondamentales (voir la figure 2): le vrai, le faux, le vrai et faux(terme complexe) ainsi que le ni vrai ni faux (terme neutre).

REMARQUE: Le carré sémiotique classique prévoit d’autres possibilités (posi-tions 3, 4, 7, et 8) que les quatre valeurs fondamentales. Nous ajoutons égalementau carré sémiotique des métatermes entre les éléments contradictoires (positions 9et 10). Cependant, ces six autres valeurs apparaissent de moins grande utilité.

Le carré sémiotique articulant vrai/faux est à distinguer du carrésémiotique de la véridiction de la théorie greimassienne qui, en articulantêtre/paraître, produit les métatermes que sont le vrai, le faux, l’illusoire etle secret. D’ailleurs, à notre connaissance les relations entre ce carréparticulier et le carré de la véridiction n’ont pas été étudiées. Disonssimplement que le terme complexe (vrai + faux) du carré correspond auclassement simultané d’un élément dans les positions 1 et 3 du carrévéridictoire. Le terme neutre (ni vrai ni faux) s’apparente au secret ou àl’illusoire. Les rapprochements entre la notion d’indécidable en logique (cf.Martin 1983, par exemple) et le terme neutre ou l’absence de positionne-ment sur le carré restent à préciser (par exemple, en logique, les élémentsséparés d’une proposition peuvent être indécidables: pomme et rougeséparément sont indécidables mais Cette pomme est rouge peut êtredécidable). Enfin, on peut articuler graduellement l’axe vrai/faux,produisant ainsi le � V et le � F, lesquels sont alors en relation inversementproportionnelle et correspondent à une forme de terme complexe.

Le même dispositif s’applique en théorie pour toutes les autres opposi-tions modales. Ainsi, en articulant la catégorie thymique euphorie/dysphorie pour constituer l’inventaire des modalités thymiques (cf.Courtés 1991: 160), on obtient: l’euphorie, la dysphorie, la phorie (termecomplexe), et l’aphorie (terme neutre).

Figure 2. Articulation de la catégorie vrai/faux sur un carré sémiotique.

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Plusieurs précisions s’imposent. L’inscription de l’indécidable dansun tel carré pose problème. L’indécidable, relativement à la catégoriefondatrice, correspond assez bien au terme neutre; cependant, rela-tivement au carré complet, il réside plutôt dans un non-positionnementdans l’une ou l’autre des classes du carré. En fait, il faudrait sans doute,du moins dans un système descriptif non bivalent, séparer valeur indé-cidable et valeur composée, en particulier la valeur neutre. De la mêmemanière que le terme neutre ne recouvre que ce qui est marqué commeneutre (et non pas ce qui se retrouve dans une autre position ou dans unautre axe sémantique), l’indécidable est une non-position globale marquée(par opposition à l’indécidé) sur un carré modal donné. Cette non-position peut résumer des positionnements hypothétiques concurrents etnon satisfaisants.

Le terme complexe — comme tous les métatermes d’un carré sémi-otique — se conçoit de plusieurs façons. Elles nous semblent liées auxdéfinitions du temps et de l’unité d’analyse que l’on se donne, lesquellessont tributaires des objectifs et donc des stratégies interprétatives etmettent en cause des opérations d’assimilation et de dissimilation sur lesfacteurs dialogiques (temps, unité, modalité, etc.). Au sens strict, le termecomplexe réside dans la simultanéité des deux modalités pour une mêmeunité et pour un même foyer. Au sens le plus large, le terme complexepeut caractériser toute coexistence méthodologique ou ‘factuelle’ desdeux modalités. Illustrons sommairement la variété des stratégiesinterprétatives.

Si l’on dit un jour que cela est vrai, que l’on dit que cela est faux le lende-main et que l’on croit de nouveau le surlendemain, on peut parler: (1) d’unetransformation du vrai au faux et du faux au vrai si le temps de référenceest la semaine articulée en jours; si le temps de référence est la semaineentière, (2) de terme complexe; (3) de terme complexe à tendance positive;(4) de vrai, en négligeant le jugement minoritaire; (5) de vrai atténué, enrépercutant le faux sur l’intensité du vrai; etc. Faisons maintenant varier ladéfinition de l’unité, avec cette fois-ci des modalités thymiques: si l’on aimela tarte au pomme et simultanément que l’on hait la tarte à la crème, on yverra (1) deux unités affectées chacune d’une modalité ou (2) une seuleunité logée dans le terme complexe, la tarte en général (un type). Autreexemple, dans les philosophies chrétiennes, la mort est (1) soit positivedans son ensemble, (2) soit négative pour un aspect (comme fin de la vietemporelle, souvent dans la souffrance) et positive pour un autre (commeaccès à l’existence spirituelle, positive pour le juste). Le poème ‘Mors’ deVictor Hugo (Les contemplations), par exemple, illustre la deuxième voieavec sa chute contrastée, euphorique et spirituelle: ‘Tout était sous sespieds deuil, épouvante et nuit. / Derrière elle [la Faucheuse], le front baignéde douce flammes, / Un ange souriant portait la gerbe d’âmes.’

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Nous venons d’évoquer la question de l’intensité des évaluations enrelation avec le carré sémiotique. Quelques précisions. En principe, chaqueterme et métaterme d’un carré, thymique par exemple, est susceptibled’être affecté d’une marque d’intensité. Dans la citation suivante, encontexte ‘défendre’, on verra dans ‘indifférence absolue’ une forte intensitéappliquée à l’indifférence plutôt qu’une application universelle, en exten-sion, de cette attitude: ‘Et je ne possédais pas moi, comme Parapine, uneindifférence absolue pour me défendre.’ (Céline 1952: 431) Le problèmede l’intensité apparaît devoir être découplé de celui de la dominance.La dominance, susceptible de jouer uniquement pour les métatermes (dumoins abstraction faite de l’hypothèse tensive de Fontanille et Zilberberg),réside dans un déséquilibre pondéral entre les deux termes constitutifs dumétaterme. Il s’agit, si l’on veut, d’une intensité interne, à laquelle peutse superposer un quantificateur global. Si l’intensité interne de l’aphorieparaît égale pour les deux termes, il peut être utile de spécifier la phorieselon que l’euphorie ou la dysphorie prédomine. Par ailleurs, nous venonsde voir qu’une variation qualitative de la modalité peut être convertie eninscrivant une marque d’intensité inférieure. La variation quantitative dela modalité est aussi susceptible d’entraîner une variation qualitative:l’intensité ‘excessive’ associée à un terme le convertira en son termeopposé, phénomène modélisable par un continuum à seuil. Aux moinsdeux cas de figures se présentent: l’intensité ‘transférée’ vers le termeopposé y demeure grande (mais n’est plus excessive sinon il y aurait, enprincipe, nouvelle commutation) ou alors elle prend la plus petite valeurprévue sur l’échelle. Le premier cas semble s’appliquer à ce vers d’AlainGrandbois (dans Mailhot et Nepveu 1986: 180), où trop d’un élément enprincipe euphorique donne une dysphorie grande: ‘Il y avait ces trop bellesfemmes au front trop marqué de rubis’.

Relations entre mondes et entre unités

‘L’accessibilité15 entre mondes d’un même univers, écrit Rastier, pose desproblèmes délicats. En effet, dans chacun de ses mondes, un univers peutcontenir des unités qui sont soit des images voire des répliques d’unitéssituées dans d’autres univers.’ (1994: 181) Attaquons quelques-uns de cesproblèmes délicats tout en gardant à l’esprit que la stipulation du statut desunités n’apparaît pas toujours essentiel pour mener à bien une analysedialogique et qu’il vaut mieux laisser plus de portes ouvertes que de portesfermées prématurément. En particulier, d’autres statuts d’unités,procédant de critères légèrement ou totalement différents, pourraientintégrer l’inventaire actuel ou le redéfinir voire le remplacer.

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D’abord, construisons des définitions en termes de modalité, de mondeet d’univers pour les trois statuts d’unités: les unités ‘normales’, les images(i) et les répliques (r). L’image d’une unité est une autre unité obtenueen changeant sa modalisation (ontique dans le cas de la dialogique onto-véridictoire) et située dans un autre monde (du même univers ou d’unautre).16 Les répliques sont des unités modalisées de la même manière queles unités qu’elles copient dans un autre univers (cf. 1989: 84–85).

Ensuite, il faut se demander si les notions d’image et de répliquerecouvrent des relations symétriques. (1) Soit la réciproque existe toujours:alors ces notions reflètent simplement un point de vue, réversible, adoptédans la description et leur utilité est uniquement désignative, didactique. (2)Soit la relation est asymétrique: une unité est l’image ou la réplique d’uneautre sans que la réciproque existe (u1 U1 est une réplique ou une imagede u1 U2 et non l’inverse).17 Rastier semble prendre la seconde voie, quesuggèrent d’ailleurs les mots mêmes d’’image’ et de ‘réplique‘. Quoi qu’il ensoit, si l’on retient la seconde approche, il faut enfin expliciter les critèresdépartageant les unités normales de leurs répliques ou images pour stipulernotamment si deux univers peuvent compter la même unité sans que l’unesoit la réplique ou l’image de l’autre. Suggérerons simplement quelquesréponses.

La notion de réplique paraît s’appliquer sans difficulté à l’univers deréférence, dont elle manifeste le niveau descriptif différent qui est, selonnous, le sien: un univers de référence ainsi serait constitué pour l’essentielvoire uniquement de répliques. Les conditions de la présence possible derépliques dans les univers d’assomption devront être établies.

Pour Martin, il y a image dès qu’un univers est évoqué dans un univers:

‘On appellera image la représentation d’un univers dans le discours. Il y a imaged’univers dès lors que, épistémiquement, le locuteur renvoie, dans son discours, àun univers de croyance. (1) Il en est ainsi quand le locuteur évoque un hétéro-univers, que ce soit l’univers d’un énonciateur dont est rapporté le dire, la pensée oula croyance (Il affirme, il pense, il s’imagine . . . que p), ou que ce soit l’univers dulocuteur en un temps différent de celui de l’énonciation (Je pensais alors que p, jem’imaginais que p . . .). L’hétéro-univers est l’univers tel que, en to, le locuteur levoit; il est donc subordonné à l’univers actuel du je . . . . (2) Mais la notion d’imageest plus générale que celle d’hétéro-univers. Elle couvre toutes les modalitésépistémiques, y compris les cas où le locuteur décrit son propre univers actuel (U’je):Je crois que p, les cas où un modalisateur épistémique renvoie anonymement (Uon)au certain, au vraisemblable, au plaisible: Il est certain que p . . . La notion d’imagepeut s’étendre enfin à certains cas de contrefactuel. Une phrase négative n’a de sensque s’il y a avait lieu de penser (image d’univers) que le procès évoqué avait deschances de se réaliser. Si je dis que Pierre n’est pas là, c’est qu’il aurait pu se fairequ’il soit là, qu’on pouvait le penser. Les mondes contrefactuels (du moins quand ilsne sont pas ‘essentiellement contrefactuels’) sont donc des mondes qui étaient

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possibles mais que je ne considère plus comme tels. Au fil du temps, ce qui estpossible soit se réalise, soit devient contrefactuel et tombe, épistémiquement, dansune image d’univers.’ (Martin 1987: 19–21, cf. aussi 65 et 172)

REMARQUE: D’un point de vue pratique, noter le statut des unités imagespermet de représenter ensemble les croyances actuelles et révolues d’un mêmeunivers, même si on dispose pour ce faire d’autres recours plus polyvalents (parexemple, ajouter un indicateur temporel stipulant le temps de validitié de chaqueproposition).

Détaillons la fonction des mondes contrefactuel et possible et, parvoie de conséquence, celle du monde factuel. Pour simplifier, il ne sera pastenu compte du statut des unités. Le monde contrefactuel semble serviressentiellement, voire exclusivement, dans les conflits de croyances, suiviséventuellement de conversions, et dans certaines formes de mensonges. Cesprocessus dialogiques reposent sur des disparités quant à la formulation del’unité et/ou sa modalisation (incluant l’intensité).

Distinguons les phases d’apparition, de maintien et de disparition desconsensus et conflits évaluatifs (en incluant les consensus et conflits decroyance, onto-véridictoires). La possibilité d’un conflit de croyance surgituniquement dans une norme, fût-elle jugée erronée par une autre instance,d’unicité de l’adéquation (un relativiste jugera également valables toutes lescroyances opposées entre elles par un absolutiste, lequel élira telle croyancecomme étant la bonne). Un conflit de croyances possède une dimensioninterne et/ou externe et fonctionne sur le mode actif ou passif. La dimen-sion externe apparaît seulement si le conflit implique plusieurs acteurs. Ladimension interne est toujours présente. Dans sa dimension interne, laprésence d’un conflit actif est notée par introduction (ou actualisation oumise en saillance, si l’on considère que les propositions y figurent déjàimplicitement), dans le monde contrefactuel de l’acteur ou des acteursimpliqués, des propositions adverses avec leur modalité véridictoire. Pourchaque acteur impliqué, le conflit se résorbe vers un consensus par la con-version totale ou partielle, unilatérale ou réciproque (ironiquement, parfoistotale et réciproque) ou par le passage vers un système de non-exclusionmutuelle. S’il ne se résorbe pas, c’est que le maintien de croyances ou dusystème exclusif est intégral. Un principe d’inertie des croyances ou devolatilité des croyances peut jouer. La citation suivante fait état de lavolatilité des croyances des acteurs impliqués: ‘Nous étions cinq ou sixamis, tous hommes d’études, tous des esprits ‘ouverts à la conviction’,comme on dit en anglais, et sans hostilité préconçue contre ce qui, de primeabord, semble paradoxal dans les prétentions de ceux qui veulent imprimerà la science une nouvelle direction.’ (Fréchette 1996: 67) À l’opposé, noustrouvons ici un rude cas d’inertie des croyances: ‘Il n’y avait dans sa vie

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intérieure [Mme Herote] aucune place pour le doute et encore moins pourla vérité’ (Céline, 1952: 76). Dans la conversion, les propositions antéri-eurement dans le monde contrefactuel passent avec leur modalitévéridictoire dans le monde factuel; les croyances révolues passent avec leurmodalité véridictoire dans le monde contrefactuel où elles seront éventuel-lement virtualisées ou neutralisées ou dont elles finiront par disparaître. Laconversion peut comporter un moment intermédiaire où les propositionspassent au possible. D’un point de vue pratique, on se réservera la possi-bilité d’user de quelques simplifications (on abandonnera les propositionscontrefactuelles aussitôt le conflit résorbé, on procédera par introductionet disparition de propositions plutôt que par actualisation/virtualisation,etc.). Les conflits possèdent différents degrés (par exemple, la dissonnanceentre modalités est généralement plus ‘grave’ que celle entre intensités) etpeuvent être connus de toutes les parties impliquées ou de plusieurs, d’une,d’aucune d’entre elles (par exemple, Paul sait que Marie et André, qui ne seconnaissent pas, n’ont pas les mêmes valeurs ou Paul découvre que Marie atort, mais il ne l’en informe pas).

Présenter comme factuel son monde contrefactuel (et réciproquement)constitue un mensonge typique (par exemple, après sa rétractation, Galiléese serait écrié à part soi: ‘Et pourtant elle se meut!’ qui révèle son véritablemonde factuel). Une typologie des conflits de croyance, conversions etmensonges reste à dresser, en fonction notamment des mondes, des moda-lités ontiques et véridictoires et de la composition des unités impliquées. Parexemple, un mensonge consistera à présenter comme factuel son monde dupossible ou vice-versa (sans intervention, semble-t-il, du monde contre-factuel), un autre à présenter une proposition tout en en visant une autre(dans les restrictions mentales, par exemple),18 etc.

Glissons quelques mots sur l’accessibilité entre le monde du possible etles autres mondes. Le possible appelle un temps ultérieur, qui adviendraou non, celui de la confirmation ou de l’infirmation. Ces deux processuspeuvent être décrits dialogiquement de différentes façons, plus ou moinscomplexes, selon que les unités du monde possible sont marquées véri-dictoirement ou non, qu’elles connaissent des versions négatives (~u), quel’on fait intervenir uniquement l’un des deux autres mondes (en général lemonde factuel) ou les deux. Par exemple, dans la confirmation, l’unité dumonde possible devient une unité du monde factuel marquée du vrai et uneunité du monde contrefactuel marquée du faux. La négation de l’unité(~u) du monde possible connaît les transformations inverses. Dansl’infirmation, l’unité du monde possible devient une unité du monde factuelmarquée du faux et une unité du monde contrefactuel marquée du vrai. Lanégation de l’unité (~u) du monde possible connaît les transformationsinverses. En maintenant la description au plus simple, la confirmation a

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pour effet de déplacer la proposition du monde du possible au mondefactuel en la marquant du vrai, l’infirmation de la déplacer vers le mondefactuel en la marquant du faux.

Quelques mots aussi sur les relations entre unités dialogiques. Cesrelations débordent la question de l’accessibilité entre mondes puisqu’ellesincluent les relations intramondaines. Deux unités identiques, équivalentesou différentes peuvent être dialogiquement liées. Par exemple: si p est vrai,alors q est faux (par exemple: si 2 + 2 = 4 est vrai, alors 2 + 2 = 5 est faux); sip est vrai dans le monde factuel, alors il est faux s’il se trouve dans le mondecontrefactuel (par exemple: si 2 + 2 = 4 est vrai et factuel, alors il est fauxs’il se trouve dans le monde contrefactuel). Les règles de liaison (présup-position, implication, exclusion, compatibilité, etc.) ne valent pas a priorimais dépendent des genres et des textes étudiés.

Pour illustrer les relations entre unités, prenons 1984 de George Orwell(1950: 353 et sq.). Avant sa conversion, Winston croit que 2 + 2 = 4 est vrai,et que toutes les autres réponses sont fausses [‘Quatre, Quatre que puis-jedire d’autre?’ (1950: 353)]. Parmi ces réponses fausses, certaines sontexplicites, celles présentées par O’Brien, en particulier 2 + 2 = 5. Sous latorture, Winston feint de croire O’Brien. Autrement dit, il présente pourfactuel son monde contrefactuel. O’Brien n’en est pas dupe [‘Cinq! Cinq!— Non, Winston, c’est inutile. Vous mentez.’ (1950: 354)] et le soumet ausupplice jusqu’à ce que son monde factuel contienne bien, quelques instantsfugaces, la proposition litigieuse marquée du vrai, laquelle passera ensuitedans son monde du possible et sera répliquée dans cette modalité au sein del’univers de référence du texte [‘Et il les vit, pendant une minute fugitive . . .Il vit cinq doigts et il n’y avait aucune déformation . . . —Vous voyezmaintenant, dit O’Brien, qu’en tout cas c’est possible.’ (1950: 364)]. Dansune étape intermédiaire, les propositions deviennent indécidables pourWinston [‘Quatre, cinq, six, en toute honnêteté, je ne sais pas. — Mieux, ditO’Brien.’ (1950: 356)]. O’Brien affiche clairement le caractère arbitraire dela proposition soumise à Winston et son monde du possible contient lespropositions vraies 2 + 2 = 3, 2 + 2 = 4, etc. Pour O’Brien, l’une ou l’autrede ces propositions est susceptible de quitter le monde du possible et defigurer comme vraie dans le monde factuel, plusieurs pourront même y êtrevraies en même temps [‘Deux et deux font quatre. — Parfois, Winston.Parfois ils font trois. Parfois ils font tout à la fois’ (1950: 354)]. En définitiveserait vrai pour O’Brien et pour Winston converti ce qui est simplementprésenté tel par O’Brien ou l’organisation, indépendamment du contenudes propositions [dans cette minute fugitive, ‘chaque nouvelle suggestionde O’Brien comblait un espace vide et devenait une vérité absolue, alors quedeux et deux aurait pu faire trois aussi bien que cinq si cela avait éténécessaire’ (1950: 364)].19

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En résumé, les mondes peuvent être dits à la fois limités dans leurnombre, ouverts dans leurs modalités et finis dans leur constitution.Puisque les langues et les textes ne sont pas soumis a priori aux principes del’identité, du tiers-exclu et de la non-contradiction, dans un même universet pour un même intervalle de temps dialectique (temps de l’histoireracontée), on peut trouver la même unité affectée de modalités incom-patibles (par exemple: u1 V et u1 F et u1 IND.; u2i V et u2i F; etc.) (Rastier1989: 84); pour sauvegarder ces principes, la théorie des modèles, quant àelle, a dû créer une infinité de mondes possibles.20 Ainsi, le doute d’Othello:‘Je crois que ma femme est honnête et crois qu’elle ne l’est pas; je crois quetu [Iago] est probe et crois que tu ne l’es pas; je veux avoir quelquepreuve.’ (Shakespeare, Othello) s’interprète de plusieurs manières (commerésumé d’une oscillation modale, indécidabilité, inclusion dans le monde dupossible, etc.), y compris en termes d’incompatibilité modale. Dans lasémantique interprétative, les mondes sont donc ouverts parce que lamodalité de leurs unités peut être indéfinie ou inconsistante (Rastier 1989:84).21 De plus, les mondes d’un même univers peuvent ne pas êtreaccessibles entre eux (par exemple, une proposition vraie dans le mondecontrefactuel n’est pas nécessairement fausse dans le monde factuel: ‘il peutne pas y compter d’image ou la dénotation de son image peut y êtreindécidable’22 (Rastier 1989: 84). Ces mondes sont finis, du moins pour uneinterprétation donnée, ‘mais le nombre des graphes que les interprétationscréent par inférence n’est ni fixe ni prévisible.’ (Rastier 1989: 84). Enfin, ladescription des mondes, comme des univers, peut être statique oudynamique. En effet, à chaque intervalle de temps dialectique, leur contenupeut se modifier par le changement de modalité, de statut d’une unité ou lasortie, l’entrée ou la transformation d’une unité23. La transposition endialogique des concepts d’actualisation et de virtualisation, voire de miseen saillance et de neutralisation, permet d’affiner la description en sortantdes alternatives unité présente/absente et introduite/évacuée.

Univers d’assomption, univers de référence

On distinguera deux types d’univers: l’univers de référence (Ur) et l’universd’assomption (U). Tous les univers, hormis l’univers de référence, sont desunivers d’assomption (Rastier 1987: 198).24 Un univers d’assomption estainsi la ‘partie d’un univers sémantique composée des propositionsattribuées à un acteur de l’énoncé ou de l’énonciation représentée.’ (Rastieret al. 1994: 224) Pour déterminer quelles propositions sont assumées par unacteur (ou par un foyer énonciatif), on doit tenir compte:

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‘(1) des signes démarcatifs prosodiques ou graphiques (par exemple, guillemets,italiques, changements de ton). (2) Des marques de l’énonciation représentée:anaphoriques, déictiques, temps, modes, aspects, évaluations inhérentes au lexique,bref, tout ce qui renvoie directement ou indirectement à un ego, et à hic et nunc. (3)Des inférences conformes aux topoï du texte ou compatibles avec eux, et opéréessur les propositions déjà assumées par l’acteur; des inférences plausibles à partir deses rôles dialectiques; des inférences à partir des propositions assumées par d’autresacteurs mais attribuées à l’acteur étudié (sans pour autant qu’elles aient desrépliques dans son univers).’ (Rastier 1989: 88)

Une unité peut ne pas disposer d’un site d’assomption localisable ou êtresituée simultanément (en partie ou en totalité) dans différents univers (cf.les propositions en prétendu ‘style indirect libre‘) (Rastier 1989: 88). Parexemple, dans le syntagme contradictoire une bonne mauvaise action, l’unitéaction est affectée dans deux univers avec, dans chacun, une valeurdifférente (d’autres syntagmes du même type peuvent peuvent simplementrefléter l’ambivalence thymique d’un même acteur).

Abordons la question délicate de l’univers de référence et soumettonsquelques hypothèses. Les quelques principes qui suivent sont sujets àcaution. Nous dirons que tout texte comporte un univers de référence,fût-il entièrement contradictoire ou formé seulement de propositionsindécidables (cas dont s’approche À chacun sa vérité de Pirandello). Il fautégalement clarifier les relations comparatives entre l’univers de référence etles univers d’assomption. Elles touchent les unités, leur statut et leursmodalités. Toute proposition d’un univers d’assomption devient uneréplique si elle figure dans l’univers de référence; par ailleurs, toute propo-sition d’un univers de référence n’a peut-être pas nécessairement le statut deréplique; autrement dit, ce type d’univers pourrait avoir ses unités propres.La modalisation affectant une unité dans l’univers de référence peut ne pascorrespondre avec celle affectant la même unité dans un univers assomptif.Il arrivera que l’univers de référence soit identique, à l’exception du statutdes unités, à un univers d’assomption, par exemple celui de l’énonciationreprésentée (narrateur-personnage), auquel il est associé par défaut. Enfin,à défaut de pouvoir démêler davantage pour l’instant l’écheveau desrelations entre univers assomptifs et univers de référence, réservons lapossibilité qu’un univers de référence contredise l’univers du narrateur dudernier niveau (celui qui enchâsse les narrations des niveaux inférieurs s’ilss’en trouvent) .

Comme chaque unité de l’univers de référence est marquée d’une ou deplusieurs modalités de référence, ce type d’univers permet de stipuler, endernière analyse, l’adéquation modale (notamment onto-véridictoire) desunités de tous les autres univers (Rastier et al. 1994: 181). Autrement dit,

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l’adéquation d’une unité modalisée est susceptible d’être évaluée de troismanières: (1) dans son univers; (2) relativement à ses répliques ou imagesdans les autres univers d’assomption (qui deviennent alors en quelque sortedes univers de référence relatifs); (3) dans l’univers de référence (Rastier1989: 85).

Nous élargirons, sans pouvoir détailler, la typologie des univers en causedans cette chaîne de relativité des croyances, sur la base de la position del’acteur dans la ‘chaîne de communication littéraire’: auteur empirique,auteur inféré, narrateur (représenté ou non), acteurs autres (‘personna-ges’), narrataire (représenté ou non), lecteur inféré, lecteur empirique.Nous avons utilisé ‘inféré’ plutôt que ‘représenté’ pour distinguer, parexemple, l’auteur tel qu’il nous apparaît à travers la lecture de son texte del’auteur éventuellement représenté en tant que personnage (évidemment,l’auteur représenté nourrit l’auteur inféré). L’auteur et le lecteur inféréssont à distinguer, respectivement, du narrateur et du narrataire représentésou non-(thématisés comme ‘personnages’). Ils constituent une instanceintermédiaire entre ceux-ci et l’auteur et le lecteur empiriques (personneshistoriques). Évidemment, les instances auteur et lecteur empiriquessortent de l’immanence élargie à laquelle se confine généralement lasémantique interprétative, tandis que le statut des instances auteur etlecteur inférés demeure à définir à cet égard. Là comme ailleurs, des disso-nances dialogiques sont susceptibles de se faire jour, par exemple, entrel’auteur inféré et l’auteur réel, le lecteur inféré et le lecteur empirique.L’univers de référence est interne au texte et n’est pas donc pas ce qu’onpourrait appeler l’univers de la référence ni un quelque autre type d’universmondain. Ainsi dans les textes d’’aveux’ des purges staliniennes ou del’Inquisition, l’univers de référence du texte ne correspond que peu avecl’univers de croyance du signataire. La publicité nous offre aussi, mal-heureusement, d’excellents exemples de dissonance entre ces deux typesd’univers (par exemple, un texte publicitaire vante les mérites d’un produitconnu comme médiocre par l’émetteur). Nous ajouterons également ànotre typologie les ‘acteurs abstraits’ associés aux systèmes à l’œuvre dansun texte littéraire, soit le dialecte (la langue fonctionnelle), le sociolecte(usage particulier d’un dialecte) et l’idiolecte (usage particulier d’unsociolecte). Des comparaisons interdialectales, intersociolectales, et inter-idiolectales sont possibles (par exemple, dans une étude de l’influence d’unauteur sur un autre). Enfin, on pourra intégrer des acteurs et universproprement hors immanence: univers d’un groupe social, d’une culture,voire du ‘réel’ (conçu ou non comme indépendant d’une culture).

Par ailleurs, sans pouvoir développer cette autre importante question,nous proposons de distinguer entre l’acteur auquel la proposition

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dialogique est rapportée et l’acteur dont cette proposition relève endéfinitive. La proposition du premier acteur constitue une réplique de celledu second, et cette réplication est sentie comme telle. Ainsi, les évaluationsdysphoriques du narrateur baudelairien portant sur ‘spleen’, ‘femme’ et‘nature’ en réalité relèvent, respectivement, du dialecte du sociolecte et del’idiolecte: le spleen, par définition, est péjoratif en langue; la dévalorisationde la femme est courante à l’époque notamment dans le discours littéraire;celle de la nature est plus originale. Le topos du poète injustement méprisé,qu’on retrouve chez Baudelaire, Hugo et bien d’autres, constitue un autrecas de configuration évaluative sociolectale (pour une étude, voir Hébert2000b). Autre exemple, cette fois-ci externe aux trois systèmes lingui-stiques: dans un ‘J’aime les hamburgers’ confessé par un Américainreprésenté, on pourra voir l’œuvre d’un acteur-type, représenté ou non,interne au texte ou non, à savoir l’Américain moyen. Cette hétéropaternitéd’une proposition peut-être fortement thématisée, ce sera, par exemple, unacteur qui fait sienne toute proposition dialogique émanant d’un acteurdisposant sur lui d’une forte ascendance (par exemple, O’Brien pourWinston dans 1984). Dans le cas des propositions thymiques, il faudraégalement tenir compte du foyer onto-véridictoire associé à l’évaluationthymique proprement dite. Par exemple, tel analyste (acteur de l’évaluationonto-véridictoire) affirmera (sans grand risque) que la nature est (globale-ment) positive pour Hugo (acteur de l’évaluation) conformément à latopique sociolectale (acteur de l’évaluation) du poème romantique.

Comme tous les univers, l’univers de référence sera décrit dyna-miquement ou statiquement. Cependant, généralement on l’envisagestatiquement et tel qu’il est constitué dans le dernier intervalle de tempstextuel. L’adéquation des modalités des propositions des univers assom-ptifs, même dans les autres intervalles textuels, s’établit alors en fonction decet univers de référence final.

Dans cette perspective relativiste, une proposition est modalisée adéqua-tement simplement si elle est modalisée pareillement dans l’univers étalon,fût-elle absente ou modalisée autrement dans tous les autres univers.

REMARQUE: L’abandon de la conception ‘tarskienne’ de la vérité, ou pluslargement de l’adéquation, passe par la subjectivité de chaque univers (‘est vrai ceque le locuteur ou l’acteur donne pour vrai’) et aboutit à l’analycité de l’univers deréférence (‘est vrai ce que tous les locuteurs ou acteurs tiennent pour vrai’ ou,dirions-nous, ‘est vrai ce que le locuteur ou l’acteur prévalent dans ce cas tient pourvrai’). (cf. Martin 1987: 172)

Les normes conditionnant l’inclusion d’une proposition dans l’universde référence et la stipulation de sa modalité demeurent à détailler.

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Naturellement, une proposition incluse et modalisée pareillement danstous les univers d’assomption figure généralement dans l’univers deréférence et avec cette modalité.25 Ainsi, en simplifiant, Rastier (1989: 85)considère que la proposition Don Juan fait le mal, présente dans ElBurlador de Sevilla, est vraie dans tous les univers, puisque victimes etabuseur en conviennent (acte III, v. 109). Cependant, cette condition n’estpas nécessaire. Dans le Dom Juan de Molière, la proposition Dom Juan etSganarelle subissent un naufrage est vraie — bien que non incluse dans tousles univers — et ce, parce que Dom Juan et Sganarelle en conviennent (acteII, sc. 2) et qu’ils correspondent à des agonistes opposés. Par contre, ‘Lenaufrage est un signe du Ciel est [. . .] une proposition vraie dans l’universde Sganarelle, indécidable ou fausse dans celui de Dom Juan, etindécidable dans l’univers de référence’ (1989: 86).

Relations entre univers

Il nous semble qu’il faut, au moins méthodologiquement, distinguer deuxtypes de relations entre univers d’un même texte: (1) les relationscomparatives (identité stricte, équivalence forte ou faible, altérité stricte)touchant la composition des univers (nombre et types de monde, unitésproprement dites, statut et modalités des unités) et (2) les relationshiérarchiques (inclusion, intersection, autonomie, etc.).26 Une relationd’identité stricte, en théorie du moins, peut s’établir entre univers. En deça,deux univers peuvent posséder exactement la même composition, sauf en cequi concerne le type des unités. Cette relation est notamment possible entreun univers d’assomption et l’univers de référence. Cependant, d’un point devue hiérarchique, un univers n’est pas inclusif simplement parce qu’unepartie de ses unités correspondent exactement à la totalité des unités d’unautre univers.27

Nous avons étudié plus haut les relations d’accessibilité entre universd’un même rang hiérarchique (principalement dans notre réflexion sur lesmondes contrefactuel et possible et dans notre analyse de 1984). Disonsquelques mots de l’accessibilité entre univers de rangs hiérarchiquesdifférents. Un univers peut être inclus entièrement dans un autre, dans lacitation (même si tout l’univers du texte cité n’est pas restitué ou restituablepar la citation), les enchâssements narratifs et d’autres formes de convoca-tion d’univers. Ainsi, dans ‘L’histoire du petit bossu’ (Les mille et unenuits), les univers des acteurs suivants s’emboîtent les uns dans les autres:troisième frère du barbier de Bagdad, barbier, tailleur, Schéhérazade,narrateur (Rastier 1989: 85). Dans ‘La fausse monnaie’ de Baudelaire (Le

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spleen de Paris), le narrateur évoque la possibilité qu’un quelconquecabaretier ou boulanger ne soit pas dupe de la contrefaçon; l’univers de cequidam perspicace, constitué pour l’essentiel de la proposition La pièce estfausse, est alors entièrement inclus dans celui du narrateur.

Une présomption règle, par défaut, l’accessibilité entre univershiérarchiquement ordonnés: ‘L’univers de référence inclusif est présumécohérent avec l’univers de référence inclus’ (Rastier 1989: 86–87). Parexemple, en vertu du contrat de véridiction dans les enchâssements narratifs(dont en général seule la rupture met au grand jour l’existence), noussavons que le personnage Bakbac est véritablement aveugle (malgré cequ’en dit le voleur) parce que le narrateur immédiat, le barbier, l’affirmesans être démenti par aucun des narrateurs de rang supérieur (Rastier1989: 86–87). Divers procédés conventionnels permettent de suspendrel’application de la présomption de cohérence et d’imposer une nouvellemodalisation: par exemple, dans la réfutation scientifique, l’emploi duconditionnel, de verbes épistémiques, etc. (Selon Galilée, la terre semouvrait. Il croit que . . .)

Rastier évoque succinctement les groupes d’univers, ou galaxies, quiconstituent une autre des relations possibles entre univers. Les galaxiesréunissent généralement des acteurs subsumés par un même agoniste etpeuvent, à l’instar des univers et des mondes, connaître des transforma-tions: ‘un univers peut par exemple se modifier jusqu’à passer d’un groupeà l’autre. Ici, la dialogique s’articule au niveau agonistique de ladialectique — et non plus seulement à son niveau événementiel.’ (Rastier1989: 89). Il faudra préciser la nature des galaxies et les conditions de leurformation.

Enfin, la problématique des univers totalement ou partiellementinclusifs recoupe celle, non moins redoutable, des relations entre lesunivers desinstances idiolectales et sociolectales. En effet, une unitédialogique et sa modalisation sont susceptibles de correspondre à cellesd’une instance sociolectale telle qu’elle se manifeste dans un lexique (lestermes mélioratifs et péjoratifs, par exemple) ou dans une topique donnée(l’ensemble des lieux communs associés à un genre). Ainsi, dans l’universde référence d’un texte agriculturiste conforme, le premier terme des oppo-sitions terre/ville, tradition/changement, etc., est positif, le second négatif(cf. Maria Chapdelaine de Louis Hémon).

Relations entre univers et acteurs

Un univers est associé soit à un acteur, soit à un foyer énonciatif Toutacteur est situé dans au moins un univers, fût-ce par défaut. Tout univers et

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L’analyse des modalités véridictoires et thymiques 283

tout monde sont relatifs à au moins un acteur. Cependant, tout acteur nedispose pas d’un univers propre. Les acteurs dépourvus d’univers proprespeuvent être situés dans l’univers d’autres acteurs sans que la réciproquesoit vraie (par exemple, dans un enchâssement narratif ou une citation).

D’autre part, plusieurs acteurs peuvent être associés à des univers identi-ques ou analogues. Prenons les célèbres et inénarrables Dupont et Dupondde Hergé, dont les propositions sont pour l’essentiel analogues lorsqu’ellesne sont pas identiques.28 Des opérations d’assimilation ou de dissimilationappliquées à ces acteurs et à leur univers donnent les possibilités inter-prétatives suivantes: un acteur/un univers, deux acteurs/deux univers etdeux acteurs/un univers.

Temps, transformations, changements et rythmes dialogiques

Élargissons la notion de temps par la notion de temporalité. Des corré-lations seront établies entre les évaluations dialogiques et les diversestemporalités suivantes, sans exclusive (on pourrait ainsi inclure la temps del’Histoire, nécessaire en diachronie): 1. temporalité de la tactique dusignifiant (positions linéaires des signifiants); 2. temporalité de la tactiquedu signifié (positions linéaires des signifiés); 3. temporalité dialectique(temps de l’histoire racontée). Les corrélations permettent d’étudierrythmes (entendus comme phénomènes de retour du même) et variationsnon rythmiques. Par exemple, les variations de sèmes évaluatifs peuventêtre envisagées d’un point de vue rythmique, s’il y a retour d’une concentra-tion identique ou similaire, ou non rythmique, s’il n’y a pas retour dumême ou si par réduction méthodologique on ne veut en tenir compte.

REMARQUE: La tactique du contenu entretient certes des liens étroits avec latactique de l’expression, mais elle ne se confond avec elle à aucun palier (Rastier,1989: 95). Par exemple, aux paliers inférieurs, on trouve des morphèmes à signifiantzéro, qui partagent en syncrétisme une même position tactique; on trouveégalement des ellipses. Au palier textuel, on note la présence d’unités à manifesta-tion discontinue, comme les isotopies ou les séquences. Au surplus, il est impossibled’assigner une position tactique précise à certaines unités de tout palier qui sontrestituées par des inférences (cf. la théorie aristotélicienne des enthymèmes ousyllogismes incomplets).

La segmentation temporale peut reposer sur différents critères. Dans uneanalyse onto-véridictoire, le critère de délimitation des intervallestemporels le plus pertinent est celui des modifications d’une ou plusieurscroyances repères (par exemple, l’intervalle de temps T1 durera jusqu’à cequ’une modification de la croyance repère lance l’intervalle T2).29 Il sera

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évidemment possible d’établir des relations entre cette segmentationtemporelle et une autre segmentation opérée sur la base d’un autre critère:le temps au sens habituel (par exemple, l’intervalle de croyance T1 durerade lundi à mercredi; T2, de mercredi midi à jeudi soir), les actions (parexemple, T1 durera de l’action 1 au début de l’action 3; T2, du milieu del’action 3 à l’action 7) ou, dans une pièce de théâtre, les scènes, etc.

Distinguons entre les transformations (par exemple: u1 ⇒ u1’) et leschangements (par exemple: évaluation indécidée d évaluation euphori-que). Par exemple, le passage de l’évaluation positive d’un élément à sonévaluation négative est un changement, tandis que si l’unité évaluée oul’évaluateur sont modifiés dans leur composition (avec ou non unchangement de la ou des modalités en cause), nous parlerons de transfor-mation en ce qui les concerne. Ainsi, l’ajout d’un sème /vinaigré/ à l’unité‘vin’, à la faveur du passage du temps dialectique (temps de l’histoireracontée), qui constitue une transformation de cette unité, pourra, pour unmême acteur évaluateur, changer l’évaluation de cette unité de positive ànégative.

Les rythmes seront considérés ici de façon traditionnelle, en tant qu’ilsreposent sur le retour d’un même élément. L’inventaire des patronsrythmiques généraux est assurément riche. Il convient de distinguer (1)le nombre d’unités assemblées (structures paires, impaires; binaires,ternaires; etc.); (2) le nombre d’unités susceptibles d’occuper chaque posi-tion (par exemple, deux dans le chiasme); (3) l’organisation du patron (parexemple, les rythmes quaternaires à double valeur peuvent être embrassés,croisés ou suivis (plats), les rythmes peuvent être cycliques ou non, etc.);(5) le type d’unités sémantiques en cause (sèmes, types et statuts de sèmes,univers, modalités, acteurs, etc.) et (6) les unités effectivement impliquées(tel sème, tel acteur, etc.). Les rythmes dialogiques, en particulier thymi-ques, reposent sur le retour d’un même élément dialogique quel qu’il soit,la modalité (qualitative), par exemple, mais également l’intensité, l’unité,le type d’unités évaluées, etc. Ce que Rastier nomme rythme thymiqueporte uniquement sur la dimension qualitative de la modalité. Ainsi lesémanticien (1990: 26) trouve un chiasme évaluatif de type + − − + dans lanotation de Julien Gracq (Lettrines, II): ‘Écrivain ou plumitif, percheronou pur-sang.’ Si ‘Écrivain’ et ‘percheron’ sont, à l’inverse de ‘plumitif’et ‘pur-sang’, neutres en langue, dans ce contexte ils reçoivent,respectivement, un sème (afférent) mélioratif et péjoratif.

Configurations dialogiques

Une configuration dialogique met en cause au moins deux évaluationsdialogiques liées, qu’elles soient situées ou non dans le même intervalletemporal (on ne peut parler de syntagme, stéréotypé ou non, que lorsque

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L’analyse des modalités véridictoires et thymiques 285

deux évaluations ou plus occupent des positions temporales en successionimmédiate). Le conflit ou consensus dialogique minimal est triangulaire etimplique deux évaluateurs et une même unité évaluée. Une forme de conflitthymique courante constitue un ‘carré’: à chaque acteur évaluateur corre-spond une unité ou un type d’unités productives euphorique pour lui maisdysphorique pour l’autre, tandis que chaque acteur évalue positivementsoi-même et sa propre compétence évaluative (et productive, s’il estl’auteur de l’unité évaluée) et négativement l’autre et sa compétence. Parexemple, ce conflit est celui qui, thématisé ou réel, met en cause,respectivement, unités kitsch (par exemple, les chromos) et non kitsch (parexemple, le grand Art), évaluateurs sacrifiant au kitsch et évaluateurspréférant le non-kitsch.

Le tableau 2 présente quelques-unes des combinaisons les plus signi-ficatives des principaux facteurs thymiques, dont la liste figure à la suite.30

Les exemples donnés sont de différentes natures: phraséologies, citationset évocations de textes littéraires. Des tableaux similaires peuvent êtrecomposés pour les autres types de modalités. Ces tableaux permettentde représenter aisément des configurations dialogiques attestées ousimplement prévisibles.

Un cas d’interaction dialectique-dialogique: les fonctions de rétribution etde sanction

Les structures dialectiques impliquent souvent des anticipations concer-nant les fonctions de rétribution et de sanction.31 Elles convoquent donc ladialogique onto-véridictoire et la dialogique thymique, où prennent formedes transactions entre différentes euphories/dysphories. Par exemple, dansles épreuves et tous les parcours initiatiques, un acteur pourra acceptervolontairement d’être conjoint à une unité dysphorique en vue d’obtenirune unité euphorique d’intensité thymique supérieure à la première.32

REMARQUE: Les calculs transactionnels représentés ou réels prennent en compteplusieurs facteurs. J. Bentham (1748–1832), fondateur de l’utilitarisme moral,suggère que la hiérarchie des plaisirs (réels) est le résultat d’un calcul différentiel àpartir de quatre paramètres: l’intensité, la durée, le certain ou l’incertain, laproximité ou l’éloignement. Il y ajoute les facteurs de la fécondité (la capacitéd’engendrer des plaisirs additionnels) et la pureté (la capacité à prévenir le déplaisiréventuel). Au palier collectif, il prend en compte également le facteur dit ‘d’étendue’,en vertu duquel ‘la valeur de l’acte se trouve accrue par l’extension du plaisir au plusgrand nombre’ (Resweber 1992: 79) Ajoutons un facteur relatif au type de plaisir(par exemple, pragmatique/cognitif, etc.). Ici, comme ailleurs, notre objectif n’est

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286 L. Hébert

Évaluation 1 Évaluation 2

Formulation Exempleabstraite textuel Acteur Modalité Unité Unité Modalité Acteur

1 Pour une même Swann A + u u ~� A’unité évaluée, qui n’aime oul’évaluateur plus Odette −modifie son (Proust)évaluation (icil’acteur estmodifié)

2 Deux unités Nul n’est A1 + u u − A2identiques prophète ouvalorisées en son pays ~�différemmentselon le contextelocatif (iciconsidéré commeexterne à l’unité)

3 Conflit classique Le malheur A1 + u u − A2entre deux des unsévaluateurs fait le bonheur

des autres,‘une mauvaisebonne action’(Balzac, Lacousine Bette)

4 Accord classique Le fromage, A1 + u u + A2pour le renardet le corbeau(La Fontaine)

5 Intensités Autant Ophélie A1 +↑ u u −↑ A2identiques aimait Hamlet,mais valeurs autant Laërteopposées, donc le hait — avantconsensus sur son repentirl’importance de final — commel’unité évaluée responsable

de la mortde son pèreet de sa soeur(Shakespeare)

6 L’unité est Colin aime A + u u’ + Amodifiée mais toujourspas sa modalité Chloé mêmethymique au comble de la

décrépitude decette dernière(Vian, L’écumedes jours)

Tableau 2. Configurations thymiques fréquentes

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L’analyse des modalités véridictoires et thymiques 287

7 Une unité change ‘Tu t’laisses A + u u’ − Aet est valorisée aller’différemment (Aznavour)

8 La constitution Tartufe, A + u u’ − Ade l’unité faux dévotest modifiée démasquéen tenant compte (Molière)d’un changementde modalitéonto-véridictoireet la valorisationchange

9 Ambivalence: ‘Car il n’a pu A � umodalités trouver, suropposées cette terre, /accordées Qu’un bonheur:simultanément celui de pleurer’par le même (Le Gascon,évaluateur pseudonyme

d’un patriotecanadien-françaisanonyme).‘On passeson temps àtuer ou à adoreren ce mondeet cela toutensemble.‘Je te hais!Je t’adore!’’(Céline)

10 Les unités sont Changer un A +↓ u1 u2 +↓ Amodalement dollar pouridentiques quatre 25 centsdonc, à cet égard, (au Québec) ouparfaitement Blanc bonnet,interchangeables bonnet blanc(la valeur varieen fonction desunités visées, icifaible euphorie)

11 La modalité du La rose et A + uT up − Atout représenté ses épines dans

Évaluation 1 Évaluation 2

Formulation Exempleabstraite textuel Acteur Modalité Unité Unité Modalité Acteur

Tableau 2. (Continued)

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288 L. Hébert

A: acteur évaluateur (ou foyer)a: acteur évalué ou u: unité évaluée↓↓↓↓↓: faible intensité↑↑↑↑↑: forte intensitéø: indécidé (non évalué ou non encore évalué)#: indécidable‘: élément transformé+: euphorie (positif)−−−−−: dysphorie (négatif)�����: phorie (positif et négatif)+−−−−−: phorie avec dominance du positif−−−−−+: phorie avec dominance du négatif~�����: aphorie (ni positif ni négatif)T: tout (représenté)p: partie (représentée)t: type (représenté)o: occurrence (représentée)

n’est pas Le petit princeidentique (Saint-à celle d’une Exupéry)partie donnée

12 Un évaluateur- Les hommes At +↑ uttype valorise une préfèrent lesunité-type (selon blondesl’énonciateur,dans l’exemple)

13 Dévalorisation Le bon curé qui A − ut uo + Ade la classe mais trouve grâcevalorisation d’un aux yeux desélément de cette ‘anticléricauxclasse fanatiques’

dans ‘La messeau pendu’(Brassens)

14 Évaluation ‘Je prendrais le A ~� uneutre (avec large ni tristela modalité ni gai, commedu possible, un animal, sansdans l’exemple) savoir ce que

j’auraispu perdre’(Tit-Coq,GratienGélinas)

Évaluation 1 Évaluation 2

Formulation Exempleabstraite textuel Acteur Modalité Unité Unité Modalité Acteur

Tableau 2. (Continued)

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L’analyse des modalités véridictoires et thymiques 289

pas de contribuer à une psychologie abstraite, mais — sans retomber dans lepsychologisme d’antan — d’être en mesure de décrire les structures psychologiquesreprésentées, les ‘passions de papier’ (Greimas et Fontanille 1991: 17), notammentles plus courantes.

Si l’on articule sur un carré sémiotique la récompense/punition (R/P),on obtient quatre termes simples (R/P, ~R/~P).33 Chacun de ces termespeut être spécifié en fonction des valeurs susceptibles d’être affectées àl’unité rétributive et des modes de jonction possibles entre l’acteur etl’unité. Par exemple, si l’on prend deux valeurs (en l’occurrence icieuphorique/dysphorique) et quatre jonctions (en l’occurrence iciconjonction/disjonction et non-conjonction/non-disjonction), on obtienthuit sortes de récompense/punition. Dans la typologie, A est l’acteurrecevant la transmission, U la conjonction (avec l’unité), U la disjonction(sans l’unité), ~∩ la non-conjonction (non avec l’unité), ~U la non-disjonction (non sans l’unité), u+ une unité dialogique euphorique (lacarotte), u- une unité dialogique dysphorique (le bâton). Ces unités corre-spondent également à des acteurs, mais nous les appelons unités pour lesdistinguer de l’acteur datif et marquer leur nature dialogique. Le tableau 3présente la typologie que nous esquissons.

REMARQUE: Nous reprenons — sans assumer tous les postulats qui leur sontassociés, par exemple l’universalité — quelques éléments de la sémiotiquegreimassienne. Rappelons que dans le schéma narratif canonique, la manipulationopère sur le vouloir-faire et/ou le devoir-faire et instaure un contrat intervenantégalement dans une éventuelle sanction, composante constituée du jugementépistémique et de la rétribution positive ou négative. En ajoutant le critèrepragmatique/cognitif de la sémiotique greimassienne, on produira une typologie desrétributions à 16 possibilités. Par exemple, donner des coups est une rétributionpragmatique négative de type 5; féliciter quelqu’un constitue une rétributioncognitive positive de type 1.

Tableau 3. Une typologie des fonctions de rétributions et de sanctions

Types de récompense:1. A ∩ u+: Si tu fais telle chose, je te donnerai des carottes2. A U u-: Si tu fais telle chose, j’arrêterai de te donner des coups de bâton3. A ~∩ u-: Si tu fais telle chose, je ne te donnerai pas de coups de bâton4. A ~U u+: Si tu fais telle chose, je ne t’enlèverai pas les carottesTypes de punition:5. A ∩ u-: Si tu fais telle chose, je te donnerai des coups de bâton6. A U u+: Si tu fais telle chose, je t’enlèverai les carottes7. A ~∩ u+: Si tu fais telle chose, je ne te donnerai pas de carottes8. A ~U u-: Si tu fais telle chose, je n’arrêterai pas de te donner du bâton

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290 L. Hébert

Le carré véridictoire

Dans la sémiotique greimassienne, l’étude des modalités véridictoires,textuelles ou autres, repose sur le carré de la véridiction, que nousnommerons carré véridictoire. Nous ne prétendrons pas à une présentationaussi minutieuse que celle de la dialogique et chercherons plutôt et ce,dans une perspective essentiellement opératoire, à suggérer quelquescompléments à ce carré, notamment en y greffant quelques acquis de ladialogique.

En simplifiant, le carré véridictoire sera considéré comme le carrésémiotique articulant l‘opposition’ être/paraître.

REMARQUE: En réalité, le carré véridictoire appartiendrait à la famille des 4-Groupes de Klein (cf. Courtés 1991: 114–120, 137–141; Greimas et Courtés 1979:32, 419; 1986: 34–37, 105). Ce modèle de mathématique logique a été exploitéen psychologie par Piaget. Les principales différences seraient les suivantes: le 4-Groupe de Klein articule deux éléments qui ne forment pas nécessairement uneopposition (par exemple, paraître et être, vouloir et faire); comme il rend compte detoutes les combinaisons possibles entre deux variables et leur terme privatifcorrespondant (par exemple, non-paraître et non-être, non-vouloir et non-faire), ilne serait constitué que de métatermes (termes composés).

Tout élément soumis au faire interprétatif serait constitué par et dans laconjonction d’un être et d’un paraître identiques (dans le cas du vrai ou dufaux) ou opposés (dans le cas de l’illusoire ou du secret). L’être seraittoujours doté d’un paraître et le paraître toujours associé à un être. L’être,tout comme le paraître, peut changer par transformation. Cette transfor-mation, toutefois, n’est pas nécessairement accompagnée d’une transfor-mation correspondante de l’autre variable (être ou paraître, selon le cas):le paraître peut changer sans que l’être change, et l’être changer sans quele paraître soit modifié. Autrement dit, a priori, aucune relation deprésupposition réciproque n’unit être et paraître. Le paraître seraconforme ou non à l’être auquel il est associé. Plus précisément, il lui sera

Figure 3. Le conflit thymique en ‘carré’.

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L’analyse des modalités véridictoires et thymiques 291

identique ou oppose.34 Par exemple, tel moine (être) paraîtra en être un s’ilporte la robe . . .

REMARQUE: Évidemment, on trouve plusieurs façons de concevoir l’être, leparaître et leurs relations. Chacune engage des positions philosophiquesdifférentes. En voici quelques-unes: 1. Un être peut ne pas avoir de paraître et unparaître peut ne pas avoir d’être. 2. Tout être possède un paraître, qui intervient audébut, au milieu et à la fin de l’apparaître et qui peut ou non être conforme à l’être.3. L’être existe mais n’est accessible que dans son paraître. 4. L’être n’est qu’unereconstruction faite à partir du paraître.

Éléments constitutifs du carré véridictoire modifié

Les éléments constitutifs du carré véridictoire, par nous complété, sont lessuivants:35

• Le sujet observateur (S1, S2, etc.)• L’objet observé (O1, O2, etc.)• La caractéristique de l’objet observée (C1, C2, etc.)36

Si la caractéristique posée sur le carré véridictoire possède un opposé(par exemple, bon/mauvais), il est possible d’utiliser ce dernier; les positionsoccupées sur le carré seront alors les positions opposées (1/2 ou 3/4). Envertu du principe d’homogénéité de la description (Floch 1985), sur unmême carré, on évitera de passer de la caractéristique à son opposé (parexemple, on placera être bon et non paraître bon, plutôt que paraîtremauvais).

À proprement parler, il faut distinguer le carré véridictoire commeréseau conceptuel et comme représentation visuelle de ce réseau (le mêmeprincipe vaut pour le carré sémiotique et le modèle actantiel). Le réseauconceptuel est généralement représenté visuellement et par un carré (voir lafigure 4), mais Courtés utilise également une représentation des 4-Groupesen ‘X’ et nous proposons quant à nous l’emploi de tableaux. Le carré

Figure 4. Le carré véridictoire.

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292 L. Hébert

véridictoire-réseau est en principe unitaire (un sujet, un objet, une caracté-ristique, mais un ou plusieurs temps). Le carré véridictoire-représentationcorrespondra à un ou plusieurs carrés véridictoires-réseaux (un mêmesujet, plusieurs objets; plusieurs sujets, un même objet; etc.).

• Les quatre termes: l’être et le paraître37 et leurs privatifs, le non-êtreet le non-paraître.

• Les quatre métatermes38 (ou termes composés) définissant lesmodalités véridictoires: 1. le vrai ou la vérité (être + paraître), 2.l’illusoire ou le mensonge (non-être + paraître), 3. le faux ou lafausseté (non-être + non-paraître), 4. le secret ou la dissimulation39

(être + non-paraître).• La position de l’objet sur le carré.• Le temps (ou la temporalité)

Remplissons, instancions un carré véridictoire. Par exemple, dans lapièce de Molière, Tartufe (variable O), relativement à caractéristique dévot(variable C), passera, aux yeux d’Orgon (variable S), de paraîtredévot + être dévot (temps 1, position 1: vrai) à paraître dévot + non êtredévot (temps 2, position 3: faux).

Modifications et relativisations des croyances

Évidemment une croyance d’un sujet donné est susceptible de modifica-tions. Une ‘conversion‘ sera précédée on non du doute, où la croyance et lacontre-croyance sont confrontées, et de la vérification, qui vise à élire unecroyance en vertu de critères et d’épreuves particuliers. Pour représenterles cas où le sujet doute de l’être et/ou du paraître, on peut utiliser un pointd’interrogation. Il faut alors employer un autre symbole pour distinguerles doutes du sujet évaluateur (?) de ceux de l’analyste. Nous intégrons parlà la modalité du possible, modalité qui, semble-t-il, n’était pas prise encharge dans le carré véridictoire greimassien orthodoxe.

Le paraître peut reposer sur un (par exemple, les sept langues de la bête,cf. plus loin) ou plusieurs éléments (par exemple, le vêtement, le bréviaire,etc., chez Tartufe). Le pouvoir d’un élément d’être rapporté par le sujet àl’être correspondant est susceptible de varier. Ainsi, dans le conte ‘La bêteà sept têtes’, le faux héros qui présentait les sept têtes tranchées de la bêteest démasqué par le véritable héros qui lui oppose les sept langues. Deuxinterprétations possibles: le paraître du faux héros est tombé (il est dans lenon-paraître + non-être héros) ou le paraître est là, mais tous savent quel’être n’y correspond pas (il est dans le paraître + non-être héros). Chez

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L’analyse des modalités véridictoires et thymiques 293

Tartufe, certains attributs conservent le pouvoir d’évoquer l’être corres-pondant, mais ils deviennent secondaires en termes quantitatifs et/ouqualitatifs relativement à d’autres éléments menant à l’être opposé (ila beau porter un vêtement de religieux, son comportement ne l’estassurément pas).

Une évaluation véridictoire est toujours susceptible de relativisation: leprétendu être peut s’avérer n’être qu’un paraître non conforme à l’êtrevéritable. Cependant, dans une oeuvre donnée, on trouve généralementdes évaluations de référence, qui stipulent la vérité ultime. En conséquence,on distinguera les éléments relatifs, assomptifs, de ceux dits de référence,puisque c’est relativement à ces derniers que les premiers sont jugés. Parexemple, l’être de référence et l’être relatif peuvent concorder: l’êtreprésumé par un personnage sera confirmé ou du moins non contredit parl’instance de référence (par exemple, le narrateur omniscient). Enfin,comme dans toute évaluation, le point de vue d’un sujet est susceptibled’être intégré dans celui d’un autre: par exemple, Marie (S) croira, à tort ouà raison, que Jean (O) est et paraît moine aux yeux de Pierre (C) (cf. aussil’analyse de Tartufe qui suit).

Exemple de carré véridictoire: Tartufe de Molière

Soit cette simplification de la pièce Tartufe de Molière:

• T1: Tout l’entourage d’Orgon, sauf sa mère, ne croit pas que Tartufeest un dévot.

• T2: Orgon croit en Tartufe jusqu’au moment où, caché sous la table,il l’entend tenter de séduire sa femme, Elmire.

• T3: Orgon détrompé tente de convaincre sa mère, Madame Pernelle,mais n’est pas cru par elle, qui défend Tartufe.

• T4: La mère d’Orgon obtient la preuve que Tartufe est vil puisque M.Loyal vient exécuter la dépossession d’Orgon pour le compte deTartufe.

• T5: Le Prince semble appuyer Tartufe, car un de ses émissaires,l’exempt, accompagne le fourbe pour, croit Tartufe, se saisird’Orgon.

• T6: L’exempt révèle à tous que le Prince sait qui est Tartufe. Tartufeest arrêté.

Le tableau 4 représente un carré, ou plutôt un ‘tableau véridictoire’, quirend compte de cette articulation de la pièce.

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294 L. Hébert

Dialogique et carré véridictoire

En guise de conclusion, esquissons une comparaison entre la dialogiqueonto-véridictoire et le carré véridictoire. Vandendorpe (1994: 9) fait ainsiétat de l’originalité du carré de la véridiction greimassien mais égalementd’une possible lacune:

‘Le vrai n’est donc plus ici l’implicite du langage, ni l’une de ces conditions fon-damentales d’existence placée en position transcendante: il n’est que l’envers dufaux, dans une relation parfaitement symétrique, sur laquelle ces auteurs sont desplus explicites (Greimas et Courtés 1979: 145). Il faut cependant déplorer que cettedéfinition ne soit pas articulée par rapport à une catégorie relevant strictement del’énonciation: en établissant le vrai et le faux comme une conjonction de l’être etdu paraître, Greimas accrédite l’interprétation de cette catégorie sur un planontologique plutôt que simplement discursif, et ce en dépit des avertissements qu’ila pu donner. C’est ce manque de précaution qui permettra à Claude Bremond de segausser du carré de la véridiction en objectant fort à propos que la synthèse dunon-paraître et du non-être ne peut être que ‘pur néant’.’

D’un point de vue théorique, le carré véridictoire nous apparaît eneffet suspect de crypto-ontologisme. Les présupposés philosophiques de la

NO TEMPS T SUJET S OBJET O PARAÎTRE ÊTRE CARACTÉRIS- POSITION

TIQUEC

1 T1 entourage Tartufe paraître non être dévot 2d’Orgonsauf mère

2 T1 Orgon Tartufe paraître être dévot 13 T2 Orgon Tartufe paraître non être dévot 24 T1-T3 mère Tartufe paraître être dévot 1

d’Orgon5 T4 mère Tartufe paraître non être dévot 2

d’Orgon6 T1-T6 Tartufe Tartufe paraître non être dévot 27 T5 Prince et Tartufe paraître non être dévot aux yeux 2

exempt du Prince8 T5 tous sauf Tartufe paraître être dévot aux yeux 1

exempt du Princeet Prince

9 T6 tous Tartufe paraître non être dévot aux yeux 2du Prince

Note: L’évaluation de référence correspond à celle de la ligne 6. Par ailleurs, on remarqueraque, pour rendre compte du coup de théâtre final de la pièce, nous changeons lacaractéristique en cours d’analyse en intégrant le point de vue du Prince.

Tableau 4. Exemple de carré véridictoire: Tartufe de Molìere

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dialogique — tout dispositif d’analyse et toute théorie en ont — noussemblent moins lourds de conséquences épistémologiques.40 Cependant,d’un point de vue opératoire, l’objection de Bremond est écartée pour peuque l’on tienne compte des compléments structurels que nous avonsproposés au carré véridictoire: il s’agit de rapporter le non-paraître et lenon-être à une caractéristique elle-même rapportée à un objet. Ainsi,quiconque pourra ne pas paraître moine et n’en être pas un sans qu’il soitpour autant aboli dans le néant philosophique . . .

Un autre complément à notre avis nécessaire touche la dynamique despoints de vue. Dans la conception greimassienne, l’unicité de la véritétranscendante semble, d’une certaine façon, remplacée par celle de la véritéimmanente, qui relève de ce que nous appelons l’univers de référence.Ainsi, du moins dans les emplois qu’on en fait généralement, le carrévéridictoire combine un être de référence, stable, lié au point de vue d’unsujet associé à l’univers de référence, et un paraître changeant, lié au pointde vue d’un sujet associé à un univers assomptif. Par exemple, dans Le petitchaperon rouge, le méchant loup ne semble pas méchant (dans le sentier)mais il l’est, puis il le paraît (lorsqu’il se démasque et dit: ‘C’est pourmieux . . .’). Or l’être de référence n’est rien d’autre qu’un être qui n’est passusceptible, à l’inverse des êtres assomptifs, de relativisation (de n’êtrequ’un paraître), et il faut pouvoir décrire cette dynamique. Il faut, croyons-nous, pouvoir relativiser l’être (initialement, pour le Chaperon, le loup estnon méchant), pouvoir exprimer cette croyance non pas uniquementcomme la conjonction entre non paraître méchant et être méchant — pointdu vue absolu parce que non contredit dans l’histoire — mais aussi commela conjonction, formulée par le Chaperon et appliquée au loup, entre nonparaître méchant et non être méchant. À cet égard, il semble que le carrévéridictoire participe de l’insuffisance générale de la composanteinterprétative de la sémiotique greimassienne: au sujet abstrait à l’originedu parcours génératif correspondent un interprète dont la situation est peuproblématisée et, pour ce qui est de l’interprétation représentée, thématiséedans le texte, un herméneute de référence disposant du savoir final du texteet accédant par là continûment à l’être de l’être.41 Au contraire, ladialogique, en décrivant la dynamique des évaluations et des points de vuequ’elles reflètent, permet de rendre compte de tous les consensus et conflitsinterprétatifs thématisés (ici des conflits de croyances), qu’ils s’établissentd’un univers de référence à un univers assomptif ou entre deux universassomptifs.

REMARQUE: Le carré véridictoire nous semble receler plusieurs autreslimitations aprioriques inutiles. Ainsi en va-t-il, croyons-nous, du principe voulant

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qu’il ne soit composé que de métatermes et que les déplacements ne peuvent s’yopérer qu’entre positions adjacentes (par exemple, de 1 à 2, mais pas de 1 à 3 sanspasser par 2). Nous préférons laisser intacte la possibilité, certes marginale maisréelle, d’êtres sans paraître et de paraîtres sans être, ne serait-ce que pouvoir aussidécrire le présent texte qui fait état de ces possibilités. . . Nous faisons nôtres cesparoles de Floch (1985: 200), qui insiste sur la valeur déductive du carrésémiotique: ‘L’intérêt du carré est, on le voit, d’organiser la cohérence d’un universconceptuel, même si celui-ci n’est pas reconnu ‘logique’; il permet de prévoir lesparcours que peut emprunter le sens et les positions logiquement présentes maisnon encore exploitées qu’il peut investir.’ Nous préférons également ménager lapossibilité de parcours sans adjacence, fussent-ils rarissimes. D’ailleurs, lasémiotique greimassienne manifeste une prédilection pour des parcours unitaires etsans court-circuits: un parcours génératif unitaire dont aucune étape ne peut êtrecourt-circuitée (même s’il peut s’interrompre avant terme, par exemple, dans lesproductions abstraites), des parcours narratifs tournés vers l’unicité de ce qui a étéréalisé plutôt que vers la multiplicité des possibles (généralement, un programmenarratif en présupposera un et un seul).

De façon générale, et d’un point de vue théorique, la dialogique onto-véridictoire nous paraît supérieure au célèbre carré de la véridictiongreimassien. Quelques-unes des améliorations au carré que nous avonsproposées s’inspirent justement des avancées de la dialogique. Au surplus,la dialogique permet, en principe, d’unifier (et de raffiner) la description del’ensemble des modalités. Cependant, le développement de la dialogiquegénérale et des dialogiques particulières reste sans doute trop marqué parcelui de la dialogique onto-véridictoire, historiquement première. Dans lasémiotique greimassienne, l’analyse des modalités apparaît elle aussiunifiée par un dispositif: le carré sémiotique ou le 4-Groupe. Cependant, cedispositif permet uniquement de modéliser l’enchaînement (syntaxique)des modalités, leur articulation (le carré sémiotique), leurs combinaisons(par exemple, un 4-Groupe combinant devoir et faire) ou compositions(par exemple, le vrai comme produit de la composition d’un être et d’unparaître). D’un point de vue opératoire et dans le champ de la descriptiondu vrai et du faux, le carré véridictoire tel que nous l’avons modifié est,toutefois, sans doute à la fois plus précis que le carré véridictoire orthodoxeet plus facile à manipuler que la dialogique onto-véridictoire.

Notes

1. Une autre façon de caractériser la dialogique est de la présenter comme la composantequi prend en charge les foyers énonciatifs et interprétatifs, soit les points de vue. Si unemodalité semble toujours appeler un point de vue, il reste à définir si un point de vue estnécessairement toujours associé à une modalité.

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2. Nous synthétisons, précisons et complétons nos propos sur la dialogique présentésailleurs (Hébert 2001).

3. Pour la dialogique véridictoire, Rastier s’inspire largement de Martin (1983, 1987), maiss’en écarte sur deux points importants: il ne rapporte pas les univers à des locuteurs réels,mais à des acteurs de l’énoncé ou de l’énonciation représentée; il n’adopte pas une per-spective strictement vériconditionnelle (Rastier 1989: 83). Entre autres, la sémantiqueinterprétative mentionne les valeurs de vérité (vrai, faux) sans pour autant se rallier à uneanalyse extensionnelle. La sémantique interprétative s’intéresse à la référence au sensfaible et à la vérité au sens faible (dans l’Odyssée Ulysse est l’époux de Pénélope) (cf. G.Kalinowski 1985: ch. VI), effets de la cohésion textuelle. Le problème de la référence ausens fort revient à la philosophie du langage et celui de la vérité au sens fort (Aristote aété le précepteur d’Alexandre) aux sciences (Rastier 1989: 87–88).

4. La modalité, en philosophie générale, est la propriété que possède la substance d’avoirdes modes, c’est la forme particulière d’une substance. ‘Contrairement à l’attribut,le mode est contingent, et n’appartient pas à l’essence de la substance’ (Auroux1989: 1645). En logique, la proposition modale est une proposition qui précise le type delien qui unit le sujet au prédicat, la modalité porte donc sur la copule: ‘L’hommeest nécessairement bon’, ‘L’homme est possiblement bon’ (Thiry 1993: 134). La séman-tique interprétative inscrit dans ses préoccupations et son épistémologie propres certainséléments de la logique.

5. Les valeurs de vérité peuvent être considérées comme des modalités (cf. les quatremodalités véridictoires de la sémiotique greimassienne: le vrai, le faux, le secret etl’illusoire).

6. On peut considérer que les modalités thymiques, dont l’inventaire gravite autour del’opposition euphorie/dysphorie, constituent la généralisation la plus grande desmodalités construites autour de bien/mal, beau/laid, etc.

7. Au fil du temps, les univers se modifient, le temps de fluctuation des univers est appelétemps de dicto par Martin, ou temps de prise en charge des énoncés. Cela s’éloigne del’utilisation habituelle de ce terme. En logique, en effet, un opérateur (modal outemporel) est de dicto s’il porte sur la proposition entière (‘Il est nécessaire que le logiciensoit intelligent’) et pas seulement sur le prédicat (‘Le logicien est nécessairement intelli-gent’) (Martin 1987: 112 et 32).

8. Généralement ‘Quand dans un même intervalle de temps dialectique on relève des éva-luations contradictoires, on peut présumer qu’à chaque norme thymique correspond ununivers d’assomption’ (Rastier 1989: 161–162).

9. Nous modifions la définition de Martin (1987: 15) tant en ce qui a trait à la variété destypes de modalités que pour ce qui touche la relation aux mondes: pour lui une proposi-tion est dite décidable si elle est affectée d’une valeur de vérité dans au moins un desmondes. Selon Martin (1987: 21), avec l’indétermination de l’énoncé interrogatif etl’indétermination de l’énoncé ambigu ou flou, l’indécidabilité (notée # V ou IND.) n’estque l’un des types de l’indéterminabilité. Sont indécidables les énoncés inintelligibles,absurdes ou disconvenants.

10. Par exemple, un mot ravit le Robinson de Tournier (1972: 127): ‘Les LOMBES! Ce beaumot grave et sonore avait brusquement retenti dans sa mémoire’; thématisées, lesvoyelles dans le sonnet célèbre de Rimbaud deviennent des unités sémantiques, desacteurs: leur aspect de signifiant est alors représenté dans le signifié et susceptible d’y êtreévalué.

11. À tout foyer énonciatif ou interprétatif n’est pas nécessairement associé un acteurreprésenté. C’est le cas en général des textes scientifiques (Rastier et al. 1994: 194).

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12. Il faut distinguer monde possible, par exemple dans théorie des mondes possibles et mondedu possible, ainsi le monde contrefactuel et le monde du possible sont des mondespossibles.

13. Martin (1987: 16) distingue le monde de ce qui est (mo) de deux sortes de mondespossibles (m). Les mondes potentiels (m) ‘ne contiennent aucune propositioncontradictoire avec celles de mo, le monde que le locuteur admet comme le monde de cequi est; les mondes potentiels présentent comme vrai ou comme faux ce qui, dans mo

apparaît comme possiblement vrai ou possiblement faux; ainsi Il est possible que Pierresoit revenu évoque un monde où Pierre est revenu est une proposition vraie’. Les mondescontrefactuels (-m) ‘contiennent au moins une proposition contradictoire avec celles demo; ils donnent pour vraie une proposition qui, dans mo est admise pour fausse. Ainsi SiPierre avait réussi . . . laisse entendre que Pierre n’a pas réussi. La réussite de Pierre estévoquée dans un monde contrefactuel’. Les mondes contrefactuels se spécifient enmondes accidentellement contrefactuels, mondes de ce qui est faux mais qui aurait puêtre vrai (Si Pierre avait réussi . . .) et en mondes essentiellement contrefactuels, mondede ce qui est faux et ne pouvait être vrai car fruit de la seule imagination (Si Napoléonétait au pouvoir . . .) (Martin 1987: 17). En 1987, Martin n’évoque plus, semble-t-il, ce quiapparaît comme une espèce des mondes potentiels: le monde des attentes (Martin 1983:32–33), relatif aux propositions possibles et très probables liées au futur. Le possibleinteragit de façons diverses avec les positions temporelles. Il existe un possible du passé,dont témoignent les reconstructions de l’histoire, un possible du présent (Il est possibleque Pierre soit à la maison). Mais le passé et le présent ne sont jamais liés au possible quepar ‘un lien épistémique; plus précisément par l’insuffisance du savoir. L’avenir, aucontraire, comme lieu de l’action — à moins que l’on ait du temps une conceptionstrictement déterministe —, s’apparente ontologiquement au possible, c’est-à-dire parson être même. Au moment to du temps s’ouvre ainsi le champ infini des prolongementspossibles, qu’ils soient dépendants ou indépendants de mon vouloir, et qui constituentun faisceau de ‘mondes possibles’ (m). Pierre est en train d’écrire, de ranger sabibliothèque. Qui me dit qu’il ira jusqu’au bout? La vraisemblance me permet certes de lesupposer. Les événements passés, par inertie en quelque sorte, laissent apparaître unechaîne privilégiée, qui a toute chance de se réaliser et qu’on appellera le ‘monde desattentes’ (m*)’. ‘Les ‘attentes ne forment pas nécessairement une branche unique. Il sepeut que je prévoie deux ou n issues possibles; il se peut même que ces n possibles aient lesmêmes chances de se réaliser’. ‘Mais toutes sortes de possibles peuvent en entraver laréalisation. Il reste que l’un seulement des ‘mondes possibles’ deviendra le monde de cequi est (mo) quand le temps se sera écoulé et que l’avenir sera devenu à son tour du passé’(Martin 1983, 32–33).

14. Pour une présentation synthétique du carré sémiotique, on lira Courtés 1991.15. Bannour (1995: 28) définit ainsi l’accessibilité ‘Dans la sémantique des mondes

possibles, notion qui permet d’accéder à un monde théoriquement possible à travers unautre monde possible. Cette accessibilité devient faisable grâce aux caractéristiquesessentielles, sortes d’invariants, qui permettent d’identifier un individu à travers lesdivers changements, dans différents mondes possibles’. Rappelons que pour Leibniz, lefondateur de la théorie des mondes, les mondes ne sont pas accessibles entre eux.

16. Il semble en effet qu’une unité peut être l’image d’une autre non seulement d’un universà un autre mais aussi d’un monde à un autre dans le même univers (Rastier 1989: 84).

17. Est-il possible et descriptivement utile de concevoir des répliques de répliques,des images d’images, des répliques d’images et des images de répliques?

18. Macbeth, faisant référence aux paroles de l’apparition (acte IV, scène I), s’écrira: ‘J’étaistrop sûr. Je me demande maintenant si le diable n’a pas rusé pour mieux me tromper, en

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jouant sur l’équivoque: ‘Ne crains rien, tant que les arbres de la forêt de Birnam ne semettront pas en marche contre Dunsinane’. Or, voici qu’ils se mettent en marche! Auxarmes! Aux armes!’ (Macbeth, acte V, scène VI). Macbeth croyait la chose impossible,mais une ruse de l’armée ennemie réalise la prophétie: chaque soldat porte devant lui unebranche pour couvrir sa marche. De la même façon, le traître se croit invicible puisqu’onl’a assuré qu’il n’a ‘rien à craindre du fils né de la femme’ (acte IV, scène I); or, Macdufffut ‘arraché bien avant terme du ventre de sa mère’ (acte V, scène VII).

19. Le tyrannique Bartholo fait de même avec sa valetaille: ‘Je suis votre maître, moi, pouravoir toujours raison . . . . Quand une chose est vraie! Si je ne veux pas qu’elle soit vraie,je prétends bien qu’elle ne soit pas vraie’ [Beaumarchais (1964), Le Barbier de Séville,II, 7].

20. Une autre possibilité pour sauvegarder la cohérence d’un univers serait d’associerplusieurs univers à un même acteur, fût-ce dans un même intervalle de temps textuel.

21. Pour représenter les modalités opposées d’une même unité, Rastier propose l’emploi destableaux de Beth (pour un exemple, cf. Martin 1987: 16).

22. De même si p est vrai dans un monde, ¬p n’est pas nécessairement faux dans ce mêmemonde.

23. Rastier définit un monde comme l’’ensemble de complexes sémiques associés à un acteuret modalisés de même dans un même intervalle de temps textuel’ (1994: 223). Nouspréférons ne pas lier a priori temps textuel et monde: un même monde peuttraverser différents intervalles textuels et connaître ou non des modifications.

24. Relève du concept d’assomption ‘tout ce qui permet (1) d’inclure une proposition dansun univers et (2) d’associer un univers à un acteur’ (Rastier 1989: 88).

25. On pourrait concevoir l’univers de référence comme un archiunivers (au sens technique,comme dans archisémème), en ce qu’il est formé uniquement des répliques d’unités com-munes à tous les univers (U1 n U2 n U3 = Ur). Pourtant, par ses exemples (notammentl’analyse de la proposition Dom Juan et Sganarelle subissent un naufrage (Rastier 1989:86)), Rastier suggère plutôt qu’une proposition peut appartenir à l’univers de référencesans se trouver dans tous les univers.

26. Les conflits de croyances, lorsqu’ils impliquent au moins deux univers, constituent uneforme particulière de relation comparative entre univers.

27. Les relations comme l’inclusion, l’intersection, etc., ne sont pas en soi hiérarchiques etpeuvent être uniquement comparatives: en ce sens, un élément sera dit inclus, parexemple, simplement parce que la totalité de ses constituants sont identiques à une partiedes constituants d’un autre élément.

28. Au surplus, plusieurs dissonances dialogiques se résorbent souvent rapidement. Il enva ainsi de la proposition Nous sommes suivis, qui apparaît chez l’un des jumeauxd’abord: ‘Ne te retourne pas tout de suite . . . J’ai l’impression que quelqu’un noussuit! . . .’ (Le lotus bleu, p. 45).

29. Dans une analyse thymique, le critère sera celui des modifications des évaluations, etc.30. Quelques facteurs thymiques utiles figurent dans la légende même s’ils n’intègrent pas

le tableau. On peut à l’envi détailler les configurations thymiques possibles. Par exemple,Gaudreault (1996: 367) propose les phénomènes de valeur suivants: ‘un exemple devaleurs couplées, où une valeur existe seulement du fait de l’autre; un exemple de chaînede valeurs croissantes, où une valeur initiale faible ouvre la voie à des valeurs successivesde plus en plus grandes; enfin, quelques exemples de valeurs indirectes où des êtresprennent une valeur pour un être donné uniquement par l’intermédiaire d’un ouplusieurs êtres.

31. La question se pose de la traduction de cette typologie dans les termes de la sémantiqueinterprétative. La rétribution/sanction de type conjonctif ou non conjonctif semble

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assimilable à une fonction de transmission (au sens large, non uniquement iréni-que) spécifique. Mais la rétribution/sanction de type disjonctif ou non disjonctifs’apparente peu à une transmission, à moins de considérer que ce qui est transmis est lavaleur positive ou négative elle-même.

32. Thomas d’Aquin fonda sa théorie des passions sur les concepts d’appétit sensible et derépulsion. Notons que les relations d’attraction et de répulsion à la base du monde phy-sique correspondent, d’une certaine façon, à la conjonction et à la disjonctionsémiotiques et que l’objet euphorique est un objet avec lequel le sujet axiologisateursouhaite être conjoint tandis que l’objet dysphorique suscite la relation contraire. On saitque la thèse de l’exigence axiologique (requierdness) de Köher situe justement les valeursdans l’expérience des forces d’attraction et de répulsion. ‘Mais ce schéma est incomplet,s’il n’est intégré à une réflexion globale sur la notion d’ordre’, laquellenotion, contrairement à celle de système, comporte une ‘connotation axiologique’(Resweber 1992: 121–122).

33. Des métatermes sont évidemment possibles, par exemple la déixis positive (A + ~B) seranotamment manifestée — si on l’interprète comme un renforcement — par 1 + 2 dansnotre typologie des rétributions.

34. Les modalisations véridictoires jouent ainsi sur l’axe de l’immanence (être vs non-être)et sur celui de la manifestation (paraître vs non-paraître) (Courtés 1991: 114). Il nefaudrait pas pour autant voir là des catégories suspectes d’ontologisme, puisqu’il s’agit,dans le cadre d’une catégorisation modale, de caractériser un état selon l’être et leparaître (Greimas et Courtés 1982: 162).

35. Au besoin, on notera les transformations du sujet, de l’objet ou de la caractéristique parle prime (S’, O’, C’).

36. Caractéristique (C) et objet (O) correspondent en logique, respectivement, au prédicat(la caractéristique donnée) et au sujet (ce qui possède la caractéristique).

37. Courtés appelle marque ce qui permet de changer le paraître en non-paraître ou viceversa. Par exemple, les sept langues permettent au véritable héros, celui qui a vraimenttué la bête à sept têtes, de se révéler et de confondre, devant le roi, le traître ayantprésenté comme preuve de sa victoire les sept têtes de la bête (1991: 116).

38. Pour simplifier, nous excluons les métatermes contradictoires être + non-être et paraître+ non-paraître, possibles en théorie dans une combinatoire complète. À notre connais-sance, aucun sémioticien ne propose l’existence de métatermes contradictoires, dont onpeut prédire déductivement l’existence.

39. Selon Courtés (1991: 115), ‘À vrai dire, la négation du /paraître/ que comporte le/secret/ n’est jamais que partielle: car la personne par rapport à laquelle il y a /secret/,doit au moins pressentir qu’on lui cache quelque chose; en cas de négation totale du/paraître/, le sujet concerné ne serait plus dans la position du /secret/, seulement danscelle du/non-savoir/, de l’ignorance. C’est donc dire que le /secret/, tout en cachant, doitcomporter quelques indices qui inciteront éventuellement l’intéressé à s’informer, à ensavoir un peu plus’. Il nous semble que cette restriction est inutile et qu’elle origine, d’unepart, de l’influence de la lexicalisation choisie pour illustrer la conjonction entre être etnon-paraître, soit ‘secret’, d’autre part, du caractère synthétique du carré véridictoiregreimassien standard, qui amalgame les différents points de vue en cause (ici celui dudissimulateur et de la personne qui est face à la dissimulation). Per Aage Brandt (1995)propose de nommer les quatre métatermes, dans l’ordre, évidence, simulation, non-pertinence, dissimulation. Bertrand (2000: 152), synthétisant les propositions deFontanille (dans Greimas et Courtés 1986: 34–35), suggère d’envisager une modulationdes rections entre être et paraître pour spécifier les modalités, selon que le paraître régit

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ou spécifie l’être (vérité d’évidence), l’être régit le paraître (vérité prouvée, révélée ou lamarque de l’authenticité), l’être régit le non-paraître (secret de type arcane), le non-paraître régit l’être (dissimulation, cachoterie). La relation entre être et paraîtreinitialement non orientée (même si d’un point de vue interprétatif on passe du paraître àl’être) fait place à une relation qui sera soit équilibrée (vérité, illusoire, faux, secret‘neutres’), soit orientée d’un coté ou de l’autre.

40. ‘Nous pouvons ici redéfinir l’opposition être vs paraître, utilisée parfois imprudemmenten sémiotique. Le paraître, dans un intervalle dialectique donné, est constitué parl’ensemble des contenus qui, précédemment actualisés, sont à présent inhibés (enparticulier quand ces contenus n’appartiennent ni à l’univers de référence, ni a fortiori àla vérité textuelle). L’être est alors constitué par l’ensemble des traits inhibiteurs à unmême moment (en particulier quand ils appartiennent à l’univers de référence et afortiori à la vérité textuelle)’ (Rastier, 1989: 209).

41. Dans la théorie greimassienne, on trouve un ‘intérêt asymétrique’ parfois pour le termed’origine, par exemple celui du parcours interprétatif, parfois pour le terme d’arrivée,par exemple le choix de la logique à rebours plutôt que celle de consécution dansl’enchaînement des programmes narratifs.

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Louis Hébert est professeur au département de lettres de l’Université du Québec à Rimouski(UQAR) et membre de l’équipe Sémantique des textes dirigée par F. Rastier (CNRS)<[email protected]>. Ses recherches touchent principalement la sémiotique (textuelleet visuelle), la sémantique et l’onomastique. Il a dirigé les numéros Esthétiques du métissagede Tangence (64), Espace et représentation (avec A. W. Quinn) de RS/SI (19-2-3),Sémiotique et interprétation de Protée (26-1) et publié plusieurs articles, en particulier dansSemiotics as a Bridge between the Humanities and the Sciences (Legas), Le texte et le nom(XYZ éditeurs), Protée (23-2, 22-3), Semiotica (120-1/2, 126-1/4), Degrés (26–94), Visio(3-3). Il a produit une Introduction à la sémantique des textes (Honoré Champion). Il estdirecteur adjoint de la revue Tangence (UQAR-UQTR) et directeur de la revue Débatssémiotiques publiée par la Société de sémiotique du Québec, dont il est président. Enfin, il estresponsable de l’équipe Intégration des NTIC dans l’enseignement de la sémiotique (subven-tion du FODAR) et directeur du projet de recherche Euphorie et dysphorie dans les texteslittéraires (subvention du FCAR).