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L'Iliade, l'Odyssée et l'Enéide, à l'origine de Rome Philippe-Laurent Roland, Homère (1812), Musée du Louvre, Paris Vieilles de quelque 2 800 ans (fin du VIII e siècle av. J.-C.), l'Iliade et l'Odyssée sont les premières oeuvres de la littérature occidentale. Des oeuvres magistrales : l'Iliade compte plus de 15 000 vers, l'Odyssée près de 12 000. Les Anciens attribuaient ces deux épopées à l'aède aveugle Homère (en grec ancien Ὅµηρος / Hómêros, "otage" ou "celui qui est obligé de suivre"). Ils considéraient l'Iliade comme une oeuvre de jeunesse ; elle en exalte en effet la fougue sublimée dans un idéal héroïque. Au contraire, l'Odyssée serait l'oeuvre de la maturité ; le Poète s'interroge sur la condition humaine, les qualités d'un homme accompli, le sens de la vie. Chante, Déesse, du Pèlèiade Akhilleus la colère désastreuse, qui de maux infinis accabla les Akhaiens, et précipita chez Aidès tant de fortes âmes de héros, livrés eux-mêmes en pâture aux chiens et à tous les oiseaux carnassiers. Et le dessein de Zeus s’accomplissait ainsi, depuis qu’une querelle avait divisé l’Atréide, roi des hommes, et le divin Akhilleus. Incipit de l'Iliade, traduction de Leconte de Lisle, 1866 Dis-moi, Muse, cet homme subtil qui erra si longtemps, après qu'il eut renversé la citadelle sacrée de Troiè. Et il vit les cités de peuples nombreux, et il connut leur esprit ; et, dans son coeur, il endura beaucoup de maux, sur la mer, pour sa propre vie et le retour de ses compagnons. Mais il ne les sauva point, contre son désir ; et ils périrent par leur impiété, les insensés ! ayant mangé les boeufs de Hèlios Hypérionade. Et ce dernier leur ravit l'heure du retour. Dis-moi une partie de ces choses, Déesse, fille de Zeus. Incipit de l'Odyssée, traduction de Leconte de Lisle, 1893 Les étapes du voyage d'Ulysse

(1927), Piazza Virgiliana,latinistescollegesaintemarielebourget.a.l.f.unblog.fr/... · 2015-01-05 · Incipit de l'Iliade , traduction de Leconte de Lisle, 1866 Dis-moi, Muse, cet

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L' Iliade, l'Odyssée et l'Enéide, à l'origine de Rome

Philippe-Laurent Roland,

Homère (1812), Musée du Louvre, Paris

Vieilles de quelque 2 800 ans (fin du VIIIe siècle av. J.-C.), l'Iliade et l'Odyssée sont les premières œuvres de la littérature occidentale. Des œuvres magistrales : l'Iliade compte plus de 15 000 vers, l'Odyssée près de 12 000. Les Anciens attribuaient ces deux épopées à l'aède aveugle Homère (en grec ancien Ὅµηρος / Hómêros, "otage" ou "celui qui est obligé de suivre"). Ils considéraient l'Iliade comme une œuvre de jeunesse ; elle en exalte en effet la fougue sublimée dans un idéal héroïque. Au contraire, l'Odyssée serait l'œuvre de la maturité ; le Poète s'interroge sur la condition humaine, les qualités d'un homme accompli, le sens de la vie.

Chante, Déesse, du Pèlèiade Akhilleus la colère désastreuse, qui de maux infinis accabla les Akhaiens, et précipita chez Aidès tant de fortes âmes de héros, livrés eux-mêmes en pâture aux chiens et à tous les oiseaux carnassiers. Et le dessein de Zeus s’accomplissait ainsi, depuis qu’une querelle avait divisé l’Atréide, roi des hommes, et le divin Akhilleus.

Incipit de l'Iliade, traduction de Leconte de Lisle, 1866 Dis-moi, Muse, cet homme subtil qui erra si longtemps, après qu'il eut renversé la citadelle sacrée de Troiè. Et il vit les cités de peuples nombreux, et il connut leur esprit ; et, dans son cœur, il endura beaucoup de maux, sur la mer, pour sa propre vie et le retour de ses compagnons. Mais il ne les sauva point, contre son désir ; et ils périrent par leur impiété, les insensés ! ayant mangé les bœufs de Hèlios Hypérionade. Et ce dernier leur ravit l'heure du retour. Dis-moi une partie de ces choses, Déesse, fille de Zeus.

Incipit de l'Odyssée, traduction de Leconte de Lisle, 1893

Les étapes du voyage d'Ulysse

Quand, au Ier siècle avant notre ère, le poète Virgile (en latin Publius Vergilius Maro) veut donner à Rome son épopée nationale, il s'inspire très étroitement d'Homère : narrant les voyages d'Énée après la chute de Troie, son séjour auprès de Didon, la reine de Carthage, ses mésaventures maritimes, la première partie de l'Énéide se présente comme une odyssée ; la seconde partie, contant les guerres pour la conquête du Latium, comme une iliade. Œuvre éminemment politique, composée entre 29 et 19 av. J.-C. à la mort de Virgile, l'Énéide, qui contient environ 10 000 vers, vise à inscrire Auguste, le premier empereur romain, dans la lignée d'Énée, fils de la déesse Vénus. Bien que Virgile ait demandé à ses amis et exécuteurs testamentaires de brûler après sa mort l’ Énéide inachevée, donc imparfaite, Auguste s'y oppose et fait publier l'œuvre.

Emilio Quadrelli,

Monumento a Virgilio (1927), Piazza Virgiliana,

Mantoue

Je chante les combats du héros qui fuit les rivages de Troie et qui, prédestiné, parvint le premier en Italie, aux bords de Lavinium ; il fut longtemps malmené sur terre et sur mer par les dieux tout puissants, à cause de la colère tenace de la cruelle Junon; la guerre aussi l'éprouva beaucoup, avant de pouvoir fonder sa ville et introduire des dieux au Latium, berceau de la race latine, des Albains nos pères et de Rome aux altières murailles.

Incipit de l'Enéide, traduction de A.-M. Boxus et J. Poucet, 1998-2001

Les étapes du voyage d'Enée

L' Iliade

L' Odyssée

L' Enéide

Manuscrit Vergilius Romanus, Ve siècle, Bibliothèque apostolique vaticane, Rome

L’ Énéide s'ouvre sur une tempête déchaînée par ordre de Junon, alors qu'Énée semblait toucher au but de son voyage, l'Italie. La haine de Junon marque toute l’Énéide. Virgile en indique lui-même les deux raisons. Elle avait soutenu les Grecs contre les Troyens dont Énée faisait partie lors de la Guerre de Troie. Surtout, Énée doit fonder Rome, qui détruira Carthage, ville aimée de Junon.

Dosso Dossi, Énée et Achate sur les côtes de Libye, 1520,

National Gallery of Art, Washington Les Troyens mettent alors pied à terre en Libye, et partent chasser. Après le repas, Énée s’inquiète du sort des autres navires de sa flotte (seules sept embarcations étaient parvenues à accoster en Libye). Vénus intervient alors auprès de Jupiter, afin de s’assurer de l’avenir des Troyens rescapés. Ce dernier rassure celle-ci quant à l’avenir d’Énée. Il lui prédit les guerres qu’Énée devra mener dans le Latium, la fondation d’Albe, l’histoire de Romulus et Rémus, et l’accession au trône de l’empereur Auguste.

Francesco Solimena, Didon recevant Énée et Cupidon déguisé en Ascagne, 1720,

National Gallery, Londres Par la suite, Énée et ses compagnons se rendent à Carthage, qui se trouve non loin du lieu où leurs navires ont accosté. Énée et ses compagnons décident de rencontrer Didon, la reine de la cité. Arrivé au palais, Énée rencontre alors certains de ses compagnons, qui ont survécu au naufrage. Les Troyens sont bien accueillis par Didon, qui les convie, le soir venu, à un grand banquet. Didon, éprise d’Énée, lui demande de lui conter ses aventures.

Carle Vanloo, Enée portant Anchise, 1729,

Musée du Louvre, Paris

À la demande de Didon, Énée fait le récit de la prise de Troie, en particulier l'épisode du Cheval de Troie. Énée raconte comment il a pu s'échapper avec son fils Ascagne, son père Anchise et certains de ses compagnons ; mais il a perdu sa femme Créuse dont l'ombre lui prédit qu'il aura un glorieux avenir.

Claude Gellée, dit Le Lorrain, Énée à Délos, 1672,

National Gallery, Londres Par la suite, Énée retrace son voyage après sa fuite hors de Troie. C'est au cours de ce voyage que l'oracle d'Apollon à Délos révèle où doit être bâtie la cité qui succèdera à Troie : sur la terre d'origine des Troyens. Énée interprète d'abord mal ces paroles et se rend en Crète, première patrie de Teucros. Les Pénates révèlent alors à Énée qu'il doit se rendre dans le Latium, terre d'origine de Dardanos, gendre de Teucros et fondateur de la ville de Troie proprement dite.

François Perrier, Énée et ses compagnons combattant les Harpies, vers 1646-1647,

Musée du Louvre, Paris Énée doit donc continuer son voyage. Pendant son court séjour dans les îles des Strophades, les Troyens sont attaqués par les Harpyes, oiseaux affamés aux visages de vieilles femmes. L'une d'elles, Célaeno, les informera que leur nouvelle patrie serait là où ils auraient faim à en manger leurs tables.

Maître de l'Enéide, L'arrivée d'Enée en Epire où il est accueilli par Hélénos et Andromaque,

vers 1530, Musée du Louvre Puis Énée aborde à Buthrote, en Épire, où règne son parent Hélénos, frère jumeau de Cassandre, qui comme elle possède le don de prophétie. Hélénos prédit qu'Énée fondera une ville au bord d'un fleuve près de la côte italienne. L'endroit lui sera indiqué par la présence d'une laie (sanglier femelle) nourrissant une portée de trente marcassins (petits sangliers).

Allori Alessandro, Charybde et Scylla, fresque, vers 1575,

Banca toscana, Florence, Italie

Reprenant la route, les Troyens évitent les dangers de Charybde et Scylla, abordent en Sicile, près de l'Etna où ils rencontrent un des compagnons d'Ulysse et évitent de justesse la colère du cyclope Polyphème. Peu après, épuisé par les épreuves du voyage, Anchise meurt.

Giambattista Tiepolo, Mercure apparaît à Enée, fresque, 1757,

Villa Valmarana ai Nani, Vicence, Italie Vénus, mère d'Énée, provoque l'amour de Didon pour Énée. Didon envisage de s'unir avec lui. Mais, en répondant à l'amour de Didon, Énée contrarie le destin que les dieux lui ont arrangé. Mercure, envoyé par Jupiter, ordonne à Énée de reprendre son voyage.

Andrea Sacchi, Didon abandonnée, 1661,

Musée des Beaux-Arts de Caen Malgré les supplications de Didon, Énée, obéissant aux dieux, quitte Carthage. Constatant le départ de son amoureux, Didon le maudit et se suicide.

Combat de boxe entre Entellus et Darès pour les jeux funèbres d'Anchise, mosaïque de sol,

vers 175, dans une villa gallo-romaine de Villelaure, Vaucluse Pour échapper à une tempête, Énée et ses compagnons débarquent en Sicile où règne Aceste, Troyen d'origine, et où est enterré Anchise, mort exactement un an auparavant. Énée organise une cérémonie rituelle et des jeux funéraires. Mais Junon charge la déesse Iris d'exploiter la lassitude des femmes. Celle-ci leur apparaît sous la forme d'une mortelle et, se lamentant sur leurs longues années d'errance, elle les incite à brûler les navires pour forcer les hommes à se fixer définitivement en Sicile. L'intervention de Jupiter, qui provoque la pluie, permet de sauver l'essentiel de la flotte. Un compagnon d'Énée suggère de laisser les plus faibles en Sicile et de partir pour le Latium avec ses guerriers. Anchise apparaît alors à Énée, il appuie ces conseils et lui demande d'aller voir la prophétesse Sibylle de Cumes qui le fera pénétrer dans les Enfers où ils pourront s'entretenir.

Jan Brueghel l’Ancien, Enée et la Sibylle aux Enfers, 1598,

collection particulière Énée parvient enfin en Italie. A Cumes, la Sibylle lui confirme les prophéties d’Anchise : Énée parviendra à ses fins après des épreuves et des guerres. Elle le fait pénétrer aux Enfers, dont ils parcourent les différentes régions. Dans les Champs Élysées, ils trouvent Anchise qui montre à Énée ses futurs descendants : des rois d’Albe jusqu'à Auguste, appelé à mettre en place un Empire puissant et en paix. Énée remonte alors la surface de la Terre et fait mettre voile en direction du Latium.

Luca Giordano, Enée terrassant Turnus, XVII e s.,

Palazzo Corsini, Florence, Italie Dans la seconde partie de l'Enéide (chants VII à XII), Virgile relate les conflits que durent livrer Énée et ses compagnons pour conquérir le Latium jusqu’à la création du royaume de Lavinium. L'épopée se termine sur une scène de violence pendant laquelle Énée tue son ennemi, Turnus. La guerre est terminée. Les Troyens peuvent s'installer dans le Latium où ils fondent la ville de Lavinium en l'honneur de Lavinia, femme d'Énée et nouvelle reine. Toutefois on pense que l'œuvre est inachevée.

Rome, présentée par Virgile, est fille des deux plus grandes cultures de l’époque : Troie et la Grèce.