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COLLECTION DE VIES DE SAINTS I pour chaque jour du mois DEUXIÈME SÉRIE JUIN 1. Saint Siméon de Syracuse, diacre, moine au Sinaï, puis reclus à Trèves (1035), ILDEPHONSE CAUSSE. 2. Saint Pothin et sainte Blandine et les autres martyrs de Lyon (177), A. D. 3. Bienheureux André Caccioli de Spello, des Frères Mineurs, disciple de saint François (1194-1254), JEAN-MAnIE LA FONTA. 4. Sainte Nennok ou Candide, vierge en Bretagne (620), M. LE BERRE. 5. Bienheureux Ferdinand de Portugal, grand-maître de l'Ordre d'Avis (1402-1443), C. OCTAVIEN. 6. Saint Claude, évêque de Besançon et Abbé de Condat (490-579), A. P. M. 7. Saint Mériadec, évêque de Vannes (vers 629-vers 666), M. LE BEnnE. 8. Saint Maximin, premier évêque d'Aix-en-Provence (I°' ou Ive siècle?), BLAISE LEZEN. 9. Saint Vincent d'Agen, diacre et martyr (ni° siècle), R. C. L. 10. Sainte Olive, vierge et martyre (v° ou ixe siècle?), DENTS HUTTE. 11. Saint Amable, prêtre à Riom (vers 397-vers 475), AMMADLrs DU BUYSSON. 12. Bienheureux Guy de Cortone, Frère Mineur, disciple de saint François d'Assise (1187-1250), G. D. 13. Saint Aventin de Larboust, prêtre et martyr en Comminges (vers 732), abbé F. SOL. 14. Saint Méthode, patriarche de Constantinople (847), A. L. 15. Sainte Germaine Cousin, vierge (vers 1579-1601), F, CAnnET. 16. Saint Ferréol et Ferjeux, apôtres de la Franche-Comté (vers 212), A. PIDOUX. 17. Saint Hervé, moine et Abbé en Bretagne (vie siècle), M, LE BEHnE. 18. Saint Ephr,in le Syrien, diacre, Doct or de l'Eglise (vers 306-vers 378), DOMINIQUE ROLAND-GOS5ELIN. 19. Saints Gervais et Protais, martyrs (Ier siècle?), abbé L. TADOURIER. 20. Saint Jean de Matera, fondateur des Bénédictins de Pulsano (10701139), S. V. H. 21. Saint Raoul ou Radulphe, archevêque de Bourges 1866), L. C. 22. Saint Alban ou Albin, premier martyr de la Grande-Bretagne 1

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COLLECTION DE VIES DE SAINTSI

pour chaque jour du moisDEUXIÈME SÉRIE

JUIN

1. Saint Siméon de Syracuse, diacre, moine au Sinaï, puis reclus à Trèves (1035), ILDEPHONSE CAUSSE.

2. Saint Pothin et sainte Blandine et les autres martyrs de Lyon (177), A. D.3. Bienheureux André Caccioli de Spello, des Frères Mineurs,disciple de saint François (1194-1254), JEAN-MAnIE LA FONTA.4. Sainte Nennok ou Candide, vierge en Bretagne (620), M. LE BERRE. 5. Bienheureux

Ferdinand de Portugal, grand-maître de l'Ordre d'Avis(1402-1443), C. OCTAVIEN.6. Saint Claude, évêque de Besançon et Abbé de Condat (490-579), A. P. M. 7. Saint Mériadec,

évêque de Vannes (vers 629-vers 666), M. LE BEnnE. 8. Saint Maximin, premier évêque d'Aix-en-Provence (I°' ou Ive siècle?),

BLAISE LEZEN.9. Saint Vincent d'Agen, diacre et martyr (ni° siècle), R. C. L.10. Sainte Olive, vierge et martyre (v° ou ixe siècle?), DENTS HUTTE.11. Saint Amable, prêtre à Riom (vers 397-vers 475), AMMADLrs DU BUYSSON. 12.

Bienheureux Guy de Cortone, Frère Mineur, disciple de saintFrançois d'Assise (1187-1250), G. D.13. Saint Aventin de Larboust, prêtre et martyr en Comminges (vers 732), abbé F. SOL.14. Saint Méthode, patriarche de Constantinople (847), A. L.15. Sainte Germaine Cousin, vierge (vers 1579-1601), F, CAnnET.16. Saint Ferréol et Ferjeux, apôtres de la Franche-Comté (vers 212),A. PIDOUX.17. Saint Hervé, moine et Abbé en Bretagne (vie siècle), M, LE BEHnE.18. Saint Ephr,in le Syrien, diacre, Doct or de l'Eglise (vers 306-vers 378), DOMINIQUE

ROLAND-GOS5ELIN.19. Saints Gervais et Protais, martyrs (Ier siècle?), abbé L. TADOURIER. 20. Saint Jean de

Matera, fondateur des Bénédictins de Pulsano (10701139), S. V. H.21. Saint Raoul ou Radulphe, archevêque de Bourges 1866), L. C.22. Saint Alban ou Albin, premier martyr de la Grande-Bretagne (vers 304), A. E. A.23. Saint Liébert, évêque de Cambrai et d'Arras (1076), A. E. L.24. Bienheureux Jean, dit Opilion, berger à Monchy-le-Preux (xve siècle), EMILE AmONT.25. Saint Guillaume de Verceil, fondateur de l'Ordre de Monte-Vergine (1085-1142), A. D.26. Saint Anthelme de Chignin, premier général des Chartreux, évêquede Belley (1107-1178), OCTAvE GAnoN.27. Saint Emilien, évêque de Nantes et martyr (725), MAXIME VIALLET. 28. Saint Paul 1°r,

Pape (767), Do irNIQUE ROLAND-GossELiN.29. Bienheureux Paul Giustiniani, Camaldule, fondateur des Ermites deSaint-Romuald (1476-1529), NOEL CANCE.30. Saint Martial, premier évêque de Limoges (Ce ou m° siècle?), A. H. B.

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SAINT SIMÉON DE SYRACUSEDiacre, moine au Sinaï, puis reclus à Trèves (t . 1035).

Fêle le ler juin.S nINT Siméon ou Simon de Syracuse, le moine et reclus dont le Martyrologe Romain fait

mention au Ce juin, a trouvé un biographe très fidèle dans la personne d'Eberwin,.Abbé de Saint-Martin de Trèves, son contemporain, qui l'avait assisté dans sa dernière maladie. A ce même écrivain est due une Vie de saint Magneric, évêque de Trèves au vie siècle.

Premières années de saint Siméon. -- Pèlerin de JérusalemNé dans le courant du x° siècle, à Syracuse, en Sicile, d'un père d'origine grecque, nommé

Antoine, et d'une mère calabraise, Siméon fut conduit à Constantinople dès l'âge de sept ans, et fit, sous la direction de maîtres chrétiens, de rapides progrès dans la connaissance des sciences divines et humaines.

Quand il fut parvenu à l'adolescence, Siméon se sentit épris du désir d'aller visiter les Saints Lieux. Il abandonna aussitôt ses biens, sa patrie, ses parents, se revêtit de la sainte pauvreté dont le Sauveur a enrichi la terre et se rendit à Jérusalem, Son désir de mener une vie plus parfaite s'accrut surtout après qu'il eut visité les endroits témoins de la Passion, de la mort, de la Résurrection et de l'Ascension du Sauveur. Il résolut dès lors d'aller s'établir dans une solitude. Mais, tout jeune encore, pouvait-il se conduire seul dans cette voie difficile de la perfection? Ne lui fallait-il pas un guide sùr et expérimenté?

Non loin des rives du Jourdain, vivait un saint ermite très avancé en âge,. et dont les vertus étaient connues de tous les habitants de la Palestine. Siméon alla se placer sous la direction de ce vieillard et partager sa douce solitude.

2 Iee JUIN'SAINT SIMÉON DE SYRACUSEComment saint Siméon reçoit les avertissements de son maîtreLa paix et la tranquillité que le disciple trouva auprès du maître ne devaient pas toujours, durer.

Un jour que Siméon regardait les personnes qui traversaient le fleuve; le, vieillard, illuminé par l'Esprit-Saint et découvrantt les- pensées mondaines cachées dans le coeur de son jeune disciple; lui dit d'une voix toute paternelle : u Que te sert, ô mon- fils; d'avoir abandonné ta patrie et tes richesses si tu conserves danse ton coeur des désirss mondains i- Désires. tu devenir le disciple du Christl' Foule aux pieds les plaisirs et les vanités qui ne conviennent pas à un véritable serviteur de Dieu. a

Pour guérir la blessure que ce reproche mérité venait de faire dans le coeur du. jeune homme, le saint ermite reprit : «, 0 mon fils, ne crains rien ; bientôt tus auras à livrer, de- grands: combats, mais prends confiance, Dieu te soutiendra de sa grâce, et en son nom je te promets la victoire... Pour moi,, ajouta le vieillard, je ne puis supporter plus longtemps la présence de tant de personnes, c'est pourquoi je vais chercher un lieu plus retiré où il me soit loisible de vaquer plus complètement à la prière et à la contemplation des choses célestes. a

Saint Siméon, abandonné de son guide spirituel, se retireau monastère du Sinaï.

Le disciple ne se serait jamais séparé du maître si celui-ci n'avait ou soin de recourir à une fuite soudaine.

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Abandonné de son père spirituel, Siméon ne savait plus quelle. voie suivre ni de quel côté diriger ses pas. La lecture fréquente des saints Pères lui fit comprendree que, pour vivre seul au milieu dés déserts et s'adonner à la vie uniquement contemplative, il devait auparavant commencer à mener la' vie active, dans un monastère.

Siméon reçut cette inspiration comme venant du- ciel, et, tout rempli de joie, il se. retira à Bethléem, au monastère de SainteMhrie. Il resta trois ans dans cette nouvelle retraite, s'acquittant des. fonctions de diacre, cette dignité lui ayant été conférée. De là= il vint dans un monastère situé au pied du Sinaï, où il passa quelques années au: service des Frères,, s'exerçant, sous la sage direc-tion d'un supérieur expérimenté, à renoncer à soi-même, à se corriger de ses défauts, à acquérir des vertus solidess et à pénétrer les secrets de la vie spirituelle.

Alors: se sentant à même' de voler sans témérité de. sess propres, ailes, et toujours attiré à la viee contemplative, avec laa permission de l'Abbé du monastère, Siméon se choisit une petitee grotte, non; loinn de: la mer Rouge. Un Frèree venait chaque semaine lui ponter le pain nécessaire, tandis qu'une source, s'échappant duu rocher,. fournissait aux solitaire une eau claire et abondante.

Au bout de deux ans passés dans cee site agréable et vraiment fait pour la prière, Siméon, voyant le concours- dee peuplee qu'attirait l'éclat de ses vertus, résolut de quitter cette retraite pour aller

chercher un lieu plus caché, où il pût se livrer entièrement à :l'oraison.La tentation. - Il triomphe des ruses du démon.Sur le sommet du mont Sinaï, où Moïse vit la gloire de Dieu, où il reçut la loi qu'il devait

donner au peuple juif, se trouvait un ancien monastère qui demeurait inhabité à cause des nom-breuses incursions que les Arabes faisaient dans le pays. C'est en ce monastère désert que Siméon alla sa fixer.

Désormais tranquille du côté du monde, Siméon devait subir des épreuves plus grandes do la part du démon. Parmi ces épreuves, son biographe eu .rapporte non dont il est malaisé de dire si ce fut une attaque directe de l'esprit du mat ou un vain cauchemar.

Une nuit que l'ermite se reposait de ses fatigues, le démon lui apparaît et l'invite à célébrer la messe. Siméon, surpris de cette ,proposition, répond que personne ne peut célébrer le Saint Sacrifice s'il n'a reçu le sacrement de l'Ordre. Le diable insiste, se dit l'envoyé du Pape, ajoute que telle est la volonté du Christ. Le saint diacre résiste courageusement. Un second démon apparaît en ce moment et vient en aide à son compagnon. Siméon est traîné hors de sa cellule, porté devant, l'autel et revêtu des ornements sacerdotaux. Mais ici S'arrêta la malice du tentateur. Le solitaire, qui jusque-là était à moitié endormi, reprit l'usage de ses facultés, et un signe de croix lui suffit pour chasser les démons.

Sorti victorieux de cette épreuve, il retourna au monastère situé près du Sinai.

Disette. - Protection de Dieu sur ses serviteurs.Vers ce même temps, une grande disette régna dans tout l'Orient, mais notamment en -Palestine

et surtout au Caire où l'on comptait par milliers les victimes du fléau. Dieu veille avec un soin parti-culier sur ceux qui ont abandonné le monde pour vivre dans l'humilité, la pauvreté et l'obéissance, à l'exemple du divin Crucifié. Tandis quo le fléau étendait ses ravages, seul le monastère du Sinaï, par un miracle de la divine Providence, n'eut, pas à éprouver les horreurs de la famine, Comme le blé commençait à diminuer, l'Abbé, plein de confiance en la bonté du Seigneur, rassembla tous les religieux, ses frères, et leur dit : u Invoquons et prions constamment le Très-Haut ; pendant quarante ans il a nourri les hébreux d'un pain céleste. Peut-il maintenant laisser dans l'indigence ses indignes serviteurs P a Cette espérance de l'Abbé :ne fut pas vaine : le blé' se multiplia si prodigieusement que le grenier du monastère, ouvert à tous ceux qui voulaient y puiser, ne diminua pas pendant tout le temps de' la famine.

Saint Siméon est envoyé en France. - Il se sauve à la nage.Après quelque temps passé de nouveau dans la solitude, Siméon ,reçut de son supérieur l'ordre

de rejoindre son couvent, et peu après da mission de se rendre en France.4 ler JUINSAINT SIMÉON DE SYRACUSE

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5Richard Il, duc de Normandie, faisait chaque année de grandes aumônes au monastère du Sinaï.

Les moines qui étaient allés en France les recevoir étant morts en chemin, Siméon fut chargé de tenter le voyage. Il partit donc à son tour, prédisant à l'Abbé les nombreux obstacles qu'il rencontrerait et l'insuccès de sa mission.

Le vaisseau qui devait le conduire en France allait mettre à la voile, lorsqu'on vint avertir le capitaine du danger auquel il s'exposait s'il levait l'ancre ce jour-là. Des pirates croisaient, en effet, dans ces parages ; il fallait leur donner le temps de s'éloigner et retarder le départ de deux ou trois jours. Siméon joignit ses instances à cet avertissement pour décider le capitaine à rester au port. « 0 mon frère, lui dit-il, écoutez les conseils que le ciel vous envoie par la bouche d'un homme ; croyez-moi, remettez à trois jours votre départ, et Dieu vous préservera de tout danger. Si vous n'obéissez pas à ma voix, vous périrez, vous et tous vos compagnons. n Le pilote, trop confiant dans la force de ses armes, refusa d'entendre ces conseils inspirés, et fit voile vers la France.

Le Lendemain, le vaisseau était déjà dans la haute mer, lorsque les corsaires parurent. Un combat terrible s'engagea. Pendant toute la durée de l'action, Siméon, comme un autre Moïse, priait les bras levés vers le ciel, et demandait au Dieu des armées de faire éclater sa puissance en confondant les barbares. Après plusieurs heures de lutte acharnée, l'issue du combat restait encore incertaine.

Voyant qu'ils ne pouvaient pas triompher de leurs adversaires, les pirates eurent recours à la ruse. Les premiers ils déposèrent les armes, demandant humblement à être reçus sur le vaisseau, et promirent de se joindre aux chrétiens pour les aider à repousser d'autres ennemis qui, disaient-ils, ne devaient pas tarder à paraître. Le capitaine du vaisseau français, ne flairant pas le piège que lui tendaient les ennemis, accepta leurs propositions et les reçut à bord malgré les vives remontrances de Siméon, à qui le ciel venait de dévoiler les pensées traîtresses des nouveaux venus.

Les armes avaient été déposées, et la paix semblait rétablie sur le vaisseau, lorsque les pirates se jettent sur le capitaine qui les avait accueillis, lui tranchent la tête, et font subir le même sort à tous ses compagnons d'armes.

Seul, le serviteur du Christ, debout sur la poupe, invoquait le Dieu des faibles qui se laisse toucher par la prière humble et confiante. Les barbares faisaient alors entendre des cris sauvages contre Siméon, et s'avançaient pour le frapper. Le moine voyageur fit une dernière prière, puis, plein de confiance, il se jeta à la mer, et, après bien des difficultés, parvint miraculeusement au rivage.

Délivré de ce danger, il se rendit à Antioche, où il reçut des chrétiens un accueil plein de générosité. Là, il se joignit à l'Abbé Richard, Abbé de Saint-Vanne, au diocèse de Verdun, qui revenait du pèlerinage de Terre Sainte. Il continua sa route avec lui jusqu'à

Belgrade où le seigneur de la ville refusa de lui livrer passage sur son territoire, et le retint prisonnier.

Richard arriva heureusement à Verdun. Siméon, enfin rendu à la liberté après bien des prières, des supplications et des larmes,

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Saint Siméon échappe miraculeusement à la mort.gagna Rome d'où il passa en France avec un saint moine, nommé Côme, qu'il avait amené

d'Antioche. Les deux voyageurs y furent reçus par un seigneur du nom de Guillaume, connu de Siméon, et que l'on croit être Guillaume V, comte de Poitiers et duc d'Aquitaine (f io3o).

Le moine Côme mourut en chemin, de sorte que Siméon duttr~L Pr b4 )r~ -Vc...krJV L~rVLr% rVercrS, le, JUINSAINT sIMéoN DE SYRACUSE7se diriger seul vers la Normandie. Arrivé à Rouen cri ioa7, il y apprit que le due dont il venait

de si loin recevoir les aumônes, était mort l'année précédente. Il adressa sa requête à son fils et successeur Richard 11, qui n'imita pas la générosité paternelle et mourut d'ailleurs bientôt (roz8), empoisonné, croit-on, par son frère cadet, Robert.

N'ayant pu obtenir les aumônes espérées, Siméon ne voulut pas retourner les mains vides à son lointain monastère. Il alla trouver l'Abbé de Saint-Vanne, et il passa de là à Trèves. L'archevêque de cette ville, nommé Poppon (ron6-roIi7), fut si touché des mérites ett de la grande vertu de l'humble moine, qu'ayant eu la pieuse intention de faire le pèlerinage de Terre Sainte, il voulut se faire - accompagner par lui.

Nouveau pèlerinage en Terre Sainte.Saint Siméon reclus à Trèves.

Siméon partit donc avec le prélat, partageant toutes ses fatigues et le suivant au retour jusque dans la ville archiépiscopale, où il souhaita de se fixer pour y vivre en reclus. Dieu lui avait fait voir par révélation une tour qui portait le nom de Porte-Noire ou Porte de Mars ; c'est là que Siméon, séparé complètement du monde, voulut finir ses jours. L'archevêque, à la tête du clergé et accompagné d'une foule nombreuse, fit la cérémonie de la réclusion le jour de la fête de saint André (3o novembre tua8) : c'est-à-dire qu'il l'enferma dans la tour en murant la porte, ou du moins en y apposant son sceau.

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L'ancien moine du Sinaï vécut dans cette solitude d'un nouveau genre comme dans un tombeau. Les mortifications par lesquelles il épuisait son corps étaient si grandes, que certaines gens, ne voulant pas voir en cola une intervention de la Providence, s'étonnaient qu'il n'en mourût point et le soupçonnaient d'être sorcier.

Epreuves de saint Siméon.Le diable, jaloux de voir les progrès que le reclus de Trèves faisait de plus en plus dans la voie

de la perfection, ne le laissa pas longtemps en repos. Il l'éprouva tout d'abord intérieurement par ses tentations et ses suggestions perfides. Mais toujours le serviteur de Dieu sortit vainqueur du combat.

Avant d'abandonner la partie, Satan résolut de faire une dernière tentative, et cette fois il excita contre Siméon la fureur des habitants de Trèves. Ceux-ci en arrivèrent à s'imaginer que l'étranger était un magicien qui se privait de la compagnie des hommes pour avoir commerce avec le démon, et l'on s'en prit au pauvre moine de toutes les calamités qui arrivaient à la ville.

Sur ces entrefaites, une inondation provoqua de grands ravages à Trèves. La cause de ce désastre fut attribuée au reclus dont Dieu disait-on, voulait punir les crimes. Toute, la population s'ameuta, elle se porta vers la Porte-Noire, dans le dessein arrêté de lapider

Siméon. Cependant la tour ne put être forcée, et toute la fureur duu peuple aboutit à en briser less fenêtres à coups de pierres. Pendantt cette étrange scène, le vieillard priait pour ses persécuteurs, et„ l'âmee remplie d'une joie toute céleste, il remerciait Dieu de ces épreuves qui devaient le préparer an passage à une vie meilleure. Le Seigneur, en effet, achevait de purifier son serviteur par cess tribulations. Le peuple, quii passe facilement d'une extrémité à l'autre,, montraa dans la suite autant de vénération pour le solitaire,, qu'il avait fait paraître de préventions contre lui..

Mort de saint Siméon.Cependant le reclus de' la Porte-Noire fit prévenir l'archevêque Poppon, et lui demanda de ne

passe préoccuper de ses funérailles. Il voulut que la tour qui lui avait servi de retraite pendant sa vie, lui servît aussi de tombeau. Il aimait à redire souvent ces paroles : e Désormais c'est ici le lieu de mon repos ; ici, j'attendrai le jour où le Seigneur plein de gloire et de majesté viendra juger tous les' hommes. a

L'abbé Ebervin, son biographe, rapporte le trait suivantInconnu de tout le monde, j'étais, dit-il, le dernier des moines ; Dieuu cependant me fit la grâce

de jouir des derniers entretiens du saint reclus, qui me dicta ses dernières volontés, me priant instamment de le laisser enseveli dans cette retraite où il avait passé (le longues années. Alors, dans la cellule du solitaire se répandit comme une agréable odeur, pins douce et plus suave que celle de tous les parfums et aromates de l'Arabie, et la bouche du Saint,, qui ne s'ouvrait que pour chanter au. Soigneurr des. can. tiques dee louanges et d'actions de grâces, laissait échapper en ce momentt suprême des paroles si suaves et si sublimes, qu'aucune langue humaine ne peut bien les redire.

Mais l'heure de la récompense avait sonné. L'âme du serviteur de Dieu s'envolait vers les régions célestes le n°T juin de la même année, deuxième dimanche après la Pentecôte.

Miracles posthumes.Le bruit de sa mort ne se fut pas plutôt répandu, que les habitants de Trèves, revenus de leurs

préventions odieuses contre le saint ermif,, n'eurent plus qu'une voix pour louer celui qui, peu de temps auparavant, était l'objet de leurs malédictions' ; et l'on s'empressa de témoigner d'autant plus de vénération' pour sa' vertu que l'on savait qu'elle avait été plus cruellement calomniée. Le clergé de la ville, les moines, le peuple entier se rendirent à sa cellule pour honorer ses funérailles. Dieu, qui avait voulu éprouver son serviteur pendant de longues années, se plut alors à le justifier et à proclamer son innocence par de nombreux miracles accomplis sur son tombeau.

Pendant que la foule vénérait avec respect les restes sacrés, une sueur abondante s'échappait du corps du Saint que la vie- semblait encore animer. L'archevêque nommé Poppon ordonna à ses clercs de veiller le cercueil durant Vente jours. De plus, il leur prescrivit

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de réciter l'office en cheur dans la cellule où reposait le corps du vénérable défunt. Or il arriva que l'un des clercs, vaincu par la fatigue, se prit à dormir. Réveillé bientôt, comme par une clameur qui venait d'en haut, il voulut reprendre la récitation de l'office, mais sa langue resta muette, de telle sorte qu'il ne put prononcer aucune parole. Reconnaissant la faute qu'il venait de commettre, ce' clerc se prosterna devant le corps du serviteur de Dieu et demanda pardon. Cet acte de repentir à peine accompli, le muet put sans difficulté continuer la prière vocale.

Les trente jours marqués par l'archevêque étant écoulés, une foule nombreuse se rendit à la cellule du saint ermite. Parmi les assistants se trouvaient des boiteux, des aveugles, des possédés du démon ; et tous s'en retournaient guéris après avoir imploré le secours et la protection de saint Siméon. Mais parmi les guérisons les plus remarquables, il faut signaler celle d'un pauvre homme qui, privé de l'usage de ses jambes, avait dû se faire porter jusqu'à la Porte-Noire. Ce paralytique se tintt pendant cinq mois auprès du tombeau du Saint ne cessant d'implorer sa guérison : le ciel semblait rester sourd à ses voeux. Découragé, ce malheureux avait formé le'projet de se faire reconduire à sa maison, lorsque, la nuit qui devait précéder son départ, une lumière plus éclatante que celle du soleil illumina le lieu où se trouvaient les reliques ; une voix céleste se fit entendre : a Lève-toi, dit-elle auu malade, approche du tombeau du serviteur de Jésus-Christ. n Le paralytique se leva, et à l'instant même il se trouva guéri.

A la vue des nombreux miracles accomplis toits les jours sur le tombeau du saint moine, Poppon écrivit au Pape pour lui demander la canonisation de Siméon. Elle fut prononcée par le Pape Benoît IX, en vertu d'une Bulle datée du 8 septembre 1042 et promulguée à Trèves le 27 novembre.

L'antique chapelle Saint-Michel, située près de la Porte-Noire, fit place à une belle église qui prit le nom de Saint-Siméon.

Il existe à Deville, canton de Maromme' au diocèse de Rouen, une fontaine Saint-Siméon dont l'eau a longtemps attiré de nombreux pèlerins ; on suppose que ce nom lui vient du célèbre solitaire du xie siècle, en souvenir de son séjour à Rouen.

ILDEPIIONSE CAUSSE.Sources consultées. - Acta 3mctorum, t. I de juin (Paris et Rome, 1867), -. Mgr PAUL Guéris,

Les Petits BcIIandistae, t. VI (Paris, 1897). - (V, S. B. P.,n' 38a.)PAROLES DES SAINTSLu riches.

Notre-Seigneur ne condamne pas ceux qui ont des richesses, mais ceux qui n'en savent pas bien user. Ce ne sont pas les biens qui les rendent coupables, mais c'est l'affection déréglée qu'ils ont pour les biens.

(Sur S. Luc, an) Saint AMBnoiss.

SAINT POTHIN et SAINTE BLANDINEet les autres martyrs de Lyon (t 177). Fête le 2 juin.Nous ne savons pas avec certitude à quelle époque fut constituée régulièrement l'Eglise de

Lyon, l'une des plus glorieuses, puisqueson pasteur porte encore le beau titre de « primat des Gaules n. Toutefois. saint Pothin qui en

fut le premier évêque étant mort nonagénaire en l'en 177, on peut faire remonter au milieu du ne siècle la fondation de ce siège épiscopal.

La chrétienté de Lyon entre 122 et 177.L'historien de la Gaule, Camille Jullian, estime que ce missionnaire venu d'Orient avait dû

arriver à Lyon dans les premièresannées du réfute de l'empereur Adrien, vers 122. Telle est aussi l'opinion de I abbé Cristiani.A cette date, Pothin avait trente-cinq ans. Les efforts de l'ardent mis sionnaire avaient été

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couronnés de succès. Il avait converti au Christ un certain nombre de Lyonnais et il était devenu leur évêque...

Mais le christianisme exigeait de ses adhérents pur-dessus tout un courage à toute épreuve. Il fallait ne redouter ni la souffrance ni la mort pour demander et recevoir le baptême. La loi romaine était sévère pour la religion du Christ. La situation légale des chrétiens était réglée par le rescrit de Trajan, qui datait de rie à 113. La profession du christianisme était rigoureusement interdite. L'Eglise chrétienne était donc une association illégale et il était défendu d'en faire partie. Mais, par une incohérence que devait dénoncer Tertullien, ni la police ni les magistrats ne devaient rechercher les chrétiens. S'ils étaient dénoncés, on devait les poursuivre, les sommer de renoncer à leur foi et, en cas de refus, les livrer au bourreau. En rigueur (le droit, aucune dénonciation n'était recevable si elle n'était signée d'un accusateur déterminé.

Trop souvent la foule se chargeait, par ses clameurs importunes, de mettre en chasse la police impériale. Sous l'impulsion de me-

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a

GâaApASA/AiA/.,&nrr10 2 JUINSAINT POTIIIN ET SAINTE BLANDINEpeurs plus ou moins avérés, ]'.,,opinion païenne était montée contre les chrétiens. Un peu

partout dans le monde romain, on faisait circuler sur leur compte des calomnies aussi absurdes qu'abominables. On les accusait de se livrer, dans leurs réunions secrètes, à des pratiques ignobles, de manger de la chair humaine.

L'orage devait éclater à Lyon avec une extrême violence en l'an L77. L'hostilité de la populace contre les chrétiens commença, en avril et en mai, à prendre la forme la plus aiguë et la plus agressive.

La lettre des Eglises de Vienne et de Lyon.Nous avons, touchant cette persécution, un document d'une valeur inestimable, Il sagit d'une

lettre, écrite en grec, adressée aux chrétiens d'Asie et de Phrygie par les chrétiens de Vienne et de Lyon, lettre dont le texte nous a été transmis par un auteur chrétien du rv' siècle, l'historien Eusèbe ; elle fut. traduite en syriaque au temps d'Eusèbe, on latin par Rulin d'Aquilée vers /o2, en arménien vers 112o ; c'est dire quelle importance lui a été attribuée.

Nous ne pouvons mieux faire que d'utiliser dans ce récit les principaux passages du précieux document, que nous ne ferons que résumer, tout en en conservant souvent les termes mêmes.

L'ennemi s'attaqua aux disciples de Jésus-Christ avec une violence féroce, et les préludes de sa fureur firent bien vite présager tous les maux qui allaient fondre sur eux. On commença par leur -interdire l'entrée des maisons, des bains, du forum : on les traqua partout.

Toutes les brutalités qui accompagnent les émeutes populaires, les vociférations, les outrages, les violences, les emprisonnements, les coups de pierre, le pillage, en un mot tout ce dont est

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capable une populace en fureur et poussée par sa rage, ses craintes ou sa haine, fut exercé contre les confesseurs; mais leur constance est demeurée invincible. Ensuite, traînés au forum par le tribun des soldats et les magistrats de la ville, ils répondirent aux questions qu'on leur fit, en présence d'une foule immense, par une généreuse profession de foi. Après cela, ils furent jetés en -prison jusqu'au retour du gouverneur.

L' a avocat des chrétiens a : saint Vettius Epagathe.Dès que le gouverneur fut arrivé, on les lui présenta. Comme il les traitait avec are cruauté égale

à sa haine des chrétiens, cette injustice révolta Fun des témoins, chrétien lui aussi, Vettius, ,Epagatle. C'était un jeune homme d'une naissance illustre, dont la vie réglée et austère faisait l'admiration de toute la ville. Dans le premier -mouvement de son indignation, il s'écria qu'il voulait prendre la parole pour justifier les accusés des crimes d'athéisme et de sacrilèges, protestant contre de si absurdes calomnies.

Une immense clameur poussée par la multitude accueillit cette proposition.- Es+tu :donc chrétien, toi aussi? lui demanda le gouverneur.- Oui, je le suis, répondit-il d'Une voix qui -retentit dans toutle prétoire et domina les bruits de la foule.Aussitôt le gouverneur donna l'ordre de l'arrêter- Voilà l'avocat des chrétiens, dit le magistrat railleur.Dès lors, Vettius Epagathe prit, rang dans la phalange desbienheureux martyrs.

Apostasie de plusieurs chrétiens.A partir (le ce jour, l'épreuve commença et une distinction bien tranchée s'établit entre les

chrétiens. Ceux qui avaient été arrêtés les premiers persévérèrent avec une constance admirable, mais d'autres, moins préparés à la lutte, manquèrent de force pour soutenir ce choc terrible. Une douzaine environ donnèrent cet affligeant spectacle ; l'effet produit fut une diminution sensible de l'ardeur chez ceux qui, libres encore, quoique soumis à la surveillance la plus rigoureuse, n'avaient pas cessé de prodiguer leurs consolations et, leurs secours aux martyrs, les assistant jour et nuit dans leurs cachots.

Chaque jour, on emprisonnait à nouveau des chrétiens dignes de remplacer honorablement ceux qui avaient failli dans les tortures.

Avec eux on saisit quelques esclaves encore païens, car le gouverneur avait donné un ordre général d'emprisonner tout ce qui se trouvait dans les maisons chrétiennes. Ces esclaves, effrayés des tortures qu'on infligeait aux saints et gagnés par les soldats, cédèrent à une impulsion satanique et déposèrent faussement qu'ils avaient vu parmi leurs maîtres des festins où l'on mangeait de la chair humaine, et des assemblées où an commettaient toutes sortes d'infamies dont le nom seul et la pensée font rougir. Ces dépositions mensongères se répandirent bientôt jusque dans le public, en sorte que ceux des païens qui ;jusque'là avaient fait 'preuve d'une certaine modération poussèrent eux-mêmes des cris de mort. Dès lors, on fit endurer aux martyrs des tourments que nulle expression ne saurait rendre.

Tourments de sainte Blandine, de saint Sancte et de sainte Biblis.La fureur du peuple, du gouverneur et des soldats se porta tout particulièrement sur le diacre

Sancte, sur le néophyte Mature, sur Attale, l'une -des plus fermes colonnes de notre ,Église ; enfin, sur une jeune esclave nommée Blandine. Tous les frères tremblaient pour cette jeune fille ;; sa maîtresse elle-même, qui était du nombre des martyrs, craignait (fine cette enfant faible et délicate ne sût point résister à la vue des supplices. Mais Blandine montra un tel héroïsme que les bourreaux, qui se relayèrent pour la torturer depuis six heures du matin jusqu'à la nuit, finirent par s'avouer vaincus. A leur grand étonnement, quoique tout son -corps ne fût qu'une plaie, et bien qu'un seul des supplices qui lui avaient été successivement ~infigés fût suffisant pour lui donner la mort, la jeune vierge respirait encore. Elle éprouvait, au milieu de ses

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12 2 JUINSAINT POTUIN ET SAINTE BLANDINEtortures, une consolation indicible en répétant sans cesse : « Jesuis chrétienne, il ne se fait rien de mal dans nos assemblées. nLe diacre Sancte vit de même s'épuiser sur lui toute l'ingénieuse cruauté des persécuteurs. Dans

l'espoir d'obtenir de sa bouche un aveu compromettant pour les autres disciples du Christ, on épuisa en sa personne toutes les ressources et tout l'art des bourreaux. Mais il déploya une telle fermeté d'âme qu'à toutes les questions qui lui étaient posées sur son pays, sa race, sa condition, il se contentait de répondre en latin : e Je suis chrétien. n Les païens n'en purent tirer une autre parole, ce qui exaspéra tellement le gouverneur et les bourreaux qu'après avoir inutilement essayé tous les genres de tortures, ils imaginèrent de lui appliquer, aux points les plus sensibles du corps, des lames d'airain rougies au feu. Le martyr vit consumer sa chair, sans même faire un mouvement. Cependant, tous ses membres, affreusement mutilés, tordus sur eux-mêmes, conservaient à peine la forme humaine.

Après qu'il eut passé quelques jours dans la prison, les bourreaux reçurent ordre de le soumettre de nouveau à la torture, au moment où l'inflammation de ses plaies les rendait si douloureuses qu'il ne pouvait supporter même le plus léger attouchement. Mais, par un prodige inouï, son corps reprit soudain sa forme première.

Trompé dans son attente, l'ennemi reporta sa rage sur des adversaires plus faciles à vaincre. Du nombre de ceux qui avaient eu le malheur de céder à la violence des tourments, se trouvait une femme nommée Biblis. La faiblesse dont elle avait donné la preuve fit espérer aux persécuteurs qu'ils obtiendraient facilement d'elle l'aveu des crimes et des abominations qu'on leur reprochait. On l'appliqua donc à la torture, Mais, comme si l'aiguillon d'une douleur passagère eût réveillé sa conscience endormie, I3iblis opposa les plus énergiques dénégations à toutes les instances des persécuteurs. Elle répara ainsi courageusement sa défection précédente et obtint l'honneur d'être réintégrée au nombre des martyrs.

L'inutilité des tourments ne découragea point les païens. Ils jetèrent les martyrs dans un cachot étroit et obscur, et leur mirent les chaînes aux pieds. Plusieurs moururent, suffoqués par l'infection et le manque d'air.

Martyre de saint Pothin.Pothin, l'évêque de Lyon, tomba lui-même aux mains des persécuteurs. C'était un vieillard plus

que nonagénaire. A la faiblesse de l'âge était venue se joindre celle de la maladie, en sorte qu'on fut obligé de le porter au tribunal. Tous les magistrats, le peuple entier l'escortaient au milieu des vociférations et des clameurs.

- Quel est le Dieu des chrétiens? lui demanda le gouverneur.- Vous le connaîtrez si vous en êtes digne, répondit-il.A ces mots, sans pitié pour ses cheveux blancs, la multitude se rue sur lui, les plus proches à

coups de pied et de poing ; les plus éloignés lui lancent tous les projectiles qui leur tombent sous la main.

Saint Pothin meurt dans sa prison.Après cette explosion de violences, Pothin, couvert de plai et à demi mort, fut jeté dans un

cachot infect où il expira deux j urs après. On peut vénérer encore aujourd'hui, à Lyon, la prison où furent enfermés saint Pothin et sainte Blandine.

Le sort des apostats.D'ordinaire, les apostats étaient relâchés aussitôt qu'ils av ent publiquement renié leur foi. Ici,

ils furent retenus en prison vec les confesseurs et soumis aux mêmes traitements. L'apostasie eut fut donc complètement inutile. Pendant que les héroïques pr onniers, qui avaient généreusement confessé la foi, n'étaient dét nus

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SAINT POTIIIN ET SAINTE BLANDINE LÔque comme chrétiens, les apostats étaient retenus dans les chaînes comme convaincus, par leur

propre aveu, d'homcides et de crimes de tout genre ; ils souffraient doublement de l'horreur do leur sort.

Les confesseurs étaient radieux de la sainte joie du martyre ; les apostats apparaissaient dévorés de remords ; leur conscience les tourmentait encore plus que les bourreaux.

Martyre de saint Sancte et de saint Mature.Mature et Sanete furent exposés aux bêtes dans l'amphithéâtre, dans des jeux solennels qu'on

organisait exprès pour repaître le peuple du carnage des chrétiens. Malgré les tortures auxquelles ils avaient déjà été soumis, ils supportèrent toutes celles qu'on leur infligea de nouveau comme s'ils n'avaient encore rien souffert-.

Ils furent d'abord flagellés, selon la coutume, ensuite abandonnés à tous les caprices des bêtes féroces et à tous ceux de la populace qui, par des vociférations tumultueuses, réclamaient à chaque instant une nouvelle insulte ou un nouveau supplice. C'est ainsi qu'on demanda de toutes parts la chaise de fer. On apporta cet instrument de torture, et, quand il fut rougi par la flamme, on y assit les martyrs. Une horrible odeur de chair brûlée se répandit dans l'amphithéâtre.

On ne put arracher à Sanete d'autres paroles que celles de son premier interrogatoire : « Je suis chrétien. »

Les deux soldats du Christ, donnés en spectacle au inonde, fournirent à eux seuls, pendant un jour entier, le cruel divertissement qu'on demande d'ordinaire, à plusieurs couples de gladiateurs. Après tant de tourments, ils respiraient encore ; ils furent achevés d'un coup d'épée.

Martyre de sainte Blandine, de saint Attale, etc.Ce jour-là même, Blandine avait été suspendue à un poteau dans l'arène, pour y être dévorée par

les bêtes. Ses bras étaient étendus en forme de croix ; dans cette attitude, elle priait avec ferveur. En la contemplant; les autres martyrs retrouvaient dans leur soeur une image de Celui qui avait été crucifié pour eux; cette pensée ranimait leur courage. Mais aucune bête ne toucha l'héroïque vierge. Elle fut détachée et ramenée en prison.

Cependant, le peuple avait vingt fois demandé Attale: Il parut avec une contenance intrépide ; on lui fit faire le tour de l'amphithéâtve, précédé d'un licteur qui portait une inscription ainsi

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conçue : « Celui-ci est Attale, le chrétien. eA sa vue, la multitude éclata en exclamations frénétiques. Cependant, le gouverneur, ayant

appris qu'Attale était citoyen romain, le fit reconduire en prison. Il crut devoir cri référer à César.La réponse- arriva peu après. L'empereur prescrivait de mettre à mort ceux qui persisteraient à

s'avouer chrétiens, ut de renvoyer en- liberté tous les autres.Pour donner à son jugement plus de solennité, le gouverneurchoisit an jour où, chaque année, les- marchands de toutes les provinces étrangères ont coutume

de se réunir dans notre ville..Son tribunal fut dressé au milieu du forum, et les martyrs furent amenés. Tous ceux qui furent

reconnus comme citoyens romains eurent sum-le-cheml) la tête tranchée ; les autres furent réservés pour les combats et les bêtes féroces dans l'amphithéâtre..

Ce fut alors que la plupart des apostats, réconciliés avec l'Eglise, ménagèrent un magnifique triomphe à la foi et à la gloire du Christ. On les avait mis à part pour les interroger les derniers, parce qu'on se promettait d'avoir à les absoudre. Mais tous se déclarèrent chrétiens et persévérèrent dans leur généreuse confession.

Pendant leur interrogatoire., un médecin, originaire de Phrygie, nommé Alexandre, se tenait au pied du tribunal pour encourager les confesseurs. Le peuple, déjà furieux dee la rétractation des apostats, s'en prit à lui comme s'il eut provoqué leur conversion.

- Qui es-tuP lui demanda le gouverneur.- Je suis chrétien, répondit Alexandre.Et- sur-le-champ, il fut condamné aux bêtes. Attale, malgré son titre de citoyen romain, subit le

même sort. L'exécution eut lieu le surlendemain. Alexandre et. Attale parurent ensemble dans l'amphithéâtre, Ils passèrent i'un et l'autre par la série ordinaire des tortures. Alexandre, absorbé en Dieu, ne laissa pas échapper une plainte, ne proféra pas même une parole.

Quand Attale fut placé. sur la chaise de fer rougie et que l'odeur de sa chair consumée remplissait l'arène, au point d'incommoder les spectateurs,. il s'écria : e En vérité, voilà que vous mangez la chair humaine. Pour nous, jamais nous n'avons été anthropophages, jamais nous n'avons commis de crimes. »

Quelqu'un lui cria :- Dis-nous le nom de- Dieu I- Dieu, répondit-il, ne porte pas de nom comme un mortel.De toute cette phalange, de martyrs, Blandine resta la dernière, avec un jeune chrétien âgé de

quinze ans, nommé Pontique. Chaque jour, on les avait amenés dans l'amphithéâtre pour y être témoinsdes supplices de leurs frères.

Enfin, le jour de la clôture des jeux solennels, on les fit prendre part au combat. Ils furent traînés en face d'un autel des faux dieux, au milieu de l'arène, ett là onn voulut les contraindre àà sacrifier. Ils refusèrent avec un geste de mépris. Le peuple éclata alors en imprécations de fureur. Sans pitié pour là jeunesse do Pontique ni pour le sexe (le Blanchie, on les soumit à toutes les tortures ordinaires. De temps en temps, les bourreaux s'interrompaient., criant à ces deux héroïques victimes de jurer par les noms des dieux. Ce fut en vain. Blandinec exhortait elle-même Pontique à montrer à cette foule barbare ce que, la foi de Jésus-Christ peut accomplir de merveilles dans un enfant. Le jeune chrétien résista avec un courage invincible et expira dans les tortures.

162 JUINBlandine parcourut la dernière de tous ce champ ensanglanté. Après la flagellation, l'exposition

aux bêtes et le supplice de !a chaise de fer, elle fut roulée dans un filet et jetée à un taureau furieux, qui la lança à plusieurs reprises dans l'arène. Enfin, l'épée du « confecteur a - on appelait de ce nom le gladiateur qui achevait les victimes - lui donna le coup de la mort ; les païens euxmêmes disaient que jamais femme n'avait tant ni si héroïquement souffert.

Insultes aux reliques.La rage des bourreaux n'était pas encore assouvie. Les cadavres de ceux qui étaient morts dans

la prison furent exposés sur la voie publique pour être dévorés par les chiens. Des soldats les 12

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gardèrent jour et nuit pour empêcher qu'on les ensevelît.On coupa d'abord en morceaux et on exposa au peuple les restes sanglants échappés à la dent

des bêtes et aux flammes du bûcher. Tous ces tronçons, que dominaient les têtes coupées par le glaive, demeurèrent plusieurs jours sans sépulture, gardés par un piquet de soldats, et la foule venait repaître ses yeux de cet horrible spectacle. Après avoir été exposés ainsi pendant six jours aux outrages et aux insultes de la populace, les précieuses dépouilles furent placées sur un bûcher et consumées par les flammes. On jetta les cendres dans le Rhôrte afin qu'il n'en restât pas une trace sur la terre.

Le nombre des martyrs. - Leur culte.Nous ne saurions préciser le nombre des saints martyrs lyonnais de l'an 177. On connaît

quarante-huit noms ; mais encore ignoret-on si plusieurs des personnages cités ne possédaient pas deux noms, ce qui diminuerait le nombre des martyrs connus. Mais il est certain que beaucoup parmi les victimes restent ignorées surtout parmi les gallo-romains.

A Lyon une église paroissiale, centre d'un archiprétré du même nom, est dédié à saint Pothin ; l'église d'Amplepuis dans le même diocèse l'a aussi pour titulaire. Sainte Blandine, plus favorisée, est titulaire d'une paroisse de Lyon et de trois autres paroisses dont une dans le département du Rhône et deux dans le département de la Loire.

A. D.Sources consultées. - Acta Sanctorum, t. I de juin (Paris et Rome, 1867). - EVSÈIte, histoire

ecclésiastique, traduction de l'abbé GPAPIN, t. Il (Paris, igis). -Abbé L. CnIsr1AH1, Saint frérée, évêque de Lyon, martyr (Paris, 1927). - (y. S. B. P., n' 172.)....................................

PAROLES DES SAINTSL'humilité

Celui-là même qui n'a pas eu horreur de descendre vers ceux qui gisaient d terre exalte ceux qui le suivent humblement.

Saint AUGUSTIN.r ri rBIENHEUREUX ANDRÉ CACCIOLI, DE SPELLOdes Frères Mineurs, disciple de saint François (1194-1254).Fêle le 3 juin.A 1\ UNE demi-journée de Spolète, sur une petite colline, émerge la ville de Spello. Les restes

d'un cirque, d'un théâtre et d'uu amphithéâtre montrent que jadis les Romains y avaient établi une colonie. C'est là que naquit, le 3o novembre de l'année 1194, en la fête de l'apôtre saint André dont il devait porter !e nom, le Bienheureux à qui est dédiée cette notice.

Débuts dans l'apostolat.Soutenu par la piété solide de ses parents et favorisé d'un heureux naturel, André Caccioli,

enfant, donna des signes très visibles de sainteté précoce, surtout par sa charité et sa compassion envers les déshérités de la fortune. Autant que le lui permettaient les ressources de sa famille, d'ailleurs fort riche, il soulageait les pauvres, et plus d'une fois il se priva pour eux de sa part de nourriture. Son amour pour la prière fut sa meilleure sauvegarde au milieu des dangers et des séductions du monde. Son plaisir était d'aller au Mont Subasio, non loin de Spello, où se trouvait un couvent de religieux Camaldules portant le nom de Saint-Sylvestre. Il aimait aussi fréquenter la chapelle des religieuses du Val-de-Gloire chez qui plus tard, après son entrée dans l'Ordre des Frères Mineurs, il introduira la règle de sainte Claire. En attendant, il cherchait sa voie et il sollicita de cette communauté des prières afin de connaître les intentions de Dieu sur lui.

Sous l'influence de la grâce, André se décida à devenir prêtre. En 1aifi, à l'âge de 22 ans, il avait le bonheur de dire sa première messe. Les larmes qu'il versa pendant le Saint Sacrifice apparurent

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comme la meilleure garantie de sa ferveur. Un prêtre aussi bon ett aussi pieux fut réclamé par le peuple de Spello, qui avait perdu son Pasteur.

18Comme le jeune curé avait pris à coeur le salut de tous, rien ne pouvait l'arrêter, ni les fatigues

du saint ministère, ni l'indifférence de quelques-uns de ses paroissiens.Véritable père, il fut bientôt très aimé. Les ravages et les discordes occasionnés par les factions

des Gibelins et des Guelfes avaient allumé en lui le désir très vif de faire disparaître ou tout au moins de diminuer la haine des citoyens de Spello.

A la suite de saint François d'Assise.Cependant, ses rapports avec le monde ne lui permettaient pas de s'élever vers Dieu aussi

facilement qu'il l'aurait désiré.Or, à cette époque, les religieuses du Val-de-Gloire se réjouissaient de recevoir saint François

d'Assise et de se mettre sous sa juridiction. André alla confier ses angoisses à ce religieux d'un nouveau genre célèbre par sa sainteté et par ses miracles.

- Il faut attendre, lui dit François ; Dieu vous veut tout entier pour lui, mais plus tard. Vous avez encore à vous occuper de votre mère et de votre sueur.

Le jeune prêtre se retira très ému. Loin de se refroidir, ses désirs devinrent d'autant plusardents que les obstacles paraissaient insurmontables. Ainsi s'écoulèrent quatre années d'attente. Sur ces entrefaites, la mère d'André passa à (nie vie meilleuree et sa soeur la suivit de près dans la tombe. Celte douloureuse épreuve rendait -au jeune prêtre sa liberté ; il se hâta de se démettre de sa charge, à la consternation de ses paroissiens, désolés de perdre un tel pasteur.

Frappé de la physionomie calme et pure de son nouveau disciple, saint François l'embrassa avec tendresse et le revêtit lui-même Je l'habit de l'Ordre. C'était-en ..1223 ::André avait alors 29 ans.

La ferveur et la piété qui régnaient dans la communauté récemment fondée augmentèrent en lui le désir de-se perfectionner.

Mais il ne devait pas jouir longtemps de la présence de son maître. En 1226, le patriarche séraphique fit appeler tous ses fils près die son lit de mort. Le visage rayonnant de bonheur, il recommanda l'observance de -la pauvreté et l'obéissance envers l'Eglise de Rome puis, ayant prié le Fr. André de s'approcher de lui, il lui donna le conseil de se dévouer dans la prédication en s'attachant à remuer :les cours.

La succession de -saint François échut -tout naturellement au Fr. Elie Rombarone-ou 1lie de Cortone, son vicaire général. •C'était :un :homme de grand 'talent, mais d'une prudence jugée excessive par des familiers =du :Saint. Avec les encouragements du pape Grégoire IX, Elie jeta les fondements d'une église destinée à conserver les reliques du thaumaturge. Afin de subvenir aux frais exigés -par -une :pareille construction, une urne fut placée au dehors avec cette inscription « Aumônes :pour l'église. n Les disciples les plus chers à saint :François. et les plus attachés à son esprit y virent un attentat contre -l'esprit de pauvreté °et en conçurent un violent chagrin ; dans leur dépit, André et quelques autres avec lui se permirent de

nIENIIEUREnx INDRL• CACCIOLI, DE $PELLO rgbriser l'urne. En. punition de cet acte, André dut subir la peine de' la prisonn monastique que lui

infligea le Fr. Elie- et cette épreuve ne prit fin que: quand le Fr. Elie eutt été remplacéê à la tête de' l'Ordre par Jean Parenti.

Fruits merveilleux de prédication. - Résurrection d'unn mort.14

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En 1233, le Chapitre général des Frères Mineurs se réunit à Soria, en Espagne. Les habitants de cette ville, affligés par une désastreuse sécheresse, demandèrent aux religieux des prières publiques, précédées d'une prédication. Sur l'invitation de son supérieur, le P. André n'hésita pas à monter en clic:re. Là, devant une foule nombreuse, il se mit à tonner contre la corruption des mours et affirma hardiment que ces malheurs ne cesseraient qu'avec le changement de vie. Aussitôt les auditeurs manifestèrent un repentir véhément, qui se traduisait par clos larmes abondantes. Alors le prédicateur se recueillit et, se tournant vers Dieu, il implora miséricorde pour ce peuple. Sa prière fut exaucée : un orage éclata et unee pluie abondante vint rafraîchir la terre. Témoins de cette coïncidence extraordinaire, tous publiaient à l'envi que l'humble Frère Mineur était un Saint, et voulaient baiser sa robe de bore. De ce moment date le surnom qui lui fut donné de « Fr. André des Eaux » (de Aqui.s écrit parfois de Lachis).

Le succès du P. André le désigna à l'attention des membress lu Chapitre, qui, d'un vole unanime, lui conférèrent le titre de prédicateur général. De retour en Italie, où il eut la joie d'exercer son ministère, principalement en Lombardie, de 5235 à i>,113, il allait souvent, afin de rendre son apostolat plus fructueux, s'agenouiller près du tabernacle. Pour communiquer aux autres l'amour divin, il faut le posséder à un degré supérieur ; le P. André l'obtint à force de larmes, de gémissements et de pénitences de toute sorte.

Pour gagner les âmes à Jésus, il parcourut villes et provinces,, s'attachant partout à montrer l'importance du salut éternel.. Ses prédications le rendirent célèbree à Vérone,. Crémone, Côme, Padoue, Reggio, Parme, et le conduisirent mêmee en plusieurs villes de France..

A Reggio (le Lombardie, il prêchait un jour sur une place publique, et les auditeurs l'écoutaient avec une attention religieuse, que ne parvint même pas à distraire le passage assez bruyant d'un convoi funèbre. Seul, le missionnaire s'en était rendu compte ; il s'interrompit tout à coup et ordonna d'une voix retentissante au cortège de s'arrêter ; puis, après une courte prière, il- commanda au mort de se lever. Celui-ci se dressa aussitôt, commença à parler et rentra chez lui à pied.

Un chevalier du Christ.Plus quee les autres provinces de l'Italie, l'Ombrie et les terres soumises au Saint-Siège eurent à

souffrir des incursions de Frédéric il, dontt les ressentiments contre le Pape Grégoire Ix sont bien connus, Nonn content, de porter partout le feu et la dévastation, cet

3 Joui2o 3 JuinBIENHEUREUX ANDRIt CACCIOLI, DE 5PELLO21empereur excommunié cherchait à extirper la foi ; sa fureur se déchaînait contre les, églises et

les lieux sacrés. Beaucoup d'objets du culte furent ravis ou employés à des usages profanes ; religieuses et religieux furent chassés de leurs couvents et forcés d'affronter les grossièretés de la soldatesque.

André tremblait pour les religieuses du Val-de-Gloire, dont le monastère isolé ne pouvait recevoir du dehors aucun secours.

L'armée de Frédéric II entre à Spello, dont les habitants ont refusé de s'unir à la faction des Gibelins ; elle ne tarde pas à exercer sa vengeance : églises et vases sacrés profanés, hommes tués, femmes et enfants maltraités. Comme il fallait s'y attendre, les soldats se dirigent ensuite vers le Val-de-Gloire; ils essayent d'ébranler les portes et d'escalader les murs. Tout à coup paraît un personnage, l'épée 'i la main, et dont le visage, terrible et menaçant, remplit d'une si grande terreur les pillards, qu'ils lâchent pied et se sauvent dans toutes les directions.

Cette délivrance fut attribuée à la prière de l'humble moine, qui avait demandé au Seigneur d'envoyer son ange au secours de ses vierges. Très émue de cette protection visible d'en haut, sainte Claire permit, en 1248, aux religieuses du Val-de-Gloire de se mettre sous la direction du serviteur de Dieu.

Humiliations. - Visite de l'Enfant Jésus.L'Ordre des Frères Mineurs ayant pris une extension tout à fait inattendue, le Saint-Siège avait

estimé sage d'adoucir certains points de la règle franciscaine, notamment en ce qui concernait le 15

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voeu de pauvreté. Ces dispenses ne furent pas goûtées des premiers disciples de saint François d'Assise. André, convaincu de l'inopportunité de cette mesure, qui pourtant avait sa raison d'être, engagea de bonne foi, avec fermeté, ses confrères à revenir à la pauvreté extrême des origines. Ses instances étaient de nature à entraver les études, qui exigent des ressources en argent ; en tout cas, elles parurent déplacées au Ministre général qui, par crainte d'un schisme, jugea bon d'enfermer celui qui en avait pris l'initiative. La réclusion, acceptée dans un esprit très surnaturel, dura trois ans, jusqu'à l'élection du nouveau Ministre général, le P. Jean de Parme, en 1247. Quand sonna l'heure de la délivrance, André y parut tout à fait indifférent. Dans son estime pour la solitude, il avait passé ce long espace de temps à méditer et à contempler les perfections de Dieu.

Aussi sa joie fut-elle grande quand, à sa sortie, il fut envoyé dans le petit couvent bien connu des Carceri, à deux milles d'Assise. Là. il vivait loin du commerce des hommes. Son amour pour le silence s'accrut au point de lui faire éviter la conversation des quelques religieux qui s'y trouvaient ; mais ce silence n'était pas de ceux qui irritent : tout au contraire, il provoquait l'admiration.

Son amour pour Jésus grandissait chaque jour ; il se traduisit souvent par un désir immense de le voir et de le posséder dans ses bras. Un jour de l'année 1249, alors que cette aspiration était chez lui plus violente que jamais, une lumière extraordinaire éclaira sa

cellule, lui causant un certain effroi mêlé à beaucoup de douceur. Au milieu d'une multitude d'anges, le divin Enfant parut, le sourire sur les lèvres, et s'en vint reposer dans les bras de son serviteur. Pendant que celui-ci s'entretenait avec lui, la cloche de la chapelle

Le bienheureux André Caccioli, revenant de l'office,

trouve l'Enfant Jésus qui l'attend dans sa cellule.se mit à sonner les Vêpres. La lutte fut terrible dans le coeur d'André entre le bonheur et le

devoir ; finalement, l'obéissance eut le dernier mot ; le bon religieux laissa l'Enfant Jésus dans sa cellule et s'en alla au choeur. A son retour, il retrouva l'Enfant divin qui l'attendait encore

22 3 JUIN- André, lui dit-il, c'est bien ù toi d'avoir rejoint tes Frères. Si tu étais resté ici pendant l'office,

je t'aurais laissé seul. Demeure toujours aussi fidèle.à la règle, aussi obéissant envers :tes supérieurs, aussi soumis à tes devoirs, et je serai avec toi dans l'éternité.

Zèle apostolique.Le serviteur de Dieu passa trois ans dans sa nouvelle solitude. Persuadés de son influence

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bienfaisante, les habitants de Borgo SanSepolcro le conjurèrent de leur apporter des paroles d'édification. Sans se soucier de leurs appréciations, André leur adressa un sermon où péchés et pécheurs étaient sévèrement réprimandés. Toute ~a population en fut si remuée qu'elle se décida à changer de vie et à garder chez elle le prédicateur ; dans ce dessein, elle lui proposa d'accepter un local pour lui et pour ses compagnons. Cette offre toucha vivement l'homme de Dieu, mais il ne put accepter, car bien qu'André eût le titre de Gardien, en fait c'était le Fr. Thomas, son disciple, qui avait tous pouvoirs et qui dirigeait réellement la communauté.

Ce refus ne découragea pas les autres villes, surtout Spello, dont les habitants rêvaient d'assurer au pieux Franciscain un refuge pour ses derniers jours. Ils avaient l'intention de lui céder l'église SaintAndré avec l'ancien couvent des Camaldules ; pour être sûrs du succès de leurs démarches, ils s'adressèrent directement au Ministre général de l'Ordre, qui accéda à leur demande, et la donation fut confirmée le r3 mars 19,54 par le Pape Eugène IV et par l'évêque de Spolète le 7 septembre suivant.

Le champ était vaste pour un apôtre ; les griefs et les dissensions avaient divisé les habitants de Spello en deux camps ennemis. Par ses prières et aussi par ses paroles de charité, André persuada à tous d'oublier leurs torts réciproques et de faire taire leurs ran-runes, si bien qu'en quelques années le pays parut complètement changé.

La facilité de se rendre, au monastère du Val-de-Gloire existait toujours et elle permit à André de s'adonner à la direction des religieuses. Il les soutint dans leurs tribulations et il réussit à commu-niquer à quelques-unes d'entre elles la flamme d'une plus grande ferveur et la résolution de parvenir à une plus grande sainteté. Affligé de leur-dénaîment, il s'ingéniait à leur procurer des secours, ,et, en dépit des fatigues et de son grand âge, il se mit à parcourir la ville de Spello et les villages environnants pour leur obtenir les ressources indispensables.

Dernières épreuves avant la récompense.L'épuisement, le surmenage, fruits de l'abnégation la plus colnplète, avaient ruiné la santé du

généreux Frère Mineur. En 1254, ses infirmités, devenues plus nombreuses, le contraignirent à cesser toute occupation ; ses -souffrances, qui ne lui laissaient -pas an moment- de répit, ne purent cependant lui arracher une plainte. Afin de purifier davantage cette âme, Dieu lui avait enlevé le sentiment

niENnrunrax ANDRÉ, cacmoLi, DE SrrLLO z3de sa présence. Dès lors, plus de consolations sensibles venues du ciel, la vie d'André, au milieu

de celte nuit- de l'âme, fut un véritable martyre.Cet état dura plusieurs mois et manifesta plus que tout le reste la vertu du religieux. Loin de

demander à être délivré de ses tortures morales, il chercha dans la méditation de la Passion le secret de souffrir avec courage. Fermement convaincu de sa bassesse et de a majesté de Dieu, il songeait avec frayeur au jugement dernier. Aussi, se voyant gravement malade, réclama-t-il avec instance les derniers sacrements. Lorsque la porte de sa cellule s'ouvrit devant le prêtre qui apportait le Viatique, le moribond, subitement délivré de ses sécheresses, retrouva toute sa ferveur ancienne ; il se déclara profondément' humilié de recevoir son Créateur sur son grabat et le supplia de vouloir agréer le sacrifice de sa vie,

Tous les Frères, appelés en hâte, se réunirent autour de leur supérieur. Navrés de perdre un maitre aussi bon et aussi vénéré, ils ne purent retenir leurs larmes. André, toujours oublieux de soi-même, trouva assez de force pour leur sourire gracieusement et leur adresser quelques paroles. Après leur avoir recommandé de ne pas négliger les règles du séraphique Père, il voulut leur donner le baiser de paix, priant Notre-Seigneur de les combler de ses bénédictions. Les quelques instants qu'il lui restait à vivre se passèrent dans le recueillement.-De temps à autre, on l'entendait murmurer

- Mon Dieu, je remets mon âme entre vos mains.Enfin, il mourut. C'était le 3 juin 1254 ; il avait 6o ans, dont il avait vécu la moitié sous la

bannière de saint François d'Assise.Le culte. - La gloire.Son corps fut déposé dans un tombeau de marbre, protégé ;par des grilles de fer, sous un autel

voisin de la chaire. Dès 136o, sa fête commença à se célébrer publiquement ; il se peut qu'en cette 17

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même année ses restes aient été « levés'- de terre n par Jean V, évêque de Spolète, mort lui-même en odeur de sainteté environ dix ans plus tard. Un tableau représentait le serviteur de Dieu en habit de religieux, le front ceint d'une auréole.

Nous possédons plus de certitudes touchant une reconnaissance des reliques qui eut lieu en r5g4, le texte du procès-verbal ayant été conservé, Une nouvelle reconnaissance se fit le ii avril 1597 ; elle fut: suivie d'une translation des reliques à un nouvel autel.

Lorsque M'affée Barberini, ancien évêque de Spolète, eut été élevé au Souverain Pontificat sous le nom d'Urbain VIII, les habitants de Spello jugèrent le moment favorable pour solliciter de Borne l'autorisation (le commencer un procès apostolique. La démarche fut accueillie avec d'autant plus de faveur que l'ancienneté du culte était .facile à prouver.

Parmi les miracles présentés au procès, citons celui-ciUn enfant de 4 ans, miné par la fièvre et épuisé par des crachements de sang, n'était plus qu'un

squelette. Consultations de médecins, remède§ les plus divers, soins les plus empressés, tout avait243 JUINété inutile. Dans son désespoir et en même temps sous l'inspiration de la gràce, la mère se rendit

avec son fils au tombeau du thaumaturge. Elle aida l'enfant à réciter le Pater et l'Ave, puis, persuadée que sa prière avait été exaucée, engagea le petit malade à marcher. Celui-ci rit aussitôt quelques pas, et, soutenu par le bras maternel, il put revenir à pied à la maison : en y arrivant, il se sentit complètement guéri.

Cependant, les années passaient sans amener un résultat définitif. A la fin du xviie siècle, plus exactement en i6go, sur les instances du Gardien du couvent, de nouvelles mesures furent prises en vue de prouver que le bienheureux André jouissait d'un culte immémorial : le colonel Charles de Lamparelli, âgé de 76 ans, et propriétaire de la maison familiale d'André Caccioli, confirme devant les enquêteurs que le serviteur de Dieu était honoré dans une chapelle de l'église conventuelle. Par le procès-verbal de sa déclaration, nous apprenons que le corps était conservé sous l'autel darse une châsse, devant laquelle brûlait continuellement une lampe ; à droite et à gauche, se trouvaient des portes ou volets peints munis de serrures : sur l'une était représentée la tête du serviteur de Dieu, et sur l'autre sa tunique franciscaine. Les deux reliques auxquelles correspondaient ces peintures étaient, en effet, conservées à part, notamment le chef dans un buste d'argent en partie doré. Les clés en étaient détenues simultanément par le Gardien du monastère et par le magistrat municipal. Ainsi l'ostension ne pouvait avoir lieu sans le double concours de ces deux personnages ; elle ne se faisait jamais qu'au son des trompettes et des flûtes. Aux malades on portait aussi la corde du Bienheureux, qui passait pour avoir un pouvoir miraculeux.

Dans les cas où la population avait un besoin plus particulier de la protection d'en haut, une messe était dite dans la chapelle des reliques ; l'annonce en était faite à son de trompe.

Chaque année, la fête du bienheureux Caccioli était célébrée solennellement ; son chef était exposé sur l'autel pour les premières Vêpres : le lendemain, la messe puis les secondes Vêpres réunissaient l'élite de la population, ayant à sa tête les autorités du lieu. Une procession escortait ensuite le saint chef jusqu'à la maison qu'avait habitée la famille Caccioli ; après quoi, une bénédiction était donnée avec la relique, toujours au son des trompettes.

Un second témoin confirma tout ce qu'avait dit le premier, notamment en ce qui concernaitt l'existence d'un tableau représentant une résurrection obtenue par celui qu'on appelait e saint André n.

Le culte séculaire rendu au bienheureux André fut enfin reconnu et confirmé le 25 juillet 1738 par le Pape Clément XII.

JEAN-MARIE LA FONTA.Sources consultées. - Acta Sanctorum, t. 1 de juin (Paris et Rome, i867). - R. I'. Ldorv,

L'Auréole séraphique, L Il (Paris). - G: A. MAncuesee.u, Vite e miracoli del Bran servo di nie R. Andrea Caccioli de Spello (Spello, 1726). -

(V. S. B. P., n' 1782.)SAINTE NENNOK ou CANDIDE

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Vierge en Bretagne (t 620)Fête le 4 juin.c ETTE gracieuse et aimable Sainte est actuellement peu connue en dehors du pays vannetais,

où elle vécut à Plcemeur, près de Lorient, depuis son arrivée en Bretagne, au vie siècle. Son nom, avec les variantes que lui attribue une ancienne édition du cartulaire de Quimperlé : Nennec, Melec, Nudec, Ninnoch, se retrouve dans la dénomination de plusieurs villages du Morbihan (Lannelec, Nomelec, Kermanee, etc.) et même dans le Finistère (Lannenoc, Lenninoch et autres), signe certain de l'étendue de son culte. Peut-être aussi doit-on, comme nous l'expliquerons plus loin, le dégager de celui de sainte Candide, honorée dans les localités cornouaillaises de Tourc'h et de Scaër, localités qui ont pu être visitées jadis par sainte Nennok ou ses filles.

Naissance miraculeuse et jeunesse de sainte Nennok.Le prince Brokan, père de Nennok, régnait au vie siècle sur un petit Etat de la Grande-Bretagne

du Nord limitrophe de l'Ecosse vers le Strat-Cluydi. Il était parent du roi breton saint Gunthiern, fondateur, après sa retraite hors du monde, de l'abbaye d'Anaurot (Quimperlé), en Bretagne continentale. De sa femme, Menedux, également de lignée royale, de la race de Jules-César, ajoutent les Bollandistes, Brokan avait eu quatorze enfants, tous religieux en différents monastères. Les deux époux restaient donc, jeunes encore, privés d'un héritier direct pour la succession de leur Etat. Ils résolurent, en cette occurrence, de faire violence au ciel et d'obtenir, par le jeûne et la prière, le fils ou la fille qui, à leur mort, continuerait icur lignage.

Afin de se concilier plus sûrement les faveurs divines, Brokan

26 4 JUINSAINTE NENNOS OU cANDIDI; 27se retira dans une de ses. demeures proches: de la ville, y appela des religieux dont, pendant

toute une quarantaine, il partagea la vie, la surpassant même par ses effrayantes austérités. Tant de prières et de sacrifices furent enfin exaucés. Brokan reçut d'un ange l'avertissement d'avoir à retourner près de Menedux qui, le temps venu, lui donnerait une fille- du nom de Nennok. Et, en effet, après neuf mois, naquit la petite Nennok. Elle fut` baptisée- par le grand Colomba ou Kolomkill, Abbé d'Iona, venu, dit le P. Albert le Grand, visiter Brokan « pour quelques affaires d'importance ».

Lorsque Menedux eut' achevéé d'allaiter sa fille, elle la confia à ses parrain et marraine, eux aussi nobles seigneurs, parents de Brokan : Gurlehentel, appelé encore filin, et sa femme =uen-Argant, qui vivaient dans la pratique de la plus grande piété. Ils y formèrent leur filleule.. Nennok demeuraa près d'eux jusqu'à l'âge de 15 ans, et devint, sous leur direction, la jeune fille accomplie que l'on nous dépeint « d'humeur douce, humble, modeste, obéissante, adonnée à l'oraison D, à la lecture des Saints Livres et utilisant les heures de loisir dans des travaux à l'aiguille. Assidue à entendre la messe, elle se plaisait, nous est-il dit, à visiter les églises, à assister aux prédications.

Sainte Nennok repousse une alliance princière.De retour à la cour de Brokan, son père, Nennok ne tarda pas à y être remarquée pour son

charme et sa rare beauté, rendus plus attirants par la vertu aimable de la gracieuse enfant. Sa réputa-tion, dépassa vite less limites de la petite cour et la fit demander cri mariage par un prince scot. Celui-ci vint, accompagné de ses principaux seigneurs, prier le père de Nennok de lui accorder la main de la jeune fille. Brokan, qui s'était assuré de l'établissement avantageux que serait, pour elle et pour son peuple, l'alliance de ce prince, se montra très disposé à y consentir. Cependant il voulut

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auparavant consulter l'intéressée. Il ne lui cacha pas son vif désir de lui voir agréer cette union, non seulement en vue de son bonheur personnel„ niais encore pour lee bien de ses propres sujets. Or, depuis longtemps, Nennok n'avait au coeur qu'un amour : celui du Christ. Ayant donc « quelque peu pensé à part soi s, comme le dit Albert le Grand, elle répondit à Brokan :

a Mon père, je ne doute aucunement du prince qui me recherche, ni de l'honneur que votre maison recevrait de son alliance, non plus que du profit et utilité qui pourrait résulter de ce mariage pour les deux provinces ; mais je ne puis me résoudre à fausser la foi que j'ai promise à Jésus-Christ, mon doux Epoux, ni dédaigner ses chastes embrassements pour l'amour d'un homme terrestre et mortel ; en un mot, mon père, j'ai fait vceu de n'avoir jamais d'autre époux que Notre-Seigneur Jésus-Christ et je ne crois pas que le refus que je fais de ce prince doive offenser l'obéissance que je vous dois, si vous considérez le mérite et la qualité de celui dont l'amour m'a puissamment prévenue. »

On conçoit la déception de Brokan à la réponse de sa 'fille, cette enfant sur laquelle il avait fondé tant de légitimes espérances et que Dieu lui avait donnée, semblait-il, afin de lui permettre d'assurer sa postérité. 'Si Nennok était pieuse, sage et bonne, sa vie jusque-là n'avait, en aucune façon, différé de celle d'autres jeunes filles de son âge et de sa condition. Rien n'avait donc permis de lui supposer une telle résolution. Aussi le père n'accepta-t-il pas tout de suite sa défaite. Comptant sur l'éloquence persuasive de l'amour maternel, il chargea sa femme Menedux de faire revenir Nennok sur sa décision. D'ailleurs, la mère souhaitait ce résultat, au moins autant que son époux. Elle ne négligea donc rien pour fléchir la volonté de sa fille. Mais prières, larmes, menaces même, vinrent se briser contre la résolution arrêtée et motivée de la jeune princesse. Désespérant de l'amener à leurs désirs, les parents de Nennok congédièrent le prétendant, sans chercher davantage à contrarier chez leur fille une vocation aussi manifeste.

Sainte Nennok surprend le consentement de son père.La vie reprit donc son cours pour Nennok et ses parents, à [a différence toutefois que la jeune

fille, n'ayant plus à dissimuler ses sentiments, se livra tout entière au service de Dieu. Il ressort, en effet, des récits de ses biographes que, dés ce moment, abandonnant les somptueuses parures, elle entra résolument dans la voie de l'oraison, du jeûne et des pénitences corporelles. Bien qu'attristés de ce nouveau genre de vie, Brokan et Menedux ne s'y opposèrent point, heureux de conserver près d'eux, à ce prix, leur fille bien-aimée. Ils ne se doutaient pas, Nennok peut-être non plus, que l'heure de la séparation approchait.

Un pieux évêque irlandais, confondu parfois à tort avec saint Germain d'Auxerre et cité comme tel par les Bollandistes, séjourna, sur ces entrefaites, à la cour de Brokan. Ses paroles embrasèrent le coeur de la vierge d'un si grand amour pour Dieu, qu'elle résolut de lui sacrifier jusqu'à l'affection de ses parents et son attachement pour son pays. L'évêque lui parla-t-il des pieuses recluses qui, dans l'Armorique lointaine, vivaient en quelque solitude, à l'abri des monastères, ou bien le souvenir de son parent Gunthiern, établi sur le continent, éveilla-t-il en elle l'idée de traverser )a mer à son tour P Quoi qu'il en soit, sa résolution fut prise et nous avons pu constater déjà ce que valait la volonté de cette fille des Celtes.

Cependant il lui fallait, pour l'exécution de son projet, le consentement de son père. Dieu allait le lui ménager. Vers ce -temps, en effet, Brokan s'apprêtait à fêter l'anniversaire de naissance de la jeune princesse, qui tombait le i°' janvier. Il décida de réunir à cette occasion toutes les notabilités civiles et religieuses de ses Etats en un grand banquet. Nennok y parut revêtue de ses riches parures, et si belle qu'à son entrée un murmure admiratif courut dans l'assistance. Elle n'y prit pas garde, mais lentement, se dirigeant vers son père, elle s'agenouilla devant lui, le suppliant de

UN SAINT coud caAQUE JOUR DU MOIS, 2' SÉRIE (JUIN) 2x84 JUIN

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SAINTE NENNOK OU CANDIDEconsentir à ce qu'elle allait lui demander. Brokan, qui ne se doutait de rien et qui était au

contraire agréablement surpris de voir sa fille ainsi parée, la releva affectueusement, lui faisant mille promesses au sujet de ce qu'elle désirait obtenir de lui. Alors Nennok, devant tous les convives attentifs, parla ainsi :

je Je vous ai déclaré il y a longtemps, dit-elle à son père, que e me désirais consacrer à Dieu ; c'est pourquoi je vous demande la permission de passer la mer et d'aller en Bretagne-Armorique, afin d'y passer le reste de ma vie au service de Dieu et d'y prier Dieu pour vous et pour tout votre Etat. n

Grande fut la douleur de 13rokan à cette nouvelle déclaration. C'était, lui semblait-il, la perte totale de son enfant chérie. Avec sa femme Mencdux il essaya, une fois encore, d'amener Nennok à renoncer à cet exil, lui assurant près d'eux toute liberté dans la vie pénitente qu'elle désirait mener. Enfin, ne voulant pas s'opposer plus longtemps à ses desseins et aux vues de Dieu sur sa file, ainsi que le lui représentait l'évêque irlandais, il s'occupa luimême d'organiser le départ.

Départ de sainte Nennok.A lire ce que rapportent de ce départ les hagiographes, on peut conclure, avec M. de La

Borderie, que si Nennok « allait à la recherche de la solitude, elle n'y allait pas solitairement ». II est parlé, en effet, de nombreux passagers portés sur plusieurs navires, de religieux, de prêtres, dont deux évêques: Morhèdre et Gurgalon, enfin de laïcs (le l'un et l'autre sexe. Accablés de douleur, le père et la mère de Nennok, quelque peu consolés cependant par la présence du parrain et de la marraine de leur fille au milieu des partants, lui donnèrent, tout en larmes, leur bénédiction. Alors, mettant à la voile, la pieuse expédition cingla vers les côtes de Bretagne-Armorique.

L'émigration dont Nennok était en quelque sorte le chef, et dont Ilfa, son parrain, prit la direction, n'était pas de celles qui fuyaient au hasard devant le barbare envahisseur. Il ne semble pas que les Etats de Brokan aient eu à souffrir de l'invasion au moment où s'effectuait cet exode. On avait donc cu loisir de l'organiser et d'en fixer le but. Or, la Bretagne du Nord, ayant vraisembla-blement des premières souffert des invasions, avait aussi émigré des premières. Mais au lieu de débarquer sur la côte la plus prochaine du continent armoricain, les émigrants, peut-être avec le souci d'une plus grande sécurité, avaient contourné la péninsule ett étaient venus aborder sur la côte vannetaise.

Tel fut, au commencement du vie siècle, le cas de la bande dirigée par Waroc. Ce chef donna son nom au pays de Vannes sur lequel il exerça sa domination durant une cinquantaine d'années. Le BroWeroc (Bro-Erec) reçut donc la flottille portant Nennok et ses compagnons. Brokau lui-même avait dû cri décider ainsi, sachant que les arrivants trouveraient là de leurs compatriotes établis,

lkkkklk[kk-k'kkkk kkkk\~'kkkkkkkkkkkk\Sainte Jvennok demande à son père la permission de le quitter

pour s'attacher à Jésus-Christ.entre autres son parent saint Gunthiern, fixé d'abord à Groix. Après une heureuse traversée,

l'ancre fut jetée dans une baie intérieure située au sud-est de l'embouchure de la Laita, à Poul-Ilfin, du nom du parrain de Nennok, lieu devenu aujourd'hui l'étang de Lan-Nennok.

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Le monastère de sainte Nennok.Si les premiers émigrants s'arrogeaient d'office la propriété du sol désert où ils débarquaient, il

n'en était plus de même aprèszg

30 4 aurale partage des terres entre leurs différents chefs, Waroc II avait, ici, succédé à son père ; vers lui

furent donc délégués les deux évêques Morhèdrc et Gurgalon, en vue d'obtenir l'autorisation de fonder un monastère au lieu de leur débarquement. Cette autorisation leur fut aussitôt accordée. Au milieu des bois qui enserraient alors Ploemeur, pays des grandes chasses au cerf du comte Waroe, s'éleva bientôt le monastère, Lan-Nennolc, du nom de la vierge royale.

Mais que fut ce monastère P Monastère d'hommes, construit par les soins de Nennok, « une église et plusieurs huttes pour les serviteurs du Christ n P Monastère de femmes pour elle et sa suite P Un monastère double P Voilà ce que n'éclaircit pas l'historien du xn° siècle Gurhedin, moine de l'abbaye de Quimperlé, dont, avec Albert le Grand, nous prenons le récit tiré lui-même d'une version plus ancienne. Gurhedin, qui a suivi la jeune princesse pas à pas depuis sa naissance, qui a même annoncé cet événement, abandonne en quelque sorte son héroïne, à cette solitude qu'elle est venue chercher au delà des mers. Il se contentera, sans entrer dans le détail de ses vertus et de ses miracles, de nous vanter « la bienfaisante influence de la princesse-vierge qui, toute sa vie, ne cessa de procurer en abondance grains et fruits par les campagnes, du poisson dans les filets des pêcheurs, la joie et la prospérité à fous les habitants n. Il est certain que si Nennok disposait ainsi des faveurs célestes, cette vie même, dégagée par une ferme volonté de toute attache terrestre, devait se partager entre l'oraison, la pénitence, l'exercice de la charité. C'est bien ce qu'en déduit Albert le Grand lorsqu'il nous dit qu' a en ce lieu la bonne Sainte vécut le reste de ses jours, faisant une austère pénitence, illustrée de grands miracles, car par ses prières elle rendit la vue aux aveugles, l'ouïe aux sourds, la parole aux muets, fit marcher droit les boiteux, nettoya les lépreux, rendit la santé aux paralytiques, même ressuscita les morts n.

La biche de sainte Nennok.Certains auteurs, tel M. de La Borderie, arguant de la répugnance des moines bretons de cette

époque pour le voisinage des monastères de femmes, ne pensent pas que Nennok en construisit un pour elle et ses compagnes près de celui qu'elle édifia pour son parrain Illin, monastère auquel cependant elle donna son nom. M. de La Borderie dit même formellement qu'elle ne porta jamais le

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titre d'abbesse. Tout au plus, d'après lui, fut-elle de ces petits groupes de trois ou quatre religieuses disséminées çà et là dans les forêts, aux alentours des monastères d'hommes, mais sans relations avec eux. Soit en groupe, soit isolément (c'est alors la recluse), chacune de ces femmes, si elle se trouvait à proximité de quelque église, en entretenait le linge, s'occupait de l'autel, balayait les dalles.

M. le chanoine Thomas, annotateur d'Albert le Grand, ne leSAINTE NENNOK OU CANDIDE 31pense pas ainsi. Il juge, au contraire, que « la gloire de sainte Nennok est précisément d'avoir

fondé le premier monastère connu pour des religieuses dans notre Armorique n. D'autre part, les Bollandistes sont affirmatifs sur l'existence du monastère double danss le récit de l'épisode de la biche, seul fait précis rapporté par Gurhedin relativement au séjour de Nennolc en Armorique. Poursuivie par la meute du prince Waroc, la bête allait être a forcée n, lorsque, passant devant Lan-Nennolc, elle trouva entr'ouverte la porte de l'abbaye. Les religieuses étaient au chour, vaquant à l'Office que récitaient, disent les Bollandistes, les e psalmodiants, tant évêques qu'Abbés, moines et choeurs des vierges n. Il s'agissait donc d'une église commune. L'abbesse était assise cri sa cathèdre e à la corne de l'autel u quand à ses pieds vint s'abattre la biche aux abois. Ce fut là, qu'entré à son tour, le prince la découvrit toute tremblante, blottie dans l'ample manteau de l'abbesse. Waroe respecta le « droit d'asile n et demeura quelque temps au monastère pour s'édifier de la piété et de la vertu de Nennolc. Là les Bollandistes (et aussi Albert le Grand) placent le texte d'un acte de donation de Waroc en faveur du monastère, que les études critiques de M. de La Borderie ont reconnu apocryphe en raison des termes employés.

Dans l'imagination populaire, la biche de Lan-Nennok n'est pas morte. Elle court toujours les campagnes par les nuits claires, buvant aux fontaines rustiques. Si elle y est surprise, elle s'enfuit en courant, sans toucher terre, et, brusquement, s'évanouit dans un rayon de lune. Les fiancés superstitieux redoutent son apparii.ion, car, disent-ils, c'est un signe que Nennok veut que la jeune fille reste vierge et que le mariage ne doit pas avoir lieu.

Mort de sainte Nennok. - Son culte : e Sainte Candide n.Nennok dut passer une trentaine d'années dans la solitude qu'elle s'était choisie, ce qui, au dire

de M. de La Borderie, place sa mort vers 6zo, et non, ainsi que le supposent les Bollandistes, au siècle suivant.

La Révolution, qui détruisit le prieuré de Bénédictins édifié vers le xi° siècle sur l'emplacement du monastère de sainte Nennolc, porta un coup fatal au culte de la Sainte que., de Plœmeur, on venait prier en la chapelle du prieuré. Les mères l'invoquaient spécialement pour la guérison des maladies de leurs enfants. Elle avait là sa statue, vêtue de la longue robe flottante des religieuses, tenant en mains les insignes abbatiaux, et ayant un cerf à ses pieds. Aujourd'hui la dévotion à sainte Nennolc se borne à donner parfois son nom aux fillettes. Quant à son image elle est, en bonne place dans l'église paroissiale de Ploemeur, où une statue semblant dater du xvu° siècle la représente en abbesse. En abbesse également, cette autre statue de la vieille chapelle Sainte-Anne, à l'entrée du bourg de Plomeur, datant, comme la chapelle elle-même, du xvr° siècle, Un vitrail récent de la chapelle Saint-Mathieu, non loin de Lannenec, a fait

324 JUINreparaître la vision de sainte Nennok, comme la fresque du pourtour du choeur de la métropole

de Rennes, où la Sainte figure en tête des vierges dans la procession des principaux Saints bretons. Cette iconographie, jointe aux textes de certains actes conservés aux archives de la Loire-Inférieure, actes qui, au xvie siècle, font intervenir la fête de sainte Nennok pour la fixation de droits à exercer, est bien significative du culte de la sainte princesse. De plus, la foire annuelle tenue près de Lannenec, le 4 juin, est sans doute un vestige d'une fête religieuse qui, malheureusement, n'existe plus.

A Tourc'h, aux environs de Rosporden, et à Scaër, on honore une e sainte Candide a (Candida ou Blanche). Il convient de se rappeler que si, au baptême, Nennok reçut ce dernier nom, celui-là

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même qu'avait indiqué l'ange, ses parrain et marraine y ajoutèrent celui de Guengustt, dont la signification est e Blanche vouée o. Près du hameau de Locunduff-en--'foure'h est une petitee chapelle dédiée à a sainte Candide e, où une jolie statue de pierre du xve siècle la représente vêtue en abbesse et en portant les attributs. M. le chanoine Leclanche, auteur d'une Vie manuscrite, remarque très judicieusement que ces attributs ne peuvent aucunement convenir à l'une des seize Saintes du nom de Candide, mais s'appliquent au contraire fort bien à sainte Nennok ou Guengustl. L'église de Scaër, rebâtie en 1875, abrite également une statue de « sainte Candide o, patronne du lieu, statue datant des xvi' ou xvila siècles. A trois cents mètres du bourg on trouve e la fontaine de Sainte-Candide, très vénérée et remarquable pour l'abondance de ses eaux a, dit l'anno. tateur d'Albert Le Grand. Cette eau est renommée pour guérir les fièvres et maladies de langueur des petits enfants, ce qui correspond bien à la dévotion des mères venant jadis demander la guérison de leurs enfants en la chapelle du prieuré de Lan-Nennok. Enfin, de l'autre côté de la Manche, en Conwall, sainte Candide est honorée sous le nom de Wencu.

De reliques, point. On suppose qu'elles ont péri avec le monastère, lors des invasions normandes. Cette absence de reliques a peut-être contribué à laisser dans l'ombre le culte de sainte Nennok. M. le chanoine Le Mené, dans son Histoire du diocèse de Vannes, n'en déplore pas moins l'omission de la fête du 4 juin au Propre diocésain.

M. LE BEnna.Sources consultées. - A6eeRT Lr. GAAn, O. I'., Vie des Saints de Bretagne.Armorique (Quimper, sgos). - A. DE LA Ronnxn,e, histoire de Bretagne (Rennes, sgot). -

Carlulaire de Quim.perlé. - G. Il. Douce et L. Kennmmu, Les Saints bretons.PAROLES DES SAINTSFlamme vive.Une parole de l'Ecriture Sainte excite souvent dans l'àme une flamme plus vive que le feu et la

rend capable des plus belles actions. (Commentaire sur saint Matthieu.)Saint JEAN GoRYSOSroME,DIENDEIIREOX FERDINAND DE PORTUGALGrand-maître de l'Ordre d'Avis (1402-1443).

Fête le 5 juin.s txI$.nn; fils de Jean 1" le Grand, qui fut roi de Portugal de r385 à x433, et de Philippe,

princesse d'Angleterre-Lancastre (t r4,15), le bienheureux Ferdinand naquit à Santarem le ag septembre I(toa. Son enfantement causa à sa mère de si violentes douleurs que les médecins désespéraient de la sauver. Ils lui proposèrent une potion susceptible de hâter sa délivrance, mais la reine, qui savait que c'était gravement exposer son enfant, en fut effrayée. « Dieu me garde, dit-elle, de préférer mon salut temporel au salut éternel de mon fils 1 J'ai confiance dans la vertu de la croix, n Elle se fit apporter, de la basilique de Sainte-Croix de Marmelar, une relique du bois sacré. On l'appliqua sur la malade, et, à ce contact, sans plus ressentir aucune douleur, elle mit heu. reusement au monde un fils en la fête de saint Michel Archange.

Santé chancelante du jeune Ferdinand. - Ses vertus précoces.Dans la crainte qu'il n'expirât sans recevoir le sacrement de baptême, on le lui conféra sur-le-

champ, en même temps qu'il recevait le nom de Ferdinand. Le prince devait garder toujours un tempérament très délicat, et, jusqu'à l'âge de 9,5 ans, fut assailli par de fréquentes ett longues maladies.

Les souffrances physiques de Ferdinand ne portèrent nullement atteinte à la santé de son âme. Il avait surtout pour la virginité un véritable culte.

Pour se garder de tout souffle impur, il veillait, priait et se montrait pour son corps d'une rigueur excessive ; malgré sa faible santé et ses souffrances continuelles, il jeûnait fréquemment, surtout la veille des dimanches et des fêtes, se contentant, ces jours-là, pour toute nourriture. d'un peu de pain et d'eau. Tout ce que son ingé-

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Ijtltya ~~+• ~Ilfl[rR i~\\\/Iw~lè\\rrr~c•34nieux amour de la mortification pouvait lui suggérer, il l'entreprenait avec la même ardeur et la

même foi.Sa piété n'était pas moins admirable ; il avait dans le palais sa chapelle particulière,

splendidement pourvue par ses soins de tous les objets nécessaires au culte. On y célébrait avec pompe les divins offices ; la messe y était chantée chaque jour, on y prêchait souvent. A partir de sa quinzième année, le jeune prince s'astreignit à y venir régulièrement pour réciter les Heures canoniales.

Portait-on le Saint Sacrement à quelque malade, il se joignait aussitôt au cortège et accompagnait son Dieu, un cierge à la main, avec une grande dévotion. Durant la Semaine Sainte, il suivait attentivement les cérémonies de l'Eglise, et il eût regardé comme une faute de négliger la moindre d'entre elles. Il avait coutume, en ce temps, de vêtir autant de pauvres qu'il comptait d'années.

Bien que de race royale, il se montrait pour tous d'une simplicité charmante : on l'abordait facilement; il ménageait son temps de manière à donner audience à tous ceux qui le désiraient, et il recevait grands et petits avec une égale bienveillance, sans acception de personnes.

Aussi ce jeune infant, orné de tous les dons de la nature et de la grâce, était-il universellement estimé et aimé.

Le iii août r433, il perdit son père, le roi Jean, auquel succéda le prince Edouard, deuxième fils du défunt (l'aîné était mort dès l'an r4oo).

Le bienheureux Ferdinand grand-maître de l'Ordre d'Avis.Il refuse la pourpre cardinalice.

Tandis qu'il cherchait à cacher ses vertus sous le voile de la modestie, les honneurs vinrent bientôt le trouver. Le grand-maître de l'Ordre des Chevaliers d'Avis étant mort, le roi Edouard, frère de Ferdinand, voulut élever ce dernier à cette haute dignité. L'infant songea d'abord à fuir en Angleterre pour se soustraire à des bonrieurs et à des obligations qu'il redoutait. Il finit par accepter, sur les instances de son frère et du Pape. Il fut le vingt-troisième grand-maître.

L'Ordre d'Avis avait été créé pour combattre les musulmans. A l'époque où nous sommes, ces ennemis séculaires du nom chrétien, bien qu'affaiblis par les luttes incessantes qu'ils avaient eues à soutenir, abusaient encore du reste de puissance que leur avaient assuré de récentes conquêtes.

On sait, à ce propos, quels magnifiques mouvements la foi avait suscités chez les peuples chrétiens. De tous les points de l'Europe catholique avaient surgi tics Sociétés avides de défendre la cause de Dieu ; partout on avait vu se créer des Ordres à la fois religieux et militaires, chargés de recruter les soldats du Christ,

Ainsi était né, au xu° siècle, en Portugal, l'Ordre des Chevaliers d'Avis. Soumis à la règle de l'Ordre de Cîteaux, il prescrivait à ses membres cle soutenir par les armes la religion catholique, d'exercer

BIENHEUREUX rEmnINANn ne PORTUGAL 35la ebaritéy de garder la continence, de porter un « habit de religion n en habit religieux qui

consistait en un capuce et un petit scapulaire taillé de manière à ne pas les empêcher de combattre.L'infant, devenu chef d'une telle milice, promit sans doute en son cceur d'être fidèle jusqu'à la

25

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mort à la mission que l'Eglise lui confiait contre les infidèles. La suite montrera s'il a tenu parole.Il fut plus habile à éluder les honneurs du cardinalat que ceux de la maîtrise de l'Ordre d'Avis.

Eugène IV, alors assis sur la chaire de saint Pierre, s'émut au récit de ses vertus dont la renommée arrivait jusqu'à Rome, et, pour l'on récompenser dignement, lui envoya un légat, chargé de lui présenter la pourpre cardinalice. Ferdinand, toujours humble; persista dans son refus, se déclarant indigne d'un pareil honneur, et ne voulant pas, disait-il, charger sa conscience d'un tel poids.

« Dieu le veut) e - « Pour le Christ[ n - Premières souffrancesd'un croisé.

Lorsqu'en 1437 le roi Edouard de Portugal décréta une expédilion contre les Maures d'Afrique, les deux infants, Henri, due de Viseu, grand-maître de l'Ordre du Christ, et Ferdinand, eurent ordre d'en faire partie. L'entreprise était grande et pleine de périls. Il s'agissait d'empêcher les musulmans de prendre la ville de Tanger.

Ferdinand, tandis qu'on achevait les préparatifs de la guerre, s'y disposa, lui, par toutes sortes de bonnes oeuvres. Il fit son testament, de façon que toute dette fût rigoureusement acquittée et tout serviteur généreusement doté, répara les torts qu'il croyait avoir causés, fit de larges aumônes, reçut avec ferveur les sacrements de pénitence et d'Eucharistie, et prit 'a croix.

Il s'embarqua le nn août 1437. La flotte portugaise quittait Lisbonne avec 7 00o hommes, et, après six jours de navigation, abordait heureusement à Ceuta, sur la côte marocaine.

La traversée fut très pénible pou. l'infant. Peu s'en était fallu que Ferdinand, tombé malade au moment du départ, ne fût pas au nombre des guerriers. Il dissimula par énergie de caractère les ardeurs de la fièvre qui le dévorait, pour ne déranger en rien le plan de l'expédition. A bord, ses souffrances augmentèrent, et, un moment, l'on craignit pour sa vie.

L'expédition de Tanger.Cependant les deux princes arrivèrent, à la tête de 5 ooo hommes, sous les murs de Tanger.

Malgré le danger évident de see présenter avec si, peu de monde devant une ville fortifiée, ils en entreprirent aussitôt le siège. Il importait, avant toute autre opération, de fixer au camp un emplacement favorable et de le protéger par de fortes palissades. Ferdinand fut chargé de l'exécution de ces travaux, et il y déploya, bien qu'il fût encore malade et pût à peine se tenir sur son cheval, une activité vraiment extraordinaire. On le voyait partout, encourageant les travailleurs de la voix et du geste, mettant lui.-même la main à l'oeuvre, sans tenir compte de ses souffrances.

5 JUIN365 JUINBIENIIEUREUX FERDINAND DE PORTUGAL37Il n'assista pas au premier assaut des chrétiens, car on lui avait ordonné de demeurer sur les

galères ; mais, dans la suite, il fut présent à tous les combats.Dans une rencontre, il eut à soutenir, presque à lui seul, pendant quatre heures, tout l'effort de la

lutte. Musulmans et Portugais se battirent avec un égal courage, mais sans cesse les rangs des assaillants se grossissaient par l'arrivée de nouvelles troupes. Les Portugais, trop inférieurs en nombre, jugèrent inutile une plus longue résistance et demandèrent une suspension d'armes pour traiter avec le roi Maure. On leur fit les conditions les plus dures. Ils offrirent de céder le port de Ceuta, pourvu qu'on les laissât librement regagner leurs vaisseaux.

Mais le chef musulman, certain de sa victoire, ne voulut rien entendre, et la lutte reprit, plus acharnée. Les chrétiens se défendirent avec un tel héroïsme, que les musulmans, désespérant de les vaincre à force ouverte, entamèrent à leur tour des négociations ils se déclaraient prêts à cesser les hostilités aux conditions d'abord proposées, pourvu qu'en outre un des deux princes acceptât de rester comme otage jusqu'à l'entière conclusion de la paix. Ferdinand se constitua lui-même prisonnier, ne doutant pas qu'il allât au-devant de tous les périls et de la mort, Plusieurs officiers de sa maison voulurent l'accompagner et partager sa captivité ; parmi eux se trouvait son secrétaire, dom Alvarès, qui transmit pieusement à la postérité les détails de la vie de son maître et le récit de son long martyre.

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Otage. - Malversations.C'était bien, en effet, le martyre qui commençait pour le valeureux infant. La flotte portugaise

s'éloigna promptement, fatiguée des mille tracasseries auxquelles l'avaient soumise les Maures. Fer-dinand resta seul avec ses quelques serviteurs, sans nouvelles de son armée, croyant sur de faux bruits à la mort de son frère Henri, livré ainsi à des tortures morales plus cruelles encore que les douleurs physiques.

Le prisonnier espérait que son frère, le roi de Portugal, remettrait sans délai aux musulmans la ville de Ceuta pour procurer sa délivrance, lorsqu'on le dirigea sur Arzilla, ville située à une tren-taine de lieues dans l'intérieur des terres. Les outrages ne lui furent pas ménagés durant le voyage. On fit arrêter le prince et ses compagnons pendant plusieurs heures à la porte d'une ville, où la multitude vint les accabler d'injures et de coups de pierres. Ce fut à grand'peine que le cortège parvint à Arzilla. Les infidèles, hommes et femmes, se livraient aux transports d'une joie extra-vagante.

Cependant, le roi Edouard ne se crut pas tenu en conscience de rendre Ceuta, car les Maures, en dépit de la foi jurée, n'avaient nullement observé les conditions du traité. Il tenta, mais en vain, de racheter au prix de fortes sommes l'infant prisonnier. Le gou

Le bienheureux Ferdinand de Portugal, captif des Maures, fait preuve d'une admirable

résignation.verneur de Tanger déclara qu'il entendait garder le royal otage tant qu'on ne lui aurait pas rendu

Ceuta, et, comme les Portugais n'y semblaient pas disposés, il, fit partir pour Fez Ferdinand et sa suite. Le prince était accablé par la maladie qui ne l'avait pas quitté pendant les sept mois de sa captivité à Arzilla. Néanmoins, raconte son secrétaire, il n'omit pas un seul jour la récitation des Heures canoniales, ne cessa de jeûner, de prier et de pratiquer des oeuvres de miséricorde envers les chrétiens prisonniers qu'il trouva dans cette ville. Il en racheta plusieurs, et fit parvenir aux autres de la nourriture et des vêtements.

38 5 JUINBIENIIEUREux PEILDINAND DE PORTUGAL 39L'infant perd tout espoir de délivrance. -- Dur esclavage.Le roi de Fez, Lazarach, était le plus féroce des princes musul-, mains ; Ferdinand ne l'ignorait

pas, et quand il apprit la destination qui le menaçait, il envoya en Portugal une lettre suppliante pour 27

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qu'on hâtât sa délivrance et celle des siens. Mais toutes les démarches échouèrent, et le roi Edouard étant venu à mourir le 9 septembre 1438, l'infant comprit que sa captivité serait longue et peut-être perpétuelle.

Jusqu'ici, on avait eu pour ce prince certains égards dus à son rang et à sa dignité. A Fez, sous le cruel Lazarach, la captivité allait devenir peu à peu l'esclavage au degré le plus humiliant.

On le retint d'abord cinq mois dans une obscure prison, privé des choses les plus nécessaires à son existence et soumis à tontes sortes de vexations. Quelques chrétiens se trouvaient encore avec lui. Leur consolation était de prier ensemble, de jeûner ensemble, d'assister chaque jour à la messe qu'un prêtre venait leur dire et de communier fréquemment. Ce secours leur manqua bientôt, car les Maures firent disparaître furtivement les objets du culte.

On dépouilla bientôt les captifs de tout ce qu'ils possédaient encore ; on fouilla leurs vêtements pour en extraire le peu d'argent, qui leur restait ; on les chargea tous de lourdes chaînes. Ferdinand lui-même, fils et frère de rois, fut conduit à Lazarach, traîné parr dix à quinze satellites, qui accéléraient à coups de bâton sa marche: pénible. Dans sa faiblesse, il levait comme il le pouvait ses bras chargés d'entraves et souvent, s'embarrassait les pieds dans ses fers. Ses serviteurs ne pouvaient retenir leurs larmes à la vue de ses souffrances.

Le prince musulman lui déclara que les Portugais n'ayant pas tenu leurs promesses, il le considérait désormais comme son esclave, et aussitôt, lui faisant mettre en main une pelle et un balai, il l'envoya nettoyer ses écuries. Les jours suivants, on employa l'infant à cultiver la terre, à porter de l'eau, à rendre mille services à ses compagnons d'infortune soumis an môme travail. Ferdinand accepta toutes ces humiliations avec une grande tranquillité d'âme, et si généreusement, que ses serviteurs, d'abord émus de compassion, en furent bientôt consolés et encouragés eux-mêmes à subir patiemment leurr esclavage.

Après les fatigues du jour, on le ramenait dans une prison infecte où, séparé de ses compagnons, que remplaçaient deux gardiens musulmans, accablé par la chaleur et dévoré par la vermine, n'ayant d'autre oreiller qu'une botte de foin, il essayait vainement de dormir.

'..La prière était alors son seul soutien, car il ne lui était plus permis, comme auparavant,

d'assister à la messe et de recevoir les sacre meule ; de plus, ses bourreaux, êtres inaccessibles à la pitié, ayant remarqué que le prince affectionnait beaucoup ses fidèles officiers, lui enlevèrent cette dernière consolation humaine en le confinant loin d'eux dans un cachot pendant des mois entiers.

Bonté du Bienheureux -envers ses officiers. - Sa charitéenvers ses persécuteurs.

Rien n'est plus admirable, dans la vie de ce prince livré à tant d'infortunes que sa sollicitude et sa compassion pour ceux qui, volontairement, s'étaient offerts à partager son exil.

Un jour de Noël, tous les prisonniers, sauf l'infant Ferdinand, furent tirés de leurs cachots et conduits hors- de la ville ; là, ils durent s'employer à ouvrir un chemin au milieu des rochers ; la besogne, déjà si rude, était rendue plus pénible encore par la faiblesse à laquelle le manque de nourriture les avait réduits. En outre, ils avaient à se défendre des opprobres de toute une, popu-lation qui les accablait d'injures, de pierres et même de soufflets.

Le soir venu, ils retrouvèrent l'infant, qui leur avait été rendu quand celui-ci vit leurs mains et leurs pieds ensanglantés, il ne put retenir ses larmes et s'écria : a Voici que les justes sont punis (pour le pécheur I C'est à cause de moi que vous souffrez ainsi : pardonnez-le-moi pour l'amour de Dieu. J'ai confiance que le Seigneur vous tiendra compte de toutes vos peines et que vous en serez récompensés au ciel. »

Le prince eût voulu du moins partager leurs travaux, parce que sa présence au milieu d'eux soutenait leur courage, mais il ne put l'obtenir. e C'est à cause de mes péchés qu'on me refuse cette consolation », dit-il simplement à ses compagnons. Bien des fois il sacrifia pour eux sa maigre part de nourriture, pourtant si nécessaire à son corps exténué ; il alléguait le prétexte que les autres captifs travaillaient plus que lui et par conséquent avaient beaucoup plus de droits que lui.

Cette servitude dura cinq ans sans que rien vînt améliorer la situation du prince. Vainement le Portugal avait-il fait pour le délivrer démarches sur démarches, offert des sommes considérables,

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renvoyé des prisonniers de guerre musulmans sans rien exiger.Après la mort du roi Edouard, des pourparlers s'engagèrent pour le rachat des malheureux

captifs, mais sans résultat.Cependant le saint infant, traité comme le plus vil des esclaves, supporta tout avec une patience

inaltérable. Jamais l'on ne surprit sur ses lèvres une parole amère à l'adresse des Maures. Loin de là, il les recommandait à Dieu et priait pour leur conversion.

Der :fière maladie du bienheureux Ferdinand, - Une vision.Son élogee funèbre par un païen.

Les musulmans eux-mêmes s'étonnaient que leur prisonnier, avec une santé si délicate, vécût encore après tant de privations. S'ils l'épargnaient en ne le soumettant pas à des labeurs auxquels leur victime eût bientôt succombé, c'est qu'ils en espéraient toujours une magnifique rançon.

Vers la fin de mai de l'année 1443, la maladie d'entrailles dont le prince souffrait depuis longtemps s'aggrava. Il en fut réduit à ne plus pouvoir absorber aucune nourriture. Dans cette extrémité, il

Go5 JUINsollicita de Lazarach un endroit moins malsain que celui où il se trouvait.. Le chef maure lui fit

répondre brutalement qu'il n'aurait pas d'autre prison. Dans l'état où se trouvait le malade, c'était prononcer son arrêt de mort, Ferdinand, confiant dans la miséricorde de Dieu, le coeur rempli de saintes espérances, se prépara à quitter cette vallée de larmes où il avait tant souffert.

Dieu voulut lui accorder dès ici-bas un avant-goût des joies célestes. Pendant la nuit, le médecin du prince s'approche de sa couche et le voit comme transfiguré ; Ferdinand versait des larmes abondantes, les yeux levés vers le ciel. Que voyait-il donc en ce moment P Le prince ne voulut confier le secret de cette vision qu'à son confesseur, en lui enjoignant de ne la dévoiler à aucun captif, et de n'en point parler avant d'avoir regagné le Portugal.

Le prince vit la Sainte Vierge, qu'il avait tant aimée depuis les jours de sa pieuse enfance) elle venait pour le consoler, le fortifier, l'inviter à prendre place au ciel.

Fortifié par cette douce apparition, le mourant se confessa unee dernière fois au prêtre, que le médecin avait pu introduire dans sa prison, et, lorsqu'il eut reçu l'absolution avec l'indulgence plé-nière, le visage rayonnant d'une joie sereine, il dit : a Laissez-moi maintenant m'en aller vers mon Dieu. n

Ce furent ses dernières paroles. Puis il expira doucement, dans la quarante et unième année de son âge, après cinq ans et demi de captivité.

Lazarach ne put s'empêcher de faire l'éloge de sa victime. a Ah 1 dit-il, si dans l'autre monde il y a quelque chose de bon à attendre pour un misérable chrétien, c'est bien celui-là qui l'aura ! S'il avait pratiqué notre religion, ses vertus nous l'eussent fait regarder comme un Saint, car jamais sa bouche ne proféra une parole de mensonge, et les gardiens qui le surveillaient le voyaient continuel-lement à genoux et en prières. Oui, c'est un crime pour les Portugais de l'avoir laissé mourir ainsi. n

Cet aveu arraché au barbare Lazarach ne l'empêcha pas de livrer aux opprobres le corps du martyr : il le fit porter jusque sur la muraille de la ville, près de la porte principale, et, attaché par les pieds, suspendre la tête en bas. Pendant quatre jours, les infidèles vinrent l'insulter et le profaner à loisir. Par une permission du ciel, ce saint corps put être ramené en Portugal trois ans après. De nombreux miracles l'avaient déjà glorifié : ses membres étaient restés flexibles ; plusieurs fois, le cercueil avait été entouré d'une lumière éblouissante ; l'intercession du martyr avait obtenu des guérisons miraculeuses.

Les restes précieux du bienheureux Ferdinand de Portugal reposent aujourd'hui dans le monastère royal de Sainte-Marie de la Victoire, à Batalha, près de Leiris, fondé en 1,388 et confié aux Dominicains.

C. OCTAVIEN.Sources consultées. - Acta Sancforum, t. I de juin (Paris et Rome, '867). - Abbé PROFI.LET,

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Les Saints militaires. - M. nu Mencàs, histoire de Portugal. - (V. S. B. P., n'.'oo5.)c 'EST dans la Ilaute-Bourgogne ou Franche-Comté actuelle, à la tin du ve siècle, que naquit ce

futur évêque. Il était issu d'une famille distinguée, d'origine gallo-romaine. L'Eglise de Besançon était, à cette époque, dans une situation lamentable ; la ville métropolitaine, ruinée par Attila en 45r, ne s'était pas encore relevée. A l'évêque saint Célidoine, mort au cours des massacres faits par les Huis, avait succédé un arien, Cermésile. L'évêque catholique et la communauté de Clercs réguliers fondée un siècle auparavant par l'évêque saint Just avaient dû chercher un abri sur les bords du lac Léman, dans la petite ville de rayon qui s'appelait alors Equestris. C'est là que l'évêque de Besançon, saint Aman II, siégeait au moment de la naissance de saint Claude : c'est là que les évêques de Besançon résideront jusqu'à la fin du

Enfance de saint Claude. - L'étudiant.Le château de Bracon, près de Salins, où, selon la tradition, Claude vit le jour, peut-être en 4ç)o,

garde précieusement son souvenir ; sur les ruines, un monument commémoratif le rappelle, et

SAINT CLAUDEEvêque de Besançon et Abbé de Condat (490-579).Fèle le 6 juin.vi' siècle.On comprendra aisément que de telles circonstances ne sont pas favorables à la conservation

des données historiques. Aussi la vie de saint Claude est-elle si obscure sur bien des points que sa chronologie même a donné naissance aux opinions les plus divergentes. Celle que nous avons adoptée a pour elle les Canons des Conciles et les plus anciens martyrologes.

SAINT CLAUDE DE CONDAT431a ville de Salins l'a toujours honoré comme un de ses protecteurs spéciaux.A peine âgé de huit ans, selon le chroniqueur du xiP siècle, l'enfant se distinguait déjà; non

seulement par sa piété et son amour de la vertu, mais aussi par sa brillante intelligence. Ce fut sans doute la raison qui le lit destiner à l'Eglise et envoyer par ses parents à une école monastique, probablementt celle de Besançon. En effet, il n'y avait alors en Séquanie que deux centres intellec-tuels, l'abbaye de Luxeuil n'étant pas encore fondée, : c'était Condat et Besançon. Si Claude avait été formé à Condat, l'historien du xn° siècle, qui faisait partie de cette abbaye et écrivait sur des mémoires conservés en ses archives, n'aurait pas manqué de rappeler que son héros y avait été reçu tout jeune.

Le corps de Chanoines réguliers de Besançon auquel était annexée l'école monastique avait été fondé par saint Just sur le modèle de: celui que saint Eusèbe établit à Verceil. Il était le plus ancien des Gaules et il avait eu la gloire de fournir plusieurs, évêques au siège métropolitain de Besançon. A l'époque dont nous parlons, la ruine de cette cité consomméee par les HIuns avait forcé l'évêque et le Chapitre à se transporter à Nyon.

C'est là que le jeune Claude fut amené par ses parents. De Salins à Nyon le voyage n'était pas très considérable, car la voie romaine traversait les monts Jura et permettait d'arriver facilement aux

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bords du lac Léman. Claude devait s'y former à la science pendant treize ans, embrasser la vie religieuse et donner pendant sept années (5!o-5r7) l'exemple de toutes les vertus.

Il ne se contenta pas de se sanctifier personnellement, et lorsqu'il eut été ordonné prêtre il fut chargé de prêcher et d'enseigner les sciences sacrées. Ce fut d'ailleurs toujours un des ministères dans lesquels il excella ; lorsqu'on écrivait sa vie au Nue siècle, on conservait encore avec vénération et on lisait avec fruit, à l'abbaye de Condat, les homélies que, devenu Abbé de l'abbaye du Jura, il adressait à ses religieux et à ses novices.

Évêque de Besançon. -- Son zèle pour la discipline.Vers l'an 516 ou 5r7, l'évêque de Besançon, a étant, dit une vieille chronique, entré dans la voie

de toute chair e, c'est-à-dire étant mort, le clergé et le peuple ne parvinrent pas à se mettre d'accord pour élire son successeur. Mais une voix céleste ordonne d'élire Claude. Celui-ci, craignant de voir le choix se fixer sur lui, s'est enfui dans son pays natal. C'est là que les députés du clergé et du peuple viennent le chercher pour l'introniser évêque de Besançon.

Les circonstances étaient graves. Sans doute, le triomphe de l'Eglise sur l'arianisme s'accentuait de jour en jour, et la victoire de Clovis sur les Wisigoths semblait avoir chassé définitivement l'hérésie hors des Gaules. Mais, d'autre part, les clercs, tant par l'afflux des donations que par suite des meurs et des inclinations natives des barbares, de jour en jour plus nombreux parmi eux,

tondaient à s'éloigner de la régularité primitive. Telle est la difficulté avec laquelle le nouvel évêque, tout enflammé de zèle, va se trouver aux prises, Comme son contemporain saint Benoît.

Il y avait peu de temps que Claude occupait le siège de Besançon, lorsque saint Avit de Vienne, vicaire du Pape dans les Gaules, convoqua en un lieu nommé Epaone, au diocèse de Belley, un Concile des évêques du royaume de Bourgogne. Claude y parut avec saint Viventiole, moine de Condat, devenu évêque de Lyon ; saint Apollinaire, évêque de Valence ; saint Grégoire, évêque de Langres, et vingt autres prélats, En assemblant ce Concile, saint Avit déférait au désir du Pape, qui s'était plaint de ce que ces assemblées n'étaient plus régulièrement tenues dans les Gaules,

Les Canons du Concile d'Epaone sont parvenus jusqu'à nous. Ils sont un monument fort précieux pour étudier et comprendre les événements de la vie de Claude. L'entrée en grand nombre des barbares dans l'Eglise et les Ordres sacrés était sans doute un appoint considérable, mais elle pouvait devenir Une source de faiblesse. En effet, ces peuples gardaient leurs moeurs et leurs habitudes grossières, ils avaient le goût des plaisirs violents. On voyait ainsi des hommes à peine croyants, sans science ni mous, se frayer la voie aux dignités ecclésiastiques. Le Concile d'Epaone chercha à remédier à ces désordres déplorables par de sages règlements.

Les évêques se séparèrent en s'obligeant, sous peine de faute grave pour eux et leurs successeurs, à faire observer les décrets du Concile. Et il faut bien avouer que ce n'était pas chose facile.

Claude se met à l'ouvre ; douze ans durant il va lutter et prier, et enfin, découragé, il laissera son troupeau à des mains que dans son humilité il jugera plus dignes et plus habiles que les siennes. Appelé à l'épiscopat par la voix de Dieu, s'il le fuira, dit l'historien, c'est encore à l'appel de la voix de Dieu.

Le grand moyen de faire disparaître les abuss est, clans les choses ecclésiastiques tout comme clans la vie civile, une surveillance constante de l'autorité. Avec la diffusion de l'Eglise dans les campagnes avaient apparu des paroisses, c'est-à-dire des groupements distincts de l'église cathédrale, et confiés a des prêtres qui étaient comme les délégués de l'évêque pour ces fractions de son troupeau. La nécessité subsistait pour l'évêque de rester en communication suivie avec ces collaborateurs éloignés de lui. De là l'institution de la Visite pastorale, ce voyage de l'évêque à travers le diocèse qu'il devait parcourir chaque année. L'ancien biographe nous dit que Claude y apportait tout son zèle et en profitait pour annoncer la parole de Dieu.

Il s'ingéniait à gagner les âmes par la douceur de son gouvernement et la sainteté de son exemple. Son biographe a soin de nous décrire la pauvreté de son train épiscopal, son assiduité à l'office canonial, son zèle dans la prédication.

Mais la tâche est trop rude ; Dieu, pour un temps, permet ces afflictionss dans son Eglise. Il a 31

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ces vues, et les efforts de ses Saints, pleins de mérites devant lui, demeurent presque stériles devant les

446 auiz

SAINT CLAUDE DE CONDAT45hommes. Les intrusions laïques vont même achever la désolation des Eglises des Gaules.

Impuissant à détruire les abus, le saint évēque tourne ses regards vers la solitude et songe à finir ses jours dans l'abbaye de Condat Il veut y consacrer sa vie à prier pour la sanctification de son troupeau. Mais auparavant il prendra part au Concile de Vaison, qu'il fera profiter de sa longue expérience.

Ce fut le 5 novembre 529 que fut réuni le deuxième Concile de Vaison. Il fut présidé par saint Césaire, évêque d'Arles. Quels entretiens durent avoir l'illustre régulateur de la vie monastique dans les Gaules et l'évêque de Besançon, assoiffé du désir de !a vie monastique 1 On en retrouve comme un reflet dans les Canons de ce Concile. Ce ne sont plus de graves mesures de discipline, comme à Epaone, ce sont des ordonnances pour la prière, les cérémonies, la formation pieusee des futurs clercs.

Saint Claude se démet de son siège. - Abbé de Condat.Fortifié par les conseils de ses collègues et surtout du saint évêque d'Arles, Claude va donner

suite à la résolution depuis longtemps mûrie dans son ceeur. Il fuit de Nyon et vient frapper au monastère de Condat, fondé par saint Romain.

Une partie au moins de son clergé le pleure tandis que l'élément le moins zélé triomphe.L'Abbé et les religieux de Condat accueillent avec joie l'évêque fugitif. En vain saint Injurieux

veut lui abandonner la conduite du monastère ; l'humilité de Claude s'en effraye, il rappelle le précepte de saint Paul que le supérieur ne soit pas un néophyte, de peur que, élevé en orgueil, il ne tombe dans les pièges du diable. Cinq ans après, à la mort du saint Abbé, il devra céder aux instances des religieux et accepter de monter sur la chaire abbatiale de Condat.

Il y avait là une nouveauté, on avait vu souvent des abbés être évêques, des évêques fonder des abbayes; mais un évêque démissionnaire élu Abbé, c'était un peu comme ces passages dEglise à Eglise qu'on réprouvait alors si vivement. Il fallait donc sanctionner une semblable innovation. Cette remarque fera comprendre pourquoi les religieux de Condat sollicitèrent et obtinrent du Pape Jean for la confirmation de cette élection, alors qu'il n'était pas encore dans l'usage de solliciter du Saint-Siège la confirmation des élections abbatiales.

Le chroniqueur du xu° siècle rapporte que de son temps on conservait pieusement à Condat les homélies de saint Claude et sa vie écrite par saint Rustique, son successeur, qui tenait alors un emploi semblable à celui qu'on dénomma dans la suite a prieur claustral a. Ces documents ont disparu, sans doute dans un incendie ou au cours des guerres.

Le même biographe nous parle des qualités dont le saint Abbé fit preuve dans la conduite des 32

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religieux : a Il savait, dit-il, mêler l'huile de la miséricorde avec le vin d'une discrète sévérité, imitant l'habile Samaritain pour guérir les plaies des vices. u

L'abbaye était alors dans tout l'éclat de la sainteté et se trouvait en même temps dans Une situation matérielle assez satisfaisante. Les bâtiments, ruinés par un incendie au temps de saint Oyend

ie00Î00/

0iSaint Claude fuyant les honneurs de l'épiscopat vient s'enfermer au monastère

de Saint-Oyend.(t bio), avaient été relevés par ce saint Abbé. Déjà plusieurs des abbés et des moines de Condat

étaient honorés comme Saints, et les peuples du voisinage commençaient à accourir au tombeau de saint 0yend, ce qui fait qu'un peu plus tard le monastère de Condat et la colonie agricole qui en dépendait prirent le nom de Saint-Oyend-de-Joux

46 6 JUINSAINT CLAUDE DE C0NDA`r47L'école monastique, si illustre au temps de saint Viventiole, comme en témoigne la

correspondance de ce Saint avec saint Avit, était encore dans tout son éclat ; elle était véritablement le plus radieux foyer de lumière intellectuelle dans tout l'Est des Gaules. La règle, donnée trente ans auparavant par saint Oyend, codificateur des us et coutumes des fondateurs, était encore dans tout l'éclat de sa primitive observance. Tel est le cadre dans lequel va s'exercer ce long abbatial commencé en 535, et qui ne prendra fin qu'a la mort de Claude, en 579.

Le biographe est sobre de détails, ce qui nous est un sûr garant de sa véracité ; il nous dit que l'Abbé répara et embellit les 'bâtiments élevés par saint Oyend, orna les églises de l'abbaye et plaça les reliques des Saints dans de précieuses châsses.

Deux événements importants se passèrent de son temps. En premier lieu, l'abbaye de Condat reçut au passage la visite d'une colonie religieuse qui venait d'Italie dans les Gaules. C'étaient saint Maur et ses disciples, envoyés par saint Benoît. Semant les miracles sur son chemin, le thaumaturge Bénédictin, ressuscite un mort dans une abbaye du Jura. Dès lors, des liens d'affection sont noués entre les fils de saint Benoît et les religieux de cette région, liens qui bientôt se resserreront par la substitution de la règle bénédictine à celle de saint Oyend.

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Le second événement important de l'abbatial de Claude est le voyage qu'il fit à Paris vers l'an 56o, pour réclamer justice en faveur de son abbaye. Il se rendait auprès du roi, qui était sans doute Clotaire I pour obtenir le rétablissement d'une rente fondée jadis par Chilpéric.

Cette rente était nécessaire à l'abbaye. Le grand nombre des religieux, le peu de fertilité du sol à cause de la rigueur de la température et, par suite, le peu de produit du travail de défrichement auquel les religieux se livraient assidûment, tout contribuait à rendre fort difficile la vie des moines du mont Jura.

Mort de saint Claude.Le temps était venu où Dieu allait récompenser son bon et fidèle serviteur. Claude avait quatre-

vingt-neuf ans. On était en l'an 579. Le 2 juin, il ressentit une légère indisposition et annonça sa fin prochaine. Le 4, il réunit ses religieux, leur adressa une touchante homélie et, après leur avoir donné le baiser de paix, il passa toute la nuit en oraison. Au matin du jour suivant, appuyé sur deux de ses religieux, il se traîna à l'église, celle dont la cathédrale actuelle de Saint-Claude dédiée aux apôtres Pierre, Paul et André, occupe l'emplacement, et, le visage baigné de larmes, il reçut les derniers sacrements. Enfrn, le 6 juin, entouré de •ses religieux, il sentit tout à coup sa faiblesse augmenter. Il était debout ; il s'appuya contre le petit siège sur lequel il avait coutume de s'asseoir pour étudier les textes sacrés, et, levant les mains au ciel, il exhala doucement son dernier soupir. C'était l'heure de None, dans laquelle on chantait les paroles suivantes : a Une profonde paix,

Seigneur, est le partage de roux qui vous aiment, et il n'y aa pas pour eux de pierre d'achoppement. »

Les religieux de Condat entourèrent le corps de leur père deplantes odoriférantes, mais sans procéder à aucun embaumement ; puis, l'ayant mis dans un

suaire, ils le déposèrent sous leur église extérieure, dédiée à saint Oyend, où déjà reposaient les saints abbés, ses prédécesseurs.

Le croirait-on, à cette époque depuis longtemps le souvenir de Claude s'est, oblitéré à Besançon ; nul ne pense à l'inscrire dans les diptyques et il faudra le zèle du bienheureux Hugues le Grand (io3o) pour rétablir son nom dans le catalogue des archevêques ; mais ce souvenir est si confus que le bienheureux Hugues errera d'un siècle en l'y remplaçant.

Il en va tout autrement à Condat qui l'honore aussitôt comme un Saint ; grâce aux religieux de ce couvent, le nom du sain: Abbé est bientôt inscrit dans la recension d'Auxerre du martyrologe dit hyéronimien, travail qui ne date guère de plus de trente ans après sa mort.

Nous venons de voir qu'au xi° siècle l'injustice des siècles précédents est enfin réparée à Besançon même ; et dès lors on trouve le nom de Claude, auquel est appliqué le titre de Saint, dans le sacramentaire de l'an io3o, conservé à la bibliothèque Vaticane. Mais le serviteur de Dieu n'est pas pour cela l'objet d'un culte liturgique : ses reliques ne sont pas élevées sur un autel.

Un tombeau fertile en prodiges.Il y avait près de six cents ans que le corps de saint Claude avait été enseveli sous l'église de

Sainl-Oyend. Les invasions sarrasines avaient porté un grand coup à la splendeur de Condat, mais cette abbaye s'était relevée et avait retrouvé sous la règle bénédictine une brillante célébrité.

Quand on ouvrit en I16o le tombeau de l'ancien évêque de Besançon, on ne fut pas peu surpris de retrouver son corps intact et exempt de toute corruption, bien qu'il n'eût pas été embaumé. On eut bientôt d'autres motifs de manifester son admiration. A peine les reliques eurent-elles été placées dans une châsse et élevées sur un autel, que la puissance miraculeuse du serviteur de Dieu se révéla aux foules enthousiastes. Dès lors son -culte devient célèbre. L'un des personnages appelés à ouvrir la longue série des pèlerins illustres que nous rencontrons au tombeau de saint Claude fut saint Pierre de Bellevaux, archevêque de Tarentaise (t rrj5). Les peuples accoururent pour entendre sa parole éloquente. Or, il arriva qu'un enfant, pressé par la foule, fut étouffé non loin de la sacristie. En présence de ce malheur, l'archevêque accourt, prend le mort entre ses bras et, les yeux baignés de larmes, le porte à la châsse de saint Claude, implorant sa résurrection ; bientôt le mort se relève plein de vie.

Ce miracle, que le grand archevêque fit connaître dans de nom-34

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48 6 JUINbreux sermons, eut un retentissement immense et ne contribua pas peu à étendre le culte de

saint Claude.Quelques années plus tard, les restes du thaumaturge sont portés processionnellement par les

moines de Condat dans les principales villes de Franche-Comté et jusqu'à Lyon, et opèrent de nombreux miracles. Ainsi, à Lons-le-Saunier, une femme paralytique se relève guérie ; à Poli gny, un aveugle recouvre la vue. A Arbois, les prodiges sont plus nombreux encore : une femme percluse depuis trois ans recouvre la libre disposition de ses membres ; il arrive même chose à un jeune homme dont la main était e desséchée u. Un aveugle s'écrie qu'il voit, et ceux qui l'entourent constatent que des sortes d'écailles tombent de ses yeux.

Au xii° siècle, le culte du saint Abbé devint si célèbre que saint Oyend fut peu à peu supplanté par l'ancien évêque de Besançon et le monastère de Saint-Oyend-de-Joux arriva à prendre pour tou-jours le nom de Saint-Claude ; il en sera ainsi même après l'année 1742, date où l'abbaye sécularisée fit place à un évêché.

Profanation sacrilège.Il était réservé à la Révolution de faire disparaître de si précieuses reliques. Dans la soirée du 8

mars 1794, à la suite d'une orgie, le conventionnel Lejeune, qui se trouve à Saint-Claude, brise L, châsse, saisit le corps dont laa souplesse le fait frémir, en jette les morceaux dans une u balle de toile u et se dirige vers l'ancien couvent des Carmes. La nuit était obscure, les porteurs firent un faux pas et laissèrent échapper leur fardeau. Dans leur hâte, les Jacobins avaient laissé glisser un avant-bras. Un gendarme de l'escorte, nommé Jacquet, le sentit sous son pied et, le ramassant sans être aperçu, le cacha sous son manteau. Cette relique, reconnue en 1802, a été rendue à la vénération publique.

Plus tard, une autre parcelle du corps fut aussi rendue au culte, c'est un petit doigt qui avait été également oublié sur le lieu de la chute et qui fut recueilli de grand matin par une femme pieuse venant au marché. Le reste du corps avait été brûlé par Lejeune.

Dieu allait avoir son heure. Cinq ans après, le ig juin 1799, un immense incendie éclate : « Saint Claude avait été brûlé, SaintClaude brûlera a9, avait-on (lit comme prophétiquement lorsque Lejeune eut publié ses hauts faits. En quelques instants, 3oo maisons, les monuments publics, les archives, étaient anéantis ; il y avait 64 morts, et les pertes matérielles étaient évaluées à dix millions. Le premier cadavre qu'on retira fut celui du député Christin, le complice de Lejeune, Une maison avait échappé comme par miracle : elle renfermait un chapelet qui avait été dans la châsse de saint Claude ainsi que l'avant-bras du Saint.

A. P. M.Sources consultées. - A. Pmoux, Les Saints de Franche-Conité (Lons-le-Saunier, raoS). - Dom

P. Bervmx, lfistoire de l'abbaye de Saint-Claude. - Dom Pennon, Dissertation sur les calatoques des évêques de Besançon. - Chanoine ne M0STCAILLARD, Histoire de l'abbaye de Saint- Claude. - (V. S. B. P., n°' 953 et 1507.)

SAINT MÉRIADECEvêque de Vannes (vers 629-vers 666).

Fête le 7 juin.P oun toute âme celte le nom de Mériadec, auquel Dom Morice, dans son Histoire de Bretagne,

donne une étymologie singulièrement adaptée aux besoins de la cause (mer ou rieur grand ; riadec ou retec'h : roi ou royal), est évocateur d'histoire et de légende. Sous ce double patronage un chef, fameux sans nul doute, est devenu le personnage de Conan Mériadec, ancêtre des Rohan, héros chimérique d'une Bretagne conquérante, victorieuse des Romains, et dont il aurait été le premier roi.

La légende et l'histoire, penchées sur le berceau du futur évêquee de Vannes, ont franchi la mer et étendu aux rivages de GrandeBretagne l'action et la renommée de ce second Mériadec, qu'elles ne manquent pas de faire descendre du héros de la légende.

Origines de saint Mériadec.Il est difficile de les établir avec toute sûreté de dates, en présence des multiples époques que lui

assignent biographes et historiens. Ces époques courent du vil' au Sine siècle. La légende, qui tient 35

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Mériadec pour cousin des Rohan, par l'ascendance commune qu'elle leur prête et que ceux-ci réclament, d'ailleurs, avec Conan Mériadec, tient, essentiellement aussi, à ce qu'au cours de sa vie le futur évêque de Vannes ait eu des rapports avec l'un de ces princes, Or, les Rohan n'étaient point encore, sous ce nom du moins, entrés dans l'histoire. Ils n'y font guère leur apparition qu'au commencement du xie siècle.

Sans croire à l'ascendance fabuleuse, dont il fera même bon marché, au grand déplaisir des Rohan, Dom Lobineau, sur la foi d'un légendaire de Tréguier, ou d'une date mal copiée, selon la supposition de l'abbé Tresvaux, en sa Vie des Saints de Bretagne, choi-

5o 7 JUINcira le ville siècle. M. de La Borderie hésitera lui aussi. Après avoiropté pour le vile, il incline au Ne, afin de rendre possible le sacreà la métropole de Dol, inexistante au vile. Quant à Albert le Grand,nous le savons toujours à l'aise pour concilier temps, événements et personnages.. Il se rapprochera donc plus de la vérité en assignant le vin° siècle à la

naissance de Mériadec ; mais il ne se gênera pas pour mettre son héros en présence d'un Rohan. 'font pesé, et si l'on s'en rapporte aux Actes de l'Eglise de Vannes et à son ancien Bréviaire, il semble bien que l'on soit amené à considérer le vue siècle, généralement admis aujourd'hui, comme offrant le plus d'exactitude et coïncidant de plus près avec les différentes phases de la vie de l'ermite et de l'évêque. D'autre part, si l'on place, avec M. le chanoine. Le Méné, son ordination en 659, on peut situer sa date de naissance trente ans plus tôt, soit: vers 629.

Même incertitude que précédemment, quant aux ascendants directs de Mériadec. Quels sont les noms de ses père et mère ? L'histoire et la légende sont muettes sur ce point. Elles avancent seulement, l'une et l'autre, que c'étaient des personnages de haut rang. Bien ne s'oppose, en effet, à ce qu'ils fussent de la race de Conan Mériadec ou de tout autre « Conan s ou chef, comme lui émigré dans le Porhoët, où naquit le futur évêque, aux environs de Pontivy. Il y aurait eu primitivement, selon un manuscrit des Capucins de Morlaix, trouvé chez eux en I7an, une maison de Mériadec Gwicmenez (Guemené). En r(15G, une famille noble est encore citée dans la personne d'Hervé de Mériadec comme chevalier de l'Hermine, Ordre créé par Jean IV. Même postérieures à l'évêque de Vannes, ces citations appuieraient la notoriété de sa famille, a Mériadec, dit le Propre de Vannes de 1757, naquit d'une illustre famille vers le commencement du vile siècle. a

Si donc, avec ses biographes,, on admet la noblesse des ancêtres de Mériadec, on ne sera nullement surpris de l'orientation de ses premières années vers la vie dess camps et de la, déception de son père, lorsque l'héritier de sa Maison manifestera l'intention bien arrêtée de vivre dans la virginité et de se consacrer uniquementt au service de Dieu.

Mis en face de la décision si ferme de son fils, et par ailleurs ne voulant pas s'opposer à, l'appel de Dieu, bien que ce lui fut, dira Albert Le Grand, de a duree digestion n, le père de Mériadec s'y serait résigné, en songeant au parti à tirer de son influence pour élever son fils aux plus hautes dignités sacerdotales. C'était là mal connaître les mobiles d'une vocation qui allait, au contraire, s'appliquer à' fuir les honneurs et qui ne se trouverait à l'aise que dans la solitude. A cette fin, le jeune homme se dépouilla de ses. grands biens et n'en garda que le strict nécessaire à ses aumônes et à son entretien des plus réduits du fait de ses austérités.

Le solitaire.Dès son ordination, reçue vers 669: des mainss de saint Hincweten, que, contre son gré, il'

seraitt appelé àà remplacer sur lé siège de36

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Vannes, Mériadec songea à se choisir un ermitage où il contenterait à loisir son amour de la vie pénitente et cachée. Pour cela, à l'encontre de tant d'autres, il ne s'éloignerait guère do son pays natal. Nous le trouverons établi à trois kilomètres seulement à l'ouest de Pontivy. Sur l'emplacement de son ancien oratoire, s'élève aujourd'hui l'église paroissiale de Stival. Il vécut là huit à neuf ans, en compagnie d'un servant qui, dit Albert Le Grand, e lui répondait la messe et lui administrait ses nécessités s. Quant à lui, il ne s'occupait que de Dieu, se livrant à la pratique des plus mortifiantes pénitences et de l'oraison continuelle.

Une vie aussi détachée et féconde en vertus n'était point pour plaire au démon, habile, on le sait, à tourmenter du souvenir des voluptés charnelles plus d'un anachorète fameux. Ici, il entreprit de faire perdre à lériadec le fruit de ses oraisons en le provoquant à en distraire son esprit. Proche de l'église de Stival est un lec'h (pierre levée de petite ou moyenne dimension et d'origine chrétienne) sculpté et surmonté d'une croix, désigné dans le pays sous le nom do a prie-Dieu de saint Mériadec s. Lors donc que le saint homme s'y agenouillait, venait autour de lui folâtrer une chèvre, dont, malgré ses efforts pour n'y point prêter attention, il ne pouvait s'empêcher de suivre les ébats. Or, un jour, impatienté des bonds de cet animal, qui troublait ainsi sa prière, il se serait levé et l'aurait violemment poussé sur le lec'h, où l'imagination populaire voit incrustée l'empreinte d'un pied de chèvre. Fût-ce en punition de ce mouvement de colère, peut-être trop naturel, que le pied de l'ermite se serait, du même choc, gravé dans une autre pierre, sertie, celle-là, dans le, mur latéral Sud de l'église a où on la voit, encore a

Ces distractions, qui chagrinaient le solitaire de Stival au point d'affaiblir un instant son empire sur soi-même, ne l'empêchaient point, toutefois, de faire de la prière l'occupation principale, non seulement de ses jours, niais encore de ses nuits. Qu'il nous suffise, à ce sujet, de citer Dom Lobineau :

Il s'agenouillait ou se proternait en la présence de Dieu, écrit le savant Bénédictin, mille fois le jour, autant la nuit, ce qu'on ne doit prendre à la rigueur et au pied de la lettre, car ce serait close impossible, et accompagnait ces marques extérieures de son respect et de tendres gémissements qui portaient jusqu'au ciel les voeux ardents qu'il formait pour la possession

du souverain bien.Et, en marge, Dom Lobineau d'ajouter : « Ç'aurait été quatrevingt-six ou quatre-vingt-sept

génuflexions ou prostrations par jour, a Il n'y a là rien, du reste, qui soit susceptible de nous sur-prendre, la prostration répétée ayant toujours été en honneur parmi les tenants do l'ascétisme celte. Sans s'embarrasser des explications que croit devoir fournir Dom Lobineau à la multiplicité des agenouillements de l'ermite, Albert Le Grand dit, de son côté, qu' a entre ses austérités et macérations, il avait coutume de fléchir les genoux mille fois le jour et autant la nuit pour adorer Dieu a.

SAINT Mr RiADEC5152 7 JUINSAINT bddRIADEc53Le rayonnement d'une vie.

Mériadec, assidu à 1 étude et à la lecture de l'Écriture Sainte, y pui. sait pour lui-même les raisons de sa vie pénitente, et pour les autres, les conseils que les circonstances l'obligeaient à distribuer autour de lui. Bien vite, en effet, la sainteté de sa vie avait appris à tous ceux que tourmentaient le soin de leur salut, celui de leur corps éprouvé par la maladie et les infirmités, voire le souci de leurs intérêts matériels, le chemin de son ermitage. Ils s'en revenaient réconfortés, sinon encore convertis ou guéris, assurés, en tout cas, de l'appui de l'homme de Dieu dans les besoins qu'ils étaient venus lui exposer. Le fait suivant témoigne, tout au moins par la constance de sa tradition, du souci qu'avait Mériadec de soulager, autant qu'il était en son pouvoir, tous ceux qui s'adressaient à lui. Nous le rapporterons tel que le présentent Albert Le Grand et les autres bio-

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graphes, malgré l'anachronisme de la visite d'un Rohan au solitaire du vue siècle.Donc, le a vicomte de Rohan a (à moins qu'avec plus de raison ce ne fût le seigneur, le (hiern ou

le chef du lieu, contemporain de Mlériadec), attiré lui aussi par la renommée des vertus de son cousin, vint un jour le visiter. Mériadee en profita pour lui soumettre les doléances des pauvres gens qui, journellement, se plaignaient à lui des exactions de bandits et proposa d'exterminer les voleurs contre l'octroi de trois foires franches pour la paroisse de Noyal. Surpris, le seigneur consentit à cette sorte de marché passé entre lui et son parent, se doutant bien que les armes dont se servirait ce dernier seraient la prière et la pénitence. Elles curent, en effet, raison des brigands, sur lesquels, d'après la légende, descendit le feu du ciel que Mériadec éteignit, devant leur repentir. Le prince tint parole et. octroya les trois foires susdites.

Le Propre de Vannes donne une variante de cet épisode

Le seigneur du pays (il n'est pas dit ici que ce fut un Rohan) vint à l'ermitage de Stival, et voyant l'extrême pauvreté de Mériadec (qui, dit encore la légende, a ne buvait ni vin ni cidre n) il lui offrit de venir à son secours, niais le Saint, après l'avoir remercié de sa bonne volonté, le pria seulement de purger la contrée des voleurs qui troublaient le commerce et la sâreté des chemins.

Quelle que soit la part prise par Mériadec à l'institution de foires conservées à Noyal et de Mériadec en Plumergat, il n'en reste pas moins qu'une tradition aussi longuement perpétuée démontre l'intensité de la confiance du peuple associant celui qu'il considère comme son protecteur aux événements familiers de la vie quotidienne.

L'épiscopat.Secours spirituel et secours matériel, voilà donc ce que l'on attendait de Mériadec. Si le solitaire

distribuait déjà amplement ces bienfaits, sacrifiant à la charité les heures qu'il avait coutume deconsacrer à la prière, combien plus l'évêque serait-il à même de faire jouir le Vannetais de cette

double prospérité 1Ainsi jugea le clergé et le peuple de Vannes - clero et populo, - lorsque mourut l'évêque de la

cité, saint Hincweten, celui-là même

Excédé par les cabrioles d'une chèvre saint )Wériadec lance l'animal

contre le lec'h où son pied reste gravé.38

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qui avait ordonné Mériadec. Une députation, composée de l'un et de l'autre élément, fut envoyée à Mériadec, pour le décider à accepter la succession d'Hincweten ; députation qui n'eut, on le devine, aucun succès. Les honneurs, d'où qu'ils vinssent, loin de tenter celui qui avait quitté, à cause d'eux i la maison paternelle, paraissaient à son humilité une charge redoutable, qu'il se refusait à assumer. Devant

54 7 JUINsa décision sans appel, les envoyés se saisirent de lui, l'enlevant de force à sa chère solitude, et

de peur qu'il ne leur échappât, montèrent bonne garde jusqu'au jour du sacre.Ici se pose une question : l'évêché de Vannes était-il alors sous la domination franque ou

bretonne P On sait qu'une grande obscurité règne sur la période qui va de 590 à 752, touchant l'une ou l'autre domination. En tout cas Mériadec ne fut certainement pas sacré à Dol, comme le dit Albert Le Grand, puisque Noménoé ne devait ériger cette métropole qu'au Ix` siècle.

L'épiscopat de Mériadec semble n'avoir été signalé d'aucun fait saillant, d'aucune des difficultés du genre de celles qui contraignirent à l'exil le fondateur du siège, saint Patern. Il ne comporte pas non plus d'événement semblable, par exemple., au Concile de Nantes, tenu sous Hineweten, prédécesseur de Mériadec ; ce Concile avait eu à s'occuper de divers points de discipline concernant l'Eglise bretonne, et Hincweten, convaincu sans doute de l'indépendance de son siège, ne paraît pas y avoir pris part. Par contre, Albert Le Grand nous montre l'évêque de Vannes « s'acquittant du devoir d'un bon Pasteur à l'endroit de ses ouailles ». Il parle avec admiration de sa grande charité envers les pauvres, à l'égard de qui « il était

fort compassif et miséricordieux », alors que pour lui-même il cou-, tinuait, sous le couvert de la dignité épiscopale, les mêmes austérités

que le solitaire ignoré de tous qu'il avait été et qu'il aurait voulu demeurer toujours. « Enfin, achève l'hagiographe morlaisien, ayant gouverné son Eglise en grande sainteté, il passa de ce séjour mortel à la gloire immortelle. » Albert Le Grand aurait pu ajouter : à la gloire de l'Eglise de Bretagne, tout au moins, car, après la mort de Mériadec, dont la date probable est le 6 juin 666, son culte va déborder le théâtre des lieux témoins de sa sainte vie.

Son corps fut inhumé dans la cathédrale de Vannes, qui, chose curieuse, n'a conservé de lui aucune relique.

Le culte de saint Mériadec.A la légende que nous a transmise l'un de ces mystères du théâtre populaire cornique compris

sous le nom d'Ordinalia, et que l'on nomme Bernons Meriaselc (Vie de Mériadec), est due la diffusion, outre-mer, du culte de ce Saint de la Bretagne continentale. L'original de cet Ordinale, un des monuments du dialecte celtique aujourd'hui disparu du comté anglais connu sous le nom de Cornwall ou Cornouailles, est conservé au pays de Galles. M. de La Villemarqué incline cependant à croire que ce mystère, écrit d'abord en PetiteBretagne, c'est-à-dire sur le continent, aurait été tiré du vieux légendaire de Tréguier, document désormais introuvable. Une particularité du texte cornique, traduit en anglais par M. William Stokes, est de présenter saint Mériadec comme venant, sur un appel d'en haut, évangéliser le Cornwall britannique, alors que, vraisemblablement, il n'y mit jamais les pieds.

Telle n'est pas l'opinion de C.-H. Doble, hagiographe cornouillaisd'outre-mer qui, se reportant à la topographie locale, suggère. la possibilité de la naissance de

saint Mériadec au pays de Galles, mais la légende petit s'expliquer par analogie avec ce qui arriva à saint Padarr. confondu avec saint Patern, évêque de Vannes, lors du reflux des Armoricains en Grande-Bretagne, sous la pression des invasions normandes du x' siècle. En franchissant la Manche, les Bretons armoricains ont pu se plaire à relaterr la vie sainte et mer: veilleuse de leur compatriote Mériadec, à laquelle les insulaires, comme ils le firent pour saint Padarn, cité plus haut, ajoutèrent un épisode concernant leur propre pays et fabriqué de toutes pièces. Plus simplement encore, verrait-on là le fait des relations fréquentes entre les populations côtières des deux pays : Trégor et Léon d'une part, le Cornwall d'autre part, se faisant des apports mutuels. Car, c'est en Cornouailles britannique, à Cambron, dans le canton de Penwith, que le Saint aurait débarque et qu'il aurait établii son ermitage près d'un sanctuaire de la Sainte Vierge. Ce lieu aurait eu comme vocable

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primitif .lfereodocus et jusqu'au xive siècle, saint Mériadec a été le patron de la paroisse comme il ressort, d'après M. Doble, des registres épiscopaux d'Exeter. Mais déjà nous savions par M, de La Villemarqué et Anatole Le Braz que le Saint aa sa fontaine à Cambron et qu'il y est prié, comme en Bretagne armoricaine, pour la santé en général, contre les maux de tête et pour avoir bon espoir. Le Braz signale le souvenir de saint Mériadec sur les bords de la Clwyd, dans la paroisse de Llanelroy, en Galles, ci) un village porte le nom de Meriadawg.

Mais le centre duu culte est, sans contredit, le pays de Pontivy, d'où, par de nombreuses chapelles, il rayonne sur le Vannetais, le Tregor, la Cornouaille, le Léon. C'est d'abord Stival, l'ermitage, que rappelle encore le Penher-er-Sont (propriété du Saint), à quelque distance du bourg actuel. L'église, qui a remplacé l'oratoire primitif, est dédiée à saint Mériadec, bien que ce Saint ne soit pas le patron de la paroisse. On y conserve la précieuse cloche, dite « Bonnet de saint Mériadec. », qu'une constante tradition assure avoir servi au Saint pour appeler les fidèles à la prière, et que l'inscription gravée sur l'un des côtés fait attribuer an vit' siècle. Le 7 juin, jour de la Saint. Mériadec, et le dimanche de la Trinité, fête paroissiale, on la sonne devant ceux qui le désirentt et, on la leur « impose » au-dessus de la tête pour guérir ou préserver de la surdité, des maux de tête et d'oreilles. De nombreux pèlerins isolés se la font ainsi imposer au cours de l'année, et ceux qui tic, peuvent venir à Stival prient, par lettre, le recteur d'y faire toucher quelque morceau d'étoffe dont ils usent ensuite comme d'une relique. A l'intérieur de l'église, les murs de l'abside sont peints de fresques rappelant des épisodes de la vie du Saint ; au dehors est un calvaire orné de la statue de saint Mériadec représenté en évêque. À une centaine de mètres se trouve une fontaine ornée de l'écusson à neuf macles de la Maison de Bohan. On s'y rend processionnellement le jour du « Pardon ».

A Mériadec, entre Plumergatt et Pluneret, on fait une offrande auSAINT aIf nIADEc55567 JUINsaint évêque de Vannes et à sainte Anne pour avoir bonne chance. A la chapelle de Saint-

Mériadec, en Pluvigner, édifice qui date de 1549, on prie pour les animaux malades, surtout les trois premiers samedis de Carême. Saint Mériadec est encore honoré à Noyai Pontivy où, dans le cimetière, se voit un vieux sarcophage de granit improprement appelé « tombeau de saint Mériadec u.

A Saint-Jean-du-Doigt, en Plougasnou, la belle église construite sur l'emplacement de l'ancienne chapelle dédiée à saint Mériadec, dans le vallon de Traoun-Meriadec, possède une partie de son crâne. Il est renfermé dans un reliquaire d'argent en forme de buste. Une statue du saint évêque orne l'église où son culte se poursuit concurremment avec celui de saint Jean-Baptiste. La fontaine est toujours en vénération.

La famille de Rohan conserve, elle aussi, fidèlement le souvenir de saint Mériadec dans les noms de baptême donnés à ses descendants. En 1;69, Ferdinand-Maximilien-Mériadec de Rohan-Guémené, fils d'Hercule-lériadec, était archevêque de Bordeaux et donnait à une place de la ville le nom de Saint-Mériadec. Laïcisée, elle est devenue place Mériadec.

Un vieux manuscrit du xve siècle, de la bibliothèque de Rouen, mentionne la fête du saint évêque au 7 juin, de même que les Propres de Nantes et Vannes au xvn° siècle, et le Propre actuel de Vannes, seul diocèse breton qui ait gardé la fête du Saint. Un autre manuscrit, conservé à la Bibliothèque Nationale, la porte au « premier jour vacant » du mois, tandis que le Bréviaire de Tréguier, du xv° siècle, l'indique pour le 3 juin, date adoptée par le Corniste Church Kalendar, du diocèse anglican de Truro, en Cornouailles anglaise, où le Saint est qualifié d'évêque de Vannes.

M. La Benne.Sources consultées. - Acta Sanctorum, t. Il de juin (Paris et Rome, 1867). - Dom Lomnenu, O.

S. B., vie des Saints de Bretagne. - P. ALnenT LE GRAND, O. P., Vie des Saints de Bretagne-Armorique (réédition, Quimper, Ipos). - ARTROR De LA BORDSnIE, if(sioire de Bretagne, t. I. - Abbé Tnesveux, Vie des Saints de Bretagne, t. II.

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.................................. PAROLES DES SAINTS Les mérites infinis de Jésus-Christ.

Ce n'est pas un faible appui de ma confiance que la charité avec laquelle ce souverain monarque a voulu négocier pour moi, puisque durant tout le temps qu'il a vécu sur terre, il n'a pas perdu un moment qu'il n'ait employé pour mon profit et que, depuis qu'il est monté au ciel, il a porté à

son Père ces immenses richesses qu'il a acquises, pour lui présenter continuellement ce qu'il a acheté ce qu'il a racheté, et le fonds d'où il a tiré le prix avec lequel il a acheté le trésor de toutes les grâces du ciel, et racheté tous les, pécheurs.

SAINT MAXIMI NPremier évêque d'Aix-en-Provence (ler ou Ive siècle?).

Fête le 8 juin.LA France a connu plusieurs Saints du nom de Maximin, notamment un évêque de Trèves, né

et mort en Aquitaine, frère de saint Maxence, évêque de Poitiers, et peut-être de sainte Maxime, vierge, honorée à Fréjus; un autre qui fut Abbé de Micy, près d'Orléans, et qu'on appelle communément saint Mesmin. Tous les deux sont les patrons de plusieurs églises en France. Le diocèse de Besançon vénère son quatrième évêque (282-a9o) dont certains critiques contestent la date et l'existence même, voulant ne voir en lui que l'évêque de Trèves. A Billom, en Auvergne, un Saint du même nom a été l'objet d'un culte qui paraît surtout local ; enfin, la Provence honore tout particulièrement un saint Maximin, premier évêque d'Aix. Au sujet de celui-ci, depuis trois siècles, les historiens ont beaucoup discuté. Les uns croient retrouver en lui l'un (les Saints précédents ; d'autres, beaucoup plus nombreux, voient en lui un évêque d'Aix, vraisemblablement le premier. Mais le problème se complique quand il s'agit de préciser davantage ; sommesnous en présence d'un personnage du Iv' siècle, ou faut-il admettre que saint Maximin fut un messager de l'Evangile venu dès les premiers âges du christianisme, un des compagnons de saint Lazarre et de sainte Marie-Madeleine P Comme on le voit, c'est tout le problème de ce qu'on appelle e l'apostolicité des Gaules » qui se trouve de nouveau posé. Les Bollandistes constatent que les Martyrologes les plus anciens ne font pas mention de ce saint Maximin d'Aix ; cette remarque a son importance.

Une école critique très moderne a adopté, à propos des saints personnages qui seront nommés dans le présent récit, une position qui peut se résumer en ces termes : saint Lazare n'est pas le miraculé

(Sermon pour la /il, de saint Nicolas.)SAINT BenNAnD.58 8 JUINSAINT MAXIMIN n'AIX5gde l'Evangile mais un évêque d'Aix du y' siècle ; l'intervention des saintes Marthe et Marie-

Madeleine a été ajoutée après coup ; Maximin, Sidoine et Marcelle ne sont autres que trois saints personnages dont le culte est constaté effectivement en Auvergne ; Sidoine serait saint Sidoine Apollinaire, évêque de Clermont (471-489). Des confusions se seraient ainsi produites, favorisées par la marche du temps et la distance.

Cette théorie, si elle offre le double mérite d'être originale et d'être ingénieuse, ne satisfera ni les défenseurs ni même tous les adversaires de l' a apostolicité n. Notre rôle n'est pas de discuter. Cela dit, nous rapporterons, aussi fidèlement que possible, l'histoire ou si l'on préfère la légende de saint

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Maximin telle qu'elle nous est présentée par les amis des traditions. Dans cette attitude, tout objective, nous nous sentons encouragé par les lignes suivantes que traçait en 192.5 Mgr Guillibert, évêque de Fréjus et Toulon :

.. Pour nous en tenir à la possession tant de fois séculaire de nos saintes traditions, antique et vénérable objet du culte de la Provence entière, aux Saintes-Marie, à Marseille, Avignon, Tarascon, Aix, Saint-Maximin et la Sainte-Baume : jusqu'au jour où la démonstration sérieuse - et non pas des suppositions, des interprétations era produite et irréfutable, nous demeurerons inébranlables sur nos positions acquises...

La piété des fidèles y est d'ailleurs autorisée par la mention du Martyrologe romain : a A Aix, en Provence, le décès de saint Maximin, premier évêque de cette ville, que l'on dit avoir été disciple de Notre-Seigneur. n

La traversée miraculeuse des disciples du Seigneur.Nous sommes transportés à 13éthanie, dans la maison de Marthe, la bonne hôtesse du

Seigneur ; dix années au moins, quatorze peutêtre se sont écoulées depuis la mort, la résurrection et l'ascension du divin Maître. La maison de sainte Marthe est la première église du Nouveau Testament. Là se retrouvent Lazare que le Christ a fait sortir du tombeau, Marie-Madeleine, Marcelle et Sara, a Sidoine n, l'aveugle-né guéri ainsi que le rapporte l'Évangile, d'autres encore, parmi lesquels Maximin, l'un des soixante-douze disciples du Sauveur, et à qui, rapporte le bienheureux Jacques de Voragine, auteur de la Légende dorée, l'apôtre saint Pierre avait confié MarieMadeleine.

Or, les Juifs qui avaient déjà mis à mort le diacre saint Etienne chassèrent les autres disciples hors des frontières de la Judée ; les disciples allaient se répandre dans diverses contrées du monde pour y semer la parole divine.

Lors de cette dispersion forcée, tous les saints personnages que nous avons nommés plus haut se trouvèrent réunis ; d'autres messagers de l'Evangile, d'autres saintes femmes se joignirent à eux : c'étaient saint Trophime, saint Eutrope, saint Front, les saintes Marie-Jacobé et Salomé, une parente de Maximin, une jeune vierge, qui prendra plus tard le nom de Nymphe - en fait, l'hagiogra

phie, qui connaît sa fête au io novembre, ne sait ni où ni à quelle date placer sa mort, -- un diacre, Parménas, qui sera comme le guide et le conseiller de sainte Marthe, de même que Maximin tiendra le même rôle vis-à-vis de Marie-Madeleine.

Cette glorieuse cohorte fut condamnée à prendre place sur une barque sans uni, ni voile, ni gouvernail. Ainsi exposée aux flots elle paraissait vouée à une mort certaine. Mais les anges du ciel veillaient. Conduite par ces invisibles nautoniers, l'embarcation bravo les flots et aborde heureusement sur les côtes de la Gaule, à quelque distance de Marseille. Ce jour-là, dit un écrivain provençal, a le premier rayon de la divine Vérité se levait sur la France encore païenne n.

La première messe sur le sol de France.A peine débarqués, les saints proscrits voulurent remercier Dieu de les avoir arrachés au

naufrage. Nul sacrifice ne pouvait mieux traduire leurs sentiments que l'Eucharistie qui est l'action de grâces la plus parfaite. Ils plantèrent une croix, puis, comme ils ne trouvaient aucune pierre, les saintes femmes qui, nous dit l'Evangile, avaient suivi Jésus depuis la Galilée et le servaient, dressèrent un autel avec de la terre pétrie de leurs mains. Comme Jésus allait y descendre pour s'immoler, les Saints dédièrent cet autel à Marie, sa Mère. Maximin y offrit le Saint Sacrifice, la première messe sur le sol de la Gaule.

Les apôtres de la Provence.Le P. Ilenri-Dominique Lacordaire, qui restaura en Franco, au xIx° siècle, l'Ordre dominicain,

avait été subjugué par l'âme de sainte Marie-Madeleine. Il lui a consacré des pages empreintes d'une éloquence ardente ; et la conquêtee pacifique de la Gaule par les amis du Sauveur lui inspire des mots que l'on aime à relire :

La Provence n'était pas une peuplade barbare quand le christianisme y partit ; c'était depuis plus d'un siècle une province romaine, Elle avait reçu de ses maîtres toute la culture, de Rome, et de son origine, toute celle de la Grèce. Elle était liée par Marseille à toutes les côtes de la Méditerranée, et

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d'infatigables vaisseaux lui apportaient dès lors le tribut des rivages les plus lointains. Lors donc que le premier son de l'Evangi.le frappa ses oreilles, elle ne put se tromper sur ceux qui lui apportaient de l'Orient cette grande révélation. Elle les connut, les jugea, et convertie par eux à la loi nouvelle, leurs noms lui furent sacrés comme aucun nom ne l'avait été pour elle jusque-là... Or, de qui la Provence date-t-elle sa foi P A qui rend-elle grâce, après dix-neuf siècles, d'avoir reçu, au lendemain de l'Evangile, un rayon de la lumière qui venait de se lever sur les profondes ténèbres du genre humain a Elle en rend grâce à cette illustre famille de Béthanie qui avait eu Jésus-Christt pour hôte et pour ami, à Lazare, à Marthe, à Marie-Madeleine, à leurs compagnons Trophime et

Maximin.Les nouveaux venus vont se partager pour la gagner au Christ la terre lointaine où la main des

anges les a conduits : Lazare, Madeleine et Marthe vont prêcher l'Evangile à Marseille, d'abord près du

UN sAlNr POUit CHAQUE JOUA CO Mors, 3e Serra, (JUra) 360 8 JUINSAINT MAXIMIN D'AIR61temple de Diane, puis dans des sortes de catacombes que l'on appelle les grottes de Saint-Victor

; par la suite, Madeleine, désireuse de mener la vie contemplative, se réfugie dans une caverne, unebaume a, qu'elle illustrera par trente ans de pénitence ; Marthe multiplie ses enseignements à

Avignon, à Arles, enfin à Tarascon où elle se fixe avec un groupe de pieuses femmes ; Trophime demeure à Arles ; Eutrope à Orange, Nymphe à Pignans (Castra Pinorum), où elle mourra martyre : quant à Maximin, il évangélisera les habitants d'Aix et deviendra leur évêque.

Aix, en latin Aquee Sextiae, était une ville importante ; c'est la métropole civile de la Seconde-Narbonnaise avant la décadence de l'empire romain en Occident.

Le premier pontife d'Aix évangélisa ce territoire de longues années, quarante ans, à en croire les bréviaires récents d'Aix. Ses prédications, rapportent les anciennes Vies, furent marquées de nombreux miracles : démons chassés, aveugles, sourds, boiteux, malades (le toute sorte guéris ; morts même ressuscités. La lumière de la vérité luisait de toutes parts et remplaçait les ténèbres épaisses de l'erreur. L'apôtre se multiplie en quelque sotte, et son infatigable labeur, mais chaque fois, avant de le reprendre, le jour et surtout la nuit, il se livre à la prière et à toutes les austérités, afin d'acheter du sang de son âme, en quelque sorte, le Verbe qu'il communique et les âmes qu'il sauve. Les fruits de conversion et de sainte vie ne pouvaient que répondre à ses efforts. (SicAnn.)

Le « premier Concile a des Gaules.

Du fond de sa retraite, Marie-Madeleine apprit les merveilles accomplies par sa soeur Marthe et elle pria Maximin de se rendre à Tarascon pour l'encourager dans cet apostolat. Le saint évêque vint donc à Tarascon ; il y rencontra Trophime d'Arles, Eutrope d'Orange, ainsi que plusieurs autres évêques : ainsi se trouva réuni, dans la maison de Marthe, si accueillante jadis à Béthanie pour le Sauveur, ce qu'on peut appeler le premier concile des Gaules ; après quoi, chacun des messagers de l'Evangile rejoignit son poste de travail et de combat.

Mort de sainte Marie-Madeleine.Cependant, les années passaient. Depuis trente ans et plus, MarieMadeleine vivait seule dans la

contemplation de Dieu et la société des anges. L'heure approchait où elle allait rejoindre au ciel le Maître qui l'avait tirée de l'abîme du péché et au service de qui elle avait consacré toute sa vie.

Jacques de Voragine raconte, en les ornant de nombreux faits miraculeux, qui ne sont pas, nous devons le dire, articles de foi, les derniers moments de la Sainte et l'intervention de Maximin à ses côtés :

Un certain prêtre, désireux de mener la vie solitaire, se construisit une cellule en un lieu qui se trouvait distant de douze stades de l'endroit où vivait Madeleine. Un jour, le Seigneur ouvrit les yeux de ce prêtre, et grâce

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évidence, de ses yeux corporels, comment les anges à cela, il put voir avec descendaient vers la retraite de la bienheureuse Marie-Madeleine, la soulevaient dans les airs et, au bout d'une heure, la ramenaient au même endroit en chantant les louanges divines. Désireux de s'assurer de la réalité d'une

Saint Maximin arrive en France sur la barque des Saintes Xaries.vision si admirable, il pria le Créateur et se bâta avec une dévotion audacieuse vers l'endroit

susdit.Comme il s'en trouvait à la distance d'un jet de pierre, il sentit ses jambes se raidir et, sous le

coup d'une grande crainte, il trembla jusqu'à la moelle des os. Alors, il recula et de nouveau ses jambes et ses pieds retrouvèrent leur liberté. Mais si, rebroussant chemin, il s'efforçait d'ac

62 8 JUINSAINT MAXIMIV n'Aix63céder vers l'endroit, chaque fois, la langueur du corps et la torpeur de l'esprit l'en rendaient

complètement incapable, L'homme de Dieu comprit qu'il y avait là, sans aucun doute, un mystère céleste qu'il était interdit à un homme de connaître. Ayant donc invoqué le nom du Sauveur, il s'écria : « Je vous adjure, au nom du Seigneur, si vous êtes un homme ou quelque créature raisonnable, vous qui habitez dans cette grotte, répondezmoi et exposez-moi la vérité en ce qui vous concerne. n

Et quant il eut répété trois fois ces paroles, la bienheureuse MarieMadeleine lui répandit : u Approchez plus près, et vous pourrez connaître la vérité, comme votre âme le désire si ardemment. n II parcourut en tremblant la moitié environ de l'espace qui le séparait d'elle. Alors Madeleine lui dit : « Vous rappelez-vous avoir lu dans l'Evangile l'histoire de Marié, cette pécheresse fameuse qui baigna (le ses larmes les pieds du Sauveur, les essuya de ses cheveux et mérita d'obtenir le pardon de ses péchés P n Le prêtre répondit : « Je me la rappelle, en effet, et plus de trente années se sont écoulées depuis qu'a eu lieu ce fait, que l'Eglise croit et proclame.

- Je suis cette femme, reprit alors Madeleine ; j'ai vécu pendant trente ans ignorée de tous les hommes, et, ainsi qu'il vous a été permis de le voir hier, quotidiennement enlevée dans les airs par la main des anges, j'ai mérité d'entendre sept fois le jour, des oreilles de mon corps, les chants pleins de douceur et d'allégresse des phalanges célestes. Le Seigneur m'a révélé que je suis sur le point de

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quitter ce monde ; c'est pourquoi, allez voir le bienheureux ,Maximin et ayez soin de l'avertir qu'il vienne au jour prochain de la fête de la Résurrection du Seigneur, dès le matin, à l'heure oit il a coutume de se lever ; qu'il entre seul dans son oratoire et il m'y trouvera amenée par le ministère des anges. n

Or, le psréhro entendait cette voix comme si ç'eût été la voix d'un ange, mais il ne voyait personne, En toute hâte donc, il se rendit vers le bienheu. rerix Maximin et lui rapporta dans l'ordre tous les événements. Maximin, rempli d'une joie extrême, rendit au divin Sauveur des actions de grâces sans fin, et au jour et à l'heure qui lu; avaient été prescrits, étant entré seul dans son oratoire, il aperçut la bienheureuse Marie-Madeleine, présente au milieu du chceur des anges par qui elle avait été transportée. Elle était élevée de terre à une haudour de deux coudées et elle se tenait au milieu des messagers célestes et priait Dieu les mains jointes.

Et comme le bienheureux Maximin hésitait à s'avancer vers elle, Madeleine se tourna vers lui et lui dit : « Approchez davantage, mon Père, et ne fuyez pas votre fille. n Il s'avanc_a, en effet, ainsi qu'il est rapporté dans les écrits du bienheureux Maximin lui-même ; le visage de la sainte femme brillait alors d'un tel éclat, par suite de la vision continue et quotidienne (les anges, que l'on aurait pu fixer le regard sur les rayons du soleil plus facilement que sur son visage. Après que tout le clergé eut été convoqué, de même que le prêtre dont il a été parlé plus haut, la bienheureuse Marie-Madeleine, au milieu d'un flot de larmes, reçut des mains de son évêque le corps et le sang du Seigneur, après quoi son corps s'affaira sur le marchepied de l'autel et cette sainte âme émigra vers le Seigneur...

On a fait le calcul que si la pécheresse repentante avait environ vingt-cinq ans lors du repas chez Simon, elle dut mourir entre 73 et 76. Mais ce détail, comme beaucoup d'autres dans ce récit, n'offre aucune certitude. Quai qu'il en soit, Maximin inhuma le corps de Marie-Madeleine en un lieu situé à environ six lieues d'Aix, et il fit en sorte que son corps y fût transporté aussi après sa mort qui survint on sa cité épiscopale vers 83; s'il est vrai qu'il ait survécu environ dix ans à sainte Marie-Madeleine.

La ville de saint Maximin.

L'endroit où Maximin et Madeleine ainsi que saint Sidoine, deuxième évêque d'Aix, sainte Marcelle et deux- petits saints « Innocents n furent inhumés donna naissance à un oratoire, l'oratoire à un monastère, celui-ci à une ville. Nous avons des exemples analogues dans la Vie des Saints. Mais ce sont surtout Madeleine et Maximin qui rendent ce nom glorieux ; comme l'écrit encore le P. Lacordaire, ces « deux tombeaux réunis dans une même crypte par une piété fraternelle rappellent aux voyageurs que sainte Madeleine y reposa en face de saint Maximin, et le nom même de saint Maximin, donné au lieu où s'accomplit. cette double et unique sépulture, atteste l'impression qu'elle produisit sur les peuples et qui ne s'est jamais éteinte u.

Plus exactement, cette impression et ce culte n'ont pas cessé depuis neuf cents ans, mais ils avaient connu, semble-t-il, une longue interruption, car la Provence avait, an cours des siècles, subi de douloureuses épreuves, changé, de maîtres plusieurs fois, vu se succéder les Visigoths, les Bourguignons, les Francs, les Lombards, les Sarrasins, avant de recouvrer sa liberté à laa fin du x° siècle. Cette histoire si mouvementée expliquerait que le souvenir même des reliques conservées à Saint-Maximin se fût effacé.

Cependant on cite, en xxo2, une Bulle du Pape Pascal II accordant à l'archevêque d'Aix, Pierre II, l'usage du pallium pour les messes solennelles célébrées certains jours, au nombre desquels figurent « les fêtes de sainte Marie-Madeleine, de saint Maximin, évêque et confesseur, et, des martyrs qui reposent en l'église d'Aix n.

La découverte (les restes contenus. dans la crypte de l'église de Saint-Maximin, effectuée le 9 décembre 1279, en présence de Charles de Salerne, le futur Charles II, fils du comte de Provence, Charles 1°` d'Anjou, et neveu de saint Louis, va dès lors entourer de gloire dans toute la région le nom de Marie-Madeleine, et, par conséquence, celui de saint. Maximin.

L'église, qui avait été confiée d'abord aux Cassianistes ou disciples de Jean Cassien, Abbé de Saint-Victor de Marseille, puis aux Bénédictins de Saint-Victor du xie au xuu° siècle, passe en x295

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aux mains des fils de saint Dominique ; ces religieux se feront jusqu'à nos jours les apôtres de la dévotion envers la confidente de NotreSeigneur et les compagnons de son apostolat. Le roi Charles II fit rebâtir l'église qui est l'un des plus beaux monuments de l'art ogival du midi de la France. Papes, rois et princes se plurent à enrichir ce sanctuaire de dons précieux, de faveurs et de privilèges de toutes sortes ; parmi eux plusieurs vinrent en pèlerinage, soit à SaintMaximin, soit à la Sainte-Baume ; Louis XIII et Louis XIV sont au nombre de ces pèlerins, et, près de ces noms illustres selon le monde, il nous plaît de voir le pauvre d'Anaettes, saint Benoît-Joseph Labre, L'église, consacrée le 29 septembre 1776 par un prélat dominicain, Mgr d'Astesan, évêque de Nice, fut dépouillée à la Révolution de ses objets précieux, mais le monument , sauvé grâce à l'intervention de

648 JUINLucien Bonaparte, fut vendu pour cent livres, payées en assignats, à un acquéreur qui n'avait

d'autre but de le rendre au culte dès que viendraient des jours meilleurs.Plusieurs reliques, dont ['authenticité devait être reconnue au lendemain du Concordat par le P.

Rostan, dernier prieur des Dominicains; échappèrent aux profanateurs. Il en fut de même à Aix, où l'abbé Démolia sauva les reliques de saint Maximin données par Charles Il en 1283 à l'église Saint-Sauveur : l'os maxillaire et une portion du crâne. Peu avant de mourir, ce prêtre les confia à un reli-gieux Chartreux. Le 13 mai 1820, Mgr de Bausset-Roquefort, archevêque d'Aix, en fit la reconnaissance juridique et les transféra solennellement dans son église métropolitaine.

Le culte de saint Maximin.Le premier évêque du diocèse d'Aix en est aussi le patron. Sa fête se célèbre sous le rite double

de première classe avec octave le dimanche dans l'octave de l'Ascension ; celle de sa translation est fixée au cinquième dimanche après la Pentecôte, sous le rite double majeur. Sur la demande présentée par plusieurs archevêques et évêques de France, la S. Congrégation des Rites a rendu un décret qui autorise l'établissement, dans toutes les églises pour lesquelles les Ordinaires en feront la demande, des fêtes des saints Lazare, Maximin et Trophime.

La grotte de la Sainte-Baume, située près de Saint-Zacharie, dans le Var, a appartenu, jusqu'à la Révolution, au diocèse de Marseille ; puis au diocèse d'Aix du Concordat à l'année 1923 ; depuis lors, elle dépend du diocèse de Fréjus. Elle est le centre d'une confrérie de Sainte-Marie-Madeleine, érigée en ce lieu par un bref d'Urbain VIII en date du 9 juin 1629 ; parmi les indulgences accordées aux membres de cette association, figure une indulgence concédée par Pie VII pour le jour de la fête de saint Maximin.

L'iconographie représente le saint évêque d'Aix naviguant, avec les compagnons que nous avons désignés, sur un vaisseau désemparé. Un vitrail du xve siècle le représente en évêque, debout, avec une croix près de sa mitre, On le trouve aussi au pied d'une croix avec sainte Marie-Madeleine.

BLAISE LEZeN.Sources consultées. - Acta Sanctorum, t. 11 de juin (Paris et Rome, 1867). - Chanoine

Josern )3inENCen, Sainte Marie-Madeleine en Provence (Paris, 1925). - Un SOLITAIRE De LA MONTAGNE (chanoine BORME), Le culte de Marie inauguré par les saints disciples du Sauveur à l'ignares, en Provence (Paris, 186a). - M.u,,xDoMINIpUe CnAeonN, 0. P., A travers l'histoire dominicaine ancienne et contemporaine (Extraits de l'Année Dominicaine), t. 1 (Paris, ego3). - Louis ou Bnoc ne SEGANOE, Les Saints patrons des Corporations, t. 1 (Paris). - Abbé FAn.uon, S. S., Monuments inédits, ou l'apostolat de sainte Marie-Madeleine en Provence (Paris, 184,). - JAcom A VonAO,ren, Legenda ourla, vulgo Historia Looabardica dicta, édition Th. Graesse (Leipzig, a85o). - HENRLDOMINiQUE LAGOreDAIRE, Sainte Marie-Madeleine (Paris, agdi). - Ilemu Lretzncg, Lazare et Légendes gallicanes, dans Dic tionnaire d'archéologie chrétienne (Paris, 19x8). - Chanoine CH. MARTEL, Le culte de Marie et le sanctuaire de Notre-Dame des Anges à Pignans (Toulon, 1816). - Do. PAUL PIOLIN, 0. S. B., Supplément aus Petits Bollandistes, L. Il (Paris). - M.-M. Swnno, Sainte Marie-Madeleine, sa vie, histoire de son culte (Paria).

SAINT VINCENT D'AGENDiacre et martyr (Ille siècle).

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Fête le g juin.S AINT Vincent d'Agen ou du Mas est le grand diacre des Gaules. Il en fut la gloire, comme

son homonyme, Vincent de Saragosse, le fut de l'Espagne un peu plus tard. Moins favorisé que son émule d'an delà les Pyrénées, il n'a pas vu ses mérites célébrés par un Prudence, le prince des poètes chrétiens, ou par le grand Pape et docteur de l'Eglise que fut saint Léon. Néanmoins son culte remonte à une antiquité respectable, et saint Grégoire de Tours, en relatant ses miracles, a beaucoup contribué à lui assurer une renommée durable.

Saint Vincent du Mas, diacre à Agen.Sur ses origines et sur sa famille les Actes du martyr sont muets. L'Agenais devint sa patrie

adoptive; mais te il n'était point d'Agen ni des environs. Il y était venu de quelque autre province de l'Aquitaine ou de la Gaule narbonnaise pour servir les fidèles de cette ville clans le ministère de leur Eglise n.

Aquitaine et Gaule narbonnaise conservaient encore au nie siècle les limites qui leur avaient été tracées par Auguste, après le remaniement administratif opéré sous le règne de cet empereur, c'est-à-dire qu'elles correspondaient à peu près à la France actuelle depuis le sud de la Loire et le cours du Rhône de Lyon à Genève, jusqu'à l'Océan, la Méditerranée et les Pyrénées. Autant reconnattre qu'il est impossible de savoir le lieu de naissance de Vincent.

Les antiques bréviaires l'appelèrent a saint Vincent dit Mas o, en raison du lieu où ses reliques reposèrent environ quatre cent cinquante ans, du va au Ixe siècle, et qui portait jadis le nom de Pompéjac (Pompeiacum).

.IS.AINT VINCENT n'ACEN67Importance du diaconat aux premiers siècles de l'Eglise.Vincent, avons-nous vu plus haut, était venu à Agen pour y e servir les fidèles a. En d'autres

termes il était diacre. Aux premiers siècles de l'Eglise chrétienne les fonctions attribuées à cet ordre majeur étaient de beaucoup plus étendues et plus variées que de nos jours. Non seulement le diacre lisait ou chantait, à la messe, du haut de l'ambon, l'Evangile et l'Epître, niais encore il recevait des mains des fidèles les offrandes qu'il transmettait au célébrant, et il inscrivait sur les diptyques les noms des donateurs, qu'il proclamait ensuite. Sans pouvoir consacrer lui-même, il distribuait l'Eucharistie, surtout quand elle se donnait avec le calice, ou bien il assistait le prêtre faisant cette distribution, et il portait la communion aux absents. C'est à lui qu'était confiée la police du lieu saint : il en faisait ouvrir et fermer les portes, y assurait en tout temps l'ordre extérieur et l'observation des lois de la bienséance, reprenait, même publiquement, ceux qui y contrevenaient, annonçait et dirigeait les prières à

réciter en commun. A lui incombait le soin, durant l'office litur-, gique, de congédier successivement les diverses catégories de per

sonnes, hérétiques, infidèles, pénitents, catéchumènes, admises, sui-, vant la discipline du temps, à certaines parties du sacrifice. Celui-ci terminé, il donnait, comme aujourd'hui encore à la grand'messe, le signal de la sortie générale. Il lui appartenait aussi d'instruire ceux qui se préparaient au baptême et d'assister le ministre du sacrement, baptisant même en certaines circonstances déterminées. Pareillement, quand un pécheur était en danger de mort, le diacre pouvait, à défaut de prêtre, provoquer et recueillir ses aveux, puis prononcer, sans absolution sacramentelle, sa

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réconciliation extérieure avec l'Eglise et lui donner ensuite la sainte Eucharistie.

Incertitude de la date du martyre de saint Vincent.Le martyre ou, comme on disait autrefois, la « passion s de Vincent aurait eu lieu dans la

seconde moitié du me siècle, entre l'an 25o et l'an 787, sans qu'il soit possible de préciser quel empereur régnait alors ou même si l'Eglise était soumise à une persécution générale.

On sait qu'il y eut des martyrs en divers lieux dans l'intervalle des persécutions officielles et sous les princes les meilleurs. Tel fut le cas sous Claude le Gothique, empereur de 768 à 270. Sous son règne on compta dans les provinces et même à Rome un certain nombre de martyrs dont les noms ont été conservés. Et pourtant il ne semble pas que Claude doive en être tenu responsable personnellement, puisqu'il n'avait pas abrogé l'édit de tolérance de son prédécesseur Gallien. La vérité, c'est qu'à l'époque de Vincent d'Agenais les barbares forcent de toutes parts les frontières de l'empire. A ne considérer que l'Occident, 'en Gaule les Francs assiègent Tours et poussent avec une incroyable audace leurs incur.

sions jusqu'en Espagne, oh ils pillent Tarragone ; les Alamans fran-t chissent les Mues rhétiennes et avancent jusqu'à Ravenne, mens.

çant ainsi la capitale même de l'empire. Il n'en fallait pas davantage pour qu'on cherchât des victimes expiatoires, et les disciples du Christ étaient désignés d'avance. La populace arrêtait des chrétiens qui lui avaient déplu, et les juges d'alors trouvaient bien dans l'arsenal des lois existantes quelque vieil édit, signé d'un Néron ou d'un Trajan, ennemi des associations, qui les punissait de mort.

Ce fut le cas pour Vincent.

Le paganisme en Agenais au temps de saint Vincent.Une fête du feu.

Le paganisme et ses deux régnaient encore sur le sol de la Gaule. Les hauts lieux, les forêts druidiques, furent comme les citadelles d'où, par mille superstitions et prestiges, les prêtres des idoles tentèrent longtemps de maintenir leur puissance menacée par la croix.

Dans le territoire agenais, il y avait pour eux, sur la rive gauche de la Garonne, un pays plus favorable à ce dessein.

C'était la région des « nemets s ou temples dédiés à Vélénus,, l'Apollon des Gantois, dieu du soleil et du feu. L'unn d'eux, sans doute plus vaste ou plus important que les autres, se nommait Vernemetis, c'est-à-dire le « grand nemet s, ou le a grand temple s, comme l'explique saint Venante-Fortunat.

Situé sur un promontoire ou colline qui dominait le fleuve, ce « grand nemet v était l'objet d'une vénération spéciale. On y voyait accourir, à certains jours, des foules nombreuses de païens attirés par les étranges fictions du démon qui l'habitait.

Une roue tout enflammée s'élançait de l'autel avec impétuosité, roulait sur le flanc de la colline jusqu'au fleuve qui en baignait le pied, et s'y plongeait sans s'éteindre. Puis, du fleuve, retournant sur elle-même et vomissant toujours ses vaines flammes, elle remontait jusqu'au temple. Tout cela avait pour but de tromper les peuples, de leur faire accroire que le démon du grand nemet était vraiment dieu, et de capter leurs adorations.

Séduits par le prestige, les païens se prosternaient tremblants, et. fier de ce chef-dbeuvre d'impiété qui courbait sous son joug tous les pays d'alentour, le démon triomphait.

Puissance d'un signe de croix.Le diacre Vincent prêchait la foi de Jésus-Christ en Agenais ;: poussé par l'Esprit-Saint lui-

même, il vint à ce repaire do Satan.Absolument inconnu dans le pays, il se mêle à l'innombrable foule dont les masses compactess

couvrent la colline, avides de voir' le merveilleux: spectacle. Déjà. la roue diabolique tourbillonnait en flammes dans le fleuve pour reprendre, aux applaudissements des' idolâtres, sa course vers le temple, lorsque Vincent, élevant très haut la main droite, fit publiquement le signe de' 'a croix sur l'infernal fantôme.

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Au même instant, tout l'artifice du diable s'évanouit. Il ne deva,ii.z jamais reparaître enn ce lieu.9 JUINSAINT vINOENT n'AGEN6gL'arrestation. - Le martyre.Chez ces païens déçus dans leur attente, ce fut d'abord de la stupeur, puis de la colère, de la

rage. Vincent est arrêté, chargé de chaînes et conduit au seuil du a nemet a.Le préfet du lieu, transporté de fureur et jaloux de venger son idole ou d'effrayer le martyr, lui

demande son nom, son pays, sa famille. A quoi le prisonnier répond :- J'ai nom Vincent, et je suis chrétien.On insiste, on le presse de questions. Toujours même réponse - J'ai nom Vincent ; je suis

chrétien.Le préfet, hors de lui, fait planter en terre des pieux et ordonnequ'on y étende le courageux diacre. On le frappe de fouets à droite,à gauche ; on laboure ses chairs. Lui, semble insensible et reditjoyeusement- Je suis chrétien, disciple du vrai Dieu.Ses bourreaux s'acharnent à le torturer encore et longtemps : c'est en vain.Alors, craignant qu'à la prière du martyr le temple même ne s'écroulât dans l'abîme avec ses

idoles, le juge donne l'ordre de conduire Vincent à un stade de là, pour y être décapité.Le martyr est donc détaché du gibet. Tout meurtri, le corps en pièces, mais le coeur vif et alerte,

Vincent retrouve soudain une ardeur nouvelle et, plus prompt que les bourreaux, court le premier au lieu du supplice.

Radieux, les yeux au ciel, il tend .e cou à la mort ; en réalité, il présente le front à la couronne. Le glaive s'abat, tranche sa tête, et son âme s'envole au ciel.

Précieuse mort, qui bannit pour toujours de ces lieux l'idolâtrie vaincue, ruina ses temples, et, semence de vie, fit fleurir la foi du Christ là même où les démons avaient régné.

Découverte miraculeuse du corps de saint Vincent.Le corps du martyr, recueilli par les fidèles, alors très peu nombreux dans le pays, fut enseveli

dans une fosse profonde, où il demeura caché plus de cinquante ans durant lesquels nul ne s'occupa de le rechercher. Ce temps écoulé, Vincent apparut luimême à un chrétien de sainte vie, lui révéla son nom, jusque-là inconnu, et le lieu précis de sa sépulture, ordonnant que sa dépouille fut transportée en un village ou castrum du nom de Pompéiacurn, situé à cinq milles environ du « nemet n et qu'il faut identifier avec Le Mas-d'Agenais, en Lot-et-Garonne, suivant le témoignage des anciens documents et les conclusions des érudits modernes. Le quartier de la petite ville voisin de l'église paroissiale Saint-Vincent a conservé le nom de Pompéjac jusqu'au xix° siècle.

Le clergé et le peuple de Pompéjac apprennent avec joie une telle révélation. Ils demandent à Dieu son appui, afin que le chrétien qui a été choisi pour transmettre ce message soit aussi celui qui découvre les reliques. Des veilles, des jeûnes et des prières sont

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Saint Vincent détruit par un signe de croix un artifice diabolique.ordonnés, et c'est seulement ensuite que l'on recherche avec foi et confiance le lieu de la

sépulture.l'a terre est fouillée avec soin, et au milieu d'autres corps qui ont subi l'outrage des années, de

l'humidité et des vers, le corps du Saint est retrouvé sans aucun signe de décomposition, comme s'il avait été inhumé le jour même.

Ces restes précieux furent exhumés et portés solennellement à Pompéjac, comme le martyr l'avait lui-même demandé.

Piété locale envers saint Vincent.« Saint Vincent, dit le biographe du martyr, voulait se faire connaître et honorer plutôt que

changer seulement de sépulcre. Ni l'unSAINT VNGCNT D'AGEN71ni l'autre des deux lieux de sa sépulture, Vernemetis et Pompéjac, n'est privé de sa protection ;

nous croyons néanmoins que la divine Providence a voulu précisément enrichir de ses reliques ce dernier endroit, afin de procurer, par la présence d'un si glorieux tombeau, un insigne bienfait au sol de Pompéjac. »

Mais vers 56o, époque où il écrivait ces lignes et parlait ainsi de Pompéjac, au moins à l'époque où son continuateur les transcrivait et les complétait, en ajoutant les événements postérieurs, les reliques de saint Vincent étaient sûrement au Mas-d'Agenais, dans une église déjà ancienne, consacrée à sa mémoire

Une riche basilique, où le marbre brillait de toutes parts, s'éleva sur le tombeau vénéré du Saint. Plus tard, en l'absence des reliques, que nous verrons disparaître, une florissante collégiale vécut de son souvenir et glorifia son nom, qu'elle portait jusqu'à la Révolution.

On rapporte qu'autrefois le corps de saint Vincent fut transféré, vers 886 ou 887, de Pompéjac au monastère de Saint-Sauveur à Conques, dans le diocèse de Rodez, en même temps que les reliques de sainte Foy.d'Agen (t 3o3), dont le supplice encouragea l'évêque saint Caprais à affronter la mort à son tour avec un courage égal.

De fait, au mois d'août 18gq, Mgr Germain, alors évêque de Rodez et plus tard archevêque de Toulouse, a bien voulu concéder à l'église du Mas une part des reliques conservées à Conques sous

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le nom de saint Vincent ; elles y ont été apportées en 1900.Cependant un rédacteur des Acta Sanctorurn exprimait jadis le désir d'avoir des précisions à ce

sujet malgré l'affirmation de plu-, sieurs auteurs.

Universalité du culte de saint Vincent.Son culte s'étendit au loin, jusqu'en Pologne, en Westphalie et dans tout le monde chrétien,

assure Venance-Fortunat. Les Eglises de Gnesen et de Cracovie, en Pologne, et d'Utrecht, en Hollande, avaient son office et lui ressèrent des autels. On l'invoquait dans les Conciles, comme on le fit en celui de Chalon-sur-Saône, dont la cathédrale lui était déjà dédiée, bien qu'aujourd'hui elle ait pour vocable saint Vincent de Saragosse.

C'est là que les Pères du Concile, assemblés vers 65e, se prosternèrent au pied des autels pour adresser un veeu au martyr agenais, en faveur de Clovis Il, alors atteint d'une maladie mortelle. Ils conjurèrent le Saint d'intercéder auprès de Dieu, pour qu'il rendît la santé au roi des Francs, et qu'il lui accordât de longs jours. Ils furent exaucés, puisque Clovis II vécut encore six ans,

D'autres évêques s'engageaient par des voeux envers lui. Ainsi, en reconnaissance d'une faveur obtenue, saint Léonce le Jeune, évêque de Bordeaux de 541 à 565, grand constructeur et restaurateur d'églises, restaura d'abord la basilique du Mas-d'Agenais, où était le tombeau du Saint, avec une magnificence que saint Venance-Fortunat (-t vers 6oq) célébrera en un de ses poèmes dont voici le

début« Si la vie est brève quant à sa durée, elle devient plus longue grâce à l'éclat des mérites, et la

foi couvre de gloire des jours fugitifs. L'âme donnée au Christ, après la mort, ne connaît point de fin, et lorsqu'elle a quitté la foule des habitants de la terre, elle demeure dans la compagnie de Dieu. »

Peu après, Léonce fit bâtir une nouvelle église au lieu même du martyre, à Vernemetis, sur les ruines du vieux temple païen. Elle fut aussi chantée par le même poète, avec le miracle de la guérison d'un possédé du démon, par lequel Dieu glorifia le jour où cette église fut consacrée.

Profanateurs châtiés.Témoignage de saint Grégoire de Tours.

Secourable aux fidèles, le saint diacre fut terrible aux sacrilèges et aux impies.Quand les Visigoths ariens et persécuteurs possédaient l'Aquitaine, l'un d'eux, Nicaise, pilla

l'église, essaya de la détruire, ainsi que le tombeau dont il brisa le marbre et dispersa les reliques. Mais Dieu vengea l'injure faite à son martyr, en refoulant peu après, et pour toujours, la domination de cette race.

Le sort réservé à ivicaise nous apparaît comme un châtiment.e Exilé d'abord en Espagne, puis déporté jusqu'en Italie, sur les bords du fétide lac Averne, il fut

enfin ramené près du tombeau profané, non pour y vivre plus heureux, mais afin d'y consommer comme il le méritait le cours de son arrogante vie.

» En face de la basilique même, passant en barque d'une rive de la Garonne à l'autre, il fut englouti par les eaux. Ainsi, pour avoir troublé la sépulture dit glorieux martyr, il en est privé lui-même. Vivant, la vue du ciel lui est subitement ravie; mort, la terre lui est refusée : son cadavre, submergé, livide, flotte au courant du fleuve et devient la pâture des poissons affamés.

» Equitable et providentiel retour, qui lui rend précisément ce qu'il a fait au Saint. »Cela aussi est emprunté aux Actes, et saint Grégoire de Tours assure, en plein vie siècle, que ce

récit de la a passion » de saint Vincent était conservé en Aquitaine avec un respect religieux.Le même auteur a relaté en détail le châtiment collectif et immédiat dont Dieu frappa une

soldatesque sacrilège qui s'était rendue coupable d'excès encore plus graves dans le sanctuaire dédié au

Saint :Voici ce qu'il écrit dans son livre Sur la gloire des martyrsa Revenons aux martyrs des Gaules. Vincent, le martyr d'Agen (dont les habitants gardent le

souvenir de sa Passion), qui brilla, dans l'Eglise du Christ, de tout l'éclat de l'ordre lévitique, la 51

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glorifie, très souvent, par d'insignes prodiges. Il se montre souvent sévère vis-à-vis des envahisseurs de son temple.

» A l'époque où, poursuivant Gondebaud, l'armée remontait vers Comminges, elle vint à la basilique et en fit le siège. Les habitants s'y étaient réfugiés avec tous leurs objets de prix, espérant dans le

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respect témoigné à l'égard du martyr, que nul n'aurait la téméraire audace d'y toucher.a Les envahisseurs, qui entouraient l'église, lie purent trouver aucune entrée libre. Ils mettent

alors le feu devant la porte principale et l'activent longtemps avec ardeur sans que les battants fussent entamés. Ils les brisent à coups de hache, et font irruption dans l'église, pillant tout et tuant à la pointe de l'épée.

» Un tel crime ne reste pas impuni. Les uns, en effet, sont saisis par le démon ; d'autres se noient dans la Garonne ; un grand nombre aussi, atteints par le froid, sont tourmentés par des maladies diverses. J'en ai vu moi-même beaucoup, aux environs de Tours, qui avaient participé à ce crime, périr de mort violente ou subir toute leur vie d'intolérables tortures.

» Beaucoup se déclaraient voués par la justice de Dieu à une triste mort, pour l'injure faite à saint Vincent.

» C'est ainsi que Dieu venge ses martyrs ; c'est ainsi que les honore Notre-Seigneur Jésus-Christ, témoin de la fidélité dans les combats... a

L'Histoire des Francs, du même auteur, donne un récit qui est sensiblement le même.Une confusion.

Ce qu'il est advenu des 'reliques de saint Vincent.Le culte du diacre agenais fut donc, à l'origine, très répandu en France. Depuis, il a été

supplanté en beaucoup d'églises par celui de saint Vincent de Saragosse, ainsi que nous l'avons constaté à Chalon-sur-Saône.

Des écrivains ont dit que la plupart des sanctuaires dédiés à saint Vincent d'Agen abandonnèrent son patronage lorsque, au xvte siècle, certains savants, trop accrédités et grands amateurs de légendes, voulurent, contre toute vraisemblance, en faire un évêque successeur de saint Caprais.

Loin de servir à la gloire du martyr agenais, l'hypothèse gratuite de son épiscopat n'a fait que l'obscurcir : on ne détruit pas impunément une tradition douze fois séculaire.

B. C. L.Sources consultées. - Acta Sanclorum., t. II de juin (Paris et Rome, x869). - Gnéoome DE

Touas, De gloria rnarlyrum.. - Semaine catholique d'Agen (zt, juin et 8 juillet 1899). - Notes particulières de M. l'abbé Dunos. - J. FonOET,

article a Diacres dans le Dictionnaire de théologie catholique de VACANT et MANOENOT (Paris, zgzr). - (V. S. D. P., n' zo53.)

..................................PAROLES DES SAINTSLa prière.Une seule prière de celui qui obéit sera exaucée plus promptement que dix mille prières d'un

désobéissant.Saint AuGUSTnq.SAINTE OLIVEVierge et martyre Ne ou IX° siècle?)

Fête le io juin.As'en tenir au verdict de quelques historiens actuels, la vie de sainte Odile de Palerme nous

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serait inconnue. « Peut-être vécut-elle au Ixe siècle n, redit à son sujet, après les rédacteurs des Acta Sancto urn, lo Bénédictin Dom Baudot, dans son Dictionnaire d'hagiographie. D'autre part, un grand nombre d'historiens (nous en avons noté quinze jusqu'en 1729) ont retracé sa biographie. Puis il faut tenir compte du fait que son culte est resté vivant à Palerme. Aussi croyons-nous pouvoir en tout état de cause reproduire ce que rapporte de celte Sainte le témoignage de la tradition.

Les Vandales en Afrique.An début du va siècle, la trahison du comte Boniface livra aux Vandales le plus beau joyau de

l'empire romain : la province d'Afrique. Le comte rebelle offrait à Genséric la possession de la Mauritanie (Maroc) s'il l'aidait à se rendre indépendant. Le roi barbare accueillit avidement ces propositions : un traité en règle fut conclu, et, dès les premiers jours de mai 49.8, une flotte romaine, envoyée par Boniface au détroit de Gibraltar, versait sur les côtes du Maroc 8o ooo Vandales.

Genséric promena le pillage, l'incendie et le meurtre à travers les cités et les campagnes du Maroc. La cruauté des Vandales, qui étaient ariens, s'exerçait plus particulièrement sur les églises, les monastères et les cimetières catholiques. Les évêques, les prêtres, les religieux étaient brûlés vifs ; tous les vases sacrés étaient par tagés, comme un vil butin, par la soldatesque.

D'Afrique, les Vandales firent de fréquentes descentes en Sicile, l'île la plus rapprochée des côtes africaines. Après la chute de Carthage en novembre 1139, Genséric organisa un corps de troupe

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SAINTE OLIVE75,qui débarqua à Panorma (Palerme). Cette capitale était défendue par le brave Cassiodore, et,

malgré plusieurs assauts et la concentration autour de la place de toutes les troupes dont il pouvait disposer, le roi barbare ne put s'en rendre maître, et fut obligé de regagner l'Afrique.

Naissance de sainte Olive. Les Vandales en Italie.

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C'est durant cette période troublée, en 44a, selon des auteurs autorisée, qu'Olive naquit à Palerme. Sa famille appartenait à la noblesse sicilienne mais surtout elle était profondément attachée à la religion de Jésus-Christ, Aussi la jeune fille reçut-elle une éducation soignée et tout à fait conforme aux principes chrétiens. Du reste, nous disent ses biographes, elle correspondit de bonne heure aux enseignements de vertu qu'elle reçut de ses parents. Tout enfant, elle, avait pour les pauvres un amour de prédilection et leur distribuait fréquemment de la nourriture et des vêtements.

Cette vie douce et tranquille au milieu des joies de la famille ne devait pas durer longtemps. Le malheur allait bientôt s'abattre sur Olive, et la Providence devait, après l'avoir séparée de tout ce qui lui était cher, permettre qu'elle passât par de cruelles épreuves.

biome était alors gouvernée par un empereur faible, Valentinien III, livré aux plaisirs. Ce prince allait se défaire par jalousie du meilleur soutien de son trône : le patricien Aétius, qui s'était illustré en luttant contre Attila dans les plaines de Châtions.

Un jour, Valentinien le mandaa an palais, et, dans la chaleur de la discussion,, lui enfonça son épée à travers le corps. Il se trouvaa parmi less courtisanss un Romain qui (lit au prince : « Vous venez dee vous couper la main droite avec la main gauche. a Peu de jours après, Valentinien 111 tombait lui-même sous le poignard d'assassins vulgaires, payés par le sénateur Maxime, qui voulait monter sur le trône (455)..

Le meurtrier revêtit aussitôt la pourpre qu'il venait d'acheter par un crime et contraignit l'impératrice Eudoxia, veuve de sa victime, à recevoir sa main sanglante. Eudoxia crut venger son honneur et la mort de son mari en sacrifiant à son ressentiment l'intérêt sacré de la patrie. Elfe Et appel, à, Genséric, roi des Vandales, et lui promit de l'aider à s'emparer de Rome. Le barbare sortit du port de Carthage avec une flotte formidable.

La nouvelle de son arrivée le précéda en Italie et y répandit la terreur. Maxime, assassin couronné, se préparait à fuir. Sa lâcheté révolta ses partisans. eux-mêmes; ils le mirent à mort.

U n'y- avait alors qu'un seul homme capable d'affronter le roi barbare. C'était le Pape saint Léon le Grand qui, aprèss avoir délivré Rome de l'invasion d'Attila, allait la préserver encore de la féro-cité de Gonséric (455).

Sainte Olive emmenée captive.A nette époque, peut-être au retour dltalie, mais plus probablement avant le pillage de Rome,

c'est-à-dire durant J 'année 454.,Genséric et ses': Vandales s'abattirent de nouveau sur la Sicile. Cette fois, faute de troupes

capables de repousser les envahisseurs, cette île si prospère et si riche ne fut bientôt plus qu'un désert. Olive avait alors in ans ; sa beauté, sa grâce et la distinction de ses manières étaient encore rehaussées par une modestie exemplaire mais elle ne paraissait pas s'apercevoir des dons précieux dont l'avait ornée la Providence.

C'est en spectatrice impuissante qu'elle assista à la prise de Palerme par les Vandales. Cette cité, comme' toutes les villes où passaient les barbares, out alors ses martyrs', et dans l'amphithéâtre, qui subsista jusqu'en r54g, un grand nombre de prêtres et de fidèles périrent pour la foi au milieu des supplices les plus raffinés.

Olive montra en ces conjonctures une vertu et une force d'âme bien au-dessus de son âge. Elle s'employait auprès des généreux confesseurs afin de leur porter secours. Aux uns, elle distribuait des vêtements et des vivres ; aux autres, elle prodiguait ses encouragements. Rencontrait-elle un pauvre chrétien terrifié et sur le point d'apostasier, elle le soutenait et le, remettait dans la bonne voie.

Les Vandales eurent bien vite remarqué l'apostolat qu'elle exerçait auprès de ses frères. Ils l'emprisonnèrent, essayant par leurs menaces de l'intimider et de l'amener à leurs erreurs. Ils professaient l'arianisme, niant, par conséquent, la divinité de Jésus-Christ.

Olive ne se laissa émouvoir ni par les promesses de richesses et de bonheur ni par les menaces les plus terribles. Les Vandales se demandèrent alors s'ils ne l'enverraient pas ii l'amphithéâtre avec les autres chrétiens. Ils eurent néanmoins égard à sa jeunesse, à sa beauté éclatante et à la noblesse, de sa famille; ils résolurent donc de l'exiler â Tunis avec un grand nombre de nobles Siciliens. En même temps, on recommandait au préfet de, cette ville de, mettre en couvre tous les moyens

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possibles, même les tortures, afin de triompher de sa constance.Nous ne savons ce qu'étaient devenus ses parents, s'ils furent épargnés o1 mis à mort, mais on

imagine quelle peinee ce fut pour la jeune vierge de quitter sa patrie bien-aimée, tout ce quii lui était cher sur la terre, pour aller dans l'inconnu d'un pays barbare. Une seule pensée la réconfortait, c'était de savoir qu'elle souffrait tout cela pour le Christ.

Devant le préfet. - Don des miracles.Le voyage n'est pas long qui conduit de la côte sicilienne aux rivagess d'Afrique.. On entassait

les exilés sur de méchantes barques et on les déportait, en masse dans cette' contrée, sans ressources, sans aucun secours : ainsi les Vandales pour soumettre ces malheureuses provinces faisaient le désertt derrière eux.

A Tunis, le préfet, un certain Amira, essaya par tous les moyens de contraindre Ol'i've à l'apostasie, mais sans aucun résultat. Alors il entra dans une colère terrible, lui enleva le peu d'argent' et. les objets indispensables qu'elle avait puemporter pour son usage et pour le

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SAINTE OLIVE77soulagement de ses compatriotes plus pauvres, puis il la chassa de sa présence, l'obligeant à

aller mendier pour ne pas mourir de faim.Olive ne se laissa pas abattre dans l'infortune, mais, confiante dans la Providence qui ne l'avait

pas abandonnée jusqu'alors, elle accepta sans se plaindre cette nouvelle humiliation.Dans cette épreuve, elle se réjouissait de ressembler à son divin Maître qui, durant sa vie

mortelle, n'avait pas une pierre où reposer sa tête. Du reste, plus elle était privée des biens de ce monde, plus aussi les faveurs célestes se multipliaient à son endroit.

Elle reçut, en effet, le don des langues, en sorte qu'elle s'exprimait dans l'idiome parlé par les barbares aussi aisément que si elle l'eût appris dès son enfance. Elle en profitait pour enseigner les vérités religieuses aux pauvres avec qui elle vivait. Non contente de prêcher, elle remplissait encore

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auprès d'eux les travaux les plus humbles : elle les servait et leur distribuait les provisions qu'elle avait obtenues de la charité publique.

Grâce à ces pieuses industries, à sa douceur angélique et à sacharité, Olive en vint à faire aimer des barbares la religion catholique et à en convertir un

certain nombre.Dieu n'avait pas seulement communiqué à sa servante le don des langues, mais encore celui des

miracles. Rencontrant un jour un boiteux, elle en eut pitié, s'approcha de lui et lui dit a Si tu con-sentais à croire en Jésus-Christ et à pratiquer sa doctrine, il n'est pas douteux que tu recouvrerais la santé de l'âme et celle du corps. n L'estropié répondit : « Je croirais volontiers si ce Christ me rendait la santé, a Alors Olive lui mit la main sur la tête etil recouvra aussitôt le libre usage de ses membres.

Le pauvre, au comble du bonheur, ne voulut pas tenir caché un si grand bienfait ; il allait, criant partout qu'il n'y a point d'autre Dieu que celui d'Olive.

Or, ayant rencontré un de ses compagnons d'infortune, il lui dit « Si tu veux recouvrer la santé, crois en Jésus-Christ, je te mènerai ensuite vers une personne qui, par ses mérites et par la vertu de son Dieu, m'a délivré de mon infirmité. »

Celui-ci se moqua de son compagnon. a Cette jeune fille, dit-il, et son Christ n'ont pas plus le pouvoir de me guérir que celui de me rendre aveugle en un instant. Du reste, ne sait-on pas que ce Christ a été condamné légalement par le peuple juif à mourir sur une croix P Comment pourrait-il faire marcher instantanément ceux qui ont foi en lui P n Il avait à peine achevé que ses yeux se fer-mèrent aussitôt à la lumière du jour.

A ce signe, il reconnut le juste châtiment dont il était frappé et réclama avec larmes le secours qu'il avait si témérairement repoussé.

a Frère, dit-il, j'ai péché en refusant de croire à tes paroles ; mènemoi, je t'en supplie, vers la jeune fille en question, afin qu'elle me rende la vue. »

On le conduisit à Olive qui, le touchant de la main, le délivra de sa cécité et de son infirmité antérieure.

Dès lors, les deux miraculés ne cessèrent de publier les louangesSainte Olive persuade des soldats envoyés à sa recherche

de croire en Jésus-Christ.de Jésus-Christ et de célébrer en même temps 'es vertus de leur bienfaitrice. Ils firent si bien

qu'on les arrêta et qu'on les fit mourir au milieu des supplices.En pleine forêt.Cet incident rappela l'attention du préfet sur Olive, mais, au lieu de la condamner au martyre, il

préféra la faire promener ignominieusement à travers toute la cité ; puis, pour se débarrasser d'elle, il la relégua dans une épaisse et horrible forêt peuplée de bêtes féroces et de serpents, espérant qu'elle succomberait broyée par la dent des

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7810 JUINSAINTE OLIVE79fauves ou des suites de la morsure des reptiles, ou encore qu'elle périrait d'inanition.Mais le Seigneur veillait sur sa servante, et Olive vécut en paix dans cette retraite durant sept

années, n'ayant d'autre occupation que de faire oraison et de chanter les louanges divines. Les animaux sauvages, loin de lui faire aucun mal, la reconnaissaient comme leur souveraine et lui obéissaient sans difficulté.

Or, il arriva que des personnages importants de la-ville de Tunis vinrent par hasard en cet endroit afin de s'y livrer aux plaisirs de la chasse. Ils ne furent pas peu surpris de trouver une créature humaine dans cette retraite sauvage. Frappés de sa grâce et de sa beauté, ils s'approchèrent d'elle avec des intentions criminelles. Olive, consciente du danger qui la menaçait, fit un grand signe de croix et leur dit : a Par Jésus-Christ mon Sauveur, je vous interdis de nie faire violence de quelque manière que ce soit. Si vous osiez passer outre, je vous déclare que l'ange du Seigneur qui m'a protégée dans cette forêt depuis sept années contre la morsure des bêtes féroces me défendra de vos attaques. u

En entendant ces nobles paroles, les barbares furent saisis d'admiration et, la grâce de Dieu aidant, ils reconnurent que cette faible jeune fille était, en effet, l'objet d'une protection spéciale de Dieu. Ils se prosternèrent devant elle et se déclarèrent prêts à exécuter ce qu'il lui plairait d'ordonner. « Oui, ajoutèrent-ils, nous croyons qu'il n'y a pas d'autre Dieu que celui qui a pu te garder de tout péril, au milieu de cette solitude horrible, et qui t'a fourni ce qui est indispensable à la vie. Ce même Dieu t'a fait resplendir d'une grâce et d'une beauté qui semblent plutôt être des dons du ciel que des avantages terrestres. Indique-nous donc ce qui peut t'être agréable et ce que nous avons à faire ; nous sommes disposés à t'obéir en toutes choses. n

Olive comprit à ces paroles qu'un rayon de la grâce venait de pénétrer dans le coeur de ces infidèles, et, sentant s'allumer en elle la flamme du zèle des âmes, elle se mit à leur expliquer les

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mystères de la religion. Quand elle les vit affermis dans la foi de JésusChrist, elle s'empressa de leur conférer le baptême et les renvoya à Tunis avec la recommandation d'annoncer sans crainte la doc-trine du Christ.

Sainte Olive ramenée à Tunis.Le bruit de ces faits merveilleux courut rapidement dans la cité, et le nom d'Olive fut bientôt sur

toutes les lèvres. Le préfet de Tunis en eut connaissance et envoya à sa recherche une troupe de soldats. Ceux-ci, à leur tour, furent conquis par l'influence surnatlrelie qu'exerçait la personne d'Olive ; en même temps, la vérité entrait dans leur âme en écoutant ses discours. Après leur avoir donné le baptême, Olive se rendit avec eux en présence du préfet.

Elle demanda à ce dernier, avec une noble assurance, pour quelle raison il la faisait venir, lui donnant ainsi à entendre quo ce n'était ni la crainte ni le désir de plaire qui l'avait déterminée à se pré

senter. Le juge, sachant qu'elle avait réussi à convaincre et à gagner au Christ les soldats lancés à sa poursuite, lui dit d'un air insinuant :

- Jeune fille, j'ai peine à croire que mes gens aient été pervertis par tes manoeuvres et par tes exhortations.

Olive répondit :- Je rie les ai aucunement pervertis ; au contraire, je les ai ramenés de l'état de damnation à la

voie du salut.- Si tu dis vrai, répliqua le préfet, je te ferai périr, ainsi que tes adeptes, par les coups et les

tourments.- Ne te mets pas ainsi en colère, répondit Olive, ni mes compagnons ni moi ne redoutons tes

menaces. Notre-Seigneur, en effet, nous déclare dans son Evangile : e Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent atteindre l'âme ; craignez plutôt celui qui peut précipiter le corps et l'âme dans le feu de l'enfer. »

Sainte Olive dans un cachot. - Les supplices du fouetet du chevalet.

Le préfet fut stupéfait de rencontrer cette liberté de langage et ce noble courage dans une jeune fille. Il s'offensa de cette attitude fière et ordonna d'enfermer Olive dans un noir et infect cachot et de ne rien lui donner à manger et à boire. Ainsi advint-il : mais si les secours des hommes lui faisaient défaut, les faveurs divines ne devaient pas lui manquer.

Un ange descendit, dans sa prison et la réconforta par des aliments et surtout par de délicieux entretiens. Quant aux soldats qu'elle avait convertis à la religion chrétienne, ils restèrent inébran-lables dans les tortures et obtinrent la couronne du martyre.

Quelque temps après, Olive fut tirée de sa prison et comparut de nouveau devant le préfet auquel elle reprocha sa cruauté. Celui-ci fut bien étonné de la trouver mieux portante qu'auparavant. Il l'exhorta néanmoins à renier Jésus-Christ, si elle ne voulait pas s'exposer à de plus rudes épreuves.

Il lui fit subir toutes sortes d'interrogatoires et d'injures et la pressa de questions insidieuses. La vierge chrétienne sut, par la sagesse de ses réponses, confondre ses persécuteurs à tel point que bon nombre d'assistants embrassèrent la foi véritable. Vaincu dans ses arguments, le tyran, au lieu de se calmer, la fit dépouiller de ses vêtements et frapper avec des nerfs de bœuf. On ne s'arrêta que lorsque les chairs, mises en lambeaux, laissèrent à nu les os et les côtes.

Olive ne manifestait rien de ses souffrances et se montrait joyeuse. Cependant le tyran, loin de désarmner, eut recours à de nouveaux supplices. Il fit préparer un chevalet et ordonna d'y suspendre la jeune fille et de lui déchirer tout le corps avec des peignes de fer, mais ces tortures ne l'amenèrent pas à changer de résolution.

La martyre est plongée dans une chaudière.Le préfet commanda alors de plonger la jeune fille dans une chaudière d'huile bouillante ; elle

se mit à chanter les louanges8o10 JUIN

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du Seigneur au milieu du liquide embrasé et sortit de cette épreuve plus saine qu'auparavant. Alors le tyran la fit remettre sur le chevalet et commanda de lui brûler les flancs à petit feu en y promenant des torches embrasées ; il pensait que, ointe d'huile comme elle l'était, le feu aurait plus d'efficacité sur elle, mais les flammes, au lieu de l'atteindre, cicatrisèrent les plaies que lui avaient causées les supplices précédents.

Il arriva même que quelques-unes de ces torches s'éteignirent d'elles-mêmes, d'autres s'échappèrent des mains des bourreaux et s'élevèrent en l'air à la vue de tout le peuple, formant au-dessus de la martyre comme un diadème brillant.

En présence de tous ces prodiges, la foule entière éleva la voix pour demander qu'on cessât de s'acharner sur cette innocente victime. Les bourreaux eux-mêmes, indignés de la cruauté du préfet, se jetèrent aux pieds d'Olive, lui demandèrent pardon et se déclarèrent prêts à embrasser la foi du Christ.

Mort de sainte Olive..- Son culte.Cependant la vierge se tenait comme en extase, les yeux fixés au ciel, versant des larmes

d'amour et de remerciement pour les grâces ineffables dont Jésus la comblait. Elle exhorta ensuite les bourreaux à rester inébranlables dans leur dessein et fut heureuse en voyant la générosité avec laquelle eux-mêmes subirent le martyre.

Olive suivit de près ces généreux athlètes, car le tyran était las de la mettre à la torture. Elle manifesta une grande joie en apprenant qu'elle périrait par la hache - ou peut-être le glaive. Elle fut, en effet, décapitée sur la place principale de Tunis, à l'âge de 21 ans, le ro juin 463.

Son âme monta au ciel sous la forme d'une blanche colombe, escortée par les anges, au chant des hymnes et des cantiques et en présence de toute la multitude.

Son corps fut abandonné par les barbares, mais les chrétiens convertis par Olive s'en emparèrent et le transportèrent en Sicile, sa patrie. On ne sait s'il fut enseveli à Palerme même ou dans les environs de la cité, car, malgré toutes les recherches, il ne put être retrouvé.

L'Eglise de Palerme célèbre la fête de sainte Olive, de temps immémorial, à la date du ro juin, sous le rite de première classe, avec octave. Cette vierge fut toujours considérée comme une des patronnes principales de la ville. Au jour de sa fête, on porte cri procession sa statue d'argent haute de i m. 5e ; le clergé de la cité, les communautés religieuses et de nombreuses confréries, ainsi eue toute la population, prennent part à ces pieuses démonstrations.

DENYS HUTTE.

Sources consultées. - Acta Sanrtcrurn, t. II de juin (Paris et Bonne, r867). - Analecte Boltandiana (1883). - Dom il. LECLEUc, Les Martyrs, le moyen fige (Paris, sgo6). - Vite S. Olivae virginis et rnartyris penorrnitaiac ex, varus eucloritns desumpta opera et Lahore, P. ONUk>l1Rn iblnr.ArrsrA A PAE0R\MA, Ordinis dlinoruin S. Francisci de pacte (Rome, - (V. S. 13. P., n' rüs8.)

SAINT AMABLEPrêtre à Riom (vers 397-vers 475).Fête le i l juin.MABLE, le patron de la ville de Riom, en Auvergne, vécutau v° siècle. Son compatriote saint Grégoire de Tours lui aconsacré à une très courte notice, dans l'ouvrage intitulé : Le Livre des miracles. Dans la partie

qui traite « de la gloire des Confesseurs u, il nous dit qu'Amable, homme d'une admirable sainteté, était prêtre au bourg de Riom et que son tombeau était vénéré et visité en pèlerinage par toute l'Auvergne. Puis il rapporte trois miracles accomplis sur ce tombeau. On le voit, l'auteur de l'Histoire des Francs nous renseigne fort peu sur la vie de ce prêtre qui était mort seulement depuis un siècle. Un manuscrit latin, longtemps conservé à Riom et dont la bibliothèque de Clermont-Ferrand possède une copie et qui fut traduit et publié en r7oa par Faydit, se présente comme un récit de la vie d'Amable. Mais cette biographie, écrite par un inconnu, est du xue siècle. Elle a, hélas 1 l'allure d'un panégyrique tissé de lieux communs.

Lieu de naissance et éducation chrétienne de saint Amable.61

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D'après son biographe du moyen âge, Amable naquit dans les premières années du règne de l'empereur Honorius (395-423), sous l'episcopat du bienheureux Vénirand. La petite cité de Rirait a toujours revendiqué l'honneur de l'avoir vu naître dans ses murs. Une bourgade des montagnes occidentales de l'Auvergne lui dispute cette gloire. Dans la paroisse de Villosanges, canton de Pontaumur, sur un monticule, on montre les restes du château de Chauvance, berceau de la très ancienne famille de ce nom. Selon une tradition locale remontant assez loin dans le passé, c'est là qu'Amable vint

Îi82 II JUINsniNT AMABLR83au monde. La famille de La Roche-Briant, dans laquelle la maison de Chauvance s'éteignit au

xv° siècle, s'est toujours glorifiée de compter Amable parmi-i ses ancêtres : elle portait les mêmes armoiries que l'abbaye de Saint-Amable. Jusqu'en r78g, le chef de cette famille avait une stalle parmi celles- des= dignitaires de laa collégiale de Riom, et au jour de la procession des reliques, se tenait derrière la châsse sur laquelle il posait la main.

Le nouveau-né reçut an baptême le nom d'Amable, Amabilis nom symbolique, présage de la douce onction qui allait toujours paraître dans les actes et les vertus du futur Saint et le rendre vraiment aimable et agréable à Dieu et aux hommes. Les parents étaient, riches, jouissaient dans la contrée d'un puissant crédit, mais surtout étaient d'une piété exemplaire. Dès ses plus jeunes minées, Amable fut formé, par les leçons et les exemples du foyer familial, à une vie chrétienne sérieuse : son âme conçut une très vive horreur pour le péché et s'ouvrit tout entière à l'action de ta grâce divine. Pour lui conserver autant que possible la pureté et le goût des choses de la religion, les parents écartèrent l'enfant de la carrière militaire, ne lui firent pas fréquenter les écoles publiques. Son instruction et son éducation furentt confiées à un prêtre. Amable, malgré les passions de la jeunesse et les séductions du monde, conserva immaculée sa robe baptismale ; il fit, sous la direction de son précepteur, de sérieux progrès dans la connaissance des Saintes Écritures et surtout il garda pour la piété et le culte divin la ferveur et l'attrait, de saa première enfance.

Clerc et préchantre à la cathédrale de Clermont.Quand il fut arrivé à l'âge requis par la loi de l'Eglise, le jeune homme entra dans la cléricature.

Il reçut la tonsure et les premiers Ordres des mains de saint Rustique qui gouvernait alors le diocèse d'Auvergne,. A cette époque, les clercs, à l'exception de ceux qui étaient détachés pour le service religieux des paroisses rurales, d'ailleurs peu nombreuses, habitaient avec l'évêque et vivaient sous sa. direction, l'aidant, selon les Ordres reçus et leurs aptitudes , dans la célébration des offices liturgiques, l'administration épiscopale, la surveillance des fidèles, la distribution des aumônes. Amable fut chargé de la direction des chants sacrés, de la formation des chantres, et de la psalmodie, dans l'église cathédrale de Clermont. C'était là une fonction importante et délicate, exigeant outre la science du chant liturgique, celle de la Sainte Écriture et un dévotlement de tous les jours.

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Par la douceur de son caractère, sa piété et sa vie exemplaires, autant que par le succès avec lequel il s'acquittait de sa charge, le nouveau préchantre gagna vite l'estime et la confiance du clergé et du peuple. Personne ne fut surpris quand l'évêque manifesta sa volonté d'associer Amable au gouvernement, spirituel du diocèse et des âmes en l'élevant au sacerdoce. L'élu se jugeait, dans sa sincère et profonde humilité, bien indigne d'une pareille grâce. Avec foi, il se soumit cependant à la volonté divine, sachant que

Dieu ne refuse pas le secours de son bras à ceux qu'il appelle à la participation du sacerdoce de son Fils. Il fut donc ordonné prêtre, peut-être auxx environs de sa trentième année,

A la demande des habitants de Riom, ville à laquelle Amable était rattaché par sa naissance et par sa famille, l'évêque leur donna le nouveau prêtre pour guide et pour pasteur.

Un curé modèle au V' siècle.L'appellation de a prêtre au bourg de Biem en Auvergne », employée par saint Grégoire de

Tours, est synonyme en réalité de l'expression moderne a curé de Riom n. Cette localité, située dans un des plus riches cantons de la fertile Limagne, avait une importance assez grande. Dans sa partie ouest, les païens avaient élevé un temple au dieu Mars. Sur la haute colline qui dominait la plaine, Bélen, l'Apollon des Arvernes, avait un célèbre sanctuaire. Après leur conversion au christianisme, les habitants remplacèrent le temple dédié au dieu de la guerre par une basilique élevée en l'honneur de la Sainte Vierge ; dans l'enceinte de la cité, ils bâtirent une petite église consacrée aux martyrs Pro:tais et Gervais, dont saint Ambroise avait retrouvé les corps à Milan en 386. Cet édifice servait d'église paroissiale.

Il restait encore (tans la région un certain nombre de païens. Amable, par la prédication, la prière et les manifestations continuelles de son ardente charité, eut la joie de les amener peu à peu et presque tous à la foi en Jésus-Christ et à la régénération dans l'eau du baptême.

Pour attirer sur son ministère sacerdotal les bénédictions du ciel, il jeûne rigoureusement presque chaque jour. Il passe dans la prière, à l'église, les heures que n'absorbent pas les secours spirituels et temporels dus à ses paroissiens. Bien n'est plus édifiant que de voir la piété., la ferveur avec lesquelles il offre le Saint Sacrifice de la Messe. Sa tenue à l'autel montre sa foi en la présence eucharistique et excite chez le spectateur plus de respect, plus d'amour envers le Saint Sacrement. Imitateur du Christ dans la pureté, la charité, Amable l'est aussi dans le détachement des biens de ce monde. Il distribue aux pauvres son riche patrimoine familial, et généreux il oublie ses propres besoins.

Les exemples, les exhortations et le zèle apostolique du nouveau pasteur développèrent chez les fidèles de Riom, à un degré remarquable, l'esprit et les pratiques de la loi évangélique, surtout la charité qui est le résumé de cette loi. Amable cherchait à rendre cette charité encore plus intense ; « car, disait-il, la charité qui n'augmente pas ù chaque moment sa chaleur la perd : et tout chrétien qui cesse de croître en amour pour Jésus-Christ s'attiédit et devient froid ».

Bâtisseur d'églises. - A la recherche de reliques.Le petit sanctuaire dédié aux saints Protais et Gervais était devenu trop petit pour le nombre des

fidèles. Amable commença par con-84 Il JUINSAINT AMABLE85struire lui baptistère qu'il mit sous le vocable de saint Jean-Baptiste. Aux premiers siècles, il

était d'usage d'élever â proximité de l'église principale un édifice spécialement réservé au baptême des catéchumènes et renfermant à cette intention•un immense bassin, où l'on plongeait le futur néophyte. A Riom, le baptistère construit par Amable était situé près de la place qui aujourd'hui encore porte le nom du Précurseur.

Avec l'appui de sa famille vraisemblablement, le zélé curé entreprit de bâtir une église paroissiale plus vaste que celle qui existait. Il y réussit, et le nouveau temple reçut comme titulaire saint Bénigne ; cet apôtre de la Bourgogne avait, au il' siècle dit-on, rougi de son sang le forum de la ville de Dijon. Le sanctuaire une fois terminé, il fallait l'enrichir et comme le sanctifier par le dépôt de quelques reliques de martyrs et de Saints : c'était là le vrai trésor du temple chrétien et

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comme sa sauvegarde efficace.Pour se procurer pareil trésor, Amable fit plusieurs voyages dans les divers lieux où il avait

espoir d'obtenir ce qu'il désirait. Des récits populaires nous le montrent parcourant l'Italie du Nord, s'arrêtant à Milan. IL aurait même poussé jusqu'à Rome. Peut-être fit-il partie de la députation de prêtres et de clercs envoyés en Italie dans le même dessein par l'évêque Namace qui venait de faire construire une église épiscopale sur le point culminant de la ville de Clermont. Plusieurs légendes se rapportent à ces voyages d'Amable : l'imagination des foules les a parfois entourés de faits extraordinaires. L'une de ces légendes rapporte qu'Amable ne trouvant pas à Borne les reliques tant cherchées s'en plaignit à Jésus lui-même. Le Christ, pour contenter son pieux serviteur, lui aurait envoyé un ange porteur d'un petit Coffret rempli d'ossements sacrés.

Pouvoir sur les morsures des serpents.Sur le flanc des collines d'Auvergne, comme dans d'autres régions de la France, les serpents et

les vipères se rencontraient en grande quantité. Chose extraordinaire, note le biographe d'Amable, aucune espèce de serpent n'a jamais pu demeurer longtemps sur le territoire de la paroisse de Riom. Si, d'aventure, il s'en trouve quelqu'un, il n'y reste pas et ne nuit à personne. Pendant la vie de leur curé, aucun habitant n'eut à souffrir de la morsure de ces reptiles venimeux. Amable attribuait cette préservation providentielle aux reliques des Saints honorés dans la cité.

Mais Dieu daigna montrer lui-même quee cette faveur était accordée spécialement à Amable en récompense peut-être de sa pureté et de sa grande charité envers le prochain. Le prodige continua dans le cours des siècles ; des guérisons fréquentes et miraculeuses furent obtenues sur la tombe ou par l'application des reliques d'Amable tous les historiens attestent son pouvoir bienfaisant sur les morsures des serpents. De son vivant, il guérit plusieurs personnes des environs mordues par des vipères. Cela, mais encore plus sa sainteté éminente, lui amena de nombreux visiteurs.

Adieux d'un père. - Mort de saint Amable.Plusieurs d'entre eux, qui avaient goûté la suavité de ses conseils et les heureux résultats de sa

direction, voulurent se fixer définiti

D'après la légende saint Amable reçut d'un ange ler reliques qu'il cherchait

en vain pour doter l'église qu'il b8tissait d Nom.veinent a Riom. Ils se logèrent dans de pauvres cellules situées près de l'église Saint-Bénigne,

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peut-être avec les quelques clercs qui aidaient le curé dans le ministère paroissial. L'iconographie a parfois représenté Amable en costume et avec les insignes d'un Abbé, la mitre et la crosse ; il n'est pas démontré qu'il ait été revêtu

86II JUINSAINT AMAnLP 87de la dignité abbatiale, alors presque inconnue en Auvergne, ni qu'il ait dirigé un monastère

proprement dit. Ni les clercs ni les disciples qu'il gouvernait ne formaient une véritable communauté religieuse, suivant la même règle et pratiquant les conseils évangéliques dans la vie commune.

Presque octogénaire, Amable eut connaissance, par une révélation spéciale, de sa mort prochaine. Il réunit ses disciples et les clercs dont il s'occupait, leur apprit ce que Dieu venait de lui faire savoir, les consola, leur donna un grand nombre d'avis opportuns, les exhortant par-dessus tout à demeurer bien unis entre eux, car Dieu ne reçoit que les pacifiques pour ses enfants. Puis il convoqua dans l'église tous les fidèles, leur parla avec beaucoup de force du renoncement aux choses terrestres et de la gloire éternelle qui est le partage des bienheureux. Il leur annonça ensuite que Dieu allait bientôt l'appeler à lui. A cette nouvelle, les assistants fondirent en larmes. Amable les encouragea et les congédia après leur avoir donné une suprême bénédiction.

Quelque temps après la fièvre le saisit. Après avoir reçu le Viatique, le mourant se fit placer sur la cendre. C'est dans cette attitude d'humilité et de pénitence qu'il s'endormit dans le Seigneur, à Riom très probablement.Une inscription retrouvée dans sa châsse et qui aurait été composée à l'époque de la première translation des reliques, c'est-à-dire au milieu du vue siècle, indique qu'Amable mourut le r" novembre 475, Childéric étant roi des Francs. C'était l'année même où les Visigoths ariens faisaient la conquête de l'Auvergne, malgré les efforts de saint Sidoine Apollinaire, évêque de Clermond-Ferrand. La plupart des historiens regardent la date indiquée par l'épitaphe comme fort probable. Amable était certainement mort en 481, puisque cette année-là, au plus tard, le duc Victorius, gouverneur du pays des Arvernes, visita son tombeau.

Un tombeau et des reliques fidèlement vénérés.Les funérailles dit prêtre de Riom furent célébrées au milieu d'un immense concours de clercs et

des fidèles accourus des localités voisines. Selon la tradition constante et bien précise de la ville de Riom, Amable fut inhumé dans l'église Saint-Bénigne, qui ne tarda pas à perdre ce vocable pour prendre le nom de son fondateur. Il ne reste naturellement aucune trace de cet ancien temple, niais en 1120 fut consacrée, peut-être sur le même emplacement, une église dédiée à saint Amable : une croix gravée sur le pavé indiquait l'endroit où le corps du titulaire avait été déposé.

Au xvne siècle, une contestation s'éleva entre Riom, et Clermont, les deux cités se disputant l'honneur de posséder le corps de saint Aimable, la seconde affirmant même que l'évêque était mort dans ses murs. L'historien moderne doit reconnaître que Riom a. toujours revendiqué le tombeau de son pasteur et l'a toujours entouré d'un culte particulier.

Saint Gal II, archidiacre du diocèse d'Auvergne, puis évêquede Clermont aux environs de l'an 64e, voulut donner aux restes mortels d'Amable les honneurs

liturgiques qu'ils méritaient. Il fit construire au chevet de l'église Sianl-Bénigne une chapelle absi-dale ornée de peintures, avec un pavement en mosaïques. Sous l'autel, dans un sarcophage de marbre, on déposa les reliques. Chaque année, le i" avril, on célébrait l'anniversaire de cette translation. Plus tard, l'évêque saint Priest (t 674) assignait, pour le service de l'église où reposait le corps de saint Amable, des revenus considérables et érigeait vraisemblablement en abbaye la communauté qui regardait le prêtre de Riom comme son Père spirituel. Au début du xne siècle, nous l'avons vu, l'église fut reconstruite plus vaste et plus belle. La nef et les transepts de l'édifice actuel remontent à cette époque. Près de cette église s'établit dans la suite une abbaye de Chanoines réguliers de l'Ordre de Saint-Augustin : elle fut sécularisée en 1570 et remplacée par une collégiale.

A toutes les époques, ainsi que le montre l'histoire, les pèlerins affluaient à Riom pour y vénérer les reliques de saint Amable. Ils venaient de l'Auverge, du Limousin, de la Bourgogne, etc.,

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spécialement pour la fête du ii juin, la plus importante de ces deux fêtes. Les reliques étaient exposées. An dernier jour de l'octave, une procession, à laquelle toutes les autorités et tous les Ordres religieux participaient, parcourait la ville. La châsse, en argent massif, artistement ciselée et décorée de statuettes et qui fut terminée en 1478, était portée par douze prêtres escortés d'autan! de laboureurs.

Vers la fin de 1793, l'église fut convertie en fabrique de salpêtre, la châsse livrée aux agents du fisc, mais les reliques furent enlevées par les soins du curé insermenté. Deux ans plus tard, l'église était de nouveau ouverte au culte, les reliques y revenaient, et fête et procession en l'honneur du Saint reprenaient comme avant ta Terreur. En i8i6, Mgr Duvalk de Dampierre procéda à leur recon-naissance.

Protection particulière accordée par saint Amable.On invoque spécialement saint Amable pour écarter le danger 0u parjure, les morsures des

serpents, les ravages des incendies. Saint Grégoire de Tours raconte que de son temps, au vue siècle, un criminel s'était parjuré sur le tombeau du Saint. A l'instant, le bras qu'il tenait étendu vers les reliques devint raide et inflexible : il ne retrouva sa souplesse naturelle que lorsque le coupable eut avoué sa faute et demandé pardon. Le même historien vante le privilège que son pieux compatriote possède après sa mort comme de son vivant de neutraliser les venins les plus nocifs. On applique sur la morsure faite par le reptile une dent, extraite de la châsse : aussitôt l'action du venin s'arrête, le malade est soulagé et sa vie n'est plus en péril. Tous ceux qui le veulent peuvent venir con-. stater le prodige : car on sonne la cloche de l'église pour avertir chaque fois qu'une personne mordue se présente pour se faire

88II JUINappliquer la relique. Nombreuses furent les guérisons de ce genre consignées par écrit par les

chanoines de Saint-Amable et signées par les premiers personnages de la ville, témoins oculaires.De violents incendies furent éteints, en diverses régions, par l'ostension d'une relique de saint

Amable ou grâce aux prières qu'on lui adressa. Au xii' siècle, c'est la forteresse de Riom qui est préservée du feu allumé par les ennemis de la ville et de l'évêque de Clermont. En 1653, à Lyon, un morceau du suaire qui a. ait enveloppé le corps d'Amable arrête un incendie en pleine activité. En 1686, le Chapitre de Saint-Etienne de Dijon s'engage par veau à célébrer chaque année la fête de saint Amable qui venait d'accorder à la collégiale une protection particulière contre la

foudre.Patron des fidèles et des paroisses. - Culte liturgique.La dévotion envers le protecteur de la ville de Riom est restée toujours vivante et fidèle, en

particulier dans les cantons de la Limagne. Elle se manifeste par les fréquents pèlerinages à son tombeau, et par la procession solennelle des reliques le i1 juin. Avant la Révolution de 1789, cette procession avait un cachet tout particulier à cause des bannières antiques, des costumes du moyen âge et d'une grande roue garnie de fleurs et portée devant la statue du Saint par quatre hommes. Cette roue symbolisait, par le cordon en cire qui l'entourait, le cierge long de plusieurs kilomètres promis par la ville de Riom à l'occasion de la délivrance de la peste, à une date antérieure au xi° siècle.

Le prêtre de Riom est le patron de plus de quinze églises d'Auvergne : son nom est porté de père en fils dans certaines familles. Mais il est aussi honoré en dehors de son pays d'origine, ainsi à Cours-les-Barres et à Borne, en Berry ; à Ligny, à Montmilard, dans le diocèse d'Autun ; à Poiseul-les-Saulz, dans le diocèse de Dijon ; à Saint-Pierre-de-Roye, au diocèse d'Amiens, etc. Son culte se trouve aussi au Canada depuis le xvni1 siècle, apporté sans doute par les Prêtres de Saint-Sulpice.

Saint Amable est nommé au ri juin et au 3 juillet dans les Martyrologes locaux. Le diocèse de Clermont célèbre sa fête, non pas au jour anniversaire de sa mort, c'est-à-dire le 1°r novembre - car, même avant l'institution de la fête de tous les Saints, ce jourlà on honorait à Riom le martyr saint Bénigne, - mais le 1g octobre.

La plupart des peintures et des sculptures le représentent en habits sacerdotaux, tenant d'une 66

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main la crosse abbatiale et foulant, aux pieds des serpents et autres animaux dangereux. On le voit aussi debout à côté d'une église en construction, ou bien entouré d'in. firmes et de malades, etc., en mémoire des principaux événements de sa vie sacerdotale.

AMABLE DU BUYSSON.Sources consultées. - Acte Sanctorum, t. Il de inin (Paris et Rome, 1867). - Abbé S. M.

MOSNInn, Les Saints d'A ergne, t. Il (Paris). - (V. S. R. P., n' wo6.)BIENHEUREUX GUY DE CORTONEFrère Mineur, disciple de saint François d'Assise (1187-1250).Fête le ra juin.N l'année 1211, François d'Assise avait envoyé ses disciples àtravers l'Italie pour prêcher à tous la pénitence et l'amour deDieu. Lui-même, prenant comme compagnon Fr. Sylvestre, le premier prêtre entré dans l'Ordre,

se dirigea vers la Toscane qu'il s'était réservée comme champ d'action.Après avoir évangélisé Pérouse, il arriva à Cortone, au nord du lac de Trasimène. Cette cité, qui

compte aujourd'hui à peine 4 000 habitants, avait alors une grande importance. Avant la conquête romaine, elle avait été l'une des principales villes de la Confédération étrusque ; au moyen âge, elle s'était constituée en république et avait prospéré jusqu'à pouvoir, peu avant l'époque dont nous parlons, battre monnaie. Malheureusement, dans la lutte entre l'Eglise et l'Empire, elle avait pris parti pour l'empereur contre le Pape, et quand saint François arriva dans ses murs, les habitants avaient grand besoin d'entendre quelques paroles de paix.

Guy donne l'hospitalité à saint François. - Vocation.Il y avait alors à Cortone un jeune homme d'une antique et illustre famille, qui se faisait

remarquer par l'innocence de sa vie et sa charité envers les pauvres. Guy Vagnottelli - c'était son nom - avait perdu ses parents. Comme aîné de la famille, il disposait d'une grande fortune et il était à la fleur de l'âge. Loin d'abuser d'une situation semblable, Guy sut en profiter pour s'adonner à la piété et aux bonnes aeuvres. Il fréquentait les sacrements, visitait les pauvres et les malades, leur distribuait largement une partie de sa fortune et travaillait même de ses mains, afin de pouvoir les aider davantage.

Son âme était semblable à -une terre bonne et bien préparée ; la divine semence pouvait y être déposée avec l'espérance d'une riche

9o I2 JUINmoisson. A peine François a-t-il terminé sa première exhortation sur la place publique, que le

jeune Vagnott.elli - il avait environ e4 ans - va se jeter aux pieds du missionnaire et le prier de venir dans sa maison pour y prendre un peu de nourriture et de repos. François, éclairé d'en haut, dit à l'oreille du Fr. Sylvestre, son compagnon : « Dieu soit béni f Ce jeune homme sera des nôtres et se sanctifiera dans cette ville n, et il accepte l'invitation.

Pendant le repas frugal de ses hôtes, Guy se sent de plus en plus touché de la grâce à la vue des hommes de Dieu ; leur entretien tout surnaturel, encore plus leur exemple, lui dévoilent un idéal vers lequel il soupirait depuis longtemps, sans le connaître d'une façon précise. Le repas terminé, Guy se prosterne de nouveau aux pieds de François et le supplie de l'admettre au nombre de ses disciples. Selon son habitude en pareille circonstance, François répète la parole du Maître : « Si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous avez, donnez-en le prix aux pauvres, puis venez et suivez-moi. a

Bel exemple de renoncement. - Au couvent des « Celle u.

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Guy Vagnottelli se met en mesure de pratiquer le conseil évangélique, et bientôt, en compagnie de François et de Sylvestre, il distribue à tous ceux qui sont dans le besoin l'argent qu'il a retiré des biens paternels. Les pauvres de Cortone et des environs bénissent son nom, en même temps que ses concitoyens conçoivent pour lui unes estime plus grande encore ; ils ne peuvent s'empêcher d'être saisis d'une émotion profonde quand ils le voient recevoir de la main du séraphique Père la grossière tonique des Frères Mineurs.

François resta encore quelques jours à Cortone avec son nouveau disciple, mais il avait soif de retraite et de recueillement. Guy, de son côté, comprenant ses désirs, qu'il partageait lui-même, indiqua un lieu solitaire situé à deux milles environ au nord de la ville, sur les flancs du mont Saint-Egide. Là se dressait une modeste chapelle dédiée à l'archange saint Michel, non loin d'un torrent qui descend avec fracas de la montagne au milieu d'arbres séculaires.

Que ce coin de terre ait appartenu, comme on l'a dit, à la famille de celui qui fut plus tard le trop célèbre Fr. Plie, ou qu'il fût la propriété des Vagnottelli, la question importe peu. Ce qu'il importe de retenir, c'est que, pour essayer de fixer auprès d'eux ces saints personnages, les habitants de Cortone leur élevèrent dans cette solitude une habitation vraiment pauvre, comme la voulait le « Petit pauvre n de Jésus-Christ. De grosses pierres non taillées en formaient les murs ; de la terre fermait les interstices, et les diverses pièces étaient si étroites que le couvent tout entier prit le nom de « cellules a

ou, dans la langue italienne, le Celle.Sous la direction d'un maître tel que François, quels progrès ne dut pas faire un disciple comme

Fr. Guy P Est-il étonnant que l'histoire nous le représente marchant généreusement sur les traces d u patriarche d'Assise, partageant, lui aussi, l'année en sept Carêmes au pain et à l'eau, et ne prenant, le reste du temps, qu'un seul et

BIENHEUREUX GUY DE CORTONE 91modeste repas P Une vie si mortifiée, si entièrement séparée du inonde, le disposait

merveilleusement à la prière : le jour, la nuit même, il s'y adonnait pour ainsi dire sans interruption. Plus tard, afin de s'y consacrer plus parfaitement encore, il obtint la permission d'aménager, dans le creux d'un rocher, de l'autre côté du torrent, une espèce de cellule plus pauvre si possible, plus solitaire du moins que les autres ; il y passait dans la contemplation tout le temps que lui laissaient les exercices communs ou les prescriptions de l'obéissance.

Il convient d'ajouter que le petit couvent des Celle ne tarda pas à voir grandir le nombre de ses habitants. De Cortone et des environs, les novices affluèrent : François les formait à la pratique du renoncement et de toutes les vertus ; il prêchait par l'exemple plus encore que par les paroles. C'est ainsi que, pour jouir d'une solitude plus complète, il passa le Carême de 1211 seul, dans une île duu lac de Trasimène.

Le bienheureux Guy est ordonné prêtre.

Cependant, la volonté de Dieu n'était pas que l'illustre fondateur des Frères Mineurs restât plus longtemps à Cortone. Pour annoncer à d'autres contrées la pénitence, il dit adieu à la fervente communauté des Celle. A son départ, il recommanda au Père gardien le Fr. Guy, dont l'ardeur au service de Dieu ne se démentait pas.

Gomme ce religieux si édifiant n'était pas seulement pieux et obéissant, mais encore instruit, son supérieur lui proposa de recevoir les ordres sacrés. Guy s'inclina devant ce désir, et bientôt élevé à l'honneur du sacerdoce, il eut dans la célébration des Saints Mystères une nouvelle source de grâces.

Du reste, sa vie ne changea guère, excepté qu'elle grandit encore en sainteté. 'Fous les jours, rapportent les Bollandistes d'après d'an. ciens documents, il faisait une humble confession de ses fautes, puis il prenait la besace du Frère quêteur, et s'en allait de porte en porte, demander, pour l'amour de Dieu, le pain et les choses nécessaires à la Communauté.

Une quinzaine d'années s'écoulèrent ainsi. Pendant ce laps de temps, saint François revint plus d'une fois à Cortone, particulièrement en 1224, lorsqu'il se rendait pour la dernière fois au mont Alverne. Ce fut alors qu'il cul celle apparition célèbre d'un séraphin, et que, par un privilège unique

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dans les fastes de l'Eglise, s'imprimèrent dans ses membres les stigmates sacrés de la Passion. A partir de ce moment, devenu comme un crucifix vivant, il était plus que jamais l'admiration et la joie de tous ceux qui pouvaient l'approcher. Aussi, quand, pendant l'été de 1226, les habitants de Cortone virent l'homme de Dieu rentrer dans leurs murs, postèrent-ils des gardes aux portes de la ville, et manifestèrent-ils énergiquement leur intention de le garder jusqu'à sa mort.

Pour quelques jours du moins, François se plia à leurs désirs ; mais, après leur avoir parlé plusieurs fois avec une onction encore

U. SAINT POUR C:LAQUe JOun DU Mous, 2' SÉRIE (JUIN). 4

91 rz JUINplus communicative que par le passé, il leur dcrnanda avec instance de le laisser partir. La

volonté de Dieu était qu'il finît ses jours à Sainte-Marie des Anges. u Du reste, ajoutait-il pour consoler de son départ les habitants de la ville, ,je vous laisse le Fr. Guy, à qui je vous recommande tous instamment. Ayez confiance 1 J'ai la certitude que, par la miséricorde de Dieu et gràce aux mérites de ce saint Frère, Cortone et ses habitants seront préservés de nombreuses calamités. » Ces paroles produisirent un grand effet sur le peuple, et saint François put se mettre en route vers Assise.

Le bienheureux Guy prédicateur.Cependant, le disciple cher au saint fondateur n'avait pas encore reçu la mission d'annoncer la

parole de Dieu : François n'avait pas songé à lui confier cette charge pendant son dernier séjour à Cortone, quoique Guy ne l'eût pas quitté un instant. Cet oubli allait fournir à ce dernier l'occasion de se rendre à Sainte-Marie des Anges, d'y revoir son maître vénéré, d'en recevoir un suprême adieu. En effet, sur l'ordre de son Gardien, qui comprenait combien sa science et sa vertu pouvaient servir à la conversion et à l'édification des âmes, Fr. Guy vint à Assise, et il y obtin! sans peine l'autorisation de prêcher.

De retour à Cortone, il se mit aussitôt à l'œuvre. Sa parole était simple, disent les chroniques de l'Ordre ; il ne cherchait pas tant à plaire aux auditeurs par un style pompeux ou fleuri, qu'à leur faire du bien.

Saint François, dans les avis qu'il donnait à ses disciples en les envoyant prêcher, aimait à leur dire : e Annoncez à tous la paix. Mais, de même que vous l'annoncez et la souhaitez à tous, ayez•la dans vos coeurs à un degré aussi parfait que possible. »

La paix, Guy la possédait, puisqu'elle est le partage de ceux qui ont la bonne volonté ; il. pouvait la souhaiter, la prêcher avec autorité. Et ce n'était pas chose inutile à Cortone. Cette cité, ainsi que nous l'avons dit, était du parti de l'empereur. Toutefois, le Pontife romain y comptait de chauds partisans et là, comme dans beaucoup d'autres villes d'Italie, souvent un rien suffisait pour jeter les deux

factions dans des luttes fratricides.Si les exhortations du Fr. Guy ne ramenèrent pas l'union parfaite, elles contribuèrent du moins

plus d'une fois à empêcher l'effusion du sang, soit dans la ville même, soit avec les cités voisines. Ainsi se vérifiait la prédiction de saint François : « Grâce à lui, beaucoup

de malheurs seront évités. »Le thaumaturge.Non content d'éloigner les calamités publiques, le saint Frère Mineur accorda encore des

bienfaits positifs à ses compatriotes.Un jour qu'il se livrait dans Cortone aux travaux du ministère, il fut saisi d'une fièvre violente et

obligé de se mettre au lit dans la maison d'un de ses amis, Malgré les soins empressés dont il futnIHNnEURCUX GUY DE CORTONE9.3aussitôt entouré, le mal empirait sans cesse, tant les fatigues del'apostolat et la rigueur de ses pénitences avaient épuisé ses forces.

Les meilleurs médecins de la ville déclarèrent que leur art étaitimpuissant et que la fin du serviteur de Dieu semblait proche. Ceux

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Guy de Cortone demande et obtient que Dieu renouvelle en faveur d'une pauvre veuve le

miracle de Sarepta.qui se trouvaient à son chevet lui demandèrent s'il ne désirait pas quelque chose. Guy répondit

qu'il prendrait volontiers un peu d'eau de la Fonteluccia. C'était le nom d'une source limpide où il avait souvent étanché sa soif, sur le chemin qui menait des Celle à Cortone.

Aussi promptement qu'on le peut, l'on satisfait à son désir. Alors94le malade se soulève péniblcanent sur sa couché, et, levant les yeux au ciel, fait le signe de la

croix sur l'eau qu'on lui présente. Aussitôt elle est changée en un vin d'une couleur vermeille, et d'un goût délicieux. Le moribond en boit quelques gouttes et recouvre à l'instant la santé. Il y avait alors beaucoup de malades à Cortone ; tous ceux qui purent avoir quelques gouttes de ce vin miraculeuxx

furent guéris instantanément.Mais le miracle ne s'arrêta pas là. Quelques jours après, le serviteur de Dieu voulut retourner au

couvent des Celle. Bon nombre d'habitants se mirent en route avec lui,, témoignant ainsi leur affec-tion et leur reconnaissance. Quand on arriva à la Fonteluccia, les coinpagnons de Guy conjurèrentt celui-ci de la bénir, comptant bien que cette bénédiction serait ratifiée de Dieu et donnerait à la source une vertu miraculeuse. Le Père, admirant leur foi et poussé sans doute par une inspiration d'en haut, se met à genoux et paraît durant quelques instants absorbé dans une ardente prière. Il fait ensuite, à trois reprises, le signe de la croix sur la fontaine. a 0 Dieu tout puissant, dit-il, par l'intercession de la bienheureuse Vierge et de tous les Saints, faites que quiconque boira de cette eau trouve la santé de l'âme et du corps 1 -- Ainsi soit-il 1 » répond la foule agenouillée.

La bénédiction fut efficace, la prière exaucée. Depuis ce temps on a recouru avec confiance à cette source miraculeuse et jamais inutilement. En novembre 18gg, Mgr Guido Corbelli, archevêque (le Cortone, disciple, lui aussi, de saint François, fit élever sur la fontaine un monument. destiné à commémorer les faits qu'on vient de lire.

Vers l'époque oit le Fr. Guy obtenait de Dieu des miracles si éclatants, il y avait à Cortone un. prêtre dont le bras droit était desséché et privé de tout mouvement. L'infirme était dans I inca

pacité de célébrer la messe. Ayant entendu parler des merveillesopérées par son illustre compatriote, il vient le trouver et le conjure,pour l'amour de Dieu, de lui obtenir sa guérison.. Fr. Guy, touché

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de compassion, le conduit à l'église. A genoux devant l'autel, tousdeux font suie fervente oraison, après laquelle le thaumaturge faitle signe de la croix sur le membre paralysé en prononçant cesparoles : a Que Notre-Seigneur Jésus-Christ te guérisse I » Aussitôtle prêtre, au comble de la joie, recouvre le parfait usage du bras etde la main.Pendant l'hiver 1231-1232, il y eut une grande disette dans toute la Toscane. Les Frères

Mineurs s'en ressentirent naturellement ; les Frères quêteurs rentraient quelquefois peu chargés au couvent des Celle. Un jour, le Fr. Guy et son compagnon s'en revenaient ainsi des environs de Cortone, avec une très petite provision de farine destinée à faire des pains d'autel.

Chemin faisant, se présente à eux une pauvre femme avec deux enfants, tous trois visiblement épuisés de misère et de faim. Guy, touché jusqu'aux larmes, entre dans leur chaumière et tombe à genoux : a O Seigneur mon Dieu, dit-il, vous à qui cinq pains ont suffi pour rassasier cinq mille hommes, souvenez-vous de votre infinie

miséricorde et faites que cette poignée de farine, qu'on m'a donnée pour votre amour, suffise à la nourriture de ces malheureux.. » Se souvenant alors du prophète Misée, il demanda un sac à la pauvre femme. « Je n'en ai point, répond-elle, mais qu'à cela ne tienne 1 » Elle court chez une voisine, et peu après, tout en gardant ce qui est nécessaire pour le Saint Sacrifice, le religieux a puisé dans sa besace et rempli le sac qu'elle tient ouvert devant lui. « Ayez confiance, ajoute-t-il en la quittant, faites du pain et mangez en remerciant Dieu : cette farine vous suffira jusqu'à la moisson prochaine. » Or, on était au mois de mars. L'événement justifia cette prédiction.

Derniers jours du bienheureux Guy. - Sa mort.Vingt ans et plus s'étaient écoulés depuis que saint François avait'quitté cette terre (1226), et, depuis 1228, il avait été inscrit solennellement par le Pape Grégoire IX au catalogue des Saints.Guy avait environ 6o ans ; trente-cinq années s'étaient écoulées depuis qu'il avait consacré

entièrement sa vie au service de Dieu ; il avait mérité la couronne et en fut averti de cette manière. Une nuit, selon son habitude, il avait prolongé sa contemplation et il donnait à ses membres épuisés un court repos, lorsqu'il voit apparaître saint François d'Assise qui lui dit : a Fils bien-aimé, il est temps de- venir recevoir la récompense de tes fatigues et de tes travaux : dans trois jours, à l'heure de Noue, je viendrai te prendre pour te conduire au paradis », et il le laisse comblé de joie, après lui avoir donné sa bénédiction.

Le disciple du patriarche d'Assise n'attend pas le jour pour aller porter à soni confesseur l'heureuse nouvelle. A ses pieds il se purifie par une confession générale de toutes les taches que la poussièree du siècle a pu faire à son âme. Puis, retiré dans sa cellule, il attend, dans un recueillement plus grand, la visite promise.

Au troisième ,jour,, on remarque chez Guy une diminution sensible des forces. Il demande humblement pardon, aux Frères réunis autour de lui, des peines qu'il a pu leur causer par ses paroles ou ses actions. Comme signe que ce pardon est accordé, les religieux mettent l'un. après l'autre leur main sur la tête du mourant, en prononçant, ainsi' qu'il les en avait priés, les paroles de l'absolution ; puis, après avoir reçu les derniers sacrements, il commence lui-môme à réciter les litanies des Saints puis les diverses prières de la recommandation de l'âme. A 3 heures de l'après-midi, l'heure de None, le moribond lève les yeux et les mains vers le ciel : « Voici, s'écrie-t-il, voici mon séraphique Pèree saint François. l. Levez-vous 1levez-vous tous 1 Allons audevant de lui 1 » Pendant qu'ill parlait ainsi, son âme se détacha de son corps (12 niai .125o).

Funérailles triomphales.Les religieux passèrent le reste du jour à chanter des psaumes et des hymnes autour de la

dépouille, mortelle die leur Frère :: c'était la joie bien plus que la tristesse qui dominait dans ces pieux cantiques;

12 JUINBIENHEUREUX cuv nu CORTONE95

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g612 JUINa on aurait cru - dit le biographe du mile siècle - assister à une fête d'esprits angéliques plutôt

qu'aux funérailles d'un mortel n.aujLa nouvelle de l'événement se répandit aussitôt dans Cortone. Les habitants décidèrent, d'une

voix unanime, de ne pas laisser hors de la ville la dépouille mortelle du Fr. Guy, mais de la transporter dans la principale église de la cité, l'église Sainte-Marie, celle qui est ourd'hui la cathédrale.

Toutes les cloches donnent le signal, et aussitôt, sous la conduite du clergé, hommes, femmes, enfants, se dirigent vers le petit couvent des Celle, puis accompagnent le corps à l'église. Ce fut comme le renouvellement de ce qui s'était passé à Assise quand les restes de saint François furent portés de Sainte-Marie des Anges à l'église Saint-Georges.

La manifestation avait été tellement spontanée qu'on n'avait pas préparé de tombeau. Dieu y pourvut, comme pour faire comprendre qu'il approuvait les honneurs rendus dès lors à Guy. En effet, pendant qu'on hésitait sur le parti à prendre, un homme de la campagne, qui avait continué à labourer son champ, entra précipitammentt dans l'église, invitant tout le monde à venir voir quelque chose d'extraordinaire : n An milieu de leur sillon, dit-il tout ému, mes bceufs se sont mis à genoux et, malgré mes efforts, ils ne veulent pas se relever. n

On creusa la terre à l'endroit où les animaux étaient arrêtés et on découvrit bientôt un magnifique sarcophage en marbre, orné de figures en relief : c'était le tombeau préparé par le Seigneur. La foule le comprit ainsi, et les bceufs l'indiquèrent eux-mêmes en reprenant leur travail quand le sarcophage eut été levé de terre. Ou le porta à l'église Sainte-Marie et après l'avoir disposé dans le mur, au-dessus de l'autel, on y enferma les précieuses reliques.

Quelques années après (1258), les habitants d'Arezzo s'emparèrent par trahison de Cortone ; ils y mirent tout à feu et à sang, de sorte que la ville ne fut presque plus qu'un monceau de ruines. Heureusement, celui qui avait la garde de l'église Sainte-Marie avait songé au trésor confié à ses soins. Ne pouvant sauver le corps entier du thaumaturge, il prit du moins la tête, et, après l'avoir enveloppée soigneusement, il la jeta dans un puits, avec les indications nécessaire pour la faire reconnaître.

Plusieurs années après, les habitants de Cortone, qui avaient survécu au désastre, mais qui avaient dl, s'enfuir, purentt retourner dans leur patrie. Ils commencèrent à relever la ville, et retrouvèrent miraculeusement le chef du bienheureux Guy. C'est la seule relique qui leur reste de leur saint compatriote, mais ils continuent, comme leurs ancêtres, à l'entourer de respect et d'amour ; de son côté, le Bienheureux, selon la promesse de saint François, continue à les protéger.

G. D.Sources consultées. - Acta Sa,elo,om, t. fi de ,juin (Paris et Rome, 6~)..Mdrtyrotog,um Ordinis Scueti Francise1. - Sac. N,u+csso FAD,,nrNI, Vit dot(J. Gaido l'egnotietti (6tonxa, ipoe). - (V. S. B. P., n' 1633.)SAINT AVENTIN DE LARBOUSTPrêtre et martyr en Comminges (t vers 732).Fête le r3 juin.D 'APnis un manuscrit inédit conservé aux archives paroissiales du village de Saint-Aventin,

l'origine du Saint fut discutée pendant la seconde moitié du xvn° siècle. Bertrand MoreilIon, docteur en théologie et curé de Portet-de-Luchon de 14o à 1780, rassembla tous les éléments de là tradition authentique et' s'en constitue le défenseur ; il soumet les faits à une judicieuse critique et il conclut ainsi :

Mes observations tendent à prouver par les monuments que j'ai sous les yeux : 1° que notre saint patron est différent de saint Aventin de Bourges, eimile au diocèse de Troyes ; z° qu'il est vraisemblable que saint Aventin de Comminges est né dans la vallée du Larboust ; 3° que ce même Saint y a exercé le ministère ; 6° qu'il a reçu la couronne du martyre ; 5° que les précieux restes de sa mortalité sont demeurés constamment en dépôt dans la vallée du Larboust ; 6° que le corps du

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serviteur de Dieu, après avoir été enterré à Pons, fut découvert miraculeusement et transporté dans le lieu qui porte son nom ; 7° que l'authenticité de ses reliques que nous possédons ne peut être révoquée en doute.

Ces conclusions concernant l'origine commingeoise du Saint, rien ne nous empêche de les faire nôtres.

La confusion de quelques hagiographes entre le Saint de Luchon et celui de Bourges sort d'un manuscrit que Moreillon a eu sous les yeux et qu'il nous dénonce comme un absurde plagiat : a La biographie du martyr luchonnais, dit-il, y est composée de

traits empruntés à la vie de divers Saints du même nom, et particulièrement à celle du saint ermite de Troyes. n

Plus d'un, dans le clergé eommingeois, attribuait la paternité de ce mauvais travail à un ancien vicaire général de l'évêque Brizay de

9813 suisSAINT AVENTIN DE LAnnoUST 99Denonbille, l'abbé Le Mazuyer, mort en 1739, Mais Moraillon proteste en ces ternies e J'ai eu

l'honneur d'être admis aux entretiens de ce grand ecclésiastique et je puis certifier que cette opinionn'était pas la sienne. aSaint Aventin de Luchon en Comminges ne fut pas ermite.Sur ce point particulier de la vie érémitique d'Aventin, le champion si décidé de la tradition

authentique paraît s'être laissé impressionner par l'oeuvre qu'il combat. Dans l'église élevée près du saint tombeau, de vieilles sculptures sur bois paraissaient, il est vrai, corroborer ce trait emprunté à la légende du Saint de Troyes :

Je ne -suis pas éloigné de croire, écrit donc Moraillon, qu'avant d'exArcerles fonctions du ministère, Aventin menait la vie érémitique, parce qu'à une certaine distance

d'Oo il subsiste des vestiges d'un ermitage portant le nom de Saint-Julien. C'est là quo le Saint aurait arraché mie épine du pied d'un ours qui vint en suppliant demander ce bon office au pieux solitaire.

Le miracle figurait sur le retable antérieur au xvu° siècle et sur celui qui le remplaça. Les Bollandistes ont soin de nous mettre en garde contre une interprétation trop littérale de pareilles légendes. Les deux naïves images traduisent ici, par une allégorie transparente, le miraculeux ascendant qu'exerça un héros de la foi sur un individu ou sur une population à demi barbare ; de l'époque 'reculée d'Aventin à celle du loup de Gubbio apprivoisé par le Poverello, l'allégorie se répète au profit de beaucoup d'évêques, de prêtres et de moines. Quant aux ruines de Saint-Julien, rien n'autorise à les qualifier de restes d'un ermitage : c'est uniquement le titre de chapelle -que permet de donner à ces débris l'existence du bénéfice qui s'y attachait avant. 178g et que Moreillon regarde comme un argument probant, en faveur de l'ermitage. Le fait de l'attribution de ce bénéfice à la cure de Saint-Aventin, sans rapport nécessaire avec la vie elle-même du Saint, n'est, plutôt qu'un témoignage de piété -du fondateur de Saint-Julien à l'égard îlu patron de la vallée du Larboust sur le tombeau duquel il dépose ce don.

Il ne faut pas voir dans le saint martyr do la vallée luchonnaise du Larboust un de ces solitaires si nombreux au v' siècle, dont plusieurs devinrent cénobites, fondateurs de monastères et de villages. Moines et ermites se bornaient a instruire les barbares et à les édifier par leurs vertus sans songer à s'élever au sacerdoce pour en exercer les fonctions parmi les populations accourues autour d'eux ; les vallées du Larboust et d'orteil n'ont gardé ni le souvenir ni la trace de quelque établissement monastique.

Aventin ne fut ni ermite ni moine en dépit -d'un détail constant de son iconographie, qui risque 73

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d'induire plus d'un en erreur : peintres et sculpteurs ont toujours donné à ce Saint la robe longue, la ceinture et le capuce, mais précisément prêtres et clercs ne coin murent guère d'autre vêtement jusqu'au ix° siècle. Le Liber Ponti,ficalis nous montre le camail à capuchon pointu d'usage courant

chez les prêtres et tes évêques contemporains de Constantin le. Grand. Au temps de saint Célestin I°r (422-432), des clercs de la Gaule narbonnaise avaient introduit le manteau noir et grossier des moines d'Orient, tandis qu'à Rome on portait la toge et la pénule ou chasuble ; à l'époque (le Charlemagne, le costume clérical s'est fixé : il comprend la robe longue on soutane, l'aube de lin portée même en dehors de l'église, la chasuble qui enveloppe tout le corps et enfin, sur les épaules et la tête, l'antique camail au capuchon pointu. Eclaii'ée par l'histoire, l'iconographie rejoint la tradition immémoriale du Larboust qui vénère en saint Aventin un pasteur d'âmes.

Saint Aventin fut un prêtre de campagne.

Nos anciens, dit encore Moreillon, montraient sur la lande de SaintPierre un creux de granit de forme ronde, d'environ un pied de diamètre ; ils disaient que c'étaient les premiers fonts baptismaux dont saint Aventin se servit pour régénérer les enfants de la vallée...

Est-ce en mémoire (les courses apostoliques de cet ouvrier de l'Evangile que se perpétue une procession que font annuellement les curés de Saint. Aventin et de Garin, allant d'une paroisse à l'autre sans traverser d'autres

paroisses PLes populations attribuent au Saint la fondation de l'église paroissiale dédiée à Notre-Dame

dans le village. Quelles que soient l'authenticité du baptistère de la lande Saint-Pierre et l'origine réelle de la double procession ou de l'église, ne faut-il pas conclure qu'à travers les déformations légendaires ce sont là des vestiges de l'histoire authentique du Saint, qui affirmait qu'il fut prêtre et originaire du pays même, comme l'ajoute ce récit si curieux et si naif de sa naissance :

Nos pères, écrit Moraillon, disent avoir appris de leurs aïeux que la mère de saint Aventin connut par un heureux présage qu'elle portait en son sein un enfant de bénédiction. Néanmoins, les couches furent labo

rieuses et elle eut tout à craindre pour sa délivrance ; la femme qui lui prêtait son concours, ayant épuisé les ressources de son art, lui parla d'une eau bénite qui faisait des prodiges. La bonne villageoise y trempa ses pieds et elle mit au monde un fils qui devint de plus en plus l'admira

tion de ses compatriotes.Bertrand Moraillon croit retrouver ce miracle sur un chapiteau du porche du su' siècle où les

érudits ne lisent qu'une scène évangélique. Nous croirions plutôt qu'à une époque reculée, de la fausse interprétation de cette sculpture est née la légende dont on a revêtu un fait historique, à savoir que le martyr était né dans le pays même dont il fut le pasteur, agréé (le tous en raison de sa jeunesse et de sa vie particulièrement vertueuse que chacun connaissait.

Les légendes parasitaires pouvaient d'autant mieux se développer autour d'une tradition primitive authentique que celle-ci ne trouvait pas un clerc pour la fixer par écrit. Les annalistes des monastères racontaient surtout les oeuvres des moines ; quant aux évêques, issus pour la plupart des grandes familles et liés à des affaires de

ira13 JUINSAINT AVENTIN DE LARBOUSTicipremière importance, leurs actes ne pouvaient pas passer inaperçus ;; nais qui donc aurait songé

à transmettre à la postérité les noms do ces humbles prêtres ruraux qui, dans un ministère obscur et monotone, réformaient les moeurs populaires, distribuaient le pain de la parole et celui de l'Euclharistie? L'humilité devait les envelopper dans leur vie et après leur mort, à moins que, comme il arriva pour Aventin, celle-ci ne fût exceptionnellement le martyre et ne conférât à leurs restes et à leur tombeau ce prestige sacré et ce rayonnement d'où jaillirent tant de cultes locaux.

Le martyr de Jésus-Christ.L'arianisme s'était installé en maître dans le Midi avec la fonda lion du royaume wisigoth (le

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Toulouse. Le roi Euric ou Evaric, arien zélé, par ses fureurs de chef de secte, perdit son prestige de souverain. Sidoim Appolinaire fait mention des ravages de cette persécution dans la Novempopulanie et particulièrement en Comminges, dont l'évêque, que l'auteur ne nomme pas, périt, dit-il, au milieu d'affreuses tortures.

La tradition locale a gai-dé le nom d'une seule de ses victimes pourtant nombreuses : saint Gaudens, l'aimable petit berger de la lande de Nérous. Plus généreuse et peut-être même prodigue à l'excès de noms et de détails, se montre la tradition commingeoise dès qu'elle touche à l'époque des invasions sarrasines. La légende, qui s'est emparée de bonne heure de la mémoire de Charlemagne, n'a-t-elle pas grandi dans la même proportion la plupart des faits de cette époque à l'instar du développement fabuleux de l'incident de Roncevaux? L'empereur Charles apporte des reliques à Toulouse et à Saint-Béat ; son cousin Cizi et l'un de ses preux, Vidian, meurent dans la plaine de la Garonne en Comminges, dans des combats désespérés contre l'infidèle, Eragulphe tombe à la tète de ses bandes de ruraux près du village qui portera son nom tandis que les soldats martyrs Callixte et Mercurial illustrent la vallée d'Aure, un évêque, italien d'origine, saint Sabin, scelle de son sang versé à Escanecrabe sa mission apostolique au milieu des populations de la Save opprimées par les Sarrasins. Lié à cette épopée, le prêtre Aventin aurait aussi payé de sa tête ses prédications contre l'Islam.

En consultant, dit Moreillon, les mémoires :historiques que m'ont communiqués nos plus anciennes maisons, je nie suis décidé à placer la naissance de notre glorieux patron vers l'an de grâce 778, sous le règne de Charlemagne.

L'hagiographe s'est fourvoyé gravement ici. Depuis la victoire de Charles-Martel en 732 et leur fuite éperdue, les hordes musulmanes n'avaient plus franchi les Pyrénées, et en cette année 773 c'est en Espagne, où ses armées pénètrent à la fois par la Catalogne et par les défilés du pays Vascon, que Charlemagne doit aller retrouver les Sarrasins pour les combattre.

En 793, les infidèles tentèrent de reconquérir la Septimanie ; ilsbrûlèrent Narbonne et s'en retournèrent avec un riche butin ; le royaume d'Aquitaine se fonda

pour leur interdire à tout jamais l'accès du Sud-Ouest, et, en 412, la -.Marche d'Espagne, créée par traité, leur opposait encore par delà les monts une ligne de

Saint Aventin soigne un cars blessé à la patte par une épine.défense allant de Barcelone à l'Océan. Ainsi parle l'histoire authentique, en contradiction

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formelle avec l'opinion de Moreillon.Si saint Aventin fut l'une des victimes des Sarrasins, ce que ne précisent pas, à vrai dire, les

monuments de la tradition, il fut mis à mort avant la bataille de Poitiers (732) et pendant la grande invasion du Midi, que l'émir Abd-el.Raman voulait pousser jus-

loa 13 Ju55SAlaT AVENT'IN DE LAnBOUST 103qu'à Tours, à moins qu'ill n'ait été l'un des nombreux martyrs de la persécution d'Euric

déchaînée à l'époque où l'organisation paroissiale naissait à peine dans les campagnes d'Aquitaine ; cette hypothèse reste la plus vraisemblable, car elle s'accorde mieux avec la physionomie que la tradition donne au ministère d'Aventin, qui ressemble plutôt à une première évangélisation méthodique des populations des hautes vallées demeurées jusque-là à demi-barbares.

En l'absence de tout document précis et déterminant à cet égard, recueillons simplement et pieusement, sous la plume de B. Moreillou, ce qu'il nous conte du martyre lui-même d'Aventin. Distinguons avec lui, pour les écarter, les éléments purement légendaires, comme l'épisode de la tour du castel Saint-Blancat, d'où le missionnaire s'évada en sautant d'un côté à l'autre de la vallée et un prodige attribué à tant d'autres martyrs de la tête que le martyr attrait portée dans ses mains environ quatrecents pas. Retenons au contraire avec soin l'élément historique, élément essentiel, le seul précieux pour notre piété, la confession de la foi, jusqu'à l'effusion du sang, de cet humble prêtre rural :

Les barbares s'étant aperçus de l'ascendant qu'Aventin s'était acquisdans l'esprit du peuple, l'attendirent au bord de la rivière qui sépare le Larboust de la vallée -

d'Oucii, au détroit nommé Pros ; aux railleries succédèrent bientôt les injures ; parmi la troupe insolenlé, il se trouva un soldat dont la fureur -

arma le bras contre le serviteur de Dieu et qui le décapita.De bonnes âmes ensevelirent le corps de saint Aventin dans mie terrefortunée qu'il avait choisie pour le lieu de sa sépulture et qu'indique aujourd'hui encore une

petite chapelle ; plus loin, sur le vieux chemin,un édicule rappelle le lieu du supplice.Les reliques et le culte de saint Aventin.

Le tombeau vénéré du martyr de la vallée du Larboust demeura longtemps oublié, dit la tradition. N'imputons pas cet oubli aux terreurs de l'occupation sarrasine ; elle ne dura que les -quelques mois que mirent les hordes d'Ahd-et-Raman pour ravager le Midi en marchant sur Poitiers, et l'année suivante le pays était librs, puisque l'émir Abd-el-lIélck, qui voulait venger son prédécesseur, fut arrêté dans les gorges mêmes des Pyrénées et dut rebrousser chemin.

Qui pourrait nier cependant que le culte du martyr ait subi une longue éclipse et -que la nuit ait enveloppé son -tombeau, mais, au même moment, ne s'étendait-elle pas sur le Comminges chrétien comme sur 4'Eglise et sur la civilisation occidentale? Au sortir des invasions et du péril arabe, la chrétienté subit les brutalités des siècles rte fer ; dès la fin du ix' siècle, les symptômes d'anarchie se multiplient, les comtes s'émancipent de la tutelle royale, ils romunencent à disposer des sièges épiscopaux, et, dans les campagnes, les paroisses devenues des tortures exploitées par le soigneur seront même parfois données à des laïcs qui s'en feront les -exploitants ; la vieille paroisse mérovingienne est morte. L'esprit

laïc avilissait l'épiscopat et le clergé ; il fallait, dit Georges -Goyau, un esprit bien fort pour extirper les abus. Cet instrument fut le rameau bénédictin de Cluny. Un épiscopat fécond fut ;pour le Comminges l'aboutissement lointain du mouvement de réforme imprimé à toute l'Eglise par le célèbre monastère.

Saint Bertrand de L'Isle relève sa cathédrale de Comminges, à terre depuis trois siècles, et reconstruit la ville épiscopale ; son impulsion de restaurateur religieux se fait sentir partout dans les ânes et dans les établissements matériels, et même encore aujourd'hui son empreinte de bâtisseur se reconnaît sur les murs de plus d'une église du pays. Il faudrait s'étonner de ne pas rencontrer le grand évêque mêlé à la restauration du culte de saint Aventin, qui s'accomplit justement pendant

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son épiscopat. La fameuse intervention du taureau entêté à fouiller tous les jours dans 'le sol où se cachait le sarcophage, scène fixée dans le marbre sur le mur méridional de l'église par une main postérieure à celles qui bâtirent ce sanctuaire lui-même, est à écarter comme périmée par un trop fréquent usage. Nous ne croyons pas possible que les fidèles aient complètement cessé pendant plusieurs siècles de vénérer le saint tonbeau au point d'avoir même perdu le souvenir de son existence. Ce qui est plus vraisemblable, c'est le renouveau chrétien 'du xie siècle, stimulé particulièrement en Comn'lnges par le zèle pastoral de saint Bertrand, faisant éclore dans le pays une blanche flo-. raison d'églises.

Les populations du Larboust avaient une raison pressante d'entrer dans ce courant : à l'entrée de leur vallée gisait, sous les ruines d'un modeste oratoire détruit comme tant d'autres pendant les siècles 'mauvais, le tombeau primitif du martyr que la vénération du peuple n'avait jamais déserté quoiqu'elle eût connu des alternatives de ferveur et de tiédeur, comme la vie chrétienne du pays, sous la pression des événements historiques qui avaient bouleversé hommes et choses. La foi et la piété renaissantes ne pouvaient pas se résigner à laisser à l'abandon ms trésor religieux aussi -précieux que les restes de saint Aventin. Il fut convenu qu'an flanc de da montagne, au sein du village, s'élèverait une nouvelle église sur le plan réduit de la cathédrale et, comme elle, dédiée à la Sainte Vierge ; ce temple serait en même temps le reliquaire où reposerait la dépouille du martyr. L'évêque Bertrand bénit le projet, qu'il avait sûrement inspiré, et la construction s'éleva avec ses robustes piliers, le développement des voûtes de ses trois nefs et les conques de ses trois absides. Aux fenêtres de sa tour-lanterne, dressée audessus rh1 sanctuaire:, s'aperçoit la trace très nette de l'influence des architectes lombards sur l'art roman méridional de l'époque.

Quand la demeure fut prête, l'évêque délégua des prêtres à la reconnaissance des reliques, mais le bon pasteur, que n'arrêtaient ni les montagnes abruptes ni leurs rudes sentiers, vint lui-même couronner l'oeuvre de la chrétienne population de ces hautes vallées. L'on rapporte que, clans une dédicace solennelle, saint Bertrand oignit de ses mains les murs de la petite basilique et, selon l'usage

zo413 JUINliturgique occidental, il fonda la table de pierre de l'autel majeur sur le sarcophage où reposaient

les restes de saint Aventin, après une translation dont la légende enjolive le souvenir en prêtant un merveilleux discernement aux animaux attelés au traîneau chargé de ces reliques.

« Dieu garde les ossements des Saints. »Déposés derrière l'autel majeur dans un coffre en cenur de chêne et qui est scellé dans un

tombeau de granit, les reliques du martyr sont depuis huit siècles l'objet de la vénération du peuple des hautes vallées de Luchon et de la religieuse sollicitude des pasteurs qui ont succédé à saint Bertrand.

Les archives ont conservé les procès verbaux de deux ouvertures du tombeau : la première eut lieu en 1737 par ordre de l'évêque Olivier de La Lubière du Bouchet : le coffret de chêne tombait de vétusté, on le refit à neuf en 1777, et, le 7 septembre, CharlesAntoine-Gabriel d'Osmond visite encore les reliques, et pour leur assurer une meilleure conservation, il en retire une partie du sar-cophage et du coffret de bois pour les déposer dans un reliquaire argenté. La Révolution les épargna, grâce à la piété vigilante, énergique même, des habitants du lieu. Quand le futur cardinal d'Astros les reconnut le 16 mai 1836, des témoins défilèrent pour attester que le tombeau avait été respecté ; Jean Hillot, âgé de 74 ans, déposa que pendant la Révolution deux hommes s'étaient bien présentés pour profaner l'autel des reliques, mais que, lui-même en ayant été averti à temps, il était accourir armé d'un bâton et qu'il les avait chassés de l'église et contraints à s'enfuir.

L'année suivante, les reliques prenaient possession d'une châsse d'ébène et étaient replacées au même endroit où elles reposent aujourd'hui. Plus intéressant et d'un aspect moins lugubre que la châsse de couleur trop sombre, un buste de plomb à tête d'argent, de grandeur naturelle, contient aussi plusieurs ossements de saint Aventin. L'image naïve et fruste rappelle des orfèvreries semblables datées des xlve et xve siècles. Le socle, vraisemblablement postérieur, porte le monogramme du Christ et l'invocation : Sancte Aventine, ora pro nobis, avec un poinçon où se

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distingue une fleur de lis et cette abréviation du lieu d'origne : Tel (ToulouseP).L'église romane, consacrée peut-être par saint Bertrand pour conserver les restes du martyr,

demeure un but de pèlerinage : des fidèles isolés et des familles désireuses de mettre leurs nouvau-nés sous la protection du Saint s'y succèdent toute l'année, mais rien n'est comparable à l'hommage solennel qui lui est rendu le 13 juin, jour anniversaire de la translation. Les processions de toutes les paroisses du pays environnant convergent vers le sanctuaire vénéré.

Abbé F. SOL.Sources consultées. - Ancien Bréviaire de Comminges. - Abbé S. MGTnuu, Notes sur la vie et

le culte de saint Avertie de Larboust (Luchon, sgaS). - D'Acos, Vie et miracles de saint Bertrand de Comminges (Saint-Gaudens, 1aSd). - Abbé

F. Mounnr, L'Eglise et les barbares (Paris, sgSa). - D'Annnmu, chanoine de SaintGaudene, Catalogue des évêques de Comminges (manuscrit du xvme siècle).SAINT MÉTHODEPatriarche de Constantinople (t 847).

Fête le il juin.L A mémoire de saint Méthode est célèbre chez les Grecs. Photios lui-même, qui imita trop peu

ce grand Saint, et qui a laissé son nom attaché à un schisme douloureux, a composé l'une des plus belles antiennes que l'on chante le jour de sa fête. Les Latins l'ont inscrit au Martyrologe le 14 juin.

Méthode naquit vers la fin du vive siècle, à Syracuse, en Sicile, alors sous la domination des empereurs grecs de Constantinople. Après de brillantes études, le jeune Sicilien s'embarqua pour la capitale de l'empire, dans l'espoir d'y trouver les honneurs et la fortune que ses talents et l'illustration de sa famille semblaient lui promettre.

Le chemin de la vraie fortune.Il venait de débarquer à la Corne d'Or, quand un saint moine, vrai messager de la Providence,

l'aborda et lui dit :- Jeune homme, quel sujet vous amène des rivages occidentaux dans cette capitale de l'Orient?

Si c'est le désir des honneurs, songez qu'il n'y a pas de plus grand honneur que de servir Dieu ; si vous cherchez les richesses, assurez-vous une fortune éternelle dans le ciel en distribuant en aumônes les biens que vous avez, et en consacrant votre vie à acquérir, non des biens périssables, mais des trésors spirituels que ni les hommes ni la mort ne pourront vous ravir.

Ces paroles produisirent une profonde impression sur le jeune étranger. La grâcr de Dieu lui en découvrit toute la vérité, et, docile à son inspiration, il résolut de renoncer au monde. En vain la capitale de l'Orient déployait devant ses yeux tout le séduisant mirage de ses palais, de son luxe et de ses plaisirs, il s'y déroba pour aller se faire moine dans le monastère Chénolaccos.

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\?r4106' r4 am>aS4IrT MGTIIODE107Ses cheveux tombèrent sous le ciseau il revêtit l'habit. religieux et nee songea plus qu'àà servir

le divin Roi et à s'enrichir des trésors de sa grâce. Le principal moyen qu'il employa pour se former à la vertu fut une pratique très exacte de la règle, duu monastère il y conformait si constammentt sa volonté qu'on ne le voyait ni eni deçà ni au delà de la règle.

L'hérésie iconoclaste.L'usage et le culte des images s'étaient fort répandus dans les premiers siècles de l'Eglise ;

seules quelques voix isolées avaient élevé de faibles protestations, à l'occasion ou sous prétexte d'abus réels ou possibles. Le monophysisme, par sa tendance àà absorber l'humanité du Christ dans le divin, accentua celle opposition. Il y eut aussi des raisons étrangères au christianisme qui amenèrent la crise iconoclaste. Signalons la pression des Juifs, hostiles à toute représentation de la face humaine, et de diverses sectes de l'empire byzantin, telles que les pauliciens, les manichéens, etc. Du dehors, les musulmans appuyaient ces tendances.

C'est en 725 que l'hostilité contre les saintes images se dessina. Le patrice Besser, renégat redevenu chrétien, parut d'abord en avoir l'initiative, d'accord avec les évêques Théodose d'Ephèse, Thomas de Claudiopolis et Constantin de Nacolia.. Si le patriarche saint Germain se déclara hostile aux novateurs, ceux-ci trouvèrent une recrue précieuse dans la personne même de l'empereur Léon III l'Isaurien, qui,, le 17 janvier 729, mit en demeure le patriarche ou d'abandonner la dignité patriarcale ou de contresigner le décret lancé contre les images en 725.

Le Papee saint Grégoire II protesta contre l'iconoclasme dès qu'il en eut connaissance. Son successeur, saint Grégoire 111, le fit condamner au Concile romain de novembre 731, ce qui détermina l'empereur de Constantinople à s'emparer des revenus que l'Eglise latine retirait des patrimoines qu'elle possédait dans les provinces impériales, en Sicile surtout.

Constantin V Copronyme, fils et successeur de Léon l'Isaurien, poursuivit la politique impie de son père. Par ses soins, un conciliabule iconoclaste s'ouvrit le Io février 753 au palais impérial d'Hieria, près de la capitale. Une définition dogmatique, signée de 338 évêques asservis au pouvoir civil, proscrivit toute image du Christ, de la Vierge et des Saints et jeta l'anathème au patriarche saint Germain, à Georges de Chypre et à saint Jean Damascène. La peine de la déposition pour les clercs et celle de l'excommunication pour les laïcs étaient décrétées contre les réfractaires, sans préjudice des rigueurs du bras séculier.

Quand il. fut avéré, au bout de six ou sept ans, que la manifestation de 753 n'avait etu aucun résultat décisif, Constantin V se fit persécuteur. Non content de briser les images, il jeta les reliques à la mer,, pourchassa le mot « saint s, le supprimant même des expressions topographiques et géographiques. Par ses ordres, des édifices du culte désaffectés furent transformés en. casernes, en écu

ries ou en dépôts de fumier, les fresques badigeonnées, les mosaïques arrachées, les manuscrits iconophiles brûlés, de nombreux moines mutilés on martyrisés. Seule la mort du tyran survenue le 14 septembre 775 ralentit la persécution.

Une période de restauration catholique s'ouvrit en 780 avec l'impératrice Irène. A cette époque, l'iconoclasme disposait dans l'empire byzantin de protecteurs puissants et nombreux. Le patriarche Paul IV était enchaîné à l'hérésie ainsi que la majeure partie de l'épiscopat. L'armée surtout lui était dévouée, autant par haine sectaire que par admiration pour Léon III et Constantin V qui avaient souvent conduit leurs troupes à la victoire.

Ces obstacles imposaient de la prudence à Irène et elle employa plus de quatre ans à préparer discrètement le triomphe de ses projets. En 784, le 3r août, elle obtenait que le patriarche Paul IV mourant se rétractât et jetât l'anathème aux brûleurs d'images. Le 25 décembre suivant, elle assistait

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à l'intronisation de saint Taraise, grâce à qui la majorité du peuple de Constantinople avait été déta-chée de l'hérésie. Le 29 août 785, elle envoyait une ambassade au Pape Adrien le' pour lui proposer la convocation d'un Concile œeu-. ménique.

Le VII` Concile cecuménique de 787.La réponse pontificale, datée du 27 octobre 785, approuva pleinement la pensée d'Irène qui se

mit en mesure de réunir le Concile projeté. A ce Concile, toute l'Eglise pourrait, semble-t-il, prendre part, car Taraise, en notifiant son élévation au Pontife romain, n'avait pas manqué de la notifier aussi aux melchites, les priant en outre d'envoyer chacun deux représentants.

Quand les divers envoyés de la chrétienté arrivèrent sur le Bosphore, l'impératrice donna l'ordre aux prélats byzantins de s'y réunir. C'était durant l'été de l'année 786. Le 17 août, la séance d'ouverture eut lieu aux Saints-Apôtres ; mais soudain, une émeute militaire éclata et Irène dot proroger le Concile. Il se tint l'année suivante à Nicée, du 24 septembre au 13 octobre.

Comme il fallait écarter l'accusation d'idolâtrie portée contre le culte des images, on insista sur le caractère inférieur de ce culte :

a Nous décidons de rétablir, à côté de la croix précieuse et vivifante, les saintes et vénérables images.... ; à savoir l'image de JésusChrist. Notre-Seigneur, Dieu et Sauveur, celle de notre Souveraine immaculée,, la sainte Mère de Dieu, des anges honorables et de tons les pieux et saints personnages, car plus on les regarde longuement à travers la représentation de l'image, plus ceux qui les contemplent sont incités à se souvenir des prototypess et à les imiter ; de leur rendre salut et adoration d'honneur, non pas certes la lâtrie elle-même, qui provient de la foi et qui ne convient qu'à Dieu, mais l'honneur que l'on donne à la croix précieuse, aux saints Evangiles et aux autres objets sacrés ; d'approcher d'elles de l'encens et des lumières, comme c'était la pieuse coutume des anciens. Car l'honneur témoigné à l'image passe au prototype et celui-là qui vénère• l'image vénère la personne qu'elle représente. a

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Les jours de Méthode s'écoulaient paisibles, dans la solitude, le travail et la prière, quand la

tempête qu'on croyait apaisée se déchaîna de nouveau sur l'Eglise d'Orient. Vaincu et contenu par la fermeté d'Irène, le parti iconoclaste releva la tête sous les faibles successeurs de cette impératrice. Ln 812, une conspiration se nouait, en vue d'élever au trône un des frères aveugles de Léon IV, et l'année suivante, les mécontents, appuyés par l'armée, proclamaient empereur l'Arménien Léon Bardas qui fut couronné le so juillet 813.

Parvenu au pouvoir dans ces conditions, Léon se crut obligé de remettre en honneur l'hérésie chère aux soldats. Partout ceux qui vénéraient ces saints emblèmes, chers à la piété catholique, se virent de nouveau persécutés. Saint Nicéphore, qui avait succédé à Taraise sur le siège de Constantinople fut exilé.

Méthode, obligé de s'enfuir devant les ennemis de l'orthodoxie, alla chercher un refuge à Rome, a ville qui était préservée de cette peste a, dit son biographe. Heureux d'être sous l'obéissance du

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Souverain Pontife, il restait fidèle à tous les points de sa règle et vivait à Rome en moine parfait. Mais les nouvelles qu'il recevait d'Orient affligeaient son âme ; la persécution y devenait toujours plus furieuse et l'exilé ne cessait de prier pour ses frères.

Enfin, on apprit la mort tragique de Léon l'Arménien, assassiné la nuit de Noël 820, et l'avènement de Michel le Bègue, depuis longtemps retenu en prison, et qui d'ailleurs eût été mis à mort vers cette même date si ses partisans n'eussent pris les devants. Mais le nouvel empereur donna, lui aussi, son appui aux hérétiques. Méthode, apprenant que les défenseurs de la vérité diminuaient chaque jour, n'hésita pas à courir au combat. Il demanda au Souverain Pontife une exposition dogmatique de la foi chrétienne et repartit pour Constantinople. Il était porteur d'une lettre du Pape de Rome pour le nouvel empereur, lettre dans laquelle le successeur de saint Pierre résumait la foi véritable et réclamait le rétablissement de Nicéphore sur le siège épiscopal de Constantinople.

L'empereur hérétique reçut ce document avec un outrageant mépris ; et, comme Méthode défendait intrépidement en sa présence la doctrine catholique, Michel le Bègue le fit flageller. Après avoir reçu près de 700 coups de fouets, l'intrépide confesseur de la foi fut conduit dans l'île d'Acrita (dans la Marmara), et jeté dans le caveau d'un sépulcre. On y enferma avec lui, dit l'historien Zonaras, deux voleurs ; l'un d'eux devint, fou, l'autre étant mort, on y laissa le cadavre tomber en pourriture.

De temps en temps, on venait offrir à Méthode de mettre fin à son affreuse situation s'il voulait renoncer à la foi de l'Eglise romaine et au culte des saintes images.

- Plutôt mille morts semblables ou pires encore I répondait l'invincible soldat de Dieu.Et on le laissa dans le cachot juste avec le peu de nourriture indispensable pour ne pas mourir ;

il y demeura sept ans. La persécution continuait contre les catholiques : saint EuthymeSAINT MI'TIIODEde Sardes expirait dans les tourments, saint Théodore Studite mourait en exil. L'empereur

arrachait une religieuse à son couvent pour l'épouser. Pendant ce temps, les musulmans battaient ses armées,

SesSaint .Yltéthode préf ra passer plusieurs années dans un sépulcre

avec un cadavre et uu fou que de se soumettre aux exigences impiesde l'empereur de Constantinople.lui enlevaient la Crète, la Dalmatie et la Sicile, patrie de Méthode.Avant d'expirer, ce prince, par un repentir tardif, ordonna de mettre les captifs en liberté. De

nombreux martyrs sortirent des prisons et Méthode fut tiré de son sépulcre : ses cheveux étaient tombés, il n'avait que la peau et les os et ressemblait à un squelette vivant.

108 14 lu NSaint Méthode victime de la persécution iconoclaste.

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110 14 JUINSaint Méthode et l'empereur Théophile.Mais il n'avait rien perdu de sa foi, de son intelligence ni de son courage; au contraire, Dieu lui

avait donné une nouvelle vigueur.Il se remit à défendre I'Eglise catholique par ses entretiens, ses discours et de savants écrits.

Mais l'empereur Théophile, que ses défaites rirent surnommer l'Infortuné, avait succédé en octobre '82) â son père, Michel, dont il reprit la triste politique. Les persécutions recommencèrent. Méthode fut arrêté et conduit devant le prince.

- Quand cesseras-tu ta rébellion contre les décrets des empereurs'P lui dit le tyran. N'est-ce pas toi qui es allé jusqu'en Italie demander au Pontife romain un libelle contre mon père? N'as-tu pas déjà été assez châtié de ton zèle insensé pour la vile superstition des images.'?

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- Ilé 1 Seigneur, répondit le moine, si l'honneur que nous rendons aux images des Saints est aussi insensé que vous le dites, pourquoi-vous-même prenez-vous tant de soin pour multiplier vos propres statues et les faire ériger avec honneur? Méritez-vous donc plus de

gloire que Jésus-Christ lui-même pL'argument était sans réplique. Théophile, furieux, fit dépouiller Méthode jusqu'à la ceinture et

ordonna de lui appliquer roc coups de bâton. Le moine, demi-mort et couvert de sang, fut jeté par un soupirail dans une des caves du palais.

La nuit suivante, des personnes compatissantes l'en retirèrent secrètement et le soignèrent avec une grande charité. L'empereur, l'ayant appris, les châtia sévèrement. Mais il ne put se défendre d'une secrète admiration pont, le héros de tant de souffrances, et, à la vue de la vénération dont sa victime était l'objet, il comprit l'immense avantage qu'il y aurait à gagner un tel homme à sa secte. De temps en temps, il fat sait donc appeler le moine martyr et s'entretenait amicalement avec lui sur certains points des divines Eeritures ; il n'ébranla point la foi de Méthode, mais ce fut Méthode qui adoucit un peu la haine du prince contre les catholiques. Au reste la vérité avait des amis jusque dans le palais ; l'impératrice Théodora était une catholique fervente ; grâce à elle et à Méthode, le malheureux prince mourut repentant, en baisant une image de Jésus crucifié et une médaille de la Sainte Vierge (2e ,janvier 847).

Théodora lui succéda en qualité de régente, au nom de son jeune fils Michel III. Le règne de l'hérésie iconoclaste était fini ; il y avait cent vingt-cinq ans qu'elle troublait l'Orient.

La fête .de l'Orthodoxie.Un Concile fut réuni à Constantinople. Le patriarche de cette capitale, Jean Lécanomante, était

une créature des iconoclastes ; impie, débauché, magicien, ennemi du Pape de Rome, il fut déposé, et l'héroïque Méthode élu à sa place, aux applaudissements de tous les gens de bien. Ainsi l'Eglise de Constantinople, séparée de l'unité catholique depuis l'exil de saint Nieéphore, c'est-à-dire depuis trente ans, se réunit heureusement à l'Eglise romaine..

Le patriarche fut sacré dans l'église de Sainte-Marie des Blakernes,le premier dimanche de Carême de l'an 84a. 1l monta ensuite à l'ambon, pour adresser la parole

aux évêques et à son peuple.- 0 mes pères et mes frères, s'écria-t-sil, quelles actions de grâces ne devons-clous pas rendre au

Christ notre Dieu, auteur de tout bien, qui nous rend la liberté après trente années d'hérétique oppression et de persécution sanglante I Il a déployé son bras pour opérer de grandes choses, il -a renversé les superbes et élevé les humbles. C'est ce qu'il annonçait autrefois à ses diciples et à ses amis : a Vous serez pressurés par la haine du monde, mais ayez confiance : ,j'ai vaincu le monde. n

Vos visages, vos acclamations me disent que moi aussi, nue moi surtout, je dois partager l'allégresse commune ; oui, je la -partage assurément : comment ne pas me réjouir de voit, triompher la divine lumière du Chrisli mais une douloureuse tristesse -vient -se mêler dans mon icceur à cette joie, quand je considère la charge épiscopale avec ses terribles responsabilités, que vous avez imposée à tua faiblesse. Plus cette dignité est élevée, plus elle est redoutable devant Dieu et périlleuse devant les hommes. Mais enfin, qu''inmporte nia personnalité I une seule préoccupation doit s'imposer à moi, cancane à vous tous : c'est de faire triompher la vraie foi parmi nous ; car saint Paul a (lit : « Sans da foi, ;t est impossible de plaire à Dien, u

L'orateur invitait ensuite tout son peuple à la concorde et à la paix. Aux persécutés de la veille, il demandait le charitable oubli des maux qu'ils avaient soufferts et leur rappelait la parole de leur divin Maître pardonnant à ses bourreaux : « Mon Père, pardonnez]cul,, 'car ils rie savent ce au'ils font. a Puis il ajoutait, d'un ton plein de mansuétude :

- A ceux qui regretteraient peut-être le pouvoir dont ils abusaient hier pour nous persécuter, qu'il nie soit permis de dire : « Ne vous affligez pas d'une impuissanec qui vous ôte seulement la faculté de faire, le mal. Vous l'avez commis sans 'le savoir et de bonne foi ; réjouissez-vous maintenant de rie plus pouvoir le commettre. Ainsi tons, persécuteurs et victimes, bénissons le Sauveur qui guérit en ce jour les souffrances corporelles des uns et l'aveuglement spirituel des autres. a

Le patriarche institua une fête pour conserver la mémoire de ce beau jour ; on l'appelait la « fête 84

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de, l'Orthodoxie n.Donnant à tous l'exemple du pardon, il fit célébrer une neuvaine de prières publiques, dans

l'église Sainte-Sophie, pour le repos (le l'âme de son ancien persécuteur, l'empereur Théophile ; c'était une preuve manifeste que l'Eglise grecque croit à ce lieu d'expiation temporaire que les Latins nomment le Purgatoire.

L'affaire de la translation des restes de saint Nicéphore.Une grave affaire réveillée sous le patriarcat de Méthode fut la querelle mocehienne qui se

rattache de près à celle des images, car tous les moechions, ou peu s'en 'faut, se trouvèrent tin jour en compagnie des iconoclastes.

L'affaire avait éclaté sous Constantin VI. Marié à l'ArménienneSAINT MIÉTIIODEIII112 14 JUINMarie, il l'avait reléguée en janvier 795 dans un clottre pour s'unir à Théodote qu'il déclara

impératrice en août de la même année. Le prêtre Joseph, coupable de forfaiture pour avoir prêté en la c'rconstance le concours de son ministère, fut déposé par le patriarche Taraise; mais un synode tenu en 8o6 ou 809, sous le patriarcat de saint Nicéphore, l'avait réhabilité. Quand Joseph eut passé à l'iconoclasme en 816, il ne manqua pas de voix pour déclarer que le patriarche avait prévariqué en usant de miséricorde vis-à-vis du prêtre moechien. Aussi, après le triomphe définitif de l'icono-philie, des moines voulurent-ils s'opposer à la translation des restes de saint Nicéphore qui était mort en exil le 2 juin 828. Méthode leur imposa silence et, le 13 mars 847, les reliques du Saint furent déposées dans l'église des Saints-Apôtres.

Méthode s'appliqua à guérir les maux causés par l'hérésie, à ramener les fidèles aux lois de l'Eglise et aux vertus chrétiennes et le clergé à la sainteté de son ministère. Il était le père des orphelins et le protecteur des veuves.

Malgré les infirmités que les supplices d'autrefois lui avaient laissées, il menait une vie très austère, Durant le Carême, il ne prenait aucune nourriture avant d'avoir transcrit de sa main un grand nombre de psaumes, et il persévérait si longtemps dans ce labeur qu'il arrivait à copier septt fois le psautier avant la fête de Pâques. ,

Le généreux confesseur de la foi avait eu la mâchoire brisée pendant la persécution ; cette blessure ne guérit jamais complètement et jusqu'à la fin de sa vie il dut porter des bandelettes qui lui soutenaient le menton. Telle fut l'origine des bandelettes que les patriarches de Constantinople ont toujours portées depuis lors quand

ils officient pontifealement.Dernières années de saint Méthode. - Sa mort.Le zèle du patriarche se préoccupa de combler les vides nombreux que la persécution avait

causés dans le sacerdoce et l'épiscopat. Mais le choix des ordinands suscita des envieux ; on accusait Méthode d'accepter trop facilement des sujets dont le seul mérite était d'être restés catholiques durant le triomphe des iconoclastes. Un parti puissant se forma contre le patriarche, tellement qu'on put craindre un nouveau schisme. Heureusement, le vénérable Abbé saint Joannice accourut de son monastère du mont Olympe, près de Brousse, et réussit à pacifier les esprits par l'influence de sa sainteté et de sa parole éloquente.

Méthode, devenu hydropique, supporta avec une admirable patience cette longue maladie et mourut saintement le 14 juin 847.

Il a laissé des sermons, des canons pénitentiaux et un Eloge de saint Denysl'Aréopagite.A. L.Sources consultées. - Acta Smulorum, t. III de juin (Paris et Rome, 1867). - V. Lnunsrvr, s Saint

Méthode (le Constantinople », dans Dictionnaire de théologie catholique, t. X, ao (Paris, 192g). - R. P. J. PA ocinE, A. A., L'Eglise byzantine,

de 527 à 847 (Paris, sgo5). - (V. S. B. P., n' 643.)~rr~t. ~//\/I L7 t

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SAINTE GERMAINE COUSINVierge (vers 1579-1601).Fête le 15 juin.VIE triste et inutile selon le monde, que celle de cette jeune fille occupée exclusivement à la

garde d'un troupeau, voilée duu berceau à la tombe aux infirmités, à la pauvreté, aux mauvais traitements ; en réalité, vie rayonnante et souverainement bienfaisante par l'éclat des plus héroïques vertus de patience, de piété, de fidélité au devoir. Dieu lui-même écrivit le poème de la glorification posthume de l'humble pastourelle qui, par son corps miraculeusement conservé, son crédit tout-puissant au ciel, le culte publicque l'Eglise lui rend, survivra dans le cours des siècles.

Une enfant vouée à la souffrance dès le berceau.Germaine Cousin naquit vers l'an 1599 à Pibrac, petit village distant de trois lieues environ de

la ville de Toulouse. Malgré les tentatives des protestants huguenots, les habitants, des cultivateurs, étaient restés inébranlablement attachés à la doctrine et aux prescriptions de l'Eglise. Leurs chaumières étaient placées sur les flancs et au pied d'un coteau dont le sommet était couronné par une modeste église. Au nord et au midi du mamelon, deux petites vallées, où coulaient le ruisseau de 1:Aussonnelle et sort affluent le Courbet. Au delà des prairies s'étendait la forêt de Boutonne, assez rapprochée, semble-t-il, de la ferme de Laurent Cousin, le père de Germaine.

Contrairement à ce qu'on a dit, la famille de Laurent était l'une des principales du village. Son chef possédait une certaine aisance propriétaire de plusieurs arpents de terre en bordure de la forêt, il vendait du bois et du charbon, était fermier des Clarisses de Levigrise, tenait même à Toulouse une boutique dechaussures et d'habits, En 1573 et 1574, il remplit les fonctions de maire de sa commune..

r14 15 JUINSAINTE. GERMAINE Cousu115Quand il épousa en troisièmes noces, Marie Laroche, une veuve qui approchait de la

soixantaine, il était déjà près de la tombe.Germaine, l'enfant prédestinée, fut le fruit de ce dernier mariage de « maître Laurent n. Elle

parut dès les premiers instants de sa vie comme vouée à la souffrance : fort chétive, elle était, de plus, percluse de la main droite et atteinte de scrofules, douloureuses infirmités qu'elle portera dans le tombeau et qui serviront un jour à identifier son corps. Encore au berceau, elle perdit son père, puis, trois ou quatre ans après sa naissance, sa pieuse mère, Armande de Rajols, femme d'Hugues Cousin, demi-frère (le Germaine et héritier de la maison et des biens paternels, eut tout natm•cllemcnt la charge d'élever l'orpheline avec ses propres enfants ; bien qu'elle fût la belle-sceur de la fillette, elle. se montra envers celle-ci dure et brutale comme une marâtre. Au lieu de lui donner la compassion, les soins, le dévouement qu'appelait tout naturellement l'état maladif et disgracié de Germaine, elle la prit en aversion, la délaissa, l'écarta le plus possible des autres membres de la famille, la traitant comme une étrangère. Son mari, soit par une coupable indifférence à l'égard de sa petite soeur, soit par une lâche timidité, abandonna l'enfant qu'il aurait dû protéger.

Les anges gardiens de l'orpheline.Une vieille domestique, Jeanne Aubian, an service des Cousin depuis de longues années, servit

à l'orpheline de seconde mère : elle la protégea, soigna ses plaies scrofuleuses, continua l'éducation

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religieuse déjà commencée par Marie Laroche, prépara par ses pieux conseils le grand jour de la première Communion. L'instruction et la formation chrétiennes de la fillette furent continuées et perfeolionnées par l'abbé Guillaume Carrié, prêtre zélé qui remplissait, à la grande satisfaction de tout le village, les fonctions de curé de Pibrac, sans cependant en avoir le titre ni les honoraires, car la commune appartenait depuis le xiie siècle à l'Ordre de Malte et rele= irait pour l'administration paroissiale du grand prieur de Toulouse. Sous la sage direction de sou pasteur, la petite Germaine, fidèle aux grâces divines, devint un modèle de piété, de modestie, de douceur et de patience. Martyrisée dans son cmur qui ne pouvait distribuer aux siens les trésors (le tendresse qui le remplissaient, elle n'avait pas au moins à comprimer les élans de son amour candide mais généreux pour Jésus et pour la Sainte Vierge.

Dès qu'elle parut d'âge à servir, c'est-à-dire -aux environs de ses neuf ans, en dépit de son triste état de santé, elle fut commise, hiver et été, à la garde des brebis, sur les lisières de la forêt de Boutonne. C'était un moyen de la tenir tout le jour éloignée de la maison paternelle et de lui faire gagner le morceau de pain noir qu'on lui donnait avec parcimonie chaque matin pour sa nourriture quotidienne. De plus en plus, sa belle-soeur la traitait comme une étrangère, une pauvresse, une contagieuse. Elle ne pouvait approcher des autres enfants de la famille sans recevoir des reproches sévères, voire des coups. Pas de place pour elle au foyer. Elle devait

rester seule dans un coin de la maison ou près du troupeau. La nuit, elle prenait son repos sur un botte de paille au fond de l'étable ou sur un tas de sarments placés au fond d'un couloir, sous l'escalier.

Toujours souffrante, avec des plaies mala soignées, misérablement nourrie et vêtue, elle était obligée de vivre dans les champs et les bois, exposée à toutes les rigueurs des saisons. Quand, le soir, épuisée de fatigue, elle, rentrait à la maison qui étaitt cependant la sienne, bien souvent elle n'était accueillie que par les injures ou les reproches de sa terrible belle-saur : il n'y avait que froideur, dureté et mépris pour la jeune fille, dans l'âme de ceux qui remplaçaient ses parents. Les voisins et les autres habitants de Pibrac n'avaient las non plus beaucoup de compassion et d'égards pour la pauvre bergère. Comme elle était d'ordinaire silencieuse, supportant tout avec patience, sans répondre aux railleries ou aux provocations, on se moquait d'elle comme d'une simple ou d'une idiote, on la tournait en ridicule. On la surnommait parfois e la bigote n, à cause de sa dévotion et (le ses pratiques religieuses. Certaines gens la poursuivaient et la tourmentaient, d'autant plus à l'aise que personne rie prenait la défense de la victime et qu'elle-même souffrait sans jamais se plaindre.

Les vertus et la piété de la bergère de Pibrac.Infirmités, souffrances du corps et du cmur, privations de toutes sortes, mauvais traitements de

la part Lle sa famille, injures et moqueries de la part (le ses concitoyens, Germaine Cousin ne connut guère que cela dans sa courte existence : elle ne vécut qu'avec la douleur sous ses formes multiples et, cependant, elle vécut joyeuse et contente de souffrir. « Dieu le, veut, ainsi a, disait-elle. Jamais une impatience, un murmure, une plainte, un sentiment de tristesse, de l'aigreur ou de l'aversion contre ceux qui la maltraitaient ou la méprisaient, le témoignage des contemporains est formel sur ce point.. Elle ne manifesta aucune jalousie parce, que les enfants dl-fugues Cousin lui étaient injustement préférés au foyer paternel : elle les aimait tendrement et cherchait à leur rendre de petits services. Sans cesse elle montrait à la maison un visage toujours calme et souriant. Dieu lui avait donné la grâce d'estimer et d'aimer la pauvreté, l'humiliation, les souffrances.

La petite bergère aimait si tendrement le Sauveur qu'elle se réjouissait de pouvoir lui ressembler par l'abandon, le dénuement, les douleurs et la persécution ; elle se gardait bien do lui demander la délivrance de ces maux : Dieu lui avait enseigné le prix inestimable du sacrifice et la nécessité de la réparation pour le péché. Son amour envers la sainte Eucharistie était d'autant plus ardent (tue son coeur était plus pur : il fallait bien aussi réparer les sacrilèges profanations commises par les huguenots dans diverses églises do la région. Germaine avait le bonheur de communier assez sou-vent ; elle s'y préparait par la confession fréquente et l'assistance presque quotidienne à la messe.

Elle célébrait les fêtes mariales avec une dévotion particulière, les87

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116 15 JUINSAINTE GERMAINE COUSIN111Sanctifiant par la pratique d'une vertu spéciale ou quelques rouvres de pénitence. La récitation

du chapelet était la prière habituelle et favorite de la jeune fille, sa protection contre les assauts du démon, la source intarissable de lumières et de consolations. Au premier coup (le. l'Angélus, elle se mettait à genoux, en quelque endroit qu'elle se trouvât, dans la bouc, clans la neige, sur l'herbe humide. Cette jeune vierge, d'une piété si tendre et si intense, était continuellement absorbée en Dieu, au point non seulement de fuir tout ce qui pouvait troubler son recueillement, comme les conversations bruyantes, les jeux et les amusements puérils ou frivoles des enfants de son âge, mais encore de ne trouver de vraies délices que dans la contemplation de Dieu, la prière et les visites à Jésus présent au

tabernacle.Les miracles de la quenouille et du ruisseau torrentiel.La vie d'une bergère est rude et monotone. Par tous les temps, de bon matin, Germaine

conduisait ses brebis dans les prés voisins de la forêt. Au pied d'un arbre, où une croix rustique était suspendue, elle faisait sa prière, filait sa quenouille. Quand la cloche annonçait l'heure de la messe, l'irrésistible impulsion de son amour. pour Jésus l'arrachait à son troupeau. Elle plantait sa quenouille dans l'herbage et, confiant les animaux à la garde du divin Pasteur, elle se hâtait, vers l'église pour assister au Saint Sacrifice.

Sans doute, remarque 1,ouis Veuillot, une telle conduite eût été blâmable en beaucoup d'autres, et ceux-là ont une dévotion mal entendue qui, pour la satisfaire, négligent les devoirs de leur état. Mais de la part de Germaine ce n'était qu'une obéissance prompte et abandonnée à l'inspiration de Dieu. Elle savait qu'aucun accident n'arriverait à son troupeau et que 1e bon Dieu le garderait en son absence.

Et c'est ce qui arrivait. Les hèles laissées seules couraient plus d'un péril. Pourtant jamais de brebis égarées ou bien dévorées par les loups de la forêt ; jamais le moindre dommage causé aux pâturages ou aux champs voisins. La quenouille fixée en terre repoussait les carnassiers rôdeurs, maintenait le troupeau dans le pacage. Sans doute, la conduite de la bergère exposait celle-ci aux reproches et aux menaces de sa belle-saur, mais elle ne fut pas modifiée car Dieu l'inspirait, et d'ailleurs, dans le village, pas de brebis plus florissantes et plus belles que celles de Germaine Cousin.

Pour arriver jusqu'à l'église, la fille de maître Laurent devait traverser un ruisseau, le Courbet ; en temps de sécheresse, elle le passait à gué ou en at.ilisant quelques grosses pierres. A l'époque des pluies ou des orages, le filet d'eau devenu torrent offrait en dehors des passerelles une barrière quasi infranchissable pour l'enfant.

Or, un matin qu'elle se rendait à la messe, Germaine rencontra cette barrière mouvante et dangereuse. Des paysans la regardaient venir de loin, prêts à s'amuser de la déconvenue de a la bigote o ; lotit absorbée clans le recueillement et la pensée de Dieu, la jeune fille marchait d'un pas tranquille, et nullement inquiète de

l'obstacle placé sur sa route. Sans ralentir et sans hésiter, elle posa le pied sur les eaux torrentielles ; aussitôt le courant s'immobilisa ; un couloir s'ouvrit entre deux murs liquides ; Germaine y passa sans mouiller seulement le bas de sa robe, de son allure coutumière

Deux paysans s'étant cachés pour jouir de la déconvenue de sainte Germainela voient traverser un ruisseau à pied sec.

à la fois calme et rapide, comme si du miracle elle n'avait rien vu on croit communément que plus d'une fois Dieu suspendit le cours du torrent pour ne pas interrompre la prière de la pieuse vierge. Les paysans moqueurs furent saisis de crainte devant le prodige qui. Venait de se produire sous leurs yeux.

I I ô'15 JUIN

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SAINTE GERMAINE COUSIN I19Un modèle de charité : des fleurs miraculeuse dans un tablier.La. pauvre bergère de Pibrac aimait. Dieu de toute son âme : à cause_ de cela elle aimait

sincèrement les enfants et leur rendait tous, les services possibles. Si elle ignorait tout des sciences humaines et profanes •jusqu'àà la lecture, elle connaissait fort bien le catéchisme ett les obligations du chrétien. On-n la voyait réunir les petits pitres ou les enfants des alentours pour leur apprendre, les vérités de la, religion, les prières usuelles ; ellee leur recommandait- d'aimer Dieu,,

de fuir le péché, de. se garder des mauvaises compagnies. A l:'au-c moue du pain spirituel, la catéchiste joignait celle du pain corporel ::

n'ayant même pas le nécessaire pour elle-même, elle partageaitt encore avec les miséreux le maigre morceau: de painn qu'elle recevait chaque jour pour sa subsistance. Il est à croire que Jésus devait multiplier ce pain,- tant la charitables jeune fille soulageait d'indigents. Sa belle-sceur la soupçonna et l'accusa dee voler à- laa maison le pain donné en. aumône. Elle la surveilla. Avertie un jour d'hiver que Germaine avait quitté la métairie avec dess restess de pain dans son tablier, elle la rejoignit au pâturage, bien décidée à la corriger sévèrement, àà coups de bâton. Quelques habitants avaient entendu les accusations et less propos menaçants de cette femme en colère. Ils la rejoignirent bien vite afin de l'empêcher de maltraiter l'orpheline. Celte dernière essuya les reproches les plus violents de sa terrible belle-sœur qui- finalement,. comme preuve convaincante qu'elle disait vrai, déplia violemment le tablier recèlent. rtu grand étonnement de tous, il en tomba des fleurs belles et fraîches ; jamais on n'eni avait vu de pareilles et la saison des fleurs était passée depuis longtemps.

Une fois de plus,, le miracle avait justifié la vertu de l'humble et pauvre bergère Onn en parla beaucoup clans Pibrac. Il valut à Germaine une déférence plus af-fectseuse de ta part de ses compatriotes et, un traitement plus humain clans la maison fraternelle : lluguess et sa femme lui- offrirent dès lors au foyer domestique la place qu'on lui avait refusée jusque-là, mais la jeune fille voulut conserver et son emploi- et le misérable réduit qui lui servait de chambre.

L'envol d'une âme virginale pour le ciel.Maintenant quee son éminente vertu était reconnue, Germaine aurait moins à souffeir ; mais

précisément c'était un signe que sa destinée et sa mission sur la terre étaient accomplies. L'heure de la délivrance et de la joie dans la récompense avait sonné. La bergère de Pibrac mourut comme elle avait vécu, tout simplement. C'était au mois de juin de l'an 10or. Un soir, après avoir rentré son trou peau, elle se coucha sur les sarments. Le lendemain matin, on ne l'aperçut pas à l'heure coutumière : cri la trouva morte ; pendant la nuit, elle s'était endormie d'ans le Seigneur. Elle avait vingt-deux ans environ, Un prêtre en voyage, passant aux environs de Pibrac, la nuit où Germaine mourut, vit au-dessus de la métairie des Laurent

Cousin un cortège lumineux quii remontait au ciel après s'être arrêté sur la ferme et y avoir pris l'âme rayonnante de la bergère. A la même heure, deux moines abrités non loin de là. dans les restes d'un vieux castel virent un spectacle à peu près semblable..

Toute la paroisse assista aux funérailles. Dans le cercueil, on donna à la jeune fille une parure virginale : sur sa tête, onmit une couronne tressée d'épis de seigle et d'oeillets, dans ses mains jointes, un cierge en forme de croix ; on enveloppa le corps d'un drap blanc piqué de feuilles vertes et de fleurs des champs. La bière ne portait aucun signe distinctif, aucune inscription : la tombe, probablement celle où maître Laurent avait été inhumé par privilège, se trouvait à l'intérieur de l'église paroissiale, en face de la chaire. On y déposa le corps de Germaine, qu'on couvrit d'une dalle. Les fidèles ne tardèrent pas à. oublier la douce et vertueuse bergère : son souvenir disparut peu à peu, à mesure que mouraient les contemporains ou les membres de la famille.

La résurrection d'un souvenir : un tombeau glorieux,les honneurs des autels.

Dieu n'oubliait pas, et il avait fixé la date de la résurrection miraculeuse du souvenir. En 1044, le fossoyeur de Pibrac soulève la dalle située près de la chaire, dans l'église, car une parente des Cousin, Endoualle, a demandé à être enterrée là, à l'emplacement réservé à sa famille. Or, avec sa

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bêche, Guillaume Cassé, tout surpris, heurte et érafle le visage d'une morte dont le corps repose presque à fleur à terre. Dégagé, ce corps a l'aspect d'un cadavre fraîchement enfoui : les membres sont intacts, réunis, entourés de chair encore molle à plusieurs endroits ; la langue est desséchée ; le cou porte des cicatrices résultant de plaies, la main droite est un peu difforme ; les linges et. le linceul soit bien conservés ainsi que les fleurs et les épis de seigle, aussi frais qu'au jour de la moisson. 'l'eus les anciens (le la paroisse retrouvent dans cette morte Germaine Cousin qu'ils connurent ,jadis et qui fut enterrée à cet endroit quarante-trois ans plus tôt. Ils racontent sa vie et parlent de ses vertus que Dieu lui-même semblait attester par la conservation de ses restes mortels.

Le corps fut placé debout, près de la chaire, afin que tout le monde pût le voir. On le déposa ensuite en une caisse de plomb, dans la sacristie, où on le vénéra pendant plus d'un demi-siècle : il y fut l'instrument ou l'occasion de miracles nombreux et éclatants. Sous la Terreur, on le jeta dans une fosse avec de la chaux vive quand on le replaça à la sacristie en 1795, les chairs avaient disparu, mais la peau continuait à recouvrir les os et le corps restait entier. On le vénère aujourd'hui dans une châsse précieuse. Près de deux siècles après les enquêtes canoniques faites en 1061 et 1699, le procès de canonisation fut repris avec succès, à la demande de la population et d'une trentaine d'évêques, aux environs de 18lia. La cause fut introduite à Borne, sous Grégoire XVI, le 25 juin 1845. Dès lors, la marche du procès est rapide : déclaration de l'héroïcité

12( 15 JUINdes vertus en i85o ; approbation des miracles en 1853 ; béatification, le 7 mai 1864, sous le.

pontificat de Pie IX. Le même Pape canonisa la servante de Dieu le 29 ,juin 1867, en même temps que saint Josaphat Kuncewicz, les martyrs de Gorcum, saint Paul de la _Croix, saint Léonard de Port-Maurice et sainte Marie-Françoise des Cinq-Plaies. Cette canonisation, la plus importante des deux seules cérémonies de ce genre que devait voir le pontificat de Pie IX, revêtit un éclat exceptionnel, car elle se fit en présence de plus de quatre cents évêques réunis à Bonne pour célébrer le dix-huitième centenaire de la mort du Prince des apôtres.

Le culte de la bergère de Pibrac n'est pas limité aux divers diocèses (Toulouse, Auch, Montauban, etc.) de la région Sud-Ouest de la France ; il s'épanouit aussi en diverses autres régions ou nations ; en Chine, en Amérique, en Afrique, à Ceylan. Non loin de l'église paroissiale de Pibrac on a construit une basilique en rapport avec l'affluence considérable des pèlerinages : la maison natale de sainte Germaine Cousin rappelle aux visiteurs la pauvreté, la patience et l'humilité héroïques de la fille de maître Laurent.

F. CARBET.Sources consnlUes. - Mgr PAUL GuEn,N, Les Petits Rollandisles, t. VII (Paris,xu Ln.+ v ~.ANç s nias eUi eoi, Germaine Sainte 1927). - ousin, collection Les Semis (Paris). -Chan. P. auunm~ze, Sainte Germaine de PiBroc (l'oulouso). - (V. S. 13. P., n° y,.)PAROLES DES SAINTSDieu en nous.

Si quelqu'un veut savoir par sa propre expérience si Dieu, qui est admirable dans ses Saints, selon le témoignage de l'Ecriture, habite en lui, qu'i! sonde le fond de son cour par un sérieux examen, et qu'il recherche exactement, sans se flatter, avec quelle humilité il résiste à l'orgueil, avec quelle sincérité d'affection et de bienveillance il étouffe les mouvements de l'envie, quel mépris il fait des louanges des flatteurs, quelle joie il ressent du bien qui arrive à son prochain ; s'il n'est point porté à la vengeance, s'il ne se plaît point à rendre le mal pour le mal, et s'il aime mieux oublier plusieurs injures que d'effacer (le son coeur l'image de Dieu, qui peut attirer tous les hommes à sa connaissance par la distribution générale de ses (Ions, fait tomber la pluie sur les justes et les injustes, et luire son soleil sur les bons et sur les méchants ; enfin, pour ne point faire une plus longue et plus ennuyeuse discussion, qu'il entre dans le plus secret de son intérieur, et qu'il examine si la clmrité. qui estt la mère des vertus, y règne ; et s'il trouve qu'il aime Dieu et le prochain de tout son cour, en sorte qu'il soit aussi content du bien qu'on fait à son ennemi que du sien propre, qu'il

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s'assure qu'il a, dans son coeur, Dieu qui le gouverne et qui y fait sa demeure.Saint Léon fer.Le support des injures.

Meilleure est la tristesse de celui qui supporte l'injustice que l'allégresse de celui qui la commet.Saint AUGUSTIN.SAINTS FERRÉOL et FERJEUX

Apôtres de la Franche-Comté (t vers 212)Fête le iG) juin.NE tradition ancienne de l'Eglise de Besançon est que saint Lin, successeur immédiat de saint

Pierre apporta 1 e Pt'emieu dan cette cils le le flambeau de la foi. Elle est fortifiée par l'existence d'une semblable tradition à Bolterra,

pays d'origine du Pape saint Lin, et par les termes dont se sert le Pape saint Innocent 1e1', dans une décrétale de l'an 416, disant que toutes les Eglises d'Espagne, des Gaules et d'Italie ont reçu la foi de saint Pierre et de ses disciples, et qu'aucune ne l'a reçue d'un autre apôtre. Toutefois, on admet plus volontiers maintenant que saint Lin, qui évangélisa la ville de Vesorttio, actuellement Besançon, n'a rien de commun - sauf le nom - avec l'évêque de Rome, et que. les premiers apôtres de cette région, qu'on appelait la Séquanie, furent les saints Ferréol et Ferjeux.

Les deux Saints évangélisent la Franche-Comté.Ces deux missionnaires que nous trouvons à Besançon aux environs de l'an 18o étaient-ils

d'origine grecque ou galloromaine P On ne sait. Plusieurs croient qu'ils étaient frères ; en tout cas, ils étaient liés d'une antique affection. Ensemble ils avaient étudié les saintes lettres à Athènes et à Smyrne où ils connurent saint Polycarpe; ensemble ils avaient répondu à l'appel de saint Irénée, évêque de Lyon, réclamant, de son propre pays, des auxiliaires pour combler les vides creusés dans les rangs des mission. naires par les a boucheries de martyrs a accomplies à Lyon.

Less auteurs ne sont pas d'accord sur le degré qu'occupait dans la hiérarchie le chef de la mission, Ferréol ; trompés par le titre de u prêtre a dont on le désigne dans les plus anciens textes, ils lui ont refusé le caractère épiscopal et ont oublié qu'à cette époque

1226 JUIN

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SAINTS FERRFOL ET rsRJEUx123reculée, ce titre indiquait la plénitude du sacerdoce, c'est-à-dire l'épiscopat. Les critiques

modernes sont même allés plus loin visà-vis du diacre Ferjeux. Se fondant sur la similitude partielle des noms latins (Ferreolus et Perruccius) des deux apôtres, ils ont voulu nier l'existence de l'un d'eux.

Une telle affirmation est contredite, soit par l'examen des textes les plus anciens, comme le Martyrologe hiéronymien, soit par la tradition de, l'Eglise de Besançon et l'étude do sa liturgie à l'époque la plus reculée.

Lorsque Ferréol et Ferjeux gagnèrent Besançon, prenait fin le règne de Marc-Aurèle, à qui succéda Commode. Ils y entrèrent modestement, comme Pierre et Paul à Bome,, demandant sans doute comme eux leur pain quotidien à un labeur assidu, et réunissant de nuit les personnes qu'ils avaient converties.

Mais le démon lui-même se chargea de publier la venue de ces terribles adversaires. Les oracles se turent ; les entrailles des victimes annoncèrent de funestes présages ; les prêtres des idoles, troublés, entrent que les dieux en courroux refusaient l'encens qu'on leur offrait. La sagesse humaine se, déconcerta en présence d'événements dont on ignorait la cause.

Non loin de Besançon, de l'autre côté du Doubs, une caverne, défendue par des buissons épais, offrait aux deux envoyés de saint Irénée une retraite et un sanctuaire. Là, ils devenaient les ministres du Très-Haut ; là, les nouveaux convertis, se glissant dans l'ombre, venaient participer aux divins mystères.

Ainsi, durant environ vingt ans, Ferréol et Ferjeux travaillèrent avee`Une tranquillité relative à la conversion de la capitale des Séquanes. Leurs premières conquêtes avaient été d'abord, comme partout, des pauvres, des esclaves, des déshérités de tous genres. Mais bientôt l'Evangile attira à lui des gens d'une condition plus élevée. De même qu'à Borne il pénétrait clans le palais des Césars, de même à Besançon les apôtres eurent un jour la joie d'amener au vrai Dieu la propre femme du préfet de la Séquanie, laquelle se nommait Paule.

Le martyre.L'avènement de Septime-Sévère, en 1g6, vint apporter le trouble dans l'apostolat de Ferréol et

de Ferjeux ; l'édit impérial dirigé contre les chrétiens et promulgué en l'an zoz força les deux mis-sionnaires à se dissimuler autant que la chose était possible ; la situation des chrétiens ne fit qu'empirer en zo8, lorsque l'empereur passa par Vesontio pour se rendre en Grande-Bretagne, où il allaii trouver la mort à Eboracum (York).

Tous les hauts fonctionnaires des régions voisines vinrent le saluer. Le préfet de la Séquanie, Claude, fit de même ; peut-être gardait-il rancune aux deux apôtres de Besançon de ce que ceux-ci avaient détourné sa femme du paganisme, ou bien encore, pris de peur, craignait-il de se montrer trop tiède vis-à-vis des chrétiens aux yeux du pouvoir central ; toujours est-il qu'une fois do retour

à Besançon, Claude s'autorisa de l'exemple de Cornelius pour se persuader qu'il n'était pas besoin d'un nouvel édit pour persécuter les disciples du Christ. Il n'attendit peut-être même pas d'être revenu à Besançon pour mettre son projet à exécution, car, dans la « Prose n des saints martyrs, document qui remonte, an moins au temps de Charlemagne, le magistrat qui les condamna est appelé Aurélien. Probablement, le préfet avait-il envoyé des ordres à un subalterne.

Saisis dans leur grotte et. chargés de chaînes, Ferréol et Ferjeux sont jetés dans une prison située à l'extrémité d'une voie qui fut appelée d'abord le vicus Ma.rtyrum, puis rue des Martelots, c'est-à-dire « des Martyrs », à l'endroit oit s'élève l'église des Smurs de la Charité. On les en tire pour les conduire au « Capitole n ou tribunal, qui se trouvait alors au centre de Besançon ; on leur reproche leur doctrine, la sainteté et l'innocence de leur vie. Le juge ordonne divers supplices : on déchire les apôtres avec des ongles de fer, puis, comme ils ont peut-être, parlé de Jésus couronné d'épines, on plante une véritable couronne de clous dans leur tête vénérable.

Ferréol et Ferjeux ne cessent cependant, au milieu des supplices, de profiter (le l'auditoire extraordinaire qui les entoure pour enseigner la vraie foi. En vain Aurélien leur fait arracher la langue ; Dieu permet que leur voix n'en soit pas moins sonore. Aurélien « grince des dents comme

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une vipère s, et, reconnaissant son impuissance, donne l'ordre de décapiter les martyrs,Certains croient que l'exécution des deux témoins du Christ eut lieu aux Arènes, sur la rive

droite du Doubs. Ferréol et Ferjeux s'agenouillent pour recevoir le coup fatal ; ils ont les yeux élevés vers le ciel et recommandent à Dieu la chrétienté naissante. Déjà les anges, avec des choeurs d'allégresse, les reçoivent dans la terre des vivants. C'était le 16 juin, aux environs de l'an zlz.

Découverte providentiel e des reliques.Une légende assez moderne rapporte que les martyrs se relevèrent et transportèrent leur tête à

quelque distance.Dans les documents anciens, il n'est pas question de ce miracle, qui semble donc devoir être

rejeté comme légendaire. Cependant on représente communément saint Ferréol et saint Ferjeux tenant leur tête entre leurs mains. C'est là une application d'un usage constant dans l'iconographie du moyen âge pour représenter les martyrs décapités.

Nous savons par le Martyrologe hiéronymien qu'avec les deux apôtres furent mis à mort des chrétiens, mais nous ignorons quel fut leur nombre. Des disciples, échappés au massacre, vinrent dans le plus grand mystère recueillir pieusement les corps des saint Ferréol et Ferjeux. Ils les transportèrent de nuit et les ensevelirent dans leur grotte.

Soit que l'entrée de ce sanctuaire ait été bouchée par les païens au cours d'une persécution plus violente, soit que les chrétiens euxmêmes aient voulu la dissimuler, on ne tarda pas à perdre le son-venir du fait. Or, le 5 septembre de l'an 37o, d'après Grégoire de

UN SAINT POUR c2AQUE JOUE DU MOIS, S' SÉRIE (JUIN)a124 16 junTours, un tribun militaire qui poursuivait à la chasse un renard vit soudain l'animal disparaître

au milieu des broussailles. Il fit arracher les plantes sauvages et découvrit l'entrée d'une caverne. Ainsi, par un providentiel hasard, il se trouva en présence du sépulcre des saints Ferréol et Ferjeux.

L'évêque, Aignan ou Agnan (370-374), aussitôt averti, ouvrit le sarcophage et y trouva les ossements des martyrs ; des clous qui avaient été enfoncés dans leurs têtes se retrouvèrent parmi les précieux restes. L'évêque transféra les reliques des deux Saints dans la cité et les déposa dans son église métropolitaine.

Mais cette translation n'était que provisoire ; saint Aignan s'empressa, vers 372, d'élever une église sur la crypte même où avaient reposé les reliques, et, dès qu'elle fut achevée, il les déposa dans un tombeau d'albâtre sur lequel étaient sculptées leurs effigies.

Confié par le saint évêque à la garde de clercs réguliers, qu'il institua à l'exemple de ceux que son prédécesseur, saint Just (j- 366), avait établis dans sa cathédrale, le sanctuaire des saints Ferréol et Ferjeux devint bientôt célèbre par les miracles qui s'y accomplis saient. Le récit de Grégoire de 'fours nous rapporte, par des faits dont il fut un témoin des mieux qualifiés, qu'on y accourait de l'Auvergne, et qu'on attachait le plus grand prix aux herbes et fleurs sauvages qui poussaient dans la sainte grotte, et dont l'efficacité miraculeuse avait plusieurs fois été constatée dans les maladies.

Le culte des apôtres bisontins devint célèbre au loin. Dès le temps de sàint Germain, un autel était érigé en leur honneur dans l'église métropolitaine de Paris.

Comme les cryptes vaticanes pour les successeurs de saint Pierre, la grotte des saints Ferréol et Ferjeux servit de lieu de sépulture à la plupart de leurs premiers successeurs. Mais la ville de Besançon ayant été saccagée par Attila, et ses évêques ayant dû, pendant plus de cent ans, fuir leur ville épiscopale détruite et transférer leur siège à Nyon, sur le bord du lac de Genève, le sanctuaire des saints Ferréol et Ferjeux, délaissé, tomba peu à peu en ruines.

Les désordres des vine et Ix° siècles ne firent qu'augmenter la désolation de ce lieu vénérable. Mais, au milieu du xie siècle, l'archevéque Hugues de Salins, dit a le Grand n, eut à coeur de réédi-fier le sanctuaire (le ses prédécesseurs. Il releva l'église, et, pour éviter que les précieuses reliques ne fussent dérobées, ainsi qu'on l'avait tenté plusieurs fois, il en transporta la plus grande partie dans la cathédrale Saint-Jean, les déposant sous l'autel dédié à la Très Sainte Vierge. Cette translation se fit très solennellement le

3o mai 1o63.Fn 1246, le 2 septembre, l'archevêque Guillaume de la Tour plaça les reliques dans des châsses

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de bois doré, en même temps qu'il en distribuait une partie à diverses églises.Deux siècles plus lard, le 31 mai 1421, par les soins de l'archevêque Thiébaud de Rougemont,

une partie des reliques vénérées à l'église métropolitaine fut transférée en l'église de l'abbaye de Saint-Vincent. Ce sont ces ossements qui furent sauvés à l'époque de la Révolution

Le sarcophage des saints Ferréol et Ferjeux providentiellement retrouvé.par le zélé Fr. Maur, sacristain de l'abbaye ; après la tourmente ils furent restitués à l'église

Saint-Vincent, devenue l'église paroissiale Notre-Dame, par l'intermédiaire de Mgr de Chaffoy, vicaire général, qui en fit la reconnaissance.

De son côté, la cathédrale Saint-Jean continuait à garder des reliques importantes, que l'archevêque Antoine de Vergy déposa en 153(

dans une lourde châsse d'argent.Protection des Saints au XVIe siècleLa seconde moitié du xvle siècle et la première moitié du xvue furent pour la Franche-Comté

une époque désastreuse. LesSAINTS EERRI'lOL ET Peureuxiab

3 .._.7~4y L>1266 JUINSAINTS r1:RR~OL ET FRRJRUx 127efforts des huguenots contre ce pays où la foi était si bien implantée, les intérêts qui poussaient

la France à arrondir sa frontière du côté de l'Est, amenèrent une série de désastres et de fléaux dont l'histoire offre peu d'exemples. Un des premiers épisodes de ces luttes est marqué par la protection dont saints Ferréol et Ferjeux couvrirent la ville de Besançon. Dès le début du protestantisme, les hérétiques avaient fait de grands efforts pour gagner la FrancheComté ; mais, bien qu'ils fussent les maîtres à Montbéliard et en Suisse, bien qu'ils fussent tout-puissants en Bourgogne et en Alsace, ils n'avaient pu parvenir à entamer cette province. fout au plus étaient-ils arrivés à recruter dans quelques centres, et en particulier à Besançon, un certain nombre d'adeptes ; mais le soin vigilant des magistrats civils n'avaitt pas laissé s'étendre la contagion ; on avait interdit les prédications, et ceux qui propageaient les nouvelles doctrines avaient été bannis.

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Quelques hérétiques plus ou moins avoués avaient pu rester en paix chez eux à condition de ne pas faire de prosélytes ; ils étaient d'ailleurs peu nombreux. Les bannis mirent néanmoins 1 profit ces intelligences ; ils s'allièrent aux Bernois et aux Montbéliardais, et, en 1575, ils tentèrent contre la cité un coup de force à main armée.

Usant de ruse, ils parvinrent à se glisser de nuit dans Besançon. Le tocsin, sonné par un vigneron de Battant, réveille les bourgeois endormis; on court aux armes, mais déjà les huguenots se sont répandus dans la ville ; ils commencent à piller et à tuer. En hâte, une troupe se range en bataille dans la grand'rue ; les magistrats et l'archevêque lui-même marchent à sa tête. Contre toute espérance, l'envahisseur est acculé aux remparts. D'assiégeants devenus assiégés, les huguenots cherchent à fuir ; la herse de la porte par laquelle ils avaient pénétré a été baissée. Beaucoup se jettent dans le Doubs, les uns y périssent, les autres se sauvent à la nage ; ceux qui échappent sont tués dans le combat ou saisis les armes à la main, jugés par les tribunaux ordinaires, condamnés cōmme rebelles et pendus.

Besançon n'hésita pas à attribuer sa miraculeuse délivrance à la protection de ses saints apôtres dont on fêtait alors l'octave. Certains prétendirent même avoir vu, au cours de la lutte, une appa-rition lumineuse des saints Ferréol et Ferjeux qui, l'épée à la main, chargeaient les assaillants. La ville reconnaissante institua une procession solennelle et une fête du souvenir. Aujourd'hui encore, on célèbre, le 21 juin, dans le diocèse de Besançon, une fête avec office propre : De la cité délivrée de l'attaque des hérétiques. Et l'on s'efforce de donner à cette commémoration annuelle tout l'éclat possible.

Le sanctuaire des deux Saints aux temps modernes.La période suivante fut plus désastreuse encore ; elle fut marquée pour la Franche-Comté par la

guerre dite de Dix-Ans, durantlaquelle Français et Suédois mirent à feu et à sang tout le comté,sans parvenir du reste 'à en conquérir une parcelle.Dès le début des hostilités, pendant que le prince de Condéassiégeait Dole, capitale du pays, une troupe de cavaliers incendial'église des Saints-Ferréol et Ferjeux. Mais quelques jours auparavant, le 12 juin, l'Abbé• de

Saint-Vincent de Besançon, sous la dépendance de qui était le prieuré, avait eu la prudence de trans-férer en son abbaye celles des reliques qui, au xv' siècle, avaient été laissées dans la grotte.

Les guerres continuelles, la peste, la famine, avaient pour effet de retarder la réédification du sanctuaire. Malgré les indulgences accordées par, les Papes, on n'osait même pas s'aventurer hors ales murailles. Ce ne fut que vingt années plus tard que l'église fut réédifiée, et encore dans des conditions très modestes.

Durant la Révolution de I7g3 on chassa les Bénédictins qui la desservaient et elle servit exclusivement au ministère paroissial du village qui s'était depuis longtemps formé autour d'elle et qui porte encore le nom de Saint-Ferjeux. A cette époque presque toutes les reliques vénérées à Besançon furent profanées et détruites par les bandes jacobines. Au rétablissement du culte on ne retrouva plus aucune relique des saints Ferréol et Ferjeux, cri dehors de celles qu'on vénérait à l'église Saint-Vincent. Ce sont celles qu'on possède

encore de nos jours, et qui furent depuis partagées entre divers sanctuaires.En 18lig, le choléra envahit une partie de la Franche-Comté et y exerça de terribles ravages.

L'archevêque de Besançon, depuis cardinal Mathieu, publia un mandement pour demander desprières et pour mettre le diocèse et la ville archiépiscopale sous la protection de Notre-Dame de Gray, et des deux apôtres de la contrée, les saints Ferréol et Ferjeux, La ville de Besançon fut épargnée et peu après le choléra décrut d'intensité et disparut.

Le prélat s'acquitta de son veau en donnant une magnifique statue d'argent au sanctuaire de Notre-Dame de Gray, et en offrant à l'église cathédrale de Besançon une châsse en vermeil, enrichie de pierres précieuses et dans laquelle furent renfermées les reliques insignes de saint Ferréol et de saint Ferjeux.

La basilique qui s'élève actuellement sur le tombeau des deux Saints a été commencée dans le dernier quart du xixe siècle, en accomplissement d'un voeu fait par le cardinal Mathieu pendant la

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guerre de 1870, si sa ville archiépiscopale était préservée de l'invasion allemande. Achevée au début du xxe siècle grâce au zèle de Mgr Marquiset qui fut curé de Saint-Ferjeux de I8g4 jusqu'à sa mort, survenue en igog, elle a été érigée en basilique mineure par Bref du 8 mars Igl2, et a reçu le titre de collégiale le 2o mai suivant. Mgr llumbrecht, archevêque de Besançon, l'a consacrée le 2 juin 1925.

Sur l'une des hauteurs qui dominent Besançon l'on peut admirer ce bel édifice (le style romano-byzantin, couvre de l'architecte Ducat, continuée par Simonin.

128 16 JUINLa lumière, qui prend à travers les vitraux des tons de topaze et de béryl, enveloppe les

colonnes de la nef aux chapiteaux délicatement fleuris, et adoucit la coloration rougeâtre des pierres du choeur, où survit le lointain reflet du sang jadis versé.

En bas, dans la crypte, très vaste, à double autel et élargie encore par les chapelles absidiales, c'est l'ombre propice aux oraisons, aux évocations. Sur la gauche, des fragments de roc esquissent leurs contours irréguliers. Ces vestiges (le la crypte antique, conservés avec soin, ont formé la pierre angulaire du temple nouveau. Et c'est une belle pensée. L'autel des sacrifices s'incruste en leur force durable; le passé est lié au présent, par le puissant trait d'union d'un culte fidèle.

Dans l'église supérieure, comme dans l'église souterraine, on voit, reproduite, ici et là, sur les murs revêtus d'ex-voto dans la transparence multicolore des vitraux, l'image traditionnelle qui perpétue le souvenir des deux martyrs ; côte à côte, ils sont debout dans leur' costume religieux ; chacun d'eux tient en ses mains sa tête coupée que remplace, sur le col, une confuse circonférence, au contour d'auréole... ou d'hostie.

Sceaux et blasons du temps sont frappés à cette double effigie qu'on retrouve également sur les plans anciens de la ville, sur les étendards, ler missels, ainsi qu'en témoignent les objets conservés au musée ou à l'hôtel de ville de Besançon. Et la devise de l'archaique cité : Utinain, correspond bien au cri (te foi que traduisent la vie et la mort des insignes confesseurs du Christ.

Si le nom de saint Ferjeux, à cause du village qu'il désigne, est devenu plus répandu que celui de saint Ferréol, son compagnon, tous deux sont néanmoins vénérés au même titre dans le pays.

Et il suffit d'assister aux pèlerinages qui, non seulement à la mi-juin, mais durant tout le cours de l'année, montent vers la claire et imposante basilique, pour constater de quelle dévotion reconnaissant, les Bisontins honorent les protecteurs (le leur vieille cité. (LYA BEROBrt.)

Les saints Ferréol et Ferjeux ont été choisis pour patrons par les marchands de Besançon, et leur confrérie, érigée dans l'église des

Cordeliers, fut approuvée le 2,8 avril r(io8 par Mgr de Rye; elle fut transférée à l'église Saint-Pierre en 578f. La ville de Besançon, par l'intermédiaire de sa municipalité, revendiqua un pareil honneur- qui lui fut accordé. D'autre part, dix-huit paroisses du diocèse

honorent spécialement les deux martyrs qui leur ont été donnés pour titulaires.En d'autres régions, notamment en Suisse, les Saints sont également l'objet d'un culte particulier

; en Bourgogne, le nom de Saint-Fargeau n'est lui-même qu'une déformation du nom de l'un des martyrs.

A. PIDOUX.Sources consultées. - Acta Sanctvruin, t. III de juin (Paris et Rome, ,869). -Anaieete, Bollendimm, t. I. - Gn4corna ne Toues, Le gloria Mertyrurn, III. - Commandant Biné

Suuucue, Les erchevéques de Besançon (Besançon, ross). - Sunrus, Vilac Sanetorum, t. VI. - 1uuvnronr, Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique, t. III. - Cailla Chrisliane, I. XV. - Vies des Saints de PraneheComté, par les professeurs du Collège Saint-François Xavier (le Besançon, t. I (Bossançqn, i86/r). - Rmnmm, Histoire du diocèse de l3esurtçon (18,7), t. I. - Lrn B..osa, article paru dans la Croix du 12 juin rglo. - (V. S. B. P., n' i/,Se.)

iSAINT HERVÉMoine et Abbé en Bretagne (Vle siècle).

Fête le 17 ,jttin.L ss légendaires ont tissé, autour de saint Hervé ou Houarn - en latin Heruaeus ou Iluvarnus, -

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un réseau de faits merveilleux, La relation principale en paraît être la Vie Latine écrite au xnl° siècle sur un fond ancien du n° siècle et peut-être même antérieur, croit M. de La Borderie. Sur ce fond authentique se sont juxtaposés des récits de tradition populaire, au-dessus desquels plane, grave et sereine, la belle figure du moine aveugle. Avec les auteurs, qui déjà y ont recouru, nous essayerons, en cette courte étude, sans Prétendre résoudre tous les problèmes historiques qui peuvent s'offrir, de dégager les événements les plus marquants de la vie de saint IIervé.

Naissance de saint Hervé,Hervé naquit vers le milieu du vie siècle, en Bretagne continentale, non loin de Plouzévédé, de

la brève union du barde Hoarvian on Huvarnion et de Rivanone. Hoarvian, émigré breton, fuyant devant l'invasion saxonne, après avoir charmé « de ses chansons nouvelles, mises sur des airs que l'on n'avait jamais entendus n, la cour (lu roi franc Childebert, avait décidé de regagner son île loin-taine pour y mener la vie cénobitique. Gomme cependant il désirait connaître auparavant la Bretagne du continent, Childebert le recommanda à Conomor, son préfet en Bretagne ; ce titre, pas plus que ceux de consul et de patrice conférés à Clovis par Byzance, n'impliquait pour le bénéficiaire d'autre reconnaissance que celle d'une primauté du donateur. Le roi priait, en outre, le chef breton de procurer au barde le vaisseau sur lequel il repasserait la mer.

Tandis que Hoarvian reposait sous le toit de Conomor, il eut la vision d'une jeune fille qui, chantantt des psaumes, puisait de l'eau

1pRe

0e'rte14 Nlo130 17 JUINà une fontaine. Au réveil,, lee barde s'humilia de ce rêve si peu conforme, àà son vceu de

chasteté ;; mais, le soir venu., il en fut à noieveau• obsédé. Alors, il pria, le Seigneur de l'éloigner de son esprit, ou de lui en donner la clé. Et voici que, la nuit suivante, un ange lui apparut et lui dit : «. Hoarvian, le Seigneur connaît ta résolution de rester pur de tout; amour humain. Cette jeune fille que tur as vue en songe, et qui s'adonne à la, réeitution des psaumes, elle aussi a fait le même voau que, toi. Mais Dieu enn a disposé autrement, et c'est lui qui te fait connaître cette enfant. Elle s'appelle Rivanone. Tu- l'a rencontreras demain, air bord, de la voie royale que vous allez suivre. Ne crains pas de la prendre pour épouse. De votre chaste union naîtra un enfant qui sera un grand serviteur de Dieu. »

Le lendemain, Hoarvian s'étant confié à son hôte, celui-ci se mit aussitôt en route avec lui. Au bord de la voie royale qu'ils suivaient, là où s'élève la chapelle de Landouzan, était une fontaine. Penchée sur ses bords, une jeune fille y puisait de l'eau, tout en psalmodiant d'une voix pure les versets sacrés. Interrogée, elle déclara s'appeler Rivanone, et vivre chez son frère Rioul. Celui-ci, consulté, accorda au barde la main de sa sceur. Incontinent fut béni le mariage.

Au matin, Hoarvian apprit à sa jeune épouse le message de l'ange. Rivanone ne l'ignorait pas ayant, de son côté, vu en songe l'homme à qui l'ordre céleste lui imposait de sacrifier sa virginité. Peut-être mal résignée encore à la perte de ce trésor, inquiète aussi, pour ce fils qui devait naître, des dangers du monde, elle formula l'étrange souhait qu'il naquît aveugle.

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Plus humain, 1-Ioarvian s'effraya d'un tel voeu : « 0 femme, s'écria-t-il, n'est-cee pas cruel pour une mère de demander que son enfant soit privé de la lumière du jourP Mais s'il doit eni être ainsi, je demande, de mon côté, au Dieu tout-puissant, que cet enfant, dès ici-bas, ait la vision des splendeurs célestes. Et pour que ma prière soit exaucée, je renonce, dès maintenant, à toutes les vanités de ce monde, pour ne servir que Dieu seul le reste de mes jours. n

Ayant dit, il partit, sacrifiant la joie de voir, sur terre, ce fils qui naquit aveugle, selon le souhait de sa mère. L'enfant reçut au baptême le nom d'Hervé, synonyme d' a amer n. Dès que la chose lui fut possible, Rivanone, elle aussi, se retira dans la solitude, ayant confié Hervé au moine Arzian.

Elève et maître.AA l'école d'Arzian, que l'onn peut situer aux alentours de Trefaouënan, le petit Hervé, malgré

son infirmité, devint un écolier modèle, appliqué à l'étude des sciences profanes comme à celle des psaumes que sa mère aimait àà chanter, et que, dès sa plus tendre enfance, elle lui avait rendus familiers. Parvenu à l'adolescence, Hervé prit congé de son maître Arzian, et accompagné de sonr guide, Guiac'han, se rendit à l'ermitage d'Urfold, en Plouvien.. Ce- faisant, il avait un double but : se mettre sous la direction du pieux solitaire son parent, et revoir sa mère, dont il supposait la retraite à proximité de celle du cénobite.

SAINT 1rnuvil 131L'erm tage d'Urfold, selon la coutume chère à beaucoup d'anachorètes de l'époque, s'ouvrait aux

jeunes gens désireux de s'instruire. Hervé y fut accueilli avec joie, et fit part au parent de sa mère de son désir de la revoir, désir qu'Urfold jugea très légifinie. Aussi s'offrit t il, craignant pour le jeune aveugle les dangers de la forêt, à découvrir lui-même l'oratoire de Rivanone. Ayant confié ses écoliers à Hervé. dont il avait tout de suite reconnu le savoir et la piété, et chargé Guiao'han des cultures de l'ermitage, il se mit en route. Or, durant son absence, il arriva, dit très joliment Albert Le Grand, que « le loup trouva à son avantage n l'âne qui servait aux labours. Hervé; instruit du malheur, se mit en prières, et le font) d'arriver, tout courant, tête basse : « Ne crains rien, dit l'adolescent à Guiac'han affrayé, il ne vient pas pour mal faire, mais pour réparer le tort qu'il a causé. Prends-le, passe-lui le collier d'attelage, et tu t'en serviras comme tir le faisais de l'âne. n De fait, le loup pénitent, comme plus tard, celui de Gubbio, se chargea du travail (le sa victime, en sorte que les terres d'Urfold ne souffrirent point de la substitution. C'est de là sans doute que devaient être attribuées plus tard à saint Hervé la protection des bêtes de trait et la puissance contre les loups, nombreux, à cette époque, dans nos forêts.

Urfold, après avoir erré dans les profondeurs de la forêt, avait enfin découvert Rivanone, non loin de son propre ermitage. Il s'empressa de lui conduire Hervé qui trouva sa mère exténuée de jeûnes et d'austérités, Elle manifesta une grande joie de revoir son fils, et le pria de demeurer chez Urfold tout le temps qu'elle devait passer encore en ce monde. Hervé y consentit volontiers, mais il ne tarda pas à être averti par un ange de la fin prochaine de Rivanone. Il l'annonça à ses frères. La nuit qui précéda le décès, ceux-ci virent dans le ciel, au-dessus de l'oratoire de la recluse, une échelle lumineuse que, chantant les psaumes aimés de Rivanone, descendaient les anges, venus recevoir son âme. Hervé se fit alors couduiēe près de sa mère, laquelle, ayant reçu le saint viatique et donné à son fils une dernière bénédiction, expira doucement.

Le séjour d'Hervé à son ermitage, avait convaincu Urfold de la possibilité de confier définitivement ses écoliers à son jeune, parent, et de satisfaire pour lui-même, dans toute leur plénitude, ses goûts érémitiques. Voilà donc Hervé passé du rang d'écolier à celui de maître. La renommée de ses leçons fut telle que, de tous côtés, accouraient moines et laïques, avides de les recevoir, autant que de se mettre sous sa direction malgré son extrême jeunesse. Trois ans se passèrent de la sorte, au bout desquels, fatigué d'une réputation qui, allant toujours grandissant, inquiétait son humilité, Hervé résolut de planter ailleurs sa tente, suivi de ceux de ses écoliers dé'si-reux de le suivre. Toute la petite colonie s'ébranla à sa suite, pour devenir ce que La Borderie appellera : « une famille cénobitique, formée librement par une sorte de germination spontanée n.

Mais avant d'arriver à la stabilité du monastère, ce fut, pour le maître et ses disciples, la vie errante. Il les entraîna d'abord à la

SAINT nnnvé98

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133132 17 JUINrecherche du tombeau d'Urfold, mort récemment. Longtemps ils parcoururent la forêt sans le

découvrir. Des porchers qu'ils rencontrèrent les y conduisirent enfin, mais l'oratoire, où d'autres ermites, ses frères, avaient enterré Urfold, était déjà détruit par les bêtes saut- . vages. Il ne restait nulle trace de sépulture. A la prière d'Hervé, Dieu permit qu'une suave odeur, s'élevant de la terre entrouverte, décelât le lieu du tombeau, qu'il fit entourer de grosses pierres. Là s'élève aujourd'hui la chapelle Saint-Urfold, paroisse du Bourg-Blanc..

Saint Hervé fonde un monastère.Hervé et sa suite poursuivant leur chemin, se rendirent à Saint Pol-de-Léon visiter l'évêque saint

Houardon. Celui-ci, dans son admiration pour le jeune aveugle, voulut lui conférer les Ordres ; mais par humilité, et aussi sans doute en raison de sa cécité, Hervé n'accepta que les ordres mineurs, celui d'exorciste inclus. Le séjour dans la ville épiscopale ayant pris fin, la petite troupe se remit en route, son chef soupirant désormais après le lieu propice à la fondation du monastère dont il avait entretenu l'évêque Houardon. Il. invitait, avec instance, ses compagnons à prier Dieu de le lui faire connaître, à quoi, fatigués, eux aussi, d'une marche dont ils ne voyaient point le terme, ils acquiescèrent volontiers. Et' comme une soif ardente les dévorait, leur maître fit jaillir, au bord du chemin, une fontaine, connue encore sous le nom de Fontaine SaintHervé. A quelque distance de là. une voix mystérieuse se fit entendre aux oreilles du clerc aveugle : « Repose-toi ici 1 »

La terre qui devint Lanhouarneau (c'est-à-dire « monastère d'Hervé n, Honarneau étant l'une des formes du nom adouci d'Hervé) appartenait à un certain Innoe ; l'idée de la céder à des inconnus prétendant couper les épis, lourds de promesses, et à leur place élever un monastère, ne l'enchantait point. Cependant Hervé l'ayant assuré que ses blés lui seraient rendus avec surabondance au temps de la moisson, fonce finit par consentir, mais à une condition : a Coupe les blés à cet endroit, dit-il au Saint, mets-les en gerbes, et au temps de la moisson tu me rendras autant de gerbes que tu en auras coupé. a

Ainsi fut fait, comme aussi se réalisa, le, temps venu, la promesse d'Hervé ; les exigences d'urne furent surpassées par le rendement extraordinaire et miraculeux des blés coupés avant maturité.

La vie stable allait maintenant succéder à la vie errante, mais Hervé se trompait s'il croyait être là plus inconnu qu'à l'ermitage d'Urfold. A travers landes et forêts, sa réputation l'avait. suivi : le monastère de Lanhouarneau devait bientôt l'un des plus célèbres du pays de Léon, au milieu duquel il se dressait comme une véritable ruche du travail, de la prière et de la pénitence. Des visiteurs y venaient nombreux, non seulement pou- s'instruire ou s'édifier de la vie sainte des religieux, de celle, en particulier, de leur Abbé, mais encore pour bénéficier du prodigieux don des miracles qui affirmait, aux yeux de tous, la sainteté d'Hervé.

Cette sainteté s'exerçait non moins victorieusement contre le:démon. La qualité d'exorciste permettait à Hervé de déjouer les ruses du Malin, ainsi qu'en fait

mémoire l'oraison de sa fête. Parcourant les routes de Cornouailles, du Léon et du Trégor, toujours a des

19 14f\\1\\\\\ \1. w nrw r \\\Sur l'ordre de saint Hervé,

un loup vient prendre la place de l'âne qu'il a dévoré.

chaux a, selon l'expression du P. Albert Le Grand, et accompagné de l'un de ses moines et de son fidèle Guiac'han, il brisera d'un signe de croix, à la cour du comte Rven, les coupes empoisonnées, déposées sur la table du banquet par un pseudo-serviteur qui n'était autre que le démon. Celui-ci, sur l'injonction du serviteur de Dieu,

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1,34 17 JUINdisparut en criant : e 0 Hervé, Hervé,. pourquoi me chasses-tu de ce. lieu où le luxe et l'a bonne

chère amollissent les âmesP »Une autre fois ce sera au monastère de Saint-Majan, aux environs de Ploudalmezeau, qu'il

découvrira, dans la domesticité de l'Abbé, le, démon lui-même dissimulé sous 1e nom d'Iluccan, et se vantant d'être passé maître dans tous les métiers : « Trace donc, lui dit. le moine exorciste, une croix sur le sol, et à genoux adore le Dieu crucifié. » Et le prétendu Huccan d'avouer alors qu'il était « l'un des esprits immondes qui peuplent l'enfer ».

Le Concile du Menez-Bré.Mais voici que l'humble moinee va entrer dans l'histoire.; son nom y restera comme un

témoignage du caractère à la fois religieux et nationall du monachisme breton.Lorsque, plusieurs années auparavant, Conomor favorisait l'idylle de I-loarvian et de R'ivanonc,

il était loin de se douter du rôle. que jouerait dans sa vie le « grand serviteur de Dieu » qui, suivant la promesse de l'ange, naîtrait de la chaste union des deux époux. Depuis lors, la réalisation de sess rêves ambitieux avait fait de lui un chef puissant. Mais un jour, obéissant à un sentiment sauvage et inquiet, il assassina sa femme, sainte Tryphyne, sur le point d'être mère. Ce crime atroce souleva toute la Bretagne contre Conomor et provoqua la réunion du Concile du Menez-Bré, l'un des sommets cul: minants des Monts d'Arrez, site d'où l'on découvre un panorama des:s plus grandioses de Bretagne.

L'Assemblée qui tint là ses assises, composée de tout ce que le pays comptait de notabilités religieuses et civiles, attendit tout un jour l'a venue d'Hervé, convoqué sous son- titre d'Abbé. Cette attente impatienta l'un des hauts personnages : a Quoi ! s'écria-t-il à la vue de l'infirme arrivant péniblement appuyé sur son bâton et vêtu misérablement, c'est pour attendre ce petit aveugle que nous avons perdu tout un jour I » Cette protestation provoqua l'indignation générale, tant était vénéré, par toute la contrée, le moine aveugle. Aussi, lorsque celui qui l'avait émise tomba à terre, frappé de cécité, chacun vit là une juste punition du ciel. Cependant, Hervé, ayant humecté les yeux du coupable avec de l'eau jaillie sous son bâton de ces hauteurs arides, et bénite par les évêques, eau qui, depuis, n'a jamais cessé de couler, lui rendit la vue, à la grande joie et admiration de l'assemblée tout entière. Evêques et Abbés prononcèrent alors ensemble, et solennellement, la déposition de Conomor, inau. gurant, ainsi que le remarque Doua Plaine, la première sentence de ce

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genre rendue par l'Eglise, sentence a qu'elle renouvellerait plusieurs fois avec un grand éclat dans la suite des âges ».

Vision de saint Houardon.Le Concile terminé, Hervé et saint Ilouardon regagnaient, de compagnie, leur pays du Léon,

quand l'évêque résolut de demander au saint Abbé de lui obtenir, une fois au moins, la vision du cieldont Hervé jouissait habituellement selon le vceu de son père Iloarvian. L'abbé y consentit,

moyennant trois jours passés avec lui, dans la solitude, la prière, le jeûne et les saintes veilles. Alors les cieux s'ouvrirent, et toute la hiérarchie céleste défila devant eux, durant que le moine paraphrasait le cantique Can.temus domino. M. de la Villemarqué a voulu voir un reflet de cette improvisation dans le cantique du Paradis (ar Baradoz), inséré par lui, au Barzaz-Breiz, sous le nom de a cantique de saint Hervé », et extrêmement populaire.

Mort de saint Hervé.Revenu à Lanhouarneau, le moine aveugle, déjà avancé en âge, en sortit peu désormais. Le jour

approchait où, dégagé de tout lien terrestre,il jouirait pleinement de la vision béatifique qui, durant sa vie, avait guidé ses pas sur le chemin du ciel. Averti miraculeusement de sa mort, comme il l'avait été de celle de sa mère, il l'annonça à ses disciples, les exhortant à prier pour lui, pendant les six jours qui l'en séparaient. Il la fit également connaître à une sainte religieuse, sa cousine sainte Christine, qui avait assisté les derniers moments de Rivanone. Une tradition pieuse, sinon exacte, veut quo la Sainte, ait obtenu de mourir au chevet d'Hervé, au moment où le saint Abbé rendait le dernier soupir.

Ayant mis ordre aux affaires de son gouvernement qu'il transmet tait au prêtre Hardian, Hervé appela auprès de lui l'évêque saint Houardon. Il reçut de son ami, sur la cendre où il s'était fait déposer, les derniers sacrements, et, lui ayant recommandé ses disciples bien-aimés, il expira doucement au milieu des larmes de son entourage. Mais ces larmes ne tardèrent pas à être consolées par !a délicieuse mélodie qui, du ciel, enveloppait le monastère. Le corps du saint Abbé y fut inhumé au pied de l'autel, dans la chapelle même.

Les reliques de saint Hervé. - Son culte.Nous lisons dans le grand hagiographe breton, le P. Albert Le Grand, que le corps du Saint,

enlevé de son tombeau primitif en 892, fut transporté à Brest, par crainte des Normands ; de Brest, il fut transféré en la cathédrale de Nantes.

Longtemps la Bretagne reçut les serments des rois et des princes sur les reliques d'Hervé, a ennemi juré des parjures ». Ainsi, en la cathédrale de Nantes, le duc François Il, père de la duchesse Anne, a jura » le traité de Senlis (11,75), selon les prescriptions du rituel de Nantes, datant du xn1° siècle. La châsse, disparue sous la Révolution, n'a pas été retrouvée. Heureusement le corps n'y était plus tout entier : Lanhouarneau, notamment, conservait l'os d'un bras qu'il possède encore. Porté en procession le 17 juin, jour du « pardon », le bras d'argent qui renferme la relique est tenu au-dessus de la Fontaine Saint-llervé durant le chant de l'antienne Si,nilabo afin, dit le chanoine Abgrall, de « communiquer aux eaux les vertus mystérieuses de la vénérable relique », plus particulièrement, sans doute,

SAINT IIERVÙ135136 17 JUINpour la guérison des maux d'yeux qu'on lave de cette eau. D'autres localités, Quimperlé, Saint-

Pol-de-Léon, possèdent des reliques plus ou moins importantes ; mais la plus précieuse est le chef de saint Hervé, ou du moins une partie notable de ce chef, conservé en la basilique Saint-Sauveur de Rennes. Il fut donné, jadis, par le comte Geffroy au trésor de la cathédrale et il repose aujourd'hui, très apparent, dans le reliquaire surmonté d'une tête d'argent du Saint, reliquaire placé sur le maître-autel de ladite basilique.

D'après l'abbé Calvez, auteur d'une vie de saint Hervé, l'église Saint-Melaine de Morlaix possédait, avant la Révolution le e Livre de saint Hervé a sur lequel on prêtait serment, et qui était l'objet d'une rente dont font état les comptes paroissiaux antérieurs à cette époque.

Le culte liturgique du Saint, passé, depuis la réforme romaine du Propre de Quimper, du rang 101

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d'Office double à celui d'Office seraidouble, se trouve régulièrement consigné à partir du xi° siècle, dans la plupart des Bréviaires et Missels des différents diocèses de Bretagne. Certains livres d'heures indiquent sa fête.

A Lanhouarneau, la fête de saint Hervé fut longtemps fête chômée. Actuellement, son a pardon n, comme celui des nombreuses églises et chapelles placées sous son vocable, ne cesse pas d'être célébré avec une grande solennité.

Iconographie de saint Hervé.Elle est extrêmement répandue, et la plupart du temps très ancienne. Cependant l'église de

Plounéour-prez, en de beaux vitraux modernes, présente la scène du Menez-Bré. Toutes les représentations de saint Hervé, statues ou images, revêtent la livrée du moine. Le Saint a les yeux fermés et est accompagné de Guiac'han et du loup, quelquefois seulement de l'un ou de l'autre, plus rarement rie sainte Christine substituée à Guiac han. On lui voit à la main son bâton et le livre des exorcismes, parfois encore... un chapelet 1 Les statues de saint Hervé ornent quantité d'églises, chapelles et fontaines qui lui sont dédiées, et dont nous ne pouvons, en ce cadre restreint, donner l'énumération. La mention que nous en faisons suffit à prouver la vitalité et la popularité en Bretagne du culte du

saint Abbé. M. Le BEERE.Sources consultées. - Acta Sanctoram, t. III de juin (Paris et Pome, 1867). -Dom Lo,NPAU, Vie des Saints de Bretagne (Pennes, x725). - A,.nanr I,u GRAND, 0. P., Les

Vies des Saints de Brctagne (Quimper, 1902). - nom PLAIN', Saint Hervé (Vannes, 1893). - Abbé CALVEZ, Saint Hervé (Brest, ,926).

....................................PAROLES DES SAINTSContre la paresse.Chacun inange de ses fruits et vit de son travail. Ainsi le pain de chacun, c'est son ouvrage.

Jésus-Christ est aussi le vrai pain, le pain vivant, qu'un ouvrier paresseux ne peut manger.Saint PAULIN DE NOLE.(Epître V à Satpice.Sévère.)SAINT EPH REM LE SYRIENDiacre, Docteur de l'Eglise (vers 306-vers 378).

Fête le r8 juin.V V ores le commencement de l'empire des chrétiens, disaient, en leur enthousiasme révélateur

et naïf, les chroniqueurs de Byzance en saluant le règne de Constantin, Sur les ruines, en effet, de la civilisation antique, une jeune aube rayonnante avait paru : celle de l'ère byzantine, où allait s'épanouir, se répandre, s'imposer, demeurer à jamais vivante, la sainte, triomphante, irrésistible et très docte vertu du diacre d'Edesse. Non parfaitement connue et, par là, sujette à nombre d'incertitudes ou d'objections, sa vie est entourée d'une mystérieuse et d'une surnaturelle auréole que d'aucuns, un peu témérairement peut-être, appellent légende. Certes, il existe de réelles contradictions entre son Testament et la Confession écrite en grec qui lui est attribuée. Certes, il peut se glisser, çà et là, avec gaucherie, quelque visible surenchère apportée ingénument par une postérité spirituelle, admiratrice fervente ; mais de ses innombrables écrits, grande leçon pour tous, jaillit en des gerbes d'une clarté fulminante le verbe de Dieu.

Sa taissance. - Premières années.Au pays de Nisibe, dans cette contrée de la Mésopotamie sans cesse mise en effervescence. par

les guerres avec les Perses et par les émeutes des factions ariennes, bouleversées, parfois, par des sanguinaires persécutions, Ephrem naquit, selon les conclusions de Mgr Lamy, en l'année 3o6, sous Constantin le Grand. D'autres le font naître sous Dioclétien. La première opinion semble bien prévaloir. Sa mère était originaire d'Amid et son père de Nisibe. Celui-ci, d'après quelques-uns, était prêtre d'une idole nommée Abnil ou Abizal, et donc païen, ainsi que l'aurait été sa compagne.

Toutefois, l'on rapporte plus généralement que ses parents étaient102

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e u

1.4 1///!= lb t ,O/1~» )nl138 18 JUINSAINT EPIREM LE SYRIEN139chrétiens, qu'ils travaillaient à la sueur de leur front et vivaient de négoce. Plusieurs de leurs

ancêtres avaient illustré la phalange des martyrs. Eux-mêmes avaient servi et confessé avec une opiniâtre fidélité le nom de Jésus-Christ.

Ils donnèrent au nouveau-né le nom d'Ephraim ou Ephrem, qui signifie croissant et abondant en fruits. Et cela, parce qu'ils se souvenaient d'avoir eu, quelque temps avant l'événement fortuné, une vision merveilleuse : une vigne lourde de raisins leur avait semblé surgir de la langue de leur fils, puis grandir et couvrir la terre de son ombre. N'est-ce point là le symbole de son éloquence future, si féconde P

De bonne heure, il fut offert à Dieu, bien que, d'après la coutume suivie alors dans l'Eglise, il ne reçût le baptême qu'à l'âge de 17 ans, des mains de l'évêque Jacques de Nisibe, qui fut le maître de sa formation intellectuelle et religieuse. Innocence et piété ardente, telle fut son enfance tout entière. Il se reprochera plus tard, dans son humilité, la manière dont il avait vécu cette première

époque de sa vie. Sozomène parle de ses faciles mouvements de colère. Ephrem enrichit ce témoignage en s'accusant sans réticence d'avoir, par espièglerie, chassé devant lui la génisse d'un voisin, si bien ou plutôt si mal qu'elle devint, au fond d'une forêt, la proie d'animaux sauvages.

Manifestation de la Providence.Peccadille assurément dont nous sourions trop volontiers, nous, du commun des pauvres

fidèles. Mais, pour Ephrem, quand c'est de lui qu'il s'agissait, point d'indulgence, de complaisance, de demimesure. Comme un crime involontairement commis, il déplorait aussi d'avoir été, en ce temps-là, effleuré par de persistantes, obsédantes tentations contre la Providence de Dieu. Le démon astucieux et subtil en malicieuses ressources ne lui suggérait-il pas que le jeu du hasard décide de la plus grande partie de notre vie P Et ne croiton pas, à s'y méprendre, entendre tinter le débit de la monnaie courante des esprits forts de tous les siècles : a Dieu ne s'occupe pas de ces choses a p

Cependant le Seigneur, en son incommensurable bonté, veillait, lui ménageant une profitable leçon. Un jour qu'il voyageait dans la campagne de la Mésopotamie, le jeune homme rencontra un berger qui, vu l'heure tardive, lui offrit hospitalité. Au milieu de la nuit, des loups assaillirent le troupeau et le dispersèrent. Pris d'ivresse, le berger n'avait rien entendu. C'est pourquoi ceux à qui le troupeau appartenait le firent mettre en prison et, avec lui, Ephrem qu'ils accusaient de complicité et de rapine. Nulle protestation n'y lit. Un cachot se referma sur les deux compagnons où furent jetés, bientôt après, deux autres hommes : l'un accusé d'adultère, l'autre de meurtre, tous les deux pareillement innocents, Sept jours s'étant écoulés, tandis qu'Ephrem était endormi, mn ange lui apparut en songe et liai dit :

- Vis dans la piété, et tu reconnaîtras qu'il y a une Providence. Examine ce que tuu as pensé et ce que tu as fait., et tu sauras par toimême que tes compagnons ne souffrent pas injustement, et que

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les auteurs des crimes dont ils sont accusés seront découverts et punis.Après soixante-dix jours de captivité, les prisonniers furent amenés au tribunal, où Ephrem

entra le dernier, harassé, demi-nu et ployant sous les chaînes. Ami des siens et l'ayant reconnu, le juge l'interrogea, fit mettre le berger à la question, lequel ne tarda point d'avouer et d'entraîner ainsi l'évidence de l'entière innocence d'Ephrem. Quant aux deux autres hommes insidieusement soupçonnés., l'un avait rendu un faux témoignage, l'autre avait, dans le passé, laissé périr quelqu'un qu'il aurait pu sauver.

Alors Ephrem se souvint des paroles de l'ange. A la lumière de faits irrécusables, il fut inébranlablement convaincu et armé de cette vérité que rien, pas le moindre fétu de paille, n'échappe au gouvernement et à la justice de Dieu. Tôt ou tard, même en ce monde, tout se paye. Aussi importe-t-il, et sans retard, de faire pénitence.

Dans la solitude.Dès lors la salutaire et vivifiante pensée de la fin dernière, unie à la pieuse crainte de la sentence

divine, ne quittera plus son âme généreuse, prompte à tous les renoncements. Entre autres, il écrira dans un langage d'or cette page sans pareille :

A la porte du tombeau viennent s'arrêter et se confondre le coupable audacieux, le brigand avide de pillage le savant et l'ignorant, le maître et le disciple, jetés pêle-mêle au-devant d'un tribunal, où toutes leurs actions sont pesées dans les balances d'une *justice rigoureuse ; où il n'y a plus de

distinction de rang et de conditions; où le monarque comparaît dépouillé de son diadème ; où le magistrat vient recevoir son arrêt ; où le juste, si

souvent égorgé par le crime, attend an nouveau jugement qui le réhabilite et lui assure la récompense de ses -vertus ; où le mauvais riche, autrefoi' nageant dans l'opulence, implore vainement une goutte d'eau ; où Lazare est mis en possession de tous les biens. Quel contraste I D'une part, pour

l'homme opulent, à la place de ces richesses qui le rendaient si fier, des feux vengeurs, une nuit épaisse ; de l'autre, pour l'humble solitaire, à la place du cilice et, de la bure grossière qui le couvrait, les plus brillantes parures, un paradis tout de lumière et toute la magnificence des rois.

Tableau saisissant qui n'est point, si l'on peut dire, l'aboutissant dû à des expériences successives, à des efforts réitérés pour se cors. vaincre du néant des plaisirs qui passent.

On aurait, après cela, de fortes raisons de s'étonner qu'Ephrem n'eût pas embrassé, et tout de suite, la vie monastique, qu'il n'eût pas choisi, la plus proche de lui à cette époque, celle des solitaires de la Mésopotamie.

Ce n'étaient pas complètement des ermites. Ils vivaient, sinon en large communauté, du moins, le plus souvent, chacun dans une sorte de pauvre hotte voisine qui lui servait de cellule. Souvent il advenait qu'ils demeurassent dans les cavernes ou les creux des

I4o iS JUINrochers. De plantes sauvages, ils faisaient leur nourriture ; de l'eau des ruisseaux, leur breuvage.

La prière, l'étude, de pieux écrits coinposés pour la défense de la doctrine et l'exhortation des énergies hésitantes ou attiédies, la constante mortification extérieure et intérieure, formaient la discipline de leurs âmes toujours plus pénétrées de l'horreur du péché, si minime puisse-t-il paraître, toujours plus avides d'entrer en possession du divin et parfait amour.

Les deux Julien. - Concile de Nicée.Dans sa retraite, dont la crainte constante du jugement dernier fut l'aiguillon et le foyer jamais

éteint, Ephrem, pendant les premières années, eut, entre autres, deux compagnons très avancés dans les voies de la lumière surnaturelle et de la sainteté. D'abord Julien, qui, plus tard, devait être mis sur les autels, mais, de son vivant, surnommé a Sabbas a ou u vénérable vieillard a par ses fils spirituels, dont les plus en renom furent Astère, Agrippa et Jacques de Perse, le disciple préféré. Puis, un autre Julien barbare originaire d'Occident, peut-être Goth, et dont toute la science venait directement de Dieu. Un jour Ephrem lui demanda pourquoi, sur certains livres, les mots a Seigneur a, a Jésus-Christ a, étaient effacés.

- Je ne puis, répondit-il, vous rien cacher. La femme pécheresse arrosa de ses larmes les pieds 104

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du Sauveur et les essuya de ses cheveux. Ainsi, partout où je trouve le nom de mon Dieu, je l'arrose de mes larmes pour obtenir de lui la rémission de mes péchés.

- Je souhaite, reprit Ephrem, que Dieu, selon sa bonté et sa miséricorde, récompense votre dévotion ; néanmoins je vous prie d'épargner les livres.

La perte de ce digne solitaire à qui, croit-on, il ferma les yeux et dont il retraça l'existence volontairement immolée, lui fut un sujet d'affliction profonde.

La renommée des vertus d'Ephrenr et celle de sa science, elle aussi véritablement inspirée par le Saint-Esprit, avait dépassé non seulement les austères limites de sa retraite, mais encore les murs de sa ville natale et les confins de son pays.

La langue grecque lui était devenue tout aussi familière que la langue syriaque. Aussi ne doit-on pas s'étonner de sa présence, en 325, au Concile de Nicée, laquelle ne peut plus se qualifier de légendaire. Nul n'ignore que ce Concile, si important, si définitif pour le dogme catholique, fut convoqué par le Pape saint Silvestre sur les instances de l'empereur Constantin le Grand qui, bien que catéchumène encore, voulut y assister pour être témoin et médiateur de la paix de l'Eglise, et ainsi apaiser le trouble grandissant suscité par les hérétiques propositions d'Arius. Celui-ci, appelé à comparaître à la séance préparatoire du 1g juin pour s'en expliquer, proclama sans vergogne que le Fils de Dieu c'était pas de toute éternité, qu'il avait été tiré du néant et que, simple créature de Dieu, en raison même du commun libre arbitre, il pouvait choisir entre le bien et le mal. Après de tels blasphèmes, si injurieux quant à la forme,

1 ~~ \\\\\t \l\\\'\\7aiat Ephrem écrit mit es Commentaires sur les saintes Écritures.rD'apris une gravure aneimne.)si piètre en réalité quant au fond, et qui, par leur cynisme, dis. sipaient toute espèce de

malentendu, les Pères, dès le début du mois suivant, commencèrent le procès de l'hérésiarque, qui devait aboutir avec sa condamnation et ses fausses promesses de repentir, à l'impérissable profession de foi, connue dans la suite sous le nom

de Symbole de Nicée.

A Edesse. - L'éloquence de saint Ephrem.Une tradition rapporte que, s'en revenant du Concile, les évêques fondèrent des écoles dans les

villes de leur siège. Ephrem fut appeléSAINT EPIIREM1 LE SYRIEN141~'\\\ \'k\\lil\\\\.\\\\\1lfl~~.,\\\~1~iI~II~IIIIl

i)q

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1142r8 JUINSAINT EPRREM LE SYRIEN143à diriger celle qu'avait ouverte Jacques de Nisibe. Ce fut aussi lui qui, voyant la cité assiégée

par Sapor, roi des Perses, en 338, obtint par de ferventes prières que l'ennemi, cette fois, s'éloignât sans parachever un avantage incontestable, une victoire, selon les prévisions des hommes, inévitable. Quelque dix ans plus tard mourait le saint évêque Jacques. Puis, vers 363, les Perses s'étant désormais rendus maîtres du territoire de Nisibe, Ephrem gagna Edesse.

« Diacre de l'Eglise d'Edesse. » Ainsi est-il appelé par saint Jérôme et par Pallade ; mais on a des raisons assez convaincantes de penser que, transportés par l'attrait de son éloquence et conquis par l'exemple de ses mérites, les fidèles demandèrent qu'il fût élevé à la dignité sacerdotale.

Ne le fait-il pas, d'ailleurs, entendre dans le discours sur le sacer-, doce qu'il adresse au clergé, et dans lequel il se met parmi ceux qui ont reçuu cette dignité « par la vertu du Saint-Esprit et l'imposition des mains » P A la prédication, il se préparait par la prière et par les larmes. Car il eut, faveur habituelle chez lui, le don des larmes, ce signe visible de l'amour parfait. Son zèle suscitait sa parole et la dépassait. Les Ecritures, toujours présentes à la pensée d'Ephrem, étaient le suc, sans cesse renouvelé, de ses exhortations. Il advenait qu'il fût envahi par une connaissance infuse, au point de s'écrier un jour, sous l'abondance des inspirations célestes : « Retenez, Seigneur, . les flots de votre grâce. » Et c'est pourquoi, dans le testament laissé à ses disciples, il recommande avec insistance aux habitants d'Edesse de ne jamais oublier ni ses conseils ni ses préceptes, et de se bien garder de les mépriser comme des paroles humaines ; il ne leur avait donné que ce qu'il avait reçu de la bonté divine.

Union de la vie ascétique et de la vie apostolique.Il ne menait plus seulement, on le voit, la rigoureuse vie d'un Père du désert. Ses occupations

l'obligeaient à demeurer quasi continuellement en relation avec le monde. Sinon, point d'apostolat possible.

Obligation lui était donc de tempérer son ascétisme et ses mortifica-s tions excessives. La mesure, lorsqu'on songe à cette âme aux surnatu

relles et débordantes ardsurs, apparaît bel et bien comme une vertu héroïque. De là, ses avis de

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modération et de prudence.- Mieux vaut, disait-il, manger en rendant grâces à Dieu qui nous nourrit, que de jeûner en

critiquant, en condamnant ceux qui mangent et rendent grâces à Dieu. Etes-vous à table, mangez, mais ne déchirez pas la réputation de votre prochain...

Voilà tracé, en termes d'une simplicité frappante, l'indispensable moyen de parvenir à la sanctification. Savoir réprimer l'intempérance du parler, dompter tout semblant de médisance, à plus forte raison de calomnie, c'est un invisible cilice jamais relâché, le règne invincible de la mortification intérieure qu'exaltera, quelques siècles plus tard, saint Ignace de Loyola dans ses Exercices.

Renoncement, oraison, labeur intellectuel et doctrinal, apostolatprodigué quand il importait,, donnaient à Ephrem une autorité aussi réelle que l'évidence même.

Outre les instructions publiques qui, autour de lui, réunissaient les habitants d'Edesse-;. outre les conseils que, dans sa cellule, venaient quérir religieux et fidèles, il répondait encore à des étrangers qui le consultaient par lettres. Devant tant de marques de vénération et de confiance, son humilité, toujours vigilante, s'interposait.

Lutte contre l'hérésie.

L'humilité, source intarissable de charité, n'est pas, ne saurait être, à moins de se travestir et de s'amoindrir, une abdication. Le nom, les perfections et les droits de Dieu méconnus ou injuriés. l'enseignement de l'Eglise renié ou contrefait, imposent àà certaines heures de ne pas craindre, selon la force dont on dispose, d'intervenir et d'élever la voix. De. toute la. puissance nonn seulement de son éloquence, mais encore de sa doctrine et de sa science, Ephrem se dressa contre les innombrables hérésies qui infestaient la chrétienté.

Ses couvres, écrites en langue syriaque et grecque, et traduites en latin par Pierre Mobarak, et, après la mort de celui-ci, par Etienne Evode Assémani clans la première moitié du xvm° siècle; en demeurent le témoignage immortel. Elles forment six in-folio imprimés par la typographie vaticane, de 1732 à 1746. Nous y apprenons avec quelle ardeur il combattit tour à tour et victorieusement les erreurs des' anoméens, des macédoniens, des milliénaires, des marcionites, des manichéens, des messaliens ou euchites, des apollinaristes et des novatiens. Saint Grégoire de Nyssee rapporte que ces hérétiques, malgré leur audace et leurs artifices, furent incapables de résister à la vigueur de ses réfutations.

De toutes les hérésies, celles qu'il attaqua avec plusi d'impétuosité encore que: les autres, et. que,, de son lit de mort,, il anathématisa d'une façon particulière, furent les erreurs des apollinaristes et celles des messaliens,. A quel degré éminent de savoir Apollinaire,, le fondateur de la. première,, n'était-il point parvenu I Membre du clergéé de Laodicée, ayant connu le grand Athanase, il. passait parmi ses contemporainss pour un des esprits less plus remarquables de son époque, l'égal même de saint Basile et de saint Grégoire de Nazianze.

Consacré évêque, mais devenu la proie de l'orgueil, il commença à enseigner l'erreur ett à former des disciples.

Les apollinaristes, que saint Epiphane appelle dimoerites « partagés n, prétendaientt que dans L'humanité de Notre-Seigneur JésusChrist il n'y avait point d'âme et que la divinité animait immédiatement les organes du corps. Néanmoins, ils finirent par accorder au Fils de Dieu l'âme « sensitive » différente de l'âme « intelligente ». « Ils lui donnaient, dit saint Augustin, l'âme des bêtes et lui refusaient celle de l'homme. a Quant à la. Trinité, tels les sabelliens,, ils n'y reconnaissent le Père, le Fils et le Saint-Esprit que comme des « noms » ou des e rôles » appartenant à la même personne.

14418 JUINLes messaliens, eux, semblaient ne prendre le nom de chrétiens que pour le déshonorer. De chef

attitré, ils n'en possédaient pas, non plus que de dogme précis. Comme ils faisaient profession de renoncer au monde et que, sous la robe monastique, ils enseignaient les impiétés des manichéens, ils passaient pour des religieux. Ils croyaient que chacun est soumis à un démon ; que le baptême est

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semblable à une hache coupant les branches extérieures du péché, mais que, l'homme ne pouvant enlever de son âme le démon, que seule la prière serait capable de chasser, il est inutile de recevoir le baptême. Ils condamnaient le travail des mains, mendiant leur pain sous prétexte de pauvreté, prétendant que la prière devait rester toute leur occupation. Ils employaient, néanmoins, la plus grande partie du jour à dormir, puis débitaient leurs songes comme des révélations et des prophéties.

Visite à saint Basile. - Retour à Edesse.Mort de saint Ephrem.

Certains biographes veulent qu'Ephrem, sur le tard de sa vie, ait, durant huit années, parcouru l'Egypte, pour y combattre les ariens. Le plus certain est qu'on le trouve, vers 373, à Césarée, auprès de saint Basile.

Un jour, celui-ci, par une révélation intérieure, reconnut dans la foule, après l'office divin, cet étranger dont il avait déjà entendu parler, soit dans sa visite aux solitaires de la Mésopotamie, soit par Eusèbe de Samosate, Il s'approcha de fil :

- N'êtes-vous pas Ephrem le Syrien, ami de la solitude, celui qui s'est soumis avec tant de courage au joug du Seigneur P

- Je suis, répondit l'inconnu interpellé, Ephrem qui marche le dernier dans la carrière céleste.De retour dans la ville d'Edesse, qu'avait épargnée sans doute la persécution de Valens, mais qui

restait privée de son clergé et désolée par la famine, le voici soignant les pauvres, adoucissant leur misère; exhortant les riches à la générosité. Charitable, il l'est jusqu'au dernier instant, où, dans la sérénité, il rend son âme à Dieu pour les droits de qui il avait toujours bataillé. C'est, croit-on, en l'an 378, le aS juin (ailleurs on lit le g) ; la date du 18 juin, à la fois quant au jour et au mois, serait tenue aussi pour l'anniversaire de la naissance du grand apôtre que Benoît XV, le 5 octobre 1920, a proclamé Docteur de l'Eglise. Le même Pape a fixé au 18 juin la fête de saint Ephrem, alors que précédemment le Martyrologe romain citait son nom au tel février.

DOM1mLQÇE ROLAND GossELiN.

Sources consultées. - Saint Ephrem (Lille, s849). - 1.AFIMIR EMEREAU, Saint Ephrem le Syrien, son muvre littéraire grecque (Paris). - F. NAu, article « Ephrem (Saint) », dans Dictionnaire de théologie catholique de A. VACANT (Paris,

'924). - Annuaire pontifical catholique de 1921 (Paris). - (V. S. B. P., n' a59.)SAINT GERVAIS et SAINT PROTAISMartyrs (Ier siècle?)

Fête le rg juin.LE Seigneur donnera la paix à son peuple, chante-t-on dans l'Introït de la messe des deux

martyrs. Le choix de ce texte est un témoignage de la confiance du Pape saint Grégoire le Grand dans leur intercession, au moment où l'Italie se débattait entre le péril de l'invasion lombarde et les prétentions de l'empereur de Byzance ; le souvenir nous en est opportunément rappelé par Dom Guéranger dans son Année liturgique. Mais deux siècles avant le pontificat de saint Grégoire, l'évêque de Milan, saint Ambroise, avait déjà éprouvé la vertu spéciale de pacification qu'en retour de leur noble sacrifice Dieu semble attacher aux ossements de ses deux glorieux témoins.

De l'enfance au martyre.Gervais et Protais étaient vraisemblablement deux frères, peutêtre même deux jumeaux, et l'on

croit qu'ils étaient les fils de sainte Valérie et de saint Vital. Celui-ci, venu comme consulaire à Ravenne avec le juge Pantin, fut arrêté pour avoir encouragé saint Ursicin, peut-être médecin en cette ville, dans son refus de sacrifier aux idoles. Saint Vital fut écrasé à la Palmeraie (ad palmam), sous une masse de pierres et de sable ; son corps fut enseveli près des murs de Ravenne. Valérie, sa veuve, revint alors à Milan.

Désormais, dans notre récit, nous allons nous borner à suivre les données de la tradition.Est-ce à ce moment que sainte Valérie fit baptiser ses deux fils P Il estt difficile de le préciser.

Nous savons seulement par l'iconographie, qui se fit l'écho de la Tradition, que c'est dans cette ville 108

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de Milan qu'ils reçurent le saint baptême. Invitée un jour

146Ig JUINSAINTS GERYAIS ET PROTAIS 147à prendre part, aux festins des idolâtras, Valérie répondit fièrement : a Je suis chrétienne ; il ne

m'est pas permis de manger des victimes offertes à votre Sylvain (le dieu des forêts). » Les sauvages habitants de ces sous-bois ténébreux, entendant une telle réponse, frappèrent la courageuse chrétienne si cruellement que trois jours après, de son corps meurtri, sa belle âme s'envola vers le Christ. Les deux époux figurent l'un et l'autre au Martyrologe à la date du 9.8 avril.

Gervais et Protais, jeunes encore et déjà orphelins, s'enrôlèrent d'abord dans l'armée, disent quelques-uns de leurs biographes. Mais sous le port des armes, il leur était bien difficile de garder leur foi et de pratiquer leur religion ; aussi décidèrent-ils, d'un commun accord, de se dévouer tous deux au service des autels. Ils s'empressèrent de vendre leur propre maison, de distribuer leurs biens aux pauvres et, à leur petite troupe d'esclaves qu'ils affranchirent. Enfermés dans une chambre, ils s'exercèrent pendant dix ans à la prière, à la lecture des Saintes Ecritures, à des jeûnes pénibles et réitérés.

Rarement ils quittaient leur sainte retraite, et cependant, comme un parfum subtil traverse les sachets dont on a beau l'envelopper, la renommée de leur vertu s'ébruitait malgré l'humilité sous laquelle ils la dissimulaient.

La dixième année de leur pieuse et volontaire réclusion, saint Nazaire, qui devait un jour verser 'son sang pour le Christ avec saint Celse, vint à Milan. Ayant entendit parler de l'édifiante conduite des deux jumeaux Gervais et Protais, il voulut les visiter et les encourager. Peut-être leur conféra-t-ii alors les premiers ordres, mais non le sacerdoce. Ils se revêtirent à ce moment de longues tuniques blanches qu'ils ne devaient plus quitter.

Saint Nazaire les exhorta sans doute à joindre à la recherche de la perfection personnelle l'esprit d'apostolat. Aussitôt après sa visite, nous voyons les deux frères construire eux-mêmes, la truelle en main, un oratoire. Là, ils attirent les païens, essayent de les instruire et de les amener peu à peu à la lumière de la foi. Un jour on leur présenta une pauvre possédée ; ils l'exorcisèrent et la baptisèrent, ce 'qui semble confirmer la réception des ordres mineurs que leur aurait conférés saint -Nazaire. Grâce à leur zèle et à la puissance de leurs oraisons, les conversions se multiplièrent à Milan.

Mais c'était l'époque où le paganisme en déchéance expiait et traquait les moindres gestes des chrétiens. Les conquêtes des deux apôtres furent bientôt connues. Il n'en fallut pas davantage pour éveiller les soupçons de l'autorité romaine. On les fit surveiller avec 'une tenace et haineuse patience, cherchant l'occasion de les dénoncer. Un an à peine s'était écoulé depuis la visite de saint Nazaire, que cette occasion se présenta d'elle-même.

Le. général romain Astaae se préparait à partir à la tête d'une armée pour repousser une invasion de Marcomans, sur les frontières de l'empire. Il fit, selon l'usage d'alors, consulter les prêtres des

idoles sur le succès de l'entreprise. Ceux-ci, furieux des désertions d'un bon nombre de leurs adeptes, virent le moment favorable pour se venger.

« Général, dirent-ils, si vous voulez revenir à la cour de nos princes avec l'éclat d'un joyeux triomphe, contraignez Gervais et Protais à sacrifier à nos dieux : car les dieux sont tellement irrités contre ces misérables qu'ils- refusent de nous rendre leurs oracles. »

Les deux exorcistes devaient, en effet, empêcher les démons de parler librement.Astase envoie immédiatement chercher les deux frères qui, sans se laisser intimider par les

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menaces et les supplices, vont rester unis dans la mort pour le Christ, comme ils étaient restés unis dans le, service de Dieu.

Le double martyre. - La double palme.

Dès que Gervais et Protais sont enn présence d'Astase, celui-ci, en militaire aux décisions nettes et rapides, manifeste l'intention de ne pas prolonger inutilement l'interrogatoire, car il veut hâter son expédition.

- Est-il vrai, leur dit-il, que vous refusez de sacrifier à nos dieux, que vous empêchez les autres de le faire ? Sachez que je vous exhorte à ne pluss irriter nos divinités ; au contraire,, avec un zèle religieux, offrez-leur des sacrifices pour que mon expédition soit heureuse.

- Vous avez raison, répondit doucement Gervais, de réclamer la protection du ciel pour remporter la victoire, mais c'est au Dieu tout-puissant qu'il fautt la demander ett non pas àà de vaines idoles qui ont des oreilles et n'entendent, point, qui ont des yeux et ne voient point, qui ont des pieds et des mains et ne peuvent les remuer.

Astase, à la fois stupéfait et irrité de cette réponse, dédaigne de continuer l'entretien. Pour venger l'outrage fait à ses prétendues divinités, il ordonne sans retard aux bourreaux d'emmener Gervais, de le flageller avec des fouets armés de balles de plomb jusqu'à ce qu'il expire. e Allez, dit-il, et exécutezz ma sentence sur-le-champ qu'il meure, puisqu'il persiste dans son entêtement outrageant pour nos dieux 1 »

Et tandis que Gervais, à l'instar du divin Maître, se laisse flageller sans un mot de plainte, Protais, son frère, comparaît àà son tour devant Astase qui paraît toujours en proie à la colère et à l'inquiétude.

- Malheureux, lui dit-il, songe à ta vie et ne cours pas à une mort effroyable comme ton frère.- Qui est malheureux, ici P répond intrépidement Protais ; est-ce moi, qui ne crains pas, où bien

toi, qui montres tant de frayeur- Moi, craindre[ rugit Astase, moi, craindre un misérable comme toi P'14819 JUIN- Oui, assurément. N'as-tu pas peur que je te cause du dommage en refusant de sacrifier à tes

dieux P Et n'est-ce pas à cause de cette crainte que tu veux me forcer à les adorer P Pour moi, au contraire, je ne crains ni toi ni tes dieux ; les menaces, je les méprise, et des idoles sont pour moi comme des ordures du chemin. Je n'adore que le seul vrai Dieu qui règne au ciel.

Astasc, pour punir Protais d'une telle hardiesse de langage et espérant fléchir la résistance de l'accusé, ordonne qu'on lui inflige une bastonnade cruelle. Mais le supplicié ne se plaignait même pas. Pris d'une pitié passagère, le général tenta de nouveau de vaincre Protais.

- Misérable ! à quoi te sert de te montrer fier et rebelle P Veuxtu donc périr comme ton frère PLe martyr répondit d'une voix calme- Je n'ai contre toi ni ressentiment ni colère, parce que ton coeur est victime de ton ignorance et

de ton incrédulité. JésusChrist, mon Maître, n'a pas maudit ceux qui le crucifiaient, il leur a pardonné parce que ces hommes ne savaient pas ce qu'ils faisaient. Moi aussi, j'ai compassion de ta misère, car tu ne sais pas ce que tu fais. Achève donc ce que tu as ommencé, afin que la bonté de notre Sauveur m'accueille aujourd'hui avec mon frère.

Astase, incapable de saisir la sublime portée d'un tel sacrifice et impatient d'en finir, ordonna aux bourreaux de prendre Protais et de lui trancher la tête sans tarder.

Un chrétien, nommé Philippe, à qui l'on doit le résumé de la courte existence des deux frères jumeaux, termine ainsi son récit :

Après le double supplice, moi, Philippe, serviteur du Christ, j'ai enlevé secrètement pendant la nuit les saints corps, et dans ma maison, sous les yeux de Dieu seul, je les ai déposés dans ce tombeau de marbre, plein

de confiance que par la prière des bienheureux martyrs j'obtiendrai miséricorde de Notre-Seigneur...

A quelle date précise faut-il placer le martyre des fils de Vital et de Valérie P Le cardinal 110

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Earonius l'inscrit sous Marc-Aurèle, vers 170, Rohrbacher le recule jusqu'à la terrible persécution (le Dioclétien, de 2811 à 3o6. Les rédacteurs (les Acla Sanclorunz semblent disposés à adopter le règne de Domitien, frère et successeur de Titus, qui régna de Si à 95.

Dans des lettres apostoliques du 6 décembre 1873 publiées à l'occasion de l'ouverture du tombeau des deux frères, le Pape Pie IX place leur supplice sous Néron. Le document pontifical fait ici écho à la tradition qui se retrouve à la fin du moyen âge. En effet, un missel de 1496, au jour de la fête des deux Saints, contient une a prose n ou séquence dans laquelle on lit:

Sunl A'eroni revelati - Atque Rompe presentati - Principi nequissimo. On les dénonce à Néron - On les présente à l'empereur très méchant de Rome.

Et d'autres proses ou hymnes en l'honneur des deux u athlètes du Christ n reprennent l'assertion et chantent en leurs versets

« la malice de Néron n. Cela devient comme une tradition ; aussi les artistes, reproduisant sur d'admirables verrières, tapisseries ou orfèvreries la vie et la mort de Gervais et de Protais, nous pré-senteront-ils, comme dans une tapisserie du Mans, Néron frappé

l'J) é!flfl/~ M1\;/\I,\T\.I\~\I1.11%\/ I\J~ 'qs,-)MSaint Vital, père des saints Gervais et Protais, est enseveli vivant

sous une niasse de pierres et de terre.de la foudre en présence des deux frères. Il est évidemment fort difficile de donner une date

précise ; contentons-nous donc de ces indications qui ont leur importance. Toutefois, si l'on veut bien se rappeler que Domitien a mérité le surnom de « Néron chauve n, en raison de sa cruauté qui s'exerçait même sur les mouches,

SAINTS GERVAIS ET PROTAIS14(j

\'15019 J11NSAINTS GERVAIS ET FROTAIS151on comprendra qu'une confusion ait pu se produire à propos du tyran qui gouvernait l'empire

romain.111

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Saint Ambroise retrouve les corps des saints Gervais et Protais.'Les corps des saints martyrs reposaient depuis longtemps dans le silence et l'oubli lorsqu'en

l'année 386, saint Ambroise, évêque de Milan, les découvrit de la façon suivante. Il s'occupait d'édifier la basilique qui, aujourd'hui, porte son nom, et on le pressait d'en faire la dédicace. « Je le ferai volontiers, répondait-il, si je trouve des reliques. n Une inspiration du ciel révéla au saint pontife que Milan possédait sans le connaître un trésor précieux, les corps des saints Gervais et Protais.

Le Carême passé, écrit le grand Docteur aux évêques d'Italie, pendant que j'étais enn oraison, le sommeil me saisit. Ouvrant les yeux, je vis deux hommes vêtus (le blanc. Deux fois ils m'apparurent seuls, la troisième fois, ils se présentèrent accompagnés d'un vieillard qui, de visage, ressemblait à saint Paul. a Ici repose, me dit le vieillard, ceux qui, suivant mes leçons, ont méprisé les biens de la terre pour imiter JésusChrist. Ils ont persévéré dix ans au service de Dieu en cette ville de Milan et ont mérité la couronne du martyre. Ici même, tu creuseras

douze pieds en terre et tu trouveras un coffre ouvert où sont leurs corps. Tire-le, place ces restes en un lieu honorable et fais construire une église en l'honneur des deux Saints, Un écrit placé sous leur chevet t'apprendra ce qu'ils ont été jusqu'à la fin de leur vie. n

Sans hésiter, Ambroise, entouré d'évêques et de clercs qui semblaient fort méfiants sur le résultat des recherches, prit un hoyau et donna lui-même les premiers coups. Il fit creuser la terre devant la balustrade des saints Félix et Nabor. Le coffre apparut et fut tiré de terre.

Nous l'ouvrîmes, écrit saint Ambroise à sa sceur Marcelline, et nous vîmes les corps des martyrs frais et vermeils. La tête de Protais était bien séparée du tronc, mais n'avait rien perdu de la régularité de ses traits. Les deux hommes étaient d'une stature étonnante, ayant tous leurs ossements baignés dans une grande quantité de sang.

Dans ses Etudes de critique et d'histoire, le chanoine Vacandard raconte qu'en Palestine et Syrie il se passa des événements semblables à ceux de Milan. La supercherie s'en mêla tarit et si bien qu'un Concile africain tenu en 396 dut interdire le culte des martyrs dont on ne connaissait la sépulture qu'au moyen des songes.

Ces contrefaçons ne nuisent en rien à la découverte des corps des saints Gervais et Protais, car nous avons le témoignagne explicite et double de saint Ambroise et de saint Augustin. Le premier, dans la lettre citée plus haut et adressée à sa sceur Marcelline, lui narre u qu'à la première apparition des saints martyrs une femme possédée du démon fut saisie et renversée à terre devant le saint tombeau n. Et, d'accord avec saint Ambroise, saint Augustin relate en ses Confessions le fait et le miracle suivants :

Ces corps ayant clone été ainsi trouvés, on les porta à la basilique de Fausta ; non seulement les possédés étaient délivrés, mais un citoyen de Milan, très connu dans la ville comme aveugle, ayant obtenu la permission de toucher avec un linge le cercueil des Saints, recouvra la vue.

L'impression et la joie furent si profondes que saint Ambroise fit un éloquent sermon qu'il prend la peine de résumer dans sa lettre à Marcelline

Voici que d'un sépulcre sans gloire sont tirés de nobles restes....Contemplez ce tombeau humide de sang - c'est un don de Dieu.. Je ne puis nier la grâce par laquelle le Seigneur daigne illustrer mon pontificat.

Et dans ses savants écrits, le grand Docteur revient souvent sur ce prodige : u Je vois les miracles par lesquels Dieu attestait que la mort des Saints était précieuse à ses yeux et aux yeux des hommes. n

L'illustre pontife fut inhumé, selon son désir, à gauche du tombeau des deux martyrs, ses protecteurs. Au ix' siècle, l'un de ses successeurs, l'archevêque de Milan, Angilbert II, réunit les trois corps dans un sarcophage de porphyre. En 186/t, comme l'on faisait des réparations à la basilique de Milan, on découvrit sous l'autel ce précieux sarcophage, et des fêtes solennelles furent célébrées avec l'approbation de Pie IX.

Les corps des trois Saints furent a reconnus » au mois d'août 1871, en présence de l'archevêque de Milan, du prévôt et du Chapitre de Saint-Ambroise, des délégués de la municipalité, des docteurs

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de l'Ambrosienne et des professeurs d'archéologie de la ville. Quand le couvercle de marbre du sarcophage fut levé, on eut le bonheur de contempler, sous une nappe d'eau limpide, les trois têtes sacrées, et, étendus au fond du cercueil, les trois corps, revêtus de riches ornements, dans un parfait état de conservation.

Expansion du culte des saints Gervais et Protais.

La découverte ou « invention n, comme dît la liturgie, des corps des saints Gervais et Protais faite par saint Ambroise eut une grande répercussion dans toute la chrétienté d'alors.

Mgr Ducheasne nous montre ce siège de saint Ambroise entouré d'une considération hors ligne. C'est un centre d'attraction, sans préjudice, bien entendu, de l'autorité du Siège apostolique. Tou-. tefois Milan est un tribunal où se règlent les conflits du priscillamisme, les litiges de l'évêque de Marseille avec les prélats de la Seconde-Narbonnaise ; c'est la résidence impériale officielle, la capitale de l'Empire d'Occident. Voilà qui noirs explique le très grand nombre d'Eglises de toutes nations qui se font gloire de posséder des reliques des saints Gervais et Protais. On en a porté en Afrique, en Allemagne, en Autriche, en Bavière, en Italie, notamment à Fondi, Città della Pieve, etc.

Mais c'est surtout en Gaule que se fit cette expansion d'une façon toute naturelle- Les évêques de Gaule revenant de Milan, porteurs des

Ibzreliques octroyées, remontaient sur leurs nefs agiles. Au port de Marseille on faisait escale, puis

les pontifes de la région méridionale quittaient leurs frères, et, de retour à Arles, Vienne, etc., répandaient le culte nouveau. Les autres reprenant leurs esquifs remontaient le Rhône, s'arrêtaient à Lyon, Mâcon, gagnaient la Loire, la Seine et s'éparpillaient dans leurs fiefs respectifs jusqu'à Rouen. Ainsi fut tracé à travers la vieille France le sillage de ce culte très cher à nos aïeux.

C'est à saint Victrice, archevêque de Rouen, et à saint Martin de Tours que l'on doit en Gaule la rapide propagation du culte des, deux martyrs. Le premier, ami personnel du Pape saint Innocent, de saint Paulin de Noie et de saint Martin„ fut en rapports intimes avec saint Ambroise. Une première fois l'archevêque de Milan consent à se dessaisir d'une importante portion des reliques des saints Jean-Baptiste, André, Thomas, Agricol, etc., en faveur de son ami de Rouen. Vers 3q6, il lui députe Elien qui apporte cette foi à Rouen un trésor plus riche que le premier : c'étaient des reliques vénérables des saints Nazaire, Gervais et Protais. Victrice, à son tour, fait bénéficier Le Mans et Sées d'une partie du trésor envoyé par saint Ambroise. Aussi voyons-nous les saints Gervais et Protais devenir au Mans patrons secondaires de la cathédrale et, à Sées, patrons et titulaires de la cathédrale, parce que saint Innocent, alors évêque du Mans, fut le consécrateur de saint Passif, évêque de Sées, et partagea généreusement avec lui quelques-unes des reliques des deux martyrs.

Saint Venance Fortunat raconte que saint Germain de Paris guérit un aveugle en le faisant prier avec lui saint Gervais et saint Protais dont il était venu vénérer les reliques à Sées. Grâce à l'intimité et au zèle commun de tous ces évêques de l'ouest de la Gaule, de Tours jusqu'à Rouen (comme l'explique le Bréviaire du Mans), ce fut dans toute cette région un enthousiasme général pour le culte des saints Gervais et Protais.

Dans l'ancien diocèse du Mans, où fut taillé en '855 celui de Laval, on ne compte pas moins de seize églises dédiées aux saints Gervais et Protais. Dans le diocèse de Sées, ils sont patrons ou titu -laires de huit paroisses, sans compter la cathédrale à Gisors, à Avranches, à Falaise, et en bien d'autres paroisses de Normandie, ils sont toujours en grande vénération.

Les autres régions de la Gaule ne le cédaient en rien à la Normandie. Soissons, Mâcon, °aris, les honorent avec piété. L'église Saint-Gervais' de Paris date de ces époques lointaines. Rebâtie en 1212, puis au xiv5 et au xviie siècles, elle garde encore aujourd'hui jalousement le culte très cher des deux martyrs.

Abbé L. TABOURIER.Sources consultées. - Arta Sanctorum, t. IV de juin (Paris et arme, 1867). - Mgr PAUL Gufmn,

Les Petits Bollandistes, t. VII (Paris, r8gq), - Dom Pnosrna Gubnenorm, L'Année liturgique (Paris, mes). - Abbé Gnn.r.els, Les Saints du Maire et de l'Anjou (r8/i3). - Abbé VACANDAnn, Stades de

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critique et d'histoire religieuse (Paris, rgra). - (V. S. B. P., n' 646.)1MI' ILIl Àr L 4SAINT JEAN DE MATERAFondateur des Bénédictins de Pulsano (1070.1139).

Fête le .2() juin.cn z à la demande de saint. Guillaume, ami de saint Jean deMatera, par un religieux du monastère que celui-ci avait fondé à E Pulsano, celte vie est un

nouveau lcrnolgnage de I énergie dont Dieu pétrit l'âme de ses serviteurs. Renoncement à une famille aimée, recherche de toutes les mortifications et humiliations, existence solitaire dans la prière et la pénitence, prison, accusations injustes, austérités de l'existence monastique, souffrances et fatigues de l'apostolat, Jean de Matera a couru au-devant de toutes ces épreuves et de tous ces travaux quand ils ne venaient pas à lui.

Saint Jean s'enfuit pour se donner à Dieu.C'est dans la région de ]'Polie qu'on appelle la Pouille, et plus précisément dans la petite cité

épiscopale de Matera, non loin d'Otrante, que Jean naquit vers l'année 1070. Ses parents, à qui Dieu avait accordé la richesse en récompense de leur piété, ne négligèrent rien pour lui inspirer de bonne heure une haine profonde du péché et un vif amour de Dieu. Il était d'une taille élégante ; la candeur et l'innocence donnaient de nouvelles grâces à la beauté naturelle de ses traits. Son esprit précoce, son caractère affable, sa nature tendre et délicate le recommandaient a l'affection de tous ceux qui avaient le bonheur de l'approcher.

Déjà son coeur était consumé par les flammes de l'amour divin. 'Chaque jour, il s'appliquait à bannir de son âme les pensées terrestres, les sentiments humains, afin que Dieu seul pût la posséder.

Le inonde, avec ses richesses, ses appâts séduisants, ses plaisirs mensongers, lui apparut bientôt comme le plus terrible adversaire de son innocence. Sans hésiter un seul instant, il résolut de se sous-

rq JUIN

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15420 JUINSAINT JEAN DE MATERA155traire au péril enn quittant le siècle ; mais, prévoyant une funeste opposition de la part de ses

parents quii l'aimaient avecc une tendresse trop humaine, il jugea préférable de ne pas leur manifester sa résolution. Il profita d'un moment où tontes les personnes de la maison étaient occupées à divers travaux, monta sur un âne et s'enfuit à toute bride polir échapper auxx poursuites.

On comprend à quelles inquiétudes ses parents furent en proie, lorsqu'ils s'aperçurent de la disparition de leur enfant bien-aimé; néanmoins, il ne tardèrent pas à deviner la cause de ce départt précipité, car, plus d'une fois déjà, le jeune homme leur avait parlé de ses goûts pour la solitude.

Ils s'empressèrent d'envoyer des messagers dans toute la province pour retrouver ses traces et le

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ramener sous le toit paternel. Leurs recherches furent inutiles. Ce n'était pas par caprice, mais en vue do faire la volonté de Dieu que leur fils s'était éloigné ; aussi, Dieu protégea la fuite de son jeune serviteur.

Gardien de troupeau. - Humiliations et tentations.Pour mettre entre le monde et lui une infranchissable barrière, le fugitif échange cri route ses

habits somptueux contre les haillons d'un malheureux. Ainsi transformé, il arrive à la porte d'un monastère situé dans une île du golfe de Tarente, demandant aumône et asile au nom de sa pauvreté. Pour gagner son pain, il sollicite comme une faveur de garder le troupeau du monastère. Son jeune âge, ce titre de mendiant dont il se glorifiait intérieurement, ces haillons qui lui donnaient l'aspect d'un vagabond, ne lui attirèrent pas au premier abord la confiance des religieux ; il obtint pourtant l'emploi demandé.

Tout en gardant son troupeau, Jean ne cessait de prier Dieu. Il songeait, dit l'hagiographe, à Jacob et à David, jadis pasteurs comme lui, et ii n'aurait pas voulu échanger la modeste charge qu'il remplissait au monastère pour l'amour de Jésus-Christ, contre les brillantes fonctions de page au palais du souverain.

Les mets du couvent n'étaient, certes, ni recherchés ni délicats, mais un ardent amour de la pénitence inspira au petit berger le désir d'une nourriture, encore plus grossière. Invité par les moines à s'asseoir à leur table, il refusa. Ceux-ci, qui ne connaissaient pas sa vertu, crurent qu'il ne trouvait pas leur table assez bien servie au gré de sa gourmandise, et sons prétexte de corriger ce qu'ils appe> laient les prétentieux caprices d'un- petit vagabond,, reçu par charité au couvent, ils ne lui donnèrent plus que du pain sec ; encore le lui faisaient-ils attendre parfois longtemps.

Un jour que le jeune homme souffrait de la faim, dans l'attente de la chétive nourriture' qu'on oubliait de lui donner, le démon en profita pour jeter dans son imagination des pensées de mélancolie et de tristesse c'est rue tentation dangereuse qu'ont éprouvée bien des- Saints. Tous les souvenirs~ de la maison paternelle lui vinrent à l'esprit ; il s'était arraché,, presque enfant, aux, caresses, à l'amour

de ses parents, et il se voyait exposé maintenant au mépris de ceux auprès desquels il était venu s'édifier. Son cceur se laissant dominer par ces considérations humaines, il se mit à pleurer. Tout à coup une voix céleste se fit entendre, disant :

- Jean, pourquoi t'attrister ainsi P Qu'importent les secours humains àà celui que Dieu protège P Ne crains rien, je suis avec toi.

Ces paroles relevèrent son courage et le consolèrent merveilleusement. Sans dévoiler aux moines son origine et les raisons de sa venue parmi eux, il continua à les servir humblement. Mais on ne tarda pas à lui donner à entendre qu'on n'avait plus besoin de lui.

Vie d'anachorète au désert.Le jeune homme s'étant rendu an rivage vit une barque prête à faire voile vers la Calabre ; le

pilote consentit à l'accepter à son bord, De Calabre, il passa en Sicile et se réfugia dans une région déserte, où il embrassa un genre de vie digne des anciens solitaires d'Égypte.

Des herbes sauvages et des figues étaient sa seule nourriture ; ses jours et une partie de ses nuits s'écoulaient dans la prière ; quand le besoin de sommeil devenait trop violent, au milieu de ses longues veilles, il s'enfonçait dans l'eau fraîche jusqu'au cou et continuait son oraison. Il fallait pourtant dormir quelque peu, et, pour ne pas se noyer dans son assoupissement forcé, Jean s'attachait à un arbre à l'aide d'une corde.

Effrayé de tant d'énergie et de constance dans un âge que les passions ont coutumee de pousser avec violence vers le mal et les plaisirs, le démon entreprit contre le jeune solitaire une guerre sans trêve. Mais lui, humble autant que courageux, sut vaincre toutes les tentations à l'aide des armes spirituelles recommandées par NotreSeigneur lui-même ; la prière, la mortification et l'amour de Dieu.

Loin de l'ébranler,, cess diverses épreuves affermirent de plus en plus sa vertu. Deux ans s'étaient passés de la sorte, quand une voix d'en haut lui dit de quitter l'île pour retourner en Italie.

Inconnu dans sa famille.116

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Cependant, ses parents, chassés par la guerre, avaient été contraints d'abandonner leurs biens pour aller s'établir ailleurs. Jean, qui depuis longtemps ne s'occupait plus des bruits du monde et ignorait ce changement, arriva un jour en demandant l'aumône à Ginosa, dans la Pouille. Le soir, il songea à trouver un pauvre coin pour passer la nuit et s'en alla frapper à la porte d'une maison inconnue. Quelle ne fut pas sa surprise de la trouver habitée par ses parents 1 Dominant son émotion et les battements de son cœur, il implora humblement leur charité pour l'amour de Dieu.

Les années qui s'étaient écoulées et ses austérités terribles l'avaient tellement changé que nul ne le reconnut ; on se contenta de lui accorder par charité le petit abri qu'il sollicitait en qualité de men-diant, avec la permission de s'y réfugier chaque soir, Jean accepta avec reconnaissance; il passait la journée dans la solitude, sans

UN 5.A1NT POUR CHAQUE JOUR DU MOIS, 2' SÉRIE (JUIN) 6156 20 JUINautre nourriture que, des fruits sauvages, et quand la nuit ramenait les ténèbres, il rentrait

inconnu à la maison paternelle.Craignant de révéler son secret par une parole indiscrète, il ne disait jamais rien à personne ; ses

parents, du reste, le voyaient rarerement. Il vécut ainsi deux ans et demi.Cependant, sa nourrice était là avec sa famille, et dans ce mendiant sicilien qui n'avait que la

peau et les os, il lui semblait retrouver quelques traits de son ancien petit Jean, perdu et jamais retrouvé. Un jour, le voyant seul, elle s'enhardit à lui dire

- N'es-tu pas Jean, que j'ai élevé PIl ne voulut pas mentir.- Oui, c'est moi, répondit-il à voix basse, mais tais-toi.Chose admirable, dit le biographe, et où l'on voit bien la grâce de Dieu, cette femme, respectant

la vocation (le Jean, veilla sur sa langue et garda fidèlement le secret.

Apostolat et prisonUne nouvelle phase de la vie du jeune ermite allait commencer. Dieu, qui l'avait préparé dans

l'humilité, la prière et la pénitence, pour en faire un instrument docile entre ses mains, allait l'employer au salut des âmes et lui donner les dons surnaturels nécessaires à sa mission. Eclairant son intelligence de lumières supérieures, il le doua d'une éloquence si suave, si persuasive, si savante en même temps, que les hommes les plus instruits qui eurent dans la suite l'occasion de l'entendre, étaient forcés d'avouer que sa science ne venait pas de la terre, mais du ciel.

Peu après, Jean s'en allait quêter auprès des habitants de la contrée, s'imposant mille courses et mille démarches, bravant les moqueries et les injures, obtenant de l'argent des uns, des matériaux et des bêtes de somme de la part des autres, pour rebâtir l'église de SanPietro, près de Ginosa, qui était à demi démolie.

Cette rouvre étonnante, accomplie par un mendiant sans ressources, remplit d'admiration tout le pays. Le bruitt en vint jusqu'aux oreilles du gouverneur de la province. Le mendiant a dû trouver quelque grand trésor, lui dirent des malintentionnés, et il le dépense, sans que ni le propriétaire du lieu où il l'a découvert ni I'Liatl en reçoivent rien. Jean fut arrêté, et, sommé de déclarer où il avait découvert le prétendu trésor, il affirma ne rien posséder et fut jeté en prison où on lui fit subir toute espèce de mauvais traitements. Mais, un jour, un ange apparut dans son cachot et lui dit :

- Que fais-tu encore ici, Jean P Tu as donné des preuves suffisantes de ta patience. Sors et va où Dieu t'enverra, nul ne pourra t'en empêcher.

A l'instant ses chaînes tombèrent, comme pour saint Pierre dans la prison d'Hérode, la porte de son cachot s'ouvrit et le prisonnier sortit, traversa la forteresse au milieu des soldais et des serviteurs du gouverneur sans être reconnu par eux et il s'enfuit. Des messagers. envoyés à sa poursuite, le rencontrèrent et ne le reconnurent pas.

Pour ne pas s'endormir lorsqu'il était en prièresaint jean de Male-.; se plongeait dans l'eau froide d'un elang.

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Une prédiction.Saint Jean de Matéra à Bari et au mont Gargan.

A peine délivré de sa captivité, le serviteur de Dieu se dirigeait vers Capone, lorsqu'il fut inspiré de revenir sur ses pas et d'aller au mont Luceno auprès de saint Guillaume de Verceil et de ses reli -gieux. Ceux-ci le reçurent avec une joie immense.

Jean, éclairé du ciel, leur dit :- Mes Frères, un malheur vous menace ici, quittez cette demeure et transportez-voua ailleurs.

SAINT JEAN 0E MATERA15;

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158Ces paroles parurent étranges aux cénobites, car le couvent était agréablement situé et

commodément bâti.Ils doutèrent de la prophétie et ne déménagèrent pas. Mais leur doute disparut bientôt, quand un

violent incendie détruisit les bâtiments claustraux avec tout ce qu'ils contenaient.Les moines partirent alors pour une autre montagne, le mont Cogno ; l'homme de Dieu les y

accompagna et demeura avec eux pour les encourager jusqu'à ce qu'ils se fussent construit des cellules habitables. Aussitôt après, leur disant adieu, il se rendit à Bari et se mit à prêcher aux foules avec un zèle et une éloquence tout apostoliques. Beaucoup de pécheurs se convertirent et revinrent à Dieu sincèrement ; mais d'autres, jaloux de la vénération dont il était entouré, et obstinés dans leur orgueil, méprisèrent ses exhortations ; ils allèrent jusqu'à l'accuser d'hérésie auprès dee l'évêque.

Jean n'eut pas de peine à se justifier. Au reste, les miracles parlaient pour lui. La fille du chancelier du due de Pouille et de Calabre était à toute extrémité ; il la guérit miraculeusement, et, pour se soustraire aux applaudissements de la foule, s'empressa de quitter le pays ; après quoi, s'étant rendu au célèbre sanctuaire de Saint-Michel, sur le mont Gargan, il annonça la parole de Dieu aux nombreux pèlerins qui s'y pressaient.

Fondation d'un monastère.Lui-même pria longuement dans cette église et implora les lumières d'en haut, afin d'apprendre

de quel côté il devait à présent diriger ses pas. C'est alors qu'il se mit en route avec quelques com-pagnons qui déjà s'étaient attachés à lui et arriva en un lieu nommé Pulsano. Son zèle y érigea une église et un monastère, où ses six compagnons et lui embrassèrent la règle de saint Benoît ;J c'était vers l'année 1118.

Six mois ne s'étaient pas écoulés et le bruit de l'admirable ferveur des moines de Pulsano s'était déjà tellement répandu, qu'on vit accourir auprès d'eux une foule de personnes désireuses d'arriver à la perfection sous la direction du serviteur de Dieu.

Le monastère, dont Jean fut le premier Abbé, porta le nom de Sainte-Marie de Pulsano ; il fut le berceau d'une nouvelle Congrégation bénédictine dite de Pulsano.

Pendant que sa famille religieuse s'accroissait ainsi, Jean bénissait en même temps la divine Providence qui lui envoyait chaque jour d'abondantes aumônes pour subvenir rux besoins de tous.

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Son humilité ne pouvait se persuader que Dieu daignât s'occuper de lui ; les marques de respect et de vénération qu'on lui témoignait ne faisaient qu'augmenter son mépris pour sa propre personne.

Miraculeuse guérison. - Saint Jean et les brigands.Un enfant de noble famille, nommé Orso, avait pris l'habit au monastère. Un jour, que l'Abbé

travaillait de ses propres mains à la construction d'un mur, avec quelques novices qui lui passaient les

SAINT JEAN DE MATERA 151pierres, un gros bloc mal tenu s'échappe et vient frapper violemment Orso, •qui se trouve

renversé et à demi écrasé.Les témoins de cet affreux accident, muets d'effroi et d'émotion, se précipitent et relèvent la

victime. On la croit morte, bien que ses paupières battent encore, raconte le biographe. Enfants et moines éclatent en sanglots. A ce moment, arrivent les parents de l'infortuné jeune homme. A la vue du visage livide et du corps ensanglanté de l'enfant qu'ils venaient voir et embrasser, ils sont pris d'une douleur folle, et se tournant vers le supérieur :

- Rends-nous, lui crient-ils, le fils que tu sons as ravi,Sans s'irriter de leurs injustes récriminations et de leur ton menaçant, Jean s'efforça de relever

leur courage et de leur recommander la soumission à la volonté de Dieu. Ensuite, il fit transporter le novice dans l'église de la Sainte Vierge, ordonna à tous de sortir, ferma les portes et se mit en prière :

- Seigneur Dieu, dit-il, vous qui avez tout créé de rien, rendez à cet enfant son premier état de santé et daignez le conserver à votre sainte Eglise, afin que tous ceux qui le verront glorifient la

puissance de votre nom.S'approchant alors, il prit le jeune religieux par la main, le releva et le remit sur ses pieds. Puis

il ouvrit les portes de l'église et le montra à tous, plein de vie et de santé.Un autre jour, le supérieur de la communauté avait mené plusieurs Frères dans la forêt pour

abattre des arbres destinés à la construction d'une maison. Ils furent surpris par une bande de brigands armés des pieds à la tête. A cette vue, les Frères, épouvantés, se sauvent dans toutes les directions. Ils se retournèrent seulement lorsqu'ils se crurent hors d'atteinte et aperçurent alors leur Père, s'avançant environné d'une lumière éblouissante et portant à la main une verge avec laquelle il poursuivait les malandrins et les frappait d'une manière vigoureuse, jusqu'à ce que tous se fussent enfuis. Les Frères, à qui la présence de leur Père avait rendu courage, accoururent alors vers lui comme des enfants pleins d'amour, proclamant leur reconnaissance émerveillée. Il les exhorta à vivre toujours confiants sous le regard de Dieu, et après leur avoir adressé quelques paroles d'édification, regagna le monastère.

Endormi dans la paix du Seigneur.Jean était parvenu à un tel état de sainteté que Dieu semblait prendre plaisir à s'entretenir

familièrement avec lui. Le moine voulait que tout lui vînt de la part du Seigneur, et n'entreprenait aucune oeuvre sans avoir reçu du ciel l'assurance de son utilité. Il se trouvait au monastère de Saint-Jacques, également dans la Pouille, lorsqu'il sentit approcher la mort avec son cortège de souffrances ; mais cette perspective ne le fit point trembler. Que peut, en effet, la mort sur celui qui, tous les jours, s'est efforcé de mourir au monde et aspire avec ardeur aux biens éternels P

Levant les yeux au ciel, le saint mourant dit aux démons20 JUIN16020 JUIN- Que cherchez-vous, ouvriers d'iniquité P Reconnaissez-vous en moi quelque chose qui vous

appartienne P Vous m'entourez comme des chiens affamés, attendant qu'on leur jette pour pâture les chairs d'un cadavre. Mais sachez que vous attendez en vain : il n'y a rien en moi qui puisse devenir votre proie. Laissez-moi mourir en paix.

Devant ces paroles, les esprits infernaux venus pour troubler ses derniers instants s'enfuirent et le pieux Abbé vit s'approcher de lui un choeur angélique qui remplissait l'air de chants célestes.

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Confus de tant de marques d'amour de la part de Celui qu'il avait si bien servi, Jean entonna le chant de sa délivrance et de la fin de son exil.

- Dieu de miséricorde, arrachez-moi de cette prison où, Inalheureux captif dès le sein de ma mère, je gémis sur les maux de la nature humaine. Brisez ces liens qui gênent l'essor de mon âme et m'empêchent de voler vers ma véritable patrie. Saints anges, qui venez m'assister dans mes derniers moments, daignez me présenter à mon Dieu comme une hostie vivante, afin que je puisse le chanter et le bénir pendant toute l'éternité.

Telles furent ses dernières paroles. Courbant la tête, il joignit les mains sur sa poitrine, et s 'endormi[ du sommeil de la paix, le 2o juin si3g, sous le pontificat d'Innocent Il et le règne de Roger, roi de Sicile.

Selon le désir qu'il avait exprimé, son corps fut inhumé dans l'église du couvent où il avait rendu l'âme ; son chef seul fut transporté par la suite à l'abbaye de Pulsano.

Ce dernier monastère fut embaumé par les vertus de plusieurs Saints : notamment un disciple de Jean de Matera, appelé également Jean - en latin Joannes Bonus -- honoré le 23 février ; un autre du nom de Joël, fêté le 25 janvier, et un Bienheureux du nom de Jourdain. Il connut le déclin surtout avec la plaie trop répandue du régime des commendes ; ce rameau bénédictin disparut même com-plètement vers la fin du xvn° siècle ; l'abbaye était occupée par quelques religieux Franciscains ; son église, Sainte-Marie de Pulsano, est aujourd'hui un centre paroissial dans le diocèse de Tarente.

S. V. H.Sources consultées. - Acta Sanclorum, t. IV de juin (Paris et Rome, 1867).- P. H6nxor, du Tiers-Ordre de Saint-François, Dictionnaire des Ordres ru,gieux, publié par

MAn,a-Lé.Annna BAmcaa (collection ?digne), t. 111 (Paris, r85o).- (V. S. B. P., cas 48, et 1735.) ..................................PAROLES DES SAINTS

La crainte de l'enfer..Personne ne considère les tourment% éternels qui sont préparés pour les méchants. Si l'on en

était bien persuadé au fond de l'àme, on les craindrait. Mais on ne les craint point parce qu'on n'y croit pas. Si on v

croyait, on y prendraitt garde, et si on y prenait garde on les éviterait.Saint CsrntaN.(De l'Unité de l'Eglise.)SAINT RAOUL ou RADULPHE

Archevêque de Bourges (t 866). Fête le 21 juin.L A forme latine du nom de ce Saint est Rodulfus, d'où l'on a fait autrefois « Radulphe », «

Ralph » ou « Rodolphe » ; nous préférons adopter la forme « Raoul » plus moderne, et sous laquelle le nom de l'archevêque de Bourges est maintenant conféré au saint baptême ; dans le langage populaire du Berry on l'appelle

aussi « saint Roïls ».

Naissance et première formation.Raoul naquit au début dit ix° siècle, dans le diocèse de Limoges. Il était le fils de Raoul, comte

de Turenne, proche parent de Wiffroi, comte de Bous-ges, et, comme ce dernier, descendant de la Maison royale de France.

Sur la foi, probablement, d'une notice généalogique sans date, insérée au xiv' siècle à la fin du Cartulaire de Reaaliea, Dom Mabillon et après lui un grand nombre, d'historiens ont donné sans preuves à Raoul, outre le titre de comte de Turenne, celui de comte de Cahors.

Dieu avait donné au comte de Turenne, pour compagne de sa vie, une femme d'une naissance non moins illustre que la sienne, aussi vertueuse que riche. Elle s'appelait Ayga ou Aygue. Outre Raoul qui devait illustrer le siège archiépiscopal de Bourges par l'éclat de sa science et de sa sainteté, de cette union si bien assortie naquirent encore six enfants ; cinq fils : Godefroy et Robert,

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plus tard comtes de Turenne ; Jean, qui devint dans la suite Abbé de Beaulieu ; Landry et Immon, et une fille, Immena, qui se consacra de bonne heure à Dieu et devint, peu après, abbesse de Vegennes.

Le jeune Raoul ne trouva au foyer domestique que de nobles enseignements et de hautes vertus.Comme les patriarches de l'Ancien Testament, le comte Raoul et

3 a

o16221 JUINSAINT RAOU1. OU RADULFIIB 163Ayguo élevèrent leur fils sous le regard de Dieu, cherchant à lui inspirer des sentiments de piété

et d'honneur. Les enseignements recueillis sur les genoux de sa mère demeurèrent profondément gravés dans l'esprit et le coeur de l'enfant ; ils furent comme la première semence de cette sainteté qui devait germer et s'épanouir plus tard.

Saint Raoul à l'école des moines.Le comte et sa femme qui avaient rêvé pour leur fils une formation complète, comprirent qu'ils

ne pouvaient parfaire, à eux seuls, ce grand couvre. Ils résolurent donc, d'un commun accord, de le faire inscrire, en 823, au rang des clercs d'un monastère, voisin, et lui concédèrent en même [corps plusieurs e villas n, ou domaines ruraux, situées en Limousin e[ en Quercy et destinées à former sa dotation, comme cela se pratiquait d'ordinaire à l'entrée des novices dans les Ordres monastiques.

Dans quel monastère fut placé le jeune Rodolphe D Peut--être dans la célèbre abbaye de Solignac. située dans l'actuel arrondissement de Limoges et fondée en 631 par saint Eloi.

En effet, lorsque Raoul, devenu archevêque de Bourges, construira le monastère de Vegennes, en Bas-Limousin, il le confiera à l'Abbé Sitvius, le même probablement que celui auquel était alors soumise l'abbaye de Solignac, et il se réservera seulement de partager avec lui l'administration-de la nouvelle maison. A un autre moment, voulant organiser le gouvernement d'un autre monastère de sa créalion, celui de l3eaulieu, dans le diocèse actuel de Tulle, Raoull y installera des moines de Solignae. Il mettra les deux établissements de Vegennes et de Bcaulieu sous le vocable de saint Pierre, qui était aussi le patron de Solignac. C'est encore sous la même protection qu'il avait placé précédemment le monastère de Dévre, peut-être fondé par lui près du château de Vierzon. Enfin, la charte 185 du Cartulaire de Beaulieu, datée de l'an 823. semble contenir une allusion à Raoul ainsi qu'à Dructamnus ou Ducterannus qui fut le neuvième Abbé de Solignac, de 823, au plus tard jusqu'à l'année 83g. Toutefois, Dom liabillon donne pour précepteur à Raoul un religieux qu'il nomme Bertrannus. Mais ce Bertrand, qualifié de e vie religiosus », ne figure pas sur la liste des abbés de Solignac ; de sorte que si l'on s'en tenait à cette dernière hypothèse, on ne pourrait affirmer que Raoul ait été élevé à Solignac.

De toute manière, la tâche du professeur fut grandement facilitée par les heureuses dispositions de l'enfant, qui s'assimila aisément ce qu'on lui enseignait et qui bientôt surpassa tous ses condisciples d'études, du moins ceux de son âge.

Adieu au monde.De bonne heure aussi, Raoul prit goût au service des autels. Sa sagesse, l'innocence de ses

recours et la rapidité de ses progrès dans les sciences sacrées le tirent admettre au nombre des clerc

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voués au culte divin.En 83a, il reçut la première tonsure cléricale et renonça généreusement à tous les avantages que

pouvaientt lui faire espérer sa naissance illustre et son rang, pour se consacrer entièrement à Dieu. Sa vie comme simple clerc ne nous est point connue.

Saint Raoul devient Abbé de plusieurs monastères.Suivant le sentimentt d'un grand nombre d'auteurs, Raoul devint Abbé de Solignac. Cependant,

le fait n'est pas certain, car son nom ne figure pas sur la liste des Abbés de ce monastère. Mabillon dit seulement e Abbé d'un lieu inconnu ».

Ce qui est plus sûr, c'est que Raoul fut Abbé de Fleury-sur-Loire, aujourd'hui Saint-Benoît-sur-Loire, au diocèse. d'Orléans ; il obtint cette riche et importante abbaye de la munificence du roi Charles le Chauve, lorsqu'elle était déjà administrée par l'Abbé Bernard, premier du nom. Il est assez probable que, dès la fin de 843 ou au commencement de 844, Raoul avait déjà pris le titre de protecteur et d'Abbé de Fleury, et c'est là ce qui excitera plus tard les plaintes élevées dans an Concile national franc tenu en 85g et dont nous aurons à reparler.

On ignore si, à la suite de la réclamation si pressante des évêques de ce Concile, Raoul résigna son titre. L'affection et la générosité qu'il manifesta toujours pour les Ordres monastiques le font du moins penser ainsi, et les auteurs de l'Histoire littéraire de France sont de cet avis.

Baoul fut, en outre, s'il faut en croire un passage de la Chronique dit Mont-Saint-Michel, Abbé de Saint-Nlédard de Soissons ; et Trithème déclare qu'il assista, en cette qualité, au Concile de Mayence de 848.

Un autre écrivain, dont les assertions sont rarement justifiées par des preuves, manquent trop souvent d'exactitude, attribue enfin à• Raoul le titre d'Abbé laïque du monastère de Saint-Martin de Tuile. Il n'existe, à l'appui de cette allégation, aucune preuve de quelque

valeur.

L'archevêché de Bourges. - Guerres intestines.L'élévation de Banni au siège archiépiscopal de Bourges se place vers 840-841.Parvenu à cette haute, dignité, le prélat qui, dit un de ses biographes, à l'éclat d'une grande

naissance et à d'immenses richesses joignait la connaissance approfondie des lettres et particulièrement des divines Ecritures, doué, d'ailleurs, d'un esprit actif et entreprenant, devint, dans ces temps de désastres et de guerres intestines qui signalèrent les règnes des successeurs de Louis le Pieux, le centre et le chef d'un parti puissant. Sous son épiscopat, une lutte s'engagea entre Charles le Chauve et Pépin If, roi d'Aquitaine, descendant direct de Charlemagne, en qui se personnifiait l'ancien esprit •d'hostilité des populations gallo-romaines d'outre-Loire contre les souverains de la Gaule franque du Nord.

Raoul paraît avoir été, de 843 à 848, attaché à la fortune de164 21 JUINSAINT RAOUL OU RADULPIIE165 .Pépin, et tout porte à croire qu'il l'aida de son influence sur les hommes puissants de sa

province, et qu'il encouragea leurs fréquentes levées de boucliers contre le prince qui siégeait à Paris.

Mais, à l'issue de cette lutte (vers la fin de 849), et quand l'infortuné Pépin eut été fait prisonnier et enfermé dans un monastère, Raoul se, rangea du côté (les vainqueurs et, en 855, il sacra solen nellement roi d'Aquitaine, à Limoges, le fils de Charles le Chauve que l'on surnomma Charles le Jeune.

Depuis ce temps, malgré la mobilité proverbiale des affections des peuples aquitains, qui se portèrent jusqu'à cinq fois d'un parti à l'autre, le pieux archevêque resta fidèle au jeune souverain que sa main avait béni, et lorsque Pépin, échappé du cloître ou plutôt (le la dure prison où le tenait son rival, se présenta de nouveau pour agiter le pays, lorsque, au sud de la Dordogne, l'Aquitaine impatiente du joug, reprit les armes à sa voix, les provinces centrales, dirigées par la volonté ferme

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et prudente de leur pasteur ecclésiastique, demeurèrent soumises à leur devoir et refusèrent leur concours au prétendant.

Les grands actes d'un fécond épiscopat.C'est du règne de Charles le Jeune que Raoul data la plupart de ses chartes de fondation ou de

dotation. En calculant ces mêmes dates du règne de Charles le Chauve (ce qui les faisait reculer de quatre années), la plupart des auteurs qui se sont occupés du saint personnage et de l'origine des monastères établis par ses soins ont commis de graves erreurs chronologiques.

Il se passa bien peu d'événements de quelque importance, pendant l'épiscopat de Raoul, auxquels ce dernier n'eût une part prépondérante .

C'est ainsi qu'il assista au Concile de Bourges, qu'il présida en 842. Le 17 juin 845, il était présent, avec les archevêques de Sens et de Reims, Ilinemar et Wenilo, et leurs évêques suffragants, au Concile de Meaux, convoqué par le roi Charles le Chauve pour veiller à la réforme du clergé et des fidèles. Trois ans après, le 1C9 octobre 848, il se trouvait aussi au Concile de Mayence, et le 14 juin 859 il assistait à la célèbre assemblée nationale tenue dans la villa de Savonnières, près de Toul ou, s'il faut admettre qu'une erreur de lecture ait été commise et répétée jusqu'à ce jour, à Sablonnières, au diocèse actuel de Meaux. Savonnières n'aurait été alors que le lieu d'une entrevue entre les mêmes princes, le 3 novembre 862. A ce Concile assistaient trois rois, Charles le Chauve, Lothaire de Lorraine et Charles de Provence, ainsi que l'épiscopat de douze provinces ecclésiastiques.

Un des points les plus importants à régler fut l'attitude de Wenilo, archevêque de Sens, qui s'était révolté contre Charles le Chauve et avait entraîné plusieurs collègues dans sa défection.

En i87o, une colonne commémorative a été élevée à Savonnières, en souvenir de ce Concile.Le 22 octobre 86o, les trois mêmes princes, ayant convoqué àSaint Raoul sacre le roi Charles le Jeune.

Tuzey, aujourd'llui commune de Vaucouleurs, dans le département de la Meuse, un nouveau Concile qui dura jusqu'au 7 novembre de la même année, Raoul s'y trouva encore avec cinquante-six évêques ou archevêques de quatorze provinces ecclésiastiques. Une longue instruction synodale, composée par Hincmar de Reims, relative au dogme de la prédestination, et qui avait déjàà fait l'objet de nombreuses discussions au Concile de Savonnières, y fut rédigée. Enfin, Raoul prit une large part, en 862 et 864, aux réunions conciliaires de Piste ou Pitres, villa mérovingienne située au confluent de l'Andelle et de la Seine, dans le canton de Pont-de-l'Arche, département

de l'Eure.

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16621 JUIN

SAINT RAOUL OU RADULPIIE167Charles le Chauve avait convoqué là les grands de son Empire afin d'établir à cet endroit de la

Seine des retranchements contre les invasions des Normands. On en profita pour réunir un Concile qui traita des affaires de l'Eglise et de l'Empire, et on s'y occupa spécialement du cas de Rothade, évêque déposé de Soissons.

.On doit à Raoull peut-être la fondation de l'abbaye de Dèvre, située sur les bords du Cher entre Vierzon et Sain t-Georges-sur-la-Prée. Détruite par les Normands en go3, cette abbaye fut transférée à Vierzon en 926. Les monastères que Raoul a fondés en Limousin sont ceux de Vegennes (84g) et de Beaulieu (855).

Un troisième dont parle le Bréviaire est surtout l'couvre de sa mère ; ce doit être le monastère de femmes de Caziliacus ou Cazals, dans le diocèse de Cahors.

La première église livrée au culte par saint Ursin, à Bourges, fut le palais donné généreusement par Léocade, seigneur de la Gaule Lyonnaise. Elle fut reconstruite à la fin du ive siècle par saint Pallais. Saint Grégoire de Tours en fait grand éloge. Sur le même emplacement, Raoul construisit une nouvelle basilique. De cette église, il subsiste encore une galerie voûtée en berceau qui servit longtemps de caveau des archevêques.

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Dans les écrits du Pape saint Nicolas I°C, qui occupa le trône pontifical de 858 à 867, on trouve deux lettres qu'il adressa à Raoul. Ces deux lettres sont de l'année 864. La première, adressée à la fois à Raoul et à ses suffragants, les engage à s'abstenir de tous rapports avec les archevêques de Trèves et de Cologne déposés en 864 par le. Concile de Latran pour avoir soutenu le roi Lothaire dont la conduite était scandaleuse. La seconde lettre, adressée à Raoul seul, traite, entre autres, de questions relatives aux chorévêques et au titre de patriarche porté par l'archevêque de Bourges. Le Pape admet la validité des ordinations conférées par les chorévêques, maiss il demande qu'à l'avenir ils s'abstiennent d'user de ce pouvoir. Il reconnaît également à l'archevêque de Bourges le droit de s'appeler patriarche, mais il lui demande de se maintenir dans les limites tracées par les canons et l'usage ancien, pour l'exercice de ce droit.

(VILLEPELET).Zèle pour la réforme du clergéRaoul s'était concilié, dans la grande et difficile administration qui lui était confiée, le respect et

l'affection des populations, ou, du moins, des seigneurs de l'Aquitaine, ainsi que de tout son clergé. Suivant le rapport d'un moine de Saint-Sulpice de Bourges, il mérita, de son vivant même, parmi ses contemporains, le surnom glorieux de a Père de la patrie s.

Plus de deux siècles après sa mort, un évêque de Limoges, Eusforge, en confirmant à l'abbaye de Beaulicu la possession de l'église de Chameyrac, dont l'archevêque Baoul avait obtenu la concession de Charles le Chauve, rappelait les libéralités et la munificence du prélat et rendait hommage à sa mémoire.

Sous le titre de Capitula, on possède de Raoul une sorte d'Instruclion pastorale qui n'a été éditée qu'au commencement du xvnl" siècle.L'archevêque de Bourges adressait cet écrit aux prêtres de son diocèse, qu'il appelait ses frères

et ses coopérateurs dans le saint ministère ; mais il ne le publia qu'après les avoir consultés sur les points qu'il v établit. Le but principal que se proposait l'illustre prélat était de faire revivre, parmi les membres de son clergé, l'esprit des anciens canons de l'Eglise et de remédier à certains abus qui s'étaient glissés dans son diocèse.

Dans les Capitula., il a réuni en quarante-cinq articles ce qui lui a paru le plus propre à instruire ses prêtres de leurs devoirs porsonnels, et à leur formuler ce qu'ils devaient enseigner aux fidèles confiés à leur sollicitude pastorale. Ses enseignements sont tirés pour la plupart de divers capitulaires des anciens rois de France et de l'instruction de Théodulphe, Abbé de Saint-Thierry au Montd'Or. Raoul a puisé aussi quelquefois dans les anciens Conciles, les décrets des Souverains Pontifes et les écrits des Pères de l'Eglise.

Parmi les devoirs qu'il prescrit aux prêtres, il insiste fortement sur la prière, la lecture et même te travail des mains, afin d'éviter l'oisiveté, la mère de tous les vices. Il veut aussi que les ministres de Dieu soient assidus aux heures canoniales de l'office, tant de nuit que de jour ; qu'ils n'ignorent pas ce qui concerne l'administration des sacrements ; qu'ils aient les livres nécessaires à leur ministère et qu'ils s'appliquent à en avoir de corrects et à les conserver ; qu'ils gardent toujours la sainte Eucharistie avec beaucoup de décence pour les malades ; qu'ils préparent eux-mêmes le pain destiné au Saint Sacrifice de la messe, ouu qu'ils le fassent préparer en leur présence par des personnes respectables. L'archevêque termine en signalant par le menu les points de doctrine que les prêtres doivent enseigner au peuple dans leurs instructions.

Mort de saint Raoul. - Son culte.Arrivé enfin au terme de sa longue et brillante carrière, plein de jours et de mérites, Raoul

expira dans sa ville archiépiscopale, le 21 juin de l'année 866. Sa mort avait été prédite par l'ermite saint Jacques de Saxau. Son corps fut enseveli dans la basilique dédiée à saint Ursin, premier évêque et patron de Bourges.

Le culte do saint Baoul, après être resté longtemps populaire à Bourges, est presque entièrement tombé dans l'oubli dans ce diocèse.

Ailleurs, il n'en est pas ainsi. Dans le diocèse de Vannes, par exemple, se trouve, un bourg et une fontaine qui portent le nom du glorieux archevêque.. Les eaux de cette fontaine passent même pour avoir une vertu curative miraculeuse.

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Dans le diocèse de Valence, saint Raoul est honoré d'un culte particulier dans la paroisse de Roussas, commune du canton de Grignan. Sa statue se trouve dans le sanctuaire célèbre de Saint-Joseph, qui se dresse d'une manière majestueuse sur la cime du mont Mazeiras.

Le bréviaire et le missel actuels de Bourges célèbrent la fête de16821 JUINsaint Raoul le 21 juin, et lui associent un autre Pontife, saint Simplice, qui gouverna la même

Eglise quatre cents ans plus tôt, versla fin du v° siècle.L. C.

Source consultées. - Acta Sanctorum, t. V de juin (Paris et Rome, 1867). - Abbé Louis Cunvnnsr, Saint Rodolphe, archevêque de Bourges (Valence, rgo5). - M.sx. Dscoenc, Cartulaire de l'abbaye de Beautieu (1859). - Abbé J. Vn.ceesurr, Nos Saints berrichons, Traduction, sources et commentaire du Propre du diocèse de Bourges (Bourges, 19x1). - (V. S. B. P., n° 1791.)

PAROLES DES SAINTS Souffrir pour Jésus-Christ.C'est préférable à tous les sceptres et à toutes les couronnes, et c'est la plus grande de toutes les

gràces. Il n'est rien de plus honorable que d'ftre lié pour Jésus-Christ. Elle chargé de chaînes pour Jésus-Christ, c'est, plus que d'être apôtre, docteur ou évangéliste. Si quelqu'un aime ardemment Jésus-Christ, il sait le prix et la vertu des liens ; et s'il était en son choix, il aimerait mieux souffrir la prison que d'entrer dans le ciel. Pour moi, j'estime plus les chaînes de saint Paul que tout l'or et tous les diadèmes des rois. Car la plus éclatante couronne de la terre enrichie de pierreries n'est point un si superbe ornement sur la tête d'un monarque, qu'une chaîne de fer que l'on porte pour l'amour de Jésus-Christ. f' st lorsque saint Paul était dans la prison, sa présence rendait ce lieu plus honorable que tous les palais des rois, plus honorable que le ciel même, parce qu'il avait un prisonnier pour Jésus-Christ.

Saint JEAN CHnvsosronsa.(Homélie viii sur t'lpftr'e à Rpiphane.)

Au pied de la croix.L'apôtre saint Paul disait aux Corinthiens : a En venant au milieu de vous, je n'ai pas prétendu

savoir autre chose que jésus et Jésus crucifié. n Pourquoi réduit-il ainsi toute sa science à celle du Crucifix P Parce que, plus efficacement que tout autre motif, le crucifiement et la mort de l'llomme-Dieu l'excitaient à aimer ce divin Sauveur, à pratiquer l'obéissance envers Dieu, la charité envers le prochain et la patience dans les adversités. Or, telles sont les vertus principales que Notre-Seigneur pratiqua sur la croix et qu'il voulut vans enseigner à tous du haut de cette chaire de toute vérité. Fréquemment, surtout le vendredi, remettons-nous devant les yeux Jésus mourant sur la croix Arrêtons-nous quelque temps aux pieds de ce divin Sauveur ; contemplons avec attendrissement les soi ffrances qu'il endure et l'amour qu'il nous témoigne dans son agonie sur ce lit de douleur. A l'aspect de Jésus crucifié, oh 1 comme notre esprit se dégage de tout désir des honneurs mondains, des biens terrestres et des plaisirs des sens I Alors s'échappe de la ciels comme un souffle céleste qui nous détache doucement des choses de la terre, et allume dans nos cours un saint désir de souffrir et de mourir pour l'amour de Celui qui a daigné tant souffrir et mourir pour l'amour de nous.

Saint ALPHONSE DE Louent.SAINT ALBAN ou ALBI NPremier martyr de la Grande-Bretagne (t vers 304)Fête le 2.2 juin.ne sait presque rien de certain sur saint Alban - connu aussi surtout en France ou en Allemagne

sous le nom d'Albin, - sinon qu'il est donné comme martyrisé enGrande-Bretagne au nie ou au lve siècle. Saint Gildas de Rhuys dit qu'il était de Vérulam et,

saint. Bède le Vénérable, dans son Histoire ecclésiastique, situe le martyre aux environs de cette bourgade, qui se trouve à 3o kilomètres au nord de Londres. Tous les deux placent le martyre

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d'Alban sous Dioclétien. On ignore sa nationalité ; il est qualifié du titre de protomertyr anglorarrt, qu'il faut traduire « premier martvr d'Angleterre D et non « premier martyr anglais D, car les Angles ne parurent en Grande-Bretagne qu'un ou deux siècles plus tard. Mais la légende s'est plu à enrichir copieusement l'histoire, à tel point qu'il est extrêmement difficile de décider quel germe de vérité subsiste sous cette floraison de faits et de détails merveilleux.

La première autorité qui mentionne saint Alban est Constantius, dans la Vie' de suint Germain d'Auxerre, écrite vers 48o. Mais là encore les détails donnés sur l'ouverture du tombeau et l'enlèvement des reliques sont des interpolations bien ultérieures. Gildas utilisa, avant 547, cette légende qui était alors entièrement développée. Saint Bède nous a laissé le récit du martyre de saint Alban et c'est celui qui est communément adopté.

Quoi qu'il en soit de l'authenticité des détails qui vont suivre il est certain que l'illustre martyr a été continuellement vénéré en Angleterre depuis le v° siècle, et sa réputation de sainteté s'est répandue dans toute l'Europe. Ainsi, vers l'an 58o, le poète Venance Fortunat, qui vivait dans la Gaule méridionale, le célèbre dans ses

170 za JUINSAINT ALBAN OU ALBIN171vers : a La gloire de son triomphe, dit-il, a été si éclatante qu'elle se répandit dans toute l'Eglise.

nLes historiens anglais, à la suite de Gildas et de Bèdc, ont à l'envi célébré ses louanges. Son

histoire a été aussi confondue avec celle d'un autre Alban ou Albin, martyrisé à Mayence à la fin du iv° siècle, et dont la fête se célèbre le a1 juin.

Le christianisme en Grande-Bretagne.Une gracieuse légende raconte que saint Joseph d'Arimathie, L premier apôtre des lies

Britanniques, en arrivant dans le pays nouveau qu'il devait conquérir à la foi, planta sur le rivage de la mer son bâton de voage, et qu'aussitôt ce morceau de bois aride se couvrit de fleurs.' C'est là une image du développement rapide de la religion chrétienne en Angleterre. Les peuplades qui l'habitaient, religieuses jusqu'à la superstition, embrassèrent la foi de Jésus-Christ avec autant d'ardeur qu'elles en avaient mis à défendre leur colle druidique.

Séparée par la mer du reste du monde romain, la Grande-Bretagne (la a Bretagne majeure n, ainsi que l'appelaient les Latins), était demeurée étrangèiC aux changements politiques et religieux de Rome. Le bruit des neuf persécutions générales, qui avaient ébranlé toutes les provinces, était venu mourir sur les rivages de l'Océan. L'Eglise d'Angleterre avait eu des confesseurs et des vierges, elle ne possédait pas encore de martyrs. La persécution de Dioclétien devait lui en fournir un grand nombre.

Le premier inscrit à son martyrologe est saint Alban : il souffrit vers 3o(, au commencement de la grande persécution qui suivit le -quatrième édit contre les chrétiens.

Premières années de saint Alban.128

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Alban naquit en Angleterre vers la fin du m° siècle. Sa famille, d'origine romaine, s'était fixée depuis longtemps dans le pays : il n'était pas rare à cette époque de voir des patriciens quitter Rome et 1 Italie pour s'installer au milieu des vastes domaines achetés ou conquis à la suite d'une expédition ou d'une guerre.

Co fut le cas des parents d'Alban établis à Vérulam ou Verulamium, si souvent traversée par les légions de César et par les troupes de la célèbre Boadicée, reine des Icéniens, qui, pour défendre ses sujets contre les traitements odieux des soldats romains et leurs alliés, fit massacrer 70 000 d'entre eux vers l'an 59.

Alban, jeune encore, fut envoyé à Rome pour y étudier les belleslettres. Toujours jaloux de leur supériorité intellectuelle, les Romains n'avaient garde de négliger, au milieu des préoccupations de la fortune, la culture de l'esprit. Alban trouvait peut être dans ,la capitale de l'empire des parents et des amis de sa famille.

On dit aussi qu'il servit dans les armées romaines, mais ce fut probablement parmi les troupes d'occupation de la Grande-Bretagne. Dans les développements ultérieurs de la légende, il apparaît comme un soldat qui avait visité Rome.

Le jeune homme revint d'Italie, emportant quelques souvenirs des poètes et des philosophes qu'il y avait étudiés, mais ignorant la religion nouvelle qui commençait â grandir dans l'ombre des catacombes. Comme beaucoup de Romains, Alhan était surtout indif férent. Son honnêteté naturelle lui inspirait une certaine compassion en faveur des pauvres et des persécutés : c'était sa religion. Dieu se s^rvit de ces vertus pour l'amener à la foi.

Récompense de la compassion. -- Le Crucifix.

Au début de la persécution d'Angleterre, Alban avait reçu un jour dans sa maison un prêtre poursuivi par les émissaires du gouverneur romain : ce prêtre est désigné sous le nom d'Amphibalus par quelques auteurs ; mais il est probable que ce nom est dérivé d'une version de la légende dans laquelle l'habit du prêtre est ainsi appelé, le mot latin emphibalumi désignant un manteau.

Il lui offrit l'hospitalité et s'intéressa à son malheur. Le missionnaire lui paraissait digne d'intérêt ; il prêchait la soumission aux lois et il avait tout abandonné pour remplir son ministère. Alban fut édifié de sa conduite et profondément touché de le voir passer les jours et une grande partie des nuits en prières. Il désira connaître une religion qui produisait de tels hommes, et, profilant de la bonne fortune qui lui était survenue, il demanda au prêtre de l'instruire.

Amphibalus, heureux de cette demande, lui résuma le Credo, et lui expliqua successivement les différents mystères de la foi chrétienne. Alban en fut frappé. Une nuit, encore troublé par ces doctrines qu'il n'avait rencontrées dans aucun des traités étudiés à Rome, subjugué en même temps par ce charme mystérieux qui n'était autre que le travail de la grâce, il demeura longtemps saris pouvoir dormir. Il lui sembla, dans une, vision ou dans un rêve, entrevoir les scènes sanglantes de la Passion qu'il ne connaissait pas encore dans tous les détails. Le lendemain matin, il demanda au prêtre quel était ce juste ainsi persécuté qu'il avait -'u sur la croix. Amphibalus lui présenta son Crucifix. A cette vue, dit le récit., Alban tomba à genoux et demanda le baptême. Le nouveau baptisé fut bientôt un confesseur.

L'apôtre de la croix.

Le bruit n'avait pas tardé à se répandre qu'Amphibalus était caché dans la maison d'Alban. Vérulam, municipe romain, était administré par les édiles élus du peuple ; mais un gouverneur, au nom de L'empereur, veillait sur tout : il était juge suprême et avait à ses ordres les cohortes en garnison dans la contrée. La défense de la religion était un de ses attributs.

Les soldats envoyés dans la maison d'Alban ne trouvèrent rien le prêtre avait été envoyé au loin par son protecteur. Alban se présenta lui-même aux légionnaires, revêtu du costume d'Amphi.

172 22 JUINbalus, la caracalla noire, longue robe retenue à la ceinture par un cordon tressé, mis à la mode

par l'empereur Marc-Aurèle Bassianus, d'où son surnom de Caracalla : ce vêtement était l'insigne des prêtres et des pontifes.

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Il n'en fallut pas davantage. Sans même l'interroger, les soldats romains, heureux de leur capture, amènent le prisonnier au tribunal du prêteur.

Le juge n'était pas sans connaître Alban ; il devina immédiatement le plan exécuté. Mais il ne voulut point paraître surpris.

- Puisque vous avez eu la hardiesse de cacher un sacrilège et un blasphémateur, dit-il au captif, vous souffrirez le supplice qui lui était destiné.

Alban ne répondit point à cette menace, mais pour protester de sa foi et de son attachement à la religion qu'il avait embrassée, il ne cessa de tenir entre ses mains, afin de puiser la force nécessaire, le Crucifix de bois que lui avait remis Arnphibalus.

Les merveilles du martyr.Ici commence une période toute remplie de miracles. Si extraordinaires qu'ils paraissent on ne

saurait les nier complètement. « Les miracles de saint Alban, dit le protestant Collier, sont attestés par des auteurs si dignes de foi, que je ne vois pas comment on les révoquerait en doute... Les circonstances où il se trouvait étaient assez importantes pour que le ciel interposât son pouvoir d'une manière surnaturelle. »

Chaque étape du martyre fut marquée par une merveille. Devant l'attitude ferme et dédaigneuse de l'accusé, le juge sentit son infirmité : il eut recours à la violence.

Les usages romains lui donnaient le droit de flageller l'accusé qui refusait d'avouer ou de répondre. Il le livra aux licteurs. Le prisonnier étant citoyen romain ne devait pas recevoir plus de quarante coups de verges. Ce supplice fut plusieurs fois répété, mais il rie put changer en rien l'attitude et les refus d'Alban.

Le juge fit appel à un autre genre d'intimidation : il enferma le martyr dans une étroite prison et le soumit aux plus dures privations- Le ciel commença dès lors à venger l'injure faite au serviteur de Dieu. La rosée et la pluie ne vinrent plus rafraîchir la terre. Les arbres périssaient, les fruits se desséchaient en naissant et les habitants n'hésitaient pas à dire :

- C'est la magie d'Alban qui a desséché nos sillons. C'est le Christ d'Alban qui a brûlé nos maisons et miné les espérances de nos récoltes.

Ils se portèrent en foule an palais du gouverneur et le forcèrent à délivrer le prisonnier innocent.

Le jugement du peuple.Alban, transporté par le désir brûlant du martyre, craignit un moment de voir sa couronne lui

échapper. Il réunit le peuple et, dans un langage inspiré, l'exhorta à quitter ses faux dieux pourSAINT ALBAN OU ALBIN 173embrasser la religion du Dieu qui l'avait protégé. Il lui montra sa croix et lui expliqua la

puissance cachée de ce symbole mystérieux et terrible.Le peuple, aussi changeant que l'océan selon le souffle qui l'agiteConversion de saint fléau.sentit renaître sa haine pour la nouvelle religion qu'il avait un moment redoutée. Quelques cris

s'élevèrent, demandant la mort du perturbateur. La foule inconsciente répéta ces cris et ramena la victime au tribunal du préteur.

L'interrogatoire fut bref. Méconnaîtn les dieux du Capitole était devenu, sous Dioclétien, un crime capital. Alban fut condamné à

1.7422 JUIN

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SAINT ALBAN OU ALBIN175mort. Vu sa qualité de citoyen romain, comme saint Paul ill devait avoir la tête tranchée.Le lieu d'exécution était hors de la ville ; la loi le prescrivait. C'était un plateau désert où les

légionnaires stationnaient et campaient parfois. Aux jours de fêtes publiques, le peuple s'y portait tout entier pour assister aux jeux qui s'y donnaient. Le spectacle du martyre d'Alban y attira une foule considérable : les uns y vinrent par haine, les autres par amitié, d'autres par simple curiosité.. Le condamné marchait au milieu d'eux entouré de ses gardes.

Saint Alban change le cours d'un fleuve. - Le bourreau martyr.Une rivière rapide, le Cohue, séparait Vérulam du lieu des exécutions. Le seul pont qui la

traversait était occupé par le peuple. Il eût fallu attendre longtemps pour pouvoir passer. Le martyr, impatient de souffrir, entraîna ses bourreaux au bord de la rivière, et, traçant sur les flots le signe de la croix, il se fraya un chemin dans le lit du fleuve soudain desséché. Le peuple, inconscient, s'y précipitaa sans peut-être remarquer le miracle. Mais un des bourreaux tomba à genoux aux pieds d'Alban. Il jeta sa hache et se déclara chrétien. Cette scène tragique ne calma point la colère de la multitude. Un homme du peuple ramassa la hache, et la marche continua.

On parvint au sommet du plateau. C'était au plus fort de l'été, et la chaleur était intense. Des groupes s'étaient formés sur tous les points. C'était un spectacle nouveau pour- ces peuplades encore à demi barbares, façonnées par les Romains, avides de i'eprésentations sanglantes.

Les historiens nouss ont raconté, chose à peine croyable, que, au moment même de sa mort, le martyr, désireux de donner un dernier témoignage de laa puissance de son Dieu à cette foule sangui-naire,, ayant faitt jaillir, au centre du plateau, une source d'eau fraîche, le peuple, inconsidéré, y vint boire, et que les bourreaux se contentèrent d'y laver leurs haches après l'exécution.

La mort.La scène sauvage continua. Alban,, violemment saisi par les bourreaux, fut attaché par les

cheveux à un énorme poteau. Il demeurait joyeux et souriant en face de la mort, comme s'il entrevoyait déja le ciel. Un bourreau s'approcha, et d'un seul coup de hache lui trancha la tête. La légende ajoute que cet homme ou ce soldat, qui avait ainsi remplacé le bourreau et décapité la victime, devint aussitôt aveugle.

Cependant, le juge, poussé sans doute par le désir de connaître la fin de ce drame qu'il avait préparé, ou peut-être dans le dessein de remplir jusqu'au bout ses fonctions de modérateur, avait suivi le sinistre cortège. Il assista ail supplice.

II allait partir, quand se présenta devant lui le bourreau que nous avons vu jetant la hache ett se déclarant chrétien. Le peuple l'avait

maltraité et couvert dee blessures. Le juge le reçut avec un sourire moqueur.- 'l'u nie parais malade. Emporte le corps de ton: sauveur, ill te servira de remède contre les

coups que tu as reçus..Le soldat, plein de confiance en son protecteur, soutenu par saa foi encore vierge, n'hésita pas.

Il prit les restes du martyr et les ensevelit lui-même en les arrosant de larmes. Sa confiance ne fut

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point trompée, il fut guéri. Alors il se mit à prêcher avec courage devant tout le peuple la puissance du Christ et les. mérites-s d'Alban ; les païens, saisis d'une nouvelle fureur, se jetèrent sur luii et le mirent à mort avec une sauvage cruauté.

La croix lumineuse du tombeau..Le tombeau d'Alban ne devait pas être longtemps ignoré.. La nuit suivante, au milieu des

ténèbres, une immense croix lumineuse parut sur cette tombe cachée au fond d'un jardin. La ville entière en fut témoin. Il semblait que des voix d'anges, sortant de cette croix, lissent entendre au loin., dans un mystérieux concert, des. chantss de triomphe. Cet événement jeta quelque trouble dans le pays.. Ce n'était point là un fait naturel, et cette croix lumineuse, se projetant.t au loin, dans l'ombre de la nuit, avait son éloquence.. Un grand nombre d'habitants de Vérulam se rendirent à laa vérité, et bientôt le prêtre Amphibalus vit accourir auprès de lui une f: de catéchumènes.

Le sano• du martyr avait fécondé la semence, et la moisson s'annonçait abondante au champ du père de famille •

La mort courageuse du bourreau converti vint augmenter encore la confiance des néophytes, et bientôt la- ville entièree fut chrétienne.. On se figure difficilement ces. enthousiasmes des premierss siècles; mais c'est qu'on ignore et la puissance de la grâcee et les secrets desseins de Dieu, qui remue à son gré les princes et les peuples.

La légende rapporte encore qu'Amphibalus et quelques uns de ses compagnons furent lapidés quelques jours plus tard à Redbourne à quatre milles de la ville actuelle de Saint-Albans. Leur fête était autrefois célébrée le 25 juin.

Les fruits du sacrifice.Dès lors, la sainteté allait fleurir avec une telle abondance sur cette île arrosée de sang que

l'histoire devait lui donner un jour, pour un temps du moins, le titre glorieux « d'île des Saints a.Saint Alban fut à toutes les époques honoré des Anglais. Une vaste église s'éleva sur

l'emplacement de son martyre, et cette église ne tarda pas à devenir célèbre par le nombre, des miracles qui s'y opérèrent. Cette réputation fut si éclatante et s'étendit si loin que, lorsque saint Loup et saint Germain vinrent en Grande-Bretagne extirper l'hérésie pélagienne, le grand évêque d'Auxerre recueillit des parcelles- de terre imbibée du sang du premier martyr de ce pays et les apporta religieusement en France.

176 22 JUINPendant plusieurs siècles, l'Angleterre a honoré saint Albau comme un de ses principaux

patrons et elle a obtenu par s.,n intercession des grâces signalées. Ce fut en l'invoquant que saint Germain fit remporter aux Anglais, sans effusion de sang chrétien, une victoire complète sur des ennemis aussi dangereux pour les âmes que pour les corps.

Autour du sanctuaire s'élevèrent des maisons, et bientôt une ville nouvelle fut constituée sous la garde du martyr. Aujourd'hui encore elle demeure, et si elle a oublié en partie le culte de son fondateur, elle en garde du moins fidèlement le souvenir dans son nom : Saint-Albans.

Lorsque les Saxons envahirent l'Angleterre, au vi' siècle, et s'acharnèrent contre les chrétiens, leurs églises et leurs monastères, le sanctuaire de saint Alban ne fut point épargné. Le roi des Mer-riens, Offa, le fit rebâtir en 793 et y joignit un monastère qu'il dota de revenus considérables et auquel les Papes accordèrent les plus précieux privilèges. Cette église fut remplacée en '077 par le magnifique monument qui subsiste aujourd'hui et qui est dû ii l'Abbé Paul de Caen, neveu du célèbre Lanfranc.

Ce monastère devint dès lors comme le chef-lieu des Ordres monastiques en Angleterre. L'Abbé avait le titre de baron ; il siégeait au Parlement à la tête des vingt-neuf abbés qui pouvaient y paraître. Ce privilège lui avait été octroyé par le Pape Adrien IV (1154-Ir5g), et reconnu par les rois d'Angleterre. u De même, disait le bref, que saint Alban fut le premier des martyrs en Angleterre, ainsi l'Abbé de son monastère doit être le premier dans les assemblées. n

Mais là aussi, au xvi' siècle, sous Ilenri VIII, la prétendue Réforme exerça ses ravages ; le monastère fut détruit et la belle église allait subir le même sort, lorsque les habitants de Saint-

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Albans obtinrent qu'elle leur fût laissée moyennant une forte somme d'argent. Toujours debout sous son vocable primitif, elle sert aujour d'hui d'église paroissiale.

Les reliques du Saint furent dispersées. On en sauva cependant Une partie. On les conserve aujourd'hui aux deux extrémités de l'Europe occidentale, à Valladolid et à Saint-Omer. Le diocèse de Troyes possède aussi plusieurs ossements de ce Saint ; longtemps vénérées dans l'abbaye de Nesle-la-Reposte, puis au couvent des Bénédictins de Villenauxe-la-Grande, ces reliques furent transportées, le 8 mai 5791, à l'église paroissiale de Villenauxe, où les habitants réussirent à les préserver de la fureur sacrilège des révolutionnaires.

La fête de saint Alban est encore célébrée, comme autrefois, le 29, juin et, dans toute l'Angleterre, sous le rite double majeur.

A. E. A.Sources consultées. - Acta Sanctornrn, t. V de juin (Paris et Rome. 1887). - STANTON, Engli:h

Menology (Londres, 1892). - PAum, ALLAsn, Histoire des persécutions, t. IV (Parie, r8go). - HERBERT IlmRSTON, Saint Atban (dans The Cethotic Eacyetopedia). - Mgr PAua Gn£nm; , Les Petits Bollandistes, t. Vil (Paris, 1897). - (V. S. 13 . P., n' 750.)

rSAINT LI ÉBERTEvêque de Cambrai et d'Arras (t 1076)

Fête le 23 juin.s AINr Liébert est l'une des plus remarquables figures parmi les évêques du moyen âge. Il

incarne d'une manière attachante le prestige de ces grands prélats que n'effrayait aucune besogne. A la fois bâtisseurs d'églises et de monastères, défenseurs intrépides de la foi, protecteurs des faibles, ils étaient toujours dominés, au milieu des soucis temporels, par le désir du bien spirituel de leur troupeau. Pendant vingt-cinq ans, saint Liébert exerça son magistère bienfaisant sur l'immense territoire confié à sa garde ; le diocèse de Cambrai, qui a connu à sa tête des évêques illustres, se glorifie à juste titre d'avoir eu pour chef pendant un quart de siècle ce saint prélat.

Enfance et éducation de saint Liébert.Au début du xi' siècle - et il devait en être ainsi jusqu'en 1og3les diocèsess de Cambrai et d'Arras étaient administrés par le même évêque. Celui-ci était

Gérard Io' de Florines, prélat éminent et de grand savoir.Pendant son pontificat, la noble et très puissante famille des Braeckel vit naître un fils, à Alost,

en Brabant. C'était le propre neveu de l'évêque Gérard. Au saint baptême, il reçut le nom de Liébert, qui signifie e Prince du peuple n. Trois fils et deux filles devaient naître après lui. Son titre de fils aîné et la tradition de sa famille le destinaient au métier des armes. Mais Dieu avait sur Liébert d'autres desseins.

De bonne heure, sa mère, Adélaïde, l'envoya à Cambrai, auprès de l'évêque Gérard dont elle était la sceur.

Il y apprit les belles-lettres et la philosophie et fit remarquer, dans l'étude des Saintes Eeritures, la singulière pénétration de son esprit. Au sortir de ses études, il reçut mission, malgré sa jeunesse, d'en. seigner à son tour les sciences profanes et sacrées.

3Qaa(!

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1178 23 uSAINT LIéBERT179Professeur de mérite, il savait corriger la sécheresse de certaines études par l'attrait et la sage

variété qu'il leur donnait. Son naïf biographe le loue a d'avoir su se servir de l'éloquence et du langage harmonieux des auteurs païens pour relever la beauté de la céleste doctrine et des divines Eeritures ». L'évêque Gérard était charmé de la science et de la piété de son neveu. Et comme l'âge alourdissait davantage sur ses épaules les nombreuses charges pastorales, il résolut de se reposer sur Liébert de certains soucis.

Il le nomma proeurator, c'est-à-dire qu'il lui confia la direction des officiers et des clients du palais épiscopal. Emploi difficile et 'délicat ! La douceur du pieux jeune homme aplanit toutes les difficultés ; il se gagna vite les coeurs. De plus, en contact perpétuel avec les hommes, il apprenait à les connaître ; de nouvelles études enrichissaient, le trésor de ses connaissances, sa correspondance à la grâce lui attirait les effusions divines de l'Esprit-Saint, et, visiblement., Dieu le façonnait pour une dignité plus haute à laquelle il le conduisait par degrés.

Liébert est nommé archidiacre et prévôt.L'archidiaconat de Cambrai étant devenu vacant, le choix de Gérard se porta aussitôt sur

Liébert.Le nouvel archidiacre, nommé de plus prévôt, avait à remplir une tâche beaucoup plus ardue

que la précédente. Il avait à défendre les droits et le ministère de l'Eglise ; il devait protéger les innocents et les faibles contre les exactions et les rapines de soldats violents sans foi ni loi. Ceux-ci avaient pour chef le châtelain Watier, qui mourut misérablement dans une embuscade.

Pour leur résister, Liéhert se retira dans la petite ville du CateauCambrésis, afin de rayonner de là et de protéger tout le peupla des alentours. Les gens de bien, reconnaissants, n'avaient point assez d'éloges pour leur vigilant archidiacre.

D'un autre côté, personne plus que Gérard n'avait confiance en Liébert. C'était lui qu'il appelait dans les difficultés administratives de ses deux vastes diocèses, avec lui qu'il se reposait de ses labeurs et se consolait de ses infirmités. Enfin, ce fut dans ses bras qu'il s'éteignit doucement, le 14 mars 1051.

Le palais épiscopal envahi.A peine le corps du saint évêque était-il dans le tombeau que, par acclamation du peuple et du

clergé, l'archidiacre de Cambrai était désigné pour lui succéder. L'admiration et la reconnaissance avaient fait ce choix, et, bien qu'il s'en défendit, Liéhert dut céder à la volonté de Dieu manifestée par la voix du peuple, et se rendre près de l'empereur Henri 111, protecteur du Saint-Empire romain, qui confirma avec joie son élection. Tout le palais impérial prit un air de fête et un Te Deum solennel fut chanté. Ceci se passait à Cologne, le 31 mars de l'an ro5a, en la fête de Pâques.

Une épreuve attendait Liébert à son retour d'Allemagne. Jean, avoué d'Arras, devenu châtelain de Cambrai par son mariage avec

Ermentrude, veuve de Watier, s'était emparé du palais épiscopal et de l'église Notre-Dame. De l'évêché, il avait fait sa résidence et le théâtre d'innombrables désordres ; il avait pillé l'église, et ses soldats en défendaient l'entrée aux pieuses gens qui voulaient y prier.

Impuissant à le déloger de ses positions, Liébert se retira momentanément au Cateau ; mais bientôt Dieu lui amena pour le venger Baudouin V, comte de Flandre. Jean dut céder à un si puissant adversaire. La première injonction suffit à le mettre en fuite, et l'enthousiasme des habitants de la ville prouva à l'évêque qu'onn avait pu aliéner ses biens, mais que pas un cceur n'avait cessé de lui appartenir.

Sacre d'un évêque et couronnement d'une reine.Liébert n'avait jusqu'ici de l'évêque que le titre et le pouvoir temporel, inséparables alors. Il lui

manquait encore ce qui fait véritablement et strictement le pasteur : la consécration. Il n'était même pas encore prêtre.

Ce fut pour recevoir cette première ordination qu'il se rendit auprès de Roger II, évêque de 134

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Châlons-sur-Marne, et de là à Reims, pour être oint de la suprême onction.Déjà, sur l'invitation du métropolitain, les évêques de la province s'y trouvaient rassemblés,

quand arriva d'une façon tout inattendue le roi de France, fleuri l°`. Il voulait donner au nouvel élu, en assistant à son sacre, un témoignage de sa haute estime et de son affection.

Le prince amenait avec lui sa jeune épouse, Anne de Russie, la fille du grand-duc laroslaf. Ce fut devant cette auguste assemblée que Liébert fut consacré.

On raconte qu'à la fin de la cérémonie, Henri 1°` demanda au nouvel évêque de bénir la reine et de lui imposer la couronne.

Portrait de l'évêque Liébert.A son retour, Liéhert traversa Laon qu'il trouva tout ornée en son honneur. Son arrivée à

Cambrai fut un triomphe. La ville entière était transportée d'allégresse. Le nouvel évêque avait de grands projets : il voulait notamment mener à bonne fin plusieurs entreprises de sen prédécesseur. Il fit donc achever la fondation do l'abbaye de Saint-André et mit des Chanoines réguliers dans l'église Saint-Aubert à Cambrai et dans celle du mont Saint-Eloi, près d'Arras.

Sa vie seule était un puissant encouragement. Son biographe nous la décrit ainsi :Ce pontife était un exemple pour les siens. Il fuyait toute recherche dans ses vêtements, ne se

livrait point à des jeux vains, à un sommeil prolongé... II avait en horreur ta jalousie, l'envie et l'amour de la gloire. Quant à la cupidité, il la regardait comme un véritable poison. Il évitait avec soin toutes les inimitiés, les supportait avec un grand calme et s'efforçait d'y mettre un terme le plus tôt qu'il le pouvait... Il était doux, affable, officieux, plein de bontéé pour son peuple, donnant aux pauvress tout ce dont

180 23 JUINSAINT LIkBERT181il pouvait disposer... Il agissait avec une sainte hardiesse auprès des grands et des puissants du

monde...En route pour la Terre Sain e.Tout prospérait dans un diocèse si sagement administré et Liébert put songer à réaliser un de ses

plus chers desseins, celui d'aller cri Terre Sainte vénérer le tombeau du Christ.Avant d'entreprendre une si lointaine pérégrination, il restait à l'évêque un devoir à remplir :

assurer à ses ouailles l'ordre et la paix, à ses clercs, la liberté. Il ne pouvait espérer le faire tant que resterait en charge Jean d'Arras. Son premier soin fut donc de le remplacer par Hugues, le fils de Watier, qu'il créa châtelain de Cambrai et il plaça cet enfant, encore mineur, sous la tutelle d'un homme de bonne vie et brave guerrier, nommé Anselme.

Le jour de son départ, une foule considérable le suivit bien au delà des portes de la ville. Il fallut enfin se séparer. Le pasteur donna une dernière bénédiction, puis s'éloigna avec son escorte personnelle et les 3 ooo pèlerins qui avaient voulu se joindre à lui.

Aucun détail de leur voyage ne nous est parvenu jusqu'au moment où ils entrèrent dans le pays des Huns (Hongrie). Arrivés là, ils passèrent le Danube, et, pour abréger leur chemin, résolurent de traverser la Pannonie ; peut-être aussi les souvenirs de l'illustre saint Martin les attiraient-ils en cette contrée. Traités d'abord avec méfiance, ils réussirent à édifier les sauvages habitants et on les laissa passer.

Au sortir de la Pannonie, à peine engagés dans ce qu'on nommait alors le a désert de la Bulgarie a, quelques-uns des pèlerins furent attaqués ; plusieurs furent tués, d'autres blessés.

Liébert, cette fois encore, fut le salut de ses compagnons ; plein de confiance en Dieu, il traça vers l'horizon, dans la direction qu'il se proposait de prendre, un signe de croix, et, sans crainte, ordonna d'avancer. Les sept jours suivants furent tranquilles, le huitième fit renaître des inquiétudes. On avait vu dans l'épaisseur des bois plusieurs cavaliers. Quelles étaient leurs intentions P Grâce à Dieu, ils ne firent aucun mal aux pèlerins ; pénétrés, au contraire, d'un invincible respect à la vue du vénérable Liébert, quelques-uns d'entre eux indiquèrent à la caravane le chemin de Laodicée.

Déceptions.Un nouveau motif de désolation les y attendait. Par ordre du sultan de Babylone, le Saint-

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Sépulcre venait d'être interdit aux chrétiens, il était même dangereux de s'aventurer dans la Palestine.

Puis, ce fut la maladie soudaine de Fulcher, ami de Liébert et l'un de ses plus fidèles compagnons. Il y avait trois mois déjà qu'il souffrait, et il s'affaiblissait de plus en plus, quand un vent favorable fit donner l'ordre du départ. La veille du jour fixé, Liébert voulut une dernière fois visiter et bénir son compagnon mourant.

Il en coûtait à ce dernier de voir s'éloigner ses frères ; une pensée de foi plus ardente lui vint, et s'adressant à saint André, à qui

l'évêque de Cambrai l'avait recommandé spécialement : a O saint apôtre, s'écria-t-il, vous à la protection duquel mon seigneur l'évêque Liébert m'a confié, et dont la mémoire est honorée dans le monas.

Saint Liébert excommunie nobert le Frison.

tère bâti au Cateau-Cambrésis, si vous êtes véritablement cet illustre André que le Seigneur a tant aimé à cause de ses vertus, secourezmoi, hâtez-vous et ayez pitié de moi 1 a

Le Saint eut pitié et il se hâta, la voix de Liébert l'en priait à la première heure du jour, Fulcher, guéri, se présentait à ses amis, et tous d'une même voix rendaient grâces au Seigneur.

18223 Jn1NSAINT LiéIIERT183Incontinent après, racontent les historiens, ils se mirent en mer, mais Dieu ne voulait que leur

bonne volonté, car des vents contraires s'élevèrent : on dut aborder à l 'lie (le Chypre ; les matelots eux-mêmes, terrifiés à la pensée des Sarrasins, se refusaient à conduire les pèlerins dans les ports de Palestine. Il fallut songer à reprendre les chemins d'Europe. L'évêque de Laodicée, consulté, estimait qu'il n'y avait point d'autre parti à prendre.

Liébert revint donc dans son diocèse de Cambrai avec Ilélinand, évêque de Laon, qui avait entrepris le même pèlerinage.

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Sous la crosse il fait bon vivre. -- Solennités.Le peuple de Cambrai fit à Liébert de retour un accueil émouvant ; on eût dit que chacun

recevait son père, et, véritablement, l'humble évêque était le père de tous.Il pourvut à tous les besoins du diocèse et ce fut une ère de bonheur, pendant laquelle, selon

l'expression du chroniqueur, e les clercs, pourvus de tout avec abondance, chantaient les louanges du Seigneur, et les laïques exerçaient en paix leur profession, heureux, disaient-ils, le peuple qui jouit de tels bienfaits, mais plus heureux le pontife qui a su les procurer I u

Peu après son retour, Liébert décida de continuer une couvre qu'avait inaugurée son vénérable prédécesseur : n'ayant pu parvenir au tombeau du Sauveur, il voulut du moins l'honorer et fonda l'abbaye du Saint-Sépulcre, près de l'église de même nom qu'avait bâtie Gérard Pr. En outre, il construisit au milieu dee la basilique un édicule semblable en tous points à celui de Jérusalem, et il n'épargna rien pour rendre dignes du Dieu auquel il les offrait ces hommages de sa piété.

Le jour de la dédicacé, n5 ou 28 octobre re64, l'on vit se presser à Cambrai non seulement les chrétiens d'alentour, mais encore, si l'on peut ainsi parler, les Saints du diocèse ; vingt-deux d'entre eux étaient représentés par leurs reliques, portées dans leurs châsses par les religieux et les religieuses des abbayes auxquelles ils appar-. tenaient. On vit rarement un cortège plus imposant.

Un ingrat.Hugues, le jeune châtelain de Cambrai, avait grandi, et, malheureusement, les instincts mauvais

que son père lui avait transmis avec la vie ne s'étaient que trop développés avec l'âge. Il surpassait déjà en ses excès Watier, de triste mémoire.

La cité épiscopale et plusieurs autres endroits tels qu'Inchy-en Artois et Pronville, saccagés par l'indigne châtelain, l'avaient chassé ; de là, il était allé de divers côtés, cherchant à nuire au pasteur et au troupeau. Une sentence d'excommunication l'arrêta un moment, détachant de lui beaucoup de ses partisans ; puis il trouva d'autres bandits et recommença ses exploits jusqu'au moment où une hypocrite soumission fut nécessaire à la réalisation de ses desseins. Il voulait, en effet, épouser la nièce de Richilde, comtesse de Mons, et il ne le pouvait sans être réconcilié avec Dieu et l'église. Il se soumit donc, mais ce ne fut l'affaire que de quelques

jours, et il poussa ensuite l'audace jusqu'à surprendre au village de Boiri et faire prisonnier Liébert lui-même, qu il enferma en une prison du château d'Oisy.

Ce fut le dernier de ses tristes exploits. Chassé de partout, forcé par Arnould 'III, comte (le Flandre, de rendre à la liberté le saint prélat, Ilugues s'enfuit, et la paix revint dans le diocèse.

Travaux et prières.Au milieu de tant d'épreuves, l'évêque de Cambrai ne négligeait aucun de ses devoirs. L'un et

l'autre de ses deux diocèses se partageaient son temps et sa peine ; il allait de paroisse en paroisse, prêchait, confirmait., rendait le courage à ses clercs.

Rentré dans sa ville de Cambrai, il édifiait ses ouailles par la régularité de sa vie et son insigne piété. Le jour ne suffisait point à sa dévotion ; il se levait la nuit, visitait les églises, pieds nus, et priait pour son troupeau.

Dieu l'en récompensait parfois publiquement. Une fois entre autres que, dans la nuit du Samedi-Saint, il achevait silencieusement ses oraisons dans le cimetière de l'église du Saint-Sépulcre, son escorte entendit d'invisibles assistants répondre un Amen, a prononcé sans doute, dit le biographe, par les âmes qug, la prière du Saint avait consolées et soulagées n.

Un autre signe de la dévotion de Liébert était l'amour qu'il portait aux temples matériels où Dieu réside. Que d'églises et de monastères reçurent de sa générosité des embellissements ou de pieuses fondations 1 Après son église cathédrale Notre-Dame d'Arras, et, près de cette ville, le monastère de Saint-Eloi, celui de Saint-Hubert, à Maroilles ; au Cateau, celui de Saint-André ; à Cambrai enfin, ceux de Saint-Aubert et de Saint-Géry ; il fonda encore l'église Sainte-Croix et restaura celle de Saint-Vaast..

Ces travaux multipliés du digne évêque le rendaient de plus en plus cher à son peuple, a et la ville, auparavant malheureuse par les troubles et les guerres qui la désolaient si souvent, se trouvait alors populeuse et florissante n.

Une terrible épreuve la menaça bientôt et l'on peut dire qu'elle ne dut son salut qu'à Liébert.137

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La redoutable énergie du saint vieillard.Aussitôt après la mort d'Arnoult à Ici bataille de Cassel (2o février 1o7r), Robert le Frison, son

oncle, avait achevé de s'emparer ducomté de Flandre ; avide d'agrandir ses Finis, il s'avança vers Cam-i brai pour faire sienne cette

ville.Bourgs et villages ravagés, désolés, ne pouvaient plus rien. La ville allait-elle se rendre ?

L'évêque essaya de fléchir l'envahisseur : il lui envoya une députation pour l'engager à ne point continuer une agression que rien ne pouvait légitimer. Ce fut en vain. Sur la réponse insolente de Robert, Liébert se lève soudain. Ses jambes ne peuvent plus le porter, il ordonne qu'on prépare une litière, et,

18423 JUIN

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porté par les siens, se rend au camp ennemi. Plein d'une apostolique hardiesse, il reproche au comte son entreprise criminelle et lui ordonne de se retirer des terres de Notre-Dame. Sa parole ne reçoit pour réponse que des injures. C'en était trop. Liébert se soulève péniblement, demande l'étole et la crosse à ses clercs, et, devant l'armée de Robert, excommunie le comte.

Le soir, les ennemis étaient partis, poursuivis sans doute par la crainte des châtiments de Dieu.Saint Liébert édifie son entourage jusqu'au dernier moment.

Sa pieuse mort. -- Son culte.La vieillesse était venue parmi tant de travaux, de luttes et de bonnes oeuvres 3 elle n'avait pas

ralenti l'activité du prélat, elle ne le détourna pas davantage de ses mortifications. Il continuait à porter le cilice qu'il n'avait pas quitté depuis les jours de son ordination ; à table, un peu de pain d'orge, placé près de lui d'une façon si adroite que personne ne le remarquait, lui suffisait : les pauvres qu'il admettait à ses côtés ne s'en seraient pas contentés. Il faisait boire à sa coupe les lépreux et buvait après eux, tout heureux de donner cette marque d'honneur aux membres souffrants de Jésus-Christ.

Quand la mort vint, elle trouva Liébert prêt à paraître devant son Dieu. Ses prêtres et ses serviteurs, réunis autour de sa couche, pleuraient :

- Mes fils bien-aimés, leur dit-il, il ne faut pas pleurer une mort que l'immortalité doit suivre ; car si nous croyons que JésusChrist est mort et qu'il est ressuscité, croyons que Dieu ressuscitera aussi ceux qui sont morts en Jésus-Christ.

Dans ses derniers instants, on lut à l'évêque la Passion du Christ selon saint Jean. Quand on fut arrivé à ces mots ; Jésus ayant pris du vinaigre dit : tout est consommé, Liébert reçut le Corps et le Sang du Sauveur et rendit l'âme. C'était le 23 juin 1076.

Il était évêque depuis vingt-cinq ans. On l'enterra d'abord en son église Notre-Dame. Son corps fut ensuite transporté, en 1271, au monastère du Saint-Sépulcre qu'il avait fondé.

Dans ce monastère, on l'honora comme un saint patron et (e peuple l'invoquait comme un Saint à cause des mérites de sa vie. Aux jours anniversaires de sa mort et de la translation de sa dépouille, on chantait. les vigiles solennelles des morts et son tombeau était orné de fleurs ; quelquefois même on l'encensait : un tel honneur n'était alors accordé qu'aux Bienheureux et aux Saints.

C'est pourquoi, dans le Martyrologe de Liège, en 16x4, il est honoré du titre de Saint.A. E. L.Sources consultées. - Acta Sanctorum, t. V de juin (Paris et Rome, ,869). -DnsSOSUH6, Vie des Saints de Cambrai et d'Arras. -- Mgr PAUL GuA ia, Les Petits

Bollandistes, t. VII (Paris, 1399). - Le diocèse de Cambrai, dans Annuaire ponlifical catholique (Paris, lga8). - (V. S. 33. P., n' 1065.)

BIENHEUREUX JEAN, dit OPILIONBerger à Monchy-le-Preux (XV siècle).

.Fête le aç juin.S uR la route d'Arras à Cambrai, à deux lieues environ de la première ville, posé sur une espèce

de mamelon, au milieu d'une plaine immense, fertile, parsemée de villages, on rencontre Monchy-le-Preux. L'épithète accolée à ce nom évoque tout de suite quelque paladin dont les exploits auraient couronné de gloire ce petit village artésien. Il n'en est rien. Monchy n'a pas d'autres souvenirs glorieux que celui d'un pauvre berger du nom de Jean, qui, dans son humble condition, s'est élevé aux vertus les plus sublimes, et dont les innombrables miracles ont fait éclater sa sainteté.

Quant au mot a Preux n, ill serait un simple qualificatif géographique, indiquant le caractère montueux et rocailleux de ce site ; de Monciacus Petrosus, a Monchy pierreux n ou «u Mont iey pierreux n, on aurait fait Monchy-le-Preux.

Conjectures historiques. - L'éloge d'un évêque.Jean était a pasteur de brebis n dans ce village, sur un territoire qui appartenait, semble-t-il, au

monastère bénédictin de Iiasnon, fondé en 670 sur les rives de la Scarpe, à 12 kilomètres au nord de Valenciennes. Ce serait une erreur d'en conclure que Jean fut attaché à ce monastère comme Frère convers, car il est qualifié, par ailleurs, de a simple laïque n.

Plusieurs auteurs, parmi lesquels Ferri ou Ferreol de Locres, dans sa Chronique belge, écrite en 139

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1616 ; Guillaume Gazel, dans son Histoire ecclésiastique des Pays-Bas, en 1614 ; Aubert Le Mire, vers a63o, dans ses Fastes de Belgique et de Bourgogne; Arnould Raiss, en 1628, dans son Trésor sacré de Belgique ; le Jésuite Baudoin Willot, dans son Epitome d'hagiologie belge, font mention du bienheureux Jean. Les Acta Sanctorum donnent, à la date du 24 juin,

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186une Vie, dont l'auteur anonyme est un moine de Hasnon, qui écrivait en l'an r5oo, ainsi que lui-

même a eu soin de le noter à la fin de son manuscrit. Mais ce travail est beaucoup moins une notice biographique qu'un récit détaillé des miracles accomplis par le serviteur de Dieu pendant sa vie et après sa mort. Nulle part il n'indique l'âge ni la date de la mort, pas même le nom de famille de ce Jean que tous les auteurs appellent Opilion, du latin opilio, qui signifie berger.

On sait seulement qu'un évêque d'Arras du nom de Pierre, qui l'avait souvent entendu en confession, appelé à Monchy par les devoirs de sa charge, au momentt où l'humble berger allait rendre son âme à Dieu -- ou peut-être accouru au chevet du mourant en apprenant sa maladie, - l'assista à l'heure suprême et proclama publiquement ses louanges devant la foule qui l'entourait.

Que tous les fidèles de Jésus-Christ présents et futurs, dit le prélat dans un acte public rédigé dans le même temps, sachent que dans ce village de Monchy-le-Preux, du diocèse d'Arras, a vécu un homme appelé Jean, simple laïque, très fidèle à Jésus-Christ, et qui, pendant toute sa vie, a mené une conduite très sainte. Par le don de Dieu, il s'est élevé à la plus haute contemplation, a ignoré les souillures de la concupiscence et évité jusqu'à la mort tout ce qui pouvait ternir la pureté de son âme.

Ce court niais touchant éloge renferme le peu de détails connus de la vie proprement dite de cet humble serviteur de Dieu ; mais le nom de l'évêque a exercé la sagacité des commentateurs et permis de déterminer approximativement l'époque où vécut et mourut Jean Opilion.

Nous n'entrerons pas dans le détail de leur argumentation. A l'encontre de l'érudit Ferri de Locres, qui estime que Pierre Masuyer,

qui occupa le siège épiscopal d'Arras du 21 juillet 1374 à 1391, futle contemporain de Jean, tous s'accordent à désigner Pierre de Ranchicourt qui, élu évêque

d'Arras le r avril 7463, célébrala dédicace de la cathédrale en 1484 et mourut le e6 août 1499.D'après cette conclusion, adoptée également parle commentateur des Acta Sanctorum, Jean

Opilion serait né dans les dernières années du xiv° siècle et sa mort survenue entre 1463 et 1470.Pèlerinages à Saint-Gilles et à Saint-Jacques de Compostelle.

Don de prescience.

Par contre, l'auteur anonyme est extrêmement abondant dans le récit des miracles opérés par le serviteur de Dieu : on voit qu'il s'est minutieusement renseigné auprès des témoins oculaires et qu'il a soigneusement consigné leurs dépositions.

Deux de ces faits miraculeux nous apprennent que Jean Opilion accomplit un pèlerinage à a Saint-Gilles », dans sa jeunesse, et mi autre à Saint-Jacques de Compostelle, à l'exemple d'une foule de chrétiens de cette époque ; ils nous révèlent en même temps qu'il lui arriva de connaître, par la grâce d'une inspiration divine, des événements qu'il n'avait ni vus ni entendu raconter d'avance.

DIKKBUEUJEUX JEAN, DIT OPILION 187Aegidius ou Gilles était un noble Athénien qui vint en France dans la seconde moitié du vue

siècle et fonda au diocèse de Aimes un monastère autour duquel se groupa une ville, qui porte aujour. d'hui le nom de Saint-Gilles-du-Gard. Ce saint Abbé mourut vers le commencement du vnr° siècle, et son tombeau devint rapidement un lieu de pèlerinage très fréquenté. On y accourait en foule, non seulement de toutes les régions de France, mais aussi de Belgique, de Grande-Bretagne, de Germanie, de llongrie, de Pologne.

Comme, d'autre part, le monastère de Saint-Gilles distribua des reliques de son glorieux patron à diverses églises, on vit de nombreux pèlerinages se diriger vers les lieux favorisés de la sorte, et notamment, pour s'en tenir au nord de la France et à la Belgique, vers Saint-Omer, Avesnes, Tournai, VValcourt, Cambrai et Bruges.

Jean se rendait donc à pied en pèlerinage à e Saint-Gilles », en compagnie de plusieurs habitants de iMMonchy, lorsqu'il s'arrêta soudain en cours de route et dit à ses compagnons :

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- Oh I mes amis : Monchy est livré au pillage ; vos bêtes et tous vos troupeaux sont perdus.e Ses compagnons sourirent parce qu'il était jeune et qu'on était loin de la ville qu'on avait

quittée », raconte l'hagiographe. Cependant, ils notèrent le jour et le lieu où ces paroles étranges avaient été prononcées, et, poursuivant leur chemin, ils arrivèreut bientôt dans une ville appelée rMlarceanis et située près de Rupes Amadulli, deux localités que l'on n'a pu identifier.

Au retour de leur pèlerinage, ils trouvèrent toutes choses survenues comme Jean t'avait. annoncé. C'est ainsi que l'on expérimenta pour la première fois le pouvoir merveilleux du jeune berger.

Devant l'obscurité du texte à cet endroit, les commentateurs de la Vie de Jean Opilion se sont demandé s'il s'agissait là vraiment d'un pèlerinage à Saint-Gilles-du-Gard, en Provence, en passant par Bocamadour (Rupes Anzadulli) ou plus vraisemblablement d'un sanctuaire moins éloigné, où l'on se rendait d'Arras et de Monchy en passant par Marchiennes, comme le ferait supposer le nom latin de Mcirceanis. La question n'a pas été résolue.

Le même cas se produisit plus tard, au cours d'un pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle. Jean et ses compagnons étaient déjà parvenus au ternie de leur voyage, et depuis huit jours ils cheminaient pour retourner chez eux, lorsqu'un matin, au saut du lit, le pieux berger s'écria :

- Oh 1 mes amis, quel malheur 1 Les gens de Monchy sont dans une grande consternation, car cette nuit tout le village de Lilia a été détruit par un incendie.

Ses compagnons notèrent encore le, jour et le lieu de cette prédiction, et lorsqu'ils forent rendus à D'lonehy, ils constatèrent l'exactitude des paroles que Jean avait prononcées.

Lilia a dû être ici écrit par erreur pour Tilia, qui serait Tilloy, localité située à mi.-chenmin environ entre Monchy et Arras.

t7N suas voua CtlIQUL JOUIS LU ;cois, 2° SÉa1L (JUiX) 724-JUINz88 211 JUINBIENHEUREUX JEAN, DIT OPILIONi8gMerveilleuses guérisons.A la prière de son serviteur, Dieu daigna répandre avec abondance les bienfaits de sa

miséricorde sur les malades et les infirmes.Un bourgeois d'Arras voyageant à cheval, de conserve avec des amis, fut soudain frappé de

cécité.- Je ne vois plus rien ; je suis aveugle) s'écria-t-il avec stupeur. On l'amena à Monchy, et, grâce

à l'intercession de Jean, il recouvra la vue.Un jour d'orage, par un de ces phénomènes dont la foudre est assez coutumière, une femme de

Monchy nommée Cilla, qui vivait encore en l'an I5oo, devint subitement aveugle. Elle demeura dans cet état pendant trois ans ; s'étant recommandée aux prières du saint berger, elle fut guérie.

Une femme avait la mâchoire tellement déformée que l'os maxillaire était retourné vers l'oreille ; elle ne pouvait articuler aucune parole. Jean lui toucha la mâchoire qui se remit en place ; en même temps, on entendit l'os craquer comme un morceau de bois qu'on casse.

Jean eut aussi le pouvoir de chasser les démons.Un seigneur, dont le nom a été omis par égard pour la famille, était tourmenté par l'esprit du

mal ; conduit à Monchy clans une voiture tirée par quatre chevaux, il fut délivré par les prières du thaumaturge, et sen retourna chez lui sain de corps et d'esprit.

Un grand nombre d'autres possédés lui furent amenés ; au moment où ils arrivaient devant lui, le diable, en les quittant, les jetait par terre inanimés ; puis ils revenaient à eux et retrouvaient leur bon sens.

Beaucoup de gens, souffrant de la maladie de la pierre, furent débarrassés de leur douloureuse infirmité par son intercession.

Un homme de Monchy nommé Hugues, surpris dans sa maison par un incendie, n'eut d'autre ressource que de se réfugier sur 'e toit ; là, il essayait de faire la part du feu ; mais, au cours de ce travail, il se vit bientôt environné de flammes et placé dans cette alternative presque également

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dangereuse de part et d'autre : tomber dans le brasier et périr carbonisé, ou se jeter dans le vide et s'écraser sur le sol. Pris de frayeur, il se mit à crier au secours ; puis, appelant Jean qui habitait la maison voisine, il le supplia de venir à son aide. Jean survint aussitôt, traça un grand signe de croix dans l'espace, devant la maison incendiée, et le feu s'éteignit.

Par sa seule présence, le serviteur de Dieu guérit d'une grave maladie un homme nommé Gérard, a maire n de Noyelle-Vion, petit village situé près d'Avesnes-le-Carate, à r6 kilomètres environ è l'ouest d'Arras.

De nombreux témoins dignes de foi affirment l'avoir vu guérir aussi des malades u atteints de cette infirmité qu'on appelle lupus et qui est incurable, et même des personnes brûlant d'un feu infernal u, le mal des ardents.

Ces miracles, accomplis du vivant de Jean, sont choisis parmi lesplus éclatants, mais il en est une infinité d'autres qui sont communément admis ; beaucoup sont

tombés dans l'oubli en raison de la longueur du temps écoulé. En réalité, Dieu daigna~ ZlZII~ÎZIIIIIIIIIIIIi ''= .ILTII nn.• nrrlIII%Le bienheureux Jean arrête un incendie par un signe de croix

et sauve la vie à un malheureux qui allait périr dans les flammes.accorder, par l'intercession de son serviteur, le bienfait de la santé à une foule de malades

affligés de toutes sortes de maux.La fille coupable.Si les gens de Monchy et d'alentour tenaient Jean pour un homme de Dieu, on peut se demander

s'il en était de même des personms

11ne

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%,iig02/1 JUINBIENBEUnEUx JEAN, DIT OPILIONrgrqui le connaissaient moins,, soit parce que l'éloignement ne laissaitt arriver jusqu'à cites que des

racontars déformés. par la superstition,, soit que leur manque de foi ou la conduite coupable do leur vie les. eût privées des lumières accordées seulement aux àmes pures. Peutêtre certains le considéraient-ils comme un rebouteux, un de ces guérisseurs favorisés de quelque don mystérieux d'origine vaguement diabolique, en un mot comme un sorcier. Il n'y aurait pas lieu de s'en étonner, puisque l'Evangile nous apprend que plusieurs, parmi les Juifs, accusaient Notre-Seigneur de chasser les démons. par Belzébuth et d'être lui-même un possédé du démon.

L'anecdote suivante autoriserait, semble-t-il, une pareille supposition.Une fille nommée Marie, de Walincourt, village situé à plus de 2o kilomètres au delà de

Cambrai, presque à la limite du département actuel de l'Aisne, avait eu une mauvaise conduite et s'effrayait d'une maternité plus ou moins prochaine. Ayant entendu parler du saint homme de Monchy, elle eut l'audace de venir le trouver pour lui demander de la délivrer des conséquences de sa faute. Mais lui,, détournant les regards, lui répliqua avec indignation :

- Va-t-en, femme I Tu te moques de moi. Cela te portera malheur... Va-t-en I Il t'en cuira sans tarder de t'être ainsi présentée devant moi.

La malheureuse s'en alla, couverte de honte, et quand elle arriva chez elle elle tomba totalement aveugle.

Bientôt, son âme s'ouvrit au repentir et elle résolut de retourner vers le serviteur de Dieu avec des sentiments convenant à une pécheresse. Elle se fit conduire à Monchy, fit d'humbles excuses au saint berger et le supplia d'implorer la miséricorde divine en' sa faveur. Alors Jean lui toucha les yeux, et la malheureuse fut guérie de sa cécité, en présence de plusieurs personnes.

A propos de cet épisode, l'hagiographe anonyme ajoute cette jolie et délicate expression, par laquelle il veut montrer la réserve du vertueux berger : « Jean conserva toujours la fleur d'une pudeur de

neige. »Le tombeau glorieux.L'auteur de la Vie, qui ne dit rien de la famille, ni de la nais-. sance de Jean, tic parle pas non

plus de sa sépulture,Ferri de Locres et Raiss, qui l'un et l'autre écrivaient, on l'a vu, dans le premier tiers du xvu°

siècle, apportent sur ce point quelques renseignements.Le corps de Jean fut enterré à l'intérieur de l'église de Monchy, dans le chmur, au pied de l'autel,

du côté de l'Evangile, dans :m caveau profond spécialement préparé pour le recevoir. Peu de temps après, un mausolée de marbre fut élevé au-dessus de cette tombe ; il était d'une magnificence toute royale et composé d'un double cénotaphe ; le premier soutenu à un pied de terre sur les épaules de quatre lions accroupis sur le cénotaphe inférieur. Au milieu des angles supérieurs s'élevaient deux chérubins se faisant

face. Ce monument fut érigé, dit-on, par les soins d'un comte nommé Oudard, en reconnaissance d'une guérison qu'il avait obtenue sur la tombe du Bienheureux.

A son tombeau, le serviteur de Dieu opéra les mêmes guérisons que de son vivant et en nombre considérable.

C'est ainsi qu'un homme nommé Raymond, qui marchait avec des béquilles, ou même se traînait dans un chariot, car il était impotent au point de ne pouvoir se servir de ses jambes, fut guéri en présence d'une foule de gens qui se joignirent à lui pour louer Dieu.

Un habitant d'Arras avait un fils de g ans qu'une maladie de nerfs avait rendu difforme et qu'elle faisait atrocement souffrir ; il le conduisit à Monchy, et le malade fut guéri, sous les yeux du curé de la paroisse et dr. plusieurs laïques qui se trouvaient dans l'église à ce moment-là. L'heureux

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miraculé s'avança alors vers l'autel par ses propres moyens et y déposa une offrande en l'honneur du serviteur de Dieu. A la vue de ce miracle, le père de cet enfant faillit mourir d'émotion.

Un autre habitant d'Arras, qui souffrait d'une inflammation des yeux telle qu'il était incapable de percevoir le moindre objet, recouvra la vue devant le tombeau du bienheureux Jean. De même, un savetier d'Arras, qui avait eu un ceil crevé par la chute d'une alène, obtint sa guérison. Un sourd, de Douai, recouvra aussi l'usage de l'ouïe.

On cite encore le cas d'un enfant d'Arras, horriblement perclus et difforme, qui fut amené chez le curé de Monchy, nommé David. Il fut placé près d'un coffre dans lequel avaient été déposés les ossements du bienheureux Jean on attendant la bénédiction de l'église. Le prêtre, prenant un des ossements du Saint, lui fit toucher les membres de l'infirme ; aussitôt les nerfs se mirent à craquer et l'enfant fut guéri. Quant au curé, témoin oculaire du fait, il tint à on rendre témoignage.

Le bienheureux Jean guérissait aussi les malades atteints de hernie, comme en font foi les bandages et les ceintures qui sont accrochés aux murs dans le voisinage de son autel.

On voyait autrefois, appendus aux murs de l'église, des tableaux représentant quelques-uns des miracles qui se sont produits auprès de ce tombeau.

On rapporte, en outre, que l'on vit plusieurs fois le feu du ciel descendre à travers les airs sous la forme d'une étincelle, remplir d'une couleur de sang une lampe qui était placée sur le tombeau et y allumer une lumière merveilleuse.

Le culte. - Les reliques.Ces prodiges ont entretenu de tout temps la piété des habitants de Monchy-le-Preux et des

villages voisins envers leur vénérable compatriote et patron.Comme les guérisons se multiplaient, on décida de retirer du cercueil les restes du saint berger

et de les élever sur les autels. Ainsit19224 JUINfut fait, et une châsse et un autel furent alors offerts à cette occasion. Plus tard, au xvi° ou au

xvn° siècle, le chef du Bienheureux fut placé dans un riche reliquaire neuf.La fête du saint berger a été fixée au 24 juin, non pas, probable ment, parce que sa mort serait

survenue ce jour-là, comme le ferait croire la date donnée par Ulysse Chevalier, mais plutôt à cause de la similitude de son nom avec celui de saint Jean-Baptiste. D'ailleurs cette dernière fête, étant autrefois chômée, donnait plus de facilité aux fidèles pour venir vénérer leur saint patron. Ce jour-là, une si grande multitude de pèlerins se portait au tombeau du bienheureux Jean, que le village en était tout rempli.

On le fêtait aussi le 29 août, en même temps que la décollation de saint Jean-Baptiste ; mais l'affluence était, ce jour-là, beaucoup moins considérable.

Avant l'année iboo, on montrait encore la maisonnette que Jean habitait, le petit champ qu'il cultivait et un noyer qu'il avait luimême planté sur te penchant de la colline, au sud du village, près de la route. Et les vieillards que l'on interrogeait racontaient à leur manière les merveilles dont ils avaient été les témoins.

Ce noyer était réputé miraculeux ; totalement dénudé avant le 24 juin, il se couvrait de feuilles et de fruits ce jour-là.

Les pèlerins s'empressaient de le dépouiller, ce qui représentait un certain manque de discrétion dans leur manière d'honorer le bienheureux Jean ; le petit champ était, lui aussi, complètement dévasté par les piétinements de la multitude. Si bien qu'un jour le noyer fut déraciné ; on ne sait en quelles circonstances.

L'église et le mausolée furent détruits sous la Révolution, en 1793. En 1848, lors de la restauration du choeur d'une nouvelle église, on découvris un des lions du tombeau. Incendiée par les obus allemands, en octobre ig,4, cette église fut de nouveau reconstruite après la grande guerre, et c'est en creusant les fondations qu'un autre morceau du tombeau, représentant un lion, fut retrouvé ; il fut placé aux pieds d'une Madone, dans le jardin du presbytère.

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Le reliquaire contenant le chef du Bienheureux a disparu, probablement dans l'incendie d'octobre rgi4. On croit que le tombeau primitif serait enfoui sous la sacristie actuelle, ce qui laisse l'espoir de retrouver un jour des reliques du saint berger.

La fête du bienheureux Jean, qui avait perdu un peu de son antique splendeur, est redevenue très vivace ; son pèlerinage, le 24 juin, est très bien suivi.

Un professeur d'histoire de l'Académie royale de Douai, André Van IJove, a publié, en 1587, un poème latin sur la vie pastorale, qui débute par un hymne à la louange de Jean de Mouchy.

Ennl.a AtntoNT.Sources consultées. - Aria Sanctorum, t. V de juin (Paris et Rome, 1867). - Mgr PAUL Guénix,

Les Petits ltollmulixles, t. Vu (Parie, ,897). - Notice sur la vie du bienheureux Jean, berger (Arras, ig34).

SAINT GUILLAUME DE VERCEILFondateur de l'Ordre de Monte-Vergine (1085-1142).

Fêle le .25 juin.SAINT Guillaume de iMlonte-Vergine, fondateur de monastères au xII° siècle, est l'un de ces

serviteurs de Dieu dont la vie extraordinaire, les vertus, les miracles sont de nature à nous confondre. Le récit nous en est transmis par un fidèle disciple du Saint et son contemporain, Jean de Nusco.

En pèlerinage. - Les deux cercles de fer.Né à Verceil, en Lombardie, à la fin du xI° siècle, probablement en 1085, Guillaume, orphelin

dès ses jeunes ans, resta à la charge d'un parent qui ne négligea rien pour lui procurer une excellente éducation.

Pieux, réfléchi, avide déjà de se mortifier, l'enfant ne ressemblait guère à ceux de son âge. A quinze ans, il résolut un lointain pèlerinage à Saint: Jacques de Compostelle, en Galice, et partit seul, nupieds, sans ressources, quêtant çà et là le vivre et le couvert.

Dans une ville d'Espagne, il fut reçu par un forgeron charitable qui se faisait un devoir d'hospitaliser les pèlerins pauvres. Selon sa coutume, cet artisan offrit (lès l'abord ses services au nouveau venu : de l'eau pour lui laver les pieds, une nourriture réconfortante et un lit. Guillaume se contenta d'un peu de pain et d'eau et ne voulut d'autre lit quo la terre nue, ce dont le bon forgeron fut très édifié.

De grand matin, Guillaume se préparait à reprendre sa route, quand son hôte l'aborda et lui dit :- Vous ne pouvez pas partir de la sorte. Vous n'avez pas touché hier aux mets que je vous ai

préparés. Aujourd'hui, du moins, vous accepterez de moi quelque don. Dites, que désirez-vous PGuillaume ne voulut pas contrister mn hôte si aimable.

194- Fabriquez-moi, je vous prie, lui dit-il, deux cercles de fer qui puissent enserrer ma poitrine. Je

veux les porter cri esprit de pénrtence durant le reste de mon pèlerinage.Le forgeron y consentit, et l'adolescent joyeux se ceignit la poitrine nue de cette double ceinture

de fer garnie (le clous, plus lieuceux de ce cadeau étrange que s'il eut reçu d'abondantes provisions,Il acheva son pèlerinage au milieu de difficultés et de fatigues sans nombre, vaillamment

supportées pour l'amour de Dieu.146

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Sur le mont Virgilien.A son retour d'Espagne, en nos, après cinq ans d'absence, Guillaume se retira sur une colline de

la Pouille, où il continua d'édifier son entourage par sa vie mortifiée et tout exemplaire. Sa réputation s'accrut rapidement. Les visiteurs affluèrent à sa pauvre cabane pour recommander à sa ferveur leurs plus chères intentions.

Un aveugle, venu un jour avec la persuasion que Dieu le guérirait par l'intercession du saint ermite, s'endormit non loin de lui, après avoir sollicité avec instance le secours de ses prières. A son réveil, ses yeux s'ouvrirent à la lumière, il était guéri et pouvait contempler son bienfaiteur, à genoux sur le dur rocher, et paraissant comme immobilisé dans une extase.

Un tel miracle porta une rude atteinte à la tranquillité relative dont jouissait jusqu'alors Guillaume ; son humilité ne put supporter longtemps les marques de vénération que cet événement bientôt divulgué lui attira ; il conçut le projet de s'éloigner et, reprit le bâton de pèlerin. Il se dirigeait cette fois vers Jérusalem.

Au lieu des deux cercles de for, qui s'étaient brisés par suite de leur long usage, il se procura près d'un soldat complaisant une cuirasse de fer qu'il porta sous ses vêtements ; plusieurs Saints du xii' siècle affectionnèrent ce genre d'austérité. Ainsi armé,, il voulut, avant de s'engager en un si périlleux voyage, prendre les conseils d'un pieux solitaire et connaître par ce moyen la volonté de Dieu. L'ermite le dissuada de son entreprise.

- Vous êtes appelé, lui (lit-il, à faire plus de bien dans une solitude, et le salut de votre âme y sera plus assuré.

Malgré son désir ardent de visiter les Lieux Saints, Guillaume obéit. Peu après, pris par des brigands (ils étaient nombreux en Pouille et en Calabre), il reconnut queson voyage aurait présenté des difficultés presque insurmontables et qu'il avait prudemment agi en suivant les conseils qui lui avaient et(,, donnés.

C'est alors qu'il se retira au mont Virgilien, ainsi appelé, dit-on, en souvenir de Virgile, le célèbre poète latin, et situé non loin de Noie et de Bénévent, dans l'ancien royaume de Naples. Ses pentes abruptes, couvertes de forêts, plurent à Guillaume, et il y établit son e in il age.

Là, il passa la plus grande partie de son temps cri oraison, agenouillé sur le roc, n'ayant d'autre lit que le sol, d'autre nourriture qu'un grossier pain d'orge cuit sous la cendre, quelques fèves ou quelques châtaignes, et l'eau d'une fontaine. Encore cette eau n'était

SAINT GUILLAIIIt DE vunCnIL 1j5elle pas toujours limpide, car un ours venait chaque jour s'y désal-. lérer et en troubler la pureté.Un jour, Guillaume s'y rencontra avec cet hôte sauvage ; d'un air courroucé, il l'interpella

comme s'il eût eu affaire à un grand' pécheur et lui commanda, au nom de Dieu, de ne plus infester désormais cette solitude. L'animal s'éloigna la tête basse et il ne revint plus.

Une ecmmunauté trop peu persévérante. - L'églisedu .. Mont-Vierge n.

Parmi les visiteurs qui, chaque jour, assiégeaient la cabane do Guillaume pour demander ses conseils et ses prières toujours efficaces, quelques prêtres séculiers, touchés de ses entretiens, demandèrent à vivre auprès de lui et à demeurer sous sa conduite.

Il accepta leur proposition et leur fit connaître sa règle qui était plus simple que facile à suivre. Trois points seulement la eonstiliaient : prier beaucoup, travailler sans relâche et mortifier sa chair par le jeûne et l'abstinence ; en un mot, suivre l'exemple donné par Guillaume lui-même, qui restait de longues heures en prière si absorbé en Dieu que le monde semblait ne plus exister pour lui, et occupait les loisirs que lui laissait l'oraison à travailler assidûment, plus pour subvenir aux besoins des pauvres que pour assurer sa propre subsistance.

Ces conditions posées, on bâtit des cellules sur la montagne, et ainsi commença la Congrégation du Atonie-Vergine (Mont-Vierge), en rr18 ou f119, sous le pontificat de Calixte II.

Les postulants acceptèrent tout d'abord le genre de vie de Guillaume, mais, peu dignes d'un tel directeur, ils ne tardèrent pas à trouver le joug trop dur et à murmurer. Le démon sema parmi eux

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l'esprit de discorde. Quelques-uns, entrés dans la Congrégation précipitamment et sans un véritable appel de Dieu, se réclamèrent bien haut de leur caractère de prêtres pour n'avoir plus à s'occuper, comme des mercenaires, à des travaux manuels, et demandaient des livres pour s'adonner à certains travaux intellectuels qui flattaient peut-être leur vanité.

Enfin, peu satisfaits de leur trop modeste oratoire, ils voulurent l'érection d'une grande église.Guillaume, bien que peiné de leur peu de constance, n'opposa cependant aucune résistance à

ceux de leurs désirs qui avaient quelque chose de légitime, et, après avoir consulté Dieu dans la prière, il permit qu'on élevât au sommet de la colline une belle` i église où les prêtres pourraient exercer les fonctions du saint ministère. On se mit à l'ouvre avec entrain. Des voisins, des étrangers même aidaient aux constructions, Chacun apportait sa pierre à l'édifice qui s'acheva rapidement et fut dédié à la Sainte Vierge.

Plusieurs miracles, s'il faut en croire le biographe Jean de Nusco, auraient signalé le cours de cette importante entreprise.

Guillaume aperçut un ouvrier, étranger au chantier, qui regardait les travaux d'un cil d'envie ; il ne pouvait y prendre part car

25 JUIN196 25 JUINil avait un bras perclus. Cependant le serviteur de Dieu parut ne pas remarquer son infirmité et

le pria de soulever une énorme pierre pour la porter au mur en construction. L'ouvrier, tout attristé, exposa le misérable état. de son bras. Sur les instances de Guillaume et pour prouver sa bonne, volonté, il essaya de remuer au moins la lourde pierre. Mais, ô prodige, ce fardeau ne sembla plus peser à ses mains raffermies et il le porta triomphalement au chantier.

En une autre circonstance, on vit de même, une seule paire de boufs enlever un énorme sarcophage de marbre que précédemment cinq paires de bmufs n'avaient pu ébranler.

Ces miracles multiplièrent le nombre des ouvriers volontaires, qui, non contents de bâtir une église, y adjoignirent un monastère..

La dédicace du nouveau sanctuaire, faite par l'évêque d'Avellino, fut une fête pour toute la contrée, et Dieu y glorifia une fois de plus son serviteur par la guérison d'une pauvre femme aveugle.

Le Pape Calixte II accorda des indulgences à tous ceux qui visiteraient pieusement l'église de Monte-Vergine.

Le démon de l'avarice. - Saint Guillaume bat en retraite.Plus encore qu'auparavant, les fidèles gravirent les flancs de la montagne et apportèrent à la

nouvelle église leurs prières et leurs aumônes. Parfois, des sommes considérables étaient remises à Guillaume par leur charité confiante. On savait qu'il en ferait bon usage. Le saint religieux prélevait ce qui était strictement nécessaire à sa communauté et distribuait aux pauvres le surplus.

'tant de générosité fut entrer dans son couvent le démon de l'avarice. Quelques religieux eussent été bien aises d'assurer leur avenir en réservant une partie de cet argent, et ils récriminèrent contre ce qu'ils appelaient l'imprévoyance de leur prieur.

Ils se plaignirent aussi de ce que leur règle était trop austère, impraticable, et ils demandèrent au fondateur de la mitiger un peu.

C'était proposer à Guillaume des concessions que sa conscience n'approuvait point. Plutôt que de rien retrancher aux pratiques de pénitence qu'il avait, du plein consentement de sa communauté,, prescrite à l'origine, il préféra s'humilier, remettre aux mains de son dernier disciple, Albert, religieux d'une sainte vie, à qui l'on donne parfois le titre de a bienheureux a, l'autorité de prieur, et. chercher loin du Mont-Vierge une autre retraite.

Il prit avec lui cinq de ses religieux, les plus fidèles et les plus humbles, qui demandaient à le suivre, et il s'achemina vers le mont Lacenio dont le sommet était inhabité et couvert de forêts.

Épreuves et consolations.Il s'installa avec ses quelques compagnons sur le bord d'un torrent, dans des luttes construites à

la hâte et qui défendaient mal leurs habitants des atteintes du froid, rigoureux sur ces hauteurs.Le strict nécessaire manquait ; la nourriture, aussi sommaire que le confortable, consistaitt

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souvent en quelques racines. Ce régime convenait beaucoup au pieux ermite, mais pour ses compagnons,.

Saint Guillaume enjoint à un oursde ne plus troubler la source où il se désaltère.

moins façonnés que lui aux grandes austérités, l'épreuve était dure ; bientôt, n'y tenant plus, ils abandonnèrent leur père pour aller chercher ailleurs une température plus clémente et une retraite plus hospitalière. Guillaume resta donc seul.

Il supporta cet abandon avec une admirable résignation. Dieu le consola dans ce désert en lui envoyant enfin un compagnon selon son coeur, saint Jean de Matera, homme d'une grande vertu, très digne de se ranger sous la direction d'un tel maître.

Dès leur première rencontre, ces deux coeurs se comprirent, car

SAINT GUILLAUME DE VERCEIL'97

198ils battaient à l'unisson dans l'amour de Dieu. Guillaume et Jean se mirent donc ensemble à

l'ceuvre de leur perfection. Ce fut à qui ferait le plus pénitence, s'imposerait le plus de privations. Ils désiraient la mortification comme d'autres recherchent les plaisirs,, et ilsoubliaient dans leur extatique contemplation des beautés divines le monde et ses vanités.

Le mont Lacenio ne devait pas conserver longtemps les doux ermites, Notre-Seigneur leur fit intérieurement savoir que le sacrifice de leur vie paisible et de leur intimité lui serait agréable et qu'ils avaient à fonder pour sa gloire de nouveaux monastères.

Toutefois, l'heure ne leur semblait pas encore venue, et ils tardaient à quitter ces lieux bénis, quand soudain, sans cause apparente, le feu prit à leurs cabanes. Ils regardèrent cet accident comme

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une punition de leurs hésitations et se séparèrent sur-le-champ, pour accomplir les desseins de Dieu.Saint Jean de Matera prit la route de l'Est et vint au mont Gargan, sur les bords de l'Adriatique,

où il établit l'Ordre de Pulsano ,. Guillaume demeura seul à l'Occident, sur le mont Cuneato ou Serra Cognata.

Epris de Dieu, il se serait aisément accommodé de la solitude toute sa vie, s'il n'avait reçu constamment l'inspiration de former des disciples à l'exemple de ses vertus et de sa sainteté.

En cela comme en tout. il s'en remettait aux soins de la divine Providence et attendait patiemment les occasions qu'elle voudrait bien lui ménager.

Comment Dieu prépare une fondation de monastère.L'occasion se présenta bientôt. Un jour que Guillaume priait près de sa cabane, il fut

grossièrement interpellé, puis injurié et frappé sans motif par un des écuyers du seigneur voisin qui chassait dans la forêt.

Mais voici que le brutal agresseur roule aux pieds de sa victime, se tord dans d'horribles convulsions : il est tout à coup possédé du démon. Son maître arrive. Il apprend ce qui s'est passé et reconnaît que son écuyer a reçu du ciel la juste punition de son forfait,

- A la rigueur et à la promptitude du châtiment, dit-il à ses hommes, vous pouvez juger du crédit que possède auprès de Dieu ce pauvre ermite. C'est un Saint assurément. Allons tout de suite implorer son pardon si nous voulons que Dieu guérisse le coupable.

Ils se rendent aussitôt à l'ermitage, y traînant de force le possédé furieux.Le pardon de Guillaume était accordé d'avance. Mais ses prières obtinrent de plus celui de

Dieu. Détachant les liens qui retenaient les bras et les jambes du possédé, il le rendit sain de corps, l'âme repentante et converti, à ses camarades émerveillés.

Dès lors, Guillaume fut regardé par les gens du pays comme un homme de Dieu. Le seigneur, trop heureux de le posséder sur ses terres, mit à la disposition du solitaire ses biens et ses vassaux, et sollicita comme un honneur d'avoir à pourvoir à sa subsistance. Des

SAINT GUILLAUME DE VERCE1L rgpdisciples se présentant, l'idée lui vint d'ériger un monastère, pr'èt du monastère une église, et

Guillaume, dont la vocation était 'de fonder, se vit encore une fois à lit tête d'un groupe de religieux., auxquels il donna les mêmes règles qu'à ceux du Monte-Vergine.

Quand le fondateur avait accompli son oeuvre, 'que la communauté prospérait, Dieu lui inspirait presque toujours de livrer à d'autres mains la conduite du monastère. Aussi le voyons-nous s'éloigner peu après du mont Cuneato et s'avancer encore plus à l'Ouest, au gré de la Providence à laquelle il s'abandonnait.

Le voici arrivé dans la vallée de Conza, C'était la belle saison, Après s'être contenté quelque temps du feuillage d'un arbre pour abri, il obtint d'un riche seigneur la construction d'un monastère double, l'un d'hommes, l'autre de vierges.

Il les fonda à Guglielo. La règle qu'il imposa était très austère. Le vin, la viande, les laitages étaient interdits : trois fois par semaine, les religieux devaient se contenter d'un peu de pain, de fruits et d'herbes crues ; les autres jours, ils ajoutaient à ce menu un seul mets assaisonné à l'huile. Ces monastères prirent dans la suite une grande importance, soit en raison de la piété de leurs membres, soit encore, mais ceci était plus dangereux, par l'abondance de leurs revenus.

Le lit de charbons ardents.Sur ces entrefaites, le roi de Sicile, Roger 'II, un peu sceptique à l'égard des merveilles qu'on lui

rapportait du saint ermite, voulut le voir et le manda à la cour. Guillaume en profila pour exhorter le roi à bannir de son palais le dérèglement et le scandale.

C'en fut assez pour émouvoir contre lui toute la fureur des gens de cour. Ils jurèrent de se venger. Dans le dessein de faire passer l'ermite pour un débauché hypocrite, ils soumirent sa vertu à une épreuve des plus délicates et l'envoyèrent provoquer par une femme dévoyée nommée Agnès.

Guillaume consentit à la recevoir, mais, à son arrivée, il s'étendit sur une couche de charbons ardents qu'il venait d'étendre sur le sol , puis, d'une voix grave et pleine de compassion :

- Voilà mon lit, dit-il. Voyez si vous avez à le partager.Ce fut comme un coup de foudre pour la malheureuse. Les paroles du serviteur de Dieu, cette

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mise en scène inattendue que l'on retrouve aussi dans la vie d'autres Saints (Pierre Gonzalès, etc.), ce miracle - Guillaume n'était pas atteint par les ardeurs du feu, -•la grâce de Dieu surtout, frappant un de ses coups merveilleux, changèrent en un instant les dispositions de son âme. Elle fondit en larmes et tomba aux pieds de l'ermite, abîmée dans la confusion et le repentir. Le vice était confondu l'enfer vaincu. La nouvelle pénitente revêtit l'habit des religieuses de l'Ordre fondé par Guillaume et y passa le reste de sa vie. Elle est connue sous le nom de la bienheureuse Agnès de Vénosa.

A dater de ce jour, le roi Roger cul une grande vénération pour Guillaume, et, désireux de jouir pleinement de son voisinage, il

25 JUIN

200 25 JUINlui bâtit en face de son propre palais, à Palerme, le monastère dit de Saint-Jean des Ermites.

Dans la même ville, se fonda encore un monastère de vierges.Derniers jours et mort de saint Guillaume.Que devenaient pendant ce temps !es religieux des divers monastères fondés par Guillaume? Ils

suivaient fidèlement la règle, de leur fondateur. Sous le gouvernement d'Albert, le monastère de MonteVergine avait recouvré sa régularité primitive. Guillaume revint un jour visiter le Mont-Vierge. Ce fut une de ses dernières joies. Il vit avec bonheur la ferveur régner au sein de cette communauté. Après y avoir fait quelque séjour, il sentit,, par l'épuisement de ses forces et le progrès de ses infirmités, que sa fin était proche.

Il se retira alors au monastère de Guglieto. La fièvre l'ayant saisi, il se fit porter dans l'église, exprima le vd;u d'être enterré avec son habit de religieux, puis il demanda qu'on l'étendit sur le pavé du sanctuaire; c'est dans cette attitude qu'il rendit sa belle âme à Dieu. le 9,5 juin 1142, à l'âge de cinquante-sept ans. Son corps fut inhumé dans cette même église qui perdit plus tard son nom primitif de Saint-Sauveur pour prendre celui de Saint-Guillaume.

Son couvre lui survécut, mais non sans quelques modifications apportées à la règle et aux constitutions qu'il n'avait pas strictement définies. Du vivant du fondateur. l'exemple et la direction verbale faisaient ordinairement toute la règle de Ces anciens couvents. Robert, le deuxième successeur de Guillaume, s'inspirant des désirs de l'Eglise qui tend à grouper tous les Ordres nouveaux sous quelqu'une des grandes règles anciennes, rangea ses monastères sous la règle de saint Benoît en vertu de l'autorité du Pape Alexandre III (s15g-1181), et le 4 novembre 1181, Célestin III approuva le monastère bénédictin de Monte-Vergine et ses constitutions.

L'Ordre de Monte-Vergine n'existe plus en tant qu'Ordre indépendant ; l'abbaye qui en fut le berceau, Monte-Vergine, dans la province d'Avellino, a été réunie le ler février 1899 à la Congrégation cassinienne de la Primitive Observance, rameau très important de l'Ordre bénédictin ; toutefois, ce monastère n'est pas rattaché à la Province italienne, mais soumis à l'autorité immédiate de l'Abbé général.

A. D.Sources consultées. - Acta Sanctorum, t. Vil de ,juin (Paris et Borne, 1867) Vie écrite par Je AN

nn Nuseo, disciple de saint Guillaume. - Mgr Nu,, Guénm, Les Petits Bollandistes, t. Vil (Paris, 1897). - MIcem, Dictionnaire des Ordres religieux. Les Bénédictins de l'Ordre du Mont-Vierge avec

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la vie de saint Guillaume de Verceil, fondateur de cet Ordre. - AumaN BAu.ter, Vies des Saints. - (V. S.

B. P., n' rn3.) -.................................

PAROLES DES SAINTSLa pauvreté.La pauvreté a une_ étroite alliance avec toutes les vertus.Saint pauses CHRYSOLocUR.

Premier Général des Chartreux, évêque de Belley (1107-1178)

Fête le 26 juin. IIYIYIr'nv0'w ' vrvrrrvrri °914,4141l"A NTIELTsn, fils des seigneurs de Chignin, est de la lignée des grands moines du xue siècle.

De bonne heure il renonce à un brillant avenir pour vivre dans la solitude et la prière. Religieux modèle, il unifie et développe l'Ordre des Chartreux ; pasteur zélé et vigilant de l'Eglise de Belley, il- est le père nourricier et le protecteur de ses ouailles : le schisme de 115g ayant divisé les nations catholiques, il concourt puissamment à les ramener sous l'autorité du Pape Alexandre 111- Contre un prince de Savoie, usurpateur des biens et des droits ecclésiastiques, il réclame sans peur et avec persévérance le respect des lois de l'Eglise et de la juridiction spirituelle et temporelle de l'évêque de Belley.

Nom symbolique. - Premières années.Anthelme était de la première noblesse de Savoie. Il naquit en 1107 au château de Chignin, à

trois lieues de Chambéry, à l'ombre de l'antique sanctuaire de Myans dédié à la Mère de Dieu. La comtesse, sa mère, avait l'habitude d'aller cueillir chaque jour des fleurs dans les parterres du manoir pour en orner l'autel de la Sainte Vierge. Lorsque l'enfant vint au monde, le comte le prit dans ses bras et le posa quelques instants aux pieds de la Madone où la mère n'avait pu déposer son bouquet ordinaire. De là lui vint le nom symbolique d'Anthelme, qui signifie fleur: fleur, en effet, dont les parfums allaient bientôt embaumer l'Eglise tout entière.

Notre-Dame de Myans protégea son enfance, et son adolescence s'écoula tranquille et douce dans le château paternel.

Son intelligence était vive, et ses rapides progrès dans les sciences le firent bientôt remarquer. Aussi ses parents n'eurent-ils point de difficulté à lui procurer deux bénéfices ecclésiastiques considérables,

1LSAINT ANTHELME DE CHIGNIN

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sI rr.

202celui de prévôt du Chapitre de Genève et celui de clerc-sacristain de la cathédrale de Belley.

Anthelme fixa sa résidence dans cette dernière ville et, employa les revenus de son patrimoine et de ses bénéfices à secourir les pauvres et à traiter généreusement ses nombreux amis, Sa vie restait toujours pure, mais dissipée, occupée des choses terrestres et absorbée par ces plaisirs délicats qui flattent la nature sans alarmer la conscience. Cependant la prêtrise qu'il reçut en 1135 et la vie exemplaire des Chartreux lui inspirèrent le désir de quitter le, monde pour embrasser l'état religieux et assurer ainsi le salut de son âme.

La Chartreuse de Portes. - Vocation religieuse.Pour varier ses loisirs, Anthelme se rendit un jour, avec des amis, à la Chartreuse de Portes,

fondée quelques années auparavant.Le Prieur,. Dom Bernard de Varey, le reçut avec tous les égards dus à sa dignité. Il le conduisit

à travers les cloîtres, dans les cellules des moines, lui fit admirer dans tous ses détails la vie de pénitence que mènent les fils de saint Bruno, et l'exhorta à penser lui-même à son salut.

Ces exemples et ces entretiens impressionnèrent l'âme du prévôt cependant, il n'était point encore décidé à mener une vie aussi austère et silencieuse.

La visite achevés, Anlhelnie revint avec ses compagnons à la maison d'en1ās, nommée la Correrie, où habitaient les Frères et les domestiques, sous la direction du procureur, qui était alors Dom Boson, son proche parent. Ce religieux acheva l'ouvre commencée par le• Prieur,

Pendant, la nuit suivante Anthelme ne put dormir ; ce qu'il a vu et ce qu'il a entendu se présente à sa mémoire : il compare sa vie inquiète et troublée à l'existence sereine du Chartreux ; il songe à l'éternité et aux récompenses du ciel, etla grâce triomphe bientôt de ses dernières hésitations. Il sera religieux dans ce monastère où il a été témoin de si beaux exemples de vertu. Il revint donc à la Chartreuse (le Portes, demanda à y être reçu comme novice, après avoir chargé ses amis de' payer ses dettes et d'exécuter les dispositions prises au sujet de ses biens.

Prieur Gén ral de la Grande-Chartreuse.Au noviciat, Anthelme se distingua entre tous par sa- ferveur, sa fidèle observance de la règle,

par son amour de la prière et de la lnortifl'etition. Portes net-garda pas longtemps cette recrue d'élite. Le novice `fut appelé vers 1136 à la Grande-Chartreuse, où on l'admit à prononcer ses veeuk. Il y fut le modèle dès moines. 'A cause de son Savoir et' de Son expérience dans l'administration des affaires temporelles, Oh lui confia bientôt la charge importante de procureur du célèbre monastère.

Lors de la démission de Dom Hugues en '1 r3g, Anthelme fut élu septièlhe Prieur de la Grande-Chartreuse. Ilrépara les ruines causéespar les avalanches; le couvent futentouré d'un mur de

SAINT ANZIELnre ne CICNSN zo3clôture ; des aqueducs y amenèrent l'eau de très loin ; les bois furent défrichés ; on s'occupa plus

soigneusement des bergeries et des dépendances de la Chartreuse. En même temps le Prieur s'ap-pliqua à faire refleurir l'observance de la règle suivant les Constitutions écrites par le bienheureux Guigne peu d'années auparavant. Il employa pour y réussir la douceur et la fermeté, n'hésitant pas à chasser du monastère ceux qui ne voulaient point obéir.

Sous son généralat l'Ordre des Chartreux se répandit en France et à !'étranger en faisant plusieurs nouvelles fondations. Les Constitutions que ses religieux avaient acceptées, il les fit adopter par toutes les autres maisons de l'Ordre de saint Bruno. Jusque-là les Chartreuses étaient demeurées indépendantes les unes des autres et soumises à l'évêque du diocèse. Un chapitre général, le premier depuis la fondation de l'Ordre, réunit tous les Prieurs, sous la direction d'Anthelme : celui de la Grande-Chartreuse y fut reconnu pour chef (les autres maisons oit Prieur général.

Ainsi le zèle et la sagesse d'Anthelme opéraient des réformes importantes, et sa réputation 153

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s'étendait au loin, De nombreux religieux se pressaient autour de lui. De ce nombre furent son propre père, un de ses frères, et aussi le comte Guillaume de Nevers, un des plus grands seigneurs de son temps. Le Prieur de la Chartreuse était également le conseiller très écouté de plusieurs évêques et Abbés. Sa fermeté et sa franchise lui suscitèrent quelques ennemis qui le desservirent auprès du Pape Eugène III ; mais saint Bernard prit sa défense et les accusateurs furent confondus.

Le loup devenu berger.Les témoignages de vénération dont il était l'objet ne portèrent jamais la moindre atteinte à

l'humilité d'Anthelme. Il aimait, an contraire, à remplir les emplois les plias vils. Son bonheur était de mener paître les troupeaux du monastère. En présence de cette nature vierge, de ce ciel toujours serein, son âme s'élevait jusqu'à l'Auteur de tous les êtres et il invitait la création entière à louer le Créateur. D'ailleurs, lui-même semblait avoir repris sur les sui, maux la puissance de nos premiers parents avant le péché originel.

Un jour, les pâtres, effrayés, accourent lui annoncer qu'un loup s'est introduit dans la bergerie. Le moine était en prière. Quand il eut fini : e< Allons voir n, dit-il simplement. Les bergers s'atten-daient à contempler le spectacle d'un affreux carnage. Quel ne fut pas leur étonnement de voir la bête féroce remplissant en leur absence l'office de berger ! Les prières d'Anthelme avaient accompli ce prodige. Ce n'était d'ailleurs que l'image des prodiges qu'elles accomplissaient dans les âmes.

Saint Anthelme Prieur de Portes. - Sa chariué.Après avoir gouverné la Grande-Chartreuse pendant douze ans, Anthelme, désireux de

retrouver le calme et les avantages de la vie d'un simple religieux, se démit de sa charge (r151) : la retraite silen'

a6 auIN

SAINT ANTHELME DE CIIIGNIN2o5cieuse du Prieur de la Chartreuse apaiserait d'ailleurs les critiques et les cabales que la jalousie

avait suscitées contre lui. Mais l'année suivante, Dom Bernard de Varey ne se croyant plus en état de gouverner le monastère de Portes à cause de son grand âge, le demanda pour son successeur. Anthelme revint donc comme Prieur au lieu où autrefois la grâce l'avait saisi et transformé.

Il se signala tout de suite par son immense charité : on le vit distribuer aux pauvres et aux maisons religieuses qui étaient dans le besoin du grain et des provisions. Lors de la famine qui désola à cette époque la contrée, il donna aussi aux laboureurs le blé pour le pain et les semailles.

D'après une tradition locale, cette charité fut récompensée par un éclatant miracle : pour permettre au religieux d'étendre plus au loin sa généreuse libéralité, Dieu multiplia miraculeusement les grains dans les greniers de la Chartreuse de Portes. Ce fut également dans ce monastère qu'Anthelme accueillit à bras ouvert, l'archevêque de Lyon et une grande partie de son clergé, injus-tement chassés de leur ville épiscopale par Guy, comte de Forez.

L'assistance des malheureux, les devoirs de l'hospitalité, n'empêchaient point Anthelme de remplir exactement ses fonctions de Prieur. On conserve encore pieusement à la Correrie la cellule où il logeait, lorsque, à tour de rôle, avec le procureur, il y venait diriger h s Frères convers et les domestiques et prendre soin du temporel. Cette cellule a été convertie en chapelle, très fréquentée par les pèlerins le jour de sa fête.

Saint Anthelme est nommé évêque de Belley.Cependant Anthelme, cherchant avant tout la solitude, se démit, dès qu'il le put, de sa charge.

Après deux années de priorat passées à Portes, il eut la joie de retrouver sa chère cellule de la 154

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GrandeChartreuse.Avec l'Abbé d'Hautecombe il soutint contre l'antipape Victor III et son protecteur, l'empereur

Frédéric Barberousse, les droits du Pape Alexandre III et le fit reconnaître par les Ordres religieux, par la France, l'Espagne et l'Angleterre. Il contribua ainsi à procurer la paix à l'Eglise, et le succès de ses démarches mit davantage encore en évidence ses qualités et ses mérites.

En 1163, le siège de Belley était devenu vacant par la mort de Ponce Il. Le Chapitre, chargé de lui nommer un successeur, s'était divisé, et chacun des deux partis avait choisi son évêque. Le Pape Alexandre III, qui se trouvait alors à Bourges, différa de confirmer l'une ou l'autre de ces élections. On proposa alors Anthelme le Chartreux, dont le nom fut aussitôt acclamé par les deux partis.

A cette nouvelle, l'humble moine prit la fuite et se cacha, mais ses efforts pour éviter le fardeau de l'épiscopat furent inutiles. Il fut découvert et contraint par le Prieur même de la Chartreuse d'aller trouver le Pape qui, seul, avait autorité pour agréer son refus. Accueilli avec honneur par Alexandre III qui professait mue grande estime pour ses vertus, Anthelme conjura le Souverain

I;Sur la prière de saint 1lnthelme, un loup se transforme en berger.Pontife de ne pas le contraindre à accepter un, charge qui, disaitil, ne serait utile ni à lui ni à

l'Eglise dont il devenait le pasteur : A Je ne suis qu'un ignorant, s'écriait-il, un homme sans expérience, un misérable, indigne de l'épiscopat. n

Mais le Pape ne voulut accepter aucune de ces excuses dictées par l'humilité : a Faites attention à cette parole de l'Eeriture, lui dit-il : C'est en quelque sorte immoler aux idoles que de ne pas obéir, et c'est comme un péché de divination que de ne pas vouloir se soumettre. u Anthelme demeura confus et garda le silence.

Le Pape le garda quelques jours auprès de soi, et le sacra solennellement de sa main en la fête de la Nativité de la Sainte Vierge.

206 26 JUINSAINT ANTIIELME DE CHIGNIN207Saint Anthelme modèle des évêques, légat pontifical

et prince du Saint-Empire.Anthelme, ayant reconnu l'ordre de Dieu dar -, la volonté expresse du Vicaire de Jésus-Christ,

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ne tarda pas à prendre possession du siège épiscopal de Belley. Dans cette nouvelle dignité, il garda fidèlement son vêtement monastique : sa nourriture, son ameublement, tous les détails de sa vie furent ceux d'un Chartreux. De son opulence d'autrefois, il n'avait conservé que la magnificence des aumônes faites aux pauvres et aux orphelins, aux vierges rouascréés et aux lépreux.

L'évêque de Belley ne prêchait aucun devoir qu'il n'en donnât 7e premier l'exemple. Aussi lorsque, plusieurs fois l'an,, il réunissait ses prêtres dans des conférences spéciales, il avait toute autorité pour les rappeler à la sainteté de leur profession, de sorte que ses exemples, plus encore que ses exhortations, portèrent bientôt leurs fruits, et l'Eglise de Belley, qui offrait l'image d'une épouse chargée de rides, redevint, sous son gouvernement, comme une vierge éclatante de jeunesse et de beauté.

Après avoir réformé le clergé, il s'occupa avec autant de zèle et de fermeté des besoins spirituels de son peuple, prêchant contre le vice, corrigeant ceux qui vivaient dans les désordres, visitant son diocèse, défendant les opprimés, distribuant, durant les années de disette comme l'année r178, tout ce qu'il pouvait donner. Pendant son épiscopat, il reçut deux grandes marques de considération. Le Pape le nomma son légat auprès du roi d'Angleterre pour le réconcilier avec saint Thomas de Cantorbéry, mais l'empereur Frédéric trouva moyen d'empêcher cette légation. Plus tard, en 1175, ce même empereur, rendant enfin justice au mérite de l'évêque, les créait prince du Saint-Empire, l'investissait de la souveraineté de la ville de Belley et de ses dépendances, avec plusieurs privilèges,. notamment celui de battre monnaie.

Humbert de Savoie usurpateur de biens ecclésiastiques.Lorsque les droits spirituels ou temporels, la pleine indépendance de son Eglise étaient violés

ou menacés, Anthelme les revendiquait ou les défendait avec une énergie indomptable contre les usurpateurs, quels qu'ils fussent. Il n'hésita pas à excommunier Humbert Hl de Savoie parce que, malgré des avertissements réitérés, ce prince s'appropriait les revenus des bénéfices ecclésiastiques, agissait contre les privilèges des clercs et la souveraineté temporelle du prélat en faisant emprisonner un prêtre du diocèse et en laissant ensuite impunis ses meurtriers.

Fort humilié et gêné par la censure infligée, le prince passe de l'étonnement à la colère : bientôt son irritation ne connaît plus de bornes, et il adresse au Pape des plaintes perfides.

Le Souverain Pontife, mal renseigné sur les faits, conseille à l'évêque d'user de condescendance, et de consentir à délier le

prince de la sentence canonique qui l'avait frappé : « Celui qui a été frappé justement, répond Anthelme, ne doit pas être absous avant qu'il ne se soit repenti et n'ait donné satisfaction pour son offense. a

L'animosité d'Humbert dura plusieurs années : il proférait, en toute circonstance contre l'évêque des imprécations et multipliait ses vexations. Pour y échapper, le prélat se retira à la Grande-Chartreuse : mais cette retraite ayant jeté son peuple dans la consternation, le Pape ordonna à Anthelme de retourner à Belley. Comme l'usurpateur menaçait un jour l'évêque de le traduire devant un tribunal séculier : « Vous me citez devant un tribunal de la terre, répondit l'intrépide défenseur du droit, et moi je vous cite devant le tribunal du ciel, au dernier des jours, devant le juste Juge qui est Dieu. a

Réconciliation, de saint Anthelme et du prince de Savoie,Une prophétie.

A la fin, les événements témoignèrent que l'évêque était bien conduit par l'esprit de Dieu en persistant dans des rigueurs que traitaient d'opiniâtreté certains évêques d'alentour. Cette excommunication qu'Humbert de Savoie ne supportait qu'en frémissant, fut pour lui le principe d'une vie plus sincèrement chrétienne et d'une bénédiction insigne.

Anthelme, chargé d'années et de mérites, avait atteint le terme de sa carrière. Près de paraître devant Dieu, il pouvait se rendre témoignage qu'il n'avait jamais trahi la cause du Christ. On lui demanda alors de pardonner au comte de Savoie. a Je n'en ferai rien, répondit-il avec fermeté, si le prince ne se désiste de ses iniques prétentions et ne répare ses injustices. a

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Deux Chartreux, qui se trouvaient près d'Anthelme gravement malade, vont porter cette réponse à Humbert, alors à Belley, lui représentant en même temps les inquiétudes et les remords qu'il se prépare s'il laisse le pontife se porter son accusateur devant le tribunal de Dieu. Humbert, déjà ébranlé, est saisi de terreur à la pensée des jugements divins : il accourt près du lit de l'évêque dont il baise les mains mourantes, reconnaît ses torts, et annonce qu'il révoque ses injustes ordonnances et donnera toutes les satisfactions qu'Anthelme demandera.

L'homme de Dieu, embrassant l'avenir d'un regard prophétique lève ses mains : « Que le Dieu tout-puissant, s'écrie-t-il, Père, Fils et Saint-Esprit, répande sur vous ses bénédictions, qu'il vous fasse croître et multiplier, vous et votre fils ! » Grande est la stupéfaction de l'assemblée, car le comte n'avait qu'une fille. On veut faire remarquer au malade son erreur. Mais le pontife reprend trois fois et avec, insistance : a Vous et votre fils 1 a L'événement justifia la prophétie : Humbert eut un fils dans l'année même, le prince Thomas, de qui descend toute la lignée des princes de Savoie.

1208 26 JUINLa mort de saint Anthelme. - Son culte.L'année 1178 fut, à cause de la disette, une année fort pénible pour les habitants du Bugey.

Pendant que l'évêque s'occupait de soulager par l'aumône les plus éprouvés de ses enfants, il tomba gravement malade et comprit que la mort ne tarderait pas. Il refusa de faire son testament, un religieux ne possédant rien en propre, et un évêque n'étant que l'administrateur des biens de son Eglise. Il exhorta les personnes de son entourage à vivre dans la concorde et la paix. Le 26 juin 1178, le prélat rendit son âme à Dieu, pendant qu'on récitait les litanies et les autres prières des agonisants.

La ville de Belley pleura son pasteur et son père. Le corps, revêtu de la robe monastique et des insignes de la charge épiscopale, fut, après des funérailles solennelles, placé dans une tombe préparée à l'entrée du chceur de la cathédrale. Une inscription rappela en termes éloquents les titres et les fonctions d'Anthelme, son zèle pour la défense des libertés de l'Eglise, la protection accordée à la ville de Belley. Son tombeau devint un lieu de pèlerinage ; de nombreux miracles y furent obtenus, ce qui augmenta chaque jour davantage le culte et la dévotion que lui rendirent l'Ordre des Chartreux et le diocèse de Belley. En i63o, on procéda à la reconnaissance de ses reliques retrouvées en parfait état de conservation : elles furent déposées dans une châsse richement ornée ; plusieurs guérisons miraculeuses eurent lieu à l'occasion de leur transfert dans la chapelle qui leur fut destinée. C'est là qu'elles demeurèrent jusqu'à la Révolution française. En ,,793, la chapelle fut profanée, la châsse brisée : des chrétiens dévoués purent sauver et conserver la plus grande partie, la tête exceptée, du corps de saint Anthelme. Une vingtaine d'années après, les précieuses reliques furent reportées en triomphe dans la chapelle dite de Saint-Antlielme, à Belley.

L'Eglise de Lyon et la paroisse de Chignin possèdent des ossements du saint évêque dont le culte reste bien vivant dans les régions du Dauphiné, de la Savoie, de la Bresse. La ville de Belley est toujours reconnaissante pour la protection continuelle du pontife qui l'a gouvernée pendant quinze ans : elle porta même quelque temps le nom de a Ville d'Anthelme a (Anthelmopolis).

La fête du Saint est célébrée au jour anniversaire de sa mort, le 26 juin, dans le diocèse de Belley et dans l'Ordre des Chartreux. Elle se trouve aussi dans les Propres des diocèses de Chambéry, de Grenoble et d'Annecy. La paroisse de Chignin fête avec une solennité particulière, le plus illustre do ses enfants, celui qu'on continue d'appeler il saint Anthelme de Chignin n ; la vieille tour où il est né a été convertie en chapelle.

OCTAVE CARON.Sources consultées. - Acta Sanctorum, t. V de juin (Paris et Rome, ,869). - 'Mgr PAUL Gu nrn,

Les Petits Bollandistes, t, Vit (Paris, 1897). - Mgr A. MAAcuAL, Vie de saint Anlhelme (Paris, Lyon, 5878). - (V. S. n. P., n' 799.)

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SAINT ÉMILIENÉvêque de Nantes et martyr (t 725). Fête le a7 juin. .LA vie de saint Émilien offre un noble exemple de dévouement pour la foi et la défense de

l'Eglise. Alors qu'il eût pu vivre tranquille et honoré sur son siège épiscopal, il aima mieux s'exposer au péril et à la mort plutôt que de rester indifférent aux maux de la chrétienté.

L'invasion musulmane.En 725, les Sarrasins, vaincus une première fois six ans plus tôt devant Toulouse, franchissaient

de nouveau les Pyrénées. Laa ville de Nantes avait alors un pontife aussi pieux que vaillant,, plein de charité et de foi ; l'amour de Dieu et de son troupeau embrasait son coeur et la consécration épiscopale n'avait fait que rendre plus constante et plus droite l'ardeur naturelle du sang breton qui, coulait dans ses veines. Cet évêque était Émilien. Émilien, dit l'ancien texte de l'office du diocèse d'Autun, était né en Bretagne ; c'était un homme d'une belle prestane.', d'un visage agréable, d'une parole douce, très compatissant avec le peuple, aimable au delà de toute expression, parce qu'il était de bonnes moeurs et plein de vertus.

Il s'en faut de beaucoup que l'histoire de la Bretagne - cette époque nous soit connue d'une façon bien claire. Il semble que cet tains chefs plus puissants que d'autres y règnent en maîtres sur des territoires plus ou moins importants, regardés peut-être avec envie• par leurs voisins les Francs. Mais ces derniers sont eux-mêmes trop divisés pour menacer immédiatement l'indépendance bretonne.

C'est du Sud-Ouest que vient le danger et il importe d'y parer à, tout prix.Deux religions, deux civilisations se trouvaient, en effet, en pré210 27 JUINSAINT ÉMILIEN DE NANTES 21'sence. D'une part la religion chrétienne, d'autre part la religion de l'imposteur Mahomet. Tandis

que le Christ a envoyé ses apôtres conquérir les nations en leur prêchant la doctrine de l'amour, les sectateurs du soi-disant Prophète avançaient en semant autour d'eux la mort et l'effroi.

Conscient du péril de l'heure, Emilien convoque ses proches et d'autres hommes, connus ou non, et leur adresse ces paroles :

- O vous tous, dit-il, hommes courageux à la guerre, plus courageux encore par votre foi, armez vos mains du bouclier de la foi, vos fronts de la croix du Seigneur, votre tête du casque du salut, et revêtez vos cuirasses. Allons, soldats du Christ, prenez vos meilleures armes de guerre, pour renverser et broyer ces chiens venimeux. Comme le dit Judas Macchabée : « Mieux vaut mourir courageusement les armes à la main, que de voir le désastre de notre peuple, la profanation des choses saintes, l'opprobre du peuple de Dieu et de la loi que nous a donnée le Seigneur. u

- Seigneur, vénérable et bon pasteur, répondirent les Nantais, ordonnez et partout où vous irez, nous vous suivrons.

L'évêque ne perd pas un instant ; il voit dans cet élan l'expression de la volonté divine, il reconnaît qu'un souffle de l'Esprit-Saint, agitant toutes ces poitrines chrétiennes, leur communique l'ardeur du sacrifice et du dévouement ; sans délibérer davantage, il fixe le jour du départ et aussi le lieu du rendez-vous, qui n'était autre que la cathédrale.

Un évêque-soldat.Mgr Pie, dans un panégyrique du chef de l'Eglise de Nantes, couvre remarquable dont nous

allons reparler, a pris la peine de justifier l'évêque de son attitude militaire :« Emilien.., met d'abord son peuple en prière. Mais bientôt il se relève, car sa prière elle-même

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le pousse à l'action. Quand la patrie est en danger, tout' citoyen est soldat... Et puisque la terreur ou l'impuissance sont partout.... Emilien se lèvera...

a Ne confondons pas les époques, ne jugeons pas les besoins et les moeurs d'un autre âge d'après nos temps et nos moeurs. Les nécessités sociales d'alors ne comportaient pas sur ce point toute la sage précision de la discipline postérieure. Et, d'ailleurs, il est des cas extrêmes dans lesquels les règles disciplinaires s'évanouissent devant la loi divine ; que dis-je P il est des cas même vulgaires, Jésus-Christ m'en est garant, dans lesquels la loi divine s'efface devant le droit de nature.

n - Qui de vous, disait le divin Maître, si le bcouf ou l'âne de son prochain vient à tomber dans une fosse, ne l'en tirera pas surle-champ, même au jour du sabbat a

a Or, quand une loi fondamentale comme celle du sabbat cède pour une pareille cause, que dirons-nous lorsqu'il s'agit non pas... seulement de sauver la vie d'une fille d'Abraham, mais de porter secours, en un péril extrême, à la mère commune de tous les hommes, à l'épouse du Christ, à l'Eglise de~ Dieu P »

Il faut voir surtout dans l'attitude d'Emilien un geste inspiré par un sentiment analogue à celui qui, en cog5, portera le Pape Urbain II à prêcher et à faire prêcher la croisade d'abord au Concile de Plaisance, en Italie, puis au Concile de Clermont,

Le rassemblement autour de l'autel.Au jour fixé, la cathédrale de Nantes se remplit de guerriers accourus en armes de tous les

points de la province, de toutes les rues de la ville. L'évêque, revêtu de ses ornements sacerdotaux, monta à l'autel et offrit le Saint Sacrifice pour le salut de la chrétienté, pour les Bretons, pour tous ses compagnons d'armes dont il était le compatriote par le sang, le père par la grâce, le chef par le dévouement. Il demanda au Dieu des forts de donner aux familles la résignation, aux soldats, la force et le courage ; il pria le Seigneur, par la divine Victime du Calvaire, d'agréer et le bénir le sacrifice de ceux qui allaient au-devant de la mort pour la défense de la foi et le salut de leurs frères. Ce fut un beau spectacle de voir cette multitude de guerriers, brillants sous leurs armes, s'approcher de la Table sainte pour recevoir le corps et le sang du Sauveur.

La messe achevée, Emilien prit la parole :- Mes enfants, dit-il, rendons grâce à Dieu notre Sauveur, qui a créé de rien le ciel, la terre et la

mer. C'est lui qui, dans sa bonté, nous a réunis en un tel nombre, lui qui, par sa grâce, a fortifié et sanctifié nos ccours. Prions-le avec piété, demandons-lui la force d'accomplir sa sainte volonté pour notre salut.

Marche sur Paris et Sens. - Saint Ebbon.Après de telles paroles, il ne restait plus qu'à partir. La sainte phalange se met en marche. Les

gémissements et les sanglots de la foule, les larmes des mères, des veuves et des orphelins qui se pressent sur leur passage, répondent aux adieux des soldats, mais rien n'ébranle la fermeté de ces volontaires de la foi. Ils marchent jour et nuit, au-devant de l'ennemi redoutable qu'ils vont combattre. Qui sait P les Sarrasins sont peut-être sur le point de prendre quelque nouvelle ville ; les atteindre une journée plus tôt sera sans doute le salut d'une population entière.

En arrivant à Paris, ils apprennent qu'une armée de Sarrasins assiège la ville de Sens et redoublent d'ardeur pour arriver à temps. Sens soutenait encore avec énergie l'assaut des infidèles. Cette ville avait alors pour évêque saint Ebbon, digne émule d'Emilien.

D'abord comte et homme de guerre, Ebbon neveu de l'ancien évêque de Sens, Géric, avait ensuite renoncé aux honneurs du monde pour se faire moine au monastère de Saint-Pierre-le-Pif, C'est là qu'on était allé le chercher pour le faire malgré lui évêque de Sens. Il était depuis plusieurs années l'exemple, la lumière, le père et le pasteur bien-aimé de son peuple, quand Ics hordes sarr- Iaes vinrent mettre le siège devant sa ville épiscopale.

Gorgé de sang et de rapines, l'ennemi parut devar;, la cité sénoi21227 JUIN

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SAINT ÉMILIEN DE NANTES213naise ; il entoura la ville (le ses légions, plaça aux portes des sentinelles vigilantes et ferma

toutes les issues. Des engins de guerre, balistes, pierriers, catapultes, battaient les remparts. Cependant, les citoyens munissaient les points faibles, élevaient des tours de défense et lançaient des traits enflammés pour brûler les machines de l'ennemi. La fureur des assiégeants, doublée par l'énergie de la résistance, ne connut bientôt plus de bornes. Cette race barbare imagina un expédient épouvantable. De toutes parts, les arbres du pays furent coupés, et quand le bois eut été amoncelé comme une montagne circulaire sur toute l'enceinte de la ville, on y mit le feu. La flamme s'éleva bientôt triomphante ; les citoyens consternés vinrent trouver l'évêque. L'homme de Dieu était agenouillé, les yeux baignés de larmes. D'une voix entrecoupée de sanglots, il suppliait Dieu en faveur du peuple dont il lui avait confié le soin. Sa prière terminée, il se releva, et désormais sûr de la protection céleste, il bénit la foule.

- Les gros bataillons ne font pas 'a victoire, s'écria-t-il, une poignée de soldats conduits par le Seigneur suffira à nous sauver. Suivez-moi.

Se dirigeant alors vers l'une des portes qu'il fit ouvrir, il se précipita avec les guerriers, à travers la fumée et les (lamines, pour se jeter sur l'ennemi. Témoin de cette héroïque sortie, le reste de la population s'abandonnait au désespoir, mais l'homme de Dieu et ses

compagnons ne doutèrent pas un instant du succès. Surpris à l'ini-e proviste dans leurs campements, les barbares s'enfuirent en désordre;

la panique fut telle qu'ils tournèrent leurs armes les uns contre les autres. Dans leur déroute, ils tombèrent par milliers, jonchant la plaine de cadavres.

D'après plusieurs historiens, cette victoire fut due en partie à l'ar rivée soudaine des Bretons, qui chargèrent les musulmans en même temps que les assiégés tentaient la vigoureuse sortie commandée par saint Ebbon. D'autres placent un peu plus tard la délivrance de Sens. II est certain du moins que l'héroïque légion des volontaires d'Émilien, continuant sa marche à travers la Bourgogne, vola au secours d'Autun assiégé par une multitude de Sarrasins sous les ordres d'un chef que le chroniqueur appelle Eustratégus, nom qui signifie sensiblement « le grand général n, A la nouvelle de leur approche, le chef musulman envoie un corps de troupes pour leur barrer le passage et empêcher leur jonction avec les défenseurs d'Autun. Les Bretons voient s'avancer les bandes musulmanes, ils fondent sur elles avec. impétuosité, les taillent en pièces dans les champs de Saint-Forgeot., et, secondés par une sortie des assiégés, ils entrent triomphalement dans Autun, où les habitants les reçoivent comme des sauveurs envoyés du ciel.

Le champ du sacrifice.Après un légitime repos, les Bretons se concertent arec les Eduens ou habitants de la cité

d'Autun pour la délivrance définitive de laville. On décide d'attaquer l'ennemi dans ses campements. La direction générale des troupes est

confiée à Emilien. L'évêque réunit tous les guerriers dans la cathédrale d'Autun, il rend grâce à Dieu des succès obtenus, il exhorte Eduens et Bretons 3 faire bravement leur

Saint Emitien de Nantes au combat de Saint-Jean de Luze.devoir, promettant la palme de la victoire ou celle du martyre. Il rappelle le souvenir de saint

Symphorien, et, comme la mère de ce jeune martyr d'Autun, il montre la couronne préparée dans les cieux.

L'armée chrétienne sort de la ville et se divise en trois corps ; au centre Emilien et ses Bretons, à droite et à gauche les Eduens. Elle attaque vaillamment les barbares, franchit la vallée sans s'arrêter,

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'2142'i JUINSAINT ÉMILIEN DE VANTES215force le camp des infidèles sur le plateau de Saint-Pierre-l'Etrier, porte partout le désordre et la

mort.Surpris par cette charge inopinée, les ennemis lâchent pied de toutes parts et s'enfuient pêle-

mêle dans la direction de Chaton jusque dans les gorges de la Creuse-d'Auxy.Le chef des Sarrasins ne réussit à rallier ses troupes que trois lieues plus loin, dans la plaine de

Saint-Jean-de-Luze. Il se préparait à une vigoureuse résistance quand il voit la petite armée chrétienne fondre de nouveau sur lui. Bientôt les lignes musulmanes coinmeurent à plier, une seconde victoire des chrétiens va compléter la première.

Mais voici que de l'extrémité du champ de bataille un cavalier franc accourt bride abattue :- Seigneur, dit-il à Emilien, hâtez-vous, les infidèles fondent sur nous de toutes parts 1En effet, un corps de six mille cavaliers sarrasins, commandés par un chef auquel le

chroniqueur donne sans vraisemblance le nom de -Nymphéus, après avoir ruiné Chalon-sur-Saône, arrivait dans la plaine de Luze. Emilien, mettant toute sa confiance en Dieu, fit le signe de la croix en disant :

- Seigneur, je remets mon âme entre vos mains.Puis se jetant de nouveau dans la mêlée il criait :-- Allons, soldats, mettons toute notre confiance en Dieu.Or le chef sarrasin, d'une force et d'une stature extraordinaires, faisait des chrétiensun carnage

épouvantable et couvrait le sol de sang et de cadavres. Emilien, saisi de douleur et d'une indignation irrésistible à la vue du massacre de ses enfants, s'élance audacieusement sur le chef barbare et d'une main vigoureuse le renverse et lui fait une rude blessure. Mais il est lui-même assailli à son tour par une troupe de musulmans qui l'accablent à coups de lances et d'épées; il est frappé à mort ; ses dernières paroles sont encore des paroles d'encouragement :

- Soldats, leur dit l'évêque mourant, combattez avec courage contre des ennemis puissants ; allez-y hardiment, contre les païens jusqu'à la mort ; demeurez constants dans la foi. Je vois déjà

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celui qui vous attirera à lui et qui sera votre récompense. Je vois, contimua-t-il - comme le martyr saint Etienne, - je vois les cieux ouverts et les anges qui se félicitent de votre venue prochaine. Ne craignez pas la mort, car sans aucun doute elle conduit à la vie : vous êtes non les fils des hommes, mais les enfants de Dieu. C'est pour notre vraie mère, la Sainte Eglise, que nous combattons ; elle crie vengeance vers Dieu en faveur de ses Saints. Souhaitez d'être dissous et de demeurer avec le Christ notre Sauveur. Là nous attend la meilleure place, et c'est là que nous aurons toute notre récompense.

Il avait à peine achevé de prononcer ces mots que le chef nommé plus haut, revenant à la charge, s'approchait de lui et lui tranchait la tête.

La France sauvée.Les barbares vainqueurs reparurent à Autun, emportèrent la ville d'assaut, livrèrent les édifices

aux flammes et égorgèrent la plupart des habitants. Ce fut leur dernier triomphe. Un prince, qui sera le grand-père de Charlemagne, Charles, duc d'Austrasie, revenait d'Allemagne victorieux après avoir réuni sous ses drapeaux tous les guerriers qu'il put recruter, depuis la Loire jusqu'aux rivages de la mer du Nord. Eudes d'Aquitaine était avec lui. Ce seigneur, après ses désastres, était accouru auprès de Charles pour le conjurer d'activer ses préparatifs.

Obligées de fuir devant la redoutable armée des Francs, les légions musulmanes, qui avaient massacré Emilien et ses Bretons, se replièrent vers l'Ouest, pour faire leur jonction avec la grande armée d'Abdérame, leur général en chef.

Au mois d'octobre de l'année 732, après huit jours de combats partiels, se livra entre Tours et Poitiers une bataille terrible, l'une des plus meurtrières dont l'histoire de France ait gardé le souvenir. C'est là que Charles d'Austrasie conquit son glorieux surnom de e Martel o, parce que, dit le chroniqueur, a comme le marteau brise et dompte tous les métaux, ainsi il avait écrasé les barbares envahisseurs de la France v. Un nombre immense de Sarrasins restèrent sur le champ de bataille ; Abdérame, leur chef, fut parmi les morts, le reste s'enfuit en toute hâte vers les Pyrénées. La France et la chréfienté étaient sauvées.

Le culte de saint Emilien en Bourgogne.Quand les infidèles eurent quitté le champ de bataille, les chrétiens du pays recueillirent

pieusement les restes de l'évêque martyr et les inhumèrent en ce lieu. Plus tard, on éleva sur son tombeau un oratoire où s'accomplirent de nombreux miracles. Au si- siècle, le corps fut levé de terre, et placé avec honneur derrière le maîtreautel de l'église paroissiale. Saint-Jean-de-Luze changea son nom en celui de Saint-Emilien et par corruption Saint-Emiland, qu'il porte encore aujourd'hui. Cette translation eut lieu dans l'octave de la fête de saint Jean-Baptiste.

La Bourgogne reconnaissante n'a pas cessé, à travers les siècles, de vénérer la mémoire de son héroïque défenseur d'autrefois, devenu un de ses protecteurs au ciel. Le village de Saint-Emiland a eu le bonheur de conserver jusqu'à ce jour les reliques de son saint patron. La fête, qui attire de nombreux pèlerins, se célèbre le dimanche dans l'octave de la Saint-Jean.

Au territoire de Tanlay, non loin de Tonnerre, s'élève une chapelle, rebâtie par le marquis de Tanlay, en l'honneur du saint évêque de Nantes ; en ce lieu, dit une tradition, saint Emilien, allant de Sens à Autun, remporta une victoire sur les infidèles.

A Saint-Emiland une Confrérie portant le nom du Saint fut érigée par Jacques Hurauld, évêque d'Autun de 1612 à 1646.

C'est à ce moment sans doute, au dire des Bollandistes, qu'au-9,16 77 .JUINraient été composées les leçons de l'Office, et le P. Pierre-François Chifflet visitant l'église du

lieu y trouva une messe et un office notés, d'une facture très élégante.Vers la même époque, de ces leçons fut extraite une courte Vie du Saint, en français, qui obtint

le permis d'impression en 1607, d'abord, puis en 16314. On y trouve une oraison intéressante parce qu'elle indique pour quel genre d'affliction la confiance des fidèles recourait à l'intercession de saint Emilien. II y est rappelé que par l'intercession bienfaisante du saint évêque, les malades affligés de hernies ou d'une fracture des membres tu d'autres infirmités recouvrent la santé.

Le culte de saint Emilien au diocèse de Nantes.162

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Le culte de saint Emilien était resté complètement inconnu à Nantes jusqu'au xix' siècle. Presque toujours, en effet, nous voyons la dévotion aux Saints prendre naissance autour de leur tombe ; or Nantes ne possédait aucune relique, aucun souvenir du pieux pontife qui était allé mourir loin de son peuple. En 1855 et 1856, lorsqu'on préparait dans ce diocèse le retour à la liturgie romaine, les études historiques sur les Saints locaux réveillèrent dans sa ville épiscopale le souvenir de saint Emilien, et, en 1858, Nantes eut la joie bien légitime d'obtenir de l'évêque d'Autun quelques fragments des reliques de saint Emilien. A cette occasion furent célébrées des fêtes religieuses splendides, au milieu d'un concours immense de fidèles. Plusieurs évêques y assistaient, Le grand évêque de Poitiers, Mgr Pie, invité à prononcer le panégyrique de saint Emilien, fit entendre, le 8 juin, un des plus beaux discours qui soient tombés de ses lèvres si éloquentes et si doctes ; toute la seconde partie est consacrée à la thèse splendide de la royauté universelle du Christ.

La fête de saint Emilien est célébrée à Nantes le 3 septembre, alors que dans le diocèse d'Autun, nous l'avons vu, la dévotion se manifeste surtout autour de l'anniversaire de la translation des reliques, c'est-à-dire en juin.

La paroisse de Saint-Emilien, dans le canton de Blain (LoireInférieure), a pour patron le saint évêque.

MAXIME V1: LIET.Sources consultées. - Acta Sanctorum, t. VII de juin (Paris et Rame, 186-). - Abbé DrvET, Saint

Symphorien et son culte. - Cardinal fienAAD, Les Saintsde l'Eglise de Nantes (Nantes) -- Ouvres de Mgr l'depque de Poitiers (le cardinalPie, t. 111 (Poitiers et Paris, x368). - (V. S. B. P., n' Qéi.) ..................................PAROLES DES SAINTSLa paix.Elle engendre les enfants de Dieu ; elle est la nourrice de la sainte dilection, la mère de l'union

des esprits, le repos des bienheureux et la demeure de l'éternité.Saint Lion 1'r.(6' sermon de Noël.)

SAINT PAUL IerPape (t 767). I,'ête le 98 juin.c 'EST l'une des plus belles et plus glorieuses destinées du pays de France que celle d'avoir été

maintes fois le rempart de :a chrétienté. Ce n'est pas sans raison que les vieux cantiques qui, aussi bien que les vieilles chansons populaires, expriment et rendent immortellement présente et magnanime l'âme de tout en peuple, suppliaient et remerciaient Dieu de e sauver Rome et la France n. A celle-ci comme à celle-là, à certaines heures historiques, allaient les durables espoirs.

Rome et la France.La France, fille aînée de l'Eglise, avait besoin de Rome, c'està-dire de la Papauté, et Rome,

menacée dans son prestige spirituel par la méconnaissance de ses droits terrestres, avait recours à la chevaleresque, royale et très chrétienne piété filiale de la France. Cette union réciproque, ce mutuel appui se précisent d'une manière plus continue, plus définitive et plus solennelle encore sous le règne de Pépin le Bref, prélude, ou mieux, quand c'est de Rome qu'il s'agit, premier acte de celui de Charlemagne.

Le rayonnement sans cesse grandissant de l'Eglise augmentait, avec ses victoires sur l'erreur et ses saintes joutes pour la vérité, l'étendue, la gravité, la responsabilité de ses charges, de ses soucis, de ses devoirs. Déjà saint Grégoire le Grand avait manifestement reconnu que le Pontife romain était en droit de douter a s'il faisait l'office de pasteur ou celui de seigneur temporel n. Byzance d'un

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côté, les exigences invétérées des Lombards de l'autre, étaient, si l'on peut dire, les pivots, les raisons les plus saillantes, parmi tant d'autres, de cette nécessité. La politique, dans le sens le plus noble du mot, l'art et l'obligation de gouverner, de défendre, de sauve-

SCEAUE218 28 JUflSAINT PAUL 1" erggarder, en vue de Dieu, ses intérêts d'ici-bas, qui font corps avec ceux des âmes confiées à sa

juridiction, s'imposait de plus en plus à l'Eglise.Pépin le Bref fut l'un des plus valeureux bras séculiers qui assurèrent l'indépendance du Siège

apostolique. Sacré roi par saint Boniface, il fut vraiment, durant son règne, le fils ciné (le cette Eglise confiée successivement à la garde de deux frères : 13tienne [II et saint Paul 1°r

Election de saint Paul 1".Le 24 avril 757, un mal subit frappait le Pape Etienne III. Du palais du Latran, où il entrait à

peine en agonie, l'on pouvait percevoir déjà l'impatience tumultueuse des Romains, animés, à cette époque de rivalités et de troubles politiques, par un désir fiévreux de lui donner sans trêve un successeur. Il ne serait pas juste d'écrire que deux factions se trouvaient alors en présence ; plus exactement, un parti minime d'opposition, imbu de la traditionnelle injonction de Byzance, dont le candidat se nommait Théophylacte, dressait batterie sur batterie, multipliait (le basses intrigues pour empêcher que ne fût élu le diacre Paul, objet du plus grand nombre des espoirs. Grâce à l'éminente sagesse de celui-ci, grâce à l'influence de ses vertus conciliatrices, l'unanimité remplaça bientôt la majorité des suffrages. Il devenait au mois de mai, en qualité de Vicaire du Christ, le continuateur immédiat de son frère Etienne III. Le fait, à dire vrai, était exceptionnel dans l'histoire, et les bons apôtres, adversaires, à la première heure, d'un choix qui pourtant s'imposait, n'avaient pas manqué d'en signaler l'étrangeté.

Si nos actes nous suivent, il advient qu'ils nous précèdent aussi. Quelle renommée ceux du Pontife nouveau n'avaient-ils pasP Fils docile et aimant de son père, Constantin, il avait été élevé, dès sa première jeunesse, dans la demeure apostolique. Sa charité enflammée et débordante du zèle des âmes et de l'amour de Dieu était eti devait être toujours légendaire. Souvent il s'en allait, cou-tume que jusqu'à la fin de sa vie il n'abandonnera point, la nuit, avec ses familiers, assister dans leurs maisons les pauvres et surtout les malades, visiter les prisons, payer pour ceux qui y étaient retenus à cause de leurs dettes, et soulage' les veuves et les orphelins. Son intelligence et son savoir, l'affabilité de ses manières, sa bonne humeur à traiter les questions les plus épineuses et les conflits les plus enchevêtrés, ne lui avaient-ils pas valu d'être naguère choisi, à maintes reprises, par son frère Etienne III comme envoyé près du roi de France et près des rois des Lombards, Astolphe et Didier? Ces missions avaient porté des fruits resplendissants. Paul, qui se connaissait soi-même et dont l'âme, sous le regard divin, restait, en toute circonstance, maîtresse parfaite de ses impressions et résa lutions, avait la connaissance des hommes et l'inconscient secret de les convaincre et de les rnaît-riser. En bref, il était populaire, non par des gestes vains, non par des attitudes abandonnées ou grandiloquentes, niais par la mansuétude, la clairvoyance, le sérieux,

l'ineffable dignité (le toute sa personne. Et cela explique son élévation au trône, de saint pierre qui, durant trente-cinq jours, fut retardée, contestée, mais passionnément défendue.

La confiance du Pape en Pépin le Bref.L'un des premiers soins et des premiers actes officiels de Paul fer fut d'en mander à Pépin la

nouvelle. Cette lettre est la treizième dans le Code carolin. L'auguste bienveillance, une confiance plénière, un noble recours qui, pour tout cœur bien né, était un ordre paternel plein de sollicitude, s'y déployaient avec abandon. e Tenez pour certain, y pouvait-on lire, que Nous et Notre peuple, Nous persévérons dans l'amitié que le saint Pontife, Notre frère a contractée avec vous. a Ainsi tout le souvenir d'un récent passé était-il évoqué et invoqué. Celui qui écrivait, avait connu, lors d'une ambassade célèbre, la France et son roi. Il savait qu'il serait entendu et quo, selon ses paroles, « le nouveau David n, celui à qui Etienne III avait décerné le titre honorifique de patrice romain, le

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servirait sans faiblir. Et le passé n'engageait-il pas l'avenir:) Plus que jamais tic fallait-il pas prévoir et pourvoirP En prince chrétien, Pépin le Bref adressa sa réponse, exhortant les Romains à persévérer dans leur attachement, leur fidélité au Saint-Siège, et montrant qu'il comprenait la mission dont il était chargé. Bien plus, ayant eu de sa femme Bertrade une fille qui fut appelée Giselle et que le Pape Etienne III accepta pour filleule, il voulut que Paul Ie` en fût à son tour le parrain et il lui envoyaNla robe blanche du baptême, comme autrefois on le faisait des cheveux de l'enfant, en signe de paternité et de filiation adoptive. Ce présent de l'innocence fut déposé dans l'autel de la Confession de l'église Sainte-Péironille.

A son tour, le Pape fit don au roi d'une horloge de nuit à roue, instrument rare à cette époque, et de plusieurs ouvrages, parmi lesquels la Réthorique d'Aristote, les OEuvres attribuées à Denys l'A.réopagite, des traités grecs d'orthographe, de grammaire et de géométrie. Deux autres présents curent des conséquences importantes ; c'étaient un antiphonaire et un livre de répons, afin d'établir dans les Gaules l'unité de la liturgie et le chant grégorien ; la plupart des Églises adoptèrent solennellementt la liturgie romaine, et un petit nombre seulement conservèrent leurs anciens rites.

L'exhortation de Pépin à la noblesse et au peuple de Rome montre, pour la première fois dans l'histoire, l'accroissement, l'importance, la majestueuse et imposante réalité de l'autorité du Vicaire de Dieu dans le domaine temporel. Si, présentement., régnait l'incontestable harmonie des esprits et des cœurs, la prudence, le retour possible (le fluctuations partisanes ne rendaient-ils point à tout le moins utile l'invitation royalel Dans la suite, en effet, la puissance pontificale ne risquait-elle point, parfois, d'être menacée par les intrigues de clercs non ordonnés et de laïcsP Et l'armée elle-même, répartie en douve groupes régionaux ou seholac, bien que placée sous les ordres du Pape, ne serait-elle pas, elle aussi, pleine de turbulence à son heureP

Yin SAINT POUR e1AQU¢ JOUR DU M015, 2' stniz (JUIN) 822028 JUINQuoi qu'il en pût advenir, les Romains adressèrentt à Pépin une réponse ci), avec quelque

emphase, ils lui disaient :En vérité, Messire le roi, l'esprit de Dieu a établi sa demeure dans votre anur qui répand la

douceur du miel, car vous vous êtes employé à affermir nos bonnes résolutions par des conseils aussi salutaires.

Soulèvement des Lombards.L'inébranlable fidélité de la France vis-à-vis du Saint-Siège ne tarda pas d'assurer à celui-ci,

avec un nouveau prestige, des victoires nouvelles sur les semeurs de discordes et les ambitieux téméraires. De tous, le plus archarné, malgré ses belles promesses et, quand il le fallait, des dehors pleins de révérence filiale, était le successeur d'Astolphe, Didier, roi des Lombards. Il y avait beau temps que Didier faisait passer devant les yeux du Pape la certitude de lui restituer enfin les trois places d'Imola, d'Osimo et d'Ancône. Au fond, il n'y songeait guère, et ses vues, ses pensées étaient orientées dans une tout autre direction. Un foyer de rancune couvait en lui contre la défection des ducs de Spolète et tic Bénévent, qui avaient naguère fait amende honorable auprès d'Etienne 11f. Contre les deux e rebelles e la vengeance le hantait. Vers la fin de l'an 758, avec son armée, il envahit le duché de Spolète et celui de Bénévent, mettantt à contribution la Pentapole et d'autres villes des Etats romains, concluant même avec les Grecs une alliance qui n'était autre qu'une trahison. Il s'engageait à leur prêter main-forte pour reprendre Ravenne ainsi que l'exarchat, si l'empereur Constantin V, le Copronyme, daignait envoyer une armée. De Naples. par les soins de Georges, légat impérial, qu'il avait mandé, il formula et envoya sa requête. Puis, surle-champ, il se rendit à Rome. C'était d'ailleurs Paul I" qui l'en priait en personne, désireux de le persuader, par des paroles rie sagesse et d'amour divin, de faire rentrer en son âme des sentiments de pacification et d'équité. S'il est permis (le t'écrire ainsi, Didier se plut à entrer dans ce qu'il croyait être le jeu du Pontife et qui était quelque chose de beaucoup moins humain, puisque c'était le plan surnaturel de la primauté des droits de Dieu. Il s'acquitta avec componction de tous les hommages dus. Sur ses lèvres affluèrent des paroles riches de grandiloquence. Il protesta de son bon vouloir de, redonner toutes les villes promises, la guerre terminée.

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Cependant, chaque jour, Didier demandait à ses émissaires si l'on ne voyait rien venir. La seule, l'identique réponse était qu'absolument rien ne venait. Pas une voile n'était annoncée de Byzance. On connaissait sans doute l'impossibilité de ressusciter l'exarchat contre le voeu des peuples et celui de la France. Qui aurait pu douter de la netteté décisive du serment du roi franeP Ni la puissance de l'or ni la force des armes, avait dit Pépin, n'arracheraient ces villes à Pierre et au Pontife romain. Dans le même sens, Sénat et peuple s'étaient exprimés :

Quant à nous, excellent prince, conformément à vos avis, nous demeurons les constants et fidèles sujets de la sainte Eglise de Dieu et de votre père, notre Seigneur Paul, Pontife et Pape universel.

SAINT PAUL tee221

Saint Paul ler recueille les reliques des martyrs et les fait transporter

dans les églises de nome.Aussi bien, le projet d'alliance, du roi lombard n'eut-il point de suite, car les ambassadeurs

impériaux à la cour de Pépin n'étaient pas sans connaitre l'état d'âme de la majorité des Romains.Ses batteries démasquées, sa trahison avortée, Didier s'entêtait, toutefois, à détenir le bien du

Saint-Siège. C'est pourquoi Paul lB' ne cessait pas d'adresser missive sur miss;,e à Pépin le Bref afin que, grâce à son entremise efficace, Didier « rendit une entière justice à saint Pierre et lui restituât- tous les patrimoines, les droits et les territoires des diverses villes des Etats romains e. Il importe, ici, de remarquer avec Le Cointre que « la justice à rendre à saint

22228 JUINSAINT PAUL 1" za3Pierre n désignait les fonds de domaine utile, distincts des villes de domaine politique. Mais la

politique n'était qu'un accessoire aux yeux du Saint-Père ; c'est à la foi surtout qu'il voulait donner, dans la France, un rempart puissant, imprenable contre l'Orient que minait si profondément le schisme ; c'est, de même, au nom de la foi qu'il témoignait au peuple de France sa reconnaissance ce ces ternies :

Le royaume des Francs brille avec éclat en présence de Dieu. Vous avez pour chef un nouveau Moïse, par qui l'Eglise triomphe, et la foi catholique est mise à couvert des traits des hérétiques.

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En dépit de son opiniâtreté, Didier, au mois de mars 760, fut contraint de commencer à venir à résipiscence. Un traité fut conclu par les légats de Pépin. Le roi des Lombards s'engageait à une totale restitution. En fait, par les détours coutumiers de sa duplicité, elle ne fut que partielle. Il restait maître, entre autres, d'Imola, qu'il ne consentira à abandonner qu'en 7611 ou 765. Incontestablement, il restait de la sorte une source de contestations, de rébellions et d'intrigues, mais les rapports avec les Lombards devinrent plus tolérables. Du reste, la magnanimité de Paul I°r, sa patience et sa clémence angélique obtinrent, en définitive, une paix triomphante.

Plein de gratitude pour ses fidèles serviteurs, le Pape fit don à Pépin du monastère du Mont-Soerate, construit par Carloman, son frère, et de trois autres, ceux de Saint-El.ienne, de Saint-André et de Saint-Victor, pour servir d'hospices aux pèlerins français et aux pauvres. En retour, afin de prévenir les guerres en Italie, Pépin intima à Didier l'ordre d'écarter lui-même toute velléité d'entre-prise do la part des Grecs.

Rome et Byzance.Ainsi qu'elle l'avait fait sous divers pontificats précédents, Byzance ne manqua pas, hélas 1 sous

le règne de Paul I", de se dresser contre Rome. Loin de couloir s'apaiser, sa fureur contre le culte des images s'accrut et se déploya dans l'Orient et, par quelque endroit même, effleura l'Occident. Nul n'ignore ce que fut l'hérésie des iconoclastes, dont l'empereur Constantin Copronyme se montra l'un des plus pernicieux, fougueux et dangereux satellites. Ce qu'il importe ici d'en retenir, c'est le funeste contre-coup qu'elle avait eu, et qu'elle aurait pu avoir dans la destinée terrestre de certaines provinces et de Rome en particulier. L'hérésie, fruit de l'orgueil et maladie de l'esprit, ne perd pas seulement et individuellement les âmes. Ses ramifications, son prolongement atteignent, enserrent, anéantissent le corps tout entier des nations. C'est alors qu'apparait la nécessaire et indissoluble union du spirituel et du temporel, et l'admirable suprématie de celui-là star celui-ci.

A aucun moment Paul for ne laissa fléchir sa sainte vigilance contre les débordements de l'erreur, devenue prétexte à incursions, pièges et menées politiques. Comme il avait su empêcher l'alliance effective de Didier et des Grecs, de même eut-il la consolation de

voir que les avances des Grecs à Pépin le Bref étaient écartées. Copronyme, en effet, traitait avec dérision les remontrances du Pape, mais, à chacune d'elles, il s'efforçait de détacher Paris de Rome. Il alla jusqu'à faire la demande de la main de Giselle, fille du roi de France, pour son fils Léon, envoyant, en cette occurence, à Pépin, des présents magnifiques, et, entre tous, les premières orgues que l'on ait vues en deçà des Alpes. Rien de cela ne fut capable de séduire l'intrépide défenseur du Saint-Siège, qui répondit que les rois francs n'avaient point coutume d'engager ou de conclure de si lointaines alliances, et qui, peu de temps avant la mort de Paul IP', ordonna d'assembler, à Gentilly, un Concile où les erreurs des iconoclastes furent condamnées en présence même des ambassadeurs impériaux.

Les forces imposantes de l'armée de Pépin forent donc en respect l'avidité conquérante de Constantin V. Ce dernier, en tout cas, n'eut jamais occasion ni raison de se plaindre d'être lésé dans son autorité. Ces paroles écrites par Paul Ve dans l'une de ses lettres nombrouses à Pépin en apportent la preuve : a Nous ne poursuivons tes Grecs pour nul autre motif que celui de l'orthodoxie de la foi. u C'est dire que, malgré la suppression de l'exarchat et la dispense de payer le tribut, les Papes continuaient d'honorer la souveraineté de l'empereur. Copronyme aurait chi s'imputer à soi-même la responsabilité de son isolement, conséquence équitable de ses persécutions contre les catholiques, surtout contre les moines dont plusieurs vinrent chercher refuge en Italie et trouvèrent auprès du Père comman un accueil sans pareil. Paul leur assigna des monastères et des églises pourvus (le revenus suffisants, dans lesquels ils purent célébrer les saints mystères dans le rit do leur patrie. Dès lors, comment ne pas comprendre, comment ne pas trouver naturel et légitime que Rome, comme l'avait réalisé Ravenne, voulût se libérer des vexations byzantines et du joug de l'empereur-tyran P Et cela, d'autant que ce dernier avait essayé, mais en vain, de gagner à sa cause Serge, l'archevêque de cette même Ravenne ! Du reste, devant tant de résistances conjuguées, il baissa pavillon, et l'Eglise, pendant un certain temps, connut la bienfaisante assurance de la paix.

Gouvernement intérieur.Embellissements de la ville de Rome. - Mort du Pape.

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Dès le début de sa présence sur le trône rte saint Pierre, Paul lev développa les institutions de la Rome nouvelle. Il établit un Conseil de vingt-cinq prêtres cardinaux assisté de l'archidiacre et de sept diacres, et réorganisa le palais pontifical, la Chancellerie, la schola eantorum. Il bàlit plusieurs églises, une dans sa maison paternelle, commencée sous Etienne III, consacrée d'abord à saint Etienne, puis aux saints Étienne et Sylvestre. Cette église, ainsi que le couvent qui l'entourait, est devenue, de nos jours, Saint-Sylvestre in Capite. Il en édifia une autre dans la via Sacra, non loin du tombeau de Romulus, puis un oratoire dédié à la Sainte Vierge, dans l'enceinte de Saint-Pierre du Vatican, et doté par lui d'une statue de Marie,

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en argent doré, du poids de cent livres. Dès 761, le Pape accorda au monastère de Saint-Hilaire un privilège portant qu'à l'avenir il relèverait de la juridiction de l'Eglise de Ravenne, avec prohibition à qui que cc fût de l'en tirer. La même année, il en concéda un autre à l'église et au monastère fondés par lui ; dans l'église, il transféra une partie des reliques provenant des cimetières situés hors de Rome, et qui avaient été déshonorées par les profanations des Lombards. Quant au monastère, il le dota de grands biens, avec défense formelle à l'Abbé d'en aliéner aucun.

Tant de soins donnés par Paul I87 à l'édification architecturale et morale de Rome et à l'assise solide des biens de l'Eglise n'absor••

bèrent point, là encore, sa miraculeuse activité. Ce n'est pas vainement que le juste est fort devant Dieu et devant les hommes. Soucis terribles parfois au

dehors, soucis parfois non moindres audedans, telles furent les épines de la couronne papale. N'oublions pas qu'il y avait dans la Rome

d'alors des éléments de discordes, au moins en puissance, et que le développement logique du pouvoir temporel n'avait pas apaisés, en sorte que, de l'extérieur, le péril passait à l'intérieur. Le pouvoir politique du Saint-Siège était à

peine naissant que commençait déjà le triste rôle de certaines familles pontificales où le népotisme faisait des ravages. Aussi Paul l°r, afin de parer à un tel danger, voulut-il conférer au clergé une part très importante dans l'administration de l'Etat. Mais, ainsi

qu'il a été dit, le danger constitué par les clercs non ordonnés subsistait. Parmi eux se distinguait le prince Christophe, qui avait accom

pagné en France Etienne 111. Il était trop au courant des affaires pour que le nouveau Pape pût rejeter ses services ; malgré la dureté et le mépris dont on le disait faire preuve à l'égard de ses subordonnés, Paul I°r le maintint au gouvernement. Il en résulta, dans l'aristocratie militaire, une sourde hostilité contre le Pontife magnanime et son redoutable primieier.

De ses mérites innombrables. Paul 1" reçut sa récompense le 28 ,juin 767 ; il rendit sa belle âme à Dieu dans le monastère attenant à la basilique de Saint-Paul-hors-les-Murs, où il s'était transporté pour se mettre à l'abri des chaleurs de l'été, Il fut provisoi

rement enterré dans cette église. Trois mois plus tard, il fut transporté à Saint-Pierre, dans l'oratoire qu'il s'était préparé de son

vivant.Et, au soir même de sa mort, Rome se trouva devenue le théâtredes compétitions, la proie du schisme et de l'anarchie. DOMINIQUE ROLAND-GOSSELIN.Sources consultées. - Acta Sanctorum, t. Vit de juin (Paris et Borne, 1867).- Chanoine G. Aomsro, Histoire civile et religieuse des Papes, de Constantin a Charlemagne,

traduction du chanoine LAms, t. Il (Lille, 1886). - FERNAND HArwnnD, Histoire des Papes (Paris, 1gxg). - V. CnANTDEE, Les Papes du moyen dite, t. Il (Paris, 1866). - Fnnnmss:a ZANErrI, Tutti i Papi (Turin et Rome, ,g33). - DOM GRILLER, O. S. E., Histoire des auteurs sacrés et ecclésiastiques. - E. Aunuv. e Paul le, ,,, dans Dictionnaire de théologie callmlique, t. XII (Paria, 1g33). - Mgr DucnEsNE, Les premiers temps de vital pontifical (Paris, a8g8-,go4). - Le Propre diocésain de Rome.

BIENHEUREUX PAUL GIUSTINIANI168

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Camaldule, fondateur des Ermites e Saint-Romuald (1476-1529Fêle le ng juin.

--r- nOMAS Giustiniani - il ne reçut le nom de Paul que lors deson entrée en religion - naquit à Venise, le 15 juin 1476.Ses ancêtres, qui comptaient, dit-on, parmi eux l'empereur Justinien, avaient dû fuir l'Orient

devant les révolutions incessantes et s'étaient réfugiés dans l'hospitalière Venise. Son père, le comte François Giustiniani, était un des sénateurs les plus écoutés et les plus méritants de la République. Paule 1Mlalimpieri, sa mère, comptait parmi ses aïeux des doges et des sénateurs.

Précocité de Paul. - La sollicitude de sa mère.D'une complexion très robuste, l'enfant fut élevé sous les yeux de sa mère et montra de bonne

heure une vive inclination pour l'étude. A l'âge de 4 ans, il savait déjà lire et calculer ; c'est alors qu'il perdit son père. Cependant, la comtesse, en femme forte et courageuse, travailla avec plus d'ardeur que jamais à l'éducation de ses enfants. Thomas était son dernier-né, aussi l'entoura-t-elle de soins plus délicats et plus affectueux, s'efforçant de faire revivre en lui l'image du père défunt.

L'enfant correspondait d'une façon merveilleuse à toutes les avances de l'amour maternel. Docile et respectueux, il eut de bonne heure le goût de la prière. Très bouillant de caractère, il s'adonnait avec ardeur aux jeux de son âge, et, chose étrange, manifestait en même temps un grand amour pour la solitude.

- Oh I maman, disait-il parfois, que les ermites sont heureux dans leurs bois solitaires 1Faute et repentir. - Dans l'île de Murano.Jusqu'à l'âge de 17 ans, Thomas Giustiniani étudia les lettres humaines vous la direction de

savants précepteurs et fit, dans toutes

226les sciences, des progrès étonnants. Bientôt les langues grecque et latine n'eurent plus de secrets

pour lui. Il se révéla aussi orateur de talent et u sans un poil de barbe au menton n, nous dit son bio -graphe, il affrontait les réunions publiques et s'y faisait applaudir.

Cependant, la comtesse, désireuse pour son fils d'un plus vaste champ d'études, le pressait d'entrer à l'Université de Padoue, l'une des plus réputées de la péninsule dans les siècles passés.

Le jeune homme, malgré lesardeurs de l'âge, avait gardé immaculée son innocence baptismale. Pour obéir à sa mère, f se rendit dans cette ville et se mit à suivre les cours. Malheureusement, il devint orphelin quelques mois après. Seul au milieu des séductions d'une grande cité, entouré de compagnons légers ou débauchés, excité par la lecture des écrivains lascifs, particulièrement honorés à cette époque toute païenne, il se laissa entraîner au plaisir et passa plusieurs années dans le désordre.

La lecture des auteurs chrétiens et de la Sainte Ecriture le ramena aux sentiments de piété qui l'avaient animé dès son enfance.

Il résolut alors de vivre dans la solitude pour expier ses égarements et se retira dans l'île de Murano. Là, avec deux gentilshommes, ses compagnons d'études et de conversion, il passait son temps dans la retraite, priant, méditant, traitant les plus hautes questions de philosophie et de théologie.

Il se fit un devoir d'écrire chaque jour quelque aspiration sur l'amour de Dieu. Ces notes rappellent les plaintes douloureuses de saint Augustin dans la retraite de Cassiacum.

Thomas passa quelques mois dans cette solitude absolue et y puisa le dégoût du monde et des 169

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divertissements mondains.

Pèlerinage en Terre Sainte. - Au monastère de Camaldoli.

Une grande dévotion envers la Passion de Notre-Seigneur animait le coeur du jeune homme. Il voulut contempler la terre sanctifiée par la vie et les souffrances du Sauveur du monde.

Après avoir mis ordre à ses affaires, il se confessa, communia et s'embarqua le 4 juin 1507. 11 resta trois mois en Palestine et visita tous les Lieux Saints avec la ferveur du chrétien et le profit intellectuel d'un savant. Dans les bibliothèques des laures, il découvrit divers opuscules inédits de saint Jérôme, et les transcrivit de sa main.

Au mois de novembre, il s'embarqua de nouveau pour sa patrie, où il aborda en février r5o8.Pour aller de Venise à Murano, on longe la petite île de SaintMichel. Dans cette île, il y avait,

au xvi' siècle, un monastère de Camaldules, dont le prieur était le P. Pierre Delfino, renommé pour sa science, l'austérité de sa vie et l'éclat de ses vertus. Paul Giustiniant en avait fait le directeur de son âme. Il allait souvent le visiter, et peu à peu, an contact de cette âme de Saint, il prenait le goût de la vie religieuse.

Sur son conseil, Paul résolut de se rendre en Toscane, au grandnIBHIIEUnsUx PAUL G117STIMIANI 22?monastère de Camaldoli, et d'étudier d'une manière approfondie la vie de l'Ordre fondé par saint

Romuald. Il y passa trois mois.Enfin, le 25 décembre 1510, le nouveau postulant prenait l'habit. Le temps d'épreuve augmenta

encore en Thomas Giustiniani, devenu désormais le Fr. Paul, sa ferveur et son amour de la vie religieuse.

Prêtre. - Supérieur général. - Réformateur.L'Italie était alors un vaste champ de bataille où se rencontraient fréquemment les soldats de

toutes les nations,A la faveur de toutes ces guerres, des abus s'étaient fatalement glissés dans la plupart des

monastères. L'Ordre fondé par saint Romuald n'en était pas exempt. Il s'était partagé en trois catégories de religieux : les Ermites, les Observants et les Conventuels. La premiere branche était celle qui gardait le plus de ferveur. Paul Giusti-, niani, profès vers 1512, fut pour le P. Delûmo un collaborateur zélé dans l'œuvre de réforme. Le Pape Léon X ordonna la réunion d'un Chapitre général qui eut lieu en 1513. Ce fut un premier pas vers le retour à une vie plus régulière ; les Conventuels durent désormais céder 1e pas aux Ermites et Observants, en attendant qu'un demi-siècle plus tard saint Pie V supprimât ce rameau qui semblait en contradiction avec l'esprit du fondateur,

Cependant, après divers voyages exigés par les intérêts de l'Ordre, le Fr. Paul était retourné à Camaldoli ; il dut, bien malgré lui, accepter la charge de Majeur de ce monastère. C'est qu'en effet, ses aspirations le portaient toujours vers la vie érémitique. Un nouveau voyage à Rome lui permit d'obtenir de Léon X un Bref daté du 22 août r52o, l'autorisant à créer nue nouvelle Congrégation religieuse, jouissant de l'indépendance, et dont les membres s'appelleraient les Ermites de Saint-Ronmald, de l'Ordre des Camaldules.

Riche do ces encouragements pontificaux, le réformateur rentra à Camaldoli, assembla une dernière fois les religieux dans la salle du Chapitre, leur donna lecture du Bref pontifical et déclara renoncer an généralat dont ils l'avaient investi. Il quitta le monasc tère le 15 septembre I52o, accompagné d'un seul Frère.

Les vicissitudes d'un solitaire. - Les glands cuits.Il y avait, au centre des Apennins, creusée dans le flanc du rocher, une grotte profonde appelée

Pascilupo. En temps d'orage, elle, servait d'abri aux voyageurs, à moins que les fauves, si nombreux dans la région, n'en eussent fait leur repaire. La piété populaire avait élevé à l'intérieur un petit oratoire en l'honneur de saint Jérôme. Le 13. Paul, avec trois compagnons recrutés en chemin, se trouva passer par ces lieux solitaires. Cette grotte sauvage lui apparat comme une demeure idéale pour des religieux qui n'aspiraient qu'au silence et à la pauvreté.

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Il fit aménager tant bien que mal l'intérieur, et les cinq moines s'y installèrent. Pendant quelque temps, ils vécurent là, ignoréss de tous, s'adonnant à la méditation, à la prière et au travail des mains.

29 ionsi228 29 JUINBIENnEUREUX PAUL G1U5TINJANI229Le monastère naissant de Pascilupo acquérait déjà une réputation de ferveur, lorsque le curé de

la paroisse signifia aux cinq solitaires d'avoir à quitter ces lieux sans tarder ; pour le bien de la paix, les occupants de la grotte s'éloignèrent, les larmes aux yeux, moins de quinze jours après leur arrivée.

Ils se fixèrent dans un endroit plus hospitalier, au diocèse de Jesi, près de Massaccio. Il y avait là, creusées pareillement dans le flanc du rocher, plusieurs grottes où déjà s'étaient réfugiés des ermites, au nombre de six. Ils avaient tous connu le P. Paul et ils le tenaient en grande estime. Aussi les arrivants furent-ils reçus avec toutes les marques d'une profonde sympathie.

Mais les ressources vinrent bientôt à manquer. Le P. Paul ne craignit pas d'exposer la détresse commune à l'un de ses amis.

J'en suis venu à manquer de tout, de telle sorte que je m'habitue, pour le jour où je n'aurai plus de pain, à manger des glands cuits

Une dizaine de novices. - Ermites jaloux.Le bienheureux Paul en prison.

La communauté s'augmentait de jour en jour. Le P. Paul avait reçu déjà une dizaine de novices, parmi lesquels le Fr. Jérôme, Suessano, un des plus illustres médecins de l'époque. Il songea alors à acquérir la grotte de Pascilupo pour s'y établir de nouveau. Il fallait, pour cela, la permission de Rome, car la grotte faisait partie de la mense curiale.

Le saint fondateur, qui comptait de nombreux amis à la cour de Léon X, obtint facilement le Bref nécessaire. Aussitôt il envoya un petit groupe de religieux pour aménager les habitations.

Le 21 août de la même année, il acquérait aussi l'ermitage de Saint-Léonard, sur le mont Volubrio. Vers la mi-novembre, il reçut la visite d'un ancien moine du Mont-Cassin, le P. Didier, qui s'était retiré à l'ermitage de Saint-Benoît, situé dans la Marche d'Ancône, au bord de l'Adriatique. Le pieux visiteur lui offrit le monastère où il vivait pour y établir ses ermites.

Le P. Paul, voyant dans toutes ces offres l'indication de la Providence, résolut de travailler plus activement que jamais à la propagation de son Institut.

Sur les hauteurs du mont Conero, au pied duquel se trouvait le monastère de Saint-Benoît, les Ermites de Sainte-Marie de Gonzaga avaient élevé quelques cellules. Ils vivaient là sans règle et sans auto rité. Lorsqu'ils virent une communauté fervente s'établir tout près d'eux, ils se crurent menacés dans leurs intérêts, et, dès lors, l'expul Sion des nouveaux venus fut résolue.

Ils commencèrent par les injurier et les menacer, puis il ne craignirent pas d'en venir aux voies de fait. Durant la nuit, ils faisaient rouler des troncs d'arbres et d'énormes rochers sur les fils spirituels du P. Paul. Puis ils l'accusèrent, lui et ses moines, devant l'officialité diocésaine, de fabriquer de la fausse monnaie. Paul fut arrêté, vit instruire son procès et, malgré la fausseté de l'accusation, il fut

Le bienheureux Paul Giustiniani secourant les victimes du sac de nome.condamné à la prison. Ses fils durent aussi, sous peine d'excommu. nication, quitter leur

monastère.

La revision d'un procès. - L'esprit de la communauté.Privé de la liberté, le P. Paul comprit plus clairement que son oeuvre était bien voulue de Dieu

et que ses souffrances la féconderaient.Au sortir de sa prison, il dit avec une nouvelle ardeur- Maintenant, mon Dieu, je commence.

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Il écrivit au cardinal protecteur des Camaldules et lui raconta tous ses malheurs, lui expliquant l'injustice de l'accusation et les moyens

230frauduleux qu'on avait employés pour le faire condamner. Il écrivit de même au légat des

Marches et à tous ses amis de Rome. L'effet de ces démarches ne se fit pas attendre. Le légat pontifical remit un Bref rétablissant le P. Paul dans la possession de l'ermitage de SaintBenoît et reconnaissant sa parfaite innocence.

Les mêmes religieux, qui, peu de temps auparavant, se retiraient sous la menace d'une excommunication, rentrèrent tout heureux dans leurs cellules ; ce fut leur seule vengeance.

Dieu, d'ailleurs, sembla se charger de les délivrer de leurs perséenteurs. En effet, leur chef, pris de folie, se précipita du haut des rochers et se tua ; les autres se dispersèrent, poursuivis par la honte et le remords.

Le P. Paul, après que justice lui eut été rendue, obtint du Pape Adrien VI la confirmation des privilèges accordés par Léon X à l'Institut naissant. Il tint plusieurs Chapitres généraux, où furent décidées quelques modifications à apporter au costume et genre de vie des ermites.

La plus rigoureuse pauvreté devait régner dans l'ameublement des cellules et dans le service de la table. Les religieux dormaient sur la planche ; ceux qui avaient une santé délicate reposaient sur un lit de paille ou de sarments. Le menu était tous les jours le même : du pain, sec toujours, moisi souvent, et quelques légumes accommodés à l'huile. Un tel genre de vie devait former, parmi les fils de Paul Giustiniani, des héros et des Saints.

Les Capucins. - Voyage à Rome.Un jour que le fondateur des Ermites de Saint-Romuald était aux grottes de Massaccio, se

présentèrent à lui deux Frères Mineurs qui avaient quitté leur couvent à cause du relâchement qui y régnait alors- Sans trop savoir dans quelle voie nouvelle Dieu les appelait, ils venaient chercher Un refuge et une direction auprès du P. Paul. Celui-ci, par déférence, écrivit aussitôt au Père Gardien du couvent Franciscain de l'ermitage situé non loin des grottes, pour l'avertir que deux religieux du même Ordre faisaient des instances pour entrer dans son Institut. Le Gardien lui répondit aimablement qu'il ne voyait aucun inconvénient à les accepter et qu'il, allait, d'ailleurs, en référer au Ministre général de l'Ordre pour connaître la ligne de conduite à tenir envers les deux fugitifs.

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Le P. Paul était donc tranquillisé lorsque, deux jours après, à la tombée de la nuit, il vit son monastère envahi par une troupe d'hommes armés qui réclamaient les deux Frères Mineurs.

Fort de ses privilèges, le supérieur des Ermites menaça de l'excommunication quiconque porterait la main sur un seul de ses novices. Sa parole énergique et l'autorité morale dont il jouissait dans le pays triomphèrent de la grossièreté, des soldats.

Quelques jours après, les deux Frères Mineurs, nommés, l'un Ludovic de Fossombrone, et l'autre Raphaël, quittèrent les Grottes sous une robe de bure grossière et un long capuchon pointu. Ils tra

IIIENIIEUnEUX PAUL GIUSTINIANI 231versaient la petite ville de Camerino lorsque les enfants, à la vue d'un costume si nouveau et qui

leur parut bien étrange, se groupèrent derrière eux et les suivirent en criant : a Ecce i ca~puccini t Voici les petits capuchons I » Le nom de Capucins est resté à cette branche si fervente de l'Ordre Franciscain qui commença sous la protection de Paul Giustiniani.

Quelque temps après, le P. Paul, sur les instances de ses religieux, partit pour Rome.L'Italie était alors en proie à des luttes continuelles. Une grande armée d'aventuriers et de

spadassins avait été réunie par le connétable de Bourbon, traître à son pays, et se dirigeait sur Rome, dans l'espoir d'un riche butin et d'un long pillage.

A son approche, Clément VII se réfugia au château Saint-Ange et attendit, dans cette imprenable forteresse, la fin de l'orage.

Prisonnier de guerre.Le P. Paul était à Rome depuis quelques jours à peine, lorsqu'une armée de 30 ooo pillards mit

le siège devant la ville. Au bout de quelques jours, la ville fut prise et le pillage commença (mai 1527).

Des habitants furent égorgés par milliers. Les blessés remplissaient les rues de leurs cris ; les morts restaient sans sépulture sur les places publiques, et leurs cadavres étaient la proie des chiens errants. Telles furent - encore n'en laissons-nous entendre qu'une partie - les horreurs du trop fameux « sac de Rome ».

Emus à la vue de tant de maux, un certain nombre de prêtres et de religieux, tel saint Gaétan de Tiène, à la tête de ses Clercs réguliers, se mirent à parcourir la ville pour recueillir les blessés, ense-velir les cadavres, prêcher, confesser et assister les mourants. Paul Giustiniani était du nombre de ces apôtres.

Une bande de pillards les surprit un jour accomplissant leur sainte mission. Ils les chargèrent aussitôt de chaînes et voulurent les obliger à leur découvrir de prétendus trésors.

Enfermés d'abord dans les souterrains de la place Navone, ils furent ensuite traînés au Vatican, dans la tour de l'horloge, et passèrent là de longs jours dans la prière et la psalmodie et dans les souffrances de toutes socles. Un officier supérieur catholique passa un jour tout près de leur cachot. Emu par la beauté et la douceur de leurs chants, il voulut connaître les prisonniers. A leur vue, ses sentiments chrétiens se réveillèrent, et il donna sur l'heure l'ordre de les remettre en liberté ; avec eux, il se rendit à RipaGrande et fit fréter un navire pour les transporter à Ostie.

Le P. Paul, ayant ainsi miraculeusement échappé à la mort, parvint à son monastère des Grottes vers la fin de juin r52-,.

Nouvelles fondations. - Sur le mont Soracte. - La mort.Après sept mois de siège et d'emprisonnement dans le château Saint-Ange, le Pape Clément VII

réussit à quitter Rome sous un déguisement. Il se retira à Orvieto, où il reconstitua provisoirement29 JUIN

173

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232 29 JUINla cour pontificale. C'est dans son exil que le P. Paul alla le retrouver pour obtenir une

approbation nécessaire à l'acquisition de plusieurs monastères : l'ermitage de Saint-Elie, près de la ville de Fano, et celui de Sainte-Marie-Madeleine, non loin d'Ascoli. Le Souverain Pontife accorda le Bref demandé et y ajouta tous les privilèges jusqu'alors réservés aux grands Ordres.

Le fondateur revint à ses Grottes tout heureux des faveurs qu'il venait d'obtenir. A quelque temps de là, il fut frappé par la peste qui ravageait alors Rome et l'Italie. Toujours au chevet des moribonds, sans craindre le fléau terrible, il fut victime de sa charité. La maladie le terrassa dans l'acte même de son zèle, et en quelques heures il fut aux portes de la mort. Néanmoins, sauvé par les soins et les prières de ses fils, il se rétablit lentement et put, l'année suivante, en 1529, faire les démarches nécessaires pour établir un ermitage dans l'ancien couvent de Saint-Sylvestre, sur le mont Soracte. Cependant, le mal incomplètement guéri lui avait laissé une fièvre lente qui le minait sourdement. Les médecins consultés conseillèrent un changement d'air. Paul, obéissant à leurs prescriptions et aux instances de ses religieux, prit avec lui un Frère du nom de Blaise et se dirigea vers son nouvel ermitage du mont Soracte.

Le Père arriva sur la montagne dans un état de fatigue et d'épuisement complet. La fièvre augmenta rapidement, et, le 29 juin 1529, il expira loin de ses fils, n'ayant pour l'assister et lui fermer les yeux qu'un prêtre de passage et un humble Frère convers.

Ses dernières paroles furent : u Sois ici présent, bon Jésus, mon espérance et mon salut, toi pour qui j'ai vécu et pour qui je meurs. Daigne recevoir mon aime que je remets entre tes mains, puisque ton amour l'a rachetée. n

On donne à Paul Giustiniani tantôt le nom de vénérable et tantôt celui de Bienheureux.Les Ermites de Saint-Romuald se sont conservés sous le nom d'Er. mites de Monte-Corona; un

autre groupe d'ermites a son centre à Camaldoli; enfin il existe une troisième branche de religieux que l'on appelle les moines on cénobites Camaldules. Cette dernière est gouvernée par un Abbé général; les deux autres, chacune par un Majeur. Toutes les trois forment l'Ordre des Camaldules, et se réclament également, et avec raison, de leur fondateur saint Romuald.

NOËL CANGE.Sources eonsolttes. - I!Etror, Dictionnaire des Ordres relipieu.e, édition publiée par l'abbé

BAoIGOS, collection Migne, t. I (Paris, - Annuaire pontificalcatholique de 9899, 1929, 1931, (Paris). - (V. S. 135 t'., n' 1555.) ..................................PAROLES DES SAINTS

La bonté.La bonté, fille de la force, ne règne que dans les âmes habituées à vaincre. Saint Tuomns

n'AQu1N.CAT 60RALE J'ETIEnNE LIMOGES1 1uLr.Vnie ••rhrLrvkç . ;SAINT MARTIALPremier évêque de Limoges (fer ou Ma siècle?)Fête le 30 juin.L 'des des plus anciens auteurs qui parlent du premier évêque de Limoges est Grégoire de Tours

(t 594). L'auteur de l'Histoire des Francs dit notamment que sous le règne de l'empereur Dèce (249-251) u sept hommes apostoliques n furent envoyés en Gaule, dont Martial, donné pour évêque aux habitants de Limoges.

Beaucoup plus tard, au xie siècle, grâce surtout aux efforts des moines de l'abbaye qui portait le nom du Saint, des traditions qui faisaient de Martial un contemporain de Notre-Seigneur et l'un de ses disciples trouvèrent place dans la liturgie du lieu, non sans rencontrer d'abord une véritable opposition de la part de l'évêque Jourdan de Laron (ro22-1051) et de ses chanoines, et plus tard, au xvn` siècle, une attitude peu favorable sinon hostile de la part des Bénédictins et des Bollandistes.

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En 1854, le Saint-Siège consulté a permis d'honorer saint Martial comme un u apôtre n : cette décision, évidemment très sage, ne peut irriter ni les tenants ni les non-tenants de l' « apostolicité a, c'est-à-dire d'un apostolat missionnaire remontant bien au temps des douze Apôtres. Le Martyrologe Romain dit simplement :

saint Martial évêque n, sans faire état de l'une ou l'autre opinion.Nous avons cru devoir donner loyalement ces observations au lecteur avant d'entreprendre le

récit de la vie du grand évêque dont la gloire est incontestée, quelle que soit l'époque où il a vécu. Il a rayonné en faisant le bien : là est l'essentiel. Ceci dit, nous rapporterons en toute simplicité et sans prétentions critiques son histoire traditionnelle, toute fleurie de miracles, telle que l'acceptent, depuis au moins neuf siècles, les habitants du Limousin.

234 3e JUINSAINT MARTIAL235Sur les pas de Jésus.Au temps où Noire-Seigneur Jésus-Christ prêchait en Judée, lin noble Juif, de la tribu de

Benjamin, natif des environs de Rama se rendit auprès de lui. 1l se nommait Marcel ; sa femme était Elisabeth et leur fils unique, Martial, âgé de quinze ans, les accompagnait. Ils furent convaincus par les paroles et les miracles du Maître, qui les fit baptiser par saint Pierre, leur parent.

Martial suivit dès lors Notre-Seigneur. C'était un enfant d'une simplicité et d'une foi admirables, et Jésus le donna comme exemple à ses Apôtres ; « Quiconque s'humiliera, dit-il, comme cet enfant, celui-là sera le plus grand dans le royaume des cieux. v

Il fut témoin de la résurrection de Lazare et de beaucoup d'autres miracles. Ce fui lui encore qui présenta les cinq pains et les deux poissons que Notre-Seigneur multiplia pour nourrir cinq mille hommes. Il servit à la dernière Cène, assista à la Passion et à plusieurs apparitions de Noire-Seigneur ainsi qu'à son Ascension. Puis il se renferma avec les Apôtres dans le Cénacle et mérita de recevoir avec eux les dons du Saint-Esprit.

Saint Martial envoyé dans les Gaules.Il ressuscite son compagnon.

Après la dispersion clos Apôtres, Martial se rendit avec saint Pierre à Ant.ioelm, puis à honte, où ils reçurent l'hospitalité du consul Marcellus.

Après deux années de séjour en cette ville, Pierre, sur l'ordre qu'il avait reçu de Notre-Seigneur, donna à Martial la mission d'aller évangéliser les Gaules ; le Prince des Apôtres lui adjoignit pour compagnons les deux prêtres Alpinien et Austriclinien.

Martial partit avec ses deux disciples. Comme ils arrivaient à. Colle, sur les bords de l'Elsa, Austriclinien tomba malade et mourut. Accablé (le tristesse, Marl.ial revint à Rome pour annoncer à saint Pierre ce qui s'était passé. Sur l'ordre du grand Apôtre, et porteur de son bâton, il revint vers son compagnon défunt, et le ressuscita par le simple contact de cet insigne du pouvoir pastoral. Ce fut le premier miracle de Martial, et le souvenir en est encore conservé dans la petite ville de Colle Val d'Elsa.

Une tradition italienne dit que, en souvenir de cet événement, les Souverains Pontifes ne portent point de bâton pastoral. En effet, saint Pierre avait donné le sien à Martial qui ne le lui avait pas rendu.

Arrivée dans les Gaules.

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Saint Martial rend la vue aux prêtres d'Ahun.En continuant leur voyage, Martial et ses compagnons arrivèrent au fort de Toulx, sur les

limites de la province des Lémovices. Ils furent reçus dans la maison d'Armilphe, et convertirent par leurs prédications et leurs miracles beaucoup de païens. La fille d'Ar

nulphe, qui était possédée dit démon, fut guérie par les prières de Martial. Le saint apôtre rendit la vie auu fils du gouverneur Nerva qui s'était noyé.

Les trois missionnaires, poursuivant leur route, vinrent prêcher au bourg d'Ahun. Les prêtres des idoles, irrités de leur succès, les maltraitèrent cii voulurent les renvoyer. Mais Dieu, pour venger ses messagers, frappa de cécité leurs persécuteurs, et ceux-ci implorèrent vainement leur guérison des idoles. Comprenant alors leur faute., ils se jetèrent aux pieds de Martial qui leur pardonna et les guérit. Il guérit ensuite un paralytique et brisa l'idole de Jupiter ; un grand nombre de païens reçurent le baptême.

Saint Martial arrive à Limoges et ressuscite André et AurélienLe Seigneur apparut alors à Martial et lui dit : « Entre sans crainte dans la ville de Limoges.

C'est là que je te glorifierai, et j'y serai toujours avec toi. nMartial et ses compagnons arrivèrent donc à Limoges et reçurent l'hospitalité chez une noble

dame nommée Suzanne. Dès le lendemain, ils commençaient à prêcher en public la foi de Jésus-Christ. Un frénétique qu'on avait, dû enchaîner fut guéri par leurs prières ; à la vue do ce prodige, Suzanne et sa fille Valérie se firent baptiser avec toute leur famille.

Martial ayant prêché dans le théâtre de Limoges, les prêtres païens en furent indignés, et deux d'entre eux, André et Aurélien, maltraitèrent, et firent mettre en prison les saints missionnaires. Ceux-ci supportèrent patiemment cette épreuve et implorèrent le Seigneur. Le lendemain, lotir cachot fut soudain rempli d'une lumière éclai.ante et leurs chaires tombèrent. En même temps, un tremblement de terre ébranlait toute la ville, et les prêtres des idoles étaient frappés de la foudre. Le peuple courut alors à la prison, en Lira Martial et ses compagnons, les suppliant de ressusciter André et Aurélien. Martial invoqua Noire-Seigneur et les deux prêtres se levèrent pleins de vie. Ils renonçèrent à leurs erreurs et demandèrent le baptême. Presque toute la population de Limoges fut alors baptisée.

Martial fit construire, sur les ruines du temple de Jupiter, une église en l'honneur du premier martyr, saint ELienne, son parent.

Sainte Valérie.La bienheureuse Suzanne mourut pieusement, laissant à Martial tons ses biens pour les pauvres

et les bonnes couvres. Sa fille, Valério, promit alors à Dieu de lui appartenir toujours, de renoncer au monde et à ses vanités, et même à l'union projetée avec un haut personnage, auquel on donne le titre et: le nom de e dito Étienne e, et qui commandait toute l'Aquitaine au nom de Feraprirent romain.

Quand le due revint à Limoges et apprit que sa fiancée Valérie avait consacré à Dieu sa virginité, il entra dans une violente colère,

2,36 3o JUINSAINT MARTIAL237et, voyant que ni prières ni menaces ne pouvaient la fléchir, il ordonna de la conduire hors de la

ville et de lui trancher la tête.Valérie, amenée au lieu du supplice, sur les bords de la Vienne, annonça à son bourreau,

nommé ici Hortarius ou Ostarius, une mort prochaine, et remit son âme aux mains de son Créateur.Pendant sa prière, on entendit ces paroles venues d'en haut : « Ne crains rien, Valérie, il t'est

réservé au ciel un bonheur qui ne finira pas. nLe bourreau lui trancha la tête d'un seul coup ; les assistants virent son âme monter au ciel au

milieu des anges qui chantaient : e Tu es bienheureuse, Valérie, martyre du Christ, toi qui as gardé les commandements du Seigneur. n

Alors, ô merveille 1 sainte Valérie se releva et, prenant sa tête dans ses mains, elle l'apporta à 176

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Martial qui célébrait la messe dans l'église Saint-Ltienne, où le corps de la Sainte fut enseveli.

Conversion du duc Etienne. - Nouveau prodige.Selon la prédiction de Valérie, Hortarius, qui l'avait décapitée, momvtt subitement, en présence

de son maître, le duc Etienne. Celui-ci, effrayé, envoya chercher Martial et le supplia de ressusciter son serviteur. Martial se mit en prières, et Dieu lui permit de rappeler à la vie le bourreau qui demanda et reçut le baptême.

A la vue de ce miracle, E.tieune se jeta aux pieds du serviteur de Dieu, implorant son indulgence pour le crime qu'il avait commis. Martial lui pardonna et le baptisa. Le due fit alors de grandes largesses aux indigents; il fonda en l'honneur de sainte Valérie un hôpital, où trois cents pauvres devaient être nourris chaque jour.

Au retour d'un voyage qu'il avait dû faire à -Rome avec ses soldats, Etienne fit camper ses compagnons sur les bords de la Vienne, non loin de Limoges. Or, il arriva qu'Hildebert, fils d'Arcadius, comte de Poitiers, se noya en se baignant dans la rivière, au gouffre de Garric. Arcadius, accablé de douleur, accourut à Limoges et supplia Martial de venir rendre la vie à son fils.

Emu lui-même, le saint apôtre se rendit au lieu de l'accident, et, après avoir prié, il ordonna aux démons de rapporter sur la rive le corps du jeune homme. Les démons obéirent, puis disparurent à la parole de Martial qui leur commanda d'aller en un lieu désert et de ne plus nuire désormais à aucune créature.

Le corps d'Hildebert était étendu sans vie ; Martial invita les assistants à prier avec lui, il prit la main du mort en lui disant : a Hildebert, au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, lève-toi. n Aussitôt le jeune homme se leva et parla, à la grande stupeur des témoins saisis d'admiration.

Sigebert, comte de Bordeaux, est guéri par saint MartialLe jeune fils du comte Arcadius, ainsi miraculeusement ressuscité par Martial, voulut se

consacrer à Dieu. Ses richesses, quiétaient considérables, furent toutes employées à secourir les malheu. reux et à orner l'église

Saint-Etienne.Le, duc, qui avait une grande puissance en Gaule, envoya une ordonnance à tous les peuples qui

lui étaient soumis, dans laquelle

Yatérie apporte sa tête à saint .Martial qui célébrait les Saints Mystères.

177

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il prescrivait de briser toutes les idoles et de brûler les temples des faux dieux. Il vécut dès lors pieusement, plein de sollicitude pour les pauvres et de zèle dans le service de Dieu.

Le comte de Bordeaux, Sigebert, était gravement malade d'une paralysie qui le tourmentait depuis six ans. Ayant entendu parler

238 30 JUINSAINT MARTIAL239des miracles de Martial, il dit à sa femme Bénédicte de se rendre à Limoges pour implorer le

saint apôtre. Elle y vint en effet, se fit baptiser avec ses serviteurs, et reprit le chemin de Bordeaux, emportant le bâton pastoral que Martial lui avait confié pour en toucher son époux et le guérir. A son arrivée elle ordonna de renverser les temples des idoles et, s'approchant du lit de Sigebert, elle le toucha avec le bâton du bienheureux pontife. Aussitôt les nerfs se détendirent, la fièvre disparut et le comte malade fut guéri. Il se rendit alors, avec un nombreux cortège, auprès de Martial qui lui donna le saint baptême.

Dans la suite, la ville de Bordeaux étant menacée d'une destruction complète par un violent incendie, Bénédicte se servit du bâton de l'évêque de Limoges pour combattre le feu qui s'apaisa

au même instant.

Saint Martial va à Mortagne. -- Il opère plusieurs guérisons.En ce temps là, Martial, averti par une inspiration divine, se dirigea vers la Garonne et prêcha la

parole de Dieu en un lieu appelé Mortagne, aujourd'hui Montagne-sur-Gironde, diocèse de La Rochelle. Il y guérit neuf possédés du démon, Le souvenir de son passage en ce lieu est resté très vivace ; un antique ermitage, taillé dans le roc, porte le nom du saint évêque, ainsi que la chapelle, elle aussi creusée dans la falaise.

Toujours s'il faut en croire d'anciennes chroniques, Martial -rencontra en Aquitaine saint Amadour - le Zachée de l'Evangile - et son épouse Véronique. Partout sur son passage il élevait des autels : c'est ainsi qu'au Puy, à Rodez, à Clermont et à Monde, il fit bâtir des oratoires en l'honneur de la Mère de Dieu.

Tandis qu'il prêchait à Poitiers, le Sauveur lui apparut et lui dit : « Aujourd'hui Pierre vient d'être crucifié à Rome ; construis une église en son honneur. » Le missionnaire obéit aussitôt ; en-core aujourd'hui la cathédrale de Poitiers porte le titre du Prince des Apôtres. Grâce au zèle de son disciple, bientôt saint Pierre eut également son église. à Angoulême et à Saintes.

A Bordeaux, Martial annonça l'Evangile. Il y fit construire en l'honneur de saint Etienne une église qui devint plus tard SaintSéverin, et il se disposait à en élever une plus vaste en l'honneur de saint Pierre, quand celui-ci lui apparut et lui dit : « C'est aujourd'hui que mon frère Audré est mort sur la croix pour JésusChrist ; consacre donc cette église en son honneur. »

En revenant vers Limoges, Martial s'arrêta dans une petite ville nommée Ansiacum, où une idole de Jupiter était vénérée par les païens. Le saint pontife commanda aux habitants de se mettre en prières, et, à sa voix, le démon brisa la statue. Tous les malades de ce pays furent guéris et beaucoup demandèrent le baptême.

De retour à Limoges, Martial y fit élever des oratoires qu'il décora avec soin : l'un en l'honneur (le son parent, saint Etienne, l'autre dédié à saint Pierre, son maure.

Ce dernier sanctuaire fut construit sur le tombeau de sainteValérie- Il fut remplacé plus tard par l'église Saint-Sauveur, appelée enfin Saint-Martial, après

la translation des reliques du saint apôtre de l'Aquitaine.Comment mourut saint Martial.Peu de temps après, Martial conféra les Ordres à Aurélien, l'ancien prêtre des idoles, et le

désigna pour lui succéder sur le siège de Limoges. Son compagnon, André, fut chargé de diriger l'église Saint-Pierre avec I-lildcbe•t et trente-six clercs à la subsistance des quels le due Etienne avait généreusement pourvu.

Après avoir longtemps prêché l'Evangile, guéri les malades et édifié le peuple par la sainteté de sa vie, Martial fut averti par Dieu de sa fin prochaine. Un jour qu'il était en prières, le Seigneur

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Jésus lui apparut avec ses disciples dans la splendeur de sa gloire et lui annonça que le quinzième jour suivant serait le terme de son exil en ce monde.

Le fidèle serviteur se réjouit de voir approcher le bonheur éternel. Il consacra les derniers temps (le sa vie au jeûne et à la prière.

Puis, son dernier jour étant venu, il fit rassembler ses frères et beaucoup de fidèles venus des provinces voisines. Il sortit de la ville par la porte appelée Calcinée (dite depuis du Saint-Esprit) et fit à son peuple de touchantes exhortations. On le porta ensuite dans le sanctuaire du bienheureux Etienne, où il mourut en disant « Seigneur, je remets mon âme entre vos mains. n

Miracles de saint Martial après sa mort. - Son culte,Le lendemain de sa mort, un paralytique ayant touché son cercueil fut aussitôt guéri. A ses

funérailles, une multitude de malades recouvrèrent la santé. Son corps fut enterré près de la voie de Saintes, de même que ceux des saints Alpinien et Austriclinien.

Vers 83o, l'empereur Louis le Débonnaire, fils et successeur de Charlemagne, ayant fait bâtir à Limoges une abbaye et une grande basilique, le corps de saint Martial y fut transféré ; la mémoire de cette translation est fêtée chaque année le ro octobre.

Sécularisée cil r535, l'abbaye de Saint-Martial fut alors transformée en collégiale, le titre d'Abbé restant seul conféré à mu commendataire jusqu'à la Révolution. La collégiale cri tant qu'institution fut supprimée en r7gr ; ses bâtiments disparurent dans la tourmente.

Par crainte des Normands, les reliques du Saint avaient été gardées quelques années à Solignac vers 842 et à Turenne vers 885.

En gglr, une peste terrible, appelée le « mal des ardents n, ravageait l'Aquitaine. Les évêques de cette province se réunirent à Limoges avec un grand concours de peuple, pour implorer la protection de saint Martial. Ses reliques furent portées sur une colline, à côté de la ville, et des prières publiques lui furent adressées. Aussitôt le mai cessa miraculeusement. En mémoire de ce prodige, la colline prit le nom de mont Jauvy, c'est-à-dire mont de la joie, et une église y fut construite on l'honneur de saint Martial.

zoo 3o JUINA partir du mis siècle, on commença à faire des expositions ou u ostensions » plus fréquentes

des reliques de saint Martial, mais ce ne fut guère qu'au commencement du xvi' siècle que leur périodicité fut réglée et devint septennale. Interrompues sous la Terreur en même temps que les reliques étaient soustraites à la profanation, elles se font de nouveau régulièrement depuis 18o6.

Piété des Limousins envers saint Martial.Entre Limoges et son saint protecteur, les siècles ont créé un lien étroit et intime. Autrefois, à la

mort de leur mari, les bourgeoises d3 la ville venaient déposer leur anneau dans le tronc de la basi-lique, prenant ainsi le Saint pour protecteur de leur foyer en deuil et pour tuteur de leurs enfants. Saint Martial n'était pas seulement pour nos pères leur apôtre, leur premier évêque et leur patron ; il était comme le fondateur et le seigneur de la ville. De son tombeau, pour ainsi dire, était sortie la cité nouvelle, dont le commerce, les arts, le développement, la prospérité, étaient dus à ses restes vénérés.

A l'Hôtel de Ville, saint Martial était comme le maître de la maison. Le sceau commun des bourgeois portait son image. A peine élus, les magistrats municipaux allaient solennellement vénérer ses reliques et lui rendre hommage.

Son nom se trouve en tête des coutumes locales, des vieux registres du consulat, des délibérations importantes du corps municipal. Aux portes des remparts on retrouve son image avec une inscription pieuse, comme celle qu'on lisait à la tour Manigne : Dieus gant la villa e S. Mai-sals'la gen (que Dieu garde la ville et saint Martial, les gens).

La confrérie de Saint-Martial.On croit qu'elle fut fondée vers 1212 par les bourgeois de Limoges. Elle s'appela, à son origine,

Frérie Notre-Dame de Saint-Sauveur, puis elle fut nommée Frérie de saint Martial ou Grande Confrérie Raymond de La Martonie, évêque de Limoges, en confirma les statuts le 29 mars 1624. Le Pape Urbain VIII l'enrichit d'indulgences par bulle du 18 avril 1644. Le 13 mars I8go, Mgr

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Renouard, évêque de Limoges, rétablit, sous le titre d'Antique et vénérable Confrérie de Saint-Martial, celle qui exista jusqu'à la fin du xvui0 siècle, et à laquelle peuvent s'affilier tous les fidèles. La Grande Confrérie se compose de 72 membres présidés par un bayle.

Tous les sept ans se fait l'ostension solennelle des reliques de saint Martial et des autres Saints. Le jour de la mi-Carême, un grand drapeau blanc et amarante est solennellement bénit, présenté aux églises et chapelles principales, puis arboré aux barres du clocher de Saint-Michel. La procession solennelle se fait le dimanche de Quasimodo. Les porteurs de la châsse, lesquels forment une Confrérie spéciale, sont vêtus d'aubes blanches.

A. Il. B.Sources consultées. - Cium.esar Lnsrsmn, l'Abbaye de Sai,u.!-Mortici de Limoges (Paris, igoi).

- (V. S. B. P.,Table générale alphabétique des deux Séries

de la collection « Un Saint pour chaque jour du mois »ASS. Abdon et Senne,,, 30 juillet (I). S, Abercius, 22 octobre (I), S. Abraham d'Auvergne, 15 juin

(I). S. Abraham adorais , r6 mais (I). S, Acace de Byzance, 8 mai (I).S. Achart de Jumièges, 15 sept. (Il). S. Achillée, ra mai (1). S. Adalbert de Prague, a3 avril (II).

Ste Adélaide, r6 décembre (II). S. Adrien, 8 septembre (I). B. Adrien Fortrscuc, m juillet("). Ste Afra d'Augsbourg, 6 août (I), Ste Agathe, 6 février (1).

Ste Agnès de Montepulciano, 20 avril (I). Ste Agnès de proie, 21 janvier (I). S. Aignan d'Orléans, r7 novembre (II). S. Aimé (voir S. Aras). S. Alban ou Albi., 22 juin (II). B. Alban Roë, 21 janvier (11). S. Albert le Grand, 15 novembre (1). S. Albert de Louvain, 21 novembre(I), St, Aldegonde, 3. janvier (I). SS. Alexandre le', Evence et Théo

dule, 3 mai (I).S. Alexandre l'Acémète, 23 février (Il). S. Alexandre de personne. 1,6 août (1). S. Alexandre

Senti, u octobre (I). S. Alexis, 17 juillet (I). S. Alexis Fatconieri, 17 février (I). B. Alfred le Grand, roi, 28 oct. (II). S. Alphonse de Liguoei, a août (I).

S. Alpbonse Rodrigue, 31 octobre (1).S. Alype, 18 août (1).S. Amable de ion, ii juin (11).S. Amand de Maëstricht, 6 février (Il). S. Amans de Rodez, 4 novembre (II). S. Ambroise, 7

décembre (I).B. Ambroise Sansedoni, de Sienne,sa mars (II).B. Amédée, ro août (11).S. Amé ou Aimé, 13 septembre (II). S. Ammon, 4 octobre (II).S. Anastase le Perse, 22 janvier (Il). Ste Anastasie, 25 décembre (I). S. Anatole, 3 juillet (I).S. André, apôtre, 3o novembre (I)S. André Avellino, io novembre (1). B. André Bobola, 23 mai

(II).B. André Caccioli, de Spello, 3 juin (II). S. André Corsini, 4 février (1) S. André de Crisis, 17

octobre (II).S. André le Sent, 22 août (f1).Il. Ange d'Acri, 30 octobre (I).13. Ange de Forci, ig décembre (11). Bac Angèle de Foligno, é janvier (I). Ste Angèle Mériei,

Si mai (I).S. Angilbert (voir S. Engelbert, Abbé). Bac Anna-6laria Taïgi, 9 juin (1). Ste Anne, 26 juillet

(I). S. Anschaire 3 février (I). S. Anselme de Iladagio, 18 mars (II). S. Anselme de Cantorbéry, es avril (I). S. Anthelme de Cbignin, a6 juin (11), S. Anthime, 27 septembre (I). S. Antoine, ermite, r, janvier (I). B. Antoine Nayrot, a6 avril (II). S. Antoine de Padaue, r3 juin (I).

S. Antoine-Marie 7,accaria, 5 juillet(l)S. Apollinaire de revenue, a3 juillet (1). S. Apollinaire de Valence, 5 oct. (11). Ste Apolline, g février (I. S. Apollonios, r8 avril (ll). Ste Appie, 2a novembre (Il). S. Arthaud, 7 octobre (Il). S. Astion, 8 juillet (II). S. Athanase d'Alexandrie, 2 mai (I). S,

180

Page 181: 2 Juin 2

Athanase l'Athonite, 5 juillet (II), Ste Athanaaie, i4 août (11). S. Attale de Bobbio, io mars (I). Ste Attale de Strasbourg, 3 déc. (II). S. Aubin d'Angers, ,er mars (I). S. Augustin, 28 août (1). S. Aupre ou Avec, 5 décembre (II). Ste Austreberte, in février (II). S. Austremoine, rer novembre (Il). S. Auxonce, il, février (r).

S. Aventin de Larboust, r3 juin (11). S. Avit de Vienne, 5 février (Il).BS. Babylas, 24 janvier (II).S. Bandry de Soissons, rer août (11). S. Barachisius, 2g mars (I). Ste Barbe, 4 décembre (I). S.

Barnabé, r juin (I). S. 13nwulas, r8 novembre (Il), S. Barthélemy, 24 août (I). S. Basile d'Ancyre, 22 mars (I). S. Basile le Grand, ié juin (1). Ste Ilasilisse, g janvier (I). S. Baste, 26 novembre (11). Ste Bathilde, 30 janvier (11) S. Baudile de Mens, so mai (II),

243TAIlLE Gér a%n r:S. Tlmmss de Villeneuve, 22 sept. (I). S. Thyrse, a8 janvier (I). S. "illon ou 'I'héau de Solignac,

7 janvier (11).S. limothée, a4 janvier (I).S. 'l'ugdual on Tugal, 30 novembre (II). S. Turibe Mogrovéjo, a3 mars (II).US. Ulrich d'Augsbourg, 4 juillet (1). B. Urbain V, g décembre (I).S. Urcisin de Luxeuil ou Ursanne,ao décembre (11).S. Ursin de Bourges, g novembre (1).VS. Vaast, 6 février (I).S. Valentin de Borne, ,4 février (II). S. Valens, ver juin (11). S. Valéry, r'r avril (II). S. Venante-

Fortunat de Poitiers, rf, décembre (11).S. Venceslas de Bohème, 28 sept. (I1). Bac Véronique de Binasco, r3 janvier (I).Ste Véronique Giuliani, g juillet (1). S. Victor de Marseille, as juillet (11). S. Victor de Plancy,

26 février (11). S. Victorien d'Asana, ,a janvier (11). S. Victrice de Rouen, 7 août (HI). Bse Villana de Botti, a8 février (II).

S. Vincent, diacre, in janvier (I). S. Vincent d'Agen, g juin (II).13. Vincent d'Aquila, 6 septembre (I). S. Vincent de Gollioure, ,g avril (I). S. Vincent Ferrier, 5

avril (I). S. Vincent de Paul, rq juillet (I). Ste Viviane (voir Stc Bibiane).

WS. Walbert, a mai (11).Ste Walburge, 5 février (1).Ste Waltrude on Waudru, g avril (I). S. Wandrille de Fontenelle, aa juill. (1I). S. Wilfrid d'York,

a octobre (I). S. Winnoc, 6 novembre (1).S. Witten de Rouen (voir S. Léon deRayonne).S. Wulfran, ao mars (I). S. Wuimer, 20 juillet (I1).

YS. Yrieix, 15 août (II).S. Yves de Chartres (voir S. Ives). B. Yves Mahyeuc, ao septembre (ti)..ZS. 7acharie, prophète, 5 novembre (p. S. Zéphyrin, Pape, a6 août (II). Ste Zite, 27 avril (I). S.

Zosime, Pape, a6 décembre (11)_Paul 1", 217.

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Poulie de Nole, 136'. Pierre Chrysologue, 200'. Pothin, 9.Priest, 87. Protais, 145.Raoul on Badulphe de Bourges, 161. Rustique, 82.Sanete, 11. Sidoine, 63.Siméon de Syracuse, 1. Taraise, 107. Théodore Studite, 109. Thomas d'Aquin, 232*. Trophime

d'Arles, 58. Voulus Epagathe, 10. Victrice, 152. Vincent d'Agen, 65. Vital, 145.Viventiole, 43.SAINTESBible, 11. Blandine, 9. Christine, 135. Germaine Cousin, 113. Marcelle, 63. Marie-Jacobé, 58,

Marie-Madeleine, 58. Marthe, 58.Nennok ou Candide, 25. Olive, 73.Salomé, 58. Sara, î18. Tryphyne, 134. Valérie, 145.BIENHEUREUXAndré Caccioli, de Spello, 17. Ferdinand de Portugal, 33. Guy de Cortone, 89. Jean, dit Opilion,

185. Paul Giustiniani, 225.

BIENHEUREUSESAgnès de Vénosa, 199. Suzanne, 235.TABLE DES MATIÈRES DE CE VOLUMELes chiffres gras indiquent les pages des biographies complètes; les chiffres suivis d'an

astérisque (') les citations des écrits; les autres chiffres de simples notes.SAINTSAignan, 12lt.Alban ou Main, 169. Alphonse de Liguori, 168'. Amable de Riom, 81. Ambroise, 8', 150.

Anthelme de Chignin, 251. Apollinaire, 43. Attale, 14.Augustin, 16', 72', 120'. Aventin de Larboust, 97. Avit de Vienne, 43. Basile, 144.Bernard, 56'.Bertrand de l'Isle, 103. Celse, 146.Claude, 41. Cyprien, 160'. Ehbon, 211.Émilien de Nantes, 209. Ephrem le Syrien, 137. Etienne, 58.Euthyme de Sardes, 109. Eutrope, 58. Ferjeux, 121. Ferréol, 121. François d'Assise, 18. Front,

58.Gal 11, 86. Gervais, 145. Grégoire, 43.Guillaume de Verceil, 193. Ilervé, 129.Houardon,134. Irénée, 121.Jean Chrysostome, 32', 168'. Jean de Matera, 153. Joannice, 112. Léon 1", 120', 216'. Liébert,

177.Martial de Limoges, 233. Mature, 14.Maximin d'Aix, 57. Mériadec de Vannes, 49. Méthode de Constantinople, 105. Nazaire, 146.Nicéphore, 108.

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