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2. LA DISTINCTION ENTRE LES EFFETS INTERNES ET LES EFFETS EXTERNES DU CONTRAT par Rafaël JAFFERALI 1 SECTION 1 Rappel de la distinction 51 SECTION 2 Portée du contrat opposé aux tiers 57 SECTION 3 Typologie des principaux effets du contrat envers les tiers 62 Conclusion 95 1. Chargé de cours titulaire de la chaire de Droit des obligations à l’Université libre de Bruxelles (ULB), avocat au barreau de Bruxelles (Simont Braun). Le présent texte constitue une version remaniée et approfondie du rapport belge sur le thème « Tiers et contrat » présenté lors des Journées panaméennes de l’Association Henri Capitant qui ont eu lieu du 18 au 22 mai 2015 (à paraître).

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2. LA DISTINCTION ENTRE LES EFFETS INTERNES ET LES EFFETS EXTERNES DU CONTRAT

par Rafaël JAFFERALI1

SECTION 1 Rappel de la distinction 51

SECTION 2 Portée du contrat opposé aux tiers 57

SECTION 3 Typologie des principaux effets du contrat envers les tiers 62

Conclusion 95

1. Chargé de cours titulaire de la chaire de Droit des obligations à l’Université libre de Bruxelles (ULB), avocat au barreau de Bruxelles (Simont Braun). Le présent texte constitue une version remaniée et approfondie du rapport belge sur le thème « Tiers et contrat » présenté lors des Journées panaméennes de l’Association Henri Capitant qui ont eu lieu du 18 au 22 mai 2015 (à paraître).

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1. Objet du présent rapport. Le présent rapport a pour objet d’examiner la question des effets du contrat envers les tiers, spécialement sous l’angle de la distinction classique entre les effets internes et les effets externes du contrat.

L’objectif n’est nullement de traiter ici de manière exhaustive d’une pro-blématique complexe ayant donné lieu à une littérature abondante2. Mon ambition est plus modeste. Il s’agira tout d’abord de rappeler la portée de la distinction en suggérant un critère permettant de mieux cerner les cas dans lesquels le contrat est susceptible de déployer des effets obligatoires à l’égard des tiers (Section 1). Le principe selon lequel le contrat est opposable dans ses effets externes aux tiers étant acquis, on s’interrogera sur la question de savoir comment la portée exacte du contrat peut être déterminée lorsque les parties – ou l’une d’entre elles – sont en désaccord sur ce point avec les tiers (Section 2). Enfin, on s’efforcera d’illustrer, de la manière la plus pratique pos-sible, la distinction entre effets internes et effets externes en se concentrant sur la jurisprudence de la Cour de cassation (Section 3). Il sera alors temps de conclure (Section 4).

2. Cons. not. à ce propos les ouvrages de référence suivants  : L.  CORNELIS, Algemene theo-rie van de verbintenis, Antwerpen et Groningen, Intersentia, 2000, nos 281 et s., pp. 345 et s.  ; H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. I, 3e éd., Bruxelles, Bruylant, 1962, nos  117 et s., pp.  170 et s., t.  II, 3e  éd., Bruxelles, Bruylant, 1967, nos  612 et s., pp.  613 et s.  ; S.  STIJNS, Verbintenissenrecht, t.  1, Brugge, die Keure, 2005, nos  296 et s., pp.  212 et s. ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, Bruxelles, Bruylant, 2013, nos 411 et s., pp. 645 et s. ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, Théorie générale du contrat, 2e éd., Bruxelles, Larcier, 2011, nos 821 et s., pp. 789 et s.  ; voy. également S. BAR, F. ROZENBERG et C. ALTER, « Les effets du contrats », Les obligations. Commentaire pratique, f. mob., Waterloo, Kluwer, 2014, II.1.7  ; N. CARETTE, « Principe (art. 1165 B.W.) relativiteit en tegenwerpbaarheid », Bijzondere overeenkomsten. Artikelsgewijze commentaar met overzicht van rechtspraak en rechtsleer, f. mob., Antwerpen, Kluwer, 2007, deel IV, titel II, hoofdstuk 7, afdeling  1  ; B.  CLAESSENS, T.  HENS, J.  ROODHOOFT, G.  VAN MALDEREN et K.  VANHALLE, «  De derdenwerking van de overeenkomst  », f. mob., Bestending Handboek Verbintenissenrecht, Antwerpen, Kluwer, 2015, II.4, pp.  226 et s.  ; D.  DEVOS, X.  DIEUX, I.  PEETERS, K.  GEENS et P. HAMER, Le contrat et les tiers  : les effets externes et la tierce complicité, Bruxelles, C.J.B., A.B.J.E. et V.P., 1995  ; E.  DIRIX, Obligatoire verhoudingen tussen contractanten en derden, Antwerpen-Apeldoorn, Kluwer, 1984  ; M. FONTAINE et J. GHESTIN (dir.), Les effets du contrat à l’égard des tiers. Comparaisons franco-belges, Paris, L.G.D.J., 1992  ; T.  LÉONARD, Conflits entre droits subjectifs, libertés civiles et intérêts légitimes. Un modèle de résolution basé sur l’opposabilité et la responsabilité civile, Bruxelles, Larcier, 2005, nos 183 et s., pp. 295 et s. ; J.-P. MASSON, « La relativité des actes juridiques : vérité d’évidence ou prétendue règle ? », note sous Cass., 10 décembre 1971, R.C.J.B., 1973, pp. 290 et s.  ; S. STIJNS, « Les contrats et les tiers », Le droit des obligations contractuelles et le bicentenaire du Code civil, Bruges, la Charte, 2004, p. 189 et s.

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LA DISTINCTION ENTRE LES EFFETS INTERNES ET LES EFFETS EXTERNES DU CONTRAT

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Section 1. Rappel de la distinction

2. Une distinction bien connue en théorie. La relativité des effets du contrat, à savoir leur limitation au cercle des parties contractantes, constitue une vérité d’évidence dont Pothier fournissait déjà la justification : «  l’obli-gation qui naît des conventions et le droit qui en résulte étant formés par le consentement et le concours des volontés des parties, elle ne peut obliger un tiers, ni donner de droit à un tiers, dont la volonté n’a pas concouru à former la convention »3. Ce principe a été formulé, en des termes concis, à l’article 1165 du Code civil4.

On sait cependant que de longue date, le principe de la relativité a lui-même été relativisé. On ne pourrait mieux faire, à cet égard, que citer l’arrêt de principe rendu à ce propos par la Cour de cassation en 1909  : « si les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes, ce principe ne règle que les droits et obligations qui découlent des contrats ; qu’il ne met pas obstacle à ce que ceux qui y sont demeurés étrangers constatent l’existence de conventions avouées ou légalement prouvées et tirent argument du fait de cette existence non pour réclamer à leur profit l’exécution des obligations qu’elles stipulent, mais pour en déduire, eu égard aux liens et aux droits qui en découlent, les conséquences favorables ou défavorables pour les parties que les événements ou les agissements des tiers ont entraînées pour elles »5.

De cet arrêt découle la distinction, depuis lors unanimement admise en doctrine, entre effets internes et effets externes du contrat6.

Les effets internes désignent les droits et obligations nés du contrat. En règle, seules les parties peuvent s’en prévaloir, c’est-à-dire plus précisément en demander l’exécution à leur profit à charge d’une autre partie7.

L’existence du contrat ne constitue cependant pas une donnée indiffé-rente pour les tiers. On reconnaît ainsi au contrat des effets externes pour exprimer l’idée que celui-ci, du fait de son exécution et même simplement de sa conclusion ou de sa dissolution, produit sur le patrimoine des parties des conséquences susceptibles d’affecter la situation des tiers. L’effet externe présente dès lors une double face. D’une part, les tiers peuvent invoquer

3. R. J. POTHIER, Traité des obligations, t. I, Paris, Siffrein, 1821, n° 87, p. 140.4. « Les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l’article 1121 ».5. Cass., 27 mai 1909, Pas., 1909, I, p. 272, avec les conclusions de M. le premier avocat général TERLINDEN  ; voy., plus récemment, Cass., 27  juin 2013, Pas., 2013, n°  400  ; Cass., 4 octobre 2010, Pas., 2010, n° 573 ; Cass., 29 octobre 2004, Pas., 2004, n° 518 ; Cass., 9 mai 2003, Pas., 2003, n° 288 ; Cass., 25 avril 2003, Pas., 2003, n° 265 ; Cass., 9 septembre 1999, Pas., 1999, I, n° 448.6. Voy. à ce propos les réf. citées supra à la note n° 2.7. Cass., 23 mars 2006, Pas., 2006, n° 169.

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l’existence (externe) des effets (internes) que le contrat a produits sur le patri-moine des parties. D’autre part, les parties peuvent réciproquement invoquer ces mêmes effets externes envers les tiers, en se prévalant de la situation nouvelle dans laquelle elles se trouvent en raison des effets (internes) que le contrat a produits sur leur patrimoine. Cette double dimension des effets externes est généralement résumée par l’idée d’opposabilité.

3. Une distinction nuancée. Si la distinction entre effets internes et effets externes peut sembler simple au premier abord, elle se révèle dans les faits souvent difficile à cerner.

Ecartons à cet égard deux difficultés liminaires.

La première porte sur la notion même de partie et de tiers8. Cette ques-tion, qui a fait couler beaucoup d’encre9, peut être synthétisée en rappelant que les parties dont la rencontre des volontés a donné naissance au contrat ne coïncident pas nécessairement avec celles qui sont liées par les droits et obligations nés du contrat, que ce soit lors de l’exécution de celui-ci ou même dès sa conclusion. En effet, lorsque le contrat est conclu par représentation (parfaite), seul le représenté est lié par l’accord, à l’exclusion du représentant qui n’a pas l’intention de s’engager personnellement. Par ailleurs, une fois les obligations nées dans le chef des parties, elles peuvent encore être transmises à des tiers, que ce soit à titre particulier (notamment par voie de cession ou de subrogation) ou universel (notamment par voie de fusion, scission ou suc-cession). Un tiers au contrat peut également adhérer à certaines conditions à celui-ci au cours de son existence, de la même manière qu’une partie est dans certains cas admise à se retirer sans pour autant compromettre la survie du contrat entre les autres parties. Le cercle des parties liées par les droits et obli-gation nées du contrat, c’est-à-dire par ses effets internes, n’est donc pas figé. Enfin, il faut mentionner le cas où le créancier d’une partie exerce l’action oblique (article 1166 du Code civil). Dans ce cas, les droits de la partie sont simplement exercés par le créancier au nom et pour le compte de la partie.

8. On se limitera ici à la notion de tiers au sens de l’art. 1165 du Code civil, sachant qu’elle peut prendre un sens plus étroit dans d’autres contextes. Ainsi, par exemple, dans le cadre de l’art. 1er de la loi hypothécaire, le tiers vise toute personne ayant sur la chose un droit réel ou réalisé pour autant que ce droit ait été publié de bonne foi (pour plus de détails, voy. M. GRÉGOIRE, Publicité foncière, sûretés réelles et privilèges, Bruxelles, Bruylant, 2006, nos 134 et s., pp. 44 et s.). On songe également au fait que dans le cadre de l’art. 1338, alinéa 3, du Code civil, le terme « tiers » désigne les personnes qui ont acquis, sur la chose faisant l’objet du contrat, un droit propre et direct leur permettant d’agir en nullité (Cass., 19 mai 1994, Pas., 1994, I, p. 489 ; cons. à ce propos R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat. Etude d’une notion fonctionnelle à la lumière du principe constitutionnel d’égalité, Bruxelles, Bruylant, 2014, nos 111 et s., pp. 212 et s.).9. Voy. not. à ce propos P. A. FORIERS, Groupes de contrat et ensembles contractuels. Quelques observations en droit positif, Bruxelles, Larcier, 2006, nos 3 et s., pp. 16 et s. ; S. STIJNS, « Les contrats et les tiers », op. cit., nos 17 et s., pp. 198 et s. ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, op. cit., nos 413 et s., pp. 647 et s. ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., nos 823 et s., pp. 793 et s.

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LA DISTINCTION ENTRE LES EFFETS INTERNES ET LES EFFETS EXTERNES DU CONTRAT

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Il en résulte que ce sont bien les effets internes du contrat qui peuvent être invoqués dans ce cadre, mais il n’y pas là de véritable dérogation au principe de la relativité des effets internes dès lors que c’est bien le patrimoine de la partie qui bénéficie des droits obtenus par l’exercice de l’action introduite par le créancier10.

La deuxième difficulté découle de l’existence d’un certain nombre d’ex-ceptions légales aux principes tant de la relativité des effets internes que de l’opposabilité des effets externes. Ainsi, la stipulation pour autrui (expres-sément mentionnée à l’article 1165 du Code civil qui renvoie sur ce point à l’article  1121) constitue une hypothèse classique ou, par exception, un tiers est autorisé à demander l’exécution de droits contractuels à son profit11. Réciproquement, bien que le contrat soit en règle opposable – aux tiers et par ceux-ci – de plein droit du seul fait de sa conclusion, ce principe connaît lui-même un certain nombre d’exceptions12. La plus connue d’entre elles consiste en la nécessité de respecter les formalités imposées par la loi hypo-thécaire pour pouvoir opposer à un tiers de bonne foi un acte translatif ou déclaratif de droits réels immobiliers13.

4. Une distinction incertaine. Même en laissant de côté ces deux difficultés, la distinction entre effets internes et effets externes demeure malaisée.

Certes, d’un point de vue théorique, ces deux types d’effets présentent une nature fondamentalement différente. On enseigne en effet que même s’ils procèdent des effets internes, les effets externes sont, par eux-mêmes, dépourvus de tout caractère obligatoire. Ainsi, les parties ne peuvent exiger des tiers l’exécution du contrat, et ceux-ci ne peuvent réciproquement exiger des parties qu’elles exécutent les obligations qu’elles ont souscrites. Les effets du contrat, obligatoires dans la sphère interne, ne constituent dans la sphère externe qu’un fait juridique.

Il n’en demeure pas moins que l’existence de ce fait ne peut être mécon-nue par les tiers. La récente réforme du droit français des obligations le souligne parfaitement14. Après avoir rappelé la portée de l’effet interne à l’article 1199 nouveau du Code civil15, l’article 1200 dispose que « Les tiers

10. Voy. S. STIJNS, « Les contrats et les tiers », op. cit., n° 11, p. 195.11. Voy. infra, n° 12.12. Voy., pour plus de détails, voy. P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, op. cit., nos 436 et s., pp. 678 et s.13. En revanche, à mon sens, le fait qu’un tel acte n’ait pas été transcrit n’empêche pas les tiers de s’en prévaloir. Sur cette question controversée, voy. R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 467, pp. 1026 et s. et réf. citées.14. Ordonnance n° 2016-131 du 10  février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, J.O.R.F., 11 février 2016.15. « Le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties. Les tiers ne peuvent ni demander l’exécution du contrat ni se voir contraints de l’exécuter, sous réserve des dispositions de la présente section et de celles du chapitre III du titre IV. »

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doivent respecter la situation juridique créée par le contrat. Ils peuvent s’en prévaloir notamment pour apporter la preuve d’un fait ».

Que les tiers doivent « respecter » l’existence du contrat et de la situation juridique créée par celui-ci, le point est certain. Le terme « respecter » est cependant ambigu. Comment, en effet, tracer la limite exacte du devoir du tiers de respecter l’existence du contrat comme un simple fait (effet externe), sans cependant lui imposer au nom de ce respect de véritables obligations qui ne peuvent peser que sur les parties au contrat (effet interne) ?

Un récent arrêt du 28 septembre 2015 permettra de mieux saisir toute la difficulté de l’exercice. Lorsqu’un véhicule tombe en panne sur une auto-route, l’article 51.5 du « Code de la route »16 prévoit que « l’agent qualifié pourvoit d’office au déplacement du véhicule et de son chargement. Le dépla-cement s’effectue aux risques et frais du conducteur et des personnes civile-ment responsables ». Cette disposition met donc à charge du conducteur une obligation de remboursement en faveur de l’autorité publique. En l’espèce, le déplacement du véhicule était intervenu à l’initiative d’une entreprise de remorquage en exécution d’une convention passée entre celle-ci, la Police fédérale et la Région flamande. L’entreprise s’était ensuite retournée contre le conducteur en se fondant sur une clause de la convention lui octroyant le droit de réclamer ces montants directement au propriétaire du véhicule. Ce dernier s’était défendu en invoquant l’article 1165 du Code civil. Il faisait donc valoir, en substance, que la convention passée entre l’autorité publique et l’entreprise de remorquage, à laquelle il était demeuré tiers, lui était inop-posable dans ses effets internes et ne pouvait donc lui imposer l’obligation de payer l’entreprise de remorquage. La Cour de cassation donna cependant raison à cette dernière au motif que l’article 1165 du Code civil ne s’oppose pas à ce qu’un débiteur puisse être interpellé17 par une partie, désignée par le créancier, qui est chargée du recouvrement de la créance18.

Si la solution est assurément exacte, elle semble de prime abord déjouer la distinction entre effets internes et effets externes telle qu’on vient de l’expo-ser. Certes, le propriétaire du véhicule était tenu, au titre des effets externes, de respecter l’existence de la convention conclue entre la Police fédérale et l’entreprise de remorquage. Mais, en permettant à cette dernière d’invoquer cette convention pour y puiser le droit d’exiger le paiement à son profit d’une somme normalement due par le propriétaire du véhicule à la Police fédérale, ne glisse-t-on pas insensiblement sur le terrain des effets internes ?

16. Arrêté royal du 1er décembre 1975 portant règlement général sur la police de la circulation routière et de l’usage de la voie publique.17. Le sommaire de l’arrêt traduit plutôt « aangesproken » par « contraint » mais ce terme me paraît moins heureux dans la mesure où il semble requérir une action en justice.18. Cass., 28 septembre 2015, n° C.15.0067.N, pt 5.

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LA DISTINCTION ENTRE LES EFFETS INTERNES ET LES EFFETS EXTERNES DU CONTRAT

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5. Précisions terminologiques. La réponse est cette question est résolument négative. Mais, pour le comprendre, il convient au préalable de préciser l’idée selon laquelle l’opposabilité des effets externes signifierait que le tiers est tenu de « respecter l’existence » du contrat ou la « situation juridique » créée par celui-ci.

Cette terminologie, quoique répandue, me semble doublement critiquable.

D’une part, elle est trop générale dans la mesure où elle laisse croire que les tiers ne pourraient jamais perturber les attentes que les parties ont fon-dées sur le contrat qu’elles ont conclu, à peine de manquer de « respect » à celui-ci. Or, il n’en est rien. Pour donner un exemple trivial, en cas de vente de la chose d’autrui et sous réserve de la protection de l’article 2279 du Code civil, le véritable propriétaire peut parfaitement revendiquer la chose19, alors même que cette revendication aboutit à méconnaître la situation juridique créée par le contrat de vente, dont le but était précisément de permettre à l’acheteur de jouir paisiblement de la chose.

D’autre part, cette terminologie est trop restrictive dans la mesure où elle donne à penser que le contrat, dont les tiers ne sont tenus que de respecter l’existence, ne pourrait jamais entraîner des droits ou des obligations dans leur chef. Or, l’arrêt précité du 28 septembre 2015 précité est là pour nous rappeler qu’une convention peut dans certains cas se traduire par une obli-gation dans le chef d’un tiers20.

6. Critère de distinction proposé. En réalité, il convient d’en revenir aux termes de l’arrêt de principe de 190921.

Les effets internes désignent « les droits et obligations qui découlent des contrats ». Sauf exception légale, seules les parties peuvent en être débitrices ou créancières.

Quant aux effets externes, ce sont des « conséquences favorables ou défa-vorables pour les parties » – mais aussi, ajouterai-je, pour les tiers – que l’on s’attache à « déduire » de l’existence du contrat « eu égard aux liens et aux droits qui en découlent ». Or, ce qu’il importe de saisir, c’est que ces consé-quences favorables ou défavorables peuvent précisément consister, notam-ment mais pas exclusivement, en des droits et des obligations pour autant qu’une règle de droit particulière le prévoie.

Pour le dire autrement, les effets internes désignent les droits et les obli-gations qui découlent directement pour les parties du contrat. Celui-ci ne peut certes – sauf exception légale – jamais être la source directe de droits

19. Voy. Cass., 8 février 2010, Pas., 2010, n° 86, avec les conclusions de M. l’avocat general J.-M. GENICOT, R.C.J.B., 2011, p. 5, note P. WÉRY.20. Voy. supra, n° 4.21. Voy. supra, n° 2.

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ou d’obligations pour les tiers. En revanche, il peut parfaitement générer indirectement dans leur chef de tels droits et obligations, non par l’effet du contrat, mais bien en vertu d’une autre règle de droit, dont l’existence du contrat – ou, plus largement, de tel effet du contrat vis-à-vis de l’une des parties – constitue une condition d’application. Cette distinction entre source directe et source indirecte d’obligations s’inspire des réflexions de la doctrine processualiste22 et est corroborée par la remarquable thèse de doctorat que le Professeur Wintgen a consacrée en France à la notion d’opposabilité23.

A la lumière de ces précisions, la solution de l’arrêt précité du 28 sep-tembre 2015 ne suscite plus de difficulté24. Certes, la convention conclue entre la Police fédérale et l’entreprise de remorquage n’a pu générer direc-tement de droits et d’obligations que dans le chef de ces deux parties. Son existence n’est toutefois pas indifférente pour les tiers, eu égard à d’autres règles de droit. En effet, l’autorisation donnée par la Police fédérale à l’entre-prise de remorquage de réclamer le paiement des sommes dues à la première par le propriétaire du véhicule peut s’analyser, soit comme un mandat (le cas échéant non représentatif), soit comme une cession de créance25. Or, une telle opération peut, indirectement, affecter les droits et obligations des tiers. Ainsi, quoique tiers au contrat de cession, le débiteur cédé doit subir les effets de cette cession en ce sens qu’il est désormais tenu de se libérer entre les mains du cessionnaire après que la cession lui a été notifiée (article 1690,

22. Plus précisément, de la distinction entre l’autorité de la chose jugée d’un jugement entre parties et la force probante de ce même jugement envers les tiers, laquelle s’inspire elle-même de la distinction entre effets internes et effets externes du contrat. De nombreux auteurs soulignent en effet que, si, en tant que tel, le jugement ne fait jamais naître d’obligation directe pour les tiers, il peut néanmoins, par répercussion, affecter la situation juridique de ceux-ci. Voy. à ce propos H. BOULARBAH, Requête unilatérale et inversion du contentieux, Bruxelles, Larcier, 2010, n° 891, p. 628 ; O. CAPRASSE, « L’effet des décisions judiciaires à l’égard des tiers », Le conten-tieux interdisciplinaire, Bruxelles, Bruylant, 1996, n° 5, p. 290  ; R.  JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 293, II, C et D, pp. 667 et s. ; J. VAN COMPERNOLLE et G. CLOSSET-MARCHAL, « Examen de jurisprudence (1985 à 1996). Droit judiciaire privé », R.C.J.B., 1997, n° 42, p. 525.23. R. WINTGEN, Etude critique de la notion d’opposabilité. Les effets du contrat à l’égard des tiers en droit français et en droit allemand, Paris, L.G.D.J., 2004, spéc. n° 96, p. 90  : « Si le contrat est opposable comme un fait, alors cette opposabilité signifie simplement que le contrat et les faits liés à sa formation ou son exécution sont susceptibles d’être pris en compte par des règles qui y attachent des conséquences juridiques ». Réciproquement, « L’intervention d’une règle qui contient dans son présupposé un élément du contrat ou le contrat lui-même est, dans cette logique, indispensable. L’existence du contrat n’est qu’un préalable, nécessaire, mais insuf-fisant, au “rayonnement” du contrat ou à son “opposabilité” » (n° 97, p. 91).24. Voy. supra, n° 4.25. Les deux hypothèses sont d’ailleurs assez proches puisque, historiquement, la procura-tio in rem suam – c’est-à-dire le mandat conféré au mandataire dans l’intérêt de ce dernier, puisqu’il était dispensé de restituer au mandant les sommes encaissées – était la construction technique par laquelle on réalisait économiquement une cession de créance. Voy. à ce propos P. A. FORIERS, « Aspects de la représentation en matière contractuelle », Les obligations contrac-tuelles, Bruxelles, Éd. Jeune Barreau de Bruxelles, 2000, n° 48, p. 277.

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LA DISTINCTION ENTRE LES EFFETS INTERNES ET LES EFFETS EXTERNES DU CONTRAT

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§ 1er, alinéa 2, du Code civil). Par ailleurs, rien n’empêche un créancier de donner mandat à une personne de son choix de recevoir le paiement du débiteur (article 1239, alinéa 1er, du Code civil) ni de poursuivre celui-ci en justice à sa place en cas de refus de paiement26. Si le propriétaire du véhi-cule est tenu de payer l’entreprise de remorquage, ce n’est donc pas parce que le contrat conclu par celle-ci avec la Police fédérale pourrait lui imposer (directement) des obligations, mais bien parce que l’existence de ce contrat constitue, en vertu des règles du mandat ou de la cession de créance, la source (indirecte) d’une obligation dans son chef vis-à-vis de l’entreprise de remorquage.

Le principe de l’opposabilité du contrat ne suffit donc pas à épuiser la question de ses effets juridiques envers les tiers. Il conviendra en effet tou-jours de rechercher s’il existe en l’espèce une règle juridique particulière qui attribue à l’existence de ce contrat des effets de droit dans les relations avec les tiers. Nous illustrerons cette recherche dans la troisième partie de ce rapport27. Au préalable, on tentera de préciser la manière dont la portée du contrat opposé au tiers doit être déterminée.

Section 2. Portée du contrat opposé aux tiers

7. Position du problème. Le principe étant acquis que le contrat est oppo-sable aux tiers dans ses effets externes, reste à déterminer la portée de ce contrat.

A cet égard, on relèvera tout d’abord que le contrat forme un bloc indivi-sible pour les tiers, qui ne pourraient en principe se prévaloir de certaines de ses clauses seulement sans tenir compte de l’existence des autres28.

Ensuite, même en prenant le contrat comme un tout, les parties et les tiers ne s’accordent pas toujours sur la signification de celui-ci, tout sim-plement parce que les tiers, étant généralement demeurés étrangers à la conclusion du contrat et à son exécution, n’ont souvent pas connaissance des mêmes éléments de fait que les parties.

26. Sur l’action en justice introduite par mandataire, voy. Cass., 4  septembre 2015, n°  F.13.0149.F, avec les conclusions de M. le premier avocat général A.  HENKES. On notera que même l’action introduite sur la base d’un mandat non représentatif est admissible comme l’illustre la figure de l’action par prête-nom, en principe licite : voy. à ce propos Cass., 26 janvier 2001, Pas., 2001, n° 49 ; Cass., 8 octobre 1999, Pas., 1999, I, n° 518 ; Cass., 25 novembre 1993, Pas., 1993, I, n° 485 ; Cass., 15 janvier 1982, Pas., 1982, I, p. 602 ; Cass., 21 octobre 1948, Pas., 1948, I, p. 585 ; Cass., 6 mai 1915, Pas., 1915, I, p. 285, avec les conclusions de M. l’avocat général PHOLIEN.27. Voy. infra, n° 10.28. Voy., sur la source de ce principe, infra, n° 28.

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Imaginons par exemple qu’une servitude conventionnelle ait été accordée à A (propriétaire du fonds dominant) par B (propriétaire du fonds servant). Si le fonds de B est ensuite vendu à C, ce dernier devra donc respecter la servitude consentie par son auteur, en raison de l’effet erga omnes des droits réels29. Que se passe-t-il cependant si A et C sont en désaccord quant à l’interprétation à donner au contrat ayant constitué la servitude ? Faut-il, à cet égard, se fonder sur l’interprétation qu’en donnent les parties (A et B), ou l’une d’entre elles (A), ou bien une approche plus objective est-elle requise (par exemple, en ayant égard à l’interprétation que pourrait raisonnablement en donner C ou tout autre tiers, sans avoir nécessairement connaissance des négociations intervenues entre A et B) ?30 Comment, en d’autres termes, la portée du contrat opposé aux tiers dans ses effets externes doit-elle être déter-minée ? La question, simple en apparence, appelle une réponse nuancée.

L’effet externe du contrat envers les tiers n’étant rien d’autre que la prise en compte des effets (internes) du contrat sur le patrimoine des parties en vue d’en déduire des conséquences favorables ou défavorables pour les tiers par l’application d’une autre règle de droit31, le contrat devrait a priori recevoir la même interprétation dans les rapports entre parties qu’envers les tiers. A cet égard, l’article 1156 du Code civil impose de rechercher la volonté réelle des parties au-delà des termes par lesquels elles se sont exprimés. Par conséquent, si une partie (A) parvient à établir qu’in tempore non suspecto, le contrat a toujours été compris d’une certaine manière par les parties (A et B), les tiers (C) ne pourront en principe contester cette interprétation corres-pondant à la volonté commune des parties. Les parties pourront dès lors lui opposer l’effet externe du contrat tel qu’ainsi interprété.

Plusieurs éléments viennent cependant nuancer cette approche. On dis-tinguera à cet égard selon que le tiers soit confronté aux déclarations d’une seule partie ou de l’ensemble de celles-ci.

8. Déclarations d’une seule partie quant à la portée du contrat. Tout d’abord, on aurait tort de croire que l’interprétation du contrat se ramène exclusivement à la recherche de la volonté commune des parties, une ap-proche plus objective pouvant parfois se justifier. C’est ainsi, par exemple, que le juge peut être amené à interpréter le contrat à la lumière du prin-cipe de l’exécution de bonne foi (articles 1134, alinéa 3, et 1135 du Code civil), des usages (article 1160), du principe selon lequel le doute profite au

29. Voy. infra, n° 15.30. La question se pose en des termes similaires, mais légèrement différents, lorsque C ne demeure pas tiers au contrat initialement conclu entre A et B mais adhère à celui-ci après sa conclusion : voy. à ce propos P. A. FORIERS, « Les contrats multipartites en droit positif belge », Bull. Cl. L. et Sc. mor. pol. Acad. r. Belg., 2012, pp. 160 et s.31. Voy. supra, n° 6.

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débiteur (article 1162), etc.32 Ces principes et règles d’interprétation peuvent également être invoqués par les tiers pour établir la manière dont la conven-tion doit être interprétée, si l’intention commune des parties n’apparaît pas à suffisance des pièces du dossier.

Ensuite, le principe de la primauté de l’intention réelle des parties sur leur volonté déclarée n’a pas une valeur absolue. Les règles de la preuve doivent également être prises en considération. En effet, seules les conven-tions « avouées ou légalement prouvées » – c’est-à-dire les conventions dont la preuve de l’existence et du contenu est rapportée conformément au droit commun – peuvent se voir reconnaître un effet externe opposable aux tiers33. La question de la preuve du contrat précède, en d’autres termes, celles de son interprétation et de son opposabilité.

Ainsi, conformément aux règles ordinaires de la preuve, les déclarations unilatérales d’une partie quant à la portée de la convention qu’elle a conclue ne suffiront pas, dans un procès avec le tiers, pour établir celle-ci, dès lors que les déclarations d’une partie dans sa propre cause constituent de simples allé-gations sur lesquelles le juge ne peut se fonder si elles ne sont pas assorties d’autres éléments ou d’une présomption quelconque34. En d’autres termes, il ne suffira pas pour une partie de prétendre que telle interprétation corres-pond à la volonté commune des parties  ; elle devra véritablement l’établir vis-à-vis du tiers.

Par ailleurs, alors que les tiers peuvent rapporter la preuve du contrat à l’égard des parties par toutes voies de droit35, les parties en revanche ne peuvent en principe établir la preuve du contrat contre le tiers que dans le respect de l’article 1341 du Code civil36, qui impose généralement la rédac-tion d’un écrit. Pour reprendre notre exemple précité, si A prétend que la servitude consentie par B a toujours été exécutée d’une certaine manière et entend bien que C continue à la respecter de la même manière, il conviendra de distinguer37. Si la thèse défendue par A constitue une interprétation pos-sible du texte de la convention, alors il incombera simplement à A d’établir

32. Sur l’interprétation des conventions en général, voy. P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, op. cit., nos 381 et s., pp. 605 et s. ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., nos 413 et s., pp. 392 et s.33. Cass., 27 mai 1909, Pas., 1909, I, p. 272, avec les conclusions de M. le premier avocat général TERLINDEN  ; M. FONTAINE, « Les effets “internes” et les effets “externes” des contrats (rapport belge) », in Les effets du contrat à l’égard des tiers. Comparaisons franco-belges, Paris, L.G.D.J., 1992, nos 16 et s., pp. 46 et s. ; S. STIJNS, « Les contrats et les tiers », op. cit., n° 32, p. 206 ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, op. cit., n° 426, p. 660 ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 925, p. 866.34. Voy. Cass., 14 janvier 2000, Pas., 2000, n° 34.35. Cass., 17 novembre 2010, Pas., 2010, n° 679.36. P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, op. cit., n° 1675, p. 2385.37. On laisse ici de côté la question de la prescription acquisitive.

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que cette interprétation correspond bien à la volonté commune de A et B lors de la conclusion de la convention. Si, en revanche – comme cela arrive parfois – la convention a été exécutée d’une tout autre manière que ce qui avait été initialement convenu, alors la thèse défendue par A ne consiste plus en une simple interprétation de la convention, mais revient à soutenir que le texte de cette convention ne reflète pas la totalité des accords conclus entre les parties. En ce cas, A tente en réalité de prouver outre et contre le texte de la convention, ce qu’il lui est permis de faire, mais uniquement à condition de rapporter par écrit la preuve du nouvel accord conclu avec B. Ceci s’avérera souvent difficile en pratique.

On ajoutera toutefois immédiatement que l’application de l’article 1341 est écartée en matière commerciale (article 25 du Code de commerce). Par conséquent, si l’obligation présente un caractère commercial dans le chef des parties, celles-ci pourront prouver par toute voie de droit la teneur de leur accord, même outre et contre l’écrit qu’elles ont signé, et ce même si le tiers contre lequel elles entendent rapporter cette preuve est quant à lui dépourvu de la qualité de commerçant38.

Cependant, que ce soit en matière civile ou même en matière commer-ciale, le juge devra veiller, lorsqu’il recherche la portée d’une convention écrite, à ne pas violer la foi due à celle-ci39. Il ne pourrait donc retenir une interprétation de la convention écrite qui soit impossible parce qu’elle abou-tirait à faire « mentir » celle-ci40.

Il faut enfin envisager l’hypothèse où les parties ont eu recours à la si-mulation, c’est-à-dire le cas où, bien que leur convention ait une certaine portée apparente (acte ostensible), celle-ci est en réalité modifiée par un

38. R. JAFFERALI, « La liberté de la preuve en matière commerciale, spécialement de la transac-tion », note sous Cass., 19 mars 2012, R.C.J.B., 2014, n° 16, b), pp. 688 et s.39. Sur la portée de cette interdiction et la manière dont elle peut être conciliée avec la recherche de la volonté réelle des parties, voy. A.  CRUQUENAIRE, L’interprétation des contrats en droit d’auteur, Bruxelles, Larcier, 2007, nos 271 et s., pp. 202 et s. ; W. DE BONDT, « Uitlegging van overeenkomsten naar de geest : mogelijkheden, grenzen en alternatieven », R.W., 1996-1997, pp. 1001 et s. ; R. JAFFERALI, « La liberté de la preuve en matière commerciale, spécialement de la transaction », op. cit., nos 18 et s., pp. 691 et s. ; B. MAES, « Bewijskracht en bewijswaarde : kanttekeningen bij de rechtspraak van het Hof van Cassatie », R.D.J.P., 1995, pp. 141 et s.  ; A. MEEÙS, « Le contrôle de la Cour de cassation sur l’interprétation des contrats d’assurance par le juge du fond », Mélanges Roger O. Dalcq. Responsabilités et assurances, Bruxelles, Larcier, 1994, pp. 407 et s. ; J.-F. VAN DROOGHENBROECK, « Le juge et le contrat », R.G.D.C., 2007, nos 49 et s., pp. 618 et s. ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, op. cit., nos 381 et s., pp. 605 et s. ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., nos 415 et s., pp. 394 et s.40. Voy. les conclusions de M. le procureur général J.-F. LECLERCQ avant Cass., 20 janvier 2012, Pas., 2012, n° 60, pt 11 ; les conclusions de M. l’avocat général T. WERQUIN avant Cass., 29 jan-vier 2010, Pas., 2010, n° 70, pt 1  ; le discours de M. le procureur général F. DUMON, alors premier avocat général, « De la motivation des jugements et arrêts et de la foi due aux actes », J.T., 1978, pp. 465 et s., spéc. n° 39.

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accord contraire tenu secret (contre-lettre)41. En ce cas, l’article  1321 du Code civil offre aux tiers une option : ils pourront soit s’en tenir aux effets externes de l’acte ostensible, soit préférer se prévaloir des effets externes de la contre-lettre42.

9. Déclarations concordantes de l’ensemble des parties quant à la portée du contrat. On a supposé, jusqu’à présent, que l’une des parties (A) tente à elle seule d’établir à l’encontre d’un tiers (C) la portée de la convention qu’elle prétend lui opposer. Mais comment procéder lorsque toutes les par-ties (A et B) s’accordent sur la portée de la convention qu’elles ont conclue ? Le tiers est-il lié par leurs déclarations concordantes, ou bien dispose-t-il encore d’une certaine marge de manœuvre pour contester cette interpréta-tion ? Encore que la question soit délicate, plusieurs pistes de réflexion me paraissent pouvoir être esquissées.

La position concordante de A et B sur la manière dont elles ont toujours compris la convention me paraît devoir être analysée comme un aveu de leur part de la portée véritable de la convention. En soi, un tel aveu est en principe valable et peut être pris en considération par le juge même si la portée ainsi attribuée à la convention contredit le texte de celle-ci. En effet, le juge peut écarter l’écrit qui lui est soumis en présence d’un aveu contraire émanant des parties43, à moins par exemple qu’il ne soit entaché de fraude44. Ainsi, la preuve de la portée réelle de la convention pourra notamment résulter de l’exécution qui lui a été donnée par les parties in tempore non suspecto, dès lors que cette exécution constitue un aveu de la portée de leur accord45.

Aborder la question sous l’angle de l’aveu ne suffit cependant pas à ré-soudre entièrement la question. En effet, l’aveu est généralement invoqué dans des litiges ne mettant au prise que les parties à la convention ; en ce cas, la manière dont celle-ci a été exécutée suffit généralement à établir la portée réelle de l’accord intervenu, dès lors qu’elles ont toutes deux pris part à cette exécution. La situation se présente toutefois sous un jour différent lorsqu’on prétend opposer cette exécution, non à l’une des parties, mais à un tiers au contrat, qui n’est jamais intervenu dans son exécution. En effet, l’aveu n’est

41. Cass., 27 septembre 2012, Pas., 2012, n° 494, avec les conclusions de M. le premier avocat général A. HENKES, alors avocat général.42. P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, op. cit., n° 287, p. 441.43. Sur ce que l’aveu déroge à l’art. 1341, voy. Cass., 2 avril 2010, Pas., 2010, n° 245 ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, op. cit., n° 1802, p. 2541.44. Sous réserve de l’exclusion de l’erreur de droit, la validité de l’aveu s’apprécie en effet conformément au droit commun des actes juridiques (P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, op. cit., n° 1810, p. 2550).45. D. MOUGENOT, « La preuve en matière civile – Chronique de jurisprudence 2002-2010 », J.T., 2011, n° 41, p. 604.

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opposable qu’à ceux dont il émane46, et donc pas à ce tiers. Par conséquent, la position concordante des parties ne me paraît pouvoir être retenue contre le tiers, non comme un véritable aveu qui lui serait opposable, mais tout au plus comme une présomption de l’homme en vue d’établir la volonté commune des parties. Cet élément de preuve a cependant une force inférieure à l’aveu puisque l’interprétation ainsi défendue est soumise à l’appréciation du juge du fond et ne peut être admise, comme on l’a vu, que pour autant qu’elle ne méconnaisse pas les règles de la preuve relatives à la foi due aux actes et à l’interdiction de prouver outre et contre l’écrit en matière civile47.

Cela étant, les déclarations concordantes des parties quant à la portée de l’accord qu’elles ont antérieurement conclu peuvent dans certains cas être analysées comme la volonté de modifier ou de confirmer rétroactivement la portée de leur accord en le mettant depuis l’origine en conformité avec leurs intentions présentes48. Encore que la question soit très discutée, il me paraît qu’un tel accord rétroactif est opposable aux tiers, pour autant du moins qu’il ne heurte aucune règle impérative et notamment qu’il ne soit pas doté d’une cause illicite49.

Section 3. Typologie des principaux effets du contrat envers les tiers

10. Objet de la présente section. La présente section a pour objectif d’illus-trer la distinction entre effets internes et externes du contrat en partant du critère proposé, à savoir l’aptitude à produire des effets obligatoires pour les tiers de manière directe ou indirecte50.

A cet effet, j’évoquerai un certain nombre de problématiques de la ma-nière la plus concrète possible en me concentrant sur la jurisprudence de la Cour de cassation, le but n’étant pas d’offrir un examen approfondi des institutions abordées mais plutôt de les resituer dans le contexte de la dis-tinction entre effets internes et effets externes du contrat. Je passerai ainsi en revue les principaux cas où le contrat présente une pertinence pour les tiers parce qu’il est constitutif (§1) ou translatif de droits (§2), qu’il constitue une garantie de droits (§3), qu’il vise à la mise en commun de droits (§4), qu’il

46. D. MOUGENOT, « La preuve », Rép. not., t. IV, liv. 2, Bruxelles, Larcier, 2012, n° 266, p. 356.47. Voy. supra, n° 8.48. Comp. le phénomène de l’interprétation authentique de la loi par le législateur (art. 84 de la Constitution).49. Pour plus de détails, voy. R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., nos 572 et s., pp. 1198 et s.50. Voy. supra, n° 6.

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LA DISTINCTION ENTRE LES EFFETS INTERNES ET LES EFFETS EXTERNES DU CONTRAT

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permet d’apprécier une question de responsabilité (§5) ou d’enrichissement sans cause (§6) ou encore parce qu’il a pour objet d’éteindre un droit (§7)51.

On précisera enfin que typologie proposée a été élaborée à des fins pure-ment pragmatiques et ne prétend pas épuiser l’ensemble des hypothèses où un contrat est invoqué dans les rapports avec les tiers. A vrai dire, un inven-taire exhaustif serait pratiquement impossible, tant sont variées les hypo-thèses où une règle de droit attache des effets à l’existence d’un contrat dans les rapports avec les tiers52.

§1. Constitution des droits

11. Principe. En règle, un contrat ne peut générer des droits et obligations que pour les parties qui l’ont conclu. Sous réserve de discussions sur la notion de partie53, cette règle ne constitue que l’expression du principe de l’effet relatif des conventions54.

Ce n’est certes pas à dire que la création d’un droit dans le chef de l’une des parties au contrat soit indifférente pour les tiers. On a vu en effet qu’au titre des effets externes du contrat, la création d’un droit dans le patrimoine des parties constitue un fait juridique qui, en combinaison avec d’autres règles de droit, peut entraîner des conséquences favorables ou défavorables pour les tiers. Il en va particulièrement ainsi lorsque le droit constitué par le contrat est un droit d’opposabilité absolue, tel qu’un droit réel d’usufruit ou de superficie55. Toutefois, même la création d’un droit relatif, tel qu’un droit de créance, peut présenter une certaine incidence pour les tiers, spéciale-ment dans le cadre de la théorie de la tierce complicité56.

Par exception, même les effets internes du contrat peuvent également in-téresser les tiers. Tel est le cas lorsque, en vertu d’une stipulation pour autrui, ils acquièrent un droit prévu en leur faveur par les parties. En revanche, la promesse pour autrui n’est pas admise en droit positif. Ces deux versants, actif et passif, des effets internes du contrat à l’égard des tiers sont abordés ci-après.

51. Comp. les typologies alternatives proposées par M. FONTAINE, « Les effets “internes” et les effets “externes” des contrats (rapport belge) », op. cit., nos 20 et s., pp. 48 et s. (distinction entre le cas où le contrat révèle des éléments de fait et celui où il révèle des éléments de droit) ; S. STIJNS, « Les contrats et les tiers », op. cit., n° 38, pp. 209 et s. (distinction entre l’existence du contrat, les conséquences du contrat entre parties et l’existence et les effets d’une clause du contrat).52. Voy. en particulier les hypothèses relevées par M.  FONTAINE dans l’étude citée à la note précédente où le contrat est utilisé comme simple élément de preuve de faits contestés (par exemple, la preuve d’un revenu).53. Voy. supra, n° 3.54. Voy. supra, n° 2.55. Voy. à ce propos infra, n° 15.56. Voy. à ce propos infra, n° 25.

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12. Stipulation pour autrui – Conditions. La possibilité d’une stipulation pour autrui est reconnue par l’article 1121 du Code civil57. Si elle était his-toriquement considérée comme une exception au principe de l’autonomie de la volonté58, on admet depuis lors qu’«  il n’y a rien de contradictoire à acquérir un droit sans l’avoir voulu. Les exemples de pareille situation sont nombreux : l’héritier, le maître dont l’affaire a été gérée, la victime d’un acte illicite, etc. »59. Sous la pression des nécessités de la pratique, doctrine et jurisprudence ont dès lors au fil du temps largement assoupli le régime de la stipulation pour autrui. La validité de celle-ci est aujourd’hui admise à trois conditions spécifiques60.

Premièrement, elle suppose l’intention, expresse ou tacite mais certaine, de faire naître un droit au profit d’un tiers. C’est ainsi, par exemple, qu’une clause d’un acte de vente par laquelle le vendeur s’exonère de toute garan-tie envers l’acheteur en cas d’erreur dans le calcul des surfaces n’implique pas la volonté de permettre au tiers expert qui a commis une faute dans le mesurage de se prévaloir de cette clause envers l’acheteur61. Le droit que la stipulation pour autrui a pour objectif de faire naître dans le chef du tiers est généralement envisagé comme un droit de créance ; mais, dans la mesure où une obligation de donner peut avoir pour objet le transfert ou la constitution d’un droit réel (article  1138 du Code civil), rien ne paraît s’opposer à ce que le promettant s’oblige à transférer la propriété d’un bien au tiers béné-ficiaire62. Enfin, la question de savoir si, sans avoir l’intention de faire naître un droit dans le chef d’un tiers, un contrat peut néanmoins faire peser sur le promettant une responsabilité extracontractuelle aggravée envers un tiers concerné par le contrat sera examinée ci-après63.

57. Cons. à ce propos N. CARETTE, Derdenbeding, Antwerpen, Intersentia, 2012 ; P. JADOUL, « La stipulation pour autrui (rapport belge) », Les effets du contrat à l’égard des tiers. Comparaisons franco-belges, Paris, L.G.D.J., 1992, pp. 408 et s.  ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, op. cit., nos 440 et s., pp. 684 et s. ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., nos 859 et s., pp. 815 et s.58. Voy. à ce propos H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, op. cit., n° 650, pp. 642 et s.59. H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, op. cit., n° 677, p. 669  ; comp. l’opinion nuancée de N. CARETTE, Derdenbeding, op. cit., n° 148, pp. 147 et s.60. Le contrat contenant la stipulation pour autrui doit également répondre aux conditions de validité du droit commun (art. 1108 du Code civil).61. Cass., 27  septembre 1974, Pas., 1975, I, p. 125. Voy. égal. Cass., 23 mars 2006, Pas., 2006, n° 168.62. Envisageant cette hypothèse, voy. N. CARETTE, Derdenbeding, op. cit., nos 518 et s., pp. 438 et s.  ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, op. cit., n° 440, p. 684  ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 881, p. 827, note n° 163.63. Voy. infra, n° 27.

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Deuxièmement, le tiers bénéficiaire de la stipulation pour autrui doit être déterminable mais – par dérogation au droit commun64 – on admet qu’il suffit que la détermination du tiers puisse avoir lieu au plus tard au moment où le droit propre peut être mis en œuvre65. Dès lors, la stipulation pour autrui peut valablement être consentie au profit d’une personne non encore conçue au moment de sa conclusion. Rien ne paraît non plus s’opposer à ce que l’identité du tiers ne soit déterminée qu’après la mort du stipulant66.

Troisièmement et enfin, la stipulation doit présenter un caractère ac-cessoire. Cette exigence est déduite du texte même de l’article  1121 qui requiert, pour des motifs historiques, que la stipulation pour autrui soit « la condition d’une stipulation que l’on fait pour soi-même ou d’une donation que l’on fait à un autre ». Les nécessités de la pratique ont toutefois largement vidé cette condition de sa portée. On admet ainsi la validité de la stipulation pour autrui pourvu que celle-ci ne figure pas à l’état isolé mais soit insérée dans un contrat existant67. Le législateur a cautionné cette évolution en consa-crant notamment le mécanisme de manière tout à fait générale dans la loi sur les assurances68. Plus largement encore, d’autres auteurs se contentent du fait que le stipulant ait un intérêt, même moral, à la stipulation, en allant même parfois jusqu’à considérer que cet intérêt est présumé du seul fait de la conclusion de l’opération69. Enfin, dans sa récente thèse de doctorat, le Professeur Carette propose une relecture convaincante de l’article 1121 du Code civil qui abandonne entièrement la condition d’accessoriété de la stipulation pour autrui, qui serait donc valable à l’état isolé70.

13. Stipulation pour autrui – Effets. La stipulation pour autrui fait naître en faveur du tiers bénéficiaire un droit qu’il peut faire valoir directement contre

64. Comme l’admet H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, op. cit., n° 675, p. 667, et ce pour des motifs d’utilité sociale.65. Solution consacrée par l’art. 77, al. 2, de la loi du 4 avril 2004 relative aux assurances : « Ce tiers ne doit pas être désigné ni même être conçu au moment de la stipulation, mais il doit être déterminable au jour de l’exigibilité des prestations d’assurances ».66. N. CARETTE, Derdenbeding, op. cit., n° 378, p. 301. Tout au plus l’art. 8, al. 2, du Code des droits de succession assimile-t-il en ce cas à certaines conditions la stipulation pour autrui à un legs à des fins fiscales.67. H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, op. cit., n° 654, 1°, p. 647 ; P. WÉRY, Droit des obligations, v. 1, op. cit., n° 869, p. 820 et s. Telle semble bien être la position majo-ritaire dans la jurisprudence belge : voy. N. CARETTE, Derdenbeding, op. cit., n° 229, p. 201 et réf. citées.68. Voy. l’art. 77, al. 1er, de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances : « Les parties peuvent convenir à tout moment qu’un tiers peut prétendre au bénéfice de l’assurance aux conditions qu’elles déterminent ». Voy. également l’art. 1973 du Code civil.69. P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, op. cit., n° 444, p. 689.70. Voy. N. CARETTE, Derdenbeding, op. cit., nos 254 et s., pp. 214 et s., spéc. nos 273 et s., pp. 226 et s.

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le promettant, sans passer par le patrimoine du stipulant71. Il en résulte, par exemple, que les héritiers du stipulant n’ont en principe aucun droit sur les prestations dues à un tiers bénéficiaire désigné dans un contrat d’assurance-vie72, ou que, lorsqu’à la suite d’une restructuration d’un groupe, une société A s’engage vis-à-vis d’une société B à acquitter les salaires dus par cette dernière à ses propres travailleurs, le droit d’action des travailleurs contre la société A n’est pas soumis au délai de prescription abrégé applicable aux actions nées d’un contrat de travail73.

L’acceptation de la stipulation par le tiers n’a donc pas pour effet de faire naître ce droit – puisqu’il découle déjà du contrat contenant la stipulation –, mais seulement de le rendre irrévocable74. Jusqu’à cette date, le stipulant a le pouvoir de révoquer – de manière expresse ou tacite75 – la stipulation et de désigner un autre bénéficiaire76. Quant à l’acceptation par le tiers, elle peut être aussi bien expresse que tacite77. La position majoritaire voit dans l’acceptation un acte non réceptice, ne devant pas être porté à la connais-sance du stipulant et du promettant pour produire ses effets78. Inversement, rien n’interdit au tiers de renoncer au bénéfice de la stipulation, comme il le ferait à tout autre droit79. Comme la renonciation de droit commun, il s’agit d’un acte non réceptice80.

Le recours à la technique de la stipulation pour autrui est un acte neutre qui ne renseigne pas, en tant que tel, sur la cause de l’opération. Elle peut ainsi se justifier par une intention libérale dans le chef du stipulant, auquel cas elle constitue une donation indirecte en faveur du tiers, mais n’est pas soumise pour autant aux règles de forme applicable aux donations81. Elle peut

71. Voy. Cass., 28 janvier 1975, Pas., 1975, I, p. 552, A.C., 1975, p. 596, avec les conclusions de M. le procureur général E. KRINGS, alors avocat général ; Cass., 2 mai 1930, Pas., 1930, I, p. 193 et la note (2) signée P.L.72. Cass., 16 janvier 2006, Pas., 2006, n° 36.73. Cass., 4  janvier 1988, Pas., 1988, I, p. 524. Il n’en résulte pas pour autant que le droit d’action du tiers bénéficiaire contre le promettant soit de nature extracontractuelle (Cass., 11 dé-cembre 2003, Pas., 2003, n° 639).74. Cass., 13 janvier 1967, Pas., 1967, I, p. 571.75. H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, op. cit., n° 690, p. 674.76. H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t.  II, op. cit., n° 653, B, 1°, p. 659  ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, op. cit., n° 448, p. 696 ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 878, p. 825.77. H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, op. cit., n° 681, p. 671 ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 878, p. 825.78. H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t.  II, op. cit., n° 682, p. 671  ; sur la controverse, voy. N. CARETTE, Derdenbeding, op. cit., nos 601 et s., pp. 497 et s.79. H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, op. cit., n° 653, B, 1°, p. 645.80. N. CARETTE, Derdenbeding, op. cit., n° 622, p. 527.81. Arg. art. 1973, al. 2, du Code civil  ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, op. cit., n° 443, p. 686 ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 864, p. 819.

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toutefois également constituer le moyen pour le stipulant d’acquitter une dette préexistante envers le tiers bénéficiaire82.

Enfin, dans la mesure où le contrat contenant une stipulation pour autrui permet au tiers bénéficiaire de puiser directement dans le contrat un droit à l’encontre des parties, il ne s’agit pas d’un simple effet externe du contrat mais bien d’un effet interne, invocable par un tiers en vertu d’une dérogation légale expresse au principe de la relativité des effets internes (article 1121 du Code civil).

14. Promesse pour autrui. Si la relativité des effets interne connaît donc une exception générale sur le plan actif, elle n’en connaît pas en revanche sur le plan passif. Ainsi, la promesse pour autrui, à savoir le contrat par lequel une partie promet la prestation d’un tiers qui n’y a pas consenti, est inopposable à ce tiers, lequel n’est tenu de ce chef d’aucune obligation (articles 1119 et 1165 du Code civil). La représentation ne constitue qu’une exception appa-rente à ce principe car, en souscrivant un engagement par l’entremise d’un représentant, le tiers représenté devient partie au contrat83.

Il est néanmoins permis de se porter fort pour un tiers en promettant le fait de celui-ci (article 1120 du Code civil). Il n’y a là aucune dérogation au principe de la relativité des effets internes puisque le promettant souscrit l’obligation personnelle d’obtenir le fait d’autrui sans lier celui-ci84. Il contracte en principe, ce faisant, une obligation de résultat85. En cas d’inexécution, il sera tenu à réparation conformément au droit commun de la responsabilité contractuelle, sauf s’il s’est engagé à accomplir personnellement le fait promis du tiers86. A cet égard, on enseigne généralement que, sauf clause particu-lière en ce sens, le porte-fort ne peut être tenu en cas d’inexécution qu’à des dommages-intérêts87. Cette opinion me paraît toutefois devoir être nuancée à la lumière de l’évolution des principes généraux du droit de la responsabi-lité. On admet en effet désormais qu’en règle, tant en matière contractuelle qu’extracontractuelle, la réparation doit intervenir de préférence en nature, du moins lorsqu’elle est possible88. On pourrait ainsi à mon sens concevoir

82. Cass., 30 mars 2009, Pas., 2009, n° 221, A.C., 2009, n° 221, avec les conclusions de Mme l’avocat général R. MORTIER.83. P. A. FORIERS, Groupes de contrat et ensembles contractuels, op. cit., n° 6, p. 20  ; sur la notion de partie, voy. également supra, n° 3.84. P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, op. cit., n° 520, p. 800 ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 915, p. 856.85. P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, op. cit., n° 522, p. 802 ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 921, p. 861.86. P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, op. cit., n° 520, p. 800.87. Ibid., n° 527, p. 807.88. Voy. récemment à ce propos P.  WÉRY, «  L’action paulienne  : sa nature juridique et ses rapports avec la réparation en nature en matière extracontractuelle », note sous Cass., 26 avril 2012, R.C.J.B., 2015, nos 25 et s., pp. 91 et s.

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de condamner le promettant à accomplir lui-même l’acte promis de la part du tiers, du moins lorsque l’exécution par le promettant apparaît satisfaisante pour le créancier.

§2. Transfert des droits

15. Contrat portant sur des droits absolus. L’un des principaux cas où le contrat intéresse les tiers est celui où il a pour objet de transférer – cas le plus fréquent – ou encore de constituer, de modifier ou d’éteindre des droits d’op-posabilité absolue. On pense, en particulier, aux droits réels89. C’est ainsi, par exemple, que lorsque A vend un bien à B, ce contrat intéresse C dans la mesure où, en principe, (i) seul B est désormais en mesure de lui transférer la propriété de ce bien90 et (ii) ce bien ne peut plus désormais être saisi que par les créanciers de B et non de A91. En fonction des circonstances, le transfert de propriété intervenu pourra donc nuire ou profiter aux tiers et ce, non pas directement en vertu du contrat – qui ne peut en tant que tel leur imposer aucune obligation ni leur conférer aucun droit –, mais par l’effet de la loi qui octroie au droit de propriété transféré par le contrat une opposabilité absolue.

Ce principe connaît toutefois un certain nombre d’exceptions. Il faut ainsi tenir compte des règles protectrices des tiers qui, tantôt, en matière immobi-lière, subordonnent l’opposabilité du transfert au respect de la publicité fon-cière92, tantôt, en matière mobilière, octroient à l’acquéreur entré de bonne foi en possession de la chose un droit de propriété ex lege même si son auteur n’a pas valablement cédé celle-ci93. Par ailleurs, lorsque l’aliénation constitue pour un débiteur une tentative de s’appauvrir frauduleusement aux dépens de ses créanciers, ceux-ci disposent de la possibilité de leur faire déclarer inopposable le transfert intervenu en introduisant une action paulienne94.

16. Cession de créance. La cession d’une créance, envisagée dans sa dimen-sion de bien incorporel95, obéit à une logique similaire. Elle n’en demeure

89. On pourrait également songer aux droits intellectuels (voy. à ce propos B. VANBRABANT, La propriété intellectuelle : nature juridique et régime patrimonial, thèse ULg, 13 septembre 2013, pp. 111 et s.).90. Application de la règle Nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet, consa-crée par l’art. 109 de la loi hypothécaire. Voy. P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, op. cit., n° 426, p. 660.91. Les créanciers étant en effet tenus de suivre la foi de leur débiteur dont le patrimoine consti-tue leur gage commun (art. 7 et 8 de la loi hypothécaire). Voy. infra, n° 19.92. Art. 1er et suivants de la loi hypothécaire (formalités de la transcription, de l’inscription ou de la mention marginale dans les registres fonciers).93. Règle de fond tirée de l’art. 2279 du Code civil.94. Art. 1167 du Code civil.95. Voy. à ce propos V. SAGAERT, « Les interférences entre le droit des biens et le droit des obliga-tions : une analyse de l’évolution depuis le Code civil », in Le droit des obligations contractuelles et le bicentenaire du Code civile, Bruges, la Charte, 2004, nos 9 et s., pp. 359 et s.

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pas moins complexe si on l’analyse sous l’angle de la distinction entre effets internes et effets externes du contrat96.

D’un point de vue externe, la cession de créance est, comme tout autre contrat, en principe opposable aux tiers du simple fait de sa conclusion97. Les tiers doivent donc tenir compte de l’existence de la cession et de ses effets sur le patrimoine des parties. C’est ainsi, par exemple, que dès la conclusion de la cession, la créance ne pourra plus être saisie-arrêtée par les créanciers du cédant, mais uniquement par ceux du cessionnaire. Des exceptions à cette opposabilité de plein droit sont toutefois prévues, spécialement à l’égard du débiteur98. A son égard, en effet, une formalité supplémentaire est requise, laquelle consiste soit en la notification, soit en la reconnaissance de la ces-sion par ce débiteur99. Averti de l’existence de la cession, le débiteur cédé, quoique tiers à celle-ci, peut donc parfaitement s’en prévaloir pour refuser de payer entre les mains du cédant, et ce même si la cession ne lui a pas officiellement été notifiée100.

La cession de créance présente cependant également une pertinence sous l’angle des effets internes. En effet, la créance qui passe, par l’effet de la ces-sion, du patrimoine du cédant à celui du cessionnaire demeure quant à son contenu identique101. Ses effets internes demeurent donc inchangés, sous la seule réserve que la personne du cessionnaire y est pour l’avenir substituée à celle du cédant. C’est ce qui explique que le débiteur cédé puisse, en règle,

96. Sur la cession de créance, voy., pour plus de détails, le rapport du Professeur BIQUET-MATHIEU publié dans le présent ouvrage avec la collaboration de Florence RENSON.97. Art. 1690, § 1er, al. 1er, du Code civil, tel que résultant de la réforme du 6 juillet 1994.98. Pour d’autres exceptions, spécialement en cas de cessions succesives de la même créance, voy. l’art.  1690, §  1er, al.  3 et 4, du Code civil. Sur les régimes d’opposabilité dérogatoires au droit commun, voy. R.  JAFFERALI, « Les régimes patriculiers de cession de créance. Rapport belge », La transmission des obligations, Première session du séminaire organisé à Paris les 9 et 10 octobre 2005 par l’Université de Paris I – Panthéon Sorbonne et l’Université catholique de Louvain, à paraître (rapport provisoire disponible sur http://difusion.ulb.ac.be/), et réf. citées.99. Art. 1690, § 1er, al. 2.100. P. A. FORIERS, « La cession de créance. Les principes généraux à la lumière de la loi du 6 juil-let 1994 », La cession de créance, Bruxelles, Éd. Jeune Barreau de Bruxelles, 1995, n° 15, p. 15.101. Voy. la décision de principe rendue en la matière par Cass., 14 février 1924, Pas., 1924, I, p. 202 : « Attendu qu’en l’absence d’une novation, toute créance cédée, qui, dans le patrimoine du cédant est soumise à quelque cause de résiliation ou d’annulation, reste affectée des mêmes vices dans les mains du cessionnaires ; Qu’un acte de cession, si régulier qu’on le suppose, ne peut nuire au débiteur, ni aggraver sa position, ni empêcher que les vices, qui affectaient la créance cédée puissent être opposés par le débiteur au cessionnaire dans les mêmes conditions où ils auraient pu l’être au cédant ; que le débiteur conserve donc vis-à-vis du cessionnaire tous les droits et toutes les exceptions qu’il possédait vis-à-vis de son créancier ; que l’obligation du cédé n’a subi aucune modification par suite et de la cession et de sa signification, lesquelles n’ont d’autre objet que de saisir le cessionnaire vis-à-vis du débiteur des seuls droits qu’avait le cédant » (je souligne).

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continuer à opposer au cessionnaire les mêmes exceptions que celles qu’il pouvait opposer au cédant avant que la cession lui ait été rendue opposable102.

17. Suite – Contestation de l’existence de la cession de créance par le tiers. Si l’on en revient à la problématique des effets externes, une question intéressante est celle de la portée d’un arrêt, peu commenté, de la Cour de cassation du 27 avril 2006103.

Une société C conclut avec la société de factoring F une convention de factoring. Celle-ci prévoit toutefois que «  les créances sur les débiteurs qui interviennent aussi en tant que créancier, ne peuvent être cédées à la société de factoring ». C acquérant une créance à l’encontre d’une société T, F agit en paiement contre T sur la base de la convention de factoring, estimant s’être valablement fait transférer la créance. T, qui est tiers à la convention de factoring, refuse toutefois de payer en invoquant les stipulation de celle-ci. Elle fait valoir en effet qu’étant à la fois débitrice et créancière (en raison d’autres opérations) de C, les créances de C à son égard n’ont pu être cédées à F, en vertu du texte même de la convention de factoring. Le juge du fond donne raison à T en considérant que, quoique tiers au contrat de factoring, elle est habilitée à se prévaloir des effets externes de la clause précitée. Cette décision est cependant cassée sur le pourvoi de F. Se référant à l’article 1690 du Code civil, la Cour de cassation décide que « Lorsque la notification de la cession de créance est faite à la seule intervention du cessionnaire, le débiteur cédé ne peut invoquer à l’égard de ce cessionnaire que des moyens portant sur la cession même [het feit zelf van de overdracht] et non des moyens fondés sur la validité [de geldigheid] ou la teneur [de inhoud] de la convention sous-jacente entre le cédant et le cessionnaire ou sur le respect [de nakoming] de cette convention ».

Cette décision, inspirée par l’enseignement de De Page104, laisse perplexe.

On peut certes admettre que les causes de nullité relative qui affecteraient la cession105 ne puissent, conformément au droit commun, être soulevées que par la partie protégée, à l’exclusion donc d’un tiers. On comprend par ailleurs parfaitement que le débiteur cédé ne puisse prendre l’initiative de se plaindre de l’inexécution (niet-nakoming) du contrat de cession et, par exemple, du

102. Cass., 28 janvier 2005, Pas., 2005, n° 59.103. Cass., 27  avril 2006, Pas., 2006, n°  243. Sur cet arrêt, voy. le rapport du Professeur BIQUET-MATHIEU publié dans le présent ouvrage, n° 38 ; N. CARETTE, « Principe (art. 1165 B.W.) relativiteit en tegenwerpbaarheid », Bijzondere overeenkomsten, op. cit., sous note (152).104. H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. IV, vol. I, 4e éd. par A. MEINERTZHAGEN-LIMPENS, Bruxelles, Bruylant, 1997, n° 492, p. 547 ; voy. également R. FELTKAMP, De overdracht van schuldvorderingen. Naar een meer eenvormige tegenwerpbaarheidsreling voor overdrachten in de burgerlijke en handelsrechtelijke sfeer ?, Antwerpen et Oxford, Intersentia, 2005, n° 553, p. 550.105. Par exemple, un vice de consentement dans le chef d’une des parties.

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fait que le prix de la cession n’aurait pas été payé au cédant, car ce serait là s’immiscer dans l’exécution des droits nés de la convention et, ainsi, dans les effets internes de celle-ci106.

En revanche, on n’aperçoit pas d’emblée pour quels motifs le débiteur cédé ne pourrait invoquer une cause de nullité absolue entachant la ces-sion107. En effet, une telle cause de nullité peut être soulevée par tout tiers intéressé. Elle doit du reste être élevée d’office par le juge sans possibilité de confirmation par les parties108. Il semble dès lors que le débiteur cédé puisse également s’en prévaloir afin de critiquer la cession et, ainsi, refuser de payer le cessionnaire. A cet égard, on ne peut suivre De Page lorsqu’il enseigne que « Dès l’instant où la cession lui est notifiée [c’est-à-dire au débiteur], celle-ci, en tant que fait juridique, et indépendamment de sa validité entre parties, lui devient opposable »109. En effet, si le contrat constitue un fait juridique pour un tiers, cela n’est exact que pour autant que le contrat soit valable. Plus précisément, le contrat lui est opposable à titre de fait juridique, mais il en va de même de la nullité du contrat, qui constitue elle-même un effet externe du contrat110. Si, donc, le contrat de cession est annulé – que ce soit à la requête du débiteur (en cas de nullité absolue) ou même de l’une des parties au contrat de cession (y compris en cas de nullité relative111) –, cette annulation constitue également un fait juridique dont le débiteur cédé, comme tout tiers, est habilité à se prévaloir en vertu du principe de l’oppo-sabilité des effets externes.

106. On sait, à cet égard, que l’option ouverte par l’article 1184 du Code civil entre l’exécution forcée et la résolution du contrat ne peut être exercée que par le créancier du contrat inexé-cuté, sous réserve d’un abus de droit (voy. Cass., 6  janvier 2011, Pas., 2011, n° 12, avec les conclusions de M. le premier avocat général A. HENKES, alors avocat général ; Cass., 15 février 2007, Pas., 2007, n° 92 ; Cass., 30 janvier 2003, Pas., 2003, n° 69 ; Cass., 15 avril 1994, Pas., 1994, I, n° 181 ; comp. aussi Cass., 8 février 2001, Pas., 2001, n° 79). Par analogie, il semble raisonnable de considérer que seul le créancier, à l’exclusion donc d’un tiers, puisse se prévaloir de l’exception d’inexécution.107. Dans le même sens, voy. le rapport du Professeur BIQUET-MATHIEU publié dans le présent ouvrage, n° 38 ; R. FELTKAMP, De overdracht van schuldvorderingen, op. cit., n° 554, pp. 550 et s.108. Telle est du moins la conception dominante. Voy., pour plus de détails, R.  JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 86, pp. 170 et s.109. H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. IV, vol. I, op. cit., n° 492, p. 547.110. Voy. à ce propos infra, n° 30.111. Il est en effet unanimement admis qu’une fois prononcée, la nullité relative produit les mêmes effets que la nullité absolue : voy. à ce propos I. CLAEYS, « Nietigheid van contractuele verbintenissen in beweging  », in Sancties en nietigheden. Vormingsprogramma 2002-2003, Bruxelles, Larcier, 2003, n°  33, p.  291  ; L.  CORNELIS, Algemene theorie van de verbintenis, op. cit., n° 561, p. 707 ; R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 236, p. 502 ; S. STIJNS, Verbintenissenrecht, t. 1, op. cit., n° 177, p. 128 ; W. VAN GERVEN, « Onverbindendheid : blokkendoos of grabbelton  ? », Liber Amicorum Jacques Herbots, Antwerpen, Kluwer, 2002, n° 8, p. 489 ; A. VAN OEVELEN, « Nietigheid », in Bijzondere overeenkomsten. Commentaar met overzicht van rechtspraak en rechtsleer, f. mob., Mechelen, Kluwer, 2008, n° 11, p. 9.

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Pour le reste, il semble que l’arrêt analysé fasse une distinction entre le fait même de la cession, qui pourrait valablement être contesté par le débi-teur cédé, et le contenu du contrat de cession, dont le débiteur cédé ne serait pas admis à se prévaloir112. Certes, on admet que seul le fait de la cession doit être notifié au débiteur cédé113, qui ne pourrait donc en principe exiger de prendre connaissance de la totalité du contrat de cession qui ne le concerne pas, spécialement dans la mesure où les effets internes du contrat sont en cause. Toutefois, dans les cas où le débiteur aurait connaissance du contenu du contrat de cession et où celui-ci présente une pertinence pour détermi-ner l’étendue de la cession – donc les effets externes de celle-ci –, pourquoi interdire au débiteur cédé de s’en prévaloir ? Cette distinction entre le fait même de la cession et le contenu du contrat de cession apparaît malaisée à réconcilier avec le principe de l’opposabilité des effets externes du contrat, qui concerne aussi bien l’existence du contrat dans son principe que ses dif-férentes clauses114. Elle semble du reste délicate à mettre en œuvre, comme l’illustre le fait que l’arrêt a été rendu sur conclusions contraires. Le ministère public estimait en effet que la clause litigieuse du contrat de factoring touchait en l’espèce au fait même de la cession115.

En conclusion, les termes de l’arrêt du 27 avril 2006 me paraissent mal-heureux. Il me semble plutôt que, sur la base du principe de l’opposabilité des effets externes du contrat de cession, le débiteur cédé est en mesure d’invo-quer à l’égard du cessionnaire des moyens touchant aussi bien à la nullité absolue du contrat de cession qu’à son existence ou à son contenu, dans la mesure où il s’agit d’établir l’étendue exacte de la cession116. En revanche, il ne peut en principe invoquer une cause de nullité relative établie dans l’inté-rêt d’une des parties au contrat de cession ni se plaindre de l’inexécution de

112. Voy. en ce sens la version néerlandaise (originale) de l’arrêt dans A.C., 2006, n°  243, pp. 973-974.113. Voy. Cass., 27  juin 2014, Pas., 2014, n° 464 ; Cass., 5 mai 2008, Pas., 2008, n° 266 ; Cass., 28 octobre 1994, Pas., 1994, I, n° 459.114. S. STIJNS, « Les contrats et les tiers », op. cit., n° 38, p. 209 ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol 1, op. cit., n° 932, p. 870. D’ailleurs, en cas de vente d’un terrain, les tiers intéressés (tels que les créanciers des parties) sont autorisés à examiner le contenu de l’acte de vente afin d’en déterminer l’étendue exacte et ne sont pas contraints de s’en tenir au fait même de la vente.115. Voy. la note (1) sous l’arrêt. A mon sens, tout est une question d’interprétation de l’arrêt attaqué. Si l’on considère que la cession avait effectivement eu lieu en vertu d’un nouvel accord conclu en violation des stipulations du contrat-cadre de factoring (voy. en ce sens le rapport du Professeur BIQUET-MATHIEU publié dans le présent ouvrage, n° 38), alors il semble exact que le débiteur cédé ne pourrait se prévaloir de l’inexécution de cette convention-cadre pour critiquer la réalité de la cession. En revanche, si le fait même de la cession était discuté, alors il me semble qu’il était indispensable d’examiner la teneur du contrat de factoring pour déterminer si, oui ou non, la créance litigieuse avait bien été cédée.116. Voy. dans le même sens N.  CARETTE, «  Principe (art.  1165 B.W.) relativiteit en te-genwerpbaarheid », op. cit., sous note (152).

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celui-ci, car cette question relève uniquement des effets internes du contrat auquel il n’est pas partie.

18. Action directe. L’action directe, à savoir « l’action que possède un créan-cier en son nom personnel contre un tiers, débiteur de son débiteur, en vue d’obtenir le paiement de ce qui est dû par ce dernier »117, est généralement présentée comme une exception au principe de la relativité des effets in-ternes du contrat118.

Cette opinion classique mérite sans doute d’être réexaminée, spécia-lement si l’on envisage l’action directe – en tout cas imparfaite119 –, non comme une institution conférant un droit propre au tiers qui en bénéficie, mais, plus simplement, comme un mode de transmission des obligations par l’effet de la loi, analogue dans son mécanisme à une cession de créance120. Cet effet translatif de l’action directe permet d’expliquer que, dans la juris-prudence de la Cour de cassation, une telle action – en l’occurrence du sous-traitant – ne peut être introduite que dans les cas où la créance du débiteur intermédiaire (entrepreneur principal) contre le sous-débiteur (maître de l’ouvrage) « est encore disponible dans le patrimoine » du débiteur inter-médiaire121. En effet, pour qu’un transfert puisse s’opérer – fût-ce par la volonté de la loi –, encore faut-il que le droit à transférer soit cessible122, ce qui n’est plus le cas lorsqu’une mesure d’exécution a été pratiquée sur ce

117. Conclusions de M. le procureur général J.-F. LECLERCQ avant Cass., 20 janvier 2012, Pas., 2012, n° 60, pt 14.118. Voy. not. P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t.  II, op. cit., n° 455, p. 706  ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 886, p. 832. Pour plus de détails sur l’action directe, cons. le rapport rédigé par E. VAN DEN HAUTE et C.-E. LAMBERT dans le présent ouvrage.119. On oppose généralement l’action directe imparfaite, dans laquelle une manifestation de volonté est nécessaire pour s’emparer de la créance qui forme son assiette, et l’action directe parfaite, où la créance du débiteur intermédiaire est réservée, dès sa naissance, à la satisfaction du créancier. Voy. à ce propos les conclusions de M. le procureur général J.-F. LECLERCQ avant Cass., 20 janvier 2012, Pas., 2012, n° 60, pt 14 ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 889, pp. 835 et s.120. Sur l’effet translatif de l’action directe analogue à celui d’une cession de créance, voy. E. DIRIX, « Onderaanneming », Entr. dr., 1991, n° 14, p. 37 ; M. GRÉGOIRE, « La double protec-tion du sous-traitant de travaux immobiliers », note sous Cass., 22 mars 2002, 23 mai 2004, 23 septembre 2004 et 25 mars 2005 (trois espèces), R.C.J.B., 2005, n° 29, p. 497 ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 901, p. 845 ; J. WINDEY et T. HÜRNER, « L’action directe en cas de faillite », note sous Cass., 27 mai 2004, R.D.C., 2004, n° 5, p. 906. Comp., sur l’ana-lyse de l’action directe dans le domaine des conflits de lois – lesquels appellent une qualification autonome du droit interne –, R. JAFFERALI, « Actualité jurisprudentielle dans le domaine du droit applicable aux obligations contractuelles et non contractuelles (2007-2012) », Actualités en droit international privé, Bruxelles, Bruylant, 2013, nos 20 et s., pp. 161 et s.121. Cass., 18 mars 2010, Pas., 2010, n° 198, A.C., 2010, n° 198, avec les conclusions de M. l’avocat général G. DUBRULLE ; Cass., 27 mai 2004, Pas., 2004, n° 287.122. Arg. art. 1128 et 1598 du Code civil.

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bien123. Il en résulte que l’action directe ne peut plus être introduite après la faillite124 ou la mise en liquidation125 du débiteur intermédiaire ou encore lorsque son assiette a été immobilisée par une saisie-arrêt pratiquée entre les mains du sous-débiteur à charge du débiteur intermédiaire126. A l’inverse, si l’analyse avait prévalu selon laquelle le titulaire de l’action directe possède véritablement un droit propre contre le sous-débiteur qu’il peut faire valoir directement contre celui-ci sans passer par le patrimoine du débiteur inter-médiaire, on ne s’expliquerait pas que l’exercice de l’action directe puisse être entravé par une immobilisation de la créance dans le patrimoine de ce débiteur intermédiaire127.

L’analyse de l’action directe comme un mécanisme de transmission de l’obligation par l’effet de loi invite dès lors à reconsidérer ses rapports avec le principe de la relativité des effets internes du contrat. De même que la ces-sion de créance constitue une simple application du principe d’opposabilité de l’effet externe des conventions128, de même, l’action directe ne déroge pas au principe de la relativité des effets internes129. En effet, une fois la créance sortie du patrimoine du débiteur intermédiaire et entrée dans celui du titulaire de l’action directe par l’effet de la loi – ce en quoi elle se distingue d’une cession de créance d’origine volontaire –, la créance ainsi transférée conserve exactement la même portée. Ses effets internes demeurent dès lors inchangés, ce qui explique précisément la possibilité pour le sous-débiteur d’opposer au titulaire de l’action directe les exceptions qu’il pouvait opposer au débiteur intermédiaire avant le transfert130. On n’a d’ailleurs jamais consi-déré que d’autres mécanismes de transmission des obligations par l’effet de

123. En effet, « lorsqu’un créancier poursuit l’exécution de son droit sur un bien de son débi-teur, lorsqu’il “met son droit en œuvre”, selon l’expression consacrée par l’arrêt du 5  juillet 1901, le droit de propriété relatif au bien saisi se trouve amputé de toutes les prérogatives incompatibles avec le droit mis en œuvre  : le déplacement de la chose devient impossible, la constitution d’un droit réel nouveau dans le chef d’un tiers devient inopposable au créancier » (M. GRÉGOIRE, Théorie générale du concours des créanciers en droit belge, Bruxelles, Bruylant, 1992, n° 22, p. 17).124. Cass., 18 mars 2010, Pas., 2010, n° 198, A.C., 2010, n° 198, avec les conclusions de M. l’avocat général G. DUBRULLE ; Cass., 23 septembre 2004, Pas., 2004, n° 430 ; Cass., 27 mai 2004, Pas., 2004, n° 287.125. Cass., 23 septembre 2004, Pas., 2004, n° 429.126. Cass., 20 janvier 2012, Pas., 2012, n° 60, avec les conclusions de M. le procureur général J.-F. LECLERCQ.127. Pour un relevé des partisans de cette thèse en doctrine et en jurisprudence avant le pro-noncé des arrêts visés aux notes précédentes, voy. O. JAUNIAUX, « L’action directe du sous-traitant. Entre éclaircies et brouillard persistant », R.G.D.C., 2006, n° 22, p. 263 et réf. citées.128. Voy. supra, n° 16.129. X. DIEUX, « Nature et limites du droit du titulaire d’une action directe contre un cocontrac-tant de son débiteur », note sous Cass., 19 octobre 2001, R.C.J.B., 2004, n° 8, p. 19.130. X. DIEUX, « Nature et limites du droit du titulaire d’une action directe contre un cocontrac-tant de son débiteur », op. cit., n° 18, p. 39.

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la loi (tels que la subrogation, la succession, etc.) dérogeraient à la relativité des conventions131.

En réalité, ce n’est que dans les cas où la loi déroge, au détriment du sous-débiteur, à ce principe d’opposabilité des exceptions qu’il est véritablement dérogé au principe de la relativité des effets internes132. Tel est notamment le cas à l’article 151, § 1er, de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances en matière d’assurances obligatoires de responsabilité civile133. La Cour de cassation considère cependant qu’une telle dérogation n’empêche pas le sous-débiteur (en l’occurrence, l’assureur) d’opposer au titulaire de l’action directe (à savoir la personne lésée) les exceptions déduites de l’existence même du contrat, sa portée et la couverture du risque134.

§3. Garantie des droits

19. Droit de gage général des créanciers. Comme on l’a dit, les effets internes du contrat – les droit et les obligations qu’il engendre – n’inté-ressent à la base que les parties à ce contrat, car ce sont uniquement elles qui peuvent en demander ou en subir l’exécution. Si cette situation doit certes être reconnue par les tiers en tant que fait (effet externe), elle ne présente de véritable pertinence pour eux que lorsqu’une règle de droit distincte attribue des conséquences, favorables ou défavorables pour les tiers, à ce changement dans la composition du patrimoine des parties135.

Les articles 7 et 8 de la loi hypothécaire constituent par excellence l’une de ces règles de droit. Selon la première de ces dispositions, « Quiconque est obligé personnellement est tenu de remplir ses engagements sur tous ses biens mobiliers ou immobiliers, présents et à venir ». L’obligation contrac-tée par une partie ne présente donc pas uniquement une importance pour le créancier de cette obligation (effet interne)  ; à partir du moment où ce

131. Ceci tient en effet à la souplesse de la notion de « partie » habilitée à se prévaloir des effets internes du contrat : voy. supra, n° 3.132. X. DIEUX, « Nature et limites du droit du titulaire d’une action directe contre un cocontrac-tant de son débiteur », op. cit., n° 8, p. 20.133. Cette disposition correspond à l’ancien art. 87, § 1er, de la loi du 25  juin 1992. Elle est rédigée comme suit :« Dans les assurances obligatoires de la responsabilité civile, les exceptions, franchises, nullités et déchéances dérivant de la loi ou du contrat, et trouvant leur cause dans un fait antérieur ou postérieur au sinistre, sont inopposables à la personne lésée.Sont toutefois opposables à la personne lésée l’annulation, la résiliation, l’expiration ou la sus-pension du contrat, intervenues avant la survenance du sinistre ».134. Voy. Cass., 19  octobre 2001, Pas., 2001, n°  559, avec les conclusiosn de M. l’avocat général X. DE RIEMACKER (rendu à propos de l’art. 87, § 1er, de la loi du 25 juin 1992) ; Cass., 29 janvier 1992, Pas., 1992, I, n° 280, avec les conclusions de M. l’avocat général JANSSENS DE BISTHOVEN (rendu à propos de l’art. 11 de la loi du 11 avril 1956).135. Voy. supra, n° 6.

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créancier peut en exiger l’exécution sur la totalité des biens du débiteur, l’existence même de cette obligation (effet externe), combinée avec la règle figurant à l’article 7 de la loi hypothécaire, intéresse la position de tous les autres créanciers de ce débiteur, qui se voient potentiellement136 privés du droit d’affecter les biens de ce débiteur à la satisfaction de leurs propres créances. L’article 8 le confirme : « Les biens du débiteur sont le gage com-mun de ses créanciers, et le prix s’en distribue entre eux par contribution, à moins qu’il n’y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence ».

Toujours sous l’angle du droit de gage général, les droits et obligations souscrits par le débiteur présentent encore une autre importance pour ses créanciers. De tels engagements n’ont en effet pas toujours pour seule consé-quence d’accroître le passif du débiteur  ; ils peuvent également, une fois exécutés – volontairement ou non –, entraîner un accroissement ou une diminution de l’actif137. A nouveau, les articles  7 et 8 de la loi hypothé-caire constituent à cet égard le trait d’union entre le patrimoine du débiteur (dont la modification est opposable aux tiers au titre des effets externes des conventions) et celui des créanciers (dont le droit de gage a précisément pour assiette, en vertu de ces dispositions légales, les biens du débiteur).

20. Sûretés issues de la pratique. Le principe de l’opposabilité des effets externes est également régulièrement avancé pour justifier l’efficacité en cas de concours des sûretés élaborées en dehors des formes traditionnelles sur la base de l’autonomie de la volonté138. C’est ainsi, par exemple, que la Cour de cassation a confirmé l’opposabilité, à la masse des créanciers d’un débi-teur failli, d’une clause d’indivisibilité de compte conclue sans fraude entre les associés d’une société momentanée139, de même que d’un cantonnement

136. Potentiellement car, tant que les droits d’aucun créancier n’a encore été mis en oeuvre, « En raison de leur caractère strictement relatif, la quantité des engagements personnels d’un même débiteur peut s’accroître à l’infini. Les prérogatives juridiques des créanciers existants ne se trouvent pas modifiées lorsque le débiteur s’engage à nouveau, même si la somme totale de ses dettes vient à dépasser la valeur de ses avoirs » (M. GRÉGOIRE, Théorie générale du concours des créanciers en droit belge, op. cit., n° 4, p. 6).137. Comme l’expose de manière très pédagogique P.  WÉRY, Droit des obligations, vol.  1, op. cit., n° 928, p. 868 : « Le débiteur acquiert-il un bien ? C’est tout profit pour ses créanciers qui voient leur droit de gage général grossir à concurrence de l’enrichissement. Vient-il, au contraire, à donner un de ses biens ou à le vendre à un prix inférieur à sa valeur ? L’assiette de ce droit de gage général diminue à due concurrence : les créanciers ne peuvent protester contre cet acte, sauf à démontrer qu’il a été accompli en fraude de leurs droits (…) ».138. Pour un aperçu général de la question, voy. P. VAN OMMESLAGHE, « Sûretés issues de la pratique et autonomie de la volonté », in Les sûretés (sûretés traditionnelles, réelles et person-nelles, en droit français et en droit belge  ; sûretés issues de la pratique  ; droit international privé), Paris, Feduci, 1983, pp. 345 et s.139. Cass., 28 février 1985, Pas., 1985, I, p. 795, J.T., 1986, p. 578, note F. T’KINT, R.C.J.B., 1987, p. 571, note A. LIMPENS, R.W., 1985-1986, p. 997, note E. DIRIX.

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amiable140. On observe toutefois d’importantes controverses dans la doctrine quant à la possibilité d’échapper au principe de l’égalité des créanciers par le biais de telles constructions141.

Sans pouvoir entrer ici dans tous les détails de cette controverse, il me semble que l’efficacité de tels mécanismes préférentiels se heurte à deux difficultés – certes pas insurmontables, mais qui ne doivent pas pour autant être négligées.

21. Première difficulté – Nécessité de combiner les effets externes du contrat avec une autre règle de droit. Premièrement, il résulte de la dis-tinction entre effets internes et effets externes qu’un contrat ne peut, à lui seul, imposer aucune obligation à un tiers ni le priver d’un droit dont il est titulaire. Si le contrat peut avoir une telle conséquence, c’est uniquement parce qu’une autre règle de droit attribue à l’existence de ce contrat – en soi opposable aux tiers au titre de ses effets externes – des conséquences qui lui sont défavorables142. En revanche, en l’absence d’une telle règle de droit, le contrat est impuissant à affecter négativement la situation des tiers, et spé-cialement à les priver du bénéfice du principe d’égalité entre créanciers qui leur est reconnu par l’article 8 de la loi hypothécaire143.

C’est à mon sens ainsi qu’il faut comprendre la décision précitée relative à l’opposabilité en cas de faillite de la clause d’indivisibilité de compte144. En soi, une clause conclue entre les associés de la société momentanée ne pourrait en effet – même si son existence doit être reconnue par les tiers – affecter le mode de liquidation de la faillite de l’un de ces associés. La loi sur les faillites prévoit en effet que le failli « est dessaisi de plein droit de l’administration de tous ses biens, même de ceux qui peuvent lui échoir tant qu’il est en état de faillite » et que le montant de l’actif est, sous réserve des causes légales de préférences, « réparti entre tous les créanciers, au marc le franc de leurs créances »145. En d’autres termes, les sommes dues par l’associé non failli à l’associé failli devraient théoriquement tomber dans la masse et

140. Cass., 2 février 2007, Pas., 2007, n° 63, pt 10, J.T., 2007, p. 527, obs C. ALTER, R.D.C., 2007, p. 341, note I. PEETERS et A. ZENNER, R.W., 2006-2007, p. 1679, note V. SAGAERT.141. Voy. ainsi et comp. not. C. BIQUET-MATHIEU et F. GEORGES, « Les espaces de liberté dans le domaine des sûretés et garanties de paiement », in Les espaces de liberté en droit des affaires, Bruxelles, Bruylant, 2007, pp. 61 et s. ; M. GRÉGOIRE et L. CZUPPER, « La garantie hors la loi ? », note sous Cass., 3 décembre 2010, R.D.C., 2011, pp. 869 et s.  ; N. THIRION, « La théorie de l’égalité des créanciers en concours d’une personne morale en liquidation : nouveaux enseigne-ments de la Cour de cassation », note sous Cass., 15 octobre 1999, R.C.J.B., 2001, pp. 171 et s. ; A. ZENNER et I. PEETERS, « L’opposabilité des garanties conventionnelles permettant d’échapper au concours », J.T., 2004, pp. 865 et 881 et s.142. Voy. supra, n° 6.143. Voy. supra, n° 19.144. Cass., 28 février 1985, précité à la note n° 139.145. Voy. actuellement les art. 16 et 99 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites.

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la seule existence d’un accord contraire conclu entre les parties ne devrait pas en principe pouvoir priver les créanciers des droits sur cette somme que leur reconnaît la loi.

Le fondement de la décision contraire rendue par la Cour de cassation doit cependant être recherché dans l’existence en l’espèce d’une connexité objective entre les créances réciproques des deux associés. La Cour de cas-sation interprète en effet l’article 1298 du Code civil en ce sens que, par dérogation du principe qui y est énoncé146, la compensation peut valablement porter atteinte aux droits acquis aux tiers par l’effet du concours, pour autant qu’elle intervienne entre deux dettes connexes nées avant le concours147. Ainsi, ce n’est pas l’effet externe du contrat conclu entre les associés, à lui seul inapte à priver les tiers d’un droit acquis, mais la combinaison de cet effet externe avec une autre règle de droit – en l’occurrence, le principe de la compensation nonobstant concours entre deux dettes connexes – qui justifie en l’espèce l’efficacité de la sûreté issue de la pratique.

De la même manière, j’ai tenté de montrer ailleurs que, si l’on analyse le cantonnement amiable comme un paiement conditionnel, son efficacité ne peut résulter de la seule opposabilité des effets externes du contrat, mais ne peut se justifier que par l’effet rétroactif de la condition suspensive accom-plie148. De même encore, l’efficacité de mécanismes préférentiels tels que la résolution du contrat, l’exception d’inexécution ou le droit de rétention repose, non seulement sur l’effet externe du contrat concerné, mais surtout sur l’effet rétroactif et/ou réel de ces institutions en vertu de leur régime propre149.

On trouve confirmation de cette analyse si l’on envisage à l’inverse le cas où l’effet externe du contrat n’est pas renforcé par une autre règle de droit, et ne suffit dès lors pas à justifier une atteinte au principe d’égalité entre créanciers. Ainsi, la Cour de cassation a considéré que le compte tiers ouvert par un avocat auprès d’une banque pour y placer les fonds revenant à ses clients n’est pas pour autant à l’abri du recours des créanciers de cet

146. « La compensation n’a pas lieu au préjudice des droits acquis à un tiers ».147. Sur ce principe, voy. Cass., 15 mai 2014, Pas., 2014, n° 348 ; Cass., 31 mars 2014, Pas., 2014, n° 250, avec les conclusions de M. l’avocat général J.-M. GENICOT (sol. implicite) ; Cass., 4  février 2011, Pas., 2011, n° 106, pt 3  ; Cass., 5 octobre 2010, Pas., 2012, n° 517, pt 5  ; F. GEORGE, « Compensation et insolvabilité : questions choisies », Chronique de jurisprudence sur les causes d’extinction des obligations (2000-2013), Bruxelles, Larcier, 2014, nos 11 et s., pp. 95 et s.  ; R. HOUBEN, « Schuldvergerlijking », R.W., 2010-2011, n° 13, p. 1374  ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, op. cit., n° 1578, pp. 2258 et s.148. Voy. R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 196, pp. 392 et s.149. Voy. en ce sens N. THIRION, « La théorie de l’égalité des créanciers en concours d’une personne morale en liquidation : nouveaux enseignements de la Cour de cassation », op. cit., nos 23 et s., pp. 192 et s. Pour une analyse détaillée de l’exception d’inexécution, voy. le rapport de S. JANSEN publié dans le présent ouvrage.

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avocat, nonobstant l’affectation spéciale convenue avec la banque150. Il a donc fallu adopter une disposition légale spécifique pour renforcer l’effet externe du contrat conclu avec la banque et, ainsi, passer de la simple opposabilité de l’existence à une véritable atteinte au principe d’égalité des créanciers151.

22. Seconde difficulté – Approche fonctionnelle du droit des sûretés. Venons-en maintenant à la seconde difficulté. Même lorsqu’une règle de droit se fonde sur l’effet externe d’une convention pour y attacher des consé-quences défavorables pour les tiers, il se peut encore que ces conséquences soient paralysées par l’application d’encore une autre règle de droit.

L’exemple le plus frappant, à cet égard, est certainement celui de la ces-sion de créance à titre de garantie. Ainsi, lorsqu’un débiteur cède à son créancier, pour garantir sa dette, l’une de ses créances en pleine propriété, on pourrait a priori penser qu’une telle sûreté est efficace. En effet, les autres créanciers de ce débiteur sont tenus de reconnaître l’existence et les effets de cette cession sur son patrimoine (articles 1165 et 1690 du Code civil) et, puisque leur droit de gage ne porte que sur les biens faisant effectivement partie de ce patrimoine (articles 7 et 8 de la loi hypothécaire), ils ne peuvent normalement plus émettre aucune prétention sur cette créance. Telle n’est cependant pas la solution retenue par la Cour de cassation.

Par une décision retentissante, qui s’inscrit dans la lignée du non moins célèbre arrêt Sart-Tilleman152, elle a en effet décidé que « Le principe de l’égali-té des créanciers et les articles 7 et 8 de la loi hypothécaire dérogent nécessai-rement aux articles 1134, 1135 et 1165 du Code civil, de sorte qu’une sûreté réelle non prévue par la loi est inopposable aux créanciers en concours ». Par conséquent, « Une convention de cession de créance à titre de sûreté ne peut, dès lors, jamais apporter plus aux créanciers en concours qu’un droit de gage sur cette créance, de sorte que le cessionnaire de la créance ne peut pas exercer plus de droits que ceux dont dispose un détenteur de gage »153.

Cette solution prétorienne, qui a depuis lors bénéficié d’une consécration législative154, s’inscrit dans une approche fonctionnelle du droit des sûretés

150. Cass., 27  janvier 2011, Pas., 2011, n° 79, avec les conclusions de M. l’avocat général A. HENKES  ; comp., à propos du compte ouvert par un liquidateur, Cass., 12 mars 2014, Pas., 2014, n° 201, avec les conclusions de M. l’avocat général D. VANDERMEERSCH.151. Voy. l’art. 8/1 de la loi hypothécaire inséré par la loi du 22 novembre 2013 et, à ce propos, V. SAGAERT et D. GRUYAERT, « Een nieuw wetgevend kader voor de kwaliteitsrekening », R.W., 2014-2015, pp. 522 et s.152. Cass., 17 octobre 1996, Pas., 1996, I, n° 386.153. Cass., 3 décembre 2010, Pas., 2010, n° 712, A.C., 2010, n° 712, avec les conclusions contraires de M. l’avocat général DUBRULLE, Dr. banc. fin., 2011, p. 120, note I. PEETERS, NjW, 2010, p. 834, note V. SAGAERT, R.D.C., 2011, p. 866, note M. GRÉGOIRE et L. CZUPPER, R.G.D.C., 2011, p. 497, note F. GEORGES, R.W., 2010-2011, p. 1177, note R. FRANSIS.154. Art. 62 des nouvelles dispositions du Code civil relatives aux sûretés réelles mobilières insérées par la loi du 11 juillet 2013 (non encore en vigueur). Sur cette nouvelle loi, voy. not.

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qui imprègne toute la nouvelle loi sur les sûretés mobilières155. L’une des idées de base de celle-ci est en effet que « des figures de sûreté analogues doivent avoir les mêmes effets juridiques, indépendamment de leurs diffé-rences conceptuelles »156.

Il est encore trop tôt pour mesurer toutes les implications d’une telle ap-proche. On peut cependant penser qu’une application conséquente de celle-ci impose de réexaminer l’efficacité des mécanismes préférentiels fondés sur l’autonomie de la volonté, ceux-ci demeurant permis mais ne pouvant néan-moins avoir pour effet de conférer aux créanciers des droits plus étendus que ceux dont ils pourraient bénéficier en vertu des règles ordinaires du droit des sûretés157 (lesquels incluent à mon sens les mécanismes traditionnels basés sur l’idée de connexité, tels que la compensation, l’exception d’inexécution, etc.158).

§4. Mise en commun des droits159

23. Société dénuée de la personnalité juridique. La distinction entre effets internes et effets externes du contrat présente également un intérêt pour apprécier l’incidence de l’apport de droits à une société dénuée de la person-nalité juridique sur l’exercice de ces droits.

Si l’on prend ainsi le cas d’une société momentanée, dès lors qu’elle est dénuée de la personnalité morale160, les droits qui lui reviennent se divisent, en réalité, sur la tête de ses associés161. Ceux-ci peuvent naturellement en ré-clamer conjointement l’exécution en justice, ou donner mandat à l’un d’eux

J. CATTARUZZA, « Les grands axes de la réforme des sûretés mobilières », Dr. banc. fin., 2013, pp. 183 et s.  ; J. DEL CORRAL, « Zekerheidsrechten. Stand van zaken », N.J.W., 2014, pp. 578 et s. ; W. DERIJCKE, « La réforme des sûretés réelles mobilières », R.D.C., 2013, pp. 691 et s. ; F. GEORGES, « La réforme des sûretés mobilières », Rev. dr. ULG, 2013, pp. 319 et s.155. Voy., pour plus de détails, R.  JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 222, III, pp. 456 et s.156. Exposé des motifs, Doc. parl., Ch., s.o., 2012-2013, n° 53-2463/001, p. 10 ; voy. égale-ment le Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations de garantie (www.cnudci.org), pp. 66 et s., ainsi que l’art. IX. – 1 :102 du DCFR (http://bit.ly/dcfr2009).157. Pour une application de cette approche fonctionnelle susceptible de remettre en cause l’uti-lisation de l’effet rétroactif de la condition à des fins de sûretés, voy. R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 223, pp. 458 et s.158. Le droit de rétention est d’ailleurs consacré aux art. 73 et s. de la loi sur les sûretés réelles mobilières mais ne confère au créancier rétenteur que le droit de préférence dont bénéficie un créancier gagiste (art. 76).159. Sur la problématique inverse du partage des droits, cons. P. DE PAGE, « L’opposabilité aux tiers des clauses de partage ou d’attribution du patrimoine commun – Conséquences civiles et fiscales », Rev. not. b., 2015, pp. 159 et s.160. Art. 47 du Code des sociétés.161. Voy. Cass., 10 mai 1979, Pas., 1979, I, p. 1068 ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, op. cit., n° 1230, pp. 1822 et s.

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pour ce faire. Mais qu’advient-il lorsqu’un associé agit seul et en son nom per-sonnel ? Le défendeur à l’action pourrait-il objecter que l’associé demandeur méconnaît, ce faisant, les règles de fonctionnement du contrat de société ?

Une doctrine autorisée l’a soutenu, en se fondant sur l’effet externe du contrat de société. En effet, « celui-ci prévoit une affectation des biens à un certain objet et la mise en œuvre de moyens destinés à réaliser cette affec-tation. Il s’impose non seulement aux associés en vertu de l’article 1165 du Code civil mais aussi à tous les tiers, par application du principe des effets externes des contrats (…) Il en résulte, en ce qui concerne les associés, qu’il ne peuvent prétendre faire usage des biens sociaux ou mettre en œuvre des droits sociaux en leur nom personnel s’ils n’ont pas reçu à cet effet de pouvoir de gestion ou de représentation (éventuellement en vertu des règles supplétives de l’article 36 du Code des sociétés) et uniquement en vue de réaliser l’objet social »162. Il en découlerait qu’« un associé, agissant comme tel ne peut prétendre poursuivre en justice l’exécution d’une créance faisant partie du fonds social qu’il agisse pour la totalité de la créance, même dans le cas d’une société à objet commercial, ou pour sa part virile dans celle-ci »163. L’action de l’associé qui exigerait le paiement d’une créance appartenant à la société sans y avoir été habilité par les règles internes à celle-ci devrait donc être rejetée pour le tout.

Telle n’est cependant pas la solution consacrée par la Cour de cassation. Celle-ci considère en effet que « lorsque l’un des associés d’une association sans personnalité juridique exerce une action en justice, cette action doit être accueillie pour sa part individuelle  »164. Cette dernière solution me paraît devoir être approuvée. En effet, nous avons vu que l’existence du contrat de société et des obligations qui en découlent pour les associés ne créent, en tant que tel, aucun droit dont les tiers puissent se prévaloir, à moins qu’ils puissent s’appuyer sur une règle de droit distincte qui attribue des conséquences par-ticulières à l’existence d’un tel contrat165. Or, en l’absence d’une telle règle de droit, le tiers défendeur à l’action ne peut exiger de l’associé demandeur qu’il respecte les règles de fonctionnement de la société convenues avec son co-associé. Ce faisant, en effet, il ne se contente plus d’invoquer les effets externes du contrat, mais il demande véritablement  l’exécution du contrat

162. P. VAN OMMESLAGHE, « Le droit commun de la société et la société de droit commun », Aspects récents du droit des contrats, Bruxelles, Éd. Jeune Barreau, 2001, n° 42, pp. 210 et s.163. Ibid., n° 57, pp. 232 et s.164. Cass., 7 mars 2014, Pas., 2014, n° 184 ; voy. également K. GEENS, « Procesrechtelijke en executieproblemen bij vennootschappen zonder rechtspersoonlijkheid », T.R.V., 1995, p. 353 ; B.  TILLEMAN, Proceshandelingen van en tegen vennootschappen, Antwerpen et Apeldoorn, Maklu, 1996, n° 15, p. 33 ; T. TILQUIN et V. SIMONART, Traité des sociétés, t. I, Bruxelles, Kluwer, 1996, n° 824, p. 626.165. Voy. supra, n° 6.

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de société à son profit, ce qu’il ne lui est pas permis de faire en raison du principe de la relativité des effets internes.

24. Indivision. La situation est similaire au cas où une chose indivise est donnée à bail à un locataire, y compris lorsque cette indivision est d’origine volontaire et résulte ainsi de l’acquisition en commun d’un même bien. En ce cas, l’un des bailleurs co-indivisaires peut-il exercer seul les droits découlant du bail, alors que l’article 577-2, §§ 5 et 6, du Code civil requiert en prin-cipe le concours de tous les copropriétaires pour l’accomplissement d’un acte d’administration ou de disposition sur le chose ? La réponse est en principe positive dès lors que « Ces dispositions ne sont applicables qu’entre copro-priétaires, sauf les exceptions justifiées par la nature indivisible du bail »166. Même sans l’accord de son co-indivisaire, l’un des bailleurs pourra donc réclamer seul en justice le paiement de la part du loyer qui lui revient167. En revanche, il ne pourrait provoquer seul la rupture du bail168 ni accorder seul son renouvellement169. Cette impossibilité d’agir seul résulte donc, non des effets externes du contrat d’acquisition en commun du bien, ni même du caractère indivis de ce bien, mais d’une règle de droit distincte, déduite de la nature indivisible du bail170.

Une autre question doit encore être examinée en rapport avec le contrat d’acquisition en commun d’une chose. On sait en effet que la Cour de cassa-tion considère désormais que « L’article 815 du Code civil, dont l’alinéa 1er dispose que nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et que le partage peut être toujours provoqué, nonobstant prohibitions et conventions contraires, ne s’applique pas à l’indivision volontaire à titre principal »171. En ce cas, les parties se trouvent donc en principe contraintes de rester en indi-vision tant que subsiste la convention qui a donné naissance à l’indivision,

166. Voy. Cass., 4 juin 2015, n° C.14.0479.F, avec les conclusions de M. le premier avocat géné-ral A. HENKES ; Cass., 14 février 2014, Pas., 2014, n° 121, avec les conclusions de M. le premier avocat général A. HENKES, alors avocat général ; Cass., 28 juin 2013, Pas., 2013, n° 404, pt 3, A.C., 2013, n° 404, avec les conclusions de M. l’avocat général VAN INGELGEM ; Cass., 10 octobre 1986, Pas., 1987, I, n° 77 ; Cass., 4 décembre 1941, Pas., 1941, I, p. 443.167. Cass., 4 juin 2015, n° C.14.0479.F, avec les conclusions de M. le premier avocat général A.  HENKES  ; comp. également la possibilité pour les associés d’une société momentanée de réclamer chacun leur part dans les créances de la société après la dissolution de celle-ci : Cass., 28 septembre 2015, n° C.15.0067.N, pt 1.168. Cass., 13 juin 1997, Pas., 1997, I, n° 272.169. Cass., 26 avril 2000, Pas., 2000, n° 229 ; Cass., 16 avril 1993, Pas., 1993, I, n° 183.170. Sur cette notion prétorienne d’indivisibilité du contrat et le glissement qu’elle représente par rapport à l’indivisibilité de l’obligation réglée par les art.  1222 et s. du Code civil, voy. R. JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 481, IV, p. 1055 et s.171. Cass., 20  septembre 2013, Pas., 2013, n° 467, avec les conclusions de M. le premier avocat général A. HENKES, alors avocat général, R.G.D.C., 2014, p. 487, note L. SAUVEUR, R.W., 2014-2015, p. 618, note L. DE KEYSER.

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solution fondée sur le principe de la convention-loi172. Les créanciers des parties se trouvent-ils dès lors également privés du droit de provoquer le partage  ? Tout dépend, à cet égard, de l’interprétation que l’on donne à l’article 1561 du Code judiciaire173. Si l’on y voit un simple rappel de la pos-sibilité conférée aux tiers d’exercer les droits des parties, en quelque sorte par la voie oblique, alors les créanciers sont naturellement tenus de respecter les effets internes de la convention d’indivision ; si, en revanche, cette dispo-sition confère un droit propre aux créanciers, alors l’accord conclu entre les parties ne pourrait les priver du droit de provoquer le partage174.

§5. Responsabilité en cas de violation des droits

25. Responsabilité d’un tiers envers une partie. Un tiers peut-il être tenu responsable par une partie de l’inexécution du contrat qu’il aurait provoquée ou à laquelle il aurait contribué ? La question paraît devoir être examinée à la fois sous l’angle de la faute et du dommage.

Sous l’angle de la faute, la question renvoie à la théorie de la tierce complicité175. Il est aujourd’hui acquis que le simple fait pour un tiers de contribuer à l’inexécution du contrat par l’une des parties ne constitue pas une faute. En décider autrement reviendrait en effet à lui faire subir les effets internes d’un contrat auquel il n’a pas consenti. En revanche, le tiers qui

172. Conclusions précitées, Pas., 2013, p. 1737, qui considèrent notamment que les indivisions volontaires « sont et restent soumises au droit commun des contrats, c’est-à-dire notamment au principe de la convention-loi, en sorte que, même lorsque la convention d’indivision est sous-crite pour une durée indéterminée, il ne saurait y être mis fin par application de l’article 815, mais seulement, s’il échet, moyennant le respect d’un préavis raisonnable et à la condition de respecter la volonté soit expresse soit tacite des parties de devoir maintenir l’indivision en raison du but commun ou individuel que poursuit cette indivision ». On relèvera qu’outre la résiliation d’une telle convention d’indivision (pour autant qu’elle soit conclue à dure indéterminée), la Cour de cassation a depuis lors également admis que le partage soit sollicité lorsque la clause de tontine insérée dans la convention est devenue caduque par disparition de la cause : voy. à ce propos Cass., 6 mars 2014, Pas., 2014, n° 181, A.C., 2014, n° 181, avec les conclusions contraires de M. l’avocat général VAN INGELGEM, J.T., 2015, p. 617, obs. V. WYART, Rev. not. b., 2015, p. 524, note A.-C. VAN GYSEL, R.G.D.C., 2014, p. 261, note F. PEERAER, R.W., 2013-2014, p. 1625, note D. MICHIELS.173. Celui-ci dispose, pour rappel, en son alinéa premier, que « la part indivise du débiteur ne peut être exécutée par ses créanciers personnels avant le partage ou la licitation, qu’ils peuvent provoquer ou dans lesquels ils ont le droit d’intervenir, sauf à respecter la convention d’indi-vision conclue antérieurement à la demande en partage ou à l’acte constitutif d’hypothèque ».174. Sur cette controverse, voy. L. DE KEYSER, « Hoe vrijwillig zijn de vrijwillige onverdeelhe-den », note sous Cass., 20 septembre 2013, n° 10, pp. 622 et s., et réf. citées.175. Cons. not. à ce propos T. LÉONARD, « Pour un dépassement des impasses de la théorie de la tierce complicité », R.G.D.C., 2010, pp. 2 et s.  ; J.-F. ROMAIN, « La théorie de la tierce complicité et l’équilibre des forces », Droit des obligations. Notions et mécanismes en matière de responsabilité, Bruxelles, Bruylant, 2014, pp. 53 et s.  ; S. STIJNS et F. VAN LIEMPT, « Derde mede-plichtigheid aan andermans contractbreuk  », Les rapports entre les responsabilités contractuelle et extracontractuelle, Bruxelles, la Charte et Brugge, die Keure, 2010, pp. 169 et s.

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collabore à une violation de contrat alors qu’il en avait ou devait en avoir connaissance, commet une faute aquilienne qui engage sa responsabilité sur la base des articles 1382 et 1383 du Code civil176. Quoique le contrat ne crée donc pas à lui seul d’obligations dans le chef des tiers, il constitue donc néanmoins un fait pertinent pour l’appréciation de l’existence d’une faute dans son chef177.

Si l’on admet maintenant la faute acquise dans le chef du tiers – ima-ginons par exemple, pour prendre un cas extrême, qu’il ait causé la mort d’une des parties au contrat, l’empêchant ainsi d’exécuter celui-ci –, alors il convient d’examiner si, sous l’angle du dommage, le créancier de l’obligation inexécutée peut demander réparation au tiers. La réponse est en principe affirmative. En effet, le droit belge ne connaît pas le principe de la relativité aquilienne178, et admet par ailleurs la réparation du dommage même pure-ment économique179. Il importe peu, à cet égard, que la faute du tiers ait privé le demandeur en réparation d’un gain (en empêchant par exemple son cocontractant d’exécuter le contrat) ou lui ait imposé une dépense supplé-mentaire. Dans ce dernier cas, une réserve doit cependant être faite. Cette dépense effectuée par la partie au contrat en raison de la faute du tiers – par exemple, le salaire payé par l’employeur sans contreprestation pendant la période d’incapacité de son travailleur causée par le tiers – ne constitue pour cette partie un dommage réparable que pour autant qu’il ne résulte pas du contenu ou de la portée du contrat que cette dépense doive demeurer défi-nitivement à sa charge180.

176. Voy. Cass., 12 octobre 2012, Pas., 2012, n° 527, A.C., 2012, n° 527, avec les conclusions de M. l’avocat général G. DUBRULLE ; Cass., 29 juin 2012, Pas., 2012, n° 427, et les conclusions contraires résumées à la note (1) ; Cass., 28 novembre 2002, Pas., 2002, n° 642. C’est ainsi, par exemple, que « L’inobservation par le vendeur du droit de préférence n’entraîne pas en principe la nullité du contrat de vente conclu en violation du droit de préférence. Lorsque l’acquéreur se révèle responsable de la rupture du contrat, car tiers-complice de cette rupture, et que le vendeur est également à la cause, le juge peut prononcer la nullité de la vente à titre de réparation du dommage subi par le bénéficiaire du droit de préférence à la suite de cette tierce-complicité à la rupture de contrat commise par le vendeur » (Cass., 27 avril 2006, Pas., 2006, n° 246, pt 4).177. Sur cette distinction entre effets internes et effets externes du contrat, voy. supra, n° 6.178. Cass., 4 novembre 2010, Pas., 2010, n° 654 ; R. JAFFERALI, « L’alternative légitime dans l’appréciation du lien causal, corps étranger en droit belge de la responsabilité ? », Droit de la responsabilité. Questions choisies, Bruxelles, Larcier, 2015, n° 10, p. 115.179. P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, op. cit., n° 1089, p. 1601.180. Voy. Cass., 30  janvier 2015, Pas., 2015, A.C., 2015, n°  75, avec les conclusions de M. l’avocat général C. VANDEWAL ; Cass., 4 février 2014, Pas., 2014, n° 92 ; Cass., 23 octobre 2013, Pas., 2013, n° 543  ; Cass., 24  janvier, 2013, Pas., 2013, n° 59, avec les conclusions de M. l’avocat general T. WERQUIN. Comp. avec le paiement d’une pension de survie qui ne constitue en revanche pas un dommage réparable pour l’employeur : voy. Cass., 19 juin 2015, n° C.12.0577.N. La question de savoir si, en cas d’accident subi par un enseignant relevant de l’enseignement libre subventionné, le paiement de la subvention-traitement constitue ou non un dommage dans le chef du pouvoir public, est quant à elle controversée : voy. et comp. Cass.,

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Les questions de la faute et du dommage se rejoignent enfin dans la théorie dite de l’immunité de l’agent d’exécution, qui constitue une spé-cificité – pour ne pas dire une spécialité – du droit belge. Comme on sait, celui-ci règlemente strictement la question du concours des responsabilités181, puisqu’une partie à un contrat n’est en principe pas admise à agir contre son cocontractant sur le plan extracontractuel, sauf si elle parvient à démontrer la commission d’une faute consistant en un manquement au devoir général de prudence ainsi que l’existence d’un dommage autre que celui résultant de l’inexécution du contrat182. Par exception, la responsabilité extracontrac-tuelle du cocontractant peut toujours être invoquée lorsqu’elle se fonde sur la commission d’une infraction pénale183.

Ces règles, qui aboutissent en pratique à exclure généralement tout re-cours extracontractuel entre les parties au contrat, présente toutefois éga-lement une importance dans les rapports avec les tiers, ou du moins avec certains d’entre eux. En effet, la Cour de cassation assimile l’agent d’exécu-tion d’une partie à cette partie elle-même lorsqu’il fait l’objet d’une action en responsabilité aquilienne de la part du cocontractant de cette partie184. Ainsi, par exemple, le chargeur ne pourra agir en réparation contre le pré-posé du transporteur qui aura causé par négligence la destruction de la mar-chandise, car ce dommage n’est pas étranger à l’exécution du contrat de transport185. Ici également, toutefois, la responsabilité extracontractuelle de l’agent d’exécution peut être engagée lorsqu’il s’est rendu coupable d’une infraction pénale186.

Par cette construction prétorienne, la Cour de cassation élargit donc la no-tion de partie au contrat et brouille ainsi la distinction entre effets internes et effets externes de celui-ci puisque l’agent d’exécution, quoique formellement tiers au contrat, peut néanmoins invoquer l’existence d’obligations contrac-tuelles – dont il n’est pourtant pas personnellement tenu – pour repousser l’action en responsabilité extracontractuelle introduite par l’autre partie.

5 mars 2015, n° C.14.0197.F et Cass., 7 novembre 2014, Pas., 2014, n° 679, A.C., 2014, n° 679, avec les conclusions de M. l’avocat général C. VANDEWAL.181. Cons. not. à ce propos I. CLAEYS, Samenhangende overeenkomsten en aansprakelijkheid. De quasi-immuniteit van de uitvoeringsagent herbekeken, Antwerpen, Intersentia, 2003  ; B. DUBUISSON, « Le concours des responsabilités contractuelle et extracontractuelle. Ultime ten-tative de conciliation...  », Dare la luce. Liber amicorum Hubert Bocken, Brugge, la Charte, 2009, pp. 67 et s. ; S. STIJNS, « Samenloop van civielrechtelijke aansprakelijkheidsregimes : quo vadis ? », Springlevend aansprakelijkheidsrecht, Antwerpen, Intersentia, 2011, pp. 141 et s.182. Cass., 29 septembre 2006, Pas., 2007, n° 447 ; Cass., 21 juin 2002, Pas., 2002, n° 375.183. P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, op. cit., n° 816, p. 1194.184. Cass., 1er juin 2001, Pas., 2001, n° 330.185. Cass., 7 décembre 1973, Pas., 1973, I, p. 376.186. Cass., 10 juin 2015, n° P. 15.0419.F.

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26. Suite – Invocation de la convention entre parties pour restreindre ou exclure la responsabilité du tiers. Se pose également la question de savoir si le tiers est habilité à se prévaloir des clauses d’un contrat qu’il n’a pas conclu pour prétendre exclure ou diminuer sa propre responsabilité vis-à-vis de l’une des parties au contrat. Plusieurs hypothèses doivent à cet égard être distinguées.

Il est d’abord certains cas où il est clair que le tiers ne peut se prévaloir du contrat pour échapper à sa responsabilité, car ceci reviendrait à en demander l’exécution à son profit et, ainsi, à se prévaloir de ses effets internes. C’est ainsi, par exemple, que :

– le bailleur d’une chose vicieuse, qui en a conservé la qualité de gar-dien, ne peut se prévaloir de la clause d’exonération de responsabilité insérée dans le contrat conclu avec le locataire de cette chose en vue d’échapper à sa responsabilité sur pied de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil vis-à-vis d’un tiers victime187 ;

– l’architecte ne peut se prévaloir de la clause insérée dans le cahier des charges conclu entre l’entrepreneur et le maître de l’ouvrage pour en déduire que le point de départ de sa propre garantie décennale aurait été avancé jusqu’à la réception provisoire188 ;

– un assureur ne peut opposer à la victime le résultat d’une expertise médicale amiable convenue par celle-ci avec un autre assureur pour évaluer son taux d’incapacité189 ;

– enfin, les dispositions d’un contrat de vente, interdisant à l’acheteur de refuser le paiement du prix sauf lorsque les défauts de la chose sont mentionnés dans le connaissement, ne sauraient priver un tiers de son droit de prouver la fausseté des énonciations du connaissement190.

A l’inverse, il est des cas où il est tout aussi clair que le tiers est habilité à se prévaloir des stipulations du contrat, car il ne tente pas ce faisant d’en obtenir l’exécution à son profit, mais envisage seulement celles-ci comme une donnée de fait, généralement en vue d’évaluer la hauteur du dommage réellement subi par la partie adverse. C’est ainsi que :

– des pouvoirs publics, auxquels il est reproché un trouble de voisinage provoqué par la construction du métro, peuvent tenir compte d’une indemnité que la victime de ce trouble aurait déjà perçue d’un tiers en vertu d’une convention de transaction pour l’indemniser du même dommage191 ;

187. Cass., 4 octobre 2010, Pas., 2010, n° 573.188. Cass., 22 octobre 1999, Pas., 1999, I, n° 558.189. Cass., 9 septembre 1999, Pas., 1999, I, n° 448.190. Cass., 18 avril 1997, Pas., 1997, I, n° 190.191. Cass., 27 janvier 1994, Pas., 1994, I, p. 114.

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LA DISTINCTION ENTRE LES EFFETS INTERNES ET LES EFFETS EXTERNES DU CONTRAT

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– un responsable peut se prévaloir de la subrogation consentie par la victime à un tiers pour refuser de payer à celle-ci la totalité des indem-nités auxquelles elle avait initialement droit192 ;

– pour évaluer le dommage de l’entrepreneur principal que le sous-trai-tant doit réparer, il est permis de tenir compte de l’indemnité forfai-taire due par l’entrepreneur principal au maître de l’ouvrage en vertu d’une clause pénale conclue entre eux193 ;

– il est également permis au sous-traitant de se prévaloir de la clause de non-garantie conclue entre le maître de l’ouvrage et l’entrepre-neur principal pour se défendre dans le cadre de l’action en garantie introduite par ce dernier (afin, semble-t-il, de démontrer l’absence de dommage subi par l’entrepreneur principal)194.

Certaines décisions de la Cour de cassation apparaissent cependant plus difficiles à ranger dans ce schéma. C’est ainsi qu’elle a considéré que le transporteur n’était pas habilité à opposer à l’action du vendeur, introduite à la suite d’une avarie, qu’en vertu de la vente CIP conclue par le vendeur, les risques étaient passés sur la tête de l’acheteur dès la remise des marchan-dises au transporteur, en sorte que le vendeur demeurait en droit d’exiger le paiement de la totalité du prix. Ce faisant, le transporteur ne se bornait-il pourtant pas à invoquer le contrat de vente, non pour en demander l’exécu-tion à son profit, mais comme simple fait dont il prétendait déduire l’absence de dommage dans le chef du vendeur ?195

27. Responsabilité d’une partie envers un tiers. La distinction entre effets internes et effets externes du contrat pose encore la question de savoir si l’inexécution du contrat par une partie peut engager sa responsabilité, non envers son cocontractant, mais envers un tiers.

Sous le nom de théorie de la coexistence des responsabilités, la jurispru-dence apporte à cette question une réponse nuancée196. Certes, l’inexécu-tion du contrat ne constitue pas ipso facto une faute dont un tiers pourrait se plaindre, car cela reviendrait à lui permettre de se prévaloir des effets internes du contrat. Néanmoins, cette inexécution constitue un fait juridique

192. Cass., 17  février 1992, Pas., 1992, I, p. 540. Réciproquement, le responsable ne peut refuser de reconnaître les effets de la subrogation valablement consentie pour refuser l’indem-nisation du subrogé (Cass., 25 avril 2003, Pas., 2003, n° 265). Comp. également en matière de cession de créance supra, n° 17.193. Cass., 23 octobre 1987, Pas., 1988, I, n° 110.194. Cass., 22 août 1977, Pas., 1977, I, p. 860.195. Cass., 29 octobre 2004, Pas., 2004, n° 518, et l’opinion contraire du ministère public reprise en note (2) ; comp. également Cass., 20 décembre 1991, Pas., 1992, I, p. 371.196. Cons. récemment à ce propos P. WÉRY, « Les conditions de la coexistence des responsabili-tés : quid du recours de l’organe de la société créancière contre le cocontractant de celle-ci ? », note sous Cass., 25 octobre 2012, R.G.D.C., 2015, pp. 563 et s.

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susceptible d’être pris en considération au regard d’une autre règle de droit197. Or, précisément, les articles  1382 et 1383 du Code civil interdisent, de manière générale, d’adopter un comportement incompatible avec le devoir général de prudence, ou qui constituerait la violation d’une obligation précise imposée par la loi ou le règlement. Si l’inexécution commise par une partie constitue, simultanément et indépendamment du contrat, la méconnaissance d’une telle interdiction, alors elle est également constitutive d’une faute aqui-lienne engageant la responsabilité extracontractuelle de cette partie envers le tiers198.

Pour apprécier l’existence d’une telle faute aquilienne, la jurisprudence accepte par ailleurs de tenir compte de la portée des stipulations contrac-tuelles. Ainsi, lorsque celles-ci font peser sur une partie des devoirs parti-culiers dans l’intérêt d’un tiers, en raison de l’incidence que la convention pourrait avoir sur l’information ou la sécurité de celui-ci – et ce même en l’absence d’une stipulation pour autrui au sens technique du terme –, on admettra plus aisément que la méconnaissance de ces devoirs contractuels constitue également un manquement au devoir général de prudence suscep-tible d’être invoqué par ce tiers199.

§6. Profit injuste tiré des droits

28. Enrichissement sans cause. Historiquement, la première application en droit belge de la distinction entre effets internes et effets externes fut faite dans le contexte de la théorie de l’enrichissement sans cause.

Un garde-chasse, blessé lors d’un accident, était assuré contre le décès et l’incapacité de travail – mais non pour le coût des soins proprement dits – auprès d’une compagnie d’assurance. Le médecin, l’ayant soigné avec succès mais en dehors des prévisions du contrat d’assurance, réclama néanmoins à la compagnie le paiement de ses honoraires, en alléguant qu’en soignant l’assuré, il avait épargné à la compagnie le décaissement des indemnités d’incapacité ou de décès, événements qui seraient survenus en l’absence de soins.

197. Voy. supra, n° 6.198. Cass., 25 octobre 2012, Pas., 2012, n° 568, R.G.D.C., 2015, p. 562, note P. WÉRY ; Cass., 21 octobre 2010, Pas., 2010, n° 620, avec les conclusions contraires de M. le premier avocat general A. HENKES, alors avocat général.199. Voy. X. DIEUX et D. WILLERMAIN, « La responsabilité civile du prestataire de service à l’égard des tiers », Le contrat de service, Bruxelles, Éd. Jeune Barreau de Bruxelles, 1994, nos 7 et s., pp. 225 et s. ; B. DUBUISSON, V. CALLEWAERT, B. DE CONINCK et G. GATHEM, La responsabilité civile. Chronique de jurisprudence 1996-2007, vol. 1, Bruxelles, Larcier, 2009, n° 569, pp. 479 et s. ; P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, op. cit., n° 823, pp. 1209 et s.

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La décision du juge du fond, qui avait fait droit à cette action, fut cepen-dant censurée par la Cour de cassation200. Certes, estima-t-elle, le juge du fond pouvait et devait avoir égard aux clauses de la convention conclue entre le garde-chasse et l’assureur pour déterminer si un tiers, en l’occurrence le médecin, s’était injustement appauvri au profit de l’assureur ; mais, ajouta-t-elle, il incombait alors au juge de tenir compte de l’ensemble des clauses de la convention. Or, comme on l’a dit, celle-ci excluait expressément la prise en charge des soins médicaux ; le juge du fond aurait donc dû vérifier si la prime payée par le garde-chasse n’avait pas été calculée en fonction de cette exclusion, ce qui aurait constitué une cause suffisante pour exclure l’action de in rem verso du médecin.

Au-delà de particularités de l’espèce, l’arrêt enseigne donc que c’est bien la totalité de la convention qui doit être prise en considération dans l’appré-ciation de ses effets externes201.

§7. Extinction des droits

29. Principe. De la même manière que l’existence du contrat est opposable aux tiers – et peut être invoquée par eux – à titre de fait juridique202, la fin du contrat est de même opposable aux tiers et invocable par ceux-ci. A vrai dire, l’extinction du contrat ne peut être dissociée de son existence : dès lors, en effet, que l’ensemble du contrat forme pour les tiers un tout indivisible qui leur est opposable en bloc203, le contrat n’est opposable aux tiers que dans la mesure où il existe et continue à produire ses effets à l’égard des parties.

Cette solution a été consacrée par la Cour de cassation à l’égard des diffé-rents modes de dissolution du contrat que nous allons maintenant examiner.

30. Nullité. Dès avant l’indépendance de la Belgique, notre Cour de cassation considérait que la nullité d’une vente retentissait contre le tiers sous-acqué-reur, fût-il de bonne foi, dès lors qu’on ne peut transférer à un autre plus de droits qu’on en a soi-même204. Sa jurisprudence sur ce point n’a pas varié depuis, et elle décide encore que « La circonstance que, depuis sa vente au profit de tiers de bonne foi, des droits réels tels que des droits hypothécaires ont été établis sur le bien immeuble dont le juge ordonne la restitution,

200. Cass., 27 mai 1909, Pas., 1909, I, p. 272, avec les conclusions de M. le premier avocat général TERLINDEN.201. P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 927, p. 867. Pour une autre application de cette idée d’indivisibilité, voy. Cass., 27  juin 2013, Pas., 2013, n°  400 (cassation d’une décision qui avait permis à un tiers de se prévaloir des effets externes d’une clause mais avait refusé d’apprécier si toutes les conditions prévues dans celle-ci étaient en l’espèce remplies).202. Voy. supra, n° 2.203. Voy. supra, n° 28.204. Cass., 2 juin 1826, Pas., 1826, I, p. 183. On réserve ici les mécanismes protecteurs des droits des tiers tels que la prescription acquisitive et l’article 2279 du Code civil.

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n’empêche pas ce juge pénal d’annuler le contrat de vente et ce, avec effet rétroactif »205.

Même s’il s’agit sans doute du cas le plus fréquent, on aurait tort cepen-dant de croire que la nullité ne présente d’importance dans les rapports avec les tiers que lorsqu’un acte de disposition – telle qu’une revente de la chose ou la constitution d’une hypothèque sur celle-ci, pour reprendre les deux exemples qui viennent d’être donnés – est en cause. Un arrêt du 27 novembre 1995 confirme à cet égard que l’opposabilité de la nullité du contrat aux tiers constitue un principe de portée tout à fait générale.

A la suite du licenciement d’un travailleur, un mouvement de grève fut déclenché au sein d’une entreprise. Sous la pression de celle-ci, l’employeur décida de signer avec un syndicat une convention collective de travail au terme de laquelle le travailleur licencié fut réintégré dans l’entreprise et se vit reconnaître la qualité de délégué syndical206. Mais, quelques temps plus tard, le travailleur fut à nouveau licencié. Devant les juridictions du travail, l’employeur contesta la validité de la convention collective par laquelle il avait reconnu au travailleur la qualité de délégué syndical en alléguant que son consentement aurait été entaché par le vice de violence. La cour du travail se refusa toutefois à suivre cette argumentation en relevant que le travailleur n’était pas partie à cette convention et que l’employeur s’était abstenu d’assi-gner en justice le syndicat en nullité de la convention. En d’autres termes, la cour du travail paraissait considérer qu’à tout le moins aussi longtemps que la nullité d’une convention n’avait pas été prononcée entre parties (c’est-à-dire en l’occurrence entre l’employeur et le syndicat), elle ne pouvait être invoquée à l’égard d’un tiers (en l’espèce, le travailleur).

Cette ligne de raisonnement encourut cependant la censure de la Cour de cassation. Celle-ci cassa en effet l’arrêt attaqué en décidant « qu’en règle la nullité d’une convention peut être opposée à tous ceux qui se prévalent ou sont susceptibles de se prévaloir de l’acte irrégulier »207. Il importe donc peu qu’aucune action en nullité n’ait été introduite contre le cocontractant, la nullité du contrat étant opposable aux tiers.

31. Résolution pour inexécution. Les principes qui viennent d’être énon-cés à propos de la nullité du contrat peuvent être largement transposés à

205. Cass., 3  septembre 2013, Pas., 2013, n°  413, pt  22. La nullité du contrat était donc prononcée en l’espèce à titre de mesure de restitution ordonnée par le juge répressif (art. 44 du Code pénal).206. On rappellera que, par dérogation au principe de la relativité des conventions, cette convention collective du travail affecte les droits et obligations du travailleur bien qu’il n’y soit pas partie (voy. les art. 19.4 et 51.3, d), de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions col-lectives de travail et les commissions paritaires).207. Cass., 27 novembre 1995, Pas., 1995, I, p. 1071.

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la résolution pour inexécution du contrat208. Ici également, la dissolution rétroactive du contrat est opposable aux tiers, ce qui présente une incidence non négligeable pour apprécier le sort des actes de disposition accomplis sur la chose209. Tout au plus observera-t-on que les exceptions à l’effet rétroactif dans les rapports avec les tiers sont plus nombreuses en matière de résolution que d’annulation210.

La résolution peut toutefois également présenter une incidence pour les tiers dans d’autres hypothèses. Encore faut-il cependant qu’une règle de droit distincte confère à l’égard des tiers des effets à la disparition du contrat211.

Ainsi, par exemple, la Cour de cassation a considéré qu’« En vertu de l’article 1134 du Code civil le droit au courtage trouve son origine dans la convention de courtage et non dans le contrat conclu à l’intervention du courtier » et que « La circonstance que le contrat conclu à l’intervention du courtier reste sans exécution ou que ce contrat est résolu aux torts d’une des parties à ce contrat ne prive pas, en règle, le courtier du droit au courtage convenu »212. La solution doit approuvé, dès lors que le courtier n’est pas le garant de la bonne exécution de la convention conclue par son entremise213. On voit donc que la résolution de la convention conclue à l’intervention du courtier, quoiqu’opposable au tiers-courtier en tant que fait juridique, n’entraîne pas pour autant des conséquences défavorables pour celui-ci, en l’absence de règle juridique (et, plus précisément en l’espèce, de volonté des parties au contrat de courtage) en ce sens.

Dans un ordre d’idée voisin, la résolution du contrat garanti ne peut être opposée par la caution au créancier, puisque « les engagements de la caution sont précisément prévus pour faire face à l’éventualité de l’inexécution par le débiteur principal de ses obligations »214. Bien qu’il existe en l’espèce une règle de droit – contenue à l’article 2036, alinéa 1er, du Code civil – dédui-sant des conséquences favorables pour le tiers (la caution) du contrat auquel il est demeure étranger (à savoir le contrat garanti), puisque la caution peut en règle opposer au créancier toutes les exceptions appartenant au débi-teur principal et qui sont inhérentes à la dette, cette règle est cependant

208. Sous la seule réserve que la résolution du contrat ne peut en règle être demandée que par le créancier de l’obligation inexécutée : voy. supra, note n° 106.209. On notera à cet égard que l’article 74 de la loi hypothécaire, qui consacre la règle Nemo plus juris, met la résolution et la rescision (c’est-à-dire l’annulation) sur le même pied.210. Voy. à ce propos, brevitatis causa, R.  JAFFERALI, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., nos 464 et s., pp. 1019 et s.211. Voy. supra, n° 6.212. Cass., 27 mai 2010, Pas., 2010, n° 368.213. I. DURANT et M. CLAVIE, « La vente conditionnelle, bien plus qu’une abréviation de lan-gage », La mise en vente d’un immeuble. Hommage au Professeur Nicole Verheyden-Jeanmart, Bruxelles, Larcier, 2004 n° 39, p. 11.214. Cass., 12 octobre 2000, Pas., 2000, n° 547 (somm.).

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interprétée restrictivement de manière à préserver l’effet utile du contrat de cautionnement. Aucune règle de droit ne venant en l’espèce renforcer l’effet externe du contrat garanti, la résolution de celui-ci ne suffit donc pas à per-mettre à la caution de refuser d’exécuter les engagements qu’elle a souscrits vis-à-vis du créancier.

32. Condition résolutoire. L’opposabilité aux tiers des effets de la condition résolutoire peut être illustrée par un arrêt de la Cour de cassation du 24 jan-vier 2011215.

Les faits de la cause étaient relativement simples. Le 27 mars 2001, le premier demandeur en cassation (A) céda au défendeur en cassation (B) un certain nombre d’actions dans une société cible, sous la condition résolutoire d’une faillite de cette dernière. Le 22 août 2001, ces actions furent recédées par B au second demandeur en cassation (C). Enfin, le 13 mars 2002, la cible fut déclarée en faillite, entraînant la réalisation de la condition résolutoire affectant la première cession.

Parmi les différentes actions poursuivies entre parties, il y avait notam-ment une action en paiement du prix de cette seconde cession introduite par B contre C, à laquelle le juge du fond avait fait droit. Cette décision était critiquée par le second moyen de cassation qui fut accueilli par la Cour. Si la solution ne fait pas de doute, la justification avancée mérite en revanche que l’on s’y attarde. La Cour considère en effet que, « lorsque la cession est censée résolue en raison de l’accomplissement de la condition résolutoire, le cédant est réputé être resté propriétaire de la chose. En conséquence, sous la réserve des dispositions visant la protection des tiers, les actes de disposi-tion effectués par le cessionnaire alors qu’ils étaient affectés de la condition résolutoire sont caduques [lire : caducs] » (point 5).

Ce raisonnement est détaillé dans les conclusions du ministère public (point 2.1). Celui-ci y expose que, conformément au principe de la relativité des effets internes, la convention initiale entre A et B ne peut en principe créer ni droit ni obligation dans les rapports entre B et C. Toutefois, il souligne également à juste titre que la résolution de la première convention constitue un fait juridique, et dès lors un effet externe opposable à B et C. Il en déduit dès lors, en se référant à la doctrine, que tous les droits réels consentis par l’acheteur sous condition résolutoire sont caducs (« vervallen ») en cas de réalisation de la condition, sous réserve de l’application de l’article 2279 du Code civil. Il y va de l’effet réel (« zakenrechtelijke werking ») de la condition résolutoire.

215. Cass., 24  janvier 2011, Pas., 2011, n°  64, A.C., n°  64, avec les conclusions de Mme l’avocat général R. MORTIER, T.R.V., 2012, p. 627, note B. BELLEN et R. VLEUGELS.

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A ce stade du raisonnement s’opère alors un glissement. Récapitulant les principes exposés, le ministère public conclut en effet que lorsque, comme en l’espèce, A vend un bien sous condition résolutoire à B, qui l’a à son tour revendu pendente condicione à C, alors la résolution de la vente entre A et B intervenue du fait de la réalisation de la condition a pour conséquence la caducité (« het verval ») de la seconde vente. On passe ainsi d’une caducité des effets réels de la seconde vente à une caducité de cette vente elle-même.

Ce raisonnement est doublement intéressant.

D’une part, il confirme que tant la convention conclue entre A et B que la résolution de celle-ci ne constituent pour C que des faits juridiques, en soi insuffisants pour engendrer des droits ou des obligations dans son chef. Ce n’est que parce que ces faits sont combinés avec d’autres règles de droit – en l’occurrence, l’effet erga omnes des droits réels et l’effet rétroactif de la condi-tion résolutoire – que les droits de C se trouvent affectés par répercussion216.

D’autre part, le recours à la figure de la caducité interpelle. Compte tenu de l’effet rétroactif de la condition, on aurait à vrai dire plus spontanément songé à la problématique de la vente de la chose d’autrui. En effet, A étant redevenu rétroactivement propriétaire de la chose par l’effet de la résolution de la première vente, les actions recédées par B à C constituent, dès l’origine, la vente de la chose d’autrui. Or, si la nullité d’une telle vente est certaine (article 1599 du Code civil), elle ne peut selon une jurisprudence bien ancrée être soulevée que par l’acheteur217. Sauf à interpréter les objections élevées par C contre l’action en paiement du prix introduite par B comme la volonté de soulever la nullité de cette vente par voie d’exception – ce qu’il lui est certes loisible de faire218 –, la cession conclue entre B et C aurait donc nor-malement dû être considérée comme valable. Contournant cette difficulté, la Cour préfère cependant justifier le rejet de l’action de B par la considération que la seconde vente était caduque. Le procédé est remarquable, et il illustre à quel point la théorie – au demeurant relativement récente puisqu’elle n’a été élaborée qu’à la fin des années 1980 – de la caducité du contrat par disparition de l’objet est susceptible de jouer un rôle subversif, spécialement lorsqu’elle vient remettre en cause des solutions aussi classiques que le ré-gime de la vente de la chose d’autrui219.

33. Mutuus dissensus. On citera enfin le cas où il est mis fin au contrat de commun accord entre les parties. L’extinction qui en résulte constitue

216. Voy. à ce propos supra, n° 6.217. Cass., 15 septembre 2011, Pas., 2011, n° 472, R.W., 2011-2012, p. 1515, note N. VAN HIMME ; Cass., 6 mars 1998, Pas., 1998, I, n° 125 ; Cass., 30 janvier 1941, Pas., 1941, I, p. 24.218. P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, op. cit., n° 322, p. 315.219. Voy., pour plus de details à ce sujet, R. JAFFERALI, « Prendre la caducité par disparition de l’objet au sérieux  », Le droit commun des contrat. Questions choisies, Bruxelles, Bruylant, 2016, n° 40, pp. 219 et s.

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également un fait juridique opposable aux tiers, et ce même lorsqu’elle inter-vient avec effet rétroactif.

On se référera, à cet égard, à un arrêt de la Cour de cassation du 9 mai 2003220. Dans cette affaire, la défenderesse en cassation (A) avait vendu, le 18  juillet 1985, une peinture intitulée « Sans Lendemain » au demandeur en cassation (B). Les parties avaient convenu, à cet égard, que si le défaut d’authenticité de la toile était établi par un expert, A s’engageait à restituer le prix à B. Bien que ni l’arrêt de cassation ni l’arrêt attaqué ne le constatent expressément, il semble que les parties qualifiaient toutes deux une telle clause de condition résolutoire.

Par la suite, B revendit, le 3  avril 1986, le tableau à C, en prévoyant expressément dans le contrat qu’il n’en garantissait pas l’authenticité. Celle-ci fut finalement mise en doute par un expert désigné par Sotheby’s, à telle enseigne que B et C convinrent, le 21 novembre 1990, de résoudre à l’amiable la vente intervenue le 3  avril 1986. A cet égard, l’arrêt atta-qué décide qu’en raison de la clause de non-garantie précitée, les conditions pour une résolution judiciaire n’auraient pas été remplies. Cette « résolution amiable » constituait donc plutôt un mutuus dissensus fondé exclusivement sur la volonté des parties (article 1134, alinéa 2, du Code civil).

Dans un troisième temps, B agit en « résolution » à l’encontre de A. Il semble qu’il faille comprendre que, ce faisant, il entendait se prévaloir de la condition résolutoire précitée. L’arrêt attaqué estima cependant que, par la revente du tableau intervenue le 3 avril 1986, B avait épuisé les droits qu’il prétendait tirer de la vente du 18 juillet 1985221.

B se pourvut alors en cassation. Dans la première branche du moyen, il faisait valoir que les tiers (en l’occurrence, A) ne peuvent plus se prévaloir des effets externes d’une convention (en l’espèce, la vente du 3 avril 1986 conclue entre B et C) lorsque celle-ci a cessé d’exister ; or, il serait de l’es-sence de la résolution de rétroagir, de sorte que par l’effet de la convention du 21 novembre 1990, B aurait recouvré tous ses droits sur le tableau comme si la convention du 3 avril 1986 n’avait jamais existé.

Ce grief fut accueilli par la Cour de cassation aux motifs «  que l’ar-ticle 1165 du Code civil n’empêche pas qu’un tiers se prévale de l’existence d’une convention et des effets qu’elle produit entre les parties contractantes pour se défendre contre une demande qu’une des parties forme contre lui ; que, toutefois, si la convention a cessé d’exister et si la situation qu’elle

220. Cass., 9 mai 2003, n° C.01.0010.N, Pas., 2003, n° 288. Le texte complet de l’arrêt, utile à la bonne compréhension de l’affaire, est disponible en néerlandais sur le site www.juridat.be.221. Bien que la motivation de l’arrêt attaqué ne soit pas très explicite sur ce point, il semble qu’il ait considéré que la revente du bien sans garantie d’authenticité impliquait une renoncia-tion à la condition résolutoire insérée dans la première vente.

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LA DISTINCTION ENTRE LES EFFETS INTERNES ET LES EFFETS EXTERNES DU CONTRAT

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réglait a disparu, le tiers qui est demeuré étranger à la convention ne peut plus s’en prévaloir ». En l’occurrence, dès lors que la convention du 3 avril 1986 « n’existait plus », les juges d’appel, qui se sont fondés sur l’existence de cette convention pour déclarer non fondée la demande de B, ont violé l’article 1165 du Code civil.

Comme on le voit, la Cour de cassation considère donc que la convention du 21 décembre 1990, qui avait pour objet de supprimer rétroactivement la convention du 3  avril 1986, est parfaitement opposable dans ses effets externes aux tiers, en l’occurrence A. Si la Cour ne se réfère certes pas dans sa motivation à l’opposabilité de l’effet rétroactif, ce dernier était expressé-ment invoqué dans le pourvoi.

Il est toutefois permis de se demander si les termes du problème avaient été correctement posés devant le juge du fond. Certes, la révocation de com-mun accord de la convention conclue entre B et C constituait un fait juridique opposable par B à A. Dans cette mesure, A ne pouvait donc plus se préva-loir de l’existence de la convention révoquée ni des effets que celle-ci avait produits sur le patrimoine de B et C. Il est toutefois permis de se demander si A ne se prévalait pas uniquement de la convention révoquée en vue d’en déduire l’existence d’une renonciation (tacite) à la condition résolutoire sti-pulée en faveur de B dans la première convention conclue par celui-ci avec A. Or, même si la convention entre B et C avait été révoquée, le fait même de la conclusion de cette convention demeurait constant. A n’aurait-il pu dès lors prétendre qu’il pouvait continuer à en déduire l’existence d’une renonciation certaine de la part de B, et qu’une révocation ultérieure de cette convention ne pouvait le priver sans son accord du bénéfice qu’il retirait de cette renon-ciation ?222 Ces questions, qui auraient requis une appréciation minutieuse des faits de la cause, n’ont toutefois pas été soumises à la Cour de cassation, qui n’avait dès lors pas à y répondre.

Conclusion

34. Conclusion. Au terme de ce tour d’horizon des principales applications de la distinction entre effets internes et effets externes du contrat, le lecteur pourrait avoir le sentiment de rester quelque peu sur sa faim. Il est vrai que les institutions abordées dans cette étude sont si nombreuses, variées et complexes que la plupart mériteraient un examen à part entière, certaines d’entre elles faisant d’ailleurs l’objet d’un rapport séparé publié dans le pré-sent ouvrage.

222. Comp. art. 1038 du Code civil : la révocation d’un testament déduite de l’aliénation par le testateur du bien légué subsiste même si cette aliénation est ultérieurement annulée.

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LES OBLIGATIONS CONTRACTUELLES

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La présente contribution ne prétendait cependant pas à l’exhaustivité. Mon objectif sera atteint si la formule passe-partout, selon laquelle le principe de l’opposabilité des effets externes impose au tiers de « reconnaître » voire même de « respecter » l’existence du contrat conclu par les parties, se trouve ramenée à sa juste mesure223. Si, certes, les tiers ne peuvent nier l’existence de ce fait juridique, celui-ci ne peut cependant, à lui seul, affecter – négati-vement ou positivement – leur situation juridiques. Il n’en va ainsi que dans les cas où une règle de droit distincte attribue des conséquences particulières pour les tiers à l’existence du contrat conclu entre parties. Ainsi compris, le principe de l’opposabilité des effets externes évitera que les parties puissent trop aisément porter atteinte aux droits des tiers224 ou, à l’inverse, que ceux-ci se voient trop rapidement refuser la possibilité d’invoquer le contrat conclu entre les parties pour y puiser des droits225.

223. Voy. supra, n° 6.224. Notamment, par le biais des sûretés issues de la pratique : voy. supra, nos 20 et s.225. Notamment, lorsque l’existence de la cession de créance est contestée par le débiteur cédé : voy. supra, n° 17.