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La sagesse libertine Pierre Charron Grandes lignes de la présentation du samedi 11 décembre 2010 INTRODUCTION Pierre Charron est un des premiers auteurs que l’on va appeler libertins. Il va avoir une influence importante pour les siècles qui suivirent, mais surtout il va être des plus attaqués par certains de ces contemporains. I.- BIOGRAPHIE DE PIERRE CHARRON Pierre Charron naît en 1941, à Paris. Il est le fils d’un libraire qui a eu 25 enfants de deux mariages différents. Il fait des études de philosophie à Paris. Voyons ce qu’il dit des universitaires : « Regardons un peu ceux qui font profession des Lettres, qui viennent des écoles et universités, et ont la tête toute pleine d’Aristote, de Cicéron, de Bartole (jurisconsulte italien et professeur de droit romain). Y a-t-il des gens au monde plus ineptes et plus sots et plus mal propre à toutes choses ? » Il va étudier le droit dans plusieurs villes de France et revient à Paris où il va être avocat à la cours du Parlement de Paris où il dit que le barreau est la plus et profitable école du monde. Le succès ne venant quand même pas, il fait des études de théologie et est ordonné prêtre. Il devient prédicateur, c’est-à-dire qu’il va commenter des passages de la Bible lors des messes. Le succès arrive enfin. Les évêques se le disputent pour l’avoir dans leur circonscription. Il devient théologal, c’est-à-dire qu’il va enseigner la théologie dans plusieurs villes du sud et sud-ouest de la France. Il devient aussi le prédicateur de Marguerite de Navarre, sœur du roi François 1 er et mère du futur roi Henri IV. A 35 ans, il est à Bordeaux et le parlement de Bordeaux lui fait une remontrance au sujet d’un discours qu’il a tenu, lors d’un prêche de carême, contre le Parlement. Si ça se renouvelle, il sera chassé de Bordeaux. Il assiste comme délégué au concile provincial réuni par l’archevêque de Bordeaux pour restaurer la discipline ecclésiastique et freiner les progrès de l’hérésie. S’ouvre aussi une grande amitié entre Pierre Charron et Montaigne.

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La sagesse libertine – Pierre Charron

Grandes lignes de la présentation du samedi 11 décembre 2010

INTRODUCTION

Pierre Charron est un des premiers auteurs que l’on va appeler libertins. Il va avoir une influence importante pour les siècles qui suivirent, mais surtout il va être des plus attaqués par certains de ces contemporains. I.- BIOGRAPHIE DE PIERRE CHARRON

Pierre Charron naît en 1941, à Paris. Il est le fils d’un libraire qui a eu 25 enfants de deux mariages différents.

Il fait des études de philosophie à Paris. Voyons ce qu’il dit des universitaires : « Regardons un peu ceux qui font profession des Lettres, qui viennent des écoles et universités, et ont la tête toute pleine d’Aristote, de Cicéron, de Bartole (jurisconsulte italien et professeur de droit romain). Y a-t-il des gens au monde plus ineptes et plus sots et plus mal propre à toutes choses ? »

Il va étudier le droit dans plusieurs villes de France et revient à Paris où il va être avocat à la cours du Parlement de Paris où il dit que le barreau est la plus et profitable école du monde.

Le succès ne venant quand même pas, il fait des études de théologie et est ordonné prêtre. Il devient prédicateur, c’est-à-dire qu’il va commenter des passages de la Bible lors des messes.

Le succès arrive enfin. Les évêques se le disputent pour l’avoir dans leur circonscription.

Il devient théologal, c’est-à-dire qu’il va enseigner la théologie dans plusieurs villes du sud et sud-ouest de la France.

Il devient aussi le prédicateur de Marguerite de Navarre, sœur du roi François 1er et mère du futur roi Henri IV.

A 35 ans, il est à Bordeaux et le parlement de Bordeaux lui fait une remontrance au sujet d’un discours qu’il a tenu, lors d’un prêche de carême, contre le Parlement. Si ça se renouvelle, il sera chassé de Bordeaux.

Il assiste comme délégué au concile provincial réuni par l’archevêque de Bordeaux pour restaurer la discipline ecclésiastique et freiner les progrès de l’hérésie.

S’ouvre aussi une grande amitié entre Pierre Charron et Montaigne.

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A 47 ans, il renonce à un ou deux titres plus importants dans l’Eglise et il quitte Bordeaux pour se rendre dans une toute petite ville appelé Condom, toujours dans le sud-ouest. Il fera partie de la chorale liturgique.

Il va se déplacer en France et va continuer à prêcher pour demander la paix en France. Certains disent de lui que c’est le plus grand prédicateur de France.

Devant les troubles politico-religieux entre catholiques et protestants, Charron prend d’abord parti pour la Ligue catholique.

La Ligue catholique est un regroupement de catholiques formé dans le Royaume de France en réaction à deux textes de loi royaux jugés tous deux trop favorables aux protestants.

Des troubles politiques suivirent et des barricades ont lieu à Paris. Ce parti devint radicalement anti-protestant.

Charron s trouvait à Angers, et devant les exactions de la Ligue, il prend beaucoup de distance vis-à-vis de ce parti.

Après ces troubles politico-religieux il souhaite devenir moine et demande à deux ordres monastiques de l’accepter. Leur manque de réponse lui fait comprendre qu’ils ne veulent pas de lui.

Il retourne à Bordeaux et continue son amitié avec Montaigne. A 52 ans, il publie à Bordeaux Les trois vérités contre les athées, idolâtres et juifs (existence de Dieu, vérité du Christianisme, vérité du Catholicisme).

L’année d’après, il publie Les Discours chrétiens.

A 54 ans, il est élu député à l’assemblée du clergé qui se tiendra à Paris.

C’est en 1601 qu’est publié son ouvrage majeur De la sagesse, ou Traité de la sagesse en trois livres. Ce livre sera mis à l’index par l’Église quatre ans plus tard.

Le 16 novembre 1603, il a une attaque d’apoplexie en plein Paris et meurt.

Ce livre sera parfois comparé aux Essais de Montaigne. II.- LE PÈRE FRANÇOIS GARASSE

Dès le début du XVIIe siècle les pouvoirs religieux et civils sont inquiets. D’après l’Église et un grand nombre de personnes, en plus de la menace de la scission protestante, appelée la Réforme, les débordements, les obscénités, les impiétés et les hérésies sont nombreuses. Il faut réagir vite et avec fermeté.

Le plus représentatif sans doute de ce combat contre les ennemis de la foi est le père François Garasse. Il était jésuite devenu fameux par ses discours de polémiste.

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Il a d’abord été prédicateur, mais il est éloigné de cette fonction par ses supérieurs en raison de la violence extravagante de ses sermons.

Il se met alors à écrire des pamphlets où il attaque frontalement et violemment, avec insultes et calomnies, les libertins et protestants, les ennemis des jésuites et ses adversaires personnels, qu'ils soient vivants ou morts.

Ils les vouent aux flammes de l'enfer ou du bûcher. Son ouvrage le plus marquant est la Doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps, ou prétendus tels, contenant plusieurs maximes pernicieuses à la religion, à l'État et aux bonnes mœurs, combattue et renversée par le père F. Garasse de la Compagnie de Jésus (1623).

Sous la plume de Garasse, la réputation de Pierre Charron est exécrable.

Garasse se régale en insultes et en formules assassines. Charron est comparé à un « toucan pour n’avoir que le bec et la plume », plus loin il devient « une vieille roue cassée, déglinguée ». Garasse dit aussi de Charron qu’il est un âne, un pourceau, un lâche, un poltron, un tavernier, etc.

Il emploie aussi des termes pour qualifier Charron : « idolâtre », « hérésiarque », « épicurien », et même un cran au-dessus « athéiste » et « libertin ».

Le père Garasse continue, il attaque Charron sur sa vie privée et ses mœurs. Il veut en faire un athée, le prince immoral des libertins, il va donc être épicurien, pourceau d’Épicure.

Charron fait l’éloge de la continence et de la chasteté, mais seulement pour ceux qui vouent leur vie à Dieu.

Il vit avec un autre prêtre et sa nièce à Condom durant plusieurs années. On ne connaît aucun problème par rapport à ça.

Garasse va dire de lui qu’il est un amateur de petits garçons, un coureur de jupons et de filles, etc.

Dans un comportement qui se veut épicurien, Charron théorise le refus du luxe, du superflu, puis il dit que les besoins naturels et nécessaires doivent être satisfaits. Prenant l’exemple du vêtement, il dit qu’il doit permettre de protéger du froid et des intempéries, et va même critiquer les soies, les perles, les tissus précieux.

Garasse, lui, dit du mal de Charron comme quoi il était vêtu d’un long manteau de taffetas gris sur une soutane de la même couleur et du même textile, avec col en fourrure de castor, etc.

Il habitait dans un endroit chic et cher, meublé d’une manière provocante graâce aux belles sommes qu’il gagnait avec ses prédications.

Or sa maison est un lieu philosophique, une sorte de Jardin d’Épicure. Sur la porte de sa maison était écrit : Je ne sais. III.- PORTRAIT D’UN SAGE

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Chrétien, Charron l’a été, mais pas comme l’Église l’entend. Il l’a été comme un

philosophe qui pense sa foi. Dans son livre Les trois vérités, il proclame le catholicisme comme vérité du christianisme.

En raison de leur amitié, on a fait de Charron un pale copieur ou imitateur de Montaigne. Le « lourd » Hegel en fait même avec Montaigne, non pas des philosophes, mais des personnes à classer dans la culture générale.

Comme il avait écrit au dessus de la porte de sa maison « Je ne sais », beaucoup de commentateurs en font une mauvaise copie du « Que sais-je » de Montaigne, disant que Charron appauvrit le message de Montaigne et qu’il ne l’a pas compris.

Or Charron veut ici insinuer que les certitudes s’obtiennent difficilement, avec prudence. Toute vérité paraît fragile. Le doute a une fonction de recherche, de découverte, et non une fonction de tout rendre à néant.

L’époque contemporaine adore mettre des étiquettes dans toutes choses, et en philosophie aussi. Comme Montaigne, Charron est à la fois : - stoïcien - cynique - épicurien - sceptique

Aux stoïciens, il emprunte l’idée que la Raison, le Cosmos et la Nature sont identiques. L’idée que la totalité de ce qui est vivant est traversée par une puissance, une force, une énergie qui le fait être.

Il emprunte l’idée qu’un genre de Dieu est identifiable à la Nature et au Cosmos, ce qui n’a rien à voir avec le christianisme.

Il prend aussi au stoïciens cette maxime qu’il fait sienne : « Supporte et abstiens-toi ».

Aux philosophes cyniques il emprunte l’idée que les lois de la nature sont excellentes et que les animaux ont beaucoup de choses à nous apprendre.

Les stoïciens et les épicuriens partagent l’idée que la liberté coïncide avec l’obéissance à la nécessité, au déterminisme, aux lois de la nature.

Voie royale pour parvenir au bonheur, à la sagesse : demander à la nature comment on doit se comporter, ce que l’on peut et doit faire. Contre la conception chrétienne qui soumet l’animal à l’homme, Charron défend l’idée d’une différence non pas de nature, mais de degré avec les animaux.

Darwin donnera à cette hypothèse sa formulation scientifique.

On doit aussi cette grande idée à Charron et à Montaigne : souvent, les animaux montrent une grandeur supérieure aux hommes. Eux n’enlèvent pas la vie pour le plaisir de mettre à mort, ils ne prennent pas du plaisir à provoquer douleur et souffrance. Ils tuent pour manger, ce qui fait qu’ils sont beaucoup moins cruels que les hommes.

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Enfin à Épicure et aux épicuriens il reconnaît et emprunte la rigueur,

la’austérité, la droiture, l’honnêteté, la tempérance et la moralité de celui qu’il appelle « le grand docteur de volupté (plaisir) ».

Il fait aussi référence au Tetrapharmakon ou le « quadruple remède » d’Épicure. 1. Les dieux ne sont pas à craindre 2. La mort n’est pas à craindre 3. On peut atteindre le bonheur 4. On peut supprimer la douleur

Revenons à l’époque où Charron est théologal à Bordeaux. Un jour de juillet 1586, Montaigne offre à Charron un livre de l’Italien Bernardino Ochino intitulé Le Catéchisme ou la véritable institution chrétienne (1561).

Ce Bernardino Ochino a une vie intrigante. Ce moine franciscain devenu capucin est un prédicateur hors pair. Il se convertit au protestantisme mais ne démissionne pas de son poste de prêtre pour continuer à prêcher, mais sa nouvelle religion réformée.

Vie bien mouvementée pour ce religieux qui sera pasteur en Suisse, se mariera, aura des enfants, puis deviendra veuf et mourra dans une communauté anabaptiste (courant du protestantisme) en Europe centrale.

L'anabaptisme est le courant protestant qui prône un baptême volontaire et conscient, à un âge où la personne est en mesure de comprendre l'engagement qu'elle prend.

Que dit ce livre d’Ochino : il plaide pour l’abolition de la peine de la mort, mais surtout pour la séparation des registres spirituels et temporels, du pouvoir religieux et pouvoir politique.

L’idée n’est pas neuve, puisqu’un autre italien va le soutenir deux siècles avant Ochino. Cette idée va être attaquée par l’Église et ceux qui la défendent vont être traités de mauvais croyant, d’infidèle, d’athée. Or il s’agit ici de laïcité. CONCLUSION

Pierre Charron va défendre dans son livre De la sagesse une joie d’exister, il va défendre une théologie immanente. Dieu existe, mais il est identique à la Nature, il est la Nature.

Et comme le soutenait 2000 ans avant lui Épicure, Lucrèce et les épicuriens, Dieu n’est pas à craindre, il n’est pas un danger pour les hommes, il n’est pas une menace permanente dans la vie quotidienne.

Donc Charron propose une morale joyeuse et éloignée de toute peur. Aujourd’hui encore ce philosophe peut nous apporter beaucoup, qu’on soit religieux ou athée.