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CONFERENCE DE PRESSE DU MERCREDI 20 DECEMBRE 2000 Bonjour à toutes et à tous, merci de votre présence et de votre intérêt. Tout d'abord des excuses : cela fait quelques temps que certains évoquent la création d'une association de défense des victimes de l'amiante en Belgique, sans que celle-ci ait formellement vu le jour. C'est que nous ne faisions pas mystère de notre projet quand on nous interrogeait à ce sujet ; mais peut-être n'étions nous pas habitués au rythme auquel travaillent les media et nous étions un peu surpris qu'on nous relance plusieurs fois alors que l'affaire n'était pas encore faite. Nous sommes tous des bénévoles, nous préparions cette association en dehors de nos heures de travail, et nous souhaitions qu'elle voie le jour dans les meilleures conditions, voilà qui explique peut-être l'apparente lenteur avec laquelle nous avons avancé. Aujourd'hui, au moment où l'ABEVA se concrétise enfin, nous voulons y associer tout particulièrement le souvenir de deux d'entre elles, Françoise et Luc qui, 1es premiers, ont eu le courage de porter l'affaire de l'amiante sur la place publique et devant les tribunaux. Comme bien d'autres, ils sont décédés depuis. L'association dont ils souhaitaient ardemment la naissance promet, s'engage, se donne pour mission, de continuer leur combat. Pourquoi une association de défense des victimes de l'amiante en Belgique alors qu'aujourd'hui l'amiante est pratiquement banni des pays européens ? Et bien, parce que si l'amiante est aujourd'hui presque totalement banni de la production et de la consommation, l’amiante persi ste indéfiniment dans le corps. Le nombre de ses victimes est appelé à augmenter. Il va augmenter parce que les délais d'apparition des maladies de l'amiante peuvent être assez longs et parce que ces maladies sont de plus en plus connues, malgré encore de grosses lacunes dans le système médical. Le nombre de victimes de l'amiante est aujourd'hui sous-estimé en Belgique, pour les raisons suivantes : Les critères de reconnaissance par le FMP (Fonds des Maladies Professionnelles) entraînent une sous-estimation du nombre de victimes professionnelles. D'abord parce que les critères de reconnaissance du Fonds peuvent entraîner le rejet de postulants qui ont, très probablement été contaminés directement dans leur travail. Ensuite, parce que beaucoup ont été déclarées très tard parce que la médecine du travail liée à leur entreprise était inadaptée. D'autres ne se déclarent tout simplement pas parce qu'ils se méfient des taxes prélevées sur les indemnisations. D'autres encore, même quand ils sont pensionnés, ont été liés par de telles attaches avec leur entreprise qu'ils préfèrent nier la maladie qui les touche : faire valoir leurs droits constituerait pour eux une remise en question trop difficile de tout leur passé, et il est trop dur d’entrer dans un système d'évaluation et d'examens médicaux qui absorberait une partie de leur tranquillité et du temps

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Conférence de presse du 20 décembre 2000_ ABEVA, Association de défense des victimes de l'amiante en Belgique

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CONFERENCE DE PRESSE DU MERCREDI 20 DECEMBRE 2000

Bonjour à toutes et à tous, merci de votre présence et de votre intérêt.

Tout d'abord des excuses : cela fait quelques temps que certains évoquent la création d'une association de défense des victimes de l'amiante en Belgique, sans que celle-ci ait formellement vu le jour. C'est que nous ne faisions pas mystère de notre projet quand on nous interrogeait à ce sujet ; mais peut-être n'étions nous pas habitués au rythme auquel travaillent les media et nous étions un peu surpris qu'on nous relance plusieurs fois alors que l'affaire n'était pas encore faite. Nous sommes tous des bénévoles, nous préparions cette association en dehors de nos heures de travail, et nous souhaitions qu'elle voie le jour dans les meilleures conditions, voilà qui explique peut-être l'apparente lenteur avec laquelle nous avons avancé.

Aujourd'hui, au moment où l'ABEVA se concrétise enfin, nous voulons y associer tout particulièrement le souvenir de deux d'entre elles, Françoise et Luc qui, 1es premiers, ont eu le courage de porter l'affaire de l'amiante sur la place publique et devant les tribunaux. Comme bien d'autres, ils sont décédés depuis. L'association dont ils souhaitaient ardemment la naissance promet, s'engage, se donne pour mission, de continuer leur combat.

Pourquoi une association de défense des victimes de l'amiante en Belgique alors qu'aujourd'hui l'amiante est pratiquement banni des pays européens ?

Et bien, parce que si l'amiante est aujourd'hui presque totalement banni de la production et de la consommation, l’amiante persiste indéfiniment dans le corps. Le nombre de ses victimes est appelé à augmenter. Il va augmenter parce que les délais d'apparition des maladies de l'amiante peuvent être assez longs et parce que ces maladies sont de plus en plus connues, malgré encore de grosses lacunes dans le système médical.

Le nombre de victimes de l'amiante est aujourd'hui sous-estimé en Belgique, pour les raisons suivantes :

Les critères de reconnaissance par le FMP (Fonds des Maladies Professionnelles) entraînent une sous-estimation du nombre de victimes professionnelles.

D'abord parce que les critères de reconnaissance du Fonds peuvent entraîner le rejet de postulants qui ont, très probablement été contaminés directement dans leur travail.

Ensuite, parce que beaucoup ont été déclarées très tard parce que la médecine du travail liée à leur entreprise était inadaptée.

D'autres ne se déclarent tout simplement pas parce qu'ils se méfient des taxes prélevées sur les indemnisations.

D'autres encore, même quand ils sont pensionnés, ont été liés par de telles attaches avec leur entreprise qu'ils préfèrent nier la maladie qui les touche : faire valoir leurs droits constituerait pour eux une remise en question trop difficile de tout leur passé, et il est trop dur d’entrer dans un système d'évaluation et d'examens médicaux qui absorberait une partie de leur tranquillité et du temps

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qui leur reste à vivre. Parfois aussi ils pourraient perdre des avantages extralégaux ou privés que leur attribue leur entreprise, actuelle ou ancienne…

Et enfin, last but not least, les délais de prescription sont tels, comparés aux délais de latence de plusieurs maladies de l'amiante avant qu'elles se déclarent, que certaines victimes ne peuvent plus faire valoir leurs droits.

Mais il y a aussi les victimes professionnelles non couvertes par le FMP.

Pour les salariés, il s'agit notamment d'une grande partie des agents du secteur public, des membres des forces armées, des cheminots, etc.… Même si les maladies de l'amiante peuvent être reconnues et indemnisées chez eux, cela présente beaucoup plus de difficultés.

Et puis il y a tous les indépendants qui ne relèvent pas du FMP. Tous les indépendants des professions de la construction et d'autres professions qui sont en contact d'une façon ou d'une autre avec l'amiante déposé antérieurement (chauffagistes, électriciens, garagistes, etc.…)

Il y a les victimes potentielles d'une "contamination passive",

soit essentiellement ceux dont la profession ne les met pas en principe en contact avec l'amiante, mais qui le sont tout simplement parce qu'ils travaillent dans des locaux où l'amiante est présent de façon très dégradée. C'est évidemment le cas d'employés de bureaux ou techniciens de services, publics ou privés, c'est le "type Berlaymont". On voit tout de suite les raisons pour lesquelles il peut y avoir une sous-estimation des maladies de l'amiante qui les affecteraient : il faut d'abord tout simplement y penser ! Et les procédures de reconnaissance éventuelle par le FMP sont très difficiles dans ces cas (cfr. les listes de secteurs et de fonctions retenues par le FMP, qui ne s'appliquent pas dans ces cas).

Il y a enfin les victimes "environnementales pures",

ce qui constitue aussi une forme de contamination passive : riverains d'entreprises qui fabriquaient des produits à base d'amiante, membres des familles des travailleurs de l'amiante qui peuvent avoir été atteints de façon indirecte par les effets du travail du conjoint ou du parent (poussières sur les vêtements ou les cheveux). On pressent ici aussi les raisons pour lesquelles il peut y avoir une sous-estimation importante : il faut d'abord diagnostiquer, il faut ensuite penser faire le lien, même des années après si on a quitté les lieux, il faut pouvoir faire valoir ses droits alors qu'il n'existe aucun dispositif ou aucune disposition légale particulière permettant de prendre en compte ce type de victimes, sauf à utiliser le droit civil commun de la réparation, ce qui est très difficile, on le verra plus loin.

Il n'y a pas de registre du mésothéliome en Belgique, qui permette une recension exhaustive de tous les cas de ce type de cancer (de la plèvre ou du péritoine) presque à 100 % lié à l'amiante.

Le nombre de victimes va vraisemblablement augmenter dans les vingt années à venir.

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Les perspectives épidémiologiques sont inquiétantes en Europe pour les cancers liés à l'amiante, que ce soient les mésothéliomes (cancers de la plèvre et /ou du péritoine) spécifiquement liés à l'amiante.) ou les cancers du poumons. Pour les premiers, l'épidémiologiste anglais Julian Peto, se basant sur les données de six pays d'Europe Occidentale ( U.K., Italie, France, Pays-Bas, Allemagne et Suisse ) avance le chiffre de 250.000 décès en Europe de l'Ouest d'ici à 2030. (Lancet 30 janvier 99 ). Julian Peto estime qu'il y a au moins autant de cancers du poumon dus à l'amiante que de mésothéliomes ; le total cumulé serait donc de cinq cent mille décès par cancers de l'amiante en trente ans. Le pic serait atteint vers 2020.

En Suède, une étude du Journal de médecine professionnelle et environnementale estime que "l'incidence annuelle du mésothéliome pleural attribuable à l'exposition professionnelle à l'amiante est aujourd'hui plus grande que tous les accidents professionnels mortels en Suède". Le Journal relève aussi que l'amiante utilisé en suède est à 90 pour-cent l'amiante chrysotile, pourtant présenté par l'industrie comme peu nocif.

En Grande Bretagne, les syndicats estiment que l'amiante est devenu la première cause des décès liés à une maladie du travail : 4000 personnes au total en meurent aujourd'hui (raisons professionnelles et non professionnelles) et l'amiante, estiment-ils, sera dans vingt ans la première cause de décès des hommes de moins de 65ans, dont 3000 mésothéliomes par an (estimation J. Peto).

En Belgique, si on prend les dernières données comparables disponibles, c'est à dire celles de 1995, Le Fonds des maladies professionnelles a reconnu cette année là 35 mésothéliomes. La même année selon les chiffres de l'INS, c'est à dire les certificats de décès, il y a eu 125 décès par mésothéliome pleural et 36 par tumeurs du péritoine. On voit donc clairement que beaucoup de malades ne sont pas reconnus et donc pas indemnisés. Plus grave encore, les mésothéliomes sont sous-diagnostiqués. En 1995, 1000 mésothéliomes ont été identifiés au Royaume Uni. Or à la belle époque de l'amiante, c'est à dire à la fin des années 70, les quantités travaillées en Belgique étaient proportionnellement plus élevées, 8 kg par an par habitant contre 3 au Royaume-Uni. Pour les cancers du poumon c'est encore pire : en 1995, seuls 13 cas ont été reconnus par le Fonds comme provoqués par l'amiante. Alors que suivant les estimations de Peto l'amiante aurait pu en provoquer au moins 150. Par ailleurs, des travaux faits à l'hôpital Erasme ont montré que sur 100 cancers du poumon analysés, 10 % avait une charge en amiante telle qu'elle aurait pu entraîner une reconnaissance pour maladie professionnelle. Si ce pourcentage est appliqué aux décès par cancers du poumon relevés par l'INS en 1995, soit 6707, c'est près de 700 morts par cancer du poumon qui ont eu à tout le moins l'amiante comme cofacteur.

Quels que soient les chiffres disponibles en Belgique, notre pays connaîtra comme les autres une augmentation du nombre des décès prématurés dus à l'amiante qui pourrait atteindre de 1200 à 1500 cas pour les seuls mésothéliomes et cancers du poumon autour des années 2010 à 2020 – c'est une estimation basse. Et cela évidemment sans compter les asbestoses qui continuent à provoquer des décès précoces au terme d'une maladie éprouvante et invalidante, ni d'autres affections (certains autres types de cancers par exemple) dans lesquelles on peut penser que

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l'amiante a joué en rôle sans que la preuve scientifique formelle en ait été apportée jusqu'ici.

Ces données montrent l'urgence d'une large prise en charge. Si les difficultés de reconnaissance de ces maladies et l'insuffisance des dispositifs de prise en charge et d'indemnisation persistent, alors nous allons droit vers une situation grave et terriblement injuste pour des milliers de personne. Un grave problème de responsabilités va se poser

La première responsabilité est celle des entreprises productrices d'amiante ou de produits à base d'amiante qui ont longtemps tenu les travailleurs et le public dans l'ignorance de ses effets nocifs. La recherche historique, la littérature existante, les procès qui se sont multipliés dans différents pays ont donné lieu à la révélation de nombreuses informations, ont démontré à suffisance cette responsabilité. Bon nombre de ces entreprises ont soit disparu, soit changé de nom, soit se sont délocalisées. Il n'est cependant pas impossible pour autant de les retrouver. Il y a aussi les entreprises qui ont utilisé l'amiante, qui ne le font plus aujourd'hui, mais qui sont toujours là. En Belgique, la responsabilité de ces entreprises n'a pratiquement jamais été mise en cause sérieusement. A notre connaissance, et c'est une première, seule Françoise Jonckheere (victime "environnementale" décédée depuis, mais l'action en justice a été reprise par ses enfants) vient de récemment mettre en cause l'entreprise Eternit dans une action civile qui est en cours. Pour les victimes professionnelles couvertes par le FMP, la responsabilité de ces entreprises est diluée, mutualisée dans celle de toutes les entreprises via le système des cotisations des employeurs au FMP.

Par ailleurs, la responsabilité de l'Etat peut être questionnée. D'abord du fait qu'il est l'employeur dans certains des secteurs mentionnés plus haut ou encore le propriétaire et le gestionnaire de nombreux bâtiments publics où certains risques pourraient se présenter. Mais aussi, en tant que pouvoir régulateur, à cause de l'insuffisance des systèmes de prévention, de précaution, de contrôles publics, dont il est censé être le garant. Cependant, les industriels de l'amiante ne peuvent se dégager de leurs responsabilités en s'abritant derrière la carence et l'impéritie des pouvoirs publics. D'autant plus que le lobbying de l'industrie, notamment par les pressions multiples sur la communauté scientifique et les experts, comme l'histoire de l'amiante le montre, a pu aussi induire les pouvoirs publics en erreur sur les urgences qu'il y avait à agir. Malgré ces réserves, l'état devra aussi assumer sa part de responsabilité.

La prise en charge et les recours possibles sont très limités et, pour beaucoup de futures victimes, quasi inexistants en Belgique.

On a vu les problèmes de sous-estimation. La seule prise en charge véritable est aujourd'hui celle du FMP, pour une catégorie de personnes, une partie des victimes professionnelles atteinte d'asbestose le plus souvent. Et encore faut-il signaler que l'indemnisation a aussi ses limites. Les montants sont relativement faibles, une partie du préjudice seulement est prise en charge (la perte de capacité économique) et non le préjudice intégral, le conjoint ou la famille ne sont pas pris en compte sauf en cas

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de décès. En outre, lorsqu'on relève du FMP, il est quasi impossible d'entreprendre avec succès une procédure devant les tribunaux en vue d'obtenir une réparation complémentaire. Il faut en effet prouver une "faute intentionnelle" de l'employeur très difficile à établir. Par le passé, cette catégorie de travailleurs et de maladie, essentiellement l'asbestose, constituait la majorité des cas. D'autres affections, d'autres catégories de victimes vont s'accroître.

Le droit existant n'offre dans ces cas là d'autres recours que celui d'une procédure civile en réparation qui implique l'établissement d'un lien de cause à effet sujet à bien des vicissitudes. La durée et le coût de telles procédures sont aussi évidemment un obstacle considérable. Dans certains pays ont été mis sur pied d'autres systèmes d'indemnisation, qui passent par des formules extrajudiciaires ou en dehors des systèmes d'indemnisation pour maladies professionnelles. Il peut s'agir de systèmes de médiations ou de réparations, alimentés par un Fonds d'indemnisation amiante spécifique. Cfr. le cas des Pays-Bas ou ce qui se prépare en France. Ces Fonds sont financièrement alimentés par les entreprises et l'Etat. Ces formules sont à étudier de près, toutes ne sont pas parfaites non plus.

Les entreprises et l'Etat doivent être mis face à leurs responsabilités : un grave et important problème de réparations va se poser et ira en s'accroissant dans l'avenir. Comme ce qui se passe déjà dans d'autres pays, les contentieux vont se multiplier.

CONCLUSION

Face à une telle situation, constat de carence pour la Belgique, nous avons estimé qu'une Association de défense des victimes de l'amiante devait voir le jour. Elle veut que l'on reconnaisse officiellement la réalité et la gravité des atteintes à la santé de nombreuses personnes provoquées par l'amiante, et que l'on dépiste correctement toutes les victimes de l'amiante. L'Association appelle celles-ci à se manifester et à demander réparation. Elle demande une réparation intégrale de leur préjudice. Elle veut se battre pour accroître et améliorer les voies de recours possibles des victimes en vue de cette réparation. Elle demande la création, pour toutes les victimes non couvertes aujourd'hui, de nouveaux dispositifs permettant leur prise en charge et la réparation de leur préjudice. Elle veut prévenir et éviter la répétition des problèmes posés par l'amiante dans l'avenir, notamment par une surveillance très rigoureuse des chantiers de désamiantage. L'Association aidera de diverses manières les victimes à faire valoir leurs droits. Elle demande évidemment l'interdiction définitive et totale de l'amiante.

On trouvera ci-après une présentation pratique de l'association et de ses activités, ainsi qu'un premier cahier de revendications qu'elle présente dès aujourd'hui aux pouvoirs publics.

ABEVA C/o Fondation contre le Cancer Chaussée de Louvain, 479 1030 Bruxelles

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