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Campagnes solidaires I N° 191 Novembre 2004 Dossier « Nous sommes tous des victimes de la mondialisation, assujettis à l’hégémonie des centrales d’achat qui dictent les prix, la manière de produire, de conditionner, et de commercialiser nos produits. Nous ne connaissons pas les 35 heures. Le travail est dur, ingrat et n’est pas rémunéré à sa juste valeur. » Telle est la litanie du paysan contemporain. La difficulté de survivre et la disparition des petits paysans nous amènent à pleurer sur leur sort. Mais simultanément, l’acceptation d’un système de dépendance à base de subventions favorise l’industrialisation et la concentration de l’agroalimentaire. Nous cédions aux chants des sirènes de la machine, de la technicité, de la croissance exponentielle pour ne pas être balayés par la compétition. Nous avons rasé les haies, fait le vide hygiénique à coup de pesticides et nous nous sommes endettés dans la course au dernier cri de la tractorisation. Nous pensions contribuer ainsi à la future prospérité paysanne. Évidemment, nous étions poussés dans cette fuite en avant par les gouvernements successifs, le grand syndicat paysan et les experts scientifiques qui nous promettaient un âge d’or. Mais il nous a fallu déchanter rapidement et changer de direction. La foi inébranlable dans la modernité, dans le progrès infaillible, dans l’instrumentalisation de l’univers par l’homme, commence à être ébranlée. L’homme apprenti sorcier omniscient, capable de manipuler la nature, de créer des substituts génétiques du vivant, de vaincre les maladies est un mythe réfuté par les endémies et les pathologies inhérentes à son mode de vie insouciant des dégâts qu’il génère. C’est dans ce contexte de crise que l’on doit comprendre l’immigration. «Ils voulaient de la main d’œuvre et des hommes sont venus» (1) . Nous avons donc invité chez nous ces machines humaines : elles ne se syndiquent pas, ne rechignent pas aux heures supplémentaires, hésitent à déclarer leurs accidents de travail. Il n’est pas nécessaire de les amortir, celles qui se détraquent et s’usent sont remplacées sans autre forme de procès. Point n’est besoin de loisirs, de culture pour ces robots. Leur vie est ailleurs... En France, on a créé les “contrats OMI”, procédure administrative qui permet de mettre des ouvriers soumis à disposition des employeurs. Cela fonctionne dans les Bouches-du-Rhône depuis trente ans et ce modèle commence à contaminer d’autres départements. On a même vu des producteurs, très souvent industriels, se recommandant de l’agriculture biologique, oublier, dans leur course au profit, non seulement le respect de l’environnement mais aussi celui de leur personnel. Si le problème de l’exploitation n’est pas spécifiquement paysan, la justification elle, qui allègue de la fatalité “On ne peut pas faire autrement… !” traverse tous les régimes politiques. Peter Gerber (1) Max Frisch, écrivain suisse Migrations et agriculture Mondialisation des errances Mondialisation des errances

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Campagnes solidaires I N° 191 Novembre 2004

Dossier

« Nous sommes tous des victimesde la mondialisation, assujettis àl’hégémonie des centrales d’achatqui dictent les prix, la manière deproduire, de conditionner, et decommercialiser nos produits. Nousne connaissons pas les 35 heures. Letravail est dur, ingrat et n’est pasrémunéré à sa juste valeur. » Telleest la litanie du paysancontemporain.La difficulté de survivre et ladisparition des petits paysans nousamènent à pleurer sur leur sort.Mais simultanément, l’acceptationd’un système de dépendance à basede subventions favorisel’industrialisation et laconcentration de l’agroalimentaire.Nous cédions aux chants des sirènesde la machine, de la technicité, dela croissance exponentielle pour nepas être balayés par la compétition.Nous avons rasé les haies, fait levide hygiénique à coup depesticides et nous nous sommesendettés dans la course au derniercri de la tractorisation. Nouspensions contribuer ainsi à lafuture prospérité paysanne.Évidemment, nous étions poussésdans cette fuite en avant par lesgouvernements successifs, le grandsyndicat paysan et les expertsscientifiques qui nous promettaientun âge d’or. Mais il nous a falludéchanter rapidement et changerde direction. La foi inébranlable dans la modernité, dans le progrèsinfaillible, dans l’instrumentalisation de l’univers parl’homme, commence à être ébranlée. L’hommeapprenti sorcier omniscient, capable de manipuler lanature, de créer des substituts génétiques du vivant, devaincre les maladies est un mythe réfuté par lesendémies et les pathologies inhérentes à son mode devie insouciant des dégâts qu’il génère. C’est dans ce contexte de crise que l’on doitcomprendre l’immigration. «Ils voulaient de la maind’œuvre et des hommes sont venus»(1) . Nous avonsdonc invité chez nous ces machines humaines : elles nese syndiquent pas, ne rechignent pas aux heuressupplémentaires, hésitent à déclarer leurs accidents detravail. Il n’est pas nécessaire de les amortir, celles quise détraquent et s’usent sont remplacées sans autreforme de procès. Point n’est besoin de loisirs, de

culture pour ces robots. Leur vie est ailleurs...En France, on a créé les “contrats OMI”, procédureadministrative qui permet de mettre des ouvrierssoumis à disposition des employeurs. Cela fonctionnedans les Bouches-du-Rhône depuis trente ans et cemodèle commence à contaminer d’autresdépartements. On a même vu des producteurs, très souventindustriels, se recommandant de l’agriculturebiologique, oublier, dans leur course au profit, nonseulement le respect de l’environnement mais aussicelui de leur personnel. Si le problème de l’exploitationn’est pas spécifiquement paysan, la justification elle,qui allègue de la fatalité “On ne peut pas faireautrement… !” traverse tous les régimes politiques.

Peter Gerber(1) Max Frisch, écrivain suisse

Migrations et agriculture

Mondialisation des errancesMondialisation des errances

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E n France jadis, aujourd’huidans les pays de l’UE d’immi-gration plus récente, la migra-tion est étroitement liée à des

apports jugés nécessaires en force detravail. Rares sont les situations où lesimmigrants, et encore moins leurs des-cendants, sont considérés comme despersonnes. En témoignent partout laségrégation et la discrimination qu’ilssubissent dans tous les domaines socia-lement vitaux (logement, éducation etformation, santé, loisirs, citoyenneté),et l’échec patent des politiques d’in-tégration censées y remédier. Plus quejamais, on ne les tolère que comme des“oiseaux de passage”, et on leur tientce langage : « On vous reçoit dans lamesure où l’on a besoin de vous, maissi l’on pouvait, on se passerait volon-tiers de vous ». Tel est le fonds éternel

d’une pensée qu’il n’est pas exagéréde qualifier d’utilitariste, pour ne pasdire cynique.

La peur du péril venu des pays pauvres

Cependant, la situation actuelle aévolué, sous l’influence de plusieursfacteurs, qui constituent un nouveaucontexte. En voici trois. Premièrement,partant du constat de l'”intégrationimpossible” (un pieux mensonge pourdire qu’on n’a pas essayé), les diri-geants ont le souci de précariser leséjour de l’étranger pour ne plus avoirà gérer sa présence durable. Deuxiè-mement, la chute du mur de Berlin etla multiplication des situations de famineet de guerre civile, ajoutée aux fantasmessur le péril islamique, ont substitué à

l’épouvantail soviétique la peur du périlvenu des pays pauvres. Troisièmement,dans le cadre de l’”harmonisation”des politiques d’immigration et d’asiledes pays de l’UE décidée lors de lasignature du traité d’Amsterdam en1997, la question migratoire se poseà présent au niveau européen, et presquetoujours dans un sens défavorable auxcandidats à l’immigration.

Ainsi, l’utilitarisme migratoire des poli-tiques européennes prend à présent denouvelles formes, repérables dans notreexpérience quotidienne. Dans la “moder-nisation” actuelle, on décèle parfois,ce qui peut sembler paradoxal, la remiseau goût du jour ou la volonté de géné-raliser des pratiques ancestrales, et derevenir à une époque où le code du tra-vail et le droit protecteur des étrangers(même très limité) n’existaient pas. Lesnouvelles tendances qui se développentse déduisent du contexte évoqué ci-des-sus. Quelles sont ces tendances ?

D’abord, les partisans d’une “immi-gration raisonnée” penchent souventpour l’établissement de quotas d’im-migrés. « Nous introduirons tant depersonnes ayant telles caractéristiques»,préconisent-ils. En privé, ils sont plusréservés car ils savent que, quel que soitle critère (nation, ethnie, religion, pro-fession, qualification, âge, sexe), touteadoption de quotas débouche sur degraves problèmes techniques, mais sur-tout moraux, politiques, juridiques etdiplomatiques. Donc cette tendancepour le moment s’affirme surtout encatimini. Les partisans des quotas se signa-lent en général par un comportementintellectuel un peu honteux, car ilssavent que le racisme n’est jamais loindes quotas.

Politiques migratoires

De l’impossible fermeture des frontières à la libre circulationFermer les frontières à la main d’œuvre étrangère reste un mythe. Par contre, les ouvrirdevient une utopie créatrice. Mais à une condition : lutter contre toutes formes de racisme etde précarité. Respecter le droit du travail doit être le premier objectif des politiquesmigratoires européennes.

Campagnes solidaires II N° 191 Novembre 2004

Dossier

L’histoire mouvementée des flux migratoires

Lorsqu’à la faveur du premier “choc pétrolier”, la France décidait en juillet 1974 de sus-pendre toute nouvelle immigration de travail, elle anticipait sans le savoir ce qui allaitdevenir la doctrine commune des pays de l’UE. Elle ignorait aussi que, vers la fin dusiècle, des voix de plus en plus nombreuses allaient réclamer, dans plusieurs de ces pays,la reprise « raisonnée » de politiques d’immigration destinées à pallier les déficits quanti-tatifs et qualitatifs de main-d’œuvre. C’est ce qu’on appelle la “maîtrise des flux migra-toires”. Celle-ci a succédé au dogme de l’”immigration zéro”, prôné par certainsdirigeants français sous la pression de l’extrême droite vers le milieu des années 80.En France la fermeture des frontières, objectif officiel, aura été un mythe. D’abord, entoute légalité, on a toujours continué à introduire des étrangers, notamment des tra-vailleurs saisonniers agricoles (dits “contrats OMI”). Mais aussi d’autres catégories degens jugés précieux, comme les informaticiens, médecins et enseignants sous contrat,sans compter les personnes pouvant prétendre au regroupement familial. Ensuite, à plu-sieurs reprises, comme en 1981, 1992 et 1997, sous la pression des mouvements de sans-papiers, un nombre important d’étrangers en situation irrégulière ont été régulariséssous forme de cartes de séjour d’un an seulement. Enfin et surtout, la fermeture n’aempêché ni les nouvelles arrivées ni l’installation de personnes n’ayant plus le droit derester : demandeurs d’asile déboutés, étudiants ou touristes en fin de visa. Elle les a justeprécipités dans le stock des clandestins déjà existants. Pour le plus grand bonheur desemployeurs, à qui cette précarité convient, notamment dans le bâtiment, l’hôtellerie,l’agriculture et la confection, sans oublier les services domestiques, un secteur en expan-sion spectaculaire.

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Ensuite, précisément, le racisme euro-péen déjà évoqué (« On vous tolère maison aimerait se passer de vous ») s’af-firme maintenant comme une piècemaîtresse du dispositif migratoire.Comme le disait le Commissaire euro-péen Prodi, nous voulons “sélection-ner” nos migrants. Ici aussi, c’estparadoxal : moins on considère les per-sonnes importées comme des per-sonnes, plus on veut qu’ils possèdenttelle ou telle qualité. Ce paradoxe estvisible dans l’agriculture, où les exploi-tants exigent des saisonniers étrangersqu’ils aient des qualités sans communemesure avec le mépris dans lequel ilssont traités, tant par la loi que par lesconditions de travail et de salaire.

Puis, nous avons la multiplication desformules qui, aussi bien quant au droitdes étrangers que quant au droit dutravail, organisent la précarité et ledumping social – entendre par là toutce qui permet de mettre en place unrecul de la réglementation protectricedu travailleur. De là, les législateurs etles employeurs usent de deux solu-tions, à dosage variable selon les lieuxet les périodes. D’un côté, on cher-chera à empêcher la fixation des tra-vailleurs immigrés sur le lieu d’emploi ;pour ce faire, on va lier la durée du titrede séjour à celle du titre de travail. Telest le cas des nouvelles lois en Italie eten Espagne, mais c’est aussi le sys-

tème des contrats OMI dans l’agricul-ture française ; en France, cela s’ins-crit dans le cadre plus général de lapromotion par le patronat des contratsde mission de type “au revoir et merci”.

« Restez tranquilles ettravaillez au black »

De l’autre côté, on va maintenir surle territoire une armée de travailleursitinérants ou journaliers, de préférencesans titre de séjour ouvrant droit à tra-vailler, à qui l’on demande d’être invi-sibles : «Restez tranquilles et travaillezau black, et l’on n’ira pas vous inquié-ter», ont tour à tour déclaré les pre-miers ministres français en 1988 etitalien en 2002 ; cette formule est éga-lement utilisée dans le secteur des fruitset légumes, notoirement en Andalou-sie ou en Grèce, mais aussi en France.

Enfin, il faut citer une caractéristiquemarquante de la période actuelle :désormais, le droit d’asile, issu de laconvention de Genève de 1951 sur lesréfugiés, est battu en brèche à l’échellede l’UE. Sans entrer dans les détails, onpeut signaler que tout candidat à l’asilepolitique (par crainte de persécutionsdans son pays) est désormais consi-déré comme suspect de chercher unasile économique (pour “profiter“ desrichesses de nos pays). Ainsi s’est ins-taurée la distinction entre “vrais” et

“faux” réfugiés, qui dans la pratiqueamène les gouvernants européens à consi-dérer tous les demandeurs d’asilecomme des “migrants illégaux” : onproduit ainsi un contingent de plusdans la famille des sans-papiers, painbénit des employeurs indélicats. …/…

Campagnes solidaires III N° 191 Novembre 2004

Dossier

Repères L’OMI, Office des migrationsinternationales, est chargé par legouvernement français d’appliquerles procédures permettant aux étran-gers non ressortissants d’un Étatmembre de l’UE de résider régulière-ment en France. Il intervient pouraccueillir les étrangers, à leur arrivéeet pendant leur séjour. Il est égale-ment chargé d’accompagner lesétrangers qui souhaitent rentrerdans leur pays d’origine.

L’entrée des travailleurs saison-niers agricoles en 2002 représente13232 personnes en France, dont6550 Marocains et 5836 Polonais, 4129 immigrés pour la récolte desfruits et légumes ; 4281 pour lesmulti-travaux agricoles ; 311 pour lesactivités de l’industrie et du com-merce, soit un total général de13543 en contrats OMI. (Source : OMISTATS, ministère desAffaires Sociales).

Les primo-arrivants introduits surle territoire français sont au nombrede 2 094 en 2001; de 2 200 en 2002 ;environ 2 000 en 2003, soit près de lamoitié du nombre de contrats OMIrenouvelée en trois ans .... (Source: OMISTATS, ministère desAffaires Sociales).

L’emploi saisonnier agricole enFrance représente 800 000 personnesdans le secteur des fruits et légumesen 1998 (contre 140 000 permanents,et 90 000 à temps plein - ce chiffrene prend pas en compte l´exploitantet sa famille). Environ 100 000 saisonniers sontemployés sur plus de 3 mois ; 200 000saisonniers entre 20 jours et 3 mois ;et 500 000 saisonniers de moins de20 jours dont 40 % des emplois sontféminins. La tendance est à l’accrois-sement significatif du nombre decontrats de moins de 20 jours signéspar les exploitants : 411 000 en 1996et 483 000 en 1998.(d’après Gérard Filoche, in On achèvebien les inspecteurs du travail, JeanClaude Gawsewitch Éditeur, novembre2004).

À la pause, saisonnier marocain ayant pour tâche de repiquer des courgettes dans uneserre de El Ejido (Andalousie).

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…/… Voilà à grands traits ce quisemble caractériser notre époque enmatière de politiques migratoires. Com-ment se comporter devant une évolu-tion aux traits si désespérants ? D’abord,il y a un déficit de savoir, et les initia-tives comme celle de ce dossier doiventse multiplier. Si l’on prend le cas de l’agri-culture, il est clair que le consomma-teur ne sait ni ne veut savoir en généralquels systèmes de main-d’œuvre secristallisent dans le fruit qu’il achète.Mais ce stade est limité, et on ne faitpas de la bonne politique avec de laculpabilité. Ensuite, donc, vient le tempsde l’action, qui appartient aux mili-tants et à eux seuls. Le chercheur n’apas à s’en mêler, il peut seulement sepermettre de les inviter à en faire le bilanrégulièrement et sans complaisance.

Enfin, il y a les objectifs stratégiques.À ce sujet, beaucoup d’organisationset de syndicats expriment une grande

méfiance vis-à-vis du mot d’ordre“Liberté de circulation et d’installa-tion”. Il est vrai que ce mot d’ordre (certespas pour l’installation, on l’a vu ci-des-sus) est volontiers celui du patronat leplus libéral, que les politiques publiquesde fermeture des frontières gênentparfois. Mais cette utopie de l’ouver-ture des frontières – et qui sait ? un jourde l’abolition des frontières – est pré-cisément une utopie créatrice si l’on saitla manier en cohésion avec d’autres objec-tifs, tels que celui d’empêcher le reculdu droit du travail et d’œuvrer à sapromotion aussi dans les pays domi-nés, et celui de lutter contre toutes lesformes de racisme, qui fertilisent en per-manence le terrain de l’utilitarismemigratoire dans ses formes les pluscondamnables.

Alain Morice,chercheur à l’Université de

Jussieu (Paris)

Campagnes solidaires IV N° 191 Novembre 2004

Dossier

Italiens

Création de la procédure

spéciale “vendangeurs“ Betteraviers

Diminution du nombre de betteraviers

Les Italiens sont peu à peuremplacés par les Marocains

Vendangeurs, industrie, commerces

Diminution du nombre des riziculteurs

Cueillette primeurs fruits maraîchage

Diminution du nombre des vendangeurs

- Riziculteurs- Cueillette primeurs

et fruits

Belges

1950

1955

1960

160000

140000

120000

100000

80000

60000

40000

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19651970

19751980

1985

1990

1995

L´immigration saisonnière représente officiellement 7 200 personnes en 1998 ; 7929 pour 2000, 10 403 pour 2001, soit une augmentation de31.2% entre 2000 et 2001. Pour l’année 2001, sur 72 départements recensés, 52 sont en forte croissance, sans qu’aucune explication deconjoncture économique plausible ne soit identifiable. Plus de la moitié des contrats OMI travaille dans les Bouches-du-Rhône. Viennentensuite Le Rhône, le Vaucluse, le Gard (340 en 2002), la Drôme, la Marne.

Travailleurs saisonniers contrôlés par l’OMI : 1946-1995

Pour en savoir plusExposition de photographies deYohanne Lamoulère sur le bidonvillede Berre l'Étang et les ouvriers agricoles au Maroc en 2004, disponible sur demande : http://obturateurcentral.free.fr

Là-bas si j'y suis, émissions radiopho-niques de Daniel Mermet sur FranceInter diffusée les 4 et 5 novembre2003. www.la-bas.org

Opération d'aménagement du gourbide Berre avec la Ligue des Droits del'Homme de La Farre, les Compa-gnons Bâtisseurs et la FondationAbbé Pierre. www.ldh-lafare.com

Campagne pour la ratification de laConvention des Nations Unies sur ledroit des travailleurs [email protected]/f-frontpage.htm

Collectif de défense des travailleursétrangers dans l'agriculture (Codetras): Asti de Berre, Association de coopé-ration Nafadji Pays d'Arles, Attac Mar-tigues Ouest étang de Berre, Cimade,Confédération paysanne, Droit PaysanAureilles, Espace/Acceuil aux étran-gers, Fédération du MRAP 13, FGACFDT, FNAF CGT, Forum civique euro-péen, Ligue des Droits de l'Homme duPays d'Arles.Pour les contacter : Codetras – BP 8713303 – Marseille Cedex 3.

Le Forum civique européen promeutles échanges internationaux et inter-professionnels pour ouvrir des voiesnouvelles en termes d'organisationssociales et de coopérations.

www.forumcivique.org

Accords de main d'œuvre21 mars 1951 : avec l'Italie.1957-1958 : avenants à l'accord franco-italien relatif à l'immigration saisonnière (notamment betteraviers).21 janvier 1961 : avec l'Espagne.1963-1er juin : avec le Maroc ; 9 août, avec la Tunisie ; 31 décembre, avec le Portugal.25 janvier 1965 : avec la Yougoslavie.1992 : libre circulation pour les Espagnols et Portugais20 mai 1992 : accord avec la Pologne sur l'emploi des saisonniers.

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« Les salariés agricoles desBouches-du-Rhône sont lespremières victimes de cetteloi de faire parvenir les contrats

du Maroc. (…) Qui sont les victimes ?C’est les gens qui ont l’expérience dansl’agricole depuis des années. Sont au chô-mage et le RMI (…). Les grands trafi-quants des humains sont les mas despêchers agricoles à Fos-sur-Mer, St Mar-tin de Crau, Salon de Provence, St Andiol,Aureille (…). C’est une grande crisepour les ouvriers permanents agricoles(…). Nous sommes dans la misère. Lescontrats prennent notre place…».

Faire baisser "à tout prix" le coût de la force de travail

Distribué il y a quelques années et signé“Les victimes salariés sans embauche”,ce tract, véritable appel au secours, ren-voie à l’implacable règle qui domine lemarché du travail dans la productionintensive de fruits et légumes : la miseen concurrence de salariés à statuts dif-férents. Il nécessite aussi un bref rappelhistorique.

• Juin 63, la France signe avec le Marocun accord de main d’œuvre pour l’in-troduction de saisonniers agricoles ; l’of-fice des migrations internationales (OMI)supervise le recrutement sur place etl’acheminement des bénéficiaires d’uncontrat. Arrivés en nombre dès le débutdes années 70, beaucoup bénéficierontde la procédure de régularisation excep-tionnelle après l’arrivée de la gauche aupouvoir en 81. Ils sont désormais titu-

laires d’une carte de séjour de dix ans.Le début des années 80 voit égalements’opérer un tournant dans l’agriculturede la Crau : de jeunes agriculteurs quit-tent la Drôme (au climat plus gélif) et déve-loppent l’arboriculture intensive et lemaraîchage sous serre. L’intensificationva s’accompagner d’une généralisationdes emplois précaires : pour les employeurslancés à corps perdu dans la guerre éco-nomique, il s’agit de faire baisser “à toutprix” le coût de la force de travail. Bonnombre de “cartes de séjour” vont êtreremplacées par les “contrats OMI”, maind’œuvre captive et privée de droits essen-tiels. Pour les premiers, le chômage (et,parfois, la réembauche au noir…), pourles seconds la précarité et la soumissionau patron.

• 1995 : suite à l’échec de la politiqued’emploi locale, l’administration, dans lesBouches du Rhône, gèle la possibilitépour les employeurs d’avoir recours à desprimo-contrats(1). Les “OMI” voientmomentanément le rapport de forcess’améliorer en leur faveur, mais pas pourlongtemps. En 2001, sous pression dulobby des gros exploitants emmenés parla Fnsea, le robinet des primo-contratss’ouvre. Le résultat ne se fait pas attendre :près de 2000 nouveaux arrivants sont intro-duits en France la même année, signe àla fois d’une reprise des trafics en tousgenres (un primo-contrat s’achète jus-qu’à 9 000 euros que se partagent recru-teurs et certains patrons) et duremplacement des “saisonniers” jugéstrop vieux, trop usés par le travail … outrop revendicatifs.

• Décembre 2003, dans une vallée duRif marocain : pas un hameau, pas unvillage qui ne compte des “contrats OMI”bloqués depuis deux ou trois ans. Tarau-dés par l’inquiétude de savoir commentfaire vivre leur famille, dans l’attente d’unhypothétique renouvellement de leurcontrat, les hommes racontent, autourd’un verre de thé, ces années où il a fallutout accepter sans rien dire : l’hygiène désas-treuse, l’insalubrité des logements, lesjournées interminables, le salaire au rabais,les accidents du travail… « J’étais douéà l’école, raconte Moustapha, mais j’aidû arrêter mes études deux ans avant lebac. Nous sommes une famille de huitenfants et mon père est malade et ne peutplus travailler. Les médicaments coûtentcher, et il n’y a pas de Sécu au Maroc.Alors je suis venu ici travailler commeesclave : contrat OMI…»

Se sacrifier pour la famille : on com-prend mieux comment ne se tarit jamais,année après année, et au Maroc commeailleurs, le réservoir des candidats à uneforme de servitude qui, parce qu’elle estinstitutionnalisée, ébranle toujours un peuplus l’édifice du droit du travail. Clandestinscontre précaires, précaires contre per-manents, Maghrébins contre Latino-Américains tandis qu’arrivent par cars entiersles Européens de l’Est, au jeu de la concur-rence sauvage, le XXIème siècle risque fortde ressembler bientôt à un grand manègede la régression sociale.

Patrick Herman

(1) Personne qui obtient un premier contrat.

Contrat OMI

Maroc - France :les chemins de la servitudeSous la pression de la misère de leur pays, desMarocains viennent en France, acceptant desconditions de travail et de vie désastreuses. Et ce,avec l’acquiescement d’institutions laxistes, à labotte de certains exploitants agricoles.

Campagnes solidaires V N° 191 Novembre 2004

Dossier

Cet homme est bloqué au Maroc, attendant le renouvellementde son contrat OMI. Trop vieux ou trop vindicatif ?

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Quelles sont les principalesinfractions que vous enregistrezdans le Gard ?

Le travail dissimulé constitue une pra-tique très fréquente puisque 30 à 40 %des exploitations agricoles l’exercent,quel que soit le type de productions.Il peut y avoir une apparence de léga-lité avec déclaration d’un temps detravail sous déclaré. Ou l’illégalité peutêtre totale : aucune déclaration d’heuresde travail, emploi de main d’œuvreétrangère en situation irrégulière sur leterritoire français.

Les conditions de travail donnent lieuaussi à des infractions courantes. Dansle département, en trois ans, nousavons eu deux accidents mortels depersonnes non déclarées ; l’un desagriculteurs employeurs a été très lour-dement condamné, c’était le maire duvillage ! Très souvent les procès verbauxsont cumulatifs concernant par exempledes saisonniers non déclarés, sans cartede séjour, épandant sans protectionun produit phytosanitaire… interditcomme le paraquat.

Suite à une commission rogatoire ila été découvert dans la laine de verredu toit d’un agriculteur, adepte du tra-

vail dissimulé, des pots de confiturecontenant des diamants pour une valeurde 1,5 million d’euros, avec 200 000euros en liquide, ainsi que des comptesbancaires à l’étranger bien remplis. Eton dit qu’il n’est pas le seul dans le dépar-tement !

Existe-t-il des filières de maind’œuvre ?

Deux ans avant mon arrivée, en 1992,notre administration s’est attaquée àce problème extrêmement grave. Depuisquatre ans, nous avons réussi à éradi-quer les plus grosses fausses entre-prises de main d’œuvre intérimaire.Elles ont pour principe de recruter prin-

cipalement des étrangers sans papiers.Par ailleurs, il s’est installé un systèmefrauduleux de vente de contrat OMI àdes tarifs faramineux, de l’ordre de5000 euros pour un travail de six mois,en outre très mal rémunéré. Ces sala-riés sont exploités et n’auront jamaisun niveau de vie décent. Leur endet-tement les oblige à rester sur le terri-toire français dans la clandestinité.

Dans le secteur du maraîchage, lapolice des frontières vient de déman-teler une filière créée par la commu-nauté M’Hong, faisant venir une maind’œuvre de Thaïlande et du Laos. Desesclaves modernes, payés moins de 30euros par jour, vivant dans des huttesou des serres, sans eau ni électricité !

En arboriculture et viticulture, desréseaux d’immigration clandestine exis-tent avec le Maroc. L’ampleur qu’ilsprennent est très préoccupante.

La plupart des agriculteurs employeurs,pas aussi naïfs qu’ils le laissent entendre,sont parfaitement au courant du contexteillégal dans lequel s’opère le recrute-ment de leurs saisonniers. Ces der-niers, totalement inféodés à leurspatrons, ne revendiquent ni leurs heuresde travail, ni leurs conditions de travailet de vie. L’employeur en profite alorspour faire pression sur les autres sai-sonniers.

Comment pouvez-vous détecterce genre de situation ?

C’est très difficile. Très peu de sai-sonniers en situation illégale ou encontrat OMI viennent témoigner. Cesont souvent leurs collègues en situa-tion régulière qui viennent nous voir.Les agriculteurs connaissent la fai-blesse de nos moyens de contrôle et

Point de vue

« Le travail dissimulé, une pratique très fréquente »Trois agents de l’inspection du travail pour 37 500 salariés agricoles dans le Gard auxquelss’ajoute un tiers de saisonniers non déclarés ou sous déclarés. Une situation extrêmementpréoccupante dont nous fait part Anne-Marie Riou, inspectrice du travail, spécialisée dansl’agriculture.

Campagnes solidaires VI N° 191 Novembre 2004

Dossier

Des règles spécifiques pour les salariés agricoles

En agriculture, l’inspection du travail s’appuie sur le code du travail, auquel s’ajoutentdes articles du code rural concernant l’obligation d’enregistrer les heures de travail. • Travail quotidien maximum : 10 heures.• Travail hebdomadaire maximum : inférieur à 48 heures ou 44 heures sur 12 mois

consécutifs ; sur dérogation de l’inspection du travail : 60 heures hebdomadaires.• Repos quotidien : 11 heures.• Repos hebdomadaire (si possible dominical) : 35 heures.

« La plupart desagriculteurs

employeurs sontparfaitement au

courant du contexteillégal dans lequel

s’opère lerecrutement de leurs

saisonniers. »

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en profitent. Mais j’ai bon espoirque d’ici un ou deux ans nousparvenions à limiter ce travaildissimulé.

Pourquoi cet espoir ?Avec le temps, différents témoi-

gnages se recoupent, desenquêtes sont en cours. Nousfaisons partie du Comité opé-rationnel de lutte contre le tra-vail illégal(1). Le procureur de laRépublique a pris conscience del’importance du travail dissi-mulé en agriculture et dessommes énormes non verséesaux Assedic, à la MSA, aux ser-vices fiscaux… Tous les procèsverbaux et les rapports quenous rédigeons ont ainsi unsuivi judiciaire. Cette volonté defaire aboutir les dossiers estexceptionnel. Je crois que beaucoupd’inspecteurs aimeraient être dans lamême situation que nous dans le Gard! En France, le nombre d’inspecteurspar rapport à celui des salariés estinférieur à celui du Portugal. Certainsmatins, il en faut de l’énergie pour nepas se laisser décourager par ce manquede moyens. Le meurtre de nos deuxcollègues de Dordogne, le 2 sep-tembre, nous trouble profondément.Cet acte inqualifiable témoigne des résul-tats d’un système économique remet-

tant en cause des acquis sociauxconstruits pendant deux siècles. Ira-t-on jusqu’au démantèlement de l’ins-pection en France ?

Propos recueillis par Cécile Koehler

(1) Le Colti regroupe toutes les administra-tions susceptibles de lutter contre le travailillégal, police aux frontières, gendarmes, Urs-saf, MSA, douanes, fraudes, services fiscaux,police, inspection du travail du régime géné-ral, des transports et de l’agriculture, sous laprésidence du procureur de la République.

Campagnes solidaires VII N° 191 Novembre 2004

Dossier

Des travailleurs polonais pour moins de 5 euros de l’heure. Telleest la proposition faite au Conseil économique régional de fruitset légumes de Bretagne via une société de services “EurokontaktProjekt Serwis SARL” domiciliée en Grande-Bretagne. Dirigée parun polonais, cette société recrute ses compatriotes qu’il envoietravailler dans toute l’Europe. Les charges de main d’œuvre (1)

pouvant représenter jusqu’à 60 % du coût de production, oncomprend l’engouement de certains. Sur 17 hectares, Joseph Guivarc’h est producteur de légumes dansle Finistère (Bretagne). Il embauche 17 salariés permanents et 3salariés saisonniers embauchés localement. Effectivement, il aentendu parler de cette proposition, largement diffusée dans ledépartement. Pour lui, « les crises successives dans le légume etd’autres productions bretonnes, une logique libérale défenduepar les organisations économiques et syndicales dominantesconduisent les responsables professionnels à entrer dans deslogiques économiques dans lesquelles ils seront victimes. Cepen-dant, les agriculteurs soucieux de la dualité technico-économiqueet socio- environnementale ne peuvent adhérer à ce type de pra-tique. Une législation européenne mise en place dans le cadre

d’une Europe sociale permettrait d’éviter ce genre de pratique». Mais nous n’allons pas vers cette voie. Au nom de la “concur-rence libre et non faussée” prônée par les libéraux européens,ces pratiques, aujourd’hui interdites, risquent de se légaliser. PourJoseph Guivarc'h, « Elles vont entraîner une désorganisation denos exploitations liées à la mise en place de différents statutsdans la même entreprise. Les organisations patronales et syndi-cales qui fonctionnement sur de telles bases vont très vite allervers des situations conflictuelles et tirer le droit du travail vers lebas. Une politique sociale n’aura plus sa place dans un tel sys-tème puisque la tendance va aller vers le moins disant. Les sala-riés de conditions modestes, qui ont peu de formation risquentencore plus de se trouver dans des situations de précarité ». Mal-heureusement la France n’était pas la première destination de cesouvriers “très mobiles”, ils avaient déjà travaillé dans plusieurspays européens. Une nouvelle forme d’esclavagisme est en trainde s’organiser.

Brigitte Zaccaria

(1) Le salaire horaire minimum en France est de 10,50 euros

Des travailleurs polonais pour moins de 5 euros de l’heure

Repères L’inspection du travail est un corpsinterministériel unique (un seul corpsà trois têtes) dont les 1 240 membressont affectés (soit en section decontrôle, soit dans d’autres servicesou directions diverses) à l’un des troisministères chargés de l’application dudroit du travail : Emploi (80 % d’entreeux), Agriculture (15 %) et Transports(5 %).Aujourd’hui, il n’y a que 427 inspec-teurs du travail, et 813 contrôleurspour 400 lois et 8 000 décrets. Ils sontmoins nombreux qu’au début duXXe siècle : il y avait 110 inspecteurs en1910 pour 3 millions de salariés, 3 loisfondamentales et 80 décrets.Dans la dernière décennie 1990, leurnombre, leurs moyens d’action, lessanctions en droit pénal du travail,tout a reculé.Ces 1 300 agents de contrôle établis-sent entre 15 000 et 25 000 procès-verbaux selon les années, mais lestrois quarts sont classés sans suite. Etquand ils sont jugés, cela débouchesur moins de 5 000 condamnationspar an, dont 90 % à des amendeslimitées en moyenne à 840 euros, àmoins de 500 peines de prison dont480 avec sursis. Celles qui sont“fermes”, en moyenne de 2 mois, lesont pour “récidive dans le trafic demain-d’œuvre” ou “faute inexcusableavec mort d’homme” mais ne sont pasexécutées.(d’après Gérard Filoche, in On achèvebien les inspecteurs du travail, JeanClaude Gawsewitch Éditeur, novembre

2004).

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L a concentration des exploita-tions et des bassins de produc-tion n’est pas le seul apanagedu territoire et des politiques

agricoles françaises. Les politiques agri-coles européennes successives, accom-pagnant l’intensification et l’industrialisationdes systèmes agraires, induisent unesérie d’effets en cascade dont les déré-gulations du droit du travail ne sont pasles moindres. Tous les pays européens,peu ou prou, adoptent des réglemen-tations successives ayant pour but de modi-fier radicalement le statut des travailleursmigrants, sous couvert de volonté d’éra-dication de la clandestinité.

La flexibilité commeprétexte

Concernant le domaine agricole, la“flexibilité” requise au prétexte fondédes “saisons” cache la vraie raison quireste la performance économique dansun système dominé par les seules loisde marchés dérégulés. Ainsi, la pres-sion sur les salaires, les conditions de tra-vail et d’hébergement et peut -être aussila couverture de filières d’importationsde main d’œuvre où visiblement il y abeaucoup d’argent à faire sur le dos deces populations, deviennent monnaie cou-rante dans plusieurs bassins de pro-duction concentrée. Repérer en Europe,sur le terrain, ces processus de noma-disation et d’exploitation est une chose

aisée, tant leur accélération et amplifi-cation sont rapides et touchent aujour-d’hui les enfants comme les adultes desdeux sexes. Par contre, la situation lais-sée dans les pays d’origine est plus dif-ficile à percevoir. Villages abandonnésdes hommes partis en quête de mirage,peuplés de vieillards et de femmes inca-pables de subvenir à leurs propres besoinsalimentaires, sachant que pour partiret payer les passages et différents contrats,il a fallu s’endetter et/ou décapitaliserle peu qu’ils possédaient. Ainsi est bou-clée la boucle. Une population rurale pau-périsée d’un coté, une agricultureindustrielle de l’autre, les exigences desmultinationales de la distribution agroa-limentaire agissant comme donneursd’ordre, les personnels politiques dictantle cahier des charges “label OMC” ettout est réuni pour engager le démon-tage de l’ensemble des fragiles acquissociaux que représente le droit du tra-vail en utilisant volontairement un largevolant de travailleurs sans papiers.

Depuis plusieurs années, c’est bien enagriculture (et plus récemment dans l’in-dustrie touristique) que des dérogationspermanentes au droit du travail sontnégociées et obtenues par des paysansqui n’hésitent pas à manifester dans larue pour demander des augmentationsde quotas de contrats OMI et autres“avantages”. Dans le même temps, etpar voie de conséquence, les prix des pro-duits n’augmentent pas, au contraire, et

les travailleurs saisonniers occasionnelsn’ont aucun droit garanti. Pire, la loi neles connaît qu’en tant que délinquantsdès lors qu’ils tentent de pérenniser leurséjour. Les patrons sont rarement inquié-tés, et les personnes qui tentent demettre un peu d’humanité dans ce milieusont, elles aussi, criminalisées. Les frontssont donc larges. Être présents, au quo-tidien et attentifs aux conditions de tra-vail et de vie de ces populations migrantesest le minimum exigible de syndicalistes.

Mener avec eux la lutte pour la dignitéet contre les pratiques discriminatoireset racistes aussi. Mais la seule attitudehumaniste et solidaire ne suffira pas àinverser la tendance des politiques libé-rales qui ruinent des milliers de paysansdans le monde. Par ailleurs, apparais-sent parfois des conflits d’intérêt évidentsoù il est bon de se souvenir que lesrisques sont toujours cumulés sur le dosdes “étrangers”… La reconnaissancedu droit pour tous les peuples à la sécu-rité et à la souveraineté alimentaire,ainsi que l’obligation faite aux Étatseuropéens de signer au minimum lesconventions internationales concernantle droit du travail, sont deux axes fortsqui devraient permettre de gagner la guerrede la faim organisée par les multinationaleset les lobbies des pays les plus riches dela planète et commencer à bâtir une autreconception des échanges.

Nicolas Duntze

Inverser la tendance

Faire reconnaître la souverainetéalimentaire, un principe fondateurUn même combat unit les travailleurs migrants aux paysans : le droit à la souverainetéalimentaire. Principe d’une autre conception des échanges de marchandises et aussi entrehommes et femmes.

Campagnes solidaires VIII N° 191 Novembre 2004

Dossier

On achève bien les inspecteurs du travail, Gérard Filoche. Éditeur Jean Claude Gawsewitch,novembre 2004.Gérard Filoche est l’un de ces inspecteurs du travail, qui avec tous ses collègues, avec les syndicats, acontribué à briser le mur du silence qui a bien failli étouffer l’assassinat des deux inspecteurs du travailDaniel Buffière et Sylvie Trémouille, le 2 septembre dernier à Saussignac en Dordogne. C’est la premièrefois, dans l’histoire de l’inspection du travail créée en 1892, qu’un tel crime a lieu contre des contrôleursdésarmés dont la mission est de protéger les faibles, de faire respecter le droit du travail et des salariés,selon les lois de la République. Un livre pour continuer leur combat, pour un sursaut massif de l’opi-nion, pour déboucher sur des mesures concrètes afin que “plus jamais ça”.