3
H ormis le transport par portefaix, à l’échelle très réduite, ou de façon plus actuelle, le transport routier qui peut s’effectuer de bout en bout, tous les transports sont techniquement multimodaux: le blé ne pousse pas sur les quais, ni dans les gares, ni dans les aéroports et, sauf rares exceptions, les usines de production ne sont pas localisées dans les enceintes portuaires. Quel que soit le module central du transport, maritime, terrestre, aérien, il suppose inévitablement un, ou plusieurs, pré/post acheminements qui s’ef- fectuent par des modes de transport différents. Sur le plan juridique, historiquement, cet élément de complexité a été nié. Il a été effacé: chaque phase de transport modal était traitée distinctement. Chacune régie par son propre contrat de transport modal, les uns succédant aux autres, sans qu’aucun lien juridique ne s’établisse entre eux. C’était le système juridique des transports dits « successifs ». Cette longue période peut être considérée comme ayant trouvé, symboli- quement, son terme avec l’appareillage du « SS Maxton » le 26 avril 1956, du port de Newark, dans le New Jersey, chargé par Malcolm Mc Lean de 58 conte- neurs à destination de Houston au Texas. La machine infernale, ou miracu- leuse, selon le point de vue, de la conteneurisation, était lancée. Au fil des années, elle a engendré la « chaîne logistique », souvent dénommée « supply chain », chaîne d’approvisionnement. Au fur et à mesure, celle-ci passe de la « chaîne » au « tuyau » ainsi que Bernard Francou l’a exposé. Cependant, la fluidité technologique ainsi progressivement mise en œuvre, se trouve soumise aux contraintes juridiques. L’intégration de la chaîne du 1 Annales IMTM 2012 Christian SCAPEL, Président de l’I.M.T.M., Président du CDMT, Avocat au Barreau de Marseille Le concept juridique d’amodalité

2012 -SCAPEL Concept Juridique

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: 2012 -SCAPEL Concept Juridique

Hormis le transport par portefaix, à l’échelle très réduite, ou de façon plusactuelle, le transport routier qui peut s’effectuer de bout en bout, tousles transports sont techniquement multimodaux : le blé ne pousse pas

sur les quais, ni dans les gares, ni dans les aéroports et, sauf rares exceptions,les usines de production ne sont pas localisées dans les enceintes portuaires.Quel que soit le module central du transport, maritime, terrestre, aérien, ilsuppose inévitablement un, ou plusieurs, pré/post acheminements qui s’ef-fectuent par des modes de transport différents.

Sur le plan juridique, historiquement, cet élément de complexité a été nié.Il a été effacé : chaque phase de transport modal était traitée distinctement.Chacune régie par son propre contrat de transport modal, les uns succédantaux autres, sans qu’aucun lien juridique ne s’établisse entre eux. C’était lesystème juridique des transports dits « successifs ».

Cette longue période peut être considérée comme ayant trouvé, symboli-quement, son terme avec l’appareillage du « SS Maxton » le 26 avril 1956, duport de Newark, dans le New Jersey, chargé par Malcolm Mc Lean de 58 conte-neurs à destination de Houston au Texas. La machine infernale, ou miracu-leuse, selon le point de vue, de la conteneurisation, était lancée. Au fil desannées, elle a engendré la « chaîne logistique », souvent dénommée « supply

chain », chaîne d’approvisionnement. Au fur et à mesure, celle-ci passe dela « chaîne » au « tuyau » ainsi que Bernard Francou l’a exposé.

Cependant, la fluidité technologique ainsi progressivement mise en œuvre,se trouve soumise aux contraintes juridiques. L’intégration de la chaîne du

1

Annales IMTM 2012

Christian SCAPEL,Président de l’I.M.T.M.,

Président du CDMT,Avocat au

Barreau de Marseille

Le concept juridiqued’amodalité

Page 2: 2012 -SCAPEL Concept Juridique

transport et de la logistique ne s’accommode plus du régime juridique morcelé,atomisé, qui était celui du « transport successif ». Ainsi, sur le plan juridique,le transport a dû devenir multimodal. Il devrait, rapidement, devenir pour sesutilisateurs, amodal.

I – LE RÉGIME JURIDIQUE DU TRANSPORT MULTIMODAL

L’articulation juridique des différentes phases modales d’un transport debout en bout s’est effectuée par la mise en place du « système réseau ».

Certes, les contrats de transport ne se succèdent plus, comme ils le fai-saient dans le cadre des transports successifs, ils sont globalisés : un contrat detransport multimodal est offert à l’utilisateur de transport : c’est un contratunique, il couvre toutes les phases modales du transporteur, le transporteur estunique, c’est l’opérateur de transport multimodal.

Si des avaries ou des manquants sont constatées à la livraison, il convientde rechercher à quelle phase modale du transport ces avaries et manquantssont imputables. Ils seront, dès lors, régis juridiquement par les textes modauxapplicables, convention internationale ou loi nationale, dont l’opérateur rmul-timodal supportera les règles. Si l’origine des dommages ne peut être localisée,jugée imputable à telle ou telle phase modale, situation fréquente, c’est alorsun régime de responsabilité autonome qui régira ceux-ci. Ce régime, à défautde convention internationale applicable (la Convention des Nations Unies de1980 n’est pas entrée en vigueur, faute de ratifications), sera celui qui résultedu contrat de transport multimodal, généralement calqué sur les RèglesUniformes CNUCED-CCI adoptées en 1992.

Cette situation, la situation actuelle la plus fréquente, introduit un facteurd’insécurité juridique : l’utilisateur du transporteur ne peut pas prévoir, déter-miner à l’avance à quelles règles le transporteur sera soumis : phase modale sile dommage est « localisé » (CMR, RU-CIM, Convention de Varsovie/Montréal,Convention de Bruxelles de 1924/Protocole de 1968), régime contractuel s’ilne l’est pas.

Ce facteur d’insécurité juridique, combiné avec l’essor irrésistible de l’in-tégration de la supply chain dans la gestion des entreprises modernes, devaitaboutir à susciter le concept juridique de transport amodal.

II – LA NÉCESSITÉ D’UN RÉGIME JURIDIQUE AMODAL

Le client du transporteur, principalement maritime à l’échelle internatio-nale, ou plus probablement son « riskmanager », s’accommode de plus enplus difficilement de cette insécurité juridique. Ils veulent être en mesure degérer leurs risques, c’est-à-dire d’anticiper les règles contentieuses applicablesen cas de dommage ou de retard, afin de déterminer les enjeux en termes decoût et de soigner au mieux le système d’assurance de l’entreprise.

«MER, TERRE, AIR… VERS L’A-MODALITÉ »2

2012 Annales IMTM

FRANCOISE
Note
constatés
FRANCOISE
Note
( r ) multimodal
Page 3: 2012 -SCAPEL Concept Juridique

Il en résulte nécessairement l’exigence d’un régime juridique unique,« amodal », lissé et uniforme, applicable quel que soit le segment de transportgénérateur de dommages aux marchandises ou de retard. Celui-ci pourraitêtre, si un consensus se dégageait des divers transporteurs considérés ainsi quedes commissionnaires de transport/opérateurs de transport multimodal, inspirédu régime autonome applicable dans le système actuel de transport multi-modal aux « dommages non localisés ». Ainsi, par exemple, les Règles UniformesCNUCED-CCI, de 1992, basent ce système autonome sur une médiane des dif-férentes conventions internationales modales actuellement applicables. C’estce qui est, notamment, retenu par les adhérents de la FIATA.

Cependant, il ne faut pas se dissimuler qu’à terme cette solution, pure-ment contractuelle, est susceptible d’engendrer des difficultés. En effet, cerégime autonome risque de se trouver potentiellement en conflit, si les dom-mages sont « localisés », avec les règles des conventions internationales modalesapplicables à telle ou telle phase du transport. Or, ces dispositions sont d’ordrepublic. Elles déterminent de façon impérative les conditions de la responsabilité,notamment les cas d’exonération dont le transporteur peut se prévaloir, ainsique le taux des limitations légales de réparation, différents d’un mode detransport à l’autre.

Un système contractuel, de « soft law », est ainsi en risque de se trouverconfronté avec un système légal impératif de « hard law ».

Seule une convention internationale applicable au transport amodal pour-rait résoudre de façon satisfaisante un tel conflit. L’échec de la Convention desNations Unies de 1980 sur le transport international multimodal devrait sus-citer la mise en place d’une nouvelle convention gérant le transport amodalde façon satisfaisante pour tous les opérateurs de transport et du commerceinternational. À ce jour, malheureusement, la mise en place d’une telle conven-tion n’est pas d’actualité. Elle ne paraît pas envisageable avant de longuesannées. Peut-être, une fois de plus, les marchands pallieront-ils cette carence.

LE CONCEPT JURIDIQUE D’AMODALITE 3

Annales IMTM 2012