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2014 · 2018. 4. 13. · Fiche de lecture - jeunesse 16 L’Atlas mystérieux de Diane Bergeron Martine Brunet ... Notes sur l’œuvre protéiforme de Daniel Canty 48 Les poèmes

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2014 est à peine entamée… la plupart d’entre nous avons déjà quelques bonnes bouchées d’avalées pour poursuivre l’année scolaire, mais j’imagine qu’il n’est pas trop tard encore pour vous souhaiter les vœux de circonstance : que cette année 2014 en soit une de beaux dé�s pour vous, enrichissants et satisfaisants, et qu’elle vous garde dans le plaisir et la passion d’enseigner, de savourer avec ceux et celles qui vous entourent les beautés de notre langue et de notre culture.

Au MELS, Madame Marie Malavoy y allait elle aussi récemment de ses vœux pour 2014 (disponibles sur le site de son ministère). Fière de célébrer cette année le 50e anniversaire du ministère de l’Éducation – devenu entretemps, curieusement, le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport –, la ministre rappelle dans son allocution les grands chantiers qui occuperont son équipe pour l’année. Outre une nouvelle politique sur le sport et l’activité physique de même que le renforcement de l’enseignement de l’histoire nationale, on nous annonce « qu’il y a des e�orts à faire pour que [notre] langue soit mieux apprise, mieux comprise, mieux parlée » et que seront prises « di�érentes mesures en ce sens au cours de l’année 2014 ». Et la ministre ajoute également que « le métier d’enseignant est quelque chose qui doit être valorisé à son juste niveau et malheureusement, on n’en est pas encore tout à fait rendus là au Québec ». Ce sont évidemment deux chantiers qui nous interpellent directement et nous souhaitons vivement que la ministre saura au cours de l’année préciser ces beaux vœux du Nouvel An et qu’elle engagera les actions nécessaires pour les concrétiser.

Notre numéro d’hiver vous o�re, en attendant, de quoi alimenter vos ré�exions littéraires et pédagogiques en s’attardant à des thématiques fort stimulantes. L’équipe littéraire a con�é à Mélissa Labonté le soin de présenter un dossier très actuel et novateur sur « la poésie hors du livre », alors que le volet didactique aborde, avec un regard neuf, la question de l’apprentissage du lexique, un enjeu déterminant dans l’enseignement du français.

Voilà la table mise pour une entrée excitante dans l’année 2014 !Isabelle L’Italien-Savard

Directrice

Directrice : Isabelle L’Italien-SavardVice-directeur : Réal Bergeron

LITTÉRATURERédacteur en chef : Vincent Lambert Équipe de rédaction et comité de lecture : Marie-Andrée Bergeron, Aurélien Boivin, Maude Couture, Vincent Lambert, Isabelle L’Italien-Savard

DIDACTIQUE Rédacteur en chef : Réal BergeronÉquipe de rédaction et comité de lecture : Nancy Allen, Réal Bergeron, Simon Collin, Godelieve Debeurme, Maryse Lévesque, Christian Dumais, Pascal Grégoire

Révision linguistique et préparation des manuscrits : Réal Bergeron, Isabelle L’Italien-Savard

Collaborateurs au numéroStéphane Allaire, Nancy Allen, Dominic Anctil, Françoise Armand, Sylvie-Anne Barbeau, David Bélanger, Ginette Bernatchez, Thierry Bissonnette, Suzelle Blais, Aurélien Boivin, Pascal Brissette, Monique Brodeur, Martine Brunet, Hélène Cajolet-Laganière, Nathalie Chapleau, Maude Couture, Serge D’Amico, Godelieve Debeurme, Simon Dumas, Anila Fejzo, Carole Fleuret, Isabelle Forest, Marie-Hélène Forget, Anne-Catherine Gagné, Vincent Gagnon, Marie-Claude Gauthier, Chantale Gingras, Lucie Godard, Marie-Ève Gonthier, Hans-Jürgen Greif, Christine Hamel, Eva Kartchava, KJT, Mélissa Labonté, Thérèse Laferrière, Lizanne Lafontaine, Vincent Lambert, Pierre-Luc

Landry, Line Laplante, Denys Lelièvre, Geneviève Lévesque, Maryse Lévesque, Isabelle L’Italien-Savard, André Marceau, Clément Martel, Hélène Matte, Yuya Matsukawa, Catherine Maynard, André C. Moreau, Marie-France Morin, Éric Morissette, Monique Noël-Gaudreault, Anne Peyrouse, Marion Poirson-Dechonne, Tom Pouce, Marie-Michelle Poulin, David Rancourt, Marie-Ève Riel, Lucie Roger, Rita Saboundjian, Pascale Thériault, Joël Thibeault, Ophélie Tremblay, Élise Venne

Les collaborateurs sont seuls responsables du contenu de leurs textes

Graphisme : Chantal GaudreaultImpression : HLNDiffusion en kiosque : LS Distribution North America

Fondée en , la revue Québec français est publiée par Les Publications Québec français et paraît trois fois par an

La revue est membre de la Société de développement des périodiques culturels québécois (sodep) www.sodep.qc.ca.

La revue est indexée dans Point de repère

Édition numérique www.erudit.org

Dépôt légal Bibliothèque et Archives nationales du Québec / Bibliothèque nationale du Canada

ISSN - ISBN PDF ----er trimestre

Québec français reçoit des subventions puisées à même les budgets discrétionnaires de la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport ; de la ministre responsable de la Charte de la langue française ; du ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie et du ministre de la Culture et des Communications.

Secrétariat / publicitéCéline Bellerose, rue Frank-Carrel, bureau Québec (QC) GN L

Adresse postale C. P. Québec (QC) GV Btél. -- fax [email protected] www.revuequebecfrancais.ca

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Cinéma04 Dallas Buyers Club. Le corps

est un costume comme les autresDavid Rancourt

Chanson07 La valse des ombres

Denys Lelièvre

Fiche de lecture - roman10 Orfeo de Hans Jürgen Greif

ou le dur apprentissage musicalAurélien Boivin

Entrevue14 Comment Diane Bergeron

a écrit certains de ses livresMonique Noël-Gaudreault

Fiche de lecture - jeunesse16 L’Atlas mystérieux de Diane Bergeron

Martine Brunet

Histoires de mots18 Ça me « chicote » ou ça me

« chicane » ?Suzelle Blais

Échos de la recherche en didactique du français

21 L’intégration de la littératie au préscolaire et au 1er cycle du primaire en milieu défavoriséLizanne Lafontaine, Éric Morissette et André C. Moreau

Éducation interculturelle et diversité linguistique

24 Accueillir les élèves immigrants en situation de grand retard

scolaire : tout un défi !Françoise Armand, Catherine Maynard, Rita Saboundjian, Élise Venne

TIC26 Des idées pour utiliser efficacement

le iPad en classe de françaisMarie-Claude Gauthierch

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LA POÉSIE HORS DU LIVRE

28 PrésentationMélissa Labonté

30 Entrevue avec Sepideh Anvar et Pierre NepveuMaude Couture et Vincent Lambert

33 Lire, ôter le masque des apparencesIsabelle Forest

35 Ourdir contre l’ouïr : la riposte de la voix. La prophétie de McLuhan sous la loupe de ZumthorHélène Matte

38 Poésie hors de l’usageAndré Marceau

40 Poésie hybride de Thomas Braichet. Le livre comme hypothèseMélissa Labonté

44 Esquives, décentrements, curiosités. Notes sur l’œuvre protéiforme de Daniel CantyThierry Bissonnette

48 Les poèmes mis en chanson : la réconciliation pour un nouveau genre ?Anne-Catherine Gagné

51 L’écran poétiqueMarion Poirson-Dechonne

54 Que sont nos nuits devenues ?Pascal Brissette

L’écritoire57 Livrer le texte, délivrer la voix : une

poésie à la fois multiple et singulièreHélène Matte

60 Le slam en questionsEntrevue avec des slameurs

65 Littérature et interdisciplinarité (langages et lectures)Simon Dumas

France LemieuxBleu, Blanc, Orange (détail)Acrylique sur feuille d’or 61 X 36 cm, 2010.

Les tableaux de France Lemieux, artiste de Québec, se veulent à mi-chemin de l’abstraction et de la figuration. Ses œuvres suggèrent, évoquent, plus qu’elles n’imposent une image, laissant ainsi toute latitude à l’observateur d’y projeter son propre imaginaire.

www.francelemieux.com [email protected]

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105 AUTOBIOGRAPHIE Amélie Nothomb BIOGRAPHIE Françoise Giraudet ESSAI Samuel Archibald, Suzanne-G. Chartrand, Judith Émery-Bruneau, Martine Delvaux, Martin Jalbert, Jean-Dominique Leduc, Robert Major, David Mendel, Gabriel Nadeau-Dubois, Michel Viau NOUVELLE Maude Déry, Alice Munro POÉSIE Martine Audet, Sarah Bernier, Louis Hébert, Robert Yergeau ROMAN Jean-Daniel Baltassat, Guillaume Bourque, John Maxwell Coetzee, Jacques Côté, Alain Farah, Paolo Giordano, Khaled Hosseini, Laura Kasischke, Emmanuel Kattan, Jean Lemieux, Colum McCann, Véronique Ovaldé, Philippe Porée-Kurrer, José Saramago, Élodie Tirel, André Vanasse, Claude-Emmanuelle Yance TÉMOIGNAGE Réjane Bougé, Grégory Charles

nouveautés littéraires

LE LEXIQUE : APPRENTISSAGE ET ENSEIGNEMENT

68 Présentation Godelieve Debeurme et Maryse Lévesque

70 De l’élaboration d’un lexique collectif à son utilisation individuelle autonomeStéphane Allaire, Pascale Thériault, Vincent Gagnon, Thérèse Laferrière, Christine Hamel et Godelieve Debeurme

72 Usito : pour un apprentissage enrichi du lexique en contexte québécoisHélène Cajolet-Laganière et Serge D’Amico

74 Les collocations : des mots qui font la paireOphélie Tremblay

77 Des livres d’histoires pour enfants pour développer le vocabulaireSylvie-Anne Barbeau

80 L’analyse morphologique : pierre angulaire dans l’enrichissement du vocabulaireAnila Fejzo, Lucie Godard et Line Laplante

83 Enseigner la morphologie dérivationnelle pour apprendre l’orthographe lexicale

Nathalie Chapleau, Line Laplante et Monique Brodeur

85 Quelques observations sur les erreurs lexicales d’élèves en production écriteDominic Anctil

88 Tisser une toile d’araignée : comment construire des réseaux lexicaux en langue seconde Yuya Matsukawa

Hors dossier91 Le pouvoir de la rétroaction

corrective à l’oralEva Kartchava

93 Et si on explorait la dimension homophonique du français écrit par l’entremise du langage SMS ?Joël Thibeault et Carole Fleuret

95 Les réseaux littéraires : clé du passeur culturelMarie-France Morin et Lucie Roger

Situation d’apprentissage et d’évaluation

99 Le lexique : sens des mots et polysémieMarie-Ève Gonthier

103 Apprendre à justifierMarie-Hélène Forget

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Le corps est un costume comme les autresZ David Rancourt*

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SEXE, DROGUE ET RODÉOUne situation de départ incroyable,

nous disions. En , donc à une époque où le sida est encore fortement identifié à la communauté homosexuelle, la maladie atteint un authentique homophobe. L’homme en question, Ron Woodroof (incarné par Matthew McConaughey), a quelques faiblesses, au nombre desquelles la drogue et le sexe (évidemment non protégé). Voilà donc une prémisse prometteuse, mais quoi faire ensuite ? Faut-il passer à une histoire de réhabilitation, de guérison de l’âme, d’aide à autrui et de sacrifice, une histoire vue mille fois ? Oui, mais pas seulement.

Notre rencontre avec le personnage de Woodroof se fait sous le mode du

Qu’est-ce qui demeure en nous après Dallas Buyers Club de Jean-Marc Vallée ? Certainement l’allure et le visage de Matthew McConaughey, qui pour son rôle est allé loin dans la transformation physique. Mais peut-être

que le reste du film est destiné à s’évaporer de notre esprit quand s’évanouira la frénésie de la course aux Oscars. C’est qu’en fin de compte, le réalisateur ne nous mène pas aussi loin qu’il l’avait promis dans le fascinant tableau de départ. Tout commence en lion, comme au bord du précipice, mais on emprunte ensuite peu à peu une voie plus sûre vers la normalité, vers le juste milieu. Ce qui ne veut pas dire que le film est un ratage.

choc, disons, dans un moment où les éléments qui composent sa vie sont mélangés jusqu’à notre nausée : sexe, drogue, rodéo et arnaque. On comprend vite que c’est trop pour un seul homme, et qu’autour de lui le danger rôde, à la manière du taureau sauvage qui menace toujours de piétiner celui qui le chevauche. Soudain, avec le diagnostic, lui tombe dessus la rançon de ses péchés. Le choc sera grand, d’autant plus que sa nouvelle condition coupera radicalement Woodroof de ses amis bornés et de son milieu renfermé. Mais l’instinct de survie sera le plus fort et notre personnage se trouvera une espèce de vocation totale-ment imprévue : se procurer, et procurer aux autres séropositifs et sidatiques, des médicaments efficaces quoique non

encore reconnus par la Food and Drug Administration des États-Unis (FDA). Notre cow-boy s’est trouvé un taureau à sa mesure, et ça l’inspirera.

UN HOMME CONTRE LA MACHINEAvec un personnage ancré à un tel

point dans le vice au début du film, on pouvait donc craindre d’assister ensuite à une pénible et totale transformation vers le bien pur sur fond de violons et de larmes, mais ce sera plus subtil : l’évolution de Woodroof, comme celle des autres personnages importants, demeurera en partie implicite, elliptique. Cela, cependant, empêche souvent le spectateur de se passionner pour l’histoire, comme si le film ne pouvait pas éviter de tomber dans les défauts de ses qualités, ou comme s’il se modelait sur son personnage principal, qui, sauf dans de rares moments de crise et de prise de conscience, reste tout en surface, en agressivité, en distance. La moustache, les lunettes de soleil, le chapeau de cow-boy et le flacon d’alcool qui le caractérisent sont aussi de petites barrières.

C’est d’abord la pure nécessité, le simple besoin de ne pas mourir, qui motivera Ron Woodroof. Le médecin

Dallas Buyers Club

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lui donne  jours à vivre ; on serait désespéré à moins. Là, pour la première fois, quand il apprend sa maladie, quelque chose nous attache à ce personnage. Non, il ne fait pas pitié, mais ce qui nous frappe (et frappe la trop compréhensive docteure jouée par Jennifer Garner), c’est sa fierté, la dignité humaine qu’il conserve, même en jaquette d’hôpital et au bord du gouffre, même presque mort. C’est aussi cette force vive qui le poussera à consommer illégalement de l’AZT, puis d’autres drogues plus efficaces qui prolongeront sa vie. Impossible pour nous de condamner ses actes.

Son chapeau de cow-boy n’est pas là que pour la frime, car le personnage conserve quelque chose d’un héros mythique de l’Ouest : individuel, d’abord seul contre tous (lire contre les institu-tions et les docteurs corrompus), il suit sa voie, se constituant peu à peu une équipe de mercenaires avec qui il reconstruira un monde plus juste. Il incarne un certain idéal américain, car il devient aussi, encore comme par instinct, un homme d’affaires, à la tête d’un prospère commerce de médicaments illégaux (mais pas immoraux). Tout ça nous mène près de la justification classique du capita-lisme : même si on ne fait que suivre notre instinct et notre égoïsme, la société finira par en sortir gagnante.

Y a-t-il chez lui quelque chose d’altruiste, y a-t-il vraiment un souci d’aider son prochain, ou bien le principal demeure-t-il l’appât du gain combiné à

l’instinct de survie ? La question demeure ouverte. Bien sûr que le personnage finit par prendre en sympathie un travesti qui deviendra son collaborateur principal, bien sûr qu’il devient un peu moins intransigeant et qu’il finit par privilégier, au moins une fois, la guérison d’autrui sur l’argent, mais cela ne dépasse pas un certain point. Il n’est pas transfiguré. Son agressivité envers la communauté homosexuelle s’évanouit, mais se tourne vers d’autres cibles : ses anciens amis, et surtout le gouvernement, qui lui met des bâtons dans les roues.

Contre le gouvernement, la quête du personnage est juste : aucun doute ne nous est laissé. Mais on finit par penser que les défauts chroniques de Woodroof ont une fonction cosmétique, essayant de brouiller cette distinction trop nette entre gentils et méchants.

TOURS DE FORCE Une espèce de tour de force, Dallas

Buyers Club ? En tout cas, c’est ainsi que le film est vanté et vendu par les journalistes et les publicitaires : tour de force d’interprétation, mais aussi exploit de qualité compte tenu d’un petit budget. Il est vrai que ce long métrage est de belle facture malgré les ressources limitées. On pourrait tiquer sur certains détails : par exemple, si on repense aux scènes de rodéo, il faut se rendre à l’évidence qu’il n’y avait pas beaucoup de figurants-spectateurs dans les estrades… Mais ça n’a pas d’importance, grâce à la beauté des plans et à la cohérence de l’univers

esthétique. Les vêtements, les décors et la palette de couleurs en général évoquent les années  sans trop appuyer. Le film ne sombre pas dans une minutie de reconstitution historique qui nous distrai-rait ; il est à la fois le rappel crédible d’une époque et une œuvre d’aujourd’hui.

Ce petit budget n’a pas empêché non plus la présence d’interprètes connus : McConaughey, Garner, Jared Leto et Griffin Dunne sont de la partie. Voilà sûrement le genre de film pour lequel un acteur accepte un cachet réduit, car c’est l’occasion de prouver l’étendue de son registre, pour ensuite recevoir des offres plus variées et plus intéressantes et, pourquoi pas, remporter des prix.

Mais nous, spectateurs, il nous faut oublier cela, il faut nous vider la tête de ces à-côtés pour essayer d’apprécier le film. Sinon tout se met à tourner dans notre esprit, et d’une certaine manière, Dallas Buyers Club devient aussi l’histoire d’une recherche de reconnaissance. La quête agressive du personnage principal ne nous semble pas très différente de la quête de respectabilité, d’honneurs, d’Oscars des acteurs. Comme si le combat du personnage principal contre une organisation puissante, la FDA, avait son revers pervers : la campagne des acteurs pour séduire les festivals, jurys, spectateurs. Bon, d’accord, peu de films existeraient sans spectateurs, dont c’est le destin d’être séduits sans cesse, mais ils ne veulent pas se faire remettre trop souvent sous le nez qu’ils sont en train d’être séduits.

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Pour ce rôle, Matthew McConaughey a fait ses devoirs. Il en a même donné plus que ce que le prof avait demandé. On sent son effort pour se départir de son allure de beau gosse falot, pour faire oublier une ou deux comédies romantiques de trop. Pour survivre artistiquement et préparer la suite de sa carrière. Jared Leto, en travesti tragique, se révèle aussi mémorable, réussissant à faire ressortir l’émotion plus que les clichés ; une émotion peut-être présente, étrangement, parce qu’il incarne le seul personnage qui s’apitoie quelque peu sur

Peut-être n’est-ce pas vraiment un problème. Le corps et le visage de McCo-naughey sont les motifs caractéristiques du film. C’est là-dessus que le film s’édifie, c’est ce devant quoi les autres acteurs et tout le reste s’inclinent et s’effacent. Le nouveau corps que l’acteur s’est sculpté dans son ancien corps se justifie d’un point de vue visuel. Dallas Buyers Club n’existerait pas sans ce corps. Si le refus des sentiments explicites laisse parfois un vide au centre du film, ce vide est au moins occupé, graphiquement, par une silhouette dégingandée.

acteurs ont vraiment joué avec la mort, ou qu’ils veulent rendre hommage à ceux qui sont morts au champ d’honneur de la lutte contre le sida.

UN FILM IMPORTANT ?Assurément un bon présage pour

la suite de la carrière américaine de Jean-Marc Vallée, Dallas Buyers Club n’est pas un grand film, même s’il aborde un sujet important. Trop didactique, trop démonstratif pour prétendre à être une œuvre d’art éternelle, ce film ne cherche pas vraiment à nous « faire réfléchir ». N’est-ce pas un film de progrès social, qui changera les choses ? Il parle plutôt d’un progrès social passé, et d’une façon schématique.

Pour un film plus « utile », il aurait fallu complexifier les enjeux. Moins s’arrêter à un seul docteur semi-corrompu, et à un seul agent de la FDA. Inclure surtout davantage de vraies nuances des deux côtés de la médaille. Mais ceci n’est qu’un long métrage de cinéma ; en deux heures, vraiment, on ne peut pas tout faire.

Ce film imparfait contient, à certains moments, de vraies réussites. Les moments d’humour sont bien intégrés et dosés. Une crise de larmes solitaire dans une voiture devient une explosion émotionnelle bienvenue. Une invasion de papillons alors que meurt un personnage est simplement émouvante, même si le symbolisme aurait pu paraître trop insis-tant. Un certain tableau est idéalement placé sur un mur pour cacher des trous faits dans un moment de rage. C’est dans ces scènes que tout se tient et qu’on pardonne au film ses aspects disjoints. La part d’irrésolu sert peut-être à donner de l’éclat à ces quelques instants privilégiés.

La fin ouverte de Dallas Buyers Club rappelle trop celle de The Wrestler, où Mickey Rourke jouait un lutteur sur le retour. Mais ça fonctionne. On peut le dire sans craindre de saboter le plaisir des futurs spectateurs : cette mort, quelque part dans le hors-film, on sait que l’homme réussira à la traverser les bottes au pied, comme il l’avait voulu. Z

* Réviseur linguistique et cinéphile 

Photos : www.cinoche.com

lui-même. Jennifer Garner n’éclate pas autant à l’écran que les deux autres, mais cela semble voulu, en partie : abandon-nant toute coquetterie sans devenir laide, elle est vêtue et coiffée de la manière la plus neutre possible. Ce qui nous fait presque avaler son rôle de gentille médecin incroyablement célibataire.

Chez McConaughey et Leto, est-ce que l’amaigrissement impressionnant est réellement l’indice de performances d’acteurs exceptionnelles ? N’est-ce pas trop facile, d’une certaine manière, de se transformer en squelette pour récolter les hommages ? Ça force au moins le respect. McConaughey et Leto ne s’effacent pas derrière leurs rôles. En se transformant en profondeur, les acteurs ressortent.

Mais peut-être qu’en retour, la finesse de l’expression est sacrifiée à l’efficacité de l’apparence. Le personnage est tellement marquant et marqué, dirait-on, qu’il ne peut pas traduire tout ce qu’il faudrait de son intériorité. Du moins pas dans le doublage en français. Voilà peut-être pourquoi on ne saisit pas exactement dans quelle mesure toute cette histoire l’a changé ou pas.

S’amaigrir, « jouer » avec son corps, comme si c’était un gage de vérité, comme si cela faisait approcher de la vérité… Peut-on croire que pour un acteur, le corps est un costume comme les autres ? Ce film est une fiction, mais les corps de Leto et McConaughey sont réellement décharnés. On dirait que les

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La valse des ombresZ Denys Lelièvre*

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La chronique « chanson » de ce numéro regroupe les albums de deux artistes bien établis, Pierre

Lapointe et Michel Rivard, et la première réalisation de voix nouvelles, Klô Pelgag et Émile Proulx-Cloutier, dont les œuvres témoignent déjà de la solidité de la relève. Au début des années , Pierre Lapointe a permis un retour à la chanson à texte, amenant le public à accueillir une parole dans une forme dépouillée, souvent en contexte acoustique. Dans un même esprit de renouveau, la chanson a accordé une place plus grande à la direction artistique, aux arrangeurs (Philippe Brault, Éric Goulet), ceux-ci sachant mettre de manière inventive les cordes et les cuivres au service des textes et, du même coup, faisant évoluer la forme de la chanson. Klô Pelgag travaille dans ce sens : « Je veux que la musique et les mots se confondent ». Le hasard a voulu que les titres des albums de Pelgag et de Proulx-Cloutier offrent une parenté évidente : L’Alchimie des monstres et Aimer les monstres. Que sont ces monstres sinon ces émotions négatives qui nous habitent, ces fantômes qui nous hantent, mais que l’artiste désire défier, cette part d’ombre en lui. Il suffit alors de prendre ces êtres à bras-le-corps et de les faire danser.

L’ALCHIMIE DES MONSTRESKlô PelgagAbuzive Musik,

Depuis quelques années, la jeune auteure-compositeure-interprète de  ans Klô Pelgag n’a pas cessé de remporter de nombreux prix et de recevoir l’accolade de la critique et du public : Ma première place des arts en  ; Festival de la chanson de Granby en  ; Prix Miroir du Festival international d’été de Québec (le prix Célébration de la langue française) en  ; le Prix du Cirque du Soleil et celui des Diffuseurs européens à la Bourse Rideau en , parmi tant d’autres. Dès le début de , les radios communautaires, les radios étudiantes et Youtube diffusent « Comme des rames », chanson qui fait découvrir une jeune créatrice originale, pleine de fraîcheur et d’une énergie presque rock. Son univers puise son inspiration dans son lieu de naissance, Rivière-Ouelle sur le bord du St-Laurent, et surtout dans plusieurs mouvements artistiques comme le surréalisme (Dali, Magritte), l’absurde (Ionesco, Vian) ou encore dans des styles de musique (Gentle Giant, King Crimson, Meredith Monk). Les chansons de l’album L’Alchimie des monstres traduisent bien son intérêt pour le côté caché des choses et la transformation du réel débute dans les mots et la musique, par un rapprochement inédit des formes (le bricolage, le collage). Il y a aussi des préoccupations sérieuses (l’amour, l’ailleurs, le doute, la mort) offertes dans une écriture éclatée, non convenue, où les mots naissent les uns des autres. « La fièvre des fleurs » met en scène une jeune femme confrontée à la maladie (la leucémie) et le ton a pour effet de désa-morcer la réalité cruelle de sa situation.

Dans l’adaptation de cette chanson sous forme de clip, l’actrice Catherine de Léan interprète le personnage avec une très grande justesse. Quatre chansons, « Les mariages d’oiseaux » surtout, « Le tronc », « La neige tombe sans se faire mal » et « Tunnel » expriment le questionnement de l’auteure sur le sens de la vie : « J’ai cassé les miroirs trop tôt dans ma vie ! Et j’ai broyé le noir trop fort et j’ai mis º Tout ça dans ma mémoire, j’ai creusé les trous º Tellement profonds que l’on voyait º La mort dans mon corps º La peine dans mes veines ». Les arrangements de cordes et de cuivres réalisés par Chloé Pelgag et son frère, Mathieu Pelgag, parviennent à créer des chansons où les mots et la musique se confondent. Après avoir triomphé au Lion d’Or dans le cadre du Coup de cœur francophone le  novembre dernier, Chloé Pelgag se produira à nouveau sur la même scène, mais comme tête d’affiche cette fois du fameux événement Montréal en lumières le  février .

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LES CALLASPierre LapointeAudiogram,

Dans l’opéra, le mot callas désigne un court passage mélodique interprété par la voix seule et empreint de simplicité (l’équivalent des cavatinas en italien). Ici, c’est un ensemble de  minutes formé de  miniatures (chansons et transitions musicales) au ton mélancolique. Nous

que l’on chérit º Doubles-croches qu’on maudit º Les désordres du cœur º Sont souvent tragédies º Des fleurs sans paradis ». Au début de la trentaine, le sentiment d’urgence apparaît : « Je préfère l’amour maintenant º Sinon c’est lui qui me tuera » (« Quelques gouttes de sang ») ; « Comme si j’allais mourir demain º Comme si je cachais toutes les beautés du monde entre mes mains » (« S’il-te-plaît »). Car c’est de jeunesse dont il s’agit. L’île inventée de la dernière chanson, « Les enfants du diable », en représente le parfait symbole, eux qui : « habitent sous le sable º Chantent leurs années folles º Avec des voix d’enfants º Pour effrayer leurs trente ans…Si vous les embrassez ».

AIMER LES MONSTRESÉmile Proulx-CloutierLa Tribu,

Acteur, réalisateur et auteur-compo-siteur-interprète, Émile Proulx-Cloutier illustre à merveille l’aspect multidis-ciplinaire de la carrière des jeunes artistes. À la scène, il s’impose comme l’un des comédiens les plus doués de sa génération. Avec son rôle dans la pièce

se situent au point de rencontre du théâtre et de la chanson. En entrevue, il affirme qu’il crée des personnages qu’il ne pourrait peut-être pas encore jouer à la scène. Son père, Raymond Cloutier, lui a fait écouter la musique du Grand cirque ordinaire, collectif de théâtre emblématique des années , celle du groupe Octobre. Nous retrouvons dans Aimer les monstres la même colère, la même tendresse. Le chanteur donne vie à des personnages auxquels nous pouvons nous identifier. Il s’intéresse en particulier au destin des femmes, au sort de la planète, à l’avenir des enfants. En ouverture d’album, la chanson-titre, « Aimer les monstres », met en scène un jeune adolescent tiraillé entre la vie fantasmée (les héros du cinéma) et les questions complexes de sa vie réelle (famille monoparentale, éveil à la sexualité), sentant sourdre en lui, comme dans le poème « Les Poètes de sept ans » de Rimbaud, le violent désir de prendre sa place. L’indignation, la colère, nous les retrouvons surtout dans « Votre cochon se couche », « Madame Alice » (des chan-sons sur l’exploitation de femmes qui ont trop ouvert leurs mains) et dans « Race de monde » (un rap qui, comme Loco Locass le fait, dénonce la bêtise humaine et incite au changement et à l’action). « Les mains d’Auguste » (célébration de l’engagement d’un homme dans le travail), « Les cités grises » (menacées par la guerre et par une nation en veilleuse) et « Le tambour de la dernière chance » sont des chansons remarquables, parmi les plus belles écrites au Québec en . Dans « Le tambour de la dernière chance », une femme âgée, atteinte d’Alzheimer, prend la parole. La visite impromptue d’un amant qui l’a jadis abandonnée l’amène à replonger dans ses souvenirs. Anne Sylvestre ne renierait pas. Du grand art ! L’on pense à « Orly », de Brel, ou à « L’oubli », de Rivard. Aimer les monstres nous laisse sur ces paroles : « Et j’attends que l’aube arrive º Jusqu’à ce qu’amour s’ensuive ». Au plan musical, la réalisation de Philippe Brault est extrêmement soignée. L’arrangement des cordes en fermeture de la chanson « Les cités grises » est divin. Une fois de plus, la maison La Tribu aura su découvrir un talent exceptionnel. La révélation de l’année . Vraiment incontournable.

Une musique inquiétante, il redécouvre le plaisir de jouer du piano et d’écrire des chansons. À l’été , il se présente à Petite-Vallée et rafle pas moins de sept prix. La compilation du Réseau d’été du ROSEQ nous permet de découvrir « Les mains d’Auguste », chanson d’une grande maturité, d’une tendresse infinie. Dans les premiers mois de , lors d’une tournée de plus de  villes intitulée Chansons cachées, il offrira aux plus curieux les chansons que nous retrouvons sur l’album Aimer les monstres. Celles-ci

retrouvons le dénuement auquel Pierre Lapointe nous a déjà habitués. Les textes parlent du cœur et de ses désordres (de ses « monstres » peut-être). De l’ambivalence entre la douleur provoquée par l’amour (l’absence, l’éloignement, la trahison) et le désir de s’abandonner à nouveau, de tout recommencer. « Je déteste ma vie » exprime bien cette valse-hésitation. La pièce-titre de l’album, « Les callas », apparaît comme la métaphore de l’ennui et de son double, le bruit engendré par le fait d’aimer et de vivre. « Les désordres du cœur » cerne avec acuité les émotions qui accompagnent le mal d’aimer : « Les désordres du cœur º Nous ont fait basculer º Vers d’étranges demeures º Des lieux insoupçonnés º Les désordres du cœur º Nous ont fait guerroyer º Avec des mots en pleurs º Des cadences insensées… Les désordres du cœur º Quand on dit des “Je t’aime” º Mais qu’on finit par douter º De son propre poème… º Les désordres du cœur º Sont des rythmes-ascenseurs º Des rondes

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* Professeur de littérature à la retraite, il est maintenant journaliste culturel à la pige. Il anime présentement à CKRL FM 89,1 l’émission Univers francophone, consacrée à des entrevues en chanson, en littérature et en théâtre.

ROI DE RIENMichel RivardAudiogram,

La pochette de l’album Roi de rien nous accueille avec une reproduction impressionniste du Pont Jacques-Cartier à Montréal. Michel Rivard (et son Flybin Band) nous replonge en terrain familier (le quotidien, la ville), mais pour réaffirmer sa fidélité à des valeurs profondes (l’amour, l’enfance, la musique, la nature) et nous livrer les fruits de ses réflexions les plus actuelles. Les mots « roi de rien » suggèrent plus que jamais le refus de tout rapport de force. Dans « Je voudrais voir la mer », l’auteur exprimait déjà sa crainte d’un

nationalisme aveugle : « sans tenir un drapeau ». Aujourd’hui, la soif de pouvoir et la course aux armements ne font que s’accentuer. Voici les mots de « Roi de rien » : « pas de sang sur les mains ». L’auteur-compositeur se présente comme un artisan de la chanson et c’est en toute humilité qu’il rejette le statut de star et qu’il se méfie de l’auréole de modèle ou de héros dont les gens attendent les gestes pour éviter d’agir par eux-mêmes. Adolescent, il fait la rencontre de l’amour et de la musique. « Mélodie » met leur lien en lumière : « j’avais quinze ans et demi º on a dansé collé ». La ville, si habitable peut-elle être, n’existe pas sans l’appel de l’ailleurs, sans son double, la nature. « Dans l’bois » met en scène un itinérant hanté par le Nord où il a grandi : « l’alcool me coule en d’sous d’l’écorce º je me rappelle pus d’aucune rivière º mon corps est un fantôme précoce º qui quête sa place au cimetière… º dans ma caverne entre deux tours º toujours du bruit pis de la lumière º je suis sale de tout ce qui traîne à terre º comme une erreur du manitou º sur le visage des frères de rue º je reconnais le cuir je reconnais l’âme º mais la main tremble et la bouteille éclate º et l’ambulance hurle à la lune…je fais des rêves de carton trempe º pis je

me réveille avec les loups º les hommes chassent les femmes dansent º et les néons chantent en innu ». La faculté de s’indigner s’accompagne, chez Rivard, de compassion, d’un amour pour les petites gens, de la reconnaissance de leur profonde humanité. « Styromousse », « Une lettre ouverte » et, surtout, « Merci pour tout » ont pour effet de rassembler, de rendre grâce : « Merci les oiseaux de passage et les sages du passé º …merci la vue quand y’a de la vie après la bande-annonce º …merci le printemps quand défile l’espoir en rouge et bleu ». Enfin, des chansons comme « Et on avance », « Avalanche » surtout, et « Ma sœur la lune » laissent filtrer des interrogations plus personnelles, des inquiétudes, le doute : « des fois j’en arrache avec l’au-delà º …tu m’as fait voir des continents º des citadelles d’or º le lendemain º j’avais vingt ans º j’les cherche encore ma sœur la lune ». Merci, Michel Rivard ! L’un de tes plus beaux disques ! Z

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Avec Orfeo, publié aux éditions L’instant même en , Hans Jürgen Greif, alors professeur

de littérature française et de langue allemande à l’Université Laval, a remporté le prix littéraire du Salon du livre de Québec, cette année-là, en plus d’être finaliste au prix France-Québec. Le roman a été réédité en format poche chez le même éditeur en .

DE QUOI S’AGITIL ? Dans Orfeo, le romancier d’origine

allemande, installé au Québec depuis , a voulu rappeler l’existence combien difficile des castrats, ces chanteurs émasculés en bas âge afin qu’ils conservent le registre aigu de leur voix enfantine, après la puberté, pratique que le Saint-Siège a interdit formellement à la fin du XIXe siècle. S’inspirant du seul enregistrement existant, celui de l’Italien Alessandro Moreschi (-), réalisé en -, Greif a imaginé une histoire des plus émouvantes, tout en étant des plus crédibles. Le romancier met en scène, dans une petite ville allemande, un enfant d’une douzaine d’années, Lennart Teufel, victime d’un tragique accident de la route qui le prive de ses parents et qui le laisse lourdement handicapé. Se sentant incapable de s’occuper de l’enfant, une tante convainc une amie, la femme de ménage d’une célèbre professeure de piano, de prendre sous son aile cet enfant qui adore la musique. La vieille dame, Anna Maria Ferrone-Oragagni, ne tarde guère à découvrir que Lennart non seulement chante mais possède une voix exceptionnelle, comme elle n’en a jamais entendue dans sa longue carrière.

C’est l’histoire de cette voix que Horst Weber, ancien élève de celle qui est aussi connue sous le nom de la

de Hans Jürgen Greif ou le dur apprentissage musical

Z Aurélien Boivin*

Signora, décide de reconstituer, à partir du témoignage que la vieille dame lui a livré avant sa mort. C’est d’ailleurs à lui qu’elle confie le jeune prodige, « sa meilleure réussite » (p. ), qu’elle s’est appliquée à former pendant douze ans, non sans déplorer le fait, dans sa confession, d’avoir trouvé cette voix trop tard dans sa carrière (ibid.). Car ce jeune émasculé, conséquence de l’accident, possède une « voix angélique » (p. ) et est, selon elle, une véritable « incarnation du chant » (p. ). Aussi, « pour faire revivre une voix des temps passés » (p. ) en même temps que la plus belle en Occident, la Signora l’a formée par un enseignement rigoureux auquel a dû se soumettre le jeune homme, privé de liberté. Elle l’a placé « au centre de sa vie » (p. ) et lui a imposé un régime draconien, reposant sur une conception idéalisée de la souffrance : « La beauté naît de la souffrance », a-t-elle confié à Weber (p. ). Juste avant sa mort, le jeune homme lui a fait part de sa décision de changer son nom : Lennart Teufel est mort, est né Orfeo. Weber, son nouveau mentor, ému aux larmes, tout comme son épouse, la première fois qu’il a entendu la voix de ce musico ou primo uomo, un « anachronisme vivant » (p. ), – jamais Greif n’emploie le terme « castrat » – est convaincu qu’elle « déclassait toutes les voix modernes » (p. ). Cette émotion ressentie par quiconque est ce que Kirsten, l’épouse de Weber, appelle « l’effet Orfeo » (p. ). Reconnaissant à son tuteur de l’« avoir sorti du tombeau de son enfance » (p. ), le jeune homme a tôt fait de conquérir les participants d’un festival de musique classique où, pourtant, les chanteurs n’étaient pas admis. Fort de ce succès et refoulant le sentiment de jalousie qui l’animait jusque-là, en voulant profiter seul de l’attrait d’une voix si merveilleuse, unique, Weber inscrit Orfeo à un concours international de musique baroque. Orfeo a beau émouvoir et les membres de l’orchestre et les spectateurs, il ne décroche qu’un prix spécial, ne parvenant pas à gagner la sympathie de tous les membres du jury, dont certains refusent même de croire en son exceptionnel talent. C’est la chute, aussi imprévisible que brutale, tant pour lui que pour le couple Kirsten-Weber. Après avoir erré dans la campagne et être

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entré en contact avec les membres d’un groupe de musique moderne, il accepte de se produire dans un rave, où, comme dans le mythe d’Orphée, il est victime, non pas des Bacchantes en furie, mais d’une foule déchaînée. Les vêtements lacérés, il a toutefois la vie sauve et, à la fin, dans son errance, il se retire de l’univers musical, se contentant à l’occasion de se produire, dans un champ, devant un groupe d’enfants.

Cette histoire est enrichie de la présence de Weber et de son épouse qui, tous les deux, mais chacun à sa manière, sont rapidement devenus amoureux du chanteur, alors qu’une amie du couple, Vera, propriétaire d’un bar populaire, est la seule à ne pas être tombée sous le charme du musico et n’a d’yeux que pour Kirsten, qu’elle parvient à attirer dans son lit.

LE TITREÀ la veille de mourir, Anna Maria

Ferrare-Origagni, la Signora, réclame à son chevet la présence de Weber, critique musical de grande renommée, qui fut l’un de ses anciens élèves mais qu’elle a renvoyé, faute de talent, après onze ans de leçon de piano, dont deux avec elle (p. ). Elle lui confie le jeune chanteur, qui vient tout juste de lui faire part de sa décision de prendre comme nom de scène Orfeo. Elle y voit, non pas « uniquement un rappel de la mythologie » (p. ), mais un hommage que lui rend son élève, d’une docilité exemplaire. Car, pour ce nom, il « a utilisé les deux premières lettres de [s]on nom de famille, puis les deux premières de celui de sa mère, et a ajouté le o, la cinquième lettre » (ibid.). Une telle décision lui plaît puisque le jeune homme connaît la tradition et « sait que les plus grands primi uomini prenaient un nom de scène » (ibid.), pratique qui est toutefois loin de faire l’unanimité, peu s’en faut, auprès des membres du jury du concours international de musique baroque de Starnberg : « Ce genre de nom chez quelqu’un d’aussi jeune, c’est peu commun. Pour ma part, je trouve cela presque prétentieux » (p. ), d’affirmer le juge George Bender, directeur artistique de l’opéra de Francfort. Weber avait déjà formulé la même remarque : « […] il se rappela le nom de scène que s’était choisi Lennart. Cela lui sembla enfantin, hardi et prétentieux à la fois » (p. ). Il

faut dire que ce nom est une trouvaille et, n’en déplaise à la Signora, il relie magnifiquement le jeune prodige au mythe d’Orphée. C’est peut-être ce qui a dérangé Caroline Montpetit du Devoir, qui, tout au long de l’entrevue qu’elle a menée auprès de l’auteur, a toujours écrit Orpheo, même dans la description bibliographique…

LE TEMPS LA DURÉE À part l’auteur lui-même, bien malin

qui pourrait situer dans le temps, avec une certitude absolue, l’intrigue d’Orfeo. Le romancier est avare d’indications temporelles précises, si ce n’est des marqueurs comme celui-ci : « au début des années cinquante » (p. ), sans doute pour entretenir le mystère. Mais on devine que l’intrigue que raconte Weber, à la suite de la confession de la Signora, se déroule à la fin du XXe siècle, voire au début du XXIe, ce qui semble correspondre alors au temps d’écriture. Elle dure quelques mois à peine, depuis la veille de la mort de la célèbre professeure « aux méthodes de travail révolues » (p. ), et la demande qu’elle formule à son ancien élève, jusqu’à la tenue du concours de chant et le massacre d’Orfeo, victime des emportements d’une foule déchaînée. Toutefois, Weber, le narrateur, refait l’histoire du chanteur depuis son accident alors qu’il avait douze ans, résumant ensuite son difficile et douloureux apprentissage d’une durée de douze ans, auprès de celle qui lui a causé les mêmes difficultés. Il ne manque pas de rappeler ses études en musique et son propre échec comme pianiste soliste, qui mettait un terme à onze années d’une rigoureuse formation, dont deux auprès de la Signora.

LE LIEU L’ESPACEToute l’action se déroule en

Allemagne, pays d’origine du romancier. La villa que la Signora possède depuis une trentaine d’années est située en banlieue de Bad Krozengen, dans le sud de la Forêt-Noire, tout « à côté du Meumagen, un petit ruisseau paisible » (p. ). C’est là que, pendant douze longues années, elle « séquestre » son protégé, sans qu’il puisse participer à la vie en société, si on exclut « deux ou trois visites annuelles à Freiburg » en sa compagnie (p. ) et « des consultations occasionnelles chez

un célèbre ostéopathe de Bâle » (p. ). Weber, lui, habite Freiburg, « une ville pas trop grande pour s’y perdre, pas assez petite pour s’ennuyer » (p. ), à proximité de l’Alsace. Après la mort de la non moins célèbre professeure, le jeune prodige, ébranlé, voire en crise, vend la villa, accepte l’invitation de Weber et s’installe à Bernau, non loin de Sankt Blasien, où le couple Kirsten-Weber a transformé en appartement confortable une vieille étable, réfection qui « avait coûté trois fois plus cher que prévu » (p. ). C’est à Wurtzbourg, « avec ses joyaux du Moyen Âge, de la Renaissance et de l’ère baroque » (p. ), qu’Orfeo effectue son premier voyage en compagnie de son nouveau tuteur pour assister à un camp musical au château de Weissenfels, où pourtant les chanteurs n’étaient pas admis en compétition. Il brave l’interdit et émeut l’assistance en interprétant quelques arias. Le concours de musique baroque, organisé par la Fondation Freedmann, a lieu, on l’a dit, à Starnberg, non loin de Munich (p. ). La fin du roman nous ramène à Freiburg, où Vera, l’amie de Kirsten, l’épouse de Weber, vient d’ouvrir une boîte de nuit moderne, le Twilight, là où Orfeo sera victime d’une foule endiablée.

LES PERSONNAGESOrfeo. De son vrai nom Lennart Teufel,

il est devenu handicapé à la suite d’un accident de la route qui a coûté la vie à ses parents. Après avoir survécu à une longue série d’interventions chirurgicales (p. ), il tombe par hasard sous la tutelle d’Anna Maria Ferrone-Oragagni, pianiste soliste, puis professeure de piano, qui accepte de s’occuper de sa voix unique et de son apprentissage. Cette âme tendre et fragile (p. ) est dotée d’une mémoire musicale prodigieuse, fiable et sûre (ibid.). Il possède une voix angélique (p. ) au « timbre magnifique » et « un sens de l’harmonie inné » (ibid.). Il a la plus belle voix d’enfant que la Signora n’a jamais entendue, allant même jusqu’à prétendre que ce phénomène est l’« incarnation du chant » (p. ). Aussi pour tous ces qualificatifs, Orfeo doit se soumettre aux exigences de la Signora, qui a entrepris avec lui une formation de douze ans (p. ), selon un horaire des plus stricts, qui le prive des joies de la vie et de tout

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contact avec l’extérieur. Il est prisonnier sans jamais se plaindre (p. ) de cette « geôlière » qui lui a imposé, pendant tout ce temps, un régime draconien (p. ), dans une maison sombre où se répandait une insupportable odeur de musc (p. ). C’est de ce prodige à la voix unique, de ce « produit anachronique » (p. ), mais vivant (p. ), qu’hérite Weber, à la mort de la Signora. Orfeo se montre aussitôt reconnaissant envers son nouveau maître de l’avoir sorti du « tombeau de son enfance » (p. ). Il prend petit à petit de l’assurance et décide, sans en faire part à son tuteur, de se produire au camp musical du château de Weissenfels, à Wurtzbourg, et de préparer soigneusement avec lui le concours international de musique baroque de Starnberg, où il subit la terrible humiliation de l’échec, une chute des plus vertigineuses, en raison des tractations des juges, qui font preuve d’une injustice flagrante, préférant accorder le premier prix à une prima dona. Après avoir erré dans la campagne et avoir été victime de la foule, lors d’un concert rave, il s’isole du monde et doit se contenter de livrer quelques prestations devant les enfants.

Anna Maria Ferrone-Oragagni. Surnommée la Signora, de par ses origines napolitaines, et méchamment « la Vieille » à l’occasion – « elle pouvait avoir entre soixante-quinze et quatre-vingts ans, car elle avait souvent l’air d’une grand-mère implacable qui n’aime pas ses enfants » (p. ) –, elle est une célébrité dans l’univers de la musique. Dotée d’une riche culture musicale, elle a connu une brillante carrière de pianiste soliste, puis de professeure de piano, jusqu’à ce que, l’âge aidant, elle soit injustement oubliée (ibid.). On dit d’elle qu’elle avait un talent plutôt médiocre comme pédagogue, mais qu’elle savait détecter « les faiblesses de ses élèves », qu’elle « les [leur] égrenait, parfois avec une impatience frisant la colère » (p. ). « [D]inosaure redoutable, aux méthodes anciennes » (p. ), elle a rapidement été conquise par la voix de son protégé, qu’elle considère comme sa « meilleure réussite » (p. ), d’où sa décision de travailler avec lui dans des conditions souvent déplorables pour « faire revivre une voix du temps passé » (p. ). D’où

aussi l’imposition d’un régime draconien à ce jeune homme qu’elle a « placé résolument au centre de [s]a vie » (p. ), car elle a cru jusqu’à sa mort, des suites d’un cancer de la moelle épinière, qu’en le soumettant à « un entraînement approprié », elle pourrait lui procurer « la plus belle voix que tout ce qui existait en Occident » (p. ).

Horst Weber. Appelé tout au long du roman par son patronyme, jamais par son prénom, qu’il dévoile lui-même tardivement à Orfeo (p. ), Weber, âgé de trente-cinq ans, est le narrateur de cette histoire dont une partie lui a été dévoilée par la Signora : « Chaque jour, pendant quelques semaines jusqu’à la mort de la Signora, Weber reconstitua l’histoire de cette voix » (p. ), histoire qu’il commence comme un vrai conteur : « Un dimanche de juin, il y avait de cela treize ans, un jeune homme du nom de Georg Teufel, sa femme et leur fils… » (p. ). Ancien élève de la Signora, il a été forcé d’interrompre sa carrière de pianiste quand la Signora lui a annoncé sans ménagement qu’il ne serait jamais soliste, faute de talent. Après des études en musicologie à l’Université de Freiburg, il devient critique musical à la Freiburger Rundschau, où il acquiert une solide réputation, malgré son jeune âge. Il est profondément ému la première fois qu’il entend la voix d’Orfeo, pensant même qu’il s’agissait de la voix d’une femme, qui laissait deviner une « fusion parfaite entre sentiment et mélodie, avec des frémissements dans les voyelles, plus étirées qu’à l’habitude, et des attaques vigoureuses […] une voix […] d’une étendue considérable [qui] englobait le mezzo et le soprano, [qui] sautait douze ou treize notes sans effort, [qui] exécutait les glissandi avec l’élégance d’une danseuse » (p. ). Il accepte la mission que lui confie la Signora, celle de poursuivre l’apprentissage d’Orfeo : « C’est à vous, lui dit-elle, de lui prouver qu’il est attendu dans le monde. Moi, je l’ai formé, à vous le reste » (p. ). Elle ne manque pas de lui prodiguer quelques conseils, dont celui d’être vigilant, pour ne pas que le prodige se transforme « en attraction de cirque » (p. ), et des mises en garde : « Dès que le monde l’aura entendu, il sera soumis

à de terribles passions, les salles de concert, les grandes maisons d’opéra se l’arracheront. S’il travaille trop, il pourra briser sa voix. Et il sera oublié aussitôt. Jusqu’à maintenant, sa vie a été réglée sur l’horloge du vestibule. Jamais d’écarts, jamais d’émotions fortes. Il les a toutes eues dans l’année suivant l’accident. Il faut le protéger. Veillez sur lui » (p. -). Elle n’a toutefois pas compté sur la dureté du milieu de la musique, qui contribuera à anéantir ses rêves, ceux de Weber et d’Orfeo, dont le critique est rapidement devenu amoureux, tout comme Kirsten, son épouse, dont il se détache petit à petit.

Kirsten. Épouse de Weber depuis huit ans, douée du sens des affaires, elle ne semble guère attachée à son mari, qui ne la satisfait plus. Elle a déjà eu un amant (p. ), plaît beaucoup à son amie Vera, type de la femme fatale, et est très attirée par Orfeo, par ce qu’elle appelle aussi « l’effet Orfeo » (p. ). C’est elle qui, à l’insu de son mari, console le chanteur déchu et déçu, après son échec, et se donne à lui, qui, selon l’auteur, dans une entrevue, affirme qu’il ne pouvait aimer mais qu’être admiré.

LA STRUCTUREOrfeo est constitué de onze chapitres

non numérotés, tous introduits par une épigraphe empruntée à de grands maîtres : Rossini, Mozart, Vivaldi, Gluk, Haendel, Cavalli, telles celle-ci : « De si hautaines beautés éveillent l’aversion plutôt que l’amour » (Haendel, p. ), ou encore : « Le serpent offensé ne se repose jamais » (Haendel, p. ). L’intrigue est ponctuée, sans surcharge aucune, de quelques arias, qui ajoutent à l’intérêt du roman et qui démontrent les vastes et riches connaissances musicales et vocales du romancier, son étonnante compréhension de la musique aussi, comme le prouvent les nombreuses références aux notes de la gamme et à leurs octaves, qui ont dû charmer et charmeront encore les amateurs. Le roman se referme sur un « Épilogue » et sur une « Note de l’auteur », dans laquelle il affirme avoir voulu rendre « hommage à des voix dont l’écho n’a pu être sauvé, à l’exception d’un seul enregistrement datant du début du XXe siècle ». Ces

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deux textes sont suivis d’une judicieuse bibliographie des ouvrages cités et d’une discographie qui permet aux lecteurs de se mettre à l’écoute des arias que le romancier confie à son chanteur.

LES THÈMESLa musique. C’est le thème central

du roman. Greif permet aux non-initiés de découvrir les énormes sacrifices qu’un chanteur doit s’imposer pour arriver à percer dans ce monde, qui est loin d’être de tout repos, où les violons, pourrait-on dire, ne sont pas toujours accordés. L’apprentissage du chant d’opéra est on ne peut plus exigeant dans cet univers où les injustices sont légion.

Le désir. Il est omniprésent dans Orfeo, « [d]ésir de l’autre, de l’atteindre, de la pénétrer, de le sublimer », écrit Louis Jolicœur. Par sa voix unique, Orfeo est une vedette, et des personnes de son entourage peuvent facilement espérer s’en approcher et profiter de sa présence rassurante, apaisante. Mais ce désir, Weber ne peut l’assouvir, alors que son épouse

semble déçue de sa trop brève relation avec lui et ne s’explique pas un tel échec.

La solitude. Corollaire du thème précédent. Lennart Teufel, devenu Orfeo, a connu, sous la tutelle de la Signora, une solitude insupportable, surhumaine même aux yeux de plusieurs, mais qu’il apprend à maîtriser, à dominer. Ce n’est qu’au terme d’un dur apprentissage qu’il apprendra à vivre en société, une société qui le rejette toutefois, en raison sans doute de sa différence, ce qui est encore le cas dans notre monde dit moderne.

LA PORTÉE DU ROMANAvec Orfeo, Hans Jürgen Greif a voulu,

sans aucun doute, rendre hommage tant à la grandeur de la musique, un art presque sacré pour lui, qu’à l’éclatante beauté de la voix. Il a voulu aussi montrer que l’univers de la musique est d’une dureté implacable, comme le laisse voir l’attitude profondément injuste et mesquine des juges, en particulier le juge français, lors du concours de chant. Pour eux, Orfeo, le uomo homo ou le musico, n’a plus sa

place dans le monde moderne où trône la prima dona. L’échec d’Orfeo peut aussi être vu comme le refus du passé, ce passé où vivait la Signora. Comme le précise Thierry Bissonnette, « [l]e public a beau l’adorer [Orfeo] spontanément, on ne traverse pas si aisément l’institution musicale, peuplée d’orgueils tenaces et tentaculaires ».

*   Professeur de littérature québécoise, Université Laval

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livres de poche

Un vibrant plaidoyer en faveur de la justice et de la tolérance

Un jeune homme de bonne famille tue une femme, et toute la ville est en émoi. Dans les quelques jours qui suivent le meurtre, l’intrigue se tisse à travers la rumeur urbaine que suscite ce crime.

Notes

1 Hans Jürgen Greif, Orfeo, roman, [Québec], L’instant même, [2013], 325[1] p. [1re édition : L’instant même, [2003] 258[2] p.].

2 Caroline Montpetit, « Une voix surhumaine », Le Devoir, 1er et 2 février 2003, p. 1 et 5.

3 Loc. cit.

4 Louis Jolicœur, « L’Orfeo de Hans-Jürgen Greif », Nuit blanche, no 90 (printemps 2003), p. 19.

5 Thierry Bissonnette, « Le roman musicien », Au fil des événements, 13 février 2003, p. 4.

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De sa plus tendre enfance, où elle était déjà un vrai petit rat de bibliothèque, Diane

Bergeron a conservé tous les livres de la comtesse de Ségur, à vrai dire en piteux état à force d’avoir été relus. Elle garde aussi un souvenir vivace des Signe de piste, une collection pour garçons ! À l’adolescence, la lecture de Heinz Gunter Konsalik, auteur allemand, lui a fait prendre conscience que, pendant la Seconde Guerre mondiale, du côté « ennemi » aussi, chacun avait son Histoire à vivre. Ensuite, est venue la découverte des traductions des récits de suspense américains pour adultes, les mêmes que lisait son père, ce qui a permis des discussions passionnantes avec lui. Et puis, dans ce qu’elle appelle sa phase bouddhiste, Diane Bergeron a lu Lobsang Rampa, mais la lévitation n’a pas fonctionné ! Au cégep, grâce à un professeur aux goûts classiques, elle s’est passionnée pour Le Rouge et le Noir, de Stendhal.

Aujourd’hui, l’auteure se dit éclectique, avec une forte admiration pour les livres intrigants et scientifiques de Bernard Werber, l’auteur des Fourmis. Ce qu’elle admire en lui, c’est sa manière de donner des informations apparemment anodines au détour d’une page, et qui reviennent plus tard pour prendre tout à coup de l’importance. Ce jeu entre l’écrivain et le lecteur la ravit.

LA BULLE DU TAMIA RAYÉQuand elle écrit, Diane Bergeron se

compare à un tamia rayé qui s’affaire. Idéalement, elle doit se retrouver seule pour cette activité, mais comment l’être avec quatre enfants ? En même temps, elle constate qu’elle a besoin d’être

dérangée. Au chalet, elle peut enfin être dans sa bulle. Les idées viennent rapidement, même si les commandes prennent plus de temps. Trois ou quatre romans mijotent en attendant d’être rédigés. Pour chacun, pendant un mois environ, beaucoup de recherches s’avèrent nécessaires, surtout pour la série Biocrimes. À mesure que la rédaction avance, les recherches se précisent. Pour cette scientifique devenue vulgarisatrice, il s’agit de faire comprendre aux lecteurs comment ça marche.

Diane Bergeron n’écrit pas très vite. Elle relit à mesure, si bien que le texte est déjà presque prêt lorsqu’elle attaque la révision finale. Il faut impérativement que tout se tienne. Lors de plusieurs relectures, elle traque les adverbes, que son éditeur a en horreur, car il vaut mieux montrer que dire. Même si le vocabulaire est parfois plus difficile à comprendre, il n’est pas question de sous-estimer le lecteur. La série Biocrimes éclaire le côté nébuleux du monde scientifique : anthrax, clonage, dopage et greffes d’organes, notamment.

UNE ATMOSPHÈRE DÉRANGEANTEC’est son premier livre, Le chien du

docteur Chenevert, qui lui a donné le goût d’écrire. À l’âge de  ans, elle a retrouvé des textes produits au cégep et, en particulier, Le charnier, qui évoquait une atmosphère dérangeante. Diane Bergeron s’est lancée alors le défi de prendre un cours d’écriture sur la nouvelle littéraire. Modifier Le charnier s’est avéré à tel point excitant que ses enfants ont souvent mangé des grill cheese brûlés à l’époque ! Son professeur lui a finalement conseillé de transformer ces  pages d’horreur et de suspense en un roman de  pages.

Défi relevé ! Ce véritable roman-école, l’éditeur Pierre Tisseyre le lui a fait réduire à  pages et resserrer encore. Comme les lecteurs doivent pouvoir s’identifier à quelqu’un d’aussi imparfait qu’eux, le personnage principal, Annie Jobin, n’est pas une super-héroïne, mais une risque-tout, qu’un chien vient finalement sauver du savant fou qui voulait lui greffer une tête canine.

DES CARIBOUS DANS SON LITLe roman Tempête sur la Caniapiscau

inaugure une nouvelle collection, « Ethnos », chez Pierre Tisseyre. Diane Bergeron n’est jamais allée dans cette région isolée du Moyen-Nord québécois, au-delà du e parallèle, sur cette terre que Dieu donna à Caïn, dit-on. Dix mille caribous s’y sont noyés en , dans les eaux de la rivière Caniapiscau gonflées par des pluies abondantes. Selon certains savants, il s’agirait d’un suicide collectif, mais l’auteure, sceptique, a décidé de poursuivre son enquête et d’établir le rapport entre cet événement tragique et la construction du réservoir du barrage LG. « Que veut-on cacher ? » se demandait-elle. Peu de données étaient disponibles sur ce sujet pourtant histo-rique. Cependant, grâce à des contacts, l’auteure a eu accès à la bibliothèque du ministère des Ressources naturelles, qui renfermait des articles parus dans le monde entier, des rapports d’accidents, des stations météo, et… Le sujet était si passionnant que Diane Bergeron peut dire que des caribous ont couché dans son lit pendant quatre mois !

Comment Diane Bergerona écrit certains de ses livresZ Propos recueillis par Monique Noël-Gaudreault*

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Non seulement ce roman a reçu un bon accueil, mais il est maintenant étudié dans plusieurs écoles du Québec. Comme le héros, Qajack, habite au Nunavik, des Inuits ont même félicité l’auteure d’avoir si bien traduit la spiritualité des communautés du Grand Nord.

DANS UNE ARMOIRE ANCIENNELa série des Atlas raconte des voyages

dans le temps, dans l’espace et dans le corps de quelqu’un. Diane Bergeron l’a écrite en souvenir d’une question qu’elle se posait dans sa jeunesse : « Qui aurait-elle été si elle était née ailleurs, dans une autre époque, dans un autre corps ? » Découvert au grenier, dans une armoire ancienne, par un adolescent qui s’ennuie, l’atlas aspire le personnage pour le trans-porter ailleurs, dans des lieux inconnus de lui, et pour lui faire vivre des aventures pleines de dangers et de frissons.

Avec le tome , L’atlas mystérieux, le personnage principal visite le Zaïre, le Klondike et l’Atlantide. L’atlas perdu emporte le lecteur dans l’Égypte de Cléo-pâtre. Enfin, l’action de L’atlas détraqué se situe dans la France médiévale. L’atlas a ses propres règles et il n’est pas toujours facile de revenir chez soi même si on l’a décidé.

L’auteure voulait faire une série où le héros visiterait tous les pays, toutes les époques, mais l’éditeur a craint de trop étirer la sauce. Tous deux ont finalement décidé de s’arrêter à trois. Toutefois, au salon du livre, les jeunes en redemandent. Un quatrième roman voit donc le jour : L’atlas est de retour. Diane Bergeron y

ŒUVRES DE DIANE BERGERON La série « Biocrimes » Éditions Pierre Tisseyre Le chien du docteur Chenevert, 2003, 256 p. Clone à risque, 2004, 264 p. Anthrax connexion, 2006, 254 p. La série des « Atlas » Soulières Éditeur L’atlas mystérieux, tome 1, 2004, 143 p. L’atlas perdu, tome 2, 2004, 157 p. L’atlas détraqué, tome 3, 2005, 143 p. L’atlas est de retour, tome 4, 2009, 168 p. Tempête sur la Caniapiscau, Éditions Pierre Tisseyre, 2006, 192 p.

entreprend de conclure en répondant à une question souvent posée : « Que se passe-t-il dans le corps de la personne qui reçoit le personnage qui voyage grâce à l’atlas magique ? » La question était de savoir dans quelle mesure le propriétaire légitime du corps parvenait à en garder le contrôle.

Pour se sortir des problèmes de la vie de tous les jours, quoi de mieux que de visiter d’autres mondes possibles ? Il s’agit de lire pour apprendre, pour aller plus loin, pour réfléchir, pour se montrer critique. « J’ai cloné quatre enfants », déclare sans ambages Diane Bergeron aux élèves, perplexes, auxquels elle rend visite dans les classes.

LES MOTS DE LA FINInvitée dans les écoles, l’écrivaine

jeunesse constate que, souvent, aucun investissement de la part de l’enseignant, aucune préparation, n’ont précédé sa visite. Or, minimalement, une lecture à voix haute bonifierait la réussite de la rencontre avec les élèves. Pourquoi ne pas montrer son intérêt pour développer celui des enfants et des adolescents ? Il faut redonner au livre ses lettres de noblesse.

Aux jeunes, à l’ère de la télévision, d’Internet et des jeux vidéo, Diane Bergeron veut passer le message suivant : Un livre, c’est un ami, un monde en soi, plus riche que la vraie vie. Z

* Professeure de didactique à l’Université de Montréal

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Ce court roman jeunesse de  pages de Diane Bergeron, L’atlas mystérieux, destiné tant

aux élèves du e cycle du primaire qu’à ceux de re secondaire, raconte le voyage particulier de Jean, un garçon de  ans. Il constitue le premier tome d’une série de trois avec L’atlas perdu et L’atlas détraqué, qui raviront aussi le lecteur.

LE TITREL’atlas mystérieux représente non

seulement le titre, mais aussi l’objet fabuleux par lequel cette histoire survient. Grâce à celui-ci, notre héros découvre des lieux dont il ne soupçonnait pas l’existence.

LE TEMPS ET L’ESPACEre partie. Elle se déroule en , dans

la famille de Jean, qui décide d’explorer le grenier situé au-dessus de sa chambre un après-midi qu’il est puni. Il y déniche une armoire sculptée dans laquelle un atlas attire son attention ; dans celui-ci, une lettre étrange écrite par son grand-père lui est destinée et l’invite à voyager : « Profites-en donc, mais méfie-toi de ceux qui voudraient te prendre ce livre. Il ne doit jamais te quitter ou tomber entre des mains étrangères » (p. ).

e partie. En activant l’atlas, N’Juno (Jean) se retrouve en Afrique, à une époque ancienne, au milieu de la tribu de Kananga. « Le plancher est en terre battue ; les murs sont en paille et laissent filtrer la lumière et la chaleur » (p. ). N’Juno vit nu au milieu de ses semblables.

e partie. Autant il a eu chaud en Afrique, autant John a froid au Klondike, un siècle plus tôt, dans sa cabane de bois rond. Il découvre en ce lieu « un paysage dévasté sur plusieurs kilomètres. Pas un arbre. […] Le soleil est bas, il fait très froid, mais il n’y a pas de neige » (p. ).

e partie. Son troisième voyage amène Juan en Atlantide, sur le continent disparu. Il n’en croit pas ses yeux et commet quelques anachronismes qui

étonnent son entourage : sa mère et maître Matisse, entre autres. Par exemple, il se fait demander par sa mère ce qu’est un dragon et elle ignore ce que sont les toilettes (elle lui dit qu’il apprend de drôles de mots à l’école et que les latrines se trouvent dans la cour). En ce qui concerne le lieu précis, Juan « se demande vraiment où il a pu atterrir. Tout ce qu’il sait, c’est qu’il est au bord de la mer » (p. ).

LA STRUCTURE DU RÉCITLe roman est divisé en quatre

parties et contient un épilogue. La première partie permet de connaître l’environnement de Jean, le héros, qui se trouve un peu à l’étroit dans sa chambre partagée avec son frérot de trois ans. Il est souvent puni, contrarié, et un jour qu’il est enfermé, il ouvre l’atlas. Dès lors, l’aventure démarre car, d’une part, il est curieux de savoir où cela va le mener ; d’autre part, il est un peu effrayé.

er voyage. Il pose son doigt sur la carte et se retrouve à Kananga, au Zaïre : il sent de drôles d’odeurs ainsi que des vibrations l’envelopper. À son réveil, ses huit frères et sœurs l’entourent puisqu’aujourd’hui, c’est la cérémonie qui fera de lui un homme. Son père n’y assiste pas, il est mort en se battant contre un tigre l’année précédente. N’Juno découvre avec stupéfaction que lui aussi est Noir et nu, ce qui le gêne un peu. Pendant la journée, le garçonnet aura l’occasion de défendre un copain en abattant une lionne « maigre et couverte de cicatrices » (p. ). La cérémonie des nouveaux hommes se déroule sans notre Jean, qui active à nouveau l’atlas pour se retrouver cette fois-ci « dans le silence, la noirceur et le froid » (p. ).

e voyage. Ce périple le surprend dans une cabane « encombrée de caisses et de sacs de jute » (p. ). Il s’agit de la dernière journée de John au

Klondike parce qu’il retourne à la maison étant donné que le filon s’est avéré bon. Le garçon connaît du Klondike ce qu’il a vu dans le film Croc Blanc. Pendant que son père et son oncle s’affairent en ville et préparent le retour à la maison, John garde la cabane et protège le butin. Un malfaiteur survient peu après et lui vole son livre avec l’intention de le vendre au propriétaire du saloon. John tente de lui proposer un sac d’or à la place, mais le bandit refuse parce qu’il n’a pas de concession : « qui dit pas de concession, dit pas d’or ! C’est la loi, ici, au Klondike » (p. ). John se retrouve en très mauvaise posture et entreprend de retrouver son atlas ; sinon, il ne pourra plus voyager ni retourner chez lui.

e voyage. Sa dernière destination l’étonne autant, sinon plus que les autres, car il fait un grand bond dans le temps. En dépit de ses observations, il cerne mal l’endroit où il se retrouve parce qu’il manque de référents. Juan constate qu’il fait noir comme lors des précédents voyages, mais que « la maison est étonnante » (p. ) et les habitudes de vie déconcertantes. Il commence à s’ennuyer de Junior, de ses parents réels. Par la suite, il doit porter une pierre de vie et découvre qu’il vit en Atlantide. Juanito, comme le surnomme sa mère, va de surprise en surprise et assiste au cours de maître Matisse sur le continent disparu. Toutefois, son maître lui demande de rédiger une composition dont le sujet porte sur l’avenir de l’Atlantide. Juan est de plus en plus perturbé par le destin qui attend son nouvel entourage et met tout en œuvre pour le sauver.

Épilogue. Voilà Jean de retour à la maison, de nuit. Il retrouve sa famille et apprend avec stupéfaction que ses parents savaient « qu’il était parti explorer le grand monde » (p. ), « qu’il n’est pas le premier à voyager grâce à l’atlas » (p. ). Sa mère l’étonne en lui disant de poser le livre, elle désire y jeter un coup d’œil étant donné que « ton père

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et toi semblez avoir fait de magnifiques voyages grâce à cet atlas » (p. ). Le lecteur doit-il deviner qu’elle aussi s’aventurera hors de sa vie habituelle ? La lecture du prochain tome fournit peut-être la réponse.

LE PERSONNAGE PRINCIPALJean. Au début, il incarne un garçon

de  ans vivant avec ses parents et son jeune frère, qui fouille dans ses affaires et le fait mettre en punition. Grâce à l’atlas, il revêt de multiples personnalités : celles de N’Juno d’abord, puis John et, finalement, Juan. Le livre se termine sur

• Organiserunediscussionausujetducontinentdisparu,l’Atlantide.

• AprèsavoirluundesvoyagesdeJeanàhautevoix,demanderauxélèves d’en imaginer un en équipe, puis de le raconter aux autres.

• En50 mots,décrirelalionnequiessaied’attaquerlesenfants.

• RésumerundesvoyagesdeJeanetfaireimaginerlafinen200 mots.

• Sousformedetableau,demanderauxélèvesdenoterlesprincipales caractéristiques de chacun des personnages incarnés par Jean ainsi que celles des lieux qu’il foule.

• Enuniverssocial,effectuerletracédelaroutedesprospecteursd’orafin de pouvoir imaginer où John vit en compagnie de son père et de son oncle.

• LiredestextesaveclesélèvespourleurfaireconnaîtredavantagelarouteduKlondike, le col de Chilkoot, la rivière Eldorado et Dawson City.

• DemanderauxélèvesquelvoyagedeJeanilsontpréféréetpourquoi.

• FairedessinerN’Juno,JohnetJuanàpartirdesdescriptionsfourniesparl’auteure.

PISTES D’EXPLOITATION

Jean N’Juno John Juan

Caractéristiques physiques

Caractéristiques psychologiques

Caractéristiques des lieux visités par le personnage

Jean, chez lui. Comme personnage, il vit moult aventures, fait preuve de courage et montre de l’empathie envers ceux qu’il côtoie.

LES THÈMESLe voyage. La découverte de

plusieurs continents ravit et inquiète tout à la fois Jean qui, à un moment donné, se demande s’il peut retourner à son quotidien de garçon évoluant en . Il s’adapte aux divers lieux, situations et personnes croisées dans le cadre de ses voyages, mais n’oublie ni ne perd de vue sa vie d’antan. Il plonge dans chacune

des aventures à plein et celles-ci lui procurent toutes sortes d’expériences, tant positives que négatives.

La famille. Thème multiple s’il en est un, car Jean vit trois voyages différents qui font de lui, en premier lieu, un Africain grandissant au sein d’une famille de huit enfants dont le père est mort ; puis il accompagne son père et son oncle, et participe à la ruée vers l’or ; finalement, sa dernière famille est constituée de ses parents et de ses deux sœurs aînées. Ces divers modèles lui font prendre conscience qu’il apprécie beaucoup sa famille et veut la retrouver.

LES ILLUSTRATIONSLes illustrations de Sampar font en

sorte que le lecteur plonge plus aisément dans l’univers du personnage de Jean. Elles aident à visualiser certaines des péripéties et sont très réussies. Z

* Enseignante à la Commission scolaire de Rouyn-Noranda

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La consultation des dictionnaires contemporains usuels tels que Le Petit Robert et Le Petit

Larousse illustré nous apprend que le verbe chicoter, qui a figuré dans les dictionnaires jusqu’à la fin du XIXe siècle, avec le sens de « chercher querelle pour des vétilles » est aujourd’hui sorti de l’usage en français général. C’est ce qu’explique Le Petit Robert, qui fait, depuis , une entrée chicoter, où nous lisons : « chicoter est usité en français de France du XVIe siècle à la fin du XIXe siècle au sens de “chicaner” et se rencontre en particulier dans les parlers manceau et saintongeais » ; il le donne ensuite comme un mot régional du Canada avec la signification de « tracasser, inquiéter », d’où la présence du mot chicoter dans ce dictionnaire. En outre, ce sens québécois de chicoter est entré dans Le Petit Larousse illustré en .

Ce verbe est attesté en français depuis  ; d’abord noté chiquoter au sens de « débattre, discuter sur des vétilles », puis sous la forme chicoter « se quereller pour des vétilles ». Il provient du substrat dialectal, comme le mentionne d’ailleurs Le Petit Robert : « il se rencontre en particulier dans les parlers manceau et saintongeais ». Il est consigné avec la marque populaire dès , mais qualifié de bas dans la première édition du Dictionnaire de l’Académie en . Les grands dictionnaires de langue qui le relèvent encore le définissent par « se quereller pour des vétilles », et lui attri-buent la marque vieux. Il est remplacé en français général par chicaner, qui a pour signification « élever des contestations mal fondées, chercher querelle sur des vétilles ». C’est ce que consigne, en , le Dictionnaire national ou dictionnaire universel de la langue française de Bescherelle, où l’on peut lire d’entrée de jeu : « On dit plutôt chicaner » ; suit la défi-nition : « Contester sur des choses de peu d’importance, sur des bagatelles ». Mot de l’argot parisien, chicaner est attesté pour

la première fois chez Villon en  avec le sens de « poursuivre en justice ».

Proches sémantiquement, les deux verbes ont, en outre, une ressemblance formelle. En effet, les dictionnaires s’accordent pour dire que le verbe chicoter est probablement formé, comme chicaner, sur le radical tchitch- à valeur expressive, avec le suffixe péjoratif -oter. En résumé, ces commentaires sur le verbe chicoter nous permettent de comprendre la démarche lexicographique des diction-naires et nous aident à mieux interpréter les données historiques. On remarque également que depuis quelques années les dictionnaires se montrent, en général, plus accueillants aux mots des différentes variétés de français.

Cela dit, nous devons préciser qu’en français acadien, au lieu de la forme chicoter, le mot généralement usité est chacoter. Il s’agit d’une forme typiquement acadienne qui n’a pas cours dans les autres français canadiens. Dans le Parler populaire du Québec et de ses régions voisines, les points d’enquêtes qui donnent cette forme, soit au no , par exemple, se situent dans les régions acadiennes. En revanche, le Glossaire du parler français au Canada consigne chicoter et chacoter sans toutefois préciser que ce dernier est un mot acadien. Il est hérité des parlers de l’Ouest de la France et il n’appartient pas à la même famille que chicoter. Enfin, les deux formes relèvent du registre familier.

OUI. MAIS QUELQUE CHOSE ME CHICOTEEn emploi transitif, le verbe chicoter est

surtout très courant avec la signification de « tracasser, inquiéter, préoccuper ». En , Narcisse-Eutrope Dionne, dans Le parler populaire des Canadiens français, le définit par « donner à songer ». Voici un exemple tiré du roman Les Velder de Robert Choquette : « Ah ! comme ça, madame Velder, M. Côté vous inquiète… […]. – Eh bien !… oui, il

m’inquiète. Depuis, surtout, que vous m’avez parlé de ces quinze dollars par semaine. – Qu’est-ce qui vous chicotte au juste ? – Je ne sais pas. Il a pourtant un visache honnête, cet homme-là ». Aussi, de Jean Côté, ce contexte d’Alonzo le Québécois : parti pour la gloire : « Oui. Mais quelque chose me chicote. Votre meilleur ami est disparu dans la brume, sa fille aussi, et ça n’a pas l’air de vous inquiéter outre mesure ? [Il lève les bras, fataliste.] – Que feriez-vous à ma place ? Je suis aussi consterné que vous pouvez l’être. Mais je me sens impuissant à résoudre ce mystère ».

Mentionnons que ce verbe est surtout usité dans la tournure impersonnelle ça me chicote. En voici un exemple : « Avec le temps qui passe, je pense à la retraite, un jour, et ça me chicote un peu » (Châtelaine, janvier , p. ). De plus, la ressemblance, tant au point de vue de la forme qu’au point de vue du sens, qui existe entre chicoter et chicaner s’exprime encore ici dans les exemples français et belge qui suivent. Alors que le français québécois emploie ça me chicote, le français général connaît avec la même acception cela me chicane « cela me donne du tourment, de l’inquiétude » (Trésor de la langue française, Le Grand Robert de la langue française). Pour sa part, Michel Francard, dans le Dictionnaire des parlers wallons du pays de Bastogne, consigne ça me chicane, également au sens de « préoccuper, inquiéter » : « Ça m’ chicane k’ i n’ è rin vlou m’ dire ».

POURQUOI LE CHICOTER LÀDESSUS ?Dans les contextes suivants, l’inquié-

tude fait place à l’agacement. En parlant de quelque chose qui irrite, le verbe chicoter a pour signification « agacer, déranger, ennuyer ». Adrienne Choquette écrit : « Il n’y a qu’une chose qui me “chicote”… objecta Hermine. Laure fronça le sourcil. – Quoi donc ? – C’est la blan-cheur du plafond et des murs. Ce blanc-là,

Ça me « chicote » ou ça me « chicane » ?Z Suzelle Blais*

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l’éditeur n’avait sans doute pas envie de défendre un auteur inconnu et surtout trop lié encore aux modèles de la littérature portugaise naturaliste de la fin du XIXe siècle, comme Os Maias d’Eça de Queiros (que Lídia est en train de lire, par ailleurs). Le roman que voici tente de se libé-rer des contraintes mais s’arrête brusquement au milieu d’une discussion entre le cordonnier et son locataire. Il n’est pas surprenant que l’auteur n’ait pas voulu voir la publication de ce texte de son vivant. En 1989, Saramago pratiquait depuis trop longtemps ses sujets, il avait trouvé son style, unique. La lucarne aurait été mal accueillie (ou pas du tout) par la critique. Le livre lui avait servi d’exer-cice d’écriture pour assembler des personnages, bien mieux représentés dans les œuvres précédant le second millénaire. Les aficionados de Saramago liront le roman avec intérêt. Z HANSJÜRGEN GREIF

ÉLODIE TIRELMémorisÉditions JCL, Chicoutimi, ,  pages

Élodie Tirel réside à Saint-Malo, en France, où elle enseigne l’espagnol. Elle est loin d’être une nouvelle venue en littérature. Déjà lauréate du prix Merlin dans son pays pour un roman de fantasy, Les héritiers du Stiryx, elle joint en 2008 les Éditions Michel Quintin, qui ont pignon sur rue en Montérégie. Très prolifique, elle a publié, depuis, une vingtaine de romans jeunesse, la plupart du genre fantasy, quelques-uns à ranger plutôt dans la catégorie science-fiction. Chez le jeune lectorat, sa renommée n’est plus à faire.

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Avec sa dernière publication, Mémoris, cette auteure s’adresse pour la première fois à un public adulte, à qui elle propose un roman de science-fiction.

Le 13 janvier 2114, c’est la tête vide de tout souvenir, mais remplie de questions qu’une inconnue se retrouve dans les coursives de l’île artificielle de Samildria, poursui-vie par la garde noire, une faction de l’implacable Armée Internationale. Fort heureusement, elle est recueillie par Éthan, un jeune homme de couleur qui, compatissant, offre généreusement de la soutenir dans sa quête d’iden-tité et peut-être de retrouver avec elle sa mémoire per-due. Curieusement, si elle ne se souvient de rien quant à son passé, elle n’en maîtrise pas moins un certain nombre de fonctions de base telles que le langage et les connais-sances nécessaires à sa survie dans le monde étrange où elle est apparue.

Sur les conseils de son protecteur, elle adopte le pré-nom provisoire de Sam, d’après la désignation de l’île où a eu lieu sa renaissance. Dès lors s’amorce une course-poursuite de tous les instants. En même temps qu’elle est contrainte de fuir l’armée, Sam cherche tant bien que mal à retrouver les pièces de son passé et à les réunir pour en recomposer un puzzle aussi complexe que déconcertant, où il semble que la connaissance de la vérité soit pire que l’ignorance.

Elle se rend bientôt compte qu’elle doit ruser aussi pour assouvir son insatiable curiosité et explorer son environnement. Un albinos inquiétant qu’elle rencontre trop souvent sur son chemin finit par la laisser perplexe ; est-ce là pure coïncidence ? Ce personnage ne la surveil-lerait-il pas ? De son côté, Éthan met tout en œuvre pour

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la protéger, mais, pour découvrir qui elle est, ne doit-elle pas braver un tant soit peu ses interdictions ?

Finalement ce ne sera pas une simple histoire d’am-nésie qu’elle découvrira. Elle apprendra comment cette société de haute technologie est dominée par une élite invisible qui n’hésite pas à sacrifier les marginaux aussi bien que les récalcitrants. Elle aura tout le loisir de se poser des questions sans réponse, de se demander notamment si son cerveau n’a pas été programmé par un savant fou. Mais pour accomplir quel dessein mystérieux ?

Mémoris confirme, si besoin était, le talent d’Élodie Tirel pour développer une intrigue et articuler une action. Le déroulement de son roman est réglé avec la plus grande minutie. Chaque péripétie arrive à point nommé pour assurer un développement harmonieux et ménager les effets du début à la fin. C’est là un ouvrage original qui séduira les amateurs de SF ; il explore des technologies d’un futur sans doute assez proche, si on en croit le rythme où s’imposent aujourd’hui des miracles scientifiques encore improbables hier.

Le récit est en outre porté par un style fluide qui en rend la lecture facile. Les phrases sont bien équilibrées et des descriptions justes permettent au lecteur de se faire une idée précise du monde en principe déroutant où se déroule l’action. Z CLÉMENT MARTEL

ANDRÉ VANASSELa flûte de RafiXYZ éditeur, Montréal, ,  pages

Pawel Szojchet vient de prendre la plus grande déci-sion de sa vie : quitter Cracovie. Avec la complicité de sa grand-mère, le jeune homme de dix-huit ans tourne le dos au quartier juif de Kazimierz, se répétant qu’il ne veut plus être boucher rituel comme son père et comme tous les aînés Szojchet depuis quatre générations. Même s’il sait qu’il brisera le cœur de ses parents et que ces der-niers jugeront son départ comme un manquement à la mémoire de ses ancêtres, Pawel les quitte, assuré d’avoir pris la bonne décision.

Nous sommes le 18 avril 1626 et une nouvelle vie débute pour Pawel. À travers ses voyages, on découvre entre autres quelques villes : Hambourg, Amsterdam et Rouen. Dans chacune d’entre elles, Pawel fait la rencontre de personnages qui marquent son parcours, dont Marga-lit ou encore Esther, une enfant qu’il sauve des flammes et qui devient sa fille adoptive. Au fil des années, Pawel devient un éminent acheteur de tableaux d’artistes célèbres. Lorsqu’il s’installe à Rouen pour s’occuper de la galerie d’art du père de sa femme, Pawel découvre par le fait même l’intolérance religieuse. Comme il avait changé son patronyme à Varsovie pour Hase, puis pour van Haas à Amsterdam, son nom est ainsi francisé et devient Paul Vanas.

Beaucoup plus tard, en 1665, on suit le trajet de Fran-çois, le fils de Pawel, qui quitte l’Europe pour le Nouveau Monde. Après huit semaines en mer, il accoste enfin sur les côtes du Saint-Laurent pour ensuite se rendre à Trois-Rivières. Là, il s’initie au travail de la terre et, de jour en jour, se familiarise avec le métier d’agriculteur. Le temps aidant, il s’acclimate à son nouveau pays, tant à ses habitants qu’à ses rudes hivers. Il acquiert rapidement une grande réputa-tion dans la région de Trois-Rivières avec sa musique, qui égaie divers événements et rencontres.

Dès les premières pages du roman, André Vanasse note qu’il ne s’agit pas ici de l’œuvre d’un historien, dont le

but premier serait de se limiter à dire la vérité. Au contraire, il laisse aller son imagination pour décrire d’une façon tout à fait plausible la vie de ces deux hommes, Pawel et Fran-çois, dont on ne sait pas grand chose, mais qui seraient les ancêtres de tous les Vanasse d’Amérique. Pour le roman-cier, l’apport des Juifs est important dans le développe-ment de la Nouvelle-France et remet en question la notion même de Québécois pure laine. L’idée est intéressante, mais la ligne entre l’Histoire et la fiction n’est malheureuse-ment pas toujours claire dans ce roman. Par exemple, dans les dernières pages, les naissances des enfants de François sont présentées les unes après les autres, comme s’il s’agis-sait d’un banal registre, ce qui nous éloigne de la trame du roman. On y perd un peu du plaisir de tout simplement plonger dans une fiction pour ce qu’elle a à donner : un monde à découvrir. Z MARIEMICHELLE POULIN

CLAUDEEMMANUELLE YANCELa mort est un coucher de soleilLévesque éditeur, Montréal,

coll. « Réverbération »,  pages

Après un hiatus d’une vingtaine d’années dans la trame de son œuvre, Claude-Emmanuelle Yance a repris la plume en 2011 en publiant un troisième recueil de nou-velles. Puis, elle a poursuivi en optant cette fois pour la forme romanesque, une première pour elle. Dans La mort est un coucher de soleil, l’écrivaine nous livre une réflexion pénétrante sur un sujet délicat : le suicide. Un choix violent reçu par ceux qui n’ont rien vu venir, comme un véritable coup au plexus.

Camille, la narratrice, n’appartient pas à cette première couronne rapprochée dont les vies basculent après le sui-cide de l’un des leurs. Pourtant, « blessée par [sa] mort au-delà du convenable » (p. 31), elle veut à tout prix com-prendre pourquoi Alexis, son jeune technicien en infor-matique, a mis fin à ses jours. Sa quête, craint-elle, sera peut-être perçue comme de l’ingérence dans une histoire qui ne la concerne pas, mais elle puise aux sources de sa culpabilité et de son désir d’éviter les lieux communs. Sans compter qu’il y a la peur aussi, celle de la mort et celle de la vie… Car cette femme, qui se plaisait à imaginer le garçon qu’elle n’avait jamais eu sous les traits d’Alexis, ne peut pas admettre que ce jeune père ait abandonné ses deux enfants de façon si cruelle. Pourtant si, c’est possible, lui dira son propre père nonagénaire, un enfant n’est pas un garde-fou qui vous empêche de tomber. Du reste, il y a ceux qui, comme Alexis, sont tirés vers l’arrière par leur souffrance et leurs rêves brisés, mais il y a également ceux qui sont tirés vers l’avant quand, parfois, le temps traîne en longueur. « Est-il plus digne de se laisser vivre jusqu’à la fin que de choisir sa mort ?» (p. 140) Évidemment, Camille n’obtiendra pas de réponse puisque le mystère de la mort persiste, jouxtant celui de l’immensité de la vie, mais elle acquerra une sorte de sagesse en lisant les derniers écrits d’une amie de son père.

Le roman donne humblement matière à réflexion et Yance a rassemblé quelques éléments d’intrigue qui boni-fient son récit. Et si la narration démarre un peu laborieu-sement, elle prend son envol au bout de quelques pages. La romancière s’abreuve à la source de nos propres peurs et, en intériorisant avec sensibilité une question actuelle comme celle du suicide, elle permet aux mots « de remon-ter vers la vie ». Des mots toujours justes mis en valeur par un style en demi-teintes parfaitement maîtrisé. Z GINETTE

BERNATCHEZ

rom

ans