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Depeche Mode à la française

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  • Cahier du Monde No 21788 dat Mercredi 4 fvrier 2015 - Ne peut tre vendu sparment

    Des chimpanzs et des hommesEn Ouganda, une station de recherche voue ltude des grands singes vient dtre cre par le Musum national dhistoire naturelle de Paris.

    Lobjectif de ce laboratoire en pleine nature ? Mesurer limpact des activits humaines sur ces primates. Reportage

    P A G E S 4 - 5

    Cols blancs et bleus se marient-ils vraiment ?

    La Saint-Valentin approche : tes-vous dj entrain de la prparer ? Etes-vous dailleurs lorga-nisateur minutieux des activits conjugales ?Cest votre temprament, me direz-vous, et cest

    probable. Mais si cela avait quelque chose voir avec votre origine sociale ? Et sil y avait tout un projet de vie derrire le management du quotidien ?

    Qui se ressemble sassemble : le dicton vaut toujoursaujourdhui. En France, lhomogamie, cest--dire le fait dpouser une personne socialement proche, diminue globalement mme si elle a tendance se renforcer chez llite des diplms, selon les travaux de Milan Bouchet-Valat. Les couples htrogames existent donc. La sociologue amricaine Jessi Streib, dans le livre issu de sa thse The Power of the Past (Oxford University Press, 2015), sest intresse aux mariages entre person-nes dorigines sociales diffrentes : celles nes de pa-rents ouvriers, mais passes par lenseignement sup-rieur et ayant pous des personnes dont les parents taient cols blancs , cadres et dirigeants.

    Quont-ils bien pu se trouver pour saimer ? Ceux dontles parents taient cols bleus disent que leur parte-

    naire leur semblait stable et avoir russi. Ceux dont les parents taient cadres ou dirigeants indiquaient avoir trouv une vie de famille riche chez leur conjoint, ce que reconnaissaient volontiers certains : Il ma pous pour mes tantes. a tombe bien, elles laiment bien , dit une enqute Jessi Streib. Les diffrences de culture ne sont pas que des sources de sgrgation, elles sont aussi recherches, apprcies.

    Mais cette alliance complmentaire des diffrences ne conduit pas leffacement des divergences. Lon sait bien que des origines sociales diffrentes donnent des gots diffrents. Les enquts expriment volontiers leurs dgots pour les habitudes culturelles stroty-pes des parents de leur conjoint : yachting pour les uns, soire foot pour les autres. Jessi Streib se concentre plutt sur les sensibilits diffrentes, cest--dire les orientations face ce qui arrive, les sentiments.

    Pour rsumer, dans ces couples htrogames, les ori-ginaires des classes populaires sont partisans dun cer-tain laisser-faire. En matire de gestion des finances, par exemple, ils ont plus dargent que leurs parents et apprcient de le dpenser ce qui ntait pas possible

    pendant leur enfance. Pour eux, on vit mieux sans simposer de contraintes, surtout quand on est objecti-vement en ascension sociale.

    Les personnes dont les parents taient cols blancs ,elles, approchent plutt le travail, les loisirs, les tudes et les dpenses comme la gestion minutieuse de res-sources faire fructifier : elles veulent tre les managersde leur propre vie, elles prennent du plaisir organiser les activits familiales. Pour Streib, cette sensibilit ma-nagriale trouve son origine dans lexistence de res-sources grer ds lenfance. Les tensions conjugales naissent plus de ces sensibilits diffrentes, qui ne changent pas, que des diffrences de gots.

    Elle met ainsi en lumire le pouvoir du pass , les chemins cachs par lesquels la classe dorigine continue jouer, mme chez ceux qui partagent, par le mariage, un mme niveau dducation et de ressources financi-res. Ce pouvoir du pass est aussi un pari sur le futur : la sensibilit managriale, la gestion minutieuse du temps, de largent, des motions ou des activits des enfants est dirige vers la transmission des privilges de classe. p

    Les ondes gravitationnelles

    repasseront Les chos du Big Bang que des Amricains croyaient avoir perus ntaient que le reflet de poussires dans la Voie lacte. PAG E 3

    Pour un secret mieux gard Depuis laffaire Snowden, le cryptologue Bruce Schneier ne mnage pas ses critiques envers la NSA, lagence amricaine de renseignement. PAG E 7

    Cancer : acclrer les traitements Pour la Journe mondiale du cancer,le 4 fvrier, lARC expose un plan afin que les malades profitent plus vitedes rsultats de la recherche. PAG E 2

    Le parc national de Kibal, dans louest de lOuganda, abrite notamment une communaut de 80 chimpanzs. JEAN-MICHEL KRIEF

    c a r t e b l a n c h e

    BaptisteCoulmont

    Sociologue et matrede confrences luniversit

    Paris-VIII(http://coulmont.com)

    (PHOTO: MARC CHAUMEIL)

  • 2 | 0123Mercredi 4 fvrier 2015 | SCIENCE & MDECINE | A C T U A L I T

    Cancer : favoriser laccs aux thrapies cibles o n c o l o g i e | Passer dune mdecine dexception une mdecine pour tous : un objectif dfendu

    par la Fondation ARC loccasion de la Journe mondiale contre le cancer, mercredi 4 fvrier

    pascale santi

    Le diagnostic est tomb : cancer dupoumon mtastatique, dix moisdesprance de vie. Ctait il y a dix-huit mois. Aujourdhui, Bernard Des-forges, 49 ans, non-fumeur, na plusdans le corps quune tumeur canc-

    reuse de la taille dun grain de riz. Dans linter-valle, ce pre de trois enfants rsidant Londresa appris que ses cellules cancreuses conte-naient dans leur ADN une altration du gne EGFR (rcepteur du facteur de croissance pi-dermique), provoquant une croissance tumo-rale incontrle. Une thrapie cible (erlotinib, commercialis par Roche sous le nom de Tar-ceva) lui a t administre en Grande-Bretagne. Mais, scientifique de formation, Bernard Des-forges sest mis creuser le sujet , a pass des centaines dheures lire des publications scien-tifiques, changer avec des patients dans le monde entier.

    Puis la tumeur principale a t opre, sa de-mande, Londres. Bernard Desforges a obtenude faire raliser un squenage complet de ses mutations et biomarqueurs, aux Etats-Unis. Ces analyses mont permis de comprendre do le danger allait venir, explique-t-il. Cest commesi, sur un terrain de guerre, jtais entour desnipers et quil fallait reprer lennemi. Une deuxime thrapie cible lui a t propose, le crizotinib (Pfizer), par lquipe londonienne. Aujourdhui, Bernard Desforges prend ces deux mdicaments, nettement moins agressifs que les traitements classiques. Il a entrepris d li-miner le grain de riz en y associant en plus de limmunothrapie propose en Allemagne, base dinjections mensuelles de cellules dendri-tiques, qui visent reprogrammer son systme immunitaire.

    Le parcours thrapeutique international deBernard Desforges, qui sest rcemment en-gag comme volontaire la Fondation ARC

    pour la recherche sur le cancer, fait figure dex-ception. Mais il illustre le succs que peuventconstituer ces thrapies cibles, aussi disponi-bles en France. Vraie rvolution ces quinze der-nires annes, le principe est simple : la mala-die nest plus traite en fonction de lorganetouch mais en fonction des spcificits de latumeur, de son profil gntique . Des mol-cules ciblent ces anomalies, on parle alors demdecine de prcision.

    Malgr les spectaculaires avances de la re-cherche et lamlioration des taux de survie desmalades, le squenage des tumeurs nest pas ef-fectu en routine, affirme Axelle Davezac, direc-

    trice gnrale de la Fondation ARC pour la re-cherche sur le cancer. Il faut aller plus vite et pas-ser dune mdecine dexception une mdecine pour tous ; en gnralisant ces approches, on doit pouvoir gagner 40 000 vies de plus par an , cest--dire gurir deux cancers sur trois dans moins de dix ans. Cest un cri dalarme que lancela Fondation ARC, lundi 2 fvrier, deux jours avant la Journe mondiale contre le cancer. Elle formule huit propositions pour un meilleur ac-cs linnovation thrapeutique, accompa-gnes dun appel aux dons sur www.innova-tioncancer.org.

    Alors quun cancer sur trois tait guri il y avingt ans, un cancer sur deux lest aujourdhui. Mme si cela reste la premire cause de morta-lit, avec 150 000 dcs par an en France. Et que son incidence augmente (350 000 nouveaux cas en 2013 contre 278 000 en 2000) avec laug-mentation de lesprance de vie mais aussi en raison de facteurs environnementaux, notam-ment le tabac chez les femmes.

    Nous souhaitons que ces innovations puissenttre disponibles pour tous, sans ingalits dac-cs , explique lui aussi le professeur Franois Si-gaux, directeur de la recherche et du dveloppe-ment de lInstitut national du cancer (INCa), qui pilote 28 plates-formes labellises o seffec-tuent ces tests de squenage. Cest lun des butsdu troisime plan cancer (2014-2019) : faire b-nficier de ces traitements un maximum demalades, et ce, sur tout le territoire. Sans cet ac-cs linnovation, Bernard Desforges ne serait

    sans doute plus parmi nous , insiste Axelle Da-vezac. Le squenage des exomes (la partie co-dante du gnome dune tumeur) permet de re-prer toutes les anomalies. En 2013, 65 000 pa-tients en France ont bnfici dun test de gntique molculaire dterminant laccs une thrapie cible, selon le site de lINCa.

    Ce test sera-t-il lavenir propos tous les pa-tients atteints de cancer ? Nous sommes con-vaincus que la gnralisation du squenage to-tal de lexome apportera un bnfice pour les pa-tients, en prvoyant mieux les thrapies, explique le professeur Fabrice Andr, oncologue lInstitut Gustave-Roussy (Villejuif). Des tudessont en cours afin de valider cela.

    Larrive des thrapies cibles a bouscul leschma classique des essais cliniques. Une qua-rantaine dentre elles sont aujourdhui commer-cialises, plus de 800 sont en cours dtude, plusou moins avance. Aujourdhui, seulement de 5 % 8 % des patients sont inclus dans un essai de recherche clinique, dplore la Fonda-tion ARC. Lobjectif du plan cancer est dinclure 50 000 patients par an dans les essais cliniques thrapeutiques lhorizon 2019, contre 25 000 en 2013, notamment les cancers pdiatriques, jusquici trop dlaisss par la recherche.

    Il convient ensuite de mettre en place labonne thrapeutique. Il faut chaque fois trou-ver la bonne formule entre lanomalie gnti-que, la molcule qui pourra la cibler, en lasso-ciant si ncessaire avec limmunothrapie. Il faut tre prudent, car les effets des thrapies ci-

    bles semblent limits dans le temps. Et il existe des anomalies pour lesquelles il ny a aucun trai-tement, avertit le professeur Sigaux, il ne sagit pas de donner de faux espoirs aux patients.

    Autre bmol : Le dlai entre le moment durendez-vous pour le prlvement et le rendu desrsultats va dune semaine plus dun mois selonles endroits , pointe le professeur Franois Ghi-ringhelli, oncologue mdical au Centre de lutte contre le cancer Dijon et chercheur. Les asso-ciations de patients sont trs vigilantes sur les ingalits. Cette pratique tend se gnraliser mais se heurte aux moyens, le squenage dune tumeur cotant plus de 1 000 euros , explique leprofesseur Ghiringhelli. Le patient ne dbourse rien pour linstant. Le succs de ces avances thrapeutiques nest pas sans poser la question de leur financement. Il sagit l dun choix poli-tique et socital.

    Le problme est aussi que le prix de ces mdi-caments est scandaleusement lev. On arrivera un moment o la collectivit ne pourra plus payer , lance le professeur Jean-Paul Vernant,hmatologue lhpital de la Piti-Salptrire(AP-HP) et auteur des recommandations pour letroisime plan cancer. En Grande-Bretagne, cer-tains mdicaments de ce type ne sont plus rem-bourss, ce qui pose un problme thique. Lin-dustrie pharmaceutique ne devrait pas tre une industrie comme les autres et devrait baisser le prix des mdicaments, insiste le professeur Ver-nant, car le malade nest pas un consommateur comme les autres. p

    Lex-plante Pluton est en vue !La sonde New Horizons, lance il y a neuf ans, a pris ses premires images de cet astre mconnu, quelle frlera la mi-juillet.

    Un monde de glace rou-getre, dont latmos-phre se condenseinexorablement me-

    sure quil sloigne du Soleil Cest ce quoi ressemble Pluton. Ou plutt ressemblerait, car les astronomes en sont rduits auxsuppositions : aucune sonde spa-tiale na en effet jamais survollex-neuvime plante du sys-tme solaire, rtrograde au rang de plante naine en 2006.

    Ces hypothses seront trsbientt soumises vrification, avec le survol de Pluton ces pro-chains mois par la sonde amri-caine New Horizons. Lanc il y a neuf ans, lappareil, gros comme un piano queue, est sorti sansencombre de sa phase dhiberna-tion dbut dcembre 2014. Le25 janvier, il a commenc pren-dre les premires photos du corps

    cleste, quelque 210 millions de kilomtres de distance, un saut de puce compar aux 7 milliards de kilomtres qui nous sparentde Pluton. Des premiers clichs qui devraient ressembler aux images auxquelles nous ont habi-tus les tlescopes spatiaux et quise rsument un halo lumineuxde quelques pixels.

    Ces premires photos vont sim-plement aider la navigation , prvient Thomas Widemann, delObservatoire de Paris. Mais elles devraient gagner en prcision mesure que la sonde sapproche de Pluton la vitesse record de 75 000 km/h. Les premiers cli-chs vraiment dtaills sont atten-dus en mars , ajoute Thomas Wi-demann. Mi-juillet, New Hori-zons passera 10 000 kilomtres de la plante dchue, la dvoilantainsi sous un angle indit. Rap-

    porte la Terre, la prcision desphotos permettrait de distinguer des immeubles, indique la NASA. Nous nous attendons des pho-tos spectaculaires , confirmePierre Bratschi, de lObservatoire de luniversit de Genve.

    Elle a beau ntre quune mi-nuscule plante, plus petite quela Lune, Pluton nen est pasmoins intressante tudier, no-tamment pour mieux compren-dre sa formation et donc les ori-gines du systme solaire. Depuissa dcouverte en 1930 par ClydeTombaugh, dont les cendres sont bord de New Horizons, la pla-nte naine na livr que des bri-bes dinformations aux astrono-mes. On sait depuis les annes 1980 que son atmosphre est ri-che en azote , dtaille PierreBratschi. Un rsultat dduitd un phnomne trs rare, loc-

    cultation stellaire, au cours du-quel Pluton passe devant unetoile, ce qui modifie le spectre lu-mineux de cette dernire et ren-seigne sur la composition chimi-que de son atmosphre , expli-que Thomas Widemann.

    La question de lorigineParmi les rsultats attendus, les

    astronomes esprent obtenir une vue de sa surface la plus dtaille possible. On saura ainsi si elle estplutt lisse ou au contraire crible de cratres, de valles, si elle pos-sde des volcans, si elle est biencompose de roches et de gla-ces , se rjouit Thomas Wide-mann. On pourrait mme dtec-ter la prsence dventuels ocans souterrains , ajoute Pierre Brats-chi. Autant de donnes rcoltes par les sept instruments scientifi-ques embarqus et orchestrs par

    une variante du microprocesseur quipant la premire console dejeux PlayStation de Sony, com-mercialise en 1994. Commepour les autres missions, la NASA privilgie souvent du matriel quia fait ses preuves, plutt que des prototypes dernier cri.

    Mais lnigme principale quepourrait rsoudre New Horizons,cest celle de lorigine de Pluton.Car celle-ci demeure myst-rieuse : que fait une plante tellu-rique aussi loin du Soleil, par-delles gantes gazeuses telles que Neptune ? Pour le savoir, il faut avant tout la connatre sous tou-tes les coutures pour dterminer si elle a t forme prs de son emplacement actuel, dans la cein-ture de Kuiper, ou si elle est venuedailleurs, par exemple la suitedune collision.

    La NASA de son ct nhsite pas

    comparer sa sonde Mariner 4, qui avait rvolutionn nos con-naissances sur Mars lors de sonsurvol en 1965. Avant cette mis-sion, on supposait que la Plante rouge tait garnie de vgtation vision battue en brche par lesphotos de dsolation dsertique. Reste que pour savoir si New Hori-zons sera la hauteur de son illus-tre anctre, il faudra dabord sas-surer quelle arrive bon port. Une tche qui risque de donnerquelques sueurs froides aux ing-nieurs de la NASA : daprs les mo-dles numriques, Pluton et ses satellites seraient bombards dinnombrables mtorites. Unecollision avec le moindre dbrispourrait tre fatale la sonde, avertit Thomas Widemann. Cest un risque accepter, cela fait par-tie des rgles du jeu. p

    fabien goubet ( le temps )

    Il faut tre prudent,

    car les effets des thrapies

    cibles semblent limits

    dans le temps franois sigaux

    directeur de la R&D de lInstitut national du cancer

    Analyse, dans un contexte de cancer du foie, de donnes dexpression de gnes obtenues par puce ADN. ZUCMAN-ROSSI/INSERM

  • A C T U A L I T | SCIENCE & MDECINE | Mercredi 4 fvrier 20150123 | 3

    PalontologieUn crne humain vieux de 55 000 ans dcouvert en IsralUne calotte crnienne de 55 000 ans, trouve dans une grotte en Isral, offre unnouvel indice sur la sortie dAfrique des humains modernes. Ce crne ressemble en effet aux botes crniennes des Afri-cains modernes et des Europens, mais diffre des humains modernes du Levant,estiment ses dcouvreurs. Cela suggre que les occupants de cette grotte ont pu tre proches des premiers humains mo-dernes avoir colonis lEurope. Mais aussi quils ont pu cohabiter avec des hommes de Neandertal, prsents dans la rgion cette poque et pourquoi pas, avoir une descendance commune.

    > Hershkowitz et al., Nature du 29 janvier.

    30 mm/anCest la vitesse laquelle lIslande slve,selon une tude publie le 16 janvier dans les Geophysical Research Letters. Cette surrection est due la fonte des gla-ciers qui recouvrent une partie du pays. Ce phnomne de rebond isostatique de la crote terrestre a t mesur grce une srie de repres godsiques dont laposition est suivie depuis une vingtainedannes par relevs GPS. Il nest pas uni-que lIslande : on le mesure aussi en Scandinavie, au Chili, et en Amrique duNord o les effets de la fonte de la calottelaurentide, disparue il y a 6 000 ans, se font encore sentir. En Islande, cette dimi-nution de la pression glaciaire pourrait favoriser lactivit volcanique.

    ZoologieLe gupard du Sahara pris au pige photographique

    Une quarantaine de systmes de camras dclenchement automatique disposs en divers points du dsert du Hoggar, dans le sud de lAlgrie, entre 2008 et 2010, ont permis de photographier le gu-pard du Sahara, une sous-espce adapte la vie dans le dsert. Au total, trente-deux clichs de cinq individus ont t ob-tenus, pour lessentiel pendant la nuit.La population de ce grand flin est esti-me 250 individus. Sa densit est dix fois moindre que celle de la population deNamibie, et cent fois plus faible que celle constate dans le parc du Serengeti (Tan-zanie), les proies tant plus abondantes enzone de savane. Les chercheurs soulignent que la dispari-tion rcente de laddax (Addax nasomacu-latus) et de la gazelle dama (Nanger dama)pourrait compromettre la survie de ce f-lin, parmi les plus rares de la plante. (PHOTO : FARID BELBACHIR/ZSL/OPNA)

    > Belbachir et al., PLoS One du 28 janvier.

    ChimieLa raction explosive du sodium dans leau enfin expliqueLune des expriences de chimie les plus spectaculaires consiste plonger un mor-ceau de sodium ou de potassium dans leau. Lexplosion est particulirement vio-lente, plus quavec du TNT masse de ma-tire gale. Une quipe de lAcadmie des sciences de la Rpublique tchque vient dedcrire le phnomne. Certes, comme le savaient dj les chimis-tes, lexplosion est due au dgagement massif et chaud dhydrogne provenant deleau. Mais un autre pisode le prcde, le rendant plus efficace. En moins dune mil-liseconde aprs le contact mtal-liquide, les lectrons du sodium quittent la ma-tire, laissant derrire eux des atomes chargs positivement qui vont violem-ment se repousser. Cette premire explo-sion augmente la surface de contact avecle liquide et favorise la dissociation vio-lente de leau en hydrogne.

    > Mason et al., Nature Chemistry du 26 janvier.

    Lcho du Big Bang tombe en poussiresc o s m o l o g i e | Lanalyse commune de Bicep 2 et Planck infirme lobservation dondes

    gravitationnelles primordiales, biaise par la prsence de grains de matire dans la Voie lacte

    david larousserie

    Ainsi va la science. Enmars, un prix Nobelleur tait promis. Dixmois plus tard, lesmmes chercheursvoient sloigner les

    fastes des palais sudois. Un article paratre dans la revue Physical Re-view Letters, et rendu public sur le site Arxiv.org, confirme que lquipe amricaine du tlescope Bicep 2, ins-tall au ple Sud, est alle un peu viteen besogne en annonant une d-couverte majeure en cosmologie.

    Le 17 mars 2014, luniversit deHarvard, John Kovac et Clement Pryke rvlent que leur instrument adtect un cho du Big Bang jamais repr jusqu prsent. Cet cho, vieux de 13,6 milliards dannes, est une vibration de lespace-temps qui a modifi dune faon trs particu-lire les proprits de la lumiremise cette poque. Ces lueurs sub-tiles auraient pour la premire foist observes par Bicep 2. Un sacr coup de tonnerre en cosmologie car lorigine de ces ondes est un phno-mne la fois quantique propre linfiniment petit et gravitation-nel propre linfiniment grand. Et il est aussi prvu dans les thories di-tes dinflation qui dcrivent les toutdbuts de lUnivers, soumis une formidable dilatation de sa taille. Un vrai big bang, donc, dans les progrs de la connaissance.

    Sauf que, dans le ciel, dautres sour-ces de lumire mettent un rayon-nement semblable. Par exemple, ces milliards de microscopiques pous-sires de silice ou de carbone dun micromtre environ qui baignent lensemble de notre galaxie. Elles compteraient pour 1 % seulement dela masse de la matire interstellaire, mais elles brillent suffisammentpour brouiller la vue des observa-teurs. Les Amricains, installs auple, pensaient sen affranchir en vi-sant le bas de la Voie lacte, rputmoins dense en poussires.

    Que nenni, leur a rpondu uneautre collaboration, celle de Planck,

    un tlescope spatial de lAgence spa-tiale europenne auquel participe galement la NASA. Disposant en quelque sorte de plus de fentres queBicep 2 pour observer les photons duciel, ses chercheurs peuvent mieux distinguer ce qui vient de la galaxiede ce qui vient du Big Bang.

    Certes, leffet des poussires est cor-rl leur quantit. Mais la disparit est forte ; des zones de mme densit rayonnent deux trois fois plus que dautres , indique Jean-Loup Puget, de lInstitut dastrophysique spatiale (IAS), luniversit Paris-Sud. Enseptembre, notre article montrait que,statistiquement, il y avait de forteschances pour que lexprience Bicep 2 soit plus contamine par les poussi-res que nos collgues amricains ne lepensaient, explique Franois Boulan-ger, de lIAS. Mais il fallait confronter nos deux rsultats indpendants pouraffirmer que ctait bien le cas.

    Alors, les deux groupes ont signun accord pour collaborer. A raison dune runion par semaine, par tl-phone, une vingtaine de chercheurs, moiti Planck, moiti Bicep 2, se sontretrouvs pour comparer les don-nes. Le verdict, paratre dans la re-vue Physical Review Letters, est clair. Les rsultats de Bicep 2, y compris incluant de nouvelles donnes, sex-pliquent largement par leffet des

    Le signal annonc en mars existe bien, mais cest son interprtation

    qui nest pas bonne clement pryke

    professeur luniversit du Minnesota

    Comment vos achats trahissent votre identitLes transactions par carte de crdit suffisent identifier une personne dans un fichier anonyme

    Limage de lanonymenoy dans la foule avcu. Une quipe am-ricaine du MIT vient de

    montrer quel point il est facile de retrouver quelquun dans un vaste fichier, pourtant anonyme, de 1,1 million de personnes.

    Cette base de donnes, obtenuedune banque, contient trois mois de transactions par carte decrdit (montant des achats, lieu, date) effectues dans 10 000 ma-gasins. Lanalyse statistique, pu-blie dans Science le 30 janvier, montre quil existe 90 % de chances dy retrouver une per-sonne en disposant de seule-ment quatre informations sur elle. Par exemple, lobservation, chez un client, des marques de ses sacs un jour de soldes suffira le retrouver dans ce fichier. Et ainsi avoir la liste de tous ses achats suivants et prcdents.

    Avec cinq informations, leschances peuvent grimper prs de 99 % et avec seulement trois, elles sont encore de 80 %. En outre, si le montant dune tran-saction est prcisment connu, alors le risque de ridentifica-tion augmente de plus de 20 %.

    En fait, les raisons pour expli-quer ce constat sont assez intui-tives. Si beaucoup de clients pas-sent dans un grand magasin le mme jour, il y en a dj moins qui sont aussi passs au restau-rant voisin ensuite. Et encoremoins qui y ont pris un menuenfant. Finalement, nos com-portements sont plus uni-ques quon ne le pense.

    Notre article pointe les limitesde lanonymisation des fichiers dedonnes. Il doit ouvrir le dbat technique et rglementaire pour limiter les risques de la diffusion de fichiers , explique Yves-

    Alexandre de Montjoye, docto-rant au MIT qui, en mars 2013, avait dj montr que des don-nes de golocalisations de mo-biles peuvent permettre de ri-dentifier les personnes. Il sembledonc que tout fichier de mta-donnes (une liste dinfor-mations ne contenant pas les identits) ou de donnes dites transactionnelles possde la mme dsagrable proprit.

    Ridentification simple Larticle de 2013 a eu un gros

    impact ! Il a aid une prise deconscience auprs de spcialis-tes juridiques, conomiquesBeaucoup font rfrence ces rsultats , constate VincentBlondel, professeur lUniver-sit catholique de Louvain etcoauteur de larticle de 2013.

    Mais alors, comment prser-ver lanonymat ? Une solution

    simple serait de changer la prcision de ces donnes. Aulieu dindiquer le jour, on indi-querait la semaine. Au lieu du magasin prcis, le quartier. Aulieu du prix, une fourchette Sauf que, montrent les cher-cheurs, cela ne suffit pas. Mmesi les chances de ridentifier sont plus faibles, elles ne sontpas nulles et augmentent avec le nombre dinformations com-plmentaires disponibles.

    Et ces dernires ne sont pasdifficiles obtenir lheure o,par les rseaux sociaux ou lesapplications pour mobiles no-tamment, le public laisse deplus en plus de traces, qui sontdonc autant dindices pour faire tomber lanonymat dans un fichier pourtant dpourvude noms, dadresses ou de nu-mros de tlphone

    Il est difficile en fait de prou-

    ver quune technique empche deridentifier. Je plaide plutt pour une anonymisation raisonnable o, certes, le fichier ne serait pas compltement anonymis maispas non plus totalement identi-fiable , estime Yves-Alexandre de Montjoye, qui au MIT parti-cipe au projet OpenPDS (pour Open Personal Data Storage), o lutilisateur choisit de stockerses donnes et comment il y donne accs.

    Les chercheurs ont aussi d-couvert un phnomne socio-logique curieux et, pour lheure, inexpliqu. Dans leurfichier, la ridentification avec seulement quatre indices est plus simple pour les femmes etles hauts revenus que pour leshommes et les faibles revenus,avec respectivement des taux de 93 % et 89 %. p

    d. la.

    Carte des poussires

    galactiques du ciel (du moins

    dense en bleuau plus dense

    en rouge).Bicep 2 a vis

    la zone cercle de blanc.

    ESA/PLANCK COLLABORATION

    t l e s c o p e

    poussires , rsume Franois Bou-chet (CNRS), coresponsable scientifi-que de Planck lInstitut dastrophy-sique de Paris. Exit donc les ondesgravitationnelles primordiales preu-ves de linflation. Plus prcisment, le rsultat montre que, si elles exis-tent, leurs effets sont infrieurs une certaine valeur, qui se trouve tre environ deux fois plus faible que la premire mesure de Bicep 2 !

    Ils staient beaucoup avancs ,lche Franois Bouchet. En fait, la communaut scientifique navait pas attendu ces ultimes analysespour faire part de son scepticisme( Science & mdecine du 2 juillet). Nous savions assez vite que le signalquils avaient prsent pouvait tre dorigine galactique et non pas cos-mologique , rappelle Franois Bou-langer. A partir du mois de mai, plu-sieurs analyses avaient dailleurs mis ces doutes. Le signal annonc en mars existe bien, mais cest son in-terprtation qui nest pas bonne. Nous ne disposions pas de donnes sur les poussires lpoque et seule-ment de modles, rappelle Clement Pryke, professeur luniversit du Minnesota. A titre personnel, nous sommes un peu dus bien sr, maissur le plan scientifique la connais-sance a progress.

    La course au Nobel est toujours

    lance, car ces fameuses ondes pri-mordiales ne sont pas formellement exclues. Les quipes de Bicep 2, qui travaillent aussi avec le Keck Array, une srie de cinq tlescopes sembla-bles Bicep 2, dveloppent Bicep 3qui devrait donner des rsultats cette anne. Le ballon Spider de la NASA a, lui, t lanc le 1er janvier etest rest en vol pendant 16,5 jours. Un second vol est prvu. Planck lui-mme publiera ses propres analyses cette anne.

    Traquer le petit caillou dans lachaussure des chercheurs tait enfait prvu dans le programme de Planck, qui sapprte rvler la pre-mire carte complte de ces micros-copiques gneurs . Ces poussires sont en effet prcieuses. Elles sont comme des copeaux de bois flot-tants sur une rivire : elles indiquentle sens et la force des courants. Dans le ciel, ce courant est constitudes lignes de champ magntiquebaignant tout lespace et que cespoussires suivent. Ces volutes tur-bulentes pourraient guider la ma-tire jusqu sagrger certains en-droits, puis lentement se transfor-mer en toiles, voire en plantes.

    A dfaut davoir pour linstant at-trap lcho violent du Big Bang, ces expriences lvent donc un voile surles balbutiements des galaxies. p

  • 4 | 0123Mercredi 4 fvrier 2015 | SCIENCE & MDECINE | V N E M E N T

    ChimpanzUn cousin

    sous pressionp r i m a t o l o g i e

    La station de recherche franaise de Sbitoli, en Ouganda, tudie les relations entre Pan troglodytes et les humains tout proches

    vah ter minassian

    Fort-Portal, (Ouganda), envoy spcial

    L, sur la droite. Vousvoyez ? Chacun sefforcede diriger ses jumellesvers la silhouette que Sa-brina Krief a repre aumilieu des feuillages. Encette fin de matine, faitexceptionnel, pas moins

    de 24 chimpanzs sauvages se sont ru-nis dans lnorme ficus dawei dont la masse imposante se dresse non loin de l. Certains mangent des figues quilssont alls glaner jusqu lextrmit desrameaux ployant sous le poids des fruits.Dautres spouillent, en signe de rcon-ciliation, la suite dune brve alterca-tion. Quelques-uns se reposent, tendus sur de grosses branches ou assis dans des nids de jour , fabriqus au moyen de brindilles, la jonction de deux bran-ches. Les mouvements ont beau tre lents et le calme a beau rgner, il faut plu-sieurs instants avant quapparaisse dans loculaire, limage de lindividu dsign. Cette femelle, baptise Kyara, explique Sabrina Krief, prsente une fente labio-palatine du genre bec-de-livre , en-core jamais dcrite chez cette espce. Des indices , dit-elle, suggrent quecette anomalie pourrait avoir pour ori-gine la pollution . Lun des objectifs deson quipe est de vrifier cette hypo-thse.

    Matre de confrences et primatologue,Sabrina Krief vient de prendre la direc-tion de la toute nouvelle station dtudes des chimpanzs de Sbitoli. Installe 1 500 mtres daltitude dans le parc na-tional de Kibal, une quinzaine de kilo-mtres de la ville de Fort-Portal, danslouest de lOuganda, et non loin du lac Albert et de la chane des Kwenzori qui marquent la frontire avec la Rpublique dmocratique du Congo, la structure est

    la seconde du genre dont se dote, ltranger, le Musum national dhistoire naturelle (MNHN) de Paris. Elle a t inaugure le 8 novembre 2014 en pr-sence de lambassadeur de France, So-phie Makame, de responsables de lUganda Wildlife Authority (UWA, orga-nisme gestionnaire des parcs rgionauxen Ouganda) et des reprsentants des en-treprises et entits juridiques ayant con-tribu son implantation.

    A terme, a promis Thomas Grenon, di-recteur gnral du MNHN, elle sera ouverte aux scientifiques de multiples dis-ciplines, qui trouveront sur place lieux decouchage et laboratoires en dur pourtravailler dans de bonnes conditions. Mais, dans un premier temps, elle sera surtout consacre lobservation de la communaut de chimpanzs qui habite

    aux alentours. Constitu de 25 km2 de fo-rts, exploites une certaine poque et aujourdhui en rgnration, le territoire de ce groupe, coup en deux par uneroute nationale goudronne, est situdans une zone priphrique du Parc na-tional de Kibal (800 km2, interdit dac-cs au public). Il a la particularit dtre presque entirement entour de zonesrurales voues la culture du th, de leucalyptus, du mas et de la banane. Et

    de concentrer ainsi, dans un petit espace,toutes les formes de menaces pesant sur la population mondiale des grands sin-ges : braconnage, pollution, dforesta-tion, maladies, morcellement et rduc-tion de la taille de lhabitat

    Aux yeux de Sabrina Krief et de ses col-lgues, cela en fait un lieu idal pour va-luer la capacit de ces espces classesen danger ou en voie dextinction, et qui ne sont pas chasses en Ouganda pour leur viande sadapter aux bouleverse-ments de leur milieu. Une thmatique dactualit et de porte gnrale, lheure o, sous leffet de la pression d-mographique, les exemples de voisinage entre forte prsence humaine et faunesauvage se multiplient et o lon sin-quite de leurs consquences.

    Nul doute que celles-ci soient impor-tantes et diverses ! Un premier recense-ment effectu par Marie Cibot, lune des doctorantes de lquipe, montre qu S-bitoli le braconnage est responsable dunhandicap chez pas moins de 28 % desgrands singes ! Des pertes ou des paraly-sies de pieds, de mains ou de doigts, pro-voques par des piges des collets fabri-qus laide de cbles de freins de vlos destins dautres gibiers et dans les-quels les primates se font prendre. Sajoutent ces agressions les effets de la pollution. Les chercheurs ont observ plusieurs cas de malformation, commedes narines de taille rduite ou inexis-tantes, dont lorigine est manifestementenvironnementale. Sont incrimins lusage de pesticides ou dherbicides parles grandes exploitations de th avoisi-nantes, lemploi dans le pass dagent orange (le fameux dfoliant rpandu par larme amricaine durant la guerre du Vietnam) dans cette partie de la fort, ou encore une ventuelle consanguinitconscutive lisolement du groupe d la perte dune partie de son habitat.

    Enfin, il est certain que la proximit

    avec lhomme a profondment modifi le comportement de ces communauts danimaux sauvages. Comme les l-phants et les babouins, les chimpanzs de Sbitoli ne rsistent pas, parfois, la tentation de sortir des bois pour aller piller les champs de mas des agricul-teurs installs la bordure du parc. Grce des camras places des endroits stra-tgiques, Sabrina Krief et ses confrresont appris que ces rapines ne se drou-laient pas seulement durant le jour, maisaussi la nuit, en labsence de clair de lune ! Une dcouverte qui a beaucoup troubl les primatologues car lespce tait jusquici considre comme stricte-ment diurne.

    La mise en place de la station de Sbi-toli vise leur donner les moyens daller au-del de ces quelques constatations dordre gnral. Elle nous permettra de lancer des tudes plus pousses, explique Sabrina Krief. Il pourrait sagir, par exem-ple, de dterminer le degr dintgration sociale des individus touchs par un han-

    dicap. Ou de vrifier que les excursions dans les cultures de mas ne saccompa-gnent pas dchanges de maladies avec lhomme, sagissant des parasites ou desvirus. Une autre piste consisterait va-luer ltat de stress chronique des ani-maux en mesurant dans des poils rcu-prs dans des nids la quantit dune cer-taine hormone, le cortisol. Ou, terme, corroborer les donnes obtenues Sbi-toli avec celles recueillies par Victor Ma-rin, un autre doctorant, sur un site en R-publique dmocratique du Congo o de-meurent des bonobos.

    Une chose est sre : il faudra fairepreuve de beaucoup de tnacit ! Les chimpanzs, dont lespce est qualifie de parapluie ils jouent le rle detransporteurs des graines de la canope sur de longues distances, dun lieu lautre de la fort , ont un territoire plus vaste que ceux des autres singes, ba-bouins ou colobes gurza et bai, dont ilsse nourrissent parfois. Le soir, ils cons-truisent en hauteur des nids de brancha-ges. Jamais au mme endroit. Et le matin,ils partent en petits groupes la recher-che darbres quils frquentent aussi longtemps que ceux-ci portent des fruits.

    Le travail des scientifiques sen trouveainsi souvent rduit une sorte dpui-sant jeu de course-poursuite avec les grands singes. Il consiste prendre laroute avant le lever du soleil, afin darri-ver au pied des lieux de couchage au mo-ment du rveil des chimpanzs, 6 ou 7 heures. Puis, suivre ces primates dansles bois, en se laissant guider par leurs cris et tambourinages ou en recherchant des traces de leur passage : djections,empreintes de pieds et de phalanges,boulettes de vgtaux mchs ou bran-ches casses.

    La journe se passe alors recueillir deschantillons durine et de crottes, ob-server distance les individus qui ont putre reconnus et noter les changementsdactivit de chacun : collecte de nourri-ture, altercation, repos, copulation,chasse Et cela, bien entendu, jusqu la nuit tombe, vers 18 ou 19 heures, aprsdautres parties de cache-cache sous la pluie, dans la boue rouge qui colle aux bottes ou au milieu des tendues dpi-neux. Et en vitant chaque instant, detomber nez nez avec lun des nom-breux lphants qui frquentent les en-virons, et que lon peut entendre le matinbarrir tout prs dans la brume, derrire

    Les chercheurs ont observ plusieurs cas de malformation

    dont lorigine est manifestement environnementale

    Quatre-vingts chimpanzs vivent sur un territoire de 25 km2 d

    Matre de confrences auMusum national dhis-toire naturelle et prima-

    tologue, Sabrina Krief est, avec lethnologue Serge Bahuchet, com-missaire de lexposition Sur la piste des grands singes qui d-marrera le 11 fvrier la Grande Ga-lerie de lvolution du Jardin des plantes Paris. Spcialiste des chimpanzs sauvages auxquels elle vient de consacrer un livre avec son mari photographe, Les Chim-panzs des monts de la Lune (Belin/Museum national dhistoire natu-relle, 2014), elle tudie en Ouganda le comportement de ces animaux emblmatiques.

    Quest-ce quun grand singe ?Les grands singes sont des prima-

    tes qui se caractrisent par une ab-sence de queue, par une grande taille et par un cerveau volumi-neux qui leur confre des capacits particulires en termes de m-moire, dapprentissage et de com-munication. Lexposition prsente

    les plus grands dentre eux qui sont aussi nos plus proches parents. Soit six espces : les chimpanzs, les bo-nobos, les gorilles de lEst et de lOuest, et les orangs-outans de Su-matra et de Borno.

    Malheureusement, lhabitat fores-tier de ces animaux des rgions tro-picales se rduit et, tous sont en dan-ger dextinction. Or, en se nourrissant des fruits de la canope, parfois inaccessibles aux autres or-ganismes vivants, puis en dispersant les graines des arbres sur de longues distances, ces primates jouent un rle essentiel dans le fonctionne-ment des cosystmes. Ils partici-pent la rgnration des forts et la protection de la faune.

    Lun des objectifs de lexposition Sur la piste des grands singes est de montrer que chacun, mme ici, en France, peut agir pour prserver lexistence de ces espces emblma-tiques. Non seulement en se tenant inform des grandes questions que sont le braconnage, le trafic dani-maux ou la dforestation, mais ga-

    lement en tant attentif au contenu de ce quil achte et consomme : bois, papier, huile de palme, tl-phone

    Que sait-on du comportement des grands singes en milieu naturel ?

    Les premires tudes sur les grands singes remontent aux an-nes 1960 et aux travaux de Jane Goodall et dquipes japonaises. Ils ont permis de dmontrer que des comportements, jusqualors consi-drs comme propres lhomme, taient partags par des animaux. On tablit alors que les chimpanzs sont capables dutiliser des outils et de collaborer pour chasser et pour dfendre un territoire. Une avance ultrieure concerne la personnalit, avec la dcouverte quau sein de ces communauts animales, les sujets ne sont pas interchangeables mais que les tempraments individuels comptent. Par la suite, lobservation systmatique des chimpanzs, des gorilles, des orangs-outans et plus tard des bonobos a abouti la des-

    cription dautres comportements : sens de lempathie, apprentissage social, rponse face la mort, auto-mdication la liste est longue ! Cela a offert avec le temps la possi-bilit de procder des comparai-sons. Les primatologues ont ainsi pu mettre en vidence, chez lorang-outan et chez le chimpanz, des va-riations de pratiques et de compor-tements selon les communauts. Au cours de ces dernires annes, le dbat autour de ces traits cultu-rels na fait que samplifier. Ils se sont rvls tre non pas tant le r-sultat dun apprentissage actif que le produit dune forme de transmis-sion sociale faisant intervenir limi-tation au sein du groupe et entre les gnrations. Cela amne de nouvel-les interrogations sur les similitu-des et les diffrences entre lhomme et les grands singes. Mais cela de-vrait aussi nous inciter chercher mieux connatre les menaces qui psent sur eux afin de trouver le moyen de les protger. p

    v. t. m.

    Ces primates sont tous en danger dextinction

  • V N E M E N T | SCIENCE & MDECINE | Mercredi 4 fvrier 20150123 | 5

    un buisson, ou surprendre laprs-midi au milieu de leur bain !

    Sige de cet ingrat travail dinvestiga-tion, la station de Sbitoli naurait jamais pu voir le jour sans lobstination de Sa-brina Krief et de son mari, le photogra-phe Jean-Michel Krief, qui, de lle de Bor-no aux parcs ougandais en passant parle bassin du Congo, a particip toutes les aventures simiesques de son pouse. Vtrinaire de formation, convertie la primatologie aprs une thse de docto-rat, elle est lune des rares spcialistesfranais du chimpanz : lune des six es-pces dhominids, avec le bonobo, les gorilles de lEst et de lOuest, lorang-outan de Sumatra et celui de Borno, considres proches de lhomme sur le plan volutif, et sans doute la plus appa-rente de toutes ltre humain. On luidoit dimportants travaux sur lune deses activits mconnues : llaboration dune pharmacope. En effet, depuis une vingtaine dannes, lobservation syst-matise du comportement des grands singes a permis de relever des cas dauto-mdication. De temps autre, nos pro-ches cousins rechercheraient et slec-tionneraient des plantes ou des parties de plantes particulires, ne prsentant apriori aucun intrt nutritif, mais suscep-

    tibles de soigner leurs maux bnins :toux, troubles digestifs, fivre

    Intrigue par ce comportement, Sa-brina Krief a eu lide danalyser, de faondtaille, le menu dune communaut dechimpanzs vivant dans une zone du parc national de Kibal, appele Ka-nyawara. Elle a ainsi pu dmontrer que divers vgtaux, constitutifs du rgimealimentaire de ces animaux omnivores, avaient un effet thrapeutique surlhomme. Que certains taient dj em-ploys par les gurisseurs des villagesvoisins. Et que dautres contenaient descomposs dintrt pharmaceutique : molcules aux proprits antipaludi-ques, antimicrobiennes ou anticancreu-ses. Un rsultat qui la amene sinter-roger sur les origines de la mdecine et sur sa fonction dans lvolution

    En 2007, aprs dix annes passes sui-vre le groupe de Kanyawara dans ses p-rgrinations quotidiennes de plusieurs kilomtres, Sabrina Krief a t contraintede se trouver un nouveau terrain de re-cherche. Ce fut Sbitoli. Un secteur duparc rput mal prserv, mais o devait se rvler lexistence dune importante communaut de grands singes de 80 in-dividus rpartis sur 25 km2. Soit lune desdensits de chimpanzs les plus leves

    du monde ! De quoi imaginer la cration sur place dune station rserve leur observation

    Six ans auront t ncessaires pour voiraboutir ce projet, tant il est vrai quenmatire de description des murs des animaux sauvages le succs dpend des longues prparations. Il sest agi, tout dabord, de se reprer et de circuler dans cet habitat. En loccurrence, des bois den-ses, au sol recouvert de broussailles et dherbes lphants hautes dun tage, o la visibilit est souvent rduite deuxou trois mtres. La petite quipe renfor-ce de dix assistants de terrain a donc d commencer par quadriller la zone dune

    centaine de kilomtres de chemins (ou transectes ) taills paralllement dansla vgtation, du nord au sud et dest enouest, tous les 200 ou 300 mtres. Puis sest pose la question de savoir com-ment accoutumer les chimpanzs laprsence des hommes en vitant le donde nourriture. Cette phase d habitua-

    Il est certain que la proximit

    avec lhomme a profondment

    modifi le comportement de

    ces animaux sauvages

    Des grands singes trs

    exposs

    Observer les grands singesdans leur environne-ment. Les voir se dplacer

    dans les arbres et sur le sol. Les regarder construire un nid laide de branchages, communi-quer entre eux ou encore utiliser des outils pour rcuprer de la nourriture. Telle est la passion-nante aventure laquelle pro-pose de participer, partir du 11 fvrier, limportante exposi-tion du Jardin des plantes, Paris, consacre ces animaux embl-matiques. Constitu des chim-panzs, des bonobos, des gorilles de lEst et de lOuest, ainsi que des orangs-outans de Borno et de Sumatra, ce groupe de prima-tes runit les six espces actuel-les considres comme les plus proches de lhomme. De Tarzan King Kong, en passant par La Pla-nte des singes, de nombreux li-vres et films leur ont t consa-crs. Sont-ils pour autant bien connus du public ? Sait-on, par exemple, ce qui les caractrise sur le plan morphologique et volutif et comment se droule leur existence dans les forts ? A-t-on une ide claire des menaces qui psent sur eux ? Et ce quim-pliquerait leur disparition ?

    Cest ce que dcouvrira le visi-teur dans un parcours en cinq tapes qui, faisant la part belle aux recherches pluridisciplinai-res conduites sur le terrain par les quipes du Musum national dhistoire naturelle, propose une description originale du compor-tement de ces cousins de ltre humain dans leur milieu naturel. Une incursion au cur de la jun-gle dautant plus raliste quelle est agrmente de sculptures en taille relle de grands singes et de nombreux spcimens naturaliss dont certains proviennent des ri-ches collections de la vnrable institution parisienne. p

    v. t. m.

    Exposition Sur la piste des grands singes Du 11 fvrier 2015 au 21 mars 2016. Musum national dhistoire naturelle. Jardin des plantes. Grande Galerie de lvolution, 36, rue Geoffroy-Saint-Hilaire, Paris 5e. Tous les jours de 10 heures 18 heures sauf le mardi et le 1er mai. De 7 9 euros.Renseignements : 01-40-79-54-79. www.grandssinges.fr

    25 km2 dans le parc national de Kibali, dans louest de lOuganda. PHOTOS : JEAN-MICHEL KRIEF

    Des chimpanzs sortent du bois pour goter aux cultures de mas qui entourent le parc.

    La primatologue Sabrina Krief ( droite) et son quipe de scientifiques, dans les bois denses de Sbitoli.

    tion , consistant se fondre peu peudans le paysage au point den devenir un lment aussi neutre aux yeux des pri-mates quun arbre ou un oiseau, permet lobservateur, dans une tape ultime, decirculer au milieu des grands singes lors-quils sont au sol, sans dclencher lalerteet les voir fuir et disparatre en file in-dienne. A Sbitoli, o le braconnage avaittraumatis nombre dindividus, le rsul-tat ntait pas garanti. On peut mainte-nant approcher un groupe quand il estdans les arbres. Mais, ailleurs dans le parco ils travaillent sur dautres commu-nauts, les professionnels de lUWA ny sont pas toujours parvenus.

    Enfin, il fallut faire preuve de psycholo-gie. Cest que, dans la socit des chim-panzs, tout est affaire de temprament.Le fonctionnement dune communaut dpend non seulement de la hirarchie avec, au sommet, un mle alpha , mais aussi dun systme dalliances entre fra-tries et entre sujets masculins ayant grandi sur le mme territoire. A cela sajoute le fait que chaque population de grands singes dispose dun ensemble de pratiques culturelles qui lui sont propres. Danser sous la pluie, pouiller des feuilles pour attirer lattention de la gent fminine, se donner une poigne de mainau-dessus de la tte durant les phases denettoyage mutuel et faire usage de cer-tains outils comme des baguettes--attra-per-le-miel ou des ponges-en-feuilles-pour-recueillir-leau, constituent ainsi quelques-uns des traits de la commu-naut de Sbitoli que lquipe a d recon-natre. Au mme titre que chacun des in-dividus, dont une trentaine ont pour lins-tant t dcrits. Un long parcours pour enfin pouvoir commencer mesurer limpact de lhomme sur le chimpanz. p

    A Sbitoli, 28% des chimpanzs prsentent un handicapcaus par les piges destins dautres animaux.

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    Mdecine des reins quatre mains

    l e l i v r e

    La nphrologie, travers les tmoignages recueillis par un mdecin et une patiente

    sandrine cabut

    Longtemps, les livres dhistoire de lamdecine ont surtout t crits pardes mdecins, et les rcits des premi-res mdicales et chirurgicales par les

    quipes qui les ont ralises. Dsormais, les malades, qui sont eux aussi des pionniers des grandes aventures scientifiques, prennent de plus en plus la plume pour livrer leur version de lhistoire.

    Frank Martinez et Yvanie Caill, respective-ment nphrologue dans le service de trans-plantation rnale de lhpital Necker (Paris) et ingnieure, transplante du rein et fondatrice de lassociation Renaloo, ont eu la bonne ide de sassocier pour retracer lpope mcon-nue de la dialyse et de la greffe rnale. Pour cela, ils sont alls la rencontre dune quin-zaine de personnes, qui ont vcu de prs, comme mdecins ou malades, ces boulever-sements de la nphrologie.

    Le rsultat est russi. Parfois difiants, sou-vent riches en motions, ces tmoignages croiss permettent de mesurer le chemin par-couru, tant dans le domaine de la dialyse que dans celui de la greffe, tant pour les progrs mdicaux quau niveau humain.

    Il y a peine soixante ans, linsuffisance r-nale constituait pratiquement un arrt de mort. Dans le service du professeur Jean Hamburger, lhpital Necker, les malades ar-rivaient en tout bout de course , dans des tats catastrophiques , raconte un de ses l-ves, Paul Jungers. Lobjectif de la dialyse tait juste de les maintenir en vie dans lespoir de les greffer rapidement. A lHtel-Dieu, lpura-tion rnale tait rserve ceux dont les reins taient bloqus temporairement, se souvient le nphrologue Claude Jacobs, qui prcise que la premire cause de ces insuffisances rnales aigus tait des avortements clandestins ayant entran une infection gnralise .

    Quant la premire transplantation rnaleralise en France, le 25 dcembre 1952, par lquipe de Jean Hamburger, elle a dabord eu des allures de miracle. Pour sauver son fils de 16 ans, dont le rein unique avait t dtruit dans un accident, une femme avait suppli les mdecins de lui prendre un des siens. Marius Renard et sa mre firent la une des jour-naux, mais le garon succomba en un mois.

    Dans les annes 1960 et 1970, les transplan-tations se dveloppent mais leurs rsultats sont alatoires, dautant quil nexiste pas en-core de traitement antirejet. Pour les malades, le choix est difficile. La dialyse tait pnible, douloureuse, dvorante, ctait un fardeau. Mais linformation donne par les mdecins transplanteurs sur la greffe tait trs parcel-laire. On cachait la ralit des risques aux pa-tients , estime Rgis Volle, fondateur de la F-dration nationale daide aux insuffisants rnaux (Fnair), une association de patients.

    Aujourdhui, dialyses et greffes sauvent desmillions de vies, mais beaucoup reste faire. Peu de trs grands progrs ont t raliss ces vingt dernires annes dans le domaine de la dialyse, rien en tout cas qui ait sensiblement modifi ses contraintes ou amlior la qualit ou lesprance de vie des malades , soulignent Frank Martinez et Yvanie Caill. p

    Dautres reins que les miens, dYvanie Caill et Frank Martinez (Le Cherche Midi, 221 p., 19 ).

    La recette de ltude scientifique ennuyeuse

    chance de souscrire aux stricts crit-res dennui et dimpersonnalit que requiert lexercice, sa publication tait en pril. Non sans mal ltu-diant en question acquit le style stan-dard et passe-partout ncessaire pour produire, dans les rgles de lart, des crits techniques et sopori-fiques, ce qui lui permit de soutenir sa thse avec succs.

    Cest par cette anecdote authentiqueque le biologiste danois Kaj Sand-Jen-sen commence un savoureux papier publi en 2007 par la revue dcologie Oikos. Ce chercheur na pas manqu de noter que la plupart des produc-tions de la littrature scientifique sont difficilement digrables, alors mme, assure-t-il, que la science de-vrait tre amusante et attirante . Quand on a pass de nombreux mois dcrocher des crdits, recueillir des donnes, faire des calculs, quand tout est prt pour publier ces merveilleux rsultats, il est malheureux que la phase finale, celle de la rdaction, soit pnible , explique le biologiste. Dun autre ct, mme sil ne le dit pas, Kaj Sand-Jensen sait que la tyrannie du publie ou pris oblige la gent scientifique remiser ses gots pour

    les effets de plume. Par consquent, pour aider ses collgues produire sans faiblir le jus de chaussette jar-gonnant qui est la loi du genre, notre homme a mis leur disposition les dix commandements de larticle scientifique ennuyeux, que voici.

    1. Fabriquer du brouillard. Eviter dechoisir un angle prcis et de formuler une hypothse claire. Prfrer une multitude de questions, dides et de relations possibles entre elles. Mettre la mme emphase sur les aspects im-portants que sur les points de dtail.

    2. Sabstenir de toute originalit et de toute remarque personnelle.

    3. Ecrire long et ne pas hsiter fairevoluer un premier jet incisif de deux pages vers un kouglof indigeste de seize.

    4. Oter toute rflexion qui risque-rait douvrir une nouvelle voie de re-cherche.

    5. Sachant quun bon dessin vaut mieux quun long discours, retirer le plus dillustrations possible et en particulier les plus expressives. Il faut absolument empcher que le lecteur connaisse ce flash de compr-hension instantane produit par un bon schma.

    6. Ne pas entrer dans toutes les ta-pes du raisonnement. Celui qui vous lit doit travailler un peu, que diable !

    7. Utiliser un maximum dabrvia-tions et de termes techniques. En bref, parler dans la langue secrte des initis. Il faut empcher toute passerelle entre les disciplines scien-tifiques et sassurer que la prochaine gnration dtudiants en bave autant que vous.

    8. Proscrire lhumour et le vocabu-laire choisi. Si vous avez dcouvert une nouvelle espce, affublez-la dun nom aussi difficile prononcer qu mmoriser.

    9. En cologie, considrer les tres vivants tudis comme de simples donnes, des nombres dans un ta-bleau. Cela vous protgera dune po-sie inapproprie.

    10. Si jamais vous ntes pas par-venu(e) suivre la lettre les neuf conseils qui prcdent et si votre arti-cle est par trop limpide, le bourrer de rfrences pour le maintenir un ni-veau dennui acceptable.

    De toute vidence, ces merveilleuxconseils aux scientifiques sont aussi mis profit dans bien des coles de journalisme. p

    Le sang dans toutes ses couleurs

    Ceci nest pas un rcif corallien peupl de cni-daires et mollusques colors. Il sagit dune vue en microscopie lectronique balayage dun caillot sanguin. Prise par Fraser Macrae, de luni-versit de Leeds, en Grande-Bretagne, elle vient de remporter le Prix du jury du concours an-

    nuel de photographie de la Fondation britanni-que pour le cur. Larrire-plan gris est le caillot lui-mme ; sur ce fond apparaissent les cellules sanguines (colorises en rouge), les plaquettes (turquoise) et diffrents types de globules blancs, ici figurs en violet, bleu, vert et jaune. p

    Voici lhistoire dun thsardscandinave qui entreprit derdiger sa premire tudescientifique. Comme le r-

    sultat ne manquait ni de caractre ni dhumour, ltat durgence fut d-crt : larticle nayant aucune

    Bande dessine Cosmicomic Lune des dcouvertes majeures de la cos-mologie, lobservation fortuite dans les an-nes 1960 du rayonnement diffus cosmolo-gique est raconte ici en BD. Loccasion de croiser quelques personnalits scientifiques.

    > Cosmicomic. Enqute(s) sur les traces du Big Bang , dA. Balbi et R. Piccioni (Nouveau monde graphic), 150 p., 18 .

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    FRASER MACRAE

    a f f a i r e d e l o g i q u e

    improbablologie

    Pierre Barthlmy

    Journaliste et blogueurPasseurdesciences.blog.lemonde.fr

    (PHOTO: MARC CHAUMEIL)

  • R E N D E Z - V O U S | SCIENCE & MDECINE | Mercredi 4 fvrier 20150123 | 7

    Bruce Schneier, matre des cls p o r t r a i t | Ce chercheur en scurit informatique amricain, intellectuel engag

    et homme daffaires, dfend le droit au secret des citoyens face la surveillance tatique

    Le renne de Svalbard, friand de cellulose

    z o o l o g i e

    fanny collard

    Plantes fleurs rases, mousses, buis-sons de saules nains : la vgtationdes les de larchipel du Svalbard, aunord de la Norvge, est rare et recou-

    verte de neige huit mois de lanne. De ces ter-res dsertiques, au-del du cercle polaire arcti-que, le renne du Svalbard (Rangifer tarandus platyrhynchus) a fait son terrain de jeu. Plus petit que son cousin du continent norvgien Rangifer tarandus tarandus et pourvu dune paisse couche de graisse, le renne du Svalbard a d redoubler dinventivit pour sadapter ces conditions austres. Pour survivre malgr un rgime alimentaire fait de vgtaux pau-vres et coriaces, lherbivore est aussi dot dun rumen (une cuve de fermentation ) plus large et dune flore intestinale capable de d-grader les composs lignocellulosiques les plus rcalcitrants.

    Une facult qui pourrait intresser les indus-triels la recherche de nouveaux moyens pour dgrader les rsidus vgtaux peu valori-sables afin den faire une source de biogaz. Dans cette optique, un projet de recherche port par une quipe de lUniversit norv-gienne pour les sciences de la vie a rcem-ment identifi une bactrie de la flore intesti-nale de Rangifer tarandus platyrhynchus capable de produire une batterie denzymes de dgradation dimportants composs lignocel-lulosiques. Cette bactrie, baptise SRM-1, ap-partient au phylum des Bacteroidetes, un groupe qui reprsenterait 60 % de la commu-naut microbienne intestinale de lanimal.

    Pour lidentifier, les chercheurs ont extrait latotalit de lADN microbien du rumen de deux rennes du Svalbard femelles afin de raliser une cartographie de la communaut micro-bienne. Les scientifiques ont ainsi isol 454 portions codantes de gnome, quils ont compares des squences connues dADN, puis ont regroup les micro-organismes selon leurs similitudes. Chez la bactrie SRM-1, les chercheurs ont identifi un groupe de gnes lis entre eux, appel PUL, une structure typi-que des Bacteroidetes connue pour son rle-cl

    dans la dgradation des sucres complexes.Ce groupe porterait 13 gnes codant pour des

    enzymes capables de digrer glucane, xylane, xyloglucane, galactomannane et cellulose, ainsi que des protines qui permettent aux en-zymes de sattacher leur cible. Ce groupe de gnes prsente une activit sur de multiples ty-pes dhmicellulose, ce qui est inhabituel, les PUL tant gnralement ddis la dgrada-tion dune seule cible , souligne le professeur Vincent Eijsink, le coordinateur du projet. La diversit des enzymes de dgradation identi-fies concorde avec le rgime alimentaire hi-vernal du renne du Svalbard qui se compose majoritairement de Salix polaris (saule polaire) et de Saxifraga spp., des vgtaux dont les pa-rois cellulaires sont plus riches en xylogluca-nes, mannanes et pectine que lherbe.

    Certains rsultats, comme lanalyse de lacti-vit enzymatique sur la cellulose, sont peu si-gnificatifs, tempre Bernard Henrissat, direc-teur de recherche au laboratoire Architecture et fonction des macromolcules biologiques du CNRS. Dautres micro-organismes du rumen, comme des champignons du genre Piromyces, jouent sans doute un rle-cl dans la digestion des vgtaux chez le renne.

    Les mannanases identifies sont particuli-rement intressantes, la plus importante source de biomasse en Norvge provenant de lpica, dont les tissus sont riches en mannane , note Vincent Eijsink. Si la bactrie SRM-1 nest pas encore capable de dgrader la biomasse une chelle industrielle, certaines entreprises de biorafinage norvgiennes, comme Borregaard et Cambi, se sont dj rapproches des cher-cheurs dans le cadre de projets collaboratifs. p

    ERIK ROPSTADS

    yves eudes

    Spcialiste mondialement re-connu en cryptologie, lAmricainBruce Schneier a longtemps euses entres partout, mais ce nestplus tout fait le cas : Javais lacote avec la NSA [lAgence natio-

    nale de la scurit amricaine], ils minvi-taient leurs sminaires, ils coutaient mesconseils. Mais cest fini, aprs les rvlationsdEdward Snowden sur leurs programmes de surveillance massive, je les ai critiqus trs durement. Ma cote est tombe. Dans les m-dias anglo-saxons et sur son blog Schneieron security , il sest particulirement d-chan contre un programme baptis Bul-lrun : la NSA aurait fait la promotion dans lemonde entier dun algorithme de chiffre-ment dfectueux, dont elle pouvait casserles cls. Pour un chercheur, cette perversionde lintgrit du processus scientifique estimpardonnable.

    Aux Etats-Unis, la cryptologie indpen-dante celle qui se dveloppe hors du gi-ron de lEtat est une science politiquementengage, une discipline rebelle. Pour les mi-litants de lInternet libre, le chiffrement descommunications reste le seul moyen de ga-rantir le secret des correspondances, et de protger la vie prive des internautes contreles intrusions de lEtat. Entre les chiffreurs li-bertaires et les dchiffreurs tatiques, cesttoujours un peu la guerre, mme sils colla-borent parfois.

    A sa faon, Bruce Schneier participe cecombat depuis vingt-cinq ans. N en 1963,ce fils dun juge new-yorkais suit des tudesde physique et dinformatique avant de sespcialiser dans la cryptologie lart de chif-frer des documents. Trs vite, il dcouvre que, paradoxalement, la tche la plus arduenest pas dinventer des algorithmes effica-ces, mais de les intgrer correctement dansdes logiciels ergonomiques, fiables, utilisa-bles par des non-spcialistes. Si lapplica-tion contient des failles, linviolabilit de lacl ne sert plus rien. Inlassablement,Bruce Schneier exhorte les thoriciens seconsacrer aussi aux tches moins nobles,mais essentielles, de la programmation.

    Aujourdhui, 52 ans, Bruce Schneiermne la vie trpidante des clbrits scien-tifiques charismatiques et mdiatiques :enseignant en cryptologie au centre Berk-man pour lInternet et la socit de luni-versit Harvard, auteur succs douvragesde vulgarisation, membre du conseil dad-ministration de lElectronic Frontier Foun-

    dation, la grande association de dfensedes liberts sur le Net

    Cest aussi un homme daffaires. Il travailletoujours au sein de Co3 Systems, la socit de scurit informatique installe Boston quil a cre en 1991. L encore, il a su faire preuve doriginalit : Nous offrons une prestation unique, une rponse complte et coordonne face une attaque informatique, tous les ni-veaux : technique, juridique, commercial, m-diatique Cest la voie de lavenir. Il y a vingt ans, les experts insistaient sur la prvention firewalls, antivirus, etc. Il y a dix ans, la modetait la dtection. Aujourdhui, on a compris quon ne pouvait pas empcher les attaques, il faut donc savoir y faire face rapidement, de fa-on globale. Le concept semble sduire les entreprises : Co3 Systems, qui compte aujourdhui une quarantaine demploys, va doubler ses effectifs dans les prochains mois et ouvrir un bureau Londres. Cela dit, Bruce Schneier prcise quil ne soccupe pas de lo-gistique : Je suis le directeur technique, mais pas le PDG. Jai un problme avec lautorit, je ne sais pas obir, ni commander.

    Au fil du temps, dans ses ouvrages, BruceSchneier parle un peu moins dinformatique

    et un peu plus de politique, de philosophie, de psychologie sociale, de gostratgie. Plusprcisment, de la difficult prserver les liberts individuelles dans un contexte de guerre contre le terrorisme , o les Etats donnent la priorit la surveillance et la rpression. Dans son prochain livre Dataand Goliath. The Hidden Battles to Collect Your Data and Control Your World (W. W. Norton & Company), paratre en mars prochain, il aborde une ralit que les rvlations dEdward Snowden ont fait cla-ter au grand jour, mais que le grand public na pas encore bien saisie : Les agences de renseignement de lEtat amricain fonction-nent en partenariat troit avec les gantsamricains de lInternet. La NSA profite du

    systme mis en place par Google, Facebook,Microsoft et les autres. Quand Gmail lit votrecourrier, la NSA le lit aussi, cest aussi simpleque a.

    Plus gnralement, il remet en cause toutela philosophie amricaine du renseigne-ment depuis une dizaine dannes. Pen-dant la guerre froide, le rle de la NSA taitclair : protger nos systmes de communica-tion et espionner ceux des Sovitiques. Mais aujourdhui, tout est plus confus, car les Etats-Unis et le reste du monde utilisent lesmmes appareils et les mmes logiciels, qui sont surtout amricains. La NSA se trouve face un dilemme : quand elle installe unefaille de scurit dans un smartphone, pour espionner les autres pays, ou quand elle con-serve une faille quelle aurait pu rparer, ellecompromet du mme coup la scurit des Amricains car dautres pays sauront trouveret exploiter cette vulnrabilit. Selon Bruce Schneier, cette approche est une erreur : Nous devrions plutt renforcer la scurit, mme si cela complique les missions des-pionnage. Dans ce domaine, les socitsouvertes et dmocratiques ont plus perdre que les pays autoritaires.

    Son ouvrage suivant, quil vient de com-mencer, traitera du concept de risque ca-tastrophique . Nous entrons dans une p-riode historique indite : deux gamins dansun garage peuvent infliger des dgts im-menses toute une communaut, en provo-quant des accidents industriels via les r-seaux informatiques, en crant une bactrie mortelle avec une bio-imprimante, etc. Si unseul dentre nous peut nous tuer tous, com-ment lhumanit va-t-elle survivre ? Com-ment crer des outils qui nous protgeront contre ces nouveaux dangers dcentraliss ? Malheureusement, il ne fournit pas la re-cette : Pour moi, lcriture dun livre est une recherche. Quand je le commence, je nai pas les rponses aux questions que je me pose.

    En attendant, il poursuit sa mission din-tellectuel engag, ragissant lactualit. Le 23 janvier, depuis luniversit Harvard, il aanim une vidoconfrence en direct avecEdward Snowden, rfugi en Russie pour chapper la justice amricaine. Bien en-tendu, ils ont parl des vertus de la cryptolo-gie. Edward Snowden est catgorique : Lechiffrement est vraiment la seule chose sur la-quelle nous puissions compter, conditionque les mathmatiques soient correctementimplmentes (). En gnral, les logiciels ne sont pas fiables, mais les maths le sont. En fait, il rpte ce que Bruce Schneier dit de-puis vingt-cinq ans. p

    Javais la cote avec la NSA, mais cest fini. Aprs les rvlations

    dEdward Snowden sur leurs

    programmes de surveillance massive,

    je les ai critiqus trs durement

    Bruce Schneier, en 2010.

    LYNNE HENRY/JASON CLARKE

    PHOTOGRAPHY

  • 8 | 0123Mercredi 4 fvrier 2015 | SCIENCE & MDECINE |

    SOURCE : NASAINFOGRAPHIE LE MONDE

    Une couverture globaleOrbitant 685 km daltitude, SMAP scannera la surface du globe grce une antenne rotative. Lensemble de la plante sera couvert en deux ou trois jours. La rsolution maximale va de 1 40 km selon les bandes de frquence utilises, avec une rsolution de travail optimale de 9 km.

    Une antenne-origamiLes mesures de SMAP reposent sur le bon dploiement de son antenne de 6 m de diamtre, plie pendant le lancement pour noccuper quun espace de 30 cm par 120 cm. Elle est constitue dun tissu fix sur une structure inspire de celle de chaises pliables. Elle fera un tour sur elle-mme toutes les quatre secondes.

    Cne dmissionet de rceptiondes signaux radars et radiomtriques

    Brasarticul

    Antenneradio

    Panneauxsolaires

    Grandeantenne

    Grandeantennereplie

    La direction gnrale de la sant a de-mand un certain nombre dexperts,dont je suis, une estimation de limpactpotentiel du programme national de r-duction du tabagisme en termes de viespargnes si les objectifs annoncs par

    la ministre de la sant taient respects. Ces objectifssont de rduire le nombre de fumeurs de 10 % dans cinq ans, de descendre sous la barre des 20 % de fu-meurs dans dix ans, et que les enfants qui naissent aujourdhui soient dans vingt ans la premire gn-ration de non-fumeurs. Aujourdhui, la proportionde fumeurs est denviron 33 %, le premier objectif estdonc darriver 30 % dans cinq ans, soit en 2020, le second est de passer de 30 % de fumeurs 20 % dansles cinq annes suivantes, cest--dire en 2025.

    Ces objectifs pourtant peu ambitieux, au moinspour le premier, ne seront pas atteints pour deux rai-sons : lune dmographique, lautre conomique. En effet, au fur et mesure que vieillissent les gnra-tions de femmes entres en masse dans le tabagismeau dbut des annes 1970, suivies par des gnra-tions plus jeunes qui fument autant, la prvalence du tabagisme augmente dans la population fmi-nine ; attendre ainsi une diminution nest pas ra-liste, en tout cas dans cette moiti de la population ! La seconde est conomique : le prix du tabac na que trs peu progress depuis 2004 et, en consquence, les ventes sont peu prs stables. Un papier rcent publi par une quipe anglaise (Ann McNeill et al., Addiction , 2014) explique que cette politique duprix du tabac du gouvernement franais est la cause la plus probable de laugmentation de la proportion des fumeurs en France entre 2005 et 2010, alors quen Angleterre, les prix croissaient et la proportionde fumeurs baissait.

    Augmenter le prix du tabac est de loin la mesure laplus efficace pour faire diminuer la consommation. Le triplement du prix du tabac en euros constantsobserv en France entre 1991 et 2004 en est une preuve exemplaire, car il a entran une division par deux des ventes dans le circuit des buralistes, baisse trs partiellement attnue par les achats transfron-taliers et la contrebande qui, selon les estimations,reprsentent de 20 % 25 % de la consommation. Bercy prtend craindre une baisse des ressources fis-cales du tabac si on monte les prix. Mais cette crainteest sans fondement. En effet, quand le tabac aug-mente de 20 %, les ventes ne baissent que de 8 % 10 %, les revenus du tabac croissent donc, aussi bien pour le fisc que pour les buralistes et les industriels. Ainsi, pendant que le prix rel du tabac triplait, lesressources fiscales doublaient en euros constants, passant de 6,6 milliards deuros en 1991 12,8 mil-

    liards deuros en 2004 (elles sont de 13,5 ou 13,4 mil-liards par an entre 2011 et 2013). De mme, les bura-listes crient misre mais leurs revenus lis au tabacont doubl en euros constants entre 1991 et 2011, pas-sant de 0,76 1,56 milliard deuros, si on tientcompte des aides supplmentaires quils ont obte-nues depuis 2007. Le revenu par buraliste a cr en-core davantage car le nombre de buralistes a dimi-nu.

    Les pouvoirs publics ne rgulent pas le prix mais lataxation ; or la taxation du tabac est si compliqueque seuls lindustrie et Bercy la comprennent. Celapermet toutes les manipulations. Ainsi, profitant dun changement de calcul, la taxation des cigarettesplus chres vient dtre diminue, cadeau Philip Morris, et perte pour lEtat et pour les buralistes.

    Bercy et lindustrie du tabac entretiennent de con-serve plusieurs fictions sans fondement. La pre-mire est que les cigarettes plus chres sont de

    meilleure qualit : pour mmoire, toutes les cigaret-tes tuent la moiti des fumeurs rguliers, et il ny aaucune diffrence entre les diffrents produits. La se-conde est que les cigarettes de contrebande sont des cigarettes de contrefaon et sont plus dangereuses. Sur ce point, il y a deux contre-vrits : la plupart descigarettes de contrebande ne sont pas des cigarettes de contrefaon, mais des produits de lindustrie offi-cielle du tabac, sortis dun pays et entrs illgale-ment dans un autre pour tre vendus non taxs. Par ailleurs, les cigarettes de contrefaon, si elles exis-tent, ne sont ni plus ni moins dangereuses que les autres. La troisime est que les achats transfronta-liers et la contrebande augmentent. Cela est simple-ment faux : depuis 2004, anne o ce phnomne a commenc tre mesur, il ny a pas eu de hausse deces achats, et, avant 2004, il ny avait aucune donne.

    Des professionnels de sant mal informs rpan-dent lide errone que laccroissement du prix du tabac est une mesure rgressive cest--dire qui pse davantage sur les plus pauvres que sur les plus

    riches , donc quelle est mauvaise. Cela est une er-reur destimation des effets dune augmentation du prix du tabac sur la fraction la plus pauvre ou lamoins duque de la population. Il est vrai que ce segment de la population compte une proportion plus importante de fumeurs et consacre une partplus grande, voire beaucoup plus grande, de ses res-sources financires lachat de tabac. Cependant, ilest aussi vrai que les effets du tabac sur la sant sont plus importants dans cette population qui fume da-vantage, quelle est bien moins rceptive aux campa-gnes dinformation, quelle est plus sensible aux l-vations de prix que le reste de la population (commeles jeunes dailleurs), et, enfin, que larrt du tabac re-prsente une conomie plus importante pour cettepopulation.

    Ainsi, ces professionnels de sant qui sopposent la hausse du prix du tabac par paternalisme et igno-rance contribuent accrotre les ingalits de santalors mme quils prtendent vouloir les diminuer.Autrement dit, quand on augmente le prix du tabac, ce qui compte nest pas leffet rgressif sur le porte-monnaie des pauvres mais leffet progressif sur leur sant et leur esprance de vie.

    A lheure actuelle, les lobbys du tabac et Bercy dfi-nissent la politique des prix du tabac pour maintenirune large population de fumeurs et maximiser les profits. Le gouvernement franais enfreint ainsi lac-cord international, quil a ratifi en 2004, qui veutque la politique de contrle du tabac ne soit pas in-fluence par lindustrie du tabac. Faute dune politi-que de sant publique efficace sur le prix, les profes-sionnels de sant ne peuvent que surveiller lpid-mie due au tabac, constater que la mortalit parcancer du poumon chez les femmes crot de 4 % par an et prvoir quelle va dpasser la mortalit par can-cer du sein trs prochainement.

    Estimer limpact potentiel dobjectifs que noussavons tre inatteignables est un exercice de politi-que-fiction auquel la professionnelle de sant publi-que que je suis refuse absolument de se livrer. Je naurai pas le cynisme destimer le nombre de mortsque lon aurait vites avec une politique des prix dutabac enfin raisonnable. Mais je rappelle que le tabactue 78 000 personnes par an en France, rduit lesp-rance de vie des fumeurs de dix ans en moyenne et quil est une cause majeure dingalits de sant. p

    A lheure actuelle, les lobbys du tabac et Bercy dfinissent la politique des prix du tabac

    pour maintenir une large population

    de fumeurs et maximiser les profits

    Catherine Hill

    est pidmiologiste lInstitut Gustave-Roussy de Villejuif

    (Val-de-Marne)

    Pour Catherine Hill, pidmiologiste, labsence de politique de sant publique efficace sur le prix ne permettra pas datteindre les objectifs annoncs par la ministre de la sant pour 2025

    Rduire le tabagisme, un plan vou lchec| t r i b u n e |

    Le supplment Science & mdecine publie chaque semaine une tribune libre ouverte au monde de la recherche. Si vous souhaitez soumettre un texte, prire de ladresser [email protected]

    SMAP, un satellite qui traquera lhumidit des solsAvec le rchauffement de la plante, les phnomnes mtorologiques extrmes vont se multiplier. Les pisodes de scheresse devraient ainsi tre plus nombreux. Le satellite amricain SMAP (pour Soil Moisture Active Passive), lanc samedi 31 janvier, aura prcisment pour mission de surveiller lvolution de lhumidit des sols. Par rapport dautres satellites capables de faire de telles mesures, comme les europens ERS et SMOS, lavantage de SMAP sera deffectuer simultanment des observations des ondes radio mises par le sol et de lcho du signal radar quil mettra. Leur combinaison le renseignera sur la prsence deau dans les cinq premiers centimtres dhumus en saffranchissant du couvert vgtal, avec une rsolution de 9 km de ct. Sa trajectoire orbitale lui permettra de balayer lensemble de la surface du globe tous les deux ou trois jours, pendant trois ans.SMAP ne se contentera pas de surveiller lvolution des scheresses. Il doit fournir des informations sur les risques dinondations clairs (flash floods), frquentes aux Etats-Unis et favorises par un sol trop sec pour absorber rapidement les pluies dorage. Lhumidit des sols conditionne aussi la productivit agricole, le cycle du carbone, et aussi la mtorologie, influence par les phnomnes dvaporation. Autant de domaines o les donnes de SMAP seront prcieuses. p

    herv morin