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Philosophi e de l’économie 1

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Philosophie de l’économie

COURS DE PREMIERE ANNEE DE SCIENCES ECONOMIQUES – L1Université de Yaoundé II

Année 2006

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INTRODUCTION GENERALE

I. HISTORIQUE

En 1771, l’Abbé BAUDEAU a écrit un ouvrage intitulé « Première introduction à la philosophie économique ». Mais plus de deux siècles plus tard, la philosophie économique attend toujours une définition de son contenu.

La tentative la plus rigoureuse pour le faire est due à ILLEY qui publie en 1959 dans la Revue d’Economie Politique un article intitulé « Prolégomènes à l’enseignement de la philosophie économique ». L’objectif de cet article est double : Un objectif substantiel, puisqu’il affirme que « l’économique n’a pas moins besoin du philosophe, que lui d’elle » et un objectif circonstanciel, puisqu’il lui faut accompagner un cours donnée entre 1958 et 1967 à la Sorbonne en France. En dépit de cette tentative, l’engouement ne dure guère.

Il faut attendre 1986, avec l’ouvrage de KOLM intitulé « Philosophie économique » pour de nouveau entendre l’appel de la nécessité et de l’urgence d’ouvrir le champ disciplinaire que l’on doit appeler philosophie économique.

II. DEFINITION   : LA QUESTION SEMANTIQUE

A l’évidence, la philosophie économique désigne un rapprochement entre philosophie et économie. Mais pour mettre en relief la nature de ce rapprochement, il nous faut distinguer ce qu’il a cessé d’être de ce qu’il ne sera probablement jamais.

1. Ce que le rapprochement a cessé d’être   : la «   philosophie de l’économie   »

Dans son article, VILLEY définit la philosophie économique comme l’ensemble « des problèmes propres de la philosophie projetés sur le domaine propre de l’économie politique ». Autrement dit, la discipline proposée par VILLEY est en fait une « philosophie de l’économie » puisque l’objectif poursuivi serait de déconstruire puis de reconstruire l’économie selon les critères de la philosophie. Par définition donc, appartient à la « philosophie de l’économie » toute réflexion philosophique qui appréhende l’économie comme un champ d’application possible.

Cette capture de l’économie par la philosophie est intéressante ; et l’économie lui doit même beaucoup, notamment à travers SMITH et MARX (1). Mais les pensées philosophiques n’ont pas beaucoup fait avancer l’économie depuis près d’in siècle. La seule approche philosophique dont les économistes se montrent encore friands concerne le discours sur l’économie, encore savamment appelée « épistémologie ».

2. Ce que le rapprochement ne sera probablement jamais   : «   l’économie philosophique   »

A l’instar de l’économie mathématique qui désigne une réflexion portant sur l’économie mais conduite à l’aide d’une formulation mathématique, l’économie philosophiqueviserait une pensée substantiellement économique mais utilisant les arcanes du questionnement philosophique. La philosophie serait donc ici réduite par l’économiste à un rôle instrumental, comme la mathématique l’est depuis Auguste COURNOT au moins.

1 SMITH était philosophe de métier ! On oublie d’ailleurs souvent de préciser qu’il a publié La théorie des sentiments moraux (dans laquelle l’action humaine est mue par la sympathie) avant la Richesse des nations (où elle est mue par l’intérêt). MARX n’a pu émettre sa critique de l’économie s’il n’avait été guidé par son système de pensée fortement philosophique.

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Bien que cela puisse être intéressant voire plaisant pour l’économiste, l’obstacle à la proclamation d’une économie philosophique s’articule autour du contenu intellectuel. C’est qu’en effet, alors que de nombreux économistes ont travaillé les mathématiques dans le but de terminer une forme de pensée qui leu est indéniablement utile, bien peu ont produit le même effort avec la philosophie. Un jour peut-être (mais ce jour semble encore bien loin), l’économiste mènera spontanément son travail et la réflexion sur son travail. Le questionnement philosophique sera alors pour lui une seconde nature, tout comme la formalisation mathématique est devenue depuis quelques décennies un second langage.

3. Ce que le rapprochement est   : la philosophie économique

Plutôt que de demander à l’économiste de se faire philosophe (ce serait l’objet de l’économie philosophique), ou a la philosophie de s’improviser économiste (ce serait l’objet de la philosophie de l’économie), la philosophie économique ne veut pas mélanger les genres mais plutôt les additionner, en participant à ce que WALLISER appelle « l’intelligence de l’économie ». Elle est ainsi constituée par les travaux d’économistes et de philosophes qui, pratiquant leur propre discipline, trouvent des problématiques communes.

La philosophie économique permet ainsi de soutenir que l’économie est une science particulière qui se distingue, par exemple, de la physique parce qu’elle étudie les actions humaines ; en faisant appel aux buts et aux motivations des agents humains en tant que « causes de choses » ; et se distingue ainsi, par exemple, de la sociologie et des sciences politiques parce qu’elle parvient à élaborer des théories déductives, rigoureuses, de l’action humaine qui font presque totalement défaut dans les autres sciences du comportement.

III. ECONOMIE, ETHIQUE ET JUGEMENT DE VALEUR

De nombreux auteurs (VILLEY, LAJUGIE ou PIROU) défendent l’idée d’une possible et parfaite séparation entre ce qui relève du jugement de valeur et ce qui appartient à la pratique scientifique dans la démarche et la production économique. Ces approches suggèrent que la science économique puisse être produit indépendamment de tout jugement éthique, et donc qu’elle soit une science absolument libre de tout jugement de valeur.

Il s’agit en d’autres termes de séparer l’économie entre une économie positive (donc neutre et vide de tout jugement de valeur) et une économie normative (donc se prononçant sur ce qui dit être). La recherche d’objectivité que propose cette neutralité a été largement le socle de la réflexion des économistes car l’ensemble des modèles, formalisés ou non qui se succèdent depuis le milieu du 19e siècle, tend à refuser toute implication en termes de valeurs, à l’exception de l’économie du bien-être qui semble comporter des jugements de valeurs.

Mais cette démarche est vaine voire dangereuse, car il y a quelque chose d’illusoire à penser qu’il peut y avoir d’un côté les fins et les moyens dictés par les jugements de valeur (de l’homme politique) ; et d’un autre côté et entre les deux, les modèles dont le seul objectif serait positif et scientifique. Cette dangerosité est d’ailleurs renforcée par le fait que l’économiste n’est jamais (ou presque) absent du processus de décision car, comme le souligne BLAUG, « le décideur sollicite son avis à la fois sur les fins et sur les moyens ». Cela met l’économiste dans l’obligation de formuler, dans tous les cas, des jugements de valeur.

L’ensemble de ces développements suggèrent de nombreuses interfaces entre la philosophie et l’économie. Nous n’en retiendrons que deux comme ossature de nos échanges :

- la première interface est celle qui existe entre l’économie politique et la philosophie,

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- la deuxième interface est celle qui interpelle la science économique et la philosophie des sciences.

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PARTIE I

ECONOMIE POLITIQUE ET PHILOSOPHIE SOCIALE

L’interface entre économie politique et philosophie sociale sera examinée par le recours à deux chapitres :

- Origines et fondements philosophiques de l’économie politique,

- Economie politique et idéologie.

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CHAPITRE 1 : ORIGINES ET FONDEMENTS PHILOSOPHIQUES DE L’ECONOMIE POLITIQUE

La naissance de l’économie politique remonte à Antoine de MONTCHRETIEN, avec la publication en 1615, de l’ouvrage intitulé Traicté d’œconomie politique ; même s’il faudra attendre plus de 150 ans pour que l’économie politique acquiert de la substance, avec Adams SMITH et son œuvre de 1776, Enquête sur la nature et les causes de la richesse des nations. Mais si sa naissance peut-être ainsi repérée, la recherche de ses origines et de ses fondements s’avère moins simple.

Deux critères peuvent cependant être utilisés :

- le premier, fixant les origines de l’économie politique, et l’inscription de la philosophie politique dans une perspective technique. L’économie entre dans la modernité lorsque se produit une instrumentalisation du politique.

- le deuxième, dessinant les fondements de l’économie politique, est le moment où l’économie devient fondamentalement politique lorsqu’elle se constitue sous forme d’une philosophie sociale. Les premiers économistes sont ainsi attirés par le système de pensée du social qu’est alors l’économie. Ainsi par exemple, les physiocrates considéraient l’économie comme une science du droit naturel ; les utilisateurs étaient des philosophes (David HUME) ou juristes (Géremie BENTHAM) ; SMITH a d’abord écrit une théorie des sentiments moraux avant la Richesse des nations, etc.…

Nous examinerons donc tour à tour les origines de l’économie politique et les fondements de l’économie politique avant de distinguer l’économie normative de l’économie positive.

SECTION 1 : LES CRITIQUES DE L’ECONOMIE POLITIQUE

Trois étapes semblent nécessaires pour évoquer les origines de l’économie politique :

- la première étape concerne la prise de conscience de son humanité par l’homme. Celle-ci mettra en relief le lien entre humanité et valeur individuelle,

- la deuxième étape est l’exigence d’une gestion conséquente du corps social. Celle-ci mettre en relief la vertu et la rationalité,

- la troisième étape est l’émergence même du mot « économie politique », aussi bien dans sa prononciation que dans sa signification réelle.

I. HUMANITE ET VALEUR INDIVIDUELLE

La valeur propre de l’homme ne peut être reconnue qu’après avoir repensé le rapport entre l’homme et Dieu. Car la conception médiévale qui domine jusque là pense qu’entre humanité et divinité, le lien est hiérarchique. Dans affirmer les capacités propres de l’homme, ainsi que le fait le courant humaniste issue de la Renaissance Italienne, revient à développer

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une absence de hiérarchie dans cette relation. L’humanité de l’homme est une, elle n’admet pas de degrés, et chacun doit avoir un rapport identique et direct à Dieu.

Le républicanisme critique dont MACHIAVEL est le chef de file, réussira alors l’émancipation que propose une telle modernité en deux temps :

- d’abord, en prêtant à l’homme non une faculté de connaître Dieu mais celle de maîtriser son destin,

- ensuite, la référence divine ayant disparu, en abordant la question politique centrale de la modernité à savoir : comment agréger les individus dans une société tout en assurant la paix ?

Pragmatique, MACHIAVEL transforme en un précepte politique l’idée selon laquelle l’homme, grâce à se vertu, peut maîtriser la Fortune (au moins la moitié des actions humaines, dit-il). En affirmant que « C’est le bien général et non l’intérêt particulier qui fait la grandeur d’un Etat », MACHIAVEL privilégie une organisation politique qui permet l’apprentissage de la vertu par la participation des citoyens à la vie de la cité. La responsabilité de la gestion de la cité et du contrôle des actions humaines incombe désormais aux hommes.

II. VERTU ET RATIONALITE

Le défi de la modernité s’accélère lorsque la vertu s’étend jusqu’à devenir rationalité. Car avec la rationalité, ce n’est plus seulement ni simplement à une gestion du social que l’homme accède, mais au fondement même de la société. C’est alors qu’apparaissent les théories modernes du contrat social, dont l’une des plus puissantes est celle de HOBBES car elle combine l’apport philosophique de MACHIAVEL à celui épistémologique, de DESCARTES.

L’œuvre de HOBBES, décisive pour la philosophie politique, est également fondamentale pour l’économie politique puisqu’elle désigne aux économistes ce que sera leur champ d’investigation. Décrivant en effet les relations entre individus isolés mais rationnels et poursuivant des fins personnelles, l’état de nature hobbesien se présente comme la métaphore centrale de la future pensée économique. Le fait que Robinson CRUSOE soit devenu un personnage clé de la mythologie des économistes en témoigne.

Mais au nom de HOBBES doit être associé celui de LOCKE. Alors que le premier prend pour point de départ la rationalité, le second s’inscrit dans une perspective évolutive ; l’homme étant considéré comme une page blanche qui acquiert son humanité progressivement, à partir des impressions qu’il reçoit de son environnement. Par conséquent, à l’opposé de la perspective cartésienne qui fait se l’homme un être rationnel capable d’instituer la société, la théorie lockéenne considère qu’il est simplement capable de la gérer.

Cette perspective évolutive joue un rôle fondamental dans la formation de l’économie politique. En effet, lorsque l’agrégation des individus se fait en ordre spontané (cf. la main invisible), la problématique consiste à comprendre comment cet arrangement déjà existant des relations humaines se préserve.

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III. L’EMERGENCE DU MOT «   ECONOMIE POLITIQUE   »

Le mot « économie politique » a connu un succès longtemps différé. Cette expression apparaît prématurément dans l’œuvre de l’Antoine de MONTCHRETIEN précisément intitulée Traicté de l’œconomie politique, dédié en 1615 au roy et à le reyne mère du roy.  

« Economie » vient du grec « oïkos nomos » et fait référence à la gestion de la maison. ARISTOTE l’étendra à la famille et à la cité. Ici on l’étend à la maison du Roy et donc à l’Etat

Ne recouvrant aucune notion suffisamment précise, elle est aussitôt oubliée, à commencer par son inventeur qui, après l’avoir placée en première ligne de son ouvrage, n’en fait plus aucun usage dans le corps du texte. L’expression disparaît de la circulation des idées, et lorsque d’aventure elle ressurgit, c’est à contre-emploi. C’est à ROUSSEAU qu’il revient en effet de l’utiliser, dans un article intitulé « Economie politique » et publié dans l’Encyclopédie en 1755 ; et dans lequel il est en retard par rapport à HOBBES et à LOCKE. Mais parallèlement aux errements du mot, la chose progresse, sous des noms d’emprunts comme arithmétique politique ou mathématique sociale. Et finalement, ce n’est que plus de 150 ans après son apparition que le terme finit par rattraper le concept qu’il était appelé à désigner (avec SMITH). Lorsque la fonction se fait ‘sous l’impulsion décisive des physiocrates), une pensée économique moderne des relations politiques, ou économie politique, devient alors effectivement possible.

SECTION 2 : LES FONDEMENTS DE L’ECONOMIE POLITIQUE

Trois étapes sont nécessaires pour évoquer les fondements de l’économie politique :

- la première étape évoque la consécration de la vertu en intérêt économique,

- la deuxième présente les concepts incontournables sur lesquels prospère l’économie politique,

- la troisième met en évidence deux notions importantes à savoir l’individualisme et l’holisme dans l’analyse économique.

I. DE LA VERTU A L’INTERET

La philosophie politique associe la modernité à l'idée d’une valeur propre de l’homme, ou encore la vertu. L’apport probablement le plus fondamental de l’économie politique est de traduire cette caractéristique universelle de l’homme en termes économiques.

Le concept d’intérêt est la transposition économique de la vertu de MACHIAVEL ou de la rationalité cartésienne. Plus précisément, se préoccuper de son intérêt est la conséquence naturelle et universelle d’un comportement fondé sur la raison. Apparu à la fin du XVIIème siècle (1) le concept va d’abord être très philosophique avant d’être adopté par les économistes. A partir du moment où il semble naturel de considérer que les comportements humains reposent sur l’intérêt individuel dont la forme emblématique est l’amour de l’argent, on peut

1 HIRSCHMAN affirme que la première occurrence du terme « intérêt » peut être repérée chez le Cardinal de ROHAN dans le livre L’intérêt des princes et de Etats de la chrétienté.

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affirmer que la recherche de l’argent est un comportement éminemment économique. Ainsi verra-t-on des économistes comme SMITH ou HUME donner une grande importance à l’intérêt, alors qu’ils voient dans l’amour de l’autre (la sympathie) la base de l’humanité. Tout simplement parce que la sympathie est un sentiment local alors que l’intérêt est comme l’écrit HUME « l’avarice, l’amour du gain, est une passion universelle qui agit en tout temps, en tout lieu et sur tout le monde ».

Faire de l’intérêt un attribut humain universel modifie la perspective que l’on adopte sur le social. A l’inverse, grâce à l’intérêt, la problématique du lien social peut se déplacer sur le terrain économique ? Car ici, le questionnement ne porte pas sur les droits et devoirs des individus, pas plus que sur la loi ou les institutions. Il se focalise sur la production et la distribution des richesses ; d’autant plus aisément que l’intérêt autorise que l’on puisse évaluer et additionner non seulement les quantités physiques mais aussi les hommes.

L’intérêt conduit par conséquent à repenser le fonctionnement du social car il impose d’emblée une société homogène et unifiée. Le rôle des mercantilistes sera fondamental de ce point de vue car, dans la mesure où la préoccupation essentielle est ici l’enrichissement du monarque, l’Etat ne peut être un pouvoir politique parmi d’autres, concurrencé par les pouvoirs locaux, mais doit s’affirmer comme une puissance unique et en particulier comme seul bénéficiaire des impôts et taxes collectés.

II. LES PRINCIPAUX CONCEPTES DE L’ECONOMIE

Dès lors que l’espace social s’organise autour de l’intérêt individuel, de nouveaux concepts sont nécessaires. Trois d’entre eux sont fondamentaux :

- la rareté  : si les biens existants dans la nature sont disponibles en quantités suffisantes pour substituer, ils ne sont pas pour s’enrichir. Dès lors, les économistes ne se préoccupent des biens que lorsqu’ils sont rares. Or dans les sociétés traditionnelles, la rareté est gérée socialement et il n’existe par conséquent pas, dans la nature et à l’état brut, des biens économiques. Ils ne le deviennent qu’après avoir été transformés par les hommes. La notion fondamentale de rareté contient ainsi celle de production.

- la production  : les physiocrates sont les premiers à avoir abordé la question de la production des biens, en examinant les richesses sur le terrain de l’agriculture, où ils décrivent l’activité des propriétaires terriens (source de richesse) comme une production de richesse. La production, parce qu’elle peut être réalisée individuellement ou séparément entre plusieurs personnes, permet de prendre conscience de la division du travail, et comme chaque individu n’a pas nécessairement une dotation initiale en biens conformes à ses besoins et goûts, l’échange et donc le marché, est apparu comme une nécessité.

- Le marché : Parce que l’économie politique a alors besoin d’un concept qui rende compte de manière moderne des échanges entre les individus, le marché lien physique et concret sur lequel s’opèrent les échanges, s’impose non seulement comme un concept mais également comme un mode de coordination sociale efficace permettant de dépasser les conflits. Dans le même temps, le marché permet de répondre à la question de la valeur en harmonisant les évaluations individuelles des biens par le prix.

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III. INDIVIDUALISME ET HOLISME EN ECONOMIE

Individualisme et holisme sont deux principes méthodologiques que l’on doit à Karl POPPER en 1957.

L’individualisme méthodologique (expression inventée par Joseph SCHUMPETER en 1908) est un principe qui affirme que l’on ne peut considérer comme adéquates les explications des phénomènes sociaux, politiques et économiques, que si elles sont formulées en termes de croyances, d’attitude, et de décisions individuelles.

L’holisme méthodologique, opposé au précédent est un principe qui affirme que les ensembles sociaux sont censés avoir des finalités ou des fonctions qui ne peuvent pas être réduites aux croyances, attitudes et actions des individus qui les composent. Les théories sociales doivent donc se fonder sur des comportements de groupes.

Si l’on s’en tient à une interprétation stricte, l’individualisme méthodologique concerne le raisonnement lié aux propositions micro économiques ; tandis que l’holisme méthodologique concernerait une construction théorique orientées vers des propositions macro économiques.

SECTION 3 : ECONOMIE NORMATIVE ET ECONOMIE POSITIVE

Pour discuter des concepts d’économies normative et positive, nous présenterons d’abord la guillotine de David HUME ; nous élaborerons une discussion avant de faire la distinction entre jugements méthodologiques et jugements de valeur.

I. LA GUILLOTINE DE HUME

La distinction entre économie positive et économie normative, c’est-à-dire entre l’économie « scientifique » et les avis pratiques concernant les questions de politique économique a maintenant 160 ans, puisqu’elle remonte aux écrits de Nassau SENIOR et de John STUART MILL. Dans la deuxième moitié du 19e siècle, cette distinction familière en économie se trouva mêlée et presque identifiée à une distinction propre au positivisme philosophique entre ce qui « est » et ce qui « doit être » ; entre les faits et les valeurs ; entre des énoncés supposés objectifs concernant le monde et des évaluations normative des états du monde. A partir de là, l’économie positive fut considérée comme se rapportant aux faits ; et l’économie normative comme se rapportant aux valeurs.

Dans son ouvrage intitulé « Treatise of Human Nature » de 1739 David HUME énonça la proposition selon laquelle « on ne peut déduire ce qui doit être de ce qui est », que des énoncés descriptifs, factuels, ne peuvent amener ou impliquer que d’autres énoncés descriptifs et factuels et jamais des normes, des jugements ethniques, ou la recommandation de faire quelque chose. C’est cette proposition qui a été justement nommée la « guillotine de Hume » par BLACK en 1970, dans la mesure où elle établit une distinction logique rigoureuse entre le domaine des faits et le domaine des valeurs.

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POSITIF NORMATIFEstFaitsObjectifDescriptifScienceVrai/faux

Devait êtreValeursSubjectifPrescriptifArtBien/mal

Tableau 1.1- La guillotine de HUME : antonymes équivalents

II. DISCUSSIONS

Comment savoir si une proposition relève de ce qui est ou de ce qui doit être  ? Il est difficile de le décider au vu de la phrase contenant la proposition et du mode grammatical de sa formulation, car il y a des phrases au mode indicatif comme « le meurtre est un péché » qui sont des énoncés de ce qui doit être à peine déguisés en énoncé de ce qui est ?

Un énoncé sur ce sui est, est tous simplement un énoncé qui est matériellement soit vrai, soit faux : il affirme quelque chose sur l’état du monde ; et l’on peut utiliser des méthodes interpersonnelles de vérification pour découvrir s’il est vrai ou faux.

Un énoncé sur ce qui doit être exprime une évaluation de l’état du monde (c’est-à-dire qu’il approuve ou désapprouve, loue ou condamne, prône ou déplore) ; et l’on ne peut qu’utiliser des arguments pour persuader les autres de l’accepter.

En dernier ressort, un énoncé factuel et descriptif est tenu pour vrai parce que l’on s’est mis d’accord pour décider que certaines règles scientifiques en garantissent la vérité à nos yeux, même s’il était, en fait, faux. Dire qu’il y a des « faits bruts » que l’on doit accepter que cela nous plaise ou non, c’est commettre ce que l’on nomme le « sophisme inductif », alors que la théorie de l’ingérence statistique de NEYMAN-PEARSON enseigne depuis longtemps que l’acceptation de chaque fait, en science, implique nécessairement une décision en avenir incertain comportant une probabilité définie mais inconnue, d’être dans l’erreur.

III. JUGEMENTS METHODOLOGIQUES CONTRE JUGEMENTS DE VALEURS

En 1961, NAGEL a cherché à protéger la « guillotine de HUME » contre la précédente objection, en établissant une différence, en sciences sociales, entre deux types de jugements de valeur :

- Les jugements caractérisant la valeur  : Ce sont des jugements qui supposent le choix d’un sujet de recherche, les modalités de la recherche qui doivent être adoptées, et les critères pour juger la validité des découvertes tels que la conformité aux canons de la logique formelle, la sélection de données présentant des garanties précises de fiabilité, et toute décision préalablement explicite relatives aux niveaux de signification statistique, etc… en bref, tout ce qui a été qualifié de jugements méthodologiques.

- Les jugements appréciant la valeur  : Ce sont des jugements qui se rapportent à des évaluations relatives aux états du monde, y compris le caractère désirable de certains

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types de comportement et la résultante sociale de ces comportements. Ainsi, tout énoncé sur ce que l’on appelle la « bonne société » est un jugement appréciant la valeur.

A niveau d’une recherche scientifique rigoureuse, la distinction que propose ainsi NAGEL entre les jugements méthodologiques et les jugements normatifs est réelle et significative.

Tous les économistes reconnaissent en effet qu’il y a une immense différence entre d’une part, l’affirmation qu’il y a une courbe de PHILLIPS c’est-à-dire une relation fonctionnelle particulière entre le niveau de chômage et le taux de variation des salaires ou des prix ; et d’autre part l’affirmation que le chômage est si nuisible que l’on devrait accepter n’importe quel degré d’inflation pour s’en débarrasser. Quand un économiste dit que chaque individu devrait pouvoir dépenser son revenu comme il lui plaît, ou que personne ne devrait pouvoir contrôler librement les ressources matérielles et employer d’autres personnes, ou même que les gouvernements doivent secourir les victimes des mouvements économiques inexorables ; il n’est pas difficile d’observer qu’il émet des jugements de valeur normatifs.

Il y a des méthodes éprouvées, mises au point depuis longtemps, pour concilier des jugements méthodologiques différents. Mais de telles méthodes n’existent pas pour concilier des jugements de valeur normatifs différents (en dehors peut-être des élections politiques).

CONCLUSION

Pour conclure ce chapitre, on peut retenir les 5 points suivants :

- les auteurs importants pour comprendre les origines et les fondements philosophiques de l’économie politique sont : De MONTCHRETIEN, HUME, SMITH, MACHIAVEL HOBBES,  LOCKE et NAGEL.

- les origines de l’économie politiques se réfèrent à la théorisation et à l’application de la séparation de l’homme et de la divinité.

- le terme « économie politique » naît en 1615 et n’est véritablement défini qu’en 1776.

- les fondements de l’économie politique procèdent d’une transformation de la vertu en intérêt, et de l’élaboration des concepts fondamentaux de rareté, de production, de marché.

- la « guillotine de HULE » est la proposition qui clarifie la distinction entre l’économie positive et l’économie normative.

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CHAPITRE 2 : ECONOMIE POLITIQUE ET IDEOLOGIE

Dire que l’idéologie imprègne la pensée économique est unes affirmation que peu d’économistes contestent. Mais l’idéologie appartient à un monde caché. En effet (tableau 2.1), elle relève au choix.

CARACTERE IMAGINAIREPéjoratifNeutreFavorable

IllusionCroyanceVision

Tableau 2.1- l’idéologie

Selon les auteurs et le caractère qu’ils veulent lui accorder (colonne de gauche) d’une production particulière de l’imaginaire (colonne de droite).

Néologisme inventé par les philosophes français de la fin du 18e siècle pour désigner une future science des idées qui ne verra jamais le jour, l’idéologie s’est d’abord illustrée sur la scène politique avant de briller sur la scène académique, mais toujours à ses dépens. Les idéologues ambitionnaient en effet d’étudier la constitution, la métamorphose et la disparition des idées, en ne prenant plus appui sur la métaphysique comme le faisait la philosophie, mais sur la physiologie (*) Ce qui devait faire de leur entreprise une science au sens propre. Mais c’est à Karl MARX que l’idéologie doit son irruption dans la pensée savante.

Pour analyser les liens entre économie politique et idéologie nous étudierons :

- d’abord, la relation entre idéologie et science,

- ensuite, et en conséquence, la mise en évidence d’une certaine fausse conception de l’économie politique,

- enfin, l’appréhension contemporaine de l’idéologie.

SECTION 1 : IDEOLOGIE ET SCIENCE

La relation entre idéologie et science est complexe. Cette complexité résulte de la difficile définition de l’idéologie à laquelle nous nous attèlerons d’abord. Cette complexité émerge aussi des caractéristiques fondamentales qui permettent de différencier idéologie et science, que nous évoquerons ensuite.

I. DEFINITION DE L’IDEOLOGIE

Pour Karl MARX, l’idéologie est une interprétation fausse de la réalité. Elle est un intérêt de classe, celui de la bourgeoisie, désireuse de maintenir le système capitaliste en l’état, et produisant pour cela une représentation de la réalité légitimant ce mode de production.

Cette conception marxienne sera étendue par MANNHEIM en 1956. Pour lui, l’idéologie indique tout système qui n’a de valeur théorique qu’en façade et qui exprime en

* La philosophie est la science qui étudie les fonctions et les propriétés des organes et des tissus des êtres vivants.13

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réalité des faits et des situations sociales, tout en restant inconscient de son propre déterminisme. C’est cette définition basique qui a été assimilée par les économistes. Muni de cette définition, il est simple de juger de l’aspect idéologique d’une œuvre particulière. Pour cela, Joseph SCHUMPETER propose en 1949 deux temps :

- le premier temps, qu’il qualifie de préscientifique, est celui de la collecte des faits. Il est révélateur de ce qu’il appelle une « vision »et est idéologiquement sous influence.

- le second temps, en revanche, proprement scientifique, consiste dans la modélisation des phénomènes. Il échappe au biais idéologique puisqu’il demeure sous le « contrôle objectif » du chercheur.

Cette segmentation chronologique permet alors, selon SCHUMPETER, d’isoler dans une pensée savante, ce qui ressortit à la vision idéologique de son auteur, et ce qui reste proprement scientifique.

Mais l’idéologie, tout comme la science, sont des productions de notre esprit. L’une et l’autre sont donc avant tout des objets mentaux, davantage gouvernés par le principe de la durée que par celui de l’étendue. La méthode de décantation proposée par SCHUMPETER suit, elle, le principe d’une pensée spatialisée : définir afin de connaître. Il peut en résulter un certain cafouillage dû à l’application de cette méthode, pour séparer ce qui incombe à l’idéologie et ce qui revient à la science dans une œuvre donnée.

La science et l’idéologie sont donc des tendances aux contours relativement difficiles à définir. En revanche on peut préciser certaines caractéristiques permettant de les repérer.

II. IDEOLOGIE ET SCIENCE   : CARACTERISTIQUES

La principale caractéristique explique à elle seule l’opposition frontale que chacun perçoit entre l’une et l’autre. Chacune des deux formes de pensée encourage de tenir un discours rationnel et conceptuel, partant de prémisses claires pour atteindre des conclusions précises, à l’aide d’un raisonnement respectant en chemin toutes les exigences logiques qui assurent la cohérence interne du propos. Mais le statut des conclusions n’est pas le même ici et là :

- La science évolue du connu vers l’inconnu. Les prémisses sont connues, et le raisonnement est un effort nécessaire pour atteindre ce qui n’était pas explicitement présent à la conscience dans le jeu des prémisses.

- l’idéologie, à l’inverse, tient pour connues les conclusions. Ce qui est assuré ; c’est la compréhension spontanée du phénomène à étudier. le discours qui y aboutit n’a donc pas pour vertu de la révéler, mais seulement de la justifier.

- si le raisonnement est pris en flagrant délit d’incohérence, la science sommera d’abandonner les conclusions. Mais l’idéologie, elle, poussera à secréter un autre raisonnement, pour aboutir aux mêmes résultats.

- En économie comme ailleurs, la pensée scientifique est noble, la pensée idéologique ignoble.

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La caractéristique fondamentale qui vient d’être ainsi précisée permet de proposer un critère opératoire, susceptible de renseigner sur l’influence prépondérante d’une tendance particulière chez un auteur donné :

- si une ouvre savante, s’étendant sur des décennies et traversant des contextes historiques variés : se signale à l’attention par la constance de ses conclusions et la variation des arguments qui les soutiennent, le signe d’une influence idéologique prépondérante peut être retenu.

- si une œuvre savante fait apparaître une constance remarquable du jeu des prémisses, et une extension considérable du domaine de validité de se conclusions, alors il ya tout lieu de penser à une influence prédominante de la tendance scientifique

SECTION 2 : UNE FAUSSE CONCEPTION DE L’ECONOMIE POLITIQUE

Pour comprendre l’idée d’une fausse conception de l’économie politique découlant de sa rencontre avec l’idéologie, deux étapes sont nécessaires : l’examen de la formation de l’esprit scientifique chez l’économiste d’une part, l’analyse du raisonnement scientifique de l’économiste truffé de spéculation philosophique d’autre part.

I. LA FORMATION DE L’ESPRIT SCIENTIFIQUE

L’économiste se dit volontiers « scientifique » et préfère de moins en moins la dimension philosophique de la discipline. Partant, il cherche à faire croire que « la formation de l’esprit scientifique » dont parle BACHELARD a suivi le même cursus qu’en science de la nature ? A moitié dégagée de la spéculation philosophique mais non encore installée dans le raisonnement scientifique, la pensée économique préscientifique aurait adoptée la forme de l’économie politique, dont l’âge d’or s’étirerait de SMITH (le dernier des économistes normalistes) à WALRAS (le premier des économistes scientifiques).

Pourtant, il faut bien le dire, l’économie politique des 18e et 19e siècle n’est pas parvenue à rompre avec des pratiques intellectuelles étrangères à la science. Que l’on songe ainsi par exemple :

- au rôle explicatif tenu par la métaphore (comme celle de la « main invisible » chez SMITH, ou celle du « commissaire-priseur » chez WALRAS),

- à l’enracinement quasi métaphysique des théories de la valeur (en particulier la théorie de la « valeur-travail » sur laquelle repose la construction de MARX),

- à la gratuité des hypothèses concourant à l’expression des « lois » économiques (comme la « loi de la population » de MALTHUS, ou la « loi des débouchés » de SAY).

Une relecture « à la BACHELARD » de cette période mettrait en relief les nombreux obstacles que la pensée économique aurait encore eu à dépasser pour prétendre à la scientificité. Dépassement qu’elle aurait réalisé au cours du siècle suivant (durant la seconde

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moitié du 20e siècle), qui consacrera le moment d’émergence définitif de l’esprit scientifique en économie.

II. SPECULATION PHILOSOPHIQUE ET RAISONNEMENT SCIENTIFIQUE

En réalité, on peut rejeter le scénario d’une progression linéaire de l’esprit scientifique, se dégageant peu à peu de la philosophie. Deux raisons au moins militent en faveur d’un tel rejet :

- d’abord, l’économie politique ne saurait être une phase historique du développement de la philosophie ; or c’est ce que tend à faire croire une telle progression,

- Ensuite, la constance de la préoccupation normative en économie éloigne dans une certaine mesure l’enveloppe de la spéculation philosophique.

Elle l’éloigne dans une certaine mesure seulement, parce que le raisonnement scientifique n’est pas le tout de la pensée économique ; il y côtoie en permanence la spéculation philosophique. Il serait donc plus réaliste, et probablement plus fécond, d’admettre que l’économie est discipline spécifique, dont la nécessité indéniable en tant que corpus théorique, tant précisément au fait qu’elle participe à la fois de la philosophie sociale et de la science sociale. C’est en cela que l’on parle parfois de « discipline » et non pas de science, quand il s’agit d’économie.

SECTION 3 : COMMENT APPREHENDER L’IDEOLOGIE ?

Pour tenter un contournement du « paradoxe de MANNHEIM » qui affirme que le discours sur l’idéologie devient lui-même idéologique, on peut appréhender l’idéologie, adopter une approche pragmatique basée sur un simple critère : l’ambition n’est plus tant ici de connaître l’idéologie que de la reconnaître.

Parce qu’il est difficile de différencier de manière incontestable la philosophie, la science et l’idéologie, étant donné qu’elles sont supposées n’être que des tendances jamais nettes dans un discours ; isolons quelques similitudes et quelques différences.

I. LES SIMILITUDES

Deux éléments de similitudes peuvent être relevés entre la philosophie, la science et l’idéologie.

La première ressemblance entre ces différentes formes de pensée sociale est que toutes les trois poursuivent le même but : rendre intelligible la vie de l’homme en société. Le fait que la discipline économique retienne la production et la répartition des richesses comme prisme dominant de la vie sociale, ne change rien à l’objet commun de ces trois formes de pensées.

Le second élément de ressemblance est que toutes les trois sont de nature conceptuelle, et non pas simplement symbolique ; les différences fondamentales étant résumées dans le tableau 2.2. suivant.

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CONCEPT SYMBOLE- cherche à enfermer un

élément dans une acceptation étroite

- contraint le raisonnement

- permet de penser

- opère comme un générateur de sens

- fouette l’imagination

- donne à penser

Tableau 2.2- Concept contre symbole

Symboles et concepts servent à désigner les éléments significatifs que la pensée organise en discours. Mais il est sans doute vrai que le concept scientifique réussit fréquemment à contenir plus strictement la chose désignée dans une acceptation précise, que ne fait le concept philosophique et davantage encore, que le concept idéologique.

II. LES DIFFERENCES

Deux éléments de dissemblances peuvent être relevés entre la philosophie, la science et l’idéologie.

La première différence transparaît dans la pratique de ces trois formes de pensée. En effet, la science et la philosophie s’adresse au petit nombre, parce qu’elles réclament une ascèse à laquelle la plupart des hommes se refusent par choix ou par incapacité. A l’opposé et par définition, il n’ya d’idéologies que partagées par une multitude.

La deuxième et la plus importante différence concerne l’assise sur laquelle repose chacune de ces trois formes de pensée. En effet :

- la philosophie se déploie généralement à partir d’une certitude sue le fond de l’être humain et social. Les recherches philosophiques qui en découlent se déroulent le plus souvent sur l’échantillon d’humanité que le philosophe a sous la main : lui-même. C’est pourquoi malgré les regroupements possibles selon quelques caractéristiques sommaires. (idéalisme, réalisme, matérialisme, spiritualisme et autres), les systèmes philosophiques portent ainsi fréquemment la signature de leur initiateur (agrémentés de quelques variantes telles que pré, néo, post, etc.).

- La science ne veut faire confiance qu’à la plus parfaite extériorité, celle qu’elle trouve dans les faits. L’objectivité est la norme fondamentale qui conditionne l’organisation communautaire du travail scientifique ; et par construction, la science se doit d’être en correspondance avec le réel.

- l’idéologie estime que les propriétés d’un phénomène complexe à étudier sont tenues par certaines et vraies à priori. Elle les élève ainsi au rang de principe idéologique, alors que pour le scientifique et le philosophe, ces propriétés sont toujours le fait d’un raisonnement dont la validité dépend à chaque fois de la robustesse de son assise.

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CONCLUSION

En guise de conclusion à ce chapitre, on peut retenir quatre points principaux :

- L’idéologie est un néologisme inventé par les philosophes français à la fin du 18 e

siècle pour désigner une future science des idées. Elle est une interprétation fausse de la réalité puisqu’elle représente un intérêt de classe à savoir la bourgeoisie.

- Les auteurs les plus importants pour discourir sur l’idéologie sont MARX, MANNHEIM, SCHUMPETER.

- Une œuvre idéologique se caractérise par la constance de ses conclusions et la variation des arguments qui les soutiennent. Une œuvre scientifique se caractérise par la constance de ses prémisses et une extension considérable du domaine de validité de ses conclusions.

- L’économie est une science imprégnée de philosophie et d’idéologie.

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PARTIE II

SCNECE ECONOMIQUE ET PHILOSOPHIE DES SCIENCES

L’interface entre science économique et philosophie des sciences sera examinée par le recours à deux chapitres :

- La méthodologie économique politique,

- L’épistémologie de l’économie.

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CHAPITRE 3 : LA METHODOLOGIE ECONOMIQUE

La méthodologie économique est composée de deux méthodes :

- le première, l’individualisme méthodologique : la démarche repose sur le postulat selon lequel les phénomènes collectifs doivent être appréhendés à partir du comportement de l’individu.

- le deuxième, l’holisme méthodologique : la démarche repose, au contraire, sur le postulat selon lequel la compréhension est meilleure à partir de l’étude des comportements de groupe.

Mais tout ceci repose sur la proposition d’un comportement rationnel.

SECTION 1 : QU’EST-CE QU’UN COMPORTEMENT RATIONNEL ?

Trois étapes sont nécessaires pour expliquer ce qu’on entend par comportement rationnel :

- la définition,

- la traduction,

- l’encadrement de la rationalité.

I. LA DEFINITION

La rationalité est ce quelque chose qui unifie les actions des individus. Grâce à elle, les comportements humains peuvent être ramenés à ce qui est observable : on dit que la rationalité est substantive, en ce sens qu’elle ne concerne que les choix et pas (ou très peu) les fins et las croyances des individus.

II. LA TRADUCTION

Deux éléments traduisent cette rationalité :

- une rationalité de préférence : le comportement rationnel repose sur l’existence d’une rationalité qui permette de choisir et donc d’ordonner à priori les éléments de choix.

- un critère de cohérence : le comportement rationnel peut être évalué selon la condition de CHERNOFF ; encore appelée « propriété  » et qui peut s’interpréter de la manière suivante : « si l’on a éliminé une option lorsqu’on la comparaît à d’autres, on ne la retient pas lorsqu’on la compare à un nouveau groupe d’options où figurent les précédentes ».

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III. L’ENCADREMENT

La rationalité est cependant tenue d’intégrer les croyances des individus. On parle alors de rationalité procédurale, pour signifier que les individus s’engagent dans des stratégies conçues pour réduire les risques de comportements irrationnels.

SECTION 2 : QUELS SONT LES GRANDS OUTILS DE LA SCIENCE ECONOMIQUE ?

La science économique utilise trois grands outils :

- la théorie des jeux,

- l’économétrie,

- la comptabilité nationale.

I. THEORIE DES JEUX

1)- Généralités

L’intérêt de cette théorie est de pouvoir prévoir le résultat de la décision d’un individu rationnel en interaction avec ses semblables. Mais l’utilisation directe de la rationalité de l’agent peut s’avérer d’un maniement délicat lorsqu’elle doit rendre compte des interactions. Cette rationalité est alors appréhendée à travers les nations de stratégies dominantes d’une part, et l’équilibre de NASH d’autres parts. Exemple : Charlie et Estelle doivent écrire « oui » et « non » sur une feuille de papier. Au moment du choix, la communication est impossible et les choix sont donc discrets. On confie les feuilles écrites à une tierce personne qui annonce les réponses : les gains obtenus étant représentés dans la matrice des gains suivante :

ESTELLE

oui non

oui 2 , 2 0 , 3non 3 , 0 1 , 1

Tableau 3.1- Exemple de théorie des jeux

2)- Stratégie dominante

La stratégie dominante signifie que l’agent économique préfère l’acteur qui lui rapporte le plus, quelque soit le comportement de l’autre joueur. Ici pour Charlie comme pour Estelle, écrire « oui » est une stratégie strictement dominée (et donc écrire « non » est une stratégie strictement dominante).

3)- L’équilibre de Nash

CHARLIE

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L’équilibre de NASH est la combinaison de stratégie ou d’action qui fournit la meilleure réponse du joueur compte tenu du choix de l’autre joueur. Ici, la combinaison (non, non) est un équilibre de NASH.

II. ECONOMETRIE

L’ambition de cet outil est de mettre les statistiques et les mathématiques au service de l’économie. Il cherche ainsi à ingérer les théories économiques d’un fondement empirique. Le problème central de l’économétrie est celui de la relation entre la théorie et la mesure. Cette relation ressurgit lors du passage d’une économétrie de description à une économétrie de prescription, car, la construction de modèles permettant de prendre des mesures de politique économique pose la question de la structure du modèle sous-jacent, c’est-à-dire de l’identification des relations causales.

Exemple : 100g de pain = 0,5g d’eau + 6g de farine + 0,1g de levure + 0,5g de sucre + etc… : économétrie de description

PIB = & + & consommation + & investissement privé + & investissement public + …… : économétrie de prévision

L’incertitude se heurte à plusieurs problèmes que ne résolvent pas toujours les nombreux tests proposés : variable redondantes, stabilité, causalité ; ni les méthodes d’estimation mise en œuvre : MCO, VI, DMCO, TMCO, Probit, Logit, Tobit, MCG, etc… . Du coup, il est possible de manipuler les données de manière à confirmer les théories.

III. COMPTABILITE NATIONALE

En principe, la comptabilité nationale, comme le note MALINVAUD permet de comprendre et d’appréhender la réalité économique. Les comptables nationaux entendent fournir aux décideurs politiques (l’Etat) des données sans implications théorique ou idéologique. Ils fournissent ainsi par exemple le PNB ou le PIB, en prenant soin de dire qu’il ne s’agit pas des mesures de bien-être. Mais parce qu’ils laissent croire à une possible mesure de qualitatif, tout le monde ou presque considère ses agrégats comme représentant de telles mesures (le PIB est même l’agrégat par excellence de mesure du niveau de développement des pays).

De ce point de vue, l’apport de nouveaux indicateurs tels IDH (indicateur de développement humain) ou IPH (indicateur de pauvreté humaine) est déterminant pour une meilleure prise en compte de la qualité de la vie.

CONCLUSION

- La rationalité est un lien indéfinissable qui unifie les actions des individus.

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- La rationalité substantive s’appuie sur une relation de préférence et un critère de cohérence évaluée selon la condition de CHERNOFF.

- La rationalité procédurale intègre dans la dynamique des choix individuels, les croyances et les sentiments.

- La théorie des jeux cherche à prédire le résultat de la décision d’un individu rationnel en interaction avec les autres, dans un monde où l’information n’est pas parfaite et où le commissaire priseur est inopérant. Le concept d’équilibre de NASH est au cœur de cette théorie.

- L’économétrie cherche à inférer les théories économiques d’un fondement empirique, et donc ambitionne de rendre robuste par des tests les hypothèses économiques.

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CHAPITRE 4 : L’EPISTEMOLOGIE DE L’ECONOMIE

La méthodologie économique est enquête indiquant les outils utilisés par le scientifique. En revanche, l’épistémologie économique est une approche s’efforçant plutôt de sonder plus directement la pensée produite, en s’éloignant donc des outils d’analyse ‘il est vrai que dans la tradition anglo-saxonne, « the methodology of economics » inclue les deux sens).

Deux questions peuvent permettre une appréhension sommaire de l’épistémologie économique :

- la question des conjectures en économie

- la question de la scientificité de la science économique.

SECTION 1 : CONJECTURE ET REPUTATION

Les conjectures et réputation passent par l’examen :

- la controverse de FRIEDMAN/SAMUELSON,

- l’apport de MILL,

- l’apport de Mark BLAUG.

I. LA CONTROVERSE DE FRIEDMAN/SAMUELSON

Dans une phase d’hypothèses et d’hésitations, la plus célèbre controverse de l’économie a été allumée par FRIEDMAN et son bref « Essay on the methodology of positive economics » publié en 1953. Dans cette publication, l’auteur met en relief une conception instrumentaliste de la science, à savoir que si toute théorie se doit de « prédire » correctement les faits, elle n’a pas en revanche à s’embarrasser d’un quelconque réalisme des hypothèses. En d’autres termes, la théorie économique ne fait que raconter une histoire dans laquelle « tout se passe comme si… ».

En fait FRIEDMAN jetait une pierre dans le jardin que cultivait SAMUELSON ; lequel avait assis sa carrière sur une réécriture de l’ouvrage « les fondements de l’analyse économique » publié en 1947, dans lequel il se faisait le chantre du réalisme des hypothèses, en pensant que toute proposition théorique doit être fondée sur des réalités empiriques avérées.

II. L’APPORT DE MILL

Outre FRIEDMAN et SAMUELSON, on ne peut taire la magistrale contribution épistémologique de John STUART MILL qui, lorsqu’il traite de la science comme catégorie de connaissance, dégage deux manières de procéder : la première, inductive, dite « a postériori », la seconde, déductive, qualifiée de « a priori » : « par méthode a postériori, nous entendons celle qui requiert, comme assise de ses conclusions, non seulement l’expérience mais

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l’expérimentation spécifique. Par méthode a priori, nous entendons le raisonnement à partir de prémisses hypothétiques ».

MILL soutient alors que seule la première est capable de découvrir la vérité, c’est-à-dire les lois auxquelles sont soumis les phénomènes, la seconde n’est qu’un adjuvant permettant au scientifique de coordonner logiquement les lois avérées selon la première méthode.

III. L’APPORT DE MARK BLAUG

Mais tous ces débats connaissent un élan décisif avec le maître-ouvrage de Mark BLAUG, « the methodology of economics » publié en 1980 et qui définit deux périodes distinctes marquées par l’arrivée de Karl POPPER  dans l’épistémologie :

- Avant POPPER : deux idées dominent : la première est de croire que la science doit procéder selon la méthode inductive. La seconde conduit à remplacer la méthode inductive par la méthode hypothético-déductive. Ces méthodes ont en commun d’interdire à la théorie scientifique d’être fausse. La conséquence est que la vertu explicative de la théorie scientifique l’emporte sur sa capacité prédictive.

- Après POPPER : toute théorie n’est qu’une conjecture qui pour être scientifique doit « prédire » une situation inédite et expérimentale. Selon que les résultats théoriques seront ou non en harmonie avec les faits expérimentaux, la conjecture sera corroborée (en attendant la prochaine expérience cruciale) ou réfutée. A tout instant, le savoir scientifique est donc constitué de théories provisoires en attente de vérification. Cette dynamique de la conjecture et de la réfutation est seule à assurer le progrès scientifique.

SECTION 2 : LA SCIENCE ECONOMIQUE EST-ELLE UNE SCIENCE ?

La tension initiale entre le lien de naissance de la science économique (la philosophie sociale), et son lien d’élection (la science sociale) est la cause inconsciente d’une articulation instable entre l’objet qu’il poursuit (la compréhension su lien social) et la méthode (scientifique) qu’elle utilise.

Elle est une science, probablement pas « dure » comme la physique, ni « molle » comme la littérature. Comme le dit MALINVAUD, « l’économie s’est rapprochée des sciences dures, mouvement irrésistible mais achevé ».

CONCLUSION GENERALE

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