23851 JEAN PIERRE DUHARD Souvenirs de Guerres 14 18 Et 39 45 [InLibroVeritas.net][1]

Embed Size (px)

Citation preview

jean-pierre duhard

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

- Collection Biographies / Tmoignages -

Retrouvez cette oeuvre et beaucoup d'autres sur http://www.inlibroveritas.net

Table des matiresSouvenirs de guerres (14-18 et 39-45).......................................................1 Ren Duhard, l'appel de 1916............................................................2 Roger Duhard : tmoin de la 1re Guerre mondiale..........................18 Maurice Bruneau : d'une guerre l'autre...........................................56 Roger Meunier : de Charente en Pologne pour le STO.....................82 Roger Duhard : la dfaite de 1940 et le Stalag................................102 Jean-Pierre Duhard : l'Occupation au quotidien..............................141

i

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)Auteur : jean-pierre duhard Catgorie : Biographies / Tmoignages

Dans ce livre sont runis les souvenirs des deux guerres de mon oncle Ren Duhard, de mon pre, de tonton Bruneau et de mon cousin Roger Meunier. Ces tmoignages, ignors de la grande histoire, racontent le quotidien de ceux qui vcurent ces poques troubles.

Licence : Licence Creative Commons (by-nc-nd) http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/fr/

1

Ren Duhard, l'appel de 1916

Quelques dates de la guerre 14-18 1914 : 28 juin : assassinat de l'archiduc Franois-Ferdinand Sarajevo - 3 aot : dclaration de la guerre - 28 aot : dfaite russe Tanenberg - 5 septembre : dbut de la bataille de la Marne 1915 : 7 mai : Lusitania coul par un sous-marin allemand - 1er juin : premire attaque des zeppelin sur Londres - 5 aot entre des Allemands dans Varsovie 1916 : 9 fvrier : service militaire obligatoire en Angleterre - 21 fvrier : dbut de la bataille de Verdun - 24 octobre : contre-offensive franaise Verdun 1917 : 16 mars : abdication du tsar Nicolas II - 6 avril : entre en guerre des USA - 24 octobre : le front italien est rompu Caporetto 1918 : 8 janvier : propositions du prsident Wilson aux belligrants - 15 juillet : seconde bataille de la Marne - 8 aot : dbut de l'offensive des allis Amiens - 9 novembre : abdication et fuite du kaiser - 11 novembre : signature de l'armistice

Ren Duhard, l'appel de 1916

2

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

Ren Duhard le 31 juillet 1983, venu voquer ses souvenirs chez sa belle-soeur Germaine Soubie Famille Duhard Pierre Duhard, le pre, dit Camille (1870-1937) eut quatre enfants de Malvina Bernardeau (1878-1963) : Ren (1897-1992), qui se maria en 1922 avec Yvonne Barrire, dont il eut deux anfants : Pierre et Jean. Il fut appel en 1916. Roger (1900-1982), qui se maria en 1941 avec Germaine Penaud (1916-2004) dont il eut deux fils : Jean-Pierre et Philippe. Il s'engagea en 1918 et fut rappel en 1939. Rgis (1908-1992), qui se maria en 1933 avec Jeannette Arnouil, dont il eut six enfants : Annie, Guy, Jany, Jacques (Jacky),Ren Duhard, l'appel de 1916 3

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

Yvonne (Vonette) et Franoise (Fanfan). Charg de famille, il chappa la mobilisation. Yvon (1912-1920), dcd par accident de chasse.

La dclaration de guerre Dans les campagnes de France, on avait appris l'assassinat, le 28 juin 1914 Sarajevo, de l'archiduc hritier d'Autriche Franois-Ferdinand et de son pouse, mais on ne se sentait pas trs concern. Dans les campagnes, c'tait un t comme les autres qui s'annonait, avec les foins coups et rentrs, et les raisins mrissant lentement. Les articles dans La France ou La Charente Infrieure, voquant des tensions entre diffrents pays d'Europe Centrale et de l'Est, ne parvenaient pas inquiter vraiment les gens.

Malgr les ordres de mobilisation gnrale en Russie le 31 juillet, en Belgique le lendemain, en Allemagne et en France le 2 aot, la guerre paraissait impossible beaucoup. "Quand elle a t dclare, racontait Ren Duhard, ce fut vraiment une surprise. Je m'en souviens bien, c'tait leRen Duhard, l'appel de 1916 4

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

3 aot et c'est le garde-champtre qui est pass l'annoncer, car il n'y avait pas de radio et peu de gens savaient lire. Ds le 1er aot un Appel la Nation franaise avait t placard dans tous les bureaux de poste, annonant la mobilisation gnrale des armes de Terre et de Mer. On a appel les classes jusqu'en 1904, tous les moins de 30 ans mobilisables et ils devaient partir ds le lendemain. Et c'est plein d'optimisme qu'ils l'ont fait, comme pour une courte promenade, crivant sur les wagons : "en route pour Berlin!". La mobilisation gnrale prenait effet ds le dimanche 2 aot et concernait tous les hommes non prsents sous les drapeaux appartenant l'arme de terre, y compris les troupes coloniales et les hommes des services auxiliaires, et l'arme de mer, y compris les inscrits maritimes et les armuriers de marine. Pas de mention de l'arme de l'air, inexistante cette poque. D'autres affiches avaient fleuri sur les murs concernant la formation de la classe 14, la conscription des chevaux, le classement des voitures automobiles, etc.. C'est le 3 aot 1914 que commena la Premire Guerre Mondiale, ou Grande Guerre, sur l'initiative de l'Allemagne. La guerre sera frache et joyeuse , aurait dclar l'empereur Guillaume II ; elle fut tout le contraire, barbare et sanglante.

Au mpris des traits garantissant sa neutralit, la Belgique fut envahie par les Allemands, qui investirent Lige dix-huit jours plus tard. L'annonceRen Duhard, l'appel de 1916 5

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

de ce nouveau conflit avec le vieil ennemi fut plutt accueillie avec enthousiasme par l'opinion publique, y voyant une occasion de revanche morale aprs la dfaite humiliante de la guerre clair de 1870-71 o Napolon III avait perdu Sedan sa libert et sa couronne et la France, l'Alsace et la Lorraine. En septembre, l'offensive allemande fut stoppe sur la Marne grce au transport rapide des troupes dans des taxis rquisitionns par Gallini, le gouverneur militaire de Paris. Les nouvelles parvenaient lentement dans les bourgs, villages et hameaux de province. On apprit avec retard qu'en avril 1915 les Allemands avaient utiliss pour la premire fois Ypres des gaz asphyxiants et qu'en mai, l'Italie tait entre en guerre contre l'Autriche, dont l'avait dlivre Napolon III. Les souvenirs de Ren Duhard Dans la campagne charentaise, comme en bien d'autres endroits, on ne ressentait pas vraiment les effets du conflit, dont le front tait fix loin au nord-est et on ne souffrait d'aucune restriction. Mais la famille Duhard allait, comme d'autres, se trouver directement concerne par cette guerre. En 1915, l'anne de ses 45 ans, le pre de Ren, Camil' est mobilis dans la Territoriale, cette arme sdentaire cre en 1872, au lendemain de la dfaite, pour la dfense du territoire. Il sera remplac dans sa scierie de Saint-Aigulin par un nomm Lestrade, du Fnage, un auxiliaire affect spcial.

Ren Duhard, l'appel de 1916

6

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

Dans les tous premiers jours de 1916 Ren, n le 29 novembre 1897 et qui est de la classe 17, fut appel son tour. Il se souvenait, bien plus tard : On nous avait laiss passer Nol et le Premier de l'an en famille. Je suis parti au 125e Rgiment d'infanterie de Poitiers pour faire mes classes. En mars j'ai attrap le croup, la diphtrie. J'tais tellement malade qu'on avait envoy un tlgramme mes parents leur faisant prvoir le pire. Mais, quand ils sont arrivs deux jours plus tard l'Htel Dieu de Poitiers o j'tais hospitalis, j'tais tir d'affaire. On ne m'a pas rform pour a ; aprs un repos chez moi, je suis reparti l'arme et j'ai eu mon baptme du feu le 11 novembre 1916 dans les Vosges, quand nous avons pris le fort de Badonvillers .

Ren Duhard, l'appel de 1916

7

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

Ces soldats mobiliss, ils venaient de partout. "C'tait des quadragnaires placides, habiles tous les travaux : remueurs de terre, comptables, gens de loi et de lettres, la France productrice et volontaire ! (...) Sans s'alarmer outre mesure, toujours prts partir, ils subissaient, sans nervement apparent, ces bombardements de toutes natures qui faisaient planer sur leurs ttes un danger, moyen sans doute, mais plein d'imprvus, et quotidien ! J. Vamy-Baysse, La grande guerre raconte par les combattants, 1922. Ils sont des hommes, des bonhommes quelconques arrachs brusquement la vie. Comme des hommes quelconques pris dans la masse, ils sont ignorants, peu emballs, vue borne, pleins d'un bon gros sens, qui, parfois, draille; enclins se laisser conduire et faire ce qu'on leur dit de faire, rsistants la peine, capables de souffrir longtemps . Le feu, Henri Barbusse, 1916. En octobre et novembre de cette mme anne 1917 furent galement repris les forts de Douaumont et de Vaux, ce qui eut un norme retentissement dans le monde. Le 6 avril 1917, les Etats Unis d'Amrique entrrent en guerre aux cts de la France, en lui fournissant un important matriel militaire. Comme la maison des grands-parents BernardeauRen Duhard, l'appel de 1916 8

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

tait sur le bord de la route de Bordeaux Paris, la Nationale 10, se souvenait Rgis Duhard (le frre cadet), nous en avons vu passer des milliers et des milliers d'hommes, de chevaux, de canons et de camions. Elle tait devenue un vritable bourbier avec des ornires pouvantables o les camions enfonaient jusqu'aux moyeux et les hommes jusqu'aux genoux et ce trafic avait fini par la rendre impraticable .

Le 16 avril, conformment au plan labor par le gnral Nivelle, alors commandant en chef des forces franaises, les Ve et VIe Armes lanaient une grande offensive sur l'Aisne, au Chemin des Dames (route allant de Soisson Laon, par un plateau au nordde la valle de l'Aisne). C'est dbut mai 17, relatait Ren Duhard, que j'ai particip aux grandes attaques mortelles de l'Aisne qui ont fait 250.000 morts en une semaine. Dans les rgiments envoys la boucherie les soldats se sont rvolts et on en a fusill pour l'exemple. Le gnral passait devant les troupes alignes : vous!, vous! et il les choisissait comme cela, au hasard, ceux qui allaient tre conduits au poteau. Les soldats franais refusaient de faire partie des pelotons d'excution et on a du faire appel des rgiments d'outre-mer ou la Lgion Etrangre. C'est ce moment l que Ptain a t appel en remplacement de Nivelle, qu'on aurait bien du fusiller son tour.. . Un intressant documentaire ( Fusills pour l'exemple ) a t tourn par Patrick Cabouat pour France 3, en 2003.Ren Duhard, l'appel de 1916 9

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

La pratique des fusills pour l'exemple fit 550 victimes chez les soldats franais entre septembre 1914 et juin 1918, sur les 2 500 condamns mort. Et particulirement en 1917 : aprs le massacre du Chemin des Dames, o plus de 147 000 Poilus furent tus et plus de 100 000 blesss en deux semaines, les soldats se mutinrent dans plus de 60 des 100 divisions de l'arme franaise. Ces rvoltes furent trs svrement rprimes, en particulier par Ptain (appel en remplacement de Nivelle, responsable de la calamiteuse offensive) et par Joffre, qui avait institu comme mthode de commandement ce terrible chtiment, vritable recours la terreur ; il faut faire des exemples qui sont absolument indispensables , crivait ce dernier dans une note. Si quelques-uns avaient mrit cette peine pour abandon de poste en prsence de l'ennemi , la plupart furent des morts innocents, victimes de l'exemple. La chanson, dite de Craonne, exprimait la dtresse de ces infortuns Poilus : Quand au bout d'huit jours le r'pos termin / On va reprendre les tranches / Notre place est si utile / Que sans nous on prend la pile. / Mais c'est bien fini, on en a assez / Personne ne veut plus marcher / Et le coeur bien gros, comm' dans un sanglot / On dit adieu aux civ'lots. / Mme sans tambours, mme sans trompettes / On s'en va l-haut en baissant la tte / Refrain : Adieu la vie, adieu l'amour / Adieu toutes les femmes / C'est bien fini, c'est pour toujours / De cette guerre infme / C'est Craonne sur le plateau / Qu'on doit laisser sa peau / Car nous sommes tous des condamns / Nous sommes les sacrifis [..].

Ren Duhard, l'appel de 1916

10

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

Cette chanson anonyme tait interdite par les autorits militaires qui offrirent, sans succs, un million de francs-or et la dmobilisation immdiate celui qui dnoncerait son auteur. Elle fut reprise par de nombreux chanteurs et inspira Boris Vian Le dserteur : Monsieur le Prsident / Je vous fais une lettre / Que vous lirez peut-tre / Si vous avez le temps / Je viens de recevoir / Mes papiers militaires / Pour partir la guerre (..). Si vous me poursuivez / Prvenez vos gendarmes / Que je n'aurai pas d'armes / Et qu'ils pourront tirer. Cette guerre frache et joyeuse tournait l'hcatombe dans les deux camps. Le moral des troupes tait au plus bas, malgr les exhortations patriotiques d'un Paul Droulde : Gronde canon, crache mitraille ! Fiers bcherons de la bataille, ouvrez-vous un chemin sanglant. En avant ! Tant pis pour celui qui tombe. La mort n'est rien. Vive la tombe ! Quand le pays en sort vivant. En avant ! . Parmi les voix perdues de 14-18, il y eut Charles Pguy et Alain Fournier en 1914, Louis Pergaud en 1915 ou encore Guillaume Apollinaire en 1918, qui avait rsist une trpanation mais succomba la grippe espagnole. photo anonyme prise dans les tranches lors de Grande Guerre

Ren Duhard, l'appel de 1916

11

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

Pendant que Roger, son frre cadet, suivait ses tudes l'Ecole de Commerce de Bordeaux, Ren tait sur le front et l't 1917 ses parents apprirent qu'il y avait t bless assez grivement. L'intress s'en souvenait encore, soixante-dix ans plus tard , quand je recueillis ses souvenirs : C'tait le 16 juillet 1917. La veille de l'attaque, avec un camarade, on a eu la prmonition de ce qui nous attendait. "Je vais tre tu me dit-il". "Et moi bless, lui rpondis-je". Et c'est ce qui se passa. Nous avions pour objectif de prendre trois positions allemandes sur la mortelle cte 304. En une heure, nous avons perdu 800 hommes, tus ou blesss, sur un effectif de 1 900. Dans mon escouade de sept hommes, entre 8h et 11h, un seul ressortit indemne : il y a eu trois tus et trois blesss. Je suis tomb en prenant la troisime position, frapp la tte par un clat d'obus fusant. J'avais l'impression que ma tte pesait cinq cents kilos. Entendant mes cris d'appel depuis le trou d'obus o je m'tais rfugi, deux camarades sont venus me chercher et ont russi me traner sur 800 mtres, au milieu des balles qui sifflaient. "Laissez-moi, je leur disais, vous allez vous faire tuer pour rien. Non, tant pis si on est tus, mais on n'abandonne pas un camarade bless. J'ai pass la nuit au poste de secours, au milieu des mourants et le lendemain matin des brancardiers sont venus me chercher pour me conduire dans une ambulance amricaine. Un aumnier militaire, le pre Dupagne, aRen Duhard, l'appel de 1916 12

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

crit mes parents : votre fils est lgrement bless et a de grands espoirs de sauver sa vie. Aprs quatre mois d'hpital, j'ai eu droit un mois de convalescence Saint-Aigulin . Dans le journal de guerre d'un chasseur alpin, on lit : Je me rappelle la nuit prcdent celle de l'attaque, nous trouvant en rserve quelques centaines de mres des 1res lignes, proximit des pices d'artillerie avec mon ami Pujol Emile (de Pomrols) et Rigaudis (de Bziers), nous regardions le champs de bataille en avant de nous, pareil une vision d'enfer, le bombardement ininterrompu des pices ou l'clatement des obus sans distinction de coups ; un roulement sans fin, les fusants illuminant le ciel de leurs clairs rouges, ou l'incendie de quelques villages sur la ligne de feu ; et c'est le cur gros que tous les trois nous contemplions les lignes pensant que dans quelques heures, nous allions tre dans la fournaise et heureux de pouvoir passer ensemble ces quelques instants nous rappelant non sans amertume notre cher pays . Jean Pouzoulet (1894-1981),de Casrelnau-De-Guers, 23e BCA.

vacuation d'un bless

Ren Duhard, l'appel de 1916

13

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

Situe sur la rive gauche de la Meuse, la cte 304 fut pendant 14 mois un haut lieu des combats pour protger Verdun. Un vtran se souvenait : "Le bataillon du 346e est le bataillon d'assaut. Les tirs de prparation d'artillerie durent depuis plusieurs jours; ils deviennent tellement intenses, tellement formidables dans les instants qui prcdent l'heure H, que la confiance de nos troupiers redouble. Ils s'lancent l'assaut avec une ardeur folle, trouvant trop lente leur gr la marche du barrage roulant, qui les prcde. C'est ainsi que le lieutenant Vautrin, emport par son lan dans le tir de barrage, est tu la tte de sa compagnie. La rsistance de l ennemie est assez faible; partout les tranches sont niveles, les abris enterrs, une seule mitrailleuse tire. En quelques instants toute rsistance ennemie est brise et 260 prisonniers environ, affols et piteux, dont 4 officiers, sont envoys l'arrire. Mais vers 9 heures, l'ennemi commence violemment bombarder le terrain conquis, bombardement ininterrompu par obus de tous calibres, qui va durer jusqu'au 20 juillet". Au cur de la fort, un monument en forme d'oblisque rappelle le sacrifice des troupes franaises. Cette imposante colonne est l'uvre de l'architecte Hamelin et du sculpteur Albert Lange et fut inaugure le 14 juin 1934. Une ncropole comptant 3417 tombes et deux ossuaires de 1500 corps chacun seront galement rigs. reconstitution d'une tranche (muse de l'Arme de terre)

Ren Duhard, l'appel de 1916

14

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

On lira avec intrt les rcits de cette guerre faits par Louis-Ferdinand Cline ( Voyage au bout de la nuit et J'ai tu ), Henri Barbusse ( Le feu ), Erich Maria Remarque ( A l'Ouest rien de nouveau ), Ernst Jnger ( Orages d'acier et La mobilisationn totale ), ou encore par Roland Dorgels ( Les croix de bois ) Ren et Roger correspondaient rgulirement et se voyaient chaque permission de l'an. Un jour que je venais en permission, Roger est venu me chercher la gare de Bordeaux [o il tait tudiant] et m'a invit souper. Il m'a emmen dans un grand restaurant, sur l'Intendance. Je n'tais pas trs l'aise : lui tait propre et bien habill, moi j'tais en Poilu, avec plein de poux et il y avait tous ces gens qui nous servaient. Je ne suis rentr Saint-Aigulin que le lendemain et le soir il m'a gard coucher .

Ren, qui tait modeste, n'ajoutait pas qu'il avait obtenu la croix de guerre 14-18, outre diverses dcorations (mdaille du combattant, etc.) Au dbut de 1918, Marcel Ligier, mobilis son tour partait pour le front, o il passera six mois. En avril, dbarquaient les premires troupesRen Duhard, l'appel de 1916 15

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

amricaines sur le sol franais, commandes par le gnral Pershing. Jusque l les Amricains avaient fourni la France en matriel ; dsormais ils envoyaient leurs hommes, 19 divisions en tout. Mais c'est une autre histoire, mieux connue des historiens que celle des obscurs, des sans grades, qui ont pourtant fait la guerre ... o-o-o-o Croix de guerre 14-18 Elle a t mise en place sur proposition du Lieutenant Colonel DRIANT dput combattant (mort glorieusement la tte de ses chasseurs au bois des Caures en fevrier 1916) le 8 avril 1915. Elle a t attribue de plein droit aux militaires cits pour faits de guerre pendant le conflit 14-18, et individuellement ou collectivement des units qui se sont distingues.

sources : www.mam.joyeuse.eu/regiments.htm et http://histoiredeguerre.canalblog.com/archives/p3-3.html Pour nos morts (Pome du lieutenant Charles Pguy, mort pour la France)

Ren Duhard, l'appel de 1916

16

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

"Heureux ceux qui sont pour la terre charnelle Mais pourvu que ce fut dans une juste guerre Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre Heureux ceux qui sont morts d une mort solennelle Heureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles Couchs sur le sol la face de Dieu Heureux ceux qui sont morts dans un dernier haut-lieu Parmi tout l'appareil des grandes funrailles Heureux ceux qui sont morts car ils sont retourns Dans la premiere argile et la premiere terre Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre Heureux les pis murs et les bls moissonns". Poilus guettant l'ennemi (dessin de Droguet)

Ren Duhard, l'appel de 1916

17

Roger Duhard : tmoin de la 1re Guerre mondiale

1-

L'engag de 1918

Roger Duhard s'tait engag en juillet 1918 pour quatre ans au 10meRoger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 18

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

cuirassier Paris, ses dix-huit ans justes fts, et eut la chance ou la malchance de voir la guerre se terminer en novembre. Depuis la fin du mois d'octobre, ses classes acheves, le cuirassier Duhard attendait son tour de partir pour le front de bataille pour y faire ses preuves mais cette guerre, pour laquelle il s'tait engag, il n'eut pas le loisir de la faire. Dans les journaux se multipliaient les communiqus de victoire, laissant penser que les Allemands avaient perdu la partie. Le 8 novembre Hindenburg demanda l'armistice, qui fut accepte et signe le 11 Rethondes entre Erzberger et Foch, commandant en chef des armes allies en France depuis avril. Aussitt tous les journaux affichrent la nouvelle en gros titres barrant leur une : "Armistice", "Fin de la guerre", "La paix est signe". On apprenait en lisant les articles qu'aprs la fuite de Guillaume II le 9 en Hollande, l'Allemagne s'tait engage suspendre les hostilits en acceptant toutes les conditions exiges par la France. L'annonce de la fin de ce conflit prcipita les foules dans les rues de la capitale. Paris pavoisa. A Notre-Dame, les cloches sonnrent toute vole, bientt suivies par celles de toutes les glises de France. Paris en liesse fta tous les militaires comme des hros, indistinctement de leurs corps ou de leur grade, les combattants comme les autres. Et le jeune cuirassier recueillit lui aussi les dividendes de cette victoire laquelle il n'avait pas eu le temps de contribuer. S'asseyait-il la terrasse d'un Caf, dix personnes s'offraient rgler sa consommation. Entrait-il dans un dbit de tabac, dix mains se tenaient pour rgler son paquet de cigarettes. Et il ne pouvait tre question de refuser, sous peine de vexer. A la fin de la journe, ivre de gloire et de bruit, il en venait croire que la victoire n'aurait pas t obtenue sans lui. A Paris, Roger eut la joie de retrouver son ami Marcel Ligier. "Souviens-toi de ta premire permission du Front en 1918, rpondait-il ce dernier bien plus tard, quelle motion de nous retrouver des hommes. A cette poque, se souvenait de son ct Ligier, me trouvant moi-mme Paris, je vais frquemment te voir au Quartier Dupleix". Ils retrouvrent leurs habitudes de clibataires bordelais, sortant frquemment ensemble, changeant leurs souvenirs de caserne pour l'un, de guerre pour l'autre.Roger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 19

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

Aux victimes des combats (on comptabilisa 600 000 veuves au dcours de la guerre), allaient s'en ajouter d'autres, ceux de la terrible pidmie de grippe espagnole de 1918-1919, tendue presque toute la Terre, qui avait dj fait des ravages en 1889-90 et fit alors plus d'un million de morts en France et vingt fois plus dans le monde. On a tabli depuis que le virus, partir d'une souche aviaire, avait infect un hte intermdiaire, le porc, et aprs s'y tre adapt avait merg en 1918, avec une forte virulence. Les grands mouvements de population lis au conflit et la baisse des rsistances gnrales conscutives aux conditions prcaires de vie ont sans doute favoris sa dissmination et sa pathognicit. Parmi les victimes clbres, il y eut Guillaume Appolinaire, dcd le 9 novembre 1918 et Edmond Rostand, emport le 2 dcembre suivant.

Longtemps Roger se souviendra de camarades pris soudain de maux de tte, de frissons et de dfaillance, avant que ne se dclarent de graves complications pulmonaires, intestinales ou nerveuses. Tel se couchait sain le soir que rveillaient la nuit cphales, courbatures et sueurs et chez qui apparaissait le matin une incoercible diarrhe suivie d'une prostration prterminale. Les ressources mdicales n'taient pas la mesure de la gravit de la maladie et le recours aux mtaux collodaux, l'urotropine, l'auto-hmothrapie ou aux abcs de fixation ne permettait pas d'en sauver beaucoup. Aprs une accalmie fin 1918, elle connut une revivescence dbut 1919. Un tmoin, en occupation en Allemagne (Maurice Bruneau de Puynormand, en Gironde, dont Roger fit la connaissance en captivit en 1940), notait le 10 fvrier 1919 : ici la grippe a l'air de reprendre ; beaucoup de mes camarades sont vacus ; je pense que chez vous vous n'en voyez plus de cas . Mais ses parents lui apprenaient que la grippe reprenait plus que jamais en France. Malvina Duhard, la mre de Roger, en fut galement frappe et y chappa par miracle. Le miracle s'appelait le docteur Godineau et son Kfir, assurait Rgis. On avait mis du lait dans une bouteille de bire avec du ferment, le kfirogne et on l'avait gliss sous l'dredon de plumes, jusqu' ce que le lait caille. On en faisait boire Roger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 20

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

ma mre plusieurs fois dans la journe et, peu peu, sa diarrhe s'est arrte et elle s'en est sortie . Dans le dtail des services et positions successives de l'engag Roger Duhard, il est indiqu que le 2 avril 1919 il passa aux Services Etrangers Saint-Cloud, le 18 juin au Dpt et le 22 juillet au 11me Rgiment de Cuirassiers, sous les ordres du capitaine Clouet des Pesruches, hros de la rcente guerre, dont il revint avec la croix de guerre et la croix de chevalier de la Lgion d'honneur. Roger s'tait fait remarquer par son chef, le colonel de Viry qui, l'apprciant, en avait fait son secrtaire, ce qui l'autorisait prendre certaines liberts. Dans ce poste de sincure, on le chargea en dcembre 1919 de taper le manuscrit de l'Historique du 11e rgiment de Cuirassiers pour la campagne 1914-1918. Il put prendre connaissance des hauts faits de ce rgiment, command au dbut du conflit par le colonel Pressoir, et appel remplir une belle tche, au prix de lourds sacrifices, en devenant rgiment de cuirassiers pied . La liste des hommes morts pour la France, jointe en fin du fascicule, est impressionnante : plus de 800 tus au combat, du chef d'escadron aux simples cavaliers. Pour sa conduite, le rgiment reut le droit au port de la fourragre aux couleurs du ruban de la Croix de guerre, juste et tardive rcompense de tant d'hrosme dpens et de sang rpandu . L'vocation de ces glorieux combats et des brillants faits d'armes donna, peut-tre, quelques regrets au jeune homme de n'avoir pu y participer pour rcolter sa propre moisson de gloire. Il n'avait pas encore lu les vers d'un clbre pote, ancien des tranches, et revenu dsabus : Mais o sont les amours / Que la grande guerre a fauchs,/ Jetant les fusils lourds / Dans les flaques de boue et les barbels./ O sont les noms des camarades / Ouvert en deux par les grenades ? / Qui demain les reconnatra / Sur ces bouts de bois taills en croix. /Mme les potes tu vois font la guerre, / Moi je suis le soldat Apollinaire . A diverses reprises l'Armistice avait t prolong, notamment en dcembre 1918 et en fvrier 1919, jusqu' devenir dfinitif. Mais le trait de Paix ne fut sign qu'en juin 1919 Versailles. Le 14 juillet 1919 donna lieu une clatante clbration de la Victoire. Au milieu d'une foule considrable, sous les drapeaux et les arcs de triomphe, dfilrent les artisans de cette victoire. En tte, les trois marchaux : Foch, Joffre etRoger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 21

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

Ptain. Et puis les cavaliers et fantassins des quatre armes, franaise, amricaine, anglaise et italienne. Avec les Poilus passrent les tirailleurs sngalais, les spahis algriens et les goums marocains en tenue de parade, juste remerciement ces enfants des colonies venus dfendre un sol qui n'tait pas celui de leur naissance. Ce dfil des vainqueurs tait en mme temps celui des rescaps des Vosges ou de l'Aisne, des survivants de Verdun et d'Ypres, des miraculs de Vaux, de Douaumont et du Chemin des Dames.

dfil du 14 juillet 1919 : la cavalerie

le lieutenant Ligier prsent au marchal Foch

Roger Duhard : tmoin de la 1re Guer...

22

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

Et Ren, le frre an de Roger tait de ceux-l. (voir l'appel de 1916). Pendant cette anne 1919, promen de garnison en cantonnement depuis sa blessure la tte Ren Duhard subissait visites sur expertises confirmant chaque fois son inaptitude au service, mais sans aboutir le faire rformer. On finit par l'affecter quelque temps Versailles comme auxiliaire. Roger, pass au 11me Rgiment de Cuirassiers, vint lui rendre visite plusieurs reprises et le dcida mme venir sjourner quarante-huit heures au Quartier Dupleix. Ceux qui connaissaient Roger le dcrivaient comme un jeune homme intelligent, bien lev, courtois, affable, s'exprimant avec aisance et esprit, un jeune homme qui personne ne pouvait refuser son estime et son amiti. Mme de l'adjudant Benduc il avait su se concilier les bonnes grces. Ren, venu sans permission grce la comprhension du planton de la gare de Versailles, auxiliaire comme lui, et attendu par son frre la porte du Quartier, coucha d'ailleurs dans la chambre de l'adjudant, parti en permission. Les deux frres allrent le midi au restaurant et le soir au Cirque d'Hiver. Bti sur les boulevards et inaugur en dcembre 1852 par Napolon III, ce cirque en dur offrait aux Parisiens les fastes du second Empire, avec ses ors, ses lustres et ses tentures. Sous une coupole en zinc soutenue par une structure mtallique et imitant un chapiteau de toile, s'exhibaient les ex-artistes de foire convertis ce genre nouveau, initi par les Anglais. Le spectacle des fauves, des trapzistes, des quilibristes etRoger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 23

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

antipodistes et des clowns plut tellement l'an qu'il demanda son cadet de l'y ramener le soir suivant ! Aprs le spectacle ils allrent mme prendre un dernier verre dans le bar lgant ddi l'impratrice Eugnie, y ctoyant le beau monde. Fin 1919, aprs avoir t promen dans le service auxiliaire Brest, Poitiers, Versailles, Glatigny et Orlans, Ren fut dfinitivement libr Bordeaux, au 18me Train des Equipages.Il revint Saint-Aigulin, pour de nouveau remettre "les mains au boulot", selon son expression, en aidant son pre la scierie qui n'avait pas cess de fonctionner. Roger Duhard, nomm brigadier le 1er juillet 1920, avait obtenu une permission prolonge, de faon pouvoir accompagner sa mre. Le vendredi 8 aot, l'objectif du photographe Mal fixait Ren et Roger dans un portrait de groupe devant l'Htel de cure de Bagnres. Le sjour passa en ftes et en excursions. Ils firent une fois l'ascension du Pic du Midi, en partant le matin quatre heures, bien avant le lever du jour. Le samedi 21, ils taient photographis dans une voiture dcapotable au Cirque de Gavarnie et le dimanche 22 de nouveau Bagnres, au milieu de la foule venue assister la bataille des fleurs. inhumation du soldat inconnu le 28 janvier 1921

Le 20 janvier 1921 Roger Duhard monta encore en grade et passaRoger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 24

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

marchal des logis, ce qui amliorait sensiblement sa solde, et il toucha le 31 un reliquat de prime de 160 fr. Il ne rpondait dsormais plus la sonnerie de trompette "aux brigadiers de semaine" mais celle "aux marchaux des logis", rang correspondant celui de sergent dans l'Infanterie (brigadier quivalent celui de caporal). "Il aimait me faire remarquer, disait Ligier, que dans les cuirassiers un marchal des logis est l'quivalent d'un sous-lieutenant, que j'tais. La preuve, c'est que dans la cavalerie, quand on s'adresse un adjudant, on lui dit : mon lieutenant". Roger assista le 28 janvier l'inhumation sous l'arc de triomphe de l'Etoile du corps d'un soldat inconnu tomb pendant la Grande Guerre et choisi parmi des cercueils anonymes de Verdun par un soldat d'infanterie. Aprs un hommage solennel au Panthon, le corps de ce soldat sans nom, tir sur l'afft d'un canon et accompagn de bout en bout par d'anciens Poilus, fut conduit jusqu' l'Etoile en prsence des membres du gouvernement et des chefs des armes. Roger s'tait tout fait habitu la vie de caserne qui, si elle prsentait quelque monotonie, avait l'avantage d'tre une vie tranquille et confortable pour celui qui avait su trouver un bon poste. Et puis, dans ces annes d'aprs-guerre, la capitale offrait de larges compensations un jeune homme n'tant dpourvu ni de charme, ni d'argent. On pouvait aller se promener cheval au Bois de Boulogne, aux alles frquentes par cyclistes, cavaliers et calches. On pouvait paresser la terrasse des grands Cafs pour y voir passer les lgantes dont les robes commenaient raccourcir mi-mollets et qui s'aventuraient mme porter la jupe culotte. On pouvait aller au cinma o triomphaient les comiques : Max Linder, Charlie Chaplin et Rigadin ; c'tait aussi l'poque des films d'amour o le couple Fernand Gravey-Lilian Harvey faisait pleurer les coeurs sensibles. Les films taient muets, mais le public ne l'tait pas, manifestant bruyamment ses sentiments et couvrant souvent l'accompagnement musical du pianiste de service, improvisant mesure du droulement de l'action. On avait aussi l'opportunit d'assister des spectacles de varits, dont les deux grandes vedettes taient Chevalier et Mistinguett. La MissRoger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 25

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

rgnait sur le music-hall et le thtre : en 1920 elle tenait l'affiche du casino de Paris et l'anne suivante jouait Madame Sans Gne de Victorien Sardou. Maurice Chevalier, consacr ds 1911 avec la Miss aux Folies Bergres et aprs s'tre brillamment comport la guerre, tait remont sur les planches pour devenir le dandy gouailleur qui allait lancer, entre autres succs, "Paris je t'aime" et "Valentine". Marcel Ligier reparti, avec les troupes d'occupation en Allemagne Hochenmrich sur le Rhin, en face de Duisburg, les deux amis changrent frquemment des nouvelles. "Mon vieux grand, crivait Marcel en mai, nous sommes (..) en train d'attendre la classe. Ca peut aller. Les habitants nous sont assez sympathiques, le contraire leur en cuirait. Ma section est exclusivement compose de charentais. J'en ai deux de Saint-Aigulin, dont un a travaill chez toi, un nomm Gendron ; c'est un ivrogne qui a eu les honneurs de mon 28/H dans le postrieur. Je suis log chez un ingnieur de chez Krupp, tu parles si on les fait marcher : ils nous font des rvrences se casser en deux et sont assez aimables. J'espre aller Dusseldorf et Cologne cette semaine". En application du Trait de Versailles, les pays rhnans avaient t occups par les Allis comme garantie de l'excution des clauses du pacte. Ce fut pour les soldats en occupation de dcouvrir que les "Boches" n'taient pas si sauvages qu'on le pensait. Ils taient non seulement aimables, mais jouissaient d'un niveau de vie bien en avance sur celui des Franais. Un futur ami de Roger, originaire de Puynormand, prs de Lussac en Gironde et faisant partie de ces troupes, exprima tout cela dans une correspondance avec ses parents. Il s'agissait de Maurice Bruneau, qui resta plus d'un an Ludwigshafen (en 1918-19), sortant promener le cheval du chef et vivant au bureau en rentier . Il leur fit part de son tonnement en voyant que dans les maisons "des canalisations amnent l'eau dans toutes les pices" et "que l'on ne semble pas connatre les lampes ( ptrole), l'lectricit tant partout". Nouvelle promotion pour Roger le 22 mars 1921 la fonction de marchal des logis fourrier. Chaque escadron de cavalerie comportait un fourrier, charg des distributions de vivres et des objets de casernement, de couchage et de campement. Roger bnficia d'une permission en aot etRoger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 26

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

prvint ses grands-parents Bernardeau de son arrive Chierzac : "11-8-21. Chers grands-parents, j'arriverai en perm de 15 jours jeudi soir 10 heures. Sans doute grand-mre sera-t-elle la maison. J'espre vous y voir tous les deux. Affectueux baisers. R. D". C'est en train qu'il descendit, par la ligne de Paris Bordeaux, cre par la Compagnie des Chemins de Fer d'Orlans en 1850 et passant par Saint-Aigulin. De l il put emprunter le tramway vapeur, surnomm "le tortillard", proprit de la Compagnie des Chemins de Fer Economiques des Charentes et dont la station tait situe ct de la gare de la Compagnie d'Orlans. Le tramway, qui allait jusqu' Mirambeau, transportait voyageurs et marchandises (bois, poteaux de mines, terre blanche) et longeait la route dpartementale 730 ; outre les arrts obligatoires, il en comptait de facultatifs, faits la demande et permettant aux permissionnaires de regagner pied leur village, la musette en bandoulire. Pendant la guerre, il avait galement transport les cercueils des militaires tombs au combat ; il fonctionna jusqu'en 1930. Roger descendait Montlieu-la-Garde, village moins de 5 km de Chierzac, o l'attendait sa grand-mre ou son grand-pre avec le p'tit ch'vau et la voiture. 2 - goumier au Maroc sous Lyautey Ce fut l'occasion de cette permission que Roger annona ses parents son intention de se porter volontaire pour le Maroc, dont la pacification n'tait pas termine.

Roger Duhard : tmoin de la 1re Guer...

27

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

"Il est parti pour le Maroc parce qu'il tait jeune, pour voir du pays, par esprit d'aventure, tmoignait Ren. Moi, j'avais fait la guerre, j'ai trouv cela normal et nos parents aussi." Sa demande fut enregistre le 25 aot mais il dut attendre le 19 octobre pour recevoir son ordre d'affectation et se mettre en route sur le Centre de rassemblement de Bordeaux. Le 22 octobre, il embarquait sur un paquebot vapeur de la Compagnie Gnrale Transatlantique, assurant trois fois par mois un service rgulier sans escaleRoger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 28

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

vers Casablanca. C'est Saint-Aigulin que les adieux la famille furent faits, personne n'ayant jug utile de l'accompagner jusqu'au quai de dpart. Ce n'tait pas l'habitude de la famille de perdre du temps ces occasions , commentait sobrement Rgis. Il n'tait pas tout fait seul pourtant : Marcel Ligier, revenu Bordeaux, vint saluer son jeune ami avant son dpart. Ce que sa famille ne lui apportait pas, Roger le trouvait chez ses compagnons ou intimes, et il en fut de mme plus tard. Toute sa vie, il privilgiera l'amiti, sera entour de nombreux et vrais amis et tissera avec eux des liens extrmement solides, plus forts que ceux du sang et que seule parvint dnouer la mort.

Sur le Volubilis, le paquebot vapeur qui le conduira en quatre jours de Bordeaux Casablanca, Roger aura tout le temps de rflchir sa dcision et ses consquences. Il menait Paris une vie confortable et tranquille, avec un poste le dlivrant des contingences militaires et de frquentes permissions lui permettant de revenir dans sa famille. Il savait qu'au Maroc il n'en serait pas de mme ; le pays, les gens sont diffrents de tout ce qu'il connat, il ne reviendra pas en France avant sa libration et on l'a prvenu qu'il aurait sans doute participer des actions militaires. Mais, vingt et un ans, ce n'est pas une perspective dplaisante, quand au dpaysement vient s'ajouter le piment de l'action. Il lui reste un peu moins d'un an pour terminer son temps d'engag, juste le temps de connatre le combat et d'en ramener quelques raisons de gloire. Il a eu le temps de se documenter sur ce pays et son pass. Il sait qu' diffrentes reprises depuis 1859 les Franais avaient tent de s'y implanter et durent y renoncer aprs la dfaite de 1870, et pour de longues annes, jusqu'en 1911. Au printemps de cette anne-l, le Sultan Moulay Hafid, menac par la rbellion des tribus de la rgion de Fs, lana un appel dsespr la France et obtint qu'elle lui envoie une colonne militaire, commande par le gnral Moinier. La scurit du Sultan assure, la France va tenter de profiter de la situation pour s'implanter dans le pays. L'Allemagne ayant donn son accord, le 30 mars 1912 un Trait de Protectorat est sign entre le gouvernement franais et le Sultan : ilRoger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 29

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

concde la mise sous contrle de l'administration et de l'arme, et perd de fait tout pouvoir. La premire consquence fut d'entraner un nouveau soulvement dans les mmes tribus et dans la ville de Fs, avec massacre de nombreux Franais, civils et militaires. C'est alors qu'est dpch sur place le gnral Lyautey, afin de reprendre en main la situation. Ce militaire brillant est en mme temps un excellent administrateur, ayant dj fait ses preuves Madagascar, au Tonkin et, rcemment, dans le sud oranais, et le choix du Ministre de la Guerre s'avrera excellent, quant aux rsultats. Fs dbloque grce au gnral Gouraud, Lyautey s'employa tout de suite se concilier chefs et notables et obtint le remplacement de Moulay Hafid, peu cooprant, par son frre Moulay Youssef. Mais l'empire chrifien continuait s'agiter. Ahmed el Hiba, venu du sud Tafilalet, entrait Marrakech, s'y faisant proclamer Sultan ; Mohamed es Semlali, venu des bords de l'Ouergha, campait avec ses troupes en vue de Fs ; les Bni M'tir de la rgion de Sfrou s'insurgeaient, incitant d'autres tribus faire de mme. Les oprations militaires franaises durent se succder pour soumettre les Cads et contenir la rsistance, dont un des noyaux durs tait le pays Zaane, command par Moha ou Hammou, qui s'opposera pendant plusieurs annes la pntration franaise. Partout ailleurs l'autorit de la France s'asseyait et le Bled El Maghzen (le pays contrl) s'tendait : les villes impriales (Rabat, Fs, Mekhns, Marrakech) taient occupes et toute la partie ocanique prise en main. En 1914 enfin, aprs le succs de Taza, la jonction Maroc oriental et Maroc ocanique tait tablie. Et puis survint la guerre de 14-18, qui allait compromettre une partie de cet acquit. Voyant les effectifs rduits par les besoins grandissants en hommes sur le front de guerre et les postes affaiblis, la rsistance se ralluma et les attaques, organises en sous-main par les Allemands, reprirent de toutes parts. Elles furent menes au Nord, par Abd el Malek, le fils d'Abd el Krim ; au sud, par Ahmed el Hiba ; dans le Moyen Atlas, par Moha ou Hammou et Moha ou Sad. Si bien que la guerre finie, partir de 1919, il fallut consolider une une les anciennes positions : ouvrir la valle de l'Inaoune entre Taza et Fs ; renforcer le front sur l'Ouergha ; roccuper la valle duRoger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 30

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

Ziz et la moyenne Moulouya ; crer un peu partout des postes avancs, comme Almis, Timhadit ou An Leuh. En 1920, un des bastions les plus inexpugnables de la rsistance tomba, grce au gnral Poeymirau, qui obtint la soumission des Zaanes. L'arme franaise s'tait elle-mme rorganise aprs l'hmorragie de la guerre et l'occupation du Maroc pouvait redevenir une priorit, laquelle allaient s'employer les chefs militaires, recevant d'apprciables renforts en hommes, dont les effectifs atteignirent 90.000 au printemps de 1921. La rgion de Khnifra fut dgage et les Bni Ourane de l'Ouest se soumirent au gnral Aubert. Cette pacification, Lyautey ne voulait pas qu'elle soit conduite comme une guerre. "On ne lutte pas contre un adversaire de la mme faon selon qu'on veut le dtruire ou ouvrir le lendemain chez lui un march", dclarait-il. Il tait impratif de rallier l'ennemi vaincu la cause franaise et, pour ce faire, la politique devait primer sur la force. Il faut manifester la force pour en viter l'emploi recommandait-il. Les Africains ne sont pas infrieurs, ils sont autres , expliquait-il en 1920, aussi devait-on se comporter autrement avec eux. Comment ? Dans l'immdiat, chaque unit, chaque poste devait possder son bureau des affaires indignes et son officier de Renseignements. La mission tait simple : s'efforcer, grce une bonne connaissance de la mentalit indigne, donc de la langue, de constamment se tenir au courant de ce qui se passait et de gagner la sympathie puis la fidlit des populations par la diplomatie et des actions pacifiques : cration de marchs, ouverture d'infirmeries. S'il tait fin stratge politique, il commit pourtant une erreur de taille : alors que le Maroc tait berbrophone 80%, et qu'il aurait pu tre un pays part dans le monde musulman, il s'effora de dvelopper l'enseignement de la langue arabe, et cette arabisation aura les consquences que l'on sait. Et les officiers, forms l'cole de Lyautey, ne furent pas seulement des guerriers mais, surtout, des diplomates, des juges et des administrateurs, quand ils ne furent pas infirmiers ou vtrinaires. Leur courage devait tre soutenu par de hautes qualits morales. Tous, anims par le dsir de servir la France et d'apporter la paix et le progrs, agirent avec le constant souci de se faire respecter et aimer des indignes. "Je veux nous faire aimer de ce peuple", rptait Lyautey.Roger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 31

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

Le projet de Lyautey, pour rduire la "poche de Taza", tait d'entamer au printemps de 1922 une nouvelle campagne, en faisant partir deux colonnes, l'une du sud, l'autre du nord (depuis Fs) avec pour objectif d'oprer leur jonction au niveau de Skoura, sur l'oued Guigou. Pour cela il y avait besoin d'hommes et il fut fait appel des volontaires. Roger Duhard fit partie de ceux l. Le jeune volontaire avait en poche son ordre d'affectation (par dcision du Marchal de France Commandant en Chef des T.O.M) : le 1er Rgiment de Chasseurs d'Afrique, Rabat. Cette ville impriale tait alors la capitale administrative du pays et abritait le sige du Rsident Gnral de la Rpublique franaise au Maroc, le gnral Lyautey. Sur le bateau, outre des militaires rejoignant leur poste, il y avait des fonctionnaires, des commerants et des voyageurs. Le pays tait suffisamment pacifi pour permettre le dveloppement du tourisme dans le "bled el maghzen" (la rgion administre) et l'on pouvait mme disposer d'un Guide, rdig par M. Prosper Ricard, Inspecteur des Arts Indignes Fs. "C'est une chance apprciable pour un pays destin un tel avenir touristique que l'dition d'un Guide Bleu du Maroc", crivait Lyautey en prface avec une tonnante prmonition, "et je suis heureux d'en exprimer la librairie Hachette toute ma gratitude". Avec son ordre d'affectation, on lui a remit un livret pour l'tude de l'arabe lmentaire, l'usage des militaires en poste au Maroc, o taient rsumes les principales locutions et figuraient l'essentiel des ordres que l'on pouvait tre amen donner aux soldats indignes. Il avait commenc le lire sur le bateau, malgr un mal de mer qui le tint couch, et il lui tardait de le mettre en pratique. L'arrive Casablanca, le 26 octobre 1921, ne manqua pas de pittoresque. Les paquebots s'y prsentaient gnralement le matin et ancraient au large, un mille environ des quais. Le transfert se faisait au moyen de chaloupes ou de vedettes automobiles de la Celtique Maritime ou de l'Agence Arnaud, faisant la navette entre le bateau et l'extrmit de la jete El Kairouani. L, attendaient les portefaix, pour transporter les colis jusqu' la salle des visites de la douane. Ds leur dbarquement, les passagers devaient se prsenter au Service de l'Immigration et y dcliner leurs noms et qualits. Le jeune marchalRoger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 32

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

des logis, comme tous ceux qui dbarquaient pour la premire fois, fut surpris par le bruit, les couleurs, les odeurs et l'animation de la foule indigne. Quel contraste avec l'ambiance des rues de Paris ! "Casa", comme on l'appelait, tait alors une grande ville de 90.000 habitants, dont la moiti d'europens, o se ctoyaient Franais, Espagnols et Italiens. Les musulmans formaient l'essentiel de la population indigne, mais il existait aussi une communaut isralite, comme dans toutes les villes du Maroc, vivant dans son ghetto, le "mellah". A ce brassage de peuples correspondait un mlange de langues et de couleurs de peau et le jeune homme fut tonn de voir autant de noirs et de mtis. La ville, enserrant le port de commerce dont elle tirait sa richesse, prsentait un aspect trs europen avec sa Place de France, ses larges avenues, ses grands magasins et ses banques. Casa tait relie Rabat par une route carrossable et par une ligne de chemin de fer militaire, gre par la compagnie P.-L.-M. et passant par Fedal et Bou Znika. Ces voies troites, de type Decauville, ne permettaient pas de grandes vitesses. Il fallait par exemple quatre jours pour rallier Fs depuis Casa. La gare tait situe 2 km environ l'est du centre, au milieu du quartier industriel et commercial de Lorraine. Aprs un rapide tour de ville, Roger la quitta pour Rabat, o il devait rejoindre ses quartiers et se remettre des fatigues et des motions du voyage. Roger resta peu de temps Rabat, car on lui offrit la possibilit d'tre dtach dans le bled, ce qu'il prfrait la vie de caserne.

Roger Duhard : tmoin de la 1re Guer...

33

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

Le 4 dcembre 1921 il fut affect "en surnombre du Corps pour l'encadrement des Goums Mixtes Marocains" au Groupe Mobile de Tadla. Ce Groupe couvrait le territoire Tadla-Zaane, c'est dire la rgion circonscrite par Oued Zem, Rommani, Oulms, Khnifra et Bni Mellal, qui jusqu'alors faisait partie du Bled Es Siba (pays insoumis) et dont la reddition ne datait que de l'anne prcdente. Les tribus frquentant ce territoire pratiquaient surtout l'levage et possdaient un important cheptel de chameaux, chevaux, nes et mulets, ainsi que de moutons et chvres. Le Groupe de Tadla, sous les ordres du colonel Freydenberg, comprenait 7Roger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 34

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

bataillons, 3 escadrons, 3 batteries de 65, 1 batterie de 75, 1 escadrille, 3 goums et entre 1500 et 2000 partisans. Roger appartint au corps des Goums Mixtes marocains, l'unit du 3e Goum prcisment. Trs longtemps, son frre Ren crut que ces goums mixtes admettaient des femmes, ce qui aurait dict le choix de Roger, et il imaginait que l'on y vivait dans la turpitude. Il se trompait : un goum mixte se composait d'une compagnie d'infanterie et d'un peloton de cavalerie. Rien de plus ! Organe de police et de liaison, les goums taient rattachs au Service de Renseignements et commands par des officiers de ce service. Dans tous les cas ils taient constitus d'indignes recruts par engagement renouvelable, percevant une solde et recevant une instruction militaire sommaire. Les Zaanes enrls dans le 3e Goum taient les mmes que ceux qui s'taient opposs en 1920 au gnral Poeymirau et qui, le 14 novembre 1914, avaient ananti la colonne du colonel Laverdure El Herri, prs de Khnifra. La fidlit de ces hommes la France, souvent farouchement combattue jusqu' la soumission de leur tribu ou de leur fraction, ne se dmentit pourtant jamais. A ces goums, il fallait des chefs exemplaires leur donnant l'exemple de la vaillance, du courage et du sang-froid. Et ils en eurent, dont certains entreront de leur vivant dans la lgende, comme le capitaine Henri de Bournazel qui tait l'poque officier en second au 16e Goum dans la rgion de Taza et dont les dernires paroles furent, en tombant au combat : "pourvu que tout cela serve quelque chose..".

C'est Sidi Lamine que le 3e Goum avait sa garnison et Roger y resta jusqu'en avril 1922. Outre une ancienne kasbah de la tribu belliqueuse des Zaanes, Sidi Lamine comportait un fortin, occup depuis 1914 et qui n'avait pas connu que des heures paisibles. Les militaires du poste avaient tous en mmoire l'odieux assassinat en janvier 1917 du capitaine Tailhade, chef du Bureau de Renseignements et du lieutenant-interprte Valla, perptr sous la tente de Miami ould el Fassiya qui les y avaient invits. Juste avant son arrive, en septembre, le 3e Goum, command par leRoger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 35

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

capitaine Bertot, avait particip au dgagement du poste de Bekrit, toujours assig par les rebelles depuis sa cration en 1917. Parmi les partisans, s'taient distingus Ahmaroq et Bouazza, deux des fils du chef zaani rebelle, qui avaient conduit leurs cavaliers avec une intrpidit et un courage remarqus. Roger y arriva en empruntant d'abord le train jusqu' Oued Zem. Ce village d' peine 500 habitants, situ mi-distance de Casa et Kasbah Tadla, comportait un petit quartier europen et un camp militaire, install en aval de l'oued, au milieu des figueraies. Les Franais avaient difi un barrage permettant l'irrigation d'un jardin public et de potagers. Aprs s'tre prsent au poste militaire, on le mit dans une voiture jusqu' Boujad (sige du 4e Goum, pacifie en 1913) et parcoururent en moins d'une heure les 20 km de bonne route traversant un plateau accident, pierreux et dsol, que limitait l'horizon sud la ligne de l'Atlas. Boujad tait la seule agglomration d'importance du Tadla et avait statut de cit sainte. Un camp militaire avait t tabli quelques centaines de mtres de la ville, sur une minence, d'o l'on avait une trs belle vue sur les maisons blanches et les flches des mosques Ech Cheikh et Moulay Slimane, qu'encadraient au sud et au nord des jardins luxuriants et des oliveraies. Prvenu par tlphone, le chef de poste de Sidi Lamine lui avait envoy une escorte, car les pistes n'taient pas totalement sres. Il restait une quarantaine de kilomtres faire pour arriver destination par une piste amnage, autocyclable en t seulement. Les huit heures qu'ils mirent pour la parcourir cheval, lui donnrent loisir de faire connaissance avec ses nouveaux compagnons et de dcouvrir les horizons allant tre les siens pendant plusieurs mois. La route tait longue, mais l'allure des chevaux, qui marchaient l'amble, la rendait beaucoup moins fatigante. Elle traversait d'abord des terrains de culture, o ne restaient que des chaumes de crales, puis une zone de pturages et de broussailles. Au bout de trois heures de marche, on atteignait El Graar, une large dpression humide occupe par les Bni Zemmour. Puis la rgion devint plus accidente, avec des collines et des hauteurs garnies de rochers et il aperut le poste.Roger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 36

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

Entour d'une muraille de pierres, il tait difi sur une colline dominant l'oued Gour et son petit affluent, l'oued Sidi Lamine ; ce dernier, n dans des grottes vers le Zrahina, sous forme de sources d'eaux minrales, coulait ensuite dans des gorges aux berges embroussailles. L'endroit choisi pour btir le poste tait judicieux : situ sur la seule lvation au pied de la montagne, il commandait la plaine sur ses faces sud-ouest et sud-est, sans tre directement expos une ventuelle attaque venant du Kaf N'Sour (la montagne des aigles), distant de 3 km au nord-ouest. La face nord-est tait naturellement barre par la valle de l'oued, au bord duquel se trouvaient les abreuvoirs. Autour du poste, il n'y avait rien, exceptes les tentes de pasteurs nomades Bni Batao venus faire patre leurs troupeaux. Le poste tai organis pour durer et comprenait plusieurs btiments en dur avec les bureaux, l'infirmerie, les logements des officiers, sous-officiers et civils, les rserves de vivres et de munitions et les curies. L'ancien bureau des Affaires Indignes, le premier btiment difi, avait t affect au Cad el Kebir Ben Driss. Le douar des maris abritant les gourbis des familles de goumiers maris se trouvait au sud-est et les guitounes des autres goumiers l'oppos, prs de la place o se dressait le drapeau franais. Certains officiers, ainsi que des civils, avaient t rejoints par leur pouse ; c'tait le cas du lieutenant et du mdecin. Le poste de Sidi Lamine tait particulirement charg de lutter contre les incursions des groupes arms rebelles (les djiouch), d'assurer la scurit sur les pistes et de protger les tirailleurs sngalais qui assuraient leur entretien, ainsi que celui de la ligne tlphonique. A la fin de 1921, quand Roger y arriva, les Franais contrlaient l'Oum er Rbia et les cavaliers du "lieutenant" Bouazza battaient la campagne pour rduire les dernires rsistances. Moha ou Hammou son pre, rest dans le camp des insoumis, fut tu lors d'un de ces coups de main et sa mort eut un norme retentissement.

Roger Duhard : tmoin de la 1re Guer...

37

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

Sidi Lamine, le jour du souk hebdomadaire (en arrire plan, le camp des goumiers) Une fois par semaine, le samedi ou le dimanche, avait lieu le Souk au pied du fort (souk el had), seul moment d'animation et d'occasion de rencontre avec les populations locales. On pouvait s'y fournir en ufs et poulets pour la popote. Ce jour l le poste tait trs frquent par des curieux, des qumandeurs, des informateurs. Mais ils venaient les autres jours aussi : "vendredi 13 janvier", notait Roger sur son carnet, "soign le cheval d'un Bni Batao". Il revint le lundi suivant pour la poursuite des soins, apportant 16 ufs pour remercier "le logis". Ne doutons pas que le jeune homme avait suivi les conseils donns par crit par le Service de l'Elevage, soucieux du bon tat des montures, quant aux soins donner aux chevaux. Le Poste disposait, notamment, de solution d'acide borique ou de bicarbonate de soude pour les plaies anfractueuses, de solution d'acide picrique ou de bleu de mthylne pour les plaies plates non suppurantes, de poudre de charbon pour les suppures, de vaseline l'oxyde de zinc pour les crevasses. La nouvelle vie militaire qui tait la sienne convenait tout fait au jeune homme et les lettres sa famille s'en faisaient l'cho. Il commandaitRoger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 38

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

des hommes qui taient des guerriers dans l'me, courageux et dvous et menait une vie saine et virile dans un pays qu'il avait tout de suite aim. La rgion tait considre comme soumise, ce qui n'excluait pas les incursions des rebelles. Il fallait veiller au maintien de la scurit et des dtachements de goumiers taient souvent appels en escorte. Roger participa de multiples missions, qu'il consigna dans un carnet : installer une cabine tlphonique Sidi Amar (le 2 janvier 1922), accompagner le trsorier payeur Sidi Betar (le 3) et fournir une escorte la voiture postale (le 10) ; protger les tirailleurs chargs de rparer la ligne tlphonique au col de Mahajdibat une fois de plus coupe par les At Ishaq (le 27). Les 21 et 22 fvrier, il assura encore l'escorte postale. Le vendredi 2 mars, il partit avec 10 cavaliers Sidi Amar pour assurer la scurit et le 13, au col de Mahajdibat, o il retourna le 29 avec 35 cavaliers.

Roger Duhard (x) en patrouille de scurit

Il dcouvrit aussi Kasbah Tadla ("de la gerbe de bl"). Situe 20 kilomtres au sud-ouest de Ksiba, sur la rive droite de l'Oum er Rbia et occupe ds 1913, Tadla tait le chef-lieu du commandement du territoire Tadla-Zaane. Roger s'y rendit plusieurs reprises : "Dimanche 1er fvrier. -Ramen de Tadla le cheval de l'officier avec une pointe la patte" ;Roger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 39

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

"Jeudi 23 fvrier. -Pars Tadla avec 4 cavaliers et 5 partisans". La kasbah tait entoure d'une double enceinte aux tons ocrs : une extrieure, crnele et bastionne et une intrieure, abritant une mosque et l'ancien Dar el Maghzen (l'ex administration marocaine), o se trouvaient les bureaux de l'Etat Major et de l'Intendance ; l'infirmerie avait t amnage dans une ancienne mosque. Le camp militaire tait tabli au nord. Comme en d'autres endroits, la prsence de militaires avait attir des commerants europens, marchands et hteliers, s'tant tablis son entre.

Comme il tait de tradition en campagne, un B.M.C. pourvu en jeunes femmes suivait les troupes, pour le repos du guerrier. Des mouvements de troupes aveint lieu rgulirement, pour les besoins du service ou pour assurer la scurit des pistes. Le 7 janvier, 20 cavaliers et 12 partisans accompagnaient la voiture postale, o Roger avait pris place, sur le trajet Boujad-Sidi Lamine. "Lundi 9 janvier. -Retour de la colonne de Dechra el Oued" (situ entre Tadla et Khnifra, sur l'Oum er Rbia). Lundi 16 janvier. Dsign dtachement pour Guelmous, 8 cavaliers. Mercredi 25 janvier. Arrive du convoi de Khnifra". Le 21, 3 cavaliers accompagnaient le vtrinaire Tadla. Le 27, 6 cavaliers taient envoys Boujad pour escorter le mdecin et revenaient le surlendemain avec le lieutenant, parti Rabat une semaine plus tt. "Jeudi 2 fvrier. -6 cavaliersRoger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 40

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

El Graar pour Cdt Gnie. Dimanche 5 fvrier. -6 cavaliers piste de Guelmous. Jeudi 9 fvrier. -Arrive des officiers de spahis de Khnifra". Le mardi 14, 6 cavaliers allrent chercher la voiture postale et la voiture ambulance ; ils les raccompagnrent le lendemain. Le vendredi 17, "10 cavaliers avec le tlphoniste Sidi Amar" et 8 cavaliers partirent faire la relve au poste de Guelmous. Le 27, 8 cavaliers furent envoys assurer la scurit vers Bou Kriss, trois kilomtres en direction de Boujad. Le 10 mars, ce fut tout le Goum, y compris le lieutenant et le mdecin, qui fit une visite chez les Ouled Adi aux At Affit : "75 km, et la pluie en arrivant", consigna Roger. Et puis ce chasseur dcouvrit que le gibier abondait : perdrix rouges, livre, outarde, cangas, canepetires et sangliers ; il y avait aussi du chacal, des hynes et il restait mme quelques panthres. "Dimanche 1er janvier, chass le sanglier aux gorges. Samedi 9 janvier. -Chass le sanglier chez les At Amou Hassa". C'tait une chasse sportive, se faisant cheval, en poursuivant l'animal jusqu' l'approcher d'assez prs pour lui loger une balle de revolver dans la tte ou lui assner un coup de sabre. Le lendemain, en accompagnant l'officier Sidi Amar pour vrifier les fusils, il tua 4 perdreaux et un livre. Le 19 janvier il chassait le perdreau avec le Cad Ben Driss et en rapportait 15 pices. Le soir du 28, il tuait une hyne rdant prs du poste et, quand il alla la ramasser le lendemain, s'aperut que la balle lui tait entre exactement dans l'anus. Le 17 fvrier, il tua un livre et 2 perdreaux Sidi Amar et 3 de nouveau le 3 mars. Le 13 mars, au Mahajdibat, il abattit 3 perdreaux et un pigeon ; 3 encore le 17 Bou Abbet ; le 29, un livre, un pigeon et trois perdreaux au Mahajdibat. "Mercredi 22 fvrier. -Chass avec l'officier. Mardi 31 mars. -Chass au Mahajdibat avec l'officier". Il s'tait par ailleurs li d'amiti avec le Cad et sortait souvent avec lui : "15 janvier. -Chass le sanglier avec le cad El Kbir Ben Driss", "19 janvier. -Chass avec le Cad. Lundi 30 janvier. -Le Cad El Kbir annonce deux panthres". [60 ans plus tard, j'ai rencontr un fils du Cad Ali, Sidi Lamine, et son frre cadet, Ksiba ; moments d'motions].Roger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 41

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

Il dut aussi assurer, son tour, des tches plus terre terre : "Jeudi 26 janvier. -Mis les chevaux au pturage. Lundi 30. -Dlimit pturage des chevaux. Jeudi 6 avril.- Parti faire pturer mes chevaux". Le 23 janvier, il prit les fonctions de fourrier au Goum, ce qui consistait tenir les critures, l'exception du livret d'ordinaire, et assurer les distributions de vivre, autres que celles de l'ordinaire, ainsi que des objets de casernement, de couchage et de campement. "Mercredi 1er fvrier. -Prends la popote !". Traditionnellement, officiers et sous-officiers faisaient ordinaire ensemble en mettant en commun leurs prestations individuelles d'alimentation pour acheter les diverses denres. S'ils voulaient amliorer l'ordinaire, ils devaient prlever des sommes supplmentaires sur leur solde. "Mardi 31 mars. -Ste Solde ! Touch 516 frs. Pay 168 frs popote". En prenant la popote le 1er fvrier, il eut la charge de composer les menus et les nota consciencieusement dans son carnet : "1er fvrier. Midi : pt, bifteck, pommes frites, fromage. Soir : potage, pigeons, champignons, omelette, salade". 7 fvrier. Midi : entre, brochette de moineaux, omelette, salade, fromage. Soir : potage, ufs sauce tomate, champignons, salade, riz au lait". On mangeait aussi du gibier, du poulet rti, du poisson frit, des petitsRoger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 42

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

pois, du cresson sauvage, du flan et des ufs au lait. Les moineaux figuraient souvent au menu, mais il faut dire qu'ils pullulaient au Maroc, ravageant les champs de crales. Pour les protger, des hommes cheval, tentaient d'effrayer ces pillards ails renfort de claquements de longs fouets qu'ils faisaient cingler au-dessus de leur tte. Quand on les tirait l'envol avec du petit plomb, on en abattait des dizaines qui, plums par un goumier, finissaient la popote en brochettes ou en cocotte. Il y avait aussi des moments de dtente pour Roger, quand il partait Boujad ou Oued Zem. "Jeudi 5 janvier -Parti Boujad cheval avec Ducolourvier et Dauviller. Pris l'auto pour Oued Zem. Vendredi. -Revenu coucher Boujad chez Gudieu. Achet deux peaux de mouton au souk pour 40 frs". Samedi. -Rentr Sidi Lamine avec voiture postale. Jeudi 2 fvrier. Parti coucher Boujad avec 2 cavaliers et 1 caroussa (charrette). Vendredi, courses Oued Zem. Rentr coucher Boujad". Chez les commerants on trouvait des conserves, des ptes, du pt, du fromage, du vin et l'on pouvait mme commander des hutres. Il enseigna aussi l'quitation aux dames : "Vendredi 13 janvier. -Leons de cheval Mmes Charrier et Chapuzot". Et il joua au tennis avec d'autres camarades ou avec le vtrinaire Carpentier, quand il vint de Khnifra pour inspecter les montures du poste ou estimer les chevaux fournis par le Maghzen. Ses goumiers l'invitrent parfois partager leur repas : "Samedi 4 fvrier. Kouskous et tagine chez Moktar". Le dimanche 19 mars il djeuna, avec tous les officiers de l'aviation de Tadla, la Zaoua Sidi Bou Abbad o tait donne une grande diffa par le Cad. On peut penser que Roger ne ngligea pas non plus pas sa vie sentimentale. Il est vrai qu' vingt-deux ans, Roger tait un jeune homme sduisant, assez grand (1m,80), aux cheveux chtains, avec un visage ovale, des yeux marron, un front haut. Sur les photographies, un demi sourire amus semble flotter sur ses lvres, le sourire de quelqu'un ne prenant pas trs au srieux la vie, sauf pour ce qu'elle offre de plaisirs. Il avait un air la fois un peu dsabus et moqueur, avec un sourire d'homme dans un visage o l'on retrouvait encore les traits de l'enfant de 1918 et l'assurance d' un adolescent gt, sachant le pouvoir de son charme et connaissant la faiblesse des femmes. Une carte reue Sidi Lamine etRoger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 43

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

date du 24 dcembre 1921, permet de supposer qu'il cultiva quelques frquentations europennes : "Ami Roger, je vous en veux : pas encore le plus lger petit mot. Vilain. En ce moment vous devez vous prparer afin de rveillonner, convenablement, dites ! Moi, je vais aller la messe de minuit, mais il me manque de l'entrain et je suis un peu lasse. J'ai vu aujourd'hui Charlotte + Rolande, pas de changement vue d'il. Que devenez-vous mon ami ? La petite maman est fche de ce si grand silence, aussi elle veut tre la premire souhaiter une bonne anne son petit enfant Roger et beaucoup de bonnes choses, au choix. Je vous tend une petite main, ami Roger. (Signature illisible). Dites Jacques que mon adresse personnelle ne craint plus rien". L'arrive du courrier tait un moment attendu par tous et Roger guettait comme les autres la venue de la voiture postale. "Mardi 17 janvier. -Courrier : 1 lettre ; le 24 : 4 lettres", notait-il. "Il crivait de nombreuses lettres tout le temps qu'il tait au Maroc", se souvenait Rgis, "o il parlait souvent de son lieutenant qui l'avait pris en amiti et de sa famille. On n'oubliait jamais, quand on rpondait, de demander de ses nouvelles ou d'envoyer des salutations". Mais le charme des femmes indignes ne le laissait pas non plus insensible. Au bas des pages de son carnet, on relve quelques prnoms : Acha, Zohra ou Fatima. Il racontera son frre Ren que pour passer un moment avec la femme d'un goumier, il suffisait de faire mettre celui-ci au cabanon pour la nuit sous le premier prtexte venu. Certains militaires avaient une liaison quasi officielle, comme l'adjudant Rapsillers, qui lui crivait quelque temps plus tard : "C'est bien dommage pour Zohra et la petite, que j'ai du renvoyer dans leur bled, mais je m'occupe d'elles, point de vue flousse et j'irai les voir de temps en temps" ; et il ajoutait, "Et les amours, a se maintient ? Vous devez en avoir une bonne clientle ! Enfin on n'est jeune qu'une fois". Le marchal des logis Delaunoy confirmait : "Oui, il a emmen sa chre Zohra en avant de Khnifra. La petite fille a accompagn la mre". C'est tout cela qui avait entretenu dans l'esprit de Ren une certaine confusion quant l'organisation d'un goum mixte.Roger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 44

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

Dans cette rgion de moyenne altitude, l'hiver tait assez pluvieux et ses notes en font tat : "Mercredi 25 janvier. -Pluie toute la nuit et toute la journe". Idem le jeudi, o l'oued entrait en crue et le mardi suivant. "Pluie affreuse" le 9 fvrier, qui continua encore le 13 et le 14. En mars le temps ne s'tait gure amlior et les 23 et 24, s'y ajoutrent la neige et la grle, mais le 25 le ciel tait bleu. Les conditions climatiques taient de grande importance quand des oprations militaires taient projetes. Lyautey avait prvu une nouvelle campagne pour le printemps de 1922, afin d'largir le couloir d'Azrou Midelt, en occupant le pays Ichkern jusqu' la Haute Moulouya, une des rgions dont le relief tourment et l'ardeur des tribus fut une des plus difficiles du Maroc. La mission du Groupe Mobile de Tadla, aux ordres du colonel Freydenberg, tait d'occuper Ksiba et le pays Ichkern, et Roger se rjouit de pouvoir y participer. Mais il faillit ne pas le faire : le 15 mars il reut un ordre de mutation pour le 22me Goum Missour. Grce l'appui de son lieutenant, il obtint de rester dans son unit. Ds le 16 mars commencrent les prparatifs : distribution des guitounes aux hommes, exercices de campement et de tir, amlioration des pistes, fabrication de barbels, recensement et runions des partisans Ouled Adi et Bni Batao. Tout cela ne put chapper aux chleuhs, qui attaqurent le poste dans la nuit du 30 au 31 mars et turent deux hommes dans le douar des maris ; ils rcidivrent la nuit suivante, en blessant un autre. Les chevaux furent ramens au camp, les hommes consigns et une embuscade tendue la nuit du dimanche 2 avril, mais sans rsultat. C'est le lundi 3 avril que le Goum commena faire mouvement. La premire tape tait El Graar et, comme des dplacements suspects avaient t signals, une embuscade fut tendue, qui permit d'abattre un rebelle. Le soir Roger assura la garde du camp. Il aperut une ombre qui rdait, essaya de l'identifier, crut reconnatre un chleuh, tira et l'abattit ; le lendemain on releva le corps d'un malheureux bourricot, appartenant un dnomm Costa. Le Goum arriva Tadla le mardi en milieu d'aprs-midi, dressa ses guitounes proximit des autres units et prit trois jours de repos. Les hommes des diffrents corps ne s'entendaient pas toujours bien et le jeudi soir clata une bagarre entre goumiers et spahis, qui se solda par la mortRoger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 45

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

d'un de ces derniers, un Bni Batao et la blessure de deux autres. Le corps du mort fut renvoy dans son bled. Le 8 avril, ils firent mouvement vers Raffo puis pour les At Rouadi, au bord de l'Oum er Rbia. Le soir, sous-officiers et officiers se runissaient pour que leur soit expos le plan d'attaque de Ksiba. Un groupement de suppltif, aux ordres du Chef de bataillon Lallemant, commandant le cercle de Boujad, rassembl Zaoua ech Cheikh, devait attaquer par le nord ; il comprenait aussi le 4e Goum de Boujad et le maghzen zaane du "lieutenant" Bouazza, un des fils du dfunt rebelle Moha Ou Hammou. Freydenberg conduisait l'attaque par le sud, depuis Ghorm El Alem (poste militaire 12 kilomtres l'est de Kasba Tadla surveillant le principal dbouch sur la montagne, la coule de Ksiba), alors que le 3e Goum de Sidi Lamine, command par le lieutenant Prs, tait charg de la conduire de l'ouest. Le dimanche 9 avril trois heures du matin, le 3e goum se mit en marche et, traversant l'Oum Er Rbia la hauteur du Douar des At Rouadi, se porta directement vers son objectif. Ousefrou fut vite occupe et l'avance se poursuivit en direction de Ksiba. Les At Seri, principale fraction des chleuhs, se portrent sur les partisans zaanes, flanquant sur la gauche le groupe de manuvre. Une lutte svre opposa partisans et insoumis dans la fort d'Imhiouach et ces derniers, largement suprieurs en nombre, prirent bientt l'avantage. Les partisans durent cder du terrain puis se replier vers la plaine, aprs avoir perdu leur convoi. Encourags par ce repli et renforcs par des guerriers de Moha ou Sad, les rebelles accenturent leur pression et l'engagement commena tourner la catastrophe. C'est dans ce contexte qu'allait se distinguer le marchal des logis Duhard, qui consigna par crit le rcit de son action :

Arrivs au pied de la montagne 2 h (aprs-midi). Les partisans entrent dans Ksiba et Kasbah Moha ou Sad. Baroud intense. Le Goum occupe deux mamelons avec mission d'empcher les chleuhs de prendre la colonne par derrire. Suis charg avec demi-peloton et 1 section d'occuper un mamelon. L'officier me protge la mitrailleuse. Je m'installe sur une crte. A ma gauche, les partisans cdent et se sauvent. Les chleuhs lesRoger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 46

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

poursuivent. Je fais faire un barrage par les mitrailleuses et fais des feux de salves sur les chleuhs qui se cachent dans l'oued, en bas de mon mamelon. Les chleuhs attaquent mon mamelon la faveur des rochers qui les cachent. Je n'ai plus de cartouches et cours prvenir le lieutenant. Les goumiers se replient sur mitrailleuses. Situation dsespre. L'officier me dit : reprenez-moi a en mains tout de suite ! Repars au galop au mamelon, rallie les goumiers, les encourage, les menace de mon revolver et nous partons la baonnette, les cavaliers au sabre. Remontons le versant toute allure. Chleuhs repousss, s'enfuient en laissant 5 morts. Un chleuh tire, me manque. Le tue de 2 coups de revolver, un 3e dans l'il. Lui prend son fusil, son poignard. Nombreux chleuhs blesss. Matre du mamelon, le dfends toute la soire contre les chleuhs. Le soir rentr la colonne avec morts. Seul un cheval tu. La nuit occupons Kasbah Moha ou Sad, o nous nous installons".

Ksiba : le fort franais Dans cette premire confrontation au corps corps avec l'adversaire, il faillit perdre la vie et fut sauv par un de ses goumiers qui russit abattre le chleuh s'apprtant le poignarder. Il rcupra l'arme, une lame grossirement emmanche de bois, ainsi qu'une chevalire enchsse d'un rubis de Fs qu'il portait au doigt.Roger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 47

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

Il gardera prcieusement ces deux reliques qui tmoignaient de cette glorieuse journe. Le lendemain, le colonel vint fliciter le Goum et le proposa, ainsi que le marchal des logis Duhard et l'adjudant Rapsillers, pour une citation l'Ordre de l'Arme. Immdiatement rdige, elle fut confirme le 15 septembre 1922 (Ordre Gnral n 334) et lui valut la Croix de Guerre des T. O. E. avec palme : "Le 9 avril 1922, lors de la marche sur Ksiba, charg de la dfense d'une hauteur, a brillamment soutenu une section du 3e Goum qui se repliait devant la soudainet d'une attaque des Chleuhs, s'est lanc la baonnette la tte de son peloton sur l'ennemi et l'a dcim dans un violent corps corps, par sa prsence d'esprit a redonn confiance aux lments en repli et rtabli une situation difficile". Le jeune marchal des logis avait t fidle la devise des Goums marocains : zid el qoddam, encore en avant (littralement : ajoute devant) ! Le lundi soir, les chleuhs tentrent une contre attaque ; Roger tait de quart de 23 h 1 h du matin et, avec ses goumiers, la repoussa coup de grenades. Ksiba tombe, la Kasbah Moha ou Sad devint la garnison du 3e Goum, qui y resta jusqu'en 1933, date de la fin des oprations dans le Maroc Central ; plus tard le 1er Goum y stationna (1956). La scurit de ses arrires tant assure, le colonel Freydenberg allait pouvoir se rendre matre du pays Ichkern en occupant Tintegaline le 16 juin et Tafessaset le 20. En juillet, la liaison entre L'Oum er Rbia et la Moulouya tait acheve. Le goum s'installa dans la Kasbah, qu'il fallut remettre en tat, les btiments ayant souffert du bombardement de l'artillerie. Les 12 et 13 avril, on envoya Roger faire une reconnaissance au nord-est de Ksiba ; il en revint sans rien avoir vu signaler. Le 15, il fut envoy Tadla pour runir vivres et matriel. Il en avai not la liste dans son carnet : paillasses, polochons, marteaux, pointes, outils de menuisier, fentres, volets (80/90), fourneaux, coffre-fort, machine crire, touques de ptrole, conserves, ufs, lgumes et poules et mme des graines pour ensemencer un potager. Il trouva tout cela dans la Maison d'un fournisseur europen de Tadla. Aprs avoir partag l'hospitalit des Spahis sous la tente, il repartit pour Sidi Lamine, car il bnficiait d'une semaine de permission et de dtente. Le dimanche soir il dnait chez le lieutenant ; le lundi partait pcherRoger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 48

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

et manger sur l'herbe avec le mme et le toubib ; le mardi et le mercredi, il jouait au tennis. Le jeudi, il chassait le matin, montait cheval avec Mme Charrier l'aprs-midi et rejouait au tennis. Il refit une promenade cheval avec M. et Mme Charrier le vendredi, et joua encore au tennis. Le dimanche 23, il partit avec un convoi de camions pour Ghorm el Allen et rejoignit Tadla o il couchait le soir. C'est le lendemain qu'il rejoignit Ksiba avec 10 cavaliers. Les oprations taient loin d'tre termines. Le douar des Immihouach, une dizaine de kilomtres de Ksiba et encore aux mains des insoumis, fut pris le 25 avril par la colonne Lallemant. Roger fut envoy en reconnaissance avec 20 cavaliers et ils s'accrochrent avec 30 cavaliers chleuhs, qui s'enfuirent, ne leur infligeant aucune perte, except celle du cheval d'un goumier, tu sous lui. Les marchandises commandes Tadla, arrives Ghorm el Allen par la route, durent ensuite tre achemines dans des arabas (charrettes) tires par des mulets et c'est Roger qui fut charg de les convoyer, avec les femmes des goumiers juches par-dessus, jusqu' Kasbah Moha ou Sad, y arrivant le 29 avril. visite du Gnral Lyautey le 1er mai 1922

Le 1er mai, le 3e Goum au complet rendit les honneurs Lyautey, venu inspecter le secteur. Il devait y venir la veille, mais la pluie avait faitRoger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 49

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

repousser la visite au lendemain. Les effectifs comprenaient le lieutenant Prs, commandant du poste, le lieutenant Schweitzer, charg du Bureau de Renseignements, l'adjudant Rapsillers et les marchaux des logis Delahouillre, Duhard, Grack et Delaunoy (promu le 15 mars). Ils taient assists d'un encadrement indigne, comme le 147, Si Ahmed, brigadier. Comme d'accoutume, le Marchal avait emprunt le train, puis la voiture, jusqu'au bout de la piste carrossable. L, l'attendaient tous les officiers du Groupe Mobile de Tadla avec une forte escorte et le cheval blanc qui lui tait toujours destin. Cavaliers et fantassins, impeccablement vtus et aligns, dfilrent devant lui avant de s'immobiliser en ligne frontale. Le gnral les passa alors en revue pieds, accompagn du lieutenant commandant le poste. Il tait un peu sourd d'une oreille et il fallait lui annoncer les identits voix forte, si bien que l'intress entendait proclamer son nom quelques mtres avant que le gnral ne s'approche et ne l'interpelle familirement, laissant tomber le grade et adoptant le tutoiement. Il s'arrta un peu plus longuement devant l'Adjudant Rapsillers et le marchal des logis Duhard, qu'il complimenta pour leur conduite hroque. Aprs avoir pass tout le goum en revue et renouvel ses flicitations aux officiers, sous-officiers et hommes de troupe, le Gnral pingla la croix de guerre au fanion du goum, pendant que le clairon sonnait " l'tendard". "Ordre gnral n334 : Le 3e goum marocain, sous les ordres du lieutenant Prs, violemment attaqu le 9 avril 1922 dans la rgion de Ksiba par un groupe important de rebelles exalts par un succs qu'ils venaient de remporter sur des partisans, a rsist courageusement, puis, par une contre-attaque la baonnette, a refoul l'ennemi en lui faisant subir des pertes importantes. Cette citation comporte l'attribution de la croix de guerre des T.O.E. avec palme. P.C. le 1er mai 1992. Le Marchal de France, Commandant en chef, sign : Lyautey". Roger, lors de son voyage Tadla le jeudi prcdent, avait achet des vivres pour la popote et l'on put recevoir dignement le Gnral et les officiers qui l'accompagnaient. Le mois du ramadan dbutant, les indignesRoger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 50

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

observaient le jene, mais servaient table. Le repas fut anim par Lyautey qui aimait raconter des histoires et faire rire. C'tait un intarissable conteur, voquant devant son auditoire attentif et subjugu ses souvenirs du Tonkin, de Madagascar (avec Gallieni) ou du sud oranais (sous le gouverneur Jonnart), tout en buvant du champagne. Et puis, il offrit la ronde des cigares, en faisant circuler sa boite, qui l'accompagnait partout, et dont avait la garde son aide de camp. Il tenait le sien l'aide d'un curieux instrument, un petit trpied surmont d'une pince, emprisonnant le cigare et servant de support pour le poser sur la table. Tout en fumant, il parlait, dvidant les anecdotes et plaant de bons mots, plaisantait et riait, exposait ses ides. S'il parlait autant, peut-tre tait-ce du sa surdit, l'empchant de bien entendre ses interlocuteurs. Roger et son peloton furent affects la protection du gnral Lyautey pendant les deux jours qu'il passa sur place, inspectant les dfenses, poussant jusqu'aux Immiouach et discutant du plan de campagne prvu par Poeymirau et Freydenberg. Le Rsident Gnral, vtu de kaki et couvert d'un ample burnous bleu, tait toujours accompagn d'un photographe, charg de fixer sur plaques les souvenirs de ces moments, dont les preuves taient ensuite distribues aux intresss. Lyautey, trs imbu de lui-mme, voulait laisser l'image d'un grand homme, aux manires de grand seigneur et y parviendra. Mais il pouvait aussi avoir des manires de rustre. Un jour qu'un cavalier d'escorte, son cheval parti en crabe, vint lui heurter la botte, le gnral, ancien officier de cavalerie form Saint-Cyr, l'interpella de la plus rude manire : Couillon, singe bott ! Regardez-moi a : on dirait une paire de tenailles sur une rampe d'escalier ! (rapport par Jean Verchin). A Tadla, Roger ne manqua pas d'aller saluer le capitaine Ren Fonck, le pilote vosgien comptant, juste derrire le Baron rouge , Manfred von Richthofen, le plus de victoires de la premire guerre mondiale, devanant largement Guynemer, pourtant plus connu. Incorpor dans le Gnie en 1914, Fonck devint lve pilote en fvrier 1915 et brevet 4 mois plus tard. Il fut affect l'escadrille SPA 103 du Groupe de Chasse n12 des Cigognes en avril 1917.Roger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 51

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

Tireur exceptionnel, ne lchant que de courtes rafales diriges sur le seul pilote ennemi, il revendiquera 127 appareils allemands abattus dont 75 furent officiellement reconnus. Contrairement la plupart des pilotes, Fonck tait trs soucieux de sa forme physique, ne buvant ni fumant, pratiquant le yoga et ne frquentant pas les "cratures ". Il rglait lui-mme le moteur et les mitrailleuses de son Spad XIII, avion au moteur surpuissant, et avait adopt une stratgie personnelle : montant le plus haut possible, il cherchait le meilleur angle et plongeait alors sur sa victime, gnralement le dernier appareil de la formation. Si les circonstances taient favorables, il remontait vivement et abattait ensuite l'avion en tte et profitait de la panique pour s'enfuir. Cet excellent pilote n'avait que peu d'amis, ses camarades le jugeant dplaisant et vantard, car il dclarait beaucoup plus d'avions abattus que ceux retenus. L'engagement de quatre ans de Roger touchait sa fin ; il tait prvu qu'il quitterait Ksiba la fin du mois. Pendant les jours qui lui restrent passer dans ce poste avanc, il fut occup par les tches habituelles. "Mercredi 3 mai. - Parti escorter le convoi de Tadla jusqu' Bou Mersil" et il en profita pour tuer un sanglier au sabre, aprs l'avoir poursuivi cheval. Samedi 6. -Parti escorter l'aspirant jusqu' Bou Mersil avec mon peloton. Le 8. - Escorte du colonel jusqu' Foum Tafetouil" ; "le 11. Escorte du capitaine du poste aux Immiouach". Le samedi 13 fut occup l'exercice avec volution du peloton et attaque simule d'une crte. Le mardi 16, il conduisit une reconnaissance dans la fort de Taguent et Si Amar Djorani et trouva le cadavre de Lampre, un soldat franais disparu. Le 17, un accrochage eut lieu avec les chleuhs, posts sur les crtes, lors d'une liaison aux Immiouach avec le goum de la Zaoua pour rparer la ligne et il fallut faire donner les mitrailleuses. L'estafette portant le courrier fut tue entre Bou Mersil et le col et le courrier enlev. Le soir mme, avec son peloton, Roger tendit une embuscade sur le plateau d'Ifren et un chleuh fut tu, dont le corps fut ramen. Des renseignements faisaient redouter une attaque du camp. Le vendredi l'adjudant et son djich (groupe de partisans) furent attaqus et des coups de feu tirs sur la Kasbah. Un groupe de 700 chleuhs fut signalRoger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 52

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

dans la fort de Taguent. Le 22, des chleuhs vinrent en pourparlers, proposant la restitution du courrier enlev en change du corps du tu ; le lieutenant refusa. Il tait prvu d'attaquer les chleuhs dans la fort de Taguent le mercredi suivant, mais la pluie qui tomba pendant trois jours empcha la russite de l'opration. Le samedi 27, un groupe rebelle, qui aurait incendi deux douars, fut t signal dans la mme fort ; Roger s'y rendit avec son peloton et trouva 3 morts. Le dimanche 28, prenait fin la priode du jene musulman, clos par l'Ad es Seghir et tout le douar entourant la Kasbah fit la fte. Les femmes roulrent la semoule depuis le matin, firent mijoter les tagines et cuire la kesra, pendant que les hommes gorgeaient les moutons, les dbitaient et commenaient les prparer. Le foie tait un morceau de choix, qui valait presque autant que le mouton entier ; dcoup en petits cubes et envelopp de voilette, il tait cuit sur la braise en dlicieuses brochettes, les boulfefs. Quant au corps du mouton, embroch pour le traditionnel mchoui, il allait cuire lentement sur son lit de braises. Roger, convi aux agapes, dmontra sa matrise rouler les boulettes de couscous d'une seule main puis les envoyer d'un coup de pouce dans la bouche. C'tait avec les doigts galement que l'on arrachait des lambeaux de chair croustillante et brlante du mchoui apport entier au milieu des convives. Le 30 mai, il fit ses adieux ses compagnons d'armes. Le lieutenant Prs avait tenu l'accompagner avec ses goumiers jusqu' Bou Mersil, sur la piste de Tadla. Il n'y resta qu'une journe, arrosa son dpart avec des camarades et partit le lendemain pour Boujad en voiture, faisant la route sous la pluie. A Boujad, o il y avait une communaut isralite d'environ 600 personnes, il arriva le jour de la fte juive, Yom Kippour, concidant presque avec celle des musulmans cette anne et il fut invit chez eux dans le mellah. Le lendemain, il gagna dos de mulet Sidi Lamine, o l'accueillit une fantasia des mokhaznis (les soldats) et y resta une semaine. Le dimanche il partit chasser au Kaf N'Sour (montagne des aigles en berbre) et ramena 9 livres et 4 perdreaux, qui finirent la popote. Le lundi, aprs avoir djeun chez le toubib, il accompagna une reconnaissance Sidi bel Ritt, o des chleuhs avaient t signals maisRoger Duhard : tmoin de la 1re Guer... 53

Souvenirs de guerres (14-18 et 39-45)

dont ils taient partis, et vit des gazelles. Le mardi, une arka rebelle tait signale au Mahajdibat ; les goumiers en turent un et ramenrent deux prisonniers, aussitt interrogs. Le jeudi, il accompagna un groupe de 40 cavaliers partis tendre une embuscade au Djebel Hadid, mais sans rsultats. Par contre il revint avec 13 perdreaux et un livre.

C'est le samedi 17 juin qu'il arriva Casa, par la route empierre venant de Tadla, d'o il gagna Rabat. Pendant les quelques jours de libert qui lui restaient, ses conomies allaient rapidement fondre. Il nota dans son carnet : auto, 125 frs ; repas, 50 frs ; fiacre, 5 frs ; chambre, 70 frs ; apro, 10 frs etc.. Du samedi au lundi, avec 3 compres, ils allaient dpenser 202 frs chacun, prs de la moiti d