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3. Dernière épreuve - ekladata.comekladata.com/...elite_T3_-Derni_re_preuve_-_Joelle_Charboneau_ep.pdf · JOELLE CHARBONNEAU Traduit de l’américain par Amélie Sarn. À Margaret

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3.Dernièreépreuve

JOELLECHARBONNEAU

Traduitdel’américainparAmélieSarn

ÀMargaretRaymopoursesconseilsetsonregard.

Jen’yseraisjamaisarrivéesanstoi.

Chapitre1

Un coup frappé à la porteme fait sursauter.Mesmains tremblantes de fatigue, de peur et dechagrin ouvrent le loquet et tournent la poignée de la porte. Je laisse échapper un soupir desoulagementendécouvrantRaffeJeffriesdanslecouloir.Nouspoursuivonslesmêmesétudes,maisc’est notre seul point commun. Venant des colonies, j’ai dû subir le Test pour être admise àl’université.HabitantdeTosu,ilaétéaccueilliàbrasouverts.Nousnesommespasamis.C’estvraiqu’ilm’asauvélaviecettenuit,pourtant,jenesaistoujourspassijepeuxluiaccordermaconfiance.Maisjen’aipaslechoix.

L’attitudenonchalantedeRaffeestdémentieparsonregardinquiet.Ilentredansmachambreetprendsoinderefermerlaportederrièreluiavantdem’annoncer:

–Ilssavent,Cia.Mes genoux se dérobent. Je suis obligée d’agripper le dossier de ma chaise pour ne pas

m’effondrer.–Ilssaventquoi?Que j’ai quitté le campus ?Que je sais que la rébellionn’est qu’un leurre ?Que l’assaut des

rebelleslesconduiratoutdroitàlamort?QueDamone…jerepoussecettedernièrequestion.–LaprofesseureHoltsaitquenoussommestousdeuxsortisducampus.LesyeuxnoirsdeRaffeplongentdanslesmiens.–EtGriffinacommencéàchercherDamone.Évidemment, il était à prévoir queGriffin se demanderait où est son ami. Il ne tardera pas à

alerternotre tuteur, laprofesseureHolt,qui elle-mêmepréviendra ledocteurBarnes.Penseront-ilsque lapression l’apousséàfuir?Ouaucontraire, lanceront-ilsdesrecherches?Ilne leur faudrasansdoutepaslongtempspourtrouversoncadavre.

Monestomacfaitdesnœuds.Jen’avaispaslechoix.Etpourtant…Jesecouelatête.Sijeneveuxpasêtreredirigée,oupire,jenedoispaspenseraupassé.Aucune

règlenestipulequenousnedevonspasquitterlecampus.Ilsnepeuventpasmepunirpourcetteseuleraison.Maiss’ilsapprennentcequej’aidécouvert…

Jemeforceàrespirercalmementavantdedemander:–LaprofesseureHoltsait-elleàquelleheurenoussommespartis?Croit-ellequenousétions

ensemble?Je passe le doigt surmon bracelet gravé d’un éclair. Il contient une puce GPS qui permet à

l’administrationde l’universitéde toujourssavoiroùnoussommes.J’étaissûred’avoir réussià lebrouiller,maisj’avaistoutfaux.Maintenant,Michalestmortet…

–Jenecroispasqu’ilsaientuneidéedeladuréedenotreabsence,reprendRaffeenpassantlamain dans ses épais cheveux noirs. Personne ne nous a vus partir ni revenir. Mais Griffin m’ainterceptéquandjesuisallélivrertonmessageàTomas.Ilm’ademandésij’avaiscroiséDamone.Etpuis il avoulu savoiroùnousétions toi etmoicematin. J’ignorecomment,mais il saitquenousétionsensemble.

Jen’aijamaisparléàRaffedelapuceGPScachéedansnosbraceletsd’identification.J’espéraisne pas avoir à partager tousmes secrets avec lui.Avantmon départ de la colonie,mon pèrem’arépétédenefaireconfianceàpersonne.Jen’aipasrespectésarecommandationetjesuisdenouveaudansl’obligationd’yfaireuneentorse.SiRaffeestendanger,c’estparcequ’ilm’aaidée.

JeluiexpliquerapidementcommentlespucesfonctionnentetjeluiracontecommentTomasetmoiavonsfabriquéuntransmetteurcapabledebloquerleursignal.Leproblèmeestquecettenuitoucematin,j’aiperducetransmetteur.Jenesaisnioùniprécisémentquand.

Raffe observe le symbole gravé sur son bracelet – un ressort au centre de la balance de laJustice.

–Ilsenregistrenttousnosmouvements…Iln’estnisurprisniindigné,seulementpensif.– Nous allons devoir trouver une meilleure façon de les en empêcher si on veut avoir une

chancedemettretonplanàexécution.Monplan…Cettesemaine,durantlasessiondelachambredesdébatsdugouvernementdelacommunauté,

laprésidenteCollindardemanderaauxmembresdevoterpouroucontreunenouvellepropositiondedécret. Si elle est approuvée, l’administration du Test et de l’Université sera retirée du contrôleexclusif du docteur Barnes qui se verra obligé de répondre de toutes ses décisions auprès de laprésidente.Ainsiprendrontfindespratiquesquiontcoûtélavieà tantdejeunesgensdont leseuldésirétaitd’aiderleur pays. J’aimerais croire que la proposition sera acceptée, mais tout ce que j’ai appris cesdernièresheuresmeporteàcroirequecene serapas le cas.LedocteurBarnesenprofiteraalorspour remettre en question l’autorité de la présidente et d’exiger une motion de confiance. Si laprésidentenel’obtientpas,elleperdrasonmandatetceseralesignaldedépartd’unerévolteperdued’avance.

BarnesetSymonDeansontleschefsd’orchestredecettemachination.Ensefaisantpasserpourun leader de la rébellion, Symon est aux premières loges pour identifier, contrôler et finalementdétruiretoutétudiantayantunevelléitéd’oppositionauTest.Barnesn’attendqu’unechose:écraserlesrebellesdanslesang.

JesaisdepuishierquemonfrèreZeenestparmieux.Jenepeuxpasrestersansbougeràattendrequecettehorreurseproduisemaisjen’aiaucune

idéedecequejepeuxfaire.J’aicruquej’enseraiscapablemaisjen’aifaitqu’empirerlasituation.Àprésent,ledocteurBarnesobservelemoindredemesmouvementsavecplusd’attentionquejamais.J’aimeraisavoirdutempsdevantmoipourréfléchir.Mesfrèresmetaquinaient toujoursàcesujet.Selon eux, ilme fallait desheurespourprendreunedécisionqui neméritait pasplusdequelquesminutes,maismonpèrem’aapprisqu’ilfallaitétudiersoigneusementtouteslesoptions.Leschoixquis’imposentàmoiaujourd’huisontlesplusimportantsdemavie.

Est-cequej’aipeur?Oui.Jesuislaplusjeuneétudiantedel’universitéetj’aidumalàcroirequemes actes puissent changer le cours de l’histoire demon pays. Suis-je assez intelligente pourdéjouerlesplansdudocteurBarnesetsauverdesvies?Leschancesnesontpasdemoncôté,maisjedoisnéanmoinsessayer.

JelèvelesyeuxversRaffe.–Pourl’instant,monplanconsisteàfairemesdevoirsetàdormir.Ilouvrelabouchepourprotestermaisjeluicoupelaparole:–Toiaussi,tuasbesoindesommeil.Sesépaulesaffaisséestémoignentdesonépuisement.–Unefoisreposés,nousauronslesidéesplusclaires.Raffeacquiesce.–Detoutefaçon,c’estprobablementmieuxquenousrestionsdanslarésidencepourlemoment.

LaprofesseureHoltauraprobablementdésignéquelqu’unpourtesurveiller.Soisprudente.Uncliquetissourdattiremonattention.Unautre.Etencoreun.C’estmontranscommunicateur.

Zeenetmoisommesconvenusd’uncode.Ildoitavoir trouvéunendroit tranquillepourmeparler.Maisjenepeuxpasluirépondre,pasavecRaffedansmachambre.Ilesthorsdequestionquejemettelaviedemonfrèreentresesmains.Jeposelamainsurlapoignéedelaporte.

–Àplustard,Raffe.Ilpenchelatêtesurlecôtéetplisselespaupières.Clic.Clic.Clic.Jefaiscommesijen’entendaisrienetj’ouvre.–J’aiundevoiràrendre.Ilvautmieuxquejem’y

mette.Raffeobservemonpetitsalon.Moncœurhoquettedansmapoitrinemaisletranscommunicateur

s’esttu.–D’accord,finitparlâcherRaffe.Jenesuispasloinsituasbesoindequoiquecesoit.Enfin seule, je refermeà clé etmeprécipite dansma chambre. Je glisse les doigts sousmon

matelasetj’attrapel’appareilquej’aiapportédesCinqLacs.Ilaétéconçupourfonctionneravecunrécepteurplacéàmoinsdetrentekilomètres.

J’appuietroisfoissurleboutonpourinformerZeenquej’aibienreçusonsignal.–Cia!JesuistellementcontentqueMichalt’aitenfinditoùj’étais!J’aivouluprendrecontact

avectoiàlaminuteoùjesuispartidesCinqLacsmaisilm’ademandéd’attendre.Tuvasbien?La voix deZeenm’emplit d’une douce chaleur. Il a toujours étémon confident.De tousmes

frères,c’estluiquej’allaisvoirquandj’avaisunproblème.Ilmetrouvaittoujoursunesolutionouauminimum,m’aidaitàréfléchir.J’espèrequeceseraencorelecas.

–Jevaisbien.Dumoinspourlemoment,mais…–Tantmieux,tantmieux,soupireZeen.Cia,jesuisdésolédenepast’avoirditaurevoir,lejour

de ton départ. J’étais jalouxde te voir sélectionnéepour leTest alors que j’avais été recalé. Je nesavaispas…

Jemeremémorelapeinequej’airessentieenmerendantcomptequeZeenneviendraitpasmeserrerdanssesbras.Sasensibilitél’asouventpousséàdesréactionsextrêmes.Enparticulieraveclesgensqu’ilaime.C’estparcequejeconnaissafragilitéquejerépondsavecsincéritéquejeneluienveuxpas.

– Si tu avais été là, j’aurais été obligée de te demander la permission de t’emprunter letranscommunicateur et tu aurais probablement refusé. Je n’aurais pas tenu sans cet appareil cesderniersmois.

–Tu aurais dûm’entendre hurler quand j’ai découvert tonmot, ritZeen.Mamanm’a dit quec’étaitunpetitprixàpayerpourmonattitude.Ellem’arappeléquejenetereverraispeut-êtrejamais.Ellenevoulaitpasquejevienneicimaispapam’acompris.Cia,ilsepassedeschosesgraves.JenesaispascequeMichalt’aracontémaislesrebellesvontmettrefinauTest.Nousavonsunplanquichangeratout.TunedoissurtoutpasresteràTosu.Çavaêtrebientôttrèsdangereux.

–Zeen…Il ne m’écoute pas. Quand j’étais petite, il me parlait parfois pendant des heures. Je ne

comprenaispastoutcequ’ilm’exposaitmais j’aimaisentendrelesondesavoix.Aujourd’hui, j’aibesoinqu’ilm’entende.

–Zeen…–C’estcompliquéetçameprendraittropdetempsdetoutt’expliquer.Quelqu’unvafinirparse

demander où je suis.Avec tout ce qui se passe, personne ne fais totalement confiance à personne.MêmeaveclacautiondeMichal,jepensequ’ilsm’auraientarrêtéquandjesuisarrivédanslecampsijen’avaispas…

–Zeen!Écoute-moi!Silence.Jereprendsd’unevoixplusdouce.–Michalestmort.Magorgeseserre.Deslarmesmepiquentlesyeux.Prononcercesmotsrendcetteréalitétrop

palpable.–Jel’aivusefairetuer.–Cia,c’estimpossible.Maisaulégertremblementdanssavoix,jesaisqu’ilmecroit.–Jelesaurais,reprend-il.SymonouRanettanousl’auraitannoncé.Il me parle comme quand j’étais enfant et qu’il voulait me persuader qu’il n’y avait pas de

monstresousmonlit.Maisilnepeutplusm’apaisermaintenant.Lesmonstressontbienréels.–Symonnevousarienditparcequec’estluiquiatirésurMichal.Je jette unœil au réveil à côté demon lit.Nous parlons depuis cinqminutes. Zeen a raison,

bientôt,desgensdeson groupe commenceront à le chercher. S’ils se rendent compte qu’il a utilisé letranscommunicateur,ilsleprendrontpourunespion.J’aitantàluiexpliqueretsipeudetempsdevantmoi.Jedoisdéciderdecequiestprioritaire.

–MichalaapportéàSymonlapreuvedontlaprésidenteavaitbesoinpouremporterlevoteetmettreuntermeauTestdefaçonpacifique.J’étaiscachéeetj’aiassistéàleurrencontre.

Les imagesdéfilentsousmesyeux : lechefde la rébellionapointésonarmesurMichaletapresséladétente.Deuxfois.Michalesttombécommeunsacdegrain.

–Symonaexpliquéquec’étaitluietledocteurBarnesquiavaienteul’idéedecréerungroupede rebelles dans le seul but de les avoir à l’œil. Tout ce en quoi tu crois est faux. C’est unemanipulation.

–Non,Cia,tutetrompes.Zeenparleàvoixbassemaisjeperçoissonincrédulité,sonindignationetsacolère.–Jesuisici,parmieuxetjepeuxt’assurerquecesgenssontprêtsàsebattrepourlechangement

!–Jelesais.C’estexactementcequ’attendentSymonetBarnes.–Cia,c’estimpossible.J’aiparléàRanettaetSymon.Symon…–AtuéMichal.Tunepeuxpasluifaireconfiance.Michall’afaitetilenestmort.Unenouvellefois,lapaniquemesubmergecommeunevague.IlfautqueZeenmecroie.–LerôledeSymonestdes’assurerdel’échecdelarébellion.Silaprésidenteperdàlachambre

desdébatsetquevousdonnezl’assaut,laSécuritéestprête.Ilsvousmassacrerontetprétendrontquec’étaitleseulmoyendepréserverTosu.Larébellionseraécraséeetdestasdecitoyensmourront.

–Si…situasraison…Zeenprendunelongueinspiration.Quandilreprendlaparole,ilmurmureàpeinemaissonton

achangé.–TudoisquitterTosu,Cia.–Jenepeuxpas.Le bracelet m’en empêche mais ce n’est pas tout : je ne peux pas abandonner mes amis. Ni

laisserZeenaumilieudesrebelles.–Maistoi,vienst’installerdansundesbâtimentsvides

enpériphérieducampus.Tupourraist’ycachersansdifficulté.–Onn’estpascenséquitterlecampementsansunordredirectdeSymonoudeRanetta,objecte

Zeen.Ranetta.Jenel’aijamaisvue.JesaisparMichalqu’ilyadesdivisionsauseindelarébellion.

Unefactionprôneunerésolutionpacifique,l’autre,dontRanettaestlareprésentante,pousseplutôtàlaluttearmée.ElleasansdoutesuiviSymonpendantuntempsavantdes’opposeràlui.Pourrait-elleêtreunealliée?SiZeenluiparlait…

Non.Zeenestintelligentmaisquandilestimpliquéémotionnellement,ilatendanceàagiravantderéfléchir.Iln’apasintégrélegroupederebellesdepuisassezlongtempspourreconnaîtreceuxenqui ilpeutavoirconfiance.Peut-êtrepersonne,d’ailleurs.Michalétait sûrdeSymon.Moiaussi.Etpuis, Zeen n’a pas subi le Test. Il ne sait pas à quel point cette épreuve est violente autantphysiquementquepsychologiquement.Cen’estpassoncombat.Ildoitsemettreàl’écart.

–Tupourraist’enfuirsansqu’ilstevoient.Les rebelles se sont installés dans une ancienne base aérienne dévastée par une tornade

électrique,àl’époquedescatastrophesnaturelles,aprèslesguerres.Lazoneaététellementravagéeque le gouvernement a abandonné tout espoir de la revitaliser. Pourtant, malgré le sol infesté deproduitschimiques,desarbresontpousséetcertainesplantesontsurvécu.Siunepersonneestcapabledesedébrouillerdansunpaysagetelquecelui-là,c’estbienmonfrère.

–Peut-être.Situasraison,jepourraisyêtrecontraint.Maispastoutdesuite.Pourlemoment,jevaisresteretessayerd’enapprendreplus.Personneneseraétonnéquelenouveauposedesquestions.Ilyadeschosesquej’aivraimentbesoindesavoir.S’ilyalamoindreposs…

Silence.Zeen s’est brusquement tu. Il a sansdoute entenduquelqu’un approcher.Pourvuqu’iln’aitpasétésurpris.J’attendsunpeudansl’espoirqu’ilm’envoieunmessagecodé.N’importequoipourvuquejesoissûrequ’ilvabien.

Les minutes s’écoulent lentement. Une. Cinq. Dix. Mon inquiétude s’accroît. Je serre letranscommunicateurdansmamainetfermelesyeuxenpriantpourquemonfrèreaillebien.C’estparceque j’ai apporté ces enregistrements àMichalqu’il a été tué. JenepeuxpasperdreZeen. Jerefuse que quelqu’un d’autre perde la vie parma faute. Je pense à Tomas. J’ai envie de courir le

rejoindre. Ilétaitavecmoi lanuitdernièrequand j’aidécouvert laprésencedeZeenaumilieudesrebelles.Jesaisqu’ilm’aidera.Maismêmesij’aiterriblementbesoinqu’ilmeprennedanssesbras,mêmesi j’aimeraismereposersurlui, jesaisqu’ilestaussi impuissantquemoi.Nousnesommesquedesétudiantsetnousn’avonsaucuncontrôlesurlemondequinousentoure.

En revanche, une autre personne pourraitm’aider.Michal n’était pas certain qu’on puisse luifaire confiancemais je n’ai plus le choix. Zeen fait partie d’un groupe de rebelles que le docteurBarnes a prévu de faire tuer sans autre forme de procès. La date du prochainTest approche. Plusd’unecentainedecandidatsdevrontbientôt faire faceà lamort.Simonrôledans ladisparitiondeDamoneestdécouvert,jen’auraiplusaucunemargedemanœuvre.Ilsn’hésiterontpasàm’exécuter.Ledestindetropdegensestenjeuetjesaisqueseule,jenepeuxrien.Laprésidenteestlechefdenotregouvernement.C’estàelledeprendrelesdécisionsquiempêcherontundésastre.

Jedoislaconvaincredenousaider.J’enfileunpantalonbrunquej’aiachetépeudetempsaprèsmonarrivéeàTosu.Jechoisisune

tuniqueajustéejaune,ornéedeboutonsargentés.Jenettoiemesbottinesuséespourlesrendreaussiprésentablesquepossible.Laplupartdutemps,jem’attacherapidementlescheveuxenqueue-de-cheval,aujourd’hui,jeprendssoindelescoifferetdelestresserdansunstylequifaisaitrâlermonpèreparcequeselon lui, jene ressemblaisplusàunepetite fillemaisàune jeunefemme.Laprésidentenedoitpasmevoircommeuneétudiantemaiscommeuneadulte.

J’enfournemesvêtementstachésdusangdeDamonedansmonsac.Jenepourraipasleslaver,etmêmesijenereçoispresquejamaispersonnedansmachambre,jenepeuxpasprendrelerisquequequelqu’untombedessus.Jedoism’endébarrasser.

Jeprendssousmonmatelasunpistoletquem’adonnéRaffe.Ilestlégerdansmamainmaissonpoidspèsesurmapoitrine.OnutilisesouventdesarmesauxCinqLacsetj’aiapprisàtireraveclepèredeDaileenàl’âgeoùj’apprenaisàmultiplieretdiviser.Letravaildemonpèreexigeaitquenoushabitionsprèsdelazonequ’ilétudiait,c’est-à-direenborduredesterresnonrevitaliséesoùrôdentdes loups et d’autres créatures mutantes. Il m’est arrivé plus d’une fois de tuer ou de blesser unanimalquis’apprêtaitàm’attaquer.Maissij’utilisecepistolet,ceneserapassurunebêteaffamée.Letranscommunicateurrejointlerestedemesaffairesdansmonsacetjesorsenprenantsoindebienfermeràcléderrièremoi.

Lescouloirsde la résidencesontcalmes.Lesétudiantsque jecroiseparlentàvoixplusbassequed’habitude.SansdouteàcausedeladisparitiondeDamone.Jegardelesyeuxbaissés;j’aipeurqu’ilsylisentmaculpabilité.J’avanceentendantl’oreilleàl’affûtd’uncliquetisquim’informeraitd’unappeldemonfrère.

Au premier étage, je me force àmarcher lentement pour ne pas trahir mon anxiété. Chaque

nouvelle seconde amplifie ma certitude qu’il est arrivé quelque chose de grave à mon frère. Enpoussant la porte, je jette un coupd’œil par-dessusmonépaule au casoùRaffem’aurait entenduesortir et suivie. Il n’est pas là.Dehors, le soleil est éclatant.Le dîner ne sera pas servi avant deuxheures.Sijenesuispasrevenueàtemps,monabsenceseraremarquée.Maisunefoisdeplus,jen’aipaslechoix.

Droitecommeuni,jemedirigeverslehangaràvélosenessayantdenepasregarderl’endroitoùRaffeetmoiavonspousséDamonedansleravin.Avantd’enfourchermabicyclette,jevérifiequepersonnenem’observe.Moninquiétudepourmonfrèreeffacemafatigueetmedonnel’énergiedepédaler.

Jetraverselepontquienjambelafissuredeplusde5mètresdelargequisépareledépartementdesciencespolitiquesduresteducampus.J’attendsd’êtresurlaroutequimèneàlabibliothèquepourregarder derrièremoi. À cette distance, je ne peux pas en être sûre,mais je pense reconnaître lasilhouettedeGriffin,penchéeau-dessusdupont.Jemeursd’envied’allerchercherTomaspour luidemanderdem’accompagnermaisjemeretiens.Jeneveuxpasattirerl’attentionsurlui.J’accélère.Jedoistrouverdessolutionsauplusvite.

Jepassesousl’archemétalliquequimefaitpenseraubraceletquienserremonpoignet.Iln’estpasinterditauxétudiantsdequitterlecampus,maissijem’aventuretroploin,laprofesseureHoltetle docteur Barnes se demanderont pourquoi. Par chance, en tant que stagiaire aux bureaux de laprésidente,j’aiunebonneraisondem’yrendre.

Avant d’aller plus loin, je m’arrête et je cale mon vélo contre un arbre pour sortir montranscommunicateuretmettreenmarchelesystèmedenavigation.J’aidéjàparcourucesroutesmaisjenesuispassûredutrajet leplusrapide.J’attache le transcommunicateuràmonguidonavecunebande de tissu. J’essaie de rappeler Zeen. Une fois. Deux fois. Trois fois. Rien. Je ravale monangoisseetjeréenfourchemonvélo,directionTosu.

LesvisagesdeZandri,Malachi,Ryme,ObidiahetMichaldéfilentdevantmesyeux.Toussontvenus à la capitale pour améliorer la vie de leurs concitoyens. Tous sontmorts. Je dois éviter lemêmesortàmonfrère.J’espèredetoutmoncœurqu’iln’estpastroptard.

Chapitre2

Lesyeuxfixéssurletranscommunicateur,jeneregardepaslepaysage.J’énumèrementalementlesinformationsquejepossède.IlestévidentquelaprésidentedésapprouvelesméthodesdeBarnes.J’ai été aux premières loges pour observer leur antipathie mutuelle. Cependant, si elle veuteffectivementsedébarrasserdelui,nulnesaitdefaçoncertainesiellecomptemodifierousupprimerle mode de sélection d’entrée à l’université. Le Test est terrible mais les résultats obtenus sontindéniables.L’eauquenousbuvonsetl’étenduedesterresrevitaliséessontlapreuvequelesétudiantsformésparl’universitésontdoués.

Laprésidentevoudra-t-ellechangerunsystèmeaussiefficace? Je l’ignore.Maisalorsque leventsoulèvemescheveux,jesaisquejevaisdevoirprendrelerisquedeluiposerlaquestion.

Les quartiers résidentiels laissent place à des avenues bordées de bâtiments plusmassifs. Aucœurdelaville, jecroisedesaérojetspersonnelspilotéspardescitoyensqueleursresponsabilitésobligentàtravaillerledimanche.Jetourneàl’angled’unerueetlestourellesgrisesquiflanquentleclocheretl’horlogesedressentdevantmoi.LebureaudelaprésidenteAnnelineCollindar.

Je dépose mon vélo près de l’entrée et pousse le lourd battant de bois. Deux officiels encombinaison noire s’approchent de moi. Les deux autres, de chaque côté de la porte, restentimmobiles,lepoingsurlacrossedeleurarme.Lacouleurdeleuruniforme,leurbrassardblancetlespistoletsà leurceinture indiquentqu’ils’agitd’officielsdesécurité. Ilssont lesseulsàavoir ledroitd’êtrearmésàl’intérieurdesbâtimentsgouvernementaux.

AprèslesSeptÉpoquesdelaguerre,quandlesrescapésontcommencéàseréunirpourdébattrede l’avenir, certaines discussions sur la nécessité de créer un nouveau gouvernement ont étéhouleuses.BeaucouppensaientqueledernierprésidentdesÉtats-Unis,NicholasDalton,ainsiquelesautresdirigeantsmondiaux, étaient responsablesde lapollution et desguerres.D’autres estimaientquesansgouvernement, ilserait impossiblederéorganisernotresociétéetderevitaliser les terres.Tous lescitoyensavaientvoixauchapitreet ilestarrivéquecertainspensentque lesarmesétaientplusconvaincantesquelesmots.Unopposantàlacréationd’ungouvernementaunjourfaitfeupourfairevaloirsonpointdevue.C’estcequiaemportéladécision:ilfallaitdesloisetdeshommesetdes femmespour les faireappliquer.Lepremierdécret abanni les armesà feude la chambredes

débats.Dixansplustard,l’interdictionaétéétendueàtouslesbâtimentspublics.EnpossessiondupistoletdeRaffe,jesuisaujourd’huientotaleviolationdecetteloi.Maisilest

horsdequestionquejerenonceàmonarme.J’ignorecommentlaprésidenteréagiraàmarequêteetjedoisêtreprêteàtouteéventualité.

Jeremontelabretelledemonsacsurmonépauleetjemedirigeversl’officielàl’accueil.Jedonnemonnometluimontremonbracelet.D’unsignedetête,ilm’autoriseàpasser.Depuisledébutde mon stage, il y a quelques semaines, je me suis rendu compte que si certains officiels del’entouragedirectdelaprésidentetravaillaientlesamedietledimanche,ellen’étaitpoursapartpassouventprésentecesjours-là.Maisundébatimportantestprévudemainàlachambreetlescouloirsbourdonnentd’activité.La tensionestpalpable.Desofficiels rassemblésdans lesbureauxparlentàvoixbasse.Laplupartnem’accordentpaslamoindreattention.Jetraverseunespacedetravailouvertoù l’ordre du jour est inscrit en grand sur un panneau : Vérification des méthodes de sélectiond’entréeàl’université.

Je suis à présent devant les grandes portes de bois blanc qui donnent sur le bureau de laprésidente.Sasecrétaireestabsente.Jefrappe.Pasderéponse.Jetournelapoignée.C’estferméàclé.

Jeretournesurmespasetgravisl’escaliermétalliquejusqu’audeuxièmeétage.J’aimontécesmarchespourlapremièrefoisguidéeparMichal.J’avaisétéétonnéedeleretrouver ici. Ilm’avaitprésentéleslieuxenfaisantsemblantdenepasmeconnaître.Jeremontelecouloirversuneporteàdoublebattantsurveilléepardeuxofficielsentuniqueviolette.Lesquartiersprivésdelaprésidente.J’aimeraistellementqueMichalsoitàmescôtés.Jem’adresseàundesofficiels.

–J’aiunmessageimportantpourlaprésidente.– La présidente n’est pas chez elle. Vous pouvez laisser votre message sur le bureau de sa

secrétaire.Unmembredesoncabinetlerecevrademain.C’estclairementunefindenonrecevoir.Ilestévidentquemajeunessejoueenmadéfaveur.Les

officiels savent que je suis une étudiante et que je n’ai aucune raison de vouloir m’adresserdirectementàlaprésidente.J’insiste.

–Ildoityavoirunmoyendeluiremettrecemessageenmainpropre.J’aiparlédutonfermeetposéquemonpèreutilisequandilinformeM.Tabsquesachèvrese

régaledesjeunesplantsqu’ilaréussiàfairepousserenborduredesaferme.–Oui,biensûr,reconnaîtl’officielauxcheveuxgris.Avantqu’ilpuisseajouterquoiquecesoit,jereprends

laparole:–JesuisMalenciaVale,lastagiairequelaprésidenteaengagée.Ellem’ademandédeluifournir

desinformationssurunsujettrèsparticulier.J’aimeraisqu’ellesachequejesuismaintenantprêteàendiscuteravecelle.

–Laprésidenteneprendpasde…

L’officielauxcheveuxgrislèvelamainetinterromptsoncollègue.–Jevaislaprévenirdevotreprésence.J’espèrepourvousquec’estaussiimportantquevousle

prétendez.Sinonvousapprendrezàvosdépenscequecoûteuneerreurd’appréciationdecetordre.Est-ceunprixquevousêtesprêteàpayer?

Unprixàpayer.JeconnaisceluidudocteurBarnes.Est-celemêmequ’exigelaprésidente?Jene travaille pas ici depuis assez longtemps pour avoir découvert tous les secretsmais je sais queMichaln’accordaitpastoutesaconfianceàlaprésidenteCollindar.Cependant, jepenseàTomasetauxautresdontlavieestendanger.Oui,jesuisprêteàpayerleprixquelqu’ilsoitpourtenterdelessauver.

J’acquiesceetl’officieldisparaîtparunepetiteporte.–J’aitransmisvotremessage,m’annonce-t-ilenrevenant.vousdevezattendreici.Attendre,maisquoi?Laprésidente?D’autresofficielsquiontestimémademandeinappropriée

?Laseulechosedontjesuissûrec’estqu’effectivementmonmessageaétépassé.Dejeunesofficielsque j’ai aperçus dans les étages supérieurs lors de ma première visite, descendent l’escalier pargroupededeuxoutroisenmejetantdesregardsàladérobée.J’enentendsunmurmurerqu’ilespèrequejesaiscequejefais.

Jel’espèreaussi.Lemanègecontinue.Dansquelquesinstants,toutlebâtimentseraaucourantdemadémarche.C’estSymonquiavaitfaitnommerMichalàcepostedanslebutd’espionnerlesfaitsetgestesdelaprésidenteetdesonentourageproche.Iln’étaitcertainementpasleseulàquionademandédejouercerôle.

Je me concentre afin que mon visage ne trahisse pas mon angoisse. Après une éternité, unefemmeauxcheveuxnoirsentuniquedecérémonierougeapparaîtetmescrutedespiedsàlatête.Puiselletendunenoteàl’officielauxcheveuxgris.Illalitetmefaitsignedelesuivre.

–Parici.Nous pénétrons dans les quartiers privés de la présidente. Il ouvre une porte, s’efface et

m’annonce:–Vousdevezpatienterici.Ilsviendrontvouschercherquandilsserontprêts.Avant que j’aie le temps de demander qui est ce « ils », l’hommeme pousse dans une petite

antichambreetfermederrièremoi.Lapénombrequiyrègnemedonnel’impressiond’êtreprisonnièred’unnuagedepluie.Unegrandeporteàlapoignéeargentéeetpoliesedressedevantmoi.

Unsouvenirmerevient.Sixportesauxpoignéesargentées.Chacunemarquéed’unchiffre.Lasixièmeestlasortie.C’étaitlatroisièmepartieduTest.Iln’étaitpasseulementdestinéàévaluernoscompétencesmaisaussiàdéterminernotrecapacitéàjaugerlafiabilitédesmembresdenotreéquipe.

–MalenciaVale.

Unevoixfémininerésonnedansunpetithaut-parleurfixéaumur.–Vouspouvezentrer.Jeposelamainsurlapoignéeetjerespireprofondément.PendantleTest,j’aidûprendreune

décision :si j’avaisconfianceenmescamarades, j’entraisetpassais l’épreuve ;si,aucontraire, jepensaisquel’und’entreeuxavaitputrahirl’équipe,tournerlapoignéerisquaitlamort.J’aichoisidesortir.J’aisuplustardquej’avaisbienfait.

Aujourd’hui,jepousselaporte.Lapièceestvide.Lesmurssontpeintsd’unjaunesolaire.D’uncôté,unelonguetablenoire,del’autre,deschaises

àl’assisebleueautourd’unfeudecheminée.Faceàmoi,uneautreporte.J’ouvremonsac,j’éteinsletranscommunicateuretjevaism’asseoirsurunedeschaisesprèsdu

feu.Laportes’ouvresurlaprésidenteCollindar.Sahautetaille,sescheveuxnoirscoupéscourtetsavestecintréeluidonnentdelaprestance.Ellemesalued’unsignedetêteetseretournepourparleràquelqu’underrièreelle.

–Vousaveztouteslesinformationsdontvousaviezbesoin.J’espèrequevousserezprêt.–Vouspouvezmefaireconfiance,luirépondunevoixmasculine.L’hommeentredanslapièceàsontouretmoncœurs’arrête.Cheveuxgris,sourirechaleureux.

SymonDean.CeluiquiatuéMichalsousmesyeuxcematin.Un bruit métallique l’accompagne. Il porte une arme. Sans doute celle qu’il a utilisée pour

abattremonami.Nosregardssecroisent.Nousnenoussommesrencontrésquedeuxfois:pendantlaquatrièmeétapeduTest, ilm’aoffert de l’eauetde lanourriture.Maismes souvenirs sont censésavoirétéeffacés.S’ilserendcomptequejelereconnais,ilseméfieraaussitôt.

Lesangbatàmestempes.Unimmenseeffortm’estnécessairepourconserveruneexpressionneutre.Symonm’observelongtemps.Puisilsetourneverslaprésidente.

–Toutseraprêt,maisjepensetoujoursquevousdevezrepousserledébat.J’essaiedecachermasurprise.– Bien sûr, cela risque d’être considéré comme un aveu de faiblesse, poursuit Symon, mais

quelquesjourssupplémentairesaugmenteraientnoschancesderallierdesvotes.Àl’heureactuelle…Laprésidentelèvelamainetsecouelatête.–Certainsdemessoutienscommencentdéjààhésiter.Unnouveaudélairisquedelespousserà

m’abandonner.Àmoinsquevousnepuissiezmegarantirdetrouvercedontj’aibesoin…

–Voussavezquejenepeuxpasvousenassurer.–Ledébatauradonclieuaprèsdemain,commeprévu.D’unemanièreoud’uneautre,àlafinde

lasemaine,nousseronsvictorieux.

–Etilyauraalorsbeaucoupdenouvellesdécisionsàprendre,soupireSymon.Maisl’étincelledetriomphequis’allumebrièvementdanssonregardmefaitcomprendrequesa

propositionderemettreledébatn’avaitpaspourautrebutqued’éliminercetteidéedanslatêtedelaprésidente.Ilesttrèsintelligent.J’espèrequ’ellel’estplusquelui.

–Jevousretrouveenbasdèsquej’aifinidediscuteravecmastagiaire,reprendslaprésidente.L’avisd’uneétudiantenepeutquem’aideràaffinermesarguments.Çanedevraitpasêtrelong.

Symonmejetteunnouveauregardavantdesaluerlaprésidente.Ellevients’asseoirfaceàmoi.–J’aiditàSymonetauxautresmembresdemonéquipequec’estmoiqui t’avaisconvoquée.

J’ai pensé que c’était plus sûr pour toi.Avec les événements qui se préparent, certaines personnesrisquentdeteconsidérercommeunpeuplusqu’unesimplestagiaire.

–Jesais.Surprise, la présidente hausse un sourcil mais ne me pose pas de question. Elle me laisse

seulementcontinuer.Jemeredresse.Jedoisbienréfléchiràmafaçondeprésentermesinformations.Laformecompteautantquelefond.Jem’apprêteàpasserl’examenleplusimportantdemavie.Jedoisrestercalme.Tropdechosessontenjeu.Jenepeuxpaséchouer.

–JesaisquevotreéquipeestàlarecherchedepreuvestangiblesquelesméthodesdudocteurBarnesdépassent les limitesde l’acceptable.Sans cespreuves, vous êtespresque sûredeperdre levotequiapourbutdevousdébarrasserdudocteurBarnes.

LaprésidenteCollindars’appuiesurledossierdesachaise.Sescheveuxnoirsbrillentcontreletissubleu.Ellemescrute.

–Cequetuviensd’énoncerestjuste.Serais-tuvenuem’apporterunesolution?–Jel’espère.Maispeut-êtrepascellequevousimaginez.Jefaisunepauseavantdepoursuivre.–L’officieldeTosuquim’aescortéedepuismacoloniedesCinqLacsacommencéàtravailler

icipeudetempsavantledébutdemonstage.Ils’appelaitMichalGallen.Jevoisàsonexpressionqu’ellesaitdequijeparle.Jepoursuis.–Michalaététransféréàcepostegrâceàl’influencedeSymonDean,lechefdelarébellion.Ila

refuséquej’intègrelarébellioncarilmetrouvaittropjeune.SuiteauTest,j’aifaitetjefaisencorede terribles cauchemars. J’ignorais si ces rêves étaient des souvenirsmais ilsm’ont déterminée àaiderlesrebellesd’unemanièreoud’uneautre.Michalm’adoncconfiéunetâchesanseninformerSymon.Ilm’ademandédetrouverunepreuvequipermettraitdeconvaincrelachambredesdébatsdedémettreledocteurBarnes.Hier,j’aiapportécettepreuveàMichal.

Laprésidentesepencheversmoi.Avantqu’ellemedemandecequejenepeuxplusluidonner,jem’empressed’ajouter:–MichalaremiscettepreuveàSymon.Lesouriredelaprésidentes’effaceetsonregardseportebrièvementsurlaporteparlaquelle

Symonestsorti.–Michaln’ayantpas informéSymondemonimplication, ilnevoulaitpasquejevienneavec

lui.J’aiinsisté.J’étaiscachéequandMichalaremisàSymoncequejeluiavaisprocuré.Symonl’atuéetadétruitlespreuves.

LaprésidenteCollindarnecillepas.Moncœurbatdansmapoitrine. J’aidumalànepasmetrémousser surmachaise. J’ai enviede la supplierdemecroiremais jedois la laisserpesermespropos.Jugerdemesmotivations.Demonhonnêteté.

–TuaffirmesqueMichalestmort,peux-tuleprouver?medemande-t-ellefinalement.–Non.Enréalité,peut-êtrequesi.Raffeétaitavecmoi,ilpourraittémoignerdecequ’ilavu.Maisjene

veuxpasl’impliquer.Silaprésidentenemecroitpas,ellerapporteramesproposàSymon.Deplus,si j’évoque maintenant la présence de Raffe, elle se demandera pourquoi j’avais omis de la luisignaler et elle ne pourra s’empêcher de penser que je cache peut-être d’autres informations.Néanmoins,j’aiunargumentdepoids.

–Michalneseprésenterapasàsonpostelundi.Nilesjoursquisuivent.Jeserrelespoingsetj’essaiederetenirleslarmesquimepiquentlesyeux.–Sonabsencevousconfirmeraquejevousaiditvrai.Maisàcemoment-là,ilseratroptard.–Troptardpourquoi?Lavoixde laprésidenteestcalmemaissesmâchoiressontcrispées.Elles’interroge.Si jene

menspas,Michalaététuéparceluienquielleavaitplacétoutesaconfiance.–QuandvouspourrezconstaterlamortdeMichal,vousaurezdéjàprésentévotrepropositionà

lachambredesdébats.Laloiprévoitqu’unefoisprésentée,unepropositionnepeutplusêtreretirée.Ledébatetlevote

doiventavoirlieu.Lebutestquetouteidéesoumiseàlachambrenelesoitpasàlalégère.–VousaurezainsiinvolontairementdéclenchéunprocessusorchestréparSymonetledocteur

Barnes,quivousmèneraàl’échec.ilsveulentquevousperdiezlevoteafinquelesrebellesattaquent.LedocteurBarnesordonneraqu’ils soient écraséset il sera enmême tempsdébarrassédevousetd’eux.

–Etilseraconsidérécommeunhéros,murmurelaprésidente.Jen’yavaispassongé,maisellen’apastort.Lesrebellesontagiensecret.L’immensemajorité

descitoyensdeTosunesaitriendelacausequ’ilsdéfendent.TrèspeuontunlienfamilialavecuncandidatauTestcarleshabitantsdeTosun’ysontpassoumis.Enaucuncas,ilsnesoutiendrontuncombat dont ils ne comprennent pas les implications. Si le plan du docteur Barnes et de Symonréussit, les rebelles seront tués très rapidement et plus personne ne pourra parler en leur nom.LedocteurBarnesaurabeaujeud’affirmerqu’ilsvoulaientprendrelepouvoiretdétruireleseffortsderevitalisationdupays.Ilseraalorsconsidérécommeunsauveur.

Laprésidenteselèveetseplacedevantlacheminée.–SymonestenchevilleavecJedidiah,énonce-t-elle.Savoixesttoujoursaussicalme,malgrétout,jesenssatension.–Organiser une rébellion contre soi-même est très intelligent.Ça lui permet de contrôler en

mêmetempsceuxquilesoutiennentetceuxquis’opposentàlui.Jedidiahatoujoursétéunfinstratège.

–Vousmecroyez?Masurprisesediluedanslesoulagement.J’airéussiletest;j’aipassélamainàquelqu’unquia

lepouvoird’empêcheruneséried’événementstragiques.–Jetecrois.Laprésidentesetourneversmoi.–Tuasprislerisquedevenirmeparler.Avantmêmenotrepremièrerencontreàlachambredes

débats, j’avais entendu dire que tu étais différente de tes pairs. Le Test imaginé par Jedidiah nerécompensepasceuxquisontprêtsàsesacrifierpourlacommunauté.Iltendraitplutôtàleséliminer,sij’encroiscequel’onm’araconté.

–Danscecas,éliminerestunsynonymedetuer.–Ilestinhabituelqu’unepersonnecommetoisoitalléeaussiloin.Je repense au Test. Plus de vingt d’entre nous sont arrivés à l’évaluation finale. Le docteur

Barnesauraitpusedébarrasserdemoiàcemoment-là.Pourquoinel’a-t-ilpasfait?LaprésidenteCollindarserassoit.–Peut-êtrepeux-turépondreàquelquesunesdemesquestions.Combienderebellestravaillent

pourledocteurBarnes?EtRanettaest-elledemècheavecSymonouest-elleaussiignorantequejel’étaisjusqu’àmaintenant?

–Jel’ignore.Jen’aijamaisrencontréRanetta.Etjeleregrettecarmonfrèreesttouslesjoursauprèsd’elle.–SymonaordonnéàungroupederebellesdedisposerducorpsdeMichal.Aucunnesemblait

affectéparl’actedeleurchef.Pourtant,lamajoritéd’entreeuxsebatforcémentpourqueleTestsoitaboli.Michalneseseraitpasbattuàleurscôtéssicen’étaitpaslecas.

PasplusqueZeen.– Tu as raison.Malheureusement, on n’a aucunmoyen de savoir lesquels sont réellement de

notrecôté.TuasditqueMichalavaitétéplacéiciparSymon.Ilestpossiblequetoutemonéquipe,oudumoinsunegrandepartie,soitcomposéedesespartisans.

C’estvrai.Lesilenceemplit lapièce.Laprésidenteserreleslèvresmaisc’est leseulsignedetensionsursonvisage.Jecomprendspourquoielleaétéchoisiepouroccuperlaplacelaplushautedugouvernement.

–Symonvasedemandercequenousnous racontons, reprend-elle. Jedoisaller le retrouver.Resteici.J’enverraiquelqu’unt’apporterundossierafinqu’onneseposepastropdequestions.Jereviensauplusvite.

–Mais…Laprésidenteestdéjàdanslecouloir.Jel’entendsdemander:–OnvaapporterdutravailàMlleValeafinquesavenuen’aitpasétécomplètementinutile.La porte se ferme et jeme lève. Je suis incapable de rester immobile. Je fais les cent pas en

pensantàlaréactiondelaprésidente.Ellearapidementacceptémesdires,cequisignifiequ’elleavaitdéjà des doutes sur la loyauté de Symon. Pourtant, elle a continué de travailler avec lui. Michalm’avait expliqué que bien qu’elle occupe la plus haute fonction, elle a moins de pouvoir que ledocteurBarnes.Jecomprendsmaintenantàquelpointilavaitraison.Letitredechefnevautquesilesofficiels et les citoyens avec qui vous travaillez sont en accord avec vos idées.De très nombreuxofficielssontlesalliésdeBarnes,cequiobligelaprésidenteàcollaboreravecdesgensenquiellen’apastotalementconfiance.Maisc’estlaseulesolutionàsadispositionpourconserverl’unitédupays.

LaprésidenteCollindaraprissesfonctionsilyacinqans,aprèslamortduprésidentWendigquiavaitoccupélepostependanttrente-quatreannées.MonprofesseurauxCinqLacsestimaitqueleprésidentWendig était lemeilleur que notre pays ait jamais connu. Quand j’ai étudié les progrèsréaliséssur l’eau, lanourriture, l’énergieet lamiseenplacedescolonies, jesuis tombéed’accordaveclui.Àprésent, jesuisobligéedesupposerqu’ilsavaitpour leTestetqu’ilétaitd’accord.Combiendesavancéesquionteulieusoussonmandatn’ontétépossiblesqueparcequedesétudiantsontétéforcésde sacrifier leur vie ? Soutenait-il le programme de Barnes ? Et si c’est le cas, cela remet-il enquestioncequ’ilaaccompli?Cesquestionsmeperturbentterriblement.

Uncoupest frappéà laporte.Une jeuneofficielleauxcheveux rouxentre,un tasdedossiersdanslesbras.Uneautreofficiellelasuit,toutaussichargée.Ellesdéposentleurspapierssurlatable.

– La présidente demande que vous classiez les rapports sur les diplômés de l’université enfonctiondeleurscolonies d’origine, lance la première alors que la deuxième quitte pièce. Ensuite vous devez lesrangerparordrealphabétique.

Àsonsouriredesympathie,jedevinequ’ellepensequej’aiétépuniepournepasavoirapportéd’informationssuffisammentimportantesàlaprésidente.

–Onvatoustravaillertrèstard,cesoir,ajoute-t-elleàmi-voixensedirigeantverslaporte.Situesencorelàaprèsledépartdelaprésidente,onviendrat’aider.

Lamanœuvredelaprésidentepourquetoutlemondelacroiefâchéeaprèsmoiestuneréussite.Je me mets au travail. Je sais que je n’y suis pas obligée mais ça m’évite de penser et de

m’inquiéter. Je commenceà répartir lesdossiers sur la table.Tosuétant laplusgrandecoloniedupays,iln’estpasétonnantquelaplupartdesdiplômésensoientoriginaires.Àmesurequej’avance,jemerendscomptequ’aufildesannées,leurproportionaugmente.Sansdouteparcequ’audébut,lareconstructiondelacapitalenécessitaitplusdebras.

Shawneeestladeuxièmecolonieavecleplusdediplômés,suivied’Omaha,AmarilloetAmes.L’espaceque j’ai réservé àmacolonie reste longtempsvide.LepremierdiplômédesCinqLacs aobtenusontitreilyadix-huitans.Septansaprèslacréationdelacolonie.Ils’appelleDreuOwens.

LefilsdelamagistrateOwens?Monpèrem’aditunjourqu’elleavaiteuunenfant.J’avaissupposéqu’ilétaitmort.Enréalité,il

aétésélectionnépourleTestetyasurvécu.D’aprèssondossier,ilétudiaitlabiologieetafaitsonstageauseind’uneéquipederecherchesurlaréversibilitédeseffetsdelamutationsurlesplantesetlesanimaux.Jemedemandequelemploiilaobtenuensuite,ets’ilvittoujoursàTosu.

Mapilediminue.J’attaquelesderniersdossiersquandlaprésidenteentre,unechemisedecartongrisàlamain.Soninquiétudesourdealaisséplaceàuneassurancedéterminée.

– Je ne peux pas annuler le vote à la chambre, déclare-t-elle en se plaçant face à moi. Çaéveillerait les soupçons de Jedidiah et Symon. En revanche, demain matin, j’annoncerai qu’unmembre de mon équipe a disparu. Personne ne sera surpris d’un report du vote pendant lesrecherches. Symon lui-même applaudira des deux mains mais il devra affronter des dissensionsparmilesrebellesetillespousseraprobablementàplanifieruneattaque.Jelesconvaincraid’attendrequ’onaitretrouvéMichal.Avecunpeudechance,jepeuxgagnerunesemaine.J’espèrequeceserasuffisant.

–Pourquoi?–Jepensaisquec’étaitévident.NousallonspoursuivreleprojetdesrebellesetabolirleTest.Jerestesansvoixunmoment.Puisjefroncelessourcils.–Lesrebellesvoulaientdéclencheruneguerre.– Ça n’a jamais été leur intention, me corrige la présidente. Le plan des rebelles est de

coordonner l’éliminationdeciblesspécifiques.Nesontvisésqueceuxquisontderéellesmenaces.Biensûr,quandonutiliselaviolence,ilyatoujoursunrisquededébordement,maislesinitiateursdeceplanveulentlimiterlesperteshumainesaumaximum.

Cibles,élimination,débordement,perteshumaines.Quedejolismotspourdécrireunprobablebaindesang.

La présidente ouvre le dossier qu’elle a apporté et en sort une feuille qu’elleme tend.Onzenomsy sont inscrits.Le docteur JedidiahBarnes est en haut de la liste. Je retrouveVernaHolt, leprofesseurDouglasLeeetuncertainRychard Jeffries. Je suispresque sûrequ’il s’agitdupèredeRaffe.Monpoulss’accélère,mespaumessontmoites.

Laprésidentenesemblepasremarquermonmalaise.

–L’administrationduTestetde l’universitéestdirigéeparungroupeconstituépar ledocteurBarnes. Ils sont tous membres de l’université et détiennent des positions clés au sein dugouvernement. Ilyaégalementdeschercheursdont lesdécouvertesontétéutiliséespar ledocteurBarnes pour rendre le Test encore plus cruel. Tous les gens de cette liste ont assez d’influence etd’autoritépourpoursuivrel’œuvredeJedidiahmêmes’ilestexcludel’équation.Symonm’aaidéeàrédigercedocumentetiln’estdoncpeut-êtrepastoutàfaitfiable.Jecroiscependantqueleplanesttoujoursvalide.

–VousallezassassinerBarnesetsesadministrateurs?–Non.Jepousseunsoupirdesoulagement.Laprésidentetendlebraspourmereprendrelepapieret

lâche:–C’esttoiquivaslefaire.

Chapitre3

Sesmotsm’atteignentcommeuncoupdepoingenpleinepoitrineetmecoupentlarespiration.Lefeucrépitedanslacheminée.Quelquepart,uneporteclaque.LaprésidenteCollindarnemequittepasdesyeux.

–Vous…vousn’êtespassérieuse?Mavoixn’estqu’unmurmureàpeineaudible.–Je…jenepeuxpas…–Si,tupeux.Sontonestcatégorique.–BienqueleprocessusduTestsoitsecret,j’enaientenduassezpoursavoircequ’endurentles

candidats.Jesaisqu’ilsdoiventêtreintelligents,vifs,capablesdetoutpoursurvivre.Soudain,jenesuisplusdanscettepièce.JesuisdansunezonenonrevitaliséeetTomaschuchote

monprénom.Danslapénombre,jedistinguelesflotsdesangquis’écoulentdesonabdomen.Willestdevantmoi,lesyeuxplissés,lerevolvermaintenantpointédansmadirection.Ilappuiesurladétente.Maisjetireavantlui.Sansmêmem’enrendrecompte.Jeletouche,ilvacillemaisiln’estqueblessé.Ilcourt.J’aienviedevomirmaisjetireencore.

Oui.Sijesuisattaquée,jesuisprêteàtoutpoursurvivre.Mais,là,c’est…–Jenepeuxpas.Mesjambestremblentmaismavoixestferme.Laprésidentetraverselapièced’unpasmesuréets’assoitsurunedeschaisesprèsdufeu.–Jevaisrepousserlevotemaisçaneferaqueretarderl’inévitable.Situasraisonàproposde

SymonetdeBarnes,combiendetempspenses-tuqu’illeurfaudrapourinciterlesrebellesàlancerl’assaut?Etquesepassera-t-ilalors?TucroisqueSymonlaisseraunseuldesrebellesenvie?Etqu’arrivera-t-ilàcepaysquandilsm’aurontéliminée?Quicrois-tuquelachambrevanommeràmaplace?

LedocteurBarnes,biensûr.Etsicen’estpaslui,ceseraundesesfidèles.LeTestneprendrajamaisfin.

–Cia,j’auraispréférénepast’impliquermaisparfoisunleaderdoits’enremettreauxsolutionslesplusévidentes.Monéquipeaétéinfiltrée.Jenepeuxmefieràpersonnedanscebâtiment.

–Lesofficielsdesécurité…

–…Remettentsansdoutedesrapportsréguliersàaumoinsundesnomsfigurantsurlaliste.LedocteurBarness’estforcémentassurédusoutiendenoshommesarmés.

Ellecontemplelefeucommesiellecherchaitdesréponsesdanslesflammes.–Jepourraisagirmoi-mêmemaischacundemesdéplacementsetdemesactesestexaminéàla

loupe.Toi,Malencia,tueslaseuleenquijepeuxavoirconfiance.C’estpourquoijesuisobligéedetedemander de te battre pour ce en quoi tu crois. Les rebelles sont chauffés à blanc. Ils exigent duchangement.J’aidiscutéaveccertainsd’entreeux.

Unnuagepassesurlevisagedelaprésidente,maisellesereprendtrèsvite.– J’ai appris que des citoyens de la banlieue de Tosu ont été armés par la faction rebelle de

Ranetta.J’avaispourtantinsistépourqueçan’arrivepas.Symonm’ajuréquecesallégationsétaientfausses et quemes ordres avaient été suivis,mais à présent, tous ses propos sont sujets à caution.Nous sommes obligés de supposer que des civils sont prêts à se battre. S’ils investissent les ruespendantquelesrebellesattaquentlachambredesdébats,nousseronsensituationdeguerrecivile.

La présidente a raison de craindre qu’une telle situation se produise. Michal lui-même m’ainforméequedesarmesétaientdistribuéesdanslapopulation.Onnepeutques’attendreaupireavectantdepistoletsetdefusilsencirculationdansuneambiancedepeuretdeviolence.Cependant…

–TuerBarnesetsesadministrateursvousdonneralecontrôlesurleTestmaisn’empêcherapaslescitoyensdepaniquerenapprenantlamortd’unsigrandnombred’officiels.Ilexisteforcémentunautremoyen.

Dansunproblèmedegéométrie, ilya toujoursplusd’une logiqueà suivrepourarriverà labonnesolution.

–Plusjediscuteavectoi,mieuxjecomprendspourquoiledocteurBarnest’achoisie.Lecomplimentdelaprésidentemedonneunfrisson.Passeulementdeplaisir.–Tuasraison,reprend-elle.Lamortdeplusieursofficielsseraunecaused’inquiétude,ellesera

cependantplusfacileàgérerqu’unerévolte.NousdéploieronsdesofficielsdesécuritédansTosuetses environs.Une semaine après, j’annoncerai que le responsable a été tué lorsde son arrestation.Tout reviendra peu à peu à la normale.Les gens estimeront que la crise est terminée parce qu’ilsveulentsecroireensécurité.

J’essaied’imaginercequejeressentiraisentantquecitoyenaprèsl’annoncequelamenacen’estplusàcraindre.Penserais-jeréellementqueledangerestpassé?

Oui.Parceque,commelaprésidentelesouligne,c’estcequej’auraisenviedecroire.Ceplanpeutfonctionner.

–Lemeurtreestunconceptindéfendable.Le calme et l’assurance de mon ton me surprennent moi-même. Dans ma tête, je m’entends

hurler.– À quoi ressemblerait le monde si le chancelier Friedrich avait été tué avant d’ordonner

l’assassinatduPremierministreChae?LePremierministreChaemilitaitpourlapaix.Samortafaitvolerl’Allianceasiatiqueenéclats

etamenéàlaPremièreÉpoquedelaguerre.–Unleaderdoitsouventserésoudreàcommettredesactesquiluidéplaisentpourlebiendes

citoyens qu’il sert. J’aimerais ne pas avoir à te demander de procéder à l’élimination physique deceux qui dirigent le Test. Je n’énonce pas cette requête le cœur léger, sache-le. Mais tu es notremeilleurechanced’éviterunmassacre.

Laprésidenteselève.Ellemeprendledossierquejetiensàlamain,l’ouvreàlapremièrepageetnotequelquesmots.Magorgeseserre.JesouhaiteraisplusquetoutaumondeêtrederetourauxCinqLacs.JevoudraisnejamaisêtrevenueàTosu,nejamaisavoirapprisenquoiconsisteleTest.Êtretoujoursnaïveetinsouciante.Alors,laprésidentenemedemanderaitpasdetrahirtoutceenquoije crois afinde régler une situationdevant laquelle elle est impuissante.Cen’est pasmon rôle. Jedevaismecontenterdel’alerterpourprotégermonfrère,Tomasetmesamis.

–Sijepensaisavoirunechancedesuccèssanstoi,jenet’auraispassollicitée.Néanmoins,siturefuses,jedemanderaiàmonéquipedesechargerdecettetâche.

Ellemerendledossier.–Detouttemps,leschefsd’Étatonteurecoursàdesméthodesradicalesdanslebutd’éviterdes

catastrophes. Lors de la création de laCommunauté unifiée, nos leaders ont prêté serment de toutfairepourpréserverlapaixetpoursuivrel’œuvrederevitalisation.Cetobjectifestsurlepointd’êtremis à mal et je te demande, Malencia Vale, de m’aider à faire respecter l’engagement de nosfondateurs.

Sondiscoursmetouche.Depuisquejesuispetite,jerêvedemarcherdanslespasdemonpère.D’êtresélectionnéepourleTest.D’alleràl’université.Deservirmonpays.Pourtant,jen’avaispasimaginé...

Laprésidentemeposelamainsurl’épaule.–Neme donne pas ta réponse tout de suite. Je comprends la difficulté de ton choix. Je peux

convaincrelesrebellesdenepasagirduranttouteunesemaine.Deuxpeut-être.Sipeudetemps.–Dans cedossier, tu trouveras une liste denoms ainsi quedes informations sur chacunedes

cibles.Jet’ainotéuncoded’accèsquitepermettrad’entrerdansunbureauducinquièmeétage.Tuytrouverascedonttuaurasbesoin.

Ellereculesansmequitterdesyeux.–Rienneserafacile.Turisquestavie,Malencia,ettuaspeudechancedesuccès.Siàlafinde

lasemaine,tuasdécidéderefuser,jeveuxquetum’eninformes.Uneseuleminusculesemainepourprendreunetelledécision.–Quelquesoittonchoix,tudoisêtreextrêmementprudente.Certainsétudiantsfontpartiedes

rebelles,ilspourraienttemettreendangersanss’enrendrecompte.Ellevajusqu’àlaporteetposelamainsurlapoignée.–Nefaisconfianceàpersonne,Cia.Ilnes’agitpasseulementdetavie.Tutiensentrelesmains

l’avenirdenombredecitoyensdecetteCommunauté.Ellesortetlanced’unevoixforte:–Jepensequenotrestagiairearetenulaleçon.Sionmedemande,jeseraidansmonbureau.La porte est restée ouverte. Ses pas s’éloignent. Je dois partir mais je suis sous le choc.

Submergéeparlamissionquel’onvientdemedemanderd’exécuter.J’essaiedemepersuaderquerien de tout ça n’est vrai, que ce n’est qu’un mauvais rêve, mais le dossier est entre mes mainsglacées. Je l’ouvre. J’y découvre le code d’accès dont la présidente m’a parlé et la liste. Onzepersonnes.Non.Ilyenadouzeàprésent.LaprésidenteaajoutéceluideSymonDeanetlaphrase:Jecomptesurtoi.

Jefermelachemiseetlarangedansmonsac.Jerefaisunepileaveclespapiersquej’aiétaléssur la table.Après une hésitation, je récupère trois pages qui contiennent des informations sur lesCinqLacs.Pourquoi?Jenesaispas.Peut-êtreseulementparcequejenesupportepasl’idéequecesrenseignementsarrivententrelesmainsdequelqu’unquiaàpeineentenduparlerdemacolonie.Àmoinsquej’aiebesoindemerappelerd’oùjeviens.Mesparentsm’ontéduquéedanslaconfiance.Ilsm’ontapprisàcroireenl’avenir,àmefieràmesvoisins,àcomptersurlaCommunauté.Ilsm’ontaussienseignéque l’ondoit réparercequiaétécassé.Réparer.Jemedemandecequ’ilsdiraient s’ils apprenaient que pour réparer ce pays pour lequel ils ont tant travaillé, je doisdélibérémentprendredesvies.

Lemondetourbillonneautourdemoi.J’ailanausée,lagorgesèche.Ensortant,jetrébuchesurunplidutapis.J’aiunesemainepourdécidersij’acceptequeleTestcontinueoupourcommettreunactequim’emplitdedégoût.Ilfaudraitquejetuepourqued’autresn’aientplusàlefaire.JenesuispasWill, ni Roman ou Damone. Je ne peux pas tuer pour mon seul intérêt. Mais pour épargnerd’autresvies?

Jenesaispas.Pourtant,jemeretrouveàmonteraucinquième.Jem’arrêtedevantuneporteavecunclaviersur

lecôté.Unepetitedioderougeestallumée.Jem’assurequejesuisseuleetjetapelecoded’accès.Levoyantpasseauvert.J’attendsquelaporteserefermeavantd’allumerlalumière.

Devant moi, des pistolets, des gros et des petits. Des centaines de boîtes de munitions. Descouteauxde toutes les tailles.Desexplosifscommeceuxquemonpèreetsonéquipeutilisentpourenleverlestropgrossesrochesdanscertaineszones.

Il y a également des transmetteurs à ondes courtes, des radios de poche, des pucesGPS, desenregistreurs.

Cettepièceressembleàlaréservedanslaquellem’aemmenéeMichalavantlaphasequatreduTest.J’avaisalorsconsidérélesarmescommedesoutilspourm’aideràsurvivre.Aujourd’hui,jelesvoissansdoutecommelaplupartdesautrescandidats:desmoyensdeprendredesvies.

Jeglissequatredespluspetitesradiosdansmonsac.J’ajoutedesenregistreurs,despucesetunpetit moniteur. J’hésite à prendre un des plus grands couteaux, mais leurs lames crantées merappellenttropceluiqueTomasavaitdurantleTest.CeluiaveclequelilatuéZandri.

De toute façon, je n’ai pas besoin d’armes. Je n’ai pas encore accepté la demande de laprésidente.Jen’accepteraipas.J’éteinslalumièreetj’écoutelesbruitsàl’extérieur.Silence.Jesors,j’attendsqueladioderougeserallumeetjemedirigeversl’escalier.

Une des officielles qui m’a apporté les dossiers à classer me repère alors que j’arrive autroisième.Ellemedemandesi j’aibesoind’aide.Jeluirépondsquej’ai terminéetquejerentreaucampus.Jem’éloigneenespérantqu’ellen’estpasuneespionneàlasoldedeSymon.

Au rez-de-chaussée, je croise d’autres officiels. Je traverse le hall les yeux fixés sur meschaussures.L’airfraismefaitdubien.Jereprendsmonvéloenessayantdenepaspenseràlarequêtede la présidente,mais c’est impossible.Le docteurBarnes.La professeureHolt. Le père deRaffe.Tous sont responsables de façon directe ou indirecte de la mort de candidats durant le Test. Ilsméritentd’êtrepunis,maisdoit-onleurinfligerlesortqu’ilsréserventauxautres?Etmêmesic’étaitlecas,serais-jecapabledelestuerdemamain?

LesouvenirdusangdeDamonesurmespaumesetmesdoigtsmeretournel’estomac.Sij’agiscommeme le demande la présidente, il n’aura été quema première victime. Une parmi d’autres.J’essaiedecontrôlermanauséemais elle est trop forte. Je lâchemonvéloet je coursderrièreunbuissonpourvomir.Jem’essuielaboucheetessaiedemeredressermaismonestomacsecontractede nouveau. J’ai les jambes en coton. La sueur emperlemon front. Les visages de tous lesmortsdéfilentdansmatête.Jememetsàtrembler.LeregardvidedeRyme,lecorpsensanglantédeRoman,levisagecrayeuxdeMichal.

Peu à peu,mes tremblements se calment. Je retourne versmon vélo. Je n’ai plus la force depédaler,jepréfèrelepousser.Jeprendsunebouteilledansmonsacetjeboisàlonguegoulée.L’eaumedébarrassedusalegoûtquiemplissaitmabouche.Siellepouvaitmedébarrasseraussidetoutlereste. J’avance sans regarder où je vais. J’arrive à une petite fontaine dans un square entouré dequelquesboutiques.Jereposemonvélopourm’asseoirsurleborddelafontaine.

Ilnefaitpastrèschaudmaisdesenfantsprofitentdesderniersrayonsdusoleilpourjoueràchatunpeuplusloin.Descouplessontassissurlesbancsquientourentleparc.Toutestpaisible.Personneicineressentlestensionsquirisquentd’anéantircemondeneufetpleind’avenir.

Je sors le transcommunicateur de mon sac et appuie trois fois sur l’interrupteur. Les yeuxfermés,j’attendsqueZeenrépondemaisjen’obtiensquelesilence.Jen’aiaucuneidéedecequejedoisfaire.Jesuisalléevoirlaprésidenteenpersonneparcequejevoulaissauverlaviedemonfrère.

La sienne et celle de beaucoup d’autres. Je voulais éviter la destruction qu’engendrera la fausserévolteorchestréeparBarnesetSymon.JepensaisquelaprésidenteCollindarprendraitlerelais.Aulieudeça,elleattend toutdemoiet jenesuispassûred’êtrecapabledesuivre lavoiequ’ellememontre.

Je rouvre les paupières et admire l’eau claire et pure de la fontaine.Elle n’est pas seulementdécorative.Lesgensdecequartierviennentyremplirleursbouteilles.LesrescapésdesSeptÉpoquesdelaguerren’avaientplusmoyend’assouvirunbesoinsimpleetessentielcommelasoif.Ilsontdûêtreterrifiésquandlacoalitionsud-américaineaattaquéaprèsl’abandondela politique isolationniste du président Dalton. Partout dans le monde, des villes entières ont étédétruites.Desmillionsdegenssontmorts.Lesdirigeantsdetouslespaysontdécidéd’abaisserleurniveaud’armementcarl’étapesuivanteétaitladestructiondelaplanète.LaQuatrièmeÉpoquedelaguerreaprisfinetdestraitésontétésignés.

Unespoiradûnaître,alors.Lesgensontpeut-êtrepenséquelepireétaitpassé.Maislaterre,dévastéepar l’emploid’armeschimiquesetbiologiques,n’avaitpassignéde traité.Ontcommencélestremblementsdeterre,lespluiesacides,lesinondations,lestornades,lesouragans.ÀlafindelaSeptièmeÉpoque,lepaysageetleclimats’étaienttotalementmodifiés.

Ilestmêmeincroyablequedeshumainsaientsurvécu.Combienontdûêtretentésd’enfiniraumilieudecetinimaginablechaos?Iln’yavaitplusrienàmanger,l’eaunoncontaminéeétaitpresqueintrouvable.Pourtant,lesrescapésn’ontpasabandonné.Ilsontsauvécequipouvaitl’êtreetsesontlancés à la recherche d’autres humains qui, comme eux, avaient réchappé de l’horreur. Ils se sontretrouvésici,àTosu,etontpeuàpeurevitalisélaville.Briqueaprèsbrique,arbreaprèsarbre,ilsontcommencéàrestaurercequeleursdirigeantsavaientdétruit.

De terribleschoixontdûêtre faits.Ceuxqui refusaient lacréationd’ungouvernementcentralontcausédestroubles.Ilsrejetaientl’idéedebiencommunetnepensaientqu’àleurspetitsintérêt,nevoulaientpaspartagerlanourriture,provoquaientdesbagarresàlachambredesdébats.LesofficielsdeTosuontfiniparlesencourageràquitterlacité.Cequ’ilsontfait.

Quand j’étudiais cette partie denotrehistoire auxCinq lacs, les professeurs nous apprenaientquelesdissidentsavaientdisparu.J’avaissupposéqu’ilsétaientpartisvivreailleurs.Aujourd’hui,jemeposelaquestion.Ceuxquidésiraientcréerunnouveaugouvernementsesont-ilscontentésdelesexclurealorsqu’ilsreprésentaientunemenace?Ilyavaitpeuàmangeretlesgenssebattaientpourdesmiettes.Despanneauxsolairesétaientvolésoudétruits.Unemiliceaétémiseenplace.

Cettepériodeadûêtreterrible.Aujourd’hui,ilsembleinconcevablequecertainsaientpucroirepossible de survivre sans l’aide d’une communauté, sans la mise en place de lois et sans lamutualisationdessavoirsetdescompétences.Legouvernementaétécrééetareprislecontrôle,auprixpeut-êtred’uncertainnombredevies.

Ont-ilseutort?Cettefontaine,cesenfantsseraient-ilslàsilesdissidentsavaientcontinuédetoutdétruireaufur

etàmesure?Uneruepavéejustifie-t-ellelesang?Jenesaispas.Futun temps, j’auraisdonnéune réponse catégorique à cettequestion. Jevoyais lemondeen

noiretblanc.D’unecertainefaçon,j’aimeraisquecesoittoujourslecas.J’aiditàlaprésidentequejenepouvaispastuerlesofficielsdontlenomfiguresurlaliste.Pourtant,quandjeregardeautourdemoi,jemedemandesicen’estpaslaseulechoseàfairepoursauvegardercequiaétébâti.CommeàlafindesSeptÉpoquesdelaguerre,lapaixnepeutêtreaccompagnéequedesacrifices.

Lamontreaccrochéeàlabandoulièredemonsacm’annoncequelesoleilnevapastarderàsecoucher.Jedevraisreprendremonvéloetretourneraucampus.Pourtant,jesorsledossiergrisetjel’ouvre.J’ytrouveunefichesurchacunedesonzeciblesavecsonlieuderésidence,desinformationssursafamilleetlerôlequ’elleajouédanslamiseenplaceduTest.

JenesuispasoriginairedeTosuetl’adressedudocteurBarnesnemeditpasgrand-chose.Maisjeme rappelleavoir entendud’autresétudiantsmentionnerqu’ilvivaitnon loinde l’université.Endécouvrantlenomdesonépouse,jemeremémorelafemmequej’airencontréel’étédernieraprèsleTest. Ils ont deux enfants de seize et douze ans. L’aîné va bientôt postuler à l’université. Il seraforcémentsélectionné.Prendra-t-illarelèvedesonpère?DepuisplusdequinzeansqueledocteurBarnesestchargédel’organisationduTest,millecenttrente-deuxjeunesgensontétéretenuscommecandidats.Centvingt-huitsontentrésàl’université.Touslesautressontmorts.Parsafaute.

Le soir tombe mais je ne peux m’arrêter de lire. J’essaie de mémoriser un maximumd’informations.LaprofesseureHoltamisenplacelesépreuvesduTestquiobligentlesétudiantsàprendre des décisions vitales tout en subissant une forte pression émotionnelle. Le professeurMarkum, responsable du département demédecine, a créé la nouvelle version du sérum destiné àeffacer la mémoire des candidats et travaille sur un implant neurologique permettant d’aider lesofficielsàmieuxmesurerlamanièredontilsgèrentlestressdurantleTest.LaprofesseureChenaparticipéàlamiseenplacedusystèmedenotationdelapremièrepartieduTestetdéfendl’idéed’unesélection de départ plus large afin que les jeunes les plus intelligents ne passent pas à travers lesmaillesdufilet.

Autant d’hommes et de femmes de pouvoir qui travaillent en chœur pour rendre leTest plusinvasif,plusdifficile,plusmeurtrier.

Une colère sourdem’envahit.Des parents leur ont fièrement confié leurs enfants.Ces jeunesgensvenaientpleind’espoiraveclavolontédeparticiperàunemissionmagnifique:améliorerlaviedeleurprochain.Barnesetlesautresn’ontpasseulementtrahileurconfiancemaisaussicelledetoutunpays.

Des larmes troublent ma vision et j’ai de plus en plus de mal à lire. Rage, chagrin, peur,

désespoir.ToutescesémotionsérodentmadécisionderefuserlarequêtedelaprésidenteCollindaretdem’enteniràcequemesparentsm’ontappris.Àlafindemasecondelecture,jeremetslespapiersdans la chemise, remplis ma bouteille à la fontaine et remonte sur mon vélo. Je me sers dutranscommunicateurpourretourneraucampusparlamêmeroutequej’aiutiliséeàl’aller.Cen’estpasletrajetleplusdirectmaisj’aidécidédecacherledossier.Jenepeuxpasprendrelerisquequ’onletrouvesurmoi.

Jepassedansunquartieràlachausséeetauxtrottoirscraquelés.L’herbeyestaussiplussècheetlestoitsdesmaisonsmenacentdes’effondrer.Desplanchesremplacentlesfenêtresetlesportes.Lesmatériaux ont fait défaut. Il manque des marches aux escaliers. Seuls quelques coups de pinceaudécorentlesfaçades,lescourssontenterrebattue.Sanslesarbresvigoureuxquibordentlarue,jepourraiscroirequelazonen’apasencoreétérevitaliséeetquepersonnen’yvit.Pourtant,unepoupéedechiffonoubliéesurunperronetunepelleposéecontreunmurindiquentlecontraire.

Depuis que je suis arrivée à Tosu, j’ai réalisé que, malgré les bonnes intentions dugouvernement,ilestpratiquementimpossiblequetouslescitoyensbénéficientdumêmetraitement:lesquartiersoùviventlesofficielslesplusinfluentssontmieuxentretenusquelesautres.Jen’avaispourtantpasencorevudequartieraussipauvrequecelui-ci.Jem’interrogesurlesraisonsdecetétatdefait,maisenmêmetemps,jem’enfélicite.Çasignifiequepeud’officielsviennentparici.C’estdoncl’endroitidéalpourcachermondossier.

Danslesderniersrayonsdusoleil,j’examinelesmaisonsabandonnéesdechaquecôtédelarue.Onlesreconnaîtàleurdélabrementavancéetauxgraffitisquilesrecouvrent.Unepetitebâtisseauxfenêtres couvertes deplanches et au toit affaissé attiremon attention. Il est possible que lamaisond’enfacesoithabitéemaiscelle-cin’abritemanifestementquedesrongeurs.

Enprenantgardeànepaslaisserd’empreintesdepasdanslaterre,jevaisàlaporte.Elletientàpeinesur sesgonds.Au-dessusdemoi,unnidestaccrochéàunepoutre.Aprèsavoirappuyémonvélocontre lemurà l’arrière, j’entre enpoussantprudemment lebattant. Je tends l’oreille.Pasunbruit.Danslapetitecuisine,lesplacardsn’ontplusdeportes.Lesrestesd’unetableformentuntasparterre.Lesolestcouvertdefeuillesmortesetdebrindilles.J’exploretouteslespiècespourm’assurerquepersonnen’aéludomiciledanscetteruine.

Le salon est poussiéreux, le canapé déchiré laisse apparaître les ressorts et lamousse de sesentrailles.Deuxchambres,unesalledebains.

Jem’agenouilledevant leplacardd’unedeschambreset j’utilisemoncouteaudepochepoursouleverune lamedeparquet. Jeglissemondossierentre lessoliveset je remets la lameenplaceavant de refermer la porte du placard et de poser les vêtements deDamone couverts de sang par-dessus.

Jenegardeavecmoiquelalistedenoms.

J’enregistre les coordonnées du lieu sur le transcommunicateur et je remonte surmon vélo.Arrivéeauboutdelarue,jemeretourneunedernièrefois.Sijereviens,ceseraparcequej’aidécidéd’accepterlamissiondelaprésidente.

Maisjen’accomplirairienseule.Ceseraitimpossible.Monpèrem’arecommandédenefaireconfianceàpersonne.J’aibrisécettepromesseàplusieursreprises,souventàmondétriment.Jevaispeut-êtredevoirrecommencer.

Chapitre4

Lanuitesttombée.Jefranchisl’archequimarquel’entréeducampus.Leslampadairessolaireséclairentlesalléesetlesbâtimentsquilesbordent.Ilyamoinsd’étudiantsqued’habitude.Laplupartpassent leur soirée du samedi dans leur chambre à se détendre ou à rattraper le sommeil qui leurmanque,mais ilssontnormalementquandmêmeplusnombreuxàse rendreà labibliothèqueouàdiscutersurlesbancs.Ilrègneuneambianceétrange.

Jesorsduhangaràvélosquandunevoixm’appelle.–Cia?Je me retourne et essaie de distinguer les contours d’une silhouette dans la pénombre. Une

ombresedétachedusaulepleureuretavancedanslafaibleclartédelalune.Enzo.Detouslesétudiants,ilest,jecrois,celuiquejecomprendslemieux.Ilestdifférentdes

autres. Bien qu’il soit originaire de Tosu, sa famille n’a aucun lien avec les membres dugouvernement. Il n’a pu compter que sur lui-même pour entrer à l’université. Il a travaillé. Dur.Comme moi, son désir le plus profond est d’apporter ses compétences à l’amélioration de lacommunauté.

Jetraverselapelousepourlerejoindre.S’ilm’attenddehors,c’estquec’estimportant.Ilvérifiequenoussommesseulsavantdeprendrelaparole.–LaprofesseureHolttecherche,m’annonce-t-il.–Tusaispourquoi?Veut-ellesavoircequim’aamenéeenvilleaujourd’hui?A-t-elledessoupçonssurcequem’a

demandélaprésidente?A-t-elleapprisoùj’étaislanuitdernière?–Ellea interrogé tout lemondeà la résidencepour recueillirdes informationsconcernant la

disparitiondeDamone.–Ilestpeut-êtrepartirendrevisiteàsafamille.J’espèrequ’Enzoneperçoit pas le léger tremblementdansmavoix. Il arrive souvent que les

étudiantsoriginairesdeTosuretournentdansleurfamillependantleurtempslibre.C’estloind’êtreencouragéparl’administrationmaiscen’estpasinterdit.Encoreunedesdifférencesmajeuresaveclesétudiantsdescolonies.MêmeEnzovaparfoisvoirsesparentsenbanlieue.

–Je luiaiditque je l’avaisvucematindemafenêtre,murmureEnzo.Qu’ilavaitunsacsurl’épauleetqu’ilavaitprissonvélodanslehangar.LaprofesseureHoltvérifieauprèsdesafamille.

Enzoregardeverslepontpuissetournedenouveauversmoi.–Jen’arrivaispasàdormirlanuitdernière.Moncœurcognebrutalementdansmapoitrine.–Lafenêtredemachambredonnesur l’arrièrede larésidence,poursuitEnzo.C’estvraique

j’aivuDamone.Tuétaisaveclui.–Je…Jequoi?Jen’étaispas là, tu te trompes?Si j’yétaisetsiEnzon’enétaitpassûràcentpour

cent,nousneserionspasentraind’avoircetteconversation.–Qu’est-cequetuasvu?Lapaniquepercedansmavoix.SiEnzom’adénoncéeàlaprofesseureHolt,deuxpossibilités

s’offrent à moi : fuir ou être redirigée. Peut-être qu’il ne m’a attendue que pour me donner unechancedepartir.

–TutebattaisavecDamone.J’aivouluvenirt’aidermais tu n’as pas eu besoin de moi. Damone est mort et c’est tant pis pour lui. Il n’aurait pas dût’attaquer.Cesont des gens comme lui qui ont décidé mon père à se ranger du côté de ceux qui exigent duchangement.Mesfrèresetlui…

Ils’interrompt.–Écoute, jenevoulaispas tefairepeurmaissi je t’aivue, jenesuispeut-êtrepas leseul.La

professeureHoltinterrogetouslesétudiantsdelarésidence.Ilfallaitquetulesaches.– Pourquoi… pourquoi essaies-tu de m’aider ? Si tu me dénonçais, Holt te récompenserait

probablement.–JenesuispasDamone!répliquesèchementEnzo.Sonobjectif,commeceluideGriffin,est

d’accéderaupouvoir.Monbutàmoiestdefaireavancerleprogrès.J’aipromisàmonpèrequejem’yemploierai.Ilcomptesurmoi.TevendreàlaprofesseureHoltnelesaiderapasetnelesrendrapasfiersdemoi.Ilssebattentcontredesgenscommeelle.Moiaussi.

Alorsqu’ils’éloigneverslarésidence,ilsetourneunedernièrefoisversmoi.–Jenesaispascequetufaisaiscettenuitnipourquoi

tu étais avec Raffe. Toi et moi sommes du même bord, lui, il est avec eux. Alors sois prudente,d’accord?

Noussommesfaceàface.Ilespèreunsignedemapart.J’attends…jenesaispas.Unindicequimegarantiraitqu’ilditvrai.Qu’ilestréellementdemoncôtéetqu’iln’estpasécœuréparl’idéequej’aituéDamone.Quejepeuxluifaireconfianceetqu’ilpourraitm’aideràaccomplirmamission.

Enzo s’en va et me laisse seule à me demander si je dois fuir ou rentrer à sa suite dans larésidence.

Unepartiedemoiaenviedepartir.C’estcequemeconseilleraitZeen.Maisiln’esttoujourspas

joignable.Jeveuxcroirequ’iln’apastrouvédemomentpourmecontactersansrisquerdesefaireprendre. Jeme raccroche à cette idée.Mon frère est intelligent et plein de ressources, je dois êtrepatiente.Maisjenepeuxpasattendred’avoirdesesnouvellespourmedécider.Sijeprendslafuite,jedoisprévenirTomas.Ilviendraavecmoi.Ànousdeux,Nousaurionsplusdechancesdenousensortir.SinousavonssurvécuauTest,c’estparcequenousétionsuneéquipe.

Sijem’enfuyais,j’échapperaisaudilemmequem’aimposélaprésidente.Je regarde longuement vers le pont. J’essaie d’imaginer ce que je ressentirais en quittant cet

endroit.Etpuis,jemeretourneetavanced’unpasfermeverslarésidence.Tropdechosessontenjeu.Jeneseraipeut-êtrepascapabledemettreuntermeàcequisepréparemaisjenepeuxpaspartirsansavoiressayé.Ousanssavoiroùestmonfrèreets’ilvabien.

Deuxofficielsenvioletsetiennentdansl’entrée.Dèsqu’ilsmevoient,ilssedirigentversmoi.–MalenciaVale?J’acquiesce.–LaprofesseureHoltdemandequevouslaretrouviezdanslasallecommuneimmédiatement.

Elleseraheureusedevoussavoirenvie.Jenesuispascertainedecettedernièreassertionmaisjeremercielesofficiels.J’entredansla

salleenpriantdenepasavoirfaitlemauvaischoix.Lasallecommuneestcellequenousutilisonspournousretrouver,étudier,lireounousdétendre

quandnousn’avonspascours.Laprofesseureestassisedevantlacheminée.Épaulescarrées,cheveuxcourts, tunique écarlate. Elle est l’image même de l’autorité. Des petits groupes d’étudiants dedernièreannéediscutententreeux.

Laprofesseureme regarde approcherderrière ses lunettes àmonture épaissepuis adresseunsigneimperceptibleàl’undesétudiantsnonloind’elle.Iln’enfautpaspluspourquetousquittentlapièce,nouslaissantseules.

Jemeforceàsourire.–Vousavezdemandéàmevoir,professeure?Elleme scrute.Mon cœur bat fort dansma poitrine. Je revois son nom sur la liste. Juste en

dessousdeceluidudocteurBarnes.–Assieds-toi,medemande-t-elleendésignantlefauteuilfaceàelle.J’obéisenregrettantdenepasavoirdeprétextepourresterdebout.Ilmeseraitplusfaciledeme

mettreàcourir.Assise,monsacsurlesgenoux,jesuisàsamerci.Elles’appuiecontresondossieretplisselespaupières.–Rencontres-tudesproblèmesavectescoursoutonstage?Je ne m’attendais pas à cette question. Je cligne des yeux et réfléchis à cette interrogation

d’apparence innocente. Chaque étudiant à un emploi du temps différent. En tant que chef dedépartement,laprofesseuredoits’assurerquenousnenouslaissonspassubmerger.Depuisquenous

avonscommencé,plusieursétudiantsauxnotestropbassesontétéredirigés.D’aprèsIan,montuteur,laprofesseureHoltgardeunœilplusqu’attentifsurmoi.Apparemment,ils’estpasséquelquechosependantleTestquiaalertéledocteurBarnes.J’ignorequoi.

Admettrequej’aidumalàassumermachargedetravailluifourniraitleprétextequ’elleattend,mais prétendre que je n’ai aucun problème serait un mensonge. Je me contente d’une réponseprudente.

–C’estdifficilemaisjefaisdemonmieuxetjesuisdéterminéeàréussir.–Jen’endoutepas.LaprofesseureHoltfaituneminusculepauseavantd’ajouterd’unevoixsèche:–DamonePyburnétaitégalementdéterminéàréussirmaisilsembleavoirdisparu.Personnene

l’avudepuishiersoir.Quandjemesuisrenducompteaujourd’huiquetun’étaispassurlecampus,jemesuisinquiétée.

Elleposebrièvementlesyeuxsurmonbracelet.Évidemment,c’estfaux.Elleatoujourssuoùj’avaispassélajournée.JemedemandesilapuceGPSdeDamonefonctionneencore.Danscecas,ellesaitpertinemmentqu’ilestaufondduravin.Àmoinsquelafissurequientourelarésidencesoittropprofondepourqueletransmetteuràondescourtescaptelesignal.

J’afficheunsourireembarrassé.–Jesuisdésoléedevousavoircausédel’inquiétude.J’avaisdesdifficultésavecunprojetsur

lequeljetravailleet j’aidécidédemerendreaubureaudelaprésidentepouressayerd’obtenirdesréponses.

L’expressiondelaprofesseureHoltestindéchiffrable.–J’apprécietonimplicationdanstesétudesetjesuissûrequelaprésidenteaussi.Tuespartie

avantquejedemandeformellementauxétudiantsderesteràlarésidenceettunesavaisdoncpasquetuagissaisencontradictionavecmesinstructions.

–Jenemeleseraisjamaispermis.–As-tudiscutéavecDamoneavantsadisparition?–Àvraidire,jeneleconnaispastrèsbien.Nousétionsdanslamêmeéquipepourlesépreuves

d’intégration mais il m’a clairement montré qu’il ne voulait pas devenir ami avec des étudiantsoriginairesdescolonies.Nousnenousadressionspresquejamaislaparole.

–Pourtant,tuluiassauvélavie.Deuxfois.Etpuis,jel’aitué.J’essaiedenepasmetrémoussersurmonsiège.–J’aiseulementagicommeilfallaitpourmonéquipe.–Ettuagistoujourscommeilfaut,n’est-cepas?–Non,pas toujours.Mesparentsm’ont apprisqu’onne sait pas toujoursquel est lemeilleur

choix.Danscecas,ilfautessayerdefairecequinoussemblejuste.

Laprofesseuremescrutecommepouressayerdedécouvrirunsenscachéderrièremesmots.–Tut’esabsentéedeuxfoisdelarésidenceaujourd’hui,finit-elleparlâcher.–Oui.Jesuisalléeenville.– Avec Raffe Jeffries. Je l’ai interrogé cet après-midi. Il m’a fait un compte rendu de votre

sortie.Peut-êtrepourrais-tumedonnertaversion?J’ignorequelleexplicationRaffeadonnée.J’espèrequesonmensongen’étaitpastropélaboré.

Jetenteletoutpourletout.–Raffesavaitquejen’avaispasencoreeul’occasiondevisiterTosu.Ils’estproposépourjouer

lesguides.Laprofesseurepenchelatêtesurlecôté.–ÀquelleheureRaffeettoivousêtes-vousretrouvés?Lepetitdéjeunerestserviàpartirdeseptheuresetdemie.–Ilétait7heures,jecrois.Cequiexpliquepourquoiaucunautreétudiantnenousavus.J’espèrequeRaffeasuivilamême

logiquequemoi.–Tuenessûre?Jesuissûrequec’est fauxmais jenepeuxpaschangermaréponsemaintenant.Jemeforceà

rire.–C’étaitpeut-êtreunpeuavantouunpeuaprès.Jen’aipasvérifié.– D’après M. Jeffries, vous aviez prévu cette visite de Tosu alors que selon toi, elle était

improvisée.Je sensmes joues prendre de la couleur. Comment expliquer cette incohérence ?Du coin de

l’œil,j’aperçoisunesilhouettedevantlaportedelasallecommune.Jemetourneverslegarçonauxlongscheveuxnoirsetauxyeuxverts.

–Vousavezbesoindequelquechose,monsieurO’Donovan?luidemandesèchementlaprofesseure.

Will ne semble pas ému par l’agacement de la professeure. Il sourit et, les mains dans lespoches,s’appuieauchambranle.

–Non. Je venais juste voir si Cia allait bien. J’ai rencontré Tomas Endress aujourd’hui et ils’inquiétaitpourelle.

Sonsourires’élargitetilajoute:–Pasdesouci,Cia,jeneluiaipasditquetuavaispassélajournéeavecunautre.Il m’adresse un clin d’œil. Je baisse les yeux comme si la remarque de Will m’avait

embarrassée.Laprofesseureluifaitsignedepartirenluirappelantqu’aucunétudiantnedoitquitterlarésidencejusqu’àdemain.Quandellesetournedenouveauversmoi,jemurmure:

–Tomas etmoi ne sommes plus aussi proches qu’avantmais je ne veux pas le rendre triste.

NoussommestouslesdeuxdesCinqLacset…Jehausselesépaules.–…j’aipenséqueceseraitmieuxqu’ilcroiequemabaladeavecRaffeétaitimpromptueplutôt

queplanifiée.Leregarddelaprofesseuremetransperce.–C’est toujourscompliqué, lance-t-elleauboutd’unmoment,dedécider si l’attachementque

l’onéprouvepourquelqu’unestdûàuneexpériencepartagéeouàuneémotionplusprofonde.Tudoistemontrercirconspecte.Cegenredeliaisonpeuttedistrairedetontravail.C’estunedesraisonspour lesquelles je suis en parfait accord avec le docteur Barnes sur la nécessité d’effacer de vossouvenirs ce que vous avez vécu pendant leTest. Il n’est pas souhaitable que ce genre de relationserved’exutoireàtonstress.

L’évocation du Test me fait frissonner.Mamissionme revient, plus concrète que jamais. Jen’aimepaslaprofesseureHoltmaisl’idéede…latuermerévulse.

–Puis-jevousposerunequestion,professeure?–Biensûr.–Pensez-vousqueleTestestlemeilleurmoyenpoursélectionnerlesétudiants?–Pourquoimedemandes-tuça?– J’ai entendu une discussion cet après-midi dans le bâtiment présidentiel à ce sujet. Ilm’est

difficile d’avoir une opinion puisque ma mémoire a été effacée. J’aimerais connaître la vôtre.Considérez-vousquecesépreuvessoientnécessaires?

–Nous avons besoin de dirigeants émotionnellement sans faille.Un seulmauvais choix peutprovoquerl’effondrementdetoutcequenousavonsconstruit.NonseulementleTestestnécessairemaisjepensequenousdevrionslerendreplusdurencore.

Elleselèveetquittelapièced’unpasassuréquinelaisseaucundoute:elleestconvaincuedecequ’ellevientd’affirmer.

Sipersonnenel’empêched’agir,lenombredemortsdurantleTestneferaqu’augmenter.

Chapitre5

Jetraverselarésidencejusqu’auréfectoire.Jemeremplisuneassiettequejemontejusqu’àmonappartement.Lescouloirs sontvides. JemedemandecequeWill faisaithorsdesachambre toutàl’heure.Peut-êtremecherchait-il?Sonapparitionm’apermisdemesortird’unmauvaispas.Était-ceseulementunecoïncidence?

Unefoisàl’abriderrièremaportefermée,jesorsdemonsaccequej’aiprisdanslaréserveducinquièmeétage.J’ignorecequiaprésidéàmonchoix.J’ailaisséparlermoninstinct.Latechnologieatoujoursétémonpointfort.J’aimecréer,réparer,modifier.Depuisquej’aiétéassignéeensciencespolitiques,jen’enaiplusbeaucoupl’occasionetçamemanque.

Je pense à Tomas. Ilmemanque lui aussi. Et soudain, je réalise qu’avec lematériel que j’airécupéré,jepeuxmaintenantentrerencommunicationaveclui.

Après les Sept Époques de la guerre, les scientifiques ont utilisé la concentration élevée deradiations électromagnétiques pour restaurer les communications. Les radios à impulsion ont étécréées pour enregistrer des informations et les envoyer jusqu’à des récepteurs configurés sur lamêmefréquence.Cen’estpasunmoyendecommunicationtrèssûr,carn’importequelrécepteurbranchésurcettefréquencepeutrecevoirlemessage.Maissijechoisisunefréquence que la Communauté n’utilise pas, et que je la change régulièrement, Tomas et moipourronsresterencontact.Ilmesemblequeçavautlecoupdeprendrelerisque.

J’observeunmini-enregistreurquiressembleàceluiquej’avaistrouvédanslebraceletquejeportaisdurantleTest.Ilmeserapeut-êtreutile,maispourlemoment,jenesaispasàquoi.J’ignoreaussiàquoimeserviront lespucesGPS,mais je trouveraicertainementunefaçonde lesutiliseràmonavantage.

Ilestpresque21h.Jen’aitoujoursreçuaucunsignedeviedemonfrère.Jemeforceàmangertoutenréfléchissantaumeilleurmoyendemodifier lesfréquencesde laradio.Lenœuddansmonestomacsedissoutàmesurequejemeconcentre.

Avecletournevisdemoncouteaupliant,jeretirelaplaqueàl’arrièredelaradiopourexaminerl’émetteuretlerécepteur.Lafréquencederéceptionestlaplusfacileàmodifier.Pourlafréquenced’envoi,c’estuneautrehistoire.Laradionepossèdepasd’oscillateurmaisutilisedesfiltresd’ondesacoustiques.Jevaisdoncdevoirchangerlerésonateurainsiquequelquesautrespièces.

Jecherchedansletiroirdemacommodesanstrouvertoutcedontj’aibesoin.Jedoisdescendrejusqu’auxlaboratoires.

Lesofficielsontapparemmentquittélarésidence.Ilrègneunsilencesépulcral.Pourtant,leslaboratoires1et4sontoccupés,touslesétudiantsn’ontdoncpaschoisideseterrer

dansleurchambre.Jeposemonsacsurlecomptoirmétalliquedulaboratoire2etouvrelestiroirsd’un grandmeuble de composants.Du cuivre, des carreaux de céramique, des petites vis. Tout cequ’ilmefautpourmonterunfiltred’ondesdesurfaceacoustiques.Jememetsaussitôtautravail.Jesoudeetconnecteavecassurance.Quand j’ai terminé, jeprononcemonnomdans l’enregistreuretj’appuie sur le bouton d’envoi.Quelques instants plus tard,mavoix résonne dans le récepteur.Çamarche.Monémetteuretmonrécepteurfonctionnentsurdesfréquencesdifférentes.

Jecommenceàmonterdeuxautresradios,maisjem’arrêtepourréfléchir.Simesappareilsonttouslesmêmesfréquences,quatrepersonnespourrontcommuniquerensemble.Çasembleuneassezbonneidéemaisenfait, jecroisquej’aienviequenoséchangesàTomasetmoirestenttotalementprivés.Ilestleseuldontjesoisabsolumentsûre.Jevaisdoncréglerlesautresradiossuruneautrefréquenceetjemodifierailamienneselonlesbesoinsavecunoscillateur.

Travailler me calme. Mon esprit se vide de toutes mes angoisses pour se concentrer sur larésolutiondeséquationsafindedéterminerlesfréquences.JegardelaplusélevéepourTomas.Jenesaispasencoreàquijevaisdonnerlesautresradios.

Quand j’ai terminé, je remonte chezmoi, fière de ce que j’ai réalisé. Je me couche avec letranscommunicateurdanslesmains.J’espèredetoutmoncœurqueZeenvabien.

Jeme réveille en sursaut.Le soleil passe à traversmes rideaux.Le transcommunicateur est àcôté de moi, toujours aussi silencieux. Je n’ai aucun moyen de savoir si Zeen a essayé de mecontacter dans la nuit. J’appuie sur le bouton trois fois de suite et j’attends. Rien. Jeme lève.Mamontreindiquequ’ilest8heurespassées.

Je prends le transcommunicateur avecmoi dans la salle de bains. Jeme lave le visage et jem’observedans le réflecteur.Jepasse ledoigtsur lescinqcicatricesdemonbras.Lamajoritédescandidatsn’apasdemarquesdecequ’ilsontvécudurantleTestmaislesmédecinsn’ontpasréussiàenlever celles-ci. Le poison qui avait infecté la blessure était trop puissant. Maintenant que j’airecouvré lamémoire, je sais comment j’ai eucescicatrices et je suis contentequ’ellesn’aientpasdisparu.LaprofesseureHoltabeaupenserquecessouvenirsnepeuventquenousperturberdansnosétudes,jecrois,moi,qu’ilestimportantquenoussachionscequenousavonsfaitetpourquoinousl’avonsfait.

J’aicommisunmeurtre.Jen’aipaseulechoix.Je suis arrivée à Tosu en pensant savoir ce qu’impliquait le pouvoir. Ces cinq cicatricesme

rappellentlecheminquej’aiparcouruetcombienj’aichangé.Autantàl’intérieurqu’àl’extérieur.Je

voyaislemondeennoiretblanc,jesaisàprésentqu’iln’estfaitquedenuancesdegris.Monpèresoupçonnait lesrisquesquejeprenaisenmeprésentantauTest.Ilauraitpum’encourageràfuir. Ilaurait pu, avec l’aide d’autres dirigeants desCinqLacs, trouver unmoyend’éliminer l’officiel deTosuavantqu’ilviennenouschercher.

Ilauraitpufairebeaucoupdechosespourm’empêcherdepartir.Maisquoiqu’ilpenseduTest,ilcroitennotrepays.Ilafaitlechoixd’accordersaconfianceànotresystèmemalgrésesdéfauts.

Quantàmoi,aujourd’hui,jevaisdevoirchoisirentrefairesemblantd’êtretoujourscellequiaquittélesCinqLacsouenfinaccepterlesprofondschangementsdemapersonnalité.

Uncliquetisinterromptlefildemapensée.Zeen.J’étaisdanslecouloirmaisjeretournedansmachambreàgrandspasetjesorsletranscommunicateurdemonsac.

J’appuiedeuxfoissurlebouton.–Zeen?Tuvasbien?–Çava.Ettoi?J’étaisinquietquandtun’aspasréponducettenuit.Sitoutlemondeicin’était

passinerveux,jeseraisvenujusqu’aucampus.–Jeneveuxpasquetutefassesdesoucipourmoi.Pourtant,c’estbond’entendremongrandfrèreexprimersondésirdemeprotéger.Mêmes’ilne

peutpasfairegrand-chose.–Situneveuxpasquejem’inquiètepourtoi,rétorqueZeen,tudoispartir.J’aidiscutéavecune

fille hier soir. D’après elle, Symon a des espions parmi les étudiants. Ça fait partie du plan pourattaquerledocteurBarnesetlesautresofficielsdel’intérieur.

–Michalm’enavaitdéjàinformée.Il se demandait s’ils étaient armés et s’ils craignaient que la guerre civile commence sur le

campus.–Cematin,SymonetRenattasontvenusnousparler.Aveclevotededemainetl’assautprévu

pour vendredi, nous avons pour instruction d’éliminer tous ceux qui risquent de faire obstacle ausuccèsde la rébellion.Si les rebellesprésentssur lecampusont reçu lesmêmesordres, tu risquesd’enfairelesfrais.

–Pourquoi?Jesuisoriginairedescolonies.Ilsdevraientsavoirquejesuispourl’arrêtduTest.M’éliminerseraitillogique.

–Cequisepréparen’estpasprésidéparlalogique,Cia,maisparl’émotion.LesrebellesveulentmettreuntermeauTest,maisilsveulentaussifairepayerBarnesetsesfidèles.Ilssefichentdemourirsiceuxqu’ilsjugentresponsablesmeurentaussi.S’ilsteconsidèrentcommeunemenace,ilsn’hésiterontpasàs’enprendreàtoi.Tudoispartir.Tunepeuxrienfairepouréviterlemassacre.

Ohsi,jepeux.Jepeuxentoutcasessayer.

–Zeen…–Chut!Jeserreletranscommunicateurdansmesmainsjusqu’àcequemonfrèrereprennelaparole.–Écoute-moi,Cia.VachercherTomasettirez-voustouslesdeux.Jetetiendraiaucourantdece

quisepasse.–Horsdequestionquejepartesitoiturestes.–TudoisquitterTosu,Cia,insistemonfrère.Jeneveuxpasquetuteretrouvesaumilieudece

chaos. Préviens-moi dès que tu seras en sécurité.Nous nous retrouverons quand tout sera fini.Net’inquiètepassitun’aspasdemesnouvellesdanslesjoursquiviennent.Çanevapasêtrefacilepourmoid’êtreseul,maisjeterappelledèsquepossible.

–Jenepartiraipassanstoi,Zeen.–Net’enfaispas.Jesaisprendresoindemoi.Jedoisyallermaintenant.–Zeen…Il a coupé la communication. Des larmes de frustration me brûlent les yeux. Je remets le

transcommunicateurdansmon sac.Les autresvont commencer à sedemanderpourquoi je suis enretardaupetitdéjeuner.SiZeenaraison,certainsd’entreeuxsontdesrebelleset ilspeuventsaisirn’importequelprétextepouragiretéliminerunepersonnequileurparaîtraitsuspecte.

Jepassedevantdeuxofficiels,unenrouge,l’autreenviolet,quisetiennentaupieddel’escalier.Seuleunepoignéed’étudiantsestencoreauréfectoire.Engénéral,lesrepassontplutôtbruyantsmaispascematin.Ceuxquiparlentlefontàvoixbasse.Certainsm’observentàladérobée.Jem’approchedeIan,montuteurdedernièreannée.IlestassisavecRaffe.Enzomejetteunregardinquiet.

Ils’estclairementpasséquelquechose.JeprendsplacefaceàRaffequigardelesyeuxfixéssursonassiette.Ianmepasseunplateauet

jeme sers du pain et une tranche de jambon. La nourriture est toujours bonne, pourtant cematinpersonnene semble se régaler.Lesétudiants finissent leurpetitdéjeuner etquittent la salle lesunsaprèslesautres.JemepencheversIanetluidemandeàvoixbasse:

–Quesepasse-t-il?–Lesofficielsviennentd’annoncerqueDamonen’étaitpaschezsesparents.–Ilspensentqu’ils’estenfui?Iansecouelatête.–D’aprèslaprofesseureHolt,ilesttoujourssurlecampus.Lesofficielsonttrouvédusangprès

de la résidence et ils craignent que Damone ne soit blessé quelque part. La professeure Holt aordonnéunefouilledetouslesbâtimentsducampus.Lesétudiantsnesontpasautorisésàretournerdans leur chambre avant la fin de la perquisition. Nous devons rester dehors ou dans la sallecommune.

Jerepenseauxvêtementstachésquej’aicachésdanslamaisonabandonnéeetàcequej’aidansmon sac. Si j’avais laissé quoi que ce soit dansma chambre, les officiels seraient sur le point dem’arrêter. J’aurais sansdouteétéaccuséede trahisonetexécutée.N’empêcheque j’aiquandmêmepeurdecequ’ilspeuventtrouver.

L’angoissem’étreintlapoitrine.J’arriveàpeineàarticuler:–Enzom’aditqu’ilavaitvuDamonepartiravecsonvélo.Pourquoifouillent-ilslarésidence?SoitlaprofesseureHoltn’apascruEnzo,soitlapuce

dubraceletdeDamoneenvoietoujoursunsignalquiprouvequ’ilestdanslesparages.Etpuis,cettefouilleestégalementunexcellentmoyendeprovoquerl’agitationdesétudiantsrebellesprésentssurlecampusetdelespousseràl’action.

–Elle prétend qu’elle veut explorer toutes les possibilités,mais j’ai l’impression qu’elle saitexactementcequ’ellecherche,mechuchoteIan.

–Quoi?–Jel’ignore.Jesensqu’ilnemeditpastoutelavérité.–Depuisque j’ai commencémes études, aumoinsunétudiantdisparaît chaqueannée.Çan’a

jamaisprovoquécegenredebranle-basdecombat.En observant Ian, jeme demande de quoi il est au courant. Certainement de plus qu’il ne le

reconnaît.–Aucunétudiantn’estautoriséàquitterlecampus,reprend-il.LaprofesseureHoltademandéau

docteurBarnesdeplacerdesofficielsauxportesdel’universitépourlerappeleràceuxquiseraienttentésdenepasrespectercettenouvellerègle.

Unenouvellerèglequinevapasmefaciliterlatâche.Jedevraismesentirsoulagéed’avoiruneexcuse valable pour ne pas exécuter cette mission. Ce n’est pas le cas. Je me sens piégée etimpuissante.Jesecouelatête.

–Etquandserons-nousautorisésàreprendrenosstages?Onm’aassignébeaucoupdetravail.Ianrepoussesonplateauetplongesonregarddanslemien.–Quoiquecesoit,çapeutattendrequetoutecetteagitationaitprisfin.J’ailesentimentqueça

nevapasêtrelong.Vaenclasse,faistesdevoirsetnetefaispastropremarquer.D’accord?Sesmotssonnentcommeunavertissement,cequiconfirmecequejesoupçonnedepuisledébut

:Ianfaitpartiedesrebelles.Ildoitavoirdesarmescachéesquelquepart.Craint-ilquelaprofesseureHoltnelesdécouvre?Iln’apasl’airlemoinsdumondeinquiet.Jemedemandecommentilréagiraitenapprenantquelarébellionqu’ilsoutientestcomplètementmanipulée.

QuandMichalaété transféréaubureaude laprésidente, ilm’aapprisquenousnepourrionsplusnousvoiraussisouventmaisqu’unamiveilleraitsurmoi.IldevaitparlerdeIan.EnluirévélantlesdesseinsdeSymonetcequiestarrivéàMichal,jepourraissansdoutem’enfaireunallié.Maisil

estégalementpossiblequ’ilrefusedecroireàmesproposets’il lesrapporteàSymon,jen’auraisplusaucunemargedemanœuvre.Sanscompterqued’aprèsZeen, jeme transformeraisaussitôtenennemie de la rébellion et donc en cible à éliminer. La présidente a souligné qu’en accordantmaconfiance,jemettraisnonseulementmavieendangermaisaussicelledebeaucoupd’autres.

Jenesaispasquoifaire.Prendrelerisque?Attendred’ensavoirplus?Si Ian avait subi le Test avec moi, j’aurais une meilleure idée de son éventuelle réaction

aujourd’hui.Je réalise soudain que cette pensée est terrible car elle rejoint les justifications deBarnes.Le

Testnouspermetdemieuxconnaîtrelesautresafindesavoirsinouspouvonsnousfieràeuxouaucontraires’ilsrisquentdenousmettreendanger.

J’aibeaucoupapprissurmoi-mêmedurantleTest.Jesaismaintenantquesil’onmedonneuncoup,jelerends,quejesuisplusforteetplusdébrouillardequejenel’imaginais,quel’idéeselonlaquelletoutlemondepartagelesvaleursdanslesquellesj’aiétéélevéeestfausse.

LaprofesseureHoltpensequeleTestdevraitêtreencoreplussélectif.SelonledocteurBarnes,le suicide d’une jeune fille sous la pression du Test prouve son efficacité. Symon n’hésite pas àmanipulerceuxquiréclamentlechangementetàlesmeneràleurpropremort.

Ianselève.–Tuasfini,Cia?Jeregardemonassiettequej’aiàpeinetouchée.–Oui,çavaaller.JelèvelesyeuxversIan.Cen’estpasseulementàmonpetitdéjeunerquejefaisaisallusion.

Chapitre6

Lesoleilbrille.Lapeloused’unvertéclatantdonneenvied’allers’yallonger.Jeme suis assise près du pont, la seule issue à la résidence, au cas où un officiel trouverait

quelque chose dansma chambre. Je n’aurais sans doute pas le temps dem’enfuir, mais je ne leslaisseraispasm’arrêtersansmebattre.

D’ailleursdel’autrecôtéduravin,deuxofficielsm’observent.Quelques étudiants ont décidé de considérer cette fouille comme une journée de vacances.

Certainsjouentàlaballeauprisonnierprèsdusaulepleureur,d’autressontassisenpetitsgroupesetdiscutentàvoixbasse.Quelques-uns,commemoi,sesontisolésavecunlivre.

MonregardseperdendirectiondelarésidencedebiologieoùsetrouveTomas.J’aimeraistantallerleretrouver,luiracontercequejesais,cequel’onm’ademandédefaire,partagercefardeau.Approuverait-ilmonchoix?Proposerait-ildem’aider?Ouessaierait-ildemeconvaincredefuir?

Jel’ignore.Cequejesaisenrevanche,c’estquejenepeuxrienfaireseule.J’aibesoind’alliésdignesde

confiancemaisaussicapablesd’allerauboutdecettetâche.–Tuétaisoùhieraprès-midi?Onétaitcensésresterdansnoschambres.Jemeretourne.Raffes’estapprochésansbruitets’estassisàcôtédemoi.–Jesuisalléeprendrel’air.Ilfallaitquejeréfléchisse

àtoutcequis’étaitpassé.Jedeviensdouéepourdonnerdesversionsmodifiées

delavérité.–Etmaintenant,tuasunplan.Jenerépondspasàsaquestionimplicite.–J’aipédalésansvraimentregarderoùj’allaisetjesuistombéesurunquartierparticulièrement

délabré.Ilyenabeaucoupauxalentoursducampus?– Quelques-uns, mais moins que de l’autre côté de Tosu. Mon père ne connaît même pas

l’existencedecesrues.Sonpère.–Toi,tuyesdéjàallé?Ilhausselesépaules.

–J’aientreprislavisitedecesquartiersl’andernier.J’espéraistrouverdesréponses.J’attendsqu’ilprécisesapenséemaisriennevient.

Jereprends:–Laruedontjeparlen’estpasàplusdedixminutesdel’université.Lesfaçadessontcouvertes

degraffitis.–Jecroisquejevoisoùc’est.– Il y adesgensquivivent là ?Lesmaisonsont l’air abandonnéesmais j’ai eu l’impression

qu’ilyavaitquandmêmequelqueshabitants.–Ilyatoujoursdesgensquirefusentd’adhérerauxrèglesdumondedanslequelilsvivent.Ces

maisonsconstituentdebonnescachettes.C’estexactementcequejemesuisdit.Raffemedévisageenfronçantlessourcils.–Pourquoitudemandesça?J’aimeraismeconfieràluimaisjen’aipasassezconfiance.Tantquejen’auraipascomprisses

motivations,lesraisonspourlesquellesiladécidédem’aider,jenepourraipasm’enremettreàlui.– Simple curiosité. Ce genre d’endroit n’existe pas dans ma colonie. Jamais personne ne

peindraitsurlesfaçades,parexemple.–Ellessontsouventhabitéespardes jeunesquiont fuguédechezeux,m’expliqueRaffe.Ces

dessinsproclamentquelelieuestpris.Maisjesuissûrquetun’espasseulementcurieuse.Jerestesilencieuse.–Tunemefaistoujourspasconfiance,insisteRaffe.Moninstinctmesoufflequejepourrais,maislarecommandationdemonpèremeretient.J’ai

payétrèscherdenepasl’avoirrespectéedurantleTest.MefieràRaffeestuntropgrandrisque.Iln’yaurapasdemarchearrièrepossible.Jedoisêtresûrede luiàcentpourcent.Je luiadresseundemi-sourire.

–Tunem’astoujourspasditpourquoijedevrais.–Quandtumeconfierastessecrets,jeteconfierailesmiens,rétorque-t-il.Ilselèveets’éloigne.IlrejointGriffin.Ilssemettentàrireenmeregardant.La fouille se poursuit. Ça fait des heures maintenant et certains étudiants se plaignent. La

majorité,cependant,s’allongesurl’herbepourunesieste.Jem’assurequejesuisseuleetjesorsunpapieretuncrayonpourorganisermespensées.J’écrismonnom,puisceluideTomas.J’enajouted’autres.

IanRaffeStaciaEnzo

BrickTouspossèdentdescompétencesquipourraientm’êtreutiles.Ianestencontactaveclesrebelles

;RaffeconnaîtTosuetcomprendlefonctionnementdesdirigeants;Staciaalacapacitéderepousserses émotions pour réfléchir de façon analytique et froide ; Enzo déteste le système et en sait plusqu’aucund’entrenoussurlestensionsquirègnententrelesdirigeantset lescitoyens,sanscompterque,sij’aibiencompris,sonpèreetsonfrèreappartiennentàlarébellion.QuantàBrick,jepensesurtoutàsesparents.IlsonttouslesdeuxsubileTestetilstravaillentaujourd’huipouruncomplexemilitaire qui développe des techniques dont le but est d’assurer une meilleure sécurité dans lescoloniescontrelesanimauxmutantsetd’autresattaquespotentielles.

Cequej’ignoreenrevanche,c’est:lequeld’entreeuxestcapabledetuer?Etauxquelssuis-jecapablededemanderdetuer?

Jefermelesyeuxetjeprendsdelonguesinspirations.Tomas.Leseulfaitdepenseràluimerassure,merassérène.Jel’aimeetjeluiconfieraismavie

sansaucunehésitation.Jel’aid’ailleursdéjàfait.Ilneserapasforcémentd’accordavecmadécisiond’accepterlamissiondelaprésidentemaisaufonddemoi,jesaisqu’ilmesoutiendra.Etsicen’estpaslecas,jesuiscertainequ’ilnemedénoncerapas.

Stacia estmon amie. Elle a été assignée enmédecine. Le chef de son département est un desnoms surma liste. Stacia est déterminée et volontaire. Elle est capable de gérer n’importe quellesituation.SoncomportementdurantleTestetlesépreuvesd’intégrationprouventqu’elleestprêteàtoutpourréussir.Enrevanche,jenesuispassûredepouvoirluifaireconfiance.Enréalité, jesuispresquesûredenepaspouvoir.Maissi jeparviensà laconvaincrequecettemissionpeutaidersacarrière, ellem’aidera.D’autre part, je suis certaine qu’elle pense comme la présidente que la finjustifielesmoyens.

Jedessinedespetitesétoilesàcôtédecesdeuxnoms.Raffe a déjà prouvé qu’il savait rester froid face à lamort. Il suffit de voir comment il s’est

débarrasséducorpsdeDamone.Maiscommentluifaireconfiancealorsqu’ilgardedessecrets?Brick a fait ses preuves dans l’utilisation d’une arme. Je revois les balles de sa mitrailleuse

déchirer les chairs des humainsmutants qu’il croyaitmenaçants.Durant le Test, j’ai pu vérifier àplusieurs reprises qu’il se fiait àmon jugement,mais ses parents croient aumode de sélection deBarnes.Ilsvoulaientqu’ilentreà l’universitéet il leuraobéi.Jecrainsqu’ilnesoitprofondémentsousleurinfluence.Danscecas,medénoncerneseraitpaspourluiunactedetrahison.

Jedécidedebarrersonnom.Unebrisefaitbruisser lesfeuillesdesarbres.Jefrissonne.Ducoinde l’œil, j’aperçois l’éclat

vertdesyeuxdeWilletsonsouriretoujourssarcastique.

Ilnefigurepassurmafeuille.Pourtant,jesaisd’expériencequ’ilestcapabledetuer.Ilestplein

deressourcesetpeutsemontrerimpitoyable.IlafroidementabattudescandidatsduTestdansleseulbutd’éliminerlaconcurrence.Serait-ilprêtàassassinerdesgensquiluiontdonnécepourquoiilatantperdu?JemeremémoreleWillquej’airencontréavantledébutdesexamens.Sonjumeauetluinesequittaientpas.Ilspassaientleurtempsàrireettouslesdeuxparvenaientàfairerirelesautresmalgrélapression.C’estaprèsl’échecdeGilqu’ilachangé.Ils’estsentiseuletavaitdésespérémentbesoindeprouverqu’ilpouvaitsurvivresanssonfrère.Quelesacrificedesondoublen’avaitpasétéinutile.

Puis-je pour autant lui pardonner sa trahison ?Non.Maismaintenant quemes souvenirs sontrevenus,jemerappelleautrechose.Uneconversationquenousavonseueaprèslafindesépreuves.Ilacommisdesactes terribles,sanslamoindrehésitation,pourtant, ilavaitretenulenomd’unefillequ’ilatuée.Ilavaitsansdoutecruquecetacteneluilaisseraitaucuneséquelleetavaitdécouvertquecen’étaitpaslecas.Willagirait-ildelamêmefaçonaujourd’hui?

Jesecouelatête.Tropd’inconnues.La professeure Holt sort sur le pas de la porte de la résidence et nous appelle. Nous nous

réunissons devant elle. Elle nous remercie de notre patience et nous informe que nous pouvonsmaintenant retourner dans nos appartements. Cependant, nous ne sommes toujours pas autorisés àquitterlecampus.

Jesuissoulagée.S’ilsavaient trouvélemoindreindiceincriminant,ellenenouslaisseraitpasreprendrenosoccupationsaussifacilement.

Àmoinsque…je réalisequesielleadécouvertunélément,ellepeutavoirdécidéde le taireafinderenforcersasurveillancesurl’unoul’autred’entrenous.Mescamarades,quinesemblentpasplusinquietsqueça,rentrentdanslarésidence.Jedevraissansdouteenfaireautantafindemefondredanslamasse,maisilfautquej’agisse.

JedoisessayerdetrouverTomas.Les officiels qui gardaient le pont ont disparu. Je marche vite. Je remarque de nombreux

étudiantsautourde la résidencedebiologie.La fouilleest sansdouteencoreencours.Lamainenvisière,jechercheTomas.Ildiscuteavecunefillequis’efforcedecaptersonattention.Dèsqu’ilmerepère,lesoulagementirradiesonvisage.

Jemeursd’enviedemejeterdanssesbras,maisjepoursuismonchemincommesijenel’avaispas vu en espérant qu’il comprendra le message et me retrouvera à notre lieu de rendez-vous.J’emprunteuntrajetdétournéaucasoùjeseraissurveillée.Jesalued’ungestedelamainlespetitsgroupesquejecroise.

J’entre dans le bâtiment de brique qui servait autrefois de poulailler pour les volaillesgénétiquement modifiées du campus. Quand les chercheurs ont enfin réussi à faire naître unegénération au système immunitaire amélioré et vierge des mutations génétiques, ils l’ont répartieentredifférentséleveursetontnettoyélelocalquidevaitserviràunautreprojet.Maislebâtimentn’a

pas été bien entretenu et l’état de sa toiture n’a pas permis l’installation d’autres animaux.Aujourd’hui,seulslesétudiantsàlarecherched’unpeud’intimités’yrendent.

Lapièceestsombre,uniquementéclairéeparuneminusculefenêtreàl’arrière.Jevérifiequeletransmetteurquej’ailaisséladernièrefoisesttoujoursen place. Il brouille le signal des puces de notre bracelet et rend notre localisation impossible.J’attendsTomasenfaisantlescentpas.Quandilapparaîtenfin,jecoursverslui.

Jel’enlaceetposematêtesursonépaule.C’estsibondeleretrouver.Nousnousconnaissonsdepuistoujours.NousavonsgrandidanslamêmecolonieetnousavonssurvécuauTestensemble.Iln’estpasétonnantquenoussoyonsliésautantparl’amourquel’amitié.JenesaispascequejeseraisdevenuesanssonsoutiendepuisnotredépartdesCinqLacs.Safoienmoim’adonnédelaforce.Sonamourm’amaintenueenvie.

Ses lèvresseposentsur lesmienneset je l’embrasse fiévreusement, sachantque lorsquenousnousséparerons,jevaisdevoirluiracontertoutcequis’estpassédepuisquenousnoussommesvusla dernière fois. C’était il y a seulement deux jours mais j’ai l’impression qu’une éternité s’estécoulée.Jem’autoriseunmomentd’oublietjenepensequ’àsoncorpscontrelemien.Sabouchesefaitplusinsistanteetnousnousfondonsl’undansl’autreavecunepassionquejenemeconnaissaispas.Noussommesenvie.Noussommestouslesdeux.Nousdevonsenprofiter.Çanedurerapeut-êtrepaslongtemps.

Nous nous séparons au bout d’un long moment. Mon cœur cogne dans ma poitrine. Je suisessouffléecommesij’avaiscouru.Jemeursd’enviedel’embrasserdenouveaumaisçadoitattendre.

Avant-hiermatin,quandnousavonsdécouvertensemblelecamprebelle,j’aiinsistépourqu’ilrentreseulàl’université.Ensuite,RaffeaapportélesenregistrementsduTest,MichallesadonnésàSymonquil’afroidementabattu.Ma voix s’éraille quand je décris cet horrible moment. Tomas pose des questionsmais jecontinuedeparlersansluirépondrepourquelapeuretlechagrinquejemaintiensàdistancedepuishiernemesubmergentpas.JeluiracontequejesuisentréeencontactavecZeen.Jeluiparledelafouille.J’ajoutequ’EnzoamentipourmoiàlaprofesseureHolt.

–Jesuisheureuxdesavoirquetonfrèreestsainetsauf.Ilaraison.Tudoisfaireprofilbasetresterendehorsdetoutça.Surtoutencemoment.

Tomasmeprendlamainetlaserredanslasienne.–Tuasfaittoutcequetupouvais.Maintenant,laprésidenteCollindarvaprendrelerelais.Jesecouelatête.–Ellenepeutpasannulerlevotesansrisquerdeperdretouteautoritésurlachambre.Ellepeut

aumieuxlerepousserdeunesemaine.Justeletempsdemettresonplanàexécution.–Quelplan?J’entrelacemesdoigtsaveclessiensetjeprendsunegrandeinspiration.

–Ellecomptesurmoi.Tomassefige.– Je ne comprends pas. Qu’est-ce que tu pourrais faire qu’elle et son équipe ne peuvent pas

mettreenœuvre?–Elleveutquej’élimineledocteurBarnesetsesfidèleslesplusproches.–C’estn’importequoi.–C’étaitleplandeRanettaetdesafactionrebelle.Etquandonyréfléchit,c’estleseulquitienne

laroute.Sion…–Jeneparlepasduplan.Pourquoitoi?– Si Symon a pu infiltrerMichal dans l’entourage de la présidente, il a probablement placé

d’autresespionsàsoncompte.Jememordslajoue.Ausang.Etj’ajoute:–Jepensequ’ellearaison.Jereprésentepeut-êtresaseulechancedesuccès.–Saufquetun’asriend’unetueusedesang-froid.MêmequandWillt’atrahiependantleTest,tu

n’aspasvoululetuer.J’ouvrelabouchepourprotestermaisTomasmecoupelaparole.–Situavaisvraimentvoulu,Cia,ilseraitmort.J’aitiré.Jesensencorelereculdel’armedansmonbras.L’odeurdelapoudre.Mondésespoir

alorsqueTomas,ausol,perdaitsonsang.JedésiraisplusquetoutfairepayerWill.J’aiéchoué,c’estvrai,maiscettefois,jeréussirai.

–Jesaisàquelpointtuveuxmettrefinàcetteignoblesélection,Cia.Jeleveuxtoutautantquetoi,maislaprésidentenepeutpassereposersurtoi.Cen’estpasàtoidefairecetravail.

Pourtant,jecroisquesi.Jelèvelementonetjeluijetteunregarddedéfi.–LaprésidentedelaCommunautéunifiéem’aconfiéunemissionetjevaisl’accepter.Jesuisterrifiée,c’estvrai,maiségalementdéterminée.–MettreuntermeauTest,sauvermonfrère,Daileen

ettouslesautresestplusimportantquetout.–Tuenessûre?J’entendslechagrindanssavoix.Iln’yapassilongtemps,ilm’ademandédefuirl’université

avec lui. J’ai refuséet ilachoisideresteràmescôtés.Pourtant, jesaisquec’est toujourscequ’ilveut.Partir.Rentreràlamaison.Fairecommesiriendetoutçan’étaitréel.J’aibesoindeluimaisjel’aimeetjeveuxsonbonheur.Jedoislelaissers’enaller.

–J’ensuissûre.Maistoi,tun’esobligéàrien.Mapoitrineestcommedansunétau.Deslarmesmemontentauxyeux.– Si j’échoue, l’un de nous deux doit retourner auxCinq Lacs pour raconter à lamagistrate

Owenscequisepasseici.Nosfamillesetnosamisdoiventêtrepréparésàcequilesattend.Ilsont

besoindetoi.J’attendssaréponse.Unelarmeroulesurmajoue.–Tomas?Jetendslamainverslui.Ilrecule.– Promets-moi que si tu échoues et que la guerre éclate, nous partirons ensemble, lâche-t-il

d’unevoixrauque.–Tunepeuxpas…–Si,jepeux.Ils’approchedemoi.Danslapénombre,jedistinguelescontoursdesonvisage.Ilestbeau.–Jenetelaisseraipasaccomplircettemissionseule.–Mais…Ilme fait taire enm’embrassant. Je passemes bras autour de son cou etme laisse emporter.

Après,jeleconvaincraidepartir,maisjeveuxprofiterdecedernierinstantdebonheur.Jesensmoncorpss’embraser.Jeluicaresselajoue.Lesoufflememanque.Jem’écartedelui.–Jeveuxquetumepromettesdepartir.–Jepartiraiquandtupartiras,pasavant,rétorque-t-il.Il m’embrasse de nouveau. Nos doigts s’entrelacent. Nous sommes seuls face à l’inconnu,

commependantleTestaumilieudupaysagedévastéparlesguerresetlesouragans.Mavoixn’estqu’unmurmure.

–Ensemble.Peut-êtrequesij’insistais,ilfiniraitparaccepterderetournerauxCinqLacs.Maisjecomprends

quececombatestautantlesienquelemien.Etpuis,sijeveuxavoirunechancederéussir,j’aibesoindeluiàmescôtés.Parcequemoncœurn’estpasassezfortpourlerepousserencore.

–Combienya-t-ildenomssurlaliste?medemande-t-il.–Douze.–Laprésidentenepeutpaspenserunesecondequetuagirasseule.–Jel’ignore,maisjesaisquej’aibesoind’aide.Delatienneetpeut-êtredecelledeStacia.Jene

sais pas encore qui d’autre. Il nous faut des alliés qui croient assez en notre cause pour agir sanshésiteraumomentdécisif.Etenquinousavonsconfiance.

–Laconfiancenécessitedutempsetnousn’enavonspas.Tomasaraison.Ilfautdutempspouravoirconfianceenquelqu’un.Commepourconnaîtreses

forcesetsesfaiblesses.Latâchequej’aiacceptéesembleimpossibleàaccomplir,pourtantiln’apasfalluplusdequelquessemainesaudocteurBarnespourdéterminercommentchacunsecomporteraitunefoisconfrontéàunesituationextrême.

Touslesétudiantsdecetteuniversitésontcapablesdeprendredesdécisionsimportantes,defaire

deschoixcruciaux.MaiscetteéquipedevracroireautantquemoiàlanécessitédemettreuntermeauTest,toutenépargnantlesrebelles.Ilsdoivent,commemoi,êtreconvaincusqu’ilesttempsdemettreenplacedenouveauxleadersprêtsàchangerlesystèmeafindepermettreauxjeunesgensdecepaysdeparticiperàsonaméliorationsansrisquerunemortcruelleetinjuste.

Pourlaconstituer,nousn’avonspaslechoix:nousdevonsorganisernotrepropreTest.J’expose cette idée à Tomas. Je partage aussi avec lui tout ce que je sais des personnes qui

figurentsurlalisteetdeleursprojetspourrendreleTestencoreplusdifficile.Quandilreprendlaparole,cen’estpaspourmesupplierdepartiraveclui.

–Unesemaine,c’estcourtpourconstitueruneéquipeetmettreunplanaupoint.–JeparleraiàStaciaaprèslescours.–Tuessûrequ’onpeutluifaireconfiance?Bien sûr, Tomas se rappelle que nous l’avons rencontrée durant le Test. Elle était avec deux

autrescandidats:unefilleblondedunomdeTracelynetungarçon,Vic.Nousn’avonspaspasséplusde quelques heures avec eux, durant lesquelles Stacia est restée très distante.À unmoment, elle aexpriménaturellementl’idéequeselonelle,lesofficielsauraientraisondesélectionnerlescandidatscapablesdetuerleursconcurrents.LeTestterminé,elleetVicontfranchilaligned’arrivéesainsetsaufs.Jen’aijamaisrevuTracelyn.JesuisintimementpersuadéequeStacian’estpasétrangèreàsadisparition.

–Non,jen’ensuispassûremaisjecroisquejecomprendscequilamotive.Cequiestplusquejen’ensaissurn’importequelautre.

–SiseulementnousétionsplusnombreuxàvenirdesCinqLacs,regretteTomas.IlpenseàZandri. Jemepressecontre lui.Etpuis,une idéemevient. Je raconte rapidementà

Tomascequej’aiapprissurDreuOwens.–S’ilesttoujoursàTosu,ilaccepterapeut-êtredenousaider.–Peut-être.Tomassouritpourlapremièrefoisdepuisquejeluiaiparlédelamission.–Denombreuxdiplômésenbiologiesontenvoyésdanslescolonies,maiscertainssontaffectés

à Tosu. Peut-être qu’à la section de recherche où je fais mon stage, ils sauront où trouver Dreu.Sinon,monchefdedépartementpourrasansdoutenousaider.Ceseraitutiled’avoirunepersonnequiconnaîtbienTosudansnotreéquipe.

C’estvrai.C’estlaraisonpourlaquelleRaffeetEnzofigurentsurmaliste.TomastiqueunpeusurRaffemaisilnem’opposepasderefuscatégorique.

–Situtrouvesunmoyendeletesterpourquenoussoyonssûrsqu’iln’estpascommeWill,çapeutvaloirlecoup.

JerevoislevisagedeTomas,blanccommeunlinceulquandilaététouchéparlaballedeWill.

La tache rouge qui s’étalait sur sa chemise. Ses doigts crispés sur son torse et ses jambes qui sedérobaient.JevaisdevoirêtretrèsconvaincantepourqueTomasaccepteRaffe.

Ilestbientôtl’heuredudîner.AveclaprofesseureHoltquisurveilletousmesfaitsetgestes,ilestpréférablequejenesoispasenretard.JeretrouveraiTomasdemainaprèslescours.J’espèrequ’àcemoment,ilauradesinformationssurDreuOwens,quej’aurairalliéStaciaànotrecauseettrouvécommentm’assurer de la fiabilité deRaffe et Enzo. Je sorsma radio à impulsion et je la tends àTomas.

–Situasbesoindemecontacteravantdemainsoir,utiliseça.Ilsourit.– C’est bon de savoir que je peux te parler quand j’en ai envie. Je vais t’appeler tellement

souventquetuvasregretterdem’avoirdonnécetappareil.–Aucunechance.Jemeserrecontreluietj’ajouteàvoixbasse:–Jesaisqu’aufonddetoi,tuneveuxpasparticiperàcettemission.–C’estvrai,acquiesce-t-il.Pasplusquetoi.Ilmecaresselajoue.–Onvayarriver,Cia.Jetelepromets.D’unemanièreoud’uneautre,ons’ensortira.D’unemanièreoud’uneautre.Nousnousembrassonsunedernière foisavantdenousséparer. Jepasse laporte lapremière.

Tomas attendradixminutes aprèsmondépart.Nousnous retrouveronsdemain et à cemoment-là,notrepropreversionduTestauracommencé.

Chapitre7

Jequitte le réfectoire toutdesuiteaprèsavoir finidemanger.Lescoupsd’œilaccusateursdeGriffin,lessouriresforcésdeRaffeetlesregardsinquietsdeIanm’ontcoupél’appétit.L’interdictionde sortir du campus a été renouvelée : personne ne pourra se rendre sur son lieu de stage. Desapplaudissementsontéclaté;çasignifieunejournéederepossupplémentaire.Jesuislaseuleàavoirl’airinquietdesfouillesdansnosappartements.

Enarrivantdevantmaporte,jeprendsunegrandeinspiration.Pendantledîner,certainsétudiantsontracontéquedesobjetsavaientdisparudeleurchambre:unvieuxrasoiraveclequellegrand-pèrede Sam lui avait appris à se raser, un journal qu’une fille tenait depuis qu’elle était entrée àl’université,unevieillecartedeTosuautempsoùlavilles’appelaitWichita.Riendetrèsimportanten apparence. Rien en tout cas qui permettrait à la professeure Holt de retrouver Damone. Iln’empêchequelesvictimesdeceslarcinsn’ontrécoltéqu’unedistanceméfiantedelapartdesautres.

J’entre.Malgrélafouille,toutsembleexactementcommejel’ailaisséenpartantcematin.Monbouquet

defleursséchées,mesvêtements,meslivres,ledevoirquejedoisrendredemain.J’ouvrelestiroirset vérifie leur contenu. Des crayons, des trombones, une règle, des vieux cahiers que je n’ai pasencore recyclés, des morceaux de fer, des pièces métalliques, des plaques de cuivre, quelquestournevisetd’autresoutils–ceuxque j’aiutiliséspour fabriquer les transmetteursquibloquent lesignaldemonbracelet. Ilestpossiblequequelqu’unaitdevinéàquoi jem’enétaisservi.De toutefaçon,jen’ypeuxplusrien.

Les seuls changements notables sont ma chaise qui n’est pas à sa place et mon armoirelégèrementdécolléedumur.Jesuisétonnéequelesofficielssesoientdonnélapeinedeladéplacer.Elleestlourdeetglissemalsurleparquet.Jemedemandecequ’ilspouvaientespérertrouverdansunespaceaussipetit.Enpassantlamainderrièreàlarecherched’uneprise,jesensquelquechosedefroidsousmesdoigts.Enregardant,jevoistoutdesuitecequec’est:unmicro,rondetplat,commeceluiquej’aitrouvédanslebraceletquelescandidatsdevaientporterdurantleTest.

Jerepenseauxconversationsquej’aieuesdanscettechambreavantderencontrerlaprésidente.Depuis quand cemicro est-il là ? A-t-il été placé aujourd’hui pendant la fouille ? Quand onm’aattribué cette chambre, j’en ai immédiatement exploré tous les recoins et je l’ai fait à plusieursreprisesdepuis.Maispasdepuisquelquessemaines.Ladernièrefois,c’étaitavantmadiscussionavec

Raffe. Avant mon contact avec Zeen. Si j’ai été écoutée, les officiels savent quelle est maresponsabilitédansladisparitiondeDamone.Ilssontégalementaucourantquemonfrèrefaitpartiedesrebellesetqu’ilvaessayerdelesempêcherdelancerl’assaut.

SurleconseildeMichal,monfrèreachangédenom.Nousavonstouslesdeuxlesyeuxdemonpèreetlastructureosseusedemamèremaisnousnenousressemblonspasbeaucoup.Zeenestgrandetblond.Siquelqu’unm’aentenduluiparler,personnenepenseraàinterpellercegarçonprénomméCris. Peut-être finiront-ils par examiner de plus près la liste des recrues queMichal a amenées aucamp,maisçaprendradutemps.

Jevérifiechaquecentimètrecarrédemachambre.Lescarreauxdelasalledebains,ledessousdemoncanapé,delapetitetable,deschaises,lescoussins.

Rien.PendantleTest,monbutétaitd’empêcherquiquecesoitd’entendremessecrets.J’aiuneautre

idée.IlyadegrandeschancespourquelaprofesseureHoltsoitàl’originedecetteécoutemaisce

n’est pas sûr à cent pour cent. Il peut s’agir des rebelles, de Griffin ou de n’importe quel autreétudiantde la résidence. Jepourraisutiliser lemicropourdonnerde fausses informations,mais ilfautd’abordquejesachequim’écoute.

Quoiqu’ilensoit,pourlemoment,jenevaistoucheràrien.Jerepoussel’armoire,puis,enessayantd’oublierquejesuisespionnée,jesorslalistedemon

sac pour l’étudier. Ça m’étonnerait que la présidente réussisse à retarder le vote de plus d’unesemaine.BarnesetSymontrouverontuneparade.

L’immensitédelatâchem’angoisse.HeureusementqueTomasaacceptédem’aider.Sijenemesuispastrompée,Staciaseraunealliéeprécieuse.Cequej’aiapprisd’elledurantleTestm’adonnéunaperçudesapersonnalité.TomasetStaciasontsûrementlesdeuxpersonneslesplusintelligentesquejeconnaisse,cependant,lesciblessonttropnombreuses.Zeenpourraitpeut-êtresejoindreànousmaiscomments’yprendrait-ildepuislecamprebelle?J’ajoutequandmêmesonnomsurmafeuille.

PourorganiserleTest,ledocteurBarnesbénéficiedetouteslesressourcesdelaCommunautéunifiée et surtout d’ungrandnombred’annéesd’expérience. Jen’ai,moi, queTomas,Stacia,moninstinctetquelquesjours.Leplusefficaceserademettremescamaradesfaceàunchoixdéterminant.Unchoixquimeprouverasansaucundoutequ’ilssontconvaincusdelanécessitédemettreuntermeauTest,maisaussiqu’ilssontprêtsàutiliserlaviolencepouratteindrecetobjectif.

Plusfacileàdirequ’àfaire.Je considère différents scénarios mais aucun ne me semble réellement approprié. C’est

justement mon problème. Tous mes camarades travaillent dur pour devenir des dirigeants maischacunpourdesraisonsquiluisontpropres.JedoisdonccréerplusieursTest.

Raffe est là pour des raisons familiales. En toute logique, il devrait appartenir au camp deBarnes,maisçanesemblepasêtrelecas.Iln’agitpascommeunhéritiernatureldupouvoir.Iladessecrets, toutcommeIan,quivientcommemoidescoloniesetasubilesépreuvesduTest.Ilyadegrandeschancespourqu’ilpartagemonopinionmaisjenesuispascertainequ’iln’aitpasrejointlarébellion. S’il pense que Symon essaie réellement de renverser Barnes, il ne voudra pas quej’interfèreavecsesplans.Jenepeuxabsolumentpasprévoirsaréaction.

Enzo est un autre mystère. Je pense que son père et ses frères suivent la faction rebelle deRanetta.Ilpourraitpeut-êtrelesinformerdelamanipulationdeSymonetmêmeencouragerRanettaàs’occuperdecertainesciblesdésignéespar laprésidentesansqueBarnesensoitalerté.Mais, ilestaussipossiblequ’Enzonemecroiepas.Entantquemembrespotentielsdelarébellion,IanetEnzopeuventaussibiendevenirmespartenairesquemesennemis.

Raffe,IanetEnzo.Jedoislestestertouslestrois.Laquestionlaplusdérangeanteest:quedois-jefaired’euxs’ilséchouent?

Mes paupières sont lourdes. J’aimerais continuer de travaillermais je sais quemon cerveaufonctionne mieux quand je suis reposée. Sans compter que je n’aurai peut-être pas l’occasion dedormirdanslesjoursquiviennent.

Jemeglisseentrelesdrapsavecmonsacdanslesbras.J’yaiajoutédesvêtementsderechange.Avoirmesaffairescontremoiestétrangementréconfortant.C’estcommeçaquejedormaispendantleTestet jesuis toujoursenvie.Avecdelachanceetde laréflexion, jevaism’ensortircettefoisencore.

Monsommeilestpeuplédesouvenirsfugaces.Lesplantesvénéneusesdeladeuxièmeépreuve.Malachiau sol,uncloudans l’œilparcequ’il avait touché lamauvaisepiècede la radioquenousdevionsréparer.Annaliserejetantsescheveuxrouxenarrièreavantdefranchirlaporte.Lesruesdelacitéabandonnéetransforméesenlabyrinthemortel.LesyeuxvertsdeWilletlecanondesonarmepointésurmoi.

Quand jemeréveille, lesoleil inondemachambre.Aujourd’hui, laprésidentevaannoncer ladisparition de Michal. Le vote à la chambre des débats sera repoussé. Le compte à rebours desrebellesvaêtreinterrompu,lemienvadémarrer.Etlesimagesdemonrêvem’ontdonnéuneidée.

Jemedoucheetm’attachelescheveux.Ilresteuneheureavantledébutdescours.C’estparfait.Jeprendsdeuxdespucesrécupéréesdanslasalleducinquièmeétageainsiquelemoniteurauxquelleselles sont reliées.Après un rapide inventaire des piècesmétalliques du tiroir dema commode, jedescendsjusqu’auxlaboratoirespourrécupérercequimemanque.Jeremontechercheràmanger.Jetravailleraipendantmapausedéjeuner.JeparsàlarecherchedeIan.IlestàsaplacehabituellefaceàRaffe.Jevaism’asseoirprèsdelui.

Lamaindanslapoche,jeluidemandeàvoixbasse:–Tuasquelquesminutesàm’accorder?Jedoisallerenclasse,maisjevoulaiste…

Jelaissetombermafourchetteet,enmebaissantpourlaramasser,jeglisseunedespucesdanslapochettedesonsac.J’espèrequ’ilneleremarquerapas.Jemeredresseengardantlesyeuxbaissésdefaçonàcequ’ilcroiequejesuisgênéeparmamaladresse.Jereprends:

–Est-cequ’onsaitquandonseradenouveauautorisésàquitterlecampus?

–Pasencore.C’estunmalpourunbien:toutlemondeenprofitepourrattrapersonretard.Maisà mon avis, ça ne durera pas. De toute façon, je suis sûr que dans quelques jours, les étudiantscommencerontàenfreindrelarègle.

–Qu’est-cequileurarriveras’ilssefontprendre?–Chaquechefdedépartementestdifférent.IlparaîtqueleprofesseurMarkumestplutôtlaxiste.

LaprofesseureHolt,elle,c’estuneautrehistoire.Saufsiellet’apprécieparticulièrementbienousiellet’ademandéd’effectuerunetâchepourelle.

Lecoupd’œildeIanversGriffinnelaisseaucundoutesursonallusion.Pourtant,ellepourraitaussibiens’appliqueràlui.Aprèstout,laprofesseureHoltluiademandédesservicesparlepassé,comme m’espionner par exemple. La puce me permettra de déterminer s’il franchit les limitesautorisées. Si c’est le cas, ça voudra dire qu’il travaille pour la professeure. Ce n’est pas un testinfailliblemaisc’estunpremierpas.

Raffequitteleréfectoireenmêmetempsquemoietaccordesonpasaumien.Noustraversonslepontensembleetnousdirigeonsverslecentreducampus.Iljetteuncoupd’œilpar-dessussonépauleavantdelancer:

–Laprésidentevaprésentersapropositionàlachambredesdébatsaujourd’hui.C’estsûrementpourçaqu’onn’apasledroitdesortirducampus.LedocteurBarnesetsesfidèlesneveulentpasseretrouverprisentredeuxfeuxsil’assautdesrebellesestdonnéplustôtqueprévu.

Cen’estpasidiot.SaufqueRaffen’estpasaucourantqu’ilyadesrebellessurlecampus.–Alors, reprend-il, est-ce que tu as trouvé unmoyen de déjouer la puce de nos bracelets et

d’empêchercequiestsurlepointdeseproduireouest-cequetuesencoreentraindetedemandersitupeuxmefaireconfiance?

–J’aiencorebesoind’unpeudetemps.Jen’aipasoubliéquelaconfiancequej’aiaccordéeàWillafaillicoûterlavieàTomas.–Dèsquej’auraiplusd’éléments,jetetiendraiaucourant.– Tu n’as pas beaucoup de temps devant toi, Cia. Tu n’en as même plus du tout. Si on veut

changerleschoses,ondoitagiravantqu’ilsoittroptard.Surcesmots,Raffes’éloigneendirectiondubâtimentdessciences.J’aienviedelesuivremais

jemeretiens.Monpremiercourscommencedansvingtminutes.JedoistrouverStacia.Nousn’avonsaucuneclasseencommunavantdemainaprès-midietRaffearaisonaumoinssurunpoint:jen’aipasbeaucoupdetemps.

Jelarepèreprèsdubâtimentdesscienceshumaines.Jeluifaissignemaisellenemevoitpas.Jel’appelleetjecoursverselle.

–Qu’est-cequetufaislà?m’accueille-t-elle.Tun’aspashistoiremondialeenpremièreheure?J’acquiesceetjejetteunœilàmamontre.Jen’aiquequinzeminutesdevantmoi.–J’aiunserviceàtedemander.On s’assoit sur un banc près de l’allée. Je sors un livre pour que nous ayons l’air de deux

étudiantesentraindetravailler.–Çaal’airurgent,remarqueStacia,lessourcilsfroncés.TuasenfinlarguéTomas?Ellelèvelesyeuxaucieletattendquejeriecommeàchaquefoisqu’ellefaitcetteplaisanterie.

Maisjen’esquissemêmepasunsourireetellereprendsonsérieux.Jeprendsunecourteinspiration.–LaprésidenteCollindarm’ademandéderéuniruneéquipepourl’aideràmettrefinauTesten

éliminantlesofficielsquienontlacharge.–Quoi?Staciaclignedeuxfoisdespaupières.–Turigoles,là?Hein?Jenerépondspas.Elleécarquillelesyeux.–Tunerigolespas?–J’aimeraisbien.Jeluiraconterapidementcequejesais.Ilnemeresteplusquecinqminutes,jedoisconclure:– En ce qui me concerne, je n’ai pas de doute : le Test doit disparaître. Contrairement au

présidentDalton durant laQuatrième Époque de la guerre, la présidente Collindar a décidé de sebattrefrontalementcontreceuxquirisquentdeplongernotrepaysdanslechaosetlesaffrontements.Maisjen’aiaucunechancederéussirlamissionqu’ellem’aconfiéesanstonaide.

Plus que deux minutes. Je vais devoir courir pour arriver à l’heure à mon cours d’histoiremondiale.J’espèreavoirfourniassezd’informationsàStacia.Jelaregarde,pleined’espoir.

–Onpeutseretrouvericidansdeuxheures,situveux.Sonbâtimentestjusteenface.Elleselève.–D’accord.Ne serait-ce que parce que jemeurs d’envie de savoir ce que tu as d’autre àme

révéler.–Neparlesurtoutàpersonnedecequejeviensdeteconfier.Sinon,onauratouteslesdeuxde

grosennuis.Staciaacquiesceet jem’éloigneenespérantnepasavoircommislaplusgrosseerreurdema

vie.

Lecoursestentraindedébuterquandj’entredanslasalle,leprofesseurLeehausseunsourcilpourmanifestersonétonnementdevantmonretard.Jem’assoisetsorsuncahieretuncrayondemonsacquejelaisseouvertafindepouvoirgarderunœilsurlemoniteurdelapucequej’aiposéesurIan.

Jen’arrivepasàmeconcentrersurlecours.LeprofesseurLeefiguresurlaliste.Pourtant,jel’aime plutôt bien.C’est un enseignant qui encourage les élèves et essaie de les pousser à réussir.Commentpeut-ilvouloirpriverlepaysd’unpotentieldecandidatsintelligentsetdésireuxdemettreleurscompétencesauservicedenotrepays?

–MademoiselleVale,quepouvez-vousnousdireàproposdupremierministreChae?Je sursaute. Je ne l’écoutais pas. Heureusement, c’est un sujet que je maîtrise. Nous l’avons

étudiéauxCinqLacsetleprofesseurLeelui-mêmel’aévoquéàplusieursreprises.

–LePremierministreChaeestàl’originedel’Allianceasiatique.C’estsonrefusd’accepterladéfaitelorsdusommetdeSanaiquiaobligélesgouvernantsdesautrespaysasiatiquesàpoursuivreles négociations, ce qui a abouti à des signatures de traités qui ont permis de maintenir la paix.Malgré leplébiscitedespeuplesasiatiques, ila refusé lepostededirigeantde l’Alliance.S’ilavaitaccepté, son désir de paix aurait peut-être pu éviter l’escalade qui amené aux SeptÉpoques de laguerre.

LeprofesseurLeemescrute.–C’estcequevouspensez,mademoiselleVale?Touslesregardssonttournésversmoienattentedemaréponse,maisjenesaispasquoidire.

LeprofesseurLees’adresseàlaclasse:–C’estcequevouspensez?Je ne suis apparemment pas la seule que cette question rendmuette.Lee nous observe. Jeme

décide.–C’estcequevousnousavezappris.LesourireduprofesseurLees’élargit.– C’est vrai. Nous connaissons quelques éléments historiques d’avant les Sept Époques de la

guerre.NoussavonsparexemplequelepremierministreChaes’estbattupourl’unitéasiatiqueetquebienquebeaucouppensentqu’ilnelefaisaitquedanslebutd’accéderaupouvoir,iln’ajamaisessayédediriger l’Alliance.Noussavonsaussiqu’ilaparcouruleJapon, laChine, laCoréeduSudetduNordpourconvaincretousceuxqu’ilpouvaitdesondiscoursdepaix.Riend’autre.Aujourd’hui,jevoudraisquenousnousinterrogionsensemblenonpassurcequenoussavonsmaissurcequenousignorons.

Laconfusions’inscritsurlevisagedemescamaradesainsisansdoutequesurlemien.Onnous

parledesévénementsquiontprécédélesSeptÉpoquesdelaguerredepuisnotreplusjeuneâge.C’estun sujet que les professeurs des Cinq Lacs abordaient souvent. Durant le Test, de nombreusesquestions portaient sur ce thème. L’idée qu’il existe des informations qu’on ne nous a pascommuniquées, me plonge dans la perplexité. Les bras croisés, j’attends que le professeur Leeprécisesapensée.

Ilnesouritplus.– Ce qui saute aux yeux, c’est que nous ne possédons aucun document concernant les

agissementsnonofficielsduPremierministreChae.Quepouvait-ilfaireetpenserunefoisloindescamérasetdesmicros?C’estceàquoijevoudraisquevousréfléchissiez.

Arpentant les allées entre nos tables, le professeurLee disserte sur lemystère qui entoure ladécision du Premier ministre de ne pas diriger l’Alliance. Il a disparu pendant dix ans pourréapparaîtrequandlaMongolieaannexédesterresàlaChine,mettantainsilapaixenpéril.C’estàcemoment-làques’estconstituédanstouslespaysdel’AllianceunmouvementquiréclamaitladémissiondudirigeantalorsenplaceenfaveurduPremierministreChae.

D’aprèsleprofesseurLee,certainsécritsrescapésdecettepériodesuggèrentqueChaeapasséces dix années à voyager pour engranger des soutiens. Dans le même temps, il réaffirmaitrégulièrement son appui officiel au dirigeant en place.Des rumeurs, jamais confirmées, laissent àpenserqu’ilauraitétévuenMongoliepeudetempsavantqueleprésidentmongollancesestroupessurlaChine.

– Malheureusement, ajoute le professeur Lee, la mémoire de cette époque était presqueexclusivement stockée sur des ordinateurs. Cette technologie a été perdue au fil des guerressuccessives.

Ils’arrêtedevantmatable.– Si ces rumeurs sont réelles, il est fort possible que l’altruisme apparent de Chae n’ait été

qu’unecouverturedestinéeàdissimulersesvéritablesintentions:devenirledirigeantdel’Allianceencréantdetoutespiècesunemenacequilepropulseraitdenouveaudansl’arènepolitique.Sicettehypothèse est juste, Chae a tout simplement préparé le terrain afin d’apparaître comme l’hommeprovidentiel,réclaméparlepeuple.Sonplanauraitpufonctionners’iln’avaitpasétéassassiné.Voussavezcequis’estpasséparlasuite.

Chaquepaysasiatiqueaaccusél’autred’êtreresponsabledecetassassinatetuneguerrecivileaéclaté.LestroublesontpoussélacoalitionduMoyen-OrientàattaquerleJapon.Unparun,touslespaysdumondeontétéobligésdes’impliquerdansleconflit.Desvillesontétébombardées,détruites.Etlapopulationmondialeaétédécimée.Jepensaisavoircomprislesraisonsquiavaientmenéàcette catastrophe, mais si le professeur Lee a raison, on ne m’a enseigné qu’une partie de notre

histoire.Cen’estpasréellementunesurprise.Jesavaisquebeaucoupd’informationsontétéperdues.Lesrescapésétaientconcentréssurleursurvie,passurlaconservationdelamémoiredumonde.

– Il est intéressant de spéculer sur ce qui aurait pu se produire si le Premier ministre Chaen’avait pas été assassiné et plus fascinant encore de considérer ce à quoi le monde ressembleraitaujourd’huis’ils’étaitcontentédurôlequ’onluiassignaitsanschercheràobtenirplusdepouvoir.

LeprofesseurLeejetteunœilversl’horloge.Lecoursestterminémaisjen’aiaucuneenviedequitterlaclasse.Jenesuispaslaseuledanscecas,aucunétudiantn’abougé.

–À présent, reprend le professeur, je voudrais que vous écriviez une dissertation sur ce quevouspensezqu’ilseseraitpassési lePremierministreChaen’avaitpasétéassassiné.J’espèreêtreéblouiparvotreclairvoyancepolitique.Ceuxquim’impressionnerontlepluspourrontparticiperàunséminairetrèsspécialsurcequisepasseaujourd’huiendehorsdeslimitesdelaCommunautéunifiéeetsurtoutsurcequirisquedes’ypasserdanslesannéesàvenir.

Ilnousoffreunlargesourireetd’unpaslent,sedirigeverslaporte.Malgrétoutcequis’estpassé ces derniers jours, je ne peux pasm’empêcher d’être excitée par l’idée de ce séminaire. Enapprendreplussurcequisepasseau-delàdenosfrontières?Ceseraitextraordinaire.D’autresquenoussebattent-ilspourredonnerunechanceàlaTerre?Est-ilpossiblequemesdécisionsaffectentdespersonnesquin’appartiennentpasàlaCommunautéunifiée?

J’aienviedecroirequelechancelierFriedrichn’apasfaitassassinerlePremierministreChaepour obtenir plus de pouvoir mais pour tenter de conserver une certaine stabilité au sein del’Alliance.LedocteurBarnesn’ariend’unChae.Ilnes’estjamaisfaitl’avocatdelapaix,pourtantsonsystèmedesélectionapermisderevitaliserlepays.BienquejepensequeleTesttrahittoutesmesvaleurs, d’autres ne sont peut-être pas d’accord avec cette idée. Il est même possible que certainscandidats,silamémoireleurrevenait,iraientjusqu’àconsidérerledocteurBarnescommeunhéros.

J’espèrequeceneserapaslecasdeStacia.Enzo et moi nous rendons ensemble au cours suivant : mathématiques avancées. Je ne sais

toujourspascommentletester.Peut-êtrequelefaitqu’ilnem’aitpasdénoncéeàlaprofesseureHoltdevraitmesuffire.

Maisc’estimpossible.Jedoisabsolumentapprendreàquisafamilleestfidèle.Alorsquenousentronsdanslebâtimentdessciences,ilsetourneversmoietmedemande:–Toutvabien?Jeleregardesanscomprendre.– C’est juste que… je suppose que ce n’est pas facile pour toi avec tout ce qui s’est passé,

m’explique-t-il.Àquoifait-ilallusion?ÀlamortdeDamoneouàtoutautrechose?Lesmainsenfoncéesdans

lespoches,ilreprendàvoixbasse.–Jevoulaisjustequetusachesquesituasbesoindequelqu’unàquiparler,jesuislà.Monpère

dittoujoursquesijesuisplusintelligentquemesfrères,c’estparcequej’aitoujourssuécouteraulieudefoncerdroitdevantmoisansréfléchir.

Jeluirépondsenmedemandantpourquelleraisonilessaiedemepousseràlaconfidence.–Foncerdroitdevantsoiestunexcellentmoyendeseblesser.Quesait-ildecequejeprépareetquelusageferait-ildesinformationsqu’ilpourraitmesoutirer

?Ilestévidentqu’ilnes’inquiètepasseulementpourmoiparamitié.J’ajoute:–Mercidetasollicitudemaispourlemoment,jen’aipastrèsenviedeparlerdetoutça.Ilhausselesépaules.–C’estjusteque…commejet’aivue…enfin…j’espèrequetusaisquejetecomprendsetque

tupeuxmefaireconfiance.Plusilmelerépète,moinsj’aienviedelecroire.–Merci.Çamefaitdubiendesavoirqu’onadesamissurquicompter.Ilsetrémousse,manifestementmalàl’aise.Jeluisouris.–Viens,sinon,onvaêtreenretard.Heureusement, nous arrivons juste avant le début du cours. Le professeur couvre le tableau

d’équationsàrésoudrepourleprochaincours.Ilnouslaissetoutjusteletempsdelesrecopieravantde les effacer. Le cours qui suit est tellement intense que j’ai à peine le temps de vérifier lesdéplacements de Ian. On nous annonce que le professeur Jaed a dû s’absenter et que notre courssuivant–histoirede laCommunautéunifiée–estannulé. J’aidoncdeuxheures libresdevantmoi.C’estassezdetempspourrediscuteravecStaciaetimagineruntestappropriépourRaffe.

Staciam’attendoùnousnoussommesquittées.Elleselèveavantquejem’assoie.–Tu n’as pas besoin deme convaincre que la présidente t’a réellement confié cettemission,

attaque-t-elle.J’aid’abordpenséquec’étaituneblaguemaisjesaisquetuneplaisanteraispassurunsujetcommecelui-là.Alorsdis-moicequejepeuxfairepourt’aider.

–Tuacceptes?Commeça?J’avaispréparémesarguments.Jepensaisqu’ilmefaudraitunpeudetempspourladécider.–DurantleTest,jemeseraisrangéeducôtédudocteurBarnesparcequemaréussitedépendait

desonbonvouloir.Aujourd’hui,jechoisisdesuivrelaprésidenteparcequesinousréussissons,jeseraiconsidéréecommeunehéroïne.Macarrièreseraassuréeetjeseraisûred’obtenirunpostedepouvoir.C’estcequejeveux.Alors,parquoioncommence?

Bonnequestion.–Jedoisalleraubâtimentdespré-étudiants.Allonsdiscuterlà-bas.Le bâtiment des pré-étudiants est celui où nous avons habité après notre réussite au Test, en

attendant les examens qui ont permis à l’administration de nous assigner un département d’études.Entredeuxsessions,ilestvide.Nousyseronstranquilles.

– J’imagine que Tomas fait partie de l’équipe ?me lance Stacia alors que nousmontons les

marches.La porte est ouverte comme celle de tous les bâtiments du campus pendant la journée. Les

laboratoires du premier étage sont vides et parfaitement silencieux. Je confirme la supposition deStaciaetnousentronsdanslelaboratoiredechimie.Troisgrandesfenêtreséclairentlesdixpaillassesnoiresetlestabouretsargentés.Unegrandearmoiremétalliqueestrempliedeproduitschimiques,demicroscopes,debecsBunsenetd’autresoutils.

Jeposemonsacsurlatablelamoinsvisibledesfenêtresetj’ensorsl’écranGPS.Iann’apasquittélecampus.Iln’estd’ailleurspastrèsloindenous.Staciafroncelessourcils.

–C’estquoi?Elleécouteattentivementmonexplicationetenchaîne:–Combiendenomssontinscritssurlaliste?–Douze.Jelesluiénumèreenprécisantlesraisonsquem’adonnéeslaprésidentepourchacun.Staciaest

clairement étonnée d’apprendre que son chef de département est une des cibles mais elle nem’interromptpas.Toutenparlant,jesorsdemonsacdufilélectrique,uninterrupteur,unebatteriesolaireminiatureetdesplaquesdemétal.

–Qu’est-cequetuvasfaireavecça?–Uneradioà impulsion.JeveuxqueRaffecroiequejedétiensdes informationsenregistrées

susceptiblesd’aiderlaprésidenteàmettreuntermeauTest.

–Pourquoi?–Jen’aipasencoreréfléchiauxdétailsmaiss’iltrouveunmoyendemelavoler,jesauraique

jenepeuxpasluifaireconfiance.Staciasecouelatêteetcroiselesbrassurlapoitrine.–Etqu’est-cequetuferas?Raffen’estpasidiot.S’iltevolelaradioetserendcomptequetu

l’as trompé, il comprendra que tu l’as piégé. Il en parlera à sonpère et on aura tous de très grosproblèmes.

Jeposemesmatériauxensoupirant.Ellearaison.–Tuasunemeilleureidée?–Justement,oui.Staciaprendlaboîtequejeviensdemonteretlaretourne.–SiRaffeéchoueauTest,ildoitensubirlesconséquences.Mort,ilnepourraparlerdenousà

personne.

Chapitre8

–Onnepeutpas…Staciamefixedesonregardfroidetcalculateur.–Tuasl’intentiondetuerBarnesetonzedesesfidèles,lâche-t-elle.Tucroisvraimentqu’une

victimesupplémentaireseraunproblèmepourlaprésidente?–Non.Mavoixn’estqu’unmurmure.Ceneseraévidemmentpasunproblèmepourlaprésidente.Mais

pourmoi, oui.Mes jambes semettent à trembler. Je pose les paumes sur le carrelage froid de lapaillasse.

–Cen’estpasparcequetuappréciesRaffequ’ilnereprésentepasunemenace,poursuitStacia.Tun’aspastrente-sixsolutions.Soittulelaissesendehorsdeça,soittuletestes.Etsituchoisisdeletesteretqu’ilserévèleindignedetaconfiance,ildoitdisparaîtredel’équation.

TenirRaffeàl’écart?Jenepensepasquecesoitpossible.IlensaitdéjàbeaucouptropsurleTest et la fausse rébellion. Et il sait aussi que je sais. Il va forcémentme garder à l’œil. Si je nel’intègrepasàmonéquipe,ilessaierad’interférerdansnotreplan.Cequipeutcauserlamortdemonfrèreetd’autresrebelles.EtempêcherlaprésidentedemettrefinauTest.

Jenepeuxpasprendrecerisque.Enessayantdenepaspenseràcequejesuisentraindefaire,jeglissemadeuxièmepucedansla

boîte.Puisjevaisjusqu’àl’armoireauxproduitschimiques.Elleestferméeàclé.Cen’estniunesurpriseniunproblème.C’estlemêmeverrouquesurl’armoireàvêtementsde

mesfrèresauxCinqLacs.Quandj’étaispetite,ilss’amusaientàmevolermapoupéedechiffonetl’yenfermaient.Monpèrem’aapprisàcrocheterlaserrurepourlarécupérer.Àpartirdecemoment,mesfrèresontarrêtédemelaprendre.

Ilnemefautpasplusdequelquessecondespourouvrirl’armoire.Pendantquejeprendscedontj’aibesoin,Staciamecomplimentesurmescompétencesdecambrioleuse.

Jevaisunefoisdeplusutiliseruntrucquemonpèrem’aenseigné.Charbon,nitratedepotassiumetsoufre.Staciame regarded’un air approbateur. Jemesure les ingrédients en espérant que je n’ai pas

oublié les proportions correctes. Je me retrouve avec deux bols qui contiennent chacun soixante-quinze pour cent de nitrate de potassium et le reste en soufre et charbon. Stacia m’aide àsoigneusementréduirelapréparationenpoudretoutenréfléchissantàvoixhaute.

–JecomprendspourquoilaprésidenteveutmettreuntermeauTestmaisn’empêchequ’iln’estpascomplètementinutile.Jeveuxdire,c’estquandmêmeimportantdedifférencierlesgenscapablesdedirigeretlesautres,non?

–Tuerlescandidats,c’estquandmêmeunpeuextrêmecommeméthodedesélection.C’estpourtantexactementcequejem’apprêteàfaire.Staciafaitlamoue.–Jen’arrivepasàcroirequ’ils tuent tousceuxquiéchouent.Notrepaysestencoreenpleine

reconstruction.Éliminerplusdequatre-vingtsjeunesgensparann’estpaslogique.–Alorstucroisqu’ilsleurfontquoi?Jemesuissouventposécettequestion.– Je ne sais pas, reconnaît Stacia.On n’a pas de souvenirs duTest.Qui te dit que c’est aussi

terriblequ’ontel’adécrit?Etmêmesic’estlecas,penseauxconséquencesdumauvaischoixd’undirigeant.Passeulementpourluimaispourtoutlepays.Parquelleautreméthodepeut-ondéciderdelapersonneàquionconfienotreavenir?Nosvies?

Les interrogations de Staciame perturbent car son raisonnement est loin d’être illogique. Jesoupire.

–Ilyaforcémentunautremoyen.–Jel’espère.Maisn’oubliepasquesilaprésidenteasuqu’ellepouvaitteconfiercettemission,

c’estavanttoutgrâceauTest.IlsepasseraquoiquandleTestauraétésuppriméetqu’onaurabesoindedirigeantsprêtsàtoutpourquecepayssurvive?Cen’estpasparcequequelqu’unaffirmequ’ilestcapabledeprendreleschosesenmainquec’estvrai.Etcen’estpasparcequeselontoi,leTestestamoralqu’iln’estpasnécessaire.

–Sic’estcequetucrois,pourquoias-tuacceptédem’aider?LesouriredeStaciaestdépourvudechaleur.Jenepeuxréprimerunfrissonquandellelance:–Parceques’ilyalemoindrerisquequeleserreursdupasséquiontréduitcepaysetlaterre

entièreencendresereproduisent,jeveuxfairepartiedeceuxquitenterontdel’empêcher.Mêmesijedoistuerpourça.C’estunefaçond’entrerdansl’histoire.

Elleéclatederire.–Etpuis,jesaisquetoi,tuescomplètementsûredetoi,sinon,tuneseraispaslà.Situpenses

quec’estleseulmoyend’empêcheruneguerrecivile,tonopinionmesuffit.Autrementdit,Staciaestlàparcequejeleluiaidemandé.Elleestprêteàprendredesviesnon

parpassionouparconviction,maispourmoi.Parcequ’elleafoienmoi.Enmeschoix.Jen’aiplusqu’àespérerquejenemesuispastrompée.

Nouspassonslademi-heuresuivantesanséchangerunmot.Nousavonsmalauxbrasmaisnotrepréparationestprête.Nous la tamisonset l’essayons.Nousendéposonsunpetit tas surunblocdeboisetj’enapprocheuneallumette.Unehauteflammejaillitavantdes’éteindre.

Nousbourronslesespacesdelafausseradioàimpulsiondemorceauxdepapierdéchirésetdepoudre puis j’ajoute les fils électriques et j’entoure le boîtier de gros Scotch noir. Je poussel’interrupteurenposition«marche».

Staciareculealorsquejeconnectelesfilsàmabatterie.Jecomptejusqu’àdixetjepousseunsoupir de soulagement. Pour déclencher la charge explosive,Raffe devra tourner le bouton à 180degrés.S’ilallumelaradioparerreur,ilnesepasserarien.

–Impressionnant,commenteStacia.jesuiscontented’êtredetoncôté.Tucomptesluidonnerçaquand?Jepréfèrem’assurerdenepasêtredanslecoins’ildécidedetetrahir.

–Jenesaispas.Maintenant que j’ai le boîtier en main, je visualise Raffe en train de tourner le bouton.

Déclencherl’explosion.Mourir.–Netraînepas,meconseilleStacia.Sionveutavoirunechancederéussir,onn’apasdetemps

àperdre.Je sais qu’elle a raison. Je verse soigneusement le reste de la poudre dans un flacon dont je

scelle le bouchon. Je le mets dans mon sac avec une boîte d’allumettes que j’ai trouvée dansl’armoire.Staciam’aideànettoyertoutetracedenotrepassageetàrefermerl’armoire.Jeluitendsunedesradiosquej’aifabriquées.

–Jetepréviendraiquandj’auraitestétoutlemonde.–Tuvasoù?medemande-t-elle.–Enclasse.–Pourquoi?Avectoutcequinousattend,jenepensepasquesécherquelquescoursvaavoirle

moindreimpactsurnotremoyenne.–Peut-êtrepasmaissinousnevoulonspasnousfaireremarquer,nousdevonsnousentenirà

notreroutine.Staciahausselesépaules.– Personne ne sera surpris si je suis en retard. Le professeur Frick n’est pas un exemple de

ponctualité.Onsevoitdemainsitunemecontactespasavant.EllejetteundernierregardauboîtierdestinéàRaffe.–Bonnechance,lance-t-elleavantdequitterlasalle.Alors que je m’apprête moi aussi à partir, je remarque que la diode de ma radio clignote.

Tomas.«J’espèrequeçafonctionne.J’aiinterrogélesétudiantsdesannéessupérieuressurDreuOwens

etj’airécoltéquelquesinformations.Retrouve-moiàlaserreaprèslescours.Avecl’annulationdes

stages,çadevraitêtreunbonendroitpourseretrouver.Ohet,Cia…jet’aime.»Cesmotsmedonnentlaforcederamassermonsacetd’avancer.CetestpourRafferessemble

beaucoup trop à une épreuve imaginée par le docteur Barnes. Mais Tomas a déjà subi lesconséquencesdemesmauvaischoixavecWill.Cette fois, ilneseraitpas laseulevictime.Staciaaraison.SiRaffecomprendqu’ilaétémisàl’épreuveetqu’ilaéchoué,ilferasonpossiblepournousmettredesbâtonsdanslesroues.Jenepeuxpasmepermettreuneerreur.Jedoisêtresûredeluietiln’yapasd’autremoyen.

Leprofesseurestdéjàenclasse.Jem’assoissansbruit.Willmeregarde,unsourcilenarcdecercle.Jemecontentedeluirépondreparunsourirecommesimonretardn’avaitriend’inhabituel.

Je prends des notes etme concentre sur les différentes langues parlées au sein de l’Allianceasiatique,mais jeprends le tempsdevérifier régulièrementmonécrandecontrôle.Deux lumièresclignotentnon loin l’unede l’autre.L’uneest cellede Ian, l’autre, cellede la radioexplosivedansmonsac.

Lecourssetermine.Jerendsmondevoiretnotelesnouveaux.EnChimie,Raffes’assoitàcôtédemoi.Moncœurcognedansmacagethoracique.Staciam’a

demandédenepastraîner.Jevaissaisircetteoccasion.Àlafinducours,jenesaispascommentj’arriveàmeleversansquemesjambestremblent.Je

demandeàRaffed’untonneutres’ilauneminuteàm’accorder.–Çava?s’inquiète-t-il.Tun’aspasl’airbien.J’ignoresaquestion.–Turetournesàlarésidence?–Oui.Onyvaensemble?–Jenepeuxpas.J’attendsqueledernierétudiantsoitsortipourajouter:–J’aiunrendez-vousmaisj’aiunobjetsurmoiquejeneveuxpasgarder.C’esttropimportant.J’ouvremonsacetensorsleboîtier.–Qu’est-cequec’est?–Un enregistrement queTomas a trouvé. Il pourrait être très utile pour…si je parviens à le

donneràlaprésidente.Jeprendsuneprofondeinspiration.–J’espèrequel’interdictiondesortirducampusseralevéedemain,maisjeneveuxpasl’avoir

surmoipendantmonrendez-vous.Çapourraittournermal.JeleconfieraisbienàTomas,mais…– Je m’en occupe. Mais qui vas-tu rencontrer ? Tu es sûre que tu veux y aller seule ? À

t’entendre,çaal’airdangereux.Tudevraispeut-êtremelaisser…–Çaira.Jedoislefaireseule.Maispromets-moidenepasécouterl’enregistrement.Laradioa

l’airenmauvaisétatetj’aipeurquelesignalnesupportepasplusd’uneseulenouvelleécoute.

SiRaffeestenchevilleavecBarnesetSymon,ilnerésisterapasàlatentation.Lefaitqu’ilaittrouvé lespremiers enregistrements etme les ait remis aurait pu suffire àmeconvaincrequ’il estdans mon camp, mais il aurait également pu être au courant par son père de la manipulationorganisée par Barnes. Dans ce cas, il a sciemment envoyé Michal à la mort. S’il écoutel’enregistrement, je saurai pour qui il roule et s’il le remet à quelqu’und’autre, cette personne enpaieraleprix.

LevisagedeRaffereflèteunbrefagacementdevantmonrefus.–Est-cequetupeuxaumoinsmedirecequec’est

ouest-cequetuasgardécetteinformationpourtonpetitami?

–Jeteprometsdetoutteracontercesoir.Sacolères’évanouit.–D’accord.Faisattentionàtoietn’oubliepascequejet’aidit.Jesuisavectoi,Cia.Ilrangeleboîtierdanssonsac.C’estpeut-êtreladernièrefoisquenousnousvoyons.Lacharge

explosiveestsemblableàcellequemesfrèresetmonpèreutilisaientpourfendrelesrochers.Ilyasuffisammentdepoudrepourletuerouaumoinsleblessergrièvement.

Nousquittons le bâtiment ensemblepuis je le regarde s’éloigner vers la résidence. J’imagineune nouvelle fois l’étincelle enflammer le papier et la poudre, puis l’explosion. J’ai envie de lerattraperetdeluireprendreleboîtiermaisjemerappellelesmotsdeStacia.Fairelemalestparfoisnécessaire.C’estsansdoutecequeserépètentBarnesetsesfidèles.

Lesoleilestchaud.Jemarcheviteetjetranspire.Leprintempsestarrivé.L’herbeestplusverteetlesbourgeonssontprêtsàéclore.

Symbolesd’espoir.Enm’accrochant à ce signe, je vérifie l’écrande contrôle.Raffe approchede la résidencede

sciencespolitiques,Ianestàl’estducampus,peut-êtreàlabibliothèque.J’allongelepasverslestadeetlaserre.

Par le passé, ce lieu était destiné à accueillir des événements sportifs, mais après les SeptÉpoquesdelaguerre,lesscientifiquesonteubesoind’unenvironnementcontrôlépourcultiverleursnouveauxspécimens.Unstaden’avaitaucuneplacedansunelogiquederevitalisation.Iladoncétérecouvertdepanneauxde verre et été utilisé comme laboratoire d’expérimentation génétique. La plupart du temps, il estpleind’étudiants,deprofesseursetdechercheurs,maissanslesstagiaires,ilparaîtpresquedésert.

JevérifiequeTomasnem’apaslaisséunnouveaumessagepourm’indiquerunlieuderendez-vousplusprécis,maisladiodeestéteinte.Lestadeestimmense.EnespérantqueTomasaitlamêmelogiquequemoi,jemedirigeversl’entrée.

Tout en marchant, j’allume le transcommunicateur et j’appelle Zeen. Il ne répond pas. Je

m’assurequepersonnenem’observe.Jeneconnaispasleslieux.ContrairementàTomas,jen’aipasgrand-choseàyfaire.

L’entréedustadeestouverte.Jefranchislesportesetm’engouffredanslecouloirmaléclairé.

Tomasn’estnullepartenvue.Jecontinued’avancerquandunevoixm’interpelle:–Cia!Jemeretourne.Desbruitsdepas.Unesilhouetteapparaît.–Tomas?Maisjesaisquecen’estpaslui.Iln’apaslesépaulesaussilarges.Nilescheveuxtoutàfaitaussi

longs.Moninstinctmesouffledefuir.Jetournelestalonsetjememetsàcourir.

Chapitre9

L’hommeàmes troussespousseun juron.Quelqu’unadûapprendred’unemanièreoud’uneautrequeTomasetmoiavionsprévudenousretrouverici.Qui?Comment?Aucuneidéemaisjen’aipasenviedesavoir.

Lesangbatàmestempes.Jecoursàperdrehaleine.Lespasse rapprochent. Jemefaufileentre lespylônesdesoutienet tournevers lagauche.Je

suisrapide.Monpoursuivantl’estplusencoreetilconnaîtsansdoutecetédificemieuxquemoi.Peuimporte.Ilesthorsdequestionquejelelaissemerattraper.

Monsacrebonditsurmahancheetmefaitperdrel’équilibre.Jepasselalanièreenbandoulière.Touteslesportessontfermées.Jepourraisessayerdelesouvrirmaissiellessontverrouillées,jeneferaisqueperdredutemps.

Jecoursversunevoléedemarchessurmadroite.Enarrivantsurlepalier,jejetteuncoupd’œilpar-dessusmonépaule.Cheveuxnoirs,vestesombre.Visagefermé.

Il m’est vaguement familier et si je prenais un moment pour réfléchir, je parviendraisprobablementàlereplacer,maissonidentitén’estpasmapréoccupationprioritaire.Enrevanche,jesaismaintenantqu’ilestrapideetqu’iln’estpasarmé.

Lesoufflecourt,jegravisladeuxièmevoléedemarchestoutenouvrantmonsac.Mesdoigtsserefermentsurlacrossedemonarme.

Legarçons’estencorerapproché.Tantmieux.Qu’ilvienne.Arrivée en haut, je me retourne et je fais feu. Il saute sur le côté et dévale les marches en

poussantungrognementdedouleur.Jemeremetsàcourir.Ilpousseunjuronetserelève.Jel’airatémaisiln’estplusaussirapide.Detoutefaçon,atteindreuneciblemouvantealorsquejesuisentraindecourirdépassedeloinmescompétences.Heureusement,monpoursuivantnelesaitpas.Ilvaêtreobligédesemontrerplusprudent.

Unnouveauregardpar-dessusmonépaule.Jetire.Laballerebonditausoldevantlui.Ilsejettepar terre. Le couloir dessine une courbe. J’atteins le hall. Je tire encore avant de me jeter dansl’escalier.Jeredescendsaupremierétage.Avecunpeudechance,jevaistrouveruneissuequelquepart.

Jesuisàboutdesouffle.Jenesensplusmesmuscles.Ennageetsanscesserdecourir,jejetteun

œilderrièremoiet…jemecognedansquelqu’un.Desmainssaisissentmespoignets.Jemedébats.–Cia?Jelèvelesyeux.Tomas.–Cia,quesepasse-t-il?Unpeuplusloin,desbruitsdepas.–Ilyaquelqu’unlà-haut.Ondoitpartird’ici!–Sûrementdesétudiantsqui…–Non!Quelqu’unm’attendait.Ilmepoursuit.Ondoitpartir,Tomas!Lesbruitsdepasserapprochent.Tomasregardederrièremoi.Ilécarquillelesyeux.–Kerrick!Ilsecouelatête.Kerrickdescendlesmarches.–SiKerrickestlà,souffleTomas,çaveutdireque…Ilmepoussesurlecôté.Uneballesiffleàmonoreilleetunesilhouetteémergedel’ombre.Jene

réfléchispas.Parréflexe,jeriposte.Uncridedouleurm’apprendquej’aiatteintmacible.Jeneveuxmêmepassavoirquij’aiblessé.JeprendslamaindeTomas,jeluihurledebouger.S’ilnem’avaitpasécartéedutrajetdelaballe,jeseraisprobablementmorte.

Nousarrivonsauboutduhall.Desdéflagrationsretentissent.Tomastressailleàchaquecoupdefeu,maisnotreennemin’estmanifestementpasbeaucoupplusdouéquemoi. Je repèreune sortie,maisTomasm’entraînedel’autrecôté.

–Suis-moi.Nousfranchissonsunearcheetnousengageonsdansunealléequis’enfonceverslecentredu

stade.Magorgeestsèche.Noussommesdevantlaportedelaserre.Tomastapeuncode,lebattantcoulisse.Tomasmepousseàl’intérieur.

L’odeurdeterreetdechlorophyllemeremplitlesnarines.–Parici.Jenesuisvenueiciqu’unefois, lorsdenotrevisiteofficielleducampus.Jesuis incapablede

m’orienterseule.J’espèrequeTomasaunplan.Nous traversonsdes rangéesde sapinsetunbosquetd’ormes rougespourarriverdevantune

zoneentouréed’uneclôture.–Ilyaunecabinedecontrôleunpeuplusloin,vas-y,m’ordonneTomas.Onnepeutpaslaisser

KerricketMarinsortird’ici,ajoute-t-ilencommençantàdéplanterundespoteauxdelabarrière.Ilsiraientdirectementnousdénoncer.

Jecomprendscequ’ilaentêteetjeluiviensenaide.Cetteclôturesertàempêcherquiconqued’approcherparinadvertancedesplantesdangereusesquiontétéseméesici.J’enreconnaisquelques-unescommelemancenillier,lelierrerose,lepavottoxique,lejasminrouge.Monpèreapassédesannées à tenter de les éliminer. Certaines peuvent par ingestion ou par simple toucher détruire le

système nerveux ou provoquer des arrêts cardiaques. La plupart étaient déjà vénéneuses mais lesmutationscauséesparlesarmeschimiquesutiliséespendantlesguerresontaugmentéleurpouvoirdedestruction.Lesscientifiqueslesétudientafind’apprendrecommentéradiquerleurseffets.

Tomasetmoireplantonslaclôtureautourd’unezonepotagère.–Etmaintenant?jeluidemande.–Ondoitlesattirerparicienespérantqu’ilsneserendentpascomptedecequivaleurarriver.

Kerrickestenbiologiemaisiltravailleplussurlesespècesanimales.L’idéalseraitdemettrelefeupourproduiredelafuméemaisonn’apasletempsd’allerchercherlesbrûleursaulabo.Onpourraitpeut-être…

–Attends…Jesorsdemonsaclaboîted’allumettesquej’aipriseaulabodesciencesetcequimerestede

poudre.Tomasfroncelessourcils.–Qu’est-cequec’est?–Dequoiprovoquerunincendie.Toutengardantunœil sur l’entréede la serre, jedispose lapoudrepar terre surune feuille,

prèsdesfleursquemedésigneTomas:lespavots.Normalement,ilsdégagerontdesnuagestoxiquesqui s’attaquent directement au système nerveux.Cet effet a été découvert par des chercheurs de lacolonie Pierre qui ont enflammé leur plantation par erreur. Le vent a poussé la fumée et tous leshabitantsalentourontsouffertdespasmesetdecécité.Lagrandemajoritéestmorte.

Cette quantité de poudre devrait suffir. En revanche, il nous faut quitter les lieux sans avoirinhalédefumée.Tomasmetendunebandedepapierquipeutmeservirdemèche.Ellen’estpasaussilonguequejel’auraisaimé,maisjevaisdevoirm’encontenter.

Descrisretentissentetlaportedelaserres’ouvre.Jesorsuneallumettedelaboîte.Tomasmeregardeethochelatêteavantdesedirigerverslescris.Ilfaitsemblantdetrébucher

surunbuissonetpousseunjuron.Iln’enfautpasplus.

–Ilssontlà!crieKerrick.Tomascourtverslasortiederrièrenous.KerricketMarinpiétinentlesplantes.–Cia,m’appelleTomas.Viens!Jeluiréponds:–Jenepeuxpasbouger!Parsdevant,jeterejoins.Ilssonttoutprès.JedistinguelestraitsdeMarinpourlapremièrefois.Jel’aidéjàcroiséesurle

campus.Jecroisquejel’aimêmedéjàvuediscuteretrireavecTomas.Maisaujourd’hui,elleneritpas.

Uncoupdefeuretentit.C’estTomasquiestvisé.Unautre.KerricketMarins’approchent.Une

voix dansma têteme hurle de fuirmais je tiensma position en faisant semblant d’essayer demedégager d’une racine imaginaire. J’ai besoin qu’ils concentrent leur attention surmoi, pas sur lesplantestoxiques.Ilsnesontplusqu’àquelquespas.Danscinqsecondes,ilsserontlà.

Encoreuncoupdefeu.Quatre.Kerrickm’avue.Ilcrie.Trois.Marinmerepèreàsontour.Ellesourit.Deux.Jecraquemonallumette.Une.Mabandedepapiers’enflamme.Uneballelamanquedejustesse.Jem’élance.Ilscontinuentdemetirerdessus.J’étranglelecrideterreurquinaîtaufonddemagorge.Marin

appelleKerrick.Tomasmehurle demedépêcher. Je regarde derrièremoi. Il y a un problème, lapoudreauraitdûprendre.Notreplann’apasdûfonctionner.

Tantpis,jenedoispasm’arrêter.–Cia,viens!–Qu’est-cequec’estquecetruc?s’écriesoudainKerrick.L’odeurcaractéristiquedusoufreserépanddanslaserre.KerrickouMarinsemetàtousser.Je

continuedecourirdroitdevantmoi.Tomasaouvertlaporte.Ilestaussiterroriséquemoi.Ilmetendla main. Mais j’ai toujours un poursuivant à mes trousses. Je passe la porte. Tomas la refermederrièrenousetcompose lecodequi laverrouille.La lumièredupanneaudecommandepasseduvertaurouge.Personnenepeutplussortirsansuneinterventionextérieure.

Àtraverslavitre,jevoisKerrick.Ilestausol,saisidespasmes,commes’ilétaitentraindesefaireélectrocuter.Sonvisagesetorddedouleur.

Puisils’écroule.Mort.

Chapitre10

JemeforceàregarderKerrickrendresonderniersouffle.C’estmoiqui l’ai tué.Jenesavaisriend’autredecegarçonquesonnom,lesétudesqu’ilsuivaitetlefaitqu’ilmevoulaitdumal.

Des larmesme brûlent les paupières. Je sais que cette semaine, de nombreux autres étudiantsmourront.

Tomasme serre contre lui. Il essaie de détournermon regardmais je ne peux pas quitter lascènedesyeux.Chagrin,désespoir,peur.Voilàceque je ressens.Les larmescoulent librement surmesjoues.

Tomaseffleuremonmollet.J’aiététouchéeparuneballe.Jenepeuxreteniruncri.–Pardon,Cia,murmureTomas.Ilfautnettoyertaplaieetlapanser.Jenecroispasqu’ellesoit

profondemaistusaignesbeaucoup.Ilyauneinfirmerieunpeuplusloin.Viens.–Çava.Çanemefaitpasmal.Jemens.–Ondevraitpartird’ici.Tomassecouelatête.–Pluspersonnenenouspoursuit.Marinestrestéeàl’intérieur.Je suis son regard et je la vois, elle aussi, de l’autre côté de la porte vitrée. Marin, je ne

connaissaispassonprénommaisjenel’oublieraijamais.JememordslajoueavantdemetournerversTomas.

–Tusaiscommentallumerlesystèmed’irrigation?L’atmosphèrede la serre est trophumidepourque toutes lesplantationsprennent feumais je

préfèreensauverunmaximum.Etpuis,l’arrosagepermettradedissiperlesgaztoxiques.–Restelà.–Non.Jeviensavectoi.J’aimalàlajambe,maisjen’aiaucuneenviederesterseule.Tomasmepasseunbrasautourdes

épaulespourm’aideràmarcher.Danslacabinedecontrôle,jem’assoissurunechaiseetleregardepousserlesboutons.Aprèstroistentatives,ilserappellecommentdéclencherl’arrosage.Puisilmetenroutelaventilation.

–Attends-moiici,medemande-t-il.Jedoisremettrelaclôtureoùelleétaitetenleverlescorps.Jepensequejenerisqueplusrien.

–Jevaist’aider.–Non.Restelà.S’ilteplaît.Jedoislefaireseul.Des larmes brillent dans ses yeux. Je voudrais le serrer contremoi et le consolermais je ne

bougepas.Jesaisqu’ilessaiedesemontrerfort.Jemecontentedeserrersamaindanslamienneetjeleregardepartir.

Plusieurs minutes s’écoulent avant qu’il apparaisse derrière la vitre. Il replace la barrière etprenddanssesbraslecorpssansviedeMarinavantdes’éloigner.IlrevientetessaiedesouleverKerrick,maiscedernierest trop lourd. Il leprendpar leschevilleset le tire.J’auraisdû luidemanderde récupérer leursbracelets commenous l’avons faitpour ceuxqui sontmortspendantleTest.Afindenepaslesoublier.Commesic’étaitpossible.

JevérifiesurlemoniteurlesdéplacementsdeRaffeetIan.Ilsnesontpasloinl’undel’autre.Pastrèsloindelaserrenonplus.JesuisheureusequelepointquireprésenteRaffen’aitpasdisparudel’écran.Çasignifiequ’ilestencoreenvie.

Tomasrevient,levisageécarlate,maisilnesemblepasavoirpleuré.–Çava?Maquestionestidiote.Commentpourrait-ilaller?–Occupons-nousdetablessure,merépond-il.Ils’agenouilleetremontemajambedepantalon.Ilessuiedélicatementlesbordsdelaplaieavec

unchiffonhumide.Jeserrelesdents.Lesmainstremblantes,ilmepasseunecrèmeanesthésianteetcicatrisante.Ellecommencedéjàà

faireeffetquandilselancedanslesexplicationsdecequivientdesepasser.– Kerrick aide souvent les étudiants de première et deuxième année pour les devoirs de

génétique.Ilexpliquebien.Ilparvienttoujoursàrendreaccessibleslesthéorieslespluscomplexes.C’est agréable de discuter avec lui et il n’oublie jamais le moindre détail. Il a une mémoireincroyable.

Tomasparleauprésent.Ilvientdeportersoncadavremaisn’apasencoreacceptésondécès.Jeleregarde.

–TuluiasparlédeDreuOwens,n’est-cepas?–Oui.–Et?Illeconnaissait?–Ilm’aditqu’ilavaittravaillédanslemêmelaboratoirequeluipendantsonstagedepremière

année. L’équipe était chargée d’identifier les gènes mutants de ratons laveurs et de lapins. Ilsespéraientisolercesgènesettrouverunmoyendeleséliminer.

–OùestDreuOwensmaintenant?–Kerrickn’enétaitpassûr.Ilm’aconseilléderegarderdanslesarchives.–Vousavezparlédequoid’autre?

Parcequepourl’instant,rienn’expliquequ’ilnousaitattaqués.–IlvoulaitsavoirpourquoijecherchaisàjoindreDreuseulementmaintenant.J’airéponduque

tuavaisentenduquelqu’undubureaudelaprésidentedirequ’ilvenaitdesCinqLacs.Àcemomentlà,ils’estunpeuinquiété.Ilm’aconseilléd’attendreunpeuavantdeconsulterlesdossiers.Selonlui,lesprofesseurspourraientpenserquej’avaistropdetempslibreetmedonnerplusdedevoirs.J’aicruqu’ilplaisantait.

Enréalité,c’étaitunavertissement.TomasavaitintérêtàsetenirloindeDreu.Jeréfléchis.– Ils devaient faire partie des rebelles. Zeen m’a dit qu’on leur avait donné l’ordre de se

débarrasserdequiconquepourrait interféreraveclepland’attaquedeSymon.LesimplefaitquetumentionneslenomdeDreuadûlesinquiéter.

Unclaquementdeportenousfaitsursauter.Tomasm’aideàmelever.–Tudoispartir.–Ettoi?–Jeterejoinsmaisavant,jeveuxjeteruncoupd’œildanslesbureauxpouressayerdetrouver

lesdossiersdontKerrickm’aparlé.Ilsn’existentprobablementpasmaissiDreuestimportantpourlarébellion,ceseraitbienqu’onsachepourquoi.KerricketMarinsontmorts.J’espèrequecen’étaitpaspourrien.

Tomasmeconduitversl’issueouestdustadeetvérifiequelavoieestlibre.–Commentvatajambe?–Çava.–Tantmieux.Ilmecaresselajoueavantd’ajouter:–Jenecroispasquenouspuissionsattendrebeaucouppluslongtempsavantdemettreenœuvre

leplandelaprésidente.SiKerrickétaitprêtàmetuerjusteparcequ’ilavaitpeurquejereprésenteunobstacleàlarébellion,jen’osepasimagineràquoid’autresétudiantsrebellessontprêts.Cetendroitpeutsetransformerenchampdebatailleàtoutmoment.

Toutenparlant,Tomasserrelepoing.LuiquisouhaitaitfuiratrouvédanslamortdeKerricketMarinledésirdesebattre.Jeluiprendslamainetentrelacemesdoigtsaveclessiens.

–Staciaestavecnous.Sitoutsepassecommeprévu,notreéquipeseracomplètedemainmatin.Jedéposeunbaisersursajoueet,bienquejedétestel’idéedelelaisserseuldanscetendroit,je

tourne les talons.Quand je regardepar-dessusmonépaule, il n’estplus là. J’essaiedenepas tropboitermalgréladouleur.Monpantalonesttachédesang.Jenepeuxpasretourneràlarésidencedanscetétat.

J’entredansundesbâtimentsdessciencesetmedirigeverslestoilettes.J’enfilelepantalonderechangequej’avaispenséàglisserdansmonsacetjemelavelesmains.Puisjem’aspergelevisaged’eau.

Cesderniersjours,pasmoinsdetroispersonnessontmortesautourdemoi.Unautrepeutêtretuéoublesséàn’importequelmomentparunemachinequej’aicréée.Pourtant,quandjemeregardedanslemiroir,monvisageestlemême.Jenepeuxm’empêcherdem’enétonnermaisaussidem’enréjouirparcequecen’estpasfini.

Peut-êtrequ’àunmoment,mesactesserontvisiblessurmestraits.Alors,lesgenssaurontquijesuisvraiment.Etmoiaussi.

C’est la findes cours et jememêle auxétudiantsqui retournent à la résidence. J’ai leventrenouémaisjeplaqueunsouriresurmeslèvres.Alorsquejefranchislaporte,unéclatderirerésonnedanslehall.Jen’aiqu’uneenvie:monterdansmachambreetfermerlaportederrièremoi.Maisjepénètrecommesiderienn’étaitdanslasallecommune.J’aibesoindetrouverRaffe.

Iln’estpaslà.Jemonte au deuxième etme dirige vers la porte de sa chambremarquée du symbole qui le

représente : un ressort. Pour la première fois, jeme demande ce qu’il signifie. Un ressort qui sedétend et reprend sa forme pour permettre à tout un ensemble mécanique de fonctionner ou aucontraire un ressort de compression rigide qui empêche un système de bouger ? Raffe désire-t-ilsincèrement résister auxméthodes de sélection deBarnes ou travaille-t-il avec son père et Symonpourempêchertoutchangement?

Jeprendsuneinspirationetjefrappeàsaporte.J’auraibientôtlaréponseàcettequestion.Quand il ouvre, bien que je sache grâce aumoniteur qu’il ne lui est rien arrivé, jeme sens

profondémentsoulagéedelevoirentier.Ilmefaitentreretfermelaportederrièremoi.–Jecommençaisàm’inquiéter,dit-il.Tuastrouvécequetucherchais?–Non.Jeregardeautourdemoi.Ya-t-ildesmicrosoudescamérascachésquelquepart?Lesalonde

Raffefaitàpeuprès lamêmetaillequelemien.Latable, leschaiseset lecanapéysont identiquesmaisRaffeaprislapeinedepersonnaliserlapièce.Ilaposéunpatchworkbleuetblancsurlesofa,untapistisséàlamaindécorelesoletilaaccrochédespeinturesaumur.Certainessontencadrées,d’autresscotchéesauxquatrecoins.Desreprésentationsabstraitesetcoloréesmaisaussidespaysagesdefleursetd’arbres.Laplusgrande toile représenteune jeune filleauxyeuxbleusetauxcheveuxchâtain clair. Elle ressemble à Raffe. Elle n’est pas d’une beauté époustouflante mais son visagedégageuneforcequinepeutqueretenirl’attention.Sesyeuxparticulièrementsontfascinants.

–Jenereçoisjamaispersonne,lâcheRaffe.Ilsetientprèsdutableauetlaressemblanceestencoreplusfrappante.–Jenesuispassûrquebeaucoupd’étudiantsdecetterésidences’intéressentàl’art.JepenseàZandri.Elleauraitsum’expliquerpourquoicespeinturesmecoupentlesouffle.Elle

auraitcomprislesémotionsprovoquéesparcestableaux.Zandriétaituneartiste.–C’esttrèsbeau.–Merci,mesouritfièrementRaffe.–C’esttoiquilesaspeints?–Pastous.Certainssontdemasœur.Ildésigneleportraitdumenton.Ilavaitdéjàévoquéunesœur.Ilm’avaitexpliquéqu’elleétaiten

partielaraisonpourlaquelleilvoulaits’allieravecmoi.Ilm’apromisdepartagersessecretssijeluilivraislesmiens.

Lemomentestpeut-êtrevenu.Jeluidemande:–Jepeuxt’emprunterunefeuilleetuncrayon?Ilfroncelessourcilsmaisvacherchercequejeluiaidemandédanssachambre.Jem’installeà

latableetj’écris.Puisjeluitendslemot.Il le lit et secoue la tête,mais semet tout de suite à la recherche d’éventuelsmicros.Nous y

passons quelques minutes sans rien découvrir. Manifestement, ceux qui m’écoutent n’ont pas deraisondesoupçonnerRaffe.

Je lui raconte rapidement ce qui s’est passé au stade et plus longuement lamission quem’aconfiéelaprésidente.Ilm’écouteattentivementsansmequitterdesyeux.

–JeconnaissaisKerrick,murmure-t-ilquandj’aiterminé.–Jesuisdésolée.–Tomasettoiavezfaitcequ’ilfallaitpourresterenvie.Maintenant,onvafairecequ’ilfaut

pourmettrefinàcechaos.Jeplongelamaindansmonsac.–Avantd’accepterdem’aider,tudoislireça.Je lui tends la liste. Il la lit et serre la feuille entre ses doigts. Si fort que ses jointures

blanchissent. Si le nom de mon père figurait sur cette feuille, je la déchirerais, je hurlerais,supplierais, pleurerais. Et si ça nemarchait pas, je trouverais unmoyen de le prévenir.Raffe, lui,resteunlongmomentsilencieux.

–Certainsn’ontrienàfairesurcetteliste,prononce-t-illentementauboutdequelquesminutes.–Tonpère…–Non,m’interrompt-il.Iltracerapidementdesétoilesenfacedequelquesnoms.–J’aientendumonpèreseplaindred’euxassezsouventpourêtresûrqu’ilsnetravaillentpas

pourBarnes.Une fois, il amêmedemandéàBarnespourquoi ilne les faisaitpas transférer. Jenepense pasme tromper en affirmant qu’ils sont contre le Test, autant que toi etmoi. Symon ou laprésidenteontdesraisonspersonnellesdevouloirleurmort.Quantàmonpère…

Sesyeuxétincellentdecolère.–Mon père est un fidèle allié deBarnes. Il sait pertinemment ce qui arrive aux étudiants qui

échouent.PasseulementauTest,maiségalementàl’examend’entréedestinéauxétudiantsdeTosu.Illesaitetilestd’accord.

–JepensaisquelesélèvesdeTosurentraienttoutsimplementchezeuxs’ilsn’étaientpasreçus.Parcequesinon,pourquoileursparentsleurlaisseraient-ilsprendrelerisquederaterl’examen

?Àmoinsquel’opportunitéd’êtreundesdirigeantsdecepayssoitplusimportantequetout.Raffeselèveets’approcheduportraitdesasœur.–Non,ilsnerentrentpaschezeux.Laversionofficielleestqu’onleurattribuedespostesdans

les colonies. Je l’ai cru. Certains parents affirment même recevoir des nouvelles. Leurs enfantstravailleraient sur des projets importants comme des panneaux solaires ou des systèmes decommunicationinnovants.Desamisdemesparentssevantentdelaréussiteprofessionnelledeleurfilsoudeleurfillequiapourtantéchouéàl’examend’entréeàl’université.

–Alorspourquoiest-cequetun’ycroispas?C’estpeut-êtrevrai.J’aimeraistellementquecelesoit.Raffesecouelatête.–Laraisonpourlaquellejesuisdetoncôté,Cia,c’estquej’aidécouvertquetoutesceslettres

étaientdesfaux.Riendecequel’onm’aracontédurantmonenfancen’estvrai.Ilposelamainsurleportraitdesasœur.–Émilieapeintpresquetouslestableauxquisontlà.Ycompriscelui-ci.Jeleluiavaisdemandé

avantqu’ellepassel’examen.Ilregardedevantlui,lesyeuxvides.–Ellenevoulait pas aller à l’université.Ellevoulait intégrerune équiped’urbanisationde la

ville. Son envie à elle, c’était d’embellir les rues.Maismon père l’a obligée à postuler.Mamèren’avait le droit de lui acheter des fournitures de peinture qu’à condition qu’elle obtienne lesmeilleures notes de sa classe. Elle était intelligente mais elle avait du mal dans les matièresscientifiques.Jel’aidais.Quandilyavaitquelquechosequejenecomprenaispas,jedemandaisàmesprofesseurs.Émilieetmoirésolvionslesproblèmesensemble.

–C’estcommeçaquesondossieraétéacceptépourl’examend’entrée.Raffeacquiesce.Lesmainsdans lespoches, il lève lesyeuxversmoi.Sonregardestpleinde

douleuretderegret.– Mon père était extatique. Quant à moi, toutes ces heures passées à étudier avec ma sœur

m’avaient donné beaucoup d’avance et j’étais également sur la bonne voie pour l’université. LedocteurBarnesenpersonneestvenuchezmoinousannoncerquemesprofesseursavaientenvoyédesrecommandations àmon nom pour que je passe l’examen un an plus tôt, enmême temps quemasœur. Il pensait néanmoins qu’une année supplémentaire me permettrait de développer d’autrestalents.J’étaissifier.J’avaistoujoursrêvéd’alleràl’université.Pasunefoisjemesuisdemandéce

quim’arriveraitsij’échouais.Cesoir-là,j’étaistellementexcitéquejen’arrivaispasàfermerl’œil.Jesuisdescendupourmechercherunverred’eauetj’aientendulavoixdemonpère.IldiscutaitavecledocteurBarnesdel’améliorationdusystèmedesélectiondesétudiants.

Raffesourittristement.–Sij’étaisremontéàcemoment,jeneseraispasentraindeteparler.Jetemaudiraispourton

intelligenceetjetravailleraiscommeunfouenespérantobtenirdemeilleuresnotesquetoi.Sontonpassionnémefaitpenseràmesfrères.Raffeestfier,bornéetprêtàtoutpourdéfendre

ses convictions. Comme eux, il n’est pas forcément la personne la plus facile à côtoyer mais ilmourrait plutôt que de trahir ce en quoi il croit. Je pose mamain sur son bras en esquissant unsourire.

–Tuauraispuessayer.Cen’estpassûrquetuauraisréussi.Jetented’êtrelégèremêmesijemedoutedeceversquoisonrécitnousemmène.–Tuverras,rétorque-t-il,quandtoutçaseraterminé,jetemontrerailequeldenousdeuxestle

plusintelligent.Ilfermebrièvementlesyeuxets’assoitsurunechaiseavantdereprendre.– Tout aurait été plus facile si j’étais retourné dans ma chambre, mais j’avais envie de les

entendre.Jemesentaisimportant.Jevoulaism’imaginercequel’onéprouvequandonalepouvoirde changer la vie des gens. J’en ai presque raté le sens des propos suivants du docteurBarnes. Ildemandaitàmonpèresicedernierétaitsûrdevouloirprendrelerisquequ’Émiliepasseleconcoursd’entrée.S’ilseravisait,ledocteurBarnesétaitd’accordpourqu’elleretiresademande.Lalistedesétudiantsacceptésn’avaitpasencoreétérenduepublique.

Jefroncelessourcils.–C’estétrangequ’ilaitfaitcetteoffreàtonpère.Danslescolonies,c’estconsidérécommeune

trahisonderefuserdepasserleTest.Raffehausselesépaules.– Le docteurBarnes etmon père travaillent ensemble depuis des années. Ils sont proches. Je

n’étaispas tellementsurpris.Émilieest intelligentemaiselleabesoinde tempspourréfléchir.Elleavait toujours de mauvaises notes aux examens chronométrés, particulièrement en maths ou ensciences. J’ai supposéque le docteurBarnesdonnait àmonpère l’opportunité degarder sa fille àTosu.Maisquandmonpèrearefusé,ledocteurBarnesaprononcédesmotsquim’ontalerté.

–Qu’est-cequ’iladit?–Qu’aucuneexceptionnepouvaitêtretolérée,mêmepourlafilled’unami.Simasœurn’était

pas assez intelligente pour entrer à l’université, alors, elle devrait être redirigée et devenir uneressource pour la Communauté unifiée. Ce serait sa façon de servir son pays. Rien n’était plusimportant.

–Peut-êtrequetonpèreparlaitdel’aidequ’ellepouvaitapporterauxcolonies.

–Tun’aspasentenduletondesavoix,Cia.Barnesneparlaitpasd’untravaildanslescolonies.Jesuisallémecoucheretjen’aipasfermél’œildelanuit.«Deveniruneressource».Qu’est-cequeça pouvait bien vouloir dire ? Jeme suismis à aiderÉmilie deux fois plusmais ça n’a pas suffi.J’auraisdûluiracontercequej’avaisentendu,l’aideràfuir.Maisjemesuistu.Elleaéchoué.

LavoixdeRaffevacille.–Quandmonpèrem’aannoncélanouvelle,poursuit-il,iladitqu’onluiavaitassignéunposte

danslescolonies.AuxCinqLacs.–AuxCinqLacs?–Jesais.Iln’yapersonnedunomd’ÉmilieJeffriesàlacoloniedesCinqLacs.–Non.Raffeselèveetsemetàfairelescentpas.–J’aipassélesdeuxdernièresannéesàlachercher,elleetlesautresétudiantsquiavaientraté

l’examen.C’est comme ça que je suis tombé sur la rue que tu as vue aujourd’hui. Les gens qui yvivent veulent que le gouvernement les oubliemais ils ont peur de s’installer dans les terres nonrevitaliséesau-delàdeslimitesdeTosu.Certainssontdesétudiantsquiontfuiavantlapublicationdurésultatdesexamenscarilssavaientqu’ilsavaientéchoué.LesautresonttousuneraisonpersonnelledenepasvouloirfairepartiedecequelaCommunautéunifiéereprésente.J’espéraisquel’und’entreeuxsauraitpeut-êtreoùétaitÉmilie.Unhommem’aracontéquelesétudiantsn’ayantpasobtenulanotenécessaireétaientenvoyésdansunezonenonrevitaliséeàl’Est.Ilignoraitpourquoi.Jenesaistoujourspassic’estvrai.Lepostedemonpèrem’apermisderencontrerdesofficielsquirevenaientdescoloniesetdeposerdesquestions.Aucunn’avaitjamaisrencontréundesétudiantsredirigéslàoùilétaitcensésetrouver.Masœuretlesautresonttoutsimplementdisparu.Quandj’aisud’oùTomasettoiveniez,j’aidemandéàd’autresétudiantscequevousleuraviezracontésurvotrecolonieetj’aiapprisqu’avant l’arrivéede l’officielquivousaescortépour leTest,vousn’aviezvupersonnedeTosudepuisdesannées.Jenesaistoujourspasoùestmasœurmaisj’ail’intentiondelaretrouver.Elleetlesautres.

JesongeaufrèrejumeaudeWilletàtousceuxquiontéchouéauTest.Barnesaffirmaitqu’ilsavaientétéenvoyésdansunecoloniedontilsn’étaientpasoriginairesafind’êtreconsidéréscommedesadultesàpartentièreetnoncommedesenfantsayantencoreàfairelapreuvedeleurscapacités.L’explication était logique mais lorsque j’ai écouté mon propre enregistrement sur letranscommunicateur,j’aisuqu’ilavaitmenti.J’aid’abordpenséquelescandidatsrecalésavaientététués,maislaversiondeRaffevadanslesensdesdoutesdeStacia.Éliminerpurementetsimplementtouscesjeunesgensintelligentsseraitunvéritablegâchis,etledocteurBarnesn’aimepaslegâchis.

BienquejeconstatelacolèredeRaffe,jen’arrivepasàcroirequ’ildésireréellementlamortdesonpère.Pourtantquandjeluiposelaquestion,saréponseestimmédiate.

–Monpèreachoisisoncamp,jechoisislemien.

Jescrutesestraitstendusetrésolus.J’aivulamêmeexpressiondansmonréflecteur.Raffealevisaged’unepersonnearrivéeàuncroisementetquisedécidepourlecheminleplustortueux.

Dubruitdanslescouloirs.Ildoitêtrel’heuredudîner.Aprèslerepas,jevaisdevoirtrouverunmoyendetesterlesdeuxautresmembrespotentielsdenotreéquipe.Peut-êtreRaffepeut-ilm’aider.Grâceàlui,lalisteestdéjàretranchéedequelquesnoms.Maisjedoisresterprudente.Jeluidemandes’ilestd’accordpourmeretrouverplustard.

–Onpeutallersepromeneraprèsledîner,sourit-il.DepuisnotreescapadeàTosuceweek-end,toutlemondepensequej’ailebéguinpourtoi.Çan’étonnerapersonnedenousvoirpasserdutempsensemble.

–Lesautresneteconnaissentpastrèsbien,ondirait.LesouriredeRaffedisparaît.–Non.Personnenemeconnaîtvraiment.Presquepersonne.Jememords l’intérieurde la joue.C’estvrai. Il apassémon test avec succèsmais jene sais

toujourspresqueriendelui.J’éloignecettepenséeetjerangelalistedansmonsac.–Onsevoitaudîner.–Attends,meretient-il.Ilvadanssachambreetrevientaveclaradioà impulsionqueje luiaiconfiéecematin.Je la

prendsavecprécaution.Ilmeregardelesbrascroiséssurlapoitrine.–Ilseseraitpasséquoisij’avaisappuyésurundesinterrupteurs?–Tusavaisquec’étaituntest?–Pasaudébutnon,etpuis j’ai réfléchiet jemesuisditque jeneconfieraisune information

aussiimportanteàquelqu’unquepourdeuxraisons:sijen’avaispaslechoixousijevoulaisvoircequelapersonneallaitfairedecetteinformation.Jesuiscertainquetuavaisd’autrespossibilités,alorsjemesuisposélaquestiontoutelajournée.Tonbutétaitdemedonnerdefaussesinformations?

–Non.Situavaisessayéd’écouterl’enregistrement,laradioauraitexplosé.Silence.Raffemefixe,stupéfait.J’attendssacolèremaiseulieudeça,iléclatederire.–Jesuiscontentdenepasavoirtrahitaconfiance,Cia!Biencontent,même.–Tun’espasfurieux?Jemerappellecequej’airessentiencomprenantquemavieétaitàchaquefoisenjeudurantle

Test.–Tuasfaitcequiétaitnécessaire.Etj’aieuraisondepasserl’après-midiàçaaulieudetitiller

taradio.Tiens.Ilme tendune feuille sur laquelle est peintun cerclemauve surun fond rouge.Aucentredu

cercle,deuxéclairsformentunX.–Qu’est-cequec’est?–Lessymbolessontimportants,surtoutquandunchangementprofondestentraindes’opérer.

LesrévolutionnairesquiontcréélesÉtats-Unisontutilisélesétoilesetlesrayures,lesEuropéensquisebattaientcontreleurcoalitionontutiliséunpoingfermé.C’estmaversiondenotredrapeau.Dansla mythologie, l’éclair représente soit la connaissance, soit la punition des dieux pour ceux quiavaienttransgresséleslimites.Nousvoulonsapprendreentransgressantlesrèglesquel’onnousimpose.

Raffearaisonetsondessinestpuissant.Jusqu’àprésent,jeconsidéraisl’éclairgravésurmonbraceletcommelamarquedemescapacitéstechniques,maisça…

–C’estparfait.Laconnaissanceoulapertedel’ignorance.Lapunitiondesdieux.Oui,c’estparfait.Noussommesquatreàprésent.Cinq,siZeenesttoujoursenvie.

Chapitre11

Je monte jusqu’à ma chambre pour déposer des livres. Ma blessure au mollet me lance. Jepousse doucementma porte et récupère le petitmorceau de papier plié que j’avais glissé entre lecadreetlebattant.Cen’estpaslesystèmed’alarmeleplussophistiquéaumondemaisaumoinsilamarché.Apriori,personnen’estentréenmonabsence.

Jeposemonsacsurlatable.J’ensorslaradioquem’aremiseRaffeetjelarangedansletiroirdemacommode.Dèsquej’enaurail’occasion,jeladémonterai.Jerécupèreunetenuederechangeetmerepassedelacrèmecicatrisantesurlajambe.Puisjevérifiemonpistolet.Ilnemerestequ’uneballe.Jevaisdevoirretourneraucinquièmeétagedubâtimentprésidentiel.

La diode de ma radio clignote. Dans la salle de bains, j’allume le robinet pour écouter lemessage de Tomas. Il va bien. Pour l’instant, personne ne s’est rendu compte de la disparition deMarinetKerrick.

J’enregistreunmessageàsonintentionetunautrepourStaciaafindelesinformerqueRaffearejoint nos rangs et qu’il m’a donné des informations importantes à propos de la liste. Je leurdemande à tous les deux de nous rejoindre à la bibliothèque. Si quelqu’un nous surveille, nouspourronsfairecroirequenoustravaillonsensemble.MacommunicationpourTomasseterminepar«jet’aime».J’essaieensuitedecontacterZeen.JeveuxluiparlerdeDreuOwensetdestensionsquirègnentsurlecampus.Ilnerépondpas.

Jeressors,nonsansremettremonpetitmorceaudepapieràsaplace.OnnousannoncedurantledînerqueDamonen’atoujourspasétéretrouvéetquel’interdiction

desortirducampusestétenduejusqu’àlafindelasemaine.Ladisparitiond’undeleurscamaradessemble laisser la plupart des étudiants indifférents mais les regards nerveux qu’échange Ian avecquelquesautrestroisièmeannéenem’échappentpas.

Le réfectoire est encorepleinquandRaffe se lève,me tend lamain etmedemande si je suisprête. Je lui emboîte le pas en essayant d’ignorer les ricanementsmais une bouffée d’anxiétémesubmergequand,alorsquenouspassonsdevantGriffin,cedernieradresseunclind’œilàRaffequiluirépondparunhochementdetêteetunsourireentendu.

Dehors, il fait froidethumide.Degrosnuagesnoirsobscurcissent leciel.Levent fouette lesbranchesdusaule.Çasentlatempête.J’informeRaffedenotreplanningpendantquenoustraversonslepont.

–J’aidemandéàTomasetStaciadenousretrouveràlabibliothèque.Surlechemin,j’aimeraisquetum’endisesplussurlesnomsquifigurentsurlaliste.

Raffejetteuncoupd’œilverslarésidenceavantderépondre.–Commejetel’aidit,selonmoi,beaucoupnedevraientpasyfigurer.–Commequi?–LeprofesseurLee,parexemple.J’aisouvententendumonpèreaffirmerquelepaystomberait

enmorceauxsiquelqu’uncommeluiledirigeait.IlajoutaitqueleprofesseurLeevoyaittoujourslemeilleurenchaqueétudiantetqu’iln’avaitpaslaforcedecaractèrenécessairepourécarterlesmoinsbons.

Je repense à la gentillesse du professeur Lee durant les premières semaines et à son coursd’aujourd’hui.C’estvraiqu’ilestdifficiledecroirequ’ilsoutientleTest.

–Quid’autre?Raffe cite le professeur Markum et le professeur Harring, respectivement chefs des

départements médecine et enseignement. Le père de Raffe s’est violemment disputé avec chacund’entre eux au cours des années passées. Ils avaient demandé à ce que soit augmenté le nombred’étudiantsoriginairesdescoloniesàl’université.Ilévoqueégalementl’officielParkinsquis’occupedesallocationsderessourcesdanslescolonies.Ilarécemmentdemandéqu’unenouvellecoloniesoitcrééedansunezonenonrevitaliséeàl’ouestd’uneanciennevilledunomdeChicago.LazonedontsesertjustementledocteurBarnespourleTest.DeuxautresnomstracassentRaffe.L’officielFranckAlkyeretl’officielleLizaYamatchidontiln’ajamaisentenduparler.

–S’ilsétaientassezimportantspouravoirdupoidsdanslemaintienduTest,jelesconnaîtrais.Le docteur Barnes dirige l’université et le Test, la professeure Chen coordonne la sélection descandidatsdescolonies, laprofesseureHoltest lebrasdroitdeBarnes,monpère travailleaveceuxtousets’assurequ’ilsontlenécessairepoursélectionneretéduquerlesnouvellesgénérations.Àeuxquatre,ilsconcentrentunénormepouvoir.LeséliminerdevraitentraverlamiseenplaceduTestassezlongtempspourpermettreàlaprésidented’ymettredéfinitivementunterme.

Quatrepersonnesàtuer.CinqavecSymon.Dois-jefaireconfianceàRaffe?Laprésidenteelle-mêmem’adonnécetteliste.Elledoitavoirdesraisonsdevouloiréliminertousceuxquiyfigurentmaissesraisonsont-ellesunlienavecleTest?Lorsdemapremièrejournéedestage,onm’aapprisànecroirequelesinformationsquej’avaisvérifiéesmoi-même.Jenepeuxpas,jenedoispassuivrelesordresdelaprésidenteaveuglément.

– Qu’est-ce qu’on décide ? lance Raffe tandis que nous gravissons les marches de labibliothèque.ÀmoinsquetunepréfèresattendrequeTomasetStaciasoientlàpourénoncertonplan.

Jesecouelatête.–Enfait,jenesaispas.Commentdéciderquoiquecesoitalorsquej’ignorepresquetoutdeces

gens?–Tunepeuxpasnonplusnerienfaire,rétorqueRaffe.–C’estvrai,maiscommentsavoirquelleestlameilleureaction?–Tun’asqu’àtedemanderquelesttonbutetexaminerlesfaits.LetondeRaffeestdouxmaisferme.–Etsijemetrompe?– Alors, tu te trompes. Si tu veux des garanties, tu t’adresses à la mauvaise personne. Les

dirigeantsn’ontjamaisdegarantie.Ilsnepeuventqu’agirselonleurconnaissancedesfaitsetleurintelligence.Cen’estpascequetuasretenuduTestetdel’Induction?

–C’étaitdifférent.Jenesuispassûred’êtrecapabledefairecequ’onmedemande,cettefois.Ilyadéjàeutantdemortsinutiles.Lepoidsdecescadavresm’oppresselapoitrine,m’empêche

derespirer.Quidois-jecroire?Laprésidente?Raffe?Tomas?Moi-même?–Sitoi,tun’enespascapable,reprendRaffe,alorsaucundenousnel’est.Cettemissionnepeut

pasêtreaccomplieparunepersonneseuleetniTomasniStacianemesuivront.Onnepeutrienfairesanstoi.

Ilaraison.J’aperçoisTomasquiapprocheetStacianedoitpasêtreloinderrière.Aucund’euxn’auraitchoisiRaffedansl’équipe.Ilsneseseraientsansdoutemêmepaschoisisl’unl’autre.Toutreposesurmesépaules.

J’ai toujours voulu ressembler à mon père, celui vers qui on se tourne quand on veut uneréponse.J’aitoujourspenséàsesréussitessansjamaismedemanders’illuiarrivaitdesesentirseul.Sansjamaispeserlecouragenécessairepouravanceralorsqu’unpasdecôtépouvaitmettreenjeulaviedetousleshabitantsdelacolonie.Ilnes’estjamaisdérobéàsesresponsabilités.Iln’avaitaucuneassurance de succès. Il a pris les décisions qu’il considérait lesmeilleures parce qu’il n’avait pasd’autre choix. Je suisvenuàTosuparceque jevoulais avoirdes responsabilitésmoi aussi. J’étaiscensée attendre le jour de la remise des diplômes mais nous n’avons plus le temps. Je dois agirmaintenant.

TomasetStacianousrejoignent.Tomasa les traits tirés. Il tressaillequandj’effleuresamain.Stacia,elle,semblenonseulementreposéemaisexcitéeparl’aventurequis’annonce.

Je leur faisun résumérapidedecequeRaffem’aappris.Puis jeme tourneversStaciaet luidemande:

–Essaiedevoirsitupeuxenapprendredavantage.Plusonensaura,plusilnousserafaciledesavoir qui éliminer en priorité.Même si Enzo et Ian se rallient à nous, nous ne pourrons jamaisatteindre toutes les cibles.Raffe est le seul d’entre nous à connaître assez bienTosu pour trouverrapidement lesadresses.Sanscompterquedèsquel’interdictiondequitter lecampussera levée, laprofesseureHoltetleschefsdedépartementdeTomasetdeStaciacommencerontànouschercher.

–Saufsionlesélimineavant,intervientStacia.–Onnepeutpass’occuperd’euxavantd’avoirneutraliséBarnes,affirmeRaffe.Pasvrai,Cia?Jehochelatête.–Raffearaison.Àlaminuteoùunepersonnedelalistemourra,Barnescomprendraqueson

tournevapastarder.Iltrouveraunmoyendeseprotéger.–Laprésidentet’ademandéd’éliminertouteslescibles,merappelleStacia,passeulementcelles

quetuchoisis.–Ellecomprendraquenousavonsdûadapternotreplan.ÀpartirdumomentoùledocteurBarnesneseraplusàlatêtedel’université,ellen’aurapasde

raisondeseplaindre.–EtSymon?demandeRaffe,avantqueStaciaaitletempsdeformulerunenouvelleobjection.Il

nevapasêtrefacileàapprocheraumilieud’uncamprebelle.–Jepensequej’aiunmoyen.Jeneprécisepasmapensée.J’aidécidédefaireconfianceàRaffeetStaciamaispasaupointde

mettrelaviedemonfrèreentreleursmains.Staciacroiselesbras.–Oncommencequand?–Dèsquej’auraidécidépourIanetEnzo.Ungrouped’étudiantsapproche.Nousnoustaisons.Ilsentrentdanslabibliothèqueetquandla

portes’estreferméesureux,Staciareprendlaparoleàvoixbasse:–TusaiscommenttuvastesterEnzo?Parcequec’estpeut-êtrelebonmoment.Ilvientparici.Jetournelatêteet,auboutdel’allée,jelesvois.EnzoetWill.Willnousrepèrelepremier.Ilnousfaitsigneetcrie:–Eh,onestvexésquevousayezprogramméungroupedetravailsansnousprévenir!Raffesemetàrire.–J’avaisenfinréussiàconvaincreCiadevenirsebaladerseuleavecmoietvoilàqu’ontombe

survoustous!Vousnepouvezpasnousfoutreunpeulapaix?–Ciaesttropintelligentepourréellementvouloirêtreseuleavectoi,riposteWill.Ellesaitque

lestypeslesplusintéressantssontceuxquiviennentdescolonies,pasvrai,Tomas?–Sûr.TomasadresseunsourirecrispéàWillavantd’ajouter:–Mêmesicertainssontplusdignesdeconfiancequed’autres.Willignorelaremarqueetreprend:–Jenesaispaspourvous,maismoi,j’aivraimentdutravail.Onnepeutpastousêtrecomme

Ciaetavoirdéjàterminénosdevoirs.StacialèvelesyeuxaucieletsetourneversEnzo.

–Jepourraiscomparermesréponsesauxvôtressurlecontrôledephysique?Jecroisquejemesuistrompéeàlaquestion10.

–Pasdeproblème,accepteEnzo.Moiaussi,ellem’adonnédufilàretordre.StaciasuitWilletEnzodanslabibliothèquesansnousaccorderunregard.Tomas,Raffeetmoi

sommesseuls.J’attendsqueTomasmedisecequ’ilatrouvéaustadeaprèsmondépartmaisilrestesilencieux.JefinisparcomprendrequelaprésencedeRaffelegêne.Jeposemamainsursonbras.

–J’airacontéàRaffecequinousétaitarrivéaujourd’huiàlaserre.TomasscruteRaffeunlongmomentavantdesedécider.–J’aidécouvertdesdossierssur tous lesdiplômésdebiologiedecesdernièresannées.Ilsne

sontpastrèsdétaillésmaisilsénumèrentlesdifférentsstageseffectuésparlesétudiantsainsiqueleurposteaprèsl’obtentiondudiplôme.PourDreu,ladernièremiseàjourdatedecinqans.Iltravaillaitsurunprogrammed’inversiondesmutationsdirigéparRanettaJake.

Ranetta.Laleaderdeladeuxièmefactionrebelle.Jecomprendsmieuxl’inquiétudedeKerricketMarin.Ennousattaquant,ilspensaientprotégerlarébellion.Leurmortestencoreplusinjuste.Ilsnesavaient pas que nous nous battions pour la même cause. Malgré tout, cette nouvelle me rendoptimiste. Si Dreu est avec Ranetta au camp rebelle, Zeen peut peut-être le retrouver. Leur liencommunavec lesCinqLacspourraitconvaincreDreude lavraienaturede la rébellionmenéeparSymon.JemetourneversTomas:

–LadisparitiondeKerricka-t-elleétéremarquée?–Non,etçan’arriverapasavantdemainauplustôt.KerricketMarinétaientpresquetoujours

ensemble.À la résidence,personnenes’étonneradenepas lescroiser. Il faut justeespérerque lesautresmembresdelarébellionn’essaientpasd’entrerencontactaveceux.

Letonnerregronde.Desétudiantsentrentdanslabibliothèqueennousjetantuncoupd’œil.Lapluienevapastarderàs’abattre.

–Oncommenceàattirerl’attentiond’undevosamis,remarqueRaffe.JelèvelatêteetjedécouvrelevisagecurieuxdeWillderrièreunevitre.– Jedois rentrerde toute façon,annonceTomas. J’aideuxou troischosesà régleravantque

nouscommencionsréellement.Raffe doit comprendre que Tomas et moi avons besoin de nous retrouver un moment seuls

parcequ’ilnouslaissepartirdevant.Levent,deplusenplusviolent,medétachelescheveux.JemeserrecontreTomas.

–Çava?–Oui.Ilment,évidemment.Comment luioumoipourrionsallerbienaprèscequenousavonsvécu

aujourd’hui ? J’ai essayédemeconcentrer sur l’avenirplutôtquede ruminer lamortdeMarinetKerrick,maisjesaisqu’àunmomentouunautre,jefiniraiparcraquer.

–Rappelle-toicequetum’asdit,Tomas,onvayarriverensemble.Il s’arrête et me regarde. Je sens la tension quitter peu à peu ses épaules. Sur ses joues

apparaissentlesfossettesquiaccompagnenttoujourssonsourire.–Ensemble,répète-t-il.Ses doigts effleurent lesmiens, puis il tourne les talons vers l’allée quimène à sa résidence.

Raffeestprèsdemoiaumomentoùilfranchitlaporte.–Ilvabien?medemande-t-il.–Onaeuunedurejournée.–Etcen’estquelecommencement.Tupensesqu’ilvatenirlecoup?–Tomasnenouslaisserapastomber.Malgrél’aversequimenace,Raffedécidequenousdevonspoursuivrenotrepromenade.Sinos

déplacements sont surveillés, nous devons donner l’impression d’avoir été dérangés par Stacia etTomas.Enréalité,nousessayonsdetrouverlemeilleurmoyendequitterlecampussansnousfaireprendre.

Nousparcourons lenordet l’estde l’universitéalorsque lesnuagesgrossissentau-dessusdenostêtes.LeslimitessudetouestsontinfranchissablesàcausedesfaillesprovoquéesparlaSixièmeÉpoquedelaguerre.

Devant le centre de Test, un officiel de sécurité se tient debout sous un lampadaire solaire.Impossiblededires’ilyenad’autresdansl’ombremaisnousenrepéronsundeuxièmeprèsdustadeettroisautresauniveaudel’administration.Jen’enrepèreaucunprèsdela clôture de près de troismètres de haut quimarque la limite du domaine universitaire.Nous enretrouvonsquatreaucarrefoursud-est.

– On va devoir passer au-dessus de la clôture, murmure Raffe alors que tombe la premièregoutted’eau.Lebosquetprèsdel’administrationnousdissimulera.

–Sionfaitça,onnepourrapasprendrenosvélos.Etonnepourrapasparcourirautantdecheminàpied.Jemerecroquevillesousl’assautdela

pluieetj’accélèrelepas.–Onpourraitpeut-êtretrouverunmoyendedistraire

lesgardesdeleurposteletempsdepasser.Raffehausselesépaules.–Çapeutmarchermaisdèsqu’ilsvontserendrecomptequ’ilsontétédupés,ilsselancerontà

notrepoursuite.Ilnousfaudraitunecachette.

–J’enaipeut-êtreune.Tuterappelleslaruedontjet’aiparléhier?Lapluie tombedeplusenplus fort.Nousnousmettonsàcourir.Unéclair illumine lecielau

momentoùnousentronsdanslarésidence.

–Parfaittiming!déclareRaffeenrepoussantsescheveuxmouillésdesonvisage.–Parfait?Onesttrempésjusqu’auxos.–Onatoutjustefailliéviterledéluge!rit-ilens’ébrouantcommelechiendeScottyRollinson,

notrevoisinauxCinqLacs.Jecroisquejeprendraiunparapluielaprochainefois.–S’ilyauneprochainefois!LavoixdeWillnousfaitsursauter.–AvecEnzo,onsedemandaitoùvousétiez,reprend-il.Ilvoulaitvousdemandervotreavissur

le devoir que le prof d’histoire nous a donné aujourd’hui. Il est parti chercher un livre dans sachambre.Ilmeretrouvedanslasallecommune.

–Situlevoisavantmoi,dis-luiquejesuisalléepasserdesvêtementssecs.Jen’enaipaspourlongtemps.

Jem’éloignenonsansavoirjetéuncoupd’œilappuyéàRaffe.J’aiàpeineposélepiedsurlapremièremarchequejel’entendsannoncerqu’ilaégalementbesoindesechanger.

Àcet instant,unedétonation résonnedans lebâtiment.Cen’estpas le tonnerre. Jecomprendsaussitôt.Jerateunemarcheenmontantquatreàquatrejusqu’àmachambre.

Descrisretentissent,desportesclaquent,desétudiantssortentdeleurchambrepourvoircequis’estpassé.Raffeestsurmestalons.Delafuméeàl’odeurdesoufreserépanddanslecouloir.Raffecrieà tout lemondededescendrependantqu’ils’assurequ’iln’yaplusdedanger.Ilajoutequelatempêteestsansdouteàl’originedubruit.Unedizainedefillesluiobéissent.

Jecoursjusqu’àmaporte.Lepetitmorceaudepapierquej’avaiscoincédanslecadreestparterre.J’essaied’ouvrir,c’est

verrouillé.Lesmainstremblantes,jecherchemesclés.Jepousselebattant.Unnuagedefuméenoires’échappe de ma chambre. J’entre en toussant. Je distingue une silhouette étendue sur le sol. Sesvêtementssontenfeu.

Je laisse tomber mon sac et je me précipite. Je suis sûre que c’est Griffin. Il me suit, mesurveille,medéteste.LaprofesseureHolt lui ademandéde trouverune raisondeme renvoyerdel’université.Jetirelescouverturesdemonlitetlesjettesurlui.Ilgémit.

Cettevoix…Jesoulèvelacouverture.Cheveuxnoirs,unemainpleinedecloques.Illèvelesyeuxversmoi.–Enzo…

Chapitre12

Jenecomprendspas.C’est impossible.Les larmesauxyeux, jecoursà lasalledebainspourmouiller une serviette.Enzo est entré dansma chambre, il a fouillé dansmes affaires et trouvé laradiopiégée.Aprèscequenousavonsvécudurantl’Induction,aprèslamanièredontilm’aprotégéeauprès de la professeureHolt. Je ne comprends pas. J’étends la serviette sur son bras. Je veux luiposerdesquestionsmaisladouleurdéformesonvisage;soncorpssemetàtrembler.

Jevoudraisrevenirenarrière.Démontermonengindemortavantqu’ilposelamaindessus.–Cia…Savoixrauqueestàpeineaudible.–Jesuisdésolé,j’aicru…Staciaadit…Iltousseetessaiedereprendresarespiration.Stacia.A-t-ellepenséquejeprenaistropdetempspourfairemonchoix?A-t-elledécidéquele

test de Raffe pouvait servir pour Enzo ? Ou est-ce sa manière de memontrer que mon plan n’aaucunechancederéussir?

–Çavaaller.C’estfaux,bienentendu.Enzovasansdoutemourir.

Jecherchelacrèmecicatrisantedansmonsac.Çanesuffirapaspourguérirsesblessuresmaisçalesrendrapeut-êtreplussupportables.Letubeàlamain,jenesaispasparoùcommencer.Sonvisage,sesmains,sesbrassontécarlatesetcouvertsdecloques.D’autresbrûluresapparaissentàtraverslestrousdesachemiseetdesonpantalon.Sespommettessontpresquenoiresettellementgonfléesqu’ilpeutàpeineouvrirlesyeux.Mabombeabienfaitsontravail.StaciaapousséEnzoàladéclenchermaisc’estmoiquil’aifabriquée.

Unsonstridentmedéchirelesoreilles.Quelqu’unaactivél’alarmedelarésidence.–Cia,lessecoursarrivent.Cia,tum’entends?Unemainseposesurmonépaule.Jetournelatête.Raffeestàcôtédemoi.–J’aiéteintledébutd’incendie,reprend-il,etj’aidemandéàtoutlemonded’attendreenbasou

dehors.Desofficielsnevontpastarder.Quandilsvontentrerdanstachambre,ilsvontcomprendrecequis’estpassé.Tusaiscequeçasignifie?

–Çasignifiequ’ilsvontaiderEnzo.Jeressensunbrefsoulagementmaisjeréalisevitequejemetrompe.Raffen’essaiepasdeme

direquedesmédecinsvonts’occuperd’Enzo.Ilm’avertitquelesofficielsmeposerontdesquestionssurlaradiopiégée.Enzoestentrédansmonappartementpareffractionmaissijeresteici,c’estmoiquivaisenpayerleprix.

Jemelève.Monvisageesttrempédelarmes.Je repousse Raffe qui veut m’aider à marcher. Dans mon armoire, je prends une paire de

bottinesetdesvêtementsderechange.J’enfilemaveste.Jeregardeautourdemoi.Mapetiteréservedepapier,mescrayons,mes livres,presque toutabrulé.De toute façon, jen’aiplusdeplacedansmonsac.

–Qu’est-cequis’estpasséici?crieIandepuislepasdelaporte.Jen’aipasderéponseàluidonner.Raffetenteuneexplicationpar-dessuslasirène.–EnzoestentrédanslachambredeCiapendantqu’ellen’étaitpaslà.Iladûdéclencherunpiège

qu’ilvoulaitluiposer.Ons’estditqueceseraitmieuxdenepasresterdanslesparages,pasvrai,Cia?

Ian regarde le corps tremblant d’Enzo.Puis il lève les yeuxversmoi.Pendant unmoment, ilsemblehésiter.Puisilglisselamaindanssapocheetensortunpistolet.

Enzogémit.Lesofficielsnevontplustarder.Jen’aiplusbeaucoupdetemps.JedoisconvaincreIan.

–Jesaisquetufaispartiedesrebelles.Michalm’aprévenuequetuveilleraissurmoi.–Michalmecomprendrait.Larébellionpasseavanttout.–Michalnepeutpluscomprendre.Ilestmort!Jehurlemaisenrepensantaumicroderrièremonarmoire,jebaisselavoix.Aveclasirène,je

doutequequelqu’unsoitentraindenousécouter,maisjeneveuxpasprendrederisqueinutile.Unéclairilluminelafenêtre.

–Symona tuéMichalquandcedernier luiaapporté lapreuvedont laprésidenteavaitbesoinpourmettreuntermeauTest.Jel’aivudemesyeux.

–Moiaussi,renchéritRaffe.Sespoingssontserrés.Jesaisqu’ilestprêtàdégainersonarme.Ianl’ignoremaisilaautantà

craindredenousquenousdelui.–C’estimpossible,affirme-t-il,Symon…Jel’interromps.–SymontravailleavecledocteurBarnes.Sonseulbutestdecontrôlerlesopposantsausystème

et de les tuer. J’essaie de l’en empêcher. Si tu veux vraimentmettre un terme au Test, tu doismelaisserpartir.

Des voix résonnent dans l’escalier. Si je ne pars pasmaintenant, j’aurai tout perdu. Kerrick,Marinetlesautresserontmortspourrien.Raffem’adresseunsignedetête.Ilestprêt.Ilvas’occuperderetenirIan.

Maissoudain,cederniercrie:–Toussez!–Quoi?–Tousseztouslesdeux!Ianreplacesonarmedanssapocheets’approchedemoi.–Fais-moiconfiance.Avantquej’aieeuletempsderéagir,ilm’empoigneparlatailleetlesjambesetmesoulève.Il

sedirigeverslaporte.–Calme-toi,Cia.Toutvabiensepasser.ViensRaffe.Ondoitpartird’ici.Toutdesuite.Ellene

peutpasrespireravectoutecettefumée.J’aicompris.JemelaisseallerdanslesbrasdeIanetmemetsàtousser.Raffem’imite.Nous

sortonsdelachambre,puisdusalon.NouslaissonsEnzoderrièrenous.–Qu’est-cequis’estpasséici?JemeforceànepasréagiràlavoixdelaprofesseureHolt.Iannes’arrêtepas.Ilcrie:–EnzoaposéunebombedanslachambredeCia.Jedoislasortird’ici.Ildescendl’escalier.J’entendsRaffetousserderrièrenous.Noussommesbousculésàplusieurs

reprises. Je garde les paupières closes. Des étudiants s’interpellent pour savoir si quelqu’un saitquelquechose.Etpuisjesensl’airfraissurmonvisage.

–Ellevas’ensortir,lanceIanàquelqu’un.LaprofesseureHoltademandéquevousmontiezautroisième.Unétudiantestgravementblessé.

Jerouvrelesyeux.Deuxofficielsentrentencourantdanslarésidence.Raffe,Ianetmoisommesseuls.

–Jepeuxvousfairegagnercinqminutesdeplus,après,vousdevrezvousdébrouillerseuls.–Tunedoispasresterlà.Ilsontmisunmicrodansmachambre.Ilssaurontquejet’aitoutdit

pourBarnesetSymon.Iansecouelatête.–Jem’ensortirai.Jenepeuxpaspartir.Sivousavezraison,lesétudiantsquiobéissentàSymon

sontendanger.Jedoislesprévenir.Jeretienslesofficielsmaisdépêchez-vous.Iln’apasà le répéter. Jememetsàcourir. Justeàcet instant, lapluie recommenceà tomber.

Raffearrivelepremierauhangaràvélos.Ilmetendmabicyclette.–Ettoi?–Onn’arriverapasàquitterlecampusensemblesanssefairerepérer.–Turestes?EtlaprofesseureHolt?Ellesaitquetuesavecmoi.–J’inventeraiquelquechose.Net’inquiètepas,jeteretrouvedemain.Promis.J’ouvremonsacetensorsunedemesradiosàimpulsion.–Garde-labienausec.Tut’enserviraspourmecontacter.

J’enfourchemonvéloetjem’apprêteàappuyersurlespédales.–Attends,meretientRaffe.Tudevraisenlevertonbraceletpourqu’ilsneterepèrentpas.Jele

cacheraidansunerésidence,commeçailspenserontquetuesquelquepartsurlecampus.C’est une bonne idée, mais le symbole gravé sur ce bracelet représente ce que je suis

aujourd’huietcequejeseraidemain.Jesecouelatête.– Je ne peuxpasm’endébarrassermaintenant. Il y a une choseque je dois faire avant.Tu te

rappelles laruedont je t’aiparlé?Si j’arriveàsortirducampus,c’est làque jeserai. Ilest tempsd’agir.

Jem’éloigne.Lapluiebattantemetrempejusqu’auxosalorsquejetraverselepont.J’aperçoisdeslumièresd’aérojetsetjedécidedecouperparlapelouse,loindeslampadaires.

Lesoldétrempémeralentitmaisjefinispararriveràlaclôture.Jedescendsdemonvéloetlepousseversl’arche.Cachéedansl’obscurité,j’essaiedevoirsilesofficielsdesécuritésonttoujoursàleurplace.Pourplusdesûreté,jejetteunepierredansl’allée.Ellerebonditplusieursfoisavantderouler un peu plus loin. Pas unmouvement. Si les gardes avaient été là, ils se seraient forcémentapprochés.Sanslevouloir,EnzoaprovoquéladistractiondontRaffeetmoiavionsbesoin.

Avantderemontersurmonvélo,jesorsmoncouteaupliant,malampedepocheetmaradio.Jem’assurequelafréquenceestcelledeTomasetj’enregistrerapidementunmessageluiexpliquantcequivientdeseproduire.

–Dèsqu’ilscomprendrontquejemesuisenfuie, ilsviendronttechercher.Laissetonbraceletdanstachambre.Jet’attendraiàtroisruesàl’est,toutdesuiteavantl’arche.Àtoutàl’heure.

Je remets la radio dansmon sac et d’un coup sec, je coupemon bracelet. La lampe dans labouche, je le retourne.Avec le plus petit tournevis demon couteau, j’essaie de soulever le cerclemétalliquequiprotègelapuce.Aprèsplusieurstentativesetunecoupureaupetitdoigt,jeparviensàmesfins.

Jejettelapucedansunbuissonavantderemettremonbracelet.Jereprendsmonvélopourmecacheraulieuderendez-vousquej’aiindiquéàTomas.Jen’ai

qu’une envie : partir le plus vite et le plus loin possible, mais il est hors de question que jel’abandonne.J’espèrequ’iladéjàeumonmessage.Sic’estlecas,ilnevapastarderàarriver.Sinon,jevaisl’attendreaussilongtempsquejepourrai.

Je m’enfonce avec mon vélo dans un bosquet d’arbustes touffus. Je m’assois par terre, lesgenouxcontrelapoitrine.Letonnerrecontinuedegronder.Entrel’absencedeluneetlapluie,jen’aipresquepasdevisibilité.Jesensleslarmescoulersurmesjoues.Jenelesretienspas.C’estpeut-êtreladernièrefoisavantlongtempsquejepeuxm’abandonneràmoi-même.JepleurepourEnzo,pourKerrick etMarin, pour Damone, pourMichal et même pour moi, cette jeune fille élevée dans lerespectdelaviehumaineetquidepuisadûtuersonsemblable.

Je pleure sans discontinuer alors que le ciel s’éclaircit.Àunmoment ou un autre, le docteurBarnes et la professeure Holt trouveront la puce demon bracelet près de l’entrée du campus. Ilscomprendrontquejesuispartie.Penseront-ilsquej’aidécidéderentrerauxCinqLacs?Yenverront-ilsunofficielpourvérifier?Croiront-ilsmesparentsetmesfrèresquandcesderniersrépondrontqu’ilsnem’ontpasvue?Ets’ilsnelescroientpas,qu’adviendra-t-ild’euxetdetousleshabitantsdemacolonie?Parcequetelsquejelesconnais,ilsneresterontpaslesbrascroiséssiquiquecesoits’enprendàmafamille.Ilscroientàlapaixmaisilssebattronts’ilsl’estimentnécessaire.

Commemoi.Jeprendsuneprofonde inspirationet j’essuiemes larmes.Jedois réfléchiràmesoptions.La

première :me rendreaucamp rebelle et trouvermon frère.C’est toujoursvers luique jemesuistournée quand j’avais un problème à résoudre. Même s’il n’avait pas la réponse, il réussissaittoujoursàmeredonnerconfianceenmoi.Maisjenepeuxpaslerejoindremaintenant.Silesrebellessontprêtsàéliminertoutobstacleéventuel,commel’ontprouvéKerricketMarin,jenepeuxqu’êtrecausedeproblèmepourZeen.Etpuis,monfrèreexigeraitquejequitteTosuetçac’estimpossible.Sanscompterqu’ilestparfaitementbienplacépours’occuperdeSymonquandlemomentseravenu.

Jevaisdoncdevoirm’enremettreàmoi-même.Je doute que Barnes et Holt me laissent déambuler à ma guise très longtemps. Dès qu’ils

lancerontsérieusementlesrecherches,laprésidenteCollindarnepourraplusrienpourmevenirenaide.Pasentoutcas,sansqu’ilscomprennentcequejeprépare.Dèsdemainmatin, laprésidenteetsonéquipeserontaucourantdemadisparitionetjenepourraipluscomptersuraucuneassistancedececôté.Cequiveutdirequejedoisallercherchercedontj’aibesoinmaintenant.Avantquelesoleilselève.

SiseulementTomaspouvaitarriver.Mamontresolairem’indiquequedeuxheuressesontécouléesdepuisquenousnoussommes

séparés.Lesminutessemblentdureruneéternité.Jevaisdevoiryaller.Pourtant,j’attendsencore.J’aibesoindesavoirsiTomasvabien.Dixminutes.Peut-êtres’est-ilfaitprendre?Peut-être

sont-ilsentraindel’interroger?Peut-êtrea-t-ilétéblessé?Oupire.Jemeretiensdenepasallerlechercheràsarésidence.

Jenebougepas.Etsoudain…Je distingue une silhouette sur un vélo. C’est lui. J’en suis sûre. Je règle ma radio sur la

fréquencedeRaffeetjelarangedansmonsac.Jerampehorsdubosquetetrécupèremabicyclette.Tomasregardepar-dessussonépaule.A-t-ilpeurquequelqu’unl’aitsuivi?

Àpeinem’a-t-ilrepéréequ’ilsautedesonvélopourcourirversmoi.Nousnousjetonsdanslesbrasl’undel’autreetilmurmuremonnomàsonoreille.

–J’avaispeurquetusoispartie,mesouffle-t-il.Ilpresseseslèvressurmonfront.–Ilyadesaérojetspartoutsurlecampus.Ilm’afalluêtreparticulièrementprudentpournepas

mefairerepérer.Jemedétachedesonétreinteàcontrecœur.–Ondoityaller.Toutdesuite.Ilmescruteunmoment.–Situaschangéd’avis,onpeutpartirauxCinqLacs.–Non.Ilhochelatête.–Jem’endoutaismais…Sonregardseperddanslevague.Mêmes’ildésirel’abolitionduTest,ilaplusenvieencorede

rentrerchezlui.Cheznous.Jelecomprendsmaisjenepeuxpasreprendrelecoursdemavied’avantcommesiriennes’étaitpassé.Commesijenesavaispas.

LesépaulesdeTomass’affaissentlégèrementmaisildemande:–Onvaoùalors?–Aubureaudelaprésidente.Onytrouveralesarmesdontnousavonsbesoin.Ensuite,onirase

cacherdansunendroitsûretonprépareranotreattaque.Silesautresarriventàsortirducampus,ilsviendrontnousrejoindre.

IlestévidentqueTomasmeurtd’envied’ensavoirplusmaisnousn’avonspasletempsdenouséterniser.

Nousfranchissonsl’archeensembleensurveillantnosarrières.Lesmaisonslesplusprochesducampussonthabitéespardesprofesseurs,deschercheursoudesofficiels.L’heurejusqu’àlaquellelaloiautorise l’utilisationde l’électricitédans les locauxnongouvernementauxestdepuis longtempsdépasséeetaucunefenêtren’estéclairée.Icietlà,ondevinelevacillementd’unebougie.

Les nuages se dissipent et laissent apparaître la lune. Elle ne diffuse qu’une maigre lumièreblanchemaisellenouspermetd’accélérer.

Nousnousenfonçonsdanslecœurdelaville.Lanuit,lesouffledeTomas,legrincementdenospédaliersmerappellentlaquatrièmephasedu

Test. Nous ne pouvions alors compter que l’un sur l’autre. Je ne ressens pas la même peuraujourd’huiqu’alors.Peut-êtreparcequenousavonsréussimalgrénosblessuresetlafaimquinoustenaillait.Aussiparcequecettefois,j’aichoisi.Barnesetsesfidèlesvontselanceràmarechercheetla présidente Collindar attend que j’accomplisse une mission que les habitants de ma colonieestimeraientinimaginable.Maismafuitedel’universitémedélivredeleurautorité.Pourlapremière

foisdemavie,mondestinestentremesmains.Jeseraipeut-êtremortedansdeuxjours,maiscetempsm’appartiententièrement.

Chapitre13

Letranscommunicateuretleslumièresdesbâtimentsgouvernementaux guident notre chemin. Nous avançons dans le silence. Rien n’indique que noussommessuivis,pourtant,jenepeuxm’empêcherderegarderderrièremoi.

Ilyaurasansdoutedesofficielsaubureaudelaprésidente.Avecunpeudechance,onnemeposera pas de question. La présence deTomas, en revanche, soulèverait la curiosité. Je l’amène àl’écart,làoùMichaletmoiavonseuunedenosdernièresconversations.

Les portes des bâtiments publics ne sont presque jamais fermées à clé.Cette habitude date del’époquedespluieschimiques,quandlescitoyensdevaientpouvoirsemettretrèsviteàl’abris’ilsnevoulaientpassuccomberauxtoxinesmortelles.

Jem’attendaisauxprotestationsdeTomasmaisilsecontentedemedemanderd’êtreprudenteetderevenirvite.

Je passe des vêtements propres pour ne pas trop attirer l’attention et je démêle un peu mescheveux.Tomasetmoinousserronsbrièvementdanslesbrasl’undel’autre.

Danslarue,jecroisequelquesaérojetsetdeuxoutroispersonnesàpied.Jen’essaiepasdemecacher.Aucontraire,jedoismecomportercommes’ilétaitparfaitementnormalquejesoisici.

L’undesofficielsdegardeàl’entréevérifiemonaccréditation.Ilesthorriblementlent.Ilscannemonbraceletetacquiesce.Jemeforceàtraverserlehalld’unpasmesuréetjegravislescinqétages.Lecœurbattant,jetapelecodedelaréserveetj’entre.Contrairementàladernièrefois,jenechoisisquedesarmes.

J’ouvreuneboîtedemunitionset jerechargelepistoletqueRaffem’adonné.Puis jeremplismonsac.Balles,armesàfeu,couteaux.LorsduTest,jen’avaisdroitqu’àtroisobjets,cettefois,jepeuxprendretoutcequejeveux.J’hésitedevantdelapoudreetdesexplosifs.JepenseàEnzo.Jemedemandes’ilest toujoursenvieetsi lesmédecinsvontréussirà lesoigner.J’espèrequeRaffemedonnera des nouvelles quand nous nous retrouverons, mais jusque-là, je ne peux pas laisser laculpabilitéentravermesdécisions.

J’ajoute trois boîtes d’explosifs à mon arsenal avant de me tourner vers le matérieltechnologique.J’aimeraispouvoirtoutprendre.Cesontlesoutilsquejecomprendslemieux,maismonsacestdéjàpresqueplein.JechoisistroispucesGPSrégléessurlamêmefréquencequemon

moniteurdecontrôle.JelesdonneraiàRaffe,TomasetZeensijelevois.Decettefaçon,sinousnousperdonsdevue,jesauraitoujoursoùilssont.

Marécolteestterminée.Jerefermemonsac,ajustelalanièresurmonépauleetsorsenespérantn’avoirrienoubliéd’essentiel.

Mespasrésonnentdanslecouloirsilencieux.Alorsquej’arrivesurlepalierdutroisièmeétage,desmurmuresattirentmonattention.Cesgenssaventpeut-êtresilaprésidentearéussiàrepousserlevoteà lachambredesdébatsousioncherchetoujoursMichal.Maismêmesices informationsmeseraientutiles,jenepeuxpasprendrelerisquedemefairetropremarquer.

Ducouloirdurez-de-chaussée,j’aperçoislesportesduhallouvertes.Desofficielsenvioletetenrougeentrent,suivisdedeuxofficielsdesécuritéquiencadrentlaprésidenteCollindar.

Jen’ainullepartoùmecacher.Jemerangesur lecôté, la têtebaisséedansceque j’espèreunegestuellequiressembleàune

marquederespect.Mescheveuxcachentmonvisagemaislorsqu’ellepassedevantmoi,laprésidentemejetteuncoupd’œilethausselessourcils.Jeretiensmonsouffle.Est-elleaucourantpourEnzo?Va-t-elledéciderquemelaisserenlibertéestfinalementtropdangereuxpourelle?

–OfficielDresden.Elles’estarrêtéedevantmoi.–Puis-jevoirlalistedupersonnelquis’estenregistrédanslebâtimentcesoir?L’officieldegardeluitendunpapier.Elleleparcourtrapidementavantdeleverdenouveaules

yeuxversmoi.–Jesuisheureusedevoirqu’autantdemembresdupersonnelsontdévouésàleurtâchemalgré

lechaoscrééparladisparitiondel’officielGallen.Lefaitquej’aieaugmentélenombred’officielsdesécuritéchargésdeparticiperauxpatrouillesdenuitdoitavoireuuneffetrassurant,necroyez-vouspas?

L’officielDresdenopineetlaprésidenteluirendlaliste.–J’espèrequetoutreviendrarapidementàlanormale.Nousavonsbesoinquelesmembresdela

chambredesdébatsseconcentrentsurnospropositions.Aprèsm’avoiradresséunimperceptiblesignedetête,ellereprendsamarche.–Frederik,poursuit-ellecommesiderienn’était,pensez-vousquenouspourrionsconvaincre

ledépartementdeNigeldevoterennotrefaveur?J’aientendudirequesonéquipeétaithésitante.Plusieursofficielsluirépondent.Lespropositionsfusent.Jetraverselehalletjesors.Unaérojet

passe juste devant moi. Le logo blanc sur la portière indique qu’il s’agit d’une des patrouillesspécialesquelaprésidentevientd’évoquer.C’étaitunavertissement.Ilnes’agitpasquederassurerlapopulationdeTosu.Certainespatrouillessontclairementàmarecherche.

Jemeplaquecontrelemurdel’alcôvejusqu’àcequel’aérojets’éloigne.Je récupèremonvélo et retourne jusqu’aubâtimentoùTomasm’attend. Jepousse laporte et

l’appelleàvoixbasse.Pasderéponse.Moncœursemetàbattreplusvite.–Tomas?Toujoursrien.Lapaniquecogneàmestempes.Unesilhouetteapparaîtauboutducouloir.C’estlui.–Désolé, s’excuse-t-il. Je regardais si je trouvaisdesobjetsquipourraientnous servir.Tuas

récupérécequetuvoulais?–Oui.Etj’aicroisélaprésidente.Ellem’aprévenuequelespatrouillesavaientétérenforcées.

Onvadevoirêtretrèsprudents.Unefoisdansnotrecachette,onseraensécurité.–C’estoù?–Unendroitoùlespatrouillesnevontpas.Tomassortlepremier.Ilattendunlongmomentavantdemefairesignedelesuivre.Deux fois, des aérojets de sécurité nous obligent à nous cacher derrière des buissons ou des

bâtiments.Peuàpeu,lesimmeublessontmoinshauts.Tomasmedemandesijesuissûredeladirectionque

je prends. Il s’inquiète que nous nous rapprochions trop de l’université. Je vérifie letranscommunicateur.Noussommessurlabonneroute.

Àmesurequelachausséesedétériore,jesaisquenousapprochonsdenotrebut.Nousarrivonsenfindanslarueauxfaçadesdélabréesetcouvertesdegraffitis.Jem’arrêtedevantunedesmaisons.C’estcelleoùjesuisentréeilyadeuxjours.

Nous entrouvrons la porte juste assez pour nous glisser à l’intérieur avec nos vélos. Nousexploronstouteslespiècespournousassurerqu’elleestbienvide.Letoitfuitetquelquesflaquessesont formées sur le parquet. Tomas ouvre le robinet de la salle de bains. L’eau qui s’écoule estorange.Montasdevêtementsestlàoùjel’avaislaissé.Jelepousseetsoulèvelalamedeparquetpourrécupérerledossier.

Tomasortunecouverturedesonsacetl’étendsurlesolpoussiéreux.Nousnousyinstallons;jeposematêtesursonépaule.Nousavonsbeaucoupdedécisionsàprendremaisavantj’aibesoindefermerlesyeux.Tomasnesemblepasavoirtrèsenviedeparlernonplus.Noussommesenrelativesécuritédanscetabri.Lesfenêtressontbouchéespardesplanchesetnouspouvonslaisserlalampedepocheallumée.Ilmeserrecontrelui.JenousimaginederetourauxCinqLacs,àunmomentoùlemondenem’étaitpasaussidifficileàcomprendre.Mais j’aibeaum’accrocherà la fontainesur laplaceetauxarbresquil’entourent,lecorpssansviedeMichal,lescadavresdeKerricketMarin,lapeaubrûléed’Enzoenvahissentmonesprit.Jenepeuxréprimerunfrisson.

–Çava?medemandeTomas.Jesoupireetenfouismonvisagecontresapoitrine,maisilmeforceàleverlatêteverslui.Ses

yeuxreflètent la tristesseque je ressens,mais j’y lisausside l’amour.Nos lèvress’effleurent.Unefois.Deuxfois.Sadouceurmedonneenviedepleurer.

Tomasmeregarde.Ilmecaresselajoueeteffaceunelarmequis’yestégarée.Ilm’embrassedenouveau.Soncorpssecolleaumien.Jepassemesbrasautourdesoncou.Nosdésirsserencontrent.S’entrelacent.

Jevoudraisquejamaiscemomentnes’arrête.Maisillefaut.J’auraisaiméoublier.Nepaspenseràdemain.C’estimpossible.Marespirations’estaccélérée.JelèvelesyeuxversTomas.Est-ildéçuquejemesoiséloignée?

Non,sonvisagen’estqu’attentionettendresse.–Çava?répète-t-il.–Oui.Ettoi?Ilnerépondpastoutdesuite.Ilmeprendlamain.–Nousn’avonsquittélesCinqLacsquedepuishuitmoismaisj’ail’impressionquec’étaitilya

desannées.Ils’estpassétantdechoses,dontcertaineséchappentànotrecompréhension.J’aipourtantau moins deux certitudes : je t’aime et tu m’aimes. On verra ce que l’on en fait quand tout seraterminé.Enattendant,jesuisheureuxdet’avoiràmescôtés.

Jel’embrasseavantdeprendremonsacpourensortirlesarmesetlaradio.Ladiodeclignote.J’appuiesurlebouton.Raffe.Ilparlesibasquej’aidumalàlecomprendre.

– La professeure Holt a réuni tous les étudiants de la résidence. L’équipe médicale pensequ’Enzovas’ensortir.

Monventrenouésedétendunpeu.–Ellenousaordonnédelaprévenir,elleoulesofficiels,sinoust’apercevions.Lesétudiants

quiapporterontleurconcoursàtacaptureserontrécompensésparunstageaubureaudelaprésidenteetunautreauprèsduprofesseurBarnes.

Tomasserremamaindanslasienne.Touslesétudiants,mesamisycompris,ontàprésentdeuxraisonsdemedénoncer.SilebutdeStaciaétaitdem’aiderenpoussantEnzoàfouillermachambre,jedoutequ’ellesoitencoredemoncôtéalorsqu’onluiproposeunmoyentellementplussûretplusdirectdegravirleséchelons.

–Faisattentionàtoi,termineRaffe.Dis-moisiStaciaetmoipouvonsterejoindre.J’essaieraidevenirdemain.

Tomasfroncelessourcils.–Ilnetedemandepasoùilpeutteretrouver,observe-t-il.Est-cequetuluiasdéjàparlédecette

maison?Jesecouelatête.– J’ai seulement évoqué la rue. Je pense qu’il n’a pas demandé de confirmation au cas où

l’enregistrementseraitintercepté.

J’appuiedenouveaupourécouter ledeuxièmemessage.Cette fois,c’est lavoixdeStaciaquirésonnedanslapièce.

–J’aieulemessagedeRaffe.DésoléepourEnzomaisaumoins,commeça,onsaitqu’onnepouvaitpasluifaireconfiance.

Sontonestdésinvoltecommesicen’étaitpasvraimentimportant.–Raffe,situm’entends,ilfautqu’onsevoiedemainmatinpourquetumedisesoùtrouverCia.

Àplus.Ladiodes’éteint.Jesoupire.–Onfaitquoimaintenant?JenesuispassûredetoujoursvouloirfaireconfianceàStaciamais

sijelaisseunmessageàRaffe,ellel’auraégalement.–EtsiRaffevientjusqu’iciavecelle?–Ilfaudraitquejetrouveunmoyendeleprévenirdenepasl’amener.–C’estimpossible,affirmeTomas.Elleensaittrop.Elleconnaîttesciblesetsaitquiestdeton

côté.Sionl’écartemaintenant,ellerapporteratoutcequ’ellesaitàHoltetBarnes.Ellen’aurapluslechoix.Etpuis,onabesoind’elle.

–Mais…–Onnes’ensortirapas seuls.Staciane reculeradevant rien.Elle l’adéjàprouvéàplusieurs

reprises.Noussavonsaussiqu’elleretournerasavestesielleyvoitsonintérêt.Ilvautmieuxl’avoirsouslesyeuxplutôtqu’êtreobligésdesedemandercequ’ellepréparecommecouptordu.

JecomprendslesargumentsdeTomas.J’avaischoisiWilldansmonéquiped’Inductionpourlesmêmes raisons,mais je savais que nous avions aumoins un objectif commun.Alors que la seulemotivation de Stacia est son ambition personnelle. Pourtant, je sais que nous n’avons pas d’autrechoix.

–Raffe, Stacia, soyez très prudents. J’espère vous voir demain. EtRaffe, si tu as lemoindresouci,adresse-toiànotreautreami.Ilpeutpeut-êtret’aideràquitterdiscrètementlecampus.

–Ian?medemandeTomas.J’acquiesce.–Jenepensepasqu’ilquitteralesrebelles,maisilm’aaidéeàfuircesoir.Ilferademêmepour

RaffeetStacia.– Il resteunproblème.D’ici,onne lesverrapasarriver et tum’asditquecertainesmaisons

étaient habitées.Comment réagiront ces gens en voyant des étrangers rôder par ici ? Et commentStaciaetRaffevont-ilssavoirdansquellemaisonentrer?

Ceuxquisecachentdanscetteruen’apprécierontcertainementpasl’attentionquenotreprésencerisqued’attirersureux.

Enremettantmaradiodansmonsac,jetombesurlapeinturequeRaffem’adonnée.Lesymbolequ’il a créé nous donne une identité et jeme rends compte que ça peut nous servir. Je prends un

crayonetjemelève.–Jerevienstoutdesuite.–Qu’est-cequetuvasfaire?–Cettemaisonestcouvertedegraffitis.Jevaisjusteenajouterun.Tomasmesuitaveclalampetorche.Lanuitestcalme,

larueestvide.Jerepèreunespacepasencoreutiliséetjedessinedumieuxquejepeux.Jen’aijamaisététrès

fortedanscedomaineet les lignesqueje tracenedégagentpas lamêmeforcequecellesdeRaffemaisjesaisqu’ilreconnaîtralesigne.Deuxéclairscroisés.

Unsymboledepouvoir,desavoiretderébellion.Unsymbolequicombinemonpasséetmonavenir.

Monavenirquicommenceaujourd’hui.

Chapitre14

De retour dans la maison, j’essaie de contacter Zeen sur le transcommunicateur. Je n’avaisjamaisautanteuenvieetbesoind’entendrelavoixdemonfrère,maisilnerépondpas.Tomasmeconvainc que nous devons nous reposer. Nous nous allongeons main dans la main. Je pose letranscommunicateurprèsdemoi.LesoufflerégulierdeTomasm’apaise,pourtant,jesuistroptenduepourm’endormir.

Je finis tout de même par m’assoupir mais ce n’est que pour être accueillie par tous mescamaradesmortsdurantleTest.S’yajoutentlesvisagesdesétudiantsdesCinqLacsquisubirontlemêmesortsij’échoue.Soudain,EnzosurgitaccompagnédeStacia.Iltendsamainbrûléeversmoi,ellesourit.Jemeréveilleensursaut.Cen’estquelaprésencerassurantedeTomasàmescôtésquimepermetdefermerlesyeuxdenouveau.

Lorsquejemeréveille,unminceraidelumièrepasseàtraverslesplanches.IlmefautquelquessecondespourréaliserqueTomasn’estpluslà.Jemeredresse.Nossacsn’ontpasbougé.Jemelèveet jenetardepasàleretrouverdanslacuisinedont ilanettoyéleplandetravail.Ilestentraindecouperdespommesqu’iladûtrouverdansmonsacouapporterdesarésidence.Àmonentrée,unsourireéclairesonvisage.

Jeprendslequartierdepommequ’ilmetend.Tomasnes’estpascontentédefaireleménage.Ilaenlevélatablecasséeetbalayélesol.

–Jen’arrivaispasàdormir,m’explique-t-il,alorsj’aidécidéderendrecetendroitunpeuplushabitable.Onvapeut-êtredevoiryresterunmoment.

Noussavonstouslesdeuxquenousallonssansdouteêtreobligésdequitterleslieuxassezrapidementmaisçafaitdubiendefairesemblantd’avoirletempsdeseposer.

– J’ai laissé couler l’eau pendant cinq minutes pour enlever la rouille des tuyaux, reprendTomas.Elleestclairemaintenant.J’avaispeurquelebruitteréveille.Tun’aspasdûtrèsbiendormir.

Jemepasselamaindanslescheveuxpourlesaplatirunpeu.–Çasevoitàcepoint-là?Ilmeglisseunemèchederrièrel’oreille.–Non,maissimoi,j’aieudumalàdormir,jesupposequetoiaussi.Tuaseuunedurejournée

hier.

Jeprendssamain.–Aujourd’hui,ceserasûrementencoreplusdur.–Jesais.Nousallonsnousasseoirsurlacouverturepourétudierunenouvellefoislaliste.Lestranches

depommesontentrenousdansunecoupelleébréchéemaispropre.Jepassedelacrèmecicatrisantesurmablessure.Majambeestmoinsenfléequ’hier.Jerefaislepansementet,toutengrignotant,jerépèteàTomascequeRaffem’aexpliquéàproposdelaliste.

Tomasbarrelesnomsquejeviensd’énumérer.Ilenrestecinq.–Ceux-làsontnotrepriorité,énonce-t-il.–Raffeapeut-êtred’autresinformationsquipourraientnousservir.–Quelgenred’informations?medemandeTomas.Je lui explique la disparition de la sœur de Raffe, les années que ce dernier a passées à la

chercher,elle,etd’autresétudiantsrecalésàl’examenetredirigés.–Nousavonspeut-êtreunechancedelesretrouver.Monobjectifn’estpasseulementdemettreuntermeauTestmaiségalementdepermettreàtous

ceuxquiontété redirigésparBarnesetsonéquipederetournerdans leur famille.Je regardemonbracelet.Jen’enaiplusl’utilitémaisjeneveuxpasl’enlever.Pasencore.Lejourdemonarrivéeaudépartement de la justice, Ian m’a expliqué que la balance était le symbole de l’équilibre entrel’humanitéet la loi.Peut-êtreque jepeuxcompenser lesmortsdont je suis responsable. JeplongemesyeuxdansceuxdeTomas.

– La professeure Chen et l’officiel Jeffries savent ce qui arrive aux candidats redirigés. Onpourraitlespousseràparleretlesenregistrer.Aprèsça,onleslivreàlaprésidenteetsonéquipe.

LeregarddeTomass’assombrit.–Sil’onveutmettrefinauTest,nousnepouvonspaslesgarderenvie.Tulesais.–Jeneveuxpaslestuer.–Parcequel’und’entreeuxestlepèredeRaffe?–Non.Parce que assister à l’agonie de Kerrick, à la souffrance d’Enzo m’a appris une leçon

importante.JesuiscapabledebeaucoupmaisjenesuispasBarnes.– Ces officiels ont mal agi mais il ne nous appartient pas de décider de leur punition. Si la

présidente et les membres de la chambre des débats veulent les faire exécuter, ce doit être leurresponsabilité,paslanôtre.

Jesuissûrequeceseralecas,maisleursangneserapassurmesmains.–Etlestroisautres?Magorgesenoue.–Poureux,nousn’avonspaslechoix.L’emprisedeSymonsurlesrebellesesttropforte.Même

silevoteétaitenfaveurdelaprésidente,Symonlanceraitl’assautdesrebelles.Ceseraituncarnage.Zeenpourraitenêtrevictime.NousnepouvonsenaucuncaslaisserlavieàSymonouàBarnes.

Lamâchoireserrée,Tomasacquiesce.Ilestprêt.–Ilnenousresteplusqu’àdécidercommentnousallonsprocéder.Il vide son sac sur la couverture. J’en fais autant. Nous rangeons la nourriture – pommes,

biscuits, fromage–dans la cuisine.SiTomas est surpris parmon arsenal, il ne lemontre pas.Enrevanche,iléviteclairementlescouteauxettressaillequandileneffleureun.

Desoncôté,ilapenséàprendredesvêtements,del’eauetlaradioquejeluiaidonnée.Jesuisétonnéededécouvrirqu’ilaégalementapportédesspécimensdeplantes,unmortier,deuxpetitsbecsBunsenetdesallumettes.

–J’aiprisçaunpeuauhasardavantdepartir,m’explique-t-ilavecunsourire.Jeregardelesplantesdeplusprès.–Ilslaissentcegenredevégétauxàportéedemain?Jecomprendsquelesétudiantsdebiologieaientbesoind’unaccèsàdumatérielgénétiquemais

le pavot rouge et les racines de teinturier sont suffisamment dangereux pour qu’on décide de lesgardersousclé.

Tomashausselesépaules.– Mon tuteur de dernière année collabore à un programme qui étudie le meilleur moyen

d’inverser les effets négatifs desmutations. Il préfère travailler dans sa chambreplutôt qu’au laboalorsleprofluiapermisd’emporterquelqueséchantillons.Jesuisallélevoirpourluidemanderunrenseignementetj’aidemandéàKitdeledistraire.Il l’araccompagnéeàsaporteetj’enaiprofitépourmeservir.

Tomas et moi classons les plantes par propriétés. Trois sont des poisons violents, deux dessédatifsetplusieursautrespeuventnousêtreutilessinoussommesblessés.

Àprésent,nousdevonsréfléchiraumeilleurmoyend’éliminerHolt,SymonetBarnesdanslesprochainesvingt-quatreheures.Jeprendsuneprofondeinspiration.

–Zeendevras’occuperdeSymon.Moncœurseserre.Jen’aitoujourspasdenouvellesdemonfrère.Tomasobservenosarmes.–Jecroisquenousdevrionsréfléchiràlamissioncommeàunproblèmemathématique.Nous

avons compris le sujet, nous pouvonsmaintenant énumérer tout ce dont nous sommes sûrs : noscompétencesetlesobstaclesquenousallonsrencontrer.

Plus facile à dire qu’à faire. Il y a beaucoup de variables : les patrouilles de sécurité, notremanque de connaissance deTosu, l’impossibilité de savoir combien de temps il nous faudra pourréalisernotreobjectif.C’estuneéquationimpossible.

Alors que Tomas est parti prendre des petits pains et de l’eau dans la cuisine, montranscommunicateursemetàcliqueter.

–Zeen!–Cia.Lesimplesondesavoixmesubmerged’émotion.Maisjeneveuxpasqu’ilmepensefaibleou

effrayée.Ilpourraitdéciderdevenirmechercheretmêmesijemeursd’enviedelevoir,j’aibesoinqu’ilrestelàoùilest.Jeluidemanded’unevoixquiseveutassurée:

–Commentlesrebellesont-ilsréagienapprenantqueleprésidentavaitrepoussélevote?–D’aprèsSymon, tout sepasse commeprévu.Si la présidente a réellement repoussé le vote,

personneicin’estaucourant.L’attaqueestprogramméepourlasemaineprochaine.Nousdevonsdoncavoiraccomplinotremissionavantcettedate.–Tout lemonde est sur le pieddeguerre, poursuitZeen.C’est pour ça que je n’ai pas pu te

contacter plus tôt. Tu dois absolument quitter le campus. C’est là que l’assaut va démarrer. Turisqueraisdeteretrouveraubeaumilieuduconflit.

–Jesuisdéjàpartie.Ils’estpasséquelquechosehiersoir.Jeneprécisepas.Cen’estpaslemomentdeparlerd’Enzo.–JesuisavecTomas.Onsecacheenattendantdesamis.–Trèsbien!Jeneveuxplusquetubouges.Je…–Jenevaispasrestericitrèslongtemps.Laprésidentem’ademandédel’aideràmettrefinau

Testetàsauverlesrebelles.J’aiaccepté.Maisj’aibesoindetoi.–Jeneveuxpasquetut’impliqueslà-dedans,Cia.–Jeterappellequej’aisubilesépreuvesduTest.Jesuisimpliquéeàcentpourcent,quetule

veuilles ou non. Onm’a demandé de commettre des actes détestablesmais j’ai accepté parce quel’alternativeestpire.Tunepeuxpasm’empêcherdecontinuermaistupeuxm’aider.Est-cequetusaisoùestSymon?

– Il est en réunionavec lesdifférents chefsd’équipe.Ranettaveut commencer àdéployerdestroupesautourdeTosudèscesoirde façonàcequ’ilspuissent semêlerà lapopulationetpasserinaperçusvendredi,quandl’attaqueseralancée.

Tomassepencheversletranscommunicateur.–Est-cequetucroisquetupourraisparleràRanetta?–Tomas?Aide-moiàconvaincreCiadenepassemêleràtoutça.Tomasnerépondpas.Zeensoupire.–Ranettaesttrèsoccupée.Çam’étonneraitqu’elleprenneletempsderecevoiruntypecomme

moi.–SitutrouvesuncertainDreuOwens,tupeuxessayer

deleconvaincredet’introduireauprèsd’elle.C’estlefilsdelamagistrateOwensetnouspensonsqu’ilfaitpartiedelarébellion.Ilpeutt’aideràempêcherl’attaqueoumêmetepermettred’approcherSymonetde

l’éliminer.Avantquemonfrèreréponde,jereprendslaparolepourinsister.– Nous avons besoin de toi, Zeen. Tu es le seul à pouvoir t’occuper de Symon. Nous nous

chargeonsdeBarnesetdesautresmaisSymonestleseulàcontrôlerlesrebelles.Silence.–Zeen?Tueslà?– Oui, finit par répondremon frère. Papam’a déjà parlé de Dreu. Il le suivait partout pour

apprendrecommentcréerdenouvellesespècesdeplantes.Papadisaittoujoursquejeposaisautantdequestionsquelui.S’ilestlà,jeleconvaincraisdem’aider.Sinon,jetueraiSymonmoi-même.

Jefermelesyeux.Unetempêtedecontradictionsdéferleenmoi.Soulagement–ilvanousaider–,fierté–ilnes’adresseplusàmoicommeàuneenfant–,chagrin–ilvientdepromettredeprendreuneviehumaine.

Jevoudraisleremerciermaisjen’arrivepasàprononcerunmot.Quedireàunepersonnequivientdevouspromettredecommettreunmeurtre?Zeenvarisquersavie.S’ilnemeurtpas, ilneseraplusjamaislemême.

Jeretiensmeslarmes.Jedoisresterconcentrée.–Nous attendons les autresmembres de notre équipe. Si tout se déroule comme prévu, nous

lanceronsnotreopérationcesoir.–Appelle-moiquand tu serasprête.Avecunpeudechance, j’aurai trouvéDreud’ici là…Et,

Cia…soisprudente.–Toiaussi.Letranscommunicateurgrésille,puisplusrien.L’angoissemedonnelanausée.Pourmechangerlesidées,jediscuteavecTomasdurenforcementdespatrouillesdesécurité.Et

soudain,j’aiuneidée.Onpourraitleurfairecroirequ’ilsnousontdéjàtrouvés.J’aligne trois explosifs devantmoi et j’explique àTomas ce que j’ai en tête. Les officiels de

sécurité sont forcément au courant de la bombe dans mon appartement. S’ils entendent une autreexplosionquelquepartenville, ilsmechercherontdanslesenvirons.Ilnoussuffitdenousassurerquecesoitloindenoscibles.Etaussid’êtrepartisavantladéflagration.

Tomasetmoiexploronslamaisonàlarecherchedequelquechosequipourraitnousservirderetardateur. Une bombe à retardement est plus compliquée à monter que la radio piégée que j’aidonnéeàRaffe.Aulieud’uninterrupteurmanuel,jedoisrelierunminuteuraumécanisme.Ilm’estarrivéd’aidermonpèreàenajouteràdessystèmesd’irrigation.Leprincipeestlemême,maisjenesuispassûred’avoiràmadispositiontouslescomposantsnécessaires.

Nous trouvonsun circuit électriquedans la cuisine.Nous creusonsdes tranchéesdans lemurd’unedeschambrespourrécupérerdufiletdesinterrupteurs.

Ilnousmanquetoujoursleminuteur.

Nouscherchonsencore,envain.Jefinisparmerabattresurmamontresolaire.J’auraispréférélagarderpourcoordonnerles

attaquesmaisjedevraifairesans.Tomasaussi,carilmedonnelasienne.J’enextraislemécanisme.NousréalisonstantbienquemallessouduresaveclesbecsBunsenpuisjeconstruisdeuxdétonateursgrâce à une batterie solaire que Tomas a apportée. Nous ne les assemblons pas tout de suite auxbombes.Nousneleferonsqu’auderniermoment.

Maintenant que nous avons de quoi distraire les patrouilles, nous réfléchissons aux autresobstaclesquisedressentdevantnous.Pourcommencer,notremanquedeconnaissancedeTosu.Danscedomaine,Staciaestaussihandicapéequenous.Raffe,enrevanche,peutnousservirdeguide.MaiscommeTomaslefaitremarquer,nousnepouvonspasnousdéplaceràquatreenvillesansnousfaireremarquer.Nousallonsdevoirnousséparerendeuxéquipes.J’enconduiraiune.Quantà l’autre…nousverronsquandStaciaetRaffearriveront.Tomasseraitlechoixlogiquemaisjenesaispass’ilacceptera que nous soyons séparés. De toute façon, nous aurons toujours les radios pourcommuniqueraucasoùquelquechosetourneraitmal.

J’enregistreunnouveaumessagepourRaffe.Jeluidemanded’apporteruneautrelampetorche.Tomas etmoi nous occupons ensuite de nous partager les ressources.Chacun de nous prend

deux enregistreurs, une bouteille d’eau, de la nourriture, un des minuteurs et une bombe. Nousattribuonsdeuxciblesàchaqueéquipe.HoltetChenpourlapremière,BarnesetJeffriespourl’autre.

–Nousnepouvonsrienplanifierdeplusavant l’arrivéedesautres,décideTomas.S’ilsnesemontrentpas,toietmoidevronsnousséparer.S’ilsviennent,lepluslogiqueseraqueRaffes’occupedesonpère,maiscen’estpassûrqu’ilensoitcapable.Ilestleseulàpouvoirnousledire.

Nous sommes assis face à face,main dans lamain. Toute la journée, nous avons trouvé desprétextespournoustoucher,nousfrôler,nousembrasser.Nousemmagasinonsdessouvenirsaucasoùl’und’entrenousneseraitpluslàdemain.Àl’intensitéduregarddeTomas,jesaisqu’ilaacceptécetteéventualité.Ilselève.

–Nousavonsencorebeaucoupàfaire.Ilm’embrassesurlajoue,prendsonmortier,unbecBunsenetplusieursspécimensdeplantes.Il

resteunmomentdanslacuisineetrevientchercherdesboîteshermétiquesavantderepartir.Jem’apprêteà luidemandercequ’ilpréparemais jeme retiens. Ilme lediraquand il l’aura

décidé.Jevaisprofiterdecemomentdesolitudepourmettrequelquesaffairesenordre.Jeprendsdupapierrecycléetuncrayondansmonsacetjecommenceàécrire.J’ignoresices

lettresparviendrontunjouràleursdestinatairesmaisellesvontm’aideràorganisermespensées.J’expliqued’abordàmonpèrequejen’aipasréussiàtotalementrespectersesconseils.Queje

nepeuxpasvivresansaccordermaconfianceàquiconquemaisquej’aiapprisàdistinguerceuxquiméritent que je la leur accorde. J’ai rencontré des gens qui partagent mes valeurs et mes idées.

Commemoi,ilsnepeuventpermettrequ’unsystèmecorrompuperdure.Jeluiprésentemesexcusessimes choixontpu le rendremalheureuxoucauserdesproblèmes àma famille,mais jenepeuxvivre en faisant semblant de ne pas savoir ce que je sais. Ilm’a appris quemême la terre la pluspolluée peut être transformée en un endroit où il fait bon vivre à partir dumoment où quelqu’uns’attelleàlatâche.Jesuiscettepersonne.Jenesaispasfairepousserlesplantesmaisjepeuxapportermapierreàlaconstructiond’unpaysauqueljecrois.

Deslarmess’écrasentsurmafeuille.Jesigneetjecommenceàécrireàmamère.Unelettrepluscourtemaisremplied’amourcommecelledestinéeàmesfrères,Zeenycompris.

Zeen.A-t-iltrouvéDreu?A-t-ilréussiàentrerencontactavecRanetta?J’écartecesquestionsdemonespritetrédigemadernièrelettrequejeplieenquatreetglisse

danslapochettedusacdeTomas.Ilrevientdelacuisineavecquatrebouteilles.Iltraceuncerclesurdeuxd’entreelles.–Celles-cicontiennentunmélangedevalérianeetdelavande,m’explique-t-il.Elle serviradoncà relaxer lesmuscles et apaiser ladouleur.Àplus fortedose, ellepeut être

utiliséecommesomnifère.Ilrangeunedesbouteillesdanssonsacetmetendl’autre.IltraceunXsurlesdeuxquirestent.–Celles-cicontiennentde lacascabelle,de la racinede teinturieretde laurier rose.Onne les

utiliserasansdoutepasmaisj’aipenséqueceseraitbiendelesavoirencasd’urgence.Jen’aipasbesoindeluidemanderàquelcasd’urgenceilpense.Lecontenudecettebouteille

n’estpasdestinéàunedescibles.Elleestpournous.Sinoussommespris,Tomasal’intentiondesesuicideretilveutquejefassedemême.

Je reste sansvoix. Jepenseavoir accepté lapossibilitédemourir aucoursdecetteopérationmais je ne pourrais jamais, jamaisme suicider. Choisir lamort, c’est abandonner.Abandonner lecombatmaisaussiceuxquel’onaime.

MaisTomas etmoi sommes différents.Depuis leTest, il a beaucoup changé.Le désespoir etl’angoissesesontemparésdelui.Cequiestarrivéaustaden’afaitqu’approfondirsadépression.Lacolère luisertdemoteurmaiselleneleporterapasbeaucoupplus longtemps.Quandcefeuenluiseraéteint,ilneresterariendesonenviedesebattre.Surtouts’ilpensequeçaaétéinutile.

Je voudrais le supplier de ne pas prendre ces bouteilles ou lui faire promettre de ne pas lesutiliser,maisjegardelesilence.J’enrangeunedanslapochettedemonsacafindenepasrisquerdelaconfondreavecl’autre.Puisjem’approchedeluietjeposemeslèvressurlessiennes.Jeveuxluioffrirtoutmonamourettoutemaforce.

Tomasmeserrecontrelui.Jemefondsentresesbrasetentendsàpeinelecliquètementdutranscommunicateur.Jem’écarteàcontrecœur.

–Zeen?TuastrouvéDreu?Ilestlà?–J’aidemandéàdeuxou troispersonnesdansmongroupe. Il semblequ’il soitavecRanetta.

D’aprèscequej’aiappris,iltravailledanslarecherchemédicaleàTosuetn’estpasaucamptrèssouvent.

Zeennepeutdoncpascomptersurlui.–TupensespouvoirapprocherRanettasanssonaide?Peut-êtrequesituluidisquetuconnais

Dreu,elleaccepteradeteparler.–Jevaisessayermaisjenesuispassûrd’yarriver.Elleesttrèsprotégée,surtoutencemoment.

DesgroupesderebellesontcommencéàmarchersurTosu.Sijeveuxavoirunechance,jedoisagirvite,avantqu’ellequittelecamp.Après,jenesauraisplusoùelleest.Sij’arriveàparleràRanetta,jevouseninformerai.Onracontequesongroupen’apasreçulesmêmesordresqueceluideSymonetcetterumeurnefaitqu’augmenterlestensions.Quandcomptez-vouslancervotreopération?

Nousnepouvonspasledéciderprécisémentavantl’arrivéedeRaffeetStaciamaisaveccequevientdenousapprendreZeen,nousn’avonspasbeaucoupd’options.

– Ce soir. Nous allons créer une diversion pour occuper les patrouilles. Quand tu en aurasterminéavecSymon,tudevraisvenirici.Personnenet’ytrouvera.

Jedonneàmonfrèrelescoordonnéesdenotrecachette.À moins qu’il parvienne à convaincre Ranetta que tuer Symon est nécessaire, il sera considérécommeuntraîtreparlesrebellesetilaurabesoind’unabri.

–Quandj’auraiterminé,répondmonfrèred’unevoixferme,jeviendraivousaider.Ilesthorsdequestionquejemeterre.

Jeneprotestepas.Detoutefaçon,ilnesaurapasoùnoussommes.–Ilfautquej’yaille,Cia,mais…–Oui?Savoixestàpeineunmurmure.– Je ne sais pas quand nous nous reverrons, Cia, mais je voulais te dire que je t’aime. Fais

attentionàtoi,d’accord?Jeretiensmeslarmes.–Moiaussi,jet’aime,Zeenet…neprendspasderisquesinutiles,d’accord?–Qui,moi?J’entendssonsourirequandilmerépond.–T’inquiète,Cia!Onsevoitvite.Lacommunicationestcoupéemaisjen’arrivepasàlâcherletranscommunicateur.Commesije

pouvaisretenirZeenencoreunpeu.Tomasmeprenddanssesbrasmaisjenebougepas.Jesaisqu’ilveutme réconforter,pourtant, jevaism’asseoir à l’autreboutde lapièce. J’aimeTomasmais j’aibesoind’êtreseuleunmomentavecmesémotions.

Je ne sais pas combien de temps passe avant que je reprenne conscience du monde qui

m’entoure.Desvoixrésonnentdel’autrecôtédesplanchesquibarricadentlesfenêtres.–Tomas?Iln’estpaslà.–Tomas?–Quoi?Ilapparaîtdansl’encadrementdelaporte.Jeposemonindexsurmeslèvresetj’attends.Jen’ai

pasrêvé,j’entendsdenouveaulesvoix.Tomasseraidit.Malheureusement,nousnedistinguonspaslesparoles.Ilestimpossibledesavoirs’ils’agitd’officielsdesécurité,denosamisoudequelqu’unduvoisinage.

Ensilence,jerangeletranscommunicateurdansmonsacetensorsmonarme.Onn’entendplusrien.

Lalumièredemaradioclignote.Tomasmefaitsigned’écouter.–Noussommesdehors.Raffe.Sanslâcherlepistolet,jemedirigeverslacuisineetj’ouvrelaportedederrière.Lalumièreest

éblouissante.RaffeetStaciasetiennentdevant.Raffetientlesdeuxvélos.Jecomprendsvitepourquoi.Staciaestblessée.Quelqu’unluiatirédessus.Elletientunbrasserrécontresapoitrine.Samainestensanglantée.Elleestlivideettientàpeine

sursesjambes.JetendsmonarmeàTomasetl’aideàmarcherjusqu’àlacouverture.Jel’assoisetluienlèvesavesteavantdecoupersatuniqueavecmoncouteaupourregarderlaplaiedeplusprès.

–Qu’est-cequis’estpassé?demandeTomasàRaffederrièremoi.Ungardevousatirédessus?Raffehésite.– Non. Ian est parti en éclaireur. Il nous a informés que la majorité des patrouilles était

concentréeà l’entréeprincipale.Nouspouvions tenterdepasserpar lenordducampus. Ilest restéoccuperlesétudiantsrebellesdelarésidencepourqu’ilsneserendentpascomptetoutdesuitequej’étaisparti. J’ai retrouvéStaciaetonasuivi lecheminqu’ilnousavait indiqué.Onétait tellementoccupés à éviter les officiels de sécurité que nous n’avons pas remarqué que deux rebelles noussuivaient.

–C’estma faute,grimaceStacia.C’étaitdesétudiantsdequatrièmeannéedemédecine. Je lesconnaisbien.Leuroccupationfavoriteestdes’enprendreauxpremièreannée.Jemesuiscontentéed’entrerdanslebâtimentd’histoirecommesij’allaisencoursetj’aipenséqu’ilsavaientabandonné.Maisilsnousattendaientsurlarouteàl’extérieurducampus.

Commentont-ilsréussiàs’ensortiralorsqu’ilsontétéattaquésparsurprise?JesaisqueRaffeestarmémais…

J’exprimemonétonnementàvoixhauteetRaffesemblesoudainmalàl’aise.

–Onaeudel’aide,reconnaît-il.–Ian?demandeTomas.–Non,moi.Je me retourne. Je reconnais immédiatement la silhouette familière qui se tient dans

l’encadrementdelaporte.Will.

Chapitre15

Sesyeuxvertsmescrutent.Commelafoisoùilm’aviséeavecsonarme,prêtàmetuerpendantleTest.IlvenaitdetirersurTomasquejecroyaismort.J’avaiseuconfianceenlui.

J’avaiseutort.JelâcheStaciaetmesdoigtssefermentsurlacrossedemonpistolet.Personneneprononceun

mot.JemelèvelentementsansquitterWilldesyeux.Jepointelecanondemonarmesurlui.Ilnebougepas.Necillepas.Ilneregardepaslesautres.Iln’ad’yeuxquepourmoi.Ilattendde

voir ce que je vais décider.Mon cerveaume hurle de tirer. Je ne laisserai pasWillme trahir unenouvellefois.Jenelelaisseraipasmettremonfrèreendanger.

Ildoitêtreéliminé.Pourtant,jenetirepas.IlvientdesauverStaciaetRaffecommeilnousasauvésTomasetmoipendantleTest.Pourquoi

? Il avait décidé d’éliminer ses concurrents afin d’avoir plus de chances d’être sélectionné pourl’université.Alorspourquelleraisonest-ilintervenuquandRomannousaattaqués?

Depuis que mes souvenirs me sont revenus, je me pose inlassablement la question. Etmaintenant,ilsetientdevantmoiaprèsavoirsauvémesamisetilattendcalmementquejeprenneunedécision.

Non, jeme trompe. Iln’estpascalme.Sesmains sontcrispées sur les lanièresde sonsac.Sapoitrinesesoulèveàunrythmetroprapide.

Maisilnesuppliepas.–Tuterappellestoiaussi.J’aiparléàvoixbassemaisWillm’aentendue.–TuterappellesleTest.–PersonneneserappelleleTest!lâcheStacia.Willnelaregardepas.–Pastout,répond-ildoucement.–Maistusaiscequetunousasfait!intervientTomas

ens’approchantdelui.IlestfurieuxmaisWillnereculepas.

–J’aiassezdesouvenirspoursavoirquejeméritelapunitionqueCiaettoidéciderez.Quellequ’ellesoit.

–Dequoivousparlez?s’énerveStaciaenessayantdeselever.Raffeluitendlamainpourl’aidermaisellelerepousse.–PourquoiCiaetTomasvoudraient-ilstepunir,Will?

Tun’asrienfaitdemal!–Si,rétorque-t-il.Mondoigtrelâchedoucementladétentedemonarme.S’ilétaithostile,agressifoubelliqueux,

j’auraistiré.Maiscen’estpaslecasetjeretrouveleWillquej’airencontréavecsonfrèrejumeauaudébutduTest.Celuiqui,enm’entendantavouerquejen’avaispasfiniunedesépreuves,nes’estpasmoquédemoi,n’apascherchéàm’humiliermaism’aaucontrairerassuréeetm’afélicitéed’avoirlecouragededirelavérité.J’aivusoncœursebriserquandilaréaliséquesonfrèreavaitéchouédèslapremièrepartiedel’examen.Jel’aivutuerungarçonquienvoulaitàlaviedeTomas.Jesaisaussiquec’est enpartiegrâceà luique j’aipu sortirde laboîtemétalliquedans laquelleDamoneauraitaimémevoirétoufferpendantl’Induction.

QuiestlevraiWill?Celuicapabledetuerunêtrehumaindesang-froidouceluiàquijedoislavie?

Jel’ignore.Jebaissemonarme.JedemandeàTomasd’alleràlacuisinechercherunebouteilled’eaupour

nettoyerlaplaiedeStacia.Ilhésiteunesecondeavantd’obéir.– Je ne comprends pas, attaque Stacia dès qu’il a quitté la pièce. Comment est-ce que vous

pouvezavoirdessouvenirsduTest?Ellemeregarde.–Tuterappelles,toi?Ettoiaussi?ajoute-t-elleà

l’intentiondeTomasquirevient.Elleestencolère.Jechoisismesmotsavecsoin.–J’ai trouvélemoyend’enregistrercequenousavonsvécupendant leTestavantqueBarnes

nousadministrecespilulesquieffacentlamémoire.Quandjemesuisréécoutée,toutm’estrevenu.–Ettoi,Tomas?–Leprocessusn’apasmarchésurmoi.Jen’aijamaisrienoublié.Ils’assoitàcôtéd’elleetpassedoucementuntissuhumidesursonbras.Elles’écartedeluiet

désigneWilldumenton.–Qu’est-cequ’ilafait?–J’aituédesgens,répondWill.Etj’aiessayédelestuereuxaussi.–Ehbien,lâche-t-elleavecunricanement,vafalloirquetuchoisissesmieuxtescibles!EllepousseungémissementmaisquandTomasveutdenouveaus’occuperdesonbras,ellele

repousse.–Etmoi?Est-cequej’aifaitquelquechosequitedonneraituneraisondemetirerdessus?C’estàmoiqu’elles’adresse.Jesecouelatête.–Jenesaispas.Jenet’aiparléqu’unefoisdurantleTest.TuétaisavecVicetTracelyn.Vicet

toiêtesarrivésmaisTracelynn’ajamaisfranchilaligne.–Tupensesquejel’aituée?Plusaucunressentimentnepercedanssonton,mais

ladouleuraenvahisonregard.Unedouleurdueàsablessureoucauséeparl’idéequ’elleaitputueruneamie?

Jenepeuxquerépéter:–Jenesaispas.–Maistucroisquejel’aifait.Pourquelleautreraisonm’aurais-tudemandéd’entrerdanston

équipe?EllesetourneversTomasetluidemandelelingehumideafindenettoyerelle-mêmesaplaie.

Elleaffirmequ’elleestplusqualifiéequelui.N’étudie-t-ellepas lamédecine?Tomasle luidonnemaisnes’éloignepas.

Elleserrelesdents.Jepensequ’ellen’aplusdequestionsàposerpourlemoment.JedemandeàWill:

–Quandas-turetrouvétessouvenirsduTest?Ilhausselesépaulesetselaisseglissercontrelemur.Assisparterre,ilbaisselatête.–Quand le docteurBarnes nous a annoncé que nous étions reçus. En ne voyant pasGil, j’ai

comprisquequelquechoseclochait.En réalisant l’absence de son frère,Will avait complètement craqué.Des hommes avaient dû

l’emmener.Onnel’avaitpasrevuavantdesjours.PendantqueWillexpliquesesvisions,StacialaisseTomasl’aider.Jem’approchepourobserver

lablessure.Ellen’estpastrèslarge,àpeineplusd’uncentimètredediamètre,maislesbordsensonttrèsrouges,cequiestunsigned’infection.Sanscompterquelesangnes’estpasarrêté.Iln’yapasdeplaiedesortie,j’enconclusquelaballeesttoujoursdanssonbras.

Staciaestarrivéeauxmêmesconclusionsmaisdécidedesecontenterd’unpansement.– De toute façon, je ne peux pas extraire la balle moi-même. Je risque de causer trop de

dommages.Leproblème,c’estquejen’aiquedesanti-inflammatoires.J’auraisaiméprendreunoudeuxantidouleurs.

–Tiens,luiproposeTomasenluidonnantsabouteillemarquéed’uncercle.Boisça.Cesontdesherbesmédicinalesdiluéesdansl’eau.Çavatesoulager.Çarisqueaussidet’endormir.

Ellesecouelatête.Lemouvementlafaitgrimacer.

–Non, j’aibesoind’avoir l’esprit clairpour lemoment.Mais si çane tedérangepas, je t’enredemanderaiplustard.

Elleouvre lebouchonet respire le liquide.Elle enappliqueunpeu sur sonpansement. Je luidonnemacrèmecicatrisante.Ellesemblesoulagée.

Maisavantquenouscommencionsàdiscuterdel’opération,j’aiencoreunequestionàluiposer.–Pourquoias-tuparléàEnzodelaradiodansmachambre?–Situn’espascontentedemaréponse,tuvasmenacerdemetirerdessus?Elleesquisseunsourireforcé.–C’estàmontourdepasserletest,Cia?Jesuisconscientedel’armequiesttoujoursdansmamain.–Est-cequetupensesleréussir,Stacia?Enzoafaillimourir.Iladesbrûluressurtoutlecorps.

Sansl’aidedeIan,j’auraisétéarrêtée,peut-êtreexécutée.Partafaute.Stacialaissesonregarderrerdanslapièce.Will,RaffeetTomasattendentsaréponse.– À la bibliothèque, commence-t-elle lentement, Enzo nous a fait subir un véritable

interrogatoire.Ilétaitsoi-disantinquietquetut’apprêtesàmécontenterlaprofesseureHolt.Ilvoulaitt’aider.J’aiconsidéréquec’était laparfaiteopportunité.Tunel’avaispasencoretestéetonn’avaitpasde tempsàperdre.Alors je luiai racontéque tuavais trouvéunenregistrementqui tesemblaitimportantetque tunesavaispasencoresi tuallais le remettreà laprésidente.Le faitqu’ilveuilleécoutercetenregistrementprouvequ’iln’étaitpasdenotrecôté.Jesuisdésoléequ’ilaitétéblessémaisjenousairenduservice.

–Tout ceque tu asprouvé, c’est qu’Enzovoulait savoir ceque contenait l’enregistrement, jerétorque.Tun’asaucuneidéedesesmotivations.

–Ciaaraison,approuveWill.Enzos’inquiétaitréellementpourelle.Ilnecraignaitpaslerisqued’êtrepunipoursavoirdansquoielles’étaitfourrée.

–OualorsilnousespionnaitpourlecomptedeBarnes,répliqueStacia.Nous ne le saurons jamais. J’espère de toutesmes forces qu’Enzo iramieux,mais j’ai vu la

gravitédesesbrûlures.Ilvaendurerd’horriblessouffrances.–Lecasd’Enzonenousaiderapaspourcequenousavonsàfairemaintenant,intervientRaffe.

Qu’Enzo s’en sorte oupas, onne peut pas changer ce qui s’est passé.En revanche, nous pouvonsapprendredenoserreursetessayerdenepaslesreproduire.

Aucund’entrenousnelecontredit.Ilajoute:–Jepensequenousavonsbesoinqu’unseuld’entrenousprennelesdécisions.Noussommesici

pourCia.C’estàellequelaprésidenteaconfiécettemission.Demonpointdevue,c’estàellequenousdevonsnousenremettre.

Will est le premier à acquiescer.Même si son avis n’est pas très important, car il ne fait pasréellementpartiedel’équipe.Tomasopineàsontour.IlnerestequeStacia.Jenesaistoujourspassi

ellecroitennotrecauseousiellen’estavecnousqueparambitionpersonnelle.L’unoul’autre,elleacceptemanifestementàcontrecœur.

–D’accord,soupire-t-elle.Ons’ymetmaintenant?Onn’apasbeaucoupdetempsdevantnous.J’essaied’écartermoninquiétudeconcernantStacia.Ellearaison.Nousdevonsnousorganiser.

Et inclure deux imprévus dans notre réflexion : la présence de Will et la blessure de Stacia.L’opérationdecesoirrisqued’êtrephysiqueetjenepensepasqueStaciapuisseyjouerunrôle.Jesaisaussiqu’ellen’accepterajamaisd’êtrelaisséeenarrière.

–Alors?faitRaffe.Tomasetmoiéchangeonsunregard.IlestévidentqueTomasn’estpasprêtàdiscuterstratégie

enprésencedeWill.Maisnousn’avonspaslechoix.J’expliquedoncàtoutlemondequemonfrèreZeenestaucamprebelleetqu’ilapourmission

detuerSymon.RaffeetStaciaécoutentenrelisantlaliste.JerésumelastratégiequeTomasetmoiavonsmise au point. Deux équipes, quatre cibles. Tout doit être fait entre la tombée de la nuit etl’aube.J’ajouteàl’intentiondeStacia:

–Lemieuxseraitpeut-êtrequenousteremplacions.ParIan,parexemple.Je…

–Non,m’interrompt-elle.Jeviens.Tunepeuxpasmeforceràresterlà.–Ellearaison,lanceRaffe.Nousavonsbesoindel’équipeaucomplet.Detoutefaçon,mêmesi

nous trouvions unmoyen de contacter Ian, il refuserait de quitter le campus. Il s’est fixé commeobjectif d’informerunmaximumd’étudiants rebelles des véritables intentionsdeSymon.SiStaciapensequ’elleyarrivera,ondoitlalaisseressayer.Siellefatigue,ontrouveradessolutions.

–Parfait!souritStacia.Alorslequelvaavoirlachancedefaireéquipeavecmoi?

–Moi,proposeTomas.Jesuisleplusàmêmedesoulagertadouleur.Cen’estpaslavraieraison.Jem’apprêteàobjectermaisleregardquemelanceTomasmefait

taire.Noussommestousparfaitementcapablesd’appliquerdelacrèmesurlaplaiedeStaciaetjesuiscertaine qu’il préférerait faire équipe avec moi. Pourtant, je comprends son choix. Il ne fait pastotalementconfianceàRaffeetmoi,jenefaispasentièrementconfianceàStacia.Sarépartitionestlaseulelogique.

Raffeétudielacarte.–Même sans avoir à nous préoccuper de Symon, je ne suis pas certain que nous puissions

couvrirladistancequiséparenosciblesenuneseulenuit.Sinousvoulonséloignerlespatrouilles,nousdevronsfaireexploserlesbombesdanslazonenonrevitaliséeàl’autreboutdelaville.Rienquepouryallersanssefairerepérer,çavaêtrecompliqué.Ilsdoiventtousêtreànotrerecherche.Sionajouteletempsqu’ilnousfautpourtrouverl’endroitidéaldesexplosions…

–Vousavezbesoindequelqu’unpourposervosbombes,intervientWill.Jemeportevolontaire.Jesecouelatêtemaisilreprend:– Les officiels de sécurité ne sont pas à mes trousses. Je peux traverser la ville plus vite

qu’aucund’entrevous.Onestpasséparcettezonependantl’Inductionetjesauraim’yretrouver.Sanscompterquesijesuisvusurleslieuxdel’explosion,personneneseposeradequestion.Dèsquej’aiterminé,jereviensici,prêtàvousaiderdenouveau.

Sapropositionesttentante.Pourtant…–Tunefaispaspartiedecetteopération,Will.–Biensûrquesi,mecontredit-il.Ilsontemmenémonfrère.Etmêmesicen’étaitpaslecas,j’ai

subileTest,moiaussi.Etjesuislà.L’émotionarenduécarlatesonvisagehabituellementblanc.–Jesaisquevousavezdesraisonsdedouterdemoi.DurantleTest,j’aifaitdeschosesdontje

nepensaispasêtrecapablemaisaumoinsaujourd’hui,jesaisquejesuisàlahauteurdetamission,Cia.

J’attends un commentaire de la part deRaffe, Stacia ouTomasmais ils restent silencieux.LeregarddeStaciaesttrèsclair:onvientdemedésignercommechefd’équipe,c’estàmoideprendrelesdécisions.Sijeneleurdemandepasexpressémentleuropinion,ilsnes’enmêlerontpas.Jesuispourtantlaplusjeuned’entreeux.Maisentreautreschoses,j’aiapprisdepuisquejesuisàTosuquel’âgenegarantitpaslasagessedesdirigeants.Enrevanche,lacapacitéàmettredecôtésesintérêtsainsiqueses ressentimentspersonnelsestunvéritableatout.La facultéd’agirpour lebienduplusgrandnombreégalement.

Jen’aipasconfianceenWill.Maisjepensequ’ilestlevolontaireidéalpourcettemission.Tantqu’ils’entientauplan.S’ildécidedenousdénoncer,nousdevronsenpayerleprix.Jefermelesyeuxetprendsunelongueinspirationavantdelesrouvrir.–Tomasetmoiavonsfabriquédesretardateurscematin.JelesprendsdansnossacsetlestendsàWillaveclesexplosifs.– Tu devras les relier ensemble quand tu seras sur place. Tu règleras le premier à 7 heures,

l’autreunedemi-heureplus tard. Ilsdoiventêtreplacésàenvirondeuxkilomètresd’écart.J’espèrequeçasuffiraàconvaincrelesofficielsdesécuritédeconcentrerlesrecherchesdanscettepartiedelaville.

Aprèsunbrefsilence,j’ajoute:–Nousavonsunetroisièmebombesansminuteur…–Tunepeuxpasluilaissercetteresponsabilité,intervientTomas.Penseàcequ’ilnousafait…–Jesaiscequ’ilafait,Tomas,maisjesaisaussicequej’aifait,moi,durantleTest.Cequenous

avonstousfait.WillacommiscesactesparcequeledocteurBarnesl’yapoussé.Aujourd’hui,ilestlà,avecnous.Ilmériteunechancedeprouverqu’iln’estpasquecequeBarnesafaitdelui.

Nousméritonstouscettechance.JemetourneversWill.Ladiscussionestclose.–Jevaistemontrercommentlesminuteursfonctionnent.JesensqueTomasestblesséetencolèremaisj’aiétédésignéecommeleaderetmessentiments

pourluinedoiventpasinfluencermonjugement.J’explique donc àWill tout ce qu’il doit savoir et ilme le répète pour s’assurer qu’il a bien

compris.Puisilregardesamontre.– Je devrais partir maintenant. Si vos pétards sont aussi puissants qu’ils le paraissent, vous

devriezlesentendredel’autreboutdelaville.Commeça,voussaurezsij’airéussioupas.Jechoisisdansmonarsenalunlongcouteauetunpistoletchargé.Jelesluidonne.Ducoindel’œil,jevoisTomasserrerlespoings.Willprendl’armeetlaplacedanslapochede

savesteaveclecouteau.JeluitendségalementlaradiodeStacia.–Merci.Ilnesouritpas.Sonexpressionestdure.Déterminée.–Jenevoustrahiraipascettefois.Jetelepromets,Cia.–Soisprudent.Oncomptesurtoi.–Jesais.IlsetourneversRaffe.Ilabesoindesavoirquelestlemeilleurendroitoùdéposerlesexplosifs.

Puisilsedirigeàpaslentsverslaporte.Justeavantdesortir,ilseretourneetsourit.Jeretrouvelegarçonavecquijem’étaisliéed’amitiépendantlapremièrepartieduTest.

–Jet’informedèsquejesuissurplace.Aprèsundernierclind’œil,ilfranchitleseuil.–Tuasencoremal?C’estTomasquis’inquiètepourStacia.Elleplielebrasethochelatête.–Beaucoupmoins. Jen’aurais jamaispenséàmettrede lavalérianediluéedirectementsur la

plaie.– C’est pour ça que les médecins ont besoin des biologistes pour créer de nouveaux

médicaments,rétorqueTomasensouriant.Stacialuirendsonsourire.–J’espèrequ’Enzones’ensortpastropmal,luinonplus.Ellelèvelatêteversmoi.–Jepensaisagirpourlebiendenotregroupeenletestant,tusais,Cia.Jenepensaispasqu’il

entreraitdanstachambrepareffractionetqu’ilseraitblessé.Sinon,

jet’auraisprévenued’abord.Elle regrette seulement dem’avoir causé des ennuis et de ne pasm’avoir consultée avant de

prendreunedécisionsilourdedeconséquences.J’ail’impressionqu’aufond,l’étatdesantéd’Enzolui importe assez peu. Elle estimait que je prenais trop de temps, elle a fait ce qui lui semblaitnécessaire.Jevaisdevoirtenircomptedecetraitdepersonnalité au cours de l’opération. Je ne veux plus qu’elle prenne d’initiatives. En particulier siellessontendésaccordavecmesvaleurs.Jevaisdoncdevoirmemontrerplusefficace.Sinousnousensortonsvivants,jenesuispassûredepouvoirresteramieavecStacia,maispeuimporte.Pourlemoment,nousavonstousbesoindesescompétences.

Jem’adresseàmescamarades.–Nousavonsdeuxheuresdevantnousavantlapremièreexplosion.Nousdevonsnouspréparer

etdéciderquelleéquipe…–Non. C’est tout décidé,m’interrompt Raffe.Mamaison sera trop difficile à localiser pour

quelqu’unquineconnaîtpas lequartier.Etpuis, jeveuxm’occuperpersonnellementdemonpère.TomasetStaciasechargerontdesdeuxautrescibles.Jevaisleurindiquerprécisémentlechemin.

LaprofesseureChenhabiteprèsd’unepetiteétendued’eau.LaprofesseureHolthabiteà troispâtés de maisons dans une grande propriété entourée d’une clôture blanche. Les lieux serontrelativementfacilesàidentifier.

–LaprofesseureHoltnesedéplacejamaisàpied,préciseRaffe.Sisonaérojetestgarédevantchezelle,voussaurezqu’elleestlà.Quandvousaurezterminé,essayezdetrouverlaclédel’aérojet.Ilnousserautile.Lesgardesn’arrêterontpasunvéhiculeofficiel.

TomasetStacia luiposentdesdizainesdequestions. Jeveuxdonner le transcommunicateuràTomasmais il le refuse. Il sait que je vais en avoir besoinpour communiquer avecmon frère.SiStaciaetluiontbesoind’aide,ilsenverrontunmessageàRaffe.Saconnaissancedelavilleestplusutilequelesdonnéesdutranscommunicateur.

Àdix-huitheurestrente,noussommesprêts.J’espèrequeZeennevapastarderàmecontacter.Maradioclignote.Will.Lapremièrechargeestenplace.Nouspouvonsyaller.

Pendant queRaffe etStacia vont chercher leurs vélos, je regardeunedernière fois les lettresdestinéesàmafamille.Tomasestprèsdemoi.Dansquelquesminutes,nouspartironschacundenotrecôté.Etpeut-êtrenenousreverrons-nousjamais.Jemeplacedevantlui.

–Jet’aime.Jevoudraismémoriserchaquedétaildesonvisage,laformedesamâchoire,lacouleurdeses

yeux.Ilestgrand.Jemesenstoujoursensécuritéprèsdelui.Jeprendssamain.Ilseraiditmaisnelaretirepas.Etquandsesdoigtss’entrelacentauxmiens,jemesensentière.

–Moiaussi,jet’aime,murmure-t-il.Sacolères’estévanouie.–Faisattentionàtoi,Cia.–Onseretrouvebientôt.C’estunepromesse.Lesoleilcommenceàsecoucher.Unenfantjouedanslacourd’unemaison.Quandilnousvoit,

il rentre chez lui en courant. Zeen nem’a toujours pas appelée.Est-il en vie ?A-t-il réussi à tuerSymon?Lesrebellessesont-ilslancésàsestroussesoucontinuent-ilsdeserépandredanslesruesdeTosudansl’attentedusignalquileurordonnerad’attaquer?L’inquiétudemerongemaisjesuisimpuissante.

J’enfourchemonvélo.Monpistoletestdansmapoche.Tomasglissesamaindanslamienne.Jeregardelesymbolequej’aitracésurlafaçade.Deuxéclairsquisecroisent.Deuxéquipes.Lafindel’ignorance.Ledébutdel’espoir.

Ilestseptheuresmoinscinq.Une porte s’entrouvre. J’hésite à adresser un signe de la main afin de montrer que nous ne

sommespasmenaçantsmaisjeneveuxpaseffrayerleoulescurieuxenleurmontrantqu’ilsontétérepérés.

Quatreminutes.Trois.Deux.Quelquepartàl’ouest,unedétonationlointaineretentit.Larébellion,lavraie,cellequeledocteurBarnesn’avaitpasprévue,acommencé.

Chapitre16

J’essaiedemémorisercetinstant.Tomasetmoiavonstraversétantd’épreuvesensemble.Pourréussir,nousdevonscettefoisnous

séparer.–Prêts?murmureRaffe.Lagorgeserrée,jelâchelamaindeTomasavantdeluimurmurer:–Gardetaradioprèsdetoietappelle-noussiturencontreslamoindredifficulté.Ilacquiesce,puis,d’unmêmemouvement,Staciaetluis’éloignentverslenord.J’appuieplusieursfoissur l’interrupteurdutranscommunicateurpourinformerZeendudébut

denotremission.Raffeprendlatête.Nouszigzaguonsentrelesnids-

de-pouleendirectiondel’ouest.Unpeuplusloin,nousapercevonsunaérojetdesécuritémaisilnevientpasversnous.Notrediversionafonctionné.

Nous roulonsvite.Nous croisonsun autre aérojet qui ne fait pasplus attention ànousque leprécédent.JemedemandesiZeenesttoujoursaucampdesrebellesetsiStaciaetTomasonteuautantdechancequenousaveclespatrouilles.Nousnousengageonsdansunerueavecdegrandesmaisonsaux façades peintes en gris clair ou en bleu. Les pelouses qui les entourent sont verdoyantes, lesarbressontencorejeunesmaisrobustes.Desenfantsjouentàchatdansunjoliparcunpeuplusloin.Unadulteleurcriedenepastrops’éloigner.

Uneportes’ouvreetRaffeadresseunsigneàunevieillefemmequiluirépondensouriant.–MmeHaglund,m’explique-t-il.Elleneportepasseslunettesetàmonavis,ellen’aaucuneidée

dequijesuis.Mêmesic’estlecas,elleadesproblèmesd’auditionetçam’étonneraitqu’ellesoitaucourantdecequisepasseaucampus.Mesparentshabitentparlà.

Noustournonsàuncarrefour.Lesmaisonssontencoreplusgrandesquecellesquenousvenonsdedépasser.Aucunen’estmitoyenne.

Raffedescenddesonvéloetlepoussedansunealléequimèneàunebâtisseimpressionnante,reconnaissableauxpiliersblancsquiornentleporche.Ilsetientdroit.Ilnemarchenitropvitenitroplentement.Ilrentrechezlui.J’essaied’imitersonattitude.

– En général, mon père est dans son bureau à cette heure-ci, me souffle-t-il alors que nousappuyonsnosvéloscontrelemur.

–Ettamère?–Quandj’aiétéreçuàl’université,monpèreadécidéquenousn’avionsplusbesoind’utiliser

l’électricitéaprèslesheuresautoriséesparlegouvernement,commeilenaleprivilège.Ducoup,mamèrepassesessoiréeschezuneamie.Ellenerentrejamaisavant21heures.Nousavonslargementletemps.

Iljetteuncoupd’œilàsamontre.19h20.Dansdixminutes,ilyauraunedeuxièmeexplosion.Jevérifielaradio.Pasdemessage.TomasetStaciasont-ilsarrivéschezlaprofesseureChen?

JesuisRaffedanslamaison.Ilrefermesoigneusementlaportederrièremoietsortsonarme.Jeluitendslaradioqu’ilglissedanssonsac.Monpistoletàlamain,jelesuisdansuncouloirsombrequidonnesurunséjour.

Nospasrésonnentdanslamaison.Jetendsl’oreilleàl’affûtd’unbruitquitrahiraitlaprésencedupèredeRaffe.Rien.Raffemeguideversunautrecouloir.Iln’apasallumélalampetorche,iln’enapasbesoinpoursedéplacer.Nousnousarrêtonsdevantuneportesouslaquellepasseunfaibleraide lumière.Unbruitdefeuilleque l’onfroissemefait tressaillir.Jemeremémore lastratégiequeRaffeetmoiavonsmiseaupoint.

À tâtons, jepousseuneautreporte justeàcôtéet jeme retrouvedansuneminuscule salledebains.Jenerefermepasafind’êtreprêteàagirsinécessaire.

Raffeentredanslebureaudesonpère.–Bonsoir,papa.–Raffe!Letonestenmêmetempssurprisetsoulagé.–Vernam’aditque…peuimporte.Jevaisl’appeleretlaprévenirquetuesàlamaisonetquetu

n’asrienàvoiraveccesautresétudiantsquicausentdestroublesenville.–Quelstroubles?demandeRaffe.–C’estsansimportance.VernaetJedidiahverrontpareux-mêmesquetun’asrienàvoiravec

toute cettehistoire.Celadit, tun’aurais jamaisdûquitter le campusalorsquec’était formellementinterdit.Àcausedetonmanquedejugeote,certainespersonnesontdoutédeta loyauté.Cequim’amisdansunesituationdélicate.J’espèrequetuenesconscient!

–Maloyautéestirréprochable,répondcalmementRaffe.– Peut-être, mais tu ne peux pas partir du principe que ma réputation te protégera des

conséquences de tes actes. Je n’interférerai pas avec la sanction que le docteurBarnes choisira det’infliger.

–Jen’attendaispasquetulefasses.Aprèstout,tun’aspasaidéÉmilie,pourquoim’aiderais-tu?–Qu’aurais-jepufairepourpermettreàtasœurderéussirsonexamen?–Tusavaisqu’elleéchoueraitettul’asquandmêmelaisséeyaller.–Lesrègles…

–LedocteurBarnesétaitprêtàtransgresserlesrèglespourÉmilie.Ilsavaitqu’ellen’auraitpasd’assez bonnes notes. Il savait aussi qu’elle ne voulait pas entrer à l’université. Je l’ai entendu teproposerdenepasmettresonnomsurlaliste.Tuasrefusé.OùestÉmiliemaintenant,papa?

Laquestionresteensuspens.Quandl’officielJeffriesrépond,c’estd’unevoixmoinsassurée.–Tusaisoùesttasœur.ElleaétéenvoyéeàlacoloniedesCinqLacs.Raffeémetunriresansjoie.– Tu es au courant que deux des étudiants recherchés viennent des Cinq Lacs ? Avant d’être

sélectionnéspourleTest,ilsn’avaientjamaisrencontréaucuncitoyendeTosu.–Ilssetrompent.–Tusaisquenon.LedocteurBarnest’aproposédenepasinscrireÉmilieparcequ’ilavaitpeur

que tu ne supportes pas les conséquences de son échec à l’examen. De quelles conséquencess’agissait-il?

Unechaisecrissesurlesol.Unclaquementrésonne.Duverresebrise.Jesuisdanslecouloir.Jen’osepasrentrer.Raffem’aditqu’ilm’appelleraits’ilavaitbesoinde

moi.Iln’yaaucunechancequesonpèreluirévèleoùsasœuraétéenvoyéedevantmoi.Lesmurstremblent.

Puisplusrien.Lesilence.Parlaporteentrouverte,j’aperçoisunfauteuilrenverséetl’angled’unbureau.Jefaisunpasen

avantetàcetinstant,lavoixdeRaffes’élève.Rauque,tendue.–Qu’est-ilarrivéàÉmilie?Oùest-elle?–Elleaétémutéeàunposteimportantpourlarevitalisationdenotrepays,s’étranglesonpère.Ilessaiedeparlerd’untonfermemaisunlégertremblementtrahitsapeur.J’aimeraissavoirce

quileterrifiemaisjeneveuxpasintervenir,surtoutalorsqueRaffeestsiprèsdubut.–Où?Est-cequelesautrescandidatsrecaléssontégalementavecelle?–Qu’est-cequeçapeutfaire?rétorquelepèredeRaffe.L’importantestqueledocteurBarnes

leur donne l’opportunité de servir leur pays. Ils ne possédaient pas les qualités requises pourappartenir à l’élite mais ils sont parfaitement capables d’assister des scientifiques dans leursrecherchesetdeleurpermettredecomprendrelespirescorruptionsquelaguerreainfligéesànotremonde.C’estgrâceàtasœuretàd’autresjeunesgensquenousavonspufairedesprogrèsetinversercertainesmutationsmineures.

– Émilie n’a jamais rien eu d’une scientifique. Tu ne me feras pas croire qu’elle mène desexpérimentationsdansleplusgrandsecret.

–Biensûrqu’ellenemènepaslesexpérimentations.Unétauenserremapoitrine.Jeneveuxpascomprendre.

–Alors,insisteRaffe.Qu’est-cequ’elle…Ilsetait.Est-ilarrivéàlamêmeterribleconclusionquemoi?–Vous…vousservezd’euxcommecobayes?–Nosmeilleurschercheursutilisentlesressourcesàleurdispositionpouraméliorerlaviede

touslescitoyens.Ressources.Cetermeestterrifiant.Laconvictiondel’officielJeffriesd’avoirraisonl’estplus

encore.–Tousceuxquiontvuleseffetsdesmutationspeuventcomprendrepourquoinousaffectonsdes

jeunesgensprometteursàceprojet.Aucoursdesannées,nousnoussommesrenducomptequedessujetscapablesdedécrireleschangementsqu’ilssubissaientpermettaientdesavancéesmaj.…

La détonation me fait sursauter. Je me colle contre le mur. Quatre autres coups de feuretentissent.Jemeprécipitedanslebureau,monarmeàlamain,prêteàtirer.

Raffeestdeboutaumilieudelapièce,lesyeuxfixéssurlasilhouettequigîtausolàsespieds.Ilestparfaitementimmobileetnebougepasd’uncilalorsquejem’agenouilleprèsdel’hommeauxyeuxouverts.Laressemblanceestflagrante.Mêmechevelureépaisse,mêmeformedevisage,mêmespommettes.

Jeprendssonpoulsetconfirmel’évidence.L’hommeauntrouaumilieudufront.Commel’avaitdemandélaprésidenteCollindar,RychardJeffriesestmort.–Jenevoulaispasletuer,prononcelentementRaffe.Jevoulaiscroirequemonpèren’étaitpas

aussiimpliquédanscettehorreurqueledocteurBarnes.Maisj’avaistort.Ilneméritaitpasdevivre.LepistoletdeRaffetrembledanssamain.Ilestpâlecommeunlinceuletsemblevidédetoute

énergie.C’estsansdouteàçaquejeressemblaislesoiroùj’aituéDamone.Unjour,Willm’aditqueprendre ladécisionde tuern’étaitpas sidifficilemaisquevivreavec l’idéequ’on l’avait fait étaitinsupportable.Jecomprendssesmotsmieuxquejamais.

–Raffe,donne-moitonarme.–Jenevaispastetirerdessusaujourd’hui,Cia.Jeneteferaijamaisdemal.Cen’estpaspourmoiquej’aipeur.–Jesais,Raffe.Jesais.Jeparled’unevoixdouceetapaisantecommeaveclesbébésanimauxquej’aidaismonpèreà

mettreaumonde.–Donne-moi ton arme,Raffe. Juste un instant.Va dans la cuisine et passe-toi de l’eau sur le

visage.Çateferadubien.Jen’en suispasvraiment sûremaisaumoins, il sortiradecettepièce. Iln’auraplus sous les

yeuxlecadavredesonpère.Jesaisqu’ilaéprouvédel’amouretdel’admirationpourcethomme.Àunmomentouunautre,cessentimentsvontlerattraperetjenesaispascommentilvaréagir.

Jem’approchedeluietdétacheunàunsesdoigtsdelacrossedupistolet.Ilnem’enempêche

pas.Jenesuismêmepassûrequ’ilserendecomptedecequejesuisentraindefaire.Jerepoussel’empathie que j’éprouve pour lui.Raffe a besoin de faire son deuilmais ce n’est pas lemoment.L’horlogeaccrochéeaumurm’informequenousaurionsdûentendreladeuxièmeexplosionilyadéjàquinzeminutes.Lespatrouillespeuventcomprendren’importequandquenousavonsseulementvoulucréerunediversionetdéciderd’élargir leurs recherches.Raffeaobtenudes renseignementsimportantsdesonpère.Nousaurionssansdoutepuenapprendreplusmaisc’estsansimportanceàprésent.

Nousdevonspasserànotredeuxièmecible.LedocteurBarnes.Jeconnaismallequartieroùilvit;j’aivraimentbesoindesindicationsdeRaffe.

Jerécupèrelaradiodanssapoche.Ilavaitlancél’enregistrement.Jeluisouffle:–Nousdevonspartirmaintenant.Mavoixesttropfroide,tropdure.Raffesetourneversmoi.Deslarmesbrillentdanssesyeux.

Pendant une seconde, je crains de ne pouvoir le décider à venir avecmoi.Dans ce cas, je devraicontinuerseule.Ilfermelesyeuxetcrispelamâchoire.Quandilrouvrelespaupières,seslarmesontdisparu.

–Tuasraison.Allons-y.Sansunmotdeplus,iltourneledosaucorpsdesonpèreetsortdelapièce.Il ne regarde pas en arrière.Moi oui.Rychard Jeffries a participé à la revitalisation de notre

pays.Ilacommisdesactesabominablesmaisilaégalementdûréussirdebelleschosespourarriveràceposte.L’amourqueRaffeporteàsasœursuffitàprouverquetoutcequecethommeafaitn’étaitpasmauvais.Neserait-cequepourcetteraison,ilméritequ’onnel’oubliepas.

Je retrouve Raffe dans la cuisine. Il se lave les mains. Il me propose un verre d’eau. Je medésaltèreavantdevérifier la radio.Ladiodeestallumée.Willannoncequ’ilaaccomplisapartdutravailetqu’ilretourneverslamaison.J’espéraisentendrelavoixdeTomas.Jemerassurecommejepeux.SoutirerdesinformationsàlaprofesseureChenetlagarderprisonnièreestpluscompliquéquecequeRaffe etmoivenonsde faire. J’enregistreune réponsepourWill afinqu’il sachequenousavons terminélapremièrepartiede lamission.Jerépète lemessagesur lafréquencedeTomasenajoutantquej’attendsdesesnouvelles.J’aibesoind’entendresavoix.

JerendssonarmeàRaffe.–Jepeuxcontinuerseulesituveux.Ilrechargesonpistoletetencaresselecanon.–Non.Jedoisterminercequej’aicommencé.Moiaussi.La nuit est tombée. Les maisons sont silencieuses. Un léger brouillard cache la lune. Si le

manquedeclarténouspermetd’êtreplusdiscrets,çarendégalementnosdéplacementsplusdifficiles.

LedocteurBarnesvitprèsducampus.Safamilleseraprobablementaveclui.L’idéedeceàquoileurprésencerisquedenousobligermeparalyselesjambes.JemeforceàpenseràDaileenetauxautresfuturscandidatsduTestpourmedonnerducourage.

Toutenpédalant,j’essaiededéchiffrerlessentimentsdeRaffesursonvisage.AprèslamortdeZandri,Tomasneparlaitplus.Ils’étaitcommeretiréenlui-même.Ignorantsongeste,jepensaisqu’ilétaitseulementépuisémaisenréalité,saconscienceletuaitàpetitfeu.Sijen’avaispasétéàsescôtés,ilauraitsansdoutetoutabandonné.Prendrelavied’unepersonnequ’ilconnaissaitetappréciait luiavaitôté toutdésirdesebattrepour lasienne.Enrevanche,meprotégeretm’aiderestdevenusonuniquebut.L’espoirderevoirsasœurdevraitsuffireàRaffe.Après…siÉmilieesttoujoursenvie,ildevras’occuperd’elle,laramenerchezeux,l’aideràguérirdesessouffrances.

Sinon…Raffetourneàdroite.Jelesuismaisilpédaleviteetmedistancedeplusenplus.Saufquecen’estpas luiquiachangéde rythme,c’estmoi. J’étais sipréoccupéeparcequ’il

ressentaitquejenemesuispasrenducomptequ’unpoidssurlapoitrinemeralentissait.Toutàl’heure,ilétaitdécidéqueRaffesechargeraitdesonpère.S’ilavaiteubesoindemoi,je

seraisalléel’aider,maisçanes’estpasavérénécessaire.Cettefois,c’estdifférent.C’estàmoiquerevientlatâched’éliminerledocteurBarnes.J’aidéjàtué,c’estvrai,maisjamaisdecettefaçon,avecpréméditation.

Raffes’arrêtebrusquement.Jemanquedeluirentrerdedans.–Là,devant,murmure-t-il.Je suis son regard.Des aérojets officiels. Leurs phares sont éteints et ils viennent vers nous.

Raffemefaitsigne.–Suis-moi.Ilquittelaroutepourroulersurl’herbe.Impossibledediresilespilotesnousontrepérés.Raffe

pense en tout cas que c’est une éventualité parce qu’il pédale à toute vitesse entre les arbres. Il sefaufile derrière unemaison et s’arrête. Nous restons là unmoment. Je retiensma respiration. Levrombissementdesaérojetsse rapproche.J’aperçoisuneombrequisedirigevers l’est.Encoreunaérojet.depetite taille, il ressembleàceuxquenousavions lorsde l’Induction, sansdouteenplusrapide et enmeilleur état.Un deuxième le suit. Puis un troisième. Leur allure donne l’impressionqu’ils effectuent une simple patrouille de contrôle.Ce n’est pas si étonnant.Nous ne sommes plusqu’àquelquespasduquartieroùviventlaplupartdesofficielslesplusimportantsdugouvernement.

Lesaérojetsfontlentementdemi-tour,remontentjusqu’auboutdelaruepourlaredescendreunenouvellefois.Cen’estpasunepatrouilledecontrôle.Ondiraitplutôt…qu’ilsgardentousurveillentquelquechose.

LamaisondeBarnesnedoitpasêtreloin.Alors qu’ils passent près de nous pour la troisième fois, un cliquetis me fait sursauter. Le

transcommunicateur.Zeen.Lescliquetissepoursuivent.Puislavoixdemonfrères’élève.–Cia,réponds-moi.Je plonge précipitamment la main dans mon sac. Je cherche l’interrupteur pour éteindre

l’appareilmaisZeencontinuesonplaidoyer.–Cia,réponds,s’ilteplaît,réponds!JeviensvousrejoindremaisSymonest…Silence.Jusqu’aumomentoùlevrombissementd’undesaérojetssetransformeenrugissement.Ilfoncedroitsurnous.

Chapitre17

Lapaniquemedonnedesailes.–Raffe!J’espèrequ’ilm’aentenduemalgrélebruitdemoteurdesaérojets.S’ilssontaussirapidesetmaniablesquejelecrois,notresortestscellé.Notreseulechanceest

de rejoindre la route sansqu’ilsnous repèrent.Decette façon, ils ignorerontdansquelledirectionnoussommespartis.

Jepédaleendanseusepourgagnerde lavitesse.LesouffledeRaffem’indiquequ’iln’estpasloinderrièremoi.Noussommespresqueà l’angledelamaisonquandmaroueheurteunobstacle.Machaîneestbloquée.Raffemedépasse.J’appuiesurlespédalesmaisellesrefusentdetourner.

Jesauteàbasdemonvéloetjelesoulèveparlecadreavantdememettreàcourir,maisjesuisgênéeparmonsac.Lesaérojetsnesontpasloin.Jetrébuche.Raffem’aideàcachermonvélosousunbuisson.Ilrevient,meprendlamainetnousfilonsversl’avantdelamaison.

–Barneshabiteauboutdelaruesurlagauche.Jet’yretrouvedansdixminutes.Jen’aipasletempsderépondre,iladéjàdisparu.Sansréfléchir,jetraverselarue.Messemelles

claquent sur lemacadam.Enatteignant lapelouse, je risqueun regardpar-dessusmonépaule.Lesaérojetsn’ontpasencore fait le tourde lamaisonquenousvenonsdequittermais ilsnevontpastarder.S’ilsmevoient…moncœurbatàtoutrompre.Jecoursjusqu’aumuretmejetteausol.

Facecontre terre, jepriepourquemescheveuxnoirsseconfondentavec lanuit.Lebruitdesmoteursserapproche.Lentement,jetendslamainversmonsacpourrécupérermonpistolet,maisjen’yarrivepasetmesouleversurlescoudesesttroprisqué.

Cettefoislesaérojetssonttoutprès.Jefermelesyeux,m’attendantàentendredescris,desbruitsdepas,descoupsdefeu.Mesjambesvoudraients’élanceretfuirmaisjemeforceàresterimmobile.L’odeurdeterremefaitpenseràmonpère.C’estcequ’ilsentaitaprèsavoirpassélajournéeàtravaillerdanssaserre.J’aitoujoursassociéceparfumàl’espoir.Jem’yaccrocheetj’attends.

Troisdétonations éclatentplus loin surmagauche.Raffe ?Est-il le tireurou la cible ?Est-ilvivantoumort?J’aimeraisavoirdesesnouvellesmaisjenebougepas.Mefaireprendreneluiserad’aucuneaide.Jememordslalèvreausangetravalemeslarmesdefrustrationetd’angoisse.

L’appareilquiétaitleplusprochedemois’éloigneverslescoupsdefeu.Jecompteàrebours

jusqu’à cinquante. Quarante-neuf. Quarante-huit. Quarante-sept. Chaque seconde dure des heures.J’arriveàcinq.Jeposemesmainsàplatsurlesol.Deux.Un.

Jemeredresseetjeregardeautourdemoi.Plusdesignedesaérojets.Jen’entendsmêmepluslesmoteurs.Unedouleurmetraverselemollet.Monbandageesthumide.Mablessures’estremiseàsaigner.J’aimal.Quellessontmesoptions?MedirigerverslamaisondudocteurBarnesouallervoirsiRaffeabesoindemonaide?

Raffeapeut-êtreétécapturé.Outué.Jedoissuivreleplanquenousavonsconçusansmelaisserdistraire.

Jemarche jusqu’à l’arrière de lamaison. La brise fait bruisser le feuillage. Un chien aboie.Sinon,lesilence.Aucunvisagecurieuxn’apparaîtauxfenêtres.Larueestvide.JetraverselapelouseetjesuischezJedidiahBarnes.

Unelumièreestalluméeaudeuxièmeétage.Laportedederrièren’estpasferméeàclé.Monarmeàlamain,jetournedoucementlapoignée.–Cia.Jefaisvolte-face,ledoigtsurladétente.Unesilhouettevientversmoiàgrandspas.J’allumema

lampetorche.Jepréfèrecourirlerisqued’êtrerepéréequedemefairepiégercommeaustade.C’estRaffe.Jepousseunsoupirdesoulagementetj’éteinsmalampe.–Çava?J’aientendudescoupsdefeu.–Quandj’étaispetit,jejouaisdanslesanciensconduitsd’eauavecd’autresenfantsduquartier.

Ilsnesontpresquepasvisibles,maisjelesconnaiscommemapoche.J’aitiréenl’airpouralerterlapatrouilleetj’airampédansunconduit.Jesuisressortidel’autrecôtédupâtédemaisons.C’étaitmoinsfacilequequandj’étaisgamin.Tuesprête?

Non.Jeneleseraijamais.–Jeveuxjustequetoutçasoitterminé.–Alors,allons-y.Nousentrons.Lamaisonestplongéedans l’obscurité.J’allumemalampe.Noussommesdans

unegrandecuisineauxplacardssombres.Leplandetravailestgrisetblancetunegrandetableenbois trôneaumilieu.Toutestparfaitementpropreet rangé.Mamèreapprécierait.Raffe fronce lessourcils.

–Qu’est-cequ’ilya?–Sansdouterien,maisàchaquefoisquejesuisvenuavecmonpère,MmeBarnesm’entraînait

danslacuisine.Ilyavaittoujoursdesfleursetdesobjetsfabriquésparsesenfants.Je ne vois aucune décoration nulle part. Par curiosité, j’ouvre un placard. J’y trouve deux

assiettesetdeuxbols.Lesuivantcontienttroistassesetdeuxverres.Letravaildemonpèrel’obligeàvivreprèsdeszonesdanslesquellesiltravaille.Nousavonsdoncsouventdéménagé.C’estlaraison

pour laquelle mamère ne possède que le strict minimum et malgré tout, nous avons six ou septcasseroles,unedouzained’assiettesetjenesaispascombiendetasses.Impossiblequelecontenudecesplacardssuffiseàunefamilledecinq.

Raffehausselesépaules.–Allons-y.J’éclairelecouloir.Nousdébouchonsdansungrandsalon.Surladroite,unimmenseescalier;

aumilieu,uncanapé,unetablebasseetdeuxfauteuils.L’étagèrecontientquelqueslivresmaisaucunobjetpersonnel.Aucuncadren’estaccrochéauxmurs,aucunpanieravecdespelotesdelaineetdesaiguillesprèsducanapécommechezRaffe.Malgré le tapis légèrementusé,ona l’impressionquepersonnenevitdanscettemaison.

L’armeaupoing,Raffegravitlesmarches.Jelesuiseneffleurantlarampeduboutdesdoigts.Pasunetracedepoussière.Endépitdesapparences,leslieuxsontdonchabités.

Sur lepalier,noustournonsàgauche.Lalumièrequej’aivuedel’extérieurvientd’unepiècedontlaporteestouverteàquelquespas.Touteslesautressontfermées.

Raffem’adresseunsignedumenton.J’éteinsmalampe.Onyest.L’épaissemoquettenouspermetd’avancerensilence.Raffes’arrêteetseretourneunenouvelle

fois.–Onyva,articule-t-ilsansunbruit.Nousentrons.La pièce est vide. Les étagères sont couvertes de livres usés et cornés. Près de la fenêtre, un

rocking-chairetjusteàcôtéunetableavecunepilededossiers.Raffeetmoin’avonspasbesoindenousconsulter.Noussortonsdanslecouloiretentreprenons

defouillerleschambres.Dans laplusgrande,unephotodeBarnes, sa femmeet leursenfantsestposée sur la tablede

chevet ; pourtant, dans le placard, les vêtements sont exclusivementmasculins.Aucun jouet, aucunvêtementdanslesautreschambres.

LedocteurBarnesvittoujoursicimaissafamilleestpartie.Pourquoi?Nousretournonsdanssonbureau.Rafferegardesurlatabledetravail,j’ouvrelesdossiersprès

du fauteuil à bascule. Jeme rappelle soudain l’appel deZeen. Je sors le transcommunicateur et jepousseleboutontroisfoisdesuite.

Pasderéponse.Jememordslalèvreet jeprendsmaradio.Lalumièreclignote.LavoixdeTomasremplit la

pièce.

–Premièreétapeterminée.Nouspassonsàladeuxième.Ilsembleépuisé.Ilmeprometdemecontacterdèsqu’ilsaurontterminé.–J’espèrequetuvasbien.Jet’aime.Ilestenvie.–Ilneditpascequ’ilsontfaitdelaprofesseureChen.–Non.Jemesuisfaitlamêmeréflexion.J’ailesentimentqu’ilsonteuunproblème.Commenousn’y

pouvonsrien,jemecontentedelâcher:– Ils disent que la première étape est terminée. Ils doivent être avec la professeure Holt

maintenant.Etnous,onfaitquoi?Oùpenses-tuquesontBarnesetsafamille?–Iladûdemanderàsafemmeetàsesenfantsdeseréfugierdansunendroitsûrenprévisionde

larébellion,maisçam’étonneraitqu’illesaitsuivis.Jesuisd’accord.Symondirigelesrebellesmaisc’estBarnesquiluidonnedesordres.Iln’est

paslegenred’hommeàquitterlethéâtredesopérationsaumomentoùlamiseenscèneorchestréeparsessoinsestsurlepointdedémarrer.Jeréfléchis.

–La présidentem’a dit qu’il passait beaucoup de temps au centre deTest en cemoment.Ondevraityaller.

–Çavaêtredifficile.Lasécuritéadûêtreencorerenforcéedepuisnotredépartducampus.J’affirmeavecplusd’assurancequejen’enressens:–Onyarrivera.Maisceseraitmieuxsionétaitcertainsd’ytrouverBarnes.Jejetteunœilauxdossiers.–On a peut-être une chance de dégoter une information utile là-dedans. Peut-êtremême une

preuvedecequ’ilsontfaitàtasœuretauxautres.Legenredepreuvequipourraitêtreutileàlaprésidentesilebesoins’enfaitencoresentir,pour

mettrefinàlabarbarieduTest.Maisjeneveuxpasresterlàtroplongtemps.Nousdevonscontinuernotrechasse.

Jecommenceàfouillerdansleschemisescartonnées.–Sionn’ariendeneufdansdixminutes,ons’enva,d’accord?Pendant que Raffe soulève les papiers étalés sur le bureau, je lis la première feuille qui me

tombesouslamain.Toutenhaut,unnomestinscrit.AyanaKirk.Endessous,unelistedenotesquis’étalent sur douze ans de scolarité. Un commentaire précise que l’élève a des dispositionsparticulières en physique et enmusique.Accrochées à cette feuille, des lettres de recommandationsignéespardesprofesseursd’Ayana.Danslamarge,ontétégriffonnéesdesquestions.Lepenchantdel’élèvepourlamusiquenelarend-ellepastropsensiblepoursupporterlesétudesuniversitaires?Nevaudrait-ilpasmieuxpourcettejeunefillequ’ellesecontentedepostuleràunemploidanssaproprecolonieplutôtquedechercheràatteindreunepositionsocialeplusélevée?Cesquestionsontdû,àun

moment ou un autre, être formulées aux professeurs qui avaient envoyé les lettres derecommandation car d’autres courriers suivent, insistant sur le fait qu’Ayana est tout à fait à lahauteur.PuisvientlacopiedelaconvocationauTest.

Sur la dernière page, je lis, le cœur serré : Redirigée et assignée en tant que ressources auprogrammedudocteurCartwright.

J’ouvreunautredossier.Encoreunétudiantredirigé.Au fur et à mesure, je réalise qu’aucun dossier ne remonte à plus de dix ans et que tous

concernentdescandidatsredirigés.Plusilssontvieux,moinslesannotationsenmargesontfournies.Jeme rends compte d’autre chose : àmoins que des dossiers ne soientmanquants, trois fois plusd’étudiantsontétéredirigésilyadixansquel’annéepassée.

–Tutrouvesquelquechosed’intéressant?medemandeRaffe.–Jenesuispassûre.C’estsurtoutquejenecomprendspas.Barnesestl’instigateurduTesttelquejeleconnais.C’est

luiquiaeul’idéedetransformerlesétudiantsquiéchouentencobayes.Pourtant,àchaquefoisqu’ilpensequ’unjeunehommeouunejeunefilledésirantpoursuivresesétudesrisqued’yperdrelavie,ilessaiedeconvaincresesprofesseursdenepasl’envoyeràTosu.Exactementcommeill’afaitpourlasœurdeRaffe.

Pourquoi?Quandj’exprimemonincompréhensionàRaffe,ilréfléchitetsuggère:–Peut-êtrequelesofficielsdépêchésdanslescoloniesontcommencéàserendrecomptequ’ils

n’ycroisaientaucundescandidatsredirigés.Enlimitantleurnombre,illimiteaussilesquestionsdesofficielsetdesfamilles.

C’estpossible.Laprésidenteaprissonposteilyasixans,çapeutavoirunlien.Quoiqu’ilensoit,nousdevonsleverlecampàprésent.JedemandeàRaffe:

–Ettoi,tuastrouvéquelquechose?–Quelquesrapportsquipréconisentquel’accèsauTestsoitlimitéàcentcandidats.Ledocteur

Barnesestimequecesdernièresannées,untropgrandpourcentageaétééliminélorsdelapremièrephaseduTest.Maisrienquinousdonneuneindicationconcernantl’endroitoùilpourraitsetrouver.Jesuisaussitombésuruncalendrierdesréunionsdurantlesquellesserontdiscutéeslescandidaturesdel’annéeprochaineavecunelistedenoms.

Je prends le papier qu’ilme tend. Je lis les noms, les uns après les autres, et je tressaille enarrivantàceuxdeDaileenDasho,LyaneMaddowsetChristophNusman,delacoloniedesCinqLacs.Je lesconnais,biensûr.Nousavons faitdusportensemble, j’aiétudiéà leurscôtés.Tous les troisfêterontlanouvelledeleursélectionsansconnaîtreleprixd’unéventueléchec.

Lagorgeserrée,jeparcourslecalendrier.Uneréunionducomitéétaitprogramméeunpeuplus

tôtdans la journéeaucentredeTest.Barnesyétait forcément.Elle est terminéedepuisdesheuresmaisc’estleseulindicequenousayonssouslamain.JeconfirmeàRaffequenousdevonsretourneraucampus.

–D’accord,acquiesce-t-il,maisd’abord,jecroisquetudevraisregarderça.AvantquemoncerveauaitenregistrélesproposdeRaffe,jemeretrouveavecunechemisedans

lesmains.Elleestgrisecommecellequem’aremiselaprésidenteCollindar,maiscettefois,lafichederenseignementsneportepassurledocteurBarnes.

MalenciaVale.ÂgeaumomentduTest:16ansColonie:CinqLacsGroupe:largeéventaildecompétencesMatièredeprédilection:mécaniquePremièrephaseduTest:succèsNote:réactionémotionnelleintensesuiteausuicided’unecandidate.Àsurveiller.DeuxièmephaseduTest:succèsNote:unenouvellefois,réactionémotionnelleintensesuiteaudécèsd’uncandidatmaisépreuve

complétée.TroisièmephaseduTest:succèsNote : besoin inhabituel d’aider ses coéquipiersmême quand leur élimination lui permettrait

d’atteindresonbutdefaçonplusrapideetplussûre.Sesvaleurspersonnellessontenconflitaveclescritères du comité pour l’entrée à l’université. Cependant, sa capacité à suivre son intuition et àconvaincre les autres lui confèreuncaractèreunique. Jepensequ’ellepeutm’être trèsutile et j’aidéjàconvaincumescollèguesdel’aiderlorsdelaquatrièmephaseduTest.

Jepensequ’ellepeutm’êtretrèsutile?Trèsutileàquoi?Est-celaraisonpourlaquelleSymonm’adonnédelanourritureetdel’eauainsiquelapotionquim’aaidéeàmerelaxerdurantl’entrevuefinale?

QuatrièmeétapeduTest:échecrecommandéparlecomité.Lacandidateneseméfiepasassezdesautresetnesembleenaucuncasprêteàtoutpourledéveloppementfuturdupays.Nepossèdepasunepersonnalitéassezfortepourprendredesdécisionsdifficiles.

Échec.Nepossèdepasunepersonnalité assez forte.Si le comitévoulait que je sois éliminée,commentai-jepuêtreacceptée?

Entrevuefinale:lacandidateasurprislecomitéparsaretenueémotionnelleetl’énoncéclairdesesréponses.Cependant,lamajoritéavotécontresonadmissionàl’université.

Recommandationducomité:échecRésultat:succès.Échec.Échec.Échec.

Mesgenouxmenacentdesedérober.L’avisducomiténedevraitpasm’affecter,pourtant,l’idéequ’ilsnem’ontpastrouvéassezforteaprèstoutescesépreuvesestcommeunegifle.

–C’estabsurde.Mavoixestrauque.–Pourquoiai-jeétéadmisesilecomitéarefusémonentrée?Raffesecouelatête.– Il fautcroireque ledocteurBarnesest intervenu.C’estpeut-êtrepourçaque laprofesseure

Holtt’aeueàl’œildèsledépart.–Jenecomprendspas.Iln’yapastrente-sixmoyensd’avoirdesréponsesàmesquestions.–AllonschercherBarnes.Raffesepasselamaindanslescheveux.–Ilyaundétailquimetracassedepuistoutàl’heure.Lalumièreétaitalluméeànotrearrivée.Je

voismalledocteurBarnespartirdechezluienoubliantd’éteindre.–Maispourquoi…Jenevaispasauboutdemaquestionparceque jeconnais la réponse.Barnesavaituneseule

raisondelaissercettelumièreallumée:fairecroirequ’ilétaitchezlui.Etnoussommestombésdanslepiège.

Chapitre18

Raffeetmoifouillonsprudemmentlapièceetnousnetardonspasàdécouvriruneboîtenoirereliéeàdesfilsderrièrelebureau.Unebombe.Est-ellereliéeàunminuteurouétions-nouscensésladéclencherparerreur?

Peuimporte.Onaintérêtàdégagerd’iciauplusvite.Raffeprendsesaffairesetnousnousprécipitonsdanslecouloir.Noussommesàlamoitiéde

l’escalierquandnousentendonsuneporteclaqueraurez-de-chaussée.Nouspouvonsremonternouscacherdansunechambremaisnousnouscouponsl’accèsàlasortie.Nousn’avonspaslechoix,nousdevonstenterletoutpourletout.Nousdévalonslesmarches.Laported’entréen’estpasloinmaisjenesuispassûrequenousayonsletempsdeladéverrouiller.

Despasrésonnent.JeprendslamaindeRaffeetjel’entraîneavecmoiderrièrelecanapé.Soudain,unelumièreilluminelesalon.–Vousdeux,restezlà!Symon.Maisalors,qu’est-ilarrivéàZeen?Prèsdemoi,Raffeseraidit.Ilaluiaussireconnula

voix.Symongravitlesmarches.Iln’estpasseul.Unefoisenhaut,ilinterpellelesdeuxhommesàqui

ilaordonnéderesterdansleséjour:– Il n’est pas encore arrivé. On va l’attendre ici. Éteignez les lumières et allez vous poster

dehorschacunàunboutdelamaison.Dèsquevouslerepérez,vousmelesignalez.Leslumièress’éteignent.Despass’éloignent.Uneporteclaqueàl’étage.Raffesortprudemment

latêtedederrièrelecanapé.Ilobserveetmurmure:–Attends-moiici.Quelques secondesplus tard, il revient etme fait signede le suivre.Nous traversons lapièce

sombreenprenantgardedenepasheurterlemobilier.J’aimeraismonter,demanderàSymonoùestmon frèreet lui tireruneballedans la tête.Mais s’ildéclenche lepiègedeBarnes, jeneveuxpassauteraveclui.Nousarrivonsdevantl’entréedelacuisine.Raffesepencheversmoi.

–Ondoitseséparer,murmure-t-il.Si tu tedépêches, lesdeuxgardesneserontpasencoreenpositiondehors.Tupourrasfilerjusqu’aucampus.VaaucentredeTest.TrouveBarnes.Jem’occupedeSymon.

– Tu ne peux pas monter dans le bureau. C’est trop dangereux. La bombe peut explosern’importequand.

–SymontravailleavecBarnes.Ildoitêtreaucourantpourlabombe.Detoutefaçon,onn’apaslechoix.Ondoitl’éliminer.

Jesaisqu’ilaraisonetjesaisaussiqu’ilaunemeilleurechanced’yarriverseul.J’effleuresonbras.

–Bonnechance.Raffesepencheversmoi.Seslèvressepressentsurmajoue.–Onserevoittrèsvite.Faisattentionàtoisurlecampus.Lesrebellespourraienttecauserplus

dedifficultésquelespatrouillesdesécurité.Et…aucasoùçasepasseraitmalpourmoi,promets-moiqueturetrouverasmasœuretquetuluidirasquejesuisdésoléden’avoirpassuempêcherça.Jenepensaispasunjouravoirconfianceenquelqu’und’autreautantqu’enelle,Cia,maisjesuissûrqueturéussiras.

Iltournelestalonsetdisparaîtdansl’obscurité.Dehors, la brise est fraîche. Je referme doucement la porte derrière moi et observe la rue.

Symonademandéàsesgardiensdeseposterdechaquecôtédelamaison,unàl’est,l’autreàl’ouest.JemedirigeencourantverslenordetjenetardepasàcomprendrepourquoiSymonnes’inquiétaitpasdevoirquelqu’unarriverdecettedirection.Jemeretrouvefaceàunmurdeplusdedeuxmètresde haut. Il est parfaitement lisse et impossible à escalader. Je repère un arbre un peu plus loin, unjeunesaulequinedoitpasavoirplusde troisouquatreans.Sesbranchessontfinesetsouples.Cen’est pas l’idéalmais je vais devoir faire avec. Il est assez éloignédumur, ce qui vam’obliger àgrimper jusqu’à lacime.Jebloquemonsacpourqu’ilneseprennepasdans lefeuillage, j’attrapeunebranchequiploiesousmonpoidsetjemehisse.

Jemonte aussi haut que je peux et jem’apprête à sauter quand des coups de feu retentissent.Raffe.Jemeforceànepastournerlatête.L’embranchementsurlequelj’avaiscalémespiedscraqueetsebrise.J’entendsdescrisetd’autrescoupsdefeu.Jemerattrapedejustesseetprendsmonélan.Ma poitrine entre violemment en contact avec le mur. J’étouffe un cri. Je glisse. Mes doigtss’agrippent.Ilsdoiventêtreensangmaisjenelâchepas.Mesbrastremblent.Jesuisensueur.

Lesoufflede l’explosionmecollecontre laparoi.Jeparviensenfinàcoincermonpied.Mesmuscles se tendent. Je suis en haut. Juste avant de passer de l’autre côté, je jette un regard vers lamaison de Barnes. Des flammes et de la fumée sortent des fenêtres. Je scrute les alentours dansl’espoird’apercevoirRaffe,puisjemelaissetomberetjecoursàperdrehaleine.

Jetraverseunepelouse,mefaufileentredeuxmaisons,jesuisdanslarue.Deshalosdelampetorcheéclairentlanuitçàetlà.Desgensréveillésparlebruitsortentsurlepasdeleurporte.Ilsonttous l’air effrayés.Moiaussi sansdoute.Mais jeprofitede lapanique ;personnenem’accorde la

moindreattention.Jem’éloignedel’incendie.DeRaffe.S’ilasurvécu,ilapeut-êtrebesoindemonaide,maisjenefaispasdemi-tourparcequ’ilneme

permettrait pas demettre notremission en péril. Je ne peux queme poser ces questions encore etencore:quiseraleprochain,etnotreactionvaut-elleleprixquenouslapayons?

J’arrivedenouveaudansuneruecalme.JemecachedansunbuissonetcherchelescoordonnéesducentredeTestdansletranscommunicateur.Jenesuisqu’àunkilomètreducampus.Jepeuxyêtredansmoinsdedixminutes.Enregardantlalune,j’essaied’estimercombiendetemps s’est écoulé depuis le début de l’opération. Deux heures ? Trois ? Comment est-il possiblequ’autantd’événementssesoientdéroulésensipeudetemps?Raffeestprobablementmort.Zeennerépondplusàmesappels.Jen’aiaucuneidéed’oùsetrouventTomasetStacia.

Jemeredresse.Mes jambes tremblent.Jemarched’abord lentement,puisdeplusenplusvite.Bientôt,jesuisentraindecourir.J’aihâted’enfinir.

Mes poumons sont en feu.Mon cœur bat vite. Je suis en vie. Je ralentis avant d’arriver auxabordsdel’université.J’essaieunedernièrefoisd’appelerZeen.J’aibesoind’entendresavoix.Maisbiensûr,l’appareilrestesilencieux.C’estcommesimoncœurs’arrêtait.Lalumièredelaradioestéteinte.J’enregistreunbrefmessagepourTomas,StaciaetWill.Jelesinformedemapositionpuis,au lieude la rangerdansmon sac, je lagardedans lapoche intérieuredemaveste.Çamedonnel’impressiond’êtreplusprochedeTomas.

L’arche qui marque l’entrée du campus apparaît. Je me souviens de ce que j’ai ressenti lapremière fois que je suis passée dessous. J’étais avec Malachi, Tomas et Zandri. Malgré lesavertissementsdemonpère,j’étaisexcitéeetpleined’espoir.

En longeant la clôture, je prends la direction des bâtiments administratifs. Je tends l’oreille àl’affûtdumoindrebruittrahissantlaprésencedegardesouderebelles.

Je comprends maintenant pourquoi le Test a été mis en place. À une époque où la moindredécisionpouvaitfaireladifférenceentrereconstructionetdestruction,lesgouvernantsnevoulaientpasprendrelerisquededépendred’uneerreurdejugement,mêmepriseparunepersonnedebonnevolonté.Lepaysavaitbesoindedécideursdontlesqualitésn’étaientpasseulementl’intelligenceoul’altruisme.C’étaituneépoqueoù il fallait savoir fairedeschoixdifficilesque laplupartdesgensn’étaientpasprêtsàassumer.Uneépoqueoùnécessitéfaisaitloi.

Staciaaraison,leprésidentDaltonaéchoué.Ils’esttrompéencontinuantdeparlerdepaixalorsque ce langage n’avait plus aucune chance d’aboutir. Malgré les morts et la destruction, les

gouvernantsdesprincipalesalliancesdésiraientencoreaccomplirleursrêvesdeconquête.Ilsétaientallés trop loinpour reculer.Çaaurait été admettrequ’ils avaient eu tort.Le seul actequi auraitpuempêcher laQuatrièmeÉpoque de la guerre aurait été l’élimination physique de ces gouvernants.Alors,peut-êtrequelessurvivantsauraientréalisélafutilitédeladévastationautourd’euxetfaitunpasversunprocessusdepaix.

Mais personne n’a voulu prendre cette responsabilité et le monde s’est effondré. LaCommunautéunifiées’estbâtiesurlesruinesdecemonde.LeTestaétécréépours’assurerquelesfutursgouvernantsne faillissentpas.Pourtant, enpoussant lescandidatsàmontrerdequoi ils sontcapables,lesépreuvesneprennentpasencomptequedifférentescirconstancesmènentàdesrésultatsvariables.Lecomitéaestiméquejedevaisêtreredirigéeparcequejem’étaismontréeincapabledeconsidérerlanécessitécommeunepriorité,decomprendrequeparfois,lafinjustifielesmoyens.

Cettemissionleurprouveàquelpointilssesonttrompés.Desbruitsdepas.Jemejettedansunbuisson.Deuxpersonnespassentencourantdevantmoi.

Officiels?Rebelles?Impossibledelesavoir.J’attendsunmomentaprèsleurdisparitionpoursortirdemacachette.

L’arrièredubâtimentadministratifestdépourvudefenêtres.Àcetendroit,laclôtureestouverte.Unefusilladeéclateunpeuplusloin.Unesirènehurleetd’autrescoupsdefeuluirépondent.Je

me cache une nouvelle fois derrière un buisson et j’attends. Ça semble venir de l’autre côté ducampus.Jesorsnéanmoinsmonarme.

Jeprendsladirectiondustadeenfaisantattentionderesterdansl’ombre.JepenseàTomas.Laradioesttoujourssilencieuse.

Justederrièrelestade,s’élèvelecentredeTest.Cinqétagesdemétaletdeverre.Jedistingueàpeinelabarrièrequil’entoure.

Ladernièrefoisquej’ysuisentrée, ledocteurBarnesnousaannoncé,àmoietunevingtained’autrescandidats,quenousétionsreçusàl’université.Tomasetmoinoustenionslamain.Jen’avaispasencoreretrouvélamémoire.J’étaisheureuse.

Unesilhouettesedécoupeprèsdel’entrée.Unefoisdeplus,ilestimpossiblededéterminers’ils’agitd’ungardeoud’unrebelle,maisdetoutefaçon,ilvafalloirquejetrouveunmoyendel’éviter.

Dansmonsouvenir,lerez-de-chausséen’anifenêtreniporteàl’arrière.Jefaistoutdemêmeletourpourvérifier.Laclôtureest facileàescaladermaisune rapide inspectionmeconfirmeque jesuisobligéed’emprunterlaporteprincipale.

Touslesrideauxsonttirésetjenevoisaucunelumière.JenepeuxpasêtresûrequeBarnesestàl’intérieur.Laseulefoisoùjemesuisretrouvéeàl’extérieurdubâtimentdurantleTest,ilfaisaitjouretavecZandri,MalachietTomas,nousavionspasséunmomentprèsd’unefontaine.JemerappellecommelescheveuxdeZandribrillaientdanslesoleiletjen’aipasoubliéqueMalachiriait.Lejetde

lafontainenefonctionnaitplusetpourpasserletemps,Tomasetmoil’avionsréparé.Je me demande s’il n’y a pas moyen d’utiliser cette fontaine pour attirer le garde loin de

l’entrée.Lafusilladeacessémaislasirènehurletoujours.J’ôtelespierressouslesquellesestdissimulée

l’alimentationdujetquipourlemomentestcoupée.Avecletournevisdemoncouteau,jesoulèvelecouvercleduboîtierétanche.

J’enrouledelonguesherbesautourdel’hélice,puisjebloquelapompe.Simonplanfonctionne,lemoteurvadevoirforceretilproduiradescraquementsetdesgrincements,jel’espère,assezforts.

Sinon, ilva tout simplement s’arrêter sansunbruit. Je revisse lecouvercleet,prêteàdétaler,j’appuie sur lebouton. J’arriveprèsdubâtimentquand j’entendsungrondement sourd suivid’uneespècedegémissement.Quelquessecondesplustard,lemoteurlâchedansunclaquementsec.

Maisçaasuffi.Legardetournelatêteetfaisquelquespasverslasourcedubruit.Jedoisfairevite.Je suis devant mais la vue d’un clavier sur le côté de la porte me panique. Je me souviens

maintenant que le jour de notre arrivée,Michal avait tapé un code à six chiffres. Je n’y avais pasréellementprêtéattentionetdetoutefaçon,ilaforcémentétéchangédepuis.Jemeconcentresurlaserrure.J’aipeut-êtreletempsdelaforceravantleretourdugarde.

Troptard.Ilcourtversmoienmecriantdeneplusbouger.Jen’aipluslechoix.Jemeretourneetjetire.J’aivisésajambe,jel’aitouchéauventre.Ilseplieendeuxmaistireàsontour.Jemeplaque

contre laporte. J’entendsuncliquetis.Ellen’étaitpas ferméeàclé.L’hommegémit. J’aimerais luiportersecoursmaisc’estimpossible.

JedoistrouverledocteurBarnesavantquequelqu’uns’aperçoivedemaprésence.J’allumemalampeetj’éclairelehall.Toutestcommedansmonsouvenir.Desmursblancs,un

solgrisusé,deschaisesdansuncoin.Derrièrelesportessetrouventlaréserved’armesetlessasdepréparation.Cen’estforcémentpaslàquej’aiunechancedetrouverBarnes.Jeremontelecouloirjusqu’aux ascenseurs.Mais je ne veux pas prendre le risque dem’y retrouver piégée. J’empruntel’escalierunpeuplusloin.

Lebâtimentestimmense.YtrouverBarnes,c’estcommechercheruneaiguilledansunebottedefoin.Audeuxièmeétage,jepousselaporteetéclairelecouloir.Jedécidedesuivremoninstinct.Jemonteautroisième.C’estlàqueBarnesnousaexpliquéenquoiconsisteraientlesdifférentesphasesdu Test. C’est aussi là que nous avons passé l’entretien final. Et que j’ai appris que Tomas étaitresponsabledelamortdeZandri.

J’ouvrelaporteetjeremplacemalampeparmonarme.Lesangbatàmestempes.Jesuisdevant

laporteàdoublebattantquimèneàlapièceoùj’aicommencéetfinileTest.Lamêmeangoissequej’airessentieilyadesmoism’étreintlapoitrine.

Aucunelumièren’estalluméemaisjedistinguelescontoursdel’estradesurlaquellesetenaitledocteurBarnes.

Lessiègessontvidesmaisjen’aipasbesoindefermerlesyeuxpouryvoirtousceuxquisontmorts.Sij’échoue,cettepièceserabientôtdenouveaurempliedejeunesgensensursis.

Unminceraidelumièreapparaîtsousuneporteunpeuplusloin.JeposelamainsurlapoignéeenénumérantmentalementlenomdesvictimesduTest.Jetourne

lapoignée.Jepousselaporte.Danslapièceaveugle,assisderrièreunetablenoire,ledocteurBarnesestentraind’écrire.Jesuisprêteàtirer.Mondoigtsecrispesurladétentedemonpistolet.Illèvelatêteetmesourit.–Bonsoir,Cia.Noust’attendions.Lemétalfroidd’uncanonderevolverseposedoucementsurmatempe.

Chapitre19

Onmeretiremonarmedesmains.Onmeprendégalementmonsac.Unrirerésonneàmesoreilles.Jereconnaiscettevoix.JemetournepourdécouvrirGriffinetsa

mouetriomphante.Illâchemonsacquitombeparterredansunbruitsourd.–Tudevraisfaireattention,lereprendBarnes.MlleValeestsouventpleinedesurprises.Il tendlamainetrécupèremonpistoletdanslamaind’unétudiantdetroisièmeannéeàquije

n’aijamaisadressélaparole.–Mercipourvotreaide,maintenant,allezm’attendredehors.MlleValeetmoidevonsdiscuter

d’affairesprivées.Vousaurezvotrerécompensedèsquej’enauraiterminéavecelle.Griffinobéitsansessayerdedissimulersonagacementetsadéception.L’autregarçonlesuit.Le

docteurBarnesramassemonsacetretournederrièresonbureau.– Assieds-toi, Malencia. Je sais que tu n’as pas eu beaucoup l’occasion de te reposer ces

dernièressemaines.Tuasété trèsoccupée.Tellementoccupéeque j’aimêmeeupeurqu’il t’arrivemalheuravantcettepetiterencontre,cesoir.Çaauraitétédommage.Nousavonstantdechosesànousdire.

Ilmedésigneunechaised’ungesteamical.Commetoujourssonsourireestchaleureuxetpleind’empathie.Toutenluiestfaitpoursusciterlaconfiance.Maisjenebougepas.

–Tuesbienvenuemeparler,n’est-cepas,Cia?–Jesuisvenuevoustuer.–Oui,biensûr.Sonsourires’élargit.Ilposemonarmesurlatabledevantlui,àcôtédemonsac.– Et je n’ai pas l’intention de t’en empêcher. Tu devras aussi te charger des jeunes gens qui

attendentdanslecouloir.Jesuisdésolémaisjenevoulaispasmouriravantquenousayonscepetitéchange.

–Vousallezmelaisservoustuer?Laconfusion,lafatigue,l’angoissefontnaîtreun

riredansmagorge.Pourtant,lasituationn’ariendedrôle.

LedocteurBarnesselaisseallercontreledossierdesonfauteuil.–Tunemecroispas,Cia?–Non.C’estàsontourderire.–Jenepeuxpast’envouloir,maispenses-turéellementquetuseraisicisijen’avaispasdécidé

detelaisserallerauboutdetamission?Tuasparcouruunlongchemindepuislapremièrefoisoùtuesentréeicimaisilterestebeaucoupàapprendre.

Jerepenseàlaportequin’étaitpasverrouillée,àlamaisondeBarnesdébarrasséedesaffairesde sa famille, auxdossiers exposésdans sonbureau, à l’explosionde samaison, à la facilité aveclaquelle j’ai traversé lecampus…augardedevant laportequiaurait largementeu le tempsdemetueravantquejeluitiredessus.Monplantenaitàpeuprèslaroutemaisjeneseraisjamaisalléesiloinsansaide.Sansl’aidequeBarnesaffirmem’avoirprocurée.Maispourquoi?

Jepose lesyeuxsurmonarme.Si j’essaiede laprendre, il aura lamaindessusavantmoi. Ilhoche la tête comme s’il avait lu dans mes pensées. De toute façon, il a raison. J’ai besoin deréponses.Quandjelesaurai,jetrouveraiunmoyenderécupérermonpistoletparcequejenecroispasuneseulesecondequeBarnesaitréellementl’intentiondemourircesoir.

Jem’assoisdonc.–C’estvrai,docteurBarnes,j’aiencorebeaucoupàapprendre.Maisçam’étonneraitquevouset

laprofesseureHoltmelaissiezretournerenclasseaprèstoutcequis’estpassé.–LaprofesseureHoltseraittrèscertainementunobstacle.Ellen’ajamaisétéd’accordavecton

admissionàl’universitéetencoremoinsaudépartementdesciencespolitiques.Cependant,suiteauxévénementsdecesoir,Vernan’estplusdansl’équation.PasplusqueMaylinChen.Ellesnepourrontdoncpasformulerd’objections.Maispeut-êtredécideras-tuderetournerauxCinqLacs.Tafamilleseraitsûrementtrèsheureusedeterevoir.

L’évocationdema famillepar ledocteurBarnesmeglace les sangs,mais jegardeunvisageimpassible.Horsdequestiondeluidonnerlamoindresatisfaction.Jerépondsd’untonneutre:

–Vousvousêtesdonnébeaucoupdepeinepourmevoiricicesoir.Jenepensepasquecesoitpourmedemandersijeveuxrentrerchezmesparents.

–Tunepensespasquejetelepermettrais?Il s’est penché en avant etme fixe, les sourcils en arc de cercle. Il a posé lamain près de la

crossedemonarme.–Non.Jenecroisriendecequevousdites.–Jen’aiaucuneraisondementir,lâche-t-ilenprenantlepistolet.Maisjenepeuxpast’obligerà

mefaireconfiance.Ilselèveetvajusqu’àunpetitbancquejen’avaispasremarqué.Unplateauestposédessus.Ily

prendunverreremplid’unliquideincoloreetvientleposerdevantmoi.

–C’estpourça, reprend-il,que j’ai apportéunbreuvageque tu te rappelleraspeut-être.C’estceluiquetuasbuladernièrefoisquenousnoussommesvusdanscettepièce.

LedocteurBarnes retournes’asseoirpendantque j’examine lecontenuduverre.Ondiraitdel’eaumaisenréalité,c’estunsérumdontlebutestdedésinhiberceluiquileboitetdelepousseràrépondresansfardàtouteslesquestionsqu’onluipose.Ladernièrefois,j’avaisàmadispositionunepotion destinée à en contrecarrer les effets.C’est ce quim’a permis de garder le contrôle demesréponses.Jereposeleverresurlatable.

–Ilesthorsdequestionquej’avaleça.–Maiscen’estpaspourtoi,rétorqueBarnes.C’estpourmoi.Jetedonnejustel’opportunitéde

vérifierquecequejedisestvrai.Jenecomprendspas.PourquoiBarnesboirait-ilunsérumdevérité?–Commentpuis-jeêtresûrequevousn’avezpasprisl’antidoteavant?–Tunepeuxpas.Maistuastoujourscruentoninstinct.Qu’enpenses-tu?Jenesaispas.Jesuisfaceàunnouveautest.Ledernier,peut-être.Cequiestentraindesepasser

est absurde. Manifestement, le docteur Barnes a toujours été au courant du moindre de mesagissements.Pourtant, iln’yavaitpasdecaméra, j’avaisdésactivé lapucedemonbraceletet ilnepeutpasenavoirglisséunedansmapocheparcequejechangeaisdevêtementschaquejour.

Monsac.Jel’aitoujoursavecmoi.Letissuestépaisetlefondestrenforcé.Onnousl’adonnéavantla

quatrièmephaseduTest.Jel’avaisoublié.Jereposeleverreetm’appuiesurledossierdemachaise.–Lesacenregistraitnosmouvements,n’est-cepas?–Toutàfait,machère.Enréalité,cen’étaitpaslecaspendantleTest.Mescollèguespensaient

quelebraceletseraitsuffisant.Tunousasprouvéquec’étaituneerreur.C’estcequej’espérais.–Cequevousespériez?LedocteurBarnesprendleverredevantmoietlelèveàmasanté.Ilboitunegorgéeduliquide

avantdelereposerengrimaçant.–J’avaisoubliéàquelpointc’estmauvais.Nousvoulionsmodifiercedétailmaisnousnenous

ensommes jamaisdonné lapeine.Pasétonnantpuisqu’unefoisqu’onenabu,onoubliequ’on l’afait.Mepermets-tumaintenantdet’apporterquelquesexplications?

Ilmeregardeetsourit.–QuandlaCommunautéunifiéeaétéformée,reprend-ilsansattendremaréponse,nousavons

décidéqu’unesélectionétaitnécessairepourchoisirnosfutursdirigeants.Nousnevoulionspasêtrevictimesdeserreursdupassé.Audépart, les limitesdupaysétaientcellesde laville,cequi rendait lasélection

facile. Il suffisait aux officiels d’observer quotidiennement ceux qui prenaient des initiatives etassumaientlerôledeleadersdanslatâchequileurétaitattribuée.Aprèsl’établissementdespremièrescolonies, la population a sensiblement augmenté et les problèmes n’ont plus été les mêmes. Larépartition de l’énergie, par exemple, a donné lieu à des émeutes. Afin de mettre un terme à cesmouvementsdeviolence,deuxnouvellescoloniesontétécrééesloinàl’estetdeshabitantsdeTosuyontétéenvoyés.Maislesdécisionsavaientétéprisesdansl’urgenceetcescoloniessesontretrouvéesmalapprovisionnéesetmaltenues.Presquetouslescolonssontmorts.

Nous avons étudié cette partie de l’histoire à l’école. Les rescapés ont parlé de terriblestempêtes, d’attaques d’animaux mutants, de contamination par la terre qui empêchait les plantescomestiblesdepousser.Monpèresedemandaitsouventcommentlesscientifiquesquiavaientchoisiceszonesavaientpumanqueràcepointdediscernement.

–Lesrescapéssont revenusàTosuetont raconté toutcequis’étaitpassé,poursuit ledocteurBarnes.Ilsontmisencauselegouvernantdel’époque.Laguerrecivilemenaçait.Elleauraitréduitenmiettestoutcequiavaitétéréalisé.Pourl’empêcher,uncompromisaétéconclu:lagarantiequecegenred’erreurnesereproduiraitplusjamais.Mongrand-pèredirigeaitl’universitéàl’époque.Ilamisenplaceunsystèmedesélectionquiassuraitquenosélitesseraientparfaitementprêtesàassumerleurrôle.ÇaaétélanaissanceduTest.

L’armeàlamain,ledocteurBarnesselèveetfaitlescentpas.–Ilestdifficilededéterminercequivafaireunbondirigeant.Pendantlesdixpremièresannées,

leTestaétécomposéd’épreuvesécritesetd’exercicespratiques.Lesespritslesplusbrillantsetlesplusprometteursétaientadmisàl’université.Pourtant,nombred’entreeuxéchouaientlorsqu’arrivaitle moment où ils devaient prendre des responsabilités. Une personne peut être extrêmementintelligenteetcompétente,onnepeutpasprévoirlamanièredontelleréagiraaucœurd’unesituation.Mongrand-père a donc imaginéunedeuxièmeversionduTest.Unpour les colonies, unpour leshabitantsdeTosu.

LedocteurBarnesmetourneledos.Lentement,sansbruit,jeglisselamainversmonsac.–LeTestpour les candidatsdes colonies était plusdur, plus stressant.L’idée était d’observer

leurs aptitudes sous la pression. Il n’est pas étonnant que les plus grandes avancées enmatière demanipulationgénétique,demédecine,dedépollutionde l’eauaientété réaliséespardeschercheursquiontpasséetréussileTest.CommetonpèreouleprésidentWendig.Aucoursdesannées,leTests’est révélé très efficace. C’est la raison pour laquelle la présidente Collindar désire qu’il soitégalementappliquéauxcandidatsdeTosu.

–Quoi?Jesecouelatête.–C’estfaux.LaprésidenteveutmettreuntermeauTest.JesaisqueBarnesment.Jusquerécemment,laprésidentenesavaitmêmepasexactementenquoi

consistait le Test. Son désir d’en apprendre plus a été l’une des raisons pour lesquelles elle m’ademandécommestagiaire.

–Oh,maistutetrompes,machère.LedocteurBarnesmefixeensouriant.Ilaremarquéquejem’étaisrapprochéedelatableetdu

sac.Ilpointelecanondupistoletversmoietattend.Jerécupèremamain.Ilbaissesonarmeetreprendsonrécit.–Jesaiscequetuasenviedecroire,Cia.Cesdernièresannées,nousavonseuquelquescontacts

avec d’autres pays.Certains amicaux, d’autres…moins.Nos dirigeants doivent rester forts si l’onveutsurvivreàcequiseprépare.L’éliminationdetantdejeunesespoirsnemeréjouitpas,maislaprésidente estime que ces pertes sont mineures comparées à celles que nous connaîtrions si nosdécisionnairessemontraientfaibles.

J’essaiedemeremémorertouteslesconversationsquej’aieuesaveclaprésidenteausujetduTest.Àchaquefois,ellerépétaitqu’ellevoulaitretirerlaresponsabilitéduprojetaudocteurBarnes.Jamais, ellen’aexplicitementénoncéqu’ellevoulaitmettre finauTest.Maisçaneprouve rien. Jeregardeleverreàmoitiévidesurlatable.Barnesdit-illavérité?Jen’aiaucunmoyend’enêtresûre.Maisjepeuxessayerd’enapprendreplus.

–LaprésidenteCollindarsait-ellequevousutilisezlesétudiantsredirigéscommecobayes?–Ah,maistuasappristousnospetitssecrets,ondirait.Cette fois, le docteur Barnes ne sourit pas. Il fronce même furtivement les sourcils. A-t-il

réellementsuivitousmesmouvements?–Maisoui,renifle-t-il.LaprésidentereçoitrégulièrementlesrapportsduprofesseurCartwright

etdudocteurBates.Elleestparfaitementaucourantquenousutilisonsdesressourceshumainespourprogresser.Enréalité,ellepensemêmequeleprofesseurCartwrightesttropfrileuxdansl’utilisationqu’il en fait. Elle est attachée aux résultats. En particulier si les nouvelles que nous recevons del’étrangersontvraies.

–Oùsont-ils?Oùsontmenéeslesexpériences?–ÀlacolonieDecatur.–Aucunecolonieneportecenom!–Cettecolonieestdifférentedesautres.Elleestsecrèteetelleaétéétablieprèsdelazoneoùse

déroule la quatrième phase du Test. Ainsi nous pouvons relâcher dans la nature le fruit desexpériencesratées.

C’estmonstrueux.Jerevoislesyeuxdelacréaturequim’aattaquéependantleTest.Cellequim’alaissécesquatre

cicatricessurlebras.Elleavaitunregardsi…humain.Jemerappellesoncriquandmaballeaatteintsacible.Cettecréatureétaitpeut-êtreunanciencandidat.Transforméencobaye.Puisrejeté.

Inconscientdemanausée,ledocteurBarnescontinue.–Laprésidenteetmoisommesendésaccordsuruncertainnombredepoints.C’estpourcela

quejet’aichoisie,Cia.Pournousdépartager.Nousavonsmenésurtoiungenredetest.Nousavonschoisiunecandidatevenantd’unecolonieoùpersonnen’avaitétésélectionnédepuisplusieursannées.Unecandidateatypique,avecdesqualitésdifférentesdecellesquenousrecherchonshabituellement.Laprésidenteétaitcertainequetucraqueraissouslapression,quetuseraisincapabledefairecequiestnécessairepouraidertonpays.

–C’estvousquiavezdemandéàSymondem’aiderpendantleTest?Pourquoi?–J’avaisbesoinquetuconvainqueslecomitélorsdel’entretien.Laplupartdesmembresavaient

déjàémisdesremarquessurtonhypersensibilitéquileursemblaitparfaitementinappropriéepourunfuturdirigeant.J’avaisbesoinquetusoiscapabledecontrôlertesréponses,c’étaitlaseulefaçonpourmoidetefairearriverjusqu’àcettedernièreépreuve.LaprésidenteCollindaraacceptédevalidertonadmission.Situréussis,leTestseraaboli,situéchoues,toutcontinueracommeaujourd’hui.

–Qu’attendez-vousdemoi?J’entends des pas et des voix dans le couloirmais je n’y prête pas attention. Rien n’est plus

importantquelemomentquejesuisentraindevivre.Magorgeestsècheetmoncœurcognedansmapoitrine.Jerépète:

–Qu’attendez-vousdemoi?–Çaneteparaîtpasévident?Tudoismetuer.Jefixel’arme.Jemevoislaprendre,viserettirer.Ettoutseraterminé.Maisjenebougepas.

J’essaiededevinerquelautrepiègeilestentraindemetendre.–Jenecomprendspas.– Bien sûr que tu comprends, sourit-il. Je veux mettre fin au Test et pour y parvenir, des

sacrificesdoiventêtrefaits.Ilestjustequej’enfasselesfraisentantquepiècemaîtressedecerouagedepuissi longtemps.C’est leseulmoyen.LeTestaaidénotrepaysaucoursdesesheures lesplusnoires.Lesgenscroientencesystèmeetauxdirigeantsqu’ilproduit.

–Seulementparcequ’ilsignorentcequecesystèmeimplique.–Tun’espassinaïve,Cia.Peut-êtrenel’admettent-

ilspasconsciemmentmaisbeaucoupdecitoyensdecetteCommunautéontdepuislongtempscomprisleprixquenotrepayspaye.Laplupartchoisissentdenepasensavoirplusparcequ’ilssaventqueçafonctionne.Lesannéespassées,malgrétesnotesettesperformances,tuauraiséchoué.Sansladroguequet’adonnéeSymon,tuauraisréponduavechonnêtetéauxquestionsposéespendantl’entretien.Toninclination pour la vérité et ton manque d’instinct de tueuse auraient été considérés comme desfaiblessesparlecomité.Aujourd’hui,tuvasprouverqueleraisonnementquijustifieleTesttelqu’ilestesterroné.Laprésidentenecroitpasquelespersonnescommetoipossèdenteneuxlaforcedecaractère qui leur permet, lorsque les circonstances l’imposent, de prendre les décisions les plus

difficiles.Enmetuant,tuprouverasquej’avaisraisonetqu’elleavaittort.Ilposelepistoletsurmesgenouxetreculed’unpas.–Jesuisdésolée,MalenciaVale,maisaprès toutceque tuas fait, je suisobligéde t’imposer

cettedernièreépreuve.Tuastouslesélémentsàtadisposition.Quelleserataréponse?

Chapitre20

Lepistoletàlamain,jemelèvelentement.Jetendslebras.Jesuisentréedanscebâtimentavec l’intentionde tuermais jen’aurais jamais imaginéque le

docteurBarnesattendraitcalmementdevantmoiquejel’exécute.Ilacréé leTest, sélectionné lescandidatset lesaconfrontésàdessituationsqui lesaparfois

menésàlamort.Laprésidentem’ademandédel’éliminer.Ainsi,jemettraifinauTest.Son regardestpleindecompassion.Sonexpressionest résignée. J’essaiedenepas laisser le

doutes’insinuerenmoi.Enréalité,jenecomprendspasréellementcettedernièreépreuvemaisjenepeuxpaslarater.Jedoistirer.PourZandri,Malachi,Daileenettouslesautres.

Pourmoi.Danslecouloir,unéclatdevoixmefaitsursauter.Quelqu’unapproche.Amiouennemi?Peu

importe.Jemeconcentresurl’armedansmesmainsetl’hommefaceàmoi.Jetremble.Jecherchelavéritéaufonddemoi.Ungrandcoupretentitcontrelaporte.–Tontempsestpresqueexpiré,Cia,m’avertitBarnes.Jenelequittepasdesyeux.Est-illemonstrequej’aitoujourspenséqu’ilétaitouaucontraire

quelqu’un prêt à l’ultime sacrifice pour trouver la rédemption ? La réponse ne devrait pas avoird’importance.Pourtant,elleena.

Toutdépenddecetinstant.Jedoistirer.Jedoisletuer.Maisjenepeuxpas.Malgrémondésirderéussir,jecomprendsqueledocteurBarnesaeutortdemechoisir.Jesuis

incapabled’abattreunhommedésarmé.Iln’yaquedemauvaisesréponses.Surmadroite,uneportes’ouvreàlavolée.JebaissemonpistoletetjemetourneversSymon.Il

estencadrépardeuxhommes.Ilssonttouslestroisarmés.–Posetonpistolet,Cia,m’ordonne-t-il.Tuassurvéculongtemps,ceseraitdommagequetout

s’arrêtemaintenantpourtoi.

Sa chemise est déchirée, son pantalon taché de sang et de boue. Il devait encore être chez ledocteur Barnes au moment de l’explosion. Sa main à lui ne tremble pas. Son regard est froid etdécidé.Iln’hésiterapasàm’éliminer.Jesaisquejen’aipaslechoix.Jeluiobéis.

–Allezsurveiller l’ascenseur,aboie-t-ilàsescompagnons.Laprésidenteapeut-êtreplacédeshommeslà-bas.Dèsqu’onaunplanderetrait,ons’enva.

Les deux rebelles partent en courant.Nous sommes tous les trois seuls dans la pièce. SymonsouritàBarnes.

–Tonabsenceànotrerendez-vouscheztoim’ainquiété,Jedidiah.Legaminquim’aattaquéetlabombequiaexplosén’ontfaitquerenforcercetteinquiétude.Desétudiantsontlancéunassautnonautorisécontredesofficielspourprotestercontrelafermetureducampus.

C’étaitsansdoutelescombatsquej’aientendus.IanadûréussiràconvaincrelesétudiantsdeseretournercontreSymon.

–Jepensaisqu’ilsétaientsoustoncontrôle,rétorqueBarnes.–C’étaitlecas,maisnousavonsrencontréquelquesdifficultés.Ranettarefusededéployerses

équipesautourdelaville.Elleamêmepersuadécertainsdeceuxquimesuiventdelarejoindre.Lesrebellesn’attaquerontpas.Sionveutleséliminer…

–Nousnelesélimineronspas,l’interromptBarnes.–Jenecomprendspas.LedocteurBarnessouritetsortunpetitpistoletdesapoche.–Laprésidenteetmoisommesparvenusàunaccord.Tropdecitoyenssontaucourantpourle

Test,larébellionetlesexpérimentations.–Lesrebelles…–Ilnes’agitpasquedesrebelles,monami.IlfaitunpasversSymon.Ilsembledésolé.Lesdeuxhommesseregardent.Ilsnemeprêtentplus

attention.–Nousdevonsenfinir,monami,reprendBarnes.Nousavonsaidénotrepays,nousluiavons

permisd’avancermaisuneautrepériode s’ouvre. J’auraispréféréque tumeuresdans l’explosion.AprèslesacteshéroïquesdeMlleVale,celam’auraitsembléapproprié.Etjen’auraispaseuàfaireça.

Symon comprend les derniersmots deBarnes une seconde trop tard.Le coup de feume faittressaillir.Symontombeenarrière.Dusangapparaîtjusteau-dessusdesoncœur.Ilpousseuncriettireàsontour.

Jefaisvolte-face,prêteàfuir,maisunesilhouettefamilièremebloquelaseuleissue.DegrossesgouttesdesueurperlentaufrontdeGriffin,ilpointeunrevolverversmoi.Cettefois,jeneréfléchispas,j’appuiesurladétente.Lasurprisedéformesonvisage.Ils’effondre.Jecours.

Je suis dans le couloir. Trois nouveaux coups de feu éclatent dans la pièce derrière moi. Jetourneàgauchevers laporteàdoublebattant.Toutaubout,unhommearmé.Il tire.Jefilevers lasallederéunionetfermelaporteàcléderrièremoi.Leverrounetiendrapaslongtempsmaisçamefaittoujoursgagnerquelquessecondes.

Il fait noir commedansun four.Quelqu’unagite lapoignée. Jeme sersdes chaisespourmeguider.Descrisdel’autrecôtédelaporte.LavoixdeSymon.Ilordonneauxautresdereculer.J’aitrouvél’escalierquimèneenhautdel’estrade.Jegravislesmarches.Cinqcoupsdefeuetlaportecède.Jemejettederrièreunerangéedechaises.

La lumière baigne la salle. Accroupie, prête à bondir, je retiens mon souffle. D’où je suis,j’aperçoisunepetiteportedel’autrecôtédelascène.Elleesttroploin.

Undeshommesmontelesmarches.Unautres’estpostécontrelemurdufond.Jecroisqu’untroisièmeestdanslecouloir.Deuxcontreun,c’étaitdéjàcompliqué…

Je serre la crosse de mon arme. Je n’aurai qu’une chance. Quand je vais me redresser, lecomparsedeSymonmetireradessus.Jemourrai.Maissi jesuisassezrapide, j’aurairéussià tuerSymonavant.

Lapersonnequis’approchedemoialepaslourd,commesielleétaitblessée.Un cri retentit dans le couloir. Je doisme dépêcher avant deme retrouver face à un nouvel

adversaire.Jepenseàtousceuxquej’aime.JemurmureleprénomdeTomasetjemelève.LesyeuxdeSymons’écarquillentdesurprise.Sesmainssontpleinesdesang.

Alorsquej’appuiesurladétente,troissilhouettesapparaissentdansl’encadrementdelapièce.Jen’entendsplusrien.Symons’écrouleetsoncorpsdévalelavoléedemarches.Unedouleurmedéchirelebras.Jeme

tourneetjetiredenouveau.L’hommeesquive.Unevoixm’appelle.–Cia!Tomas.Encoreuncoupdefeu.L’hommetombesurleschaisesdansunfracas.J’ailatêtequitourne.Tomascourtversmoietmeprenddanssesbras.Sesvêtementssontsales

etdéchirés,maisilestlà.Envie.Par-dessussonépaule,jevoisWill.EtZeen.JechercheStaciadesyeux.Tomasa-t-ilétéobligé

delalaisserànotrecachetteàcausedesablessure?Àmoinsqu’ellenesoitentraindes’assurerqueBarnesestmort.

J’ouvrelabouchepourposerlaquestion,maismonfrèreestplusrapidequemoi.–Jeveuxquetumerendesmontranscommunicateur.Malgréladouleur,jememetsàrire.Zeenacesourirequej’aimaistant.Ilvientversmoietje

m’écartedeTomas.C’estàcemomentquejelevois.Lecanondel’armedeSymon.JepousseTomasetjem’avance,prêteàtirer,maisjesaisquec’estdéjàtroptard.

Jevaismourir.Descoupsdefeu.Encore.Uncrirauquefranchitmagorge.Laballenem’apastouchée.Zeen

s’est interposé.Monfrèrepousseungrognementdedouleur.Jen’hésitepasunesecondecettefois.Mamainnetremblepas.

Symontressaute,untroudanslapoitrine.Puisunautredanslatempe.Will.Zeenestétendusurlesol.Jem’agenouilleprèsdelui.Jeleretournedoucement.Peut-êtreque…

j’étouffeunsanglot. Instinctivement, jecherchemonsacà tâtons, j’aisûrementdudésinfectant,despansements,maismonsacn’estpaslàetdetoutefaçon,c’estinutile.Zeenaététouchéauxpoumons.Peut-êtreaucœur.Ilnetiendraplustrèslongtemps.

Pourtant,jecrieàWilletTomasd’allerchercherdel’aide.Jemefiched’êtrearrêtéeetpunie.Jeveux queZeen vive. Il y a eu trop demorts. Le prix est trop élevé. Je ne veux pas le perdre. Pasmaintenantalorsquenousvenonsdenousretrouver.

Will annoncequ’ilvaà la résidencedemédecineetpart encourant.Tomasbougeà son tourmaisc’estpourvenirs’agenouillerprèsdemoi,de l’autrecôtéducorpsdemonfrère. Ilprend lamaindeZeendanslasienne.Deslarmeslaissentdessillonsargentéssursonvisagepoussiéreux.Jevoudrais pleurer moi aussi mais mes yeux sont secs. Le docteur Flint, aux Cinq Lacs, disait queparfois les blessures les plus graves ne provoquent pas de douleur car les nerfs atteints netransmettentplusd’informationaucerveau.

Zeentousse.Jecaressesescheveuxet je luimurmuredesmotsd’encouragementcommeil lefaisaitpourmoiquandj’étaispetiteetqu’uncauchemarm’avaitréveillée.Jeluidisquejel’aime.Quejesuisheureusequenoussoyonsenfinensemble.Quetoutvabienallermaintenant.Maisc’estfauxparce qu’il respire de plus en plus mal. Les battements de son cœur ralentissent et ses yeux seremplissentd’angoisse.

–Tomas,tu…tun’aspasdescachetspourladouleurdanstonsac?Tomas acquiesce. Il va chercher son sac et en sort les deuxbouteilles.Celle avec le cercle et

celleaveclacroix.Ilm’interrogeduregardetmelestend.Zeentoussedenouveau.Samainserrelamienne.Sonvisageestlivide.Sapoitrinesesoulèveà

peine.Jeprendssatêtedansmesmainsetjel’aideàboiredanslabouteilleavecuncercle.C’estpeut-être égoïste dema partmais je veux que ces derniersmoments avec lui durent le plus longtempspossible.

–Cia…Ilparvientàpeineàarticuler.–Rappelle-toicequejet’aiditquandtuaseutondiplôme.Etdisàpapaetmamanquejet’ai

sauvée.Ilsserontfiers.Àl’arrivéedesofficielsdesécurité,noussommestous

les trois immobiles,nousnous tenons lesmains,Tomas,Zeenetmoi.LecœurdeZeenacesséde

battre.Ilnesouffreplus.Ilsnenoustirentpasdessusmaisnousdemandentdenouslever.J’essaiemaisjen’yarrivepas.

Jesuistropépuisée.Vide.IlslaissentTomasm’aider.Uneéquipemédicaleexaminemonbras.Tomasestassisàcôtédemoi.JeluidemandedesnouvellesdeStaciaetjelislaréponsesursonvisage.Elleestmorte.Tomasmeprometdetoutm’expliquerplustard.Jenelepressepasdequestions.

J’aimalmaislacrèmequelesmédecinsappliquentsurmablessuremesoulage.Ilsontfaittoutcequ’ilspouvaientpourl’instant.Ilsmepromettentdemedonneruntraitementquiempêcheraquelacicatricereste.Commesiquoiquecesoitpouvaiteffacerlescicatricesdecettejournée.

Ungrouped’officielsenvioletarrive.Jepensaisqu’ilsvenaientm’arrêtermaisilssedirigentversZeen.Ilslesoulèventpourl’emporteretjepousseunhurlement.C’estalorsquelaprésidentefaitsonapparition.Elledemandeauxofficielsde laisserZeenoù il estetdequitter les lieux.L’équipemédicaleestégalementpriéededécamper.LaprésidenteautoriseTomasàrester.Detoutefaçon,ilauraitrefusédes’enaller.

–Nousavonsdenombreuseschosesàdiscuter,commence-t-elle,maisnouspourronslefaireaucours des semaines qui viennent. Mes officiels ont découvert les corps du docteur Barnes et deSymon.Ilssontmorts.Maiscen’estpaslecasdetouteslesciblesmentionnéessurlaliste.

LedocteurBarnesestmort.Je ferme les yeux et essaie de ressentir du soulagement. Après tout, c’est pour atteindre cet

objectifqueZeenettantd’autresontperdulavie.Pourtant,jen’éprouvequedelatristesse.Jenesauraijamaissisesdernièresparolesétaientvraies.

Jerouvrelespaupièresetjechoisismesmotsavecsoinpourrépondreàlaquestionimplicitedelaprésidente.

– Symon ayant participé à l’établissement de cette liste, j’ai décidé deme renseigner sur lespersonnes qui y figuraient. Sur les douze, seules cinq étaient impliquées directement dans leprocessusduTest.Cesontellesquenousavonsdécidéd’éliminer.

– Je suis impressionnée, sourit la présidente. Ce n’est pas toujours évident de diriger avecsagesse,particulièrementquandlesenjeuxsontaussiimportants.Aprèst’avoirdonnélaliste,jemesuisdemandésiSymonyavait incluscertainsdesesopposants.Si tu lesavais tués, tunousauraissansdouteprivésd’alliésinfluents.

Est-celavéritéouavait-elledesraisonspersonnellesdesedébarrasserdecesgens,commelesuggèrel’explicationdudocteurBarnes?L’expressionindéchiffrabledelaprésidentenemedonneaucuneindication.

– Afin de vous protéger, vous et vos camarades, poursuit-elle, nous ferons une annonceofficiellepourinformerlapopulationqu’uncertainSymonDean,chefd’ungroupederebellesdontle but était de déstabiliser la Communauté unifiée, est responsable de la mort de plusieursreprésentantsimportantsdugouvernement.Nousluiimputeronségalementlesdifférentesexplosions

etlesfusilladesquelescitoyensontentenduescesoir,ainsiqueledécèsdesétudiantsetdesofficiels.J’aidéjàparléauchefdesétudiantsrebelles.CesdernierspensaiententoutebonnefoiagirpourmettrefinauTest.IlsobtiendrontuneamnistiepourleuracteainsiquetousceuxquisuivaientSymon.

–Etc’estàcemomentquevousdécréterezl’abolitionduTest?

LaprésidenteCollindarseredresse.Sait-ellequejen’aipastuéledocteurBarnes?Mesactesl’ont-ellefinalementconvaincuequejeméritedefairepartiedel’élite,mêmesijen’aipasréussiàallerauboutdemamission?

–Tout à fait ! affirme-t-elle.Et dès que ce sera fait, j’ordonnerai à la chambredes débats dechoisirunnouveaudirecteurpourl’université,quimettraenplaceleschangementsnécessaires.

–Quelgenredechangements?–Nousledétermineronsentempsetenheuremaisjeteprometsqu’aucuncandidatn’auraplusà

subirlesépreuvesquetuassubies.Sonsourireest rassurant.Sesproposne lesontpas.Monfrèreetmesamisn’ontpassacrifié

leurviepourdesdemi-promesses.–Etpourlesétudiantsquiontéchoué?CeuxdelacolonieDecatur?Silence.LaprésidenteCollindarmetoise.Elleessaiededéterminercequejesais,cequ’ellepeut

dire.–J’airécemmentapprisl’existencedecettecolonie.Peut-êtrevoudras-tum’yaccompagnerafin

devoircequenouspouvonsyfaire.JesongeàladernièrerequêtedeRaffe.JedoisessayerderetrouverÉmilie.–Oui,jevousyaccompagnerai.–Trèsbien.Jeteprometsdeschangements,Cia.Nousavonsdenombreuxdéfisàrelever.J’ai

l’intentionde faire en sorteque les esprits lesplusbrillantsdes colonies et deTosu soientmis auservicedelaCommunautéunifiée.Qu’ilspassentparl’universitéoupas.D’ailleurs,touslesétudiantsquisouhaitentrentrerchezeuxyserontautorisés.Jesuiscertainequeceuxquichoisirontcetteoptiontrouverontunmoyendeparticiperàlarevitalisationdepuischezeux.

LamaindeTomasserrelamienne.Jesaiscequ’ilpense.Nousallonspouvoirrentrercheznous.–Tuasd’autresquestions,Cia?Desdizaines.Maisjen’auraijamaislesréponsesauxplusimportantes.LaprésidenteCollindara

l’air sincère. Je repenseà la tensionentreelleet ledocteurBarnes le jouroùellem’aproposéunstageauprèsd’elle.Jemerappellesoninquiétudelorsqu’elleévoquaitlenombred’étudiantsentrésàl’université qui n’obtenaient pas leur diplôme.Elle désirait éliminerBarnes pour en finir avec les

pratiquesqu’ilperpétuait.Ellevoulaitquejel’aideàparveniràcechangement.Jeveuxlacroire.JeveuxquetoutcequeledocteurBarnesm’aracontétoutàl’heuresoitdesmensonges.C’estluiquiaregardélajeunefilleavecquijepartageaismachambrependantleTestsependresansfaireungestepour l’aider.Cethommepouvait-il réellementvouloir la finduTest?Disait-ilvraiàproposde laprésidente ? Est-ce vrai que non seulement elle est au courant pour les étudiants utilisés commecobayesmais qu’enplus elle approuve cesméthodes ?Pense-t-elle que leTest devrait être encoreplusdifficileetappliquéàplusdecandidats?

LedocteurBarnesm’aditàplusieursreprisesquemonmeilleuratoutétaitmacapacitéàsuivremon instinct, et même si je n’ai aucune envie de croire ses paroles, je pense qu’il disait vrai.Maintenantqu’ilestmort,iln’yaqu’unmoyendelesavoir.

–Tuasd’autresquestions,Cia?répètelaprésidente.–Oui.Acceptez-vousquej’aillecherchermonsacdanslasalled’entretien?–Biensûr,maistucomprendrasquetoutcequetuasempruntépouraccomplirtamissiondoit

retournerlàoùtul’aspris.Jem’yreprendsàdeuxfoispourmelever.Latêtemetourne.Tomasmeproposesonbrasmais

jerefuse.C’estunechosequejedoisfaireseule.Laprésidentenoussuitdanslecouloir.Ellenenousquittepasdesyeux.Tomasetmoimarchons

d’unmêmepas.Unofficielestentraindenettoyerlesangàl’entréedelasalled’entretien.LecorpsdeGriffinaétéenlevé.CeluideBarnesesttoujourslà,dansunemaredesangquitachesescheveuxgris.Ilaperdusonaurad’autoritéetdesagesse.

Jem’approche.Ilauneblessureàl’épaulequ’iln’avaitpasquandjel’aiquitté,maiscen’estpascequil’atué.Troisautresballesl’ontatteintenpleincœur.Jesuistotalementincapabled’unteltirgroupé.

– Pour te dire la vérité, Cia, je n’étais pas sûre que tu serais capable d’accomplir ta tâchejusqu’aubout.Quand tonamim’aconfirméque tuavais réussi, j’aiétéheureused’avoirplacémaconfianceentoi.

–Monami?JeregardeTomasquihausselesépaules.Elleneparlepasdelui.Alorsdequi?–Legarçonauxcheveuxnoirsetauxyeuxverts,préciselaprésidente.Will.–Jel’aicroisétoutàl’heure.Ilcraignaitqueturefusesd’assumertonacte.D’aprèslui,tuesune

véritablehéroïne.–Ilsetrompe.Aprèstoutcequis’estpassé,voilàaumoinsunechosedontjesuissûre.–Jesavaisquetudiraisça,approuvelaprésidenteavecunsourireentendu.Lesdécisionsdes

dirigeantsnesontjamaisfaciles.Tuasprisuneviemaispenseàtoutescellesquetuassauvées.

PascelledeZeen.Desviesontétéépargnées,oui.Maispasparmoi.ParWill.Jelesavaisdouéavec une arbalète, il nous l’a prouvé à plusieurs reprises durant le Test,mais apparemment, il sedébrouille également avec une arme à feu. Il n’était pas avecmoi quandBarnesm’expliquait sonarrangementaveclaprésidente.Ilignoraitquem’accorderlecréditdelamortdeBarnesétaitleseulmoyendemettrefinauTest.LeWillquiavoulunoustuerauraitréclaméunerécompensepoursonacte.C’estlapreuvequ’iladécidédetenirparole.Iln’estpasseulementlegarçonquimentettrahit,toutcommejenesuispasseulementlafillenaïvedesCinqlacs.Maintenant,jedoisdéterminersiledocteurBarnesestl’hommequ’ilsemblaitêtreetsilaprésidenteestlafemmequ’elleaffirmeêtre.

Surlatable,leverren’apasbougé.Jeleporteàmeslèvres.L’amertumedubreuvagem’arracheunegrimace.C’estbienlapotionquelesmembresducomiténousontfaitboireavantl’entretien.

–Tuesprête,Cia?medemandelaprésidente.Toutcequem’aditledocteurBarnesétaitvrai.–Cia?Jelaregarde.Jevaisdevoirobtenirlesréponsesàmesquestionsparmoi-même.–Viens,Cia.Tomasprendmonsacsurlatable.–Onrentreàlamaison,mesouffle-t-il.

Chapitre21

Lamaison.JesuisassisesousunchênequeZeenaaidéàfairepousserauxlimitesdelacolonie.Monpère

etmoi y venons tous les jours depuis que je suis rentrée.Aujourd’hui, je suis seule. J’ai dans lesmains le transcommunicateurquiaappartenuàmonfrère. J’enaienterréunsemblableàquelquespas,prèsde lui.Les larmesquejen’aipasréussiàverser lesoirdesamortcoulent librementsurmesjoues.Lejourdelaremisedesdiplômes,nousnoustenionstouslesdeuxsousunchênecommecelui-ci.Zeenaprononcépourmoilesmotsqu’ilm’ademandédemerappeleravantderendresonderniersouffle.Nousétionstousdeuxdansl’ombre,tousdeuxdéçusparl’avenirquis’ouvraitdevantnous.Moi, parceque je pensais que je n’avais pas été sélectionnéepour leTest, lui parcequ’il sesentait prisonnier desCinq Lacs et qu’il avait besoin de reconnaissance pour le travail qu’il avaitaccompli.

–Toutnesepassepastoujourscommeonlevoudrait,avait-ilsoupiré.C’estcommeça.Danscescas-là,ilfautrebondirettrouverdenouveauxobjectifs.

Riencetteannéenes’estdéroulécommejel’avaissouhaité.Jetrouveaujourd’huiduréconfortdanssesmotsetsavoirqu’ilestmortpourmesauvernem’arenduequeplusdéterminée.Ilnedoitpass’êtresacrifiéenvain.

Le feuillage bruisse. Les rayons du soleil éclairent les quatre pierres tombales devant moi.Toutessontmarquéesd’unnometd’unsymbole.

ZeenVale,deuxéclairscroisés.MalachiRourke,uneflèche.ZandriHicks,unefleurstylisée.MichalGallen,uneancre.Michaln’étaitpasdesCinqLacs,mais j’ai insistépourqu’il soit représentésurcemonument

auxsouvenirs.Honorépourl’aidequ’ilnousaapportéeàtous.Sanslui,lechangementn’auraitpasétépossible.

Caroui,ilyaeudeschangements.TroissemainessesontécouléesdepuislamortdudocteurBarnes.J’aipassélamajeurepartie

decetempsdansuneunitémédicaledeTosuavecEnzo,quicommencetoutjusteàseremettredesesbrûlures.TomasestsouventvenumevoiretnousavonspassédutempsàregarderRaffeluttercontre

lamortà traversunevitre.Lesmédecins sont surprisqu’il ait survécusi longtempsetquechaquejourquipasse,ilsembleplusproched’êtresauvé.Ilestévidentqu’iln’abandonnerapas.

Laprésidenteatenuparole.TroisjoursaprèslanuitaucentredeTest,jel’aiaccompagnéeàlacolonieDecatur.Tomasn’apasétéautoriséàsejoindreànousetjeneleregrettepascarjenesaispascommentilauraitréagiàcequenousavonsdécouvertlà-bas.Jenesaispasàquoijem’attendaismais certainement pas à une colonie deux fois plus grandeque lesCinqLacs, dotée des dernièresinnovations médicales et technologiques de Tosu. Y vivent des patients à différents stades demutationsprovoquéesparinjectiondeproduitschimiques.Finalementpasautantquejel’auraiscru,entenantcomptedunombredecandidatsetd’étudiantsredirigés.Quatredanschacunedescinqzonesde la colonie.Deuxmâles et deux femelles.Les plus atteintsmontraient les crocs et les griffes enarquant ledospendantquedeschercheursprenaientdesnotesde l’autrecôtédecloisonsdeverre.J’ai demandéoù étaient les autres. Pour être sûre.Onm’a réponduqu’ils avaient été lâchés sur leterritoiredestinéauTest.

Jepassemachinalementlamainsurlescicatricesdemonbrasenlesregardantdanslesyeux.Jemedemandes’ilsconnaissaientceuxquej’ai tuésdurant leTest.J’auraisaiméapprendre leurnommaisledirecteurderecherche,DreuOwens,ignorel’identitédemesvictimes.Ilsepeutégalement,m’a-t-ildit,quecesoientdeshumainsdontlesmutationsétaientduesàlaguerre.Dreum’aracontéqu’enapprenantquelescobayesétaientd’ancienscandidatsouétudiants,ilavaitvoulupartir.Ilnel’apas fait car il a finiparcomprendreque le travail entreprisà lacolonieDecaturavaitpourbutdesoigner des humains victimes des pollutions chimiques. Il refuse de les abandonner alors que sesrecherchespeuventfavoriserleurguérison.Ilm’amontrélesrésultatsobtenuset,c’estvrai,peut-êtreexiste-t-ilunechancedetrouvercemoyen.

Pourtant,lesméthodesemployéesjusqu’àmaintenantdoiventcessercarsiellespermettentdesprogrès, elles créent aussi de la colère, de l’incompréhension et de l’injustice. Certains ont peurd’être les prochains cobayes. Dreu a annoncé qu’à partir de maintenant, les sujets serontexclusivementchoisisparmilesvictimesdesguerres.

Malgré les objections de la présidente, j’ai réussi à ramener avecmoi deux des résidents deDecatur.Émilie,lasœurdeRaffeetGil,lefrèrejumeaudeWill.Ilsavaientétéaffectésàuntravaildelaboratoireetparaissentàpeuprèsenbonnesanté.Ilsontretrouvéleurfamille.LesouriredeWillm’a fait chaudaucœur.Gil et luiont échangédesblaguesen terminant lesphrases l’unde l’autrecommes’ilss’étaientquittéslaveille.Pournepasgâchercetinstant,jen’aipasvouluposeràWilltouteslesquestionsquimehantent:àproposdeBarnesetdelaraisonpourlaquelleilaaffirméqueje l’avais tué.Maisderrièresonsourire, jepenseavoirvuuneprofonde tristessequine lequitterajamais.Ildoitvivreaveclesouvenirdesactesqu’ilacommis.UnemalédictionquiestépargnéeàGiletÉmilie.

Eneffet,onaeffacédeleurmémoiretoutelapériodequ’ilsontpasséeàlacolonieDecatur.La

présidente et ses conseillers pensent quepourdes raisonsd’ordre et depaix, le public nedoit pasapprendrequelgenrederecherchessontmenéeslà-bas.Encoreunsecretgardépourdeprétenduesbonnesraisons.Enréalité, jecomprendscette logiqueet j’yadhèremêmeenpartie.Pourtant, jenepeuxm’empêcherdemedemandersil’onapprendréellementdeseserreursencontinuantd’effacerlepassé.

Jeconservemalgrétoutl’espoirquenousavonsappris.Lasemainedernière,j’aiassisté,depuislebalconprésidentiel, auconseilde la chambredesdébats.Laprésidenteaannoncéofficiellementl’arrêtimmédiatduprocessusdesélectionconnusouslenomduTest.LesétudiantspeuventbiensûrpoursuivreleurcursussousladirectiontemporairedeDouglasLee,professeurd’histoire.Elles’estégalementengagéeàtravaillersérieusementavecledépartementdel’éducationàunnouveausystèmequiseraitlemêmepourlescandidatsdeTosuetdescolonies.

Les rumeurs vont bon train sur l’identité des traîtres qui ont assassiné le docteur Barnes, laprofesseureHolt, la professeureChen et l’officiel Jeffries. Je saismaintenantque l’und’entre euxn’auraitpasdûfigurersurlaliste.LaprofesseureChenétaitpersuadéedelanécessitéd’unerefontedusystèmedesélection.TomasetStacial’ontapprisenserendantchezelle.Ilsontréussiàlaligoteret alors que Tomas voulait partir, Stacia a décidé de l’exécuter. Elle tenait à obéir à la lettre auxinstructionsdelaprésidente.C’estelle,pasmoi,queStaciaconsidéraitcommelachefdesopérations.Staciaestmortepeudetempsaprès.Tomasaffirmequec’étaitdel’autodéfense.Jeneluiaipasposéplus de questions. Une nouvelle ombre a obscurci son regard. Peut-être un jourme racontera-t-ilpourquoiilatuéStacia,maisrienn’estmoinscertain.Pourlui,lepasséappartientaupassé.

Mon nom n’a jamais été associé à lamort du docteur Barnes. Pas plus que celui de Tomas,Stacia,Raffe,IanetWill.Notregrouped’étudeacependantcomposéungenredemédailleenformed’éclairs croisés en hommage à Stacia, comme la professeureHolt l’avait fait pour Rawson.Unerécompense appropriée pour une jeune fille qui ne désirait rien de moins qu’être célèbre. Nousn’avonspasétésouventd’accordcesdernierstemps,maiselleétaitmonamieetellememanque.

Nousavonstousreprislecoursdenotreviesansquepersonnenesacheriendesévénementsdecettenuit-là.Tomasenest reconnaissant.Jesupposequemoiaussi.J’aitoutdemêmeracontétoutelavéritéàmafamille,unsoir,danslacuisine,accoudéeàlatableoùj’aiapprisà lire,écrireetcompter.Mesfrèresnemetaquinentplusautantqu’avant.Mamère fait comme si rien n’avait changé mais je la vois parfois m’observer à la dérobée. Je saisqu’elleaimerait retrouver lapetite fillequiaquitté lamaisonquelquesmoisplus tôtet j’essaiedemonmieuxdelaconvaincrequec’estpossible.Monpèreestleseulàvraimentmecomprendre.SansdouteparcequeluiaussiasubilaviolenceduTest.

Jeme lèveet regarde l’horizon. Jedistingueau loin,derrière les frontièresde lacolonie, lesterres encore non revitalisées. Il reste tant à faire. Je suis bien chezmoimême si jeme retrouveencore à dormir devant la cheminée pour échapper aux ronflements demes frères. Lamagistrate

Owensm’adéjàdemandédes idéespouraméliorernosmoyensdecommunicationafind’êtreplussouventencontactavecTosuetd’autrescolonies.

Tomasestheureuxcarmonpèreluiaproposéunpostedanssonéquipe.S’ilfaitsespreuves,ilsera bientôt capable de diriger sa propre équipe.Le retour auxCinqLacs lui a redonné lemoral.Entouré de sa famille, il guérit peu à peu de ses blessures physiques et psychologiques. Mais iln’oublierajamais.Bienquenousn’ayonspasobtenunosdiplômes,leshabitantsdelacolonienousconsidèrentcommel’élite.Lesopportunitésquinoussontoffertessontexactementcellesdontnousavionsrêvé.Tomasahâtedecommenceràtravailler.Ilahâtequenousconstruisionsnotrevieici.

J’aienvied’êtreheureuse.Mais même si j’aimerais rester près de Tomas et de ma famille, chaque jour qui passe me

convaincunpeuplusquec’est impossible.Macolonieestaussibellequedansmonsouveniret j’yviendraiaussisouventquepossiblecarjesaisquej’ytrouveraitoujourslapaix.

Letranscommunicateurcontremapoitrine,jeretourneverslecentre-villeoùTomasm’attend.Jevaisluiannoncermondépart.Maisilcomprendracequej’aidécidéavantquej’ouvrelabouche,justeenvoyantlebraceletàmonpoignet.Cen’estpasleparcoursdontj’avaisrêvé,maisc’estceluique je choisis. Le seul moyen d’être sûre que le Test n’est pas remis en place n’est pas de faireconfianceànosdirigeants,maisdefairepartiedecesdirigeants.

Jemontelacollineetj’entredansleparc.Tomasestprèsdelafontaine.L’eauenjaillit,claireetpure. Le sourire qu’il m’adresse est plein d’amour. Il tient un bouquet de marguerites qu’il a dûcueillir sur le chemin. Je le rejoins en souriantmoi aussi. Je l’aimemaisdemain, je retournerai àTosu. J’emménagerai dans une nouvelle chambre à l’université et je terminerai mes études. JeraconterailavéritéàBrick,NaomyetVic.QuandEnzoetRaffeserontguéris,jeleurdemanderaidem’aideràsurveillerlaprésidenteetsonéquipe.

Sijedoispoursuivremarouteseule,jeleferai.MaisalorsqueTomasposeseslèvressurlesmiennes,j’espèredetoutcœurqu’ilcomprendramonchoixetqu’ilm’accompagnera.Malgrécequej’aiapprisetcequenousavonsfait, jesuistoujoursunpeucettepetitefilledesCinqLacsquiveutaidersonpays.

Ilmeresteencoretantàfaire.

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Les Éditions Milan remercient Dorothée, Miguel, Mathilde, Thomas, Agathe, Cécile, Bruno,Fabio,Julia,Carlota,Minh,Vincent,Stefano,Léonie,Louis-Pascal,Gaëtan,NathalieetLaurentpourleurparticipationàlacouverture.

CetouvrageaétéréaliséparlesÉditionsMilan

aveclacollaborationdeCélinePotardetIngridPelletier.

Miseenpages:PascaleDarrigrand

Titreoriginal:GraduationDay

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Translationcopyright©2016,byéditionsMilan

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