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Alix Durantou-10 juillet 2012 1 Bartolomeo Vivarini (Murano, vers 1430/1432- après 1491) Triptyque de San Giovanni in Bragora La Vierge à l’Enfant au centre, Saint Jean-Baptiste à gauche et Saint André à droite. 1478 Panneau central : H. 130 cm ; L. 48 cm. Panneaux latéraux : H. 130 cm ; L. 45 cm. L’œuvre est signée et datée par l’inscription sur le cartellino du panneau central, sous le trône de la Vierge : « BARTHOLOMEUS VIVARINUS / DE MURIANO PINXIT 1478. » Venise, San Giovanni in Bragora. Ce triptyque est signé et daté par l’inscription sur le cartellino du panneau central, sous le trône de la Vierge : « BARTHOLOMEUS VIVARINUS / DE MURIANO PINXIT 1478. » La formule iconographique de la Vierge qui tient l'Enfant assis sur un coussin n'est pas neuve. On la trouve notamment déjà dans les œuvres de peintres qui gravitent autour de Squarcione à Padoue dans les années 1450, comme Andrea Mantegna ( La Vierge et l’Enfant entre saint Jérôme et saint Ludovic de Toulouse, vers 1455, Paris, Musée Jacquemart-André) ou Giorgio Schiavone (La Vierge et l’Enfant, Turin, Galerie Sabauda). Dans les nombreuses Madones qu’il exécute tout au long de sa carrière, Bartolomeo use de manière récurrente de ce modèle de représentation. Dans le panneau gauche, saint Jean-Baptiste tient un médaillon orné d’un agneau et un phylactère portant l’inscription « Ecce Agnus Dei », qui rappelle qu’il a annoncé la venue de Jésus et l’a désigné comme l’« Agneau de Dieu » (Jean I, 29-40). Son doigt pointé en direction de l’Enfant renforce ce message. Sur le plan iconographique, la présence de saint André dans le panneau droit est totalement cohérente avec le reste du retable. En effet, d’après la Bible, saint André a d’abord été le disciple de saint Jean-Baptiste, qui l’a certainement baptisé. Lorsque Jean-Baptiste identifie Jésus comme l’Agneau de Dieu, André le suit et ne le quitte plus. Il est le premier disciple appelé par Jésus-Christ. La croix qu’il tient sous son bras renvoie non seulement à son supplice, mais aussi au futur sacrifice de Jésus. L'aspect sculptural, le dessin incisif, le fort modelé des personnages témoignent de l'influence sur Bartolomeo de Mantegna et de la peinture padouane. Francesco Squarcione, lui-même peintre et tailleur, a su attirer dans son atelier de nombreux disciples dont Nicolò Pizzolo, Marco Zoppo et Giorgio Schiavone venus étudier chez lui les objets antiques et prendre connaissance des dernières inventions toscanes. Ce cercle d’artiste a adopté les nouveautés plastiques introduites par le sculpteur Donatello, présent à Padoue de 1443 à 1453 (monument équestre du Gattamelata ; autel en bronze de la basilique Sant’Antonio). Antonio, le frère aîné de Bartolomeo avec lequel il a d’abord collaboré, a participé au décor de la Chapelle Orvetari dans l’église des Eremitani avec Giovanni d’Alemagna, Mantegna et Pizzolo. Ainsi, Bartolomeo a dû être directement en contact avec l’Œuvre padouane, mais aussi véronaise de Mantegna. Il a en tout cas été l’un des premiers peintres vénitiens à tenir compte des innovations mantégnesques.

31 triptyque san giovanni in bragora durantou

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Alix Durantou-10 juillet 2012

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Bartolomeo Vivarini (Murano, vers 1430/1432-

après 1491)

Triptyque de San Giovanni in Bragora

La Vierge à l’Enfant au centre, Saint Jean-Baptiste

à gauche et Saint André à droite.

1478

Panneau central : H. 130 cm ; L. 48 cm.

Panneaux latéraux : H. 130 cm ; L. 45 cm.

L’œuvre est signée et datée par l’inscription sur le

cartellino du panneau central, sous le trône de la

Vierge : « BARTHOLOMEUS VIVARINUS / DE

MURIANO PINXIT 1478. »

Venise, San Giovanni in Bragora.

Ce triptyque est signé et daté par l’inscription sur le cartellino du panneau central, sous le trône de la

Vierge : « BARTHOLOMEUS VIVARINUS / DE MURIANO PINXIT 1478. » La formule iconographique de

la Vierge qui tient l'Enfant assis sur un coussin n'est pas neuve. On la trouve notamment déjà dans les œuvres de

peintres qui gravitent autour de Squarcione à Padoue dans les années 1450, comme Andrea Mantegna (La Vierge

et l’Enfant entre saint Jérôme et saint Ludovic de Toulouse, vers 1455, Paris, Musée Jacquemart-André) ou

Giorgio Schiavone (La Vierge et l’Enfant, Turin, Galerie Sabauda). Dans les nombreuses Madones qu’il exécute

tout au long de sa carrière, Bartolomeo use de manière récurrente de ce modèle de représentation.

Dans le panneau gauche, saint Jean-Baptiste tient un médaillon orné d’un agneau et un phylactère

portant l’inscription « Ecce Agnus Dei », qui rappelle qu’il a annoncé la venue de Jésus et l’a désigné comme l’«

Agneau de Dieu » (Jean I, 29-40). Son doigt pointé en direction de l’Enfant renforce ce message. Sur le plan

iconographique, la présence de saint André dans le panneau droit est totalement cohérente avec le reste du

retable. En effet, d’après la Bible, saint André a d’abord été le disciple de saint Jean-Baptiste, qui l’a

certainement baptisé. Lorsque Jean-Baptiste identifie Jésus comme l’Agneau de Dieu, André le suit et ne le

quitte plus. Il est le premier disciple appelé par Jésus-Christ. La croix qu’il tient sous son bras renvoie non

seulement à son supplice, mais aussi au futur sacrifice de Jésus.

L'aspect sculptural, le dessin incisif, le fort modelé des personnages témoignent de l'influence sur

Bartolomeo de Mantegna et de la peinture padouane. Francesco Squarcione, lui-même peintre et tailleur, a su

attirer dans son atelier de nombreux disciples – dont Nicolò Pizzolo, Marco Zoppo et Giorgio Schiavone – venus

étudier chez lui les objets antiques et prendre connaissance des dernières inventions toscanes. Ce cercle d’artiste

a adopté les nouveautés plastiques introduites par le sculpteur Donatello, présent à Padoue de 1443 à 1453

(monument équestre du Gattamelata ; autel en bronze de la basilique Sant’Antonio). Antonio, le frère aîné de

Bartolomeo avec lequel il a d’abord collaboré, a participé au décor de la Chapelle Orvetari dans l’église des

Eremitani avec Giovanni d’Alemagna, Mantegna et Pizzolo. Ainsi, Bartolomeo a dû être directement en contact

avec l’Œuvre padouane, mais aussi véronaise de Mantegna. Il a en tout cas été l’un des premiers peintres

vénitiens à tenir compte des innovations mantégnesques.

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L’impact des peintres padouans est bien perceptible ici. D’une part avec l’effet illusionniste du marbre

et des matières minérales, le trône de la Vierge et le sol jonché de pierres du panneau gauche, qui font songer à

des vestiges archéologiques ; d’autre part par l’insistance sur la musculature, frappante dans la figure de saint

Jean-Baptiste, qui se tient en un contrapposto antiquisant. Dans les années 1470, Bartolomeo imprime une

tension croissante à la ligne. Cette âpreté plastique, qui exacerbe le style « dur » de Mantegna, est peut-être

également liée aux exemples de sculpture nordique dont on pouvait voir des exemples à Venise (par exemple,

dans la basilique Santa Maria Gloriosa dei Frari, où Bartolomeo avait déjà réalisé le Retable de Saint Marc dans

la chapelle Corner en 1474).

La tradition gothique a persisté dans l’architecture vénitienne de la seconde moitié du XVe siècle,

comme en témoigne l’église San Giovanni in Bragora, reconstruite dans les années 1470. Cette sensibilité encore

gothique trouve un écho pictural dans le fond d’or traditionnel du retable de Bartolomeo, qui fait écran derrière

les personnages. Les trois panneaux paraissent indépendants les uns des autres, chacun présentant un sol

différent. Le peintre n’a pas cherché à unifier l’espace comme il avait pu le faire en 1465, avec la Vierge et

l’Enfant trônant avec des saints (Naples, musée de Capodimonte), réalisé dans le sillage du Polyptyque de San

Zeno (1456-1459, Vérone, San Zeno) de Mantegna. Bartolomeo Vivarini se situe également à la marge du

tournant initié par Giovanni Bellini avec le Couronnement de la Vierge de Pesaro (vers 1472-1474, Pesaro,

Musei Civici) qui approfondit le rapport entre la forme et l’espace, et dans lequel la couleur s’imbibe de lumière.

Il est possible que le parti pris dans le Polyptyque de San Giovanni in Bragora soit aussi lié à la volonté du

commanditaire, car dans la Madone Kress (vers 1475, Washington, National Gallery of Art) que Bartolomeo

réalise durant les mêmes années, la place occupée par le fond derrière le groupe se restreint, de manière à laisser

plus d’espace pour un paysage lumineux. Cette oscillation entre la tradition du polyptyque gothique, qui

segmente le champ de la représentation picturale et les recherches pour s’approprier les innovations de la pala

unifiée renaissante est une constante dans l’Œuvre de Bartolomeo.

Enfin, le goût prononcé pour le rendu des matières, caractéristique de la peinture vénitienne, écarte

quelque peu Bartolomeo de la démarche mantégnesque. Alors que les couleurs de Mantegna évoquent des

minéraux, celles de Bartolomeo, brillantes, intenses et contrastées, rappellent davantage le verre et les mosaïques

traditionnelles de Murano. Bartolomeo a d’ailleurs réalisé des cartons pour des vitraux, comme le grand vitrail

du transept de San Zanipolo.

Bibliographie sommaire :

- André Chastel, Renaissance italienne 1460-1500, Paris, 1999.

- André Chastel, Histoire du retable italien des origines à 1500, Paris, 2005.

- Peter Humfrey, The Altarpiece in Renaissance Venice, New Haven, Londres, 1993.

- Peter Humfrey, La peinture de la Renaissance à Venise, Paris, 1996.

- Rodolfo Pallucchini, I Vivarini : Antonio, Bartolomeo, Alvise, Neri Pozza Editore, Venise, 1961.

- Botticelli, Bellini, Guardi…, Chefs-d’œuvre de l’Accademia Carrara de Bergame, cat. exp., Caen,

musée des Beaux-Arts, 27 mars-19 septembre 2010, Paris, 2009.

- Mantegna 1431-1506, cat. exp., Paris, musée du Louvre, 26 septembre 2008-5 janvier 2009, Paris,

2008.