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avant‑propos Il y a eu un avant et un après Molière pour Blanche Gardin. L’« après » a été un tsunami. L’intervention cash de l’actrice qui s’est remis à elle‑même le trophée de « l’humour et de la discrimination positive » lors de la 30 e cérémonie retransmise « en léger différé » en mai 2018 a provoqué des remous dans le landerneau. « C’est moi, je le savais !…, s’est‑elle exclamée en ouvrant l’enve‑ loppe. Je suis la seule femme nommée l’année de l’affaire Weinstein. C’est l’histoire de ma vie. Le jour où j’ai un prix, il n’a aucune valeur… J’ai l’impression d’être un rebeu du 93 qui vient d’être admis à Sciences Po », a lâché l’humoriste vêtue d’une sage robe noire. Elle était en concurrence avec quatre cadors du monde comique, uniquement masculins : Jamel Debbouze, Manu Payet, Jérôme Commandeur et Fabrice Éboué. Au préalable, elle s’était interrogée : « Est‑ce qu’on a basculé dans le règne de la bienséance ? Si on regarde la liste des nommés pour ce Molière de l’humour, on serait tenté de dire oui. Dans cette liste, on a un Noir, un Arabe, un Réunionnais, une femme. Ils ont 11

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avant‑propos

Il y a eu un avant et un après Molière pour Blanche Gardin. L’« après » a été un tsunami. L’intervention cash de l’actrice qui s’est remis à elle‑même le trophée de « l’humour et de la discrimination positive » lors de la 30e cérémonie retransmise « en léger différé » en mai 2018 a provoqué des remous dans le landerneau. « C’est moi, je le savais !…, s’est‑elle exclamée en ouvrant l’enve‑loppe. Je suis la seule femme nommée l’année de l’affaire Weinstein. C’est l’histoire de ma vie. Le jour où j’ai un prix, il n’a aucune valeur… J’ai l’impression d’être un rebeu du 93 qui vient d’être admis à Sciences Po », a lâché l’humoriste vêtue d’une sage robe noire. Elle était en concurrence avec quatre cadors du monde comique, uniquement masculins : Jamel Debbouze, Manu Payet, Jérôme Commandeur et Fabrice Éboué.

Au préalable, elle s’était interrogée : « Est‑ce qu’on a basculé dans le règne de la bienséance ? Si on regarde la liste des nommés pour ce Molière de l’humour, on serait tenté de dire oui. Dans cette liste, on a un Noir, un Arabe, un Réunionnais, une femme. Ils ont

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quand même glissé un normal : un mâle blanc de quarante ans. Autant dire que tu vas rester assis ce soir, Jérôme », a‑t‑elle lâché à l’attention de l’humo‑riste Jérôme Commandeur, avant d’ajouter : « À moins que tu sois pédé… » « Elle m’a fait mourir de rire », se souvient ce dernier. Blanche Gardin a également cité Desproges : « On m’a dit que des juifs s’étaient glissés dans la salle, ils peuvent rester… » « Cinq mille places ont été achetées à L’Européen le lendemain de la cérémonie », se souvient Jessie Varin, la directrice artistique de la péniche La Nouvelle Seine qui accueille l’humoriste depuis son premier spectacle, le 19 sep‑tembre 2014 dans une salle de 110 places. De fait, « Bonne Nuit Blanche », son nouveau seul en scène, le troisième, a affiché complet par la suite et a été prolongé. Notamment grâce au bouche à oreille de ses fans, toujours plus nombreux. « Elle adore être libre, il ne faut pas la contrarier », confie Camille Chamoux, une comédienne avec laquelle l’électron libre justement a plusieurs points communs. Dont la volonté de ne pas se voir coller d’étiquette. « Souvent on met les gens dans des cases, Blanche est forte parce qu’elle a enfoncé toutes les portes », admire Dorothée Pousséo, une actrice qui a tourné Problemos, le film d’Éric Judor avec elle en 2016. Celle‑ci énumère les talents de Blanche Gardin : « Elle va au cinéma comme auteure – elle a coécrit Problemos –, elle est comédienne et sur scène. » « Elle a le génie de la provocation poétique, renchérit Jean‑Michel Ribes, elle y va, elle ose, elle raye et casse le verre, résiste à la dictature du mal‑être

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en le terrassant, en s’en moquant avec la même force que le malheur l’envahit et est immensément drôle. »

L’humoriste ne cherche pas à mesurer son impor‑tance, n’y accorde d’ailleurs pas d’intérêt. Enfin, on veut encore le croire. « Je n’ai pas ce truc insolent, cette excentricité des créateurs. Je ne me suis jamais sentie artiste. Je me trouve vraiment normale1 », assure‑t‑elle. Tout en se contredisant. Affirmant en particulier qu’il est plus facile pour elle de jouer des personnages que d’être elle‑même. Cherchant à rester à l’écart du brouhaha médiatique mais prenant la parole quand elle estime devoir la prendre. Ainsi, en novembre 2019 au moment des dernières révélations autour de Roman Polanski, quelques jours avant la sortie de son film J’accuse, une actrice, Valentine Monnier, accuse le cinéaste de l’avoir violée. Blanche Gardin réagit sur son compte Facebook : « Bon, j’attendais de voir si le film allait marcher. Alors maintenant que j’ai vu les chiffres, je tenais à dire que je n’ai jamais attaqué ad hominem monsieur Polanski lors de la cérémonie des Molières. J’aimerais qu’on arrête de me mettre des mots de force dans la bouche. Et Roman, si t’as un rôle pour moi, je suis dispo en 2020/21. » Pas dupe de l’emballement médiatique provoqué par sa personne, l’humoriste célibataire y met son grain de sel quand ça lui chante. Menant sa barque de façon déterminée et avisée. « Elle sait où elle va », assure Marc Fraize alias le comique Monsieur Fraize. Et sait ce qu’elle

1. Les Inrocks, 18 janvier 2015.

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dit : « Elle est très humble par rapport à elle‑même, elle a compris quelle était sa façon d’avancer avec ses doutes », estime Alex Vizorek, chroniqueur sur France Inter. Tous deux ont joué à Montréal (Canada) au festival Juste pour rire. De son côté, l’actrice Camille Chamoux évoque également un « doute constructif » qui permet d’avancer.

Le 19 septembre 2018, le deuxième spectacle de Blanche Gardin « Je parle toute seule », diffusé à 21 heures sur C8, a été regardé par 1,05 million de téléspectateurs et même 1,3 en incluant le « replay ». Un record. Réalisée par Marc‑Antoine Hélard, la rediffu‑sion du spectacle enregistré les 8 et 9 juin à L’Européen était produite par Blanche Gardin elle‑même, sa fidèle amie Nadine Descousis, de la société Labarakatarte (production sur mesure d’arts vivants) et White Spirit Production. L’humoriste a profité de l’occasion pour tacler « Touche pas à mon poste » (TPMP), l’émission présentée par Cyril Hanouna et ses chroniqueurs sur cette même chaîne. « C’est la magie du collectif, a‑t‑elle commencé sans tambour ni trompette, les gens agissent isolément dans un calcul d’intérêts égoïstes. Ces actions s’additionnent et forment un nouveau phénomène social dont la nature et les effets sont totalement différents des buts que vous poursuiviez au départ (rires dans la salle), c’est ça, hein… le succès de Cyril Hanouna, c’est ça aussi… Dans ce cadre‑là, on ne parle pas de magie, évidemment, on parle plutôt de malédiction, oui, c’est ça, hein… Moi, ça me fascine de voir que le succès des émissions de merde tienne juste à des gens qui

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te disent : “Non mais moi je regarde justement pour voir à quel point c’est de la merde.” […] Mais c’est pas parce qu’on regarde une émission de merde avec du recul que ça rend moins con. Ça rend con pareil. Mais le problème c’est qu’on ne s’aperçoit pas qu’on devient con… Mais vous êtes nombreux à faire ça ? C’est un problème quand même, parce que le calcul de l’audience ne prend pas en compte le recul avec lequel on regarde. » Pas fâché, amusé, beau joueur ou les trois, l’animateur a répondu par un tweet : « Carton pour le spectacle de Blanche Gardin sur@C8TV avec plus d 1 million de tels ! Large leader tnt ! C ouf et j’adore le passage sur @TPMP que j’ai vu 1 000 fois et qui me fait grave rire ! On reviendra sur ce carton ce soir dans @TPMP ! Et merci @B Castaldi de m’avoir remplacé. »

Molière, et de deux

À la cérémonie de la 31e édition de la Nuit des Molières retransmise sur France 2 le 13 mai 2019, en direct des Folies‑Bergère à Paris, la quadragénaire était pressentie pour se succéder à elle‑même et recevoir une nouvelle fois, pour la deuxième année consécutive, le trophée de la meilleure humoriste. Promu maître de cérémonie, Alex Vizorek s’est dit « assez ému » de le lui remettre. Il se souvient : « La veille des Molières, elle m’avait appelé : “Combien de temps j’ai si je gagne ?” J’ai répondu : “Normalement, c’est une minute, mais si tu fais une minute vingt, je ne te couperai pas.” »

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En apparence, les quelque 2 200 votants étaient face à un dilemme. Blanche Gardin était en lice cette fois seulement avec des femmes : Michèle Bernier (« Vive demain ! »), Florence Foresti (« Épilogue ») et Caroline Vigneaux (« Croque la pomme »). Pourtant, les jeux sem‑blaient faits d’avance : elle décrocha le Molière pour « Bonne Nuit Blanche », une phrase que prononçait sa mère à l’heure du coucher. « Blanche a la carte, ils ont voté pour elle sans avoir vu son spectacle », parie Alex Vizorek. Du jamais vu. D’autant qu’en 2018 Blanche Gardin avait été la première femme à remporter un Molière de l’humour (le prix n’a été créé qu’en 2016). « Elle est hyperforte, balaise, extrêmement talentueuse », s’enthousiasme la réalisatrice Zabou Breitman alors maîtresse de la cérémonie. S’il était heureux pour elle, le directeur du « Jamel Comedy Club », Jean‑Michel Joyeau, a regretté que Muriel Robin ne l’ait jamais reçu. Florence Foresti l’aurait également mérité, ont murmuré certains familiers du spectacle vivant. Enfin, d’autres, pas très nombreux néanmoins, jugèrent peu élégant de se remettre le trophée à soi‑même. Reste que ce fut une consécration pour l’humoriste. Méritée, même si elle est arrivée tardivement. « Le milieu a mis trop de temps à reconnaître Blanche Gardin, déplore l’actrice Claudia Tagbo, héroïne de Ghost au Théâtre Mogador. Cela a pris de la maturation, Blanche est juste à sa place. Quand on a vu Blanche Gardin, c’est comme si on était allé voir la ligue des Champions, elle est au summum. »

Comme la fois précédente, l’ex‑étudiante en socio‑logie avait soigné sa tenue. Coiffure inédite, chevelure

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en arrière, rouge à lèvres prononcé assorti à ses ongles, elle était très chic dans une robe noire sans manches, ceinturée à la taille et dissimulant ses genoux. Elle se lança dans un discours qui, de nouveau, n’est pas passé inaperçu. « Le premier [Molière] a foutu ma vie en l’air, j’ai hâte de voir ce que celui‑là va faire », a‑t‑elle commencé en tenant le trophée à deux mains. « Ah, si, il s’est passé quelque chose de magique », a‑t‑elle pour‑suivi malicieuse. En 2018, Blanche Gardin avait remer‑cié le comique américain Louis C.K. en récupérant sa récompense : « Ça lui est revenu aux oreilles et on s’est rencontrés, et grâce à ça je l’ai pécho, a‑t‑elle lancé en s’esclaffant. Du coup cette année, ça me tenait vraiment à cœur de remercier Bradley Cooper. Vraiment son travail m’a vraiment beaucoup, beaucoup inspirée… Et puis, j’en ai marre que Louis me force à le regarder quand il se masturbe ». L’humoriste faisait référence au scandale autour du standupper américain accusé par des femmes de s’être masturbé devant elles. « Du pur jus. Rires un peu jaunes dans la salle », commente notre confrère Anthony Palou le lendemain dans Le Figaro1. La salle des Folies‑Bergère était pleine à craquer. L’une des « rivales » de Blanche Gardin, Caroline Vigneaux, le réalisateur et auteur belge Stéphane De Groodt et l’animateur Nagui, jusqu’au présentateur de la céré‑monie, Alex Vizorek, étaient pliés en deux. Blanche Gardin a salué ses pairs humoristes et repris : « Dans cette époque sinistre, je vous assure, la tâche qui nous

1. 15 mai 2019.

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incombe de faire rire s’apparente beaucoup plus à de la médecine d’urgence qu’à du divertissement… À l’année prochaine ! »

« Elle a une responsabilité comme auteure, elle fait bouger les lignes, grâce à elle on perçoit le monde dif‑féremment », observe à raison l’actrice et productrice Julie Gayet qui a fréquenté le même lycée que Blanche Gardin. « On a une espèce de pépite de l’humour en pousse, c’est une chance de dingue d’assister à la naissance d’une grande humoriste », s’émerveille la comédienne Adèle Haenel. « Les gens nous disent : “Whaoou, vous avez réussi”, mais regardez l’âge auquel on a explosé, on ne nous a pas fait de cadeau », rappelle Claudia Tagbo qui a démarré avec Blanche Gardin au « Jamel Comedy Club » en 2006. Sans aigreur et même avec philosophie, l’humoriste rappelle que le chemin n’a pas été facile. Toutes deux se sont exposées sur scène. Et ont raconté leur parcours avec force détails.

« En tant que spectatrice, ce qui m’intéresse, c’est leur vie, souligne Florence Servan‑Schreiber coauteur de La Fabrique à kifs, à propos des humoristes femmes en particulier1. Il y a quelque chose du réseau social “en vrai”. On a le droit d’entrer dans leur vie. Plus c’est personnel, plus c’est attirant. Plus que les hommes, les femmes ont l’habitude d’assumer tous les rôles à la fois, elles ont besoin de relâcher la pression, de se donner la permission de rire. »

1. Le Figaro, 11 janvier 2017.

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DANS LA LUMIÈRE

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des antécédents médiatiques

En mai 2017, l’intervention de Blanche Gardin lors de la 29e Nuit des Molières dans le contexte de la polé‑mique autour de Roman Polanski a provoqué un tollé. « Quand j’étais petite, c’était mon rêve d’être comédienne de théâtre et mes parents m’avaient inscrite à un atelier, a commencé Blanche Gardin. J’adorais ça, j’adorais être sur scène avec mes petits camarades, d’autant plus que, pendant qu’on était sur scène, le metteur en scène ne pou‑vait pas nous toucher. Enfin, c’était un metteur en scène génial, par ailleurs. Parce qu’il faut savoir… » « On est là pour remettre… », a essayé de dire Gaël Kamilindi, un jeune acteur de la Comédie‑Française visiblement mal à l’aise, qui officiait à ses côtés. Sans se soucier de son inter‑vention, Blanche Gardin a poursuivi : « C’est bizarre, d’ail‑leurs, que cette indulgence ne s’applique qu’aux artistes, parce qu’on ne dit pas, par exemple, d’un boulanger : “Oui, d’accord, c’est vrai, il viole un peu des gosses dans le fournil, mais bon, il fait une baguette extraordinaire !” »

Roman Polanski, résidant aux États‑Unis, avait été pressenti pour présider la 42e cérémonie des César en

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janvier. Un choix qui avait conduit au lancement d’une pétition signée par plus de 60 000 personnes et au retrait du réalisateur franco‑polonais poursuivi par la justice amé‑ricaine pour le viol présumé d’une adolescente. À l’époque, l’actrice Valentine Monnier ne l’avait pas encore accusé de l’avoir violée, ce dont il se défend. Blanche Gardin est familière des coups de Trafalgar. Elle remet ça en mars 2018 à la 43e cérémonie des César qui s’est déroulée à la salle Pleyel, à Paris. « C’était non “politiquement cor‑rect” et enfin ! », complimente Julie Gayet qui se réjouit de voir la parole des femmes se libérer. Isabelle Morini‑Bosc, éditorialiste sur RTL, salue son sketch sur les consé‑quences du mouvement #MeToo et #BalanceTonPorc, qui selon elle a été l’un des « sommets » de la soirée. Une fois encore, l’intéressée n’a pas mâché ses mots : « Bonsoir. C’est bien sûr une année très triste pour le cinéma. C’est pour ça que j’ai décidé de venir en noir. » Elle était en réalité vêtue d’une robe décorée de grosses fleurs à pétales bleus et rouges et, sans souci du paradoxe, arborait le fameux ruban blanc, #maintenantOnAgit, ainsi qu’un pin’s à l’effigie de Louis C.K., l’humoriste de stand‑up qui a reconnu avoir eu des comportements sexuels répré‑hensibles et qu’elle « adore ». Blanche Gardin a continué : « Et en même temps, il faut se réjouir bien sûr, parce que dorénavant je crois que c’est clair pour tout le monde, les producteurs n’ont plus le droit de violer les actrices. » Avant de lâcher sa grenade : « Par contre, il y a quelque chose qui n’est pas clair et qu’il va falloir clarifier je pense assez vite. Est‑ce que nous, on a encore le droit de coucher pour avoir les rôles ? C’est‑à‑dire que si on n’a plus le

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droit alors, il faudra apprendre les textes, il faudra passer les castings et on n’a pas le temps. » L’humoriste pince‑sans‑rire qui a remis le César du meilleur espoir féminin à Camélia Jordana a été très applaudie, notamment par Jean‑Pierre Bacri et Dany Boon qui ont éclaté de rire, mais elle a également fait grincer des dents. De leur côté, les internautes l’ont saluée sur les réseaux sociaux.

Les déclarations successives de Blanche Gardin ont eu des conséquences sur son image. Comme un effet boome‑rang. Depuis 2018, le succès grandissant sans cesse, elle s’est fermée comme une huître. N’acceptant de s’exprimer que pour défendre la cause des sans‑abris. Ou refuser par la voie d’Internet la décoration proposée par le cabinet du président de la République Emmanuel Macron.

En revanche, ses amis peuvent compter sur elle. « Nous ne nous voyons pas beaucoup, mais je sais que si j’ai une galère, elle sera là », affirme Dorothée Pousséo. Une autre comédienne qui ne souhaite pas être citée promet la même chose. Nombreux sont également ses proches qui se disent prêts à accourir en cas de besoin. « Je lui envoie des énergies positives », confie l’humoriste Claudia Tagbo qui l’observe en train de « gravir les montagnes ».

Mauvais présage

À l’instar de son ex‑mari, Nicolas Deconinck. Un artiste peintre ancien membre des Intermythos, un groupe de jeunes auteurs, qui a épousé Blanche Gardin en 2004 à la mairie de La Frette‑sur‑Seine dans le Val‑d’Oise où ils ont habité. Un tournesol dans la

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main, la jeune femme était habillée en Frida Kahlo, lui en Diego Rivera. Le garçon n’est pas avare d’anecdotes : « Sa mère nous avait offert deux verres en cristal. Ce jour‑là, l’un d’eux s’est cassé, mauvais présage. Nous avions fait fabriquer nos alliances chez Tati Or et ils se sont trompés dans l’orthographe des noms à l’inté‑rieur. Au lieu de mettre Blanche et Nico, ils avaient écrit Blanche et Rico. Encore un mauvais présage... » Les deux jeunes gens divorceront en avril 2009, à Paris. Entre‑temps, ils avaient emménagé à Clichy. Leurs acti‑vités artistiques, d’écriture en commun, et de peinture pour Nicolas Deconinck, ont contribué à forger leur per‑sonnalité. À prendre leurs marques, à s’illustrer chacun dans son domaine. Leur compagnonnage leur a permis d’évoluer, même si ce n’est pas dans la même direction.

« Être une artiste, c’est s’affirmer », observe la comé‑dienne Géraldine Martineau qui trouve Blanche Gardin « très inspirante ». Cette dernière pourrait d’ailleurs reprendre le titre de son spectacle, « Aime‑moi », à son compte. Il résonne comme un appel et, à l’instar de son modèle, Géraldine Martineau ne s’est pas fixé de limites. Et, comme lui, a toujours le trac avant d’entrer sur scène (un gage de talent, dirait Louis Jouvet). Elle y parle et joue une femme qui lui ressemble, entre trente et quarante ans, « assez désespérée », qui évoque ses rapports amoureux, ses ovocytes, le « marasme de son célibat », son désir d’enfant, sa dépendance affective. Un personnage dans « toute sa monstruosité » et ses névroses enfin. Ça vous dit quelque chose…

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