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+ 1er groupe d’Escadron : GROUPE D’AUDIBERT

+ 2e groupe d’Escadron : GROUPE DE GASTINES

+ 2e COMMANDO

+ 3e COMMANDO

+ BATTERIE ANTI-CHARS

+ CORPS FRANC BAYARD

‒ SECTION POLONAIS (5)

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PLACE à Pierre CORMARY

LA CAMPAGNE

Avec les deux Compagnies de Vabre (la troisième gardant toujours le D.M.R.), plus le Corps Franc du Sidobre et les Américains, le Commandant Hugues/Pierre Dunoyer de Ségonzac a enfin une véritable unité dont il va se servir avec efficacité et rapidité. Il l’appelle le “Corps Franc Bayard”.

Incorporé au sein de la Brigade Légère de Toulouse placée sous les ordres du Colonel Schneider, le Corps Franc Bayard (C.F.B.), composé des maquisards de la zone A et d’engagés volontaires aux ordres du Commandant Hugues est ainsi constitué : – 1er Groupe d’Escadron aux ordres du Commandant Paul d’Audibert de Lussan (ex Capitaine au 3e Dragons de Castres) – 2e Groupe d’Escadron aux ordres du Commandant Antoine de Gastines (ex Capitaine au 3e Dragons de Castres) – 3e Groupe d’Escadron, composé de 3 Commandos, aux ordres du Capitaine Martin/Jean Dunoyer de Ségonzac, frère du Commandant Hugues

Pierre et Étienne appartiennent au 1er Commando de ce groupe, en qualité de cavaliers. – Batteries Anti-chars aux ordres du Capitaine Jean Bonnet – Section de Polonais du C.F.B.

Effectif total du régiment : 1000 hommesTandis que les deux premiers groupes d’Escadrons se préparent à partir par la voie ferrée, le

troisième, avec le Capitaine Pol Roux/Guy de Rouville et le Capitaine Honcourt/Pierre Hoepfner, s’apprête à s’acheminer par route dans les camions à gazogène réquisitionnés dans toute la région et équipés des armes récupérées.

Ce 6 septembre 1944, il pleut. Dans la colonne on entend : « … Belfort ! », « Non, je te dis que c’est l’Alsace ! », « Bah ! En gros vers l’Est… »

À la sortie de Castres, la colonne automobile se coupe en deux et déjà une moitié se perd… Heureusement, tout le monde se retrouve à Réalmont !

Les étapes se suivent rapidement, même si les gros camions sont parfois obligés de prendre des chemins détournés à cause des ponts coupés ou minés.

Dans la Corrèze, les soldats sont horrifiés par les murs noircis, les corps calcinés et l’histoire des hommes pendus pour ne pas avoir ciré leurs souliers ou avoir été mal rasés. Ils se promettent de faire payer aux Allemands de tels comportements…

Pendant ce temps, la Première Armée Française, qui a libéré Toulon, Arles, Tarascon, Avignon et Marseille, remonte aussi vers l’Est en passant par Lyon. Le 6 septembre, elle est à Autun (21) et c’est là que le 8 septembre le Corps Franc Bayard la rejoint et participe à la Libération de la Ville et à la capture de 3500 prisonniers allemands. Mais c’est aussi là que le C.F.B. a ses premiers morts et obtient sa première citation.

Les troupes poursuivent leur route : Chalon-sur-Saône (71), Beaune (71).

Le 11 septembre, l’unité participe à la Libération de Nevers (58), en appuyant les dernières opérations de nettoyage et à la Libération de Bourges (18).

Après une halte à Gevrey-Chambertin (21), les Escadrons arrivent à Dijon (21) le 12 septembre. Les hommes se ruent sur tout ce qu’ils trouvent à acheter : nourriture, lames de rasoir, fourrure pour l’hiver…

C’est ce même jour que se fait la jonction de ces troupes F.F.I. avec les Forces Alliées débarquées en Normandie et notamment la 2e Division Blindée qui vient de libérer Paris.

Le 15 septembre, tout le Corps Franc attend au garde-à-vous la visite du Général de Lattre de Tassigny accompagné d’autres Généraux.

Puis, dans la campagne autour de Charmes et de Bézouotte, près de Dijon, les hommes font des manœuvres laissant entendre l’imminence des combats.

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Les portes de la guerre s’ouvrent.

Corps franc Bayard, ainsi nommé en référence au Chevalier Bayard sans peur et sans reproche.

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PLACE à Pierre CORMARY

La bénédiction

Étienne : « Sur ordre du Commandant nous descendons des camions. En colonne par deux. Et voilà l’escadron immobile sur l’accotement de la route.

Mission du Régiment : déloger les Allemands occupant la cime du Bois du Mont de Vannes. Les consignes et les derniers conseils de prudence donnés, nous sommes prêts à affronter l’ennemi.

L’aumônier et le pasteur nous rappellent notre engagement envers la France et nous prodiguent leurs encouragements : « Mes enfants, vous partez au combat. Hélas, certains d’entre vous ne reviendront pas de ces batailles et donneront leur vie pour la Patrie. D’autres cesseront le combat pour cause de blessures. Je vous demande quelques instants de recueillement… Allez en paix, que Dieu vous protège. Nous vous donnons la bénédiction ! Courage mes fils ! »

En cet instant, un grand frisson parcourt les hommes. Émus, plutôt livides, le cœur serré, nous nous regardons. Pas un murmure. Une seule idée en tête : l’issue du combat. Nous avions choisi notre sort, nous devions accomplir notre devoir.

Le silence est rompu par les ordres du Capitaine :« À mon commandement, marche ! Gardez vos distances et progressez en silence ! »L’Escadron s’ébranle. Malgré notre vaillance, l’angoisse grandit et nous cachons notre

appréhension.Non loin de là, le Mont où l’ennemi s’est retranché.Nous partons pour le “casse-pipe”… »Dans la nuit humide avec de la brume tout autour des arbres, ils avancent tous feux éteints

vers l’ennemi. Au petit jour, ils sont à Malbouhans (70), proche du Bois du Mont de Vannes qu’ils sont appelés à nettoyer.

C’est sous une pluie battante que les soldats progressent dans ces bois et c’est là qu’a lieu le premier combat contre les Allemands.

Étienne : « Les “Boches” sont terrés tout en haut de la colline. Armés de fusils à lunette et de mitrailleuses supérieurs aux Remington américains, ils nous tirent comme des lapins : des camarades tombent sous la mitraille ou sautent sur des mines. »

Quand le soir arrive, ils n’ont toujours pas mangé, un sur dix d’entre eux possède une boîte de pâté.

Pour se protéger de la pluie incessante, chaque homme dispose d’un mètre carré de toile plastifiée en guise d’imperméable ou de tente !

Pour dormir, ils se serrent dans des trous tapissés de feuilles, sous des abris de branchages…, et les couvertures trempées pèsent des kilos.

Ils font leur toilette dans les ruisseaux, les mares ou autres points d’eau.Étienne : « À côté de nous, le 1er Régiment de Tabors marocains est logé à la même enseigne.

Devant la supériorité tactique de l’ennemi, et afin de limiter les pertes, ordre de repli est donné. Un baptême du feu très dur. “Rebelote le lendemain !”.

Enfin, le ravitaillement arrive : premier contact avec les rations américaines.Il faut continuer la progression. L’objectif à atteindre : une abbaye dans le centre du bois.En pleine nuit les hommes se mettent en route. La visibilité est réduite à cinq mètres. Aux

mots d’ordre silencieux, ils s’arrêtent, s’aplatissent, se figent, repartent… Des coups de feu éclatent, puis le silence revient…

Étienne : « Finalement, notre intrusion est facilitée par la retraite des Allemands, effrayés par la présence à nos côtés de la Section d’Arabes, réputés pour leur férocité envers l’ennemi : l’image du parfait mercenaire, qui couteau entre les dents, progresse tel un félin prêt à bondir sur l’adversaire pour l’égorger.

Voici narré succinctement le face à face avec la mort. »

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Le 25 septembre, après les âpres combats du Mont de Vannes (4 jours et 3 nuits) où il déplore plusieurs morts et blessés, le C.F.B. est incorporé à la 1ère Division Blindée de la 1ère Armée sous la dénomination de 3e Dragons.

Les soldats descendent ensuite sur Belonchamp (70), au nord du Bois du Mont de Vannes, pour deux jours de repos mérité. La pluie a enfin cessé et le moral des troupes remonte.

Jusqu’au 10 octobre, à nouveau sous une pluie torrentielle, ils conservent un point d’appui isolé à Vacheresse (70) : il s’agit de patrouiller et tenir le secteur de la ville de Lure (70).

Puis, direction les Vosges (88). Le 14 octobre, le Régiment essaie d’enlever Vagney, Sapois, Ménaurupt, Rochesson (88) aux

Allemands, mais il est obligé de revenir à la charge le 18 et 23 octobre. Ce sont des combats très meurtriers.

Le 20 octobre 1944, la dénomination du Régiment passe de 3e Dragons à 12e Dragons de Reconnaissance de la 1ère Armée Française, donnée par le Général de Lattre de Tassigny en souvenir de son premier Régiment en 1914 où il fut blessé au visage par une lance.

Début novembre, la neige surprend le régiment au Haut-du-Tôt (88).

La garde

Étienne : « Deux heures du matin : “Debout ! C’est ton tour de garde !”Me voici au dehors de la maison forestière, campement provisoire de notre peloton. Les

camarades dorment. La nuit est intense au milieu de cette immense forêt vosgienne. Un vent glacial souffle. Les sapins, gigantesques, craquent. Des bruissements s’approchent…, je retiens ma respiration… puis ils s’éloignent. Certainement quelques bêtes sauvages : chevreuils, sangliers ?

Je reprends ma ronde autour du bâtiment. La bise cingle mon visage, mes membres s’engourdissent, mes pieds s’insensibilisent. Je marche tel un automate, l’esprit encore endormi. Se retrouver seul, en pleine nuit, par un hiver très rude, au milieu de cette forêt où tout semble bouger, devient une épreuve presque insurmontable.

Je marche, je marche… Soudain, au coin du refuge, une masse me heurte en pleine face et stoppe net ma progression. Je sursaute et reste cloué sur place. Une fraction de seconde et je sors de ma torpeur. Un soldat allemand venant du côté opposé voulait nous surprendre. Probablement porteur de grenades, il devait procéder à l’anéantissement du gîte et de ses occupants, mais je fais feu et ce visiteur indésirable, aussi surpris que moi-même, s’enfuit dans les ténèbres.

Inutile de vous décrire le branle-bas de combat qui s’ensuivit, mais les recherches nocturnes demeurèrent vaines. La patrouille ennemie, profitant de l’obscurité a battu en retraite.

Je dois avouer humblement qu’à cet instant j’ai eu la frayeur de ma vie.Dès lors, le lieutenant doubla la garde afin de parer à toutes infiltrations de l’ennemi. »

Un cuistot très particulier

Étienne : « Le passage de cet homme en cuisine a été de courte durée. Sa tenue vestimentaire plus que douteuse, digne d’un clochard, et son aversion pour l’eau et le savon se sont avérées incompatibles avec ses délicates fonctions. De surcroît, notre gâte-sauce ignorait totalement l’usage du mouchoir. Aussi, de son nez pendait-il sans cesse une “chandelle” qui, inéluctablement, tombait dans la marmite.

Le personnage étant campé, passons à la pratique. L’élaboration de ses recettes surprenait par son originalité. En voici un exemple typique qui laisse rêveur quant aux capacités culinaires de notre “cuistancier” :

– remplissez un immense fait-tout de petits pois secs,– ajoutez-y une certaine quantité de gros rouge à très forte teneur en acidité,– cuisez au feu de cheminée pendant… très longtemps.

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La couleur rougeâtre de cet infâme mélange et l’odeur qui s’en dégage annihilent toute sensation gustative. Quelques gravats enduits de suie et de bistre, détachés de l’intérieur du conduit de la cheminée, en complètent la garniture !

La gorge serrée et l’estomac bloqué à la vue d’une telle “galimafrée” ont interdit toute ingurgitation de ce repas au grand désarroi de notre maître-queue. Il n’a jamais compris le refus des hommes à manger cet innommable rata et le motif de son changement d’affectation ! »

Le 20 novembre, toujours sous la neige, le 12e Régiment de Dragons entre dans Gérardmer (88) : plus un toit, plus une fenêtre, plus une porte, plus un montant en bois ! Seuls les murs noircis restent.

Gérardmer

Étienne : « Les Allemands en déroute détruisent ou incendient tout sur le chemin de leur retraite.

Gérardmer n’a pas échappé à cette barbarie. Incendiée la veille de l’arrivée de notre Régiment, cette ville présente un spectacle de désolation. La plupart des habitants, apeurés, se sont réfugiés dans les villages des alentours ou sont partis en exode. Soudain, alors que nous progressons à travers cette cité détruite en grande partie, Pierre et moi apercevons une brave dame âgée, seule au milieu des décombres calcinés et encore fumants. Nous nous approchons, elle relève la tête, nous dévisage, éperdue, et nous prend à témoin de l’étendue des dégâts.

Elle cherche, elle cherche…Seuls les gravats jonchent le sol. Aucune trace de meubles, de bibelots, d’objets quelconques.Nous lui conseillons de partir, de quitter cet endroit sinistre mais, telle une amnésique,

muette, elle persévère dans sa fouille et soulève une à une les pierres encore chaudes. Hélas, elle ne découvre absolument rien. Pourtant, comme une pièce de très grande valeur, elle tient dans ses mains un simple morceau de carreau de faïence ramassé dans ce décor apocalyptique.

“C’est tout ce qui me reste de ma maison, voyez-vous, j’y tiens beaucoup”, nous dit-elle avec une profonde détresse dans ses yeux.

Elle ne peut même plus pleurer. Toute une existence s’est effondrée en une nuit.Nous essayons de la persuader de quitter ces ruines, mais en vain. Elle désire rester là, chez

elle, au milieu de ses souvenirs et poursuivre ses recherches.C’est avec une grande tristesse que nous abandonnons cette grand-mère face à son malheur,

contraints de rejoindre le peloton. »Le 26 novembre, le Régiment attaque Xonrupt-Longemer (88) où les pertes sont très dures.

Puis, progression vers le Col de la Schlucht d’où il rejette les Allemands sur la route des crêtes.Le Régiment va tenir pendant tout le mois de décembre avec un mètre de neige. Noël sans

famille…Les mulets transportant les rations américaines ont beaucoup de mal à monter tellement ils

s’enfoncent. Quant aux blessés, il faut jusqu’à seize hommes par brancard pour les tirer, les pousser, tant c’est dur d’avancer.

Étienne : « Lors de notre progression dans le massif vosgien, les Allemands retranchés dans les maisons forestières pressentent que la guerre est perdue pour eux. Ils s’enfuient à notre approche ou, après l’échange de quelques coups de feu, se constituent prisonniers…

Certes, nous avons tiré sur les “Boches”, mais lors de leurs replis ils évacuaient leurs morts et leurs blessés, donc impossible d’évaluer leurs pertes. »

La pseudo-cécité

Étienne : « Un certain cavalier s’adonnait volontiers au plaisir de la dive bouteille. Très débrouillard, il réussissait à se constituer une réserve de vin qui lui permettait d’étancher sa soif aussi bien le jour que la nuit.

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Or, un matin, le vaguemestre lui remet une lettre. Notre dipsomane décachette la missive avec difficulté, la déplie et… le voici qui éclate en sanglots.

Immédiatement nous pensons à une mauvaise nouvelle.“Je deviens aveugle !” s’écrie-t-il.“Je ne peux même plus lire… Qu’est-ce qui m’arrive ?”Nous avons été vite rassurés. Cette pseudo-cécité résultait des libations matinales qui

embrumaient les yeux et embrouillaient le cerveau de notre troupier. En fait, il tenait simplement la lettre à l’envers et ne pouvait ainsi en déchiffrer le moindre mot ! »

Le ravitaillement

Étienne : « La musette vide, le bidon à sec, la faim tenaille nos estomacs et la soif dessèche nos lèvres.

L’intendance ne suit pas. En de telles circonstances, la progression de l’Escadron s’avère difficile. Heureusement, le Cavalier “Auguste”, touchant par sa simplicité et sa naïveté, s’évertue à pourvoir au ravitaillement des copains.

“T’occupe, t’en fais pas, moi va chercher à bouffer”. Et le voici se détachant du peloton.Quelques instants plus tard, il rejoint le groupe, sa besace pleine.“Ça y est ! s’écrie-t-il, moi trouvé, Auguste malin ! Moi trouvé boîtes de singe dans musette

des macchabées boches. Tu peux manger, c’est bon !”Ce brave garçon, presque illettré, n’hésite pas à glaner de-ci de-là quelques rations afin que

ses plus proches camarades puissent manger.Certains se moquaient de lui, mais sa gentillesse et son dévouement le rendaient tellement

sympathique que Pierre et moi, nous en avons gardé un souvenir ineffaçable. »

Après un mois de repos, le 15 février c’est la montée en ligne à Balgau (68), entre Fessenheim et Nambsheim, tout proche du Rhin, aux portes de l’Allemagne.

Il faut défendre la frontière. Sur 12 kilomètres, le long du fleuve, le 12e Dragons installe des points d’appui, des résistances, vaguement semblables aux casemates d’en face. Et pour plus de sûreté, les hommes établissent des barbelés, posent des mines et placent les grenades à portée de main. Aussi, lorsqu’un soir, à la tombée de la nuit, les soldats allemands, nombreux et vociférant, traversent le fleuve pour les attaquer, trouvent-ils face à eux une puissante résistance. Malheureusement, pendant les combats, des soldats des deux camps serrent de trop près les mines qui sautent, en plus des obus qui volent dans tous les sens. Et c’est au milieu de ce capharnaüm que Pierre, en voulant sauver José Manueco, un compagnon du C.F.L.10 qui est en fait mortellement atteint, est blessé.

C’est la fin de la guerre pour lui. Jusqu’au 15 mars, le 12e Dragons tient le Rhin à Nambsheim-Fessenheim-Balgau sur ce front

de 12 km réalisant ainsi le but que lui avait fixé son Chef au départ du Tarn.Envoyé au repos à Rougemont le Château (90), il est intégré à la 14e Division d’Infanterie

avant de traverser le Rhin sur un pont de fortune à Kehl. Il est immédiatement envoyé dans la Forêt Noire, vers Schönwald pour en faire le nettoyage. Il en ramène un grand nombre de prisonniers, avance vers Constance où il arrive le 4 mai 1945 et y reste jusqu’à l’Armistice, le 8 mai.

Les 17 et 18 juin, le 12e Régiment de Dragons est à Paris pour ranimer la flamme, puis défiler sous l’Arc de Triomphe, devant le Général de Gaulle.

Depuis le début des combats, il a perdu 42 hommes tués (stèle au Quartier Fayolle à Castres) et plusieurs centaines de blessés… dont Pierre.

En août 1945, la plupart des anciens du Maquis Pol Roux et la musique du Régiment revenus de Constance inaugurent, avec toute la population de Vabre et des environs, les trois stèles du Maquis dressées dans “leur” montagne du Tarn en souvenir des 26 maquisards morts pour la France.

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L’Amicale des Maquis de Vabre est créée dès janvier 1945. (8)

Signatures de tous les présents en Allemagne dont celle d’Étienne. (8)

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Le 12e Régiment de Dragons recevra son drapeaule 2 avril 1945 à Paris. Sur cet Étendard, déposé

désormais aux Invalides, sont inscrites 8 victoires dontVOSGES 44 et le Régiment possède deux

citations à l’ordre de l’Armée. (7)

Insigne de la 1ère Armée Française. (7)

LA CONVALESCENCE

Cela se passe le 24 février 1945 à Blodelsheim, à 3 km au sud de Fessenheim. En explosant, la mine arrache la jambe gauche de Pierre juste au-dessous du genou, le bras gauche est en partie détruit et il perd le bout du majeur gauche. Dès que ses copains sortent Pierre de cet enfer, ils constatent ses graves blessures et lui posent un garrot au-dessus de la jambe sectionnée. C’est grâce à eux que le pire a été évité.

Puis, les brancardiers le transportent sous la tente-hôpital située à l’arrière des combats. De là, il est transféré à l’hôpital de Colmar où les premiers soins lui sont prodigués par des médecins américains. Ils l’amputent de sa jambe et ils opèrent son bras et sa main.

Étienne : « Lorsque Pierre a sauté sur une mine, j’étais à l’hôpital de Dijon, sur ordre du médecin militaire. Suite aux conditions climatiques dues au froid hivernal, j’avais de forts accès de fièvre et d’épistaxis. On n’arrivait pas à stopper mes fréquents et abondants saignements de nez. J’y suis resté une dizaine de jours, après quoi j’ai rejoint mon régiment. C’est alors que j’ai appris que Pierrot avait été blessé. Le pasteur m’a immédiatement conduit à l’hôpital de Colmar. Quand j’ai découvert la gravité de l’état de santé de mon frère, j’étais affolé et complè-tement “groggy”. Immédiatement, j’ai ressenti une certaine culpabilité de ne pas avoir été à ses côtés en cette douloureuse épreuve car nous ne nous quittions jamais, en toutes circonstances. »

Après un séjour à l’hôpital de Dijon, il est transféré en hélicoptère à l’hôpital de Purpan, à Toulouse, où il subit d’autres opérations et de longs et douloureux soins.

Jeanne se marie avec Albert Bousquet le 1er juin 1945. Pour la cérémonie du mariage, ils attendent Monsieur Houpe qui est en retard. Enfin, quand il arrive, il explique au jeune couple qu’il voulait leur faire une surprise en amenant Pierre à la cérémonie, qu’il a longuement attendu la décision des médecins de l’hôpital qui, malheureusement, au dernier moment s’est avérée négative. Une petite satisfaction quand même : Monsieur Houpe leur offre une grosse motte de beurre, de la viande, ainsi que d’autres aliments provenant de sa ferme, produits qu’ils n’avaient pas mangés depuis des années !

Juste après, Jeanne et Albert commencent leur voyage de noce par Toulouse. Ils arrivent à l’hôpital avec appréhension : dans leur tête, si Pierre n’a pas pu sortir pour leur mariage c’est

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qu’il doit être dans un état catastrophique ! Mais lorsqu’ils arrivent dans sa chambre, ils trouvent Pierre assis en tailleur sur son lit, un copain en face et deux autres assis dans leur fauteuil roulant, de chaque côté du lit, en train de jouer à la belote ! Sous l’effet de surprise, aussi bien pour Pierrot que pour Jeanne, les retrouvailles se font dans des larmes de joie.

En plus des cartes, Pierre fait de nombreuses parties de dames avec son compagnon de chambre qui est un champion à ce jeu. Avec un tel maître, il devient à son tour imbattable.

Malgré ses souffrances et ses handicaps, Pierre reprend courageusement ses études, seul dans sa chambre. Puis, il fait quelques aller-retour de l’École normale à l’hôpital et, en octobre, passe sa deuxième partie du baccalauréat à laquelle il est reçu avec la mention “assez bien”.

Finalement, Pierre est réformé le 12 décembre 1945 et reprend avec cran ses activités professionnelles.

LES BLESSURESPierre restera toujours reconnaissant aux chirurgiens américains d’avoir fait en sorte que la

paume de sa main gauche soit bloquée en étant tournée vers le bas plutôt que vers le haut. Il a des camarades qui, dans des cas similaires, se sont retrouvés avec des bras et mains qui ne peuvent être utilisés que pour porter un plat. Lui, au moins, peut conduire, prendre des appuis, tracter les objets de haut en bas, bricoler, jouer au volley…

À part le bout de doigt manquant, peu de gens se rendent compte du handicap de son bras et de sa main gauches, d’autant plus que Pierre porte toujours sa blouse grise à l’école et une chemise à manches longues le reste du temps. En période estivale et lors des grandes chaleurs, par contre, Pierre met volontiers un “marcel” blanc et plus tard un tee-shirt.

Il s’estime également heureux dans son malheur d’avoir la jambe gauche amputée juste en dessous du genou dont l’articulation est restée intacte : ça lui permet de plier la jambe.

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Pour marcher, Pierre enfile sur son moignon une “chaussette” spéciale sur laquelle il fixe, dans un premier temps, son pilon de bois. Et, ce qui est un comble pour un unijambiste, c’est que chaque année il a droit à une paire de chaussures gratuite !

Ensuite, il portera une lourde prothèse, véritable harnachement de bois et de ferraille complété par des sangles de cuir comme système de fermeture. Cela prend du temps aussi bien pour la mettre que pour l’ôter, mais c’est tout de même plus discret et la deuxième chaussure retrouve son utilité.

Au fil du temps, les prothèses s’améliorent. Les dernières années, toujours par-dessus la “chaussette”, il en enfile une directement sur sa jambe, faite d’une matière synthétique de couleur chair. Et, même lorsqu’il croise les jambes et a le bas du pantalon légèrement remonté, la prothèse passe totalement inaperçue.

Ces blessures le feront souffrir toute sa vie.De tout son corps, des centaines d’éclats d’obus noirs remontent à la surface de sa peau. Il se

soigne avec du mercurochrome qui lui fait des tâches rouges partout et qu’il cache sous ses vêtements. Les seules apparentes sont sur ses mains.

Il serre les dents aussi quand sa prothèse mâche et irrite le haut de sa jambe. Dans ce cas-là, gêné, on peut le voir claudiquer. Et, où qu’il aille, il a toujours une prothèse de rechange dans une valise placée dans le coffre de la voiture, car il arrive qu’elle casse.

Étienne en militaire. Il sera démobilisé le 28 novembre 1945.

Mot de Guy de Rouville / Pol Roux‒ 12 avril 2006.

Étienne et Pierre dit “Ficelle” sont montés au Maquis le 14.06 et nous ont suivis au 12° Dragons. C’étaient à mes yeux les exemples vivants du maquisard modèle : courageux, patriotes, toujours disponibles.

J’étais allé voir Pierre après sa grave blessure de Fessenheim le 24.2.45. Je l’ai revu souvent quand il dirigeait les Anciens Combattants à Albi.

Leur père était notre homme de confiance sur la ligne du Tortillard. Avec quelle efficacité !

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