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PHILIPPE GIRAUD Chroniques d’un potager familial au fil des saisons

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au fil des saisons PHILIPPE GIRAUD 4 • SOMMAIRE

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PHILIPPE GIRAUD

Chroniques d’un potager

familialau fil des saisons

Philippe Giraud et sa famille vivent dans un mas de Provence, le Pin penché.

Tantôt jardinier, tantôt photographe, tantôt écrivain, notre auteur porte à son potager une attention particulière.

Dans cet ouvrage, il nous parle de ce lieu, de ses expériences, de ses découvertes au fi l des saisons, partagées avec ses proches. Ce pota-ger devient alors familial. On y cultive tomates, salades et aubergines… de manière biologique et durable.

Philippe Giraud nous livre nombre de trucs et astuces, mais, au-delà du panier de légumes, c’est bien sur les chemins de la poésie et du bon-heur que nous entraînent les superbes images de cet ouvrage.

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4 • SOMMAIRE

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SOMMAIRE • 5

Avant-propos 6

PRINTEMPS 12

Mars, le mois capricieux 14

Avril, le mois facétieux 24

Mai, la bête de père 38

ÉTÉ 52

Juin, que se passe-t-il dans l’arrosoir ? 54

Juillet, les beaux paniers 68

Août, fournaise et langueur 82

AUTOMNE 94

Septembre, abondance 96

Octobre, le travail de la terre 108

Novembre, à la Saint-Théodore, le 9 novembre, le jardin s’endort 118

HIVER 130

Décembre, l’hiver est en chemin 132

Janvier, neige limpide, passerelle du silence et de la beauté 142

Février, froidure 152

Index 158

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6 • AVANT-PROPOS

Imaginez, dans la plaine du Comtat Ve-naissin qui s’évase au pied du mont Ven-

toux, un vieux mas provençal en pierre aux fenêtres encadrées de briques rouges. Le pin de 30 m de haut qui monte la garde à l’entrée et penche dans le sens du mistral lui a donné son nom : Le Pin penché.

Deux générations de maraîchers s’y sont succédé et c’est là que j’ai grandi. Lorsque j’étais enfant, partir en vacances ailleurs qu’au Pin penché était sinon une punition, tout au moins une frustration tant l’anima-tion y était importante.

Tout commençait après la période d’hi-bernation. À ce moment-là, on entendait seulement le tchac tchac des cisailles de mon père taillant les haies de cyprès. Cela durait plusieurs semaines et s’achevait inévitablement par de grands feux d’où s’échappait une belle et odorante fumée bleue. Puis la « saison » se poursuivait tran-quillement avec les premiers semis de to-mates, de melons, de courgettes…Mon père, comme sans doute d’autres pay-sans du secteur, pratiquait ces semis dans

des couches longues de plusieurs dizaines de mètres et larges d’environ 1,50 m. L’en-semble était cimenté, le mur nord, côté mis-tral, haut d’environ 0,70 m. Les nuits étant encore froides, les semis pouvaient prospé-rer à l’abri de la douce tiédeur des châssis de verre. Pour rendre la protection nocturne encore plus effi cace contre les gelées, le soir venu nous déroulions des paillassons faits de petits roseaux sur les châssis. Le matin, il fallait à nouveau les rouler, ainsi je donnais la main à mon père.

Je revois ce dernier semer les précieuses graines de tomates, une à une, dans de petits trous pratiqués dans le limon grâce à une planche sur laquelle étaient fi xés des demi-bouchons en liège. Le limon prove-nait du canal de Carpentras : celui-ci n’étant pas en eau l’hiver, on pouvait facilement y prélever la terre nécessaire.Ni tracteur, ni motoculteur au Pin penché ; le seul engin motorisé était une camionnette pour aller vendre les légumes au marché. C’était donc Kiki qui avait la lourde tâche d’assurer tous les travaux de force que demandait l’exploitation. Kiki était notre

cheval, ne me demandez pas sa race, et il était vigoureux malgré son âge : 25 ans ! Ce cheval, je l’aimais beaucoup, pourtant il me faisait peur tellement il était grand et massif. Le maréchal-ferrant venait de temps à autre le ferrer et cette scène m’inquiétait au plus au point : voir l’homme poser des fers rougeoyants et taper sur d’énormes clous dans les pieds de mon Kiki ! Au début des beaux jours, c’était le grand départ, l’animal n’était pas sorti de l’écu-rie depuis plusieurs mois, il allait falloir dé-penser cette énergie accumulée au fi l de l’hiver. Mon père devait prévoir une tâche à la hauteur. Je les voyais alors disparaître tous les deux dans un nuage de poussière, cheval trépignant tête haute, l’homme ten-tant de suivre. Ils revenaient seulement, suants et harassés, après plusieurs heures de travaux.

La récolte vénérée était celle des fraises, courant mai. Pour cueillir les déli cieux rubis rouges, une main-d’œuvre aux doigts délicats et agiles était nécessaire et les fi lles du département de la Lozère venaient en nombre prêter main-forte.

AVANT-PROPOS

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À cette époque, j’étais tout enfant et je gar-de de ces « fraisières » un heureux souve-nir. Joyeuses et gaies, elles sentaient l’eau de Cologne et me cajolaient tout le temps telles de grandes sœurs affectueuses. Elles mangeaient et dormaient à la maison dans des dortoirs. Pour la plupart d’entre elles, c’était leur premier et grand voyage, et cette liberté toute neuve rendait leur tra-vail de cueillette harassant sans doute plus facile – en tout cas, j’ai en mémoire leur bonne humeur. Le samedi soir, elles avaient la permission d’aller danser au Tourbillon, un dancing proche. Mon père, responsable, veillait aux rencontres de cet âge.Le mois de mai était crucial pour la survie de l’exploitation : de la bonne récolte de fraises dépendait le reste de l’année. Trois semaines pour remplir les caisses.La pluie n’était pas la bienvenue durant cette période, elle avait pour effet de pourrir rapidement les fruits, et puis il fallait que les prix « tiennent ».

Aujourd’hui ma mère pleure. Que se passe-t-il ? Nous sommes en mai 68 : à peine la récolte commencée, grève générale dans tout le pays, plus aucun moyen de transport pour assurer la livraison des précieux fruits. Ma mère pleure de devoir jeter la récolte, mon père serre les poings. La douleur de devoir dire aux fraisières qu’il faut repartir dans les montagnes, qu’il faudra trouver un autre travail. La fête à peine commencée, déjà terminée, gâchée…Au printemps, il fallait aussi composer avec la grêle. Pour les fraises, en cas de mévente ou autres aléas, tous étaient lo-gés à la même enseigne, mais il n’y avait rien de plus injuste que la grêle : elle vous frappait mais pas le voisin, ou l’inverse. On entendait alors le bruit des bombes que l’on faisait exploser dans les nuages meurtriers en espérant disperser les glaçons. C’était la guerre à notre porte, ma mère allumait un cierge sur la cheminée.Tel était le rythme du printemps, fait d’es-poir et de peur, de rires et de pleurs, et parfois de récompenses.

Les fi lles de la Lozère disparurent, vinrent les Espagnols. Leurs mines étaient chétives, leurs silhouettes faméliques. Vêtus de vê-tements vieux et élimés, ils étaient tristes. Il était douloureux de croiser leurs regards fi évreux : qu’avaient-ils vécu et vu de l’autre côté des Pyrénées ?Les Espagnols ne pensaient qu’à l’argent et travaillaient sans chanter. Ils débarquaient souvent en couple, un carton fermé d’un bout de fi celle au bout de chaque bras en guise de bagages ; parfois un enfant faisait partie du voyage, pour moi c’était l’occa-sion de me faire un nouveau copain.

La période des grandes vacances était mer-veilleuse, à jouer du matin au soir sans trop faire de bêtises. Mon père étant l’aîné d’une fratrie de cinq frères et sœurs, quatre d’en-tre eux également paysans et vivant dans le voisinage, il en résultait une tripotée de cousins et de cousines, idéal pour s’amuser et faire des farces.Une petite route longe la propriété, séparée d’elle par une large haie de cyprès qui nous dissimule ainsi du regard des piétons, des cyclistes et des motocyclistes. Nous disposons un portefeuille sur la chaussée, que nous attachons avec un fi l de Nylon, puis la planque commence. Il faut être silencieux et guetter notre proie, qui ne tarde pas. Entendre le bruit de la mobylette décroître brutalement puis le conducteur revenir sur ses pas, attention au moment où l’intéressé va saisir l’objet de sa convoitise, tirer le fi l d’un coup sec… Qu’avons-nous entendu comme noms d’oiseaux, et quelle rigolade ensuite !

Les Espagnols fi rent pousser des légumes à Alicante, nous ne les vîmes plus. Vinrent les Maghrébins. Tout avait changé au Pin penché. J’avais grandi, les cultures pous-saient maintenant sous des tunnels en ma-tière plastique, de cinquante fraisières nous étions passés à quatre ouvriers. Le progrès était passé par là.Je partis découvrir le monde… pour revenir vingt ans plus tard « vivre heureux auprès de mon arbre ». Nous nous installons, Sabine mon épouse, Constant, Flore et Héloïse nos enfants et moi, au Pin penché en 1997. Il est bien terminé le temps des maraîcha-ges, le quartier est maintenant en friche, il est loin le temps où les commerçants de Carpentras donnaient du « Monsieur » aux paysans venant faire leurs achats rue de la République.

Il fallait trouver un prolongement – une nouvelle vie – au travail de mes parents et de mes grands-parents, il fallait ranger le souvenir des fraisières et de Kiki. La pre-mière année, nous ne touchâmes à rien,

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10 • AVANT-PROPOS

nous voulions prendre la mesure du lieu, le sentir, le vivre.Dans nos maisons précédentes, nous avions déjà eu l’occasion, Sabine et moi, de nous exprimer au travers du jardin. Au Pin penché la tâche était de taille, nous ferions sans doute des erreurs, mais nous allions nous attacher à les éviter. Une occasion in-croyable de créer un grand et beau jardin nous ressemblant, grâce auquel nous al-lions nous épanouir, exprimer notre passion commune, quelle aventure !Il y aura la chesnaie, en caressant le secret espoir d’y caver plus tard quelques truffes, l’oliveraie, l’allée des amoureux, le jardin de l’ombre, la porte des étoiles, la cabane d’Héloïse… Nous planterons 600 m de haies de cyprès ainsi que plus de mille ar-bres et arbustes.Au cœur de ces aménagements, le potager de Flore, de Sabine, de tous, auquel nous allons porter une attention particulière.Notre premier potager s’est présenté comme une transition dans notre façon de jardiner. Après avoir planté des mètres et des mètres de végétaux sous tunnel plas-tique, je me rends compte que le travail est parfait… sauf que tout cloche. C’est en plus petit la reproduction de l’exploita-tion agricole de mon père. Je réfl échis : « Et si je transformais mon potager productif en potager nourricier et poétique, où mes en-fants pourraient venir jouer sans craindre la présence de pesticides et autres poisons, en un lieu de découvertes et d’apprentis-sage ? » Nous passons du jardin « exploita-tion » au potager « jardin de curé ».

Au fi l des saisons et des années, cet espace se construit, un peu comme une maison qui se transforme suivant l’humeur de ses

occupants. L’expérience aidant, les tâches deviennent plus faciles. Bien sûr, il y a des journées de grand labeur à ne pas négli-ger, mais nous relativisons. Pas de diktat entre les planches, un œil sur le calendrier lunaire, après, on fait comme on peut, il est parfois impossible de différer une planta-tion. Coup de chaud, de froid, excès de pluie, de sécheresse, coup de vent, mala-dresse et bêtises du jardinier, les aléas sont nombreux ; bon an mal an, la récolte est au rendez-vous.

Récolte de beaux fruits et légumes, mais aussi agréables et paisibles soirées dans le soleil couchant d’un beau mois de mai pen-

dant lesquelles nous papotons, assis sous les fruitiers ; nous parlons aux plantes, un dialogue s’instaure entre tous les éléments qui composent ce tableau champêtre, un couple d’hirondelles nous salue d’un vol fur-tif en poussant de petits cris stridents, chats et chiens quémandent caresses et câlins.Dans ces pages ne cherchez pas « taillez comme ceci ou comme cela », cherchez comment vivent les jardiniers et quels sont les liens et les échanges permanents entre le jardinier et le jardin.L’été, le potager devient en quelque sorte la pièce principale de la maison, surtout le matin et le soir, et si l’un des membres de la famille manque à l’appel, c’est naturel-lement que nous le retrouvons entre toma-tes et laitues.Aujourd’hui, c’est Sabine qui manque à l’appel. Par un matin radieux du mois d’avril, les oiseaux viennent la chercher, elle s’en-vole avec eux par la fenêtre de sa chambre grande ouverte, fait un signe en passant au-dessus du potager, l’air de dire : « Soigne-le bien, ici est notre âme, notre bonheur et notre amour. »Durant toutes ces années de combat, lors-que la maladie le lui permettait, c’est à l’ombre protectrice de l’abricotier qu’elle venait souvent reprendre quelques forces. Ces quelques mètres carrés de potager et de jardin nous permirent de tisser tellement de liens amoureux.« Je t’ai apporté l’eau indispensable à ta croissance, j’ai enlevé patiemment le chien-dent qui voulait te voir mourir, toi tu m’of-fres tes fruits qui nourrissent ma chair. Je te donne mon énergie, mon amour, tu soi-gnes mon corps et mon esprit, je t’écris des poèmes, tu inspires mes rêves, ainsi allons-nous, enlacés comme tuteur et liane. »

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12 • MARS

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MARS • 13

PRINTEMPS

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La taille

Aujourd’hui, les rayons du soleil chatoient dans les pétales des amandiers. Tous les rameaux, toutes les tiges, sont gonflés de bourgeons. La journée est idéale pour dégourdir les ressorts des sécateurs qui s’impatientaient sur les étagères.Sabine se dirige du côté des rosiers tandis que j’emmène Flore vers les fruitiers. Je lui explique comment distinguer le bourgeon à feuille, pointu, près de la tige, du bourgeon à fl eur, rond, charnu et orienté légèrement à l’écart du rameau : « Généralement, tu comptes trois bourgeons à fl eur, en partant de la fourche du nouveau bois, et là, tu cou-pes franchement et un peu en biais. »Mais d’abord, un coup d’œil général à l’ar-bre, à sa structure, à son équilibre, d’un peu loin, comme un coiffeur qui évalue la coupe avant de porter le premier coup de ciseaux.

Seulement, ici, en plus de l’esthétique, l’en-jeu est aussi dans les récoltes futures. Et une bonne taille limite les risques cryptogami-ques et favorise le mûrissement des fruits.Les « tchac, tchac » rythmés de nos séca-teurs me rappellent qu’il faut être vigilant, comme les coups de gong dans les temples zen. Car au contact de l’arbre, je pars vite dans une douce rêverie, une sorte d’en-gourdissement – peut-être que le temps de l’arbre s’écoule différemment du nô-tre –, alors que la taille demande toute ma concentration : inspecter chaque branche, être à l’affût de trace éventuelle de maladie ou de parasite, maîtriser le lierre sournois qui se risquerait à grimper le long du tronc, compter les yeux sectionnés, sélectionner les branches qu’il faut supprimer pour ne pas épuiser l’arbre durant la période de mûrissement, mais sans excès afi n que la photosynthèse soit effi cace. Et surtout,

être à l’écoute de l’arbre. Il me prend la main et me dit simplement ce qu’il y a lieu de faire, sans violence, dans le calme et dans un respect mutuel.À travers les ramures, j’observe Flore. Son olivier s’en sort avec une belle coupe à la légionnaire. Ce n’est pas grave… Ne dit-on pas à propos de l’olivier qu’une hirondelle doit pouvoir le traverser sans que ses ailes touchent les rameaux ? Mais l’olivier est un cas extrême.Je m’éloigne de quelques pas pour admi-rer mon arbre – surtout mon travail. Une dernière étreinte ou une caresse au tronc, je suis en accord avec la planète.Tout à l’heure, nous emporterons quelques branches riches en boutons bien dessinés vers la chaleur de la maison. Placées dans un vase, leurs fl eurs vont rapidement s’épa-nouir et nous ravir. On peut déjà mesurer la générosité de la nature à cette marque

MARSLe mois capricieux

Le mois de mars est appelé le mois des fous, peut-être sous l’infl uence de sa lune, réputée capricieuse. Un mois changeant fait de giboulées, nuageux, clair, venteux, calme, froid, tiède, espérant, désespérant…

Méfi ons-nous de mars et de ses nuages ventrus.

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MARS • 15

à droite. Flore, première de nos fi lles et deuxième de nos enfants, s’en vient dire bonjour aux crocus (Crocus sp.) dont elle a emprunté la couleur.

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16 • MARS

Taille tôt, taille tard, la taille la meilleure est celle de mars.

ci-dessous. Flore au sécateur, lors de la taille d’une branche d’abricotier (Prunus armeniaca).

à droite. Le sol du potager : entre les planches protégées par un paillis, trèfl e, myosotis et pissenlits.

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MARS • 17

anticipée de poésie. Au réveil, lorsque l’air n’a pas encore été brassé, les effl uves d’amandiers, d’abricotiers, de pêchers, viennent jusque sous la couette nous parler de bonheur. Dès janvier, on peut ainsi avoir un avant-goût de printemps.Selon les partisans de la technique du bois raméal fragmenté (BRF), les rameaux, s’ils ont un diamètre inférieur à 7 cm, peuvent être broyés et répandus aussitôt au pota-ger ou au pied des arbres. La régénération et l’enrichissement du sol sont alors spec-taculaires. C’est que la terre est l’élément primordial du potager.

Engrais verts

Règle d’or sur mes tablettes de jardinier : « Jamais la terre à nu tu ne laisseras ». Sur-tout ici, sous le soleil d’été et les assauts du mistral qui dessèchent tout. À l’automne, au printemps, nous semons des engrais verts. Engrais vert, cela sonne un peu austère ou semble compliqué, mais si je dis « phacélie, vesce, trèfl e incarnat, moutarde blanche, etc. », vous imaginez une prairie fl eurie de touches colorées qu’un léger souffl e suffi t à faire frissonner. Enfi n, quand je dis imagi-ner… peut-on imaginer le bleu de la phacé-lie tant qu’on ne l’a pas vu ? Ces plantes ont les mêmes bienfaits qu’un paillage : elles protègent des intempéries et de l’érosion tout en gardant l’humidité ; leurs racines aè-rent la terre et évitent la pousse de mauvai-ses herbes ; leur cycle de vie stimule la vie microbienne ; par leur décomposition, elles apportent azote et humus et améliorent la texture des sols lourds. Une bonne astuce

consiste à mélanger différents types de semences, ainsi les défauts des unes seront compensés par les qualités des autres.Un jour, pendant que les engrais verts travaillaient pour moi, plongé dans mes ré-fl exions, je n’ai pas entendu arriver Héloïse qui m’apportait un mug fumant d’infusion à la verveine – elle est comme ça, Héloïse, elle laisse plein de petites attentions le long de son chemin. J’avais pris entre mes mains une poignée de terre, je la faisais passer d’une paume à l’autre, je la respirais, je la renifl ais, les yeux fermés. Je l’ai même goûtée, et j’étais là, perdu dans mes émo-tions, mes découvertes : un goût d’origine – nos origines, n’est-ce pas de terre que nous sommes faits, tournés sur le tour de potier du dieu Khnoum, selon les anciens Égyptiens ? –, notre matrice. Il n’y a pas que le sucré-salé dans la vie.Sans en faire votre repas préféré, tentez l’expérience. Allez, osez ! Goûtez, comme un grand cru. Outre l’intérêt philosophique,

de gauche à droite. Phacélie à feuilles de tanaisie (Phacelia tanacetifolia), carré de moutarde en fl eur (Sinapis alba) et trèfl e incarnat (Trifolium incarnatum).

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vous saurez si votre terre est franche, sa-bleuse, calcaire, argileuse, humifère, au nez de truffe ou de fruits rouges. Chez nous, elle est franche à tendance calcaire, parsemée de quelques silex, et drainante. Si besoin, une analyse chimique vous permettra d’en connaître le pH exact et sa richesse en élé-ments nutritifs, que vous entretiendrez ou augmenterez avec les engrais verts.

Dessine-moi un potager

Une autre manière d’enrichir le sol, ou au moins, de ne pas l’épuiser, est l’association judicieuse des végétaux cultivés. Je note donc dans un grand cahier où j’ai reporté le plan du jardin toutes les plantes qui y poussent, chacune à son emplacement. Jusqu’à présent, il s’agissait d’un simple plan tracé à la va-vite, au stylo noir, légendé, rangée par rangée, du nom des espèces cultivées. Très utile, indispensable, mais un rien austère. Rien qui rappelle l’exubérance fl eurie du printemps ou la générosité colo-rée des récoltes d’été. Cet hiver, j’ai donc emprunté une boîte d’aquarelle à mes fi lles, un vestige de ces achats de rentrée scolaire qui sont rarement utilisés. Intriguée, Flore s’était installée à côté de moi, s’amusant à voir mes pinceaux s’agiter dans les petits godets, puis courir sur le Canson humide. Ici du vert foncé pour les lauriers-tins, du vert pâle et du vert bleuté pour l’olivier, puis de petites touches de rouge pour les tomates et leurs tipis légers, et de grosses taches orange pour les courges, des rangées de légumes sages ponctuées de fl eurs en fa-randole, le rond des aromates, la cabane, une brouette. Un dessin propitiatoire : si l’imaginaire est fécond, la récolte le sera aussi. Ne soyons pas chiches de rouges tomates, c’est si fa-cile de les transformer en coulis.

Compagnonnage

Aujourd’hui, je marche dans l’herbe humi-de, mon cahier d’écolier à la main, place aux travaux pratiques. Du rêve hivernal à la réalité printanière, je dessine les plan-tations de l’année en tenant compte des plantations de l’année précédente. Le sujet est sérieux, nous parlons de rotation et de compagnonnage.Autrefois, pour laisser le sol se reposer, les paysans pratiquaient la jachère. Dans le po-tager, on peut obtenir un résultat proche, en adoptant la méthode de rotation des cultures basée sur un cycle de quatre ans. Si, tous les ans, on cultive des légumes d’une même famille au même endroit, les ravageurs et les maladies s’y multiplieront. Ces plantes, en prélevant sans cesse les mêmes éléments nutritifs, vont rapidement épuiser le sol. Or, certaines espèces exigent de forts apports de matières organiques, d’autres très peu. Les systèmes racinaires sont, eux aussi différents, profonds chez le chou et le panais, ou en surface chez la laitue : pourquoi ne pas associer les deux ? Les salades profiteront de l’ombre des choux sans gêner leur développement.Certaines plantes ont des effets bénéfi ques sur d’autres. Il existe des sympathies et des antipathies naturelles, liées sans doute aux sécrétions racinaires et aux effl uves dégagés par les feuilles. Ainsi le chou, de la famille des Brassicacées, apprécie la compagnie des betteraves, céleris, concom-bres, haricots nains, laitues, et déteste le mariage avec les fraisiers, radis, chicorées, tomates. Tout le monde s’accorde à adop-ter la présence d’œillets d’Inde au pied de tomates, pour leur action nématicide. On trouve maintenant d’excellents ouvrages sur les plantes compagnes.

Permaculture

Dans mes livres de cet hiver sur les métho-des de culture, j’ai aussi trouvé une idée passionnante : la permaculture. Je vais tenter le coup. Je réserve un espace de quelques mètres carrés où je planterai les végétaux non pas en rangées mais à l’hu-meur, par petits massifs, de-ci, de-là, tout en respectant les règles du compagnonnage. Une couche de paillis protégera la terre. Cette culture est à envisager comme un jeu, place à l’imagination.Dans le ciel, la patrouille de France ren-tre tranquillement vers sa base de Salon-de-Provence, ça sent l’apéro. J’entends d’ailleurs les cloches de l’église de Pernes-les-Fontaines, distante de 5 kilomètres, au sud. Elles me disent qu’il est midi et que le vent vient de tourner au sud, le vent de la mer et de la pluie. À midi, je me dis tou-jours : « Déjà ! ». Le potager, c’est comme la vie : le matin, tu pars sur les chemins, tu crois savoir où tu vas, en fait, tu n’en sais rien, ce n’est que le soir, en rentrant brisé, que tu sais d’où tu viens, et encore.Hier, c’était l’enfer, le mistral souffl ait à plus de 100 km/h. Les oliviers brassés mon-traient la face claire de leur feuillage comme l’éclat furtif de la truite arc-en-ciel dans l’eau cristalline. Des paquets énormes de pollen s’échappaient des haies de cyprès, on pou-vait croire à la fumée d’un incendie. Flore, sujette aux allergies, n’aime pas les cyprès, surtout dans leur période de fl oraison.À l’appel des cloches, nous nous arrêtons et nous prélassons tous dans un parterre de myosotis. Le potager est encore bien vide, mais nous le visitons de plus en plus fréquemment. Là, sous le pêcher, le chat Ayla perché sur mon ventre, j’admire l’amandier en fl eur qui a réussi à garder ses pétales et je sais qu’aujourd’hui les nuits sont aussi longues que les jours.

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ci-contre.1, 2 et 3. Cultures potagères.4. Cabane.5 et 6. Plates-bandes fl euries. 7. Pergola de l’entrée sud.8. Jardin d’aromatiques.9. Jardin en carrés.10. Portillon nord vers la jardinerie.11 et 12. Canaux d’irrigation.

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Les semis

De l’infl uence des cycles cosmiques sur le potager, nous parlerons plus loin. Pour l’instant, c’est la terre matrice qui m’inté-resse, pour le grand et magnifi que miracle de la germination.Aujourd’hui, c’est facile, n’importe qui peut ouvrir un de ces petits sachets au packaging attractif. Dans le commerce, on propose plein de choses épatantes : des graines enrobées ou en pelote, des grai-nes prégermées, des graines amorcées, et même des enrubannées, collées sur un ruban de papier biodégradable à dérouler dans un sillon.Pourtant, il est enfantin de récolter ses propres graines de végétaux que l’on aura laissé monter – laitues, radis… – ou de graines récoltées et séchées – courges, tomates... Quel plaisir aussi que l’échange

avec les voisins, avec les amis, en prenant garde aux invasives. Pour les autres, je veille aux origines des bonnes semences bio certifiées. Deuxième règle d’or de mes tablettes de jardinier : « Jamais aux OGM tu ne toucheras ! »Ensuite, une terrine ou tout autre récipient, une bonne terre franche un peu allégée, de l’eau, du chaud, et c’est parti ! Le mois de mars enrhume, je protège donc mes semis à l’abri d’une serre en attendant les pro-messes d’une terre chaude. Au fi l des jours, mes terrines verdissent. Je couve les plantules comme de fragiles nourrissons qui auraient besoin de soins et surtout de contact pour ne pas dépérir. Je maintiens la terre humide, j’éclaircis, je les visite chaque jour.Lorsque les semis de la serre seront assez avancés, je les repiquerai dans des godets en plastique dont certains seront ensuite

plantés en pleine terre mi-avril, à l’abri de tunnel en plastique. Je gagne ainsi un bon mois de production. Les autres godets se-ront plantés en plein air début mai, après les saints de glace.

Oser l’expérience

Si au début de ma réfl exion sur le bio, je me posais beaucoup de questions, maintenant le bio est devenu une seconde nature. Et j’ai aussi découvert que biologique rime avec économique.J’évite l’achat de terreau. La plupart du temps, on vend sous ce nom un ensemble de fi bres d’écorces broyées, de sciure de tourbe blonde, de sable, auxquels s’ajou-tent des engrais chimiques et des colorants pour faire bien « terreau ». Parfois on y retrouve même des boues d’épuration,

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une cuisine peu ragoûtante ! Le terreau que nous faisons nous-mêmes est un milieu vivant naturel.Voilà donc pas mal d’années que nous dé-veloppons un anticonsumérisme éclairé, recyclant, récupérant et réduisant nos achats, en particulier pour le jardin. Néan-moins nous allons en famille chez des amis producteurs à Pernes-les-Fontaines, qui nous conseillent et nous fournissent de magnifi ques végétaux, occasion de nou-velles découvertes. Ainsi nous complétons nos semis. Pour ceux-ci, ce qui compte, c’est la pratique. Heureuse ou malheureuse, peu importe, l’expérience en elle-même est source de bonheur, espace de création et d’invention, terreau fertile à l’épanouisse-ment du jardinier.

La chasse au trésor

Les bulbes pointent leurs nez, de-ci, de-là, selon l’ensoleillement et la variété, je les avais oubliés. Les narcisses me mettent du baume au cœur et m’encouragent à espérer la venue du printemps. Comme dans une chasse au trésor, chaque jour, Sabine et moi découvrons crocus, tuli-pes, muscaris, de nouvelles merveilles qui nous surprennent par ce contre-pied prin-tanier à la nature.

page de gauche, de gauche à droite. Muscari (Muscari sp.) en fl eur dans une jardinière, narcisse (Narcissus sp.) et tulipe (Tulipa sp.).

à droite. Anémone (Anemone sp.) en fl eur.

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SemisAménagez un endroit à l’abri du vent et de la pluie, dont l’élément principal sera une table sur laquelle vous pourrez, à bonne hauteur, semer, bouturer, diviser, multiplier, etc.De part et d’autre, vous rangerez dans des caisses en bois tous vos ustensiles et votre outillage : une petite pelle, une fourchette aux dents repliées pour griffer la terre, un arrosoir à long cou avec une pomme amovible, un pulvérisateur, des gants, de l’hormone de bouturage, de l’antilimace – attention à sa toxicité, rangez-le en hauteur, pour qu’il soit inaccessible aux enfants. Justement pour les enfants, gardez des boîtes à œufs, ce sera drôle d’y voir pousser quelques graines.Au sol, dans de grands contenants en plastique ou des bassines en zinc, vous pourrez entreposer de la terre franche, du sable de rivière – non calcaire –, un peu de compost, du vrai et bon terreau, de la terre de bruyère, un peu de pouzzolane – cette roche volcanique remplace la vermiculite et la perlite, plus coûteuses. Ainsi, au gré de vos travaux, vous confectionnerez vos mélanges en fonction de vos besoins, en mêlant le tout dans une brouette de maçon.L’idéal est, bien entendu, d’être à proximité d’une petite serre, voire d’une jardinerie, qui devra être un lieu bien éclairé, sans soleil direct, plutôt chaud et humide. Une couche dotée de châssis fera aussi très bien l’affaire, voire une miniserre en plastique. N’oubliez pas le thermomètre. C’est parti, amusez-vous bien et, surtout, osez !

La météoLe mois de mars est capricieux : pluie, soleil, vent, gelée, grêle.La grêle – septième plaie d’Égypte – fournit encore aux Provençaux des expressions qui en soulignent le pouvoir dévastateur : « Méchant comme la grêle » ou bien « Jaloux comme la grêle ». En effet, elle rend jaloux puisque sa chute généralement localisée épargne tel champ alors qu’elle dévaste le champ voisin.Frédéric Mistral note dans son dictionnaire que « lorsqu’il tombe de la grêle les bonnes femmes pour la faire cesser mettent sur le seuil de la maison une monnaie ou médaille qui porte une croix ». Ma mère allumait une bougie bénite sur la cheminée.De nos jours, on utilise des fusées paragrêles que l’on tire dans le ciel pour chasser les nuages porteurs de grêle vers le champ voisin.

Astuces et pense-bête• Au potager, c’est le moment de planter les variétés précoces de pommes de terre, d’ail rose, d’oignon blanc, d’échalotes, d’asperges, de petits pois et de fraisiers en godets. Les semis sous abris peuvent aussi commencer (salades de printemps, choux, choux de Bruxelles, navets, poireaux, betteraves rouges, salsifi s, fèves, épinards, carottes, radis...).• Au verger, on peut planter les arbustes à petits fruits (framboisiers, groseilliers et cassissiers). Pour protéger les arbres des parasites, une pulvérisation de bouillie bordelaise est la bienvenue.• Buttez les asperges. Utilisez un voile de forçage dans les régions les plus rigoureuses.• Les beaux jours, aérez les artichauts pour éviter que la pourriture ne les gagne. À la fi n du mois, débuttez les pieds en fonction de la météo.• Aérez les chassis et les plantes sous cloche pendant les belles journées du mois de mars.

« Ciel rouge le soir, laisse ton espoir. »

Le terreau préparé à la maison. Jeunes pousses de radis (Raphanus sativus).

Mon carnet de bord

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Soupe de fanes de radisPour 4 personnes

1 botte de radis1 cube de bouillon de légumes1 noix de beurre ou un peu d’huile1 l d’eau chaude1 œuf20 cl de crème fraîche

• Enlevez les queues des radis et lavez les feuilles. Hachez-les fi nement.• Dans une casserole, faites doucement fondre la matière grasse. Ajoutez les feuilles hachées, le cube de bouillon émietté et l’eau chaude. Faites cuire pendant 20 minutes.• Au moment de servir, cassez l’œuf, versez-le dans la casserole, puis remuez. Ajoutez enfi n la crème.

Conseils• Accompagnez cette soupe verte de croûtons. • D’autres plantes, comme l’oseille, le cresson ou l’ortie blanche peuvent servir de base à cette soupe verte.

Les engrais vertsLes engrais verts nourrissent les cultures, améliorent le sol et favorisent l’écosystème du jardin.Les fl eurs de ces plantes attirent les abeilles, les papillons… Par exemple, la phacélie apporte une touche décorative au potager et protège du battage et de l’érosion les terres laissées nues après une récolte.

Quand semer, quand enfouir ?L’idéal consiste à semer ces engrais au mois d’août. Ainsi ils lèveront et pousseront tout l’automne, et ils protégeront la terre des stress hivernaux. Début mars, passez la tondeuse, laissez sécher les végétaux deux ou trois jours sur place, puis enfouissez-les. Entre deux cultures, il ne faut pas hésiter à en semer pour occuper tout le terrain.Curieux, arrachez le trèfl e ou la luzerne, regardez à l’œil nu les racines munies de minuscules protubérances. Elles contiennent des bactéries, ces nodosités transforment l’azote de l’air en nitrate.

Un coquelicot (Papaver rhoeas) s’est glissé au milieu de la phacélie à feuilles de tanaisie (Phacelia tanacetifolia).

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