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L’environnement, c’est la santé ! « Protéger l’environnement », « sauvegarder la nature », « sauver le climat »… Il faut l’avouer : les slogans et les mots d’ordre du mouvement environnementaliste sont globalement assez contre-productifs. En faisant de sujets désincarnés (« le climat », « l’environnement », etc.) l’objet de leur préoccupation, ils tendent à conforter, en creux, l’idée très occidentale (et très fausse) d’une séparation profonde entre l’homme et le monde naturel – qu’il faudrait protéger, mais surtout à nos dépens. Déforestation de la forêt amazonienne dans l'Etat de Para, au nord du Brésil, en 2009. Tout l’intérêt du troisième Plan national santé-environnement (PNSE), présenté en conseil des ministres mi-novembre et qui sera au menu de la conférence environnementale qui s’ouvrira le 27 novembre, est précisément de placer ce que nous avons de plus intime et de plus précieux notre santé au cœur des préoccupations environnementales. Vouloir préserver l’environnement n’est pas qu’une lubie de « bobos-écolos » : c’est aussi et avant tout une question de santé publique. Par rapport aux deux précédents PNSE, cette troisième édition, qui doit servir de feuille de route à l’action du gouvernement jusqu’en 2019, présente plusieurs inflexions imp ortantes. « En particulier, le lien est fait entre les dégradations de l’environnement et l’épidémie de maladies chroniques que nous connaissons actuellement et sur laquelle l’Organisation mondiale de la santé a attiré l’attention à l’automne 2011 », dit Gérard Bapt, député (PS) de Haute-Garonne et président du Groupe santé-environnement (GSE) qui a copiloté la rédaction du texte. Déforestation forcenée Les facteurs comportementaux en particulier le tabagisme, la consommation d’alcool, etc. – interviennent bien sûr pour une large part. Mais le PNSE prend aussi clairement acte de ce qu’une part de l’augmentation d’incidence de certaines pathologies non transmissibles (cancers, diabète, maladies neuro-dégénératives, etc.) est due à la dégradation au sens large de notre environnement : résidus des matériaux au contact des aliments, traces de pesticides dans l’eau et l’alimentation, métaux lourds, pollution atmosphérique, etc. D’ailleurs, comme le note Gérard Bapt, « il n’est plus seulement question d’évaluer les effets ponctuels de l’exposition d’une substance sur une population donnée : il faut désormais parler en termes d’exposome, c’est-à-dire des expositions chroniques cumulées à des agents chimiques, y compris à faibles doses, sur la population générale ». Le texte du PNSE va même assez loin en estimant que « les données sanitaires sont suffisamment inquiétantes pour qu’il y ait une réelle prise de conscience politique et citoyenne sur les risques en santé environnementale ». Nous voici très loin de la doxa rassurante selon laquelle tout va pour le mieux puisque l’espérance de vie n’a jamais été aussi élevée – doxa qui omet systématiquement de préciser que l’espérance de vie n’estime que les bénéfices acquis, non les dégâts à venir.

6. L’Environnement, c’Est La Santé !

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  • Lenvironnement, cest la sant !

    Protger lenvironnement , sauvegarder la nature , sauver le climat Il faut lavouer :

    les slogans et les mots dordre du mouvement environnementaliste sont globalement assez

    contre-productifs. En faisant de sujets dsincarns ( le climat , lenvironnement , etc.)

    lobjet de leur proccupation, ils tendent conforter, en creux, lide trs occidentale (et trs

    fausse) dune sparation profonde entre lhomme et le monde naturel quil faudrait

    protger, mais surtout nos dpens.

    Dforestation de la fort amazonienne dans l'Etat de Para, au nord du Brsil, en 2009.

    Tout lintrt du troisime Plan national sant-environnement (PNSE), prsent en conseil des

    ministres mi-novembre et qui sera au menu de la confrence environnementale qui souvrira

    le 27 novembre, est prcisment de placer ce que nous avons de plus intime et de plus

    prcieux notre sant au cur des proccupations environnementales. Vouloir prserver

    lenvironnement nest pas quune lubie de bobos-colos : cest aussi et avant tout une

    question de sant publique.

    Par rapport aux deux prcdents PNSE, cette troisime dition, qui doit servir de feuille de

    route laction du gouvernement jusquen 2019, prsente plusieurs inflexions importantes.

    En particulier, le lien est fait entre les dgradations de lenvironnement et lpidmie de

    maladies chroniques que nous connaissons actuellement et sur laquelle lOrganisation

    mondiale de la sant a attir lattention lautomne 2011 , dit Grard Bapt, dput (PS) de

    Haute-Garonne et prsident du Groupe sant-environnement (GSE) qui a copilot la rdaction

    du texte.

    Dforestation forcene

    Les facteurs comportementaux en particulier le tabagisme, la consommation dalcool, etc.

    interviennent bien sr pour une large part. Mais le PNSE prend aussi clairement acte de ce

    quune part de laugmentation dincidence de certaines pathologies non transmissibles

    (cancers, diabte, maladies neuro-dgnratives, etc.) est due la dgradation au sens large

    de notre environnement : rsidus des matriaux au contact des aliments, traces de pesticides

    dans leau et lalimentation, mtaux lourds, pollution atmosphrique, etc.

    Dailleurs, comme le note Grard Bapt, il nest plus seulement question dvaluer les effets

    ponctuels de lexposition dune substance sur une population donne : il faut dsormais parler

    en termes dexposome, cest--dire des expositions chroniques cumules des agents

    chimiques, y compris faibles doses, sur la population gnrale . Le texte du PNSE va mme

    assez loin en estimant que les donnes sanitaires sont suffisamment inquitantes pour quil y

    ait une relle prise de conscience politique et citoyenne sur les risques en sant

    environnementale . Nous voici trs loin de la doxa rassurante selon laquelle tout va pour le

    mieux puisque lesprance de vie na jamais t aussi leve doxa qui omet

    systmatiquement de prciser que lesprance de vie nestime que les bnfices acquis, non

    les dgts venir.

  • Le PNSE ne se limite pas aux pollutions diffuses. Il prvoit par exemple la conduite de deux

    expertises collectives charges dexplorer les liens entre espaces naturels, biodiversit et sant

    humaine. La question est au centre de lactualit rcente : selon plusieurs spcialistes, la

    dforestation forcene pratique en Guine forestire a conduit au dplacement de

    chiroptres, rservoirs du virus Ebola, qui se sont rapprochs des villages, augmentant ainsi les

    risques de transmission de la maladie aux hommes.

    Les exemples sont nombreux montrant que la destruction des milieux naturels peut avoir un

    impact sur la sant humaine. En Asie du Sud-Est, la destruction de la fort primaire pour cause

    dimplantation du palmier huile a rapproch les populations de macaques des lieux

    frquents par les hommes, conduisant lmergence dune nouvelle souche de paludisme

    particulirement virulente, Plasmodium knowlesi.

    On pourrait croire que ces prils ne concernent que les rgions tropicales, pleines dtrangets

    dangereuses. La ralit est tout autre. Aux Etats-Unis, la perte des habitats forestiers naturels

    et le changement climatique favorisent la propagation de la maladie de Lyme (vhicule par

    les tiques), devenue en quelques annes la deuxime maladie infectieuse aux Etats-Unis,

    derrire le sida

    Pas de repas gratuit

    Les conomistes aiment citer ladage selon lequel il ny a pas de repas gratuit cest--dire

    que laddition finit toujours par tre rgle. Les dfenseurs de lenvironnement peuvent le

    reprendre leur compte. Et ce avec un recul de plusieurs dcennies. En 1963, lorsque Rachel

    Carson publia son ouvrage Printemps silencieux lacte fondateur du mouvement

    environnementaliste moderne , elle fut raille pour sa propension smouvoir des effets

    dltres du DDT sur les oiseaux. Il tait, pour les dtracteurs de la biologiste amricaine,

    parfaitement ridicule de sapitoyer sur le sort du faucon plerin et du pygargue tte

    blanche Hlas ! ctait sans compter la dplorable facult du clbre insecticide se stocker

    dans les graisses et saccumuler le long de la chane alimentaire dont, il nest jamais inutile

    de le rappeler, Homo sapiens fait partie.

    Le rsultat est que, quelque quatre dcennies aprs son interdiction en agriculture, le DDT est

    encore prsent des niveaux mesurables chez la plupart des humains. Les progrs de la

    recherche en biologie ont de plus permis de montrer que le fameux insecticide est un

    perturbateur endocrinien suspect daugmenter les risques de certaines pathologies, dont la

    maladie dAlzheimer Voil cinquante ans, Rachel Carson tait accuse davoir pris le parti de

    la nature contre celui des braves agriculteurs qui ne faisaient que rechercher de meilleurs

    rendements. Nous voyons aujourdhui qui avait raison.

    Ragir Classer