130
BRUXELLES SANTÉ Santé et Environnement Actes du Forum des 17 et 18 février 2000 organisé par BRUXELLES SANTÉ N° spécial 2000 N° spécial 2000 Santé et Environnement Actes du Forum des 17 et 18 février 2000 organisé par Institut Bruxellois pour la Gestion de l’Environnement Fédération des Maisons Médicales et des Collectifs de Santé Francophones

Santé et Environnement - Question Santé& Jean-Pierre Hannequart & Michel Roland Institut Bruxellois Fédération des pour la Gestion Maisons Médicales de l’Environnement et Collectifs

  • Upload
    others

  • View
    4

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

BRUXELLES SANTÉ

Santé etEnvironnementActes du Forum des 17 et 18 février 2000organisé par

BRUXELLES SANTÉN° spécial 2000N° spécial 2000

Santé etEnvironnementActes du Forum des 17 et 18 février 2000organisé par

Institut Bruxellois pour la Gestion

de l’Environnement

Fédération des MaisonsMédicales et des Collectifs de

Santé Francophones

Transcription et réécriture : Alain Cherbonnier (Question Santé)

Transcription et traduction du néerlandais : Sylvie Clara (IBGE-BIM)

Comité de lecture : Catherine Bouland (IBGE-BIM), Thierry Lahaye (COCOF),

Marianne Prévost (FMMCSF).

Graphisme, mise en page : Carine Simon (Question Santé)

Photo de couverture© : IBGE-BIM

Santé etEnvironnement

Actes du Forum des 17 et 18 février 2000

organisé parl’Institut Bruxellois pour la Gestion de l’Environnement et la

Fédération des Maisons Médicales et des Collectifs de Santé Francophones

5

Les 17 et 18 février 2000, le Forum Santé et

Environnement s’est tenu aux Halles Saint-Géry, à

l’initiative de l’Institut Bruxellois pour la Gestion de

l’Environnement et de la Fédération des Maisons

Médicales et Collectifs de Santé Francophone. Il pré-

sentait les résultats d’une recherche commune réali-

sée à la demande du Ministre de l’Environnement de

la Région de Bruxelles-Capitale, Didier Gosuin.

Le problème des effets des nuisances de l’environne-

ment (non qualité de l’air, exposition au bruit, accu-

mulation des polluants, etc.) sur la santé des popula-

tions n’est apparu que récemment sur les agendas

politiques. Dans le contexte du développement

durable et de l’intégration des politiques urbaines, il

semble évident qu’il faut élargir et réajuster les

approches traditionnelles de la «gestion environne-

mentale».

Dès 1998, le Ministre Didier Gosuin avait demandé la

création d’un interface santé et environnement au

sein de l’IBGE, afin de soutenir dans un premier temps

la politique de gestion des déchets (Plan Déchets),

mais surtout d’apporter des arguments en matière de

protection de la santé humaine pour appuyer les poli-

tiques de gestion environnementale de la Région de

Bruxelles-Capitale. L’interface santé et environne-

ment répond à un enjeu de transversalité, d’approche

globale et d’intégration. Son développement fait par-

tie d’un ensemble d’orientations appartenant au

développement durable. En effet, les objectifs de la

gestion de l’environnement sont essentiellement liés

à des objectifs de protection de la santé des gens et

des écosystèmes. Et même si les liens entre environ-

nement et santé sont clairs, la complexité et la multi-

plicité des acteurs concernés rendent leur approche

délicate.

Une convention entre l’IBGE et la Fédération des

Maisons Médicales a conduit à la réalisation du travail

présenté au Forum Santé et Environnement. Il s’agis-

sait de rassembler les connaissances théoriques sur les

effets des nuisances environnementales et de leurs

synergies sur la santé, de mettre en évidence les par-

ticularités urbaines et bruxelloises et d’identifier les

acteurs bruxellois intervenant dans cette probléma-

tique, afin de permettre un début de dialogue entre

les acteurs sur le sujet santé et environnement. Ce tra-

vail se positionne dans le champ d’une construction

de savoir intégré pluridisciplinaire concernant la santé

et l’environnement. Le Forum Santé et Environne-

ment et le document de travail qui y fut distribué

constituent une première étape.

Ce partenariat a conduit à la conception d’une série

de dossiers thématiques présentant les liens santé et

environnement à partir des pathologies et des symp-

tômes. Les dossiers replacent les facteurs environne-

mentaux dans l’ensemble des facteurs qui condition-

nent l’état de santé et apportent en outre un éclaira-

ge réalisé pour et par les acteurs de terrain (médecins

généralistes et environnementalistes).

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

Introduction

6

Le document ci-après reprend dans un style journalis-

tique les présentations des orateurs et les débats avec

les participants1. Il constitue les Actes du Forum Santé

et Environnement. Le texte résulte de la collaboration

des organisateurs avec l’asbl Question Santé pour la

conception du document. La publication en français

est réalisée par Question Santé avec le soutien de la

Commission Communautaire Française de la Région

de Bruxelles-Capitale. La publication en néerlandais

sera assurée par ailleurs.

Eric Schamp Jacques Morel& Jean-Pierre Hannequart & Michel Roland

Institut Bruxellois Fédération despour la Gestion Maisons Médicalesde l’Environnement et Collectifs de

Santé Francophones

1. Seuls les exposés ont été soumis aux orateurs. Les débatset les échanges avec l’assemblée n’ont pas été relus par lesparticipants.

Le Forum Santé et Environnement a réuni autour

d’une même table des professionnels de la santé et

des environnementalistes, des experts scientifiques,

des acteurs institutionnels et de terrain, ainsi que des

représentants du monde politique susceptibles de

faire déboucher ces journées de réflexion et d’étude

sur des résultats concrets. Plus de 200 personnes ont

participé aux débats. Les discussions ne se sont certes

pas limitées aux orateurs; les participants dans la salle

ont soulevé des aspects plus larges (par exemple l’in-

tégration de la problématique du logement), ou plus

complexes (par exemple, l’urbanisation, la mobilité et

la multiplicité des problèmes socio-économiques).

Les suites du Forum s’organisent autour de plusieurs

éléments, parmi lesquels la publication des Actes.

• Les dossiers thématiques seront publiés sur

Internet à la fin de l’année 2000, en lien dyna-

mique avec des carnets (les Carnets de l’Environne-

ment) constituant les bases de l’Etat de l’Environ-

nement en Région de Bruxelles-Capitale

(http://www.ibgebim.be).

• Deux adresses électroniques ont été mises à dispo-

sition pour enregistrer les réactions et les données

c o m p l é m e n t a i r e s ( s e g l @ i b g e b i m . b e e t

[email protected]). Elles restent actives.

• Des séances d’information, de sensibilisation et de

formation seront organisées à l’usage des méde-

cins généralistes et des professionnels de la santé

et de l’environnement dans le courant de la

deuxième moitié de l’an 2000.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

7

La recherche qui vous est présentée aujourd’huisous la forme d’un dossier a été réalisée à lademande du Ministre de l’Environnement de laRégion de Bruxelles-Capitale, M. Didier Gosuin.Elle fait partie d’un ensemble d’orientations detype «développement durable» et se situe dansle champ d’une construction de savoir intégréconcernant la santé et l’environnement.

Les objectifs même de la gestion de l’environne-ment sont essentiellement liés à des objectifs deprotection de la santé et des écosystèmes. Lesliens entre l’environnement et la santé sontdonc évidents, même si la complexité rend leurappréhension délicate.

Le problème est que l’angoisse générale de lapopulation, face aux difficultés et contraintes dela vie dans la société actuelle, a tendance à sefocaliser sur des points précis. Les incertitudespersistantes quant aux liens santé-environne-ment induisent dès lors une angoisse environne-mentale sans cesse croissante, relevant d’unesensibilité aiguisée à des questionnements justi-fiés ou de l’expression d’un mal-être collectif —ou des deux simultanément. De même, au

niveau individuel, certains comportements sem-blent parfois résulter soit d’un militantisme debon aloi, soit d’une véritable névrose phobique,soit même des deux conjointement.

Pourtant, la population est en demande deréponses claires, de solutions ou de décisionspolitiques étayées, adéquates, réalistes, réali-sables. Il est donc logique que les décideurs setournent vers les scientifiques pour leur deman-der des constats univoques et argumentés, etdes recommandations pouvant servir à des prisesde position justes et éclairées. C’est dans cetteposition que nous nous sommes placés pouraborder la recherche. Mais cet éclairage fait lui-même l’objet d’intenses controverses entreexperts de disciplines différentes — quand ledébat n’est pas franchement contradictoire. Ils’agit à tout le moins d’un terrain miné.

Une analyse purement scientifique de cesconcepts montre en effet que l’on peut mettreen avant aussi bien un principe absolu de pré-caution — qui aboutirait à un immobilisme total— qu’une indifférence envers tout ce qui n’estpas vraiment démontré pour l’heure — dont le

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

1. Les constats au quotidienSession présidée par le Dr Robert BONTEMPS (Question Santé, asbl)

1.1. «Santé et Environnement» du point de vue médical

Dr Michel ROLAND, Mme Marianne PREVOST (Fédération des Maisons Médicales et des Collectifs de Santé Francophones)

8

sable d’ajouter l’évaluation des impacts (effetdes polluants de l’air sur les populations, p. ex.).C’est le modèle impact-état-pressions-réactions.

La mise en évidence de liens et l’organisationd’un interface entre les approches «santé» et«environnement» se base sur un accès conjointaux données relatives à l’environnement et àl’information quant à la santé des populations,sur la mise en commun des données, leur croise-ment, leur intégration et leur interprétation.Cette démarche aboutit à une connaissanceglobale, permettant éventuellement d’étayer la mise en œuvre de stratégies environne-mentales.

L’estimation des effets des facteurs environne-mentaux nécessite en effet une approche globa-le, chacun de nous intégrant en une réponseindividuelle l’ensemble des facteurs condition-nant sa santé — endogènes et exogènes, innéset acquis. Parmi ces facteurs, citons le patrimoi-ne génétique, l’environnement social, la prospé-rité, le bien-être, le mode et les conditions devie, le fonctionnement mental, le milieu cultu-rel, et aussi, bien qu’accessoirement, le systèmede soins.

Vous trouverez dans le dossier (p. 112) un exem-ple de ce schéma à propos de l’asthme. Cetexemple illustre bien ce qui a déjà, de façon unpeu étonnante au premier abord, été démontrésur un plan plus général : si le système de soinsest fondamental pour soigner les maladies, lasouffrance des citoyens, il est tout à fait acces-soire comme déterminant de l’état de santé glo-bal des populations.

résultat serait la manifestation ultérieure derisques suspectés mais non encore prouvés.Plusieurs des experts consultés soulignent que laseule position scientifique vraiment défendableest de présenter une analyse rigoureuse au poli-tique, auquel il appartient dès lors d’assumer sesresponsabilités et de faire des choix aussi éclai-rés que possible. Bien évidemment, cela revienten quelque sorte à lui repasser la patate chaude,mais c’est la situation la plus normale dans unsystème démocratique, dont le politique garan-tit les principes fondateurs.

En outre, des problèmes d’une telle ampleur nesont jamais seulement environnementaux, poli-tiques ou scientifiques. Les réduire à ces seulsaspects reviendrait à occulter leur complexité.Une preuve parmi bien d’autres en est le débatbrûlant autour des organismes génétiquementmodifiés. Scientifiquement, la preuve n’est vrai-ment établie ni de leur toxicité ni de leur inno-cuité pour le genre humain. Mais la décisiond’autoriser ou de refuser leur prolifération relè-ve peut-être plus de facteurs socio-économiquesque physiologiques : choix d’une agriculturemonopolistique aux mains de quelques grandsgroupes financiers versus une agriculture biolo-gique à petite échelle, moins rentable mais pro-ductrice d’emplois.

A la complexité de l’approche interdisciplinaireet transversale de la problématique environne-mentale — en termes d’évaluation de l’état dela situation (qualité de l’air ambiant, p. ex.), despressions (qualité des polluants émis par le tra-fic, p. ex.), des réactions (planification de la ges-tion de la mobilité, p. ex.) —, il paraît indispen-

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

9

Le défi est donc de taille, et seule une approchemultifocale permet d’élargir la compréhensionde l’impact des politiques de développementurbain et d’environnement, en particulier sur lasanté des populations.

C’est pour développer une telle approchequ’une convention de recherche a été établie en1999 entre la Fédération des Maisons Médicaleset l’Institut Bruxellois pour la Gestion del’Environnement. Le colloque d’aujourd’huiconclut la première étape de ce travail; il vise àprésenter le dossier issu de la recherche, à rap-porter, à la fois aux professionnels et au grandpublic, certains points essentiels concernant lesliens entre santé et environnement, et à ouvrirun dialogue entre des acteurs issus de divershorizons.

Le dossier qui vous est présenté aujourd’huiaborde donc une série de problématiques.Réalisé par des acteurs de santé à la demande deprofessionnels de l’environnement, il part essen-tiellement du point de vue médical, selon l’ap-proche scientifique basée sur la preuve (eviden-ce-based medicine).

Au-delà des spécificités de chaque problème desanté, quelques constats communs peuvent êtresoulignés.

1) Extrême diversité des liens entre environne-ment et santé

Parfois, un facteur unique est en cause : c’est lecas du saturnisme, dont le seul facteur causal estl’absorption de plomb. Mais, le plus fréquem-

ment, plusieurs facteurs sont en jeu. Ils sont soitclairement établis, soit suspectés; unanimementreconnus ou controversés. Certains facteurs ontun lien causal direct avec une ou plusieurspathologies : c’est le cas du plomb ou du tabac.D’autres vont plutôt déclencher des crises ouaggraver l’état de la personne déjà atteinte.Ainsi, la pollution atmosphérique ou intérieurepeut déclencher des crises d’asthme ou lesaggraver chez les sujets asthmatiques ou prédis-posés.

Pour certains facteurs, on a pu établir un seuild’exposition, en-deçà duquel il n’y a pas d’effetpathologique. Toutefois, ces seuils font rare-ment l’unanimité et sont généralement revus àla baisse en fonction des nouvelles connais-sances. Pour d’autres facteurs, il n’y a pas d’effetde seuil.

Lorsque différents facteurs sont incriminés, ilspeuvent avoir des effets cumulatifs. C’est le caspour la plupart des pathologies. Les effets nocifssont parfois observables dans un délai court parrapport à l’exposition. Mais le temps de latencepeut aussi être extrêmement long, par exempleplus de vingt ans pour certains cancers. Le plussouvent, il existe des interactions entre les fac-teurs environnementaux et d’autres types defacteurs — génétiques, socio-économiques, parexemple —, comme l’illustre le schéma surl’asthme, déjà évoqué.

2) Etiologie et choix des priorités

Lorsque le facteur est unique et que les sourcesd’exposition sont bien identifiées, il est relative-

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

10

choix de priorités est donc une démarche com-plexe, particulièrement lorsque la pathologie estmal connue ou qu’elle a une étiologie multifac-torielle.

Certaines pathologies liées à l’environnementrestent stables ou ont même diminué. D’autres,au contraire, sont en augmentation en Belgiqueet dans d’autres pays, telles que l’asthme, le can-cer de la vessie chez les femmes, le cancer dusein, les maladies d’irritation. A Bruxelles, onconstate que certaines pathologies ont une plusgrande prévalence que dans les autres régionsdu pays : les broncho-pneumopathies chroni-ques obstructives (BPCO), l’asthme, le saturnis-me, le cancer du poumon chez la femme (chezles hommes, au contraire, la prévalence estmoindre que dans l’ensemble du pays).

Certains sous-groupes de population sont parti-culièrement exposés ou plus vulnérables. Ceciimplique des stratégies bien différenciées. Parexemple, puisque le cancer du poumon aug-mente chez les femmes à Bruxelles, on peut pro-bablement incriminer le tabagisme féminincroissant, et donc envisager des programmes deprévention s’adressant plus spécifiquement auxfemmes. De même, les priorités doivent se diri-ger vers les groupes les plus vulnérables sur leplan socio-économique et culturel, lorsqu’ilssont davantage touchés par des pathologiestelles que l’asthme et le saturnisme.

En terme de gravité, il s’agit de prendre encompte non seulement la létalité (très impor-tante pour le cancer du poumon, par exemple),mais aussi l’importance des conséquences

ment aisé de concevoir — sinon forcément d’ap-pliquer — des mesures améliorant l’environne-ment, comme dans le cas du saturnisme ou descarences en iode, importantes en Belgique.

Par contre, lorsque plusieurs facteurs sont en jeu— et surtout s’ils sont nombreux et interagis-sent, comme c’est souvent le cas —, il est plusardu de déterminer les priorités visant à limiterle risque. A quels facteurs attribuer en priorité letabagisme ou la pollution atmosphérique ?Quelles sont les conséquences économiques etsociales des différentes interventions envisa-geables ? A quels intérêts vont se heurter lesdécideurs environnementaux et sanitaires (voirZaventem, le Berlaymont, les expositions profes-sionnelles) ? Jusqu’où le contrôle est-il possible?Faut-il interdire l’importation de produits enprovenance de pays utilisant des pesticides inter-dits en Belgique ? Quel sera l’impact d’une amé-lioration de la qualité de l’air dans un pays si lesmêmes mesures ne sont pas prises dans les paysvoisins ? Quelle décision prendre en matière denormes légales ou de valeurs-guides lorsque lesscientifiques tendent, en fonction des résultatsde la recherche, à baisser les seuils tolérables ?Comment trouver le point de rencontre entre leprincipe de précaution et la gestion réaliste desnuisances ?...

3) Politique de santé et choix des priorités

Les priorités en santé publique doivent être défi-nies en fonction de différents facteurs, parexemple la prévalence et la gravité des mala-dies, leur évolution dans le temps, leurs éven-tuelles disparités (géographiques, sociales...). Le

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

11

sociales et psychiques. Ainsi, l’asthme chez lesenfants présente de graves perturbations auxniveaux scolaire et familial. Le saturnisme et lesaffections du système nerveux central ont desconséquences graves et à long terme sur le planneuro-psychique et, de ce fait, également sur leplan professionnel et social.

Les stratégies applicables sur le plan sanitairediffèrent selon l’état actuel des connaissances.Lorsque les facteurs causaux sont bien identifiés(comme pour le saturnisme), une priorité abso-lue doit être donnée à la prévention primaire,tout particulièrement si la maladie est incurable.Or, le plus souvent, les stratégies de préventionprimaire sortent largement des marges d’actiondu secteur sanitaire proprement dit. Par contre,lorsqu’il existe des traitements efficaces, ladétection précoce voire parfois le dépistage sys-tématique doivent compléter la prévention pri-maire, ou s’y substituer lorsque les connaissancesne permettent pas d’envisager de telles mesures.Il s’agit alors d’augmenter la sensibilité et lescompétences des soignants, et de les amener àintégrer des démarches dépassant les activitéscuratives auxquelles ils sont traditionnellementformés.

En conclusion, nous avons trouvé beaucoup d’in-térêt et même de plaisir dans la réalisation de cetravail. Nous espérons avoir fait oeuvre utile autravers de la construction d’un petit pan desavoir intégré pluridisciplinaire, et de la ren-contre d’un ensemble d’acteurs compétents etouverts au dialogue. Nous espérons aussi que cene sera là qu’un point de départ, et le débutd’une collaboration. La brève synthèse que nous

vous avons présentée montre bien à quel pointle domaine «environnement et santé» reste àinvestiguer, tant au niveau de la recherche fon-damentale que de la recherche stratégique etopérationnelle.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

12

Tableau 1. Perception de l’environnement et desproblèmes préoccupants à Bruxelles (sondage Dimarso, 1998)

Pollution de l’air 38%Manque de propreté 24%Nuisances sonores 13%Déchets 12%Disparition de la faune et de la flore 7%Pollution du sol 3%Pollution de l’eau 2%Sans réponse 1%Total 100%

Si on approfondit la question de la qualité del’air auprès de ces mêmes Bruxellois, on voitqu’ils attribuent la pollution atmosphériqueprincipalement à la circulation routière (75 %des réponses 1). Quand on compare ces opinionsaux chiffres objectifs mesurés2, on voit effective-ment que les émissions de benzène dans l’airsont dues aux automobiles à hauteur de 82 %(contre 14 % à l’industrie, le tabac n’apparais-sant même pas). Par contre, quand on examineles sources d’exposition des personnes au benzè-ne, les chiffres sont très différents : 45% revien-nent au tabac, 34 % à l’industrie et seulement

Quand on situe la réflexion sur la relation santé-environnement au niveau du cadre de vie, onconstate qu’une série de facteurs conditionnentla santé. Certains font partie du cadre de vie trèsproche, comme le logement, le travail, les loisirs,les déplacements, les lieux de divertissement, letype de quartier où l’on habite, l’alimentation.D’autres facteurs font partie d’un cadre plus lar-ge : le caractère urbain du lieu d’habitation, laprésence d’entreprises, la mixité des fonctions,l’accès à des espaces verts... Le milieu est un espa-ce fini, limité : nous n’avons pas d’espace de ré-serve, il n’y a qu’une Terre. Il s’agit aussi d’un sys-tème dynamique : la modification d’un des élé-ments affecte l’ensemble du système et, in fine, laqualité de la vie et l’état de santé. Si on adopte la même approche à propos del’environnement, on parlera de la qualité del’air, de la qualité des eaux et du sol, des nui-sances sonores, des ressources, de la biodiversité,et, à un deuxième niveau, de la production desdéchets issus de l’activité humaine.

Que disent les Bruxellois lorsqu’on les interrogesur leur perception des problèmes environne-mentaux ? En 1998, c’est la pollution de l’air quiest en première position (tableau 1). Il fautnoter l’évolution de la sensibilité des gens : ainsi,en 1991, l’enquête «Habiter Bruxelles», réaliséepour préparer le Plan Régional de Dévelop-pement, plaçait les nuisances sonores en qua-trième position, et la propreté en tête.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

1.2. «Santé et Environnement» du point de vue environnemental

Dr Catherine BOULAND (Institut Bruxellois pour la Gestion de l’Environnement)

1. Sondage d’opinion sur la pollution de l’air à Bruxelles, réa-

lisé par Dimarso à l’initiative de l’IBGE, 1998.

2. W. Ott & J. W. Roberts, Everyday exposure to toxic pollu-

tants, Scientific American, Feb. 1998.

13

18 % à la circulation automobile. Cette différen-ce s’explique en partie par la répartition dutemps que l’on passe à l’intérieur et à l’extérieur(tableau 2).

Tableau 2. Estimation du temps passé par unadulte à l’intérieur2

Au domicile 62%A l’intérieur, hors du domicile 25%A l’extérieur 5%En déplacement, à l’extérieur 1%En déplacement, à l’intérieur 1%

Prenons un deuxième exemple : la perceptiondes nuisances sonores. La consultation publiqueréalisée en 1999, en vue du Plan régional delutte contre le bruit, situe celui-ci en deuxièmeposition des préoccupations des Bruxellois, avec24 %, juste derrière la pollution de l’air (25 %).Quant aux sources de bruit, les gens citentcomme première cause de gêne (65 %) le traficroutier, ferroviaire et aérien3. Si l’on refaisait cegenre d’enquête aujourd’hui, je suis sûrequ’avec ce qui se passe dans la presse, le bruitdes avions arriverait en première position...

Pour parler de l’exposition à l’environnement,j’utiliserai des mots un peu différents de ceux deMichel Roland. Nous avons affaire à une exposi-tion multidimensionnelle, qui va conditionner laqualité de la vie et entraîner des réponses indi-viduelles non standardisées.

3. Les nuisances acoustiques en Région bruxelloise, enquête

réalisée par Inter-Environnement Bruxelles à l’initiative de

l’IBGE, 1996.

Tableau 3. Exposition multidimensionnelle :ensemble de paramètres

• Facteurs endogènes (sensibilité individuel-le, p. ex.) ou exogènes

• Exposition volontaire (hausser le volumede son baladeur, p. ex.) ou involontaire

• Présence d’un grand nombre de facteurset de substances, d’origine chimique oubiologique

• à des doses et des concentrationsvariables (souvent très faibles)

• susceptibles d’interagir (que l’interactionprenne la forme d’une synergie, d’uncumul, ou induise un effet protecteur)

• avec des temps d’exposition et d’actionvariables

• avec des effets variables• induisant des craintes qui peuvent être

très importantes

La raison d’être d’un interface santé-environne-ment, du point de vue des environnementa-listes, est de soutenir, orienter et développer desactions dans le cadre de la protection de l’envi-ronnement, afin d’améliorer la santé de lapopulation. Nous en sommes à la première étape de ce tra-vail, c’est-à-dire l’identification des acteursconcernés. A ce propos, je tiens à remercier lesorateurs et toutes les personnes présentes : vousfaites partie de cette première étape, qui consis-te à faire démarrer des partenariats, deséchanges entre des mondes qui sont parfois trèsdifférents.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

14

Par la suite, nous envisageons de croiser desdonnées sur l’état de santé et sur l’environne-ment, puis d’identifier ou de continuer à identi-fier finement des liens causaux, de façon à sou-tenir des actions spécifiques sur la qualité del’environnement.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

15

Le projet Sandrine a été mis sur pied par Inter-Environnement Wallonie et la Société Scien-tifique de Médecine Générale. Il a commencé en1998, et est actuellement dans sa deuxièmephase. La première phase consistait à sensibiliserun large public, mais aussi les médecins généra-listes, aux pollutions à l’intérieur des habitations(indoor). Nous nous sommes rendu compte qu’àtravers ces deux types d’acteurs, on parvenait àamorcer des mécanismes intéressants en matièrede prévention. Comme on l’a déjà dit ce matin,le généraliste est un scientifique de proximité;comme il se rend à l’intérieur des habitations, ila la possibilité de prévenir une série de risqueset de favoriser des comportements préventifs.De même pour l’architecte : s’il a conscience desproblèmes d’indoor pollution, il pourra évitertoute une série d’écueils dans le choix des maté-riaux ou dans la conception même du bâtiment.

Au terme de cette première phase, nous noussommes dit que la sensibilisation ne suffisaitplus, qu’il fallait proposer un outil pour agir surce type de pollution. Comment donner la possi-bilité de faire des analyses à domicile, quand onse trouve confronté à un patient qui développedes symptômes apparemment liés aux condi-tions intérieures de l’habitat ? Nous sommesdonc arrivés au concept de l’«ambulance verte»,ou plus précisément «système d’analyse desmilieux intérieurs». Plutôt qu’une mesure d’ur-gence — ce que peut laisser croire le termed’ambulance verte —, il s’agit en effet d’une

mesure de prévention secondaire, qui permetégalement de développer des messages de pré-vention primaire.

Il fallait se concerter avec des gens qui tra-vaillaient sur ce concept depuis de nombreusesannées. C’est pourquoi nous avons fait appel auDr Wampach, du Grand-Duché de Luxembourg,qui interviendra après moi, et au Dr Lorenz, res-ponsable d’un service d’ambulances vertes enAllemagne. Il était intéressant, notamment, devoir comment ce dernier était parvenu àconvaincre les mutualités de participer au finan-cement de son service, qui est privé. Nous ont également rejoints Mme Nolard, del’Institut Scientifique de Santé Publique — quiinterviendra cet après-midi —, et EspaceEnvironnement, déjà partenaire de la premièrephase, dont la permanence téléphoniquerépond aux questions concernant le choix dematériaux respectueux de l’environnement etde la santé.

On m’a demandé de parler des perceptions qu’ale public du risque «santé-environnement». Toutd’abord, une petite mise au point. Les scienti-fiques partent d’un danger multiplié par un fac-teur d’exposition, ce qui définit le risque. Pourdéterminer l’acceptabilité scientifique de celui-ci, on va le comparer à d’autres risques du mêmetype. Mais la population appréhende les chosesde manière très différente. Le risque est définipar des facteurs dont certains sont moins objec-

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

1.3. «Ambulance verte» : le projet Sandrine

M. Jean MAERTENS (Inter-Environnement Wallonie)

16

de la Région Wallonne qui prend en comptecette émotion du public.

Dans le tableau 1, j’ai essayé de comparer lesOEM et le radon. Cette comparaison est révéla-trice de certains mécanismes qui agissent sur laperception du public. Il sera très difficile deconvaincre des personnes fortement exposéesau radon d’adopter des mesures de remédiation,alors que les OEM, qui ne représentent qu’undanger potentiel, suscitent une angoisse assezgénérale.

Comment appréhender les incertitudes trèsnombreuses dans le domaine santé-environne-ment? Des partenaires français du projetSandrine ont tenté de représenter de manièrevisuelle la diversité des opinions parmi les scien-tifiques (graphique 1).

tifs, et il est comparé à d’autres risques de la viequotidienne; c’est cela qui détermine son accep-tabilité sociale.

Il est intéressant de comparer deux types derisques que l’on subit à l’intérieur des habita-tions : ceux qui sont liés aux ondes électro-magnétiques (OEM) et au radon, un gaz radio-actif dont la responsabilité est incriminée, à unecertaine concentration, dans des cancers du pou-mon. Quant aux OEM, il n’y a pas de certitudescientifique à propos de leur impact sur l’êtrehumain, même si une série de signes montrentdes problèmes, à partir d’une certaine densitéde puissance, sur des cellules, des embryons oudes animaux de laboratoire. Or, la perceptionqu’en a le public est fondamentalement diffé-rente, comme en témoignent notamment lenombre d’articles de presse, ou un récent arrêté

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

Tableau 1

Exposition aux OEM Radon

Invisibles - inodores - indécelables sans moyens techniques

Conséquences de l’activité humaine Phénomène naturel

Gros intérêts financiers en jeu Peu d’aspects financiers en jeu

Exposition croissante et involontaire Exposition constante

Emotion associée au couple enfant-cancer Absence d’émotion malgré la référence au cancer

Données scientifiques très complexes Données scientifiques avérées et relativement simples

17

Graphique 1

Représentation des réponses obtenues à l’affir-mation : «Chez certaines personnes, une am-biance électromagnétique trop intense peutprovoquer des maux de têtes».

Pour conclure : les émotions varient sensible-ment en fonction du polluant, et les incertitudesrestent nombreuses. Nous estimons que l’infor-mation doit recevoir la priorité. Dans quel sensfaudrait-il aller ? On constate souvent que l’in-formation vise à rassurer la population. Il seraitimportant de sensibiliser particulièrement lepublic aux sujets qui suscitent peu d’alarme,mais aussi d’écouter les émois du public et detenir compte des sujets qui le préoccupent leplus.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

E E E E E E E E E E E9 1 10 3 2 12 4 11 7 6 5

E E E E E E E E E E E9 1 10 3 2 12 4 11 7 6 5

Absolument vrai

Franchement vrai

Assez vrai

Plutôt vrai

Un peu vrai

Ni vrai ni faux

Un peu faux

Plutôt faux

Assez faux

Franchement faux

Absolument faux

18

cale, mais aujourd’hui 30 % environ des visitessont demandées par le médecin traitant dupatient. Nous avons aussi adopté une démarchepréventive : lorsque des gens ont acheté dumobilier et qu’ils veulent savoir s’il y a un risquede dégagement de formaldéhyde, par exem-ple, ils peuvent faire appel à nous. Lorsqu’il y a un risque, nous donnons des conseils pourtraiter le mobilier afin de réduire les émana-tions.

Les frais de fonctionnement du service attei-gnent environ 350.000 francs par an, pour 450visites. 97 % des visites ont des raisons sani-taires : les gens ont des problèmes de santéqu’ils croient liés à la présence d’une substancetoxique dans l’habitat, ou bien ils craignent d’enavoir. Les 3 % qui restent ont une raison juri-dique. Par exemple, on a acheté un mobilier quisent mauvais, et on voudrait vérifier s’il y a éma-nation de gaz, pour obliger le fournisseur àreprendre ce mobilier.

Quels sont les symptômes les plus fréquents ? Ilssont généralement récidivants et aspécifiques(c’est-à-dire qu’ils peuvent être causés par unemultitude de facteurs) : dépression, altérationdu système immunitaire, douleurs musculaires,migraines, toux chronique, écoulement nasalcontinu, etc. Face à des gens qui sont fatigués,qui dorment mal, qui ont des allergies, desasthmes bronchiques — tous symptômes quel’on rencontre en médecine générale —, s’il n’y

Je pense qu’il est intéressant de parler de notreexpérience, qui a commencé en 1994, plutôt quede présenter différents toxiques et leurs effetssur la santé. Situons d’abord l’ambulance verteau sein du Ministère de la Santé : elle appartientau Service de la Médecine de l’Environnement,qui est rattaché à la Division de l’Inspection sani-taire, une des cinq divisions de la Direction de laSanté. L’Inspection sanitaire s’occupe de l’hygiè-ne alimentaire collective, des maladies transmis-sibles ainsi que de l’hygiène du milieu, donc dela santé publique. La Médecine de l’Environ-nement, par contre, s’occupe de la santé desparticuliers, en détectant les nuisances à l’inté-rieur des habitations privées.

Il y a cinq ans, nous avons suivi l’exemple desambulances vertes allemandes. En Allemagne, leservice est partiellement remboursé par lesmutuelles, alors qu’au Grand-Duché il est entiè-rement gratuit. Le Ministre de la Santé a déblo-qué l’argent nécessaire, ce qui s’est révélé assezfacile puisque les élections législatives étaientproches. Au début, les analyses étaient envoyéesà l’étranger, mais le Laboratoire national de laSanté s’est maintenant équipé pour effectuerl’analyse et l’interprétation des prélèvements —sauf en ce qui concerne les moisissures, qui sontenvoyées à l’Institut Scientifique de SantéPublique, chez Mme Nolard.

Comment fonctionne le service ? Au début, nousne faisions les visites que sur ordonnance médi-

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

1.4. «Ambulance verte» : l’expérience luxembourgeoise

Dr Joseph WAMPACH (Ministère de la Santé, Grand-Duché de Luxembourg)

19

a pas de cause organique, on peut penser à descauses environnementales.

On peut rechercher beaucoup de choses à l’inté-rieur des habitations, mais nous nous sommeslimités à la détection des substances nocivesdont l’effet sur la santé est bien connu et pourlesquels on peut proposer une alternative ou untraitement pour limiter les émanations. Nousrecherchons le formaldéhyde, le pentachloro-phénol (PCP) et tous les autres insecticides utili-sés pour traiter le bois et le cuir, les pyréthroïdespour le traitement des moquettes et des tapis,les solvants, les moisissures, les acariens, leradon, les nuisances sonores et, seulement à lademande expresse des gens, les ondes électro-magnétiques.

Quels sont les résultats ? Les statistiques pour lePCP montrent une évolution bien claire (gra-phique 1).

Graphique 1.

On peut voir qu’en 1996, sur 80 analyses, près dela moitié donnaient un résultat positif, c’est-à-dire une concentration supérieure à 5 mg de PCPpar kilo de matériel. Le nombre des analyses alégèrement diminué pendant les deux annéessuivantes, et il a encore diminué en 1999 : unecinquantaine pour 450 visites.

Il est encore plus étonnant de constater que,toujours en 1999, le nombre de cas positifs a for-tement baissé par rapport aux années précé-dentes. Quelle peut être l’explication de ce phé-nomène ? Je pense qu’au début le problème duPCP était bien connu dans la population et queles gens voulaient savoir ce qu’il en était, tandisqu’aujourd’hui ce produit est interdit auLuxembourg — comme en Belgique, je crois.Pour les autres substances, on peut se reporterau graphique 2. Au total, je peux dire que,chaque année, l’analyse est positive pour aumoins une de ces substances dans environ 85 %des cas.

Graphique 2.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

90

80

70

60

50

40

30

20

10

0

70

60

50

40

30

20

10

0PCP tot PCP pos

1998 1997

20

Quels problèmes avons-nous rencontrés ? Celuidont je me souviens le mieux, c’est qu’on igno-rait si les toxiques avaient vraiment un effet surl’état de santé, ou si c’était essentiellement uneopinion courante parmi le public. Mais il n’y apas eu de surprise de ce genre : de nombreux casd’amélioration de la santé ont été relevés suiteaux mesures d’assainissement que nous avonsrecommandées. Les symptômes ne sont pas gra-vissimes, il ne s’agit pas de risque de cancer, parexemple, mais la qualité de la vie est sensible-ment diminuée dans la majorité des cas.

Une autre difficulté, c’est que nous n’avons pastoujours de feedback de la part des gens, aprèsl’assainissement, mais nous avons souvent deséchos indirects, par le cousin, la voisine, etc.Nous voudrions également réorganiser le servi-ce : pour le moment, je fais un peu tout moi-même, et nous allons essayer que le Laboratoirenational prenne en charge l’échantillonnage etles analyses, de façon à ce que le médecin puis-se s’occuper de façon encore plus approfondiedes relations entre maladies et polluants.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

21BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

ser aux gens d’acheter du mobilier en bois plein,parce que c’est trop cher. Là où intervient unaspect préventif, c’est quand les gens nousappellent avant d’avoir un problème de santé :ils demandent d’analyser le mobilier qu’ils vien-nent d’acheter.

M. Jean MAERTENS :

Il y a aussi un travail au niveau des normes deproduits : quand on se rend compte que lesnormes E1 ne suffisent pas, par exemple, jepense que le Dr Wampach informe les autoritéscompétentes pour que l’on intervienne enamont du problème.

Mme Marie-Noëlle ABSOLONNE (Haute EcoleSupérieure d’Infirmiers) :

Lorsque quelqu’un veut acheter ou louer unbien, existe-t-il des experts qui puissent lui indi-quer des critères de qualité en matière de loge-ment, d’environnement...?

Dr Robert BONTEMPS :

Si j’ai bien compris, il s’agit d’intersectorialité.Divers partenaires, divers experts sont doncconcernés. Aucun expert ne représente à lui seull’ensemble et la complexité de tous les détermi-nants. Le médecin généraliste, qui est en pre-mière ligne, devrait pouvoir consulter divers par-tenaires en fonction des questions qui se posent.

Une participante :

Je m’adresse au Dr Wampach. Les interventionsqui suivent les analyses sont-elles prises en char-ge financièrement par l’Etat?

Dr Joseph WAMPACH :

L’Etat n’intervient pas dans les frais liés à l’assai-nissement. Mais il est très rare de devoir éliminerdu mobilier, par exemple. Pour des meubles enpanneaux de particules, comme on en trouvepresque partout, il suffit souvent de traiter avecun vernis spécial pour fermer les pores sur lesendroits de coupure. On ferme également lestrous qui sont pratiqués dans les parois latéralesdes meubles pour varier la hauteur des étagères.Dès lors, il n’y a plus d’émanations.

M. Jean-Paul WOUTERS (Cabinet de M. Delathouwer, Secrétaire d’Etat) :

Vous disposez maintenant d’une expérience quidépasse 1.000 cas. Je m’interroge sur ce quevous avez pu mettre en oeuvre pour dépasser lestade curatif et aborder le stade préventif.

Dr Joseph WAMPACH :

Il est très difficile de travailler préventivement,au niveau des fabricants de mobilier, parexemple. Même quand on respecte la norme E1,il y a un dégagement de formaldéhyde avec desmeubles en panneaux. Et on ne peut pas impo-

1.5. Echanges avec l’assemblée

22BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

Mme Catherine WATHIEZ (Pesticide ActionNetwork) :

Je voudrais demander au Dr Wampach si, enmatière de pesticides, à part le PCP et lespyréthroïdes, il fait d’autres mesures. Deuxièmequestion : Jean Maertens a parlé d’interventionsau niveau des normes de produits au Luxem-bourg. Je voudrais savoir quelles ont été cesinterventions, et quels en ont été les résultats.

Dr Joseph WAMPACH :

Outre le PCP, nous recherchons systématique-ment le lindane, la chlorotalonine et le dichlo-fuanide. Les pyréthroïdes recherchés sont la per-méthrine, la deltaméthrine et la cyperméthrine.Ce sont les pesticides les plus utilisés. Au début,nous ne nous occupions que du PCP, mais depuisl’interdiction les cas ont fortement diminué, etd’autres produits ont été utilisés, comme ledichlofuanide. Le problème, c’est que l’on con-naît mal les effets du dichlofluanide. Tous les sys-tèmes d’ambulance verte rencontrent le mêmeproblème : on travaille toujours avec dix ans deretard. Il faut toujours du temps pour établirclairement un lien entre toxique et maladie et,quand ce lien est établi et le produit interdit,l’industrie en sort un nouveau. On court tou-jours derrière... Quant à votre deuxième ques-tion, quand le PCP a été interdit en 1994, c’étaitsuite à une directive européenne. De temps entemps, on nous demande si tel ou tel produit nepose pas de problème mais, avec 450 visites paran, nous avons du mal à avoir des chiffres statis-tiquement significatifs. Il est donc délicat pournous de conseiller l’interdiction d’un produit.

Une participante (Habitat EnvironnementSanté) :

J’aimerais savoir si vous avez fait un cataloguedes substances dont vous avez parlé aujourd’hui.Si oui, est-ce à la portée de Monsieur et MadameTout-le-Monde ? En Allemagne, il y a quelquesannées, une association avait publié un tel cata-logue, facilement consultable par la plupart desconsommateurs.

Dr Joseph WAMPACH :

Non, nous n’avons pas réalisé de catalogue. Il nefaut pas oublier que nous sommes un servicepublic; nous ne pouvons pas nous permettre dedécrier tel produit et donc telle firme. Mais ilexiste des organisations non-gouvernementalesqui établissent des listes de ce genre.

Prof. Alfred BERNARD (Ecole de Santé publique,UCL) :

Je voudrais poser une question à M. Wampach.Vous parlez de résultats positifs dans l’évalua-tion d’un lien de causalité avec une affection. Ilest important de savoir si la cause se situe dansle matériau ou dans l’air. Si c’est dans l’air, avez-vous étudié vos données en relation avec lesnormes de qualité de l’air qui sont proposées ?Je pense au formaldéhyde, pour lequel on pro-pose une norme de qualité sur une période de70 ans, 24 heures par jour. Y a-t-il des cas oùcette norme est dépassée ? On pourrait alorsimaginer un lien de causalité avec l’affection.

Dr Joseph WAMPACH :

Il existe des normes pour le formaldéhyde dansl’air ambiant, mais elles ne sont pas légales, offi-cielles. L’Allemagne a fixé une norme de0,1 ppm. Si je trouve 0,1 ppm dans l’air ambiantde la chambre d’un bébé, je peux être sûr qu’il ya un lien de causalité franche et nette entrecette concentration et l’état de santé de l’en-fant. Avec l’expérience accumulée pendant cescinq dernières années, nous avons établi notrepropre norme, tout à fait officieuse, à 0,025ppm. Pourquoi ? Parce qu’en dessous de cettevaleur, on n’a jamais aucun problème de santé,tandis qu’au-dessus, surtout chez les enfants enbas âge, des problèmes peuvent se présenter, auniveau ORL notamment. Chez les adultes, jepense qu’il faut intervenir à partir de 0,05 ppm.Pour moi, le lien est clair entre la santé et la pré-sence de cette substance dans l’air ambiant. Jepense à un jeune enfant : il avait tout le tempsle nez qui coulait, avec des otites moyennes àrépétition; en neuf mois, on avait essayé quatreou cinq antibiotiques différents. Il avait unechambre toute neuve, c’était le premier enfantde la famille. On a trouvé des concentrations deformaldéhyde qui dépassaient 0,1 ppm. Commec’était assez grave, j’ai fait enlever tout le mobi-lier et, au bout de trois semaines, le bébé n’avaitplus rien.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

23

24

quent dans la ville chinoise de Shangaï que dansle Sud de l’Irlande. On pourrait penser que ces différences géogra-phiques sont dues à des différences génétiquesentre les différentes ethnies qui peuplent cesrégions. Ce n’est pas le cas. Lorsque des Chinoisou des Japonais émigrent — par exemple sur laCôte Ouest des Etats-Unis —, au fil du temps ilsse rapprochent peu à peu du schéma d’inciden-ce du cancer propre à la région où ils se sontimplantés. Ces différences géographiques sontdonc dues à des différences d’exposition.Mais il n’y a pas que des différences dans l’espa-ce, il y a aussi des différences dans le temps. Lafigure 1 (p. 24) donne une idée du risque de can-cer pour plusieurs cohortes de naissance succes-sives entre 1878 et 1954 (ces données provien-nent du Registre suédois du cancer) : comme onle voit, la tendance est à la hausse. Cette aug-mentation vaut non seulement pour tous lescancers, mais aussi lorsqu’on limite la comparai-son aux types de cancers qui ne peuvent pasnécessairement être mis en relation avec letabac. La consommation de tabac n’est donc passeule responsable de la croissance importantedu risque de cancer que nous avons connue aucours du 20e siècle.

Quand je parle d’environnement et de santé, ils’agit essentiellement du cancer, d’abord parceque c’est ce que je connais le mieux, ensuiteparce que le cancer est une pathologie trèsimportante. Il n’existe pas de chiffres fiablespour la Belgique mais, aux Etats-Unis, le risquede développer un cancer au cours de la vie estlégèrement supérieur à 43 % chez un homme, età 39 % chez une femme. Premier point de cet exposé : à âge constant(pour un même âge), une grande partie des can-cers — environ 80 % — sont dus à des facteursexternes. Cela ressort de données expérimen-tales et aussi épidémiologiques. Parmi ces der-nières, considérons d’abord la géographie ducancer : pour chaque type de cancer, de trèsgrandes différences apparaissent, en termesd’incidence ou de mortalité, entre différentesrégions du monde. Le tableau 1 reprend deschiffres de l’International Agency for Researchon Cancer. Dans cette liste, on va du facteur 5,1au facteur 404 entre la région où l’incidence estla plus basse et celle où l’incidence est la plushaute. Les incidences élevées n’apparaissent pastoujours dans les pays occidentaux, ni les inci-dences faibles dans les pays en voie de dévelop-pement : le cancer du foie est 404 fois plus fré-

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

2. Les toxiques de l’environnement et la santéSession présidée par M. Daniel PETIT

(Laboratoire intercommunal de Chimie et de Bactériologie, Ville de Bruxelles)

2.1. Cancer et toxiquesProf. Nick VAN LAREBEKE (Rijksuniversiteit Gent)

25BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

Tableau 1. «Cumulative incidence rate» de 0 à 74 ans pour différents types de cancer, 1978-1982 (d’aprèsMuir et al., 1987)

Type (sexe) Région de basse incidence* Région de haute incidence Rapport haut/bas

Oesophage (M) 0,09 Hongrie, Szabolcs 4,56 France, Calvados rural 50,6Estomac (M) 0,71 USA, Utah 9,98 Japon, Nagasaki 14,1Côlon (M) 0,20 Inde, Bengale 4,25 Hawaï (Japonais) 21,2Côlon (M) 0,47 Pologne, Nowy Sacz 4,25 Hawaï (Japonais) 9,0Rectum (M) 0,17 Martinique 2,77 Allemagne, Saarland 16,3Foie (M) 0,01 Irlande du Sud 4,04 Chine, Shangaï 404,0Voies biliaires (F) 0,02 Inde, Madras 1,39 Nouveau-Mexique (Indiens) 69,5Voies biliaires (F) 0,1 Nord de l’Ecosse 1,39 Nouveau-Mexique (Indiens) 13,9Pancréas (M) 0,09 Inde, Bengale 2,06 USA, Alameda (Noirs) 22,9Pancréas (M) 0,36 Espagne, Taragone 2,06 USA, Alameda (Noirs) 5,7Poumons (M) 0,81 Inde, Bengale 13,98 USA, Nouvelle-Orléans (Noirs) 17,3Poumons (M) 1,46 Martinique 13,98 USA, Nouvelle-Orléans (Noirs) 9,6Poumons (M) 2,76 Israël

(Juifs nés en Israël) 13,98 USA, Nouvelle-Orléans (Noirs) 5,1Sein (F) 1,47 Israël (non-Juifs) 10,87 Hawaï (Hawaïens) 7,4Sein (F) 1,87 Japon, Miyagi rural 0,87 Hawaï (Hawaïens) 5,8Col de l’utérus (F) 0,27 Israël (non-Juifs) 7,67 Brésil, Recife 28,4Utérus (F) 0,12 Inde, Nagpur 3,28 USA, Bay Area (Blancs) 27,3Utérus (F) 0,24 Japon, Miyagi rural 3,28 USA, Bay Area (Blancs) 13,7Ovaire (F) 0,42 Martinique 1,73 Suède 4,1Prostate (M) 0,1 Chine, Tianjin 11,38 USA, Atlanta (Noirs) 113,8Prostate (M) 0,50 Japon, Osaka 11,38 USA, Atlanta (Noirs) 22,8Testicules (M) 0,01 USA,

Connecticut (Noirs) 0,62 Danemark 62,0Pénis (M) 0,00 Israël

(Juifs nés en Israël) 0,76 Brésil, Recife > 100Vessie (M) 0,21 Inde, Nagpur 3,23 Italie, Varese 15,4Vessie (M) 0,54 Martinique 3,23 Italie, Varese 6,0Cerveau (F) 0,01 Inde, Nagpur 1,20 Israël (Juifs nés en Israël) 120,0Cerveau (F) 0,11 Japon, Miyagi rural 1,20 Israël (Juifs nés en Israël) 10,9

* Lorsque la région à l’incidence la plus basse appartient au Tiers-Monde, on a fait une comparaison avec une région de basse

incidence où les soins médicaux ont un niveau relativement élevé.

26BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

Figure 1. «Cancer incidence in Sweden for 10 year birth cohorts» (Adami et al., 1993)

Ce risque croissant de cancer ne se retrouved’ailleurs pas que chez les adultes, mais aussichez les enfants. Cela ne s’explique certaine-ment pas par des artefacts au niveau du dia-gnostic : le diagnostic du cancer chez l’enfant estassez évident et, dans de nombreux cas, il peutmalheureusement être confirmé de manière trèssimple par le pronostic.

Deuxième point de mon exposé : la rechercheexpérimentale en biologie cellulaire a démontréque le cancer est essentiellement dû à une accu-mulation de mutations. Quelle est l’implicationde cette découverte ? Supposons que, dans unecellule donnée, six gènes doivent faire l’objet

d’une mutation pour donner lieu à la transfor-mation tumorale de la cellule. Nous postulonsque la fréquence avec laquelle des mutations seproduisent est de 1 sur 105, soit 1 sur 100.000 pargène et par génération cellulaire. Ce ne sont pasdes chiffres réalistes, mais peu importe : il nes’agit que d’un modèle. Quel est le risque quecette cellule devienne cancéreuse ? Ce risque estobtenu en multipliant 1 sur 100.000 par 1 sur100.000 par 1 sur 100.000, etc. — car une muta-tion ne suffit pas, les six gènes doivent muter. Lerésultat est égal à 1 sur 1030. C’est un très petitnombre.

Si nous doublons le risque qu’un gène soit l’ob-jet d’une mutation, qu’en est-il du risque de can-cer ? On pourrait s’attendre à ce qu’il doubleaussi. Mais il n’en est rien, car le risque de cancerest obtenu par la multiplication des facteurs, quiest maintenant de 2 sur 100.000 x 2 sur 100.000,etc. Le produit de cette multiplication n’est pas2 x 10-30 mais 64 x 10-30.

Une faible augmentation de l’incidence desmutations dans nos gènes donne donc lieu à uneforte augmentation de l’incidence du cancer.Qui plus est, chaque dose d’un agent mutagèneest nuisible. Une dose inoffensive de mutagènen’existe pas, parce que l’effet mutagène del’agent 1 doit être ajouté à l’effet mutagène del’agent 2, etc., et que nous sommes tous exposésà des milliers d’agents mutagènes. Une partie deceux-ci est créée normalement par le métabolis-me de notre corps, mais une autre partie est dueà l’exposition à la pollution environnementale,agissant pour une large part à travers l’alimen-tation.

2,82,62,42,2

21,81,61,41,2

10,8

1870 1880 1890 1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960Year of birth

Women : all cancersWomen : all except smoking-relatedMen : all cancersMen : all except smoking-related

27

Non seulement les mutations sont dangereuses,mais les substances épigénétiques (qui influen-cent l’expression du matériel génétique) peu-vent l’être aussi, et en particulier celles qui selient à des récepteurs. Voyons la figure 2 :

• A gauche, nous avons une cellule normale,disons une cellule de glande mammaire,influencée par un œstrogène à dose naturellefaible. Cet œstrogène, produit par le corps,donne une stimulation qui n’est pas suffisam-ment forte pour transformer véritablement lacellule et la préparer à une division cellulaire.

• Au milieu, nous avons cellule de glande mam-maire d’une femme enceinte, exposée à unegrande concentration d’hormones naturelles.Cette concentration provoque une forte sti-mulation des récepteurs situés dans la cellule,qui va se dédifférencier et se préparer à ladivision cellulaire.

• A droite, une cellule de glande mammaire estexposée à une faible concentration d’hor-mones naturelles, à une faible concentration

de l’un ou l’autre pesticide à action œstrogé-nique, et à une faible concentration de l’unou l’autre composant plastique à actionœstrogénique. Mais la cellule ne peut pasfaire la différence; elle réagit comme si elleétait exposée à une concentration importanted’hormones naturelles et se prépare à la divi-sion cellulaire.

Autrement dit, bien que ces polluants, pris sépa-rément, soient présents en très faibles concen-trations, leur effet s’ajoute à celui d’hormonescorporelles préexistantes et à celui d’autres pol-luants qui, chimiquement, peuvent être d’unetout autre espèce.

Le fait que de si faibles concentrations puissenteffectivement avoir un impact sur la santé res-sort de plusieurs études néerlandaises sur leseffets périnataux des PCB et des dioxines. Sansentrer dans les détails, disons que trois groupesde recherche ont fait des études sur des femmessaines qui ont accouché de bébés en bonnesanté. On a mesuré les PCB et parfois les dioxines(dans le sang ou le lait ou le sang ombilical), etclassé les femmes en fonction d’une charge cor-porelle de dioxines et de PCB. Et on a vu des dif-férences de poids chez les nouveau-nés, voiremême des différences au niveau des prestationsintellectuelles à 42 mois. Donc, des bébés expo-sés in utero à de plus fortes concentrations desubstances comportant des dioxines, peuventavoir des performances intellectuelles un peumoins bonnes à 42 mois.

Comment se fait-il que nous tous — l’establish-ment économique et politique, mais aussi scien-

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

28

un homme sont tous deux exposés à un milli-gramme de quelque chose par litre de sang,l’homme doit le supporter 70 ans, et l’animal delaboratoire seulement 2 ans. Cela donne égale-ment lieu à une sous-estimation qui peut êtreimportante.

Enfin, nos études épidémiologiques manquentsouvent de groupes de contrôle adéquats (ceque j’appelle negative confounding). Lorsqu’onétudie, chez des ouvriers d’une usine atomique,l’activité inductrice de leucémie de la radioacti-vité à laquelle ils sont peut-être exposés, oncompare ces ouvriers à la population générale.Mais, dans cette population générale, certainsgroupes sont plus exposés au benzène que cesouvriers de l’industrie atomique. Or le benzènea également un effet inducteur de leucémie.C’est ainsi — je simplifie évidemment un peu —que nous arrivons à un negative confounding.

Pour terminer, je voudrais dire que si l’on veutréduire l’incidence élevée et croissante du can-cer et de plusieurs autres maladies de civilisa-tion, il faut introduire une hygiène physico-chi-mique. Pourquoi ? Parce que le nombre d’agentsnuisibles pour la santé est très élevé, que lesincertitudes lors des analyses comparatives desrisques sont nombreuses et élevées (elles sontfacilement d’un ordre de grandeur de 10.000),et que nous sommes exposés, par l’intermédiai-re de l’environnement, à de nombreux mélangescomplexes au sein desquels de nombreusesinteractions synergiques se produisent. A monavis, la seule stratégie possible consiste donc àintroduire une sorte d’hygiène physico-chimique— tout comme, il y a cent ans, nous avons intro-

tifique — sous-estimions les effets de tels fac-teurs ? Premièrement, la plupart des carcino-gènes ne sont pas identifiés. Je ne parle pas seu-lement de l’identification prouvée, mais du faitque la plupart des carcinogènes auxquels noussommes exposés ne sont pas identifiés commetels.

Deuxièmement, l’exposition à des facteurs envi-ronnementaux se fait principalement par le biaisde l’alimentation. Naturellement, en Belgique,nous savons bien que nous tenons nos dioxinesdes poulets, des œufs, du lait, etc. Mais c’est vraiaussi des hydrocarbures polycycliques aroma-tiques (HPA). La majeure partie des HPA quenous avons dans le corps proviennent de la pol-lution de l’air, par un dépôt sur les alimentsd’origine végétale qui sont ainsi transmis àl’homme.

Il faut noter aussi que de très faibles doses peu-vent avoir un effet cancérigène relatif (c’est-à-dire par unité de dose) plus grand que des dosesimportantes. Qui plus est, l’administration chro-nique d’un agent a un effet mutagène, et pro-bablement aussi cancérigène, plus importantqu’une exposition aiguë (et nous sommes évi-demment exposés à des facteurs environnemen-taux cancérigènes non pas de manière aiguë,mais chronique). Ainsi, par exemple, le tempspendant lequel on fume des cigarettes est plusimportant que le nombre de cigarettes que l’onfume par jour.

Il y a ensuite des problèmes avec l’extrapolationà l’homme : on ne tient pas suffisamment comp-te du fait que lorsqu’un animal de laboratoire et

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

29

duit l’hygiène anti-microbienne, qui a fait beau-coup plus que les antibiotiques pour nous proté-ger contre les maladies infectieuses.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

30

nue à peu près de la moitié, on va voir augmen-ter de manière importante le nombre de gensqui se trouvent loin de la moyenne dans leschiffres très bas de concentration de sperme, etqui vont donc avoir des problèmes de reproduc-tion.

Tableau 1

• Méta-analyse de 61 études

comprenant 14.947 hommes normauxétalés entre 1938 et 1990

• Diminution significative

du volume de l’éjaculat : 3.40 ml vs 2.75 mlde la concentration en spzs : 113M/ml vs 66 M/ml

Carlsen et al., Br. Med. J. 1992

Cette étude a été relue et analysée à de mul-tiples reprises, et elle a fait l’objet de nombreu-ses critiques. Cependant, d’autres auteurs ontmontré que, même si on modifie les modèlesstatistiques, les données restent relativementsolides. Je pense néanmoins qu’il faut considérerles biais de sélection : les études anciennes sontessentiellement nord-américaines (parce quec’est là que l’examen du sperme a débuté aucours de ce siècle), alors que les données plusrécentes sont surtout européennes. Or, il existe

2.2.1. La qualité du sperme s’altère-t-elle dansles pays développés ? Existe-t-il des facteursenvironnementaux responsables d’une diminu-tion de la fertilité masculine dans les pays déve-loppés ? Cette question illustre bien les difficul-tés méthodologiques que l’on peut rencontrer,auxquelles l’orateur précédent a fait allusion àla fin de son exposé.

On évalue la fertilité masculine sur la base del’examen du sperme depuis assez longtemps. Audébut des années 90, une publication reprend61 études totalisant l’analyse du sperme de15.000 hommes entre 1938 et 1990. A partir decette méta-analyse, les auteurs mettent en évi-dence une diminution tout à fait significativedes caractéristiques habituellement reliées à lafécondité masculine : le volume et la concentra-tion en spermatozoïdes par millilitre. Les diffé-rences sont importantes, puisqu’on assiste à uneévolution de la concentration en spermato-zoïdes qui passent de 113 à 66 millions de sper-matozoïdes par millilitre (tableau 1).

Vous me direz : puisqu’il n’en faut qu’un, il enreste toujours bien assez. Mais en pratique cen’est pas si simple : d’une part, il y a une énormeperte en cours de route, et donc la fécondité estliée à la concentration; d’autre part, les chiffresque j’ai donnés sont des moyennes. Donc, si onpostule que la distribution autour de cesmoyennes reste stable, quand la moyenne dimi-

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

2.2. Développer la médecine environnementale : l’exemple de la diminution dela qualité du sperme

Dr Yvon ENGLERT (Clinique de la Fertilité, Hôpital Erasme, ULB)

31

des variations entre les régions du monde(tableau 2).

Tableau 2

Variations géographiques importantes

Concentration en M/ml :

New York : 131.5Minnesota : 100.8Californie : 72.7(Fisch et al., Fertil. Steril. 1996)

Caen : 102Paris : 99Toulouse : 85(CECOS, Hum. Reprod. 1997)

Finlande : 140(Vierula et al., Int. J. Androl. 1996)

Seattle : 52(Paulsen et al.,1996)

Bruxelles : 74(Bazso et al., unpublished)

En 1995 paraît une autre publication fort inté-ressante (tableau 3) : d’une part, elle est réaliséeen un seul et même endroit (une banque desperme du sud de Paris); d’autre part, l’ensembledes paramètres (mode et conditions de recrute-ment des donneurs, méthodes d’analyse dusperme) sont restés très stables pendant la duréede l’étude. Cette étude française arrive à desrésultats concordants avec ceux de la méta-ana-

lyse. Sur la période, relativement courte àl’échelle humaine, qui va de 1973 à 1992, onassiste à une diminution de 2% par an de laconcentration de spermatozoïdes par millilitre;une diminution de 0,6% par an de la mobilité; etune diminution de 0,5% par an des formes nor-males. Ce sont trois caractéristiques classiques dela fécondité du sperme.

Tableau 3

Etude parisienne

1351 candidats donneurs entre 1973 et 1992CECOS de Bicêtre

Données corrigées pour l’âge et la durée d’abs-tinence

• Concentration 89 M/ml 60 M/ml 2.1%/an

• Mobilité 71% 60% 0.6%/an

• Formes normales 67% 57% 0.5%/an

Auger et al., New Engl. J. Med 1995

Plus intéressant : si on prend la proportion deshommes qui ont une concentration en sperma-tozoïdes inférieure à la limite généralementadmise pour considérer qu’il y aura des pro-blèmes de reproduction (20 millions), on voitque cette proportion augmente parallèlement àla diminution générale de la concentrationmoyenne.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

32

mément changé au cours des vingt dernièresannées : auparavant, à peine obtenait-on defaire un examen de sperme, c’était toujours lafemme qui était mise en cause. Beaucoupd’autres paramètres peuvent avoir changé, ren-dant notre perception des réalités du terraintrès différentes de l’évolution épidémiologiqueglobale.

2.2.2. Y a-t-il d’autres indicateurs concordantspour s’inquiéter de l’évolution de la fonction dereproduction masculine?

L’augmentation du cancer testiculaire est unedonnée particulièrement intéressante, parceque c’est une pathologie de l’homme jeune.L’évolution de son incidence est donc peuinfluencée par le vieillissement de la population.Or, dans tous les registres nationaux, on observeune augmentation de l’incidence du cancer tes-ticulaire avec le temps (tableau 4). Mais vousavez vu avec l’orateur précédent que toute unesérie d’autres cancers ont évolué eux aussi. Il n’ya donc peut-être pas de phénomène spécifique.

La non-descente testiculaire à la naissance, lesmalformations de l’appareil uro-génital mascu-lin sont d’autres facteurs confondants, qui peu-vent venir s’ajouter aux données épidémiolo-giques sur le sperme, pour faire penser quequelque chose se passe.

Suite à cela, un grand nombre d’autres étudesont été faites, montrant que les choses n’étaientpas aussi simples qu’on pouvait le penser. On anotamment observé d’énormes différences géo-graphiques : New York, 131 millions; Seattle, 52millions... Toutes ces études montrent des résul-tats discordants. Ainsi, à Toulouse, une autrebanque de sperme française, appliquant lesmêmes critères de sélection, les mêmesméthodes d’analyse qu’à Paris, et sur une pério-de très comparable, ne trouve aucune variationdes examens de sperme.

Les études épidémiologiques font donc appa-raître une confusion telle qu’aujourd’hui per-sonne ne peut objectivement et fermementrépondre à la question : y a-t-il, oui ou non, unediminution de la qualité du sperme dans les paysdéveloppés ?

Un service comme le nôtre accueille des couplesqui ont des difficultés à concevoir. Nous voyonsindiscutablement une augmentation très impor-tante des pathologies masculines, qui se retrou-ve dans tous les registres de procréation assistéedu monde, et qui nous pousse à tirer la sonnet-te d’alarme. Mais nous ne sommes sans doutepas les mieux placés pour faire une observationrigoureuse puisque, par définition, les gens quiviennent chez nous sont ceux qui ont des pro-blèmes. Par ailleurs, d’autres facteurs intervien-nent probablement : nous disposons aujourd’huide traitements efficaces que nous n’avions pas ily a dix ou quinze ans. Les gens s’adressent ànous parce qu’ils savent qu’on pourra les aider,alors que dans le passé ils ne se déplaçaient pas.La perception de la stérilité masculine a énor-

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

33

Tableau 4

Augmentation de l’incidence du cancer testiculaire

• Cancer de l’homme jeune (pic entre 30 et 35 ans)

• Larges différences d’incidence en fonctionde facteurs géographiques et ethniques

• En augmentation depuis 50 ans (+2 à + 4% par an)

• Angleterre et Pays de GallesEcossePays nordiques et baltiquesAustralieNouvelle-ZélandeEtats-Unis d’Amérique

• Particulièrement bas en Finlande

2.2.3. Si on fait l’hypothèse que la qualité dusperme diminue, quelles peuvent en être lescauses ?Une chose est sûre : une variation aussi rapideque celle qui a été décrite ne peut être liée qu’àun facteur environnemental et/ou à une modifi-cation du style de vie. Par ailleurs, de telles alté-rations sont décrites chez des espèces animalessauvages, nous apportant d’autres données quecelles de l’épidémiologie. Des études de labora-toire ont confirmé que, lors de l’exposition àune série de substances au cours de la vie foeta-le, on assistait à une altération de la fonctionreproductrice masculine.

On se tourne alors vers des substances, oestro-géniques ou estrogen-like, dont il est connuqu’elles peuvent avoir une influence sur la fonc-tion de reproduction masculine. Des modèlesexpérimentaux montrent l’influence des oestro-gènes et de leur excès sur la différenciationsexuelle dans une série d’espèces animales. Ilexiste même quelques données humaines surdes modèles particuliers d’anomalies chez desindividus présentant des conséquences de cetype. On sait en outre que le DES — un analoguedes oestrogènes utilisé essentiellement auxEtats-Unis, dans les années 50, pour empêcherles fausses-couches — a été responsable nonseulement d’importantes malformations et decancers chez les filles, mais aussi de problèmesde fécondité masculine. Enfin, une série demodèles expérimentaux ont montré que les oes-trogènes synthétiques peuvent être respon-sables d’altérations de la fonction masculine.

Lorsque l’on quitte les modèles expérimentauxet que l’on revient sur le terrain, on est très viteconfronté à d’énormes difficultés. La première adéjà été soulevée : plusieurs dizaines de milliersde substances chimiques sont produites parl’homme, pour lesquelles il n’existe pas d’étudessystématiques de toxicité, et encore moinsd’études sur l’aspect particulier de la reproduc-tion.

Quelles sont les substances qui peuvent attirerl’attention ? Citons les analogues des oestro-gènes, les xéno-oestrogènes plus particulière-ment; les pesticides organochlorés (une des pre-mières études sur l’influence de facteurs demilieu sur la reproduction concernait des usines

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

34

On peut donc dire que nous sommes face à unpoint d’interrogation : si réellement il y a unediminution de la qualité du sperme, destoxiques du milieu sont-ils en cause? Si c’est lecas, les xéno-oestrogènes apparaissent commeles candidats les plus tentants.

Néanmoins, pour nuancer ce que j’ai dit, unesérie d’autres études ont mis en évidence desfacteurs liés au style de vie, qui eux aussi ontévolué au cours des vingt dernières années : lespantalons serrants, qui augmentent la tempéra-ture des testicules en les maintenant au contactdu corps; les bains chauds; l’influence du stress(une très impressionnante étude faite à Kobe,après le tremblement de terre, montre unedégradation prolongée de la qualité du sperme,en fonction des niveaux de stress subis pendantla catastrophe); l’influence du tabac; etc.

Pour conclure : y a-t-il une chute de la qualité dusperme ? C’est possible, mais ce n’est pas aujour-d’hui démontré, et je pense que ce sera extrê-mement difficile à démontrer. Si c’est le cas, untoxique de l’environnement est-il en cause?C’est possible, et même probable, mais d’autresfacteurs sont vraisemblablement en cause, et iln’y a probablement pas une seule étiologie.

Pour avoir abordé le problème en n’étant pas unspécialiste de l’environnement mais de la fécon-dité, il m’a semblé en décryptant cette littératu-re que les données sont extrêmement parcel-laires. Nous sommes très en retard par rapport àl’investissement que l’on pourrait attendre depays développés dans ce que l’on pourrait appe-ler la médecine environnementale. Cette méde-

de DDT et des plantations de bananes centre-américaines dans les années 50); les BCP, aujour-d’hui bien connus, qui ont été employés en trèsgrandes quantités pour les systèmes de refroi-dissement des frigos jusqu’en 1977; les alkyphe-nol polyéthoxylates qui sont eux aussi montrésdu doigt; les phyto-oestrogènes; et peut-êtredes milliers d’autres composants pour lesquelson n’a absolument aucun élément d’apprécia-tion (tableau 5).

Tableau 5

• Pesticides organochlorésDichlorodiphényléthanes (DDT)CyclodiènesHexachlorobenzèneHexachlorocyclohexanes (lindane)

• Biphénylepolychlorinates (BCP)209 composants (fluides hydrauliques,adhésifs, piles...) interdits aux USA ont étéproduits à des centaines de millions detonnesDioxines et furanes

• Alkylphénol polyéthoxylatesProduits de dégradation des alkylphénolpolyéthoxylates utilisés dans l’industrie dessurfactants (détergents, herbicides, cosmé-tiques...) : 300 105 kg / an

• PhytoestrogènesComposants naturels dans les plantes

• ................

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

35

cine exige une approche multidisciplinaire : j’aiété confronté à de multiples reprises à desnotions qui me sont étrangères, et je pense qu’ilen va de même pour tous les spécialistes quiabordent ce domaine à partir de leur point devue. Je plaide donc en faveur d’approches struc-turelles — des structures d’observation et desstructures de travail — pour ces aspects impor-tants de la santé humaine.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

36

ge n’est plus général mais ciblé : on rechercheles enfants qui sont en contact avec une sourcede plomb.

Qu’en est-il des aspects médicaux ? Les signes cli-niques sont évocateurs mais non spécifiques : ilsvont de la pâleur aux troubles digestifs, en pas-sant par les retards scolaires et surtout une cas-sure de la courbe poids/taille. Le plomb est fixédans les tissus minéralisés, dans les os : à cetendroit, tant qu’il n’est pas relargué, il ne consti-tue pas un problème pour l’individu, mais unepartie circule dans l’organisme, en équilibreentre différents compartiments que sont les tis-sus mous et le sang.

Le diagnostic se fait par un examen sanguin,pour mesurer le taux de plombémie et faire unbilan au niveau du fer. Le traitement, dans lescas les plus graves, se fait par chélateurs, mais,pour les cas de faible intoxication, il suffit d’éloi-gner l’enfant de la source de plomb.

Quelle est la population à risque ? Ce sont sur-tout des enfants en bas âge, qui vivent dans deslogements anciens1 et vétustes. En effet, lesvieilles maisons regorgent de peintures chargéesen plomb; lorsqu’elles sont mal entretenues, les

Je vais vous parler du saturnisme, c’est-à-dire del’intoxication au plomb, chez l’enfant. Pourquoiles enfants ? Parce qu’ils vont assimiler 30 à 50 %du plomb avec lequel ils entrent en contact, parvoie digestive notamment, tandis que pour lesadultes on parle de 5 à 15 %.

Il faut savoir que le plomb est omniprésent dansl’environnement : on peut le détecter aussi biendans l’air que dans l’eau, le sol ou les sédimentsdes rivières ou de la mer. Il faut retenir aussi quec’est un toxique puissant. Le premier cas desaturnisme, relevé en Australie en 1891, était dûà une intoxication par des peintures écaillées àhaute teneur en plomb. Jusque dans les années60, on parlait du saturnisme comme d’une mala-die professionnelle, mais on a pu montrer qu’ils’agissait d’un problème de santé publique et decontamination de l’environnement.

Les premières enquêtes effectuées en Europedatent des années 80, mais c’est surtout auxEtats-Unis que la problématique a été étudiée.En effet, les habitations y sont souventconstruites en bois, et les peintures utiliséespour protéger le bois contenaient énormémentde plomb. Il y a donc eu de nombreux cas d’in-toxication : dans les années 70-80, on trouvaitjusqu’à 90 % d’enfants de moins de 5 ans quiavaient plus de 100 microgrammes de plomb parlitre de sang. Suite aux interventions tant régio-nales que nationales, les chiffres sont tombéssous la barre des 20 %. Actuellement, le dépista-

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

2.3. Le saturnisme infantile

M. Christophe SYKES (Institut Scientifique de Santé Publique)

1. C’est-à-dire surtout avant 1945, date à laquelle on a com-

mencé à interdire ou à diminuer les concentrations de

plomb dans les peintures.

37

peintures s’écaillent ou tombent en poussière, etles enfants vont les ingérer ou les respirer.Lorsqu’on rénove ces maisons (par sablage, p.ex.), il faut donc penser qu’on va diffuser dansl’atmosphère de la poussière de plomb.

Il ne faut pas mentionner que les peintures, maisaussi l’eau circulant dans des canalisations enplomb. On n’utilise plus ce type de canalisations,mais un certain nombre de logements anciensen contiennent toujours. Il faut aussi citer lescontenants alimentaires (boîtes de conserve), lesremèdes ethniques non médicamenteux et lescosmétiques : avec M. Petit, nous avons trouvé àBruxelles des khôls contenant jusqu’à 70-80% deplomb. Ce sont des cosmétiques artisanauximportés, vendus dans certains commercesbruxellois.

Comme voies d’entrée, j’ai cité la digestion et larespiration, mais il y a, dans une plus faiblemesure, les conjonctives (khôl) et le derme.Enfin, dès avant la naissance, le foetus peut êtreintoxiqué au travers du placenta si sa mère esten contact avec une source de plomb..

Avant de parler des études réalisées à Bruxelles,je voudrais attirer votre attention sur une pro-blématique récente : une directive européennede 1998 vise à diminuer la concentration duplomb dans l’eau de distribution. Pour l’instant,on autorise jusqu’à 50 microgrammes de plombpar litre, alors que cette directive vise uneconcentration maximale de 25 microgrammesde plomb en 2003, pour arriver à 10 micro-grammes de plomb en 2013.

Le gros problème de cette législation, c’est letexte. On lit que les sociétés distributrices serontdorénavant responsables de la qualité de l’eaunon plus jusqu’au compteur mais jusqu’au robi-net. Cependant, elles pourront faire des prélè-vements n’importe où dans le réseau, et donc unprélèvement spécifique et localisé sera écartépar le prélèvement en amont. Ailleurs on lit quela société distributrice sera juge des méthodesd’échantillonnage : le texte dit qu’il faut «utili-ser une technique appropriée», sans être plusprécis. Tout cela est donc assez flou. Sur base desrésultats d’analyses du Laboratoire intercommu-nal de chimie et bactériologie, je crois qu’àBruxelles nous n’aurons pas trop de problèmespour respecter cette directive, et finalement ellefera peu évoluer la problématique de l’intoxica-tion.

Venons-en aux études qui ont été réalisées. Al’ISSP, depuis 1978, une surveillance de la popu-lation est effectuée pour le plomb et le cad-mium. Le graphique 1 (p. 36) montre très claire-ment une chute de la concentration du plombdans la population générale. Cette étude estréalisée avec l’aide de la Croix-Rouge et descentres de transfusion de sang. Malgré cettechute, il subsiste des groupes de populations àrisque, et il faut donc continuer à s’inquiéter enraison de la plus grande sensibilité au plomb desjeunes enfants.

Nous avons fait une enquête dans les quartiers àrisque bruxellois, c’est-à-dire ceux qui contien-nent une proportion importante de bâtimentsanciens et délabrés. En collaboration avec lesconsultations ONE dans ces quartiers, les méde-

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

38BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

Graphique 1.

200.0

180.0

160.0

140.0

120.0

100.0

80.0

60.0

40.0

20.0

0.01978 1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000

All

Namur

Limbourg

Brussels

Verviers

Liège

Gent

Oostende

Charleroi

Antwerpen

Pb µg/l

39

cins, en s’aidant d’un questionnaire, détectentles enfants susceptibles d’être intoxiqués par leplomb et les envoient faire un dépistage san-guin. Sur une période de cinq années, on voitque 11% environ des enfants ont une concen-tration supérieure à 200 microgrammes deplomb par litre de sang. Si on suivait la normefrançaise (100 microgrammes), on pourraitconsidérer qu’un enfant sur quatre vivant dansces quartiers est intoxiqué par le plomb.

Que dire en conclusion ? • Il y a un problème sur le plan législatif, puis-

qu’il n’existe aucun texte belge ou européenconcernant les populations à risque. En 1998,la France a inclus un chapitre sur le saturnismedans une législation plus large au niveau desdroits sociaux.

• A Bruxelles, un pourcentage assez importantd’enfants dépassent les normes de sécurité.Mais ces chiffres ne peuvent pas être extrapo-lés à la population infantile générale, puisquetous les enfants ne sont pas exposés auplomb. Dans nos études, c’est l’exposition à lapeinture qui ressort le plus. Il n’a pas été prou-vé que l’eau de distribution était une sourceimportante d’imprégnation pour les enfants.

• Enfin, la présence de plomb ne suffit pas pourentraîner une intoxication, il faut aussi quecelui-ci pénètre dans l’organisme de l’enfant(p. ex. par une activité main-bouche).

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

40

Une participante :

Une question assez pratique pour M. Sykes : j’ai,dans une habitation, un plafond qui s’écaille. Unpeintre me dit que je ne peux pas utiliser n’im-porte quel solvant parce que, en dessous de lacouche qui s’écaille, il y aurait une anciennepeinture à base de plomb. Est-il possible de faireun prélèvement pour savoir ce qu’il en est ?

M. Christophe SYKES :

A Bruxelles, nous travaillons en collaborationavec l’ONE, mais aussi avec le Laboratoire inter-communal de la Ville. Lorsqu’un enfant estdétecté comme ayant un risque saturnien,l’équipe de M. Petit va faire des prélèvements(peinture, eau, et poussière si nécessaire) et uneenquête environnementale. Voilà pour le dépis-tage des enfants. Mais ces analyses sont acces-sibles gratuitement à tout habitant de Bruxelles.

Une participante :

Et quand il ne s’agit pas d’un enfant malade ?

M. Daniel PETIT :

C’est à voir. Normalement, il faut qu’on suspecteune intoxication. Sinon, nous ne pourrions plusfaire face au nombre de demandes qui nousseraient adressées. Il faut au moins un léger dos-sier médical. Sans cela, les analyses ne sont pas

Un participant :

J’ai une question pour le Dr Englert, à propos dela fécondité féminine. En Flandre, l’équipe deM. Konings, de la KUL, a publié des données surun lien entre l’endométriose et les PCB. Existe-t-il des données de ce type dans votre service ouailleurs en Wallonie ?

Dr Yvon ENGLERT :

L’endométriose est une maladie assez particuliè-re, qui se traduit essentiellement par une dimi-nution de la fécondité. L’observation d’un lienendométriose-PCB a aussi été rapportée pard’autres équipes, principalement celle deDonnay, à l’UCL. Ce sont, je dois le dire, des don-nées extrêmement fragiles, surtout parce quel’endométriose est une maladie au diagnostictrès difficile : aucun test ne permet de la mettreen évidence, sinon l’intervention chirurgicale(laparoscopie). Le diagnostic est extrêmementinfluencé par les méthodes utilisées; or lesméthodes d’anesthésie et de chirurgie ont évo-lué de manière fulgurante au cours des quinzedernières années. On fait donc beaucoup plusd’interventions laparoscopiques, ce qui se tra-duit par une augmentation de l’identification dela pathologie. Les biais de méthodologie sontdonc énormes, encore plus importants que dansle domaine du sperme.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

2.4. Echanges avec l’assemblée

41

gratuites, mais elles ne sont pas très coûteuses :environ 1.000 francs.

M. Christophe SYKES :

Une petite précision. On parle toujours du satur-nisme comme d’un problème propre aux quar-tiers défavorisés. Mais il arrive aussi que dejeunes couples achètent d’anciennes maisons demaître à rénover et emménagent avant la findes travaux, avec de jeunes enfants. Or, il y a desrisques : le ponçage remet le plomb dans l’envi-ronnement direct. Il ne faut donc pas associer leproblème du plomb aux seuls quartiers défavo-risés.

Mme Anne STEENHOUT (Institut de Gestion del’Environnement et de l’Aménagement duTerritoire, ULB) :

Notre service réalise des études sur le plombdans les familles de différents quartiers àBruxelles. Je voudrais apporter une informationsur plusieurs aspects de l’exposé de M. Sykes, etnotamment sur l’affirmation selon laquelle l’eaun’est pas un risque dans l’agglomération. Les expositions excessives au plomb chez lesenfants peuvent provenir de peintures ou depoussières, dans les cas d’exposition aiguë, maisil y a aussi des expositions chroniques, résultantd’une somme de sources, parmi lesquellesdiverses poussières mais aussi l’eau de distribu-tion. Or ce risque n’est pas réparti de la mêmemanière sur l’ensemble de la Région. Je n’ai pasretrouvé dans l’exposé, ni dans le document detravail, une explication quant à l’origine de cesrisques.

Par ailleurs, en matière de rénovation, il faudraitpenser à fournir des recommandations, aux pro-fessionnels comme aux amateurs, sur le type derénovation qui réduirait les risques. Des recom-mandations spécifiques seraient utiles aussi surla directive européenne relative à l’eau potable.M. Sykes a dit qu’il n’y avait pas de risque dansla Région. Or, dans les enquêtes que nous avonsfaites, les contaminations varient selon lesépoques et selon les quartiers; dans la situationactuelle, plus de 40 % des habitations dépassentla norme de 10 microgrammes par litre d’eau,qui sera la norme européenne dans l’avenir etest déjà celle de l’OMS. L’organisme n’attendrapas dix ans de plus pour ressentir les effets duplomb... Et 25 % des maisons ont des teneurssupérieures à 25 microgrammes par litre. On nepeut pas considérer ce type d’exposition commenon préoccupant. Ceci met aussi en cause le type de méthodequ’on utilise pour définir le risque de l’eau. Dansle document de travail, on mentionne que leLaboratoire de la Ville de Bruxelles prélève del’eau après écoulement. Dans la directive elle-même, on peut voir que des rapports scienti-fiques demandent de faire une moyenne entredifférents types de situations. Dans l’enquête del’ULB, nous essayons de cerner le risque au plusprès, c’est-à-dire dans les situations de la viequotidienne : le matin, quand les gens prennentde l’eau qui a stagné, ou quand ils prélèvent del’eau pour faire cuire les aliments. Les pourcen-tages assez élevés que j’ai signalés sont relatifs àces situations-là. Si certaines personnes ici ontdes enfants en bas âge et habitent dans desquartiers anciens, elles peuvent aussi s’adresser ànous pour enquête gratuite et visite à domicile.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

42

d’ajouter à l’eau de très petites quantités dephosphate, de façon à produire un “film” dephosphate de plomb sur la canalisation, élimi-nant une grande partie des problèmes. Mais ilest clair que, si on veut arriver à une norme de10 microgrammes par litre, on devra faire degros travaux dans certaines habitations. Or,d’après ce que nous avons entendu dernière-ment, la CIBE (Compagnie IntercommunaleBruxelloise des Eaux) ne serait responsable de laqualité de l’eau que jusqu’à l’entrée dans lebâtiment.

Mme Anne STEENHOUT :

Je pense que la Belgique doit prendre positionpar rapport à l’adaptation en droit belge decette directive européenne. Il est donc utile queles différentes personnes intéressées par la qua-lité de l’eau, en Belgique ou à Bruxelles, sedemandent comment concrétiser le texte trèsgénéral de la directive, puisque le nombre d’ha-bitations concernées par ce type de problèmen’est pas mince. Les enjeux, dans ce débat, sontde savoir comment sera prise en charge la quali-té de l’eau dans les habitations et qui, du privéet/ou du public, va en couvrir les frais. Lescitoyens et les différents acteurs en présencedevraient avoir accès à une information complè-te, que je ne suis pas sûre d’avoir entendueaujourd’hui.

M. Christophe SYKES :

Mme Steenhout, nos points de vue se rejoi-gnent. Nous avons participé à un colloque enFrance : c’est la panique générale, on chiffre le

M. Daniel PETIT :

Je voudrais ajouter un commentaire. Avec lanouvelle norme européenne, on ne sait pas tou-jours comment on va choisir l’échantillonnage. Ilexiste un échantillonnage appelé composite : onprend 5 % de l’eau au robinet du consomma-teur. Cette méthode est trop lourde pour êtregénéralisée à l’ensemble de la population. Dèslors, on a essayé de trouver d’autres systèmesqui s’en rapprocheraient. Comme l’a dit MmeSteenhout, il est clair que si on a des canalisa-tions vétustes en plomb, l’eau qui a stagné pen-dant la nuit contiendra, le matin, des teneurs enplomb relativement élevées. Mais seulementpendant le temps qui est nécessaire pour éva-cuer l’eau des canalisations intérieures de lamaison. Nous avons donc demandé de toujours«rincer» les canalisations.

Je voudrais aussi faire une petite rectification.Les mesures qui ont été faites au Laboratoireintercommunal sont des mesures dites aléa-toires. Un de nos inspecteurs vient à n’importequel moment de la journée et effectue un pré-lèvement sans faire couler de l’eau préalable-ment. Quand on rassemble un grand nombre dedonnées de ce genre, on finit par avoir unevaleur moyenne, représentative de la moyennedes habitations bruxelloises.

Un autre facteur qui affecte la mesure, c’est lavétusté des canalisations : quand elles sont cor-rodées, l’eau véhicule du plomb particulaire, cequi augmente très fort les teneurs en plomb.D’autres problèmes interviennent également.Une des solutions qui ont été envisagées, c’est

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

43

coût en milliards de francs français parce que ladirective est interprétée dans le sens d’une res-ponsabilité jusqu’au robinet de l’usager. Il fautsavoir que les représentants belges qui ont par-ticipé à l’élaboration de la directive sont lesconseillers juridiques de la CIBE. Quand on lesinterpelle, ils se rabattent sur un autre para-graphe et soulignent qu’ils peuvent faire desprélèvements n’importe où dans le réseau. Doncon tourne en rond.

Ceci dit, nous somme tous conscients que l’eauest une source possible d’intoxication. Simple-ment, dans l’enquête dont j’ai cité les chiffres,les enfants intoxiqués l’avaient tous été par despeintures écaillées. Les 200 analyses d’eau effec-tuées en dix ans par le Laboratoire intercommu-nal montrent que 90% des prélèvements effec-tués à diverses heures du jour et en diversendroits de Bruxelles étaient inférieurs à 25 microgrammes par litre, ce qui sera la normeen 2003. Mais nous savons tous qu’il fautprendre ce problème en main. Les chiffres diffè-rent : nous sommes très intéressés de voir vosrésultats le jour où vous les publierez.Aujourd’hui, l’idée est de lancer une dynamique,de rassembler ce que nous avons et de se battrecontre les inepties de cette directive.

Prof. Jacques KUMMER (Ecole de Santépublique, ULB) :

Je crois qu’un problème important dans l’en-semble des études, c’est de rassembler des don-nées quant à l’exposition réelle de l’individu,quel que soit le toxique : plomb, PCB, dioxines...Ces données manquent le plus souvent. Vous

avez parlé des cosmétiques. Dans certains typesde populations, ces produits donnent lieu à desexpositions que, finalement, personne ne mesu-re. On peut donc se demander si le risque n’estpas sous-évalué. De même, lorsqu’on parle deseffets sur la fécondité des populations, les don-nées d’exposition sont totalement absentes. Ilest difficile d’établir des liens solides entre desmodèles au niveau moléculaire ou cellulaire etdes études épidémiologiques.

Quant au plomb, l’analyse des échantillons esten elle-même relativement simple, mais il fau-drait aussi donner des conseils pratiques sur lamanière de décaper les peintures. Il y a là unproblème de santé publique, et les pouvoirspublics devraient intervenir.

M. Christophe SYKES :

Je voudrais attirer l’attention sur un de nos par-tenaires, le Dr Martha, de l’asbl Promosanté, quia réussi à trouver un financement auprès de laVille de Bruxelles pour publier une brochured’information tant sur le saturnisme que sur larénovation. Cette brochure n’a pas eu un tiragetrès important, mais c’est un de nos projets. Enattendant, on peut toujours obtenir des photo-copies.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

44

pe de précaution. Il y a une grande analogieavec le cancer, en ce sens qu’on voit apparaîtrele rôle de l’environnement et du mode de vie.

Une hypothèse qui se dégage de cet exposé, età laquelle je souscris, c’est l’influence cumulativede certains polluants de l’environnement. On aparlé des PCB, des dioxines. Mais ces composésne constituent qu’une partie d’une famille beau-coup plus large de polluants organiques persis-tants que l’on appelle les hydrocarbures aroma-tiques polyhalogénés, émis à l’état de traces parles procès de combustion ou certains processuschimiques. Donc, ce que l’on mesure actuelle-ment, c’est un peu la pointe de l’iceberg, de lamultitude de composés qui sont très stablesdans l’environnement et s’accumulent dans lesgraisses. L’intérêt de cette hypothèse, c’est que sivous regardez le pic de l’exposition à ces sub-stances, il se situe dans les années 60-70, les«golden sixties» : à cette époque, les taux de cespolluants dans le sang étaient certainementquatre à cinq fois plus élevés qu’actuellement !On peut très bien évoquer l’hypothèse d’uneffet transplacentaire qui aurait pu affecter lafertilité des garçons. Cette hypothèse me sembled’autant plus plausible que le monde animalmontre les mêmes phénomènes (pensons auxrapaces et aux espèces les plus sensibles).

On a parlé des problèmes d’endométriose. Ilfaut noter que l’étude du Professeur Donnayportait sur l’adénomyose, qui est un peu diffé-

Je ne vais pas prendre trop de votre temps, d’au-tant plus que l’heure du repas est proche.

Le premier exposé traitait des risques de cancerdans l’environnement. Le Professeur VanLarebeke a clairement indiqué que les sub-stances les plus dangereuses sont celles qui atta-quent l’ADN (génotoxiques).

Point plus délicat à aborder : la contribution spé-cifique de l’environnement, par rapport auxautres facteurs de risque que sont le tabagismeet l’alimentation, qui contribuent aux risques decancer à hauteur de 70%. On a évoqué le pro-blème du benzène, dont les taux sont plus éle-vés à Bruxelles, il faut le reconnaître. Mais n’ou-blions pas que des substances beaucoup plusdangereuses circulent dans l’air des villes : cesont les butadiènes et les hydrocarbures aroma-tiques polycycliques associés à la phase particu-laire des gaz d’échappement des véhicules die-sel. Ces composés sont nettement plus muta-gènes et génotoxiques que le benzène. Entermes de risques, c’est un des grands défis de laville du futur de réduire les risques liés aux trans-ports.

Le deuxième exposé traitait d’un autre aspectqui nous touche de près, puisque c’est le systèmereproducteur, et donc la survie de l’espècehumaine. M. Englert a bien montré le pour et lecontre, mais il est clair qu’une tendance se dessi-ne. On pourrait donc dire : appliquons le princi-

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

2.5. Synthèse de la matinée

Prof. Alfred BERNARD (Unité de Toxicologie et de Médecine du Travail, UCL)

45

rente de l’endométriose. Ici, à nouveau, il estclair que ces substances, notamment lesdioxines, sont toxiques pour le système repro-ducteur. Mais il faut faire la part des choses. Latoxicité est bien établie chez le singe : on pro-voque une endométriose avec de fortes doses dedioxine. Mais chez l’homme, le niveau d’exposi-tion étant plus bas, l’incertitude persiste; desfacteurs génétiques ressortent dans ce genre depathologie, et il faut sans doute, à nouveau,songer aussi à l’influence du mode de vie. Leproblème est suivi à Seveso, et leurs donnéespourront sans doute nous éclairer.

Quant au plomb, il y a une réduction très nettedu niveau d’imprégnation de la populationgénérale, parallèle à la réduction du plombtétraéthyle dans l’essence. Je ne reviendrai passur le problème de l’eau potable et des canalisa-tions, et je me contenterai de relever deuxpoints importants. D’abord, les vieilles habita-tions. J’ai été très surpris de voir les données quiont été présentées. A Bourg-Fidèle1, le taux depositivité dont on a parlé à la télévision étaitbeaucoup moins important que chez certainsenfants bruxellois contaminés par le plomb desécailles de peinture dans les anciennes habita-tions... Je fais un lien entre les vieilles habita-tions et l’ambulance verte : si l’ambulance vertese limitait à rechercher quelques pesticides, ellepourrait passer à côté de l’essentiel, c’est-à-diredes traces de plomb dans l’habitation.

1. Usine de recyclage de batteries au plomb dans le Nord de

la France.

L’autre point, ce sont les problèmes de recycla-ge. La production secondaire de plomb devienttrès importante. Vous savez qu’à Bruxelles on aeu pratiquement une petite mine de plomb enface de Métal-Blanc. Le plomb présente doncencore des risques liés aux émissions dites fugi-tives ou diffuses, qui ne sortent pas des chemi-nées. J’ai lu dans la presse qu’il y avait à peu près100.000 ppm de plomb juste en face de l’usine.Si des enfants jouaient par là, le risque d’exposi-tion était très important.

Je vais en rester là pour cette très brève synthè-se.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

46

l’environnement sont liés. Et ce lien est de plusen plus souvent évoqué, que ce soit dans la pres-se destinée au grand public ou dans des revuesplus spécialisées du monde médical ou environ-nemental.

Ceci posé, soyons prudents : l’existence de celien n’est encore que partiellement prouvée. Onsait effectivement que des problèmes croissantsde santé sont liés, par exemple, à une pollutioncroissante de l’air dans les villes. Mais on ignoreencore quelle relation exacte il faut établir entrel’intensité des effets d’un polluant sur la santé etsa concentration dans l’air. En effet, de trèsnombreux paramètres influencent l’intensitéd’action d’un agent polluant : par exemple, lasynergie avec d’autres agents; la prédisposition,variant selon les individus et selon l’âge; le modede vie et l’hygiène de chacun. Tous ces para-mètres sont autant d’inconnues qu’il imported’identifier et dont il y a lieu de quantifier leseffets.

Dès lors, soyons honnêtes : aujourd’hui, le cons-tat est que nous faisons face à une probléma-tique extrêmement complexe. Une problémati-

Monseigneur, Monsieur le Président, Mesdames,Messieurs,

Merci de votre présence, cet après-midi, pourdébattre de ce thème combien préoccupant :santé et environnement. Merci, Monseigneur, devotre présence qui nous honore, et honore sur-tout les gens de terrain qui travaillent chaquejour à cette problématique. Nous savons votrepréoccupation constante et quotidienne pources problèmes de santé et d’environnement,considérés non pas dans leur abstraction scienti-fique, mais du côté des habitants, du côté del’impact positif ou négatif sur les populations.

Par bien des aspects, notre époque ressemble àla Renaissance. Les frontières entre les connais-sances s’abaissent, les disciplines se rencontrent,les cloisonnements s’écroulent. Hier encore, onconsidérait qu’il y avait d’un côté la santé, del’autre l’environnement; le cadre professionnel,et la vie de tous les jours. C’était évidemmentune illusion. Lorsque l’air est vicié, les ruesencombrées, les déchets envahissants et le stressomniprésent, il ne faut pas être grand clerc pouren tirer la conclusion qui s’impose : la santé et

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

3. Des actions concrètesSession tenue en présence de S.A.R. le Prince Laurent, sous la présidence de M. François Roelants du Vivier

3. 1. Allocution de M. Didier Gosuin

Ministre de l’Environnement et de la Santé de la Région de Bruxelles-Capitale

47

que à propos de laquelle nous manquons cruel-lement de données et dont la gestion est bicé-phale, puisque le monde médical et les spécia-listes de l’environnement travaillent trop sou-vent dans leur coin. Résultat : on ne favorise pasla création de ponts entre ces deux disciplines —ponts qui, très certainement, contribueraient àaccélérer l’accumulation des connaissances et leprogrès cohérent et ciblé de la recherche.

Mais ce constat serait trop simple s’il n’intégraitpas un troisième aspect. Car le problème neconcerne pas que les spécialistes du mondemédical et ceux de l’environnement, mais aussiles politiques, qui doivent opérer des choix etfixer des orientations en fonction des objectifsde santé. En d’autres termes, ces derniers doi-vent rejoindre les objectifs d’environnement.

Pour prendre un exemple que tout le mondeconnaît, pensons un instant aux campagnes con-tre le tabagisme. Tout le monde admet que letabac est non seulement mauvais pour la santédu fumeur, mais aussi qu’il pollue son environ-nement. Il nuit à la qualité de l’air ambiant, pro-voque l’apparition d’affections respiratoires etde cancers. C’est pourquoi il a fallu que des poli-tiques prennent des décisions, même impopu-laires.

Il en va de même pour la pollution automobileet industrielle. On ne peut pas dissocier les ver-sants santé et environnement. A cet égard, il estpréoccupant de constater actuellement uneaugmentation, dans l’air ambiant, de composéscancérigènes comme le benzène, ou d’autrescomposés aromatiques qui ont remplacé le

plomb dans l’essence dite «verte». En voulantrésoudre un problème d’environnement, on ena créé un autre, peut-être plus important.

C’est pourquoi j’élabore aujourd’hui un planstructurel de la qualité de l’air à Bruxelles, et cecien application d’une ordonnance-cadre qui aété adoptée tout récemment. Ce programmevisera bien entendu les liens établis entre la pol-lution atmosphérique et diverses pathologies.

Pour toutes ces raisons, le but de ce forum est dedonner l’occasion à l’ensemble des acteursconcernés de se rencontrer, de faire le bilan desconnaissances scientifiques actuelles, de déter-miner les besoins dans un futur proche, que cesoit en termes de collaboration, d’échange d’in-formations ou de montage de projets en com-mun. L’aboutissement d’une gestion environne-mentale soucieuse de la santé devra passer parune collaboration étroite entre ces acteurs, ence compris les acteurs sociaux proches des préoc-cupations quotidiennes du citoyen.

Car, je vous le demande, comment planifier unepolitique de la qualité de l’air si on ne connaîtpas, d’une part, les effets exacts des polluantssur la santé et, d’autre part, les sources d’émis-sion auxquelles il y aurait lieu de s’attaquer enpriorité? Comment apporter une réponse satisfaisanteaux problèmes de stress si on ignore la résonan-ce, au sens propre du terme, du bruit sur l’étatde la santé, ou encore sans en connaître lessources les plus dérangeantes?

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

48

résolue, puisque la chance m’est donnée d’être àla fois Ministre de l’Environnement et de laSanté. J’en appelle aussi à mes collègues compé-tents en matière de santé, afin qu’ils soutien-nent une telle démarche.

Sachez enfin que, dans les prochaines semaines,la Région bruxelloise et mon administration,l’IBGE, en partenariat avec des acteurs scienti-fiques et de terrain, prendront une initiative en matière de santé et d’environnement, plusparticulièrement dans le domaine de la pollu-tion domestique. Des pays voisins commel’Allemagne et le Luxembourg ont déjà initiédes dynamiques de ce type. Ils ont progressé etobtenu des résultats. Même en Belgique, des ini-tiatives ont vu le jour : je pense au projetSandrine qui, en 1998, débutait en Communautéfrançaise par une démarche de sensibilisationconjointe du public et des médecins au problè-me de la pollution domestique.

Dès lors, il n’y a aucune raison de ne pas trans-poser à notre tour ces initiatives. Faisons tomberles cloisons du passé, abaissons les barrièresinutiles, travaillons tous ensembler : c’est toutela collectivité, ce sont les générations futures quinous en remercieront.

Il ne faut pas perdre de vue non plus que la pro-blématique santé-environnement recouvre unedimension sociale. En effet, divers facteurssociaux peuvent influencer l’impact d’une pollu-tion sur la santé. C’est le cas des problèmes depollution domestique, sujet figurant d’ailleursdans la Déclaration gouvernementale bruxelloi-se. Des moisissures dans les maisons, des risquesd’intoxication au CO, ou encore de saturnisme,constituent autant de pollutions qui se produi-sent le plus souvent dans des habitationsvétustes occupées par des personnes défavori-sées. Il faudrait prioritairement s’intéresser à de telles situations, par exemple en examinantde près l’expérience luxembourgeoise du Dr Wampach.

L’ensemble de ces actions sont destinées à modi-fier considérablement la situation existante.Cependant, je veux être clair : ne caressons pasnaïvement le mythe du risque zéro. Aucune col-lectivité ne peut vivre sans risque. Et on voitaussi ce que donne l’hygiénisme aux Etats-Unis :des camemberts aseptisés, des roqueforts sansmoisissure, des huîtres et des moules passées à lamachine à laver, des bières sans goût, des vinssans tanin. Avouez que, dans ces conditions, lavie ne vaut pas vraiment la peine d’être vécue.

J’appelle donc tous les acteurs ici présents, quel-le que soit leur discipline, à mettre leurs connais-sances et leurs compétences en commun. Votreparticipation à ce forum est un premier pas verscet échange. J’espère qu’à très court terme uneméthode de travail conjointe sera élaborée etmise en action. Pour ce qui concerne la Régionbruxelloise, la question sera plus facilement

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

49

Le constat qui a été fait ce matin est très clair : lacontamination toxicologique, qu’elle soit phy-sique, chimique ou éventuellement biologique,est omniprésente et persistante, et les donnéesscientifiques dont on dispose sont nettementinsuffisantes. Par conséquent, et en l’absenced’une prévention scientifiquement fondée, lesmaladies liées à l’environnement sont en netteprogression.

M. Van Larebeke nous a parlé du cancer, mais ily a également une épidémie d’allergies qui seprésente devant nous. On estime qu’unEuropéen sur trois pourrait souffrir d’allergiedans les années 2010. En outre, de nouvellespathologies apparaissent, dans lesquelles l’envi-ronnement est mis en cause, telles que le mul-tiple chemical sensitivity syndrome. On ignoreencore totalement ce que cela recouvre, mais ilsemble que certains individus soient plus sen-sibles que d’autres à des mélanges de substanceschimiques présentes dans notre environnementquotidien.

Côté risques, il y a également du neuf : les télé-phones portables, donc les ondes électromagné-tiques, sont une préoccupation majeure dupublic, des scientifiques et des autorités de santépublique. Un autre exemple est le cas des per-turbateurs endocriniens, dont M. Englert nous aparlé ce matin.

Ajoutons à cela que nous ne disposons que d’in-formations et de données disparates, souventcontradictoires, qui ne nous permettent pasd’établir clairement des liens de cause à effet.

Tout cela a poussé l’Union européenne àprendre une initiative majeure pour stimuler larecherche dans ce domaine. Et c’est ainsi quedans le 5ème Programme-cadre de recherche, leprogramme thématique «Qualité de vie et ges-tion des ressources du vivant» a fait une placeprioritaire à la recherche sur la santé et l’envi-ronnement. (Pour mémoire, il existe aussi unprogramme «Energie, environnement et déve-loppement durable», mais celui-ci se focaliseuniquement sur la recherche purement environ-nementale : les déchets, l’eau, l’air, etc., et netraite pas des aspects sanitaires.) Le programme«Qualité de vie et gestion des ressources duvivant» vise spécifiquement les liens entre lasanté et l’environnement et je voudrais vous enprésenter rapidement les axes principaux.

Tout d’abord il est important de noter que lesprojets de recherche financés par le 5èmeProgramme-cadre doivent nécessairement com-porter une dimension sociale. La recherche n’estpas un but en soi. L’on se retrouve à la croiséedes chemins entre alimentation, environne-ment, santé et emploi. Dans ce contexte, le pro-gramme «Qualité de vie» doit tenter de

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

3. 2. Le programme de recherche européen en matière d’environnement etsanté

Dr Alain VAN VOSSEL (Direction générale de la Recherche, Commission européenne)

50

Le programme souhaite également se cibler surles allergies. Comme je l’ai déjà dit, les allergiessont en nette augmentation sans que l’on sachequels facteurs en sont responsables. Certainsgroupes de la population ont des caractéris-tiques spécifiques et sont à risque. Qu’y a-t-il à labase de cette susceptibilité ? S’agit-il de méca-nismes génétiques, de facteurs environnemen-taux ? Notre programme va tenter de répondreà ces questions.

Enfin, nous savons très peu de choses de l’expo-sition mixte. L’exposition à un agent chimique,biologique ou physique ne peut être vue isolé-ment. Il faut approcher l’environnement et lasanté d’un point de vue holistique, en étudiantl’environnement multifactoriel et les expositionsmixtes.

En 1999, ce programme de recherche «environ-nement et santé» a déjà reçu plus de 160 propo-sitions de projets en multipartenariat, impli-quant plusieurs pays. Sur ces 160 propositions,nous avons sélectionné 25 projets pour un totalde 36 millions d’Euros.

Un quart des propositions se situent encore dansla sphère classique «environnement et santé»(toxicologie, tests in vitro, substances toxiques),mais nous avons également financé de nom-breux projets sur les allergies et les effets cancé-rigènes des téléphones portables. D’autres pro-jets traitent de la pollution de l’air, de l’analysedes risques et des perturbateurs hormonaux etendocriniens.

répondre aux préoccupations des citoyens et despoliticiens dans ces divers domaines. Il s’agira dedépasser la recherche fondamentale et épidé-miologique, et d’étudier quel sera l’impactsocio-économique des expositions dans un cadreglobal.

Parmi les différents budgets consacrés à ce pro-gramme, on notera que 160 millions d’eurossont affectés à cette recherche en matière d’en-vironnement et santé, pour la période 1999-2002. Cet important budget devrait permettreaux chercheurs européens de faire des progrèsnotables. Ne voulant pas se substituer aux Etatsmembres ou aux Régions, la Commission euro-péenne ne financera cependant que des projetsà dimension multinationale dans ce cadre. Cesprojets doivent également établir des pontsentre plusieurs disciplines, car — M. le Ministrea, lui aussi, mis l’accent sur ce point — larecherche en matière de santé et d’environne-ment ne peut qu’être multidisciplinaire.

Quelles sont les priorités définies par l’Europepour ce programme de recherche ? Pre-mièrement, les voies et mécanismes d’expositionsont encore méconnus et les données épidémio-logiques pertinentes nous manquent.

Un autre axe prioritaire traite de la perceptiondu risque et de la communication des résultatsscientifiques et socio-économiques. Pourquoi lepublic craint-il tant les GSM alors que tout lemonde les utilise? Où se situe ce paradoxe?Comment pouvons-nous mieux diffuser l’infor-mation pour que les résultats de notre recherchesoient clairs pour le public ?

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

51

Nous estimons qu’avec d’autres appels à projetsdans les années à venir — le programme conti-nuant jusqu’en 2002 —, et avec d’autres colla-borations européennes, nous pourrons apporterdes réponses aux questions scientifiques etsocio-économiques sur la santé et l’environne-ment qui pourront nous conduire à de vraiesmesures de prévention.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

52

Ensuite, il me semble que des ponts ont été éta-blis entre les différentes disciplines. Le proposdes organisateurs de ce colloque est de dévelop-per bien davantage cette interdisciplinarité nais-sante. Je voudrais moi aussi faire appel à unevéritable «solidarité scientifique» pour avancerdans une problématique qui concerne de plusen plus nos concitoyens, non seulement parceque les effets en sont plus visibles, mais aussiparce qu’elle touche chacun dans sa vie quoti-dienne.

Les problèmes de pollution atmosphérique, parexemple, demandent parfois des décisions diffi-ciles à prendre. Ils pourront certainement trou-ver une solution à partir du moment où la pres-sion de l’opinion sera suffisante et où les scienti-fiques indiqueront quel rapport direct existeentre les phénomènes de pollution atmosphé-rique et un certain nombre de pathologies.

Je voudrais vous dire quelques mots avant depasser la parole aux orateurs. Hier, j’ai parcourule compte rendu d’un forum qui a eu lieu à Parisdans les années 80, «Santé de l’Homme etEnvironnement». Le Ministre français de laSanté de l’époque y disait en substance : le pro-blème qui nous préoccupe doit évidemment êtreabordé par les spécialistes de la santé publiqueet par ceux de l’environnement, mais aussi parles politiques. J’ai cru retrouver dans les proposdu Ministre Gosuin cette demande d’une néces-saire interdisciplinarité et d’une complémentari-té avec le monde des décideurs.

Est-ce à dire que, depuis les années 80, rien n’au-rait évolué ?... D’abord, on ne parlait pas, à l’é-poque, d’un certain nombre de problèmes rela-tifs à la santé et à l’environnement, comme parexemple les perturbateurs endocriniens. De mê-me, on était assez peu attentif à la pollution in-térieure. La matière s’est, depuis, grandementcomplexifiée.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

4. Asthme et allergies respiratoiresSession présidée par M. François ROELANTS du VIVIER,

Président de la Commission de l’Environnement du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale.

53

L’inhalation de spores fongiques entraîne l’ap-parition des pathologies allergiques les plus di-verses : rhinite, dermatite, bronchite allergique,asthme, aspergillose broncho-pulmonaire aller-gique, alvéolite allergique extrinsèque, et encore toute une série de pathologies mal con-nues, liées au modernisme de nos conditionsd’habitat.

Les spores asexuées des moisissures sont les par-ticules vivantes les plus nombreuses et les plusdiversifiées de l’air que nous respirons. Il existeau moins 100.000 espèces fongiques différentes.Plusieurs milliers de moisissures sont capables dedisséminer leurs spores par voie aérienne, etplusieurs centaines d’espèces occupent en per-manence notre environnement direct.

Les études qui tentent de définir la compositionfongique de l’air inhalé, particulièrement dansles espaces clos, sont encore très insuffisantes, etles résultats souvent incomplets et inexploi-tables. En effet, bon nombre de moisissures nese développent que sur des milieux de culturespécifiques, et la température d’incubationintroduit une sélection qui biaise totalement lesrésultats. De plus, les méthodes de prélèvementpar sédimentation (boîtes de Pétri simplementouvertes et exposées à l’air), encore trop sou-vent utilisées, ne donnent qu’un aperçu som-maire de la mycoflore car nombreuses sont les

spores qui ne sédimentent pas dans ces condi-tions. Ce flou dans l’information est encore ag-gravé par le fait que nombre de chercheursn’identifient pas les espèces isolées et se conten-tent de préciser le genre auquel appartiennentces moisissures. Or, en matière d’allergie, la spé-cificité est un élément fondamental et incon-tournable pour l’établissement du diagnostic etdu traitement. A titre d’exemple, il existe plusde 250 espèces d’Aspergillus reconnues, dont 17ont été isolées dans des tissus humains et sontdocumentées en tant qu’agents pathogènes.Aspergillus fumigatus, Aspergillus niger, Asper-gillus flavus et Aspergillus clavatus ont été biendécrits en tant qu’aéroallergènes, mais combieny-a-t-il réellement d’espèces allergisantes?

Les moisissures allergisantes des espaces clos

Depuis la première crise pétrolière des années70, nous avons enregistré une augmentationincessante des plaintes de nature allergique cor-rélées avec l’habitat.

Les moisissures domestiques se développent enabondance dans les endroits humides, mal ven-tilés et sombres. C’est ainsi que les caves sontdepuis toujours des niches privilégiées pourdiverses espèces de Penicillium et Aspergillus.Mais la flore fongique de l’habitat s’est large-

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

4. 1. Allergies fongiques et pollutions intérieures 1

Dr Nicole NOLARD (Institut Scientifique de Santé Publique - Louis Pasteur)

1. Ce texte n’a pas été rédigé d’après la transcription de l’exposé mais a été proposé par l’oratrice.

54

(=atra), Acremonium strictum, Alternaria alter-nata sont d’autres espèces parfois très abon-dantes sur les murs des chambres, pièces deséjour et cuisines.

Il faut par ailleurs signaler que les matelas sontégalement des réservoirs importants de moisis-sures avec des concentrations de 103 à 107spores/gramme de poussière ! Tout comme lesacariens, les moisissures profitent largement dela mauvaise ventilation et de l’humidité excessi-ve des chambres actuelles. Epinglons, parmi lesespèces les plus abondantes, Cladosporium shae-rospermum, Alternaria alternata, Epicoccumpurpurescens, Aureobasidium pullulans, Asper-gillus restrictus, Aspergillus versicolor, diversesespèces de Mucorales et de Trichoderma. Destraces noirâtres dues à C. shaerospermum sontparfois visibles aux points de contact des mate-las avec un sommier à lattes fixes.

Les mycotoxines associées aux moisissures sontdes métabolites secondaires de faible poidsmoléculaire comparé aux allergènes. L’ingestionde mycotoxines (ex-aflatoxine) peut entraînermaladie et mort chez l’homme. Diverses étudesmontrent à présent que l’inhalation de cesmycotoxines, aux mêmes doses, est encore plustoxique. Les trichothécènes produites parStachybotrys chartarum ont été récemmentincriminées dans une épidémie d’hémosidéroseet hémorragie pulmonaire (Cleveland Outbreak)qui a entraîné la mort de 8 enfants. Or, il nousarrive d’observer dans notre pays de largeszones de contamination par Stachybotrys char-tarum sur les murs d’habitations humides. De lamême manière que les endotoxines des bacté-

ment diversifiée au cours des vingt dernières an-nées. En effet, l’utilisation excessive de moyensd’isolation à laquelle on a assisté depuis lescrises pétrolières a largement favorisé le déve-loppement, de la cave au grenier, de zones decondensation (ponts thermiques), qui sont rapi-dement le siège d’un intense développementmycélien. Le mode de vie a évolué parallèle-ment, entraînant de plus en plus la productionet l’accumulation d’humidité dans l’habitat(douches fréquentes, nouveaux modes de cuis-son, aération insuffisante des chambres...).

Une étude portant sur la fréquence des moisis-sures isolées dans l’habitat de patients se plai-gnant d’une exacerbation de leurs problèmesallergiques à domicile, montre que plus de 90%des logements sont contaminés par les genresPenicillium, Cladosporium et Aspergillus (plus de120 espèces différentes). C. sphaerospermumenvahit 60% des logements; il est responsabledes taux de contamination les plus élevés, enparticulier dans les chambres à coucher et dansles salles de bains (plusieurs centaines despores/m3 d’air). Cette espèce est souvent asso-ciée sur les châssis de fenêtres à Aureobasidiumpullulans, Phoma sp, Acremonium strictum, et àdiverses levures et Fusarium. Quant à C. herba-rum, phytopathogène strict, il ne se développepas dans la maison, mais ses spores pénètrent enabondance par portes et fenêtres, principale-ment durant les mois d’été.

Aspergillus versicolor, Penicillium chrysogenum,Penicillium aurantiogriseum, Penicillium spinu-losum, Penicillium brevicompactum, Chaeto-mium globosum, Stachybotrys chartarum

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

55

ries Gram-, les B1-3 glucanes sont des compo-sants de la paroi des moisissures qui agissentcomme puissants agents inflammatoires.

Il convient toujours d’être très prudent devantun patient habitant dans une maison «moisie»qui présente des phénomènes d’irritation et denausées dans son logement.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

56

les paramètres météorologiques. La pollution del’air est un phénomène très dynamique, avec desconcentrations très changeantes, mais ce n’estpas tant la variation dans les émissions qui induitcela : bien sûr, plus les émissions sont impor-tantes, plus les concentrations sont élevées, maisles fluctuations importantes sont dues principa-lement aux changements météorologiques.

Le quatrième graphique donne la différence detempérature au sol et à 3 mètres d’altitude.Normalement, la température baisse avec l’alti-tude mais, à certains moment, cette évolutionde température s’inverse : c’est toujours l’amor-ce d’une pollution accrue, à tous les postes demesure. Enfin, le cinquième graphique donne lavitesse du vent. Il est clair que plus cette vitesseest élevée, plus les concentrations sont faibles; ily a donc une meilleure évacuation de l’air pol-lué.

Oxydes d’azote, ozone et particules volatilesdans l’air ambiant

Le principal composant émis dans les oxydesd’azote est le NO. Tous les processus de combus-tion impliquant de l’air libèrent du NO. Dans laflamme, à haute température, une petite partiede l’azote va réagir avec une petite quantitéd’oxygène localement en excès, formant du NO :c’est le composant stable à haute température.A température un peu plus basse (en dessous de600°C), le NO2 est le composant stable : en

Je vais vous parler de la pollution par les oxydesd’azote et l’ozone, mais je voudrais signalerd’emblée que les concentrations dans l’air exté-rieur sont très variables. Je vous parlerai de lasituation des oxydes d’azote et de l’ozone enpériode d’hiver et d’été. Un point important : onconstate une baisse des concentrations demonoxyde d’azote (NO) et de monoxyde de car-bone (CO) aux endroits où le trafic est trèsdense. Il semble y avoir un statu quo pour lesconcentrations de dioxyde d’azote (NO2) et unelégère augmentation des concentrations d’ozo-ne. Enfin, je situerai les concentrations actuellespar rapport aux objectifs pour 2005-2010, etj’aborderai quelques éléments qui influencent laqualité de l’air intérieur.

Les graphiques de la figure 1 présentent la situa-tion à certains points de mesure au mois de jan-vier dernier. L’évolution de la concentration deNO dans l’avenue de la Couronne, à Ixelles, esttrès variable : à certains moments, on a defaibles concentrations, et d’autres jours, desconcentrations très élevées. Le deuxième gra-phique indique les concentrations de NO2 aumême lieu de mesure; l’évolution des concentra-tions est plus régulière. Le graphique suivantdonne les mesures des particules PM10 au posted’Uccle. On voit de grandes différences deconcentrations, parfois basses, parfois relative-ment élevées.

Les deux derniers graphiques (p. 56) indiquent

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

4. 2. Concentrations de polluants dans l’air ambiant

M. Peter VANDERSTRAETEN (Laboratorium Lucht, Brussels Instituut voor Milieubeheer-IBGE)

57BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

[µg/m3]

[µg/m3]

[µg/m3]

600

200

0

300

0

200

0

01/01 10/01 20/01 31/01

01/01 10/01 20/01 31/01

01/01 10/01 20/01 31/01

r = 97%

r = 97%

r = 99%

Figure 1

Suite >

dehors de la flamme, une petite partie du NO vadéjà poursuivre son oxydation pour devenir duNO2. Toutefois, la plupart des sources d’oxydesd’azote émettent principalement du NO et, dansune beaucoup plus faible mesure, du NO2.

Une fois libéré dans l’atmosphère, le NO conti-nue à s’oxyder et devient du NO2 en présenced’ozone; c’est une réaction assez rapide etimportante. Le NO est également oxydé parl’oxygène de l’air, formant du NO2. A tempéra-ture ambiante, c’est toutefois une réaction trèslente. Comme le NO2 a la particularité de dispa-raître très difficilement de l’atmosphère, il est

58BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

[°C]

[h = 003 m]

[h = 030 m]

[m/s]

5

r = 95%

r = 94%

-5

15

0

01/01 10/01 20/01 31/01

01/01 10/01 20/01 31/01

présent en permanence et partout, en uneconcentration répartie assez régulièrement.Disons que, des Hautes-Fagnes à la Côte, ontrouve une répartition pratiquement égale deNO2, avec ici et là un pic à proximité des villes.

Etant donné que le NO2 est à l’origine de la for-mation d’ozone et qu’il y a toujours du NO2,lorsque les conditions météorologiques sontfavorables, il y aura toujours formation d’ozone.Le NO2 se scinde, sous l’action du rayonnementultra-violet du soleil, en NO plus un atomed’oxygène. Cet atome d’oxygène réagit avecune molécule d’oxygène et forme de l’ozone.

59

rents postes de mesure : les concentrations sontplus élevées dans le centre et en période estiva-le, elles sont pratiquement nulles aux postes demesure périphériques. Il y a trop d’ozone en étéet, aux abords de la ville, le NO disparaît en rai-son de l’excédent d’ozone.

La situation est différente pour le NO2. Il n’y apas une si grande différence entre les concen-trations des différents postes de mesure et lesconcentrations en été ne sont que légèrementinférieures par rapport à la période hivernale.

Venons-en maintenant à l’ozone. On note clai-rement des concentrations élevées d’ozone enété et les concentrations les plus importantessont enregistrées aux postes de mesure qui nesont pas directement soumis à l’influence du tra-fic, de sorte que la quantité de NO y est insuffi-sante pour détruire l’ozone.

Ne peut-on pas voir dans l’évolution des concen-trations quotidiennes l’influence des émissions ?Lorsqu’on prend une période de six mois et quel’on en sort une semaine moyenne, on voit clai-rement que certains polluants sont présents enconcentrations élevées les jours ouvrables, unpeu moins élevées le samedi et encore moinsélevées le dimanche. En été, l’après-midi, il n’y aplus de pic de NO : il est oxydé en NO2 par l’ozo-ne. Nous constatons également qu’en été, lesconcentrations d’ozone sont plus importantesqu’en hiver avec, en moyenne, des concentra-tions plus importantes d’ozone le samedi et ledimanche.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

Jusque là, ce n’est pas grave. Dans un systèmefermé, il y aurait un équilibre entre, d’une part,la formation d’ozone et, d’autre part, la dégra-dation d’ozone. Mais la composition de l’atmo-sphère est un peu plus complexe : en présencede composés organiques volatils réactifs, le NOva à nouveau s’oxyder pour former du NO2, etce NO2 peut à son tour donner lieu à nouveau àla formation d’ozone. C’est comme si une seulemolécule de NO2 donnait lieu à la formation deplusieurs molécules d’ozone — donc une forma-tion excessive d’ozone.

Supposons que de l’air d’une certaine composi-tion arrive au-dessus d’une zone urbaine, qu’il yait beaucoup de trafic dans cette zone et doncdes émissions assez importantes de NO. Dans lecentre, les concentrations de NO seront relative-ment élevées et la dégradation d’ozone l’em-portera sur la formation d’ozone. Par consé-quent, il y aura une baisse des concentrationsd’ozone dans le centre, avec formation de NO2aux abords de la ville. Hors de la ville, ou en avalde celle-ci par rapport au vent, la formationd’ozone l’emportera sur la dégradation d’ozo-ne. C’est donc là que l’on trouve les plus grandesconcentrations d’ozone.

Situation et évolution des concentrations dansla Région bruxelloise

La situation concernant le NO dans la Région deBruxelles-Capitale varie sensiblement de la sai-son froide (du 1er octobre 1998 au 31 mars1999) à la belle saison (du 1er avril au 30 sep-tembre 1999). Il y a une différence relativementimportante de concentrations entre les diffé-

60

année par année les statistiques annuelles. Lepoint le plus élevé est le percentile 98, c’est-à-dire que, pour le niveau de concentration, 98%des mesures sont inférieures et 2% seulementsont supérieures. On voit clairement une baissede la concentration, tant en ce qui concerne lamoyenne que les niveaux supérieurs.

Evolution des concentrations dans le temps

Voyons l’évolution dans le temps pour le NO àdeux postes de mesure situés dans un environ-nement de trafic intense, à savoir l’avenue de laCouronne à Ixelles, qui est un véritable canyon,et le point de mesure Arts-Loi. La figure 2 donne

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

[µg/m3]

P-98

P-95

P-90

P-80

P-70

AM

P-50

P-30

p-20

p-10

500

yr19

86

yr19

87

yr19

88

yr19

89

yr19

90

yr19

91

yr19

92

yr19

93

yr19

94

yr19

95

yr19

96

yr19

97

yr19

98

yr19

99

0

Figure 2

61

L’image est tout à fait analogue pour les concen-trations de CO aux lieux de mesure. Etant donnéque le NO comme le CO sont étroitement liésaux émissions du trafic, cela provient d’unediminution des émissions dues au trafic.

Pour le NO2, il n’y a pas de tendance flagrante àla baisse — peut-être un peu pour les percentilessupérieurs, mais la valeur moyenne reste plus oumoins au même niveau. Au point Arts-Loi, on

peut même parler d’une légère augmentationde la concentration moyenne en NO2, mais pro-bablement parce qu’en raison des concentra-tions d’ozone en hausse, l’excédent de NO y esttransformé en NO2.

Quant à l’ozone, on voit très bien que les fortesconcentrations sont liées aux périodes de fortensoleillement. Mais le plus remarquable estque, sur toute la période étudiée (1986-1999)

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

[µg/m3]

P-98

P-95

P-90

P-80

P-70

AM

P-50

P-30

p-20

p-10

500yr

1986

yr19

87

yr19

88

yr19

89

yr19

90

yr19

91

yr19

92

yr19

93

yr19

94

yr19

95

yr19

96

yr19

97

yr19

98

yr19

99

0

62

La figure 3 montre l’évolution journalièremoyenne, mais répartie entre les jours ouvrableset non ouvrables. Les samedis, dimanches etjours fériés, la concentration moyenne d’ozoneest supérieure à celle des jours ouvrables. Il y amoins de trafic durant les week-ends et doncmoins de NO pour dégrader l’ozone, tandis quela formation d’ozone se poursuit de par la pol-lution du ou des jours précédents.

Ci-contre, une vue complémentaire pour le NO2,avec des concentrations moyennes élevées lesjours ouvrables et des concentrations plusfaibles les samedis, dimanches et jours fériés.

mais surtout ces dernières années, se dessineune tendance à la hausse pour la concentrationmoyenne d’ozone. C’est probablement dû à laquantité restreinte de NO, qui peut donc dégra-der moins d’ozone.

Les valeurs supérieures se trouvent à Uccle, unposte de mesure qui n’est pas directement sou-mis à l’influence du trafic. Il y a donc un peumoins d’ozone dégradé par le NO qu’aux autreslieux de mesure. L’ozone dégradé aux autreslieux de mesure est transformé en NO2 et, lors-qu’on fait la somme ozone + NO2, on obtientune même quantité potentielle d’ozone auxtrois postes de mesure.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

120

100

80

60

40

20

0

O3 Evolution moyenne journalière - Woluwé : jours ouvrables et jours non-ouvrables - période estivale : mai - août 1999

00.3

0

02.0

0

03.3

0

05.0

0

06.3

0

08.0

0

09.3

0

11.0

0

12.3

0

14.0

0

15.3

0

17.0

0

18.3

0

20.0

0

21.3

0

23.0

0

Heure en TU

❏ jours ouvrables ■ jours non-ouvrables

Figure 3

63

Objectif qualité de l’air

En 1996, une directive-cadre européenne a étépromulguée, qui, entretemps, a été transposéedans une ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale relative à l’évaluation et à la gestion dela qualité de l’air. Suite à cette législation, denouvelles valeurs-limites ont été définies pourdifférents polluants, qui doivent être respectéespour l’an 2005 ou 2010. Ces valeurs sont peut-être déjà atteintes pour de nombreux polluants.Mais ce qui n’est pas encore atteint actuelle-ment à tous les points de mesure, c’est la valeurmoyenne annuelle pour la concentration deNO2, 40 µg/m3.

Pour les particules PM10, la valeur journalière de50 µg/m3 ne peut pas être dépassée plus de 35fois par an. Actuellement, il y a 70 dépassementspar an. Atteindre une valeur moyenne annuellede 40 µg/m3 en 2005 ne devrait pas poser deproblème. Par contre, ce ne sera pas si facile deparvenir à 20 µg/m3 en 2010.

Pour l’ozone, la valeur maximale de 120 µg/m3

sur huit heures ne peut être dépassée plus de 20jours par an. Actuellement, ce n’est pas respecté,et il ne sera pas évident d’y arriver. Une diminu-tion des concentrations moyennes en ozone nesera atteinte que suite à une diminution duNO2.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

120

100

80

60

40

20

0

NO2 Evolution moyenne journalière - Woluwé : jours ouvrables et jours non-ouvrables - période estivale : mai - août 1999

00.3

0

02.0

0

03.3

0

05.0

0

06.3

0

08.0

0

09.3

0

11.0

0

12.3

0

14.0

0

15.3

0

17.0

0

18.3

0

20.0

0

21.3

0

23.0

0

Heure en TU

❏ jours ouvrables ■ jours non-ouvrables

64

stances corporelles. Des problèmes d’odeur peu-vent être dus à l’évacuation de l’eau. Et n’ou-blions pas l’effet cheminée dans les bâtimentstrès hauts : les cendres et les vapeurs de la cavepeuvent être aspirées vers les étages supérieurs.

Quant à la ventilation, il faut un débit suffisantd’air suffisamment pur. S’il s’agit d’un bâtimentoù la ventilation est naturelle, on fera attentionaux fissures et aux ouvertures, tout en veillant àlaisser passer suffisamment d’air. Dans les bâti-ments où la ventilation est forcée, le débit d’airest généralement suffisant, mais la part d’airfrais est souvent trop restreinte, du moins s’il y aun problème. Dans ce cas, une trop grandequantité d’air pollué est insufflée à l’intérieur.

Lorsque le problème de la qualité de l’air inté-rieur se pose — et il se pose plus souvent qu’onne le croit — et lorsque la source se trouve à l’in-térieur, les concentrations sont toujours plus éle-vées que dans l’air extérieur. Etant donné quenous passons la plupart de notre temps à l’inté-rieur, ces problèmes doivent être pris très ausérieux. C’est sur ce point que je terminerai.

Qualité de l’air intérieur

Enfin, je voudrais dire quelques mots des élé-ments qui déterminent la qualité de l’air inté-rieur, en particulier de la pollution chimique. Lefait est que, plus les émissions sont importantes,plus les concentrations sont importantes à l’inté-rieur et plus la ventilation est bonne, plus lesconcentrations sont faibles. Les émissions peu-vent éventuellement provenir de l’extérieur,lorsque le bâtiment est situé à proximité d’in-dustries, ou près de grands axes de trafic, ouencore — mais c’est plus rare — en cas d’infiltra-tions de fumées émanant du chauffage.

Si la source de pollution se trouve à l’intérieurdu bâtiment, il peut s’agir de fuites dans lescanalisations de fumées, dues par exemple à destravaux de rénovation dans des bâtimentsanciens. La présence de poêles, de cuisinières augaz dans les cuisines, de chauffe-eau dans lessalles de bain, peut engendrer des concentra-tions de NO2 relativement importantes et, detoute façon, supérieures à ce qui est admis pourl’air extérieur. Par la présence d’un garage inté-gré dans le bâtiment, des vapeurs d’essence peu-vent s’infiltrer à l’intérieur. Les matériaux deconstruction, d’isolation et autres peuventrépandre des cendres ou des fibres. Les produitsde traitement du bois, les travaux de peinture, laprésence et l’utilisation de solvants et de déter-gents sont autant de sources de produits orga-niques qu’il vaut mieux éviter.

En outre, une trop grande concentration de per-sonnes dans des locaux mal ventilés peut provo-quer une concentration trop élevée de sub-

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

65

Avant de vous présenter nos données concer-nant la prévalence de l’asthme chez l’enfant enRégion bruxelloise, j’aimerais vous faire partd’une bonne nouvelle : les statistiques de l’ISNmontrent, depuis une vingtaine d’années, unediminution du nombre annuel de décès parasthme dans notre pays. Cela signifie-t-il que ceproblème est en régression ? Malheureusementnon, car il y a de plus en plus d’asthmatiques, enparticulier chez les enfants. Cependant, nousdisposons de traitements pharmacologiquesd’une efficacité croissante; c’est ce qui expliqueque le nombre de décès par asthme soit contrô-lé dans notre pays.

Par ailleurs, les choses sont très différentes selonles Régions, comme le montre le graphique 1 ci-dessous. La Région bruxelloise se situe dans une

position intermédiaire entre la Flandre et laWallonie : d’environ 80 décès par an à la fin desannées 70, on est passé à une soixantaine audébut des années 90. Une diminution modérée,donc.

Heureusement, l’asthme ne se traduit pas quepar des décès — qui restent d’ailleurs rares. Parcontre, c’est une pathologie très fréquente, àlaquelle la société paie un lourd tribut. Sa pré-valence varie très fort d’un pays européen àl’autre : 2% en Grèce, près de 10% au Royaume-Uni. Le coût de l’asthme est très élevé. Parexemple, en Suède, traiter un asthmatiquecoûte environ 40.000 FB par an. Si on extrapolede tels chiffres à la Belgique, en tenant comptedu nombre d’asthmatiques estimé actuellement,le coût de l’asthme se situerait entre 5 et 20 mil-liards par an. C’est donc une pathologie qui tuerarement mais qui coûte cher à la société et aupatient lui-même.

Chez l’enfant, la prévalence de l’asthme varieégalement très fort d’un pays à l’autre : del’ordre de 3% en Finlande, de 13% au Royaume-Uni (en Belgique, nous n’avons pas encore derésultats disponibles). Nous savons égalementque l’asthme chez l’enfant est associé à une cer-taine morbidité, un certain inconfort de vie quipeut être mesuré, notamment, par l’absentéis-me scolaire. En Suède, l’enfant qui présente unasthme connu s’absente deux fois plus qu’unautre.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

4. 3. Asthme connu et méconnu chez l’enfant

Dr Olivier MICHEL (Service de Pneumologie, Hôpital Saint-Pierre, ULB)

250

250

225

200

175

150

125

100

75

50

Décès/an (ICD 9 = 493)

Var

iab

les

Y

Années

78 80 82 84 86 88 90 92

asthma F (493)asthma W (493)asthma BXL (493)

66

classes investiguées allaient de la 2e à la 6eannée primaire; 1.881 enfants ont participé àl’étude. Le questionnaire soumis aux enfantscomprenait six questions très simples : • quatre concernaient les symptômes caracté-

ristiques de l’asthme (weezing ou sifflement,oppression thoracique, essoufflement ou sen-sation de manque d’air, toux entraînant leréveil);

• deux autres questions concernaient l’asthmeconnu et son traitement2.

A côté de ces questions visant à évaluer lessymptômes de l’asthme, il y avait un question-naire socio-environnemental. Grâce à ce dernier,nous savons que 49% des enfants étaient expo-sés au tabagisme d’un de leurs parents, voire desdeux. Nous savons également que, dans l’habi-tat, un enfant sur deux possédait un ou plusieursanimaux (jusqu’à 200 dans une maison — depetits animaux, bien sûr...). Quant aux tapis,deux enfants sur trois environ avaient de lamoquette dans leur chambre. Sur le plan du sta-tut social, notre échantillon comprenait toutesles catégories, représentées de façon à peu prèséquivalente. Enfin, il y avait un peu plus de gar-çons (52%) que de filles.

Quelles réponses avons-nous obtenues au ques-tionnaire sur l’asthme? • 16% des enfants nous ont dit s’être réveillés

au moins une fois au cours des douze der-

Nous nous sommes dès lors proposé de mesurerla prévalence de l’asthme en Région bruxelloise,l’asthme traité et connu, mais aussi, éventuelle-ment, l’asthme qui serait méconnu par l’enfantet ses parents. Ce travail a été réalisé avec la col-laboration de nombreux médecins généralisteset de l’Ecole de Santé publique de l’ULB, en par-ticulier le Professeur Dramet, statisticienne.Nous nous sommes fixé les objectifs suivants :• diagnostiquer l’asthme méconnu chez l’en-

fant en âge scolaire;• évaluer l’impact éventuel de cet asthme

méconnu sur la scolarité.

Quant à la méthode, nous avons recouru à unquestionnaire validé au niveau européen, celuide Peter Burney, auquel nous avons associé untest d’effort. Tous les enfants qui ont participé àl’enquête ont réalisé un test d’exercice physique(une course à pied de 6 minutes, à rythme sou-tenu), avec contrôle du rythme cardiaque parmonitoring simple1, sous contrôle médical. Nousmesurions le souffle respiratoire — ce qu’onappelle le débit respiratoire de pointe — avantl’exercice, puis 5 et 10 minutes après l’arrêt decelui-ci. En cas d’asthme, le débit respiratoire depointe diminue significativement 5 et 10minutes après l’effort.

Quinze écoles de la Région bruxelloise ont parti-cipé à l’enquête, qui a été réalisée entre 1996 et1998, sur une période de deux ans et demi. Les

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

2. On considère qu’il y a «asthme connu» lorsque l’enfant

répond oui aux questions suivantes : as-tu de l’asthme ?

Prends-tu des médicaments pour de l’asthme ?

1. Ce contrôle a notamment permis de vérifier que tous les

enfants ont bien observé la consigne, c’est-à-dire couru à

un rythme soutenu et non au pas de promenade. Il n’y a

donc pas eu de biais méthodologique à ce niveau.

67

niers mois en raison d’un sifflement respira-toire;

• 18% signalaient la même chose en raisond’une oppression thoracique;

• 13%, en raison d’un essoufflement;• 35%, en raison d’une toux nocturne indui-

sant le réveil;• 7,9% disaient avoir de l’asthme, dont la

majorité (6,3%) étaient traités. On peut doncdire que 6,3% des enfants bruxellois présen-taient un «asthme connu».

Quels ont été les résultats au test d’effort? Nousavons pu définir quatre groupes :• les enfants non asthmatiques (pas d’asthme

connu ni de problème de souffle respiratoire)= 86%;

• les enfants asthmatiques correctement soi-gnés (asthme connu, pas de problème desouffle respiratoire) = 5,2%;

• les enfants asthmatiques non stables (asthmeconnu, mais chute du souffle respiratoire àl’effort) = 1,5%;

• les enfants dépistés comme hautement sus-pects d’avoir de l’asthme (pas d’asthmeconnu, mais chute du souffle respiratoire àl’effort) = 7%.

Quelles sont les répercussions possibles de l’asth-me, connu ou non, sur la scolarité? En d’autrestermes, le retard scolaire est-il affecté par l’asth-me? Sur base de nos résultats, la réponse estplutôt négative : le risque de retard scolaire nevarie pas significativement en raison de la pré-sence ou de l’absence d’un asthme, connu oudépisté. Cependant, dans la qualité de vie d’unenfant, il n’y a pas que le retard scolaire, il y a

aussi l’intégration familiale, l’intégration dans legroupe des pairs, ainsi que l’absentéisme scolai-re, dont les chiffres sont en cours d’analyse.

En conclusion, les résultats que je vous ai pré-sentés suggèrent un total d’environ 13% d’en-fants asthmatiques à Bruxelles, dont plus de 6%sont connus et traités, et 7% sont inconnus etdonc non traités. Si on extrapole ce chiffre àl’ensemble des 7-14 ans, cela signifie qu’environ50.000 enfants vivraient en Belgique sans savoirqu’ils sont asthmatiques. Or, plus le traitementde l’asthme est précoce, moins le risque est élevéde voir la maladie évoluer vers un stade beau-coup plus inquiétant.

La figure 1 (p. 66) résume la vision que l’on peutavoir de l’asthme dans notre pays. En dessous dela ligne vert foncé se trouve toute la base del’iceberg, très peu connue dans les pays occiden-taux : c’est la pathologie non traitée. Si on tientcompte de nos chiffres et des résultats qui ontété obtenus à l’étranger, notamment àl’Université de McGill, au Canada, le dépistageaboutit à diagnostiquer de 6 à 7% d’enfants nonsoignés. Or, c’est à ce stade de l’évolution natu-relle de la maladie qu’une action socio-environ-nementale est possible. Car il est clair que lapathologie asthmatique chez l’enfant est liée,dans plus de 8 cas sur 10, à des facteurs environ-nementaux considérés comme un risque.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

68BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

décèsasthme stade 4

asthme stade 3

asthme stade 2

asthme stade 1

dépistage

asthme non diagnostiqué

atopie(t cutané +)

prévalence

5%

15%

35%

45%

soit 6 à 8% de la population

6 à 7% chez l’enfantâgé de 7 à 14 ans

25% de la population

40% (?) de la population

action socio-environnementale

thérapie génique (?)

Figure 1 - L’asthme en Belgique

69

Je vais vous parler des raisons pour lesquelles uncertain nombre d’entre nous pensent que le dia-gnostic de l’allergie est délicat. Certaines de cesraisons sont de circonstance, d’autres sont intrin-sèques. Tout d’abord, les raisons de circonstance.L’allergologie en tant que telle n’est pas ensei-gnée; par conséquent, on se base la plupart dutemps sur des connaissances intuitives, dont unebonne part sont erronées. Par exemple, on croitqu’un test d’allergie positif veut dire maladie,alors qu’il signale une sensibilisation, une pré-disposition. Par ailleurs, les malades sont répar-tis entre un grand nombre de médecins; parmiceux-ci, certains n’ont donc pas l’occasion d’ac-quérir une véritable expérience, tout simple-ment parce qu’ils ne voient pas assez depatients.

L’allergie est avant tout une inflammation quirepose sur une réponse immunologique — uneréponse qui ne sert à rien. J’insiste là-dessusparce que, par commodité, on parle d’immunitéquand la réponse nous protège et d’allergiequand elle nous gêne... Mais ce sont les mêmesressources qui sont mises en jeu! On peut avoirdes réactions allergiques qui utilisent toutes lesréactions immunes habituellement décrites.

Une partie des allergies concernent ce qu’onappelle l’atopie. Il s’agit de quelque chose detrès curieux : il n’existe apparemment pas demodèles animaux, c’est une spécificité humaine.L’atopie est une prédisposition héréditaire à la

production d’anticorps de classe IgE de hauteaffinité, dirigés contre des éléments avec les-quels notre organisme entre en contact par lapeau ou les muqueuses. C’est donc très différentde l’allergie au venin d’abeille ou de guêpe, quiest injecté dans l’organisme; c’est un tout autremécanisme qui intervient. Enfin, cette prédispo-sition n’est pas automatiquement assortie d’unemaladie. Les maladies atopiques proprementdites concernent 10 à 15% de la population; cesont principalement l’eczéma, la rhinite, l’asth-me et l’urticaire.

Venons-en aux difficultés intrinsèques de dia-gnostic. Celui-ci repose sur trois éléments : • l’anamnèse, c’est-à-dire l’histoire que raconte

le patient; • des tests cutanés ou sanguins, pour mettre en

évidence les anticorps; • des données épidémiologiques et des infor-

mations touchant à l’environnement. Aucun de ces éléments n’est suffisant à lui seul,il est essentiel de les intégrer pour obtenir untout cohérent.

L’histoire exposée par le patient doit contenir unélément de répétition et vous donner un scéna-rio convaincant reliant l’expression de symp-tômes avec l’exposition à un ou des antigènes.Or, l’inflammation caractéristique de l’allergiepeut entraîner une irritabilité non spécifique (dunez, des bronches, de la peau...), éveillée parautre chose que l’antigène auquel les gens

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

4. 4. Le diagnostic de l’allergie

Prof. Jean DUCHATEAU (Service d’Immunologie, CHU Brugmann)

70

gènes, il faut envisager la présence d’endo-toxines, d’humidité, de toxines mycotiques, etc.

Enfin, il existe ce qu’on appelle des pseudo-aller-gies : un tableau évocateur d’allergie est déclen-chable par l’absorption orale d’une quantitélimitée (définie par un seuil qui est personnel)de certaines substances comme des agents colo-rants ou conservateurs et les médicaments anti-inflammatoires non stéroïdiens (aspirine, p. ex.).Le mécanisme est encore mal connu. Il ne s’agitpas du tout d’une allergie, car il n’y a pas d’anti-corps ni de cellules spécifiquement sensibilisées.

Tout ceci pour dire que le diagnostic de l’allergieest au carrefour de connaissances sur la maladieelle-même et ses multiples aspects, de connais-sances techniques sur les tests utilisés (avec leslimites qui sont les leurs) et de connaissances surle milieu de vie dans lequel se sont produites lesréactions allergiques. Tout comme nous avonsbénéficié d’informations sur la réactivité de l’in-dividu, grâce à des tests de plus en plus sophisti-qués, nous attendons de pouvoir disposer d’élé-ments d’analyse du milieu réel dans lequel quel-qu’un vit et avec lequel il interagit. La synthèsedu diagnostic réside dans l’intégration de cestrois domaines et nécessite des connaissancesspécialisées approfondies.

réagissent. Par exemple, ils vont tousser en res-pirant de la fumée, un parfum, des poussières,en ayant une crise de fou rire (l’air circule telle-ment vite que cela devient irritant), en faisantun effort physique, etc.

Il y a aussi des relations allergiques retardées, cequi fausse la liaison exposition-symptômes : ilfaut alors se souvenir de ce que l’on a rencontréplusieurs heures auparavant. Autre problème :lorsqu’un antigène est présent en permanencedans l’environnement (comme dans le cas de lapollution domestique), il n’apparaît plus de rela-tion directe entre l’expression de symptômes etle contact avec l’antigène. Par exemple, une per-sonne allergique aux chats respire en perma-nence de l’antigène, et l’irritation n’est plusaffectée par la présence ou non de l’animal dansla pièce. Enfin, on doit penser que les symp-tômes de l’allergie ne sont pas toujours typiqueset peuvent être produits par d’autres causes,comme dans le cas d’une sinusite.

Deuxième point : les tests en eux-mêmes ne sontpas déterminants. Ceux auxquels on peut avoirrecours sont des tests de sensibilisation; ils mon-trent simplement que le patient a fabriqué desanticorps qui reconnaissent l’antigène.

Un troisième type de difficultés est lié à laconnaissance du milieu de vie. On en a déjàparlé. Il faut prendre en compte un certainnombre d’éléments, comme par exemple lecalendrier des pollens et des spores. D’autreséléments peuvent être particuliers au patient : laprésence d’animaux domestiques, de certainesplantes, de moisissures, etc. Enfin, outre les anti-

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

71

Dr Véronique DU PARC (médecin généraliste) :

J’ai une question pour Mme Nolard : quandnous faisons des visites à domicile, il arrive quenous suspections un lien entre la maladie dupatient et l’état de son habitation.Concrètement, que pouvons-nous faire ? A quidevons-nous nous adresser ? Combien celacoûte-t-il ?

Mme Nicole NOLARD :

C’est LA question... Il y aura peut-être un«avant» et un «après» cette journée. Comme l’adit le Ministre Gosuin, nous sommes en train denégocier la mise en place, à Bruxelles, d’une cel-lule qui puisse répondre à ce type de demande.Jusqu’à présent, mon laboratoire essaie derépondre aux demandes, dans la mesure du pos-sible. De manière générale, nous exigeons unedemande d’un médecin, avec un dossier médicalet une anamnèse claire montrant qu’on peutvraiment soupçonner un problème de moisis-sures, par exemple. Dans la mesure du possible,nous faisons alors une enquête mais, commenous ne disposons pas de moyens budgétairesspécifiques, nous pouvons nous permettre uneou deux enquêtes par mois. Nous sommes doncvite noyés. Quelques petits systèmes de secourspermettent de faire une évaluation : p. ex. nousenvoyons au patient, ou nous confions à sonmédecin, une sorte de papier collant pour préle-ver la moisissure. Pour l’identification, nousdemandons alors 1.000 frs. Mais il est clair que

c’est tout à fait insatisfaisant et, si nous devonsnous rendre à domicile, cela devient très coû-teux... J’espère qu’à court terme — d’ici un an —quelque chose d’efficace va se mettre en place àBruxelles. En attendant, vous pouvez prendrecontact avec nous : au minimum, nous pouvonsvous aider en vous confiant du matériel pourune première évaluation.

Une participante :

Je voudrais demander une précision au DrDuchâteau. On entend parler de problèmes d’in-tolérance. Quelle différence faites-vous entre lesconcepts d’allergie et d’intolérance?

Dr Jean DUCHATEAU :

La réponse est relativement simple. Pour ce quiest de l’intolérance, si on ne connaît pas tou-jours le mécanisme, on sait en tout cas qu’il n’estpas immunologique. Par exemple, dans le casdes pseudo-allergies à l’aspirine, il est clair qu’ily a une réactivité croisée entre des substancesqui n’ont aucune parenté structurale; il estimpossible qu’un anticorps puisse reconnaître àla fois l’une et l’autre. Même si les symptômessont proches de ceux de l’allergie, le mécanismeest donc très différent. Le diagnostic de l’allergiese base sur l’interprétation de signes formant unsyndrome, dont la cause est loin d’être exclusi-vement un mécanisme d’allergie.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

4. 5. Echanges avec la salle

72

Une participante :

Ma question concerne à la fois les allergies, lesacariens et surtout les poussières. On entenddire que les poussières et les allergies sont liées.Hormis le nettoyage, existe-t-il un système deprévention? J’ai entendu parler de filtre électro-statique, d’ions négatifs... Aujourd’hui, commeon travaille, on n’a pas le temps de nettoyer unechambre d’enfants tous les jours.

Dr Olivier MICHEL :

Toutes les mesures d’éviction allergénique, enparticulier pour les acariens, ont fait l’objetd’évaluations scientifiques. La seule mesure dontl’efficacité soit démontrée en termes cliniques(c’est-à-dire d’amélioration de l’état de santé) estla mise en place de housses semi-perméables enpolyuréthane autour du matelas et de l’oreiller —à condition que la maladie soit à un stade préco-ce. A des stades plus avancés, l’efficacité est pra-tiquement nulle. Concernant les filtres de l’air,quelques publications ont montré une certaineefficacité pour nettoyer l’air de l’habitat des par-ticules allergéniques du chat. Quant aux acariens,selon un article, en plaçant un système d’aspira-tion de l’air qui passe à travers un filtre haute-ment efficient (HEPA), il se produit une certainediminution du taux d’antigènes, du taux de pous-sières, du taux d’allergènes d’acariens. Mais sansqu’une amélioration de l’état de santé y soit asso-ciée, parce qu’on n’arrive pas en-dessous d’unseuil de sécurité. Je pense donc que, pour l’ins-tant, on ne peut pas recommander de façongénérale ce type d’investissement dans l’espoirde contrôler l’environnement allergénique.

Une participante :

Une question pour Mme Nolard : vous avezparlé des matelas; outre la question de l’aéra-tion et du nettoyage, il y a celle de la qualité desmatériaux. Il existe des matelas en laine, enlatex, en mousse... Avez-vous des conseils à cesujet?

Mme Nicole NOLARD :

C’est l’entretien, le nettoyage qui compte : lessaletés s’accumulent dans tous les types dematelas. Peu importe le matériau. Ce que jepeux dire, c’est qu’on a, pendant très long-temps, banni les matelas en laine, alors que lesdernières études publiées semblent montrerqu’ils ne sont pas si mal que ça... Il existe aussides housses anti-acariens, mais encore faut-ilque le matelas soit propre — et qu’on entre-tienne la housse et toute la literie (qui est par-fois encore plus contaminée que le matelas).

Une participante :

Une question de terminologie : existe-t-il unedéfinition de référence du concept d’«environ-nement»?

M. François ROELANTS du VIVIER :

Il existe en effet plusieurs définitions, selon lesorganisations internationales, selon les cher-cheurs universitaires. On entend souvent parlerde «la science de l’homme et de son milieu»...Mais le Professeur Kummer, tout à l’heure, nouséclairera sûrement !

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

73

Mme Nicole NOLARD :

Nous venons de terminer une étude d’efficacitésur une série de filtres. Effectivement, ces sys-tèmes filtrent très bien l’antigène du chat etcelui de la blatte, les moisissures (Penicillium,Alternaria), mais cela ne se traduit pas forcé-ment par une amélioration comparable pour lepatient. En faisant des études sur site (dans deschambres), de type cas-témoin, nous avons sur-tout été surpris de constater que 6 ou 7 minutessuffisaient pour éliminer le pollen et la presquetotalité des spores de champignons... simple-ment en fermant la porte !

M. Laurent VAN HASSELT (acarologue) :

Je voudrais réagir à la question posée sur les aca-riens. Il est très difficile, avec une seule métho-de, de se débarrasser des allergies dues aux aca-riens; il faut mettre au point un ensemble detechniques. Des épurateurs d’air arrivent sur lemarché, et une grosse firme a publié des résul-tats «scientifiques», vantant les qualités de cesfiltres par rapport aux allergènes d’acariens.Mais le test proposé par cette firme consistait àplacer les allergènes devant la bouche d’aspira-tion de l’appareil, afin de démontrer que rienn’en ressortait. Or, il faut savoir que les aller-gènes d’acariens ne sont pas en suspension dansl’air. C’est au moment où l’on se retourne sur lematelas que l’on reçoit une dose d’allergènes.Ce système d’épurateur n’est donc pas vraimentefficace par rapport aux acariens. Mais je nepeux pas parler des autres allergènes, qui nesont pas de ma spécialité.

Une participante :

Comment explique-t-on le peu de différence auniveau des pollens entre Bruxelles et la côte, àcertains moments de l’année ?

Mme Nicole NOLARD :

Cela semble être fortement corrélé avec la direc-tion du vent. Bien sûr, la végétation locale inter-vient aussi. Dans le cas du pollen de bouleau,c’est toujours au mois d’avril, les vents domi-nants viennent presque toujours du large et, enplus, la région côtière n’est pas très riche enbouleaux. En été, c’est différent : il y a pas malde graminées près de la côte, la production loca-le de pollen est relativement importante et, cer-taines années, en juin, les vents dominants neviennent pas toujours du large. Mais ce n’est pasvrai tous les ans.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

74

celui qui est vu par le naturaliste, tout commecelui perçu par le citadin est différent de celui del’agriculteur, et ainsi de suite. A la fois il fautconcilier les phénomènes locaux et les pro-blèmes immédiats avec une vision globale et àlong terme.

Ce dont il faut bien se rendre compte, c’est quela situation est toujours très complexe et quetous les éléments interagissent. Le chimique etle biologique sont liés : par exemple, MmeNolard a parlé des substances hautement cancé-rigènes émises par certaines moisissures, alorsque ce matin on évoquait les agents chimiquescancérigènes, d’une toute autre nature.

Dans l’évaluation des risques pour la santé dufait de l’environnement, il faut se rendre comp-te que l’on connaît très mal l’exposition auxmultiples agents physiques, chimiques et biolo-giques. Nous sommes devant des situations dontnous ne connaissons pas toujours l’ensemble desdonnées. Tout un travail de recherche et deréflexion est donc à faire. Mme Nolard nous amontré qu’il y avait des aspects cachés : il a par-fois fallu déchirer le papier peint pour dénicherla moisissure, même dans des habitations destanding.

Dans notre avancée vers une meilleure qualitéde l’environnement, plusieurs aspects intervien-nent :• l’amélioration globale de l’environnement

Pour prendre à contre-pied ce qui vient d’êtredit, je voudrais citer un article de La Recherchede décembre 1999, «Ces virus et bactéries quinous protègent». L’amélioration de l’hygiènefavoriserait les maladies auto-immunes et expli-querait l’augmentation du nombre d’allergies...Pour le reste, je vous renvoie bien entendu àl’article en question. Oserais-je dire que l’excèsde bien finit par engendrer le mal? Ceci peutfaire l’objet d’un long débat.

Le 8 décembre 1930, Le Soir titrait : 63 personnessont mortes dans la vallée de la Meuse, lebrouillard seul serait la cause... On est aujour-d’hui heureusement loin de cette situation. Si leMinistre Gosuin avait vu cela, il aurait pu se direque, tout compte fait, la pollution de l’air n’estpas si terrible que ça à Bruxelles! Par contre,l’augmentation actuelle du nombre de cas d’al-lergies, pour lesquelles les liens de causalité nesont pas toujours évidents à établir, est préoccu-pante.

Il y a eu incontestablement des progrès, mais il ya aussi eu une évolution dans la manière dontnous percevons notre environnement. Quel-qu’un a posé une question sur la définition del’environnement. Je n’ai pas mes dictionnairesavec moi, mais il y a plusieurs manières de défi-nir le concept, comprenant l’environnementphysique, chimique, biologique... Et il y a aussil’environnement social et économique; l’envi-ronnement perçu par le zoologiste diffère de

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

4. 6. Synthèse de l’après-midi

Prof. Jacques KUMMER (Ecole de Santé Publique, ULB)

75

urbain (au 19e siècle, à Londres, les arbres nesurvivaient pas!);

• les modifications sur le plan mondial(réchauffement terrestre, changements cli-matiques, trou d’ozone);

• ce que nous respirons directement, dans unesphère de 30 cm de rayon;

• la prise de conscience de l’environnement àl’intérieur des habitations;

• la connaissance des facteurs biologiques maisaussi des déchets biologiques;

• la pollution chimique (et parfois, un peu depollution combat la pollution, si j’ai biencompris M. Vanderstraeten : il faut desoxydes d’azote pour enlever l’ozone), quiévolue sans cesse.

Notre environnement nous apparaît donc tou-jours plus complexe, les relations entre tous cesaspects sont toujours plus difficiles à appréhen-der. Les différents exposés qui viennent d’êtrefaits montrent bien que des approches diffé-rentes sont possibles. On se rend compte que lesgens sont le plus souvent à l’intérieur et que,chez eux, ils passent une grande partie de leurtemps sur leur matelas! L’environnement exté-rieur peut être pollué, mais cette pollution achangé constamment au fil du temps.

Face à cette difficulté d’aborder le problèmedans son ensemble, il est important que desgens de disciplines différentes se parlent. C’estce qui s’est passé aujourd’hui : il y a dix ans, nousne nous connaissions peut-être pas. Le mondemédical a aussi changé sa position par rapportaux problèmes d’environnement.

Je voudrais terminer sur une note optimiste,avec toutefois des nuances : il me semble quenotre qualité de vie ainsi que notre espérancede vie, sous nos contrées, se sont considérable-ment améliorées au cours des dernières décen-nies. Notre environnement, avec des pas enavant, quelques pas en arrière, s’améliore glo-balement par rapport à beaucoup de cas de pol-lution industrielle. Le retour à une situation oùla nature prendrait le dessus n’est guère envisa-geable, et peut-être aurions-nous peine à y sur-vivre. Certaines maladies ayant disparu, d’autresémergent et deviennent préoccupantes.

Cette vision — qui sera qualifiée par certainsd’optimiste, de pessimiste par d’autres, qui per-çoivent la situation comme catastrophique —doit être mise en regard avec d’autres craintes,notamment au niveau de l’évolution mondialeou des effets plus globaux qui sont redoutés :changements climatiques, effets de la surpopu-lation, pollution des eaux... La recherche d’unéquilibre entre toutes les composantes de notreenvironnement est une question constante dansnotre vie.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

76

D’autres études menées dans le monde du tra-vail montrent que les stress dommageables pourla santé, notamment en termes de problèmescardiaques, ne sont pas tant liés à un travail exi-geant qu’au fait de devoir faire face à des déci-sions prises par d’autres, de devoir répondre àdes demandes imprévisibles, sans avoir de margede manoeuvre.

On constate aussi que les effets négatifs de cetype de situations sont moins importants chezles travailleurs qui bénéficient de relations ami-cales sur le lieu de travail. Ce constat rejoint lesconclusions des sociologues qui ont étudié lelien entre santé et soutien social (famille, amis,appartenance à un groupe...). On pense, sanspouvoir mesurer cela, que le soutien social agitcomme un tampon face à des situations stres-santes.

Si j’ai ouvert mon exposé avec la question desinégalités sociales en santé, ce n’est pas pourvous distraire de la thématique santé-environne-ment, mais pour vous y faire entrer par uneporte «généraliste», celle du logement et duquartier. On devine assez aisément que l’étatd’un quartier n’est pas sans impact sur l’estime

On sait depuis un certain temps déjà que, pourêtre en bonne santé, il vaut mieux être riche. Lesétudes fouillées, les recherches savantes des éco-nomistes et des sociologues de la santé, l’expé-rience quotidienne des professionnels de lasanté et des travailleurs sociaux ne disent pasautre chose : riche et puissant, on vit plus vieux,on est moins souvent malade et, quand on l’est,on peut se faire bien soigner.

Des études récentes ont montré qu’il existaitplus précisément un gradient social de la santé,qui renvoyait classiquement au niveau de reve-nus, à la formation, aux conditions de logementet aux modes de vie qui y sont liés, mais aussi àla position dans la hiérarchie sociale et à l’estimede soi. Cet effet global de la hiérarchie sociale aété mis en évidence dans l’étude, devenue clas-sique, de Whitehall (le quartier des fonction-naires à Londres) : sur une période de dix ans, lamortalité des hommes âgés de 40 à 60 ans étaittrois fois plus élevée chez les employés subal-ternes que chez leurs supérieurs — alors quetous bénéficiaient de la même sécurité d’emploi.De surcroît, il y avait une corrélation entre lesentiment d’être en bonne santé et la maîtriseque l’on possède sur son propre travail.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

5. Ville, bruit et stressSession présidée par Mme Marianne PREVOST

(Fédération des Maisons Médicales et des Collectifs de Santé Francophones)

5.1. Stress et habitatMme Anne HERSCOVICI, (Centre de Sociologie de la Santé, ULB)

77

de soi, que le statut de locataire ou de proprié-taire, le niveau d’information ont quelque choseà voir avec le sentiment de contrôle de sa proprevie. Quant au soutien social, il n’est évidemmentpas sans rapport avec l’existence de services,avec le type de relations entre habitants, entrevoisins.

Loin des analyses de laboratoire, des mesuresobjectivables, je voudrais rendre compte — defaçon très schématique, vu le temps qui m’estimparti — de la perception que les familles ontde la santé de leurs enfants dans un quartierpopulaire de Bruxelles, tout proche d’ici. J’ai eula chance de participer, il y a quatre ans environ,à une recherche-action qui tournait autour de laconsultation de nourrissons de la rue VanArtevelde.

Au départ de cette recherche-action, il y avait lespréoccupations des professionnels de la santétravaillant, pour la plupart, à l’InspectionMédicale Scolaire et à la consultation de l’ONE.Le Dr Martha, qui est un peu la mère de cetteinitiative, est parmi nous. Son asbl, Promosanté,se donne pour buts de faire de l’éducation à lasanté, d’essayer d’organiser une meilleure arti-culation entre les différents services médico-pré-ventifs. Cependant, faire de l’éducation à lasanté dans les écoles, c’est très bien, mais si lesfamilles ne bénéficient pas des mêmes informa-tions, les enfants arriveront à la maison avec desmessages qui ne seront pas partagés par lesparents. D’où l’idée de créer des groupes demamans — dans les écoles, à la consultation denourrissons — pour travailler sur ces questionsde santé.

L’entreprise a démarré. Les résultats n’étaientpas toujours encourageants : il n’était pas simplede mobiliser des mamans vivant déjà dans desconditions difficiles. Pour réaliser une action quisoit respectueuse des personnes, pour éviter dediffuser des messages moraux à des gens qui nevivent pas dans des conditions qui leur permet-tent de respecter ces messages, s’est fait jourl’idée suivante : voyons avec ces familles, à tra-vers leurs perceptions, leur expérience, quelssont leurs besoins de santé.

Je passe sur la méthode que nous avons utiliséepour confronter les données objectivables surl’état de santé des enfants, recueillies en consul-tation, et les perceptions tant des professionnelsque des parents. Je me concentrerai sur ce queracontent ces derniers, les mamans en particu-lier. A propos de la santé de leurs enfants, ellesn’évoquaient jamais spontanément de difficul-tés de santé (à l’exception notable des famillesd’enfants asthmatiques), mais elles disaient àquel point leurs enfants allaient bien. Parlantd’elles-mêmes, elles évoquaient l’absence demaladie tout en disant ne pas se sentir bien. Enparticulier, elles étaient inquiètes pour l’avenirde leurs enfants.

Ces propos-là nous ont conduits aussitôt aulogement, au quartier et à l’école. C’est au nomde la santé de leurs enfants que les mères met-tent au coeur de leur projet la volonté de trou-ver un autre logement, un autre quartier, danslequel il y aurait une bonne école, des espacesde jeu et des clubs sportifs pas chers. En résumé,le logement est perçu comme : trop froid, tropchaud et humide, exigu, non isolé. Le mauvais

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

78

chambre pour chaque enfant, pour pouvoir ran-ger leurs affaires et, plus tard, bien étudier.» Ouencore : «Quand ils seront plus grands, il fau-drait qu’on ait une maison avec de la place pourétudier et pour pouvoir s’amuser sans devoirsortir.»

On retrouve dans ces propos un autre thèmerécurrent : la peur de perdre le contrôle desenfants dans un quartier dangereux, où ilsseraient inévitablement amenés à faire desbêtises. Le quartier est, ou en tout cas était res-senti comme un quartier «enfants non admis»,pour paraphraser le slogan de la Ligue desFamilles. Entre l’espace privé exigu et l’espacepublic dangereux, les enfants n’ont pas vraimentdroit de cité. Il y avait là un espace que les gensappelaient le Petit Sarajevo... un hectare de ter-rain vague, avec un immeuble partiellementdétruit, qui symbolisait pour eux l’état d’aban-don du quartier.

La drogue, les vols nourrissent des propos quidisent la peur de l’avenir, la peur de perdre lesenfants confrontés à un univers du risque.Quand les parents disent leur rêve de plaines dejeu, de clubs de sport et de policiers gentils, ilsdemandent en fait simplement un ensemble destructures protectrices des enfants. L’état dégra-dé, sale du quartier renforce son caractèremenaçant et est vécu comme un signe d’aban-don — abandon attribué en partie à leur statutd’immigré, en partie au comportement desautres habitants. Sont mis en cause «ceux duRif», «les jeunes», «les Tziganes», avec lesquelson souhaite ne pas être confondu et dont onévite la fréquentation.

état du logement est mis en avant pour expli-quer les éventuelles maladies de l’année écoulée(rhumes, bronchites, allergies). Les questionsd’hygiène corporelle et alimentaire, très souventcitées par les enseignants comme de gros pro-blèmes de santés chez les plus jeunes enfants, nesont pas perçues comme telles par les mères.Tout au plus certaines évoquent-elles des dis-putes matinales autour de l’unique évier de l’ap-partement.

Nervosité, agitation, agressivité, difficulté d’en-dormissement ne sont jamais présentées par nosinterlocutrices comme des problèmes de santé,mais comme une explication de leur désir dedéménager dans un logement plus adapté à lataille de la famille. Dans un espace réduit, lerepos est difficile, les parents n’ont guère d’inti-mité, les mères sont sous pression quand leurmari rentre après le travail de nuit. La volontéde maintenir de bonnes relations de voisinageest aussi source de tension pour les parents.Petite citation très exemplative : «Il y a beau-coup de bruit, on entend tout ce qui se passechez les voisins, c’est très énervant. En plus, on apeur, quand les enfants jouent, qu’ils dérangentles voisins et qu’il y ait des disputes.»

L’avenir des enfants traverse comme un fil rougele discours des mères. Elles perçoivent claire-ment que cet avenir se joue à l’école et passe parce qu’elles appellent «une bonne éducation».Dans ce cadre, un bon logement leur apparaîtcomme une condition sine qua non de la réussi-te scolaire des enfants et du projet éducatif.Elles m’ont dit et répété : «Je voudrais une mai-son bien meublée, bien soignée, avec une

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

79

Je n’ai pas le temps de vous parler du rôleimportant que jouent dans le quartier tous lesservices de santé (parmi lesquels un grand hôpi-tal généraliste et deux maisons médicales), lesnombreuses associations qui s’occupent de logement, d’emploi... Il faudrait aussi parler duterrible malentendu qui règne entre l’école etles familles, du découragement des profession-nels1 — qui, par ailleurs, n’habitent pas le quar-tier —, de la rotation des travailleurs sociauxparce que les subsides ne sont pas récurrents,que le statut professionnel est précaire et lesconditions de travail, éprouvantes.

En contrepoint, je dois dire aussi que, parfois, lesrapports entre les professionnels et les habitantssont excellents. Les mères justifient leur choixd’un service de santé par des critères d’ordrenon pas technique mais relationnel. L’uned’entre elles me dit : «Le Docteur V., elle est sigentille, elle m’écoute quand j’ai besoin de par-ler. On guérit plus vite, alors.» Ou encore :«L’autre jour, j’étais trop triste. Pas malade, maistriste. J’ai appelé Marie-Pierre, elle est venueplus tôt à sa consultation, spécialement pourmoi.» Pour les femmes isolées, le rôle de laconsultation de nourrissons ou de l’école estparticulièrement important dans la constructiond’un réseau de soutien social. Ce sont des lieuxpublics, qu’une part importante des mères sesentent le droit de fréquenter de façon réguliè-re.

1. Un médecin très militant me disait : «C’est un quartier

plein de stress et de grisaille. La saleté des rues, la violen-

ce, ça travaille le moral. L’idéalisme a du mal à résister.»

A côté de ce constat un peu décourageant, quepeut-on faire, qu’a-t-on fait ? Des groupes demamans, des cours d’éducation pour la santé.Mais les conseils sur la bonne manière de senourrir, c’est peut-être un peu court... Il y a eudes excursions hors du quartier : un de mes plusbeaux souvenirs, c’est d’avoir vu le visage trans-figuré de femmes adultes qui, pour la premièrefois de leur vie, voyaient la mer. Mais ça ne chan-ge pas leur quotidien.

Une des richesses du quartier, c’est son tissuassociatif. Beaucoup de travailleurs se sontmobilisés dans une coordination qui rassemblaitdes professionnels de la santé, du social, du com-munal et de l’associatif. Une réflexion collective,des actions en direction de la Commune ont étémenées, notamment pour l’aménagement decet espace Sarajevo. Notre chance est aussid’avoir coïncidé avec le contrat de quartier2

Annessens-Fontainas : la Commune organisaitdes réunions d’habitants pour expliquer lestransformations envisagées, la procédure d’ob-tention des primes à l’aménagement. Quelquechose se passait. Comme le disait une famille, «leGouvernement» s’occupait du quartier : cen’étaient plus seulement les gentils docteurs quivenaient les aider!

La recherche et l’action de tous les travailleursdu quartier, ont, me semble-t-il, convaincu lesautorités communales de la pertinence du lienentre santé, habitat et logement.

2. Sur les contrats de quartier, voir Bruxelles Santé n° 14,

pp. 8-13.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

80

On a inscrit dans le volet social du contrat dequartier la thématique santé-habitat-rénova-tion, et des moyens ont été consacrés à l’infor-mation sur cette thématique. Ce qui s’est passé,même si ce n’était pas prévu, c’est le schéma queles Canadiens appellent, je crois, «projet écolo-gique de santé» : on travaille avec les habitants,on les soutient, on lance des actions qui leur per-mettent de renforcer leur confiance en soi, oninforme, on fait de l’alphabétisation, de la gym-nastique... En renforçant leurs compétences, onrenforce aussi leurs capacités d’intervention.

Parallèlement à cela, l’aménagement d’un espa-ce vert, d’une plaine de jeu, sur le lieu qui sym-bolisait l’abandon et la dégradation apparaîtcomme une action plus globale sur l’environne-ment. Il n’y a pas de recette, mais on voit com-bien l’alliance d’un soutien aux habitants etd’une action sur le milieu de vie peut provoquerdes changements. Les explications sont sûre-ment plus complexes mais, quatre ans après larecherche, le quartier n’a plus tout à fait lamême allure. C’est une de mes fiertés en tantque chercheur, et je pense que cela peut être lafierté des habitants et des travailleurs du quar-tier.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

81

A des niveaux relativement élevés, le bruit peutêtre source de douleur pour l’être humain. Ilpeut aussi occasionner certains traumatismes auniveau de l’ouïe, voire engendrer une déficienceauditive temporaire ou permanente. Toutefois,à des niveaux bien inférieurs au seuil de douleur,le bruit peut être à la base de problèmes decommunication, de concentration et donc deperformance (notamment sur le lieu de travail).Il peut être source d’irritabilité, de stress, pertur-ber le sommeil nocturne, jouer un rôle dans despathologies comme les maladies cardio-vascu-laires, les troubles endocriniens et immunolo-giques ou les troubles de l’équilibre.

Depuis sa création, l’IBGE s’est intéressé à la pro-blématique du bruit et a tenté de savoir dansquelle ambiance sonore vivent les Bruxellois.Cette évaluation de la situation s’est faite dedeux manières :• par des mesures du niveau de bruit en diffé-

rents points de la Région bruxelloise, à l’aidede sonomètres;

• en recourant à une modélisation, qui consis-te à calculer des niveaux de bruit sur based’une formule mathématique. Celle-ci prenden compte des paramètres caractérisant,pour les uns, la source du bruit, pour lesautres, le milieu dans lequel cette source sepropage.

Nous avons travaillé sur trois sources de bruit : letrafic routier (la source prépondérante dans la

Région), le trafic ferroviaire et le trafic aérien.L’évaluation a été effectuée sur base de valeursacoustiques (niveaux de bruit exprimés en déci-bels), qui ont été comparées aux valeurs recom-mandées par l’OMS et à certains indices de gênecouramment utilisés.

L’OMS fixe des valeurs-limites ou des valeurs-guides, variables suivant l’heure de la journée, lejour et la nuit, l’endroit où l’on se trouve (à l’in-térieur ou à l’extérieur d’une habitation). Lesindices de gêne résultent généralementd’études qui ont permis d’établir une certainecorrélation entre une valeur acoustique et lagêne ressentie par les habitants. Ces indices sontfonction de la source considérée mais on peutfaire les observations générales reprises autableau 1.

Tableau 1

< 55 dB(A) pas de réaction de la population

55 - 60 bruit ressenti comme peugênant

60 - 65 gênant65 - 70 très gênant> 70 dB(A) bruit ressenti comme

insupportable

L’IBGE s’est donc intéressé au bruit du trafic rou-tier en Région bruxelloise. La modélisation apermis de calculer les niveaux de bruit pour le

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

5.2. Bruit du trafic et gêne de la population

M. Georges DELLISSE (Laboratoire du Bruit, Institut Bruxellois pour la Gestion de l’Environnement)

82

Un autre exercice a consisté à essayer de locali-ser les zones (secteurs statistiques) comportant àla fois des voiries très bruyantes et une densitéimportante de population. Ces zones apparais-sent en plus foncé sur le graphique 1. C’est doncpeut-être là qu’il faudrait agir prioritairement.

Pour le trafic ferroviaire, nous avons égalementrecouru à une modélisation mathématique, quia permis de calculer les niveaux de bruit pour unréseau totalisant 65 km, c’est-à-dire la presquetotalité du réseau bruxellois. Seuls quelquestronçons sous tunnel et en zone industrielle

réseau IRIS, qui représente 35% du réseau rou-tier total de la Région. C’est le réseau pourlequel on disposait de données quant au trafic— données un peu vieillottes, toutefois (1991)— et où l’on observe le trafic le plus dense de laRégion. Pour ce réseau, on a calculé une valeuracoustique qui est utilisée en tant qu’indice degêne. Sur base de ces valeurs calculées, de don-nées de population, et en se fixant certaineshypothèses de travail, on a estimé qu’environ28% de la population étaient exposés à desniveaux de bruit supérieurs à 65 dB(A), et doncfortement gênés par le bruit du trafic routier.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

Graphique 1

83

n’ont pas été étudiés. En utilisant la même pro-cédure que pour le trafic routier, on a estiméque 2,6% de la population étaient exposés à unniveau de bruit supérieur à 65 dB(A). Notonstoutefois que ce chiffre représente environ 78%de la population habitant les environs immé-diats des voies ferrées.

En ce qui concerne le trafic aérien, nous avonsutilisé des valeurs mesurées. Trois campagnes demesure ont été menées entre 1994 et 1996,essentiellement en juin et juillet; on a relevé desniveaux de bruit en douze points au total. Surcette base, on a déterminé l’indice LDN, utilisédans le cas du trafic aérien. Les mesures effec-tuées aux différents points ont permis de tracerdes contours de bruit, qui apparaissent au gra-phique 2 sous forme de zones hachurées : lazone située à l’extrême nord-est de la Régionconnaît un LDN supérieur à 70 dB(A); dans lazone non hachurée, le LDN est inférieur à 55dB(A). En recourant à la même procédure queprécédemment, nous avons estimé qu’en Régionbruxelloise, environ 0,8% de la populationétaient exposés à un niveau de bruit supérieur à65 dB(A).

Résumons l’état de la situation en matière debruit du trafic routier (1991), ferroviaire (1993)et aérien (1994-96) dans la Région de Bruxelles-Capitale. On a pu estimer qu’environ 268.000personnes étaient exposées à des niveaux debruit routier supérieurs à 65 dB(A), c’est-à-direfortement gênants. Le train contribue à de telsniveaux de bruit pour 25.000 personnes, etl’avion pour 7.600 personnes. Si on se réfère à la valeur-seuil recommandée par l’OMS, soit

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

55 dB(A), le bruit du trafic routier gêne 384.000personnes, celui du trafic ferroviaire, un peuplus de 30.000, et celui du trafic aérien, près de210.000.

J’ai parlé de trois sources de bruit. Il en existeévidemment bien d’autres, dont certaines peu-vent empoisonner la vie des habitants. Il existeen Région bruxelloise une législation qui fixedes valeurs-limites par rapport à ces différentessources, et qui permet donc, dans une certainemesure, de protéger les habitants. Mais, à cejour, il n’existe aucune estimation de l’exposi-tion de la population. Ceci pourrait faire l’objetd’une étude ultérieure.

Graphique 2

84

classes, pour faciliter l’analyse et pour obtenirun nombre suffisant d’individus par classe. Larépartition est la suivante :• Bruxelles : 17%;• autres grandes villes : 26%;• zones suburbaines : 32%;• zones rurales : 26%.

L’analyse a abordé trois domaines principaux :l’état de santé, les comportements de la popula-tion en matière de santé et la consommationmédicale. Nous n’entrerons pas ici dans lesdétails statistiques, mais disons qu’il a fallu tenircompte d’un certain nombre de variables addi-tionnelles — ou facteurs confondants, selon laterminologie. Des paramètres comme l’âge, lesexe, le niveau d’éducation, la nationalité ou larégion de résidence peuvent influencer les résul-tats au même titre que le niveau d’urbanisation.Nous avons pris ces facteurs en compte en recou-rant à des méthodes de standardisation directeet à des analyses multivariées.

a) Etat de santé subjectif

Nous avons demandé aux gens : «Comment esti-mez-vous votre état de santé en général?» Enconsultant le tableau 1, on voit que davantagede gens s’estiment en mauvaise santé àBruxelles. Après standardisation par âge et parsexe, ces différences demeurent. Dans la derniè-re colonne, nous avons calculé un odd’s ratio;cette mesure évalue le risque que les habitants

Avant d’entrer dans les détails, je voudrais for-muler quelques remarques générales en ce quiconcerne le milieu urbain :• En raison de la concentration d’hôpitaux uni-

versitaires que connaît Bruxelles, on peuts’attendre à observer, au niveau de la popu-lation, une concentration d’individus mala-des qui se rapprochent des grandes institu-tions hospitalières.

• Comme pour le bruit, il y a vraisemblable-ment une concentration de facteurs d’exposi-tion, liée notamment à la densité de la popu-lation.

• On peut s’attendre à une prévalence plus éle-vée de certains facteurs de risque dans denombreux domaines.

• Il faut tenir compte de la constitution spéci-fique de conditions socio-économiques. Dansle cas de Bruxelles, on observe une sous-représentation des classes moyennes par rap-port au reste du pays et une plus grande pro-portion de personnes de nationalités étran-gères.

Les données que je vais vous présenter provien-nent de l’enquête réalisée en 1997 par l’InstitutScientifique de la Santé Publique. Pour ce qui estdu niveau d’urbanisation, nous nous sommesbasés sur le recensement de 1991. A partir decelui-ci, des experts en géographie et en sociolo-gie ont déterminé onze niveaux d’urbanisationdes communes belges. Nous avons utilisé cescatégories, mais en les réduisant à quatre

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

5.3. Urbanisation et santé

Dr Jean TAFFOREAU (Institut Scientifique de Santé Publique - Louis Pasteur)

85

de Bruxelles estiment leur état de santé plusmauvais, par rapport à la catégorie 1 (zonesrurales), en tenant compte d’autres facteurscomme l’âge, le sexe, etc. On voit que le risque

est de 20% plus élevé. Mais les chiffres entreparenthèses montrent que cette différence n’estpas statistiquement significative.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

Nous avons procédé au même genre d’analysepour d’autres paramètres, et on peut voir unedifférence significative pour les plaintes psycho-

somatiques, les maladies chroniques et la santémentale (tableau 2). Je vais m’attarder à cesdeux derniers paramètres.

Tableau 1 : Prévalence de mauvaise santé subjective selon le niveau d’urbanisation (n = 7953), Belgique,1997

Taux brut (%) Standardisé (%) O.R.*

Bruxelles 25 27 (24 - 29) 1.20 (0.96 - 1.50)

Autres villes 22 25 (22 - 28) 1.11 (0.95 - 1.31)

Suburbain 21 24 (22 - 26) 1.10 (0.95 - 1.27)

Rural 21 23 (20 - 26) 1

* Contrôle des facteurs âge, sexe, niveau d’éducation, nationalité, région de résidence et consommation de tabac.

Tableau 2 : Etat de santé. Rapport régions urbaines / régions rurales

Santé subjective 0

Plaintes psychosomatiques +

Maladies chroniques +

Santé mentale +

Bien-être social 0

Indice de masse corporelle 0

86

de pathologies — l’asthme et les bronchiteschroniques, les migraines, les dépressions —montrent une séparation entre Bruxelles et lesautres grandes villes, d’une part, les zones sub-urbaines et rurales, d’autre part. Les maladiescardiaques et les troubles de l’estomac distin-guent Bruxelles des trois autres catégories d’ur-banisation. Pour les autres pathologies, on n’ob-serve guère de différences entre les quatre caté-gories.

b) Maladies chroniques

On a soumis aux personnes interrogées une listede 20 à 30 pathologies, en leur demandantchaque fois : «souffrez-vous de cette maladie?».

Le tableau 3 montre les maladies le plus citéespar les hommes. Pour les allergies, on observeun gradient très net de Bruxelles vers le milieurural; les différences entre ces 4 catégories sontstatistiquement significatives. Trois autres types

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

Hommes

Allergies

Asthme, bronchite et broncho-pneumopathie

chroniques

Migraine

Lombalgies

Hypertension artérielle

Troubles de la prostate

Arthrose (genou, hanche, main)

Troubles cardiaques graves

Sinusite

Ulcère de l’estomac ou du duodénum

Dépression

Tableau 3 : Prévalence (taux bruts en %) des maladies chroniques chez les hommes, selon le niveau d’ur-banisation, Belgique, 1997

Bruxelles

(1470)

14,4

12,1

9,4

9,1

8,1

6,8

6,5

6,1

5,8

5,1

5,1

Autres

villes (777)

12,5

9

7,6

11,9

7,2

8,1

8,4

3,6

8,6

1,9

5,7

Milieux sub-

urbains (1387)

10,4

6,5

4,4

8,7

7,7

8,7

7,7

3,1

3,9

2,4

2,9

Zones ru-

rales (1339)

9,7

4,9

5,4

8,7

8,4

6,9

8,6

4,1

6

2,2

3,4

87

c) Santé mentale

Pour ce qui est de la santé mentale, nous avonsutilisé plusieurs instruments. Les résultats pré-sentés au tableau 5 (p. 86) proviennent d’unquestionnaire comprenant 12 questions, à partir

desquelles on construit un score permettantd’estimer si la personne présente éventuelle-ment un signe de mauvaise santé mentale, quelqu’il soit (dépression, anxiété, névrose, psycho-se...). C’est donc simplement un instrument pourun premier screening.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

On retrouve chez les femmes (tableau 4) à peuprès le même genre de situation.

Femmes

Allergies

Migraine

Hypertension artérielle

Arthrose (genou, hanche, main)

Lombalgies

Sinusite

Asthme, bronchite et broncho-pneumopathie

chroniques

Dépression

Arthrite

Ostéoporose

Etourdissements, chutes

Troubles chroniques de la digestion

Arthrose (autres)

Tableau 4 : Prévalence (taux bruts en %) des maladies chroniques chez les femmes, selon le niveau d’ur-banisation, Belgique, 1997

Bruxelles

(1571)

17,8

15,9

11,8

11,6

11,3

10,4

10,4

9,1

8,2

6,1

5,7

5,6

5

Autres

villes (881)

16,2

14,1

11,5

13,5

12,5

11,1

7,9

7,5

8,2

5,6

5,4

3,7

3,6

Milieux sub-

urbains (1457)

15,3

13,6

8,7

12,3

9,2

8,8

6,1

6,7

6,4

3,5

3,1

3,7

2,8

Zones ru-

rales (1311)

11,5

12,1

11,7

11,5

9,8

8,5

6,4

6,1

7,8

2,6

2,6

3,2

2,5

88

Les taux bruts montrent une diminution à partirde Bruxelles vers les autres catégories. Le odd’sratio montre ici, contrairement à ce que l’on avu à propos de l’état de santé subjectif, que l’in-tervalle de confiance à Bruxelles ne comprendpas la valeur 1 : on peut donc estimer que lerisque qu’il y ait plus de problèmes de santémentale à Bruxelles est significativement plusélevé, par rapport à la valeur de référence(zones rurales).

Nous avons également utilisé d’autres instru-ments pour mesurer la santé mentale. Nousavons notamment demandé aux gens s’ils souf-fraient de dépression et s’ils consommaient desmédicaments psychotropes : pour ces deux para-mètres, on trouve une prévalence plus élevée àBruxelles que dans les autres zones du pays.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

Tableau 5 : Proportion d’individus en mauvaise santé mentale (GHQ 12 score 2-12) selon le niveau d’ur-banisation (n = 8208), Belgique, 1997

Taux brut (%) Standardisé (%) O.R.*

Bruxelles 37 37 (34 - 39) 1.38 (1.15 - 1.65)

Autres villes 33 32 (29 - 35) 1.10 (0.96 - 1.26)

Suburbain 29 29 (26 - 31) 0.96 (0.85 - 1.08)

Rural 30 29 (27 - 32) 1

* Contrôle des facteurs âge, sexe, niveau d’éducation, nationalité, région de résidence et consommation de tabac.

d) Styles de vie et prévention

Le tableau 6 propose un résumé en ce quiconcerne les principaux styles de vie et compor-tements en matière de prévention (comparaisonentre Bruxelles et les autres grandes villes, d’unepart, les zones suburbaines et rurales, d’autrepart).

Tableau 6 : Styles de vie - Prévention

Tabagisme +

Sédentarité +

Pratique du dépistage HIV +

Vaccination contre le tétanos +

Vaccination contre la grippe 0

Vaccination contre la rubéole —

Dépistage du cancer du sein +

89

e) Consommation de soins de santé

Le tableau 7 propose un résumé en ce quiconcerne la consommation de soins (comparai-son entre Bruxelles et les autres zones).

Tableau 7 : Consommation de soins

Recours au médecin généraliste —

Recours à un spécialiste +

Hospitalisation 0

Médicaments sur prescription 0

Médicaments en vente libre +

Physiothérapie 0

Recours aux médecines alternatives 0

Accessibilité financière des soins —

A propos de l’accessibilité des soins : à Bruxelles,19% des personnes interrogées ont dit avoir dûrenoncer à des soins ou les avoir retardés pourraisons financières. Dans les autres villes, lechiffre n’est que de 10%; en zones suburbaineset rurales, il tombe à 5 et 6%.

Tous ces chiffres ne demandent guère d’inter-prétation, mais ils constituent une base deréflexion. En tout cas, cette enquête et les com-paraisons qu’elle a permises sur un échantillonrelativement important montrent clairementque les politiques en matière de santé publiquedoivent être adaptées au milieu dans lequel ontravaille, et donc au niveau d’urbanisation.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

90

Dr Véronique DU PARC (Maison Médicale desMarolles) :

Je suis très contente de vous avoir entendue. J’aiconnu d’autres projets de ce type à Bruxelles, etune grosse interrogation me turlupine depuisdes années : je vois que, dans beaucoup de quar-tiers, les associations peuvent avoir une volonté,une énergie formidables pour mener à bien desprojets comme celui-là. Mais quel feedbackavez-vous eu de la part des autorités publiques,dans le sens de la poursuite du changement? Carj’ai peur que nous nous épuisions à réinventerdes solutions pour des problèmes que nous iden-tifions relativement bien, sans recevoir de signeque nous pouvons continuer à aller de l’avant.Cela fait quand même vingt ans que ces ques-tions sont identifiées et posées aux différentescoalitions! On va vers un mieux, mais que pour-rions-nous faire pour que ce soit plus efficace etque nous nous démotivions moins? Je sais qu’iln’y a pas de réponse toute faite...

Mme Anne HERSCOVICI :

Je pourrais vous répondre qu’après avoir étéchercheur pendant de longues années, je suisdevenue député régional : c’est peut-être parceque, moi aussi, je trouvais que ça ne bougeaitpas assez vite! Mais c’est une boutade. Vousavez évidemment raison. La mobilisation deshabitants et des associations ne se maintient passi elle n’aboutit pas à quelque chose, même si cesont de petits pas. Cela nous renvoie à toute la

M. Hugues LOSFELD (FARES) :

Je voudrais savoir si le genre d’expérience relatépar Mme Herscovici pourrait être étendu àd’autres endroits de Bruxelles ou à d’autresgrandes villes.

Mme Anne HERSCOVICI :

Je pense que oui. Je suis d’ailleurs convaincueque cela se fait ailleurs. Bien sûr, nous avonsbénéficié de la conjonction de plusieurs élé-ments favorables : un tissu associatif très dense,la possibilité de jouer sur tous les tableaux, desbudgets obtenus malgré des conditions difficiles(Mme Martha pourrait vous parler de l’énergiequ’il faut déployer pour réunir les moyensnécessaires)... Ce qui peut servir de «modèle»,c’est le travail de soutien concret dans la viequotidienne des gens, l’idée qu’ils ont deschoses à dire sur leur quartier, qu’ils ont descompétences, des connaissances qu’il faut valori-ser. On peut soutenir des initiatives dans ce sens :donner aux habitants plus d’outils pour oseraller dire, dans une réunion, ce qu’ils pensent del’avenir de leur quartier, pour faire une pétitionsur la nécessité d’aménager un carrefour dange-reux. Ce qui est intéressant, c’est de développerdes actions qui permettent de changer deschoses visibles dans l’espace public... Bien sûr, enparlant de tout cela, je ne dis rien de l’emploi,du coût des logements, qui pèsent aussi leurpoids.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

5.4. Echanges avec la salle

91

question de la citoyenneté et de la démocratie.Une des responsabilités des politiques, c’estd’entendre ce que disent les travailleurs de ter-rain. Ceux-ci doivent donc se donner les moyensde se faire entendre. Pour le reste, ce sont desrapports de force. Il faut y mettre de l’énergie,même si on a tous le sentiment de recommencersans cesse la même chose. Que vous dired’autre ?... Je pense aussi que, du côté des poli-tiques, on sait aujourd’hui des choses qu’onignorait totalement hier : on sait, au moins enthéorie, ce qu’il faudrait faire. C’est peut-êtremon optimisme fondamental qui parle...

Mme Michèle ROBSON (ONE) :

Vous croyez que les politiques bougeront tantque les immigrés n’auront pas le droit de vote?

Mme Anne HERSCOVICI :

Non... Un tout petit pas a été franchi avec ledroit de vote des Européens. Il y en aura sansdoute un autre, parce que beaucoup d’immigrésvivent chez nous depuis très longtemps et vontdevenir Belges grâce à la simplification de laprocédure de naturalisation. Mais je suisconvaincue qu’il est urgent de donner le droitde vote à tout le monde.

M. Jacques DEKOSTER (Ligue des Familles) :

Je m’adresse au dernier orateur. Vous avez citéun chiffre que je ne comprends pas : Bruxellesreprésenterait 17% de la population belge. Or ily a moins d’un million de Bruxellois, sur unepopulation de 10 millions... Une deuxième ques-

tion : quel est le lien entre les deux derniersexposés ? D’une part, on nous dit que la santémentale est moins bonne à Bruxelles, qu’on ysouffre davantage de toutes sortes de pro-blèmes; d’autre part, nous apprenons que plusde 260.000 personnes sont exposés à desniveaux de bruit supérieurs à 65 dB. Voilà peut-être le lien entre environnement et santé : qu’enpensez-vous ?... Mais il y a aussi le lien avec lapolitique. En France, depuis 1996, une loi trèsstricte sur l’air et le contrôle de l’énergie exigeque les municipalités de plus de 100.000 habi-tants établissent des Plans de DéplacementsUrbains qui diminuent le nombre de véhiculesmotorisés en circulation. Des opérations comme«En ville sans ma voiture» en sont une consé-quence visible. Dans le cadre du PDU de Lyon,40.000 personnes ont été interrogées, et lamajorité étaient favorables à une réduction trèsstricte de la circulation automobile...

M. Jean-Michel MARY (Cabinet de M. le MinistreGosuin) :

Le politique qui est dans la salle va répondre à ladernière partie de la question. Nous avons àBruxelles une ordonnance relative à la qualitéde l’air, qui impose aux entreprises de plus de200 travailleurs d’établir un plan de déplace-ment d’entreprise. L’IBGE a d’ailleurs été la pre-mière Administration à lancer des expériences-pilotes et à continuer à les promouvoir dans lecadre des éco-entreprises. Deuxième point :l’IBGE est en train de préparer, en application decette même ordonnance, le premier Plan struc-turel d’amélioration de la qualité de l’air. CePlan se situe dans les compétences en matière

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

92

questions sur leur état de santé, et on pourraitfaire le lien entre les deux.

Une participante :

Je travaille dans une école, du côté de la Gare duNord. Quand je donne cours, au 5e étage, le tra-fic nous empêche, à certains moments, de nousconcentrer. A-t-on évalué le bruit provoqué parle passage des trains aux heures où le trafic estintense?

M. Georges DELLISSE :

En ce qui concerne le bruit du trafic ferroviaire,on utilise un indice acoustique qui corresponden gros à une moyenne pour la période 7h-19h.On évalue la gêne par rapport à cette valeuracoustique. Dans les chiffres que je vous ai mon-trés, on a constaté qu’en Région bruxelloise,78% des personnes qui résidaient à proximitédes voies ferrées étaient fortement touchées parle bruit du trafic. Si votre école se trouve prèsd’une voie ferrée, il est donc fort probablequ’on atteigne des niveaux de bruit supérieursau seuil de gêne.

d’environnement, mais il intègrera évidemmentles critères de santé, puisque notre objectif est laqualité de la santé. Les objectifs de qualité del’air ne pourront être atteints, on le sait, que pardes mesures peut-être pas très populaires : ondevra se poser la question de la réduction quan-titative du trafic. Nous entendons bien, en toutcas, placer le débat politique à ce niveau-là.

Dr Jean TAFFOREAU :

Pour répondre à la première partie de la ques-tion : quand je parle de Bruxelles, il ne s’agit passtrictement des dix-neuf communes. L’entitébruxelloise comprend les communes qui fontpartie de ce qu’on appelle la banlieue. C’est cequi explique le chiffre de 17%.

M. Georges DELLISSE :

Je ne vous ai parlé que du bruit en Régionbruxelloise, et pour un nombre limité desources. En outre, les chiffres cités sont des esti-mations de la population potentiellementgênée par le bruit. Effectivement, il manque unlien, celui que nous aurions pu établir entre lagêne et les effets sur la santé.

Dr Jean TAFFOREAU :

Nous sommes en train de négocier une deuxiè-me enquête de santé, qui devrait avoir lieu en2001. Je pense qu’il serait très intéressant de tra-vailler avec l’IBGE et de voir si on pourrait inclu-re dans le questionnaire des questions poséesdirectement aux gens, pour savoir s’ils sontgênés par le bruit. On aurait en parallèle des

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

93

Il m’a été difficile, faute de temps, d’extrairebeaucoup d’éléments communs des exposés trèsdivers de cette matinée. Mme Herscovici nous aparlé de problèmes sociaux majeurs; M. Dellisse,de nuisances sonores; le Dr Tafforeau a exposéune large gamme de problèmes de santé, parmilesquels je retiendrai un peu arbitrairement les5% de prévalence de la dépression — un chiffrequi correspond à d’autres statistiques que nousconnaissons.

Je voudrais attirer votre attention sur un pointde l’exposé de Mme Herscovici qu’elle n’a pas eule temps de développer. Outre les interventionshumaines, organisationnelles et matérielles quela société peut avoir dans un quartier commecelui-là, elle a mentionné, parmi les grandesangoisses des mères, la petite et la grandedélinquance dans laquelle leurs enfants ontplongé ou risquaient d’être entraînés, ainsi quel’état matériel misérable de l’environnement. Jelui ai demandé — mais elle devait partir faireson travail de parlementaire — si ce qui estappelé aux Etats-Unis la «tolérance zéro» parrapport à la petite criminalité, est décrit commeayant un effet majeur sur le bien-être des quar-tiers de New York, par exemple. Le type d’actionsociale et psychosociale qu’indique le travail deMme Herscovici concourt probablement àl’ordre public. Mais la police également peutjouer son rôle : des policiers aimables peuventaussi être de bons professionnels.

Je voudrais recadrer les nuisances sonores dontmonsieur Dellisse a parlé en vous rappelant — jeprends ici un certain recul — qu’il n’y a plus eud’évolution génétique ces dix mille dernièresannées. Nous avons la même physiologie, lemême fonctionnement que les chasseurs-cueilleurs d’il y a une centaine de siècles. Commeces gens, nous sommes très bien équipés contrele stress aigu. Notre système hormonal (glandessurrénales, adrénaline, etc.) est axé sur une réac-tion efficace et rapide à un danger immédiat.Mais ce pour quoi nos ancêtres n’étaient paséquipés, c’est la résistance non pas au stress,mais au strain, c’est-à-dire à des situations quivous rongent, vous exaspèrent, vous frustrent,vous mettent mal à l’aise, etc. — chacun a sespropres termes. Une nuisance sonore quasi per-manente est sans aucun doute quelque chose dece type. Cela me semble être vrai aussi d’unendroit comme le quartier Van Artevelde, oùl’irritation, la frustration permanente, la laideurde l’environnement sont très démoralisantes.

Ce genre d’agression quotidienne expliquepeut-être les 5% de prévalence de la dépression.Cela voudrait dire que si, dans cette salle, nousconstituions un échantillon représentatif de lapopulation bruxelloise, cinq d’entre nous envi-ron seraient actuellement dépressifs! C’estcependant improbable, car les dépressifs ne par-ticipent pas à des activités tournées vers l’avenircomme celle-ci...

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

5. 5. Synthèse de la matinée 1

Prof. Jan BERNHEIM (Menselijke Ecologie, VUB)

1. L’orateur n’est pas engagé par cette transcription, qu’il n’a pu relire.

94

Il ne faut jamais sous-estimer les maladies men-tales comme source de souffrance. Je vous ai ditque mon hobby était la mesure de la qualité devie. Vous pouvez soumettre à des gens le ShortForm 36, et la somme pondérée des scores vousdonnera leur qualité de vie. Mais cela signifie-rait que les thèmes sélectionnés ont le mêmesens, le même poids pour tout le monde. Ce quiest tout à fait improbable ! Qu’est-ce qui estimportant pour vous ? Bien manger, bien dor-mir? Ou ne pas avoir mal, être heureux avecvotre partenaire, avoir des enfants en bonnesanté, etc.? Naturellement, vous ne pouvez paschoisir entre toutes ces questions, or c’est préci-sément ce que fait ce type d’instrument. LeShort Form 36 est donc pour moi le McDonald’sde la recherche sur la qualité de vie! C’est unoutil correct, bien conçu, relativement facile àemployer, mais qui ne donne pas des informa-tions très utiles. Nous savons que les gens sontdifférents, il faut donc des instruments de mesu-re individualisés.

La nature des choses est telle qu’à la fois ellessont constituées de la somme de leurs compo-santes et qu’elles constituent un grand tout, uneGestalt, pour employer un terme de psycholo-gie. De sorte que le plus important pour nous estla réponse à cette question : «comment allez-vous?»... Il faut prendre en compte l’ensemble,procéder de manière inductive et non déductive.Demander d’abord : «Madame, Monsieur, quel-le est votre qualité de vie ?»... Ensuite, à l’aidede questionnaires, essayer de voir quels sont lesthèmes les plus fréquemment associés à unequalité de vie élevée ou basse. On demande auxpatients de définir eux-mêmes une échelle, en

Je vais prendre à nouveau un peu de distance enpassant à mon hobby : je m’occupe aujourd’huide méthodologie de la recherche scientifique, etje mène mes propres recherches sur la carcino-genèse et la mesure de la qualité de vie. Je cite-rai d’abord John Ware, qui a conçu l’instrumentle plus répandu au monde pour mesurer la qua-lité de vie, le Short Form 36 — qui à mon avisn’est pas une très bonne méthode; mais la cita-tion, elle, est très bonne : «there is more to lifethan not being dead». Vivre, c’est bien plus quene pas être mort...

Certains d’entre vous ont peut-être entenduparler de la hiérarchie des besoins humains, quiva des besoins vitaux, indispensables à la survie(manger, boire, avoir un abri...), jusqu’à l’épa-nouissement personnel, la réalisation de sespotentialités. Si l’on envisage ces besoins dupoint de vue de l’évolution, on voit que lesbesoins vitaux ont été à la base de la sélection.Mais, actuellement, la survie et la procréationnous sont quasiment assurées. Nous ne vivonspas vraiment avec la crainte d’une mort précoce,et celui qui veut procréer, même s’il a des pro-blèmes, peut être de mieux en mieux aidé. Eviterla souffrance a été, tout au long de l’histoire, unbesoin très secondaire : la nature, l’évolution netiennent absolument pas compte de la souffran-ce. Alors qu’aujourd’hui éviter la souffrance estune de nos préoccupations principales. Le plaisirde vivre, la revendication du bonheur sont desconcepts assez nouveaux, de sorte qu’il y a unvéritable renversement de paradigme, appelonscela une révolution hédoniste. La santé seconfond avec le bien-être, comme on le voitdans la définition de l’OMS.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

95

plaçant en bas le souvenir le plus pénible de leurvie et, en haut, leur souvenir le plus heureux.Bien entendu, le contenu sera différent pourchaque personne.

Cette méthode, appelée ACSA (AnamnesticComparative Self Assessment, auto-évaluationcomparative anamnestique), a été appliquée à5.000 patients de l’hôpital universitaire deHumboldt (Berlin). Ces gens présentaient unegrande diversité de pathologies : problèmesd’alimentation (anorexie mentale ou boulimie),dépression, plaintes psychosomatiques, toxico-manie, hernie discale, maux de dos, hépatite C,maladies intestinales graves, diabète, graveinsuffisance hépatique (patients en attented’une transplantation du foie et patients aprèsune transplantation du foie)... Quels sont lesrésultats de cette étude? On observe une gran-de variation du bien-être général entre les affec-tions psychologiques et psychiatriques et lesaffections somatiques, corporelles : les pre-mières rendent les gens beaucoup plus malheu-reux que les secondes, qui peuvent être beau-coup plus graves sur le plan médical, mais pourlesquelles on bénéficie de soins de qualité.

Pour conclure, rappelons d’abord l’augmenta-tion de la longévité. Elle continue à progresserdans nos pays (nous approchons doucement des80 ans), mais aussi dans les pays en voie de déve-loppement. Fort heureusement, les deux serontsans doute sur une ligne de convergence, vers2050 peut-être.

Voyons maintenant la qualité de vie subjective.On a comparé une quarantaine de pays selon ce

qu’on appelle happy life expectancy (espérancede vie heureuse), c’est-à-dire la longévité multi-pliée par un coefficient de qualité de vie subjec-tive. Cela va de 30 à 64 années heureuses : il y aun terrible gradient entre les pays d’Europe occi-dentale et les pays en voie de développement.Bien entendu, c’est subjectif. Mais si vous cher-chez dans ces pays quelles sont les caractéris-tiques objectivement mesurables qui peuventêtre corrélées à la qualité de vie subjective deleur population — et il ne faut pas chercher bienloin —, vous constatez que des facteurs commela mortalité infantile, l’espérance de vie, l’ali-mentation, la sécurité, l’économie, les pro-blèmes sociaux, etc., sont pour la plupart corré-lés à la qualité de vie subjective.

Mais ces facteurs sont aussi, pour la plupart, entrain d’évoluer favorablement avec le temps, desorte qu’il y a un progrès objectif dans le mondeen général, et très certainement dans nos pays.C’est sur cette note optimiste que je terminerai.

BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

96BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

Je vais reprendre brièvement ce qui s’est dit aucours de ces deux jours en ce qui concerne laproblématique environnementale. Nous avonstrès vite débordé du cadre «environnement etsanté» vers des aspects plus sociaux et compor-tementaux; nous avons complexifié la probléma-tique. Il est peut-être temps maintenant dereplacer les choses au niveau institutionnel, deresituer le rôle de chacun.

Quelles sont les priorités environnementales ?Pour moi, six préoccupations principales ressor-tent de nos débats :1) le ressenti de la population;2) la dispersion des toxiques dans l’environne-

ment;3) la pollution atmosphérique;4) la pollution intérieure;5) le bruit;6) le stress urbain.

1. Nous avons vu les résultats d’enquêtes mon-trant que la population donnait la priorité auxproblèmes suivants : d’abord la pollution de l’air,puis le manque de propreté, enfin les nuisancessonores. Il est nécessaire d’objectiver ces préoc-cupations :

• sur le plan de la santé, il s’agira de distinguer,parmi les craintes, les risques actuellementressentis et les risques différés — ce sera, jepense, le rôle de l’Observatoire de la Santé,dont nous parlera Myriam De Spiegelaere;

• sur le plan de l’environnement, l’IBGE continuera le travail que M. Dellisse nous a montré par rapport au bruit ou M.Vanderstraeten par rapport à l’air, sans parlerd’autres aspects pour lesquels le ressenti de lapopulation devrait aussi être objectivé.

Nous devons également soutenir des recherchesqui ne se font pas nécessairement au niveaurégional mais suprarégional voire européen. Jepense, par exemple, à la problématique desGSM : la crainte que manifeste la populations’exprime à Bruxelles comme ailleurs. Enfin,toute une politique de formation et d’informa-tion doit se développer vers des intermédiairescomme nos partenaires d’aujourd’hui, les méde-cins généralistes, qui ont un rôle important àjouer par leurs contacts avec la population.

2. Au cours de la deuxième session, on a beau-coup parlé des toxiques, qu’ils s’agisse des can-cérigènes, des perturbateurs endocriniens ou

6. Santé et environnement : ce qui attend les BruxelloisSession présidée par M. Jean-Michel MARY

(Cabinet du Ministre de l’Environnement et de la Santé de la Région de Bruxelles-Capitale)

6.1. Les préoccupations environnementalesMme Annick MEURRENS (Recherche et Programmation, IBGE)

97BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

pourcentages les cas graves représentent-ils àBruxelles? Dans quelle mesure peut-on remédieraux problèmes en agissant sur le comportement— ou par une politique du logement ?

L’approche médico-environnementale s’imposemanifestement : c’est ici que le lien direct del’environnement sur la santé a été le mieux misen évidence. Bien sûr, il faudra mener égale-ment une politique de formation, d’informationet de sensibilisation, non seulement vers lapopulation, mais aussi vers les médecins, lesarchitectes, les paramédicaux, les travailleurssociaux, etc. Enfin, la lutte contre la pollutionintérieure doit s’inscrire dans une politique dulogement durable.

5. En matière de bruit, quatre priorités nousapparaissent :• poursuivre, au niveau régional, la reconnais-

sance scientifique et institutionnelle de cetteproblématique;

• donner une impulsion à des politiques supra-régionales pour faire reconnaître cette pro-blématique sur le plan international;

• articuler la lutte contre le bruit et la politiquedes transports;

• poursuivre la planification régionale enmatière de bruit, qui commence à se mettreen place.

6. Quant au stress, on se rend compte que cer-tains problèmes de santé à Bruxelles sont liés àl’environnement fortement urbanisé de laRégion. Ici encore, une reconnaissance scienti-fique et institutionnelle de ce fait est nécessaire.A partir de là, on pourra préciser les liens entre

d’autres. Les priorités pour notre Administrationsont :• de faire reconnaître ces toxiques (dont on a

vu qu’ils sont multiples) sur le plan scienti-fique et sur le plan institutionnel;

• d’assurer le suivi des filières de toutes ces sub-stances, aussi bien dans les déchets que dansl’eau ou l’air;

• de choisir et de mettre en œuvre des instru-ments de gestion de ces substances, afin deles éliminer.

3. On a vu que la pollution atmosphérique estcomplexe : quand on maîtrise enfin un polluant,un autre apparaît. Il est donc indispensable derester vigilants dans la surveillance : si, commenous le disait Professeur Kummer, la situations’est nettement améliorée pour certains pol-luants, elle s’est probablement détériorée pourd’autres. L’air n’est évidemment pas unique-ment une matière régionale; il faudra donc s’in-tégrer dans une politique suprarégionale. Enoutre, une interaction avec les politiques destransports et de l’énergie devra être recherchée.Enfin, nous préparerons au niveau régional uneplanification intégrée de l’air à Bruxelles, quireprendra les principaux concepts que je viensd’énoncer.

4. La plupart d’entre nous ont été assez impres-sionnés par la problématique de la pollutionintérieure. Il est certain qu’en matière d’effet surla santé, c’est un des éléments sur lesquels ontpeut agir au niveau régional. On a vu la com-plexité des aspects environnementaux, compor-tementaux et médicaux. Il s’agit donc, dans unpremier temps, d’objectiver la situation : quels

98BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

stress et dépression ou anxiété, mais aussi entrestress et localisation de l’habitat. Enfin, il s’agi-rait de préparer un plan environnement-santéau niveau régional, comme il en existe un auniveau fédéral dans le cadre d’une politique del’OMS. Ce serait pour nous une opportunité d’in-troduire les préoccupations environnementaleset de santé dans un outil globalisé qui nous per-mettrait de progresser dans les prochainesannées.

99BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

Région est de 1... Il y a là une sous-estimationévidente, liée à un manque de précision dans lescertificats : j’ai trouvé 86 décès suite à l’exposi-tion à un agent d’origine inconnue. On retrouveici la question de la sensibilisation et de la for-mation, en l’occurence la formation des méde-cins à certifier le plus précisément possible lacause des décès.

Auprès de qui recueillir les informations? J’aiparlé des données sur la mortalité. Ce qui esttrès difficile à obtenir, ce sont des données demorbidité, qu’il s’agisse de la prévalence ou del’incidence. Nous faisons des démarches auprèsdes mutuelles. On peut aussi obtenir des don-nées par l’intermédiaire du résumé cliniqueminimum, mais c’est un outil peu fiable sur leplan épidémiologique. Il faut établir des parte-nariats avec les travailleurs de terrain qui sontconfrontés quotidiennement aux demandes dela population : les médecins généralistes, lesinfirmières, les services préventifs comme l’ONEet Kind & Gezin, les services de médecine scolai-re, de médecine du travail. L’Observatoire s’estengagé avec ces partenaires pour développerdes outils de recueil de données permettantd’avoir une meilleure perception de l’état desanté de la population.

Notre deuxième mission est d’analyser les infor-mations recueillies. Je ne vais pas entrer ici dansles détails de l’analyse statistique. Je pensequ’un aspect des plus importants est l’intégra-

Les missions de l’Observatoire de la Santé sont«de recueillir, de traiter et de diffuser les infor-mations nécessaires à l’élaboration d’une poli-tique coordonnée de la santé sur le territoire dela Région de Bruxelles-Capitale». C’est dans unesprit de transversalité que les autorités ontchoisi d’élargir les missions de l’Observatoire auxaspects sociaux de la santé, en particulier à lapauvreté. On retrouve la même volonté d’élar-gissement dans cet axe santé-environnement.

«Recueillir des informations» : dans le cadre par-ticulier santé-environnement, de quelles infor-mations s’agit-il ? Auprès de qui va-t-on lesrecueillir ? Comment garantir la qualité de cesinformations ?... Nous avons accès à certainesinformations, comme les certificats de décès :pour l’année 1998, c’est l’Observatoire qui ana-lyse les statistiques de décès en Région bruxel-loise. Ces données peuvent nous permettre dechiffrer certains problèmes de santé liés à l’envi-ronnement, mais il faut rester très prudent. Parexemple, on dispose de données fiables sur lesdécès par cancer, mais il est difficile d’établir unlien avec les problèmes environnementauxbruxellois, étant donné le laps de temps quisépare l’exposition à un toxique et le décès : desgens peuvent avoir migré entretemps et s’êtreinstallés à Bruxelles.

J’ai retiré quelques données des statistiques quenous analysons actuellement. En 1998, lenombre de décès par intoxication au CO dans la

6. 2. Les préoccupations de santé

Dr Myriam DE SPIEGELAERE (Observatoire de la Santé de la Région de Bruxelles-Capitale)

100BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

tion des données : de même qu’un médecingénéraliste, pour évaluer l’état de santé de sonpatient, doit intégrer les données de l’anamnè-se, de l’examen physique du patient, des exa-mens complémentaires, de ce qu’il constate dansl’habitat, — nous devons, pour faire un diagnos-tic de l’état de santé de la population bruxelloi-se, intégrer des données de qualité différente,des données de type quantitatif et qualitatif,des données limitées dans certains sous-groupesde population, etc.

Il est très important que l’Observatoire approchela santé de manière aussi globale que possible.Dans le domaine de l’environnement, on a puvoir qu’il existe une interaction entre différentsdéterminants de la santé. On a parlé du satur-nisme : il est certain que les enfants carencés enfer sont plus sensibles à l’intoxication au plomb.Or les enfants de milieu défavorisé sont beau-coup plus souvent carencés en fer; on estime

que, dans les quartiers populaires bruxellois, unquart des enfants sont concernés.

Autre exemple d’interaction : des études ontmontré que le tabagisme passif avait des effetssur la fonction respiratoire des enfants, quiétaient non pas additionnels mais synergiquesavec les effets de l’humidité. En d’autres termes,un plus un n’égalent pas deux mais trois. Or onsait que dans les quartiers du centre de Bruxelleset de la première couronne, l’humidité des loge-ments est associée à un tabagisme passif plusimportant.

Il faut également resituer les déterminants envi-ronnementaux dans le cadre plus large desdéterminants de la santé. Le schéma 1, bien quetrès simpliste, montre que l’état de santé despersonnes est lié à un nombre très important defacteurs en interaction.

TRAVAIL REVENUS INSTRUCTION

ALIMENTATION

LOGEMENT SOINS DE SANTÉ

ENVIRONNEMENT SUPPORT

SOCIAL

ETAT DE SANTÉ

101BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

nels et la population, ainsi que le monde scienti-fique : nous estimons avoir la responsabilitéd’interpeller les chercheurs, pour que leurs tra-vaux soient orientés vers les problèmes réels duterrain, et que celui-ci puisse bénéficier de larigueur méthodologique des recherches.

Pour donner des informations en termes desanté et d’environnement, il faut construire desindicateurs spécifiques dans ce domaine. L’OMS,dans le cadre du projet Villes-Santé, a sélection-né 53 indicateurs qui permettent d’évaluer l’étatde santé d’une population urbaine. On y re-trouve des indicateurs classiques (mortalité,faible poids à la naissance...), pour lesquelsl’Observatoire peut certainement apporter sacontribution, mais aussi :• le degré de participation de la population à

la résolution des problèmes (le nombre degroupes d’entraides, p. ex.);

• l’accès aux soins ou l’offre de soins;• des indicateurs de type social (le niveau

d’études, la proportion d’enfants quittantl’école sans diplôme...);

• des indicateurs environnementaux (le degréde pollution atmosphérique, la qualité del’eau, ainsi que le niveau de pollution perçupar la population);

• des indicateurs de la qualité de vie (l’accèsaux espaces verts, aux espaces de détente etde loisirs...);

• des indicateurs de pauvreté.C’est dire que, pour avoir une ville en santé, tousces aspects doivent être mesurés et pris encompte. Mais, si le rôle des experts en santépublique est bien de construire ces indicateurs,c’est le rôle de la population et des profession-

Depuis peu, à l’Observatoire, nous avons lachance de travailler avec une géographe socialequi a participé à l’élaboration de la cartographiede la pauvreté à Bruxelles. Cet outil nous permetde mieux visualiser dans l’espace certains déter-minants de la santé. Les logements sans confortde base (c’est-à-dire ceux auxquels il manque aumoins un des éléments suivants : eau courante,salle de bain ou douche) sont concentrés dans lapartie gauche du pentagone, à Molenbeek,Cureghem, Ixelles, Etterbeek, une partie deSchaerbeek, Saint-Josse. Dans ces quartiers, plusde 35% des logements ne disposent pas duconfort de base. Si on compare avec la carte durevenu moyen par habitant, on retrouve à peuprès les mêmes zones. On peut donc s’attendreà ce que vivent, dans ces logements sans confortde base, des gens qui n’ont pas non plus lesmoyens de les réaménager.

Nous envisageons de travailler les dimensionsspatiales de la santé au départ de cet outil. Noussouhaiterions travailler avec l’IBGE, qui disposede cartes similaires en termes de bruit ou de pol-lution extérieure. Si l’ambulance verte se metbientôt en route, on réalisera peut-être aussiune cartographie de la pollution intérieure. En«croisant» l’ensemble de ces facteurs, on auraune meilleure vision des zones où des actionsprioritaires devraient être engagées.

Enfin, notre troisième mission est de diffuser lesinformations recueillies. Auprès de qui? En pre-mier lieu, auprès des décideurs politiques et ins-titutionnels : l’Observatoire se considère avanttout comme un outil d’aide à la décision. Noussouhaiterions toucher également les profession-

102BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

nels de la santé de définir ce qui doit être mesu-ré en priorité : un indicateur n’est qu’un outil demesure.

A titre d’exemples, voici des questions qui pour-raient être des appels à la construction d’indica-teurs à l’échelle de la ville : comment mesurerl’accès réel à des lieux de détente adéquats ?Comment mesurer la sécurité des logements, lasécurité dans la ville pour les enfants ? Commentmesurer l’accès à l’eau potable pour tous, l’accèsà un logement pour tous ? Comment mesurer lestroubles du sommeil liés au bruit ? Et commentmesurer les cumuls et les interactions de ces dif-férentes nuisances ?

Pour conclure, je dirai qu’outre son apport entermes de données, l’Observatoire de la Santévoudrait engager un partenariat très large avecles autres Administrations mais aussi avec lesprofessionnels de terrain et avec la population,pour que les problèmes de santé soient pris encompte dans l’entièreté des politiques urbaines :logement, mobilité, aide sociale... Tout cela peutse retrouver dans le concept de Ville-Santé, verslequel les autorités régionales souhaitent s’en-gager.

103BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

M. Jean CECH :

On nous a parlé des outils de mesure qui sontmis en place, d’une part, par l’Administration del’Environnement et, d’autre part, parl’Observatoire de la Santé. J’ai beaucoup enten-du parler de mesurer, de mesures... J’ai un peul’impression d’avoir affaire à une main gaucheet une main droite, mais ces deux mains tra-vaillent-elles ensemble ?

Dr Myriam DE SPIEGELAERE :

Je pense que les mesures peuvent être séparées,simplement pour des raisons techniques. Mais cequi est important, c’est de faire des propositionsen termes de politiques, puis d’évaluer l’impactde ces politiques. Et là, on ne peut plus travaillerséparément : il faut vraiment travailler maindans la main.

M. Jean CECH :

Ne vaudrait-il pas mieux qu’un seul outil prennel’ensemble des mesures?

M. Jean-Michel MARY :

L’Observatoire de la Santé en Région bruxelloiseest, sous sa forme actuelle, un outil très récent :la nouvelle équipe s’est mise en place il y aquelques mois et a entrepris de collationnertoute une série de données. Mais Myriam De

Spiegelaere et l’IBGE échangent déjà des infor-mations depuis un certain temps, puisqu’ils onteu l’occasion de travailler ensemble à un docu-ment relatif à la santé et l’environnement dansun autre contexte que celui-ci. Des passerellesont donc été mises en place. Et, au moment oùl’on conçoit cet Observatoire de la Santé, j’ai étéheureux d’entendre qu’on a le souci d’intégrerl’ensemble des paramètres qui font la santédans une ville. Il n’y a pas que l’environnement :on a évoqué le social à plusieurs reprises; il y ades facteurs culturels qui ont une incidence surles modes de vie et la santé des gens (et, àBruxelles, une multitude de cultures coexis-tent)... Par ailleurs, le Ministre Gosuin a déjàdéveloppé à plusieurs reprises l’idée d’unObservatoire régional qui centraliserait l’en-semble des données produites à Bruxelles, ali-menterait un «état de la Région» publié réguliè-rement et s’inscrirait dans la logique du PlanRégional de Développement. Le PRD devraitidéalement intégrer toutes les facettes de la vieurbaine, y compris les aspects en relation avec lasanté.

M. Jean-Pierre HANNEQUART (Directeur généralde l’IBGE) :

Il me semble qu’en effet nous faisons tout ceque nous pouvons pour travailler de manièreintégrée et que des progrès sont réalisés. Enmême temps, j’ai le sentiment que nous nesommes pas à la hauteur des problèmes : il fau-

6. 3. Débat

Animé par M. Jean CECH, éditeur du magazine «Ecomanager».

104BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

son n’ont toujours pas compris qu’il faut chan-ger les conceptions et les méthodes de construc-tion. C’est très bien, ce qu’on fait àl’Observatoire de la Santé; les pistes que donneAnnick Meurrens, c’est intéressant. Mais j’ai l’im-pression que, dans dix ans, on ne sera pas enco-re sorti de l’auberge.

M. Jean CECH :

C’est une pierre dans le jardin de qui, ça?

M. Jean-Pierre HANNEQUART :

C’est une pierre dans le jardin du politique, maisplus généralement il s’agit d’une prise deconscience de la société. Le vote «vert» progres-se, oui, mais il n’est pas encore arrivé à changersuffisamment la société... On ne parle que demondialisation : qu’est-ce qu’on a comme outilsface à la mondialisation? Des gens vont casser labaraque pour empêcher une réunion, et tout lemonde est content parce qu’on a réussi à empê-cher une réunion qui allait libéraliser encore unpeu plus les choses. Mais c’est loin d’être la solu-tion! Les multinationales continuent à commer-cialiser tout et n’importe quoi. Quand elles nepeuvent pas fabriquer un produit ici, elles vontle fabriquer ailleurs. Depuis qu’on a prisconscience du problème de l’environnement, jene sais pas quels produits on a vraiment arrêtéde produire et de commercialiser sur la planète!

Prof. Alfred BERNARD :

Je ne suis qu’un chercheur, mais je voudraisabonder dans le sens de M. Hannequart. Dans

drait changer le logement, changer la qualité del’air, changer les produits et les substances en cir-culation. Notre société ne reconnaît pas les pro-blèmes dans toute leur dimension : de temps entemps, on s’alarme parce qu’une catastropheapparaît sur l’écran de télévision, mais aprèsc’est reparti... Les gens ne croient toujours pasaux changements climatiques. Ils ne croient pasà la pollution des fleuves, ils pensent qu’on vaépurer l’eau. Ils ne croient pas qu’il y a du ben-zène dans les villes, que c’est cancérigène etqu’il est temps de prendre des mesures plus radi-cales... S’il est vrai qu’au niveau bruxellois onavance dans un certain sens, en même temps onest dans un monde qui n’a toujours pas comprisquelle était l’ampleur des problèmes et que lessolutions sont loin d’être trouvées. On discute icide pentachlorophénol, de PCB, etc. Tous ces pro-duits ont été repérés dès la fin des années 60 oule début des années 70! On a fait des confé-rences internationales, on a rédigé des conven-tions... Mais on en reste à des interdictions par-tielles. Il faut cinq ans pour faire aboutir uneconvention internationale, puis cinq ans pour laratifier, et encore cinq pour l’appliquer : entre-temps, la pollution de l’environnement se pour-suit, le PCB continue à pénétrer dans tous lesmilieux. On n’est pas à la hauteur, particulière-ment en ce qui concerne les toxiques et l’inter-diction de produits et de substances. C’est biengentil de vouloir mesurer, évaluer les problèmesà notre niveau, mais ça ne suffit pas! Il faut tra-vailler à la source : où est la source de la pollu-tion du Danube? Où est la source de la maréenoire en France?... Où est la source de la pollu-tion intérieure? Il faut changer l’habitat! Maisles architectes et les gens qui font bâtir une mai-

105BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

notre société, il y a pratiquement un divorceentre la réflexion, la pensée, le savoir, d’unepart, le pouvoir et l’action, d’autre part. On saiténormément de choses sur les risques majeurs.Mais ceux qui décident, ce ne sont pas ceux quisavent. Les scientifiques ont beau tirer le signald’alarme en ce qui concerne l’effet de serre, pasgrand-chose ne bouge. Il y a des problèmesrécurrents au niveau du trafic : on sait ce qu’ilfaut faire! On peut accumuler des données, maisle passage à l’action ne se fait pas, ou il ne se faitpas partout : il y a une grande variabilité entrepays, certains suivent les avis des scientifiques,d’autres pas. Il existe des pollutions irréversibles,que l’on connaît, mais qui ne sont pas médiati-sées : on n’en parle pas en dehors des milieuxscientifiques. Il faut dire que certaines mesuresne sont pas très attrayantes, ni économique-ment, ni politiquement.

M. Jean CECH :

N’y a-t-il pas aussi une part de responsabilité dumonde scientifique, sur le plan de l’éducation etde l’explication claire et intelligible des pro-blèmes?

M. Jean-Michel MARY :

Je voudrais dire un mot, parce qu’évidemmenton se tourne très vite vers le politique. C’est unpeu facile mais c’est légitime : il a été élu pourrésoudre les problèmes qui interpellent la popu-lation. Mais je voudrais, moi aussi, renvoyer laballe dans le camp des scientifiques. Quand onleur demande de définir exactement un problè-me (par exemple, quel est l’impact sur la santé

de tel type de pollution), il n’est pas fréquentqu’il en ressorte, comme aujourd’hui, une corré-lation évidente entre tel type de pollution et telgroupe de pathologies. Dans la plupart desexposés, d’ailleurs, nous avons eu droit aux pré-cautions oratoires : «vous savez, on pense croireque... mais on n’en est pas vraiment sûr». Lepolitique doit pouvoir prendre des décisions.Bien sûr, quand on est dans le doute, il vautmieux s’abstenir, et surtout s’abstenir de polluer.Mais quand on demande quels sont les polluantsqu’il faut éradiquer d’urgence parce qu’ils ontun effet éminemment nuisible sur la santé, onn’a pas toujours des réponses très claires.

Dr Myriam DE SPIEGELAERE :

C’est vrai qu’il n’y a pas de certitude par rapportà certaines questions, mais si quelque chose res-sort nettement de ces deux journées, c’est bienque le logement joue un rôle très importantdans le lien environnement-santé. L’état deslogements, dans la plupart des quartiers popu-laires de Bruxelles, est mauvais. Je regrette queles politiques responsables du Logement ne par-ticipent pas à ce débat, parce que, dans cedomaine, il y a vraiment des choses à faire : aiderà la rénovation, permettre aux familles d’avoirun logement de taille adéquate (la ventilationd’un logement dépend aussi du nombre de per-sonnes qui y vivent!)... Tout cela ne fait de doutepour personne. Des mesures immédiates peu-vent être prises, mais une décision politique desoutien à une partie de la population est néces-saire.

106BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

M. Jean-Michel MARY :

Nous allons passer la balle à Jacques Kummer,parce qu’hier il nous a tous surpris en disantqu’en réalité l’environnement s’améliorait...

107BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

Même si notre tendance naturelle est d’allervers ce qui nous semble le meilleur, quand on nesait pas très bien dans quel sens aller, il est bonparfois de s’arrêter et de regarder d’où l’onvient. Au début du siècle, les cheminées (desusines mais aussi du chauffage) crachaient forte-ment des suies et des vapeurs acides. Cetteconstatation, on peut la faire simplement enregardant de vieux calendriers ou d’autres gra-vures anciennes qui montraient des paysagesavec des usines. Oserait-on dire qu’autrefois lapollution était liée à l’activité et donc était aussiun signe de richesse et de prospérité...

Il y a eu quelques incidents, pour ne pas dire desaccidents graves, mais qui semblaient êtreacceptés dans une certaine mesure, tout commeles accidents du travail. Dans cet ordre d’idées,un petit rappel historique : Le Soir du 8décembre 1930 titrait «63 personnes sontmortes dans la vallée de la Meuse, le brouillardseul serait la cause». En fait, on s’est trouvé dansdes circonstances graves, où les rejets atmosphé-riques combinés à des conditions météorolo-giques particulièrement défavorables ont donnélieu à des brouillards épais et persistants pen-dant plusieurs jours.

En Belgique (tout comme dans d’autres paysd’Europe à la même époque), la première loi delutte contre la pollution de l’air date dedécembre 1964 : c’est-à-dire trente-quatre ansaprès les faits que nous venons de relater. C’est

aussi en 1964 que l’on a commencé à mesurer,de manière continue, la pollution de l’air enBelgique, principalement dans les cinq plusgrandes villes, dont Bruxelles. On mesurait alorsdeux polluants : les fumées noires et le SO2 (ouplutôt l’acidité de l’air). Il ne faudrait pasprendre de mauvaise part ce que je vais dire,mais ce matériel de mesure est devenu obsolète,d’une part compte tenu de l’évolution des tech-niques de mesure, et d’autre part du fait del’évolution de la nature des polluants qu’il fautprendre en considération. Bien entendu,d’autres techniques de mesure de la pollutionde l’air ont été mises en place depuis lors. Pourles deux polluants en question, la pollution aévolué de manière favorable, étant donné qu’ilsont fortement diminué au cours des deux der-nières décennies. Ceci étant dit, il ne faut passupprimer totalement les anciens réseaux demesure; ils peuvent servir de référence pourmontrer d’où nous venons, et ils ont aussi unevaleur pédagogique certaine.

Ce dont il faut bien se rendre compte, c’est quela pollution, ou plutôt les différentes formes depollution, ainsi que notre perception de la pol-lution de l’air ont évolué au cours des dernièresannées, pour toute une série de raisons.D’abord, les sources de pollution se sont modi-fiées : on a changé de mode de chauffage, desactivités industrielles ont cessé, d’autres sontapparues ou se sont modifiées, la circulationautomobile et le trafic routier ont fortement

6. 4. La qualité de l’air à Bruxelles : problème réel pour la santé ?

Prof. Jacques KUMMER

108BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

plus ou moins longue échéance, sur la santé.D’autres effets directs ou indirects sur l’environ-nement (et qui pourraient avoir des consé-quences pour la santé) sont aussi à prendre enconsidération. Comme nous l’avions mentionnéplus haut, notre perception de l’environnements’est modifiée : autrefois, on raisonnait entermes de morts immédiates; aujourd’hui, oncommence à se poser la question des effets defaibles doses à long terme.

A Bruxelles, il y a plusieurs dizaines de décès paran du fait du CO. Les morts, c’est la partie émer-gente de l’iceberg des effets possibles de la pol-lution intérieure. La pollution intérieure n’estpas nécessairement en corrélation avec la pollu-tion extérieure. Il fut un temps où les hôpitauxrecevaient plusieurs centaines de personnes quine se sentaient pas très bien, qui venaient pourdes maux de tête, des malaises, et qui étaient enfait intoxiquées au CO. Mais on ne faisait pas larelation, et dès lors on ne repérait pas le problè-me. C’est une question de formation des méde-cins, mais aussi de moyens : quand un patient seprésente et que l’on suspecte quelque chose, ilfaut pouvoir envoyer quelqu’un sur place. C’estpourquoi je plaide depuis longtemps en faveurd’un système d’ambulance verte et de la forma-tion de techniciens spécialisés aptes à investi-guer la qualité de l’habitat.

Les chiffres montrent qu’au fil du temps la pol-lution de l’air diminue plutôt, mais il faut évi-demment distinguer cela de l’exposition àlaquelle les gens sont effectivement soumis.C’est ici que la pollution intérieure prend touteson importance : nous passons plus de 85% de

augmenté, les caractéristiques des moteurs ontchangé, etc. Mais aussi, notre mode de vie a fon-damentalement changé, ainsi que notre sensibi-lité et nos exigences.

Du point de vue de la pollution de l’air, nos pré-occupations actuelles sont orientées, notam-ment pour les effets sur la santé, sur les finesparticules (notamment celles qui sont émises parles moteurs diesel), les oxydes d’azote, et bienentendu l’ozone, qui apparaît à certainsmoments critiques durant les périodes de forteinsolation. Pour les fines particules, les mesuressont relativement récentes, et nous manquonsencore de recul pour voir leur évolution. Dupoint de vue de la santé, la pollution intérieure,qui peut se présenter sous différentes formes,est une donnée importante qu’il ne faut passous-estimer. Ici l’on passe d’une approche glo-bale à une vision très locale du problème.

En fait, il y a de nombreuses sources de pollu-tion, mais on ne fait réellement le suivi en conti-nu que d’une dizaine de polluants. Plus de100.000 produits sont sur le marché européen,et plus d’une centaine de produits nouveauxarrivent chaque année. Fort heureusement, tousne se retrouvent pas dans l’air. Certains produitstels que les fameux CFC, peu dangereux pour lasanté, ont été interdits car ils représenteraientun danger pour la couche d’ozone stratosphé-rique.

Les polluants se dispersent, se distribuent, setransforment, et donnent lieu à une expositionde l’individu, entraînant des effets qui vontd’une mort immédiate à des effets possibles, à

109BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

notre temps dans des milieux intérieurs.Monoxyde de carbone, formaldéhyde, fuméesde tabac, solvants, parfois vapeurs de mercure(provenant d’un thermomètre cassé), agents chi-miques, pesticides, moisissures, pollens et autresagents biologiques, etc., sont des polluants aux-quels nous sommes exposés dans les milieuxintérieurs.

L’habitat est important, puisque nous y passonsune part plus ou moins importante de notrejournée, mais il y a aussi les lieux de travail. Etnos milieux intérieurs sont de plus en plus isolés.Nous avons des systèmes de conditionnementd’air qui fonctionnent depuis trente ans mainte-nant : a-t-on accès aux tuyaux pour lesnettoyer ? J’ai déjà mis le doigt dans l’un de cestuyaux... Il y a une couche de suies noires, maison ne pense pas à ce polluant parce qu’on ne levoit pas, et pourtant l’air que nous respironspasse dessus. Notre perception de l’environne-ment est souvent prise en défaut par nos sens.

Néanmoins, les choses avancent peu à peu. Lemonde médical aussi évolue, on va progressive-ment d’une médecine curative vers une médeci-ne préventive. On ne s’intéresse plus unique-ment aux cas aigus, et on va progressivementvers une politique de santé où les facteurs d’en-vironnement sont pris en considération. La prisede conscience est une chose; l’information et laformation sont d’autres éléments d’une poli-tique globale de santé et d’environnement dequalité. A ce niveau, je pense que le relaisdevrait se faire plus rapidement entre lemoment où un phénomène est perçu et qu’uneinformation est donnée, et celui où elle se tra-

duit en décision qui vise à l’amélioration de laqualité de vie pour tous.

110BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

l’air à l’intérieur des habitations (en relationavec l’asthme, notamment) et sur la pollution del’air à l’extérieur.

Je vais maintenant vous présenter quelques don-nées provenant de recherches que nous effec-tuons à Bruxelles. Le tableau 1 vous montre lapollution dans l’air des villes au cours des der-niers jours : • la pollution non particulaire (l’ozone, les

oxydes d’azote, mais aussi le benzène, lebutadiène), qui comprend des oxydants puis-sants et des cancérogènes;

• la pollution particulaire. Elle n’est pas visible,contrairement aux fumées noires.

Health impact of air polutants

Pollutants Effects

Non particulate Lung impairmentO3, NOx Lung inflammationSO2, VOCs Respiratory illness

Particulate Asthma exacerbationPM10, PM2.5 Premature deathPM1, UF, PAHs,... Cancer

M. Kummer a parlé de la pollution du début dusiècle — de grosses particules acides qui s’arrê-tent au niveau des voies respiratoires supé-rieures. Elle est beaucoup moins dangereuse quela pollution actuelle — des particules ultra-fines

Je voudrais d’abord revenir sur le point men-tionné par M. Hannequart : la transposition dusavoir en action. Lorsqu’on observe des événe-ments récents — je pense aux crises alimentaires—, il est clair qu’ils étaient évitables. On savait.Les pratiques de traitement et de recyclage desdéchets étaient irrationnelles. A Bruxellescomme dans toutes les villes européennes, onsait que le moteur diesel est le plus polluant etqu’il n’a pas de sens en milieu urbain. EnBelgique, nous avons un record de pénétrationdu marché par le moteur diesel. Il paraît qu’àpeu près 200.000 véhicules entrent tous les joursà Bruxelles, dont la moitié de véhicules diesel —et en plus ils circulent très lentement. On a donclà une source de pollution identifiée, et lesscientifiques sont d’accord : c’est cancérogène.Les politiques n’ont pas besoin d’indicateurspour prendre des mesures à ce niveau-là.

Mais il est vrai aussi qu’on peut incriminer lemonde scientifique. On fait bien de dire parfoisque les scientifiques s’expriment mal, communi-quent mal. Mais, en juin 1999, la Conférenceintergouvernementale Environnement et Santé— avec l’OMS, l’Union européenne et laFondation européenne pour la Science — aréuni à Londres une soixantaine de scientifiquesqui ont défini des priorités en matière de santéet d’environnement. Qu’en ressort-il? La pollu-tion de l’air apparaît effectivement comme prio-ritaire : on a assez d’indicateurs, assez demesures, il est temps d’agir sur la pollution de

6. 5. Evaluer les risques réels liés à l’environnement ?

Prof. Alfred BERNARD

111BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

Ce genre de technique repose sur une simpleprise de sang. Nous sommes partis de l’idéequ’on pouvait mesurer dans le sang des pro-téines spécifiques du poumon. L’interprétationdevient alors très simple : • s’il y a des lésions de la barrière qui sépare le

sang du poumon (ce qui se produit très sou-vent en cas d’exposition à l’ozone, p. ex.), laprotéine augmente dans le sérum;

• s’il y a des lésions chroniques qui tuent lescellules du poumon (dans le cas du tabagis-me, p. ex.), la protéine diminue dans lesérum.

Dans une étude effectuée l’an dernier, nousavons comparé des policiers bruxellois à desforestiers. Les mesures ont été réalisées en hiver,pour voir les effets chroniques. L’échelle estrégionale, ce qui est intéressant parce qu’à ceniveau le taux d’ozone ne bouge pas.

Le graphique 1 (p. 112) présente un métabolitedu benzène, l’acide muconique, que l’on mesuredans l’urine : c’est un indicateur précis de l’ab-sorption de benzène. On voit très bien que lespoliciers bruxellois en absorbent davantage queles forestiers, et que l’absorption est plus impor-tante chez les fumeurs : la pollution de l’air vientdonc s’ajouter au tabagisme. Tout cela confirmece que l’on savait : il y a un problème de pollu-tion par le benzène à Bruxelles. Je rappelle quece n’est pas le polluant le plus dangereux — c’estle plus facile à mesurer.

Malgré ces données, je ne suis pas trop inquiet :quand il n’y aura plus de pétrole, il n’y aura plusde pollution! Ces polluants vont sans doute dis-

émises par les véhicules diesel, qui provoquentdes inflammations au niveau du poumon, desmaladies respiratoires et des décès prématurés.

On peut établir des associations entre destoxiques et l’état de santé, mais cela ne suffitpas : il faut que ces associations soient causales.On décrit souvent les effets à court terme — unpatient présente une exacerbation de l’asthmependant quelques jours. Le problème, ce sont leseffets à long terme, notamment les risques decancer et l’augmentation de l’asthme dans lemonde. La grosse question qui se pose, c’est lacontribution relative des pollutions particulaireet non particulaire. Que faut-il mesurer : les par-ticules, l’oxyde d’azote, l’ozone ? Qu’est-ce quiest le plus dangereux pour la santé ? Et enfin, leplus important, c’est d’expliquer les choses etpas seulement de les observer : seule l’explica-tion permet d’agir de façon rationnelle.

Dans les recherches que nous menons àBruxelles, nous avons développé des indicateursextrêmement sensibles permettant de voir ceque fait le polluant à l’intérieur du poumon.Jusqu’il y a peu, on comptait les décès, lesmalades, on faisait des tests spirométriques, ondonnait des questionnaires, on observait laconsommation de médicaments contre l’asthme,mais on ne disposait d’aucun test mesurant leseffets du polluant sur les cellules de l’epithéliumpulmonaire. C’est particulièrement important àpropos des enfants, qui sont les plus sensibles etpour lesquels on n’avait aucune donnée. Aucunautre test ne permet actuellement de savoirquels sont les effets d’un pic d’ozone sur l’épi-thélium respiratoire d’un enfant.

112BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

paraître avec l’arrivée de carburants pluspropres et la voiture électrique. La situation estdonc inquiétante pour ceux qui subissent cettepollution, mais elle est réversible, d’autant plusque ces polluants sont particulaires. Tôt ou tard,les particules finissent par retomber, et les ben-zènes et les autres polluants par être oxydés.

Ce qui est plus inquiétant, ce sont les phéno-mènes irréversibles, dont on parle peu. Si ondécide de supprimer le nucléaire, on va brûlerdes combustibles fossiles. Or, qu’il s’agisse decharbon, de gaz naturel, de pétrole ou de bois,

on provoque inévitablement un dégagementd’oxyde d’azote. La conséquence en est que,dans l’Hémisphère Nord, la concentration nor-male d’ozone dans la troposphère (là où nousvivons), qui a été multipliée par un facteur deuxà trois depuis la fin du XIXe siècle, risque encored’augmenter. L’ozone est un oxydant très puis-sant, dont les variations, un peu comme celles dela température, sont peu supportables.

C’est donc inquiétant pour la qualité de la vie,comme le montrent les résultats d’une étudefaite à Parme en été. On a demandé à des volon-taires de laisser leur voiture au garage et deprendre leur vélo; ils ont fait une balade en villeet on a mesuré le taux d’ozone dans le sang.L’échelle est donc locale, et l’effet, aigu. Nous nenous attendions pas aux résultats : on voit que labarrière qui sépare le poumon du sang est alté-rée par l’ozone à des concentrations qui respec-tent la norme. Cela signifie que les allergènes etles cancérogènes pénètrent plus facilement.

Or il s’agit d’adultes, et nous pensons, sans enavoir la preuve, que les enfants sont plus sen-sibles à l’ozone, sans doute en raison de la jeu-nesse des organes mais aussi de l’hyperactivité.Nous allons donc essayer de voir ce qui se passechez les enfants lorsqu’il y a un pic d’ozone. Siles enfants sont effectivement plus sensibles, ilfaudra en tenir compte : pensons aux conseilsque l’on donne aux sportifs et aux personnessensibles en cas de pic d’ozone. Nous allons étu-dier ce phénomène en relation avec un autrephénomène inquiétant, l’augmentation del’asthme chez l’enfant dans le monde.

Graphique 1

113BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

qu’il faut, c’est braquer l’intérêt et la recherchesur la source du problème! On mesure le benzè-ne depuis cinq ans dans mon Institut : ce quimanque, ce sont des plans d’action pour leréduire à la source. Et qui s’attaque à la sour-ce?... Je vais reprendre l’exemple de la crise ali-mentaire : pour l’instant, que fait-on ? On faitun débat sur des agences qui vont faire desmesures, et puis encore des mesures. Mais lasource est dans la gestion des déchets de PCB,d’huiles usées et d’huiles de friture!... On est entrain d’éliminer les condensateurs : qu’est-ce quigarantit qu’ils ne sont pas rejetés dans la natu-re ? Il est évident que nous n’avons pas de poli-tique à la hauteur. Notre politique a permis derepérer qu’il fallait gérer les déchets de PCB,mais que fait-on après ça ? L’interdiction desproduits ne s’accompagne pas d’une politiqued’incitation économique, pour récupérer systé-matiquement les condensateurs et les transfor-mateurs, ni d’une politique suffisante en termesd’éducation et d’information. Dix ans aprèsavoir interdit, l’Europe est en train d’obligertout le monde à faire des inventaires ! On fait leschoses à l’envers... Et il ne suffit pas d’interdirepurement et simplement : on va maintenantinterdire de mettre les huiles végétales dans lecircuit de protection alimentaire en Belgique.Mais où vont-elles aller ? Personne ne s’en pré-occupe. Elles sont exportées pour nourrir lespoulets du voisin, qui reviennent chez nous, évi-demment.

M. Jean CECH :

Je n’ai pas cessé d’entendre au cours de ces deuxjours qu’on était préoccupé, que le problèmeétait grave, etc. — une des questions étant : quefait le politique? Je me pose tout à coup uneautre question : que fait le médecingénéraliste ? Se trouve-t-il des médecins pouraller jusqu’au bout du raisonnement et dire àleur patient : «il ne faut pas rester avec vosenfants en ville, allez habiter ailleurs»?

Dr NICOLAS (Département Environnement etSanté, Province de Liège) :

Je suis médecin généraliste, et il me semble quedéplacer un problème n’est pas le résoudre. Enplus, si les gens vont habiter à l’extérieur maiscontinuent à travailler à Bruxelles, ils vont aug-menter le flux des véhicules qui arrivent tous lesmatins ! La solution n’est donc certainement pas là.

M. Jean CECH :

Je ne dis pas que c’est la solution, mais il estpeut-être de la responsabilité du médecin designaler la gravité de la situation à ses patients :au patient de choisir sa propre solution.

M. Jean-Pierre HANNEQUART :

Je ne crois pas qu’il y ait une responsabilité par-ticulière des scientifiques ou des politiques. Ce

6. 6. Débat

114BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

Dr NICOLAS :

Par rapport à cela, il y a une planification à dif-férents niveaux : on a parlé de l’OMS, la Régionbruxelloise a établi un Plan, les Villes Durableseuropéennes ont le leur. Il y a des choses quivont mieux. De nouveaux problèmes arrivent,mais ça avance, il faut quand même être opti-miste... A part cela, je crois qu’un principe extrê-mement dangereux face à une urgence environ-nementale, c’est «pollueur = payeur».Moralement, c’est très bien, mais cela entraînedes effets pervers. Au lieu de mettre en œuvredes incitants économiques, on rend coûteuse ladestruction des polluants. Dans ma commune, jepaie 7 francs chaque fois que je produis un kilode déchets. Il y a des poubelles à puce : la moitiéde la population n’a pas répondu à l’appel pourcommander ces poubelles, les gens se disent «jevais mettre mes poubelles autre part». Au parc àcontainers, une affiche me prévient que je nepeux plus déverser sur l’année que troisbrouettes de déchets verts, ni apporter mespneus, etc. Alors que je faisais l’effort de medéplacer pour permettre un recyclage, on limitel’accessibilité. Il vaudrait mieux me demander 20francs par pneu!

M. Jean-Pierre HANNEQUART :

Pourquoi ce discours rassurant ? On est tout letemps en train de dire : «écoutez, ça va quandmême beaucoup mieux, il ne faut pas être catas-trophiste». Oui, les statistiques sont positives : ily a moins de peste et de choléra à Bruxelles ! Onest d’accord : le monde évolue. On ne lit plusdans le journal que 60 personnes sont mortes

dans le Bassin liégeois. Mais en été, à Madrid,250 personnes sont mortes à cause de l’ozone !C’est vrai que c’est plus insidieux, c’est plus lent :mais que les gens meurent plus lentement, cen’est pas nécessairement positif. Au moins,avant, on savait qui mourait, et de quoi.Maintenant, à la limite, on ne le sait plus... Onpeut prendre le problème au niveau local mais,au niveau mondial, c’est la catastrophe : le troudans la couche d’ozone, l’effet de serre, leschangements climatiques, la pollution desréserves d’eau potable, l’érosion du sol, la déser-tification, l’appauvrissement de la faune et de laflore... Où est-il, l’effet positif ? Ce n’est pas moiqui le dis, c’est un rapport de l’AgenceEuropéenne pour l’Environnement : on n’estmême pas au niveau mondial, on est en Europe.On va m’accuser de tenir un discours catastro-phiste, mais il faut quand même cesser de direque les conditions de vie s’améliorent, qu’onn’est plus dans un problème de survie mais dequalité de vie. C’est faux ! Le problème de la sur-vie continue à se poser, et à l’échelle de la pla-nète, pas seulement dans telle ou telle région duglobe. Quand il y aura eu dix tempêtes sur laFrance... Je vais m’arrêter.

Prof. Jacques KUMMER :

Vous n’avez pas tout à fait tort, mais de là à faireune relation de cause à effet directe entre unchangement climatique et la tempête... Ce n’estpas du tout évident. Alors, on me dira : il fautappliquer le principe de précaution. Que propo-se la France ? Ils continuent comme si de rienn’était.

115BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

M. Jean-Michel MARY :

Quelque chose me frappe : l’évolution des struc-tures de décision des Etats est à la fois intéres-sante et préoccupante. Ces dernières années, ona renforcé de plus en plus le pouvoir des entitéslocales, avec des résultats positifs au niveau de laprotection de l’environnement (gestion desdéchets, etc.). Cela devient plus délicat quandon touche à des problématiques plus passion-nelles comme la place de l’automobile en ville.Dans les discours et les documents officiels, toutle monde est d’accord pour réduire cette place,mais je cherche moi-même les premières actionsconcrètes entreprises réellement dans ce sens.Quand on remet en question le mode de vie deMonsieur et Madame Tout-le-Monde, ça com-mence à coincer... Mais ce qui m’inquiète, c’estque plusieurs des problématiques soulevées parM. Hannequart relèvent de compétences supra-régionales, supranationales voire mondiales. Onn’imagine pas aujourd’hui de prendre unemesure d’interdiction de tel polluant unique-ment dans une ville : la pollution n’a pas defrontières. De plus en plus, on attend des déci-sions de niveaux supérieurs de pouvoir, qui nesont pas en mesure de les prendre. Les Etats ontdélégué des responsabilités à des niveaux supra-nationaux, qui s’avèrent incapables de prendredes décisions concrètes. On le vit quotidienne-ment par rapport aux autorités européennes.

M. Jean-Pierre HANNEQUART :

Savez-vous que la Belgique vient de prendreposition suite à une résolution du Parlementeuropéen sur les perturbateurs endocriniens ?

M. Jean-Pierre HANNEQUART :

Non, grâce à cela, Jospin a a été l’un des pre-miers en Europe à proposer une taxe sur l’éner-gie. On n’avance que par catastrophes! Maréenoire en France : on modifie une directive.Pollution du Danube : on parle de faire unedirective européenne sur les déchets miniers. Lesgens n’ont pas encore compris que les catas-trophes sont des épiphénomènes. Va-t-on pou-voir continuer à manger du poisson ? Ceux quiveulent me rassurer vont répondre oui, mais glo-balement les mers continuent à se polluer, c’estabsolument évident ! Les concentrations de PCBdans les moules ou les crustacés continuent àaugmenter. On a sans doute besoin de nouvellesmesures, mais on a surtout besoin de réfléchirtous ensemble, scientifiques, politiques, ci-toyens, et de se demander comment on va s’at-taquer à la source du problème. On sait que lebenzène est cancérigène et que le policier quiest ici, au carrefour, en respire plus que le gardeforestier : c’est évident. La question, c’est : quelstypes d’actions concrètes pouvons-nous entre-prendre pour contrer ce phénomène ?

Dr NICOLAS :

Je suis tout à fait conscient de la problématique,mais je crois qu’on sort un peu du cadre, il fautpeut-être revenir à Bruxelles. Je suis optimisteparce qu’il n’y a pas eu de catastrophe avant-hier à Bruxelles et que nous sommes ici pourréfléchir à des solutions précises, pratiques,applicables, à notre échelle, et faire un peuavancer les choses.

116BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

Cette résolution, que quinze Etats membres sonten train de négocier savamment, essaie dedemander à la Commission de faire une liste dessubstances à propos desquelles il faudrait pour-suivre les recherches... Voilà où on en est.L’information ne passe pas entre le niveausupranational et le niveau local. Encore leGouvernement belge a-t-il une position parmiles plus dures, pour renforcer la décision!... Parailleurs, on est en train de vider de sa substancela Convention sur les POPS (substances orga-niques persistantes) : un pays après l’autre en-voie aux Nations-Unies sa demande de déroga-tion à l’application des interdictions. Le principed’interdiction s’évanouit au niveau planétaire :les entreprises vont aller produire ici plutôt quelà... Une décision internationale prend dix ans,tandis qu’une substance est commercialiséeimmédiatement.

M. Jean-Michel MARY :

C’est un vrai problème : les institutions interna-tionales ne se sont pas adaptées à la mondialisa-tion des phénomènes économiques. Il est clairque le politique court après les problèmes, je nevais pas vous dire le contraire. Au niveau mon-dial, les pouvoirs publics sont à peu près dans lamême situation que les associations. AucuneAdministration n’a la capacité de suivre toutesles innovations techniques qui sortent chaqueannée; seuls les laboratoires des grandes multi-nationales savent exactement ce qu’ils mettentsur le marché.

117BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

Je proposerais donc, dans la mesure du possible,qu’à la suite de ces deux journées, votre Ministreécrive à sa collègue du Ministère fédéral de laSanté publique, en disant : «Madame, il estgrand temps que vous fassiez quelque chosepour faire baisser ces concentrations de benzènedans l’essence, car il n’y a aucune raison de nepas le faire.» Je vous conseillerais aussi à tous dejeter un coup d’œil sur le nouvel avant-projet dePlan de consommation durable qui est actuelle-ment en examen, et de réagir dans le cadre de laconsultation qui est organisée à ce sujet. Le pluskafkaïen, c’est que, depuis des années, il y a làun terrain d’action politique évident sur lequelon peut agir, et qu’on n’y touche pas, à quelquesinitiatives près. C’est choquant par rapport audébat tel qu’il est actuellement. Nous pouvons yfaire quelque chose si nous le voulons.

Mais vous m’avez demandé de venir parler desproblèmes environnementaux et de la façondont ils sont perçus. Lorsqu’on parle de cela, ladiscussion part généralement d’un certain typede données. Il existe une série de problèmes en-vironnementaux et connexes pour lesquels onpeut calculer les risques, à partir du nombre demorts lié à telle activité, du nombre de blessésgraves, de blessés légers, du total de toutes cesvictimes, etc. Mais il apparaît une nette diver-gence entre le point de vue des experts — c’est-à-dire des personnes qui observent le problèmede façon très objective et très neutre, avec unetrès grande distance et beaucoup de chiffres —

Avant de parler du thème pour lequel vousm’avez invité, je ne peux pas m’empêcherd’ajouter quelques mots au débat sur le benzè-ne. Ce débat, pour ce qui est de la politiquenotamment, présente des aspects un peuabsurdes, très difficiles à comprendre. Nousl’avons dit, il est prouvé que le benzène est unesubstance cancérigène pour l’homme. Or d’oùvient-il? Principalement de l’essence. Notrelégislation admet que l’essence contienne jus-qu’à 5% de benzène1. En pratique, cette limiteest assez bien respectée : lorsqu’on effectue desprélèvements, on trouve 2 à 4% de benzène. Sil’on cherche à savoir pourquoi le maximum estde 5%, on se rend compte que la seule et uniqueraison est une question de «confort technolo-gique» : vous pouvez être un peu plus négligentquant au réglage de votre moteur, vous nedevez pas prendre toute une série de petitesmesures, etc. Mais lorsque l’on prend, d’un côté,le risque de cancer et la qualité de l’air — sur-tout dans les zones urbaines, mais pas seule-ment — et que l’on met dans l’autre plateau dela balance ce confort technique, le choix est toutde même vite fait au profit d’une réduction duproblème de benzène. Réduire à 1% la concen-tration de benzène dans l’essence est possibletechniquement, praticable socialement et sou-haitable du point de vue de la santé.

1. Aux Etats-Unis, la quantité maximale autorisée de benzè-

ne dans l’essence est de 1%; le maximum y est donc trois

fois plus faible que la moyenne chez nous.

6. 7. Objectivation des perceptions et/ou principe de précaution ?

Prof. Luc HENS (Vakgroep Menselijke Ecologie, Vrije Universiteit Brussel)

118BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

et celui du public. Dans le tableau 1 on peut voirque l’énergie nucléaire est perçue par la popula-tion comme un problème grave, et au bas de laliste vous trouvez la vaccination contre certainesmaladies. Du côté droit, on voit le classementqui est établi lorsque la même liste est soumise àdes experts. Par exemple, ceux-ci ne trouventpas que l’énergie nucléaire soit un si grand pro-blème; par contre, les rayons X sont considéréscomme beaucoup moins dangereux par les pro-fanes que par les experts.

De ce type de liste, on conclut bien souvent quece sont évidemment les experts qui savent, puis-qu’ils se basent sur tous ces chiffres, et que laperception du public, qui est dictée par des émo-tions, n’est absolument pas objective. Reste àsavoir si c’est vrai... Car nous ne savons pas seu-lement qu’il existe des divergences entre lesexperts et le public, nous savons aussi pourquoi.Le tableau 2 (p. 120) montre par exemple que ceque l’on appelle le potentiel de catastrophed’une activité donnée est important. Le degréde familiarité et de compréhension du problèmeintervient également pour une large part, demême que le degré d’incertitude, le caractèrealéatoire d’un risque donné. Lorsqu’on a l’im-pression de pouvoir choisir pour soi-même sonrisque (le tabac, p. ex.), une telle activité seraperçue comme relativement moins dangereuseque lorsqu’on a l’impression de ne pas pouvoiréchapper à un risque (les produits toxiques dansl’alimentation, p. ex.). Le fait que l’activité enquestion ait des effets différés, des effets sur lesgénérations suivantes, joue également un grandrôle.Notons que l’on trouve également dans cette

liste l’attention portée au problème par lesmédias. Mais il est un peu facile d’incriminer lesmédias lorsqu’il y a des problèmes environne-mentaux ou autres, et que l’on ne comprend pasbien ce qui se passe. Les médias ne sont, dans laperception du public, qu’un facteur parmi quin-ze autres, au moins aussi importants.

Première question à partir d’une telle liste : lepublic réagit-il de façon tellement émotionnelleet, si oui, ce genre d’émotions posent-elles pro-blème? Remarquons que, en tenant compte deseffets sur les générations suivantes, on donneune position assez centrale à des notions commele développement durable — notions qui rem-portent notre faveur à tous. Manifestement, lepublic en tient compte dans sa perception, etnettement plus que les experts dans leurs cal-culs.

En outre, je reviens à ce que disait Jean-MichelMary : la science ne donne pas toujours uneréponse très claire, univoque. On ne peutdemander à la science que ce dont elle estcapable. Bien sûr, on attend toujours d’unexpert qu’il ou elle donne une réponse claire surlaquelle le décideur puisse s’appuyer. Ce n’estpourtant pas toujours possible. Les réponsesscientifiques en général, et particulièrementdans les sciences de l’environnement, ont sou-vent un caractère incertain : ce n’est pas tou-jours blanc ou noir; il y a plus souvent beaucoupde gris. Je sais bien que l’incertitude est difficileà gérer, surtout pour les décideurs, mais elle estinhérente à toute théorie scientifique. Je penseque les scientifiques eux-mêmes ont souventaccordé trop peu d’attention à cette incertitude.

119BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

Tableau 1. Comparaison de la perception des risques par les profanes et de l’évaluation des expertsLes chiffres représentent l’ordre selon lequel les uns et les autres classent les activités en fonction del’importance du risque (Francis B. M., 1994).

Perception par le profane

123456789101112131415161718192021222324252627282930

Evaluation par l’expert

201426312178518132326291516910113072719142128242225

Descriptionde l’activité

Energie nucléaireVoitures automobiles

Armes de poingTabac

CyclomoteursAlcool

Aviation en généralMétier de policier

PesticidesInterventions chirurgicales

Métier de pompierMétiers de la construction

ChasseSeringuesAlpinisme

VélosAviation commerciale

Production d’électricité (non nucléaire)Natation

Moyens de préventionPratique du ski

Rayons XSport à l’école

Circulation ferroviaireConserves alimentairesColorants alimentaires

Tondeuse à gazonAntibiotiques

Appareils ménagersVaccination

120BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

Conditions associées à un plusgrand intérêt du public Décès et blessures sont groupésdans le temps et l’espaceLe risque est peu familierLe mécanisme ou le processus n’est pas comprisLe risque est inconnu ou incertainsur le plan scientifiqueLe risque n’est pas contrôlable

L’exposition au risque est involontaireLes enfants sont particulièrement à risqueLes effets sont différésIl y a un risque pour la descendanceLes victimes sont des personnesidentifiablesLes effets sont craintsLa confiance manque envers les institutions comprétentesLes médias portent beaucoup d’attention au problèmeLes accidents ont été majeurs etparfois mineursLa distribution des risques et desbénéfices est inégaleLes bénéfices ne sont pas clairsLes effets sont irréversiblesL’individu est personnellement àrisqueLa cause est liée à des activités oudes échecs humains

Conditions associées à un moinsgrand intérêt du public Décès et blessures sont dispersésdans le temps et l’espaceLe risque est familierLe mécanisme ou le processus estcomprisLe risque est scientifiquement établiLe risque est contrôlable

L’exposition au risque est volontaireLes enfants ne sont pas particuliè-rement à risqueLes effets sont immédiatsIl n’y a pas de risque pour la descendanceLes victimes paraissent comme desstatistiquesLes effets ne sont pas craintsLes institutions compétentes béné-ficient de la confiance du public Les médias portent peu d’attentionau problèmeIl n’y a pas eu d’accident majeur nimineurLes risques et les bénéfices sontpartagésLes bénéfices sont évidentsLes effets sont réversiblesL’individu n’est pas personnelle-ment à risqueLa cause est d’origine naturelle oudivine

Tableau 2 : Facteurs importants dans la perception et l’évaluation d’un risque

Facteur

Potentiel de catastrophe

FamiliaritéCompréhension

Incertitude

Capacité de contrôle (personnel)Caractère volontaire de l’expositionEffets sur les enfants

Manifestation des effetsEffets sur les générations futuresIdentité de la victime

CrainteConfiance envers les institutionsIntérêt des médias

Historique des accidents

Egalité face au risque

BénéficesRéversibilitéEnjeu personnel

Origine

121BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

Par exemple, ils placent les additifs alimentairestout en bas de la liste, mais peuvent-ils le faireavec certitude? Qui a déjà examiné le lien entreces additifs alimentaires et les effets sur la ferti-lité? Qui a déjà examiné les effets allergiques?Pour bon nombre de ces produits : personne. Onne sait donc pas, tout simplement parce que l’onn’a jamais pris la peine de s’y intéresser.L’incertitude devrait donc être prise en compte.

Deuxième question : pourquoi, avec le temps, sitout cela est si objectif, l’opinion du public nerejoint-elle pas celle des scientifiques? L’une desréponses, c’est que les experts ont trop souventmené le public en bateau avec leurs critèresobjectifs, et que le public le sait. Dans les années60 et 70, il y avait chez nous des gens quidemandaient d’épurer l’eau. On leur a dit àl’époque : «Il n’y a pas de quoi s’inquiéter de lapollution de l’eau; le problème n’est pas sigrave. En outre, l’eau a une capacité d’auto-régénérescence à laquelle nous pouvons faire-confiance.» Les collègues qui ont tenu ces pro-pos ont été filmés! Mais le public sentait que cen’était pas vrai. Et aujourd’hui, alors qu’il estdémontré que ce n’était pas vrai, la même atti-tude persiste.

Quelles conclusions en tirer? Je pense qu’au lieude dissimuler cette incertitude inhérente à l’acti-vité scientifique, il faut (1) qu’elle soit révéléeclairement, et (2) adopter des politiques qui laprennent en compte. Ce n’est pas un scoop : ilexiste un principe de politique général, quiapparaît notamment dans la Déclaration de Rio,et qui s’appelle le principe de précaution. Quedit-il ? Que lorsqu’un dommage grave ou irré-

versible menace l’environnement, l’incertitudescientifique ne doit pas être invoquée pour dif-férer la prise de mesures efficaces afin d’éviterun dommage. Autrement dit, lorsqu’un problè-me environnemental important s’annonce etque l’incertitude scientifique est claire, agissonsselon le plus mauvais scénario imaginable...Mettons-nous ce principe en pratique ? Trèsrarement. Je crois qu’au niveau international, ilexiste actuellement un seul cas où l’on a agiselon le principe de précaution. Il s’agit de l’in-terdiction des CFC. Et encore, on constate quelorsqu’il s’agit de le mettre en œuvre au niveaunational, nous accusons beaucoup de retard etne respectons pas les protocoles internationaux.

Quant à l’application du principe de précautiondans le cadre santé-environnement, nous avonsentendu hier une réflexion très intéressante. Ala fin de son exposé, le Dr Van Larebeke a dit :«il faut être plus vigilant avec les nouvelles sub-stances chimiques, et l’introduction d’une hygiè-ne chimique pourrait nous y aider dans unelarge mesure». Ces cent dernières années, nousavons principalement veillé à limiter les contactsavec diverses affections virales et bactériennes.Peut-être un peu moins avec les champignons.Quoi qu’il en soit, nous avons pris de nom-breuses mesures concernant l’hygiène micro-bienne. Il en résulte que nous avons fait degrands progrès sur le plan de l’espérance de vie.Il n’est pas absurde de penser que l’instaurationd’une hygiène chimique similaire, en fonctionde laquelle on prendrait une série de mesurespour limiter nos contacts avec divers produitschimiques, entraînerait un progrès tout aussigrand de la santé publique. Il faudrait y réfléchir

122BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

plantes qui résistent à de plus grandes concen-trations de pesticides, et on ne vend pas seule-ment la semence modifiée, on vend aussi le pes-ticide auquel la plante résiste. On utilise le pes-ticide dans des concentrations plus grandesqu’auparavant !

Est-ce là l’évolution que nous souhaitons lorsquenous considérons le problème des OGM par rap-port à l’environnement? Je pense que c’est laquestion que nous devons oser poser avant qu’ilne soit trop tard.

sérieusement; je pense que ce principe pourraitêtre assez facilement transposé en actes poli-tiques.

Pour terminer, je voudrais dire que l’on se trou-ve actuellement face à un défi de taille. Le débatest en cours, mais il y aura encore de nouvellesvagues, notamment à propos des organismesgénétiquement modifiés. Allons-nous adopter lamême attitude que celle que nous avons adop-tée en ce qui concerne la dissémination detoutes sortes de produits chimiques ? Allons-nous à nouveau dire : «si c’est techniquement etscientifiquement possible; si, dans l’état actuelde nos connaissances, nous voyons qu’il n’y a pastrop de conséquences négatives; si nous pou-vons démontrer que tel OGM a une fonctionacceptable…» ? Allons-nous donner le feu vert,ou bien imposer des conditions beaucoup plusrestrictives en termes d’utilité environne-mentale ?

Nous faisons aujourd’hui des tomates généti-quement modifiées qui ont une croissance trèsrapide mais qui n’ont plus le goût de tomate. Cen’est pas un problème puisque nous les fournis-sons à l’industrie des jus de fruits, qui y ajouteun peu de colorant, un peu d’arome de tomate,et que le résultat peut être vendu! Est-ce làl’évolution que nous souhaitons ? En ce quiconcerne l’environnement, on pouvait croire il ya cinq ans que les OGM résoudraient en partie leproblème des pesticides. Et en théorie, ils le peu-vent. Mais que fait-on ? On réalise ces applica-tions — c’est-à-dire, les plus nocives pour l’envi-ronnement — et on ne veille pas à ce qu’il y aitmoins de pesticides. Au contraire, on crée des

123BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

M. Jean CECH :

Je voudrais demander à M. Hens s’il ne convien-drait pas que l’on fixe plus clairement les règlesde l’application du principe de précaution.

Prof. Luc HENS :

Quelles devraient être ces règles en détail, je nepeux évidemment pas le dire. Mais nous devonsde toute façon poursuivre l’évaluation technico-scientifique qui est réalisée actuellement. C’estun élément nécessaire, quoique très insuffisant.Il faut aussi une évaluation sur l’utilité sociale decertaines évolutions. Mais surtout, il fautprendre davantage de responsabilités poli-tiques. Je veux dire que l’application du principede précaution doit s’inscrire dans le cadre d’unepolitique beaucoup plus large qui limite forte-ment l’utilisation d’OGM, une politique dont larègle soit : «nous ne le permettons que s’il y a unavantage évident et si cela entraîne un progrèspour l’ensemble de la collectivité». Selon moi,notre politique en matière de produits chi-miques devrait être beaucoup plus contrôléeque la politique actuelle.

M. Jean-Pierre HANNEQUART :

Sur ce sujet, il faut savoir que la Commissioneuropéenne vient de faire une communicationpour expliciter la portée du principe de précau-tion. L’enjeu était de savoir si la Commissionallait garantir et justifier systématiquement sa

politique sur le poulet aux hormones et sur lesOGM, par exemple. Eh bien, la réponse est non.Et qui est aujourd’hui content ? Le CEFIC (lobbyde l’industrie chimique) a publié un communi-qué pour se féliciter de ce que l’Europe avaitune interprétation du principe de précautionparticulièrement raisonnable. A Bruxelles, il y aactuellement plus de 3.000 lobbyistes sur les ins-titutions européennes : eux, ils ont comprisqu’une série de décisions se prenaient à ceniveau-là. Et il n’y a pas de contre-pouvoir, pourl’instant, par rapport à ces lobbies. La Directionde l ’Environnement de la Commiss ionEuropéenne devient de plus en plus dépendantedes autres Directions générales, notamment àcause de cette idée, très belle en théorie, d’inté-gration des aspects sociaux, économiques etenvironnementaux, qui se traduit finalementpar une prise de pouvoir de la Direction généra-le du Marché intérieur, de la libre entreprise, etc.

Prof. Luc HENS :

Je constate cela comme vous, je me demandeseulement s’il devrait en être ainsi. Jusqu’à pré-sent, me semble-t-il, personne n’a jamais ditque, dans un contexte de développementdurable, les facteurs économiques, sociaux etenvironnementaux doivent tous avoir le mêmepoids. Lorsque la situation est dominée depuislongtemps par des considérations économiques,qu’elle tourne mal et qu’il faut la réévaluer dansle cadre du développement durable, il mesemble évident que l’on doit accorder moins de

6. 8. Débat

124BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

des comités de quartier pour améliorer l’envi-ronnement. Sur le plan de la santé, on se mobi-lise peut-être moins facilement, on a tendance àattendre que les décisions viennent d’en haut,mais on peut avoir prise sur certains enjeux. Il estimportant de discuter aussi ces enjeux-là, mêmes’ils se situent à un niveau moins élevé.

M. Jean-Pierre HANNEQUART :

Oui, vous avez entièrement raison. Quand onparle de produits et de substances, il y a deuxacteurs, en fait : celui qui met sur le marché etcelui qui consomme. Aujourd’hui, le pouvoir desconsommateurs s’exerce sur des sacs réutilisablesdans les grandes surfaces, on mène une cam-pagne sur les poudres à lessiver concentrées... Ilsuffit que 5 à 10% des consommateurs se mani-festent en faveur d’un certain type de produitpour que les choses changent. Ce midi, MmeNolard disait : «Les gens croient qu’en mettantdu X sur leur matelas, ils vont éliminer les aca-riens.» Il faut que, dans le monde des consom-mateurs, on dise : «X, c’est un produit inutile etcoûteux : vous perdez 1.200 francs, arrêtez del’acheter!»

M. Jean CECH :

Je me demande si, à ce niveau-là, il n’y a pas unproblème d’information du consommateur, unproblème de communication. J’aurais pu vousmontrer deux articles de presse, publiés suite àl’enquête qui a été faite à Mellery. Le Soirtitrait : «L’état de santé des habitants de Melleryest rassurant.» Dans La Libre Belgique, on lisait :«L’état de santé des habitants de Mellery est fort

poids aux facteurs économiques et donner prio-rité aux considérations écologiques.

M. Jean CECH :

Cette définition établie au niveau européens’impose-t-elle à tous, ou bien les pouvoirsnationaux restent-ils libres d’interpréter le prin-cipe de précaution comme ils l’entendent?

M. Jean-Pierre HANNEQUART :

D’après ce que j’ai compris, la Commission euro-péenne refuse d’aller plus loin, dans l’interpré-tation à donner, que ce qui se trouve textuelle-ment dans la Déclaration de Rio. Au début, leprojet de communication abordait clairement,d’un point de vue européen, la signification duprincipe de précaution appliqué à un certainnombre de cas précis. La question se joue auniveau de l’Organisation Mondiale duCommerce : oui ou non, au nom de la santépublique, peut-on interdire les hormones,mettre des barrières à l’introduction des OGM,etc. ? Pour l’instant, les limites au libre-échangemondial ne sont consacrées juridiquement nullepart.

Dr Myriam DE SPIEGELAERE :

Ces questions sont tout à fait fondamentales,mais les acteurs locaux n’ont pas beaucoup deprise sur elles. Le public bruxellois qui est ici apeut-être besoin de savoir comment on peut,ensemble, améliorer la situation au niveau local.La participation des citoyens peut modifier deschoses, comme on le voit là où les gens ont créé

125BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

inquiétant.» Ils commentaient tous les deux lemême dossier!... Le citoyen a besoin de se forgerune opinion, et ce ne sont pas les discours scien-tifiquement nuancés qui vont l’y aider.

Prof. Jacques KUMMER :

Le discours scientifique sera nuancé, il n’y a rienà faire : nous manipulons beaucoup trop deparamètres. Par rapport à ce que Luc Hens vientde dire, il faut se rendre compte que la législa-tion européenne sur l’obligation d’analyse desrisques des substances chimiques en vue de leurmise sur le marché date de cinq ans. Elle a ététraduite en droit belge il y a exactement deuxans. Il faut manipuler à peu près cinquante para-mètres différents (physico-chimiques, toxicolo-giques, écotoxicologiques) pour une seule sub-stance chimique. Les chimistes qui sont censésfabriquer ces substances ne connaissent pas eux-mêmes tous ces paramètres : il y a déjà un pro-blème d’information et de formation des gensimmédiatement concernés... Et quand on setrouve devant le débat des OGM, c’est encoreune autre méthodologie d’analyse des risquesqu’il faut mettre en place. Nous sommes devantdes situations qui sont toujours complexes... Oubien alors, on arrête de discuter. Je crois qu’à unmoment donné, il faut dire stop.

Prof. Alfred BERNARD :

Je voudrais dire un mot à propos du principe deprécaution : cela peut être la meilleure et la piredes choses, comme toute invention humaine. Sion l’avait appliqué au XIXe siècle, où en serait-on aujourd’hui ? Les premiers trains ont rencon-

tré une forte opposition populaire face à l’incer-titude. Et le DDT!... Sans le DDT, on n’aurait passupprimé la peste. Il faut donc nuancer. On agitele principe de précaution — c’est plus simple quede faire des évaluations. Une évaluation, c’estdifficile, il y a énormément de données, c’est untravail fastidieux. Prenez les dioxines : il y a3.000 publications. Sur les PCB, il y en a 1.200.Très peu de gens ont le temps de lire tout cela.J’ai l’impression que, souvent, on applique leprincipe de précaution arbitrairement, alorsque, là où il faudrait l’appliquer, on ne l’ap-plique pas : le cas du prion est un bel exemple,on ne sait rien sur cette substance. Les dioxines,on sait depuis quarante ans qu’elles disparais-sent, de même les PCB. Il y a de nombreuxexemples : certains additifs alimentaires sont descancérogènes puissants... Le principe de précau-tion est donc une arme à double tranchant dansbeaucoup de circonstances. Je crois que ce qu’ilfaut faire, comme disait M. Hannequart, c’estcombattre les pollutions à leur source. Il ne sertà rien de discuter à l’infini des risques du traficautomobile : il est clair qu’à Bruxelles, la mobili-té est un problème majeur d’environnement etde qualité de vie. De même la pollution inté-rieure. Ce qui m’amuse aussi, c’est quand on ditqu’il faut faire des recherches sur des indicateurssociaux. On n’a pas besoin de faire desrecherches pour combattre la misère, quandmême !... Il faut de l’argent et une décision d’ac-tion !

M. Jean-Michel MARY :

Vous avez tout à fait raison, mais je voudrais quetout le monde soit conscient de la difficulté qu’il

126BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

me donniez un certain nombre de certitudespour que le politique puisse s’appuyer dessus etrelancer le débat. Parce que tout le monde n’estpas en faveur de la limitation de l’utilisation dela voiture : loin s’en faut. Et si on ne peut passortir d’arguments solides, on est faible dans ledébat politique.

Une participante :

Je pense que, quand on lance des projets, mêmeà un petit niveau, il faut que les politiques res-tent crédibles. On a fait une animation dans lesMarolles sur le tri des déchets — les sacs gris, lesbleus et les jaunes. Des gens de l’IBGE sontvenus, le public était intéressé, c’était vraimenttrès positif. Quel est le problème? Des dames quine savent ni lire ni écrire nous disent : «LeMonsieur Bac qui vient, il a une seule bennepour les logements sociaux. Moi je trie mes sacs,mais il met tout dans la même benne. Alors, àquoi ça sert?» Il faut faire attention à rester cré-dible... Ceci dit, mon cheval de bataille, c’est lelogement, et je rejoins ce qu’a dit Myriam DeSpiegelaere : on n’a pas besoin d’études poursavoir que les pauvres sont moins bien logés queles riches et que certaines maladies sont plus fré-quentes chez eux. J’aurais été intéressée d’en-tendre quelqu’un qui a le Logement dans sescompétences. Les personnes défavorisées àBruxelles comprennent ces enjeux-là, elles sontmobilisables, mais il faut pouvoir les entendre,et mettre en œuvre des choses qui les concer-nent directement.

y a à faire progresser le débat politique et à faireprendre des décisions. La politique est aussiaffaire de rapports de force, et jamais un partipolitique n’a tout le pouvoir et ne peut imposerentièrement sa volonté (Dieu merci, d’ailleurs).On vient de vivre un exemple frappant avec ledébat sur le trafic de nuit à l’aéroport deBruxelles-National. Au départ, une ministre pro-voque la crise et entraîne la prise de consciencepolitique en disant : «à partir de telle date, jevais interdire le vol de nuit au départ deZaventem». Au moins, elle a posé les termes dudébat et pris une mesure courageuse au nom dela santé. Qu’est-ce qui s’est passé ? On a globali-sé les choses, en disant qu’on ne pouvait pasprendre de mesures isolées. Au bout du compte,qu’est-ce qu’on a ? Le «développement durable»de l’aéroport de Zaventem! On a la certitudeque les normes qui avaient été fixées dans lecontrat de gestion de l’aéroport ont explosé,qu’au lieu de passer de 300.000 mouvements à450.000 en 2004, on pourra aller jusqu’à500.000... Je reviens au débat intrabruxellois : cen’est pas d’hier qu’on connaît l’impact négatifsur la santé de la circulation automobile, et ledébat public a commencé il y a des années. Maisdès qu’on parle de prendre une mesure concrè-te, 300.000 personnes se lèvent comme un seulhomme en disant : «dites donc, vous n’allez pastoucher à ma voiture ?!»... Mais il est exact qued’autres villes ont reconsidéré la place de la voi-ture, et l’ont fait plus vite et mieux queBruxelles. Nous avons un retard considérabledans cette problématique, à laquelle nous nepourrons pas échapper dans un avenir proche.Et je reviens à l’interpellation que je lançais auxscientifiques : ça m’aiderait beaucoup que vous

127BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

M. Jean CECH :

Ce qui me frappe, c’est que lorsqu’on soulève laquestion du politique ou du scientifique, c’estsouvent à propos de très gros problèmes, trèsdifficiles à résoudre : la mobilité, les OGM, etc.Mais on ne s’occupe pas forcément d’un certainnombre de problèmes plus réduits, où les déci-sions sont peut-être plus légères à prendre.

M. Jean-Michel MARY :

Il ne faut tout de même pas s’imaginer qu’on nefait rien en Région bruxelloise. Je vais prendreun exemple qui n’est plus dans les compétencesrégionales aujourd’hui : les habitants des quar-tiers défavorisés peuvent bénéficier de primesqui couvrent 80% des frais de remplacement descanalisations en plomb dans les immeublesanciens. Ce sont des mesures qui existent, maisqui sont méconnues. Evidemment, encore faut-ilque le propriétaire accepte de prendre en char-ge le solde de 20%... Et j’admets volontiers queces mesures sont encore insuffisantes, mais nousn’avons pas organisé cette rencontre pour qu’el-le reste lettre morte. En particulier, nous allonsrapidement mettre la dernière main au projetd’ambulance verte. Il est clair que la pollutionintérieure est un problème important, quitouche surtout des populations socialement fra-gilisées. Cela répond à un besoin, à une attentetrès concrète; notre souci est d’apporter, le plusrapidement possible, des réponses aux questionsconcrètes que se posent les gens. Et il est clairque ces réponses devront être structurées etcohérentes. On ne pourra pas se contenter defaire des analyses physico-chimiques, il faudra

permettre des remédiations et assurer le relaisvers les services sociaux, les responsables com-munaux, les sociétés de logement social, etc.

M. Jean-Pierre HANNEQUART :

Outre ce point-là, il y a un autre point d’actuali-té : en ce moment, un Plan de DéveloppementDurable est soumis à enquête publique. Que ditce Plan en matière de politique des produits etdes substances? L’enjeu, c’est que leGouvernement régional prenne position pourréclamer une réduction radicale du benzènedans l’essence, l’interdiction d’un certainnombre de produits sur le marché, les piles aumercure, par exemple, dont on parle depuis desannées. Il est possible, dans les semaines quiviennent, de faire en sorte que le Plan deDéveloppement Durable ne reste pas à unniveau de principe, mais se traduise par desmesures précises au niveau belge. Et si laBelgique ne peut pas prendre ces décisions,qu’elle les porte au niveau européen!

Un participant :

Plusieurs personnes ont regretté l’absence dereprésentants du secteur Logement, moi c’estl’absence du secteur Transports que je regrette.J’ai entendu dire avec étonnement que tous lesPlans concernant Bruxelles projetaient de dimi-nuer la circulation automobile en ville. Or, lePRD en parlait, mais les Plans ultérieurs ont vudisparaître ce projet. Et dire que 300.000Bruxellois se lèvent comme un seul homme pours’opposer à cette diminution... Moi, je ne les voispas! Jadis, on invoquait les mentalités : «les

128BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

J’espère que l’on continuera à affiner et à croi-ser les données scientifiques, et surtout que toutceci débouchera sur des projets concrets. Peut-être se reverra-t-on dans quelque temps pourvoir ce qui a pu être mis en œuvre en Régionbruxelloise. Je vous remercie de votre participa-tion à toutes et à tous.

Scandinaves dynamiques, les Anglais éduqués,les Allemands obéissants suivent quand l’autori-té a pris une décision». Mais combien de villesitaliennes ont créé des zones à trafic limité sansqu’il y ait de protestations ? En France, ce n’estpas un gouvernement écolo mais de droite qui avoté la loi sur la qualité de l’air, qui oblige lesmunicipalités à élaborer des plans de réductionde la circulation. A Lyon — une ville aussi gran-de que Bruxelles —, on a interrogé 40.000 per-sonnes et on leur a soumis trois possibilités deplan de déplacement urbain : le statu-quo, avecle métro et quelques aménagements pour lestransports publics; une formule radicale qu’onappelle en Allemagne la triade écologique(marche, vélo et transports publics); et une for-mule «half en half» comme on dit à Bruxelles. Ehbien, c’est la formule radicale qui a été choisiepar la majorité. Donc, il ne faut pas nous direque c’est la révolution quand on essaie de dimi-nuer le trafic urbain. Il faut s’y mettre, plutôtque dire en été, quand il y a un peu d’ozonedans l’air : «allez, les bébés et les vieux restent àla maison!»...

M. Jean CECH :

Je crois que nous avons largement dépassé l’ho-raire. Pour clôturer ce forum, je vais passer laparole à M. Mary.

M. Jean-Michel MARY :

Je voudrais surtout remercier les organisateurs,l’IBGE et la Fédération des Maisons Médicales,ainsi que les orateurs qui ont contribué au suc-cès de ces deux journées extrêmement riches.

129BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

Sommaire

Introduction Page 5

1. Les constats au quotidien 7

1.1. «Santé et environnement» du point de vue médical (M. Roland, M. Prévost) 7

1.2. «Santé et environnement» du point de vue environnemental (C. Bouland) 12

1.3. «Ambulance verte» : le projet Sandrine (J. Maertens) 15

1.4. «Ambulance verte» : l’expérience luxembourgeoise (J. Wampach) 18

1.5. Echanges avec l’assemblée 21

2. Les toxiques de l’environnement et la santé 24

2.1. Cancer et toxiques (N. Van Larebeke) 24

2.2. L’exemple de la diminution de la qualité du sperme (Y. Englert) 30

2.3. Le saturnisme infantile (C. Sykes) 36

2.4. Echanges avec l’assemblée 40

2.5. Synthèse de la matinée (A. Bernard) 44

3. Des actions concrètes 46

3.1. Allocution de M. le Ministre D. Gosuin 46

3.2. Le programme de recherche européen (A. Van Vossel) 49

4. Asthme et allergies respiratoires 52

4.1. Allergies fongiques et pollutions intérieures (N. Nolard) 53

4.2. Concentration de polluants dans l’air ambiant (P. Vanderstraeten) 56

4.3. Asthme connu et méconnu chez l’enfant (O. Michel) 65

4.4. Le diagnostic de l’allergie (J. Duchâteau) 69

4.5. Echanges avec la salle 71

4.6. Synthèse de l’après-midi (J. Kummer) 74

130BRUXELLES SANTÉ - Forum Santé & Environnement

5. Ville, bruit et stress 76

5.1. Stress et habitat (A. Herscovici) 76

5.2. Bruit du trafic et gêne de la population (G. Dellisse) 81

5.3. Urbanisation et santé (J. Tafforeau) 84

5.4. Echanges avec la salle 90

5.5. Synthèse de la matinée (J. Bernheim) 93

6. Santé et environnement : ce qui attend les Bruxellois 96

6.1. Les préoccupations environnementales (A. Meurrens) 96

6.2. Les péoccupations de santé (M. De Spiegelaere) 99

6.3. Débat 103

6.4. La qualité de l’air à Bruxelles : problème réel pour la santé? (J. Kummer) 107

6.5. Evaluer les risques liés à l’environnement? (A. Bernard) 110

6.6. Débat 113

6.7. Objectivation des perceptions et/ou principe de précaution? (L. Hens) 117

6.8. Débat 123

Une réalisation de l’asbl Question Santé72 rue du Viaduc - 1050 Bruxelles

Tél. : 02 512 41 74 - Fax : 02 512 54 36E-mail : [email protected]

En collaboration avec l’Institut Bruxellois pour la Gestion

de l’Environnement et la Fédération des Maisons Médicales et des Collectifs de Santé Francophones

Avec le soutien de la Commission Communautaire Française

de la Région de Bruxelles-Capitale

Editeur responsable : Dr. P. Trefois72 rue du Viaduc - 1050 Bruxelles

D/2000/3543/11