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6 décembre 2008 60 ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme Organisé par le collectif « Chrétiens pour les droits de l’Homme » Associations organisatrices : ACAT-France, ACER, Cimade, CCFD-Terre Solidaire, FEP, Focolari, Fondacio, FPF, JOC, Justice et Paix, Pax Christi, Quakers, Secours Catholique -1- 60 ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme Colloque au Collège des Bernardins « LESÉGLISESCHRÉTIENNESFACE AUX DROITSDE L’HOMME : ENJEUX ET DEFIS » Introduction Jean CELIER, secrétaire général du Collège des Bernardins Anne-Cécile ANTONI, présidente de l’ACAT France *** Existe-t-il un contentieux entre les Eglises chrétiennes et les droits de l’Homme ? Constatant que la plupart des Eglises se sont ralliées aux droits de l’Homme, plus ou moins tardivement, peut-on dire, 60 ansaprèslaDéclarationuniverselle, qu’il reste un contentieux historique et/ou théologique à une pleine adhésion aux droits de l’Homme ? Paul VALADIER, professeur de philosophie morale et politique aux facultés jésuites de Paris, directeur des Archives de philosophie, théologien. Kathy ROUSSELET, chercheuse au CERI Centre d’études e t de recherches internationales, spécialiste des pratiques religieuses en Russie. *** Débat avec le public

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6 décembre 200860ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme

Organisé par le collectif « Chrétiens pour les droits de l’Homme»

Associations organisatrices :ACAT-France, ACER, Cimade, CCFD-Terre Solidaire, FEP, Focolari, Fondacio, FPF, JOC, Justice et Paix, Pax Christi,

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60ème anniversairede la Déclaration universelle des droits de l’Homme

Colloque au Collège des Bernardins

«LES ÉGLISES CHRÉTIENNES FACE AUX DROITS DE L’HOMME:ENJEUX ET DEFIS »

Introduction

Jean CELIER, secrétaire général du Collège des BernardinsAnne-Cécile ANTONI, présidente de l’ACAT France

***

Existe-t-il un contentieux entre les Eglises chrétiennes et les droits del’Homme?

Constatant que la plupart des Eglises se sont ralliées aux droits de l’Homme, plus ou moins tardivement, peut-on dire, 60ans après la Déclaration universelle, qu’il reste un contentieux historique et/ou théologique à une pleine adhésion aux droitsde l’Homme?

Paul VALADIER, professeur de philosophie morale et politique auxfacultés jésuites de Paris, directeur des Archives de philosophie,théologien.

Kathy ROUSSELET, chercheuse au CERI Centre d’études et derecherches internationales, spécialiste des pratiques religieuses enRussie.

***

Débat avec le public

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***

L’action civique et sociale: vivre l’Evangile ?

De nouvelles formes d’actions spontanées et de prises de position en faveur des libertés fondamentales voient le jour. Quelles sont-elles ? Le citoyen chrétien sesent-il concerné ? Pourquoi ?

Jean-Louis SCHLEGEL, éditeur, sociologue des religions.

Frère Alain RICHARD, communauté des franciscains de Toulouse.

***

Débat avec le public

***

ONG confessionnelles: comment concilier l’Evangile et les droits de l’Homme?

De quelle façon les mouvements chrétiens, associations et ONG confessionnellesmettent-elles leurs compétences et leur foi au service de la défense et de lapromotion des droits de l’Homme?

Marc ZARROUATI, maître de conférences en philosophie des sciencesUniversité Toulouse II, président d’honneur de l’ACAT France.

***

Débat avec le public

***

Modérateur :Jean-Yves LE PRIOL, secrétaire général de la rédaction du journal La Croix.

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Introduction

Jean CELIER .- Bonjour, je suis Jean CELIER, le secrétaire généraldu Collège des Bernardins. Je voudrais simplement vous dire quenous sommes très heureux que vous soyez là, à la fois par ce quevous représentez et puis, par le sujet que vous allez approfondir etaborder aujourd’hui.

Je n’ai pas besoin de vous souhaiter la bienvenue parce que les chrétiens sont ici chez eux, ce sont eux qui accueillent, quidialoguent et qui approfondissent la réflexion. C’est l’objet des Bernardins. C’est un lieu qui appartient aux Eglises, mais qui estdestiné à favoriser l’accueil.

Nous souhaiterions que chaque homme, chaque femme se sentebien ici, non pas simplement pour y venir en spectateur, mais pour yparticiper. Participer à quoi ? Participer au dialogue.

Dialogue horizontal, c’est-à-dire entre des gens qui font des chosesdifférentes, des associations, de la politique, de l’économie,desétudes, de l’enseignement.

Mais aussi, et je pense que c’est l’une des choses les plusimportantes : dialogue vertical. Nous souhaiterions que des prixNOBEL, des agrégés de théologie ou de mathématiques puissentdialoguer avec nous tous, c’est-à-dire les Français, les citoyens, leshommes et les femmes de Paris et d’autour.

Ce dialogue, c’est la base du projet des Bernardins, mais ce n’est pas simplement un dialogue pour parler ou pour être entendus, oupour s’exprimer, ou pour écouter, c’est aussi un dialogue pourconstruire, pour proposer, à l’issue de ce dialogue, des voies deréponses à toutes les questions que l’Homme en tant qu’individu et les Hommes en tant que société se posent actuellement dans notrecivil isation qui, depuis toujours, est à un tournant, mais elle l’estparticulièrement en ce moment.

Ce que vous êtes et ce que vous faites, aujourd’hui, est tout à fait dans cette ligne. C’est pour cela que je vous remercie d’être là et c’est pour cela que je vous dis qu’ici, vous serez toujours chez vouspour continuer ce que vous commencez aujourd’hui.

(Applaudissements.)

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Anne-Cécile ANTONI .- Au nom des associations organisatrices dece colloque, je tiens tout d’abord à remercier JeanCELIER,secrétaire général du Collège des Bernardins, etMonseigneur Jérôme BEAU, son directeur, de nous accueillir danscet édifice du XIII e siècle dont les choix de rénovation proposentune traduction contemporaine de la sobriété cistercienne.

Le collège, comme vient de le dire Jean CELIER, est un lieu deconstruction et de questionnements ouvert à tous ceux, chrétiens ounon, qui s’interrogent sur le sens de la vie et le devenir de l’Homme. Le présent colloque, qui va nous permettre de réfléchir auxnouveaux défis posés par les droits de l’Homme aux chrétiens,s’inscrit précisément dans cette perspective.

La Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948, dont nous fêtons le soixantième anniversaire, aconstitué une avancée inégalée dans l’histoire de l’humanité. Jamais aucun texte n’était allé aussi loin dans l’affirmation que toute personne vivant en tout lieu de la terre pouvait se prévaloir dedroits inaliénables. Et il peut être utile de nous souvenir que cetteDéclaration, rédigée en moins de deux ans, est le fruit d’un consensus international. Son adoption, avec huit abstentionsseulement et sans aucun vote négatif par l’Assemblée générale des Nations Unies qui ne comptait alors que 58 états, a constitué unrésultat inespéré.

Mais, en dépit des progrès accomplis, ce texte, dont René CASSINdisait qu’il était «un phare d’espoir pour les êtres humains humiliés », n’a pu empêcher les pires violations des droits de l’Homme. Et le monde reste marqué par les dramatiques réalités del’oppression, de l’injustice et de la pauvreté. La route est encorelongue avant que « l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations » affirmé par la Déclaration voie le jour. Relisonsce fragment primordial de son préambule : « L’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire,libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plushaute aspiration de l’Homme». Comment les chrétiens pensent-ils etvivent-ils l’articulation de leurs engagements, de leurs convictions, de leur foi avec cette « plus haute aspiration de l’Homme» ? Al’occasion de l’anniversaire de cette proclamation visionnaire, les chrétiens ont sans doute une parole spécifique à dire ensemble etdes moments spécifiques à vivre ensemble.

Portés par cette intuition, treize mouvements chrétiens desensibilités variées et aux champs d’action très divers ont voulu, dans l’événement œcuménique d’aujourd’hui, apporter leur contribution particulière à cette commémoration. Ce sont l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT), l’Association chrétienne des étudiants russes (ACER), la Cimade (Service

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œcuménique d’entraide) , le Comité catholique contre la faim et pourle développement (CCFD-Terre solidaire), la Fédération d’entraide protestante (FEP), Fondacio, la Fédération protestante de France(FPF), la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), Justice et Paix, leMouvement des Focolari, le Secours Catholique - Caritas, la Sociétédes Amis Quakers, Pax Christi. Ces associations ont reçu le soutiendes Baha’is de France.

Je souhaiterais particulièrement exprimer ma reconnaissance àMarc ZARROUATI, président d’honneur de l’ACAT-France, qui est àl’origine de cette aventure fertile et fédératrice, à SéverineBOYER-DURAND, qui y a travaillé dès sa genèse et dont l’impulsion avisée et constante a été décisive, à Cécile MICHIARDI, heureuse etinfatigable coordinatrice d’un projet à qui elle a insufflé entrain et dynamisme, et à Jean-Etienne de LINARES, délégué général del’ACAT-France. Un grand merci enfin aux cinq intervenants, ainsiqu’à Pierre-Yves LE PRIOL, secrétaire général de la rédaction dujournal La Croix , qui sera le modérateur de ce colloque.

Alors, quelle a été l’exacte intention de ces treize associations?Elles ont voulu rendre visibles la vitalité, l’originalité et l’unitédel’engagement des chrétiens au service des droits de l’Homme et de la protection de la valeur sacrée de toute personne. Cettecélébration n’a rien d’une crispation corporatiste sur la défense des droits de communautés particulières, c’est, au contraire, unedémarche qui s’inscrit dans l’horizon d’une solidarité planétaire avec tout être humain. L’espérance chrétienne se traduit en effet dans un désir dynamique de participation à l’amélioration de la condition humaine par des initiatives concrètes pour le droit, la paixet le développement équitable.

Le christianisme ne prétend ni détenir toutes les solutions, niprononcer le dernier mot de l’Histoire, mais la liberté et l’universalité qui traversent ses textes fondateurs, l’investissement de sa réflexion multiséculaire et ses ressources spirituelles ontcertainement quelque chose à apporter à la promotion des droits dela personne humaine et aux débats contemporains autour de cesdroits.

Je vous souhaite un excellent colloque et vous donne rendez-vous àla célébration œcuménique, cet après-midi à 16 heures 30, enl’Eglise Saint-Eustache. Je vous remercie.

(Applaudissements.)

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***Existe-t-il un contentieux entre les Eglises chrétiennes et les droits de

l’Homme?

Constatant que la plupart des Eglises se sont ralliées aux droits de l’Homme, plus ou moins tardivement, peut-on dire, 60ans après la Déclaration universelle, qu’il reste un contentieux historique et/ou théologique à une pleine adhésion aux droitsde l’Homme?

Pierre-Yves LE PRIOL.- Bonjour à tous. La matinée que nous allonspartager va être organisée en trois débats, comme vous l’avez vu sur le programme.

Notre premier débat, tout de suite, porte sur le contentieux, sicontentieux il y a, contentieux historique, entre les Egliseschrétiennes et les droits de l’Homme. Nous avons donc deux spécialistes pour parler de ce sujet, la relation entre les Eglises etles droits de l’Homme.

Paul VALADIER, que vous connaissez, qui est un père jésuite,docteur en théologie, qui a écrit une thèse sur NIETZSCHE, je crois,spécialiste de NIETZSCHE, et qui a toute une bibliographie très, trèsriche. J’avais lu, pour ma part avec beaucoup d’intérêt, son Journalde l’année2004 sur Le temps des conformismes paru au Seuil , maisil a également beaucoup d’autres l ivres sur MARITAIN, etc. Il va êtrele premier à intervenir, brossant la perspective générale sur lesrelations entre les Eglises et les droits de l’Homme.

Puis, une focalisation particulière sur le cas de la Russie avecKathy ROUSSELET qui est une normalienne, ancienne élève deNormale Sup, qui est directrice de recherche à Sciences Po, unespécialiste de l’Eglise orthodoxe russe, et qui portera la focale sur la spécificité de l’Eglise orthodoxe russe et son évolution concernant les droits de l’Homme en Russie.

Sans plus tarder, le père VALADIER. L’intitulé de son exposé est :« Contentieux théorique entre Eglise et droits de l’Homme? »

Paul VALADIER .- Bonjour à chacun et chacune d’entre vous.

La question à laquelle je vais tenter de répondre est la suivante :« Existe-t- il un contentieux entre les Eglises chrétiennes et lesdroits de l’Homme? ».

En réalité, je vais limiter ma réponse à l’Eglise catholique, ce qui est déjà un dossier abondant à traiter en 20 minutes. Excusez-moi pour

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les autres Eglises chrétiennes, mais peut-être que dans le débatnous reviendrons là-dessus.

« Un contentieux », me suis-je demandé en consultant lePETIT ROBERT , « qu’est-ce c’est? ». Deux réponses sont données :c’est «ce qui fait l’objet d’une discussion devant lestribunaux » etautre réponse : « ce qui soulève des débats ».

Alors, on pourrait dire que peu de gens traînent les droits del’Homme devant des tribunaux, c’est-à-dire font des procès, mais il ya bel et bien des débats et pas seulement dans l’Eglise catholiqueau sujet des droits de l’Homme.

Pourquoi y a-t-il des débats ? Puis, est-ce que, sous prétexte quel’on a des débats avec les droits de l’Homme, cela signifierait quel’on n’adhère pas aux droits de l’Homme? Voilà les questionsauxquelles je voudrais tenter d’apporter au moins une réponse rapide.

D’abord, en ce qui concerne l’Eglise catholique. Historiquement, il ya bien eu un contentieux et l’on pourrait même dire au sens d’un procès entre les droits de l’Homme et l’Eglise catholique au momentde la Révolution française. Cependant, je crois qu’il faut ici éviter les préjugés, les réponses toutes faites, les faux procès et je vaissimplement faire quelques rappels historiques très brefs.

Je parle donc de la Déclaration de 1789 qui n’est pas celle dontnous célébrons l’anniversaireet il y a beaucoup de différences entreles deux. La Déclaration de 1789 est le produit, comme nous lesavons, des Etats généraux. Je voudrais rappeler que s’il y a euquelque chose comme la Révolution française, c’est parce qu’en juin 89, le Clergé, qui était un Ordre donné, a basculé du côté duTiers Etat. Sans quoi il n’y aurait pas eu la Révolution française. Jevoudrais rappeler encore que cette Assemblée a voté très largementla plupart des réformes radicales proposées à ce moment-là, et quecette Assemblée était faite non seulement de clercs, mais en trèsgrande partie de catholiques. Ils n’ont vu aucun problème.

Je rappelle encore que la rédaction de la Déclaration de 1789 a étéfaite, entre autres, pas seulement, par des ecclésiastiques :l’abbé SIEYES, ce n’était pas un curé de toute notoriété morale, l’abbé GREGOIRE qui, au contraire, était de tendance janséniste, etils n’ont vu aucun problème.

La diff iculté a commencé à naître avec la Constitution civile duclergé en 1790-1791. Constitution civile du clergé, l’Assemblée,ayant réformé la Justice, l’Administration, etc., s’est crue en droit de réformer l’Eglise elle-même. Je signale que le roi Louis XVI asigné cette Constitution, n’y a vu donc aucun problème- peut-êtreque le pauvre homme ne pouvait pas faire autrement - et que laplupart des évêques étaient d’accord avec cette Constitution civile

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du clergé. Seulement quelques-uns d’entre eux, dont l’archevêqued’Aix, se sont dit : « Mais on pourrait peut-être demander l’avis du pape », ce qui évidemment, aujourd’hui, où nous sommes dans unultramontanisme aigu, nous surprend. On a demandé l’avis du pape Pie VI qui a répondu non sans hésitation par la bulle QuodAliquantum en mars 1791.

C’est ici que les choses se sont aggravées car le pape a répondu :« Mais je ne vois pas au nom de quoi une assemblée [c’est-à-dire letemporel] parlementaire viendrait réguler l’Eglise et la réformer? »,c’est-à-dire au nom de quoi le temporel interviendrait dans lespirituel ? Je regrette de dire que je crois qu’il avait raison. Ce n’est pas à une assemblée parlementaire de réformer l’Eglise. C’est aller contre la distinction des pouvoirs entre le temporel et le spirituel. Ilavait donc raison.

Le revers de la médaille, c’est que pour faire cette condamnation, ilen fait appel au droit de Dieu. Et voilà le mal, c’est qu’à partir de ce moment-là, on va dire : « Vous vous opposez aux droits de l’Homme au nom des droits de Dieu ! ». Je dirais que cette opposition estdevenue une sorte de vulgate, au moins jusqu’à VaticanII , qui aentretenu l’idée selon laquelle l’Eglise catholique était contraire aux droits de l’Homme. En réalité, si nous lisons de près ce Bref QuodAliquantum , nous nous apercevons que le pape refuse qu’au nom des droits de l’Homme, on intervienne dans une transformationparlementaire de l’Eglise catholique. Je m’excuse encore de le dire, je crois qu’il avait parfaitement raison.

Voilà un premier point et évidemment, chacun mesure la distancepar rapport à 1791 quand nous voyons aujourd’hui les papes, Jean-Paul II en particulier, ou Benoît XVI, être les plus ardentsdéfenseurs des droits de l’Homme. Premier point.

Deuxième point. Bien entendu, il y a toujours un contentieux autourdes droits de l’Homme au sens où il y a toujours un débat. Cesdébats ne touchent pas seulement l’Eglise catholiquebien entendu.

Les droits de l’Homme, pour reprendre une formule du philosophe Claude LEFORT, « ne sont pas une politique », ils ne définissent pasune ligne d’action et c’est pourquoi il faut les interroger en permanence sur leur portée réelle dans une situation historique etdans une culture donnée. Sinon, on justif ierait la critique, que vousavez peut-être vue dans le Monde Diplomatique du mois denovembre, selon laquelle les droits de l’Homme seraient l’émanation d’une philosophie occidentale, d’un impérialisme que l’on opposerait à toutes les cultures. Non, les droits de l’Homme sont formels, mais je ne prends pas ce mot au sens péjoratif du terme. Ceformalisme est bienvenu puisqu’il ouvre le débat démocratique etdonc, les droits de l’Homme appellent le débat, appellent ladiscussion et, d’une certaine façon, la contestation.

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Par exemple, qu’est-ce que le droit à la santé ? Le droit à la santéest un principe formel. Partout et toujours, nous avons droit à lasanté, mais si vous êtes au Zimbabwe, le droit à la santé n’a pas le même contenu que si vous êtes à Paris. Cela va de soi.

Nous pourrions multiplier les exemples : le droit à l’éducation, le droit au logement. Est-ce que c’est partout la même chose? Partoutet toujours, il y a un droit de l’Homme au logement, à la santé et à l’éducation, mais le contenu va varier selon les situations. Du coup,évidemment, nous avons à nous interroger : par où, aujourd’hui,passe dans nos pays, ou en Chine ou ailleurs, le respect de ce droitformel à la santé, à l’éducation ou au logement?

Ainsi, la discussion, le débat, le contentieux reste toujours et,heureusement, ouvert. Vous le savez bien : la torture, celacommence où, quand, quels gestes au juste la traduisent ? On peuts’interroger et il faut évidemment s’interroger pour ne pas être des gens unilatéraux.

Troisième remarque. Pour l’Eglise catholique, je crois qu’il faut noter et se réjouir d’une adoption très réelle des droits de l’Homme, en particulier évidemment de la référence à la Charte de 1948, dansl’enseignement du Magistère. Je dirais même: comme toujours, lesnéophytes en font un peu trop et l’on voit des papes monter aucréneau et se faire quasiment les seuls défenseurs des droits del’Homme, ce qui est évidemment excessif .

Néanmoins, dans l’Eglise catholique et sans doute ailleurs, les droits de l’Homme ouvrent une triple interrogation liée à la fois à la théologie et à la philosophie, et cette triple interrogation, je crois,est parfaitement légitime.

Il y a d’abord un premier problème, « contentieux », si vous voulez.Quel est le fondement des droits de l’Homme? Est-ce qu’ils sont, selon la Déclaration de l’indépendance américaine, évidents? S’ils sont évidents, il n’y a pas à discuter. « Evident », comme j’ai un micro à la main, c’est évident, on n’a pas besoin de faire des démonstrations. Est- il certain qu’ils sont tellement évidents? S’ils ne sont pas évidents, il faut donc les fonder. Les fonder sur quoi ?Sur la nature humaine ? Mais qu’est-ce que la nature humaine ?Aujourd’hui, beaucoup de gens ont des doutes là-dessus. Est-cequ’il faut les fonder sur la personne ? Et, dans la personne en tantqu’elle est un être de raison, dans une ligne kantienne ? Ou, est-ceque l’on va dire - voilà la ligne catholique, théologique : les droitsde l’Homme sont fondés en tant que tout homme, toute femme est créature de Dieu, image de Dieu, fils bien-aimé du Fils et du Père ?Voilà une question qui est une question ouverte.

Certains vont même dire : « I l ne faut pas poser la question dufondement ! ». J’ai cité ClaudeLEFORT, qui est l’un de ceux qui

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prétendent qu’il faut laisser venir les revendications sociales, les tamiser au gré de la discussion démocratique, mais qu’il ne faut surtout pas chercher un fondement qui figerait les droits del’Homme.

Ainsi, nous avons, derrière tout cela, une immense question, qui atraversé l’histoire de la philosophie et de la théologie, qui est celledu « droit naturel ». C’est-à-dire : y a-t- il un droit au-dessus desdroits ? Puis, est-ce que les droits de l’Homme seraient, au fond,aujourd’hui, cette référence contemporaine, moderne, à un « droitnaturel », c’est-à-dire qui dépasse les droits écrits par nos codes etpar nos sociétés ?

Je dirais que ceci est un premier débat, un premier contentieux,certainement extrêmement difficile, qui n’est pas proprement lié à l’Eglise catholique et qui fait partie, je crois, de la grande traditionde pensée des droits de l’Homme. Quel estleur fondement ? Où letrouver ? Faut-il même en trouver un ? Je pense qu’il faut en trouver un, mais que ce n’est pas si facile que cela et donc, il y anécessairement débat.

Le deuxième grand débat - et là encore, qui n’est pas propre à l’Eglise catholique, bien qu’il y soit assez vif -, c’est que les droits de l’Homme peuvent donner lieu à des interprétations subjectivistes et individualistes. C’était déjà le reproche qui était fait à la Déclaration de 1789. Le grand risque de l’idée d’un individu qui estun « ayant droit », qui n’a que des droits et pas de devoir, qui peut tirer en quelque sorte indéfiniment des créances sur sa banque -nous savons que les banques peuvent quelquefois tomber en faillite-, mais quand il s’agit d’une société, on peut croire que l’on peut tirer des droits indéfiniment.

Ainsi, une des critiques qui était faite, c’est qu’aveccette théoriedes droits de l’Homme- elle était faite par HEGEL le premier, maisaussi par de MAISTRE et d’autres -, l’on risquait de briser le lien social, d’avoir des individus atomisés qui ont des droits à tout avec le risque de multiplier les droits de l’Homme. Est-ce qu’il y a un droit au blasphème, par exemple ? On vient de découvrir qu’il y a un droit au blasphème. Où est-ce que vous avez vu cela ? « Parce quel’Islam ne me plaît pas, je vais pouvoir tirer à boulets rouges sur Mahomet ». « Ah bon ? Très bien ». Voilà le problème, c’est-à-direque l’on aboutit non pas à une grande théorie, mais à une théoriequi valorise et justifie au fond les caprices individuels,individualistes, et cela, c’est évidemment très, très grave.

Or, dans l’Eglise catholique, je crois que l’on tient à l’idée que l’individu existe comme personne, mais que la personne elle-mêmen’existe que reliée à d’autres. Nous ne sommes pas des atomes, desîles séparées les unes des autres, nous sommes en lien avec lesautres et donc, nous avons des obligations, c’est-à-dire aussi des

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devoirs. Si j’ai le droit à la santé, c’est qu’il y a des personnels soignants qui ont le devoir de me soigner si je suis malade.Evidemment.

Alors, je dirais que cela, c’est un second débat, second contentieux, qui n’est pas propre à l’Eglise catholique, mais qui est certainementtrès vif , il suffit de rappeler quelques textes de Benoît XVI à cesujet : la critique d’une interprétation individualisante qui, à monavis, risque non pas de créditer les droits de l’Homme, mais de lesdécrédibiliser à peu près totalement, et nous savons bien que c’est une pente tout à fait redoutable.

La troisième question et, je dirais, le troisième contentieux, nonmoins grave, c’est de savoir s’il y a ou non une hiérarchisation nécessaire entre les droits ? Y a-t-il des droits de l’Homme plus importants que d’autres, ou est-ce qu’ils ont tous la même valeur, la même urgence, la même qualité ? Puis, s’il y a une hiérarchie à poser, au nom de quoi la poser ?

On retrouve tout à fait la deuxième interrogation que j’ai posée. Si vous répondez : les droits de l’Homme sont fondés sur la création par Dieu d’une créature aimée de Lui, vous allez être porté à direque la liberté religieuse est une liberté fondamentale, c’est ce qu’a fait d’ailleurs Jean-Paul II . Ou, vous allez dire : le droit à la vie estle droit fondamental, et d’une certaine façon, c’est loin d’être faux.Si l’on n’est pas en vie, on n’a pas de droit, seul un vivant a desdroits. Ainsi, le droit à la vie paraît être le droit le plus fondamentalde tous. C’est certainement ici l’objet d’un grand débat dans l’Eglise catholique, et notamment aux Etats-Unis où, nous le savons, uncertain nombre d’évêques, pour ne pas dire la grande majorité des évêques, ont fait campagne en faveur - il faut bien dire les chosesclairement - de Monsieur BUSH il y a huit ans et il y a quatre ans,où l’on détournait les électeurs de voter pour le sénateur OBAMAsous le prétexte qu’il risquait de favoriser l’avortement. L’évêque deKansas City a publié une lettre pastorale lue dans toutes les Eglises,il y a à peu près un mois et demi, dans laquelle il se dit : « Est-ceque les futurs électeurs du sénateur OBAMA ont bien réfléchi en cequi concerne leur salut éternel ? ». Rien de moins, rien de plus.Alors, vous me direz : « C’est un extrémiste», mais enfin, il étaitassez représentatif d’autres gens. C’est une position extrême qui a ses raisons d’être.

La seule... , enfin la grande diff iculté que je vois, c’est que si vous mettez un droit de l’Homme prioritaire, vous risquez d’éclipser les autres. C’est-à-dire que vous êtes tellement obsédé parl’avortement, qui est un vrai problème, je ne veux pas dire que c’est une bagatelle, c’est un vrai problème, mais Guantánamo, lestortures, la famine dans le monde, les crimes contre l’humanité… J’exagère, mais voilà le risque. Vous voyez, c’est la loupe, c’est-à-

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dire que vous êtes aveuglé par un droit de l’Homme qui est réel, le droit à la vie, et vous risquez d’oublier les autres. Voilà le problème.

Personnellement, je pense qu’il n’y a pas de hiérarchie. Il n’y a pas de hiérarchie. Tous les droits, au moins de la Déclaration de 1948,sont des droits à respecter en tant que tels.

Ceci dit, bien entendu, les choses varient selon les situations et lescultures. Si nous sommes dans un pays où l’oppression politique et policière est radicale, évidemment, le droit au logement estsecondaire. Evidemment.

Si nous sommes dans un pays riche, le droit d’avoir un toit devient quand même d’une certaine façon prioritaire, etc. On pourrait dire lamême chose pour la torture. Toute la question, et je rejoins le débatque j’évoquais tout à l’heure, consiste à savoir, dans lescirconstances concrètes où nous sommes, où et quand la personnehumaine est bafouée.

Je dirais qu’en plus, on peut avoir des options. Vous, à l’ACAT, vousmilitez contre la torture, c’est une option. Je pense que cela vous occupe déjà suffisamment pour ne pas tellement militer en mêmetemps, par exemple, pour le droit au logement. Peut-être que vouspouvez faire les deux à la fois, mais il y en a d’autres qui le font. La lutte contre la torture est évidemment tout à fait importante, maiscomme vous le savez bien, elle n’est pas la seule.

Je dirais donc qu’i l y a un débat, un contentieux qui est nécessaireparce que les droits de l’Homme appellent leur interprétation et leurs traductions sociale et politique, donc ils appellentconstamment le débat. Ceci est une très bonne chose parce quec’est lié à nos démocraties qui sont sans cesse en interrogation sur elles-mêmes : est-ce que nous respectons vraiment les droits ? Puis,l’on peut toujours dire, sans risque de se tromper, qu’effectivement,quand vous relisez la Déclaration de 1948 : « Non, nous ne lesrespectons pas vraiment ». Droit à l’éducation? Est-ce que nousdonnons une éducation à tous les gamins aujourd’hui? Evidemmentnon. Est-ce que l’on donne un toit à tout le monde? Evidemmentnon. Est-ce que dans les commissariats de police, on sert une tassede thé à celui qui est... ? Evidemment non. Vous me direz que cen’est pas le rôle d’un commissariat de police… Je veux dire que l’onest toujours en tort par rapport aux droits, mais c’est heureux parceque c’est cela qui nous interroge.

Je termine. Si l’on évite les faux procès, je crois qu’il est clair aujourd’hui que l’Eglise catholique, dans son Magistère le plusofficiel, s’est effectivement ralliée aux droits de l’Homme, peut-êtremême avec la ferveur du néophyte qui en fait quelquefois un petitpeu trop. D’autant plus que l’on pourrait dire que le discours de l’Eglise serait convaincant à deux conditions.

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Une condition, c’est que les chrétiens sur le terrain s’engagent, et je crois qu’ils le font. Je dis souventque le discours magnifique deJean-Paul II à l’ONU sur les droits de l’Homme en1979 n’a sa pertinence que parce qu’il y a eu derrière MonseigneurROMERO, etparce que derrière Monseigneur ROMERO, il y avait des dizaines dechrétiens, de non chrétiens, mais en particulier de catholiques, quise sont fait trouer la peau pour la défense de la justice.

Alors, le discours : très bien. Mais derrière : la pratique. S’il n’y avait pas la pratique, « cause toujours, tu m’intéresses» . . . On estdonc convaincant si l’on s’engage et j’espère que c’estce que vousfaites.

La deuxième chose, c’est que l’Eglise catholique serait un peu plus convaincante si elle respectait davantage en son sein, peut-être pasles droits de l’Homme dans leur généralité, vous n’al lez pasdemander à l’évêque de vous loger, vous n’allez pas lui demander des soins de santé, mais que l’on respecte davantage la dignité de tout baptisé. Par conséquent, je pense que nous gagnerionsbeaucoup dans l’Eglise catholique à une plus grande clarté desrègles, des règles concernant la nomination des évêques, mais aussides règles concernant les accusations contre les théologiens.Aujourd’hui, on vient nous dire que la congrégation pour la doctrinede la foi n’a jamais poursuivi personne. C’est un mensonge éhonté !Or, on ne connaît pas clairement les règles.

Alors, que l’on puisse contester la position d’un théologien ou d’un philosophe, bien évidemment, cela fait partie du jeu intellectuel,mais que l’on sache au nom de quoi, qui, selon quelles règles, etcela, malheureusement, nous ne le savons pas. Cela veut dire quedans la société, comme dans l’Eglise, le respect des droits de l’Homme est un chantier, ce n’est pas à vous que je l’apprendrai. Merci beaucoup.

(Applaudissements.)

Pierre-Yves LE PRIOL.- Peut-être aussi le respect des droits de lafemme ? La place de la femme dans l’Eglise?

(Rires.)

C’est aussi tout un champ, nous pourrons en parler tout à l’heure, si nous avons un peu de temps pour le débat.

Tout de suite, Kathy ROUSSELET porte le focus sur la situation enRussie : les droits de l’Homme et l’Eglise orthodoxe russe.

Kathy ROUSSELET .- Merci beaucoup, merci à vous tous, merci devotre invitation.

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Concernant l’Eglise orthodoxe russe et les droits de l’Homme, nousallons retrouver une bonne part du contentieux dont parlait àl’instant le père VALADIER.

Les 24-29 juin 2008, le Synode des évêques de l’Eglise orthodoxe russe a approuvé un texte sur les Fondements de l’enseignement de l’Eglise orthodoxe sur la dignité, la liberté et les droits de l’Homme .Cette déclaration est particulièrement intéressante. Elle s’inscrit dans le prolongement des Fondements de la doctrine sociale del’Eglise adoptés en2000, mais aussi dans le prolongement de laDéclaration du Conseil mondial populaire panrusse qui est uneinstitution qui réunit des élites politiques et religieuses russes,dans le prolongement de nombreuses déclarations dumétropolite KIRILL de Smolensk, responsable du département desrelations extérieures du patriarcat de Moscou, ou encore dans leprolongement de l’intervention que vous aviez sans doute remarquée du Patriarche Alexis II au Conseil de l’Europe l’année dernière.

Ce message de l’Eglise orthodoxe russe, à mon avis, doit être analysé dans une double logique. Il est le message d’une Eglise chrétienne et, à maints égards, est très proche de celui de l’Eglise catholique.

Mais cette Eglise aussi s’inscrit dans un contexte tout à fait spécifique et je crois qu’il fait vraiment le mentionner.

D’abord, ce message est celui d’une Eglise qui veut offrir un message particulier dans un monde global. L’Eglise orthodoxe russe veut pleinement s’inscrire aujourd’hui dans l’espace européen et elle veut contribuer à la définition des normes européennes, et pluslargement internationales.

Ensuite, cette Eglise s’inscrit aussi dans un contexte tout autre, celui de la Russie post-soviétique. Je voudrais m’attarder quelque peu sur ce contexte :

- La Russie, vous le savez, est un pays où les droits de l’Homme ont été bafoués pendant plus de 70 ans et où les chrétiens ont étépersécutés. L’Eglise n’a dû sa survie institutionnelle qu’à sa place dans la défense de la patrie –et l’on peut penser, par exemple, àson rôle mobilisateur pendant la Seconde Guerre mondiale, et aurépit pour les chrétiens à ce moment-là. Les hiérarquesd’aujourd’hui, les principaux acteurs ecclésiastiques ont vécu cette période ; ils portent cet héritage et il ne faut pas l’oublier.

- La Russie est également un pays où l’Eglise se cherche une place dans l’espace publique, politique. Elle cherche à être de plus enplus visible, à contribuer à la définition des catégories politiques,tout en restant autonome. J’insiste sur ce point car on l’oublie fréquemment : l’Eglise cherche aussi à être autonome. L’Eglise, en

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tant que porteuse d’une religion dite traditionnelle, veut affirmer son rôle dans la société russe comme garante des valeurs morales.

- Il ne fait aucun doute, par ailleurs, que la Russie poutinienne esttraversée par les tendances autoritaires, que le consensus se faitautour des idées de patriotisme, de nationalisme et d’anti-occidentalisme. L’Eglise s’inscrit dans ce contexte. Elle est traversée par ces idées, tout en les subissant.

- La Russie est aussi un pays où, de façon générale, la notion dedroits et de devoirs est peu développée. Lors d’un sondage effectué en Russie en 2002, les personnes interrogées étaient deux fois plusnombreuses à manifester de l’indifférence à l’égard des libertés du citoyen - j’entends: l iberté de conscience et de religion, de réunion,droit de parole -, donc deux fois plus nombreuses à manifester del’indifférence à l’égard de ces libertés qu’à les défendre. Une partimportante acceptait même que leurs droits soient l imités en cas deproblèmes de sécurité publique. Peu se montraient préoccupés parla liberté de parole et la censure de la presse, et presque personnene craignait de restriction de ces droits.

Voilà le contexte dans lequel l’Eglise russe a adopté cette Déclaration de juin 2008, et je crois que c’est important de lepréciser.

Cette Déclaration de Juin 2008 a ainsi une double vocation.

Elle est une Déclaration pour le monde extérieur, mais elles’adresse aussi aux Russes d’aujourd’hui et, en particulier, auxchrétiens orthodoxes russes. Elle a pour vocation de protéger lesdroits de l’Eglise et de ses membres dans le contexte de la globalisation et de sécularisation des valeurs, tel est son discours ;elle définit de nouvelles catégories pour une Russie qu’elle considère comme majoritairement orthodoxe. Elle aide à définir lesdroits dans une Russie en construction.

Cette Déclaration de l’Eglise orthodoxe russe est d’abord une réponse à l’affirmation de l’universalité des droits de l’Homme. Cette question apparaît comme centrale pour l’Eglise, dans lamesure où elle concerne le salut du chrétien : jusqu’à quel point en effet - et là, je vais reprendre un petit peu ce que disait lepère VALADIER - le chrétien devrait- il se plier à des règlesmarquées par cette conception absolue des droits de l’Homme, alorsque certaines vont à l’encontre de la morale chrétienne et sont une entrave au salut de l’Homme?

Le préambule du texte reprend un autre point central développé,entre autres, par le métropolite KIRILL de Smolensk, selon lequel ilexiste plusieurs cultures et civilisations qui possèdent desreprésentations spécifiques des droits de l’Homme. Cette approche civilisationnelle, tout à fait spécifique à l’Eglise orthodoxe russe,

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s’oppose à une perception globale du monde. L’Eglise russe se dit en droit de prôner sa propre vision du monde inscrite dans uneculture particulière. A des logiques transnationales universelles,l’Eglise oppose la Tradition, sa tradition.

Pourtant, et là je crois qu’il y a une avancée dans le texte de2008, sila majeure partie des textes du métropolite KIRILL manifestait uneopposition très nette aux valeurs séculières et au libéralisme, cetteDéclaration de 2008 révèle une volonté de trouver les moyens d’une harmonisation des différentes conceptions.

L’Eglise russe adopte le langage des droits de l’Homme, dialogue avec les droits de l’Homme. Les droits de l’Homme peuvent contribuer à la défense de la dignité humaine, mais ils ne sont pasles seuls régulateurs sociaux, loin de là. Ces droits de l’Homme sont au fondement du droit international et l’Eglise orthodoxe russe reconnaît le droit international. Le but de l’Eglise dans cette Déclaration n’est pas de discuter la Déclaration de1948, ni laConvention européenne de sauvegarde des droits de l 'Homme et deslibertés fondamentales. Elle revient, en revanche, sur les notionsfondamentales de dignité et de liberté. Ainsi, comme le soulignaittrès justement Nicolas LOSSKY dans un bel article paru en 2001,l’Orthodoxie, en ce qu’elle est théocentrique, préfère non pas parler des droits de l’Homme «mais de la dignité de la personne humaine,créée à l’image de Dieu et donc du caractère éminemment sacré et précieux de tout être humain . » C’est la personne humaine, « lichnost’», qui est la valeur suprême : la personne, en communionau Corps du Christ, et non l’individu, la personne inscrite dans la « sobornost’», dans la collectivité, dans la communauté et dans latradition.

Par ailleurs, pour l’Eglise orthodoxe, la morale prime sur tous les droits et la Déclaration ne cesse de le répéter ; la vérité divine et lesvaleurs spirituelles sont supérieures à toutes les institutions. « Ladignité de l’Homme et la morale ont un lien indissoluble [nous dit ledocument]. En outre, la reconnaissance de la dignité de la personnesignifie l’affirmation de sa responsabilité morale . »

S’agissant de la Liberté, l’Eglise reconnaît la liberté de choix, mais celle-ci disparaît, dit-elle, lorsqu’elle se fait au profit du mal. L’Eglise réaffirme dans la Déclaration l’incompatibilité profonde entre mal et liberté. C’est ici qu’elle désigne la faiblesse des droits de l’Homme qui, en défendant la liberté du choix, en oublient deplus en plus la dimension morale de la vie et la liberté au senschrétien du terme qui renvoie, elle, à la notion de dignité humaine.

Vous voyez donc bien que l’Eglise orthodoxe russe, dans cetteDéclaration, refuse l’absolutisation des droits de l’Homme; elleappelle à une harmonisation de ces droits avec les valeurs moraleschrétiennes. Puis, parmi les problèmes mentionnés dans ce texte,

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on trouve en particulier la question du droit à l’avortement et à l’euthanasiequi sont très, très fermement critiqués. D’ailleurs, vousvous souvenez également des propos tenus par Alexis II surl’homosexualité l’année dernière à Strasbourg.

La Déclaration de l’Eglise orthodoxe russe précise par ailleurs quel’on ne saurait pas justifier les offenses aux sentiments chrétiens par la liberté de parole, de création ou d’expression, et là cela renvoie tout à fait à ce que disait tout à l’heure le père VALADIERsur ce droit au blasphème qui, maintenant, est apparu. L’inscription dans la Tradition et les droits du groupe prennent ici le dessus surles droits de l’individu.

Ce conflit radical entre la conception du monde orthodoxe, d’une part, et les droits de l’Homme ancrés dans le libéralisme affirmant la place centrale de l’individu, d’autre part, a trouvé une illustration dans l’affaire, dont vous avez peut-être entendu parler, qui a éclatéen Russie autour de l’exposition Attention, religion ! , qui est uneexposition d’œuvres d’art que bon nombre de chrétiens orthodoxes russes ont considérée comme blasphématoire. Ce qui est trèsintéressant dans le contexte russe, c’est que cette exposition a été organisée au Centre Sakharov qui est un centre de défense desdroits de l’Homme. Cette exposition a donc été jugéeblasphématoire par l’Egliseet saccagée en 2003 par des chrétiensorthodoxes radicaux. En outre, dans ce contexte russe, la choseégalement très intéressante est que non seulement les vandalesn’ont pas été condamnés, mais le directeur du musée, laconservatrice et une artiste ont été inculpés d’incitation à la haine et d’atteintes publiques à la dignité de groupes de la population selon les critères nationalistes et religieux, et le directeur du muséea dû verser une très forte amende.

Cette affaire montre très bien combien les catégories définies parl’Eglise, et en particulier la Tradition, pouvaient dans certains cas, là en tout cas, avoir du poids dans l’espace public russe.

Puis, une affaire du même genre a éclaté en 2007 parce que le mêmedirecteur du musée, Iouri SAMODOUROV, a organisé une autreexposition qui s’appelle Art interdit 2006, qui, elle aussi, estconsidérée comme blasphématoire. Là, il avait pris ses précautions :on regardait les œuvres d’art par un judas. Cependant, ce mêmeIouri SAMODOUROV et Andreï EROFEEV, qui est le responsable dudépartement d’art contemporain à la galerie d’Etat Tretiakov, ontété, naturellement, l’un et l’autre, inculpés.

Nous avons donc là quelque chose de très intéressant parce quenous voyons ici comment deux conceptions des droits entrent enconflit en Russie.

Ces affaires renvoient de toute façon aussi à un autre élément

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fondamental de la pensée orthodoxe russe : l’importance du collectif . Je ne cesse de le dire, mais la personne se définit par soninscription dans le collectif . Il est vrai que dans la Déclarationde 2008, on voit aussi une « insistance » sur le droit de la personne,la « lichnost’», la personne prise en relation avec les autres, prisedans la communauté, mais il y a aussi une très forte importance dece collectif . Je cite : « Les droits individuels ne doivent pascontredire les valeurs et les intérêts de la patrie, de la communauté,de la famille . »

La Déclaration, dans laquelle il est précisé que l’Eglise vénère ceux qui ont offert leur vie pour la patrie, est ici en affinité avecl’idéologie dominante en Russie, celle que je vous ai définie en introduction. Elle s’inscrit aussi dans l’histoire de l’Eglise russe. La défense de la patrie prévaut en Russie sur celle des droits del’Homme.

Un autre point de cette Déclaration, je cite : « La défense des droitsde l’Homme ne doit pas servir les intérêts politiques d’autres pays. La lutte pour les droits de l’Homme ne devient fructueuse quelorsqu’elle œuvre au bien matériel et spirituel de la personne et de la société . » Je ne peux pas ne pas penser ici, en écho, aux positionsdu pouvoir à l’égard d’associations de défense des droits de l’Homme considérées comme des suppôts de l’Occident . Vous quimilitez pour les droits de l’Homme, vous devez avoir vu à quel point certaines associations étaient effectivement inquiétées aujourd’hui en Russie à cause de cela. Enfin, vous voyez les affinités entre cettepensée orthodoxe et ce contexte russe actuel.

En fait, par cette Déclaration de 2008, l’Eglise russe réaffirme les droits des croyants orthodoxes dans un monde dominé par la visionlibérale des droits de l’Homme et propose une éthique alternative à l’idéologie occidentale. Il y a là un discours qui reste assez anti-occidental.

Affirmant qu’il n’existe pas de classification universelle des droits et des libertés, elle propose sa propre classification, ce que l’on retrouve aussi dans d’autres Eglises. Elle distingue le droit à la vie,la liberté de conscience, la liberté de parole, celle de création et ledroit à l’éducation –le droit à la vie étant donc prioritaire ; enfin,les droits civiques et politiques, les droits socio-économiques et lesdroits collectifs. Chacun de ces droits est pensé selon uneinterprétation chrétienne et c’est en cela qu’il est reconnu.

La mention même des droits collectifs révèle un souci dedistanciation par rapport aux droits de l’Homme jugés trop individualistes dans leur version occidentale, même si le textesouligne, je le répète : « La recherche d’un équilibre entre droits individuels et droits collectifs ».

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Je m’attarderai quelques instants sur la liberté de conscience puisque cela fait également débat. Ce principe est fondamental ence que l’Homme est appelé à choisir l ibrement de faire la volonté deDieu. « Dans un Etat laïc [ajoute-t-on dans la Déclaration], la libertéde conscience proclamée par la loi permet à l’Eglise de conserver son autonomie et sa spécificité », mais malheureusement, ce principejuridique témoigne aussi de la disparition des valeurs religieusesdans la société. La déclaration s’oppose en revanche à une liberté de conscience qui serait synonyme de neutralité religieuse,d’indifférence de l’Etat et de la société. « La liberté de conscience[dit le texte] ne doit pas empêcher la société de définir les relationsque l’Etat peut entretenir avec les communautés religieuses en fonction de leur nombre, de leur place dans la tradition du pays ou dela région et de leur rôle dans l’histoire et la culture du pays. » On voitici clairement comment l’Eglise perçoit son rôle dans un pays qu’elle considère orthodoxe par tradition. La liberté de conscience, telle qu’elle peutêtre entendue en France avec sa tradition laïque,est absolument tout autre.

Un dernier point. Comment l’Eglise orthodoxe russe œuvre- t-elleaujourd’hui à la dignité de l’Homme en Russie en particulier?

Tout un chapitre de la Déclaration énumère les très nombreux axesde son action, dans le passé et dans le présent, au service de ceuxqui souffrent et qui sont persécutés. Signe d’un héritage, elle place en premier lieu la défense du droit « à confesser sa foi, à conserverles traditions culturelles et spirituelles, à respecter les principesreligieux tant dans la vie privée que dans la vie sociale ». Elle placedans un second temps la « lutte contre les crimes d’origine nationale ou religieuse » ; dans un troisième temps, la « défense de lapersonne contre l’arbitraire du pouvoir et les chefs d’entreprise», etAlexis II appelait régulièrement à plus de justice sociale.

De nombreuses actions s’inscrivent dans le contexte spécifique de la Russie et correspondent parfois assez peu à l’acception commune des droits de l’Homme: lutte contre la corruption, protection deceux qui souffrent de l’action des sectes dites destructives, protection des victimes des conflits - cela reste dans une acceptioncommune, mais la lutte contre la corruption et la protection contrel’action des sectes dite destructrices est tout à fait spécifique à monavis.

Il est vrai que l’Eglise développe les œuvres sociales dans les hôpitaux - et je pense, par exemple, à l’admirable travail de la Fraternité du père Arkadi CHATOV à Moscou -, dans les prisons. Elletente d’œuvrer contre la « dedovchtchina », le bizutage dans l’armée qui est absolument tragique. Même s’il est indispensable de préciser également que beaucoup de choses, beaucoup d’actions dépendent des relations locales entre commandement militaire et

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Eglise locale. Puis, dans un pays où l’engagement bénévole est detrès faible ampleur, les chrétiens orthodoxes pratiquants, eux aussitrès minoritaires - je tiens à le souligner - , jouent un rôle nonnégligeable.

Reste à souligner que l’Eglise n’œuvre pas en Russie avec les associations de défense des droits de l’Homme et qu’il y a un vrai divorce entre l’Eglise et les associations de défense des droits de l’Homme. Ces associations se réfèrent à la conception des droits de l’Homme, disons, universels, envers laquelle, comme je le disais,l’Eglise a une attitude de méfiance. D’ailleurs, ces défenseurs desdroits de l’Homme, parfois d’anciens dissidents, ne sont souvent guère à l’aise avec cette Eglise; fervents défenseurs de la laïcité ausens occidental du terme - quoique la laïcité en Occident est aussitrès variée… - , ils craignent une désécularisation de la société russeet une collusion des élites politiques et religieuses.

En fait, la question de l’attitude de l’Eglise russe à l’égard des droits de l’Homme dépasse, à mon avis, largement l’Eglise. En Russie, la société civile, au sens occidental du terme, estbalbutiante. Sans doute était-ce bien illusoire de vouloir importerdans ce pays un modèle dit « universel ».

Dans le contexte de la globalisation, les questions et défis posés ànos Eglises sont en partie les mêmes. Les réponses qu’elles peuvent apporter dépendent très largement des contextes culturels etpolitiques dans lesquelles elles sont enracinées. Ceci dit, il convientégalement d’ajouter que nos Eglises sont inscrites, de par l’ouverture du rideau de fer et la globalisation, dans des espacessociaux et politiques de plus en plus divers, et je vous disais quel’Eglise russe veut s’inscrire dans l’espace européen. Nos Eglisessont donc confrontées, en particulier l’Eglise russe, au défi de lapluralité sociale et politique qui oblige à des réponses pluscomplexes. C’est là, je pense, que le dialogue que les Eglises peuvent entretenir les unes avec les autres devient particulièrementsalvateur.

Je vous remercie.

(Applaudissements.)

Pierre-Yves LE PRIOL.- Merci Kathy ROUSSELET.

Il est très intéressant d’entendre le cas russe, je le découvre en écoutant Kathy ROUSSELET, parce que cela nous éclaire sur nous-mêmes, ainsi que le débat sur les relations entre l’Eglise catholique en France et les droits de l’Homme, l’Eglise catholique universelle et les droits de l’Homme. Il est intéressant d’avoir ce contre-exemple, en tout cas, cette approche un peu différente de l’Eglise russe sur les droits de l’Homme en Russie.

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Associations organisatrices :ACAT-France, ACER, Cimade, CCFD-Terre Solidaire, FEP, Focolari, Fondacio, FPF, JOC, Justice et Paix, Pax Christi,

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Débat avec le public

UN INTERVENANT.- Henry JACQUAND. Vous avez évoqué tout àl’heure la question des droits de la femme à l’intérieur de l’Eglise catholique et je voudrais savoir de quelle façon, à l’intérieur de l’Eglise catholique, l’on a abordé, au regard des droits de la femme, l’interdiction à l’accès à des ministères ordonnés?

Pierre-Yves LE PRIOL.- Il y a eu le débat récemment, notammentsur le lectorat, la possibilité pour les femmes de…

UN INTERVENANT.- Je ne parle pas du lectorat, mais deministères ordonnés, c’est-à-dire l’accès à la prêtrise…

Pierre-Yves LE PRIOL.- Absolument, mais dans l’actualité récente, il a également été question, comme un premier accès légalisé, de lapossibil ité pour les femmes de lire les lectures le dimanche dans lecœur de l’église. C’est un éventuel chemin vers le sacerdoce, maisenfin, il y a eu polémique là-dessus.

Le père VALADIER a des choses à dire sur ce sujet ?

Paul VALADIER.- Nous sommes là, quand même, pour célébrerl’anniversaire de la Déclaration de 1948 et non pas pour parlerdesproblèmes internes à l’Eglise catholique si importants soient- ils.

Je veux bien, quand même, dire un mot, mais il ne faut pas dévier ledébat parce que c’est un peu le lieu commun aujourd’hui: droit desfemmes…

Premièrement, dans les Eglises chrétiennes, les femmes, que jesache, sont filles et filles de Dieu au même titre que les hommes,donc elles ont des droits et des devoirs égaux ! On n’a jamais refusé, me semble-t-il , le baptême à une femme sous prétextequ’elle était femme. Ceci est quand même quelque chose d’assez fondamental.

La deuxième chose, qui nous obligerait à parler de la théologie dusacerdoce dans l’Eglise catholique, c’est l’accès à un certain nombre de fonctions. Je crois que tout groupe social a effectivementle droit de fixer des règles d’accès à des fonctions. L’administration publique pose des règles, des concours, des choses comme celapour accéder à un certain nombre de postes. L’Eglise catholique, sur

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ce plan, pose des règles et n’accepte pas, au moins pour le moment, des femmes au sacerdoce. J’ajoute tout de suite qu’évidement, ces règles pourraient changer. Ce sont des règles disciplinaires quiengagent sans doute un peu plus que la discipline. Il y a tout unesymbolique, mais enfin, la règle pourrait changer.

Personnellement, je dirais : plutôt que de s’engager dans des débats stériles, regardez ce qu’il s’est passé dans la communion anglicane. Ainsi, il ne s’agit pas de dire là, gentiment, à 10heures du matinaux Bernardins : « Bien sûr, etc. ! » parce que : est-ce que leschrétiens sont prêts à cela ?

Parce que si vous divisez l’Eglise, vous n’allez pas gagner beaucoup en bénéfices. Alors, personnellement, je dirais : si dans l’Eglise catholique, l’on commençait d’abord à faire ce qui est dans la grande tradition catholique orientale d’ordonner des hommes mariés, ce serait déjà un premier pas.

Ce débat difficile, immense n’est pas prêt de se terminer aujourd’hui, rassurez-vous.

Pierre-Yves LE PRIOL.- C’est peut-être moi, Père VALADIER, qui aieu le tort d’ouvrir le débat sur les droits de la femme à la fin devotre intervention. J’ai vu que cela suscite des questions, donc sortons de ce sujet.

Paul VALADIER.- Pour ajouter autre chose, il est évident que sivous regardez l’Eglise de France, ce sont les femmes qui soutiennent l’Eglise. Alors, malheureusement…

Pierre-Yves LE PRIOL.- Elles ont déjà, de fait, tous les pouvoirs.

(Rires.)

Paul VALADIER.- « Tous », non, mais elles en ont beaucoup. Ellesen ont toujours eu beaucoup.

Malheureusement - excusez-moi d’être un peu méchant -, si vouslisez –et ne le lisez pas –le discours de Benoît XVI aux évêques àLourdes, il n’y a pas un mot sur les laïques, et encore moins sur les femmes bien entendu.

Alors quel est le plumitif romain qui lui a écrit ce texte ? Je n’en sais rien.

(Rires.)

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Quand vous regardez, ce sont les femmes qui soutiennent l’Eglise en France, voyons.

Pierre-Yves LE PRIOL.- Quittons les droits de la femme pour parlerdes droits de l’Homme.

(Rires.)

UN INTERVENANT.- Gabriel NISSIM, je suis dominicain etprésident de la Commission droits de l’Homme de la Conférence des OING du Conseil de l’Europe.

Ma question s’adresserait surtout à PaulVALADIER : faut-il trouverun fondement aux droits de l’Homme?

Paul VALADIER, vous avez dit que vous souhaitiez que l’on en trouve un. C’est un débat difficile, vous l’avez dit, mais je pense qu’il faut avancer là-dessus et que l’un des débats qui se pose actuellement, qui vient d’ailleurs d’être réaffirmé par BenoîtXVIhier ou avant-hier, est : la loi naturelle ou le droit naturel.

Je pense que là-dessus, nous rejoignons très fortement ce qu’il se passe en Russie. Ainsi, de quel droit est-ce qu’une Eglise, quelle qu’elle soit, peut imposer à ceux qui l’entourent, à ses propres ressortissants, mais autour d’elle aussi, une conception des droitsde l’Homme qui lui vient d’une révélation à laquelle, personnellement, je consens volontiers, mais au sujet de laquelle jene peux pas demander aux autres de consentir ?

Pierre-Yves LE PRIOL.- Merci. Le père VALADIER va répondre.

Ce sera d’ailleurs l’occasion pour vous, PaulVALADIER, de nousdire ce qu’est le droit naturel. Je ne suis pas sûr que tout le monde en ait une conception très précise.

Paul VALADIER.- Personne n’en a de toute façon.

Pierre-Yves LE PRIOL.- Le pape Benoît XVI en a parlé égalementdans son discours à l’ONU au printemps. Le droit naturel, vous y faites allusion, mais qu’est-ce vraiment ?

Paul VALADIER.- Personnellement, je dirais d’abord que l’Eglise catholique a son interprétation des droits de l’Homme. Nous l’avons entendu, l’Eglise orthodoxe a la sienne, elle ne l’impose pas et je trouve qu’il est parfaitement normal que, disons, les francs-maçons,

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les libéraux aient leur interprétation des droits de l’Homme. Ils ne l’imposent pas, ils la proposent au débat.

L’Eglise catholique ou l’Eglise orthodoxe vous proposent une lecture des droits de l’Homme, je ne vois pas pourquoi elles ne le feraient pas. Tout groupe a besoin de se dire à lui-même ce qu’il pense « de… ». Elles vous proposent. Vous l’avez vu tout à l’heure, je ne suis pas entièrement d’accord avec tout ce qui est dit, mais pourquoi pas. Voilà le premier point.

Deuxième point : l’histoire des fondements. Je suis bien d’accord avec vous, je crois qu’il faut en effet, contrairement à la position deLEFORT, chercher un fondement aux droits de l’Homme. Pour la bonne raison que si vous ne donnez pas de fondements, et c’est le risque de la position de LEFORT, vous risquez d’avoir une extension indéfinie des droits. Puis, plus vous les étendez, plus vous lesexténuez, c’est-à-dire plus ils perdent leur sens.

Si les moustiques ont autant de droits que les handicapés, leshandicapés n’ont pas plus de droits que les moustiques, donc… Je plaisante en disant cela, mais il y a une espèce de « diarrhée » quiest tout à fait redoutable. On multiplie les droits des animaux, lesdroits des arbres, les droits de… Je crois que ceci est très redoutable. Il faut donc se donner des fondements afin de pouvoirposer des limites. Par exemple, personnellement, je ne crois pas…, je n’ai vu nulle part le droit au blasphème. J’ai plutôt l’impression -et c’est plus qu’une impression - que les droits de l’Homme, c’est le droit au respect de l’autre et non pas le droit de blasphémer. Mais voilà, on en rajoute. Maintenant, on dit : « droit au blasphème » etcela finit par devenir évident, c’est-à-dire que quand vous contestezle droit au blasphème, on vous dit : « Comment ? Vous êtes unaffreux intolérant, etc. ! » Mais non ! Les droits de l’Homme, c’est le droit au respect de l’homme, ce n’est pas la même chose, c’est même contraire !

Quant aux fondements, personnellement, je dirais volontiers… Je ne sais pas ce qu’il en est du droit naturel, je crois que les droits de l’Homme, aujourd’hui, sont un peu le substitut des droits naturels,c’est une référence métamorale, métajuridique et c’est ceci, au fond, le droit naturel dans la grande tradition. Ce n’est pas la nature qui nous parle, bien entendu, mais c’est l’idée qu’au-delà desconventions (ceci est la position des Grecs), il y a quelque chosecomme une nature injuste en soi. Les droits de l’Homme nous disent : « I l y a un juste en soi ». Là où vous torturez quelqu’un, vous blasphémez l’humanité. C’est le cas de le dire. Vous piétinez l’humanité. Même si le droit d’un pays vous donne le droit detorturer. Les Etats-Unis, malheureusement, soi-disant la plus grandedémocratie du monde… Enfin, jusqu’à présent. C’est une violation

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d’un droit naturel de ne pas être torturé. Je crois donc que les droits de l’Homme représentent un peu nos droits naturels.

Pour les fonder, je dirais volontiers, et pour éviter l’objection de l’occidentalisme: il faut partir de l’idée du corps. Nous avons tous un corps vivant, que nous soyons Chinois, Africain ou Occidental.Ce corps, il a des besoins. Nous savons tous, par notre corps, ceque c’est que d’avoir faim, d’avoir soif, d’être torturé, éventuellement d’être malade, la mort, etc., et il y a une transversalité. Je sais ce que c’est quand je suis prisonnier ou quand je suis calomnié. Ceci n’est pas occidental.

J’aurais un beau texte, mais nous n’avons pas le temps de le lire, de Kofi ANNAN dans lequel il dit : « N’importe quelle mère africaine ou chinoise sait ce que c’est que de souffrir quand elle voit son fils ou sa fi lle torturé par la police ». Alors que l’on ne vienne pas nous raconter des histoires : « Ceci, c’est l’Occident… ». Les contenus,bien entendu, varient, mais les droits comme tels de ne pas êtretorturé, d’avoir une éducation, d’être secouru dans la détresse, ce sont des droits universels. Que l’on ne fasse pas le jeu des régimes totalitaires, s’il vous plaît!

Il faut donc trouver des fondements et je dirais qu’il y a un fondement qui est quand même presque évident, c’est que nous avons tous un corps avec des besoins, et nous savons ce que c’est quand ces besoins sont réprimés ou ne sont pas satisfaits. Alors,cela reste formel, évidement, mais c’est ce qui fait la force et la richesse des droits de l’Homme.

Pierre-Yves LE PRIOL.- Remercions le père VALADIER etKathy ROUSSELET. Merci beaucoup.

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L’action civique et sociale: vivre l’Evangile?

De nouvelles formes d’actions spontanées et de prises de position en faveur des libertés fondamentales voient le jour. Quelles sont-elles ? Le citoyen chrétien sesent-il concerné ? Pourquoi ?

Pierre-Yves LE PRIOL.- Nous ouvrons immédiatement le seconddébat qui nous entraîne sur une autre thématique que je formuleraisde la façon suivante : comment vivre l’Evangile dans l’action civique et sociale ? Comment, le fait que l’on est chrétien, nous implique, nous engage dans la société qui nous entoure, nous engage à agir ?

Pour cette seconde table ronde, nous avons deux intervenants.

Jean-Louis SCHLEGEL, que vous connaissez aussi je présume, quiest éditeur, membre du Comité de direction de la revue Esprit.Sociologue bien connu des religions, il a écrit plusieurs livres dontLa loi de Dieu contre la liberté des hommes en 2003.

Monsieur SCHLEGEL va nous parler de la désaffection du politiquequi semble s’être emparée depuis quelques années de la société.Ainsi, est-ce que pour les chrétiens, il est autant porté, autantaujourd’hui qu’autrefois, d’être engagé dans la vie, dans la société qui nous entoure ? Ce n’est pas sûr. MonsieurSCHLEGEL va essayerd’analyser cette question.

Puis, nous entendrons le frère Alain RICHARD qui est de l’ordre des franciscains, bien connu pour son engagement de très, très longuedate dans la non-violence. Il a vécu aux Etats-Unis à une époque etavait créé là-bas un centre de non-violence à Las Vegas au sujetduquel il me disait tout à l’heure qu’il s’appelait «Pace e Bene ». Ilest également très engagé dans la défense des prisonniers, desmigrants. Il a créé en France des Cercles de Silence. Je ne suis pascertain que tout le monde dans la salle sache exactement ce quesont ces Cercles de Silence, certains le savent, mais il va nous enparler malgré tout. Il s’agit d’une initiative de terrain innovante et intéressante.

Puis, il abordera également le thème, qui traverse les milieuxchrétiens depuis de longues années, de la désobéissance civile :dans quelles conditions, pourquoi, comment, etc. ?

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Jean-Louis SCHLEGEL.- Merci. J’ai un peu hésité pour cet exposé, mais je vais quand même faire très rapidement un peu d’histoire longue pour essayer de situer les différentes positions que leschrétiens ont eues par rapport à l’action civique et sociale.

On pourrait sans doute écrire cette action depuis que l’Empire romain est devenu chrétien, peut-être même après tout déjà avant.Elle ne s’est évidemment pas toujours appelée ainsi. L’action civique et sociale, ce sont des mots modernes. Elle a portébeaucoup de noms, s’est exprimée de façons très diverses selon lessiècles. On peut donc penser que cela évoluera encore et que noussommes dans des évolutions actuellement.

Puis, le jugement des historiens et des spécialistes de l’action sociale ou de l’histoire sociale, et même après tout le jugement de chacun d’entre nous sur ce point peuvent légitimement différer.

De façon générale, malgré tout, plus d’un estiment que beaucoup du social moderne et occidental, donc également des droits del’Homme,est issu du social-chrétien, de la vision chrétienne del’homme ou de l’homme en société. C’est issu de l’«actioncharitable » - j’emploie volontairement cemot - des chrétiens, desquestions qu’ils se sont posées, des réponses qu’ils ont données, ainsi que de la critique qu’ils ont plus d’une fois exercée de leurpropre action.

Le XIXe°siècle a sûrement représenté la grande rupture moderne,dans laquelle nous sommes toujours et, en même temps, que nousavons beaucoup quittée pour des raisons que je vais redirerapidement.

Je suis un peu dans le même cas que Paul VALADIER : il faudraitvraiment un exposé différent pour chaque Eglise, nous le voyonsbien, et c’est ce que je me suis dit en écoutant KathyROUSSELET.Forcément, je suis catholique, je connais mieux l’histoire catholique, alors je vais quand même dire quelques aspects desprotestants, mais il aurait été intéressant d’avoir un exposé spécifique. Je vais donc plutôt parler des catholiques, mais donnerégalement quelques aspects sur l’évolution des protestants.

Du côté catholique, comme il fallait s’opposer, au XIXe siècle, pourdes raisons diverses à « l iberté –égalité », les deux mots phares dela Révolution, il y a eu une « invention du social et du civique »propre à l’Eglise catholique quise comprenait comme une « contre-société » concurrente de la société moderne.

Il se peut, comme on l’a souvent dit, que l’Eglise catholique et d’ailleurs aussi l’Eglise protestante aient ignoré les ouvriers, lanaissance d’une classe ouvrière. En revanche, ni l’une, ni l’autre n’ont ignoré la montée du paupérisme, des pauvres due àl’industrialisation et à l’urbanisation.

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Je cite pour exemple une phrase d’un évêque datant de 1840 : « Leservage est rentré au milieu de nous », ou encore : « L’homme spécule sur son semblable comme sur un vil bétail ». Autreexpression de 1840 : l’«exploitation de l’homme» ne respecte pas la« dignité de l’homme». On n’a donc pas tout inventé au XXe siècle etuniquement du côté de la société moderne.

Pour réagir, on assiste, du côté de l’Eglise, à une créationmultiforme d’institutions chrétiennes, d’« œuvres» charitablescomme l’on disait alors de façon un peu paternaliste, en particulierdans le domaine de l’instruction, de l’éducation et de la santé des pauvres. Ainsi, des centaines d’œuvres ont alors vu le jour, sontfondées par des catholiques et des protestants, des prêtres et despasteurs, des religieux et des religieuses, et aussi des laïcs hommeset femmes.

J’ajoute que ce modèle des «œuvres» est bien entendu exportéavec la colonisation ou les colonisations du XIXe siècle. En disant cemot « colonisation », cela ouvre évidemment un important chapitrede ce que nous aurions peut-être à dire dans les débats autour denotre thème, considérant que cela nous « revient en retour » parl’histoire la plus récente.

Enfin, les chrétiens n’ont pas été absents de la naissance des droits sociaux au XIXe°siècle, même si c’est dans un langage, et souventdu côté catholique surtout, d’opposition à la société moderne née de la Révolution. Ceci dit, je dirais que dans la deuxième moitié duXIXe siècle, les responsables catholiques et protestants ont senti ledanger de la concurrence créée par la naissance et l’expansion des idées socialistes. I l faut dire que du côté public aussi, donc de l’Etat démocratique, en particulier sous la IIIe République, on a fait dusocial , on a reconnu des droits, du travail entre autres, pour éviterles Révolutions. D’ailleurs, tous les spécialistes de l’histoire du droit social le disent toujours : la construction du droit social est enpartie, et même en grande partie parfois, une réponse, disons-le, dela peur bourgeoise face aux explosions possibles du social, face auxexplosions des classes laborieuses et dangereuses.

Après l’encyclique Rerum Novarum du pape Léon XIII en 1891, c’est, du côté catholique bien sûr, la longue mutation du XXe°siècle quiaboutit d’abord au catholicisme social, à la naissance de ladémocratie chrétienne, puis à l’engagement et à la présence des chrétiens dans la Cité au sens le plus large. Cet engagementd’individus et de groupes, qui n’ira pas sans mille débats et conflitsinternes sur lesquels je passe, est quand même beaucoup théorisépar des personnalités comme Emmanuel MOUNIER. Je le dissouvent : MOUNIER n’était peut-être pas le grand penseur duXXe siècle qu’en ont fait parfois les militants, mais il a été, c’est vrai, pour beaucoup de militants chrétiens, pour le coup catholiques

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et protestants, le penseur de l’engagement et de la nécessité de l’engagement. D’autres livres importants ont vu le jour, comme celui d’Henride LUBAC intitulé Catholicisme dès 1937.

L’engagement a également été beaucoup relayé par une pressecatholique et protestante très active, en particulier du côtécatholique dès les années trente par des publications desdominicains (Sept , La Quinzaine , etc.), et bien entendu évidemmentpar les mouvements d’action catholiquenés à partir de 1920 surtout,ainsi que par le syndicalisme chrétien de la CFTC.

Cette première partie du XXe°siècle constitue également un long etlent basculement des militants catholiques, il faut le dire, de ladroite ou du centre-droit vers la gauche, centre gauche, voiregauche socialiste et pour quelques-uns, communiste.

Du côté du langage, il faudrait l’étudier car c’est là que l’on passe de la « charité » à la « justice ».

J’ai oublié de dire qu’au XIXe siècle, on est sorti, et cela a ététhéorisé ainsi, de l’«aumône » pour passer à l’«œuvre». AuXXe siècle, on passe de l’œuvre de «charité » au combat pour lajustice.

Concernant toutes ces évolutions, il y aurait beaucoup à dire sur lerôle des deux guerres mondiales et probablement même sur celui dela loi de la laïcité de 1905, donc de la séparation des Eglises et del’Etat. Il y aurait également à dire sur la sécularisation de la société,mais je passe.

Peut-être que l’apogée de l’engagement a été atteint 15 à 20ansaprès la Deuxième Guerre mondiale, les années cinquante et ledébut des années soixante. C’est vraiment l’apogée de l’engagement des chrétiens dans la cité sociale et civique. C’est là que naissent, pour l’essentiel, les grandes institutions chrétiennes de solidaritéreprésentées ici. Je n’en cite aucune pour ne fâcher personne.

Je dirais que là, il y a un modèle d’action qui naît. J’essaie de le définir de la façon suivante : des générations de prêtres, depasteurs protestants et de militants laïcs ont été marquéescertainement par des idéologies et des utopies de justice quireposaient sur l’idée d’une «autre société » possible qui seraitstructurellement plus juste. Du point de vue de la conception del’engagement, il y a eu l’idée d’un travail long, fidèle, peut-êtremême justement le travail d’une vieet qui sera un travail, disons, desemailles et de germination pour les générations futures, pourconstruire une société plus juste.

J’ajoute d’ailleurs que cela pouvait se traduire par des engagementsdans des mouvements, cela a été très fort, mais aussi parl’engagement individuel dans les institutions profanes et, en

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particulier, dans le service public de l’Etat. Cet aspect-là seraitégalement à souligner.

Engagement dans le service public qui se traduit d’ailleurs également dans les années soixante par une forte poussée dedéconfessionnalisation des institutions chrétiennes. Je dirais qu’au fond, c’est l’époque du « triomphe du modèle du militant » parrapport au simple fidèle de la paroisse. Encore une fois, la militanceest un modèle d’engagement sur la durée longue, même à vie, pourun objectif à long terme de changement plus ou moins radical.

Je dirais également ceci : il me semble que lors de cette période, ona été plus sensible aux droits sociaux ou que les droits sociauxconstituaient la partie la plus sensible. Plus sensible peut-être quece que l’on a appelé de façon un peu plus stricte «les droits del’Homme». La Liberté sans l’égalité sociale était perçue comme une« liberté formelle ». Il y a là probablement une influence, en tout casen France, du marxisme idéologique, de la puissance descommunistes ou des socialistes.

Je veux dire par là qu’au nom de ce principe - j’hésite à le dire, mais je pense que c’est en partie vrai - les pays communistes ontlongtemps pu cacher la situation des droits de l’Homme chez euxouéviter que l’on mette en avant la situation des droits de l’Hommechez eux, alors que, pourtant, on le sait bien, on l’a su beaucoup après, mais on le savait aussi pendant, cette liberté était menacéeet persécutée à très grande échelle par la raison d’Etat. La traditiondes droits de l’Homme est quand même largement née pour contrerprécisément la raison d’Etat.

Je rappelle que la dénonciation des régimes totalitaires n’a commencé qu’à partir des années soixante-dix, avant qu’ils ne s’écroulent dans les années quatre-vingt. Il y a donc peut-être euplus de sensibilité, dans les années cinquante, soixante et encoresoixante-dix, à l’inégalité, à la misère chez nous et dans le tiers-monde, donc aux droits sociaux et économiques, qu’aux droits de l’Homme compris comme liberté de conscience et d’expression, comme liberté politique, comme inviolabil ité politique, corporelleégalement, de chaque individu, de chaque personne.

Ensuite, dans les années soixante-dix, commence le reflux. Il y al’affaissement des engagements collectifs, l’affaiblissement des mouvements. La déconfessionnalisation s’accroît, la sécularisation aussi. Il y a eu également ce moment post-soixante-huitardaccentué d’un engagement individuel en politique extrêmement fort,enfin une sorte de foi dans la politique et non plus finalement dansl’action pour les droits, pour changer la société. On a cru au politique, on a parlé de ces militants qui entraient en politiquecomme on entre en religion.

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C’était une belle époque quand même, mais bon…

(Rires.)

Il faudrait voir le rôle des déceptions des grandes utopies et desidéologies du XXe°siècle dans ce mouvement-là.

Je voudrais terminer là-dessus rapidement : qu’est devenu, au fond,maintenant, l’idéal d’engagement civique et social dans cettepériode de reflux ?

Personnellement, je crois que, précisément, l’engagement des chrétiens ne s’est pas du tout arrêté. Simplement, les modèles ont éclaté, les militances ont éclaté, les modèles ne sont plus lesmêmes, de nouveaux modèles se sont créés. Il faudrait donc fairebeaucoup de nuance.

Pour ma part, il m’apparaît, de façon un peu simpliste peut-être,trois l ignes possibles.

- Les anciens engagements demeurent. Beaucoup de militantsd’origine chrétienne restent engagés malgré tout ou ne sont pluséventuellement engagés dans les mouvements et les paroisses,d’autres ont quitté le terrain, mais ils restent très présents dans desassociations et des institutions de solidarité de toutes sortes : dejustice, de charité, d’aide, certaines sont labell isées chrétiennes,d’autres non.

D’ailleurs, avant-hier, j’ai lu dans le bulletin municipal de ma commune le portrait d’un militant qui, semble-t- il , est un grandmilitant de cette commune et il est à la fois au Secours populaire etau Secours catholique. Vous voyez, il y a aussi des mélangesnouveaux qui se forment. Bien entendu, il y a également descatholiques, des protestants, des chrétiens dans des institutionsnouvelles comme les Restos du cœur, mais il y a aussi beaucoup deprésences dans les conseils municipaux et toutes sortesd’associations de solidarité locales.

Sur ce point, le l ivre de Colette MULLER et Jean-René BERTRAND,paru voici six ans, Où sont passés les catholiques ?, raconte assezbien cette histoire-là, ce que sont devenus les militants d’avant 1975 et depuis.

C’est un engagement souvent très ignoré des médias parce qu’ilestassez invisible, mais qui reste, à mon avis, extrêmement fort.D’ailleurs, les personnes présentes ici ce matin le représentent beaucoup.

On pourrait dire beaucoup de choses évidement. Est-ce qu’ensuite, dans les années soixante-quinze, les militants ont été victimes de la« spiritualité de l’enfouissement», presque de l’invisibilité, d’une certaine gratuité, de l’idée qu’il ne fallait surtout convertir

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6 décembre 200860ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme

Organisé par le collectif « Chrétiens pour les droits de l’Homme»

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personne, etc. ? Ce sont des questions que, bien entendu, nouspourrions poser.

- Deuxième modèle, ce sont des tendances spirituelles nouvellesnées dans les années soixante-dix, quatre-vingt. Peut-être d’ailleurs aussi sous l’influence de modèles d’accueil d’autrui, des pauvres très médiatisés comme le modèle Mère Teresa. On assiste parfois àdes tendances à recréer du confessionnel pour accueill ir denouveaux besoins sociaux.

Par exemple, apparaît quelque chose d’extrêmement grave commele SIDA dans les années quatre-vingt et il y avait, au fond, plusieurschoix possibles, mais si je voulais les caricaturer, je dirais que si jesuis infirmière, je vais travailler en hôpital public dans le service oùl’on soigne les malades du SIDA et là, c’est le modèle des annéesantérieures. En revanche, à l’époque, se sont également créées quelques structures nouvelles qui étaient très nettementconfessionnelles pour aider les malades du SIDA, pour lesaccompagner dans leur maladie. Eventuellement, c’était marqué par une spiritualité particulière. Vous voyez que dans les années quatre-vingt, est revenue l’idée de créer des structures vraiment chrétiennes pour l’accueil de besoins nouveaux.

En tout cas, je dirais que la nouveauté, c’est qu’ici, l’«identitéchrétienne » est importante. L’identité chrétienne est importanteparce que l’engagement découle d’elle et, à son tour, il exige unevisibil ité.

Les nouveaux mouvements, par exemple de Pentecôte protestants etcatholiques, mais aussi d’autres nouveaux mouvements religieux sesont inscrits plutôt dans ce modèle. En ce sens, on pourrait direqu’ils ont réagi contre la sécularisation de leurs prédécesseurs etaussi contre la critique sociale qui accompagnait l’action sociale.Ici, il y a probablement peu de critique sociale. D’ailleurs, l’identité n’est pas seulement chrétienne, elle est parfois très spécifiquementcatholique ou très spécifiquement protestante, très inscrite dans latradition catholique ou dans la tradition protestante. Ce qui posed’ail leurs les mêmes questions que celles évoquées parKathy ROUSSELET à propos des orthodoxes, c’est-à-dire destraditions d’Eglises, de l’Eglise catholique, en particulier. Quand on milite sur des questions qui sont quand même aux frontières del’éthique, de la morale, de la vie morale, évidement, on risque de setrouver en opposition entre la doctrine de l’Eglise et finalement, une certaine conformité de l’aide publique ou des évolutions sociales telles qu’on les voit. Je crois que ce conflit est relativementconstant, peut-être pas chez ces nouveaux militants, maisjustement, chez les plus anciens, il est là.

Ainsi, chez les nouveaux militants, on dira : « D’accord, l’IVG existe, on est contre. Eventuellement, on peut encore lutter contre la loi,

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mais on va créer des structures d’accueil, par exemple, pour les jeunes femmes enceintes qui veulent bien venir dans nos centres, quine veulent pas avorter, pour leur permettre d’aller jusqu’au terme de leur grossesse et donc d’accoucher, et encore de les accompagnerpour élever leurs enfants et reconstruire leur vie » parce que souvent,évidement, elles sont dans des situations diff iciles. Voilà un modèlede militance qui essaie de respecter effectivement la doctrine ou latradition catholique, mais pour, en partie, lutter en même tempscontre des évolutions sociales. Je dirais que ceci est plus larvé cheznous, c’est quand même très présent, on n’est quand même pas dans les extrêmes, me semble-t-il, qu’a évoqués à l’instant Kathy ROUSSELET.

- Concernant le dernier modèle dont je voudrais parler, là, je ne saispas si les chrétiens sont très présents, je ne sais même pas si c’est un modèle, c’est quelque chose qui est arrivé ces dernières années, alors le frère Alain RICHARD nous dira un peu comment ils font àToulouse.

Disons que là, on est dans la protestation ponctuelle, ladénonciation de cas inacceptables dans nos sociétés libérales,avancées, riches en principe, peut-être très pauvres par d’autres côtés. On est dans la participation ponctuelle à des causes justes,en principe ciblées dans le temps et l’espace. Chaque association qui naît à ce moment-là est un cas de figure différent, avec unecible propre.

J’en donne quelques exemples. On a parlé de Jeudi Noir pour lelogement voici deux ou trois ans, une association qui entendaitinterpeller les pouvoirs publics et les autres responsables sur lesdiff icultés des jeunes actifs pour trouver un logement. Plus connuset plus durables, les –presque célèbres - Enfants de Don Quichottequi ont beaucoup fait parler d’eux, je n’insiste pas. Il y a eu Génération précaire pour lutter contre la pratique des stages àrépétition, peu payés et sans garantie d’emploi.

Il s’agit là d’associations dont l’essentiel consiste à « attirerl’attention» de la société sur une situation insupportable. « Attirerl’attention» d’une société qui a du mal justement à avoir l’attention attirée dans le flux des informations innombrables qui sortentchaque jour, y compris sur la pauvreté. « Attirer l’attention» d’une société un peu aveugle, où les politiques ont beaucoup d’urgences de toutes sortes, pas nécessairement celle-là.

« Attirer l’attention», mais comment ? Il me semble que là, l’aspect symbolique est très fort. Il y a des actions ponctuelles, parfois unpeu violentes, mais l’on n’est quand même pas dans la violence pure, et ce sont surtout des actions symboliquement fortes tellesqu’occupations de lieux, sous des formes ludiques, un silenceextrêmement éloquent comme à Toulouse qui attire les médias, en

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tout cas cela les intéresse. Ou encore, j’ai lu cela sur Internet, parce que le réseau Internet est très fort pour un certain nombred’associations de ce genre-là : « Le 13 février 2008, pour dénoncer lesloyers trop élevés qui poussent certains jeunes à se prostituer enéchange d'un logement, le collectif Jeudi Noir défile habillé enprostituées, proxénètes et travestis devant le ministère duLogement ». Madame BOUTIN a dû frémir.

(Rires.)

Non, elle n’était peut-être pas là.

Vous voyez que le nom que les gens se donnent n’est pas innocent. Jeudi Noir, c’est évidement le célèbre jeudi noir du grand krach de1929. Les Enfants de Don Quichotte , cela indique d’emblée que l’onfait dans la dérision médiatique. Génération précaire, c’est tout unprogramme, si l’on peut dire.

Ainsi, encore une fois, le signe et le symbole sont importants. Je necrois pas que le nombre de militants soit extrêmement élevé, encoreque, il faudrait voir. Ils ne veulent pas changer le monde ou la vie, iln’y a pas une idéologie nette et structurée. Il n’y a peut-être mêmepas d’utopie. C’est autre chose. Même les appartenances militantessont multiples pour autant que l’on puisse le savoir. C’est une mobilisation de hasard qui peut quand même être un peu durable.Là, j’ai regardé pour les associations dont je vous ai parlé, elles sont quand même toutes vivantes. Est-ce qu’elles sont très actives ?C’est une autre question.

Il faut dire également qu’ils visent des résultats rapides et c’est vraiqu’un mois de lutte, à peine, aété nécessaire pour que soit discutéeet adoptée une loi sur le « droit opposable au logement » grâce auxEnfants de Don Quichotte . Génération précaire a obtenu uneréglementation des stages au bout de six mois.

Evidemment, la question qui se pose ensuite est la suivante : maisquelle est la valeur de tels résultats ? Est-ce que ce n’est pas un peu fragile ? On est quand même frappés, il faut le dire, par la loi sur ledroit opposable au logement car, encore maintenant, desspécialistes se demandent si elle a vraiment un contenu, si elle estréalisable. Ou alors, est-ce que les politiques, au fond, ont lâché dulest sous la pression médiatique et la démagogie qui a été créée parle groupe les Enfants de Don Quichotte ? Enfin, je n’en sais rien, je ne peux pas vous le dire personnellement, mais encore récemment,j’ai entendu à la radio un journaliste très connu dire : « Mais cetteloi ne vaut rien du tout, donc il ne faut pas s’étonner qu’elle ne puisse pas être appliquée ». Ainsi, est-ce que là aussi, même dans lerésultat de ces groupes, on est dans la société, comme on dit, duflux très rapide, de la création et de la disparition ultrarapide ? Jene sais pas. Je pose la question.

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Pour terminer, il faut rappeler un de nos pères à tous, Karl MARXlui-même. Vous savez que Karl MARX a quand même dit, je crois,que : « Toute action commence par l’indignation et par laprotestation pour la justice et contre l’injustice». Je crois d’ailleurs me souvenir que c’est l’un des rares points positifs qu’il accordait,avec Engels, au christianisme primitif . Dans ce cas, s’ils ont une telle référence, on peut peut-être en avoir une vision éventuellementpositive.

Je conclus en rappelant qu’il y a eu ce temps où l’on pensait pouvoir changer de système, on pensait même changer la vie. Il y amême un président qui a été élu en 1981 sur ce thème-là.

(Rires.)

C’est un peu vrai que nous avons du mal à croire tout cela. Cela faitpartie de grands récits qui nous sont devenus, en tout cas en ce quime concerne, assez profondément étrangers. Peut-être qu’il faut vivre avec des utopies plus modestes, peut-être même se passerd’utopies pour un moment. Il faut peut-être, comme le font lesEnfants de Don Quichotte et d’autres, ruser plus avec la grandemachinerie sociale, profiter de ses failles pour instaurer denouvelles zones de droits et de justice. Au fond, on le voit bien, il ya là un engagement qui est assez adapté à notre hypermodernité etque l’on cherche un peu dans ces nouvelles et très récentesmouvances.

D’ailleurs, nous allons écouter le frère AlainRICHARD nousraconter comment ils font à Toulouse pour réaliser cela.

Merci.

(Applaudissements.)

Frère Alain RICHARD.- A l’intérieur de cette « action civique etsociale : vivre l’Evangile? », on m’a demandé un témoignage. Cettedemande provient de ma participation à ce qu’il se passe à Toulouse, mais je ferai également appel à d’autres engagements pour la défense des droits de l’Homme.

En octobre 2007, notre Communauté de frères franciscains àToulouse a pris l’initiative d’un Cercle de Silence, chaque mois. Lemotif en est l’existence à 10kilomètres du siège du gouvernementde la ville de Toulouse, le Capitole, d’un Centre de RétentionAdministrative (CRA). Dans ce centre, sont enfermés de plus en plusd’étrangers dépourvus des papiers leur permettant un séjour légaldans notre pays.

« Vivre l’Evangile» est et reste le premier mot de la Règle de notreOrdre fondé par François d’Assise. Nous avons ressenti trèsintensément l’enfermement d’étrangers et le comportement des

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personnes exécutant les ordres gouvernementaux. Les conditionspsychologiques et sociales dans lesquelles cette privation de libertéest réalisée semblent difficilement acceptables par toute personneécoutant sa conscience. Officiellement, les CRA ne sont pas desprisons. Toutefois, ils sont gérés comme de vraies prisons et lespersonnes qui y sont maintenues les perçoivent effectivementcomme des prisons.

Or, notre compréhension de la foi chrétienne inclut d’écouter notre conscience d’êtres humains. Cette conscience, d’ailleurs, nous lieavec tous nos concitoyens et même avec tous les autres habitantsde notre planète. Ainsi, en écoutant notre conscience et enanalysant la situation, nous avons considéré qu’il s’agit d’une situation d’une extrême gravité. J’insiste sur le mot. Ce qui est grave, c’est l’enfermement systématique et l’expulsion des étrangers en situation illégale parce qu’ils nous apparaissent despas successifs qui banalisent des atteintes importantes à la dignitéhumaine. Ces actions, semble-t-il, expriment le refus de l’étranger vu comme un problème et un danger et non comme un proche quipeut devenir une chance, comme les autorités de nos Eglises l’ont rappelé à plusieurs reprises. Cette attitude viole ses droitsfondamentaux et notre désir de vivre l’Evangile a donné encore plusde force à notre désaveu de ces comportements, décrets ou lois quiblessent profondément l’humanité d’êtres humains. Or, ces actionsque nous réprouvons sont, vous le savez, faites officiellement « ennotre nom » à tous. Nous avons donc décidé de signifierpubliquement notre réprobation et d’inviter nos concitoyens à écouter leur propre conscience.

La note particulière à cette action d’un Cercle de Silence est qu’elle se situe dans la rencontre de deux choses. D’une part, la méthodede la non-violence gandhienne dont plusieurs d’entre nous étaient assez familiers avec la foi de religieux catholiques. En fait, cetteaction a touché bon nombre de personnes qui ne se réfèrent pas à lafoi chrétienne, mais qui sont des humanistes attachés à fairerespecter la dignité de chaque être humain. Notons également quele Cercle de Silence de Toulouse a été entrepris avec l’accord explicite du responsable local de notre communauté et duresponsable provincial des franciscains qui a même accepté que sonaccord soit publié. Les responsables internationaux de notre OrdreOFM ont également exprimé leur satisfaction de cette initiative quicorrespond aux priorités de l’Ordre depuis plusieurs années. L’évêque du lieu a été informé, ainsi que quelques personnalités duclergé diocésain.

Un élément important de notre initiative est que plusieurs d’entre nous, franciscains, sommes familiers avec l’esprit et les méthodes de la non-violence gandhienne, et je vais en énumérer quelques-unes.

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Premièrement, devant une violence ou une injustice, l’esprit de la non-violence nous invite à regarder lucidement que la personne oule groupe auquel nous nous opposons ne sont pas les seulsresponsables de l’injustice. Nous avons à reconnaître notre part de responsabilité dans la situation qui nous choque et que nouscombattons. Dès le début de notre action, nous avons précisé dansnotre tract : « Notre silence et notre prière veulent rejoindre les sans-papiers, ceux qui font la loi et ceux qui la font appliquer, ainsi quetous les acteurs que nous sommes chacun à son échelle ». C’est important parce que beaucoup de manifestations et d’actions ne sont pas animées par le même regard et, je crois, cette mêmelucidité.

C’est en raison même de cette lucidité sur la situation que nousnous adressons à l’adversaire avec un espoir ferme qu’il puisse changer, au moins partiellement, et que pareillement, nous-mêmespouvons changer et que nous allons avoir à changer. Cette absenced’arrogance et de « bonne conscience » est capitale pour quel’adversaire ne se raidisse pas ou, si vous préférez, qu’il ne« s’armepas » encore plus qu’il n’est armé, s’enfonçant dans sa violence. Ilfaudra peut-être une certaine coercition pour qu’il se «désarme »complètement, mais cette coercition devra se réaliser de manièreclairement respectueuse de sa dignité.

Deuxième point de cette perspective non-violente : la lutte contreune injustice grave nécessite des moyens qui fassent ressortir lagravité et la profondeur de l’atteinte à l’humanité des victimes, mais aussi de l’atteinte à l’humanité des collaborateurs à cette violation. Nous avons estimé qu’il fallait aller au-delà des mots et des cristrop souvent util isés pour des causes où la profondeur de la dignitéhumaine n’est pas en jeu. Nous avons choisi un silence qui doit être digne, non méprisant, un silence habité par le cri d’unehumanitéblessée, mais qui reste aimante. Un silence qui permette d’être en contact avec la vérité de notre propre être et le protège du bla-blatrop facile. C’est ce silence-là qui nous a paru le moyen le plusadapté à exprimer notre certitude de la richesse qui existe auprofond de nous-mêmes et de nos concitoyens. Nous ne voulons pasque cette richesse de notre espèce humaine disparaisse.

Nous avons écrit : « Ce silence est un moyen d’action à la portée de tous, une interpellation adressée à nos concitoyens et aux pouvoirspublics, un temps d’intériorité pour une prise de conscience, et il invite à déboucher sur d’autres actions en faveur des personnes sans papiers. »

Nous avons donc invité nos concitoyens à se joindre à nous dans untemps de vérité, soit en participant au Cercle de Silence, soit enfaisant silence en d’autres moments. En même temps, notre Cercle

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de Silence vise à interpeller tous ceux qui forment l’opinion publique et qui ignoreraient ce qu’ilse passe.

L’interpellation s’adresse également et clairement aux détenteursdes pouvoirs publics qui peuvent ne pas avoir, eux aussi, réalisé lagravité des actions contre les sans-papiers. Nous en connaissonsqui se sont sentis interpellés par notre invitation à écouter saconscience. D’autres semblent plutôt en rire. Nous ne pouvons queleur rappeler fraternellement qu’à notre époque, les tribunauxnationaux ou internationaux jugent de plus en plus des personnesqui ont fait fi des droits de l’Homme. L’impunité dont certains décideurs ou acteurs ont pu bénéficier dans le passé se réduit deplus en plus. Puissent-ils faire le bon choix avant qu’il ne soit trop tard !

Troisième point, la non-violence ne vise pas la résolution d’un conflit parfois rapide, mais trop fragile. Elle vise à gérer le conflit defaçon à ce que les deux parties en présence tirent un bénéfice duconflit, au moins en ayant grandi dans leur humanité. Il faut serappeler ce point de la dynamique non-violente. La constance estindispensable. La non-violence nécessite des acteurs déterminés etpatients. Ils doivent veiller à maîtriser leurs anxiétés, spécialementcelle de ne pas avoir un résultat immédiat.

Voici ce que nous avons écrit sur notre tract qui n’a guère changé depuis le début : « Ces problèmes sont mondiaux et complexes. Nousne prétendons pas avoir la solution. Mais aujourd’hui, nous pensons que nous pouvons aller plus loin ensemble et que le chemin passepar le respect de la dignité de toute personne humaine. Telle estfondamentalement notre espérance. Elle passe par une réflexioncollective qui nous concerne tous. »

En réfléchissant sur l’impact de cette action, nous observons deuxchoses principales. Premièrement, que plus de 86 Cercles deSilence se sont créés en France et plusieurs sont en formation. Denombreuses personnes et groupes semblent avoir trouvé là unmoyen adapté à leur personnalité et à leurs désirs, et un moyensimple pour quiconque le désire. Deuxièmement, que l’impact médiatique a été surprenant et se poursuit, alors que nous n’avons fait aucun effort dans ce sens. Ce n’est pas le lieu de chercher lesraisons de cet impact. Autre part, nous avons fait une liste deplusieurs facteurs sans chercher à apprécier leur influence exacte etcomparative.

Avant d’abandonnerles Cercles de Silence, je voudrais simplementdire qu’il s’agit donc très fortement d’un travail pour collaborer à changer l’opinion publique.

Maintenant, abandonnons pour un instant les Cercles de Silence etremarquons…

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Pierre-Yves LE PRIOL.- Il faut peut-être donner une informationpratique, si vous voulez bien, Frère : le Cercle de Silence se tient àToulouse tous les derniers mardis du mois de 18 heures 30 à19 heures 30 sur la place du Capitole.

UNE INTERVENANTE.- Il faudrait également dire que cela a lieu àParis aussi.

Frère Alain RICHARD.- J’ai dit qu’il y en avait dans 86villes etParis est même une ville !

(Rires.)

Maintenant, abandonnons pour un instant les Cercles de Silence etremarquons que la présence d’une Communauté de franciscainsdans une action publique en faveur des Droits de la personne estassez rare en France et même à l’étranger. Plus fréquemment, frèresou sœurs, individuellement ou en petit groupe, participent à uneaction initiée par un collectif qui ne se réfère pas toujours àl’Evangile. Ceci dit, la plupart du temps, il y a un désir de cohérencede la vie chrétienne qui est au centre de ces engagements.

D’autre part, j’ai aussi été le témoin d’autres engagements publics de groupes ou communautés chrétiennes et je vais sortir des limitesde la France car 25 années de ma vie ont été passées aux Etats-Uniset de là, j’ai participé à des équipes internationales dans plusieurspays.

Au Guatemala, durant la dictature du Général Meija VICTORES en1984, le Groupe des Familles de disparus (GAM, Grupo de ApoyoMutuo) organisait une marche de 30 kilomètres réclamant le retourou des nouvelles de leurs êtres chers kidnappés. Beaucoupd’observateurs craignaient que cette marche se termine par unmassacre comme 10 années auparavant s’était terminée une marche de protestation. Je faisais partie d’un groupe sans référencesconfessionnelle ou politique : l’équipe de PBI, un mouvement non-violent d’intervention. Nous avons réalisé l’entraînement à la non-violence du groupe organisateur de la marche. De plus, une bonnequinzaine de frères franciscains de la ville ont participé à la marcheen groupe et en habit franciscain. Des corps constitués de l’Eglise,il n’y avait qu’un seul autre religieux, un jésuite. L’Eglise diocésaine a préféré s’abstenir. La marche s’est déroulée sans le moindreincident. Nous avions, là encore, la présence simultanée de latechnique de la non-violence associée à la visibilité d’un important groupe appartenant à la structure de l’Eglise. Evidemment, laprésence des franciscains n’a pas plu au dictateur et ils ont dû en

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subir des conséquences, mais ils les avaient complètementacceptées dès le début. Pour les familles de disparus, cetteprésence de l’Eglise à travers un groupe visible de franciscains a ététrès importante.

Aux Etats-Unis, la principale opposition aux essais et à l’armement nucléaire vient des Eglises, spécialement les Eglises dites de Paix,ainsi que les méthodistes et dans l’Eglise catholique, les jésuites etles franciscains. En plus de leur engagement contre les essaisnucléaires dans le Nevada, les franciscains ont été au premier rangdu soutien des ouvriers agricoles conduits par le leader non-violentCesar CHAVEZ. Des frères soutenus par leur communauté localesont également très impliqués pour la paix en Irak, pour lasuppression de l’enseignement de la torture, ou en faveur des sans-papiers venant de la frontière mexicaine.

J’ai observé, parfois avec impatience, la prudence et même latimidité des responsables d’Eglises chrétiennes à soutenir ladéfense des droits de l’Homme. Cette attitude n’est pas une particularité des Eglises. Toutes les structures importantessemblent avoir la même lenteur, mais nous pouvons nous poser laquestion de la participation des Eglises à la compassion de Dieu.Heureusement, des initiatives de groupes plus petits, dont tous lesmembres peuvent assumer les risques, existent sur tous lescontinents.

Sous les régimes autoritaires, les personnes qui écoutent leurconscience se trouvent fréquemment face à une question diff icile :« Faut-i l obéir aux lois et règlements quand ma conscience en seraitblessée ? ».

Je laisse les moralistes éclairer sur les conditions pour pouvoirtransgresser certaines lois inacceptables en conscience. Je veuxsurtout noter mon doute que les décideurs autoritaires, qui mettenten place des règlements ou des lois immorales, se rendent comptecombien leur comportement mine le respect et l’obéissance aux lois. Ceux qui doivent écrire des lois ne peuvent échapper à cettequestion. Les lois immorales détruisent l’obéissance aux lois. Ladésobéissance civique peut devenir une exigence pour touteconscience droite. Les Eglises chrétiennes ont probablement besoinde faire connaître et mettre à jour leur enseignement sur ce sujet.

Vous connaissez probablement la phrase prononcée par l’Américain Henry David THOREAU, le précurseur de la désobéissance civile.EMERSON visite THOREAU en prison pour son opposition àl’esclavage et lui aurait dit: « Monsieur, pourquoi êtes-vous là ? », etTHOREAU lui aurait répondu : « Monsieur, pourquoi n’y êtes-vouspas ? ».

(Rires.)

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Depuis près de 50 ans, des chrétiens américains ont déjà dit quepour être fidèles à l’Evangile, beaucoup doivent accepter d’être emprisonnés. Plusieurs de mes amis l’ont fait. Ceci pourrait devenirde plus en plus nécessaire pour des chrétiens français désirant êtrecohérents avec l’Evangile.

Nous allons nous arrêter là.

(Applaudissements.)

Pierre-Yves LE PRIOL.- Très belle fin. Merci.

Etre cohérent avec l’Evangile, il n’y a pas plus belle fin. N’est-cepas ?

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Débat avec le public

UN INTERVENANT.- André MARTINEZ, membre de l’ACAT de Sablé et j’habite dans la Mayenne. Nous sommes un petit groupe d’une quinzaine.

J’ai été très intéressé par le texte de frèreAlain RICHARD parce queje suis ancien policier et j’ai un fils policier qui vit très mall’interpellation d’immigrés.

Je suis également membre de l’Association des policiers chrétiens. Nous avons eu un colloque voici six mois et avons débattu de cesproblèmes, à savoir que beaucoup de policiers sont interpellés parce problème et le vivent très mal.

Pierre-Yves LE PRIOL.- Le mouvement « Police et humanisme ».

UN INTERVENANT.- « Police et humanisme ».

Les policiers, il faut le savoir, ont des quotas à faire tous les mois.J’ai donc un fils policier à Meaux qui me dit qu’il interpelle les femmes et les hommes de couleur qui sortent des écoles parce qu’il faut faire des quotas ! La loi de la République, c’est cela.

J’ai donc été très sensible à l’intervention de frère AlainRICHARD.En effet, il faut également penser à ceux qui sont chargés del’application de ces lois et qui le vivent parfois très mal. Il ne suffit pas de dire : « La police ceci, la police cela… ».

Je voulais vraiment vous le dire parce que c’est un sentiment qui est vécu par les policiers et les gendarmes.

Pierre-Yves LE PRIOL.- Cela n’implique pas de réponse particulière. Merci pour votre très court témoignage, Monsieur.

UNE INTERVENANTE.- Danielle MERIAN, militante de l’ACAT.

Merci, Frère Alain RICHARD, d’en appeler à notre conscience.

J’ai une information à communiquer. Nous sommes à Paris et il y a beaucoup de Parisiens dans cette salle, donc je voudrais leur direque le Cercle de Silence se tient le troisième vendredi de chaquemois de 18 heures 30 à 19 heures 30, place du Palais Royal, entre le

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6 décembre 200860ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme

Organisé par le collectif « Chrétiens pour les droits de l’Homme»

Associations organisatrices :ACAT-France, ACER, Cimade, CCFD-Terre Solidaire, FEP, Focolari, Fondacio, FPF, JOC, Justice et Paix, Pax Christi,

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Musée du Louvre et le Conseil d’Etat, métro Palais royal –Musée duLouvre.

C’est d’ailleurs un très mauvais endroit!

Pierre-Yves LE PRIOL.- Il ne s’agit pas d’une question, mais d’une information très utile.

UN INTERVENANT.- Amin de TARRAZI, Société de Saint Vincentde Paul.

Au sujet de l’intervention de Monsieur Jean-Louis SCHLEGEL, trèsriche d’enseignements, j’ai un regret: qu’il n’ait pas été fait mention, avant le foisonnement des engagements au XIXe siècle quifût très fécond, très riche, d’une référence à Saint Vincent de Paul, à Monsieur Vincent, qui, tout de même, deux siècles avant, a eul’intuition de dénoncer d’abord et d’agir ensuite.

Il a dénoncé toutes les situations de pauvreté à l’hôpital, à la prison, dans la rue, pour l’enfance, pour les victimes de tous les spadassins de tous poils qui, pendant la Guerre de Trente ans,commettaient des exactions intolérables. Cependant, il n’a pas simplement dénoncé, il s’est engagé et il est aujourd’hui considéré comme le fondateur de l’Assistance Publique. Il a remué ciel et terre pour mobiliser, non pas simplement des religieux, maiségalement des laïques.

Son intuition, tout à fait prémonitoire, a été de mobiliser en premierlieu des dames, « les Dames de la Charité », qui étaient des laïques.Sa première institution a mobilisé les femmes, les laïques et jepense qu’il a une place très spéciale.

Jean-Louis SCHLEGEL.- Saint Vincent de Paul était dans montexte, je l’ai «zappé » oralement. On aurait également pu ajouter cequ’a fait OZANAM de Vincent de Paul, bien entendu.

UN INTERVENANT.- Dans la ligne de Saint Vincent.

Jean-Louis SCHLEGEL.- Tout à fait. J’aurais une raison très chère à mon cœur de parler de Vincent: j’ai un fils qui s’appelle ainsi. J’ai donc envie de m’excuser de ne pas avoir parlé de Vincent de Paul.

UN INTERVENANT.- On voit qu’il habite votre cœur et c’est l’essentiel.

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UN INTERVENANT.- Claude CAILLERE, Chrétien de laMéditerranée.

Nous voyons l’importance du silence dans l’action que vous menez, mais il est d’autres silences qui sont insupportables. Comment expliquez-vous le silence de l’Eglise par rapport à tous nos frères de Palestine qui quittent cette région devant le peu d’espérance qui se présente à eux, et le silence de nos évêques et dans noscommunautés à ce sujet ? Silence encore plus insupportable à laveille de Noël. Merci.

Frère Alain RICHARD.- Il faut que nous soyons bien clairs à proposde ce silence. Il y a des silences qui nous sont très lourds. Il y aaussi le silence de tous ces gens qui souffrent et qui ne peuvent pasparler.

Notre silence s’adresse à la conscience: « Que puis-je faire pour quemon Eglise et les Eglises parlent ? ». « C’est déjà d’écouter très fort ma conscience et que j’écoute le cri qu’elle m’adresse».

Puis, « est-ce que nous transmettons ces cris suffisamment à ceuxqui ont des responsabilités de parler de haut ? ». Je ne sais pas, maispour notre cas, nous essayons, petitement, à notre taille, detransmettre ainsi ce cri pour qu’il n’y ait pas un silence total .

Pierre-Yves LE PRIOL.- Jean-Louis SCHLEGEL va peut-être nousdire un mot, plus ponctuellement, concernant l’Eglise et les Palestiniens. Débat, évidement extrêmement difficile et douloureux.

Jean-Louis SCHLEGEL.- Je vous fais plutôt une réponsepersonnelle sur le conflit israélo-palestinien et sur sesconséquences. Personnellement, je l’ai exprimé ainsi dans la revue Esprit : dans ce conflit, plutôt que de faire des dénonciationslointaines des uns et des autres et éventuellement prendre partidans ce conflit de loin – et nul n’ignore à quel point les Palestiniens sont victimes -, je suis plutôt d’avis de faire tout ce qui peut rapprocher. Je trouve en effet que dans ce conflit-là, qui est d’une extraordinaire complexité, qui a des enjeux politiques et finalementégalement des enjeux mondiaux, qui divise aussi les pouvoirspolitiques de façon extraordinairement forte, nous avons intérêt àmener des actions qui réunissent, qui favorisent le dialogue et quifavorisent peut-être des évolutions lentes, mais significatives. C’est contestable. Disons que là, précisément, nous sommes égalementdans le cas d’une dénonciation qui serait peut-être trèssatisfaisante pour beaucoup et qui serait extraordinairement

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exploitée politiquement de toute façon, donc je résiste un peu à ceque vous dites, mais sans méconnaître du tout la question trèsprofonde que vous posez.

Je trouve que là, nous sommes vraiment, effectivement, dans uneautre question de cette matinée que nous n’avons pas soulevée: lerapport direct du politique comme pouvoir avec les conflits. Noussommes encore devant quelque chose qui mériterait des approchesplus différenciées que celles de ce matin, qui finalement partent desituations de paix. Me semble-t- il .

UNE INTERVENANTE.- Marie-Hélène SIGRIST, je fais partie del’ACAT, du Secours catholique et du Réseau Espérance.

Justement, à ce sujet, je pense que la non-violence constituevraiment la voie du salut et qu’il faudrait arriver à gagner toutes les consciences à cette position, à cette maîtrise de nous parce quec’est d’abord en nous changeant nous-mêmes que l’on peut arriver à faire changer le monde. C’est très important parce qu’il y a tellement de conflits et tellement de violences. Il n’y a pas que la violence physique, mais toutes les violences institutionnelles,verbales qui sont épouvantables. Les violences institutionnellessuscitent ensuite les violences physiques.

Je pense que c’est vraiment d’abord l’Eglise.

Puis, la non-violence devrait être enseignée dans les écoles dès lapetite enfance en maîtrisant toute cette violence qui est en chacunde nous et qui ne demande qu’à surgir. Il faudrait la canaliser et je pense qu’il n’y a qu’ainsi que nous pourrons nous en sortir.

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***ONG confessionnelles: comment concilier l’Evangile et lesdroits de

l’Homme?

De quelle façon les mouvements chrétiens, associations et ONG confessionnellesmettent-elles leurs compétences et leur foi au service de la défense et de lapromotion des droits de l’Homme?

Pierre-Yves LE PRIOL.- Nous poursuivons avec Marc ZARROUATIqui est maître de conférences en philosophie des sciences àl’université de ToulouseII. C’est un homme un peu particulier parce qu’il marie la philosophie et les sciences, c’est un philosophe mathématicien ou mathématicien philosophe. Il me disait :« effectivement, ce n’est pas très fréquent dans la tradition française, cela l’est plus dans les autres traditions, notamment anglo-saxonne ». Ce mariage sciences « dures », je dirais, etphilosophie est intéressant.

Marc ZARROUATI est donc président d’honneur de l’ACAT France, dont il a été le président entre 2005 et 2008. Il est égalementmembre du conseil d’administration de l’association Primo Levi qui est un centre de soins aux victimes de la torture et de la violencepolitique. Il a donc fait un certain nombre d’études sur la torture et est membre de l’ACAT depuis 1997.

Marc ZARROUATI va nous parler des enjeux de la déclaration desdroits de l’Homme pour nous, chrétiens.

Marc ZARROUATI.- Le 14 novembre dernier, certains le saventpeut-être dans cette assemblée, la Déclaration universelle des droitsde l’Homme a été mise sur orbite. Littéralement, elle a été mise surorbite parce qu’elle a rejoint la station spatiale orbitaleinternationale et elle tourne maintenant autour de la Terre dont ellepeut dorénavant contempler la misère avec le regard serein de ceuxqui ont la tête dans les étoiles.

(Rires.)

Je pense que nous pouvons apprécier toute la portée du symbole.C’est une navette américaine qui a apporté la déclaration universelle, c’est RamaYADE qui a remis la déclaration. La portéedu symbole, donc, parce que si d’aventure, un homme terré dans sa cellule perdue au milieu de nulle part à la surface de la terre, enproie à la douleur de la torture, à la peur de la mort, au froid de lasolitude de celui qui a été retranché, de fait, de la surface des

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vivants, si d’aventure, cethomme est tenté de désespérer de lanature humaine, il peut maintenant lever les yeux vers le ciel , etquand le ciel sera particulièrement dégagé, il décèlera peut-être unscintillement intermittent, sorte de clin d’œil tranquille de la Déclaration universelle à celui dont elle proclame les droitsinaliénables.

Cette mise en orbite me paraît une étape importante dans unprocessus déjà bien engagé et qui atteint aujourd’hui un degré de perfection substantiel , à savoir la dissociation presque totale entrela promotion des droits de l’Homme dans les discours et le méprisde plus en plus tranquille vis-à-vis des personnes qui constituentcette humanité à qui l’on accorde généreusement des droits.

En effet, qui, aujourd’hui, est contre les droits de l’Homme ?Personne. Même la Chine, longtemps rétive à la rhétorique desdroits de l’Homme, emboîte aujourd’hui le pas, et c’est par exemple au nom des valeurs du sport et de l’amitié entre les peuples que l’administration chinoise a délogé, exproprié des dizaines demill iers de miséreux des quartiers populaires de Pékin pour bâtirdes stades immenses et magnifiques pour les jeux olympiques.C’est au nom de son attachementindéfectible à la promotion de laliberté religieuse que l’Arabie Saoudite a organisé, il y a unequinzaine de jours, une conférence internationale au siège desNations Unies pour appeler à toujours plus de tolérance en matièrede religion. Effectivement, quand on sait qu’en Arabie Saoudite, les non musulmans, mais aussi les musulmans chiites, mais aussicertains sunnites qui n’appartiennent pas à l’école hanbalite sontinquiétés, persécutés pour leur foi, interdits de pratiquer leurreligion, on mesure combien l’Arabie Saoudite est bien placée pourparler de la question.

C’est aussi au nom de la lutte du bien contre le mal que les Etats-Unis d’Amérique ont pratiqué la torture ces dernières années.

C’est au nom de la sécurité et de la protection des honnêtes gensque la République française durcit tous les jours un peu plus sesméthodes d’interrogatoire et vote des lois liberticides.

Il faut donc, chers amis, nous déprendre de la tentation de voir,dans ce consensus autour des droits de l’Homme, une avancéenotable vers un monde plus juste. Il faut nous garder de minimiserles violations actuelles au prétexte qu’elles ne seraient que des reliquats d’une période bientôt dépassée. Non. Non, les déclarationsmorales n’ont pas« malheureusement » pourrait-on dire, mais ellesn’ont pas la vertu de prévenir l’injustice ou l’iniquité. Les textes etles valeurs n’ont pas d’efficace propre. MauriceMERLEAU-PONTYécrivait déjà en 1947 : « Une société n’est pas le temple des valeurs-idoles qui figurent au fronton de ses monuments ou dans ses textes

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constitutionnels, [une société] vaut ce que valent en elle lesrelations de l’homme avec l’homme».

Nous devons donc nous démarquer de ce consensus de façade, unconsensus qui s’appuie sur une vision idéologique de l’universel etnon pas sur un universel en acte. Nous devons dénoncer cettemascarade parce que cette posture idéologique est violente etdangereuse. Elle endort la vigilance de l’opinion trompée par despropos lénifiants, qui sont d’autant plus généreux qu’ils n’engagentfinalement à pas à grand-chose. Des propos lénifiants qui forgentune vision éthérée et superficielle de l’universalité. Une déformation idéologique de l’universalité.

Je parle d’idéologie à dessein. En effet, cette logorrhée sur lesdroits de l’Homme procède d’une véritable idéologie qui fonctionne comme un discours structurant les discours et les représentations,un lieu de rencontre consensuel et diplomatique, un système delentilles concaves et convexes, mal agencées et qui, telle unelongue-vue déréglée, déforme la réalité en l’enserrant dans une perspective d’autant plus floue qu’elle est plus lointaine. Le consensus sur les principes tentant ainsi d’effacer lescontradictions dans les faits.

Dans ce schéma, les mots ne fonctionnent plus dans les discourscomme des concepts, dont l’énonciation et la discussion auraientpour vertu de clarifier les idées. Non, les mots sont convoqués pourleur généralité, leur ambiguïté, leur polysémie, leur capacité àentretenir l’illusion que l’on parle bien de la même chose, alors quel’on sait bien que ce n’est pas le cas. Dans ce jeu de dupe, même les mots qui semblent les plus immédiats, les plus universels peuventcacher des abîmes d’incompréhensions réciproques potentielles.

Mais, et c’est le point sur lequel je voudrais insister aujourd’hui, ces abîmes se dévoilent, par contre, au cœur de l’engagement, quand celui-ci est incarné. Quand on sort de l’artifice rassurant des affirmations consensuelles pour éprouver le réel dans sacomplexité. Une complexité dont les membres de nos associationsfont l’expérience au jour le jour dans le cadre de leur action inlassable au service des personnes et non pas des idées.L’universalité est à construire, non pas en niant ces abîmes, mais en les apprivoisant. Et cette construction de l’universel en acte au quotidien que réalisent les membres de nos associations se faitdans l’engagement: c’est l’engagement qui crée le lieu de la rencontre authentique, le lieu de l’apprivoisement des abîmes.

Ainsi, quand il s’agit de déplorer la torture subie par Toni IMA, là-bas, dans une prison de Manille, dans les lointaines Philippines, ouquand il s’agit de déplorer le viol et la torture de Madame NONGOdans un commissariat congolais, tout le monde est d’accord. Les médias, les Eglises chrétiennes, les gouvernements, les gens que

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nous rencontrons dans la rue, tout le monde dira que tout cela estbien triste et qu’il faudrait bâtir un monde meilleur. Il est bon, medirez-vous, que tout le monde soit d’accord, c’est au moins cela d’acquis. Oui, mais voilà… Quand tout se passe loin, si loin, il estparfois difficile de démêler les ressorts de cette soll icitude.Sommes-nous séduits par l’idée de faire le bien en général ousommes-nous véritablement touchés par la souffrance d’une personne, une chair, un corps, une âme, un cri ?

Il est permis de se poser la question, et je la pose maintenant enracontant la suite de l’histoire de Madame NONGO, violée ettorturée dans un commissariat congolais. Car, aujourd’hui,Madame NONGO est là, devant nous. Elle s’est présentée un matin ànotre porte en France. Elle a fui le cauchemar dans un périple longet douloureux et aujourd’hui, elle demande l’asile en France. Elle est aujourd’hui devant nous, à l’OFPRA, et l’aveu de son cauchemar va être méticuleusement soupesé, mesuré, inspecté, retourné en toussens pour « en éprouver la solidité » diront certains, comme si lerécit qu’une personne torturée fait de sa torture pouvait être solide.Là-bas, au Congo, Madame NONGO se laissait modeler tout entièrepar notre charité. Elle était l’objet de toutes nos attentions. Elleprésentait une surface lisse à nos représentations du bien et du mal.Elle se laissait de bonne grâce saisir par nos mots, nosindignations. Elle était victime en bloc, incontestablement, et sansrisque pour nous. La supplique qu’elle nous adressait, nous voulions bien l’entendre, avec les mots qui sont les nôtres, aux moments où nous le souhaitions, et selon l’intensité qui convient, bien sûr. Maisaujourd’hui, MadameNONGO est là, devant nous, et ses cris sontdevenus insupportables à nos oreilles car nous ne pouvons pas lesfaire cesser en changeant d’idée. Elle n’est pas habillée commenous l’aurions imaginé, son regard n’est pas si empreint de reconnaissance que cela, finalement. Elle semble inquiète, peut-êtreen colère, comme si elle nous reprochait de lui faire subir cetteaudience. Et pourtant, il faut bien qu’elle y passe. Car maintenant,elle est là. Ce n’est plus une image, c’est un corps, un ventre, un appétit potentiel, quelqu’unqui veut vivre avec nous. Et maintenant,affleure la seule vraie question : sommes-nous prêts à lui donner unpeu de nous-mêmes, y compris à des moments où nous ne lesouhaiterions pas ?

C’est à ce moment-là, dans l’épreuve de la réalité d’Autrui, que sejoue l’engagement. C’est dans l’accueil que nous réserverons à Madame NONGO que se manifestera notre soll icitude. Mais cemouvement de sollicitude, aussi sincère et courageux soit- il , nerésout pas tout. Bientôt surgissent les abîmes, les puits sans fondoù la complicité parfois laborieusement construite sembledésespérément se noyer.

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Nous savons tous ici combien faire le récit de sa propre souffrancen’est jamais une opération sans risque. La fragilité des mots que l’on tente maladroitement de substituer à des cris, la pauvreté desidées que l’on cherche, sans trop d’espoir, à apposer sur descicatrices physiques et spirituelles encore vives. L’esquisse d’un déroulement logique pour penser une histoire insensée, pour lapenser avec un « e » ou avec un « a », comme l’on panse des plaies. On se donne ainsi à voir sous l’angle le plus fragile, on s’expose alors que l’on meurt d’avoir été trop exposé. On laisse encoredouloureusement glisser vers l’autre des fragments de soi pourtant devenus si précieux parce que si rares. Et combien rude est alors lesentiment de n’être pas vu, de n’être pas reconnu pour ce que l’on est, de n’être pas accepté dans sa souffrance.

Tous ici, nous pouvons comprendre, au moins partiellement, cetteexpérience. Nous pouvons, dans une certaine mesure, nous mettre àla place de celle dont je parle. Ce n’est donc pas de ce type d’expériences dont je veux parler aujourd’hui.

Je veux parler de ce dont nous n’avons pas idée, de cette souffrance cachée parce qu’irréductible à nos propres expériences. Je veuxparler de ce qui vient « d’ailleurs» et ce dont, souvent, ledemandeur d’asilecomme Madame NONGO, parce que précisément,il vient d’ailleurs, est porteur. Je veux parler de cet écart que nous pressentons, mais que nous ne pouvons pas saisir au sens littéraldu terme.

Je veux parler de ce désarroi du demandeur d’asile confronté à la mise en doute de son récit. Tous ceux ici qui ont eu l’occasion d’accompagner des demandeurs d’asile savent combien la procédure d’établissement de la véracité des faits terrif ie nombred’entre eux. C’est la procédure elle-même qui semble leur faireviolence, les plonger dans un abîme d’incompréhension et de peur. Cette peur est souvent palpable et ne semble pas dépendre du tonde l’audience. Ce n’est pas simplement une affaire de douceur, degentillesse ou de brutalité du ton des représentants de l’Etat qui esten jeu. C’est autre chose. Quelque chose qui tient à la nature mêmede ce qui se joue là, pendant l’audience. Quand les associations comme les nôtres accompagnent un demandeur d’asile et soutiennent son propos, certains en concluent un peu hâtivementque le requérant a peur de l’enquête parce qu’il ment et qu’il le sait, et les mêmes, dans les médias ou ailleurs, raillent notre naïveté ounotre angélisme. Nous sommes taxés d’idéalisme parce que nous décidons de faire confiance a priori à celui qui vient nous demanderde l’aide. Nous décidons de le croire, d’accueillir son récit, de l’accueillir lui-même. « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli».

Mais « accueill ir » ne signifie pas « comprendre » et nous noussentons souvent démunis devant ce désarroi que l’on peut observer

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chez le demandeur d’asile. Nous tentons alors, pour l’aider, dedédramatiser l’enquête, d’en expliquer les étapes, mais cela nesuffit pas. Nous touchons là à la complexité de la relation desollicitude que nous évoquions tout à l’heure, une réalité irréductible aux catégories de l’universel ou du particulier, car la réelle proximité que nous expérimentons avec ceux que nousaccompagnons signifie que la relation qui se construit transcende,dans une certaine mesure, les particularismes sociaux ou culturels.Mais dans le même temps, nous pouvons témoigner que des abîmesd’étrangeté subsistent toujours comme ce désarroi et nousrappellent combien Autrui est autre que nous.

Alors, soyons lucides, nous ne pouvons pas espérer résorbercomplètement cet abîme, mais nous pouvons peut-être l’adoucir, en l isser les aspérités, l’apprivoiseret en faire une richesse et non pasune occasion de malentendus.

Ainsi, pour mieux comprendre l’étendue et le sens de ce sentiment de violence et d’incompréhension souvent ressenti par ledemandeur d’asile lors de l’enquête, il est peut-être nécessaire dese tourner vers l’ailleurs et de regarder, l’espace de quelquesminutes, ce que peut signifier un tel processus d’investigation précisément dans cet ailleurs.

Et pour accéder à cette compréhension, je prétends, chers amis, quele point clé, ici, est celui de la pluralité des représentations de lavérité. Je ne parle pas ici de la pluralité des opinions, c’est-à-diredu fait que chacun a son idée sur ce qui est vrai ou faux. Non. Jeveux parler ici de la pluralité des significations du mot même de« vérité ».

Idée étonnante a priori , me direz-vous. L’idée de vérité n’est-elle paspremière ? La vérité, le vrai, le faux, ces mots nous bercent depuisnotre enfance. Très tôt, on nous a appris le sens du mensonge, lanécessité de dire la vérité, puis de la chercher, puis de la défendre.Y a-t-il notion plus familière que celle-là ? Dire le vrai, c’est dire ce qui est, c’est dire ce qui est arrivé. Et dans cette optique, s’attacher à éprouver la véracité du récit du demandeur d’asile, c’est précisément essayer de déterminer si ce qu’il a dit correspond à ce qu’il s’est réellement passé. Alors, on peut déplorer la rudesse etl’inhumanité de la procédure, mais l’on convient tout de même qu’il n’y a pas trente-six manières d’établir la véracité des faits. On ne remet pas en cause, autrement dit, cette idée profondémentstructurante pour nous que l’enquête est bien le moyen par excellence de faire la vérité et que le récit n’est pas en lui-mêmeune preuve. Et bien, je crois que cette évidence de la vérité esttrompeuse et pour s’en convaincre, i l nous faut regarder commentfonctionne l’idée de vérité dans l’ailleurs.

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Je vais me tourner ici vers l’Afrique du Sud, vers une institutionplutôt emblématique du point de vue du fonctionnement du discoursde vérité, à savoir la Commission « Vérité et réconciliation » mise enplace en 1993 sous la présidence de Desmond TUTU.

Après l’avoir beaucoup encensé, on a beaucoup critiqué, en Europe,en Occident, le travail de cette Commission, ou plus exactement lesrésultats auxquels elle a abouti. On a, par exemple, reproché à laCommission d’avoir fait preuve de trop d’indulgence à l’égard des bourreaux. Des bourreaux réintégrés dans la communauté après laconfession de leurs fautes. C’était un peu simple, pensait-on. On abeaucoup glosé aussi sur la nature éthique de cette amnistie. Est-ceun pardon ? Mais qu’est-ce qu’un pardon donné par une communauté, alors que les victimes sont des individus seuls aptes apriori à donner ce pardon ?

Alors, vu depuis le Collège des Bernardins, une telle procédured’amnistie ressemble fort à l’instauration d’un régime d’impunité, préjudiciable aux victimes et, en dernière analyse, à la société sud-africaine elle-même qui ne pourrait pas durablement se reconstruiresans un véritable travail de justice.

Or, pour rendre la justice, nous, chrétiens, pensons qu’il faut faire toute la vérité sur ce qu’il s’est passé. Il faut mener une enquête, laplus objective possible. Ce que ne fait pas la Commission dont letravail repose en grande partie sur l’enregistrement des confessions de ceux qui se sont librement présentés devant elle et sur uneconfrontation minimale avec le récit des victimes.

Nous pourrions donc être tentés, et nous tous ici toutparticulièrement, bercés comme nous le sommes par les versets dupsaume 85 : « Amour et vérité se rencontrent, justice et paixs’embrassent», nous pourrions être tentés donc de voir dans letravail de cette Commission au mieux une justice inachevée, au pireune parodie de justice, dans la mesure où il n’y a pas d’enquête systématique et où l’exposé et l’interprétation des faits sont laissésà l’arbitraire d’une forme de négociation communautaire.

Nous pourrions être tentés, dis-je, de penser cela, mais ce seraitune erreur. Ce serait, une fois encore, méconnaître combien nouspensons et agissons à partir de représentations du monde forgéesau sein d’une culture bien particulière, la nôtre. Une culture dont nous avons trop tendance à projeter les présupposés sur l’ensemble de l’humanité, donnant de ce fait indûment un caractère d’évidence à ce qui n’est finalement qu’une «tradition locale ».

L’analyse du travail de la Commission « Vérité et réconcil iation »nous donne aujourd’hui l’occasion de souligner qu’au-delà desidées, des concepts, des habitudes, des valeurs, c’est en fait l’idée même de vérité et la représentation que l’on s’en fait qui est en jeu.

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« Comment ? » me direz-vous. Que l’on se dispute sur ce qui est vrai et faux, cela va de soi. On peut être en désaccord sur ce qui est vraiou faux. Mais il est un point sur lequel il semble bien qu’il ne peutpas y avoir de désaccord possible, c’est sur la signification des mots « vrai » et « faux ».

Et pourtant. Et pourtant, l’exemple sud-africain nous montre quemême la signification de ces mots fait problème et qu’il y a, enparticulier, un glissement sémantique qui s’opère quand on passe d’un contexte linguistique méditerranéen à un contexte anglo-saxon.Glissement sémantique qui apparaît quand on traduit le mot anglo-saxon « truth » par le terme « vérité ». Et donc, quand on traduit« Truth and reconciliation » par « Vérité et réconciliation ». LaCommission sud-africaine n’est pas une Commission « Vérité etréconciliation ». C’est une Commission «Truth and reconciliation ».Ceci a son importance car les mots « truth » et « vérité » ont deshistoires différentes.

Le premier, « truth », renvoie à la racine saxonne « triew » qui veutdire « f idélité » et au-delà, au protogermanique « trewjaz », et encoreau-delà, au proto-indo-européen « dru » qui signifie « arbre » et enparticulier dans les sociétés celtiques : le chêne, d’où le terme « dru-ide », « druide », pour désigner le servant de l’arbre, de l’arbre sacré.

« Truth » renvoie donc, en dernière analyse, à « l’arbre», mais quelarbre ? L’arbre précieux, l’arbre précieux entre tous, celui souslequel la communauté se rassemble pour réaffirmer sa fidélité auxprincipes fondateurs qui l’ont instaurée. La communauté sereconnaît fidèle à elle-même en faisant mémoire du serment initialsous l’arbre millénaire qui avait entendu ce premier serment. Estdonc vrai, au sens de « truth », ce qui se tient aussi ferme qu’un arbre pour garantir la pérennité d’une communauté donnée dans la fidélité à ses origines. La communauté repose sur cette vérité quiest une fidélité. C’est dans ce contexte que doit être compris le travail de vérité de la Commission et non pas du tout au sens latin,au sens romain de la vérité qui vient du latin « veritas » qui nesignifie pas du tout « f idélité », qui signifie « verrouillé ». « Veritas »,d’où la proximité d’ailleurs avec le mot « verrou », la vérité du« veritas », c’est le discours tenu par une institution qui est chargéede verrouiller précisément ce discours. Une institution qui estdépositaire d’une autorité qui lui donne l’exclusivité de l’interprétation des faits.

Ce concept de « veritas » nous est familier, très familier. Si l’on pense à l’idée que l’on se fait du travail de recherche de la vérité ensciences, par exemple, dans les institutions scientif iques oujudiciaires, on voit bien comment fonctionne l’idée de véritédansnotre esprit. La société délègue à une institution la responsabil ité

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de sceller la vérité, de trancher dans le concert des interprétationsdivergentes. Cette vérité, née de la culture romaine, encadresensiblement l’« aletheia », la vérité grecque, comme dévoilement.Après les Romains, le dévoilement grec est contrôlé par uneinstitution, il n’est pas laissé à l’appréciation de tous.

On le voit, « veritas » et « thruth » renvoient à des conceptions biendifférentes de la vérité. Et comme l’a affirmé maintes foisDesmond TUTU, la société sud-africaine doit être réconcil iée avecelle-même avant d’être reconstruite et doit être reconstruite avant de donner naissance à des institutions qui pourraient être, plustard, dépositaires de la « veritas ». Pour le moment, ou plusexactement en 1993, 1994, il n’y avait rien. Il avait une communautéà reforger et c’est par la reconstruction d’une fidélité à ces principes fondateurs, par la reconstruction d’un lien de confiance entre la communauté, les victimes et les bourreaux, que s’opère, que s’est opérée, que s’opérera cette renaissance.

On voit ici que dans le contexte du « truth », ce n’est pas l’enquête qui prime, c’est l’accueil de l’aveu non pas dans la mesure où il estvraisemblable, mais dans la mesure où il est sincère. On pourraitainsi relire l’ensemble du travail de la Commission à partir de cettecompréhension de la vérité comme fidélité, mais je n’ai pas le temps aujourd’hui de le faire et je veux donc util iser ce que je viens de direpour éclairer, si cela est possible, le sens du désarroi deMadame NONGO.

Madame NONGO a fui un univers politique en décomposition, leCongo, une communauté fragmentée, dispersée. Par les violencesqu’elle a subies, elle a été propulsée hors de l’espace social. Elle sesent déchue, exilée, elle a perdu ses repères. Elle a besoin, elle abesoin d’être restaurée au sein d’une communauté humaine, et c’est par son récit et par l’accueil de ce récit que s’opère cette restauration. C’est la confiance de la communauté qui l’accueille àson égard qui permet de forger un lieu nouveau, de réintégrerMadame NONGO dans la cité des hommes. On le voit, l’accueil du récit du demandeur d’asile est fondamental, non pas parce que tout ce qui est raconté a eu réellement lieu (de cela, nous ne savonsrien), non pas parce que le récit serait dépourvu d’erreurs, maisparce que, par l’accueil du récit, nous manifestons qu’à nos yeux, le récit n’est pas un mensonge. Et c’est bien de cela dontMadame NONGO a besoin en premier lieu. Pour le reste, il estprobable, il est possible que son récit, une fois passé aux fourchescaudines de l’enquête, se révélera peut-être approximatif, ou confus,voire même contradictoire. Et alors ? Cela ne signifie pas que ladétresse est simulée. Et l’on comprend combien est violente cettemise en doute de la souffrance parce que le récit présente peut-êtredes invraisemblances.

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Or, La vérité-veritas qui fonctionne au sein de nos institutions est,on l’a vu, une vérité politique et non pas scientif ique. Il y a bien làun verrou politique. Par délégation à une institution, quelque chosequi verrouille des interprétations. Une vérité politique, et non passcientifique, une vérité, entre guillemets, qui n’est pas absolue, qui n’est pas incontestable. Une vérité qui n’est, ni plus, ni moins,légitime que la vérité restauratrice du « truth ». Une vérité« veritas » qui, surtout ici, a pour effet de dissocier la personne aulieu de la reconstruire, de la laisser à l’extérieur de la communauté qu’elle veut intégrer. Et , c’est précisément pour cela que nousdevons continuer inlassablement à dénoncer ce climat de méfiancequi s’instaure de plus en plus dans notre pays et qui continue àdisqualifier l’accueil que nous prodiguons comme « naïf », alors queprécisément, c’est cet accueil-là qui rend possible une intégrationéventuelle de celui qui frappe à notre porte.

On le voit, bien loin d’être à «côté de la plaque », l’engagement de nos associations s’inscrit, pourrait-on dire, de manière prophétiquedans une intuition extrêmement profonde des enjeux de l’accueil des demandeurs d’asile. Un engagement lucide qui assume et respecte l’altérité fondamentale de celui que nous accompagnons. Un engagement qui s’attache à apprivoiser les abîmes sans chercher à les dissoudre dans une universalité de façade. On voit icique l’universalité n’est pas une donnée qu’il s’agirait de recevoir, mais bien une réalité qui se construit tous les jours dansl’engagement, dans le don que nous faisons de notre temps, de notre argent, de notre attention, car c’est dans le don de nous-mêmes que nous manifestons le plus clairement qu’autrui a de la valeur.

Les chrétiens ont une certaine familiarité avec l’universel. En effet,la communauté chrétienne des origines n’est-elle pas ce corpsconstitué d’esclaves et d’hommes libres, de grecs et de juifs,d’hommes et de femmes s’exprimant en des langues différentes, venus d’horizons culturels divers, adeptes de coutumes variées? Enquoi les chrétiens forment-ils une communauté ? Quelle est leurunité ? C’est la foi en une vérité paradoxale. C’est l’annonce d’une bonne nouvelle incroyable et, de ce fait, accessible à tous : « LeChrist est ressuscité des morts ». « L’énoncé le plus inouï et le plus affranchi ». Affranchi de toutes les tentatives de justifications quisont toujours plus ou moins prises dans des réseaux de notions etd’argumentations qui les particularisent. Affranchi des logiquesgrecques, européennes, indiennes ou chinoises. « Le Christ estressuscité », c’est l’énoncé le plus fou et le plus universellementcrédible, car il met tous les hommes sur un pied d’égalité dans leuridentique difficulté à croire, à adhérer au scandale de la Croix.

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Si la résurrection du Christ est le cœur de la prédication de Paul et si, f inalement, toutes ses lettres ne disent et ne redisent que cela,c’est parce que Paul a compris que pour être entendu jusqu’aux extrémités du monde, la vérité de l’Evangile ne devait être asservie àaucune perspective particulière, mais devait au contraire déborderde toutes les vraisemblances, de toutes les rhétoriques, de tous lesplausibles qui constituent les faisceaux de présomptions dont nousfaisons précisément la matière de nos enquêtes.

Puisons donc, chers amis, dans cette foi qui nous habite et quidéfait toute tentation idéologique. Le christianisme n’est pas une idéologie, c’est l’adhésion à une personne, le Christ, qui est « lechemin, la vérité et la vie ». Proclamons donc que la vérité n’est pas affaire d’enquête et de verrou. La vérité, c’est le Christ, qui n’est pas une idée, mais une personne qui s’est incarnée dans le monde, qui ahabité parmi nous.

Donc, dans ce travail de redécouverte de l’universel en acte pour démasquer l’idéologie de l’universel, pour dénoncer la promotion de l’humanité en général, et non des êtres humains en particulier, dansce travail nécessaire, les chrétiens ne peuvent faire autrement qued’être en première ligne. Et parmi les chrétiens, nos associationsdoivent se sentir tout particulièrement concernées car, au cours decet exposé, je n’ai finalement dit et redit qu’une seule chose: c’est que la clé de la promotion véritable des droits de l’Homme, la clé del’extension universelle de ce mouvement de sollicitude infinie àl’égard des hommes et des femmes, c’est l’engagement. C’est dans l’expérience de la relation à Autrui que nous expérimentons, c’est dans cette expérience que nous pouvons éprouver que « Le dialogueentre les cultures n’est pas un étiquetage des appartenances»,comme l’écrit le sinologue FrançoisJULIEN.

C’est dans l’engagement humble et conscient de ces maladresses etde ces imperfections que se réalise, jour après jour, cetteuniversalité des droits de l’Homme, dans la construction au jour lejour d’une démarche de sollicitude réciproque où les uns et les autres font l’épreuve de leur f initude. Nous pouvons tous témoignerde cette difficulté à comprendre l’autre dans ses actes, dans ses attentes, dans ses peurs. Difficulté aussi à démêler les raisonsprofondes qui nous poussent à nous engager : altruisme, intérêt,sentiment de servir à quelque chose, d’être reconnu, d’être entouré.Sans doute, tout cela à la fois.

Une posture engagée dans l’action est, par définition, diff icile àtenir car complexe, exposée aux quatre vents : aux vents du doute,du compromis, du désespoir parfois, de la grâce toujours.

Si nous agissons en étant conscient des limites de notre action, sinous assumons cette finitude, cet inachèvement irréductible denotre don et de ce que nous recevons, alors nous pourrons dépasser

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les paradoxes qui assaillent le combat pour les droits de l’Homme.Nous pourrons dépasser les oppositions entre universalisme etculturalisme parce que dans l’engagement pour Autrui et par Autrui,nous manifestons combien notre prochain a de la valeur à nos yeux,combien il compte. Combien c’estprécisément dans ce mouvementde reconnaissance qu’Autrui se découvre digne à nos yeux et que nous nous découvrons dignes, à notre tour, dans les yeux de notreprochain. Nos associations ne vivent pas par les droits de l’Homme.Ce sont les droits de l’Homme qui vivent par nos associations. C’est dans notre action que les droits de l’Homme trouvent leur lieupropre. C’est dans notre action que se forge l’universel en acte dedemain. C’est dans un pacte de sollicitude réciproque que se construit la charité véritable, celle qui est amour réciproque, ausein de laquelle nous nous reconnaissons, à notre tour, le prochainde celui qui n’a rien, mais qui possède encore comme un bien inaliénable cette capacité de nous reconnaître comme frère. C’est dans cet amour qui se reçoit et qui se donne que réside, à mon sens,l’avenir des droits de l’Homme.

Alors, ne nous laissons pas tromper par la sagesse du monde. Parles visions trop étriquées de la vérité, par les discours tropconsensuels qui sapent les fondements même de la sollicitudevéritable. Assumons avec confiance et espérance notre folie car « lafolie aux yeux du monde est sagesse aux yeux de Dieu ».

ESCHYLE écrivait, il y a de cela si longtemps, un propos qui mesemble plus que jamais d’actualité: « I l est bon d’aimer au point de paraître fou ».

(Applaudissements.)

Pierre-Yves LE PRIOL.- Voilà un propos consistant, n’est-ce pas ?Dynamisant pour les personnes engagées que vous êtes.

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Débat avec le public

UNE INTERVENANTE .- En fait, je voudrais seulement vousdemander d’avoir le texte de votre intervention qui me semble tout à fait juste, et que je voudrais pouvoir diffuser.

(Applaudissements.)

Pierre-Yves LE PRIOL.- Toutes les interventions seront sur le sitede l’ACAT à partir de mercredi.

UNE INTERVENANTE .- Danielle MERIAN, militante de l’ACAT.

Marc ZARROUATI vient de m’apprendre que, depuis le 14 novembre,la Déclaration universelle est en orbite. J’en suis absolument enchantée.

Ce que je voudrais dire, c’est que depuis le 21novembre, la France aratifié le protocole facultatif à la Convention sur la torture, qu’elle avait au préalable nommé le Contrôleur général des lieux deprivation de liberté, que Monsieur DELARUE doit sûrement être unhomme qui a du cœur, qu’en tout état de cause il a déjà déposé unrapport non pas sur les centres de rétention, mais sur les lieux derétention car c’est encore pire. C’est souvent simplement une salle dans un commissariat de police, donc un lieu où l’on ne peut nivivre, ni dormir, ni manger, ni recevoir son avocat, ni quoi que cesoit. Il a déjà dit, et je l’en remercie, que «c’est un traitement inhumain et dégradant ».

Je pense, et je me permets de le dire, qu’il faut absolument que nous nous saisissions tous, tous ceux d’entre nous qui travaillons pour dénoncer les conditions atroces dans lesquelles on parque lesétrangers, du rapport de Monsieur DELARUE.

Pierre-Yves LE PRIOL.- Merci Madame.

Pendant que vous parliez, Monsieur ZARROUATI, je pensais audiscours que le pape Benoît XVI a prononcé devant l’ONU en avrildernier. Vous vous en souvenez peut-être. Je me le suis remis enmémoire pour préparer un peu ma participation à votre journée etparmi toutes les choses qu’il avait dites, il avait souligné, un peu enconvergence avec vous, le fait que la lutte pour les droits del’Homme, c’était bien sûr l’affaire des Etats, des lois, des

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législations, des instances internationales, mais que le regardchrétien signifiait aussi que l’on ne pouvait pas avancer dans les droits de l’Homme «sans une conversion du cœur», c’est l’expression qu’il avait employée devant les instances de l’ONU. « Conversion du cœur». Je pense que cela rejoint un petit peu ceque vous avez dit tout à l’heure. Je signale juste cela comme un rappel pour nourrir ce débat.

UN INTERVENANT .- Gabriel NISSIM pour le Conseil de l’Europe.

Je souhaite, d’abord, donner une information. Madame vient de parler du rapport de Monsieur DELARUE. Pour ma part, je rappellele rapport de Thomas HAMMARBERG, le commissaire aux droits del’Homme du Conseil de l’Europe, qui vient de faire un rapport sur la situation des droits de l’Homme en France, et en particulier dans les prisons. Je pense que ce rapport devrait être connu et util isé,surtout, pour demander à nos responsables politiques de mettre enœuvre, comme ils y sont obligés, les conclusions de ce rapport.

Deuxième élément, je voudrais remercier Monsieur ZARROUATIpour ce qu’il a dit, pour la façon dont il l’a dit, et en particulier concernant cette expérience universelle, cette capacité universelleque nous avons à nous reconnaître mutuellement comme frères.Nous parlions tout à l’heure du fondement des droits de l’Homme, il me semble que le fondement universel des droits de l’Homme, c’est la capacité que nous avons chacun de reconnaître l’autre commefrère.

Là-dessus, je voudrais ajouter que la conséquence est la nécessitéurgente d’une éducation à ce respect mutuel. Les textes qui sontproduits sur les droits de l’Homme, de fait, resteront du papier s’il n’y a pas une éducation qui est faite dès le plus jeune âge pour lerespect mutuel. Je peux témoigner combien les enfants sontextrêmement sensibles quand on leur ouvre cette perspective d’un respect possible les uns pour les autres.

UN INTERVENANT .- Thierry GIRARD de la Société Religieuse desAmis, dits Quakers.

J’ai beaucoup apprécié les propos de Marc ZARROUATI et je pensequ’il rassemble un petit peu ce que nous avons eu l’occasion d’entendre avant.

Il semblerait que les droits de l’Homme soient un progrès et que l’Humanité progresse d’une certaine façon. Dans ce cadre-là,comment reprendre les propos de Jean-Louis SCHLEGEL qui nousdisait tout à l’heure qu’il fallait définitivement renoncer à tout

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changement structurel et à tout engagement dans le sens d’un changement structurel ?

Je pense que nous n’avons pas à baisser les bras, et si nous reprenons ce que nous disait le père Paul VALADIER tout à l’heure, l’Eglise catholique romaine s’est convertie d’une façon assez récente à la pensée ou au programme des droits de l’Homme. Alors, si l’Eglise catholique romaine a pu le faire, d’autres pourront le faire aussi, et peut-être aussi l’Eglise russe orthodoxe.

Pierre-Yves LE PRIOL.- Merci, Monsieur. Vous avez un tout petitpeu mis en cause l’intervention de Jean-Louis SCHLEGEL à l’instant.Je crois qu’il va répondre. Je ne suis pas certain que son proposvisait à dire que toute action, toute implication dans le concret del’action était inutile. En tout cas, si c’est ce qu’il a dit, ce n’est pas, je le sais, ce qu’il voulait dire. Il va donc reformuler la chosemaintenant (Rires.)

Jean-Louis SCHLEGEL.- Les sociologues, c’est effrayant, parcequ’ils peuvent être très décourageants, surtout quand ils sont, pasnécessairement mal compris, mais quand même un petit peu malinterprétés.

De toute façon, personne ne peut décréter qu’il n’y aura plus d’utopie, plus d’espérance de réalisation historique d’un certainnombre de choses, etc. Au fond, je dirais que, venant de la traditionchrétienne, je ne vois pas comment écarter totalement des utopies,mais nous dirions peut-être plutôt des espérances, y compris uneespérance dans cette vie-ci.

Simplement, il est vrai que nous avons peut-être compris quel’extrémisme de l’utopie, c’est-à-dire la prévision d’un avenir radieux déjà décrit ou le « grand soir réalisé », cela, c’est peut-êtreextrêmement dangereux. C’est-à-dire, au fond, peut-être que ce n’est pas l’utopie qui est en cause, c’est de prétendre savoir l’utopie. Afortiori , quand vous ajoutez - tout de même, la théorie marxiste nousl’a dit tellement longtemps - qu’en plus, c’est scientifique, cettehistoire-là. On connaît scientifiquement ce qui va être le devenir del’Histoire.

Je trouve que le savoir scientifique du devenir de l’Histoire, c’est quelque chose d’absolument abominable. Il faut toujoursgarder unpeu cette idée : à la fois, il y a espérance et d’une certaine manière,nous ne savons pas exactement vers quoi.

Je reprends quand même la balle au bond de Marc ZARROUATI.

Vous avez fait allusion au problème de langage, au tout début. C’est vrai que, et au fond ce que le père NISSIM a dit l’instant m’a fait un

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peu penser cela aussi, nous sommes quand même dans des sociétésoù il y a de grands… - je ne sais comment dire - , de grandsmélanges langagiers. Parce qu’après tout, personne n’est plus contre les droits de l’Homme… , mais on apprend que la Chine nonplus, l’Arabie Saoudite non plus. Disons que dans les sociétéspostmodernes, c’est quand même un peu cela. Les sociologues ontétudié cela : nous vivons dans des sociétés où tout le monde dit :« Liberté, Egalité, Solidarité », que sais-je encore ? Tous lesprogrammes politiques de toutes nos démocraties sont bâtis là-dessus. Le gouvernement qui fait ces centres de rétention, il neparle pas autrement.

A propos du respect, Dieu sait que je suis d’accord, mais j’ai en tête ceci : concernant l’éducation, aucun proviseur qui se respecte dans l’enseignement public, ou principal de collège, aucun directeur oudirectrice de lycée privé ne dira autre chose que cela aux élèvesaujourd’hui: « Respect de soi, respect de l’autre». Voilà le principe.Partout, nous n’entendons plus que cela.

Finalement, je me dis en même temps par rapport à cela : il fauttoujours le dire, il faut dire, redire, mais les réalisations concrètessont quand même importantes aussi.

Au fond, si j’avais eu à faire une critique de votre exposé, j’aurais dit : « J’applaudis à deux mains» et en même temps, les petitesavancées sont importantes aussi, c’est-à-dire de créer des faitsaccomplis où les droits de l’Homme sont créés, recréés, réinventéssur des terrains. C’est quand même là, finalement, que nos sociétés sont très paralysées, je trouve, par moments. Tout ce que vous avezdit était très dynamisant, mais, évidemment, comme intellectuel, jeme disais « Oui, mais qu’est-ce que je pourrais lui répondremaintenant ? »

(Rires.)

Jean-Louis SCHLEGEL.- Oui, mais les petits pas sont absolumentdécisifs.

Je pensais à un pays que je connais un peu parce que j’ai un auteur qui a écrit un livre, d’ailleurs très dur contre lui: l’Arabie Saoudite.Un auteur tunisien, Hamadi REDISSI, a écrit un livre sur le fait quel’islam saoudien soit, en partie, devenu dans le monde l’Islam.C’est-à-dire que cet islam-là soit devenu l’islam dominant finalement dans un certain nombre de lieux. Il raconte cela trèsbien, il a d’ailleurs beaucoup de vivacité.

En même temps, je trouve que ce n’est peut-être pas rien que mêmedans ce pays-là… , il faut que sorte de leur bouche le mot « droits del’Homme». Ils font quand même des petits pas.

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Puis, comme par hasard, un grand journal du soir, dans sonsupplément du vendredi, dit : « Bon, comment les femmes d’Arabie Saoudite [évidemment, il y a une femme magnifique en couverture etce n’est peut-être pas cela qui est en question] sont en train . . . ?»

Pierre-Yves LE PRIOL.- De faire bouger les choses.

Jean-Louis SCHLEGEL.- . ..« De faire bouger les choses ? ». Jetrouve cela intéressant parce que...

Pierre-Yves LE PRIOL.- La politique du petit pas.

Jean-Louis SCHLEGEL.- . . .Cela avance quand même. Quand onapprend qu’une seule église a été construite dans un pays arabe, personnellement, je dis : « C’est prodigieux! ».

J’étais en Tunisie récemment, où depuis 40 ans, c’est-à-direl’Indépendance, aucune construction d’église n’a abouti.

Pierre-Yves LE PRIOL.- Nous commençons à en voir maintenantdans les Emirats, je crois. C’est cela?

Jean-Louis SCHLEGEL.- Oui, dans les Emirats.

J’étais avec des Tunisiens qui ont beaucoup bataillé pour les droits de l’Homme et j’ai été à deux colloques où, à chaque fois, quandvous êtes Français, on vous interroge sur les mosquées. Alors, onvous dit : « Les mosquées, pourquoi les Français n’en construisent pas, etc . ? » Une fois, j’ai été sauvé de la situation par un Tunisien qui a dit : « Mais combien avons-nous construit d’églises depuis l’Indépendance.. . ? »

Pierre-Yves LE PRIOL.- En Tunisie.

Jean-Louis SCHLEGEL.- Il leur a fermé un peu la bouche, aussi.

Pierre-Yves LE PRIOL.- Marc ZARROUATI va répondre àMonsieur GIRARD et faire une réponse à la réponse de Jean-Louis SCHLEGEL.

(Rires.)

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Marc ZARROUATI .- En fait, je ne vais pas répondre àMonsieur GIRARD car je suis assez d’accord avec ce qu’il a dit.

Je vais plutôt répondre à ce que vient de dire Jean-Louis SCHLEGEL.

Si vous le permettez, dans un premier temps, j’aimerais me réapproprier ce que vous avez dit au départ et avec lequel je suistout à fait d’accord, mais j’aimerais le dire avec mes mots, et celarejoint un petit peu ce que vous disiez, Monsieur.

Il me semble que dans ce que vous avez dit, ce n’est pas unecritique de l’engagement, c’est une critique de l’utopie. Il mesemble que nous nous rejoignons parfaitement dans la mesure où ceque vous critiquez dans l’utopie, c’est son caractère idéel, l’aspect idéologique, le fait que, précisément, quand on décide de mourirpour une idée, on peut mourir pour n’importe quoi.

Je n’ai finalement pas dit autre chose que la nécessité de se déprendre d’un rapport au don qui soit orienté vers une idée, mais,au contraire, d’utiliser comme critère permanent le fait que ce sontdes personnes, donc l’incarnation en réalité de l’engagement. En cesens, je crois que le problème n’est pas de savoir s’il faut s’engager ou pas, mais de nous poser chacun la question : « pourquoi nousengageons nous ? », « au nom de qui ? », et pas « au nom de quoi ? ».De ce point de vue-là, la tradition constante des Eglises chrétiennesne peut que nous aider en nous ramenant en permanence sur unepersonne et non pas sur une idée.

Pour revenir sur la question des petits pas, je suis évidemmentd’accord sur le fait que c’est toujours bon à prendre. A mon avis, laquestion n’est pas d’égrener les petits pas. La question est de savoir dans quelle mesure l’opération de publicité mise en œuvre par l’Arabie Saoudite au cours de cette conférence fonctionne, dans unsens positif, c’est-à-dire vers une amélioration en Arabie Saoudite,ou pas. Est-ce qu’il n’y a pas là lieu de faire une critique d’un discours qui masquerait en réalité une volonté de pérennisation desviolations des droits de l’Homme? Voilà mon propos.

Bien sûr qu’il est toujours bon à prendre qu’une église soitconstruite en Tunisie. Evidemment, mais attention, parce quefinalement, aux Jeux Olympiques, la Chine ne disait pas autrechose. En ce sens, j’attire votre attention sur le fait que sondiscours s’est considérablement infléchi depuis dix ans.

Il y a dix ans, on peut en dire ce que l’on en veut, le propos porté par les dirigeants communistes chinois était un propos étayé d’un certain point de vue puisqu’ils mettaient en avant les spécificitésculturelles, l’historicité des droits de l’Homme, etc. Aujourd’hui, cen’est plus le cas parce que la Chine a enfin compris qu’en réalité,

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on s’en fiche, qu’il lui suffit de nous donner des gages sur ce qu’il convient de penser et que pour le reste, cela ira.

Puis, le discours de l’administration chinoise qui consiste à dire:« Vous avez raison. Vous avez raison, c’est vrai. L’idéal, c’est les Droits de l’Homme. Alors, évidemment, i l nous reste du chemin àparcourir, mais vous voyez, nous faisons des efforts. Regardez ! Vousvoyez : nous avons diminué le nombre de chefs d’inculpation, de condamnations à mort. C’est bien. C’est vrai, à côté, nous avonsmultiplié par deux le nombre de personnes torturées, mais nousfaisons des efforts ! ». Et, ce : « nous faisons des efforts etfinalement, nous convergeons. Au bout du compte, nousconvergerons », ce discours-là me paraît profondément dangereux.

(Applaudissements.)

UNE INTERVENANTE .- Bonjour, Valérie MEYER, j’ai rejoint récemment le groupe ACAT de Vincennes/Fontenay-sous-Bois. Jeviens de Bordeaux.

Je suis contente que vous fassiez des conférences comme cela, avecun débat.

Monsieur disait : « Qu’il est bon d’aimer au point de paraître fou. » Jepense aussi qu’aujourd’hui, les fous ouvrent les portes et les autressuivent. Ainsi, je m’interroge de ne pas voir beaucoup de jeunesdans les mouvements ACAT ou autres, et je trouve très bien de tousvous réunir. Je pense que c’est en mutualisant nos engagements que nous pourrons avoir une résonance.

D’ailleurs, j’ai été au Mexique et, justement, enseigné le français etles droits de l’Homme et beaucoup de gens ne connaissent pasforcément les institutions qui existent pour défendre leurs droits.

En même temps, puisque nous parlons d’éducation, je pense qu’il est effectivement fondamental aujourd’hui que beaucoup de gens sachent que vous existez et que vous agissez. C’est-à-dire que toutce que vous dites et ce que vous faites, beaucoup de gens ne leconnaissent pas. Je voudrais donc savoir si, au-delà des mots quiont pu être dits, le geste peut accompagner ces mots pour dire auxgens que vous existez, que vous pouvez être un refuge et, en mêmetemps, que les gens pensent qu’ils peuvent s’engager. Il y a en effetbeaucoup de pays aujourd’hui où l’on parle des droits de l’Homme et eux, forcément, ils ramènent cela à leur réalité.

Je voulais savoir si l’ACAT et toutes les associations qui sont présentes aujourd’hui ont des projets, concrètement - puisque« ACAT » signifie « action » - par rapport à l’éducation auprès des programmes éducatifs internationaux. Monsieur parlait pour leConseil de l’Europe, ainsi qu’est ce qui peut, aujourd’hui,

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concrètement, être mis en place au niveau éducatif pour la non-violence et pour l’abolition de la torture? Merci.

Pierre-Yves LE PRIOL.- Quelqu’un m’a également interpellé tout àl’heure à la pause, rejoignant un peu vos préoccupations sur la visibil ité : « pourquoi les médias - j’étais un peu pris à partie en tant que journaliste peut-être aussi - nous relaient si peu ou si mal ? Quefaire pour que les médias montrent que les chrétiens agissent encoredans la société, qu’ils sont un ferment? Etc. » C’est une problématique assez vaste...

Marc ZARROUATI .- Très rapidement, je souhaite dire que je suisévidemment tout à fait d’accord avec vous. Concernant lapréoccupation de l’éducation aux droits de l’Homme- je ne peux pasparler au nom de toutes les associations qui ont organisé cetévénement, mais au nom de l’ACAT que je connais un peu plus - ,l’éducation aux droits de l’Homme est « La » priorité de l’ACAT depuis maintenant quatre ou cinq ans. Dans son dernier texted’orientations, l’ACAT l’a considérée comme « Sa » priorité.

Cette éducation passe effectivement par la visibil ité au niveaumédiatique et de ce point de vue-là, l’ACAT s’est donnée les moyensconcrets, en termes de communication, d’améliorer effectivement la visibil ité de son travail et de son action.

Je crois beaucoup également, en parallèle de la visibil ité« classique » qui passe par la presse, etc., à la force du témoignagede l’engagement. Je crois que chaque membre de l’ACAT, chaque membre des associations présentes ici se sent investi de laresponsabilité de témoigner de ce qu’est l’engagement, de ce que l’on reçoit dans l’engagement, de combien l’engagement est vital pour nous, du sens que nous lui donnons.

Je crois quand même, au bout du compte, que la décision qui faitque quelqu’un, à un moment, va donner, va se donner, est en grandepartie déclenchée par un visage, par une façon d’agir, par unereconnaissance. La reconnaissance de quelque chose de noble, degrand, dans la personne qui est proche de nous.

Je pense qu’en termes d’éducation, ces deux aspects-là sontessentiels. Ce qui signifie très concrètement que tous les gens quisont réunis ici doivent et savent qu’ils sont responsables de l’avenir de ces associations, et qu’ils sont responsables de l’avenir des droits de l’Homme.

UN INTERVENANT .- Michel SOLLOGOUB, membre chrétienorthodoxe du Comité directeur de l’ACAT et membre dirigeant de

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l’ACER, l’Action chrétienne des étudiants russes qui est un desmouvements qui a contribué à organiser cette session.

Je ferais deux remarques.

D’abord, concernant l’exposé de KathyROUSSELET, je crois qu’il faut être bien clair : la position qu’elle a décrite de façon tout à fait intéressante est celle de l’Eglise orthodoxe russe, ce n’est pas celle de l’Eglise orthodoxe en général. D’ailleurs, il n’y a pas de position de l’Eglise orthodoxe en général (Rires). Ceci est un point qu’il faut bien comprendre. Il s’agit donc des Russes, du patriarcat de Moscouet de la hiérarchie du patriarcat de Moscou. C’est une chose. Par exemple, les chrétiens orthodoxes qui sont ici présents ne sont pasnécessairement en accord avec…

En second lieu, au sujet de ce que vient de dire Marc ZARROUATI,qui est extrêmement intéressant bien sûr - j’admire toujours la qualité de son discours -, je voudrais quand même faire uneobservation.

Vous avez insisté sur la distance entre les mots et la réalité deschoses. Aujourd’hui, on parle de plus en plus des droits de l’Hommeet, en réalité, la situation se dégrade, mais est-ce qu’il n’en a pastoujours été ainsi ?

En 1948, date de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, qui a signé cette Déclaration ? Qui a ratif ié ? C’est un grand nombrede pays, notamment un pays que je connais bien, qui est l’Union soviétique qui ne respectait absolument pas cette Déclaration.C’était l’apogée du système des camps. C’est quand même à la findes années quarante, début des années cinquante, il ne faut quandmême pas l’oublier. Ainsi, cette hypocrisie-là…

Pierre-Yves LE PRIOL.- L’URSS s’est abstenue en 1948, il me semble. Il y a eu unanimité, mais avec abstention, dont notammentdu bloc soviétique.

UN INTERVENANT.- C’est quand même une Déclaration qui estconsidérée comme universelle. D’ailleurs, il y en a eu d’autres…

Puis, en 1980, c’étaient les Jeux Olympiques de Moscou et c’était à peu près la même chose que ce qu’il s’est passé en Chine. Il y a eu une abstention d’un certain nombre de pays qui ne sont pas allés là-bas, etc. Voilà, c’est tout.Merci.

Pierre-Yves LE PRIOL.- Vous soupçonnez Marc ZARROUATI d’un excès de pessimisme ? Je ne sais pas si je caricature votre pensée.En tout cas, il répond.

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Marc ZARROUATI .- En fait, je vous remercie de votre remarqueparce qu’elle me permet d’insister sur un point sur lequel je n’ai peut-être pas trop insisté.

Quand j’ai parlé d’idéologie et du caractère idéologique de ce discours, c’est précisément cela que je voulais dire. Ceque je veuxdire, c’est que le décalage entre les mots et les actes, effectivement,a toujours eu lieu. A la limite, en soi, ce serait totalement utopiquede croire que les mots pourraient être inscrits immédiatement etmatérialisés dans des actes.

Quand je parlais du caractère idéologique de ce discoursaujourd’hui sur les droits de l’Homme, c’est parce que je voulais pointer ce qui me semble quelque chose d’assez nouveau, à savoirl’instrumentalisation d’un discours qui, aujourd’hui, fonctionnedans l’opinion mondiale comme indicateur d’un certain nombre de références en termes de valeur, l’instrumentalisation de ce discours pour masquer des choses. Ce n’est donc pas la négation de cediscours, ce n’est donc pas l’indifférence polie par rapport à ce discours. C’est le fait de le brandir en le faisant fonctionner dans un espace qui est efficace pour les régimes autoritaires parce qu’ils savent bien aujourd’hui, parce qu’ils ont intégré, que cet espace-làpeut fonctionner de manière complètement décorrélée desapplications. Ceci, cela ne me semble pas être récurrent. C’était juste ce point.

Frère Alain RICHARD .- Tout à l’heure, quelqu’un disait: « Il fautune formation à la non-violence ». Il y a, pour la France, laCoordination française pour la Décennie d’une culture de non-violence et de paix qui a réalisé un programme très sérieux qu’il est important de soutenir pour que ce soit enfin voté, que cela avance.

Puis, au plan international, nous espérons, lors de l’Assemblée générale de l’UNESCO de septembre, octobre 2009, parvenir à fairepasser une déclaration sur un droit à une éducation sans violence etune éducation à la non-violence.

UN INTERVENANT .- François PICART de l’ACAT.

De fait, en écoutant les différentes prises de parole ce matin, jeremarquais que, en caricaturant, au plan théorique, il y avait uncontentieux entre le témoignage chrétien et la problématique desdroits de l’Homme. En même temps, en quittant le terrain théoriqueet en regardant le terrain des pratiques, le terrain concret, leschrétiens sont présents. Ils sont présents, mais cela ne se sait pas,cela ne se voit pas.

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Dans une logique de l’enfouissement, ce n’est pas nécessairement un problème et en faisant un lien entre cet écart et en l’abordant dans une perspective de communication qui est quand mêmefondamentale si nous voulons que nos pratiques aient du sensaujourd’hui, je voudrais le rapprocher d’un des points du discours de Marc ZARROUATI sur la problématique du corps.

Car, f inalement, du point de vue de notre foi, il s’agit aussi d’inscrire très concrètement dans le corps social- je garde le mot« corps », mais je le transfère dans une problématique sociologique-, ou comment inscrire le corps du Ressuscité à travers letémoignage chrétien dans le corps de nos sociétés ?

Là, il y a un enjeu de communication qui nous est posé. Il ne suffitpas simplement de critiquer les médias. Certains font très bien leurtravail, et c’est aussi un peu facile aujourd’hui de critiquer les médias.

En revanche, et c’est là où l’initiative de Toulouse des Cercles deSilence est intéressante, cette action a communiqué, enfin a« util isé » un autre type de discours ou de communication qui aintéressé, et c’est ce que vous me répondiez, les « médias ».

On n’était plus dans le discours, on n’était plus avec desbanderoles, ils ont utilisé un symbole. Là, il me semble que pournos mouvements, pour nos Eglises - puisque nos célébrationsliturgiques ne font plus sens ; en gros, on s’ennuie dans nos célébrations liturgiques…

(Mouvement de l’assistance.)

UN INTERVENANT.- …Je suis prêtre catholique en même temps,donc...

(Rires.)

...Je vois aussi ce que l’on me dit, mais il me semble qu’il y a une vraie interpellation faite aux chrétiens et aux Eglises sur la force, ladimension symbolique de nos célébrations qui n’ont pas forcément de sens là où la société nous attend en fait.

C’est là que je suis intéressé, puisque vous êtes journaliste, maispeut-être que Marc ZARROUATI a quelque chose à ajouter.. . : tout àl’heure, Paul VALADIER nous disait que le fondement des droits del’Homme est à chercher dans une problématique corporelle. Puis,quand vous nous avez parlé de Madame NONGO, vous avez util isédes mots qui faisaient référence à son corps. Il y aurait doncquelque chose, me semble-t- il , à travailler sur ce terrain-là dans uneperspective de communication pour donner du sens à nos pratiques,puisque les théories n’intéressent plus personne.

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Pierre-Yves LE PRIOL.- Merci. Ainsi, comment rendre plus visiblel’action des chrétiens en matière de droits de l’Homme?

Peut-être que ce type d’initiatives originales, l’idée de garder le silence sur une place publique, le lieu du bruit médiatique, le lieudu tohu-bohu de la ville, peut-être qu’effectivement, pour desjournalistes, cela fait sens et cela peut attirer des caméras et desblocs-notes de journalistes.

Ainsi, peut-être y a-t-il , effectivement, d’autres moyens, des moyens innovants de communication à mettre en place pour réussir à attirerl’attention des professionnels de la communication qui sont, commevous le savez, soll icités et noyés dans un bruit global de la sociétésans doute de plus en plus assourdissant.

Marc ZARROUATI .- Il me semble, dans ce que vous dites, que vousposez également la question de la nature de la présence liturgiquedes Eglises au sein de la société et de la manière dont elles peuventrendre visible leur engagement à travers une liturgie, à travers leurspratiques, en particulier leur pratique cultuelle. Enfin, il me sembleque cela fait partie de l’ensemble de la question.

Je pense que ce point est essentiel et je crois que l’un des enjeux,en terme ecclésial , dans les années qui viennent, c’est précisément de résister à une sorte de dichotomie entre une conception de laliturgie qui reviendrait, nous allons dire, à ses fondamentaux - je nevais pas aller plus loin, nous n’avons trop le temps- et qui le feraiten renonçant, d’une certaine manière, à articuler et donc à penserd’un point de vue liturgique, l’engagement que nous manifestons aujourd’hui.

Il me semble qu’à ce type de dangers, on doit pouvoir opposer untravail liturgique qui permettrait d’articuler, dans la vie spirituelledes chrétiens, l’engagement qui est le leur aujourd’hui. Je penseque c’est l’une des réponses possibles aux contradictionsthéoriques dont vous parliez tout à l’heure, c’est-à-dire une réponsepar le biais de la pratique liturgique.

UN INTERVENANT .- André BRIGOT, Justice et Paix.

Je voudrais poser une question sur les dérives de sens ou lesglissements de sens qu’a évoqués Monsieur ZARROUATI.

Est-ce qu’il n’y a pas un changement de sens entre la défense de l’humanité dans l’homme et la défense des droits de l’Homme?Puis, est-ce que c’est exactement la même choseou est-ce qu’il n’y

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a pas un mécanisme, je dirais, d’englobement d’une notion plus classique des droits de l’Homme?

Ma seconde question est à peu près la même. Au fond, vous avezlaissé entendre que la racine anglo-saxonne renvoyait plutôt à l’idée de communauté et que « veritas », c’était la racine liée à l’Etat. Ence sens, est-ce qu’il n’y a pas un risque que la tradition des droits de l’Homme, qui est une grande critique contre l’Etat, ne devienne pas, dans la société contemporaine, une critique contre l’Etat au bénéfice des communautés au lieu d’une demande à l’Etat derespecter les droits de l’Homme, ou, si l’on veut, l’Humanité dans les droits de l’Homme?

Marc ZARROUATI .- Je vais répondre à la deuxième question, nonpas parce que c’est la seule dont je me rappelle, mais parce que jene suis pas sûr de pouvoir répondre à la première ou, en tout cas,d’avoir des choses intéressantes à dire.

Concernant la seconde question, je n’oppose absolument pas la communauté à l’Etat. Ce sur quoi je voulais insister en mettant en avant l’opposition entre « veritas » et « truth », c’est l’antériorité d’une conception par rapport à l’autre.

Dans le monde romain où « veritas » se constitue, la pérennisationde la société ne fait pas problème. Le problème de la Vérité –et jepourrais citer le plus grand penseur sur cette question qui est, àmon avis, Hannah Arendt - va être construit, forgé dans l’univers romain à partir du problème de l’autorité, qui est effectivement unenotion, pour le coup, tout à fait romaine dont on ne trouve pasd’équivalent chez les Grecs.

Qui porte cette autorité ? Cette autorité est portée par uneinstitution qui en est dépositaire et qui est garante de la pérennitéde la société.

Sauf que ceci, cela fonctionne dans une société qui existe déjà ; etce que met en exergue Desmond TUTU, en mettant en avant lasignification saxonne « the thruth », c’est le fait que dans une société qui est à reconstruire, il n’existe pas d’institution susceptible de porter cette vérité « veritas ». Il y a donc lieu,d’abord, de faire un travail pour reforger cette communauté et letravail de vérité mis en œuvre dans la Commission « Vérité etréconcil iation » a cet objectif-là. Il ne s’agit donc pas de le concevoir comme exclusif de la « veritas », il s’agit de le voir comme préliminaire, comme essentiel antérieurement. Voilà l’objet de l’opposition.

Je ne fais donc pas du tout, du tout, d’opposition entre communauté et Etat, mais j’ai plutôt essayé de montrer que la notion même deVérité ne fonctionnait pas de la même manière dans ces corps

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sociaux parce qu’il y en a un quiest déjà constitué et qui, donc,peut effectivement se doter d’institutions auxquelles il fait confiance, et il y a un autre corps social qui est en constitution etdans lequel la confiance elle-même est à construire.

UN INTERVENANT .- Jean-Maurice VERDIER, membre de l’ACAT Paris XVIIe .

J’ai trouvé le discours de MarcZARROUATI, peut-être, parmoments, un petit peu attristant.

Le recours à l’idée de droits de l’Hommesert à beaucoup de chosesactuellement. Personnellement, je suis juriste et nous n’avons pasdu tout évoqué un domaine où le nombre des violations des droitsde l’Homme est le plus grand: celui du travail , des relations dutravail .

Le nombre de personnes qui travaillent dans des conditionsindignes, qui ne sont pas compatibles avec leur dignité, estconsidérable.

Or, il y a eu, à cet égard, un grand progrès dans les tribunauxmêmes, si on les saisit. Il faut pouvoir les saisir, c’est vrai.

Je prends un exemple très simple : si un licenciement est fondé surune discrimination qui porte atteinte à la dignité de la personne,plutôt qu’une indemnité, la réparation pour le travailleur sera lemaintien dans l’emploi, le droit à être réintégré, à conserver l’emploi. Il y a une différence considérable. Vous voyez que c’est un progrès assez limité, mais.. .

Actuellement, les juristes élargissent la notion, ils parlent beaucoupde droits fondamentaux de la personne, pas seulement de droits del’Homme. C’est un peu plus large, mais c’est la même idée de base. Voilà ce que je voulais dire.

Puis, je me permets de rappeler quand même que la notion même dedroits de l’Homme est apparue chez les grands jésuites espagnolsau moment de la conquête des Amériques. MOLINA, SUAREZ, cesont eux. Ensuite, des juristes européens ou autres ont repris l’idée,mais les inventeurs presque, je dirais les pionniers, ce sont desjésuites, et ils l’ont appliquée en faveur des missions de jésuites chez les Indiens en Amérique latine.

Pierre-Yves LE PRIOL.- Tout à l’heure, Marc ZARROUATI aégalement parlé de l’origine partiel le, pour partie chrétienne, dumouvement des droits de l’Homme.

Je sais qu’il y a d’autres volontés d’intervention, mais le présidentd’honneur a la parole finale.

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Marc ZARROUATI .- Merci.

Sur la question de l’histoire et de la fil iation et généalogie desdroits de l’Homme, je pense que c’est un petit plus compliqué. Il est possible, à mon avis, de retracer différentes filiations et qui,finalement, convergent à certains moments et divergent à d’autres.Je pense que nous n’avons pas trop le temps de rentrer dans cedétail-là.

Je voudrais répondre à la première question et je crois que je peuxconfesser qu’effectivement, mon approche n’est pas du tout une approche juridique, et je comprends parfaitement que vous ne voussoyez pas retrouvé dans un certain nombre de choses que j’ai pu dire.

Je voudrais saluer ce que vous venez de dire parce que, finalement,ce que vous venez de dire et ce qu’ont dit plusieurs personnes qui se sont exprimées depuis tout à l’heurecontrebalance ce que j’ai dit, et c’est très bien.

Effectivement, je n’ai pas insisté sur toute la force, sur toute l’efficace des pactes et conventions juridiques qui fonctionnent dans des environnements intégrés. L’Union européenne, par exemple, est aujourd’hui un environnement juridique intégré. Tousles jours, un certain nombre de directives et de réglementationssont produites qui, effectivement, sont en conformité avec les droitsde l’Homme et qui font évoluer, progressivement, les mentalités.C’est vrai. C’est vrai, mon propos n’était pas d’insister là-dessus, unpeu dans une optique de décryptage, mais vous avez raison, je nepeux pas dire autre chose que : « Vous avez raison ».

Je crois quand même que cet environnement juridique intégré estlocal et que, dès que l’on sort d’environnements juridiques intégréscomme celui de l’Union européenne, on se retrouve dans une forme de jungle dans laquelle le problème, le rapport aux droits del’Homme doit être repensé– là, pour le coup, c’est vraiment une position, on peut tout à fait ne pas être d’accord -, à mon avis, àpartir de la catégorie du politique.

Je crois que ce qu’il se passe aujourd’hui au niveau de la Courpénale internationale, ainsi que de l’instrumentalisation dont elle est l’objet, montre bien que dans le droit international, l’idée d’un droit éthéré qui fonctionnerait au-delà du politique et qui seraitaffranchi des déterminants politiques est, à mon avis, une illusion.

Ceci dit, je salue votre remarque et je pense qu’effectivement, celacontrebalance heureusement ce que j’ai dit.

Pierre-Yves LE PRIOL.- Merci à tous. Merci de vosapplaudissements pour nos intervenants.

(Applaudissements.)