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64 AVENUE GABRIEL PERI 91600 SAVIGNY SUR ORGE - 01 69 21 84 65 MAI/JUIN 14 Bimestriel Surface approx. (cm²) : 2626 N° de page : 30-34 Page 1/5 JACOB2 5013320400509/GNN/OTO/3 Eléments de recherche : *** DONNER LA PAGE ENTIERE ET LES DOSSIERS ENTIERS*** EDITIONS ODILE JACOB ou ODILE JACOB : maison d'édition à Paris 5ème, toutes citations Partie 1/2 ut* Catherine Rioult Psychologue ancienne, osychanalyste et docteur en psychopathologie clinique Universite Pans 7 Ils se scarifient ou ils écrivent ? Les scarifications sont un phénomène en nette augmentation depuis une dizaine d'années, selon les professionnels de santé. Elles touchent particulièrement les jeunes entre 12 et 20 ans et traduisent leur mal-être. Qu'est-ce qui pousse un adolescent à s'entailler la peau avec un objet tranchant ? Que cherche-t-il à exprimer ? Comment l'aider à cesser cette pratique ? Pourquoi certains adolescents éprouvent-ils le besoin d'entailler leur corps? M on experience clinique auprès d'adoles- cents scarifiants m'a amenée a faire l'hypo- thèse que les scarifications seraient « une pseudo écriture » Ma pratique de thérapeute m'a convaincue qu'il est possible d'aider l'adolescent a changer de support, a écrire sur du papier plutôt que sur son corps Bien sûr, il ne s'agit pas seulement d'un simple chan- gement de support maîs d'un veritable travail d'éla- boration et de symbolisation Ce passage s'effectue dans le cadre du transfert analytique Le corps sacrifié Pourquoi certains adolescents éprouvent-ils le besoin d'entailler leur corps 7 ll n'y a pas de réponse toute faite car l'histoire de chaque adolescent est singu- lière Le passage du corps d enfant au corps d'adulte ne se fait pas sans heurts On peut même dire que le corps est la cible principale du mal-être adolescent La période pubertaire, avec les sécrétions hormo- nales, joue un rôle fondamental dans les troubles Elle entraîne la transformation corporelle, source d'angoisse pour le jeune qui n'a pas encore appri- voise son nouveau corps En effet, perdre son corps d'enfant, c'est perdre la securite d'un corps que l'on connaît, un corps sous la protection des parents De nombreuses questions traversent alors l'ado- lescent a propos de son corps « est-ce le mien ? », « ne suis-je pas dans la peau d'un autre 7 », « mon corps va-t-il ressembler au corps de mon pere (ou de ma mere) 7 » Ces interrogations expliquent, pour une part, l'importance des preoccupations narcissiques qui s'avèrent tres vives L'adolescent se sent peu incarne et fragilise ll est dans une quête éperdue de protec- tion, d'amour et de reconnaissance Cette attente entraîne parfois des attitudes de repli sur soi, d'ex- trême timidité ou au contraire des comportements d'agressivité a l'égard de ses parents Probablement, son image du corps n'a-t-elle pas ete suffisamment soutenue durant ses premieres annees De plus, l'adolescent a généralement du mal a trou- ver sa place aussi bien dans sa famille que dans la societe ll est mal avec lui-même et avec les autres, maîs il ne sait pas comment le dire ll a du mal a s'exprimer par le langage L'adolescent est en effet particulièrement démuni des mots qui lui permettraient d'exprimer verbale- ment son mal-être corporel Alors quand il ressent de la douleur a l'intérieur de lui-même, comme il n'a pas les mots pour la dire, il « parle » avec des gestes, avec des actes Le moment ou il recoure aux scarifications correspond a un moment d'envahisse- ment pulsionnel qu il n'arrive pas a nommer et qui déclenche de l'angoisse Sa pensée est alors inhibée, tout ce qui est de l'ordre du psychique reste vain Son corps en ebullition déborde, il tente de le maî- triser ll passe a l'acte ll attaque son corps Le clivage sensoriel psyché/soma Ce que disent, en psychothérapie les adolescents qui se scarifient nous en apprend beaucoup sur le rapport qu'ils entretiennent avec leur corps, un corps dont la dimension psychique semble souvent inexistante, un corps-objet plutôt C'est dans la toute prime enfance que cette articula- tion corps et psyche se construit Les relations entre la mere (ou les proches) et le bebe s impriment dans ses premieres expériences sensorielles Le bebe n a pas encore les moyens de comprendre le monde ll a besoin de la psyche d'un autre pour

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ut*

Catherine Rioult

Psychologue ancienne,

osychanalyste et docteur

en psychopathologie

clinique Universite

Pans 7

Ils se scarifientou ils écrivent ?Les scarifications sont un phénomène en nette augmentation depuis une dizained'années, selon les professionnels de santé. Elles touchent particulièrement les jeunesentre 12 et 20 ans et traduisent leur mal-être.Qu'est-ce qui pousse un adolescent à s'entailler la peau avec un objet tranchant ?Que cherche-t-il à exprimer ? Comment l'aider à cesser cette pratique ?

Pourquoi certains

adolescents

éprouvent-ils le

besoin d'entailler

leur corps?

Mon experience clinique auprès d'adoles-cents scarifiants m'a amenée a faire l'hypo-thèse que les scarifications seraient « une

pseudo écriture » Ma pratique de thérapeute m'aconvaincue qu'il est possible d'aider l'adolescent achanger de support, a écrire sur du papier plutôtque sur son corpsBien sûr, il ne s'agit pas seulement d'un simple chan-gement de support maîs d'un veritable travail d'éla-boration et de symbolisation Ce passage s'effectuedans le cadre du transfert analytique

Le corps sacrifiéPourquoi certains adolescents éprouvent-ils le besoind'entailler leur corps 7 ll n'y a pas de réponse toutefaite car l'histoire de chaque adolescent est singu-lièreLe passage du corps d enfant au corps d'adulte nese fait pas sans heurts On peut même dire que lecorps est la cible principale du mal-être adolescentLa période pubertaire, avec les sécrétions hormo-nales, joue un rôle fondamental dans les troublesElle entraîne la transformation corporelle, sourced'angoisse pour le jeune qui n'a pas encore appri-voise son nouveau corps En effet, perdre son corpsd'enfant, c'est perdre la securite d'un corps que l'onconnaît, un corps sous la protection des parentsDe nombreuses questions traversent alors l'ado-lescent a propos de son corps « est-ce le mien ? »,« ne suis-je pas dans la peau d'un autre 7 », « moncorps va-t-il ressembler au corps de mon pere (ou dema mere) 7 »Ces interrogations expliquent, pour une part,l'importance des preoccupations narcissiques quis'avèrent tres vives L'adolescent se sent peu incarneet fragilise ll est dans une quête éperdue de protec-

tion, d'amour et de reconnaissance Cette attenteentraîne parfois des attitudes de repli sur soi, d'ex-trême timidité ou au contraire des comportementsd'agressivité a l'égard de ses parents Probablement,son image du corps n'a-t-elle pas ete suffisammentsoutenue durant ses premieres anneesDe plus, l'adolescent a généralement du mal a trou-ver sa place aussi bien dans sa famille que dans lasociete ll est mal avec lui-même et avec les autres,maîs il ne sait pas comment le dire ll a du mal as'exprimer par le langageL'adolescent est en effet particulièrement démunides mots qui lui permettraient d'exprimer verbale-ment son mal-être corporel Alors quand il ressentde la douleur a l'intérieur de lui-même, comme iln'a pas les mots pour la dire, il « parle » avec desgestes, avec des actes Le moment ou il recoure auxscarifications correspond a un moment d'envahisse-ment pulsionnel qu il n'arrive pas a nommer et quidéclenche de l'angoisse Sa pensée est alors inhibée,tout ce qui est de l'ordre du psychique reste vainSon corps en ebullition déborde, il tente de le maî-triser ll passe a l'acte ll attaque son corps

Le clivage sensoriel psyché/somaCe que disent, en psychothérapie les adolescentsqui se scarifient nous en apprend beaucoup surle rapport qu'ils entretiennent avec leur corps, uncorps dont la dimension psychique semble souventinexistante, un corps-objet plutôtC'est dans la toute prime enfance que cette articula-tion corps et psyche se construit Les relations entrela mere (ou les proches) et le bebe s impriment dansses premieres expériences sensoriellesLe bebe n a pas encore les moyens de comprendrele monde ll a besoin de la psyche d'un autre pour

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construire la sienne S'il n'est pas suffisamrnent accompagne, confronte a des perceplions nouvelles, il peut les vivre douloureuse-ment et les transformer en source d'angoisseLe visage de sa mere est son premier miroir llrenvoie a l'enfant une immense quantite designes que celui-ci va décoder interpréter etimiter C'est ce moment qu'on nomme le stadedu miroir (entre 6 et 18 mois) a partir duquel ilva constituer son moi autonome Dans I inter-action avec sa mère qui le nomme et nommeles parties de son corps « ceci est ton nez, tamam », l'enfant peut reconnaître son corpsunifie « dans et par le regard de I autre »De même sa mere en le désignant « tu este fils de », I inscrit dans sa famille et dansle monde C est tout ce cheminement, cettequalite d'attachement a la mere ainsi que lesinteractions de l'enfant avec les autres qui vontcreer ou non pour lui une securite affectiveL'articulation entre les besoins du nourrisson etles capacites de sa mere a y répondre ne sontpas innées ll faut qu il y ait un ajustement depart et d'autre, ce qui prend du temps Quandles reponses maternelles ne satisfont pas lesbesoins de I enfant, il en est fragilise La plu-part du temps, cette fragilisation s estompeEn effet, l'enfant en grandissant trouve cer-tains points d appui psychologiques qui vont,en quelque sorte, compenser ses difficultés dudepart La fragilisation originelle ne disparaîtpas pour autant et ressurgit parfois dans descirconstances particulièresPar rapport à la question des scarificationscela explique qu'en effet tous les adolescentsne s'entaillent pasL'adolescence est un moment particulier debascule ou tout de sa vie est revisite par lejeune C'est, bien évidemment le plus souventa son insuC'est alors que certains attaquent parfois leurpeau, leur corps

Tentative de créationd'une peau psychique

Les adolescents qui se scarifient racontentressentir un veritable apaisement apres leurgeste Ils se sentent « plus vivant » Aupara-vant, ne le sentaient-ils pas7

Nous savons que les pensées s'enracinent dansle corps grâce aux éprouves corporels, senso-riels et émotionnels On peut dire que les ado-lescents qui souffrent psychiquement tententde se soustraire a leurs pensées négatives en se« coupant » de leur corps et de leurs penséesIls agissent dans la réalité de leur corps en s'at-taquant a leur peau, organe vital et sans lequelon ne peut pas vivre La preuve en est l'ex-pression « tenir a sa peau » qui signifie tenira la vie La peau, en effet, constitue la limite

Adolescentsentre l'intérieur et l'extérieur du corps maîsen même temps elle les unit également Leconcept du « Moi-peau » développe par DidierAnzieu exprime bien le fait que cette peau esttotalement reliée a l'appareil psychiqueChez I adolescent scarif iant qui a eu descarences dans ses relations très précoces, lapeau ou même l'enveloppe psychique ne rem-plit pas sa fonction de filtre ll est dans l'impos-sibihte de faire le tri entre toutes les stimulationsqui lui viennent de l'extérieur Certaines sontpositives, d'autres pas ll n arrive pas a penseret se laisse envahir par ce qui est néfaste pourlui Parallèlement, des stimulations lui viennentdu monde interne avec lesquelles il n'est pasforcement plus a l'aiseL'adolescent, en portant atteinte a sa peau,croît s attaquer a la surface de lui-même maîs,en fait c'est à lui, en profondeur, qu il voudraitaccéder et peut-être transformerLa coupure de la peau donne une limite aucorps et instaure des reperes internes Grâce ala sensation de la douleur physique, elle peutapaiser le sentiment flou, impalpable et nonnommable que ressent lejeune En effet, l'ado-lescent prefere souffrir physiquement plutôtque psychiquement, la douleur liee a l'entailleI y aide Le sentiment d insécurité qu'il ressent,par la sensation de cette souffrance, s'apaiseLacte de scarification lui devient nécessaireet permet de diminuer le débordement pul-sionnel , il sert donc a compenser le défautde constitution du « Moi-peau » Ladolescentdéveloppe donc, en s'entaillant, une strategiepour pallier cette défaillance et retrouver unlien entre son corps et sa psyche ll se sent plusvivant maîs cela ne dure pas ll est toujoursoblige de renouveler l'opération pour éloignerI angoisse

L'écriture adolescenteUn grand nombre de raisons différentesconduisent un adolescent a se scarifier, maîscette pratique ne suffit pourtant pas a fairedisparaître la souffrance qu'il éprouve Mal-gre leur effet cathartique, malgre la protectionqu elles représentent contre l'envahissementpar les excitations extérieures, les scarificationsrestent impuissantes L'adolescent opere undeplacement de son angoisse sur son corps enI attaquant et il croît ainsi résoudre son conflitLes apports de l'anthropologie ont permisde comprendre que les scarifications danscertaines societes, sont une écriture dans lesens d une trace instituée, compréhensiblepar les initiés au premier coup d oeil Cetteforme d écriture a pour fonction d être unesignature, une carte d'identité qui permetl'affiliation a un groupe ou I integration à unecommunaute Dans la quête identitaire des

Libris

Ados :scarification etguérison par l'écritureCatherine RioultOdile Jacob

2013-267 p.

Car s'il a toujours existe, le geste sca-rificateur est devenu aujourd'hui,dans l'Occident moderne, uneconduite a risque s'affichant deplus en plus sur Internet et lessites d'adolescents en souffranceQuelles en sont les causes 7 Com-ment comprendre celui qui s'yadonne et comment l'aider a s'ensortir ? Croisant une approche psychanalytique et sa grande expe-rience de terrain pour repondreà toutes ces questions, CatherineRioult ouvre aussi une nouvellepiste thérapeutique pour cespatients • s'exprimer sur le papierpeut apaiser l'irrépressible besoind'écrire sur sa peau

L'adolescentface a son eon

L'adolescentface à son corpsAnnie BirrauxAlbin Michel

2013-320 p.

En plaçant le corps au centre de laproblématique adolescente, AnnieBirraux, psychiatre et psychana-lyste, donne des cles essentiellespour déchiffrer cette mue qui ouvrela voie a la rencontre de l'autreDe la fetichisation (tatouages,piercings) a la desaffection ducorps (anorexie), elie expose etexplique les strategies défensivesmises en place par l'adolescentpour admettre un corps etrangerqu'il peut vivre parfois comme unemenace identitaire

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Ils se scarifientou ils écrivent?

La scarification

exerce la même

fonction que

l'écriture, à savoir

faire sortir à

l'extérieur une

pulsion agressive

débordante, une

façon d'extérioriser

sa souffrance

I Smg E (1976) Ft/e nageai jusqu a lapage Pans Éditions desfemmes

adolescents, c'est la place symbolique dans leur filia-tion et leur inscription dans le lien social qui sontinterrogesAlors, pourquoi associer scarif ications et écri-ture aujourd'hui ? L'expérience clinique du travailavec de nombreux adolescents m'a permis d appré-hender dans leur acte d'entaille, l'amorce d'uneécriture en attente d'être lue que ces jeunes offrentaux autres C'est la premiere phase d un processusqui va de I écriture sur le corps a l'écriture sur lepapier La scarification exerce la même fonction quel'écriture, à savoir faire sortir à I extérieur une pul-sion agressive débordante une façon d'extériorisersa souffrance « ll faut faire sortir le ma! » disent-ilset ils ajoutent « apres ça fait du bien »On peut parler de « catharsis graphique » car cetteécriture permet de décharger le trop-plein d émo-tion Cette mise à distance le libere d un poids,d une douleur parfois difficilement surmontableLe désir d'écriture qui apparaît souvent a l'adoles-cence aide a franchir ce moment périlleux Entre12 et 18 ans, nombreux sont les jeunes garçons oules jeunes filles qui éprouvent le besoin de tracerquèlques lignes sur une page blanche, une lettrea leur amoureux(se), ecrite avec rage et passionpour être aussitôt déchirée, par exemple Leur envied écrire provient aussi de leurs rapports complexesavec les autres parents, copains, enseignants etaussi rapport a la societe Ils expriment dans leurstextes leur sentiment d'insécurité, leur mal de vivreC'est l'occasion pour eux de se questionner sur unavenir precaire et leur difficulté a se projeter dansun avenir social Ils tentent aussi de faire part de leurtrouble devant leurs transformations pubertaires etles reponses au fameux « qui suis-je ~> » Par l'écri-ture, ils tentent d'exprimer qu'ils ont l'impressiond être exclus et ce qu'ils ont au fond du coeurLe journal intime (sur papier ou dans un blog) estrédige d'abord pour soi, pour se souvenir, pour separler a soi-même, et, en même temps, il s'adressea d'autres L'adolescent, en effet, y écrit ce qu'il nepeut pas toujours dire aux autres et e est souventquand il ne peut pas parler qu il écrit C'est parfoisla meilleure façon d'exprimer clairement ce qui sepasse en lui, quand la parole lui fait défaut Ce qu'il aécrit dans le journal est la, livre sans gêne, sans cen-sure, les mots sont libérateurs car ils lui permettentd evacuer sa peine ou son agressivitéDans leurs textes les adolescents expriment leurspeurs, leurs souffrances maîs aussi leurs espoirs Ilscritiquent souvent leurs parents ou ils leur adressentdes reproches Certains s'inventent une famille ll yest beaucoup question de leur apparence corporelleet de leur crainte de ne pas ètre séduisant de ne pasavoir d amis, de relations sexuelles D autres encore yconfient leur admiration pour tel ou tel personnageD'où I importance des journaux intimes, blogsParadoxalement nombre d'entre ceux qui se seanfient écrivent Pourtant, cette dimension de l'écri-ture expulsive ne suffit pas puisqu'ils continuent ase scarifier L écriture sur le papier soulage, elle per-

met parfois de différer le geste scarificatoire maîsne réussit pas a l'empêcher En fait, e est commes'ils parlaient a quelqu un qui ne leur répondait pasL'écriture au moment de l'adolescence peut jouer lerôle de « pare-excitations » et donner corps au texteécrit L'adolescent a besoin d'adresser ses mots, ilvise un destinataire a sa souffrance et l'effet théra-peutique ne pourra être apporte que par le psycho-logue, lecteur privilégie de ses textes

VignetteLes parents de S (17 ans) ont pris rendez-vous avecmoi sur les conseils du psychiatre de leur fille a causedes scarifications fréquentes qu elle pratique sur soncorps Elle m'explique « je me mutile quand je suischez moi et que j en ai marre trop de pensées dansma tête »Elle a une grande soeur qui est partie de la maisonet un petit frere avec lequel elle ne s'entend pasJ'apprendrais plus tard que S ne va pas bien depuisquèlques années Elle décrit ses parents « maladesphysiquement et psychiquement », son pere estalcoolique et sa mere dépressiveElle dit ne plus supporter cette situation Elle sesent tres seule et pas soutenue De son enfance,elle retient un lien assez fort à sa mere malgre despériodes d'absence psychique de celle-ciElle est en terminale et dit qu elle a des amies aulycee C'est lorsqu elle est chez elle qu'elle com-mence a avoir des idees noires Alors pour supportertout cela, elle se scarifie « Je me coupe jusqu a res-sentir du soulagement Cela me permet de trouverle sommeil car sinon je pense a la vie trop difficile »Elle écrit sur son blog personnel que volontairementelle ne diffuse pas en ligne Elle dit n écrire que pourelle Lorsqu'elle avait commence a écrire son journalintime sur un cahier, sa mere l'avait découvert etI avait lu S s était sentie trahie et en avait ete profondement blessée Elle ajoute qu'elle relit réguliè-rement son journalII y a quinze jours, elle a fait une tentative de suicideelle a pris les medicaments de son pere Elle a eteadmise aux urgences de l'hôpital ou elle est restéequèlques heures « En fait quand ça suffit pas [lesscarifications] alors je dois passer a autre chose, ilfaut que ça s'arrête »

Le psychothérapeuteen « Champollion »

Si l'adolescent écrit seul on pourrait dire que cetteforme d écriture tourne a vide L'adolescent noircitune page blanche ou tape sur un clavier Les motsécrits viennent combler un sentiment de vide et celareactive le processus douloureux en l'entretenant oumême reactivant le conflit psychique L'adolescentest maintenu dans un enfermement imaginaire oule rapport a la réalité est défaillantToutes les productions psychiques de I adolescentsont a considérer comme un materiel precieux que

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ce soit ses paroles ou, pour ce qui nous concerne,ses écrits Grâce au psychologue qui occupe, pourlui, la fonction de tiers et de lecteur, un travail d'éla-boration psychique et une veritable écriture pourrasurvenirLe psychologue peut lire les écrits du patient aucours de la séance Par leurs échanges, dans cetaller-retour écriture/parole de l'adolescent et du psy-chologue, le passage de « l'archaïque » au « sym-bolique » devient possible En écrivant, grâce autransfert, c'est tout un processus de pensée quel'adolescent met en place ll rassemble les pieces dupuzzle de son histoire Ainsi, dans cette écriture, laseparation s'exerce par la projection hors du sujet,sur le papier, de ces idees insupportables La feuillede papier est alors comme une aire de transition, unsupport ou s'inscrivent certains elements importantspour la personne De plus, la lecture a voix hauteadressée a un lecteur, le psychothérapeute, confirmece mouvement du dedans vers le dehors Le papiersymbolise bien les processus a l'œuvre dans cettedemarche inconsciente ll ne s agit pas d'une projection seulement expulsiveL'écriture a une autre conséquence qui tient a lalevée du refoulement ll devient possible pour lesujet, grâce a elle, d'écarter durablement de sonpsychisme les pensées ou les souvenirs douloureux

Lors d'un vécu traumatique, le travail d'écriture etde verbalisation permet alors a l'adolescent de relierses pensées et ses emotions a travers le récit qu'ilfait Ce travail de liaison émotion-pensée constituele processus de symbolisation « tisse » avec l'aide dupsychothérapeute En effet, a partir de ses associa-tions d'idées, le patient, peut lire des elements deson histoire avec une grille de lecture différente decelle qu'il avait auparavant ll peut enfin abandon-ner les représentations négatives, culpabilisantesqu'il s'était forge Comme le précise Élisabeth Smg ,« L'écriture, essentiellement réparatrice d'une bles-sure ancienne, aide a traverser la vie » Ce travail desymbolisation dénoue les conflits internes, repare lesblessures anciennes, « recolle » le sujet a lui-même

A la fin du premier entretien, j 'ai demande a S d'es-

sayer d'écrire au moment ou elle sentait sa detresseinterieure Au lieu de prendre un cutter, elle pourraittapoter sur le davier de l'ordinateur pour écrire cequ'elle ressentait Si elle n'y parvenait pas, il valaitmieux alors qu'elle se scarifie plutôt que de prendredes medicaments Je lui ai explique que nous travail-lerions ensemble sur ce qui pouvait se passer pourelle a ce moment-la et sur son besoin impérieux defaire cesser sa souffrance Nous avons prévu d'enreparler la semaine suivante

Lejournal intime

(sur papier ou dans

un blog) est réd lge

d'abord pour soi,

pour se souvenir,

pour se parler à

soi-même, et, en

même temps, il

s'adresse à d'autres

L'adolescent, en

effet, y écrit ce q u'11

ne peut pas toujours

dire aux autres et

c'est souvent quand

il ne peut pas parler

qu'il écrit

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Agenda22 et 23 mai 2014 - Rennes

Violences, risqueset transgressions

Réflexionspsycho-criminologiques

sur les pratiques sociales,éducatives et judiciaires

14" journées d'étudeinternationales

Autour de l'œuvred'Anne-Marie Favard

Ces journees d'étude ont pour objectifde mettre en lumiere la mise en pratique de methodes dans les champssocio-éducatif et judiciaire, en abordantles notions de violences, de risques etconduites transgressives Anne-MarieFavard, de par ses travaux, contribue audeveloppement de mesures alternativesd'accompagnement se retrouvant dansdivers domaines tels que la maltrai-tance, les problématiques addictives,ou encore les risques psychosociauxSes reflexions, prenant appui sur lespratiques de terrain, ont permis d'opti-miser ou d'adapter dè nouveaux instru-ments au regard des mutations socie-tales, questionnant ainsi l'évolution desmodalités de prises en charge avec lesouhait de conserver le lien socialQuels impacts ont les alliances professionnelles sur la prise en charge de cesconduites7 Quels sont les besoins desprofessionnels aujourd'hui ' Dans quellemesure leurs pratiques repondent desevolutions sociopolitiques ~> Quels sontles retentissements de ces pratiques ausem des institutions, tant au niveau desprofessionnels que des usagers ~> ,

^AvecJ Castagnede, P Charrier,D Denvois, E Dieu, J El Mechaly,M -M Fernagut, B Gaillard, A Gaillard,A Hirschelmann, C -E Laguerre,E Le Bezvoet, C Le Bodic, J Motte ditFalisse, V Moulin, O Sorel, H Spnez,L M Villenoy, E Zmsstag Jj

Renseignements et inscription •Institut de Criminologieet Sciences HumainesAEPCVR2Universite Rennes 2 - Haute BretagnePlace du Recteur Henri Le Moal35043 Rennes Cedexaepcvr2@gmail comhttp //aepcvr2 wordpress com/

S s'est mise a m'apporter ses textes Au début,je les ai lus seule devant elle Puis, elle a acceptede les lire a haute voix C'est alors que toute ladureté que je percevais dans son regard m'estapparue comme une tres grande sensibilitéElle s'est mise a pleurer et a parler de son senti-ment de ne pas être aimée, de sa colere contresa mere qui ne la protégeait pas de la violencede son pere Ses textes étaient des poèmesadresses au monde et a la societe Elle aexprime sa colere contre ses parents Elle a peua peu pris conscience qu'elle restait fixée dansle manque de relation affective chaleureuseavec sa mere Dans ses textes, elle exprime celaet, tout en la rejetant, lui demande de l'amourElle peut formuler la douleur qu'elle a ressentiea cause de la presence en pointillé de sa mere,ce qui a laisse des traces toujours tres vivesAu bout de quèlques semaines, elle m'annoncequ'elle a arrête de se scarifier Elle continuede souffrir maîs commence a trouver en elle-même la façon de s'approprier une securiteaffective S m'adressait une forte demande decohérence psychique ce que sa mere n'avaitpas pu lui donner Grâce a mon regard et amon ecoute, elle a pu se reassurer narœsique-ment et investir la réalité sociale, sans y laissersa peau

ConclusionLors des entretiens avec les scarifiants, le psy-chologue occupe une place particulière delecteur des marques que les adolescents fontsur leur corps Les interlocuteurs mettent enmots ces pratiques de scarifications Au fil desséances, une histoire se raconte les affectsfinissent par être nommes La verbalisationeclaire peu a peu l'adolescent et l'amené aune lecture de ses scarifications C'est dans cemoment d'écoute et d'attention que naît latransformation des entailles sur la peau en écri-ture sur le papier Line fois le geste consommeet avec l'aide du psychothérapeute, lejeunepeut en dire autre chose Si l'affect est fixe,épingle, garde en memoire par la pulsion sca-rifiante, c'est la lecture par le duo adolescent-psychothérapeute qui en constitue le récitC'est ainsi que les adolescents peuventprendre un peu de distance par rapport a leurvécu et mettre en forme leur experience Cette« écriture sur le corps » en attente d'être lueconstitue bien la face noble, inconsciente maîsréelle de la pratique des scarifiants Une réalitéque la pratique de nombreuses psychothera-pies, individuelles ou en groupe m'a amenée aprendre en compte Plaçant le psychologue enposition de Champollion déchiffrant ces hié-roglyphes affectifs, entre plaisir et souffrance,cette réalité est a mi-chemin du pour soi et dupour l'autre

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