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70 e anniversaire Fin de la 2 e Guerre mondiale Libération des camps 75 e anniversaire Action d’Aristides de Sousa Mendes Appel du Général Charles de Gaulle

75 e anniversaire - sousamendes.org · moration de la libération du camp d’Auschwitz et de la journée des génocides. Celle-ci corres - pondait aux attentes du projet pédagogique

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70e anniversaireFin de la 2e Guerre mondialeLibération des camps

75e anniversaireAction d’Aristides de Sousa MendesAppel du Général Charles de Gaulle

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Photos de couverture, de gauche à droite et de haut en bas : Bernard Lhoumeau, Panama productions, famille SousaMendes, D. R., famille Sousa Mendes, B. Lhoumeau, id., D. R., D. R., B. Lhoumeau, D. R., id., B. Lhoumeau, id., id.

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70e anniversaireFin de la 2e Guerre mondialeLibération des camps

75e anniversaireAction d’Aristides de Sousa MendesAppel du Général Charles de Gaulle

Recueil des interventions et conférences en hommage

au 75e anniversaire de l’action d’Aristides de Sousa Mendes

réalisé par le Comité national français en hommage à Aristides de Sousa Mendes

sous la direction de Manuel Dias Vaz

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2015 est l’année du 75e anniversaire de l’Appeldu 18 juin 1940, du général de Gaulle, à la résis-tance contre l’occupation de la France par lestroupes allemandes du IIIe Reich.

Le comité national français en hommage àAristides de Sousa Mendes, a programmé diffé-rentes manifestations à l’occasion de ce 75e anni-versaire de l’action humaniste de sauvetage de30000 réfugiés, juifs, chrétiens, communistes ou

apatrides, dans le sud-ouest de la France dans unmoment tragique de l’histoire de l’Europe, en 1940.

Ces manifestations et cérémonies, s’inscri-vent dans le cadre des commémorations du 75e

anniversaire de juin 1940.Elles ont reçu le soutien des autorités fran-

çaises, ministère de la Culture, préfet de Région,DRAC Aquitaine ; des autorités portugaises ; duconseil régional d’Aquitaine ; du conseil départe-

75e anniversaire de l’action héroïque du consul du Portugal, Aristides de Sousa Mendes, à Bordeaux, Bayonne et Hendaye en 1940

2 2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES

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mental de la Gironde ; des consulats générauxd’Allemagne, du Portugal et d’Espagne ; des col-lectivités territoriales et de nombreuses associa-tions et institutions culturelles ou éducatives quiont décidé d’unir leurs compétences afin de faireconnaître et partager ces pages de l’histoire duXXe siècle aux jeunes et au grand public et defaire vivre et défendre les valeurs universellesdes droits de l’homme, de la liberté d’expressionet de conscience.

Dans ce cadre, le comité national français enhommage à Aristides de Sousa Mendes considèreles interventions pédagogiques auprès des jeuneset adolescents, dans les collèges et lycées de larégion Aquitaine et en France, comme une prio-rité.

Les principales manifestations ont été desrencontres et hommages dans des lycées enFrance et au Portugal, des conférences etcommémorations :

13 avril, à Bayonne, en présence de Mes-sieurs Jean-René Etchegaray, maire de Bayonne,João Lourenço, président du Comité Sousa Men-des, et Gérald Mendes, petit-fils d’Aristides et An-gelina de Sousa Mendes.

27 mai, musée d’Aquitaine, Bordeaux, confé-rences de Messieurs Manuel Dias Vaz, vice-pré-sident du Comité, Jean-Louis Nembrini, histo-rien, ancien recteur de l’académie de Bordeaux,inspecteur général du ministère de l’Éducationnationale, ancien président – pour la partie fran-çaise – du conseil scientifique du manuel d’his-toire franco-allemand, et Alain Ruiz, professeurémérite d’études germaniques, université Michelde Montaigne, Bordeaux 3.

Les 17 et 18 juin, à Bordeaux, les commémo-rations et les conférences de Madame Anne-Marie Cocula et de Monsieur Manuel Dias Vaz, àl’occasion des anniversaires de l’Appel du géné-ral de Gaulle et de l’action d’Aristides de SousaMendes – sous l’autorité du préfet.

18 septembre, Archives départementales dela Gironde, Bordeaux, dans le cadre des Journéesdu Patrimoine conférences Les réfugiés espagnolssauvés par Aristides de Sousa Mendes et Le rôle dudiplomate espagnol Eduardo Propper de Callejon ;projection du film Désobéir.

25 septembre, Hendaye et frontière franco-espagnole, inauguration d’une pierre à la mé-moire de Sousa Mendes et des réfugiés, puis confé-rence de Monsieur Manuel Dias Vaz Hendaye aucours de l’histoire, frontière de la liberté.

Du 3 au 9 octobre, Oloron-Sainte-Marie, ma-nifestions à la mémoire d’Aristides de Sousa Men-des ; conférence Les réfugiés au Portugal durant laSeconde Guerre mondiale, par Monsieur ManuelDias Vaz ; projection du film Désobéir ; présenta-tion de l’exposition Aristides de Sousa Mendes, leJuste d’Aquitaine.

4 octobre, musée d’Aquitaine, Bordeaux, pro-jection du film Désobéir, suivi d’une conférencedans le cadre de Mémoire en images.

30 octobre, Rocher de Palmer, Cenon, confé-rence de Messieurs Gérard Boulanger et ManuelDias Vaz, Le procès disciplinaire et la condamna-tion d’Aristides de Sousa Mendes par le dictateurSalazar ; projection du film Désobéir, et la présen-tation de l’exposition Aristides de Sousa Mendes,le Juste d’Aquitaine.

12 novembre, Boulevard des Potes, Bordeaux,conférence de Monsieur Manuel Dias Vaz, Bor-deaux 1940, l’action du consul Aristides de SousaMendes.

30 novembre, Rocher de Palmer, Cenon, ex-position et conférence de Monsieur Manuel DiasVaz, Les apports de l’immigration portugaise àBordeaux et en Aquitaine.

2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES 3

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Introduction ...................................................................................................................................... 2

Interventions pédagogiquesLa rencontre d’un Juste avec des lycéens de l’Ort de Villiers-le-Bel ....................................................... 6Disputation au Lycée Saint-Joseph de Tivoli, Bordeaux ...................................................................... 8Hommage à Aristides de Sousa Mendes des lycéens de Carregal do Sal, Portugal ............................... 9

Inauguration de la rue Aristides de Sousa Mendes Bayonne, 13 avril 2015

JEAN-RENÉ ETCHEGARAYDiscours d’inauguration .................................................................................................................. 10

JOÃO LOURENÇODiscours d’inauguration .................................................................................................................. 12

GÉRALD MENDESGérald Mendes lit un extrait du témoignage de son père Louis-Philippe ............................................. 14

Conférences Bordeaux, musée d’Aquitaine, 27 mai 2015

MANUEL DIAS VAZDes Allemands sauvés par Sousa Mendes ........................................................................................ 16

JEAN-LOUIS NEMBRINITransmettre les valeurs civiques dans la France d’aujourd’hui .......................................................... 18

ALAIN RUIZComme le consul Aristides de Sousa Mendes à Bordeaux en 1940 : désobéir par devoir d’humanité ... 26

Messe Bordeaux, église Saint-Louis des Chartrons, 13 avril 2015

JEAN-MARIE LE VERTMesse à la mémoire d’Aristides de Sousa Mendes ............................................................................. 34

Conférences Bordeaux, 17 et 18 juin 2015

MANUEL DIAS VAZConférence d’Anne-Marie Cocula ..................................................................................................... 37Juin 1940 à Bordeaux et en Aquitaine .............................................................................................. 39

Conférences Bordeaux, archives départementales de la Gironde, 18 septembre 2015

MANUEL DIAS VAZManifestation en hommage à Aristides de Sousa Mendes ................................................................. 41

MATTHIEU TROUVÉLa France et les pays ibériques : une mise en perspective historique (1939-1940) ............................... 43

DAVID ALLEREduardo Propper de Callejón : l’œuvre humanitaire d’un Juste dans la France occupée ...................... 51

Sommaire

4 2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES

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MANUEL DIAS VAZLes tragédies de 1939 et 1940, les Espagnols sauvés par Aristides de Sousa Mendes et Émile Guissou à Bordeaux, Bayonne et Toulouse ..................................................................... 57

Commémorations Hendaye, 25 septembre 2015

KOTTE ECENARROHommage de la ville d’Hendaye à Aristides de Sousa Mendes .......................................................... 61

MANUEL DIAS VAZDiscours à l’occasion de l’inauguration de la pierre à la mémoire d’Aristides de Sousa Mendes ......... 62

GÉRALD MENDESInauguration de la pierre souvenir sur le pont Hendaye Irun ........................................................... 63

CHRISTELLE CAZALISIntroduction à la conférence sur les frontières .................................................................................. 65

MANUEL DIAS VAZConférence sur les frontières ............................................................................................................ 67

Conférence Oloron-Sainte-Marie, 3 octobre 2015

MANUEL DIAS VAZLe Portugal de Salazar durant la Seconde Guerre mondiale, 1939-1945 ............................................. 71

Projections Film Désobéir ................................................................................................................................ 75

Conférences Cenon, Rocher de Palmer, 30 octobre 2015

MANUEL DIAS VAZManifestation à Cenon, au Rocher de Palmer : conférences, projection de film et exposition ............... 77Le contexte d’octobre 1940 en Europe ............................................................................................... 78Communication de Maître Gérard Boulanger ................................................................................... 80

AnnexesExtrait du texte de la circulaire no 14, du 11 novembre 1939 .............................................................. 81Extrait de la note de culpabilité sur Aristides de Sousa Mendes ........................................................ 81Réponse d’Aristides de Sousa Mendes à la note de culpabilité de Francisco Paula Brito Junior .......... 82Conclusion d’Aristides de Sousa Mendes à la note de culpabilité ....................................................... 83Courrier du comité français Sousa Mendes à Madame Fleur Pellerin ............................................... 84Réponse du Ministère de la Culture et de la Communication ............................................................ 87Courrier du Cabinet du Secrétaire d’État auprès du Ministre de la Défense chargé des Anciens Combattants et de la Mémoire ...................................................................... 88

Remerciements ................................................................................................................................ 89

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6 2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES

SAMÉRA COSTA LYCÉE DE L’ORT, PARIS, JUIN 2015

CETTE belle « rencontre » a pu avoir lieu grâceà divers concours de circonstances…

C’est tout d’abord une première rencontre enjuin 2014 qui est à l’origine de ce projet, s’inté-grant au projet d’établissement de l’Ort deVilliers-le-Bel, une rencontre entre un professeurde Lettres de l’Ort , Mme Saméra Costa et l’un desmembres du comité national français en hom-mage à Aristides de Sousa Mendes M. AntonioAmorim. Très vite, il est apparu comme une évi-dence que ces jeunes lycéens, de confessionjuive en majorité, devaient découvrir cette figured’un Juste par le biais de l’exposition qui lui a étéconsacrée en 2005, exposition organisée par leComité national. Ensuite ce fut la présentationde ce projet à l’équipe pédagogique dès juillet2014 pour le mettre en place pour la rentrée 2014-2015, équipe enthousiaste car pour la plupart deses membres la « rencontre » avec Aristides deSousa Mendes constituait aussi une découverte.Enfin, l’ultime rencontre avec Manuel Dias, l’undes initiateurs de l’exposition et président duComité qui est allé jusqu’à donner de sa per-sonne puisqu’il a accepté généreusement de par-

ticiper à une conférence au sein du lycée pourprésenter, redonner vie à ce Juste et d’échangeravec ces adolescents.

Ainsi c’est par le biais de cette exposition queles lycéens de l’Ort ont pu étoffer leurs connais-sances autour de la thématique de la Shoahpuisque celle-ci s’est déroulée durant la commé-moration de la libération du camp d’Auschwitzet de la journée des génocides. Celle-ci corres-pondait aux attentes du projet pédagogique del’établissement, en particulier autour de trois deses axes :

– transmission et savoir,– vivre ensemble,– identité juive.

Ces trois axes ont pour objectif de transmettrele devoir de mémoire de cette période de l’his-toire, symbole de la barbarie humaine, tout enpermettant à ces élèves de s’ouvrir aux autresmais, aussi, de s’interroger sur les liens entre leshommes.

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La rencontre d’un Juste avec des lycéens de l’Ort de Villiers-le-Bel

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2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES 7

LA RENCONTRE D’UN JUSTE AVEC DES LYCÉENS DE L’ORT DE VILLIERS-LE-BEL

CEPROJET a également permis à nos élèves depremière de pouvoir bénéficier de fonds du

mémorial de la Shoah, à hauteur de 40% parélève , afin d’effectuer un voyage en Pologne surles traces des victimes de la barbarie et de la folienazie dans les camps, témoins silencieux et ré-ceptacles involontaires de ce génocide. Ce voyagese déroule chaque année, et, chaque annéel’équipe pédagogique se doit d’innover, d’aborderdifféremment cet acte de devoir de mémoire.Pour l’année 2014-2015, le thème choisi a été lesJustes avec un éclairage justifié sur Aristides deSousa Mendes, Juste parmi les Nations.

LA VENUE de M. Manuel Dias a coïncidé avec une situation particulière, que traversait la

France suite aux attentats du mois de janvier2015, touchant de plein fouet la communautéjuive et plongeant ces adolescents dans des inter-rogations légitimes. M. Dias a su les rassurer, leurdonner de l’espoir, transmettre une belle leçond’humanité en leur rappelant que Sousa Mendesa fait partie de ces hommes « debout », « porteurde lumière » pour ceux poursuivis, harcelés parla barbarie.

Ce Juste parmi les Nations ne pouvait doncque « rencontrer » les lycéens de l’Ort puisquedéjà en son temps, il représentait et défendait lesvaleurs prônées dans le projet d’établissement.

LUSOJORNAL, 18 FÉVRIER 2015.

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8 2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES

JEAN-LUC AMIET LYCÉE SAINT-JOSEPH DE TIVOLI, BORDEAUX

LES UNIVERSITAIRES du Moyen âge avaient l’ha-bitude de débattre des questions impor-

tantes lors de « disputations » où les points de vueétaient abordés sans réserves. La pédagogie igna-tienne, c’est-à-dire celle dont s’inspirent tous lespersonnels éducatifs des établissements sous tu-telle jésuite, ont gardé cet exercice en l’adaptantaux élèves de notre temps.

Chaque année, après une initiation en classede première, les élèves de terminale, durant unedemi-journée, se livrent à cet exercice qui se dé-roule de la façon suivante ; plusieurs conféren-ciers présentent dans un premier temps leurpoint de vue sur une question précise. En 2015,le sujet était «Obéissance et désobéissance ».

Nous avions invité, à cette occasion, trois per-sonnes qui, de par leur expérience, pouvaientnous aider à réfléchir sur cette question impor-tante.

Le premier intervenant fut le père SébastienVast, jésuite. Il a abordé la question sous l’anglespirituel, dans une perspective chrétienne.

Puis nous avons eu le colonel Lherbette, ancienpilote de l’armée de l’air, qui nous a introduitdans l’obéissance militaire et nous a présenté lescas de conscience où l’on pouvait désobéir.

Enfin nous avons eu la chance d’avoir parminous Manuel Dias Vaz qui a fait découvrir, à

celles et ceux qui ne le connaissaient pas etmieux comprendre aux autres, la personnalitéd’Aristides de Sousa Mendes, consul du Portugalà Bordeaux pendant la Seconde Guerre mondialeet dont le courage, au nom d’une certaine visionde l’Être Humain, et au nom de sa foi chrétienne,a permis à de nombreux Juifs de fuir la Franceoccupée par les nazis, pour échapper à leur ex-termination programmée par Hitler, uniquementparce qu’ils étaient juifs. Il a désobéi au pouvoirpolitique de son pays, mais il a suivi saconscience. Il a été reconnu Juste parmi lesNations par l’État d’Israël.

Merci à Manuel Dias d’avoir donné ce témoi-gnage qui a laissé des traces parmi les élèves etles adultes présents ce jour-là, mais aussi ungrand merci à l’ensemble des intervenants.

Après le temps des conférences et des ques-tions, les jeunes ont été répartis en équipes avecdeux questions à débattre, contradictoirement : 1) l’École ne nous demande-t-elle que d’obéir ? 2) peut-on désobéir à sa conscience ?

La journée s’est terminée par une finale entreles meilleurs débatteurs, suivie d’une remise detrophée. Un grand moment de formation hu-maine.

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Un grand moment pour les élèves de terminale du lycée Saint-Joseph de Tivoli

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2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES 9

MANUEL DIAS VAZ BORDEAUX, 24 ET 25 SEPTEMBRE 2015

LES 24 et 25 septembre 2015, 46 élèves et six professeurs des Agrupamentos scolaires du

conseil de Carregal do Sal, au Portugal, ont renduhommage au consul de Bordeaux, Aristides deSousa Mendes. Cette initiative s’inscrit dans lesprojets pédagogiques des Devoirs de mémoire etles Chemins de la mémoire du comité national fran-çais en hommage à Aristides de Sousa Mendes.

Les élèves et les enseignants ont été reçus le25 septembre sur l’esplanade Charles-de-Gaulle

de Mériadeck, à Bordeaux, devant le buste enhommage à Aristides de Sousa Mendes parMadame Rita Ramos, représentante du consulatdu Portugal à Bordeaux et Monsieur Manuel DiasVaz, vice-président du Comité.

Les participants ont ensuite été reçus auconsulat général du Portugal à Bordeaux par laconsule, Madame Ana Filomena Rocha, où uncocktail buffet leur a été servi.

LUSOJORNAL, 7 OCTOBRE 2015.

Hommage à Aristides de Sousa Mendes des élèves du lycée de Carregal do Sal

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IL Y A trois ans, la ville de Bayonne rendaithommage à Aristides de Sousa Mendes,

consul du Portugal à Bordeaux en 1940, en appo-sant une plaque commémorative au numéro 8de la rue du Pilori, à l’entrée de l’ancien consulatdu Portugal à Bayonne. Aujourd’hui, la ville deBayonne lui dédie officiellement une rue, situéeau cœur du centre ancien, dans l’îlot de laMonnaie en cours de réhabilitation. Bayonnesouligne ainsi l’importance de ce grand person-nage au destin international qui a marqué l’his-toire du XXe siècle par son action humaniste et derésistance pendant la Seconde Guerre mondiale.

Il fait partie du patrimoine immatériel deBayonne, ville d’art et d’histoire, au titre desgrands hommes et femmes. À l’occasion du 75e

anniversaire de l’action du consul, la ville se de-vait de répondre favorablement aux sollicitationsdu comité national français en hommage à Aris-tides de Sousa Mendes. Aussi a-t-il été décidé deconsacrer à l’action du consul l’un des tempsforts de la programmation Ville d’art et d’histoire :un Patrimoine raconté du 15 au 19 avril.

L’action de Sousa Mendes en 1940

Né en 1885 au Portugal, Aristides de SousaMendes est consul à Bordeaux lors de la débâcle

10 2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES

*Maire de Bayonne, président du conseil des élus du Pays Basque

JEAN-RENÉ ETCHEGARAY* BAYONNE, 13 AVRIL 2015

Inauguration de la rue Aristides de Sousa Mendes à Bayonne

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2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES 11

INAUGURATION DE LA RUE ARISTIDES DE SOUSA MENDES À BAYONNE

de 1940. Devant l’afflux de dizaines de milliersde réfugiés, il décide de désobéir aux ordres deSalazar et délivre, dès le 16 juin 1940, des visas àtous les réfugiés qui en font la demande.

Malgré les poursuites lancées à son encontredepuis le Portugal, Sousa Mendes poursuit sonaction à Bayonne. Du 20 au 22 juin 1940, installé8 rue du Pilori dans le bureau du vice-consul duPortugal, il installe une chaise et une table aupied de l’immeuble et continue de tamponner etsigner de nombreux passeports.

Sur la route d’Hendaye, ignorant la conven-tion d’armistice et les ordres de l’occupant, il

continue de délivrer les précieux visas à tous lesréfugiés qu’il croise à l’approche de la frontière.

EN NEUF jours, Aristides de Sousa Mendes,grand humaniste, Juste parmi les Nations et

résistant a sauvé plus de 30000 personnes dont10000 de confession juive.

Juste parmi les Nations

En 1966, Aristides de Sousa Mendes reçoit cethommage à titre posthume. Il est délivré par lemémorial israélien de la Shoah, à Jérusalem, quia reçu la mission de rendre hommage, au nomdu peuple juif, à ses sauveurs, promus Justesparmi les Nations lorsqu’ils sont identifiés.

EXPOSITION SOUSA MENDES, LE JUSTE D’AQUITAINE, DANS LES RUES DE LA VILLE. (CL. VILLE DE BAYONNE).

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12 2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES

JOÃO LOURENÇO BAYONNE, 8 RUE DU PILORI, 13 AVRIL 2015

COMME vous le savez, la ville de Bayonne etcette région, ont été directement concer-

nées par le courageux geste de désobéissance deSousa Mendes durant la tragédie du début de laSeconde Guerre mondiale.

En réalité, Aristides de Sousa Mendes a osé,en juin 1940, non seulement ne pas respecter,mais transgresser en pleine dictature, un ordreémanant de Salazar, pour obéir à un impératif desa conscience, arrachant et sauvant des griffesd’Hitler quelques milliers de persécutés, d’oppo-sants au régime nazi et beaucoup de Juifs.

Pour cela, il a été jugé et condamné le 30 oc-tobre 1940 par Salazar et son régime.

Il est mort le 3 avril 1954, pauvre et souffrantd’une grande douleur physique et morale.

MAIS, qu’a donc fait cet homme à Bordeaux,Bayonne et Hendaye ?

C’est à Bordeaux, en juin 1940, en pleineSeconde Guerre mondiale, que la Républiquea été assassinée.C’est aussi à Bordeaux que Vichy et la collabo-ration ont commencé. Et c’est finalement à Bordeaux qu’Aristides deSousa Mendes s’est vu confronté au délicat di-lemme d’« obéissance » ou de «désobéissance ».

Rappelons-nous :– le 14 juin 1940, Paris est occupée par lestroupes nazies ;– le gouvernement de la France s’est installéà Bordeaux – on estime à plus de dix millionsle nombre de réfugiés déplacés et persécutésqui erraient à travers la France, venant detoute l’Europe ;– Bordeaux est passée, durant cette période,de 240 mille habitants à près de 900 mille.

Tout ce monde – hommes, femmes et en-fants – venant de partout, se trouvait coincé dansle sud-ouest de la France, et tous savaient que,avec la reddition et l’armistice, il ne leur restaitqu’une porte de sortie pour échapper auxtroupes d’Hitler.

Cette porte était le Portugal, en transitant parl’Espagne.

Or l’Espagne était gouvernée par Franco etsortait d’une atroce guerre civile qui lui a coutéCl

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Discours d’inauguration de la rue Aristides de Sousa Mendes

Monsieur le Maire, Mesdames et Messieurs, en ma qualité de président du comité national fran-çais en hommage à Aristides de Sousa Mendes, je commence par remercier et féliciter la ville deBayonne pour cet acte de justice, honorant la «mémoire d’un Juste parmi les Nations » accom-plissant, par la même occasion, un devoir de mémoire.

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un demi-million de vies humaines et donc, nepouvait et ne voulait pas recevoir ces réfugiés.

Le Portugal, étant un pays neutre gouvernépar Salazar, ne voulait pas contrarier Hitler etson régime.

EN PRÉVISION d’une entrée massive de réfu-giés, Salazar a envoyé une circulaire*, le 11

novembre 1939, interdisant aux ambassades etconsulats de concéder des visas sans consulterau préalable les services du ministère desAffaires étrangères et la police politique (PIDE).

Le consulat de Bordeaux était littéralementenvahi par les réfugiés.

Les 14, 15 et 16 juin 1940, Sousa Mendes setrouvait dans un état de prostration et d’impuis-sance totale devant la tragédie à laquelle il assis-tait. Il attendait un signe, une inspiration, unévénement, quelque chose qui l’aiderait àprendre la décision de donner, finalement, desvisas à tous ces réfugiés.

CET ÉVÈNEMENT est survenu le 17 juin 1940 : le maréchal Pétain, qui venait de prendre le

pouvoir, jugeant l’armée française impuissanteface au potentiel des troupes allemandes, a de-mandé à l’ennemi, dans une allocution à la radio,le cesser le feu et de déposer les armes.

Par ce geste, Pétain a été condamné par la jus-tice des hommes et par l’histoire de l’Humanité.

Ce même jour, le général de Gaulle, n’accep-tant pas la décision, commet un acte de rébellion,abandonne le Gouvernement et part deMérignac vers Londres où le lendemain, le 18juin, il prononce le célèbre Appel à la résistance.

Par ce geste, de Gaulle a été loué et honorépar la justice des hommes et par l’histoire del’Humanité.

Aussi ce même jour, 17 juin 1940, sachant ceque représentaient pour cette foule le cesser lefeu et l’armistice, le consul Sousa Mendes prenddéfinitivement la décision de désobéir aux ordres

de son gouvernement, ordres qu’il jugeaitiniques, injustes et inhumains.

Par ce geste Sousa Mendes a été condamnépar la justice des hommes puis considéré, aujour-d’hui, héros et exemple pour l’histoire de l’Huma-nité.

Il a donc donné des visas, gratuitement, à tousceux qui le demandaient, à Bordeaux, Bayonne,Hendaye et Toulouse.

LAVILLE de Bordeaux a été bombardée par l’avia-tion allemande dans la nuit du 19 au 20 juin.

Puisqu’il n’y avait plus de réfugiés à Bordeauxen raison de la présence des troupes allemandes,Sousa Mendes s’est déplacé, ici au consulat deBayonne, rue du Pilori. Il ordonne au consul deBayonne de délivrer des visas gratuitement àtoute personne qui le demanderait, et, donne lesmêmes instructions au vice-consul de Toulouse.

ÀLA FRONTIÈRE franco-espagnole, les autorités ont mis en cause la validité des visas. Alors,

Sousa Mendes s’est déplacé à la frontière garan-tissant leurs authenticités.

Salazar, informé de ces irrégularités, insistaitpour qu’il regagne immédiatement le Portugal.

Quand les Allemands s’approchaient deBayonne, Sousa Mendes a alors accepté de rega-gner le Portugal.

Il a été jugé et condamné pour désobéissance.

AVEC son courageux acte de désobéissance, Sousa Mendes a détruit sa carrière profes-

sionnelle et anéanti sa vie familiale.Ses 14 enfants ont été obligés d’abandonner le

pays et de chercher ailleurs une nouvelle vie. Ruiné, sans espoir et discrédité, voici l’héri-

tage que Sousa Mendes a laissé à ses 14 enfants :

« J’ai reçu de mes parents un nom propre ethonorable. Il m’appartient de le transmettreà mes enfants, intègre, tel que je l’ai hérité ».

* Voir annexes.

2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES 13

DISCOURS D’INAUGURATION DE LA RUE ARISTIDES DE SOUSA MENDES

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14 2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES

GÉRALD MENDES BAYONNE, 13 AVRIL 2015

Extrait des mémoires de papa (1987)

Après les jours agonisants de Bordeaux, mes pa-rents sont venus nous retrouver au domaine familial.La famille était à nouveau réunie. Il y avait avecnous deux ou trois familles de réfugiés de Belgiquequi, comme plusieurs, n’auraient normalement paseu droit au visa. Peu de temps après, une annoncevint de Lisbonne attestant que mon père avait été

congédié suite à ses actions de Bordeaux. Nousétions tous impressionnés, solidaires et fiers de lui etde notre mère.

De 1940 à 1945 nous sommes restés dans notremaison de campagne, espérant la fin de la guerre etla réintégration de notre père. Étant tellementanxieux de voir progresser les forces alliées vers lavictoire, deux de mes frères (Sebastian et Carlos) s’en-gagèrent dans les forces armées américano-britan-niques en Angleterre.

C’est durant ces années que j’ai le mieux connumon père. De lui, j’ai reçu un inestimable complé-ment à mon éducation classique incluant l’histoireet les mathématiques.

Papa affichait toujours un fort degré d’optimismeet il était certain qu’après la victoire, le Gouverne-ment réviserait son cas. Il espérait que Salazar, alorsministre des Affaires externes, reconnaîtrait le côtéhumanitaire de son geste plutôt que d’y voir un actePHILIP MENDES, 1967. (CL. FAMILLE SOUSA MENDES).

Gérald Mendes lit un extrait du témoignage de son père Louis-Philippe

Bonjour. Je suis le fils de Louis-Philippe, qui était l’avant dernier des enfants d’Angelina etAristides de Sousa Mendes. Il avait 12 ans au moment des faits à Bordeaux et Bayonne en juin1940. Je n’ai pas connu mon grand-père Aristides qui est décédé en 1954. Il était né en juillet 1885,peu après son jumeau César. Les deux ont fait des études en droit et sont par la suite entrés dansla carrière diplomatique.Marié à Angelina en 1909, ils ont eu 14 enfants. Ils vivront plutôt heureux au fil d’une carrièrequi les amènera dans plusieurs pays ; Zanzibar, Brésil, États Unis, Belgique et enfin à Bordeauxen 1938, alors que les nuages de plus en plus sombres du nazisme s’installaient sur l’Europe.Tandis qu’Aristides occupait le poste de consul général à Bordeaux César était, quant à lui, am-bassadeur à Varsovie, et témoin en première ligne du ghetto et des atrocités qui y étaient com-mises contre les Juifs. Aussi, quand tous ces réfugiés ont déferlé à Bordeaux et à Bayonne,Aristides savait déjà, par son frère, ce qui attendait tous ces gens s’ils tombaient aux mains desSS allemands. Et c’est ainsi qu’Aristides décida, avec ma grand-mère Angelina, d’émettre tousces visas en désobéissance à la circulaire no 14, pour sauver tous ces gens.

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de défiance. Il ne perdit pas espoir – malgré les refusrépétés de Salazar qui était également Premier mi-nistre et qui scella le destin de mon père.

Mais c’est à la fin de la guerre que mes parentssouffrirent le plus. Leurs santés se détérioraient ra-pidement. L’anxiété et le désespoir leur brisaient lecœur tandis que les conditions de vie matérielles em-piraient d’année en année, puis de mois en mois. Ily en eut très peu, parmi les anciens collègues profes-sionnels ou amis et parents, qui leur tendirent lamain en guise d’aide ou de compassion. Aucontraire, les blâmes et les sarcasmes n’étaient pasrares, venant parfois même de très proches parents.Maman et Papa souffrirent tous les deux dans la so-litude au fur et à mesure que la famille se dispersait.

À la fin de la guerre, j’ai travaillé comme secré-taire pour mon père. J’avais appris la dactylo etj’écrivais ses lettres au Gouvernement, aux membresde l’Assemblée nationale, au corps diplomatique deLisbonne, aux dirigeants supérieurs de l’église catho-lique et à nombre de personnalités proches de Sala-zar, pour instamment leur demander support etinfluence afin d’amener Salazar à adoucir ses posi-tions. Je l’accompagnais quand il était reçu par lesmembres du corps diplomatique qui étaient polimentattentifs à ses requêtes. Mais en vain. Le roc était in-ébranlable… Et notre espoir se dissipa… De plus, àmesure que la santé de mes parents déclinait, j’agis-sais en tant qu’infirmier sous les conseils de leur mé-decin. J’ai fait tout ceci avec amour et dévotion.Maman mourut en 1948 et Papa en 1954.

Suite au décès de ma mère et avec les encourage-ments de mon père, je suis venu au Canada pour re-faire ma vie. Une ancienne connaissance, Monsei-gneur Alphonse-Marie Parent, alors secrétaire géné-ral et plus tard recteur de l’université Laval, m’offritson aide pour me permettre de suivre un cours d’in-génieur. J’ai donc navigué jusqu’à Montréal, sur uncargo, en octobre 1948. Me séparer de mon père futune expérience des plus douloureuses, surtoutlorsque je le vis se retourner… J’ai continué à corres-pondre avec lui jusqu’à sa mort.

Jusqu’à ses derniers jours, il resta fidèle à sesidées, sans jamais regretter ses actes altruistes. Untrait révélateur de sa personnalité fut qu’il refusa ab-solument toute compensation financière de la partdes réfugiés demandant asile au Portugal. Il restainflexible sur ce point.

Dans son ultime combat pour sa réinsertion, ilnous demanda à chacun de faire connaître un jourla vérité sur la façon noble et généreuse dont lePortugal avait accueilli les milliers de réfugiés enjuin-juillet 1940, résultant de son geste et en défianceaux ordres d’un homme insensible et sans cœur, d’undictateur sur les traces d’Hitler, de Mussolini, deFranco.

Les réfugiés furent très bien reçus par lesPortugais dans toutes les villes et villages. Chacunfaisant de son mieux pour les aider et les accueillir,ce qui fut bénéfique pour la reconnaissance du payspar la suite et ce qui valut au Portugal d’être acclaméinternationalement…

Mais le geste de mon père restait inconnu dupeuple portugais et de la plupart des réfugiés qui neréalisaient pas ce drame qui se déroulait pourAristides et sa famille.

Pour moi, et pour chacun de mes frères et sœurs,il est un héros, une personne dont je souhaite suivrel’exemple toute ma vie… Et je suis débordant d’émo-tions quand je parle de lui à mes enfants, jeunesadultes d’aujourd’hui. Puisse le sacrifice de ce véri-table fidalgo portugais leur être une source d’inspi-ration, tout comme il l’est pour moi.

Au Canada, je suis devenu ingénieur. Je me suismarié et, ensemble, avec mon épouse Ruth nousavons élevé une famille de trois enfants, une fille etdeux garçons, jeunes professionnels aujourd’hui.

Nous sommes tous enthousiastes et heureuxd’être invités à participer aux cérémonies de réinté-gration posthume et de remise de médaille par lePrésident, Dr Mario Soares, qui se tiendront àWashington DC, le 19 mai prochain [1987].

2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES 15

GÉRALD MENDES LIT UN EXTRAIT DU TÉMOIGNAGE DE SON PÈRE LOUIS-PHILIPPE

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MANUEL DIAS VAZ BORDEAUX, MUSÉE D’AQUITAINE, 27 MAI 2015

LE COMITÉ national français en hommage àAristides de Sousa Mendes et le consulat gé-

néral d’Allemagne à Bordeaux ont organisé uneconférence sur la désobéissance comme acte derésistance.

Ont participé à cette conférence :M. Hans-Werner Bussmann, consul générald’Allemagne à Bordeaux ;M. Manuel Dias Vaz, sociologue, président duRahmi, vice-président du comité françaisSousa Mendes.

M. Jean-Louis Nembrini, historien, ancienrecteur, inspecteur général du ministère del’Éducation nationale ;M. Alain Ruiz, historien, professeur émérite àl’université de Bordeaux ;

Cette conférence a permis de rappeler legrand nombre d’Allemands et d’Autrichiens(près de six mille) opposés à Hitler qui ont étésauvés en 1940 à Bordeaux par le consul Aristidesde Sousa Mendes.

Le consul général d’Allemagne a signalé quel’Allemagne a tenté d’assumer avec courage lesconséquences de la tragédie de la SecondeGuerre mondiale. Il a abordé les questions dudroit de désobéissance, du devoir de conscience– introduits en 1968 dans le constitution alle-mande au nom des valeurs d’éthique et de la mo-rale – et l’importance pour tout citoyen de jouirde son droit et de son esprit critique.

CETTE conférence a coïncidé à la grande ma-nifestation nationale d’entrée au Panthéon

de quatre figures de la Résistance :Germaine Tillon ;Geneviève de Gaulle-Anthonioz ;Jean Zay ;Pierre Brossolette.Le président de la république française, Fran-

çois Hollande, a appelé dans son discours au de-voir de vigilance et de résistance face au racisme.

Rendre hommage à nos Justes et à nosRésistants est une manière de faire vivre les va-leurs de la République.Cl

. B. L

houm

eau

Des Allemands sauvés par le consul Sousa Mendes

À l’occasion du 75e anniversaire de l’action héroïque du consul du Portugal, Aristides de SousaMendes, en juin 1940, et du 70e anniversaire de la libération des camps de la mort et de la fin dela guerre 1939-1945.

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2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES 17

DES ALLEMANDS SAUVÉS PAR LE CONSUL SOUSA MENDES

PAGE DU REGISTRE DES VISAS DU CONSULAT DU PORTUGAL À BORDEAUX, 1940.

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Transmettre ces valeurs pour former le citoyen aujourd’hui en France

FORMER le citoyen était le projet des précur-seurs de l’instruction publique dès le XVIIIe

siècle (Condorcet) mis en œuvre avec un succèsdevenu mythique par Jules Ferry et ses succes-seurs : dès l’origine l’école et la République ontété associées dans la même conception de la ci-toyenneté.

Former le citoyen par l’assimilation des prin-cipes fondamentaux dans le cadre de la laïcité, cettemission de l’École demeure constitutive de l’iden-tité française et un puissant moteur d’intégration.

L’accord est quasi général sur l’échiquier po-litique et dans le pays en France sur l’idée quel’école institue la République, même si au fil desdécennies l’expression du message politique, etau delà l’action pédagogique, sont devenus pluscomplexes dans une société où l’école précisé-ment a parfaitement réussi à élever le niveau deculture des citoyens et leur capacité critique. La« fonction enseignante nécessaire et primordiale »2 dela République demeure néanmoins.

Au sein du système éducatif lui-même leschoses s’avèrent moins lisibles avec la multipli-cation des missions : il faut transmettre des sa-voirs en formant à la fois une élite et la masse

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* Ancien administrateur provisoire de l’Université de Bordeaux, ancien président, pour la partie française, du conseil scientifiquedu manuel d’histoire franco-allemand.

1. Chirac, Discours relatif au respect du principe de laïcité dans la République française. 17 décembre 2003.2. Claude Nicolet, L’idée républicaine en France, Paris, Gallimard, 1982

JEAN-LOUIS NEMBRINI* BORDEAUX, MUSÉE D’AQUITAINE, 27 MAI 2015

Transmettre les valeurs civiques dans la France d’aujourd’hui

Je vous remercie vivement de m’avoir invité à participer à ce colloque.La critique de Salazar à son consul de Bordeaux – « il a osé mettre ses impératifs de conscience audelà de ses obligations de fonctionnaire » – sonne aujourd’hui comme le plus beau des compliments.Les impératifs de conscience d’Aristides de Sousa Mendes n’étaient rien d’autre que les valeursconsacrées par les Lumières en France et en Europe et transcrites dans la déclaration d’indépen-dance des États Unis en 1776, puis dans la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen en1789 dont j’aime relire l’article 2 : « le but de toute association politique est la conservation des droitsnaturels de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, la résistance à l’oppression ».Porteur avec d’autres héros anonymes du fardeau de la liberté et des droits de l’Homme bafoués,Aristides de Sousa Mendes a été nommé Juste parmi les Nations en 1966. Justes qui, «bravant lesrisques encourus, ils ont incarnés l’honneur de la France, les valeurs de Justice, de tolérance, d’huma-nité » comme le rappelle en reconnaissance la plaque apposée au Panthéon le 18 janvier 2007.Aujourd’hui justement entrent au Panthéon d’autres héros de la résistance à la barbarie :Germaine Tillon, Geneviève De Gaulle Anthonioz, Pierre Brossolette et Jean Zay.Nous voici donc placés sous le signe du combat pour le triomphe des valeurs essentielles… Notrerôle aujourd’hui est d’éduquer à ces valeurs que sont le droit à la vie, la liberté, la sûreté. N’est-ce pas plus nécessaire encore face à la diversité croissante des hommes et des femmes au sein denotre nation, puisque c’est cette «diversité assumée qui est au cœur de notre identité1 » ?

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des élèves dans une structure que l’on veut uni-fiée, préparer l’insertion professionnelle, édu-quer le citoyen. Des tensions existent entre cesdifférents objectifs que de nombreux éducateursvivent comme de véritables contradictions.

La tendance habituelle et convenue, dans laconscience du besoin aigu de restaurer la moralecivique, et comme pour grossir la difficulté de latâche, est de se référer au modèle de la IIIe Républi-que. En effet, dans le contexte de la défaite de1870, avec ses conséquences territoriales, les ré-publicains ont choisi de fonder sur l’École la ré-publique parlementaire : une morale nouvelle,traduction de l’idéal laïque mais aussi des valeurstraditionnelles, un patriotisme ancré au principed’une République « une et indivisible », un atta-chement à la nation et au nouveau régime, ap-puyés sur l’enseignement de l’histoire, de la géogra-phie et de l’instruction civique, mais égalementportés par les textes de lecture courante commepar les énoncés de mathématique, ont incontes-tablement réussi à installer la démocratie enFrance et à unifier le pays autour de la languefrançaise, vecteur pur des principes républicains.Le peuple français s’appropria l’idée que le pro-grès général, comme la promotion individuelle,passait par la maîtrise de la langue nationale.

On aurait cependant tort d’idéaliser l’héritageen le simplifiant et de minimiser les difficultésde « l’école de Jules Ferry » à imposer ses prin-cipes. On ne conserve en mémoire que le mythedes «hussards noirs » (Péguy) et certaines résistan-ces, notamment celles de l’Église catholique ; on

oppose volontiers une institution scolaire alorsunie à une réaction rassemblée. C’est oublier lacassure essentielle de la Guerre de 1914-1918 et lesdoutes, voire les résistances déterminées, des ins-tituteurs anciens combattants (lequel parmi euxcroyaient encore au génie humain et au progrèsinépuisable ?) ainsi que les conséquences sur lesesprits de la Révolution de 1917. C’est oublier aussique la IIIe République n’est pas la première, etque Jules Ferry, Octave Gréard ou FerdinandBuisson ne sont ni l’abbé Grégoire ni Barrère : àcôté de la « grande patrie » la République laissasciemment, sous l’influence d’instituteurs origi-naires des mêmes milieux que leurs élèves etporteurs des mêmes particularismes culturels,vivre les « petites patries3 » qui ne se sont affais-sées que lentement, au rythme séculaire de l’ur-banisation : le processus contemporain de régio-nalisation est loin d’avoir restauré les différencesqui existaient alors entre les « pays » et les dépar-tements. Il faut faire sereinement l’inventaire del’héritage.

PEUT-ON en conséquence affirmer que la dé-mocratie et la République sont plus mena-

cées aujourd’hui qu’elles ne l’étaient dans la pre-mière moitié du siècle dernier au prétexte parti-culier que mobiliser le corps enseignant autourde la mission civique de l’école est plus difficileaujourd’hui que naguère ? Quoiqu’il en soit, faceau sentiment d’insécurité et de fragilité socialeet politique l’école doit répondre au déficit res-senti du sens civique et à l’ardente demande so-ciale d’éducation qui l’accompagne, et le faire endes termes neufs dans un contexte où l’École nebénéficie plus du crédit, a priori, qui était le sien.Des enseignements sont de plus directementremis en cause…

En effet, depuis la fin de l’époque coloniale etl’effondrement de la foi positiviste, il est communé-ment admis que les universaux de la consciencehumaine se traduisent par des valeurs socialesparticulières et qu’il n’y a pas de modèle univer-sel unique d’organisation démocratique.

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TRANSMETTRE LES VALEURS CIVIQUES DANS LA FRANCE D’AUJOURD’HUI

3. Chanet Jean François, L’Ecole républicaine et les petites patries, Paris, Aubier, 1996

JEAN-LOUIS NEMBRINI. (D. R.).

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Existe-t-il alors une morale laïque supérieurequi vaille d’être enseignée à l’école ? Ne vaut-ilpas mieux faire leur juste place à toutes les cul-tures, comme on le voit pratiquer ici et là, en ra-menant de fait bien des références éthiques àdes conventions relatives ? Ces questions n’expri-ment pas seulement un relativisme culturel desurface. Elles traduisent d’abord le triomphe del’esprit critique du corps enseignant et de la so-ciété dans son ensemble mais aussi une tendan-ce lourde de notre évolution politique et sociale.Dans ce mouvement centrifuge auquel l’éduca-tion nationale n’échappe pas, et dans le contextede la construction d’un espace citoyen européen,la force démocratique et intégratrice de la nations’exprime-t-elle avec suffisamment de vigueur ?Car, face à ces évolutions qu’ils accueillent plutôtfavorablement les citoyens n’en demandent pasmoins à l’école de continuer à tracer, par ses pro-grammes, ses examens et son organisation, lesprojets éducatifs susceptibles de maintenir vi-vants le principe d’égalité républicaine (droit àla meilleure éducation pour tous les élèves) et leprincipe d’équité (différenciation des moyensselon les lieux) et de traduire plus explicitementson projet civique.

DANS la tradition française penser l’éducationcivique et penser la citoyenneté revient à

poser le problème de l’intégration à la nation. Lanation se conçoit comme un « foyer virtuel4 » deréférences communes et comme une « commu-nauté de citoyens5 ». Le concept est donc dé-pouillé de toute référence culturelle ou historiqueexclusive : il exclut radicalement le nationalismeprécisément fondé sur la volonté de faire coïnci-der une représentation de l’histoire d’un peupleavec une organisation étatique. Le concept d’in-tégration revêt quant à lui un double sens :

– celui d’une intégration par la nation de per-sonnes issues de cultures différentes et ap-pelés à devenir membres de la communauté

des citoyens et à revendiquer à ce titre l’en-semble de l’héritage national ;

– celui d’une intégration permanente des ci-toyens à la nation, objet premier de l’éduca-tion civique à l’école telle que les program-mes d’enseignement la promeuvent, et de lapolitique dans la cité.

Il s’agit, dans l’absolu respect des droits inalié-nables de l’homme, d’une intégration directed’individus, par consentement éducatif en quel-que sorte, sans préalable éventuel d’une appar-tenance communautaire (appartenance parfai-tement légitime par ailleurs et dont la fonctionidentitaire a son utilité sociale). Ce modèle ex-prime également le refus du relativisme culturelen partant de l’idée que celui-ci, par facilité in-tellectuelle ou illusion, procède d’une transposi-tion trop rapide d’une démocratie à l’autre oud’une civilisation à l’autre, d’habitudes, de règles,de principes d’organisation ou même de notions.Le relativisme culturel prive de références et cefaisant construit l’irrationnel. La place légitimeque toutes les cultures doivent acquérir dans lanation, et par extension naturelle à l’école, ne doitpas contrarier la volonté collective, non moinslégitime, de construire des repères collectifs.

Le risque pour l’éducation civique est des’égarer dans une réflexion primaire sur les va-leurs et sur la légitimité qu’il y aurait à les ensei-gner, avec cette crainte jamais éteinte depuis laGrande Guerre, de transmettre les éléments d’unemorale qui aliénerait la personne.

Un élément de réponse se trouve dans le pré-ambule la Déclaration des droits de l’homme etdu citoyen. Ce texte, trop oublié au profit des ar-ticles qu’il introduit, fait du respect de tout indi-vidu, du maintien de sa dignité et de ses droitsreconnus comme inaliénables, la condition pourque les actes du pouvoir soient acceptés : il placel’individu au centre et légitime le droit de « résis-tance à l’oppression ». Les responsables et les ac-

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JEAN-LOUIS NEMBRINI BORDEAUX, MUSÉE D’AQUITAINE, 27 MAI 2015

4. Claude Lévy-Strauss, L’identité, Paris, Grasset, 1977.5. Dominique Schnapper, La communauté des citoyens, Paris, Gallimard, 1996.

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teurs de l’éducation nationale doivent égalementfaire de ce préambule, non pas une simple réfé-rence de principe, ou un objet d’étude historique,mais une ressource essentielle établissant la lé-gitimité de l’éducation civique et de toute actionéducative.

Au fil de sa formation civique enfin, l’élèvedoit progressivement s’approprier intimementl’article 2 de la Déclaration des droits de l’hommeet du citoyen déjà cité comme l’expression dedroits fondamentaux dont le sens profond dispa-raît dès lorsqu’ils sont présentés isolément. C’esten effet principalement dans la découverte dulien subtil, et fécond pour la démocratie, entre li-berté et sûreté avec ses implications sur les com-portements que réside l’éducation civique, bienplus que dans la connaissance, bien lointainepour de jeunes enfants et adolescents, de méca-nismes administratifs et constitutionnels. De làdécoule l’approche, également essentielle, de lacomplémentarité entre les notions de libertés in-dividuelles et de libertés collectives qui rend pos-sible la perpétuation et le perfectionnement del’édifice républicain par l’expression de la volontécollective de la nation.

Ce lien fondateur entre éducation civique etdroits de l’homme doit se traduire concrètementdans l’action éducative. Il n’enferme pas la for-mation du citoyen dans le cadre exclusif de la na-tion. Bien au contraire, sa dimension universellefonde les choix républicains comme il arme lesindividus pour l’exercice de la citoyenneté àtoutes les échelles, les plus grandes comme lesplus petites : il prend ainsi en compte la décen-tralisation et la construction européenne. Les va-leurs fondamentales exprimées dans la Déclara-tion des droits de l’homme et du citoyen et laDéclaration universelle des droits de l’hommedoivent être une référence constante et précise,avec l’objectif d’une assimilation lente prenanten compte les tensions entre idéal républicain etréalités contemporaines, comme l’objectif d’unepréparation à l’exercice de la citoyenneté «dans laRépublique française, au sein de l’Europe d’aujour-d’hui et dans un monde international complexe ».

Le projet d’édifier une communauté de ci-toyens, individus abstraits d’abord définis entermes de droits et de devoirs, domine. Ainsi l’édu-cation civique n’affirme-t-elle pas la prétentiond’épuiser pas toutes les dimensions de la sociabi-lité et des relations interpersonnelles. Au planpédagogique la mise en œuvre de ce programmeimplique la formation à l’argumentation, notam-ment par la pratique du débat : faisant place auxopinions des élèves et assumant les tensionsentre les principes de la morale républicaine etla réalité vécue, l’éducation civique contempo-raine se différencie de la morale prescriptive etde l’instruction civique d’antan. Elle se situeentre deux périls : renvoyer à la morale privéeavec le risque de laisser la jeunesse livrée aux va-leurs intuitives, comme par exemple l’instinct dejustice ou d’égalité, sources de toutes les barba-ries ; forger un esprit de conformité au détrimentde l’esprit critique nécessaire au citoyen éduqué,comme à la démocratie elle-même.

L’éducation civique offre la particularité d’en-gager totalement l’éducateur : c’est parce qu’ilexiste par les valeurs qu’il professe – par un en-seignement spécifique ou par l’exemple – qu’ilpeut exercer son autorité pédagogique. Il est re-connu porteur de vérité par ses élèves mais, sim-plement citoyen et pleinement dans la cité, sonaction éducative se nourrit de ses propres convic-tions. Il est à ce titre porteur aussi des hésitationsdu monde, et de ses propres interrogations. Par lacombinaison de son attachement explicite auxprincipes et de l’expression raisonnée de sesdoutes, le professeur d’éducation civique n’édu-que pas à l’obéissance mais au consentement.

PAR SIMPLE tradition héritée des lumières (« lesavoir libère ») on réaffirmera aussi avec

force que l’instruction est éducation. C’est pour-quoi sans doute un grand nombre de pro-grammes affirment des finalités civiques, engénéral sans autre développement. «Travailler à bien penser voilà la source de la morale6 » C’est le raisonnement scientifique, la pratique docu-mentaire, la fréquentation des œuvres, etc. quiconduisent à faire la différence entre opinion et

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TRANSMETTRE LES VALEURS CIVIQUES DANS LA FRANCE D’AUJOURD’HUI

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vérité et qui fondent la capacité du citoyen à dé-battre, mais aussi son potentiel d’opposition. Lesélèves futurs citoyens ont besoin d’apprendre àdissocier dans les discours ce qui relève d’unepensée argumentée et ce qui relève de l’opinion.

L’objectif de toute formation, initiale et continue,est d’abord de rendre les professeurs conscientsque l’institution est cimentée de valeurs sur les-quelles elle se refonde continûment, sans se lais-ser intellectuellement accaparer par la logiquedu plan d’urgence : faire comprendre donc quele message civique, certes fondé sur des prin-cipes, est d’abord un acte de confiance dans lajeunesse, une transmission de responsabilités etnon de préceptes moraux plus ou moins rigides,qu’il n’est pas un avatar du conservatisme.

On ne peut opposer à cette ambition l’obs-tacle du repliement sur soi, « le crépuscule du de-voir7 » et la ruine de certains idéaux8, car si l’indi-vidualisme observé nourrit sans aucun doute lerelativisme au nom d’une valorisation excessivede la différence, il s’accompagne du phénomènetrès contemporain de la solidarité spontanée.Pourquoi ne serait-on pas fondé à chercher là l’éner-gie d’un engagement civique redéfini et consenti ?

Enseigner le fait religieux.

Je voudrais maintenant développer cette idéede la possibilité de développer la tolérance parl’enseignement du fait religieux. Je m’inspireraiici largement du rapport de Régis Debray au mi-nistre de l’Éducation nationale9. Le rapport rap-pelle les raisons de fond qui expliquent que lasociété française, dans sa majorité, approuvel’idée de renforcer l’enseignement du fait reli-gieux et cela depuis de nombreuses années :

– incapacité de beaucoup d’élèves à compren-dre de nombreuses œuvres d’art ou textes,conséquence de l’effondrement des anciens

vecteurs de transmission qu’étaient les égliseset les familles ;

– volonté de réagir face à une culture de la jeu-nesse qui privilégie l’immédiat sur la durée.Nous sommes face à un « élargissement vertigi-neux des horizons et rétrécissement drastique deschronologies » ;

– volonté de donner des clés pour compren-dre le monde car l’événement ne prend sonrelief qu’en profondeur de temps.

Il ne s’agit donc pas d’un projet déguisé de« réarmement » moral, ni d’une volonté de garan-tir une sorte de minimum spirituel, ni enfind’une entreprise purement patrimoniale.

Le constat est fait de remarquables avancéesde l’institution scolaire en matière de program-mes d’histoire d’abord, de français ensuite. Letemps est loin où une conception aujourd’huidatée de la laïcité laissait largement les questionsreligieuses hors des programmes d’histoire. Lerisque de voir des générations d’élèves dans l’in-capacité de comprendre leur environnement cul-turel a fait réagir notre institution depuis unevingtaine d’années : une connaissance élémen-taire de l’héritage chrétien était l’enjeu des dé-bats ; aujourd’hui tout professeur d’histoire a laconviction que la compréhension du mondecontemporain passe par l’appréhension du faitreligieux comme phénomène central de l’organi-sation du monde même si l’on considère que lesreligions n’ont pas le monopole du sens : les sa-gesses, les philosophies, l’art… y contribuent.Mais, pour initier à l’univers des symboles et re-tracer l’aventure irréversible des civilisations, ilfaut prendre en compte la dimension religieuse.La relégation du fait religieux hors du champ dela transmission rationnelle favorise les crédulités,l’ésotérisme et l’irrationalisme.

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JEAN-LOUIS NEMBRINI BORDEAUX, MUSÉE D’AQUITAINE, 27 MAI 2015

6. Pascal, Pensées, Fragment 357.7. Gilles Lipovetsky.8. François Furet.9. Régis Debray, « L’enseignement du fait religieux dans l’École laïque », Rapport au Ministre de l’éducation nationale,

février 2002.

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Rappelons enfin, afin de lever toute ambi-guïté et contourner les résistances que le prin-cipe de laïcité à la française place la liberté deconscience en amont et au-dessus de ce que l’onappelle ailleurs en Europe la liberté religieuse.«En ce sens – écrit Régis Debray – la laïcité n’estpas une option spirituelle parmi d’autres, elle est cequi rend possible la coexistence de toutes ces options,car ce qui est commun en droit à tous les hommesdoit avoir le pas sur ce qui les sépare en fait… ».

Enseigner les faits religieux c’est desserrerl’étau identitaire dont l’axiome est qu’il faut êtred’une culture pour pouvoir en parler. Il convientdélibérément de passer d’une laïcité d’incompé-tence (qui ne signifiait pas dénégation de l’objetet qui avait sa légitimité dans un autre contexte)à une laïcité d’intelligence (comprendre estnotre devoir).

Dire cependant que les professeurs n’éprou-vent pas de difficulté pour aborder par exemplela question de l’islam – mais la difficulté estgrande également pour aborder la religion chré-tienne – sur laquelle ils n’ont en général pas eude formation universitaire initiale serait ignorerla réalité des classes. Cette difficulté est d’abordd’ordre scientifique.

IL DEMEURE également des difficultés pédago-giques très contemporaines liées à la recon-

naissance de la parole du professeur dès lorsqu’il s’agit, en dehors de toute intention prosé-lyte et de toute approche théologique, de com-menter des textes sacrés pour certains.

Soyons cependant conscients que laisser lesjeunes les jeunes accéder exclusivement au faitreligieux par une éducation confessionnelle ouencore les laisser sans aucune formation en ma-tière de religions pourrait avoir des consé-quences très dommageables pour notre société.Car celui qui ne connaît rien des traditions del’autre, qu’il soit son voisin ou son camarade declasse, aura des difficultés à le comprendre et àaccepter sa différence. L’intolérance naît de

l’ignorance et constitue un terrain fertile pour lemépris des droits de l’homme.

Un lourd fardeau repose sur l’enseignant, cesera à lui de naviguer entre plusieurs dangers po-tentiels. Pour reprendre les mots de RégisDebray «Ce sont ces derniers [les enseignants] qu’ilfaut inciter, rassurer et désinhiber et, pour ce faire,mieux armer intellectuellement et professionnelle-ment face à une question toujours sensible car tou-chant à l’identité la plus profonde des élèves et desfamilles. ».

Encore et toujours, enseigner l’histoire de France

La citoyenneté ne peut se concevoir et s’exer-cer dans un espace abstrait. Elle repose sur uneconstruction patiente de références communesmême lorsqu’elle se ressource à des valeurs uni-verselles fondamentales. Ainsi le modèle fran-çais d’éducation civique résulte à la fois d’unehistoire particulière dans un territoire progressi-vement construit.

Mais quelle histoire de France enseigner ? Lameilleure réponse s’expose dans le livre duDoyen Dominique Borne auquel je renvois10

Deux histoires de France ont longtemps étéen concurrence, celle qui raconte le destin pro-videntiel du royaume de France construit parune monarchie de droit divin (Clovis au départ),celle qui veut montrer l’émergence de la Nationavec une évolution au terme de laquelle s’ins-talle la République (Vercingétorix au départ).

Vers les années 60, l’une et l’autre à vision té-léologique sont remises en cause.

La recherche historique s’est intéressée au peu-ple et plus simplement aux puissants (Louis XIVet 20 millions de Français. P. Goubert).

Les mémoires revendiquées des travailleurs, desimmigrés, des colonisés, des descendants d’esclavesont été revendiquées et été prises en compte.

2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES 23

TRANSMETTRE LES VALEURS CIVIQUES DANS LA FRANCE D’AUJOURD’HUI

10. D. Borne, Quelle histoire pour la France ? Gallimard, 2014.

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Des lois mémorielles sont venues interféreravec le travail de l’historien :

– Lois Gayssot en 1990 condamnant les thèsesnégationnistes, le racisme, l’antisémitismeet la xénophobie.

– Loi du 29 janvier 2001, reconnaissance dugénocide arménien (1915-1923).

– Loi Taubira du 21 mai 2001, reconnaissancede la traite et de l’esclavage en temps quecrime contre l’humanité. La traite des Noirsdans les programmes.

– On se souvent de la polémique lors du votede la loi du 23 février 2005 portant recon-naissance de la Nation et contribution natio-nale en faveur des Français rapatriés à causenotamment de son article 4 (Les programmesscolaires reconnaissent en particulier le rôle po-sitif de la présence française outre-mer, notam-ment en Afrique du Nord et accordent àl’histoire et au sacrifice des combattants de l’ar-mée française issus de ses territoires la placeéminente à laquelle ils ont droit).

Le Roman national que nous avons en mé-moire largement critiqué s’est donc progressive-ment enrichi de la prise en compte desmémoires diverses.

Le récit d’aujourd’hui est moins facile à tenirpourtant l’enseignement d’une histoire deFrance, nation inscrite dans l’espace européen etdans le monde, demeure nécessaire pour « faireFrance ensemble ».

J’EN RESTERAI à ce constat aujourd’hui et je ter-minerai par l’évocation de l’expérience singu-

lière du manuel d’histoire franco-allemand.Ce rêve d’un livre d’histoire commun aux

élèves et aux enseignants de deux ou de plu-sieurs pays ne date pas d’aujourd’hui. Rappelonspour mémoire l’appel vibrant lancé en 1928 parMarc Bloch (1886-1944) au congrès internationaldes sciences historiques d’Oslo lors d’un discours

plaidant Pour une histoire comparée des sociétés euro-péennes : «Cessons de nous causer d’histoire natio-nale à histoire nationale sans nous comprendre ».

Ce manuel destiné aux élèves du lycée desdeux pays reprend le message et l’ambition deMarc Bloch (fusillé par la Milice en 1944) :connaître et comprendre l’histoire de l’autre parla comparaison non des événements eux-mêmes,ce qui n’aurait guère de sens, mais par l’observa-tion parallèle des perceptions, des interpréta-tions et des significations de ces événements. End’autres termes, il s’agit de connaître aux élèvesfrançais et aux élèves allemands, l’histoire desautres non pour oublier ou pour appauvrir, maispour finalement mieux connaître, retrouver etenrichir la leur.

Ce projet d’un manuel d’histoire commun des-tiné aux trois classes de l’enseignement secon-daire de part et d’autre du Rhin remonte concrè-tement au vœu émis par le Parlement franco-al-lemand des jeunes qui s’est tenu le 23 janvier2003 à Berlin en marge d’un sommet bilatéral.

Le manuel destiné aux classes de Terminales’ouvre par un chapitre consacré aux Mémoiresde la Seconde Guerre mondiale. En effet, portépar l’idée de l’internationalisation du souvenirde la guerre et de l’holocauste, ce premier déve-loppement conduit les élèves du culte des vain-queurs à la commémoration des victimes. Cechapitre se nourrit de tout le travail récemmentaccompli par les historiens sur la Shoah, sur lesconditions qui rendirent possible la barbarie, surla démission démocratique d’une partie des socié-tés européennes, sur les silences de la période pos-térieure à 1945, sur le réveil de la mémoire juive.

Le chapitre final observe les Français et lesAllemands après 1945 dans leurs pays respectifs,dans leurs interrelations, dans l’Europe qu’ils ontcontribué à bâtir et dans le monde qui les en-toure, il entend aussi prendre la mesure des mu-tations non seulement d’une relation mais detoute une société par rapport aux conflits précé-dents. Il s’agit là de montrer que la confrontationentre ces deux ensembles issus du même empirecarolingien ne date pas du Moyen Âge, mais seu-lement de l’époque moderne, sur fond de

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JEAN-LOUIS NEMBRINI BORDEAUX, MUSÉE D’AQUITAINE, 27 MAI 2015

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TRANSMETTRE LES VALEURS CIVIQUES DANS LA FRANCE D’AUJOURD’HUI

constructions des États, des nations et des confes-sions diverses. C’est alors que s’accentue un des-sein monarchique puis national qui voit la forcede la France passer par la faiblesse et l’éclate-ment de l’Empire, logique que poursuit à frontrenversé Bismarck en 1871 à Versailles, qui serenverse de nouveau à Versailles en 1919 et re-joue encore dans l’Entre-deux-guerres. L’Europequi se construit après 1945 n’est bien entendupas l’œuvre exclusive des Français et desAllemands, mais elle n’aurait pas été possiblesans eux, c’est-à-dire sans l’abandon de ce rap-port de forces.

C’est dire combien ce manuel d’histoire fran-co-allemand, d’un genre nouveau, entend four-nir aux élèves et aux enseignants les moyensd’accomplir l’une des fonctions de l’historien :penser le présent par la prise en compte du passéafin d’agir en toute conscience pour l’avenir.

Il a été possible de faire aujourd’hui ce queMarc Bloch et d’autres historiens de l’Entre-deuxguerres n’ont pu réaliser : permettre par la pédago-gie aux deux nations de se comprendre mieuxafin de consolider durablement la paix en Europe.

Conclusion

Au terme de ces quelques réflexions, en for-me finalement de recommandations pour l’éduca-tion, je dois en revenir à la mémoire d’Aristidesde Sousa Mendes qui nous rassemble aujourd’hui.

Souvent, passant devant son buste sur la dallede Mériadeck je me suis souvent dit – sans pous-ser trop loin la réflexion sur ce qu’à sa place j’au-rais été capable de faire – que nos principesfondateurs prennent vie et s’incarnent au fil del’histoire dans des comportements exemplairesdont la mémoire doit absolument s’inscrire dansl’éducation de la jeunesse.

BUSTE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES. SOUS LES FRONDAISONS LA STÈLE EN HOMMAGE À GEORGES TISSOT,RÉSISTANT. EN ARRIÈRE-PLAN LA CROIX DE LORRAINE «L’ARMÉE DES OMBRE », DANS LES JARDINS

DE L’ESPLANADE CHARLES-DE-GAULLE, À BORDEAUX, À PROXIMITÉ DU RECTORAT. (CL. B. LHOUMEAU).

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ALAIN RUIZ* BORDEAUX, MUSÉE D’AQUITAINE, 25 MAI 2015

C’EST donc ici que s’est joué en juin 1940 ledestin d’Aristides de Sousa Mendes, dont on

s’accorde aujourd’hui à estimer – avec quelqueexagération, sans doute – à 30000 personnes en-viron, dont plus de 10 000 Juifs, le nombre deshommes, femmes et enfants qu’il sauva au prin-temps 1940, sans qu’on puisse dire, même à peuprès, combien de ces personnes étaient des émi-grés du IIIe Reich, entendons des Allemands qui,à partir de 1933 quand Hitler accéda au pouvoirà Berlin, s’expatrièrent pour raisons politiqueset/ou raciales.

Jusqu’à l’arrivée de Sousa Mendes à Bor-deaux en 1938, le nombre de ces émigrés étaitresté en Gironde relativement faible. À ceux dela première heure appartient une dame au-jourd’hui disparue qui fut une figure bordelaisetrès en vue à l’époque Chaban-Delmas, que j’aieu la chance de bien connaître, le docteur Anne-Marie Hirsch, l’épouse « aryenne » du médecin

Comme le consul Aristides de Sousa Mendes à Bordeaux en 1940 :

désobéir par devoir d’humanité

Pour bien situer les faits dont nous allons parler, transportons-nous en pensée sur le quai Louis-XVIII le long de la Garonne, à hauteur de la place des Quinconces. Quelques pas à peine en di-rection de Bacalan, et l’on se trouve devant l’immeuble du no 14, dont la façade porte une plaquesur laquelle on lit :

À la mémoire de Aristides de Sousa Mendes, 1883-1954, Juste parmi les Nations, Consul général du Portugal à Bordeaux 1938-1940.

Il a sauvé 30000 réfugiés dont 10000 Juifs menacés par l’avance des troupes nazies en leur délivrant des visas d’entrée au Portugal. Désobéissant aux ordres de son gouvernement,

il écouta la voix de sa conscience au détriment de sa carrière et de sa famille. Pour cet acte héroïque il a été démissionné par Salazar en octobre 1940.

Qui sauve une vie sauve l’humanité

*Professeur émérite d’études germaniques, université Michel de Montaigne – Bordeaux 3

Cl. B

. Lho

umea

u

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Otto Hirsch, lequel, menacé par les nazis pourses origines demi-juives, avait quitté l’Allemagnedès 1933 et s’était déjà fait une bonne clientèle àBordeaux, quand, fin septembre 1938, SousaMendes prit ses fonctions à Bordeaux. Quelquessemaines plus tard, dans la nuit du 9 au 10 no-vembre dite «Nuit de cristal », avait lieu en Alle-magne le gigantesque pogrome organisé par lesnazis, qui décida à émigrer beaucoup de Juifs quiavaient cru jusque-là pouvoir encore vivre sousle régime hitlérien.

LES RÉPERCUSSIONS de cette brutale escalade des persécutions antisémites outre-Rhin ne tar-

dèrent pas à se faire ressentir à Bordeaux avecl’arrivée d’un grand nombre de nouveaux mi-grants, souvent dans le plus grand désarroi, sou-vent malades, et, parce que juifs en général «assezmal acceptés des Bordelais », comme l’écrit Anne-Marie Hirsch dans ses mémoires, dont j’ai éditéune partie, où elle raconte comment son mari de-vint, pour ainsi dire, le médecin privilégié de cesréfugiés juifs, du fait qu’ils pouvaient parler alle-mand avec lui. C’est alors que se passa un évé-nement qu’Anne Marie Hirsch qualifie de«miracle curieux, à ne jamais oublier » :

Un soir, fin novembre, il faisait déjà nuit. Unepetite femme avec de grosses lunettes noiresse présenta à notre consultation :

– Docteur, je viens en cachette. Je suis secré-taire au consulat d’Allemagne et je viens voussupplier d’aider ces pauvres gens, ces Juifs.Soignez-les bien, je vais payer et leur établirdes papiers d’identité avec des faux noms.Cela leur permettra d’aller aux USA chezleurs parents ou amis.

Et ce fut fait… Cette petite femme rondelettes’appelait Marie Davion, et elle était d’une famillehuguenote de la ville d’Augsbourg, en Bavière.

C’EST en 1938 qu’était arrivé à Bordeaux, peuavant Sousa Mendes, un nouveau consul du

Reich, le docteur Holm, qui, pour avoir été

nommé à ce poste à cette date, ne pouvaitqu’avoir donné les meilleures preuves de son al-légeance au régime nazi. D’où la nécessité pourla secrétaire Marie Davion d’agir en secret pouraider les réfugiés juifs, préfigurant d’une certainemanière par le gros risque qu’elle prenait ainsi –à une modeste échelle, assurément, mais avecun courage digne de ne pas être oublié – l’actionqui devait valoir à Sousa Mendes le titre de« Juste parmi les Nations ».

SANS doute Aristides de Sousa Mendes se de-vait-il, comme représentant du Portugal, d’ob-

server l’attitude que requérait la politique deneutralité adoptée vis-à-vis de Berlin, dans lecontexte international si tendu du moment, parle gouvernement de Salazar. Mais comment, per-sonnellement, le fervent chrétien qu’il était au-rait-il pu rester insensible au problème de plusen plus dramatique des réfugiés quand, après laNuit de cristal, leur afflux ne cessa de croître àBordeaux. Bordeaux constituant une étape natu-relle pour ceux qui voulaient passer outre-Atlantique, soit directement par bateau, soit engagnant par l’Espagne le Portugal pour s’embar-quer là-bas vers le continent américain, lenombre des demandeurs de visas pour ce paysne pouvait qu’augmenter au consulat, 14, quaiLouis-XVIII.

ET LA GUERRE éclata début septembre 1939.C’est alors que, sur tout le territoire français,

tous les ressortissants du Reich du sexe masculinde 17 à 66 ans, réfugiés ou non, se virent obligésde rejoindre sans délai, pour être contrôlés et,selon les cas, relâchés ou rester internés, lescentres de rassemblement d’étrangers ouvertsdans tous les départements. En Gironde, àLibourne, où le camp était établi dans des chais,au bord de la Dordogne.

C’est là que Sousa Mendes intervint en per-sonne pour un réfugié juif autrichien, NorbertGingold, musicien de renom, qui avait fui leBerlin nazi avec sa femme et s’était fait une placeà Paris parmi les meilleurs musiciens de jazz dumoment. Ayant déjà accordé à son épouse le visa

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COMME LE CONSUL ARISTIDES DE SOUSA MENDES À BORDEAUX EN 1940 : DÉSOBÉIR PAR DEVOIR D’HUMANITÉ

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espéré pour le Portugal, Sousa Mendes n’hésitapas à se rendre lui-même, avec elle, à Libournepour obtenir du commandant du camp la libéra-tion du détenu, mais sa démarche n’eut pas le ré-sultat escompté. Norbert Gingold resta interné.

PLUS heureux fut cet autre réfugié juif autri-chien du nom d’Arnold Wiznitzer, universi-

taire qui avait émigré en France après l’Anschlussavec sa femme et son fils, et qui échappa à l’in-ternement au camp de Libourne grâce au visaque Sousa Mendes lui délivra le 21 novembre1939. «C’était un devoir d’élémentaire humanitéd’éviter [au Dr Wiznitzer et aux siens] une sigrande épreuve », dira le consul pour justifier sonacte intervenu dix jours après que le gouverne-ment de Lisbonne ait émis une circulaire* quimarquait une rupture brutale avec la traditiond’hospitalité jusque-là observée par le Portugal.Cette circulaire interdisait en effet d’accorder dé-sormais, « sans une consultation préalable du mi-nistère des Affaires Étrangères », des visas àplusieurs catégories d’étrangers, en particulierles apatrides et les « Juifs expulsés du pays deleur nationalité ». Contenant cette notion de raceet de religion inconnue jusque-là de la législationportugaise, ce règlement nouveau ne pouvaitque heurter Sousa Mendes en tant que chrétienet homme attaché aux principes humanistes ba-foués par les dictatures européennes de l’époque.Aussi n’hésita-t-il pas à contourner les nouvellesdirectives, la première fois le 21 novembre 1939donc, en accordant sans accord préalable de sonministère un visa au docteur Wiznitzer, bien quecelui-ci entrât dans la catégorie des étrangersconsidérés maintenant comme indésirables auPortugal.

ÀPARTIR de cette date, Sousa Mendes ne cessa de demander à Lisbonne l’autorisation de

délivrer des visas généralement après les avoirdéjà accordés, devançant ainsi les refus pronon-cés par son ministère dans la majorité des cas.Ces irrégularités lui valurent, le 24 avril 1940, un

sévère rappel à l’ordre qui ne l’empêcha cepen-dant pas de continuer à transgresser le règle-ment, même après que l’invasion allemande desPays-Bas, de la Belgique et du Luxembourg aitcommencé à rendre de plus en plus aigu le pro-blème des réfugiés en France en déclenchant enchaîne le gigantesque phénomène migratoirequ’on a appelé l’« exode de 40 ».

DÈS LE 14 mai, La Petite Gironde informait seslecteurs de l’arrivée massive à Paris de ré-

fugiés belges et hollandais, et elle annonça le 16 celle, en Aquitaine, de la grande-duchesse duLuxembourg accompagnée de ses enfants enfuite devant l’ennemi. Des personnalités offi-cielles luxembourgeoises précédaient ou suivi-rent. Et Sousa Mendes leur établit des visas,permettant ainsi à la grande-duchesse de gagner

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* Voir annexes.

LE 14 QUAI LOUIS-XVIII, BORDEAUX, QUI ABRITAIT LE

CONSULAT DU PORTUGAL EN 1940. (CL. B. LHOUMEAU).

ALAIN RUIZ BORDEAUX, MUSÉE D’AQUITAINE, 25 MAI 2015

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le Portugal, d’où elle partit en 1943 pour re-joindre à Londres les membres de son gouver-nement en exil.

DELA MI-MAI à la mi-juin 1940, l’afflux de mi-grants étrangers et des Français du Nord

fuyant l’avancée de la Wehrmacht, ne cessa decroître à Bordeaux, dont la population fit plusque doubler en passant de 300000 à 700000 per-sonnes. Émigré autrichien notoire, le leader so-cial-démocrate Julius Deutsch écrit dans sesmémoires que la ville n’était plus qu’« un grandbassin collecteur de réfugiés », réfugiés françaiset étrangers, en grande partie des Juifs, que lapeur panique d’être rattrapés par la marée brunedans le dernier refuge que l’Aquitaine leur offraitpoussa en masse à l’assaut des consulats étran-gers à Bordeaux, tout particulièrement les consu-lats d’Espagne et du Portugal, du fait de laneutralité que Franco et Salazar observaient tou-jours aux yeux du monde en dépit de leur accoin-tance de fait avec Hitler.

DEPUIS la fin mai, une foule chaque jour plusnombreuse n’en finissait pas d’attendre,

jour et nuit, aux abords du consulat, 14 quaiLouis-XVIII, où, au matin du 16 juin, SousaMendes annonça après une longue réflexion detrois jours et de trois nuits où il avait entendu,comme il le déclara, « une voix, celle de saconscience ou celle de Dieu : Désormais, je don-nerai des visas à tout le monde, il n’y a plus denationalités, de races, de religions ». Ce qu’il fitles 17 et 18 juin, activement aidé dans ce véri-table travail à la chaîne par deux de ses enfantset neveux, ainsi que par un rabbin polonais,Haïm Kruger, arrivé de Belgique avec sa nom-breuse famille que Sousa Mendes hébergeait auconsulat même.

PARMI tous ceux qui obtinrent ainsi de SousaMendes – en ces heures dramatiques, où il

prit les dimensions d’un héros de l’humanité –les précieux documents nécessaires pour passerau Portugal, les plus notoires sont l’archiducd’Autriche Otto de Habsbourg, fils aîné du défunt

empereur Charles Ier, l’impératrice Zita et sesautres enfants, arrivés de Belgique avec leursuite, dix-neuf personnes au total.

Impossible, dans le cadre limité ici imposé, deprésenter en détail – comme cela est le cas dansle livre sur la question que je prépare – les nom-breux réfugiés plus ou moins connus que SousaMendes aida de même à Bordeaux, puis au Pays-Basque, où il se transporta le 20 juin, responsablequ’il était aussi pour le vice-consulat de Bayonnedont le personnel était à ce moment débordé parles demandeurs de laissez-passer qui l’assié-geaient par milliers, de jour comme de nuit. Là,ce fut alors, comme à Bordeaux, la délivrance àla chaîne de visas pour le Portugal que SousaMendes alla jusqu’à distribuer lui-même aux ré-fugiés dans la rue avant de se rendre à Hendaye

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COMME LE CONSUL ARISTIDES DE SOUSA MENDES À BORDEAUX EN 1940 : DÉSOBÉIR PAR DEVOIR D’HUMANITÉ

LE RABBIN HAÏM KRUGGER

ET ARISTIDES DE SOUSA MENDES, PORTUGAL

CIRCA 1940. (CL. FAMILLE SOUSA MENDES).

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le 23 juin, pour s’assurer que les gardes-frontièreespagnols à Irun laissaient passer les détenteursde visas pour le Portugal qui se bousculaientpour quitter au plus vite le sol français, où lepiège nazi risquait de se refermer sur eux. Parmieux se trouvait le musicien viennois NorbertGingold, enfin sorti du camp de Libourne d’oùSousa Mendes, à l’automne 1939, avait tenté envain, on s’en souvient, de le faire sortir. Commela femme de Norbert Gingold l’a raconté dans sessouvenirs :

Soudain, au milieu de la place, apparut SousaMendes, entouré d’un groupe de réfugiés. Ilcontinuait à donner des visas à ceux qui luien demandaient. […] Mais quels visas ? Ilsconsistaient en quelques mots disant que leporteur avait le droit d’entrer au Portugal,avec la signature de Sousa Mendes. Ce der-nier avait certainement emporté avec lui lessceaux du consulat. Si le réfugié avait un pas-seport, le visa figurait sur le passeport.

S’il n’avait qu’une carte d’identité, va pour la carted’identité, et s’il n’avait ni l’un ni l’autre, alorsSousa Mendes se contentait d’une feuille depapier, parfois même d’un morceau de journal.

QUAND, le 26 juin, Sousa Mendes revint à Bor-deaux, il ne savait pas encore qu’il venait

d’être suspendu par son gouvernement pour in-subordination. Les premiers détachements del’armée allemande étant arrivés le lendemain, ileut encore jusqu’à son départ de Bordeaux, le 3juillet, le courage de continuer à héberger clan-destinement dans l’immeuble du consulat un ré-fugié roumain, membre important de lacommunauté séfarade de Vienne, et sa fille, quirapporte dans ses souvenirs :

Feu mon père, Mosco Galimir, et moi-mêmeavons été parmi ceux qui ont eu la chanced’obtenir des passeports et de rester au consu-lat pendant deux semaines. Je me souviensencore que, chaque jour à l’heure du déjeuner,il arrivait des télégrammes du gouvernement

de Portugal ordonnant son rappel. M. SousaMendes n’a jamais perdu confiance et espé-rait qu’il serait pardonné en raison de tout lebien qu’il nous faisait. Mais son gouverne-ment ne lui a pas pardonné.

En effet, rentré à Lisbonne à la mi-juillet 1940,le consul fut, suite à un procès disciplinaire dontl’issue était connue d’avance, mis à la retraited’office. Sévère sanction qui le condamna à vivreavec les siens dans la plus grande gêne jusqu’àsa mort en 1954, six ans après sa femmeAngelina qui l’avait toujours fidèlement assistédans toutes ses épreuves.

Il y a eu durant la Seconde Guerre mondialed’autres diplomates et fonctionnaires de diversesnationalités qui ont accompli une œuvre compa-rable à celle de Sousa Mendes que l’on a appeléle «Wallenberg portugais ». Wallenberg, du nomde ce diplomate suédois, Raoul Wallenberg, qui,sauva en 1944 plusieurs dizaines de milliers deJuifs à Budapest en leur délivrant des passeportsattestant qu’ils étaient des citoyens suédois en at-tente de rapatriement. Comme Sousa Mendes,Wallenberg a été honoré par le mémorial de YadVashem, à Jérusalem, du titre de « Juste parmiles Nations », mais une grande différence le sé-pare du consul portugais : il n’a pas, comme lui,désobéi à son gouvernement, puisqu’il avait étéenvoyé à Budapest justement avec mission defaire au mieux pour sauver les Juifs hongrois me-nacés de déportation vers les camps de la mort.

ENFAIT, il serait plus juste de rapprocher SousaMendes d’autres diplomates qui agirent,

comme lui, contre le règlement qu’ils avaient àappliquer et qui, comme lui, furent aussi plus oumoins gravement sanctionnés pour désobéis-sance. Ainsi pourrait-on appeler Sousa Mendes le«Lutz portugais », Carl Lutz étant ce vice-consulsuisse à Budapest, qui, de 1942 à 1945, aida sansrelâche des Juifs à échapper à leur sort et se vitaccusé d’avoir abusé de ses fonctions, avant d’êtreréhabilité dans son pays bien des années après laguerre et de recevoir de l’état d’Israël le titre de

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ALAIN RUIZ BORDEAUX, MUSÉE D’AQUITAINE, 25 MAI 2015

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« Juste parmi les Nations ». De même son compa-triote Paul Grüninger, ce commandant de la po-lice du canton de Saint-Gall qui en 1938, alors quele gouvernement helvétique avait décidé de fer-mer les frontières de la Suisse, permit à des cen-taines de réfugiés juifs d’entrer dans le pays enleur fournissant des papiers avec de faux rensei-gnements. Ce qui lui valut d’être révoqué,condamné en 1940 et privé de retraite pour lereste de ses jours qu’il passa dans une grande pau-vreté. On a de lui ces mots qui pourraient toutaussi bien être de Sousa Mendes : « Il s’agissait desauver des gens menacés de mort. Dans cesconditions, comment aurais-je pu me soucier deconsidérations et de calculs bureaucratiques ? »

ONPOURRAIT citer encore d’autres cas compa-rables. Par exemple, le Dr Feng-Shan Ho,

depuis 1937 consul général de Chine à Vienne,qui, malgré l’interdiction reçue de son ambassa-deur à Berlin, continua après l’Anschluss jus-qu’en mai 1940 à délivrer des visas qui permirentà des milliers de Juifs de fuir le Reich nazi. C’est,de même, le consul japonais en Lituanie ChiuneSugihara, qui, en 1940-1941, en sauva lui aussi desmilliers de manière semblable. Action humani-taire qui brisa sa carrière et ne lui valut d’être ré-habilité par l’état japonais qu’après sa mort.

Honorés tous les deux par Israël commeJustes parmi les Nations, Feng Shan Ho et Chiu-ne Sugihara ont été surnommés respectivementle « Schindler chinois » et le « Schindler japonais »par référence à un autre Juste, Oskar Schindler,immortalisé par le film à succès de StevenSpielberg, La Liste de Schindler. Il convient cepen-dant de souligner que l’industriel OskarSchindler, qui sauva des camps d’extermination1200 Juifs environ, représente en fait un cas defigure très différent des précédents, du fait qu’ilétait allemand, et un Allemand nazi à l’origine,qui, en agissant comme il le fit par devoir deconscience, commit, par rapport au Reich, uneaction coupable qui aurait pu lui valoir les piresennuis.

PAREILLEMENT le Dr Kurt Gerstein, dont le filmde Costa-Gavras Amen évoque l’étonnant

parcours. Chargé de l’approvisionnement en gazZyklon B des camps de la mort nazis, cet ingé-nieur à l’institut d’Hygiène de la SS fut témoinen 1942, en Pologne, de gazages de déportés quiinterpellèrent sa conscience de chrétien et l’ame-nèrent à se faire, comme on a dit, l’« espion deDieu » pour alerter l’opinion internationale, no-tamment le pape Pie XII, sur l’extermination desJuifs d’Europe. Du point de vue de l’Allemagned’Hitler, cette dénonciation n’était rien d’autrequ’une trahison. Et c’est bien là le problème cru-cial qui s’est posé fondamentalement, surtoutpendant la guerre, aux Allemands qui ont résistéou voulu résister activement à Hitler.

Pour un Français, faire de la résistance contrel’occupant allemand était faire acte de patrio-tisme. Pour un Allemand, par contre, s’opposerau régime hitlérien, c’était travailler à la défaitede sa patrie. Telle est bien l’accusation qui, en1943, valut la peine de mort aux principaux mem-bres du groupe de résistants, fondé à Munich enjuin 1942 sous le nom de Rose blanche, par dejeunes étudiants à l’université. Pour avoir distri-bué des tracts antinazis au nom des valeurs chré-tiennes, ils furent condamnés à mort sous leschefs de «haute trahison et intelligence avec l’en-nemi, incitation à la haute trahison, atteinte àl’effort de défense ».

MOINS connue que celle de la Rose blancheest l’histoire des Pirates à l’Edelweiss, ces

groupes d’adolescents de 13 à 18 ans, principale-ment en Rhénanie, qui avaient commencé pars’opposer à l’embrigadement dans les Jeunesseshitlériennes par des manifestations plus oumoins folkloriques et qui passèrent pendant laguerre à des actions beaucoup plus graves,comme distributions de tracts subversifs et sabo-tages de matériel industriel et militaire.Impitoyablement pourchassés par la Gestapo,nombre de ces Edelweisspiraten furent arrêtés,torturés, envoyés dans des camps de concentra-tion et dans des bataillons disciplinaires sur le

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COMME LE CONSUL ARISTIDES DE SOUSA MENDES À BORDEAUX EN 1940 : DÉSOBÉIR PAR DEVOIR D’HUMANITÉ

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front russe, et aussi condamnés à mort pour,selon les cas, insubordination, défaitisme, at-teinte au moral de l’armée et de la nation, sansoublier crime de haute trahison.

C’EST pour haute trahison que furent condam-nés de même à la peine capitale nombre des

conspirateurs impliqués dans le célèbre attentatdu 20 juillet 1944 contre Hitler, coup d’état mili-taire avorté, dont le comte Claus von Stauffen-berg fut la figure centrale. Vouloir éliminerHitler signifiait pour les conjurés rompre leFührereid, le serment de fidélité au Führer qu’ilsavaient prononcé comme membres de laWehrmacht :

Je fais devant Dieu le serment sacré d’obéirinconditionnellement à Adolf Hitler, guide duReich et du peuple allemands, commandanten chef des forces armées, et que je serai tou-jours prêt, comme un brave soldat, à donnerma vie pour respecter ce serment.

C’EST l’obligation morale de ne pas violer ceserment qu’ont généralement invoquée,

pour se disculper, les militaires allemands accu-sés d’avoir commis des crimes de guerre ou dene pas s’y être opposés. Une excuse qui pose évi-demment le problème général des limites du de-voir d’obéissance aux ordres reçus. Führer, befiehl,wir folgen dir (Führer, commande, nous te sui-vons) : tel est le refrain du chant de la campagnede Russie qui devint en 1941 et resta jusqu’à lachute du Reich un des slogans les plus répandusde la propagande nazie. Comparés à tous ceuxqui se conformèrent à ce slogan par convictionou qui, par crainte, n’osèrent pas le faire mentir,bien peu sont, en général, les Allemands, mili-taires, fonctionnaires et autres, qui eurent le cou-rage de le transgresser ! De ce petit nombre estle sous-officier Heinz Stahlschmidt, dont, pourterminer, j’évoquerai le souvenir parce que l’onpeut mettre en parallèle sa désobéissance auxordres reçus de ses supérieurs en 1944 àBordeaux à celle de Sousa Mendes, quatre ansplus tôt.

Soldat modèle, décoré de la croix de fer, l’ad-judant de marine Heinz Stahlschmidt avait étéaffecté à Bordeaux en 1941, et c’est lui qui en août1944, à la veille de l’évacuation de la ville par lestroupes d’occupation, reçut l’ordre de préparerla destruction du port de Bordeaux par des minesplacées tous les 50 m sur 10 km de quais desdeux côtés de la Garonne, entre Bacalan et lequartier Sainte-Croix. Tout le matériel néces-saire – amorces, mèches, détonateurs, etc. – futentreposé quai des Chartrons dans un blockhausque Stahlschmidt eut finalement, au soir du 22août, le courage de faire sauter tout seul, aprèsavoir attendu en vain l’aide qu’il sollicitait depuisplusieurs jours de la Résistance française pourréaliser ce coup de main. Cet acte épargna àBordeaux d’énormes dégâts matériels et despertes en vies humaines qu’on a estimées à 3000personnes. Mais, du point de vue allemand, Stahl-schmidt n’en était pas moins devenu traître etfut considéré comme tel encore longtemps aprèsla guerre, payant d’autant plus cher le prix de sanoble désobéissance que, resté par force àBordeaux et ayant pris en 1947 la nationalité fran-çaise en francisant son nom de Heinz Stahlschmidten Henri Salmide, il n’a pas plus trouvé dans sanouvelle patrie qu’en Allemagne la reconnaissan-ce qu’il méritait comme héros de la Résistance.

En effet, c’est comme simple sapeur-pompierattaché au service du port de Bordeaux que l’ex-sous-officier de la marine de guerre du Reich avégété jusqu’à sa retraite en 1969 pour vivre lerestant de ses jours avec sa femme bordelaised’une très modeste pension. J’ai personnelle-ment bien connu, pour l’avoir rencontré aussichez lui, le vieil homme légitimement très aigripar cette douloureuse expérience, qui est décédéen 2010, à 92 ans, après n’avoir eu que bien troptard le bonheur de recevoir la Légion d’honneuret de pouvoir revoir après 61 ans Dortmund, saville natale, où il alla se recueillir sur la tombede ses parents, la Légion d’honneur sur le cœur.Henri Salmide avait demandé que son nom alle-mand figure sur sa tombe. Et c’est ainsi que, dansun cercueil recouvert du drapeau bleu-blanc-

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ALAIN RUIZ BORDEAUX, MUSÉE D’AQUITAINE, 25 MAI 2015

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rouge, il a été inhumé avec ses décorations àBordeaux, au cimetière protestant de la rueJudaïque, en présence notamment du consul gé-néral d’Allemagne.

LADOULOUREUSE histoire de l’Allemand Heinz Stahlschmidt, alias Henri Salmide, est com-

parable à celle du Portugais Aristides de SousaMendes qui, lui aussi, a été jusqu’à la fin de savie durement victime d’avoir obéi à la voix de saconscience en désobéissant à des ordres qui lacontredisaient. Et il est heureux qu’aujourd’huijustice leur ait été rendue. À Bordeaux, SousaMendes a depuis 1994, à Mériadeck, son buste enbronze pour immortaliser son action humani-taire en Aquitaine dans les jours tragiques de juin

1940 que le grand historien israélien de la ShoahJehuda Bauer a appelée « la plus grande actionde sauvetage menée par une seule personne pen-dant l’Holocauste ». Quant à Henri Salmide, lesiège du port de Bordeaux qu’il a sauvé de la des-truction porte son nom depuis février 2012 en at-tendant qu’une rue de la ville le reçoive aussi,car, pour reprendre les mots de reconnaissancedéjà bien trop tardifs de Jacques Chaban-Delmasen 1992, presque cinquante ans après l’acte d’in-discipline héroïque de l’ex-adjudant de laKriegsmarine Stahlschmidt : «Nous lui devonsd’avoir sauvé des vies, d’avoir préservé le patri-moine unique de Bordeaux et d’avoir hissé laconscience au-dessus des désastres de sonépoque. »

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COMME LE CONSUL ARISTIDES DE SOUSA MENDES À BORDEAUX EN 1940 : DÉSOBÉIR PAR DEVOIR D’HUMANITÉ

DE GAUCHE À DROITE : SÉBASTIEN MENDES, PHILIP MENDES, HARRY IZRATTY, MOÏSE ELIAS, CÉSAR MENDES, LE RABBIN HAÏM KRUGER, LE CONSUL MICHAEL ARNON ET JOHN ABRANCHES

DURANT LA CÉRÉMONIE DE REMISE DE LA MÉDAILLE DE JUSTE PARMI LES NATIONS, LE 9 OCTOBRE 1967, À NEW YORK, AU CONSULAT D’ISRAËL. (CL. FAMILLE SOUSA MENDES).

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SI NOUS faisons mémoire de ces actions lumi-neuses qui ont brillé au sein des jours les

plus sombres, ce n’est évidemment pas dans leseul but de satisfaire à ce que l’on nomme un«devoir de mémoire » qui signale hélas trop sou-vent notre incapacité à nous souvenir. Si la com-mémoration a un sens et une utilité autre quedocumentaire, c’est dans la mesure où elle ouvreun espace à la réflexion et à l’engagement dansle présent. Et la vie et l’exemple de Monsieur deSousa Mendes nous pousse à nous demanderquel sens donnons-nous aujourd’hui à l’engage-ment personnel pour une cause commune.Comment apprécions-nous la capacité et le de-voir de renoncer à nos propres intérêts et à notresécurité, pour le rétablissement ou le renforce-ment des libertés publiques et d’une certaineidée de notre pays ? Quelles valeurs reconnais-sons-nous mériter que l’on combatte pour ellesjusqu’à pouvoir y perdre ses biens, voire sa vie ?

IL EST des circonstances où l’urgence commel’imprévisibilité des situations ne permettent

pas de peser paisiblement le pour et le contrepour se décider dans le calme protecteur d’undébat éthique tel qu’on se plaît à le représenterhors des moments de crise. Ce qui domine alorsn’est pas nécessairement une évaluation ration-nelle des enjeux et des données objectives ; c’estplutôt le sentiment d’un devoir impérieux au-quel on ne peut se dérober. Ce devoir se dévoile

en laissant parler le patrimoine moral constituéà travers l’éducation de la jeune enfance et à tra-vers des exemples de comportements reconnusà la fois comme normaux et normatifs. Ce devoirvient aussi de la foi qui habite le cœur, de l’illu-mination de la conscience par l’inspiration del’Esprit Saint. C’est bien évidement ce qu’a vécuMonsieur de Sousa Mendes : son éducation fami-liale, la manière dont il a été élevé, les exemplesqu’il a reçus, la foi qui l’a animé sont très certai-nement au centre même de la décision qu’ilprend, après ces trois jours de réflexion drama-tique, où il a dû se sentir submergé par le conflitde devoir et l’immensité de la tâche à accomplir.C’est ce qui lui a permis de persévérer durant cesneuf jours de folies où il n’a pas compté sontemps pour accorder à chacun le précieux visasynonyme de vie et à liberté.

MONSIEUR de Sousa Mendes a alors rejointcelles et ceux pour qui l’abolition des liber-

tés, la domination d’une vision contraire à l’éga-lité des personnes humaines, la violation desdroits élémentaires constituaient une situationinacceptable pour la conscience humaine, et quise sont révélés prêts à sacrifier leur propre li-berté et même leur vie pour défendre la dignitéde vivre. Dans la situation du moment, ils ontmanifesté que, pour eux, le sens de l’existencel’emportait sur la sécurité personnelle. N’est-ilpas opportun et raisonnable de nous demander

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* Évêque émérite de Quimper et Léon.

JEAN-MARIE LE VERT* BORDEAUX, ÉGLISE SAINT-LOUIS DES CHARTRONS, 13 JUIN 2015

Messe à la mémoire d’Aristides de Sousa Mendes

Mesdames et Messieurs, chers frères et sœurs, nous faisons mémoire aujourd’hui de la figured’un homme d’exception, malheureusement pas assez connu des hommes, mais bien connu deDieu. Et avec lui, nous nous souvenons à la fois de tous ceux qui ont lutté contre la barbarie, etaussi de toutes les victimes de cette même barbarie, comme des figures emblématiques du cou-rage, du don de soi et du sacrifice pour une cause qui dépassait leurs intérêts personnels.

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aujourd’hui si notre système de valeurs met enavant les véritables priorités, si nous préparonsvraiment des hommes et des femmes capablesde consentir à un vrai sacrifice pour la dignité del’humanité ? Sans sombrer dans le dénigrementsystématique, on doit reconnaître au moins que,sur plusieurs points, il semble que nous soyonsloin du compte.

AINSI, autant il est naturel de se réjouir des progrès spectaculaires grâce auxquels la

vie de nos compatriotes a tellement changé enquelques décennies – progrès exceptionnels dela médecine et de la science, progrès très quoti-diens des conditions de la vie pratique, etc. – au-tant il vaut la peine de nous poser la question :ces progrès, dont nous nous réjouissons à justetitre, ont-ils été accompagnés d’une égale préoc-cupation pour développer la dignité humaine ?La dignité de l’homme est-elle vue aujourd’huicomme un devoir plus que comme un droit, undevoir collectif dont chacun doit assumer sapart ? Quel est le véritable respect collectif de ladignité humaine quand les modèles moraux, quel’on propose de manière de plus en plus expliciteà notre jeunesse, sont dominés par la recherchede la satisfaction de ses propres désirs et de sesappétits primaires ? Comment apprendre à résis-ter aux assauts toujours possibles de la barbarie,si nous ne valorisons pas pratiquement, dans lescomportements quotidiens, la nécessité de sup-porter des pertes et des souffrances personnelles,osons le mot, d’accepter de sacrifier quelquechose de notre confort et de notre bien-être, pourdéfendre une qualité de vie qui n’est pas simple-ment la qualité des commodités de l’existence,mais surtout la qualité du sens de la vie ? La gran-deur et la beauté de l’existence humaine n’est-elle pas précisément cette puissance que nousavons de choisir librement de renoncer à desbiens légitimes, de les sacrifier pour aider leshommes et toutes les femmes qui nous entou-rent et qui ont été placés sur notre chemin? Ceciest la liberté en son sens le plus vrai, mais cetteliberté-là ne se décrète par aucune loi ni aucunrèglement. Elle résulte de l’éducation de laconscience personnelle à reconnaître les valeurssur lesquelles un homme digne de ce nom nepeut pas transiger, quoi qu’il en coûte.

MONSIEUR de Sousa Mendes a vécu cette li-berté et ce renoncement. Il les a vécus en

subissant la vengeance de son gouvernement, enn’étant pas reconnu pour son héroïsme, en finis-sant sa vie dans la plus grande pauvreté et dans

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MESSE À LA MÉMOIRE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES

ÉGLISE SAINT-LOUIS DES CHARTRONS, BORDEAUX.(CL. B. LHOUMEAU).

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JEAN-MARIE LE VERT BORDEAUX, ÉGLISE SAINT-LOUIS DES CHARTRONS, 13 JUIN 2015

le dépouillement. Mais il n’a jamais regretté sesactes, se disant en paix avec sa conscience et safoi. Il aurait pu pourtant entrer dans l’amertumeou la révolte, y compris envers Dieu dont il avaitsuivi la volonté, qui semblait bien peu le récom-penser en cette vie de sa fidélité à l’Évangile.Mais je crois que Monsieur de Sousa Mendes sa-vait surtout que la force qui l’animait venait deDieu lui-même, que c’était lui qui avait mené lecombat, comme nous l’avons entendu dans lestextes de cette messe : «À la cime du grand cèdre,je cueillerai un jeune rameau, et je le planteraimoi-même sur une montagne très élevée. » Sansdoute Monsieur de Sousa Mendes, dans la lo-gique de la parabole de la graine jetée en terreet qui pousse, que le semeur en soit tracassé oupas, qu’il dorme ou qu’il veille, sans doute avait-il compris que, même lorsque Dieu semble setaire et être absent, même quand le mal sembledominer, cela ne veut pas dire qu’il ne se passerien. Nous ne le voyons pas, mais Dieu agit. Plus,c’est même lui qui permet et nous aide à fairetout le bien qui se passe dans ce monde. Ce n’estpas Dieu qui est inactif, ce sont nos yeux hu-mains qui sont aveugles, de même que nous nepouvons au départ concevoir que dans unegraine de moutarde, la plus petite de toutes lessemences, il y a la possibilité d’un grand arbre.En suivant ce que l’Esprit Saint lui inspirait,Monsieur de Sousa Mendes savait-il la portée dece qu’il faisait ? Pouvait-il devinez que les grainesde moutarde qu’il semait, signature après signa-ture de ces milliers de visas, se développeraientau-delà de ce qu’il espérait et donnerait autantde fruits ?

DEPUIS toujours, la mission que nous confiele Christ pour être fidèle à notre dignité hu-

maine et pour faire germer son Royaume com-porte des tâches impossibles, au-dessus de nosmoyens s’il n’y a avait pas la grâce de Dieu. Et latentation est grande de baisser les bras, devantnotre pauvreté personnelle, devant le peu d’effi-cacité apparente de nos efforts, de nos capacités.Le Seigneur nous invite de faire de notre mieux,

de semer, de faire ce qui est en notre pouvoir,puis de tout remettre entre les mains du Père, etde remercier quand nous découvrons commentDieu nous guide. Et cela suscite en nous une es-pérance immense : faire le bien n’est pas destinéseulement à une élite restreinte de héros, maiscela s’adresse aussi au plus grand nombre, cartous nous sommes soutenus par Dieu et tousnous pouvons en devenir capables. Faire mé-moire de Monsieur de Sousa Mendes n’est doncpas une sorte d’exaltation triomphale d’un hérosdu passé. À partir de son exemple, nous avons àprendre conscience que nous sommes aussi ap-pelés à œuvrer comme lui ; nous avons àprendre conscience des enjeux de chacune denos existences et de la responsabilité de notreconscience à l’égard de nos contemporains. Alorsque nous bénéficions d’une information sanségale sur la situation de l’humanité, sommes-nous encore capables de ne pas nous laisser ga-gner par l’indifférence ou la lassitude en nousrepliant sur nos conforts ?

FRÈRES et sœurs, nous avons à être, en cemonde, les inlassables témoins de cette es-

pérance que le bien est et sera toujours vain-queur ; que la grandeur de l’homme mérite quel’on renonce à ses propres intérêts ; que Dieu estbien présent et qu’il agit, même lorsque toutsemble s’effondrer. Aujourd’hui, le Christ nousdit de ne pas désespérer, de ne pas nous laisservaincre par les apparences. Tout ce qui est divindans ce monde est semblable aux graines : ellessont petites, cachées, imperceptibles, et pourtantinfiniment puissantes, sources de vie. La vie deMonsieur de Sousa Mendes en est une illustra-tion. Aujourd’hui, nous savons qu’il avait raisond’espérer et de croire. Après le temps du mépriset de la mise à l’écart, est venu le temps du res-pect et de la reconnaissance. Monsieur de SousaMendes ne l’aura pas connu ici-bas. Mais nuldoute qu’il le connaît maintenant dans la gloireet la paix de Dieu.

Amen.

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MANUEL DIAS VAZ BORDEAUX, CONSEIL RÉGIONAL D’AQUITAINE, 17 JUIN 2015

ÀL’OCCASION du 75e anniversaire de l’action lu-mineuse et héroïque de juin 1940 du consul

général du Portugal à Bordeaux et dans le Sud-Ouest, Aristides de Sousa Mendes, Juste d’Aqui-taine, Juste parmi les Nations.

Sur la proposition du comité national françaisen hommage à Aristides de Sousa Mendes, leconseil régional d’Aquitaine et le conseil écono-mique social et environnemental régional d’Aqui-taine ont décidé de rendre hommage au consulrebelle Aristides de Sousa Mendes, citoyen d’hon-neur de la Gironde.

Le 17 juin 2015, cet hommage s’est ainsi déroulé:

– visite commentée par Manuel Dias Vaz del’exposition Aristides de Sousa Mendes, le Justed’Aquitaine à Bordeaux, Bayonne et Hendayeen juin 1940, dans les salons du conseil régio-nal d’Aquitaine ;

– conférence débat Le courage et l’honneurd’une désobéissance par Madame Anne-MarieCocula, vice-présidente du conseil régionald’Aquitaine et historienne, et Manuel DiasVaz, sociologue, vice-président du comitéfrançais Sousa Mendes.

Conférence d’Anne-Marie Cocula :Le courage et l’honneur d’une désobéissance

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ANNE-MARIE Cocula a posé la cadre des évé-nements de la Seconde Guerre mondiale et

rappelé le contexte historique de juin 1940 enEurope, en France et dans le Sud-Ouest.

En 1940, Bordeaux est devenue la capitale dela France et un lieu stratégique pour tous lesmillions d’Européens, civils et militaires, me-nacés par l’avance des troupes allemandesd’occupation.

Durant la période mai-juin 1940, la populationde Bordeaux a été multipliée par trois, pas-sant de 240 mille à près de 900 mille. Des mil-liers de réfugiés apatrides déplacés de toutel’Europe convergent vers Bordeaux et le Sud-Ouest. Une grande partie campe sur l’espla-nade des Quinconces ou les allées de Tourny,le jardin public ou encore les places publiquesde Bordeaux.

Ces réfugiés – confrontés aux bombardementde l’aviation du IIIe Reich – cherchent, partous les moyens, à rejoindre le Portugal. Cepays, neutre, est l’une des portes de sortied’une Europe à feu et à sang.

C’est dans un tel contexte que le consulAristides de Sousa Mendes va décider, dans lanuit du 16 au 17 juin 1940, de délivrer des visaspour la vie et la liberté à tous ces réfugiés endanger, dans une ville tourmentée.

Son action va permettre de sauver plus de30 000 personnes dont 10 000 Juifs, des mil-liers de Chrétiens opposés à Hitler, des mem-bres des gouvernements en exil de Belgique,Pologne, Luxembourg, les familles royalesd’Autriche et du Luxembourg, des membresde la famille Rothschild, des milliers d’oppo-sants allemands, des centaines de Républi-cains espagnols…

ENSUITE, Anne-Marie Cocula a questionnéManuel Dias Vaz sur la vie, la carrière et l’ac-

tion du consul Aristides de Sousa Mendes.

La manifestation s’est terminée par un cock-tail de déjeuner offert par le conseil régionald’Aquitaine.

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MANUEL DIAS VAZ BORDEAUX, CONSEIL RÉGIONAL D’AQUITAINE, 17 JUIN 2015

CONSEIL RÉGIONAL D’AQUITAINE, À BORDEAUX. (CL. B. LHOUMEAU).

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NOUS COMMÉMORONS aujourd’hui le 75e anni-versaire de l’Appel du général de Gaulle à

la Résistance contre l’occupation nazie de laFrance par les troupes du troisième Reich. Nouscommémorons par la même occasion le 75e an-niversaire de l’action héroïque du consul généraldu Portugal à Bordeaux pour le grand Sud-Ouest,Aristides de Sousa Mendes.

Dans un moment tragique de l’histoire del’Europe ces deux hommes avec courage et dé-termination ont su dire non à leur hiérarchie aunom des valeurs suprêmes de l’humanité et dela liberté.

DEGAULLE en disant non à Pétain et qui parson Appel du 18 juin 1940, de Londres, va

donner naissance à la Résistance et faire vivre laflamme de la liberté, l’honneur de la France libreet les valeurs de la République bafouée.

LE CONSUL Aristides de Sousa Mendes en déci-dant de désobéir au dictateur portugais

Salazar va sauver à Bordeaux, Bayonne, Hendayeet Toulouse plus de 30000 personnes menacéespar l’avancée des troupes nazies d’occupation. Ildevient un des premiers Justes parmi lesNations.

En juin 1940, Bordeaux devient, pour la troi-sième fois, capitale de la France, un lieu de re-fuge du fait de la tragédie de la guerre, de ladéfaite de nos armées et de l’occupation alle-mande sur l’Europe et notamment la France.

BORDEAUX et l’Aquitaine voient arriver, fin1939 début 1940, des milliers de personnes

– des civils et des militaires français et étrangers –

en provenance de l’est et du nord de la France,d’Allemagne, d’Autriche, de Belgique, du Dane-mark, de Hollande, de Hongrie, du Luxembourg,de Roumanie, de Pologne, de Tchécoslovaquie…

Cet exode massif de réfugiés, fuyant les armeset les commandos de la mort du IIIe Reich, vients’ajouter aux milliers de Républicains espagnolsqui avaient fui la sinistre guerre d’Espagne en1939 et aux Juifs apatrides chassés de leurs payspar l’idéologie nazie de pureté de la « racearyenne ».

En quelques semaines, de fin mai à juin 1940,la population bordelaise fut multipliée par trois,passant de 240000 à près de 900000 personnes.

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MANUEL DIAS VAZ BORDEAUX, PLÉNIÈRE DU CESER AQUITAINE, 18 JUIN 2015

Juin 1940 à Bordeaux et en Aquitaine

STATUE DU GÉNÉRAL DE GAULLE, CHAMPS-ÉLYSÉES,PARIS, ŒUVRE DE JEAN CARDOT. (CL. B. LHOUMEAU).

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Bordeaux devient en quelques semaines le cul desac d’une Europe en guerre. La place des Quincon-ces avec ses 126 000m2 et le Jardin-Public, trèsproche, abritaient des milliers de réfugiés en dé-tresse, accablés par la peur, la souffrance, le ration-nement et le chaos qui régnait dans Bordeaux.

LE DÉPUTÉ communiste, Charles Tillon – au-teur du premier appel à la résistance le 17

juin à Gradignan – a écrit : « Bordeaux était un gi-gantesque entassement humain de centaines demilliers de migrants exilés, déboussolés, à la re-cherche d’un boulanger, d’un toit et d’un visa »,après les trois journées noires de complots, d’in-trigues, de délations, d’affrontements des 15, 16et 17 juin qui ont conduit à la défaite, à la capitu-lation et la fin de la IIIe République.

LE17 JUIN 1940, à Bordeaux, le président de laRépublique Albert Lebrun est poussé à la dé-

mission. Il est immédiatement remplacé par lemaréchal Philippe Pétain qui, le même jour, ap-pelle les Français à cesser le combat et à se sou-mettre à Hitler et à l’occupant nazi. C’est ledébut du régime de Vichy et de la France de lacollaboration.

C’est dans ce contexte et face à cette situationtragique qu’une foule immense de réfugiés en-tassés dans des places, des jardins et des gares,de Bordeaux, cherchent par tous les moyens àobtenir des visas leur permettant de fuirl’Europe, d’échapper aux camps de la mort entransitant par le Portugal, une des seules portesde sortie d’un continent confronté à la tragédiede la Seconde Guerre mondiale.

Face à la détresse de ces milliers de réfugiésen danger, le consul Aristides de Sousa Mendesva décider, en son âme et conscience et au nomdes valeurs d’humanisme, de désobéir aux ordresde son gouvernement, en délivrant des visaspour la vie et la liberté à près de 30 000 per-sonnes, dont 10 000 juives, des milliers chré-tiennes, des centaines républicaines espagnoles,des membres des gouvernements belges et polo-nais en exil. Également les familles royales

d’Autriche et du Luxembourg, la familleRothschild, des artistes de renom dont SalvadorDali et son épouse Gala ou bien encore NorbertGingold, Arnold Wiznitzer, Steven Carol, CharlesOulmont…

Le général Leclerc a reçu un visa d’Aristidesde Sousa Mendes le 23 juin pour aller rejoindrede Gaulle à Londres, en transitant par Lisbonne.

LE CONSUL Aristides de Sousa Mendes va ac-complir à Bordeaux et en Aquitaine en juin

1940 l’une des plus belles pages de l’histoire dela Seconde Guerre mondiale, la plus importanteaction de sauvetage.

Il fut condamné pour son action le 30 octobre1940. Il sera banni, déchu, expulsé de la carrièrediplomatique, condamné au silence. Il a payétrès cher son acte de désobéissance, d’huma-nisme et de résistance au fascisme.

RAPPELER, honorer les actions héroïques du général de Gaulle et du consul Aristides de

Sousa Mendes est une manière de faire vivre lamémoire de tous ces Résistants, de ces Justesparmi les Nations qui dans un moment tragiquede l’histoire de l’humanité ont su se lever, s’en-gager, se battre pour défendre des valeurs et la li-berté. Par leurs engagements, ils ont fait jaillir lalumière dans les ténèbres de la nuit de cette ter-rible tragédie.

Se souvenir, rendre hommage à l’action de cespersonnages qui ont marqué l’histoire est unappel à la vigilance et à l’esprit critique et au de-voir de résistance en toute circonstance contreles lois iniques, racistes et injustes et tous les ty-rans barbares d’hier et d’aujourd’hui.

Les Justes et les Résistants, par leurs actionset leurs engagement, nous ont permis de retrou-ver la liberté et la démocratie.

Nous leur devons respect et reconnaissance.

Je vous remercie.

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MANUEL DIAS VAZ BORDEAUX, PLÉNIÈRE DU CESER AQUITAINE, 18 JUIN 2015

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2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES 41

MANUEL DIAS VAZ BORDEAUX, ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE LA GIRONDE, 18 SEPTEMBRE 2015

MONSIEUR le vice-président du conseil dépar-temental, cher ami Jacques Respaud,

Madame Clara Azevedo, conseillère départe-mentale,

Madame Agnès Vatican, directrice des ar-chives départementales de la Gironde,

Madame Rita Ramos, conseillère culturelle duconsulat du Portugal à Bordeaux,

Monsieur David Aller, professeur d’histoire,Monsieur Matthieu Trouvé, maître de confé-

rence en histoire contemporaine, Sciences PoBordeaux,

Madame Marie Subra, responsable culturellede l’institut Cervantes de Bordeaux,

Madame Stéphanie de Jésus, responsable del’institut Camões de Bordeaux,

Mesdames et Messieurs les élus et ensei-gnants,

Mesdames et Messieurs les représentants desassociations de la mémoire espagnole,

Mesdames et Messieurs chers amis invités,

Manifestation en hommage à Aristides de Sousa Mendes dans le cadre des journées européennes du patrimoine

ARISTIDES DE SOUSA MENDES, 1906. (CL. FAMILLE SOUSA MENDES).

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Permettez-moi, au nom du comité français enhommage à Aristides de Sousa Mendes, de re-mercier le président du conseil départementalde la Gironde, Monsieur Jean-Luc Gleyse, de sonsoutien ; de remercier Madame Agnès Vatican, di-rectrice des archives départementales de laGironde, de son accueil et à travers elle tous sesservices ; de remercier les historiens conféren-ciers, Messieurs Matthieu Trouvé et David Aller,d’avoir répondu à notre invitation ; de remercierles consultas généraux d’Espagne et du Portugalde leur soutien ; de remercier le directeur de

l’institut Cervantes de Bordeaux, Monsieur JuanPedro de Basterrechea, de son soutien à la prépa-ration de cette manifestation.

Nous avons tenu, dans le cadre des journéeseuropéennes du patrimoine, à célébrer le 75e an-niversaire de l’action héroïque et lumineuse duconsul rebelle Aristides de Sousa Mendes et deson action particulière de sauvetage des Républi-cains espagnols durant cette période tragique del’histoire de la Seconde Guerre mondiale, à Bor-deaux et dans le Sud-Ouest.

42 2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES

MANUEL DIAS VAZ BORDEAUX, ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE LA GIRONDE, 18 SEPTEMBRE 2015

EXPOSITION ARISTIDES DE SOUSA MENDES, LE JUSTE D’AQUITAINE, DU COMITÉ SOUSA MENDES

AUX ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE LA GIRONDE, OCTOBRE 2012. (CL. B. LHOUMEAU).

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LES RELATIONS diplomatiques entre la France, l’Espagne et le Portugal sont fréquemment

imprégnées par le contexte de guerre ou demarche à la guerre mondiale, mais aussi et sur-tout par les suites et conséquences de la guerrecivile espagnole (1936-1939).

Pour recontextualiser ces relations triangu-laires – qui sont, en réalité, triplement bilaté-rales : il n’y a pas de convention ou d’accordtripartite ici entre les trois pays concernés –,nous pouvons avancer deux hypothèses. D’une

part, les relations entre la France et les pays ibé-riques sont à ce moment-là des relations asymé-triques, non prioritaires, notamment pour laFrance, mais qui vont le devenir, ou du moins redevenir importantes dans le contexte de laguerre. D’autre part, les relations à la fois entrela France et l’Espagne, entre la France et lePortugal, et entre le Portugal et l’Espagne sonttendues, ambigües et complexes au cours de cesannées.

Des relations asymétriques, non prioritaires, mais qui vont redevenir importantes dans le contexte de marche vers la guerre

LES RELATIONS entre les trois pays sont, tout d’abord, asymétriques et ne revêtent pas un

caractère prioritaire. En 1938-1939, la France faitpartie des grandes puissances, statut qu’elle a ac-quis aux côté de la Grande-Bretagne, suite à laPremière Guerre mondiale. Ce sont deux démo-craties parlementaires qui ont gagné la guerre etont traversé des années difficiles avec la crisedes années trente. Sur le plan des relations inter-

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MATTHIEU TROUVÉ* BORDEAUX, ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE LA GIRONDE, 18 SEPTEMBRE 2015

La France et les pays ibériques : une mise en perspective historique (1939-1940)

«L’un des drame des Pyrénées, c’est que leurs portes n’ont jamais servi dans les deux sens à lafois »1. C’est la remarque que faisait Fernand Braudel, il y a une soixantaine d’années. Pendantdes siècles, en effet, les rapports entre la France et les pays ibériques ont été à sens unique : c’étaittantôt l’un, tantôt l’autre qui occupait la première place par son poids politique ou par le rayon-nement de sa civilisation. La période trouble de 1939-1940, au cours de laquelle s’inscrit l’actiond’Aristide de Sousa Mendes, et qui correspond au début de Seconde Guerre mondiale, illustre éga-lement cette formule de Fernand Braudel.

* Maître de conférences en histoire contemporaine, Sciences Po Bordeaux1. Fernand Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, 1966, t. II, p. 161.

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nationales, il ne fait pas de doute que la Franceest encore considérée, en 1938-1939, comme lapuissance continentale majeure et incontour-nable en Europe, même si la « hantise du déclin »se fait sentir2.

Parallèlement, l’Espagne est un pays enpleine décadence. Son empire s’écroule progres-sivement au cours du XVIIIe et surtout du XIXe

siècle, avec la perte de Cuba et des Philippinesen 1898, au moment même où la France se doted’un vaste empire colonial3. Ce déclin se pro-longe dans l’entre-deux-guerres. Restée en de-hors du premier conflit mondial, l’Espagne neparticipe que brièvement à la Société des Nations(SDN) avant de sombrer dans la guerre civile en1936. Quant au Portugal, c’est un pays margina-lisé dans les relations internationales à l’époquecontemporaine. La perte du Brésil en 1822 est sui-vie d’une période d’instabilité politique assezlongue qui prend fin avec l’Estado Novo de Sala-zar. Si les relations franco-portugaises sont consi-dérées avec une grande importance du côté deLisbonne, en revanche, elles apparaissent secon-daires voire mineures aux yeux des Français4. LePortugal, allié de la Grande-Bretagne, a certesparticipé aux côtés des Alliés à la PremièreGuerre mondiale (1916-1918), cependant, après1918, l’instabilité politique que traverse le payss’accompagne d’un discrédit international etd’une marginalité péninsulaire. L’instauration del’Estado Novo à Lisbonne en 1933 ne suscite pasd’opposition ou d’obstacle majeur à l’étranger. Sil’Italie fasciste salue la mise en place du nouveaurégime, la Grande-Bretagne se montre soulagéede voir l’ordre rétabli au Portugal et noue rapide-ment des liens d’amitié avec son vieil allié : lePrince de Galles, futur Édouard VIII, lui est d’em-blée favorable et effectue une visite officielle àLisbonne en 1931. La présence d’exilés politiquesen France trouble un temps les relations entre

les deux pays, mais elles se normalisent assez ra-pidement par la suite.

La situation est différente entre la France etl’Espagne : les deux pays ont, au départ, suividans l’entre-deux-guerres des chemins identi-ques. La République française a noué avec le ré-gime de Primo de Rivera des liens tactiques dès1923, notamment à propos du Maroc. En août1925, la France et l’Espagne s’entendent pourécraser dans le sang la République du Rif. Enmai 1926, le chef marocain Abd el-Krim se rend.À l’occasion de cette guerre, Franco et Pétain serencontrent à plusieurs reprises. Le 26 juin 1930,le ministre français de la Guerre remet à Francola Légion d’Honneur, en présence du maréchalPétain.

Lors de la Seconde République espagnole(1931-1936), les liens entre les deux pays se res-serrent. La France républicaine est un modèlepour les Républicain espagnols. Ces derniers fê-tent la République le 14 avril 1931, chantent « LaMarseillaise » et adoptent à leur tour une «Ma-rianne », certes plus jeune que la française. Lasession des Cortès constituantes espagnoless’ouvre à Madrid le 14 juillet 1931 par un hom-mage à la République française. Édouard Herriotse rend en visite à Madrid et Tolède en novembre1932. Le Président du gouvernement espagnol,Manuel Azaña, garantit que l’Espagne ne ferarien d’hostile contre la France. Mais l’Espagne ré-publicaine, prudemment, poursuit sa politiquede neutralité et garantit sa sécurité par despactes bilatéraux. Cette neutralité s’avère, après1936, être un vrai désastre pour la jeuneRépublique et elle permet aussi de comprendrepourquoi la République espagnole n’est pas sou-tenue avec vigueur par les démocraties : lesEuropéens, Français et Britanniques en tête, n’ai-dent pas la République espagnole pendant la

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MATTHIEU TROUVÉ BORDEAUX, ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE LA GIRONDE, 18 SEPTEMBRE 2015

2. Robert Frank, La hantise du déclin. La France de 1914 à 2014, Belin, 2014.3. Voir à ce sujet Juan Pan-Montojo (dir.), Más se perdió en Cuba. España, 1898 y la crisis de fin de siglo, Madrid, Alianza

Editorial, 2006 ; Antonio Elorza, Elena Hernández Sandoica, La Guerra de Cuba (1895-1898). Historia política de unaderrota colonial, Madrid, Alianza Editorial, 1998.

4. Jean Derou, Les Relations franco-portugaises (1910-1926), Paris, Publications de la Sorbonne, 1986.

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LA FRANCE ET LES PAYS IBÉRIQUES : UNE MISE EN PERSPECTIVE HISTORIQUE (1939-1940)

ALLÉGORIE DE LA RÉPUBLIQUE DANS UNE LITHOGRAPHIE DE S. DURA D’APRÈS UN DESSIN J. BARRERA

(CL. ARCHIVE NATIONAL HISTORIQUE, SECTION GUERRE CIVIL, SALAMANQUE, ESPAGNE)

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guerre civile et choisissent la politique de non-intervention, qui implique notamment de ne pasvendre des armes aux Républicains espagnols5.Cette non-intervention a indirectement servi decouverture à l’aide militaire de Mussolini etHitler à Franco. D’où une grande désillusion dela part de la génération espagnole de 1914, fran-cophile et républicaine, à l’égard de la France etde la Grande-Bretagne.

C’est que les États agissent suivant leurs inté-rêts. L’intérêt de la France a été d’empêcher letriomphe de Franco, puis de s’en accommoder.Au cours de la guerre civile ; les Républicains es-pagnols ont cherché la médiation de la GrandeBretagne et de la France pour obtenir un armis-tice et une phase de transition au cours de la-quelle les Espagnols auraient pu choisir leurrégime par référendum. Cette proposition, faite

en décembre 1936 est rejetée en 1937 et 1938.Manuel Azaña est convaincu que si l’Espagne ré-publicaine perd et si l’Allemagne nazie et l’Italiefasciste gagnent avec Franco, la France et laGrande Bretagne perdront la prochaine guerremondiale qui s’annonce. Mais les ministères desAffaires étrangères français et britannique fontla sourde oreille. La France privilégie ses rela-tions avec la Grande Bretagne, l’Italie etl’Allemagne. Ses objectifs sont de renforcer l’al-liance avec Londres, de contenir Hitler etMussolini qui ont constitué un Pacte d’Acier en1938, et d’éviter la guerre par tous les moyens.D’où l’attitude franco-britannique dans l’affairedes Sudètes et lors de la Conférence de Munichen septembre 1938.

Finalement, comme l’écrit René Girault, « Laconviction est largement répandue en Franced’une Espagne décadente, archaïque, misérable,donc impuissante, ce qui pose le problème pluslarge des rapports entre une puissance et un Étatfaible (ou considéré comme tel). L’Espagne aune mauvaise image en France, celle d’un payssous-développé mais qui n’ai pas réussi à se dé-coloniser car situé en Europe »6.

UNE PREMIÈRE tentative de rapprochemententre le gouvernement français de Dala-

dier et les nationalistes espagnols a lieu en mars1938 mais n’aboutit finalement pas7. Les Républi-cains et « aliadophiles » battus en février 1939 mal-gré une vaillante résistance, la France reconnaitofficiellement le 27 février le nouveau gouverne-ment franquiste. Deux jours plus tôt, le ministrefrançais des Affaires étrangères, Georges Bonnet,a envoyé Léon Bérard en Espagne signer les ac-cords avec le ministre espagnol des Affairesétrangères espagnol, le général Jordana. Les ac-

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MATTHIEU TROUVÉ BORDEAUX, ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE LA GIRONDE, 18 SEPTEMBRE 2015

5. Cf. Juan Avilés Farré, Pasión y farsa. Franceses y británicos ante la Guerra Civil española, Madrid, Eudema, 1994 ;Enrique Moradiellos, El reñidero de Europa : las dimensiones internacionales de la Guerra Civil española, Barcelone,Península, 1999 ; Jean-François Berdah, La République assassinée : la république espagnole et les grandes puissances :1931-1939, Paris, Berg international, 2000.

6. René Girault, « Réflexions sur la méthodologie de l’histoire des relations internationales. L’exemple des relations franco-espa-gnoles » dans Españoles y Franceses en la primera mitad del siglo XX, Madrid, CSIC, Centro de estudios históricos,1996, p. 153.

7. Michel Catala, « L’attitude de la France face à la guerre d’Espagne. L’échec des négociations pour la reconnaissance du gou-vernement franquiste en 1938 », Mélanges de la Casa de Velázquez, XXIX-3, 1993, p. 243-262.

MANUEL AZAÑA. (D. R.).

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cords Bérard-Jordana8 prévoient la reconnais-sance de la légitimité de Franco sur l’Espagne enéchange de la neutralité de l’Espagne dans leconflit mondial. Le texte comprend également unedéclaration de bon voisinage entre les deux paysqui possèdent 600km de frontière en commun.

Le 2 mars 1939, Philippe Pétain est nomméambassadeur de France à Madrid. Le lendemain,dans Le Populaire, organe de presse socialiste,l’ancien président du gouvernement Léon Blumproteste contre cette nomination. La mission dePétain est de rétablir de bonnes relations avecl’Espagne franquiste, s’assurer de la neutralité es-pagnole en cas de conflit en empêchant quel’Espagne tombe dans le camp nazi à l’approchede la guerre, et superviser la bonne exécutiondes accords Bérard-Jordana, en particulier levolet financier comportant le rapatriement desréserves d’or de la Banque d’Espagne à Madridet des toiles du musée du Prado que la Répu-blique espagnole avait transférées à l’abri enFrance9. L’Espagne redevient alors un enjeu im-portant pour la France dans les relations interna-tionales. La crainte de la France est en effetd’être prise en tenaille par trois ennemis à l’estet au sud : l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. S’assu-rer de la neutralité espagnole est donc capital.

Il en va de même avec le Portugal de Salazarqui soutient les nationalistes espagnols ets’éloigne des positions franco-britanniques. LePortugal réagit lui aussi en fonction de sespropres intérêts et joue la carte de la prudence,sans reconnaitre trop tôt le régime de Franco. Cen’est qu’en mai 1938 seulement que Salazar nouedes liens officiels avec le gouvernement fran-quiste. Lisbonne veille à la surveillance de safrontière avec l’Espagne, tout en affichant une« amitié péninsulaire ». Le gouvernement portu-gais ne veut pas non plus froisser les Britan-niques et poursuit une politique de neutralité« active » et attentive sur le continent. En mars1939, l’Espagne et le Portugal signent un pacte denon-agression. Lisbonne accueille avec soulage-

ment la défaite du Front populaire espagnol à l’is-sue de la guerre civile, ainsi que l’abandon del’idée d’une «Union ibérique » projetée un tempspar Serrano Suñer, beau-frère de Franco et mi-nistre espagnol des Affaires étrangères. Tous cesévénements expliquent ainsi pourquoi les rela-tions entre la France, l’Espagne et le Portugal de-viennent complexes et ambigües au cours desannées 1939-1940.

Des relations complexes et ambigües à partir de 1939

LE 3 SEPTEMBRE 1939, la Seconde Guerre mon-diale éclate. De septembre 1939 à mai 1940,

c’est la « drôle de guerre ». La France et la GrandeBretagne ont obtenu ce qu’elles souhaitaient :l’Espagne et le Portugal se tiennent en dehors duconflit. Franco a signé un traité d’amitié avecl’Allemagne et adhéré au Pacte anti-Komintern.Mais, surpris par la signature du pacte germano-soviétique et conscient de la faiblesse matérielleet économique de son pays après quatre annéesde guerre civile, il proclame prudemment la neu-tralité de l’Espagne en septembre 1939 et va jus-qu’à refuser aux sous-marins allemands de seravitailler en territoire espagnol. De son côté,Salazar poursuit sa politique de « neutralité ac-tive », souhaitant d’ailleurs la neutralisation del’ensemble de la péninsule. Le leader portugaisa su attirer l’attention des Anglais sur le péril queconstitue une Espagne alliée à l’Allemagne nazieet à l’Italie fasciste, et les Anglais craignent pourGibraltar. La neutralité portugaise est favorableà la Grande Bretagne, mais elle ne doit pas abou-tir, dans l’esprit de Salazar, à une vassalisation deson pays.

En mai 1940, les données changent avec la dé-bâcle française et l’arrivée des troupes alleman-des à la frontière des Pyrénées. Pour le gouver-nement portugais, il ne faut pas pousser à boutle Führer par une anglophilie trop voyante.Salazar, à cette date, semble ne croire ni à une

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LA FRANCE ET LES PAYS IBÉRIQUES : UNE MISE EN PERSPECTIVE HISTORIQUE (1939-1940)

8. Consultables dans leur intégralité sur Internet : http://basedoc.diplomatie.gouv.fr/exl-php/cadcgp.php9. Michel Catala, « L’ambassade espagnole de Pétain (mars 1939-mai 1940) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, vol. 55,

no 1, 1997, p. 29-42.

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victoire allemande, ni à une victoire britannique ;il reste partisan d’une paix compromis, convain-cu qu’un « bloc latin et chrétien » formé par lesrégimes d’ordre du Portugal, de l’Espagne et dela France, pourrait être une composante essen-tielle du nouvel ordre mondial10.

Pour Franco, au contraire, il faut se faire uneplace dans la nouvelle Europe hitlérienne.L’Espagne passe de la « neutralité » à la « non-bel-ligérance »11. Le général Franco accepte d’entreren guerre aux côtés de l’Axe, en échange decontreparties coloniales, militaires et écono-miques : souveraineté sur le Maroc et la régionoranaise, annexion du Cameroun français et dela Guinée, aide aérienne et sous-marine pourconquérir Gibraltar et défendre les Canaries, li-vraisons de céréales et d’armements lourds et an-tiaériens. Mais ces demandes sont jugéesdémesurées par les dirigeants nazis. Malgré lesentrevues de Franco avec Hitler à Hendaye (le23 octobre 1940) et Mussolini à Bordighera (le12 février 1941), l’Espagne se garde de tout enga-gement irréversible aux côté de l’Axe. Franco secontente d’adhérer au Pacte d’Acier et d’envoyerun corps de volontaires lutter contre le bolche-visme en 1941, la Division azul, composée de18000 volontaires. C’est la « drôle de neutralité del’Espagne »12.

Dans ce contexte, les relations entre la France– entendons une France partagée entre régimede Vichy et France occupée – et les pays ibé-riques sont tendues et complexes. De forts pointsd’achoppements apparaissent, tout d’abord,entre la France et l’Espagne, ce qui fait dire àl’historien Michel Catala qu’entre les deux pays,le rapprochement est nécessaire mais la réconci-liation impossible13. Outre la préférence nazie deFranco, le Caudillo revendique, comme on l’a dit,les colonies françaises du Maroc et du Cameroun.

S’ajoute à cela la présence de réfugiés espagnolssur le territoire français. L’armistice de juin 1940a imposé à environ 18000 Espagnols l’obligationde travailler pour le compte du régime nazi, tan-dis que 40000 autres sont contraints de se regrou-per dans des camps de réfugiés. De nombreuxEspagnols seront envoyés dans les camps deconcentration nazis, la plupart à Mauthausen,d’où seulement 3000 survivront. D’autres encorerejoignent les maquis de la résistance et lesForces françaises libres – notamment le 14e corpsdes Combattants, la 9e compagnie du régimentde marche du Tchad surnommée « la Nueve »14 etd’autres regroupements de combattants espa-gnols – et ont participé activement à la libérationdans le Sud-Ouest et à Paris15.

Le régime de Vichy se montre prudent avecl’Espagne franquiste. L’ambassadeur de Vichy àMadrid, Georges Renom de La Baume, nomméen mai 1940 souligne l’ambiance anti-françaisequi règne dans la capitale espagnole. De son côté,si l’ambassadeur de Franco à Paris, José Felix deLequerica, montre une certaine admiration pourle nouveau régime du maréchal Pétain ainsi quepour Pierre Laval, il préconise toutefois un rap-prochement avec l’Allemagne nazie afin de ren-forcer l’Espagne et de la placer dans une positionde « puissance d’équilibre » face à la France et laGrande-Bretagne. Le ministre des Affaires étran-gères de Vichy, Paul Baudouin, exprime quant àlui son souhait d’aller vers « une solidarité latineet chrétienne avec les trois grandes nations mé-diterranéennes ».

Ce qui, en réalité, va permettre un assouplis-sement dans les relations entre la France, l’Es-pagne et le Portugal, c’est le refus d’Hitler decéder aux exigences de Franco. Hitler veut mé-nager la France de Vichy dans un premier temps.

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10. Fernando Rosas, Portugal entre a Paz e a Guerra (1939-1945), Lisbonne, 1990 ; Jean-François Labourdette, Histoire duPortugal, Paris, Fayard, 2000, p. 582.

11. Voir notamment Javier Tusell, Franco, España y la II guerra mundial, Madrid, Temas de Hoy, 1995.12. Michel Catala, « L’ambassade espagnole de Pétain (mars 1939-mai 1940) », op. cit., p. 38.13. Michel Catala, Les relations franco-espagnoles pendant la Deuxième Guerre mondiale, Paris, L’Harmattan, 1997.14. Evelyn Mesquida, La Nueve, 24 août 1944. Ces républicains espagnols qui ont libéré Paris, Paris, éditions Le Cherche-

midi, 2011.15. Mathilde Meyer-Pajou, « Espagne et Espagnols dans les archives photographiques du CHGM (1936-1945) », Revue histo-

rique des armées, no 265, 2011, p. 69-74.

MATTHIEU TROUVÉ BORDEAUX, ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE LA GIRONDE, 18 SEPTEMBRE 2015

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Après avoir rencontré Franco à Hendaye le 23 oc-tobre 1940, il rencontre Pétain à Montoire-sur-le-Loir le lendemain et donne à ce dernier desassurances quant à la défense des territoires fran-çais en Afrique. Pour le Führer, la nouvelle Euro-pe doit se construire avec la collaboration poli-tique de la France et l’important est de contrôlerla Méditerranée en privant l’Angleterre de ses po-sitions méditerranéennes16.

Il est dès lors clairement apparu pour Francoque l’Allemagne nazie ne pourrait lui venir enaide pour résoudre ses problèmes et revendica-tions coloniales. Le chef d’État espagnol va tem-poriser et chercher à gagner du temps tout aulong des années 1940-1942. Sentant l’issue duconflit mondial changer de camp à partir de no-vembre 1942-début 1943, notamment à la suite dudébarquement anglo-américain en Afrique duNord, le général Franco réaffirme la neutralitéde son pays en octobre 1943 puis se rapproche

peu à peu des Alliés. Un accord secret avec lesÉtats-Unis et la Grande-Bretagne signé en mai1944 permet aux Alliés d’utiliser les bases aé-riennes espagnoles et lève l’embargo sur les li-vraisons de pétrole à l’Espagne, en échange de lasuspension par le gouvernement espagnol de sesventes de minerais à l’Allemagne et de son re-trait définitif du front russe.

Le régime franquiste suit la même logique di-plomatique avec la France de Vichy avec la-quelle les relations se détendent sensiblement àpartir de 1941. Une rencontre a lieu entre Pétainet Franco à Montpellier le 13 février 1941, en com-pagnie de l’amiral Darlan et de Ramón SerranoSúñer, au lendemain de la rencontre entreFranco et Mussolini à Bordighera. Les imagesd’actualité montrent sur le bon accueil réservéau Caudillo par les autorités de Vichy et la bonneentente entre les deux chefs. Le commentaire in-siste sur l’« atmosphère de chaude cordialité » de

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LA FRANCE ET LES PAYS IBÉRIQUES : UNE MISE EN PERSPECTIVE HISTORIQUE (1939-1940)

16. Marlis Steinert, Hitler, Paris, Fayard, p. 422-425.

LE HALF-TRACK GUADALAJARA DE «LA NUEVE », LE PREMIER VÉHICULE À ÊTRE ENTRÉ SUR LA PLACE DE L’HÔTEL DE VILLE DE PARIS, LE 24 AOÛT 1944. (D. R.)

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la visite qui « apporte un élément nouveau à laconstruction de l’Europe future »17. En réalité, unjeu de dupes s’instaure entre la France de Vichyet l’Espagne dont les deux pays parviennent sinonà en tirer profit, du moins à s’en accommoder.

Du côté de la politique portugaise vis-à-vis desbelligérants, on constate également la même pru-dence au début de la guerre et la même évolu-tion que dans le cas espagnol, avec toutefoispeut-être plus de subtilité et de finesse diploma-tique18. La correspondance de l’ambassadeur por-tugais à Madrid, Pedro Teotónio Pereira, avecSalazar a confirmé que la Grande-Bretagne avaitappuyé activement les efforts du Portugal pourconvaincre Franco de ne pas intervenir dans leconflit. Une étroite coordination entre les diplo-maties portugaise et britannique s’instaure pourrassurer Franco sur le plan politique comme surcelui de l’économie de guerre. Le Portugal suitune politique pro-britannique de neutralisationde la péninsule, illustrée notamment par le traitéd’amitié et de non agression luso-espagnol du17 mars 1939 et son protocole additionnel du29 juillet 1940. Les conséquences en sont déci-sives pour la suite du conflit mondial. LePortugal devient un port pacifique d’entrée et desortie de l’Europe occupée et ses îles atlantiquesacquièrent un positionnement stratégique ; laneutralité portugaise confère au gouvernementde Lisbonne un poids international certain.

Après juin 1940, pris entre deux feux, lesPortugais tentent de ménager à la fois la Grande-Bretagne et l’Allemagne nazie. Le blocus écono-mique des puissances de l’Axe instauré parLondres en juillet 1940 complique les rapportsluso-britanniques. Une forte contrebande s’orga-nise vers l’Allemagne. Les Nazis mettent aupoint l’opération Félix : l’Espagne leur auraitlaissé le libre passage sur son territoire, Gibraltar

aurait été occupé, le détroit fermé à la RoyalNavy ; il était prévu d’occuper toute la côte et lesarchipels portugais de l’Atlantique afin de s’op-poser à tout débarquement anglais. Dans l’éven-tualité de la réalisation de cette opération,Salazar avait entamé des négociations avec laGrande-Bretagne pour réclamer la protection desa flotte et avait prévu une évacuation vers lesAçores, voire l’Afrique. Finalement les années1942-1943 entraînent un virage dans la politiquede neutralité portugaise et un rapprochement dé-finitif vers les alliés anglo-américains, commedans le cas espagnol. L’essentiel pour Salazarcomme pour Franco est d’assurer la pérennité deleur régime pendant et après la guerre19.

AINSI, bien qu’il ait collaboré économique-ment avec les puissances de l’Axe et mal-

gré ses affinités idéologiques avec ces pays, lePortugal de Salazar s’est bien gardé d’entrer enguerre contre la Grande-Bretagne, une alliée tra-ditionnelle et stratégique. De même, l’Espagnede Franco a collaboré militairement avec l’Alle-magne nazie mais, malgré la proximité idéolo-gique entre le nazisme et le franquisme, Madrida fini par rester en dehors du conflit mondial. Parailleurs, les frontières entre l’Espagne et laFrance, l’Espagne et le Portugal ont été poreuses ;des zones de passages et de contrebande se sontorganisées. Dans ces conditions, les relationsentre les trois pays – France, Espagne, Portugal –ont revêtu un caractère complexe en dépit desapparences, et ce flou, cette ambigüité diploma-tique, ont pu servir de cadre à l’action d’Aristidesde Sousa Mendes qui a sans aucun doute pu entirer parti dans son action consulaire pour déli-vrer des visas aux Juifs persécutés à Bordeaux.

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MATTHIEU TROUVÉ BORDEAUX, ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE LA GIRONDE, 18 SEPTEMBRE 2015

17. Archives de l’INA, Les Actualité mondiales, « Entrevue entre Pétain et Franco », 14 mars 1941, consultable sur :http://www.ina.fr/video/AFE85000390

18. Jean-François Labourdette, op. cit., p. 581-585.19. António José Telo, Portugal na Segunda Guerra mundial (1941-1945), Lisbonne, 1991, 2 vol.

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Introduction

EN 2006 la Fondation Raoul Wallenberg etl’institut Cervantes de New York ont rendu

hommage à l’œuvre humanitaire accomplie parle diplomate Eduardo Propper de Callejón àBordeaux, pendant les premiers jours de l’occu-pation de la France. Lors de son discours de re-merciement, Felipe Propper, fils du diplomate,qui comptait 10 ans en 1940 et témoin des évène-ments ayant eu lieu à Bordeaux, évoqua ainsi lamémoire et l’action de son père :

« Les manches retroussées, sous la chaleur ac-cablante de l’été, il commença a concéderd’innombrables laissez-passer classés “spé-ciaux” aux pauvres gens qui, en désespoir decause, essayaient de fuir l’hécatombe nazie ».

«En mangas de camisa y con un calor agobiantede verano, empezó a conceder un sinnúmero devisados clasificados como “especiales” a la pobregente que desesperadamente intentaba huir de lahecatombe nazi ».

En effet, entre le 18 et le 22 juin 1940, et aprèsavoir obtenu le feu vert de José Félix de Leque-rica, ambassadeur d’Espagne en France, EduardoPropper délivre dans cette ville de Bordeaux(siège éphémère d’un gouvernement qui négo-ciait les conditions de sa défaite) des milliers de« laissez-passer » aux personnes de toutes les na-tionalités qui arrivaient en masse au consulatd’Espagne. Au milieu d’une France effondrée, enétat de choc et dans une ville complètement dé-bordée par l’arrivée massive des réfugiés(Bordeaux multiplie sa population par trois en 72heures), le diplomate doit agir très vite pour sau-ver de l’hécatombe nazie, des milliers des per-sonnes désespérées.

Biographie de Propper et affaire de fortune

QUI EST Eduardo Propper de Callejón etquelles expériences vitales ou personnelles

se cachent derrière l’accomplissement des ac-tions humanitaires qui mettait en péril sa car-rière diplomatique ?

2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES 51

DAVID ALLER* BORDEAUX, ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE LA GIRONDE, 18 SEPTEMBRE 2015

Eduardo Propper de Callejón : l’œuvre humanitaire d’un Juste

dans la France occupée

* Professeur d’histoire géographie

D. R

.

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DAVID ALLER BORDEAUX, ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE LA GIRONDE, 18 SEPTEMBRE 2015

EDUARDO PROPPER DE CALLEJÓN. (CL. SOURCE YAD VASHEM, D.R.).

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Défini par l’historien américain James MacAuley comme « conservateur, royaliste et parti-san enthousiaste du régime du général Franco »,Eduardo Propper de Callejón naît à Madrid en1895. Sa mère, Juana de Callejón, était issued’une famille de diplomates et de politiciens es-pagnols. Pendant l’un des voyages de son père,elle fit la connaissance de Max Propper, un Juiftchèque qu’elle épousera. Leurs fils, EduardoPropper, a grandi à Madrid, sa ville de naissance,il a été éduqué dans la foi catholique de sa mèreet il a été élevé par son grand-père maternel, an-cien consul d’Espagne à la Nouvelle Orléans.Après son passage par l’école de Droit de l’uni-versité centrale de Madrid, il accède à la carrièrediplomatique en 1918. Lors de la proclamation dela seconde République, en 1931, il quittera volon-tairement ses fonctions et se retirera dans le châ-teau de sa famille politique, le palais abbatial deRoyaumont, à Asnières, près de Paris. Dans la ca-pitale française il organisera, lors de l’éclatementde la guerre civile espagnole, une ambassade of-ficieuse, fidèle au gouvernement rebelle deFranco. Suite à la victoire des troupes franquistesen avril 1939, il se fait nommer premier secré-taire de l’ambassade d’Espagne à Paris, la ville oùil vivait depuis 1931 avec son épouse HélèneFould-Singer.

EDUARDO Propper et Hélène Fould-Singer sesont connus à Vienne dans les années 20.

Elle appartenait à une riche famille juive d’ori-gine franco-autrichienne. Le père d’Hélène, lebaron Eugène Fould faisait partie d’une dynastiede banquiers et politiciens français. Sa mère,Mitzi Von Singer, avait grandi dans la cour del’empereur François-Joseph Ier d’Autriche. Peuaprès sa nomination à Paris, concrètement enjanvier 1940, Propper met sous la protection di-plomatique espagnole le château de sa belle-mère, Royaumont. Par le biais d’un télégrammeenvoyé au Quai d’Orsay le 14 janvier, l’ambas-sade espagnole communiquait aux autorités fran-çaises que la demeure de la belle-mère dudiplomate était la « résidence officielle » dePropper. À peine un mois auparavant, le haut-

commissaire du patrimoine d’Autriche et laGestapo avaient réquisitionné une villa de la ba-ronne à Vienne. Elle était devenue une écolepour les officiers de la SS. 32 des 54 tableaux dela résidence, parmi eux un Saint Jean du peintreVan Dyck intègrent le patrimoine de l’état autri-chien. Avec la mise sous protection diploma-tique de Royaumont, le patrimoine de la famillede Propper échappait à d’éventuelles expropria-tions en cas d’occupation de la France par lesAllemands. Sous l’initiative de Propper, des di-zaines de familles juives de Paris vont transpor-ter leur argent, leurs tableaux et autres biens àRoyaumont, entre janvier et mai 1940, pour lesmettre sous la protection diplomatique de l’étatespagnol. En même temps, et en collaborationavec Bernardo Rolland de Miota, consul généralà Paris (lequel va sauver la vie de dizaines deJuifs français en leur facilitant des visas pour leMaroc espagnol), ils vont cacher au siège de l’am-bassade d’Espagne d’innombrables autres biensde familles juives parisiennes. Le document queje vous montre provient des archives du minis-tère des Affaires étrangères d’Allemagne. Je l’aitrouvé cet été grâce à la collaboration d’une amieet collègue, professeur-chercheur à Berlin. Ledossier se compose d’une trentaine de télé-grammes envoyés entre 1940 et 1944 par l’ambas-sade d’Allemagne à Paris au ministère des Affai-res étrangères à Berlin. Sur la première de cou-verture de cet ensemble de documents, nous pou-vons lire : « Propper de Callejón / Fould-Singer,Affaire de fortune ».

Le premier des télégrammes, daté du 31 août1940, fait savoir au ministère du Reich que « le se-crétaire de l’ambassade espagnole de Paris, Juifbaptisé, a mis sous protection de l’ambassade es-pagnole les biens de la juive baronne Fould-Singer[…] étant donné que les Juifs Fould-Singer sont sesbeaux-parents » et il fait une «demande d’instruc-tions pour savoir ce qu’il faut entendre contre unemise sous protection injustifiée pour prendre pos-session d’innombrables objets d’art et de valeurjuifs ». Le ministère des Affaires étrangères décon-seille, à ce moment, la poursuite d’actions contre

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EDUARDO PROPPER DE CALLEJÓN : L’ŒUVRE HUMANITAIRE D’UN JUSTE DANS LA FRANCE OCCUPÉE

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cette décision de l’ambassade espagnole « au re-gard des relations politiques avec l’Espagne ».

Mai-juin 1940

LANUIT du 9 mai 1940, une voiture de l’ambas-sade espagnole transfère la famille politique

de Propper dans une ferme du village de Charras,au nord d’Angoulême, laissant derrière eux Royau-mont, qui sous le drapeau de l’Espagne abrite en-core le patrimoine de plusieurs familles juives.

La ferme où les Propper habitent est pro-priété du docteur Albert Metzl, directeur d’unedes usines de la famille Fould-Singer. Avecl’épouse de Propper et leurs enfants, Felipe etElena, de 10 et 5 ans, voyagent sa belle mère, labaronne Mitzi Von Singer, le second époux decelle-ci, l’anglais Frank Wooster et le neveu dePropper, le petit David Pryce-Jones, quatre ans.

LE 10 juin, Paul Reynaud, Premier ministre français, décide de transférer le siège du

Gouvernement à Bordeaux suite à l’entrée destroupes nazies dans Paris. Les représentants di-plomatiques en France s’installent également àBordeaux. Propper de Callejón et sa famille, quit-tent Charras pour s’installer au consulat d’Espa-gne de la capitale girondine. Au milieu de la confu-sion qui régnait dans la ville, le consul espagnolen poste avait disparu. Propper de Callejón de-vient, dans l’absence de l’ambassadeur espagnolJosé Félix de Lequerica, le plus haut représen-tant diplomatique de l’Espagne à Bordeaux.

LE MÊME 10 juin, Reynaud avait formellement demandé à l’ambassadeur d’Espagne, José

Félix de Lequerica, de négocier avec lesAllemands, au nom de la France, les conditionsde l’armistice. Il ne faut pas oublier qu’en 1940l’ambassadeur Lequerica représentait une na-tion, l’Espagne, qui se déclarait ouvertementamie et alliée de la puissance qui était en traind’occuper le territoire français.

Ainsi, lorsque Propper arrive seul à Bordeauxet occupe le consulat, son ambassadeur est en

train de négocier avec ses alliés allemands, aunom de la France et à la demande de son Pre-mier ministre, la capitulation du pays.

Dans ces circonstances, avec des milliers deréfugiés aux portes du consulat qui demandentdes visas pour pouvoir fuir la barbarie nazie quiapproche, Propper écrit à l’ambassadeur pour luidemander des instructions.

C’est ainsi que le diplomate remémorait lesévénements dans son journal intime :

« Il est bien connu que ce ne sont pas les am-bassades qui sont chargées de délivrer de pas-seports […] mais il était urgent de résoudre leproblème. Lequerica était uniquement inté-ressé par la question politique et, en bon po-liticien qu’il était son attention et ses actionsétaient tournées vers sa relation avec leGouvernement faisant pression pour que PaulReynaud démissionne et le maréchal Pétainprenne le pouvoir, mettre fin aux divergenceset que l’armistice soit conclu. »

Il ajoutait : « La politique de délivrance desvisas était totalement inapplicable dans cescirconstances » à cause de la lourdeur des dé-marches bureaucratiques que cela entraînait.

«Dans cette optique, je me suis souvenu queen certaines occasions, les ambassadess’étaient servi du “laissez-passer spécial” (visa-dos especiales). Je l’ai ainsi communiqué àl’ambassadeur en soulignant que le visa s’ac-corderait toujours en quatre jours. L’initiativefut approuvée et nous commençâmes à agirimmédiatement. »

En réalité, le télégramme de l’ambassadeurLequerica fut bref et expéditif :

«Eduardo, faites ce qu’il vous semble convenable,pensez-y et dites-le moi avant de commencer».

Dans son journal, Propper affirme qu’il assi-gna un numéro à chaque « laissez-passer » et créa

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DAVID ALLER BORDEAUX, ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE LA GIRONDE, 18 SEPTEMBRE 2015

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un registre. Après son établissement à Vichy ildemanda à un secrétaire de l’ambassade de le ré-cupérer. Le registre avait disparu. Il se demande :

«Qui s’est approprié le fameux registre ? Pour-quoi ? Je ne l’ai jamais su. »

LE 25 juin 1940, avec les troupes allemandes aux portes de Bordeaux il délivre les deux

derniers « laissez-passer » en faveur de ses beaux-parents qui traversent la frontière espagnolecette même nuit. Après un mois à Madrid, ilsvont quitter l’Espagne pour le Portugal, où ilsvont se réfugier jusqu’à la fin de la guerre. SelonDavid Pryce-Jones, neveu de Propper âgé de qua-tre ans à l’époque, le diplomate va signer desfaux papiers en sa faveur en le faisant passerpour son fils afin qu’il puisse se réfugier enEspagne. Le petit restera à Zarauz, près de Saint-Sébastien, jusqu’en 1942.

SIX MOIS après cette honorable action humani-taire à Bordeaux, un télégramme dramatique

arrive au bureau de l’ambassadeur Lequerica àVichy. Il est signé par le ministre espagnol desAffaires étrangères, Ramón Serrano Suñer, beau-frère de Franco et dont les affinités pro-naziesétaient connus de tous. Dans son télégramme ilécartait Propper de l’ambassade espagnole àVichy et l’envoyait comme consul à Larache, unecaserne de la Légion au Maroc espagnol.

Après avoir reçu ce télégramme, Lequerica,intercède en faveur de Propper face à Pétain. Cedernier va octroyer à Propper la Croix de laLégion d’honneur quelques jours après sa desti-tution par le ministre espagnol des affaires étran-gères. Dans une lettre du 26 février 1941 adresséeau ministre, Lequerica attribue cette concession« à la grande estime que le chef de l’État françaisporte à l’intéressé et aux services rendus parPropper en faveur des relations hispano-fran-çaises ».

Mais la réponse de Serrano Suñer est acca-blante : la nouvelle «manque d’intérêt » et il semontre étonné des raisons que le gouvernement

français a pu avoir pour octroyer la Légion d’hon-neur à un fonctionnaire espagnol qui a servi « lesintérêts des Juifs de la France ».

En mars 1942, Propper de Callejón loue laVilla «Ritchie » à Tanger où il va s’établir avec safemme, ses enfants et son petit neveu David,qu’il récupère à Zarauz.

DANS LE dossier allemand sur « l’affaire de for-tune » évoqué auparavant, nous retrouvons

un télégramme signé par Otto Abetz, ambassa-deur de l’Allemagne nazie dans la France occu-pée, adressé au ministère allemand des Affairesétrangères. Après le départ de Propper il abritel’espoir que les autorités espagnoles n’opposentpas de résistance cette fois-ci, à l’enlèvement dela protection diplomatique du château de Royau-mont.

«Étant donné que Propper n’est plus en servicecomme diplomate en France et qu’il n’auraitjamais à revendiquer auprès de l’Allemagnede prérogatives diplomatiques, je demande desinstructions les plus rapides possibles : 1o Poursavoir si le château de l’épouse juive de Propperet 2o La « société Fould-Singer » doivent resterplus longtemps soustraits à la saisie […] ducommandant militaire ».

L’ambassadeur allemand Abetz termine sontélégramme en s’en remettant à l’autoritépour « faire savoir sans équivoque à l’ambas-sade espagnole de Berlin que le comporte-ment de Propper, qui se présente comme lereprésentant d’un pays ami de l’Allemagne,déconcerte énormément, et nous ne sommesplus du tout enclins à tolérer davantage detelles combines juives dans la zone d’occupa-tion ».

Une fois de plus, le ministre allemand desAffaires étrangères déconseille de prendre desmesures contre une résidence soumise à la pro-tection diplomatique de l’Espagne.

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EDUARDO PROPPER DE CALLEJÓN : L’ŒUVRE HUMANITAIRE D’UN JUSTE DANS LA FRANCE OCCUPÉE

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DAVID ALLER BORDEAUX, ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE LA GIRONDE, 18 SEPTEMBRE 2015

Conclusion

EDUARDO Propper passe le reste de la guerreau Maroc espagnol. Il réussira à aider ses

beaux- frères Max et Liliane à s’enfuir de Cannesaprès l’occupation de la zone sud en 1942, ainsiqu’à envoyer finalement à Londres, auprès deses parents, son petit neveu David.

Il prendra sa retraite comme diplomate à Osloen 1965 et décèdera à Londres en 1977 sans avoirjamais acquis la dignité d’ambassadeur d’Espa-gne, à cause de ce télégramme antisémite de 1941qui le rétrograda par ordre directe du ministredes Affaires étrangères.

Ni ses efforts aux États Unis en 1952 pour ob-tenir la reconnaissance diplomatique du régimede Franco par les États Unis, ni ses efforts en tantque diplomate pour que l’Espagne intègre l’ONU

en 1955, furent suffisantes pour obtenir une re-connaissance officielle de son œuvre humani-taire à Bordeaux en juin 1940.

En revanche, Eduardo Propper a laissé, deson vivant, de nombreux témoignages de sa sa-tisfaction personnelle. La satisfaction person-nelle qu’apporte le devoir accompli, uneconduite droite et une conscience tranquille.

Son fils rappelait que durant son séjour auxÉtats Unis « il avait rencontré des personnes aux-quelles il avait accordé des visas pendant cesjours terribles ». Rencontres, il ajoutait « qui luidonnèrent la grande satisfaction de voir que sonactivité à Bordeaux avait démontré ses profondssentiments envers l’Humanité ».

SANS aucun doute son œuvre toute entière, du-rant ces années-là, est celle d’un homme

juste, qui dans une Europe déchirée par la mort,la destruction, les tyrannies et la peur, a opté àmettre les moyens dont il disposait au service del’espoir, la vie et la liberté, honorant ainsi sa pro-fession et la tradition humanitaire de son pays.

LE CONSULAT D’ESPAGNE À BORDEAUX EN 1940, 1 RUE MANDRON. (CL. B. LHOUMEAU).

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Mesdames et Messieurs1939 et 1940 ont été des années noires et dra-

matiques pour l’Europe et ses habitants, avec lesconséquences tragiques que nous connaissons.

DÉBUT 1939, la fin de la guerre d’Espagne, quia été au premier rang de la Seconde Guerre

mondiale avec son lot de réfugiés en détresse, ladouloureuse «Retirada » et ses 500 mille réfugiésparqués dans des conditions indignes dans lescamps du sud de la France.

L’occupation, l’invasion des pays de l’est et dunord de l’Europe par les troupes allemandes duIIIe Reich :

– la Tchécoslovaquie en mars 1939,– la Pologne en septembre 1939, avec pourconséquence, plus de 110 mille réfugiés,– la Finlande en novembre 1939,– le Danemark et la Norvège, le 9 avril 1940,– le Luxembourg et la Hollande, le 10 mai 1940,– la Belgique, le 17 mai 1940,– mai et juin 1940, la grande offensive alle-mande sur l’est et le nord de la France,– le 9 juin, les troupes allemandes entrentdans la ville de Rouen et la Normandie,– le 14 juin, la capitale de la France, Paris, estoccupée par les nazis.

DU FAIT de la défaite, de la débâcle militairedes armées françaises, de la capitulation de

la Belgique, de la Hollande et de la France du ma-réchal Pétain – le 17 juin 1940 à Bordeaux – plusde dix millions d’Européens, civils et militairesen provenance de Pologne, d’Allemagne, d’Autri-che, de Belgique, de Hollande, du Luxembourg,

du nord et de l’est de la France, des régions pari-sienne et du Centre, prennent le chemin del’exode afin de fuir l’avancée des troupes nazieset l’occupation allemande.

Bordeaux, la Gironde et le Sud-Ouest devien-nent le cul de sac d’une Europe, à feu et à sang,terrorisée par les bombardements de l’aviationdu IIIe Reich.

EN JUIN 1940, Bordeaux devient – pour la troi-sième fois de l’histoire – la capitale de la

France, d’un pays en déroute confronté à ses di-visions, ses complots et ses trahisons.

Bordeaux et la Gironde vont accueillir pourquelques semaines des membres des gouverne-ments polonais, belges et luxembourgeois en exil.

Les ambassades des principaux pays serontinstallées dans 73 châteaux du vignoble bordelaisréquisitionnés à cet effet.

Le 17 juin 1940, Paul Reynaud, président duConseil est poussé à la démission, immédiate-ment remplacé par le maréchal Pétain, qui, lejour-même, va demander aux Français et aux ar-mées de cesser le combat, de déposer les armeset va proposer l’armistice aux occupants alle-mands.

C’est le début de la collaboration et la nais-sance de la France de Vichy.

EN 2015, nous commémorons le 75e anniver-saire de la tragédie de juin 1940 et ses consé-

quences.Ces événements ont eu comme toile de fond,

Bordeaux et la Gironde.

2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES 57

MANUEL DIAS VAZ BORDEAUX, ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE LA GIRONDE,18 SEPTEMBRE 2015

Les tragédies de 1939 et 1940, les Espagnols sauvéspar Aristides de Sousa Mendes et Émile Guissou

à Bordeaux, Bayonne et Toulouse.

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MAIS EN 2015, nous commémorons égale-ment l’Appel du 18 juin 1940 du général de

Gaulle, de Londres, invitant les Français à la ré-sistance, à poursuivre la lutte contre l’occupantet à maintenir allumée la flamme de la libertéavec le soutien de nos amis anglais, nos alliés.

L’année 2015 est aussi le 75e anniversaire del’action héroïque et exemplaire du consul généraldu Portugal à Bordeaux, Aristides de SousaMendes qui, en désobéissant aux ordres du dicta-teur portugais Antonio Salazar et à sa circulaire ra-ciste du 11 novembre 1939*, va sauver à Bordeaux,Bayonne, Hendaye et Toulouse plus de 30000 per-sonnes menacées par les troupes du IIIe Reich.

En mai et juin 1940, Bordeaux, la Gironde,l’Aquitaine et le Sud-Ouest sont confrontés à unexode massif sans précédent, des millions de ré-fugiés, de déplacés français et étrangers en pro-venance de toute l’Europe.

À ces millions de personnes il faut ajouter lesmilliers de Républicains espagnols réfugiés, qui,en 1939, ont fuit l’Espagne franquiste phalangiste.

EN QUELQUES semaines, fin mai et juin 1940,la population de Bordeaux a été multipliée

par trois, passant de 240000 personnes à près de900000.

Durant la même période, le département de laGironde a vu sa population multipliée par deux.

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MANUEL DIAS VAZ BORDEAUX, ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE LA GIRONDE,18 SEPTEMBRE 2015

* Voir annexes.

ARISTIDES DE SOUSA MENDES. (CL. FAMILLE SOUSA MENDES).

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À Bordeaux, la grande esplanade des Quin-conces et ses 126000 mètres carrés, les allées deTourny et le jardin public, à proximité, ont abritédes milliers de réfugiés en détresse, accablés parla peur, la souffrance, le rationnement, la tour-mente, en plein chaos.

Le député, résistant communiste, CharlesTillon est l’auteur du premier appel à la résis-tance, rédigé à Gradignan le 17 juin et diffusé surl’agglomération bordelaise.

Il a écrit dans ses mémoires :

« Bordeaux était un gigantesque entassementhumain, de centaines de milliers de migrantset de réfugiés déboussolés, à la recherche d’unboulanger, d’un toit, et surtout, d’un visa pourfuir la tourmente. »

C’EST dans un tel contexte tragique, qu’unefoule immense de réfugiés, cherche par tous

les moyens, à obtenir des visas lui permettant defuir la guerre et d’échapper aux camps d’interne-ment et à la déportation nazis.

Ils cherchent à rejoindre le Portugal en tran-sitant par l’Espagne car, à cette époque, le Por-tugal, pays neutre, était une des rares portesouvertes du continent européen confronté à latragédie de la Seconde Guerre mondiale.

Face à cette situation et au danger qui pe-saient sur ces réfugiés, le consul Aristides deSousa Mendes va prendre à Bordeaux, en juin1940, une décision historique qui permit de sau-ver plus de 30000 personnes, dont :

– dix mille Juifs,– des milliers de Chrétiens opposés à Hitler,– plus de 700 Républicains espagnols,– des membres des gouvernements belge, po-lonais et luxembourgeois en exil,– les familles royales d’Autriche et du Luxem-bourg,– les trois frères Rothschild,– des artistes de renom international,– des hauts fonctionnaires,

– des officiers supérieurs des armées des paysoccupés… Dont le général Philippe Leclerc,qui a reçu, le 23 juin 1940, à Bayonne, un visadu consul Aristides de Sousa Mendes, ce quilui a permis, en transitant par Lisbonne, de re-joindre, à Londres, le général de Gaulle et, parla suite, les armées de la France libre, enAfrique du Nord.

Des visas pour des Espagnols :

– les réfugiés espagnols qui ont obtenu desvisas du consul Aristides de Sousa Mendes oudu consul honoraire du Portugal à Toulouse,Émile Guissou,

– selon les noms du registre de visas de Bor-deaux et des éléments d’archives du Ministèreau Portugal, environ 700 personnes d’origineespagnole, auraient bénéficié de visasd’Aristides de Sousa Mendes ou du consul ho-noraire Émile Guissou.

EN MAI et juin 1940, Aristides de Sousa Men-des a autorisé le consul honoraire du Por-

tugal à Toulouse, Émile Guissou, a délivrer desvisas.

Émile Guissou était un diplomate de carrièreà la retraite, un humaniste sensible au sort desréfugiés espagnols et portugais, victimes de laguerre d’Espagne et parqués dans des camps dusud de la France.

Émile Guissou, selon les archives, est inter-venu à différentes reprises auprès des autoritésfrançaises afin d’alerter sur les conditions in-dignes et inhumaines d’internement des réfugiésespagnols et portugais.

Il a délivré à Toulouse, sur les ordres d’Aristi-des de Sousa Mendes, plus de 450 visas à des ré-fugiés espagnols.

À Bordeaux et à Bayonne, le consul Aristidesde Sousa Mendes aurait délivré près de 250 visasà des réfugiés républicains espagnols afin de leurpermettre de rejoindre des pays d’Amérique la-

2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES 59

LES TRAGÉDIES DE 1939 ET 1940, LES ESPAGNOLS SAUVÉS PAR ARISTIDES DE SOUSA MENDES ET ÉMILE GUISSOU

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tine par bateau, en partant des ports de La Ro-chelle, Bordeaux, Pauillac et Bayonne.

Citons quelques personnalités :

– le premier mars 1940, le consul Aristides deSousa Mendes a délivré à Bordeaux un visapour le professeur de médecine basque espa-gnol Eduardo Neira Laporte, officier dans l’ar-mée républicaine espagnole, résidant, enqualité de réfugié, près de Dax dans le sud desLandes, dans le village de Rivière, où il étaitl’un des principaux représentants basques es-pagnoles réfugiés dans le Sud-Ouest. Le pro-fesseur Eduardo Neira Laporte, sa femme etses trois enfant ont obtenu un visa qui leur a permis de partir du port de La Rochelle àdestination de la Bolivie, en transitant parLisbonne, fin mars 1940.

– Le 30 mai 1940, Aristides de Sousa Mendesa délivré un visa à l’officier républicain espa-gnol Miguel Onraita, à destination de l’Argen-tine au départ de Bordeaux, en transitant parLisbonne.

– Le 12 juin 1940, Aristides de Sousa Mendes adélivré un visa à Eduardo Fernandez et sonépouse à destination de l’Uruguay.

– Le 14 juin 1940, Aristides de Sousa Mendes asigné un visa à Jorges Popperone, sa femmeet ses enfants, à destination de l’Uruguay.

– Le 14 juin, des visas ont été donnés, par leconsul Aristides de Sousa Mendes à Bordeaux,à Don Carlos de Garcia et Dona Barbara deGarcia, à destination du Brésil, en transitantpar Lisbonne.

– Le 20 juin 1940, Aristides de Sousa Mendesa signé des visas pour le peintre Salvador Daliet son épouse Gala – nommée Elene Ivanova,réfugiée russe – à destination des États Unis(New York), en transitant par Lisbonne.

SELON différentes sources (les notes du procèsd’Aristides de Sousa Mendes, le livre des

visas délivrés à Bordeaux, entre mars 1940 et le19 juin 1940 et des éléments recueillis par leSousa Mendes Foundation aux USA) Aristides deSousa Mendes, à Bordeaux et à Bayonne, etÉmile Guissou à Toulouse, auraient délivré prèsde 700 visas à des réfugiés espagnols dans legrand Sud-Ouest, qui leur auraient permis dequitter la France pour rejoindre des pays del’Amérique latine, tels que la Bolivie, le Chili,l’Argentine, le Venezuela, le Brésil, l’Uruguay…

DURANT la période de la guerre 1939-1945, lePortugal, pays neutre, a permis le transit et

accueilli plus de deux millions de réfugiés, apa-trides, déplacés, déserteurs, dont des milliers deJuifs.

Lisbonne a été, durant toute la période de laSeconde Guerre mondiale, une des portes de sor-tie de l’Europe, un des hauts lieux de transit pourtous ceux qui ont fuit les nazis, l’occupation alle-mande et qui se sont réfugiés aux États Unis, auCanada, dans les pays d’Amérique latine, l’Afri-que du Nord, l’Angleterre, la Palestine…

JE SUIS aujourd’hui persuadé que le fait d’avoirdélivré des visas aux réfugiés espagnols a été

un facteur aggravant, pour Aristides de SousaMendes, qui a pesé dans sa condamnation* parle président Salazar.

Nous savons tous quel a été le soutien duPortugal de Salazar dans la guerre d’Espagne, etla complicité du président Salazar avec le généralFranco.

Pour Salazar, le fait qu’un de ses diplomatesdésobéisse à Bordeaux, et par-dessus le marché,sauve des communistes, des Républicains espa-gnols, était considéré par le dictateur portugais,comme un crime de lèse majesté, une faute im-pardonnable.

Je vous remercie de votre attention.

* Voir annexes

60 2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES

MANUEL DIAS VAZ BORDEAUX, ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE LA GIRONDE,18 SEPTEMBRE 2015

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2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES 61

KOTTE ECENARRO HENDAYE, 25 SEPTEMBRE 2015

Parmi les personnalités présentes à nos côtés,je salue notamment :

Monsieur Manuel Dias Vaz, président du co-mité de soutien ; les membres de la familled’Aristides de Sousa Mendes ; Madame ChristelleCazalis, adjointe à la culture de la ville d’Hen-daye ; Monsieur Jean Dias, délégué aux cérémo-nies de la ville d’Hendaye ; Mesdames et Mes-sieurs les élus ; Messieurs les porte-drapeaux,

NOUS voici rassemblés sur ce vieux pont in-ternational d’Hendaye pour commémorer

la mémoire de M. Aristides de Sousa Mendes.

Au moment de dévoiler la plaque qui porteson nom, je tiens à rappeler avec une certaineémotion, l’action déterminante et courageusequi fut celle menée par ce « consul général duPortugal rebelle », en faveur des milliers de per-

sonnes fuyant la barbarie nazie. En effet, déso-béissant aux ordres donnés par le dictateurSalazar, ces personnes obtinrent grâce à lui, lesvisas leur permettant de rejoindre le Portugal.

Ce pont international où nous sommes au-jourd’hui réunis, est un lieu emblématique denotre histoire, tant il connut le passage dans lesdeux sens au grès des conflits qui secouèrentl’Europe, de nombreux combattants et civils detoutes nationalités Juifs, Chrétiens, Républicainsespagnols, brigades internationales, etc.

Ce pont international d’Hendaye fut à la foisle pont de la souffrance de celles et ceux que laguerre et la faim chassait de leurs pays, mais éga-lement le pont de l’espoir : espoir de liberté, es-poir d’égalité, espoir de fraternité.

Kotte EcenarroMaire d’Hendaye, Conseiller départemental

DE GAUCHE À DROITE : MANUEL DIAS VAZ, MARIE-ROSE FAURE SOUSA MENDES, GUY FAURE, GÉRALD MENDES, KOTTE ECENARRO ET JEAN DIAS. (D.R.).

Hommage de la ville d’Hendaye à Aristides de Sousa Mendes

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Monsieur Kotte Ecenarro, Maire d’Hendaye,Madame Christelle Cazalis, adjointe au Maire,

déléguée à la Culture,Monsieur Jean Dias, adjoint au Maire, délé-

gué au Protocole et aux cérémonies,Madame Maïka Haremboure, présidente du

comité des jumelages,Madame Marie-Rose Faure Sousa Mendes,

présidente d’honneur du comité national fran-çais en hommage à Aristides de Sousa Mendes,fille du consul Sousa Mendes,

Monsieur Gérald Mendes, petit-fils du consul,Mesdames et Messieurs les élus,Mesdames et Messieurs les présidents d’asso-

ciation,Mesdames et Messieurs les porte-drapeaux,Mesdames et Messieurs les invités,

MONSIEUR le maire, l’inauguration de cettepierre en hommage à ce grand Juste

parmi les Nations, Aristides de Sousa Mendes,ambassadeur de la paix, ici à la frontière franco-espagnole où des milliers de réfugiés ont fui latragédie de la Seconde Guerre mondiale est pournous un acte important dans ce lieu symbolique.

La frontière d’Hendaye et le pont de laBidassoa ont été, en 1940, la porte de la liberté,le chemin de l’espérance pour ces milliers de ré-fugiés sauvés par le consul portugais SousaMendes.

En mai 1992, à l’occasion du tournage du filmLe consul proscrit, un réfugié juif américain,

Henri Zvi Deutsch, est venu témoigné de son his-toire. Il m’a dit, ici même, avec émotion :

Ce pont, cette frontière, ont été pour moi enjuin 1940 la porte de l’espérance, le pont dusalut qui m’ont ouvert le chemin vers la li-berté.

Mesdames et Messieurs, cette cérémonies’inscrit dans le cadre des commémorations du75e anniversaire de juin 1940, année noire et tra-gique de l’histoire de France et de l’Europe.

Dans la nuit noire de la barbarie nazie et del’occupation de la France par les troupes alle-mandes du IIIe Reich, des hommes et des fem-mes épris de liberté et d’humanisme se sontlevés, se sont engagés, ont combattu pour dé-fendre la vie, la liberté, l’honneur de la Franceet les valeurs suprême de l’humanité.

MESDAMES et Messieurs, Aristides de SousaMendes, ce Juste parmi les Nations, que

nous honorons aujourd’hui ici, à Hendaye, faitpartie de ces figures, qui en 1940 face à la tragé-die ont fait briller la flamme de la liberté.

En rappelant leur mémoire, en rendant hom-mage à l’action de tous ces Justes et de tous cesRésistants, nous honorons les valeurs univer-selles qui font l’histoire de l’Europe et d’unpeuple libre au service de la paix et de la liberté.

62 2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES

MANUEL DIAS VAZ HENDAYE, 25 SEPTEMBRE 2015

Discours à l’occasion de l’inauguration de la pierreà la mémoire d’Aristides de Sousa Mendes

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C’EST ici même à Hendaye, sur ce pont, qu’il y a 75 ans, plusieurs milliers de personnes

ont pu passer et fuir une mort certaine.

En ce 75e anniversaire de ces événements,c’est aussi l’occasion de se rappeler :

– sous le ciel d’Europe, assombri par le na-zisme, des hommes des femmes et des enfantsfuyaient la mort ;

– plusieurs n’ont pas pu y échapper, parfoistués sur les routes de l’exil ou morts de fatiguede faim ou de maladie ;

– les frontières leur étaient souvent fermées,ou bien on refusait d’accueillir ces migrants ;

– mais des personnes, aussi, n’ont pas été in-différentes à leur misère et leur ont tendu lamain, parfois au risque de leur propre vie ou endésobéissant aux ordres reçus ;

– c’est aussi se souvenir que plusieurs milliersde personnes ont pu rejoindre le Portugal grâceà Aristides de Sousa Mendes alors qu’il accordades visas à des centaines, voire des milliers defemmes, d’hommes et enfants, leur permettantde transiter ici même par ce pont d’Hendaye, de-venue frontière de liberté ;

– et une fois arrivées au Portugal, le peupleportugais les ont bien accueillies, leur apportantmême la soupe à bord des trains qui venaient àpeine d’arriver à Vilar Formoso ;

– enfin, c’est aussi se rappeler que ces genssauvés ont pu contribuer à construire la sociétéd’aujourd’hui, parfois de façon remarquable.

AUJOURD’HUI, 75 ans après, c’est aussi l’occa-sion de se rappeler qu’aujourd’hui-même,

des gens fuient encore la misère et la mort quiles guette dans leur propre pays

– qu’ils sont des hommes, des femmes et desenfants qui meurent parfois par centaines sur lesroutes de l’exil ou dans leurs frêles embarca-tions ;

– que les frontières leur sont souvent ferméesdans une Europe confuse, et dans l’indifférenced’autres régions lointaines, qui s’en sentent jus-tement bien éloignées ;

2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES 63

*Gérald Mendes, franco-québécois, petit-fils d’Angelina et Aristides de Sousa Mendes.

GÉRALD MENDES* HENDAYE, 25 SEPTEMBRE 2015

Inauguration de la pierre souvenirsur le pont Hendaye Irun

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– qu’ils sont là, maintenant, par centaines demilliers coincés sur les routes de l’exil, subissantla faim, la fatigue et souvent aussi l’humiliation.

75 ans après les événements, c’est aussi l’oc-casion d’espérer que des gens sont aussi là pourleur tendre la main, et que ces gens qui aurontété sauvés contribueront à leur tour à construirela société de demain.

Et peut-être que dans 75 ans, on se souvien-dra de ces personnes qui leur tendent la main au-jourd’hui.

Je remercie le Comité, organisateur, pour toutle travail effectué ces dernières années pour ho-norer la mémoire d’Aristides de Sousa Mendeset de tous ces gens qui ont pu être sauvés.

64 2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES

GÉRALD MENDES HENDAYE, 25 SEPTEMBRE 2015

MEDIABASK, 1ER OCTOBRE 2015.

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AU NOM de la municipalité, je suis très heu-reuse d’accueillir aujourd’hui la fille de

Monsieur Sousa Mendes, Madame Marie-RoseFaure Sousa Mendes et le petit fils du consul,Monsieur Gérald Mendes. Nous vous remercionssincèrement d’avoir fait le déplacement.

Lorsque le comité français Sousa Mendesnous a contacté pour participer à la commémo-ration du 75e anniversaire (1940-2015), c’était uneévidence. L’histoire qui est ici racontée fait partieintégrante de l’histoire hendayaise et le couragede cet homme reflète les valeurs que nous por-tons.

Aujourd’hui on se fait rattraper par une actua-lité qui nous rappelle à quel point l’histoire se ré-pète, le contexte, les lieux géographiques chan-gent, mais les réflexions à mener sont toujoursles mêmes.

MONSIEUR Sousa Mendes a su se poser cesquestions et confronter sa responsabilité

de fonctionnaire à sa conscience d’être humain.Je cite :

« Je ne pouvais faire de distinction entre lesnationalités, les races ou les religions étant

donné que j’obéissais à des raisons d’huma-nité qui, elles, ne font pas de distinctionsentre les nationalités, les races ou la religion ».

TOUTCELA participe d’autant plus à l’importancede nous retrouver aujourd’hui et à la nécessité

du devoir de mémoire. Comment construire unavenir si on oublie les leçons du passé.

Monsieur Dias aujourd’hui nous propose deréfléchir sur Hendaye, frontière de la liberté.

Au travers de l’histoire de ce remarquableconsul, c’est une partie de l’histoire qui aconstruit la mémoire collective de chaque hen-dayaises et hendayais que nous sommes.

Hendaye, une ville frontalière, une ville depassage, de transit, de refuge et d’accueil.

Un territoire traversé durant les époques parla grande Histoire avec, à chaque fois, une sym-bolique de liberté forte.

Je vais laisser Monsieur Dias Vaz exposer endétail cette thématique.

La municipalité vous remercie égalementpour votre présence et votre investissement à dé-fendre des valeurs qu’il ne faut jamais hésiter àrappeler.

2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES 65

CHRISTELLE CAZALIS* HENDAYE, 25 SEPTEMBRE 2015

*Adjointe au maire d’Hendaye, chargée de la culture

Introduction à la conférence sur les frontières

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CHRISTELLE CAZALIS HENDAYE, 25 SEPTEMBRE 2015

LE POSTE FRONTIÈRE ET LE PONT SUR LA BIDASSOA, HENDAYE. (CL. B. LHOUMEAU).

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2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES 67

MANUEL DIAS VAZ HENDAYE, 15 SEPTEMBRE 2015

HENDAYE et les Pyrénées sont des lieux detransit et de passage pour des millions

d’hommes et de femmes aussi bien dans le sensnord sud, Europe, France, Espagne, Portugal etpays d’Afrique, que dans le sens sud nord,Afrique, Portugal, Espagne, France, Europe.

Quelques périodes historiques au cours desderniers siècles pour illustration :

– l’arrivée en France des Juifs expulsés d’Es-pagne et du Portugal au XVIe, XVIIe et XVIIIe

siècles ;

– 1803 à 1812, les invasions napoléoniennes dela péninsule ibérique, Espagne et Portugal ;

– 1814 à 1830, le refuge en France d’une partiede l’aristocratie espagnole fidèle à JosephBonaparte, roi d’Espagne de 1803 à 1813 ;

– 1850 à 1868, les exilés espagnols, en France,des guerres carlistes en Espagne ;

– 1926 à 1932, l’arrivée en France des Républi-cains portugais, victimes des coups d’état mi-litaires de 1926 et de l’instauration de ladictature au Portugal, O estado novo, deSalazar ;

– 1939, l’arrivée en France des Républicains es-pagnols, la Retirada, exode massif de près de500 000 réfugiés victimes de la guerred’Espagne (1936–1939) ;

– 1939-1944, l’exode massif de dix millions deréfugiés de toute l’Europe, qui fuient l’avancedes troupes allemandes du IIIe Reich et lescamps de concentration, et de tous ceux quiavaient décidé de lutter contre l’occupation al-lemande ;

– 1950-1980, les grandes vagues d’immigrationibérique, d’Espagnols et de Portugais vers laFrance et l’Europe.

MESDAMES et Messieurs, cette conférence sur lesfrontières, s’inscrit dans le cadre du 75e anni-

versaire de trois moments importants du XXe siècle:

– l’occupation de l’Europe et de la France parles troupes nazies et la Seconde Guerre mon-diale ;

– l’appel de Londres, le 18 juin 1940, du géné-ral de Gaulle à la Résistance contre les forcesd’occupation ;

– l’action héroïque, humaniste et courageusedu consul du Portugal à Bordeaux Aristides deSousa Mendes qui a sauvé plus de 30000 per-sonnes en mai et juin 1940, à Bordeaux,Bayonne, Hendaye et Toulouse.

DEPUIS des temps immémoriaux, deshommes et des femmes ont tenté de fran-

chir les frontières, soit pour fuir les guerres, larépression, la misère, les catastrophes naturellesou climatiques, des épidémies…

Conférence sur les frontières

Monsieur le Maire, en préparant cette conférence sur Hendaye et la frontière des Pyrénées, jeme suis rendu compte à quel point la question de la frontière s’inscrit dans l’histoire de cetteville et de ce territoire depuis des siècles.

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Hendaye et les Pyrénées font partie de cesterritoires marqués par une culture, une histoirefrontalière.

La frontière naturelle entre la France etl’Espagne. Cette frontière est remise en questionet contestée, dans la mesure ou elle tente de sé-parer le peuple basque, riche d’une très grandehistoire et d’une très belle et ancienne langue etculture en Europe.

L’origine du mot frontière est ancienne. Ilnous vient du mot militaire « front terme » qui dé-signe une zone de combat, d’affrontement entrearmées ennemies et d’intérêts divergents.

À partir du XVIe siècle, la frontière devient pro-gressivement une ligne de démarcation signaléepar des bornes qui tentent de délimiter des étatssouverains, des royaumes.

À l’avènement de la Révolution française de1789, naît et se développe en Europe, l’idée, leconcept d’état nation avec des frontières exté-rieures ayant comme objectif d’abolir les privi-

lèges des nobles, des villes, des provinces, descastes, des corporations et des ordres religieux.

C’est dans ce contexte révolutionnaire, defortes tensions, qui naît et se développe le prin-cipe de frontières politiques, la notion de fron-tières extérieures, la citoyenneté, la nationalitéélargie à l’échelle de nouveaux territoires, ditsnationaux.

DEPUIS l’Antiquité, les puissants, les sei-gneurs, les nobles et les rois ont toujours

cherché à défendre leurs territoires, leurs pré-carrés et leurs privilèges.

Pour cela, ils ont fait la guerre, construit, érigédes fortifications, des murailles, des frontières.

Quelques illustrations :– la grande muraille de Chine,– les châteaux forts,– les remparts des villes, les citadelles,– les murailles, les fortifications de Vauban,– les bastides.

68 2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES

MANUEL DIAS VAZ HENDAYE, 15 SEPTEMBRE 2015

L’HISTORIQUE PONT FRONTIÈRE HENDAYE IRUN, SUR LA BIDASSOA. (CL. B. LHOUMEAU).

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Tous ces vestiges témoignent encore au-jourd’hui de cette histoire, et de cette volonté despuissants de se barricader, de se défendre et dese protéger des envahisseurs, de l’ennemi.

Cette tendance s’est poursuivie et développéetout au long du XXe siècle avec la construction dela ligne Maginot de l’Est et du Nord.

La ligne bleu des Vosges, le mur de l’Atlan-tique, le mur de Berlin, le mur entre les ÉtatsUnis et le Mexique, le mur entre les deux Corée,le mur entre Israël et la Palestine, les murs, lesfrontières de barbelés entre l’Europe et l’Afriquedu Nord dans le cadre des accords de Schengen,a pour finalité de protéger l’Europe de l’immigra-tion économique et des réfugiés politiques ou cli-matiques.

LES FRONTIÈRES, au cours des siècles, ont tou-jours évolué et bougé en fonction des

guerres, des conflits et des traités internationaux.

Elles sont le résultat de compromis histo-riques issus des rapports de force, très souvent,contre ou au détriment des peuples et des po-pulations qui en sont victimes, et, trop souvent,séparées par des arbitrages, des compromis poli-tiques, des intérêts économiques, militaires etstratégiques.

La frontière d’Hendaye et des Pyrénées a été,au cours des trois derniers siècles, XVIIIe, XIXe etXXe, le théâtre d’exodes importants dans les deuxdirections, sud-nord et nord-sud.

Du nord vers le sud :

– les invasions napoléoniennes de la pénin-sule ibérique, 1803 à 1812 ;

– l’exode de millions de réfugiés de toutel’Europe, fuyant la guerre 1939-1945, l’occupa-tion nazie et ses camps de concentration, entransitant par le Portugal, pour se réfugier auxÉtats Unis, au Canada, en Amérique latine ;

– entre 1939 et 1944, plus de dix millionsd’Européens ont été victimes de déportation,d’exil ou de déplacement ;

– en mai et juin 1940, l’Aquitaine, Bordeaux,Bayonne et Hendaye, sont devenus le cul desac d’une Europe en guerre, en feu et à sangpar la terreur des troupes du IIIe Reich.

Du sud vers le nord :

– l’exil en France des Juifs séfarades, expulséspar l’Inquisition d’Espagne et du Portugal, auxXVIe, XVIIe et XVIIIe siècles ;

– l’exil en France, entre 1816 et 1830 de l’aristo-cratie espagnole, les « francises » fidèles àJoseph Bonaparte, roi d’Espagne de 1803 à1813 ;

– l’exil des réfugiés espagnols en France, suiteaux guerres carlistes, 1850-1868 ;

– l’exil en France des Républicains portugais,victimes des coups d’état militaires de 1926 etde la dictature de Salazar de 1932 à 1974 ;

– la Retirada en 1939, exode massif de près de500 000 Républicains espagnols et membresdes brigades internationales engagés dans laguerre d’Espagne, de 1936-1939 ;

– entre le 28 janvier et le 13 février 1939 desmilliers d’Espagnols se réfugient en Franceaprès la victoire des troupes de généralFranco. Ils franchissent les Pyrénées et sontparqués dans les camps inhumains du sud dela France.

LES TRENTE glorieuses en France, les années de l’après guerre, 1950-1980 :

– des milliers de réfugiés politiques victimesde la dictature de Franco et Salazar, vont venirs’exiler en France ;

2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES 69

CONFÉRENCE SUR LES FRONTIÈRES

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– durant cette même période, près de deuxmillions d’Espagnols et de Portugais, tra-vailleurs immigrés et les membres de leurs fa-milles, arrivent en France pour fuir la misèreet la répression en Espagne et au Portugal ;cette grande vague d’immigration ibérique,dont plus de 50% sont des clandestins, va pas-ser la frontière des Pyrénées à Hendaye ;

– entre 1969 et 1973 sont entrés en Francechaque jour 350 Portugais, soit 10 500 parmois, 125000 par an ;

– entre 1950 et 1975, la ville d’Hendaye et lafrontière des Pyrénées ont été la porte de laliberté pour des millions d’Espagnols et dePortugais qui ont fuit les dictatures fascistesde Salazar au Portugal, de 1926 à 1974, et deFranco en Espagne, de 1939 à 1975.

Les montagnes des Pyrénées font partie deces frontières, dites naturelles, constituées et for-mées par des éléments géographiques, tels queles océans, les déserts, les montagnes, les grandsfleuves et les lacs.

Malgré cette réalité physique, les Pyrénéessont une frontière poreuse que les hommes onttoujours chercher à franchir et à passer, commenous avons essayer de le démontrer.

MAIS NOUS ne pouvons évoquer Hendaye et les Pyrénées sans rappeler l’historique

chemin de Saint-Jacques de Compostelle, ce mo-nument du patrimoine de l’humanité qui est fré-quenté, depuis des siècles, par ces millions depèlerins en marche vers Santiago de Compos-telle, haut lieu de la foi chrétienne.

JE NE PEUX terminer cette intervention sansévoquer l’actualité. La situation tragique, aux

frontières de l’Europe, de ces milliers de réfugiés,en majorité des Syriens, des Irakiens, desÉrythréens, des Soudanais, des Libyens, qui frap-pent aux portes de l’Union Européenne, afin defuir la guerre, la folie de Daech et des dictateursbarbares.

Nous assistons à certaines tentatives de ferme-ture des frontières, à la remise en cause des ac-cords de Schengen de 1985 sur la libre circulationdans l’Union Européenne, la remise en questiondu droit d’asile, au rejet de ces réfugiés victimesde leurs gouvernements, de Daech, mais égale-ment des politiques militaires et économiquesdes grandes puissances – États Unis, Russie etEurope.

Je considère que c’est notre devoir d’ac-cueillir dignement ces populations en danger quin’ont que pour choix de fuir ou de mourir sousles balles des barbares et des dictateurs tyransqui dominent ces pays, souvent avec le soutiende grandes puissances.

Recevoir et accueillir ces réfugiés, c’est appli-quer le droit international, la convention deGenève de 1951 sur le droit d’asile et les droits desréfugiés, mais c’est aussi faire vivre les valeursd’humanisme et des droits de l’homme qui consti-tuent notre Europe et ses principes fondateurs.

Pour conclure,Monsieur le Maire,Mesdames et MessieursChers amis

Je voudrais dire que pour moi la frontièred’Hendaye est :

un chemin vers la liberté,un chemin vers l’exil,un chemin vers la paix,un chemin vers Saint-Jacques de Compostelleun chemin des hommes vers la rencontre, le

dialogue des cultures et des peuples,un chemin vers la fraternité.

Afin de partager et faire vivre les valeurs uni-verselles de liberté, d’égalité et de solidarité auservice de la démocratie.

Je vous remercie de votre attention.

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MANUEL DIAS VAZ HENDAYE, 15 SEPTEMBRE 2015

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MALGRÉ l’admiration et la fascination de Sala-zar pour le dictateur italien Benito Musso-

lini, sa proximité idéologique avec AdolpheHitler et son régime nazi, et la présence d’ungrand courant germanophile et fasciste auprèsde Salazar, le gouvernement du Portugal va déci-der, le 2 septembre 1939, après la déclaration dela guerre, de rester un pays neutre.

Les séquelles de la Première Guerre mon-diale, encore présentes dans les esprits, ont pesésur cette décision de Salazar et de son régime.

Mais durant toute la guerre cette neutralité ac-tive va faire du Portugal une plaque tournante detous les échanges, de tous les trafics, de toutesles manœuvres, de tous les marchandages… dumarché noir.

Les historiens ont qualifié la neutralité portu-gaise comme une neutralité d’opportunisme etde circonstance à géométrie variable, la porte ou-verte à tous les trafics.

LE CONTEXTE du Portugal en 1939-1940, le ré-gime de Salazar est dans sa phase de durcis-

sement, suite à la guerre d’Espagne. Le Portugal a été, entre 1936 et 1939 un allié

fidèle et un soutien sans faille à de Franco et sesmilices phalangistes contre la République espa-gnole et ses valeurs.

Le Portugal de Salazar et l’Espagne de Francoont développé une politique anti-communiste àl’encontre des organisations progressistes démo-cratiques et contre les libertés d’expression etd’opinion.

En 1940, dans une Europe en guerre, à feu età sang, Salazar et son régime organisent àLisbonne la grande exposition internationale Lemonde portugais, à la gloire de l’empire colonial,à l’occasion du double anniversaire des 800 ansde création du Portugal, indépendant en 1140, etles 300 ans de la restauration de l’indépendancedu Portugal de 1640, après la libération de l’occu-pation par les rois espagnols de 1580 à 1640.

Cette exposition a été visitée par plus de troismillions de personnes, dont des milliers d’étran-gers et de réfugiés. Elle a permis de relancer unepolitique du tourisme au Portugal avec laconstruction de dizaines d’hôtels à Lisbonne,dans sa région et dans les villes côtières, tels queCaldas da Rainha, Figueira da Foz, ou Porto.

En 1940 et1941, le danger de l’occupation dela péninsule ibérique, Espagne et Portugal, parles troupes allemandes du IIIe Reich stationnéessur la frontière des Pyrénées et prêtes à interve-nir, sur le pied de guerre, le doigt sur la gâchette.

Le 17 mars 1939 est signé à Lisbonne un ac-cord d’amitié et de non agression entre l’Espagneet le Portugal à l’initiative de Salazar.

Entre 1940 et 1941, les Anglais ont tout mis enœuvre pour éviter et empêcher que l’Espagne etle Portugal n’entrent en guerre aux côtés desAllemands et des Italiens, afin de protéger la cir-culation maritime sur l’océan atlantique et sur-tout, contrôler le détroit de Gibraltar.

2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES 71

MANUEL DIAS VAZ OLORON-SAINTE-MARIE, 3 OCTOBRE 2015

Le Portugal de Salazar durant la Seconde Guerre mondiale, 1939-1945

Cette conférence, à Oloron Sainte-Marie, s’inscrit dans le cadre des manifestations en hommageà Aristides de Sousa Mendes, à l’occasion du 75e anniversaire de son action.

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Les grandes figures de la diplomatie portu-gaise étaient influencées par l’Angleterre et sespolitiques stratégique, militaire et économique.

Durant toute la guerre, le Portugal et notam-ment Lisbonne, Porto et Figueira da Foz ont étédes hauts lieux de l’espionnage et des trafics entout genre.

DE 1939 à 1946 l’économie portugaise grâceau commerce de guerre et au marché noir

a progressé chaque année de 3,8%. Cela a per-mis la constitution de grandes fortunes et aussià des familles puissantes de tirer bénéfice de lasituation, tels que Ricardo Espirito Santo, un fi-dèle de Salazar.

Durant la guerre, des grandes compagnies pu-bliques portugaises, telles que CUF, les usinesd’armement et de munitions, les compagnies detransports, les mines de tungstène et de wolfram,des grandes entreprises privées et des grandes familles ont pratiqué, avec la complicité et le sou-tien du Gouvernement, une politique d’exporta-tion massive de biens et de matériel de guerrevers l’Allemagne nazie, et cela, malgré les vivesprotestations des Anglais.

L’accueil et le transit des réfugiés et de certains évadés de France qui ontrejoint de Gaulle à Londres et les arméesde la France libre en Afrique du Nord.

ENTRE 1938 et 1945 le Portugal est une desprincipales portes de sortie de l’Europe en

guerre pour des milliers de réfugiés et personnesdéplacées qui ont fuit l’avance des troupes alle-mandes, la barbarie nazie et les camps de lamort.

Des centaines d’évadés, de déserteurs fran-çais, ont également pris le chemin de l’exil pourrésister et se battre contre l’occupant allemand.

Parmi ces réfugiés, il faut signaler les 30000personnes qui ont été sauvées par Aristides deSousa Mendes, le consul général du Portugal àBordeaux et dans le Sud-Ouest.

Parmi eux, il y avait 10 000 Juifs, des milliersde Chrétiens, des membres des gouvernementspolonais, belge, luxembourgeois, les famillesroyales d’Autriche et du Luxembourg et des cen-taines de Républicains et exilés espagnols.

Le général Philippe Leclerc a reçu à Bayonne,le 23 juin 1940, un visa pour le Portugal signé parSousa Mendes, cela lui a permis, en transitantpar Lisbonne, d’aller rejoindre le général deGaulle à Londres et, ensuite, les armées de laFrance libre et la résistance en Afrique du Nord.

Dès les années 1936, 37, 38 et 39 se sont ins-tallées au Portugal des organisations internatio-nales d’accueil, d’aide et de soutien aux réfugiés,et notamment aux Juifs persécutés en Allema-gne et en Autriche dès 1936, telles que :

– organisations américaines ;– organisations polonaises, belges et hollan-daises ;

– Croix rouge internationale ;– agence judaïque pour la Palestine ;– conseil mondial des Églises ;– comité national français pour la libération ;– organisation pour la jeunesse israélite ;– Joint, Hias, JCA.

Toutes ces organisations, et bien d’autres, sesont installées au Portugal avec l’accord des au-torités portugaises.

Le soutien et l’entraide de la population por-tugaise va avoir un rôle très important dans l’ac-cueil de ces milliers de réfugiés qui arrivent auPortugal chaque jour.

SELON les archives de la PIDE, police interna-tionale de défense de l’État, sont entrés au

Portugal, de manière légale, entre 1939 et 1944,210000 réfugiés, soit une moyenne de 35000 per-sonnes chaque année.

À ces données de réfugiés entrés légalement,il faut rajouter 15 à 20000 entrés par an, clandes-tinement dans le pays, durant cette période dela guerre, soit 55 000 personnes chaque année,

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MANUEL DIAS VAZ OLORON-SAINTE-MARIE, 3 OCTOBRE 2015

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leurs nationalités : allemande, polonaise, autri-chienne, hollandaise, belge, luxembourgeoise,française, arménienne…

En juin et juillet 1940, selon la presse del’époque et les archives de la PIDE, un gigan-tesque exode de réfugiés est entré au Portugalpar la frontière de Vilar Formoso, au centre duPortugal : plus de 20 000 personnes entrées parle train Sud Express, des milliers de voitures etquelques autocars.

Les principaux postes frontières par lesquelssont entrés les réfugiés furent Vilar Formoso (ré-gion Centre), Valença do Minho (région Nord),Elvas (région Sud), Barca d’Alva (région Centre),les ports et aéroports de Lisbonne et Porto.

Les principales villes portugaises qui ont ac-cueilli ces milliers de réfugiés furent Lisbonne,Porto, Coimbra, Figueira da Foz, Cascais, Sintra,Estoril, Caldas da Rainha, Ericeira, Foz do Arelho,Buçaco, Luso, Cúria, Peniche, Lousã de Cima.

92% des réfugiés entrés au Portugal entre1939 et 1945 n’ont fait que passer quelques se-maines ou quelques mois dans le pays, le tempsde trouver un bateau, un avion pour partir versles États Unis, le Canada, le Brésil, l’Argentine,l’Uruguay, la Palestine, le Maroc, l’Angleterre…

8% des réfugiés, soit près de 25 000 per-sonnes, ont passé la plus grande partie de la pé-

riode de la guerre au Portugal, et certains se sontinstallés définitivement.

Les bateaux qui ont transporté les réfugiésvers les pays d’Amérique du Nord et d’AmériqueLatine étaient le Serpa Pinto et le Nyassa.

Le nombre de réfugiés qui ont transité par lePortugal durant cette période de la guerre, 1939-1945, seraient d’environ 320000 personnes.

La grande majorité des réfugiés qui a transitéou vécu au Portugal durant la période de la Se-conde Guerre mondiale, a gardé une belle imagede ce pays accueillant et tolérant. Ils témoignentleur reconnaissance à Aristides de Sousa Mendeset au peuple portugais pour son hospitalité, sonhumanisme et son soutien.

LAGRANDE historienne portugaise Irene FlunserPimentel écrivait dans son livre Salazar, Portu-

gal et l’holocauste que, au Portugal, durant la guerre:

« Il était mieux d’être réfugié juif que d’être ré-fugié politique »

Le premier février 1942 a été signé à Sévilleentre Franco et Salazar, le pacte ibérique, le traitéd’amitié luso-espagnol.

En juin 1943, le gouvernement portugais, di-rigé par Salazar, sous la pression des Anglais, a ac-cepté d’autoriser les Anglais et les alliés a utiliser

2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES 73

LE PORTUGAL DE SALAZAR DURANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE, 1939-1945

ANTONIO SALAZAR, DANS SON BUREAU. (D.R.).

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MANUEL DIAS VAZ OLORON-SAINTE-MARIE, 3 OCTOBRE 2015

l’archipel des Açores, la base de Lages et les portsde Lisbonne et de Porto, afin de faciliter l’arrivéeen Europe des troupes américaines et cana-diennes, et, de ce fait, de participer aux prépara-tifs du débarquements de Provence et, surtout,du débarquement de Normandie, en juin 1944.

Après la défaite allemande en Russie, et lamise à l’écart de Mussolini en Italie, le gouverne-ment portugais prend ses distances avecl’Allemagne nazie et l’Italie fasciste.

Le 21 avril 1945 à l’annonce du suicide duFührer, Salazar décrète un deuil national de troisjours et fait mettre les drapeaux en berne à la mé-moire du tyran nazi.

En mai 1945, au moment de la victoire des al-liés, ce même président du conseil, AntónioSalazar a prononcé un vibrant discours devantl’assemblée nationale saluant la paix et la vic-toire des alliés.

«Nous bénissons la paix, nous bénissons lavictoire des alliés, nous sommes heureuxd’avoir accueilli tous ces réfugiés, nous regret-tons de n’avoir pas pu en accueillir davantage,durant cette période terrible et difficile ».

Après la guerre, de 1945 à 1950, les autorités por-tugaises du régime de Salazar vont accepter d’ac-cueillir au Portugal des milliers de nazis, destortionnaires assassins, qui vont bénéficier de laprotection du régime, certains de ces assassinsvont incorporer la PIDE, d’autres vont s’exiler enAngola, au Mozambique, en Afrique du Sud ou en-core dans les dictatures d’Amérique Latine, avecla bénédiction et le soutien de Salazar et de Franco.

Après tout cela, le Portugal devient membrefondateur des Nations Unies, il est membre àpart entière de l’OTAN, et cela avec le soutiendes Américains, des Anglais, des Français, en re-connaissance des services rendus.

La base militaire américaine aux Açores serarenforcée, consolidée par un contrat de conces-sion aux États Unis d’Amérique.

Cette base américaine va jouer un rôle impor-tant dans la défense militaire et stratégique del’Europe et affirme la présence militaire desAméricains dans l’Atlantique et le continent eu-ropéen.

Nous sommes en pleine période de la guerrefroide.

C’est cela la real politique, les enjeux d’in-fluence et les rapports de force.

Les démocraties occidentales ont décidé desoutenir les régimes fascistes en Espagne et auPortugal.

LUSOJORNAL, 7 OCTOBRE 2015.

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2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES 75

DÉSOBÉIR FILM DE JOËL SANTONI

Tout au long de cette année anniversaire de l’action d’Aristides de Sousa Mendes, le Comité a initié la projection du film Désobéir, avec le soutien de Panama production :

– Lycée de l’ORT à Paris,– Bayonne,

– Bordeaux, aux archives départementales de la Gironde,– Oloron-Sainte-Marie,– Bordeaux, au musée d’Aquitaine,– Cenon, au Rocher de Palmer.

DésobéirFilm de Joël SantoniProduction France 2. Producteur délégué : Joël Santoniavec Bernard Le Coq (Aristides et Ce�sar de Sousa Mendes) ; Nanou Garcia (Angelina de Sousa Mendes) ; Lionel Lingelser (Pedro Nuno de Sousa Mendes) ; Roger Souza (Seabra) ;

Frédéric Quiring (rabbin Kruger) ; Émilie-Scarlett Moget (Andrée Cibial) ;

Paulo Matos (Salazar)

Musique originale : Serge FranklinD’après une idée originale deMartine ChicotScénario, adaptation et dialogues :José� -Alain Fralon, Jean-Carol Larrive,

Joël Santoni© Panama Productions - F Productions - nov. 2008

Désobéir

IMAGE EXTRAITE DU FILM DÉSOBÉIR. (CL. PANAMA PRODUCTIONS).

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DÉSOBÉIR FILM DE JOËL SANTONI

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2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES 77

CENON, ROCHER DE PALMER, 30 OCTOBRE 2015

Manifestation à Cenon,au Rocher de Palmer :conférences, projectionde film et exposition

La condamnation du consul rebelle Aristidesde Sousa Mendes par le dictateur Salazar, le 30octobre 1940, conférences de Maître GérardBoulanger, avocat à la Cour, suivi de ManuelDias Vaz, vice-président du comité françaisSousa Mendes.

ÀL’OCCASION du 75e anniversaire de la condam-nation, par Antonio Salazar, du consul gé-

néral du Portugal à Bordeaux, Aristides de SousaMendes, Juste parmi les Nations, Juste d’Aquitai-ne, citoyen d’honneur de la Gironde, la ville deCenon, le Rocher de Palmer, Musiques de nuit etle Comité national français en hommage à Aristi-des de Sousa Mendes, ont décidé de rappeler lecontexte de Bordeaux en juin 1940 et le procèsdisciplinaire et la condamnation politique par ledictateur Salazar du consul Sousa Mendes.

LE ROCHER DE PALMER. (CL. LE ROCHER DE PALMER).

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Quelques dates :

– début octobre 1940, création par les nazis, dughetto de Varsovie, en Pologne occupée ;

– 3 octobre, le gouvernement de Vichy, pré-sidé par le maréchal Pétain, adopte le statutdes Juifs – lois d’exception interdisant auxJuifs d’occuper des postes dans la fonction pu-blique ;

– 4 octobre, le gouvernement de Vichy publieune loi autorisant les préfets à procéder à l’in-ternement des étrangers dans des camps ;

– 7 octobre, abrogation, par Vichy, du décretCrémieux d’octobre 1870 qui accorde la natio-nalité française aux Juifs d’Algérie ;

– 23 octobre, Hendaye, rencontre entre Hitleret Franco ;

– 24 octobre, rencontre à Montoire-sur-le-Loird’Hitler et Pétain ;

– 28 et 29 octobre, les officiers supérieurs duIIIe Reich chargés des questions juives don-

nent l’ordre d’expulser tous les Juifs résidanten Alsace – une grande partie se réfugie dansle Sud-Ouest (Dordogne, Lot-et-Garonne, Tarn-et-Garonne…) ;

– 30 octobre 1940, condamnation du consulAristides de Sousa Mendes par le dictateurSalazar.

Les étapes qui ont conduit à la condamnation et à la déchéance d’Aristides de Sousa Mendes

Le 25 juin 1940, Aristides de Sousa Mendes estsuspendu de ses fonctions de consul général duPortugal à Bordeaux par Teotónio Pereira, ambassa-deur du Portugal à Madrid – proche ami de Salazar.

Le 4 juillet, Salazar, président du Conseil etministre des Affaires étrangères, ordonne l’ouver-ture d’un procès disciplinaire à l’encontre d’Aris-tides de Sousa Mendes.

L’enquête fut confiée à un haut fonctionnairedu Ministère, Francisco Paula Brito sur les ordresdu comte de Tovar, directeur général des rela-tions économiques et consulaires, pro-nazi etproche de Salazar.

78 2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES

MANUEL DIAS VAZ

Le contexte d’octobre 1940 en Europe

MONTOIRE, LE 24 OCTOBRE 1940. (D.R.) HENDAYE, LE 23 OCTOBRE 1940. (D.R.)

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Il remet ses conclusions de l’enquête le 2 août.Entre juillet et octobre 1940, Aristides de Sou-

sa Mendes, avec l’appui de son jumeau César, de-mande des audiences à Salazar pour s’expliquerde son action. Ses nombreux requêtes restentsans réponse.

En août 1940, Aristides de Sousa Mendes, avecle soutien de son frère, rédige sa défense en ré-pondant point par point aux quatre chefs d’accu-sation*.

LE 19 OCTOBRE, le comte de Tovar, directeur général du ministère des Affaires étrangères,

remet à Salazar une note de culpabilité et desanctions à l’encontre d’Aristides de Sousa Men-des portant sur les quatre chefs d’accusation :

– désobéissance ;

– falsification d’écrits ;

– abandon de poste pour s’être déplacé àBayonne et Hendaye ;

– délivrance de faux passeports et de visascontraires à la circulaire numéro 14 du 11 no-vembre 1939.

ARISTIDES de Sousa Mendes avait répondu et argumenté sur les différents chefs d’accu-

sation. Mais, le 30 octobre 1940, après un procèsdisciplinaire et politique pour désobéissance etnon respect des règles et directives, le présidentSalazar décide personnellement de condamneret bannir Aristides de Sousa Mendes. Un verdictimplacable derrière lequel se dresse une volontéde vengeance et l’envoi d’un message à tous ceuxqui oseraient désobéir ou résister ou s’opposerau régime et surtout à son chef suprême, le toutpuissant dictateur Salazar.

La décision de Salazar conduit Aristides deSousa Mendes à la fin de sa carrière diploma-tique et à sa déchéance.

Aristides de Sousa Mendes est condamné ausilence, à la misère. Il est banni, maudit, ainsique ses enfants qui ne peuvent plus exercer defonctions au Portugal. Ils sont obligés de s’exileren Afrique, au Canada, aux États Unis…

Salazar, avec la complicité du comte de Tovar,détruit Aristides de Sousa Mendes, le bannit etfait tout pour effacer sa mémoire. Il va jusqu’às’octroyer l’action de sauvetage du consul deBordeaux.

IL FAUT attendre 1988 pour que l’assemblée na-tionale du Portugal réhabilite Aristides de

Sousa Mendes – 34 ans après sa mort – en le ré-intégrant dans la carrière diplomatique, à titreposthume, avec le grade d’ambassadeur.

2015 – 75e ANNIVERSAIRE DE L’ACTION HÉROÏQUE D’ARISTIDES DE SOUSA MENDES 79

* Voir annexes

ARISTIDES DE SOUSA MENDES, 1950. (CL. FAMILLE SOUSA MENDES).

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Gérard Boulanger rappelle, au cours de cettecommunication :

– le contexte de juin 1940 à Bordeaux ;– la tragédie de ces milliers de réfugiés quifuient l’avancée des troupes allemandes du IIIe Reich ;– comment le maréchal Pétain a liquidé la IIIe république, à Bordeaux, dans un climatd’intrigues et de trahisons ;– la prise de pouvoir de Pétain avec ses com-plices Weygand, Laval, Marquet et Darlan, le17 juin 1940, et sa décision de déposer lesarmes et de collaborer avec l’occupant nazi ;– Bordeaux, capitale de la France dans la dé-faite et la capitulation.

C’EST dans ce contexte tragique que le régimede Vichy se met en place à Bordeaux entre

le 17 et le 27 juin 1940.Face à cette tragédie, le consul général du

Portugal à Bordeaux, Aristides de Sousa Mendes,va prendre une décision héroïque et courageuseconsistant à désobéir à son gouvernement et àdélivrer des visas pour la vie et la liberté à plusde 30000 réfugiés dont plus de 10000 Juifs.

Gérard Boulanger rappelle l’importance, danscette décision, de la rencontre le 12 juin 1940 àBordeaux, entre Aristides de Sousa Mendes et lerabbin Haïm Krugger, Juif polonais, qui va sup-plier Sousa Mendes de sauver son peuple qui esten grand danger.

Le 15 juin 1940, le consul Sousa Mendes signeles visas du rabbin Krugger, de sa femme et deses enfants. Il appelle Krugger en lui disant :

Voici des visas pour vous et votre famille et unelettre de recommandation pour des amis àLisbonne qui sauront vous accueillir.Mais le rabbin a alors une réaction impen-

sable :

Monsieur le Consul, merci pour votre accueil etvos visas. Mais je ne peux accepter car ce n’estpas seulement moi et ma famille qu’il faut sauver,mais tous mes frères qui sont dans la rue et quiavec l’avancée des Allemands risquent la mort.Cet appel à l’héroïsme et à l’humanisme du

consul Sousa Mendes par le Rabbin provoquechez le consul une sorte de stupeur :

Monsieur le Rabbin, ce que vous me demandezest impossible. Comment puis-je délivrer desvisas à ces milliers de réfugiés ?Après trois jours de réflexion, le consul Sousa

Mendes prend une décision héroïque dans lanuit du 16 au 17 juin 1940 – que j’appelle la réso-lution de Bordeaux :

Désormais, je donnerais des visas à tout lemonde. À partir de maintenant il n’y a plus denationalités, de religions. Il n’y a que des êtres àsauver.Au nom de ma conscience et de ma foie en Dieu,je donnerais des visas à ceux qui me le deman-dent.Je veux les sauver tous.C’est alors que commence à Bordeaux,

Bayonne et Hendaye, la plus importante actionde sauvetage de la Seconde Guerre mondialeconduite par un Juste parmi les Nations nomméAristides de Sousa Mendes.

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CENON, ROCHER DE PALMER, 30 OCTOBRE 2015

Communication de Maître Gérard Boulanger

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Extrait du texte de la circulaire no 14, du 11 novembre 1939 du Ministère des Affaires étrangères du Portugal

Il devient nécessaire, dans des circonstancesanormales actuelles, d’adopter des mesures deprécaution et de définir certaines normes, mêmeà titre provisoire, afin de prévenir dans la mesuredu possible l’octroi des passeports et des visasconsulaires trop facilement et que la police de vi-gilance et de défense de l’État (PVDE) pourraitconsidérer comme inapproprié ou dangereux.

Sans pour autant rendre trop difficile l’octroides documents à certains étrangers en transit parLisbonne à destination de l’Amérique, pour les-quels nous n’avons ni l’intérêt ni l’intention degêner ou d’entraver leur circulation.

Dans cette directive est déterminé ce qui suit :

1) En conformité avec les dispositions dé-crites dans l’article 701 du règlement consulaire,il devient interdit aux consuls de 4e classe deconcéder des passeports ou visas consulairessans une consultation préalable du secrétariatd’État.

2) Les consuls de carrière ne pourront concé-der des visas consulaires sans une consultationpréalable du ministère des Affaires étrangères.

a) Aux étrangers de nationalité indéfinie,contestée ou en litige, aux apatrides, aux por-teurs de passeport Nansen et aux Russes.

b) Aux étrangers qui ne sont pas en mesurede justifier auprès du consul, de manière sa-tisfaisante, les motifs de leur venue auPortugal. Mais aussi à ceux dont le passeportprésente une déclaration ou quelque annota-tion de l’impossibilité de retourner dans leurpays de provenance.

Concernant tous les étrangers, les consuls doi-vent chercher à s’assurer que les demandeursont les moyens de leur subsistance.

c) Aux Juifs expulsés du pays de leur nationa-lité ou de celui dont ils proviennent.

d) À ceux désireux de s’embarquer dans unport portugais qui n’ont pas dans leur passe-port le visa d’entrée dans le pays de destina-tion, les billets de traversée par voie maritimeet la garantie d’embarquement des compa-gnies respectives.

Les consuls feront très attention à ne pas en-traver la venue à Lisbonne de passagers à des-tination d’autres pays et tout spécialementaux passagers en transit aériens transatlan-tiques ou à destination de l’Orient. […]

Pour le bien de la Nationpour le Ministre Luiz de SampayoLisbonne, le 11 novembre 1939

Extrait de la note de culpabilité sur Aristides de Sousa Mendes

Établie le 2 août 1940 par Francisco de PaulaBrito Junior, conseiller du ministère des Affairesétrangères, chargé de l’instruction de l’enquête disci-plinaire à l’encontre des actes accomplis parAristides de Sousa Mendes, consul de premièreclasse à Bordeaux et Bayonne en 1939 et 1940.

Une enquête disciplinaire sur l’action accompliepar Aristides de Sousa Mendes à Bordeaux etBayonne a été ordonnée le 4. juillet 1940 parAntonio de Oliveira Salazar en sa qualité de prési-dent du Conseil et de ministre des Affaires étran-gères du Portugal.

Point 1. Vous êtes accusé d’avoir délivré sans au-torisation préalable du Ministère, un visa au Dr Ar-nold Wiznitzer et à sa famille le 2 novembre 1939.

[…]

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Annexes traduction Manuel Dias Vaz

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Point 5. Les 18 et 19 juin 1940, l’accusé gagnale consulat du Portugal à Bayonne et, arguant desa supériorité hiérarchique, il a commencé à dé-livrer des visas à tous ceux qui les demandaienten disant qu’il fallait sauver tous ces gens.

Point 6. L’accusé a ordonné au consul deBayonne qu’il concédât lui-même des visas, etcela gratuitement.

Point 7. Aristides de Sousa Mendes est accuséd’avoir par téléphone autorisé le vice-consul deToulouse à concéder des visas sans en référer auMinistère.

[…]Point 9. L’attitude de l’accusé a donné lieu à

une situation peu prestigieuse pour le Portugalface aux autorités espagnoles et allemandes d’oc-cupation.

[…]Point 11. Parmi ces étrangers se trouvaient de

nombreuses personnes dont la nationalité leurinterdisait d’obtenir des visas en conformité avecles directives du ministère.

Réponse d’Aristides de Sousa Mendes,consul de première classe, à la note de

culpabilité de Francisco Paula Brito Junior

Point 1. Le visa du passeport du Dr ArnoldWiznitzer et sa famille que je donne sans autori-sation du Ministère est concédé le 21 novembreet non le 2 novembre 1939.

Le Dr Wiznitzer allait être interné dans uncamp de concentration avec comme conséquencede laisser sa famille sans le soutien d’un père.

Faire coïncider les instructions avec les cir-constances extraordinaires est parfois impé-rieux… Ce qui a guidé ma conscience defonctionnaire fut mon esprit d’humanisme.

[…]Points 5 et 6. Sur ma présence et mon action

à Bayonne. Cela faisait quelques jours que FariaMachado, consul à Bayonne, me téléphonaitpour m’exposer les difficultés qu’il rencontrait,face à des milliers de personnes qui assaillaientsa chancellerie en espérant obtenir un visa.

Dans cette conjoncture exceptionnellementgrave, j’ai considéré qu’il était de mon devoir d’al-ler à Bayonne répondre à l’appel de mon col-lègue. En arrivant sur place et face à ces milliersde personnes – près de 5 000 dans la rue de jourcomme de nuit attendant leur tour devant leconsulat, et près de 20000 dans toute la ville quicherchaient par tous les moyens à s’approcherdu consulat – mon objectif était réellement desauver tous ces gens dont la détresse était indes-criptible. […] Beaucoup d’entre eux étaient desJuifs déjà persécutés auparavant et qui cher-chaient anxieusement à échapper à l’horreur. Delà découle mon action uniquement inspirée pardes sentiments d’altruisme et de générosité dontnous, Portugais, avons fait preuve depuis huitsiècles d’histoire.

Point 7. Concernant l’accusation d ‘avoir auto-risé le vice-consul de Toulouse à concéder desvisas. Je dois vous informer que le vice-consulm’a demandé par téléphone l’autorisation deviser des passeports indépendamment de touteconsultation du Ministère. J’ai répondu qu’il étaitindispensable que les intéressés se présentent auconsulat de Bordeaux ou Bayonne seuls autorisésà concéder des visas. Mais plus tard, le mêmefonctionnaire me rappela pour me dire qu’il n’yavait plus aucun moyen de communication versBayonne ni Bordeaux. Cette situation exception-nelle m’a conduit à autoriser le vice-consul deToulouse à concéder des visas de transit pour ceuxqui possédaient des visas pour un pays américain.

[…]Point 9. Quant à la situation peu prestigieuse

pour le Portugal figurant dans la note de culpabi-lité. Mon attitude et mon action résultaient decirconstances complètement anormales, insur-montables et de force majeure. Cette attitude etmon action ne sauraient donc être appréciéesqu’à la lumière de ces faits. Passant sur la placede la préfecture de Bayonne, une fois mes ac-tions connues (que certains considéraient peuprestigieuses), je fus accompagné par des « vivas »de centaines de personnes qui, à travers moi etmon action, acclamaient le prestige du Portugalet de votre Excellence.

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Annexes traduction Manuel Dias Vaz

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Annexes traduction Manuel Dias Vaz

Point 11. Quant à la remarque du directeur dela police de vigilance et de défense de l’État surles nationalités. Je ne pouvais faire de différenceentre les nationalités vu que j’obéissais à des rai-sons d’humanité qui ne distinguent ni les racesni les nationalités des réfugiés.

Conclusion d’Aristides de Sousa Mendes à la note de culpabilité

Je demande à votre Excellence de considérerque j’ai agi poussé par des circonstances de forcemajeure. Je cherchais à honorer la mission quim’était confiée et à défendre le nom et le pres-tige du Portugal. […]

En ma qualité de représentant du Portugal sesont présentés à moi d’éminentes personnalités :hommes d’État, ambassadeurs, ministres, géné-

raux, universitaires, artistes, des religieux, descommerçants, des industriels… De ces per-sonnes je n’ai reçu que des mots de remercie-ments et de considération pour le Portugal, paysaccueillant et hospitalier. […]

Je n’ai jamais eu connaissance de quelqueperturbation à l’ordre public ou d’abus de cettehospitalité de la part de réfugiés accueillis auPortugal. J’ai pu commettre une erreur, mais sije l’ai fait ce ne fut pas intentionnellement. J’aiagi en permanence selon ce que me dictait maconscience, et cela malgré la fatigue […] à causede l’excès de travail et de semaines passées sansdormir […] guidé dans l’accomplissement de mesdevoirs en ayant toujours pleine conscience demes responsabilités.

Aristides de Sousa MendesLisbonne, 10 août 1940

Le président du Conseil et ministre des Affaires étrangères a décidé de s’asseoir surla note de culpabilité et sur les réponses argumentées d’Aristides de Sousa Mendes.

Salazar, avec cette condamnation arbitraire et laconique, a voulu réduire Aristides de Sousa Mendes au silence et l’effacer de l’Histoire.

Pour ce faire, il fait rédiger et signe l’acte de condamnation qui suit :

Ministère des Affaires étrangèresSecrétariat général

Attendu aux infractions commises, ne tenant pas en considération la récidive, il revientà la peine prévue par l’article 6 du règlement disciplinaire ; attendu au constat du rapportet au fait que le conseil reconnaît l’incapacité professionnelle de l’accusé pour diriger desconsulats et spécialement ceux de sa catégorie, je condamne le consul de première classeAristides de Sousa Mendes à la peine d’un an d’inactivité avec droit à la moitié du salairede la catégorie, devant par la suite être admis à la retraite.

Lisbonne, 30 octobre 1940Antonio de Oliveira Salazar

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Annexes Courrier du comité français Sousa Mendes à Madame Fleur Pellerin, Ministre de la culture

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Annexes Courrier du comité français Sousa Mendes à Madame Fleur Pellerin, Ministre de la culture

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Annexes Courrier du comité français Sousa Mendes à Madame Fleur Pellerin, Ministre de la culture

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Annexes Courrier du ministère de la Culture et de la Communication

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Annexes Courrier du cabinet du secrétaire d’État auprès du ministre de la Défense

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le Préfet de la région Aquitaine,le Président du Conseil régional,le Président du CESER,la DRAC Aquitaineles Consuls généraux d’Allemagne, d’Espagne

et du Portugal,le Président du Conseil départemental

de la Gironde,les Maires de Bayonne, de Bègles, de Cenon,

d’Hendaye et d’Oloron-Sainte-Marie,les lycées Camille-Julian, Montesquieu

et Tivoli à Bordeaux, Montaigne à Libourne, le lycée juif de l’ORT à Villiers-le-Bel, le lycée René-Cassin à Bayonne, le lycée de Carregal do Sal au Portugal,les Archives départementales de la Gironde,le comité de jumelages de la ville d’Hendaye,

la paroisse Saint-Louis des Chartrons à Bordeaux,les associations Boulevard des Potes,

France-Portugal d’Oloron-Sainte-Marie, la radio La Clef des Ondes, Musique de Nuit, la Ligue des Droits de l’Homme, le centre social et culturel de l’Estey à Bègles, le Rocher de Palmer à Cenon, le Rahmi, l’association O Sol de Portugal…

les intervenants et communiquantsDavid Aller,Gérard Boulanger,Anne-Marie Cocula,Manuel Dias Vaz,Jean-Louis Nembrini,Alain Ruiz,Matthieu Trouvé,Mgr Jean-Marie Le Vert.

RemerciementsCe livret, rassemblant les principales interventions du 75e anniversaire de l’action d’Aristidesde Sousa Mendes, a été élaboré sous la direction de Manuel Dias Vaz, vice-président du comiténational français en hommage à Aristides de Sousa Mendes.

Le Comité tient à remercier pour leurs soutiens et leurs contributions les services de l’État, les col-lectivités territoriales, les délégations diplomatiques, les associations, les établissements scolaires etles communicants qui, par leurs apports, ont contribué à la réussite des manifestations du 75e anni-versaire de l’action du consul du Portugal à Bordeaux en 1940 et à la réalisation de cet ouvrage.

Nous remercions particulièrement :

Achevé d’imprimer en mai 2016Graphisme : Lhoumeau.comISBN 978-2-9535039-8-2

Réseau Aquitain pour l'Histoire et la Mémoire de l'Immigration

rahmi

Photos de dernière de couverture, de gauche à droite et de haut en bas : Bernard Lhoumeau, id., id., id., id., famille Sousa Mendes,B. Lhoumeau, famille Sousa Mendes, B. Lhoumeau, id., id., id., id., id., id., id., id., Ville de Bayonne.

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14, cours Journu-Auber – 33300 Bordeaux

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