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Centre de cas

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Guy Lacasse, entrepreneur12Cas rdig par Christophe KADJI YOUALEU et le professeur Louis Jacques FILION en collaboration avec Paul-Arthur FORTIN. Le petit gars de Saint-Pie devenu industriel, le gant de la Rivire Noire3, le miraculeux entrepreneur de Saint-Pie-de-Bagot4, voil quelques-unes des pithtes formules l'endroit de Guy Lacasse. Lgende vivante non seulement dans la rgion de Saint-Pie, mais dans l'ensemble de l'industrie du meuble au Canada, il a transform l'ancien fief lectoral de l'ancien Premier ministre, Daniel Johnson, pre, en complexe industriel de PME. Il avait cr sa premire entreprise alors qu'il n'tait encore qu'un adolescent, que ce qu'on appelle communment un dcrocheur du secondaire. La fibre entrepreneuriale de Guy Lacasse vient d'une tradition familiale tablie par son grand-pre paternel, douard Lacasse. Propritaire d'immeubles rsidentiels Granby et d'une usine de fabrication de portes et chssis Moncook, petite localit situe prs de Milton, il avait t un entrepreneur prospre au cours des annes 19001920. Guy conserve un souvenir vivace de l'ingniosit peu ordinaire de son grandpre qui avait install des turbines pour faire fonctionner ses petites entreprises prs de la rivire. Ds l'enfance, Guy Lacasse a tout d'un rebelle. Il caresse deux grands rves ns d'un sentiment de rvolte contre la rsignation, le scepticisme et le conservatisme. Le premier : possder un jour sa propre entreprise comme son grand-pre et ses oncles1

Ce cas est une suite celui qui a t rdig par Suzanne Lemire sous la direction du professeur Raymond Chauss, et dpos au Centre de cas de l'cole des HEC sous le numro 9 40 1995 002 en 1991, rv. 1994, sous le titre de Lacasse inc.. La rdaction de ce cas a t faite dans le cadre dun projet de la Chaire dentrepreneurship Maclean Hunter sur lessaimage dentreprises. Les partenaires financiers sont la Fondation de lentrepreneurship, le Ministre de lIndustrie et du Commerce, Dveloppement conomique Canade et Accs Entrepreneur Plus Mino, J-L (concepteur et ralisateur), Guy Lacasse, le "petit gars de Saint-Pie-de-Bagot (Qubec) devenu industriel", 1994, 255 p. Nadeau, B., Le miracle de Saint-Pie, L'Actualit, vol. 19, dcembre 1994, p. 38.

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Copyright 2001. cole des Hautes tudes Commerciales (HEC), Montral. Tous droits rservs pour tous pays. Toute traduction ou toute reproduction sous quelque forme que ce soit est interdite. Ce cas est destin servir de canevas de discussion caractre pdagogique et ne comporte aucun jugement sur la situation administrative dont il traite. Dpos au Centre de cas de l'cole des HEC, 3000, chemin de la Cte-Sainte-Catherine, Montral (Qubec) Canada H3T 2A7.

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paternels, et ainsi, prendre une revanche contre le sentiment d'impuissance et la rsignation de son pre. Ce dernier tait salari, contrairement ses quatre frres, les oncles de Guy, qui taient tous des entrepreneurs dans le domaine du bois dans la rgion de Roxton Pond prs de Granby. Le pre de Guy travaillait comme mcanicien dans une usine de fabrication de portes et chssis. Les modestes revenus qu'il tirait de ce travail suffisaient nourrir ses huit enfants. Aux yeux du petit, les conditions matrielles difficiles dans lesquelles la famille vivait taient dues au manque d'audace de son pre. Rvolt, il s'tait fait une promesse : Moi, je ne veux pas travailler la journe comme mon pre, je serai comme mon grand-pre, comme mes oncles Un jour, moi aussi, j'aurai mon usine! Le second rve de Guy : mettre fin au conservatisme des deux manufacturiers qui, l'poque, contrlaient le conseil municipal et empchaient en quelque sorte le dveloppement des affaires Saint-Pie. Guy avait constat plusieurs reprises que son pre prouvait une certaine frustration par rapport cette situation, mais ne pouvait la changer. Il s'tait donc promis de s'en charger lui-mme. Mon pre ne cessait de dire : "Ces deux manufacturiers contrlent tout." J'ai enregistr cela et je me suis jur qu'on crerait des emplois et des entreprises Saint-Pie. Ces circonstances m'ont marqu alors que j'tais encore trs jeune. Homme de parole, engag et tenace, Guy Lacasse n'a pas mnag ses efforts afin de raliser ses rves. Aujourd'hui, l'entreprise qu'il a cre et qu'il dirige avec ses deux frres s'tend sur l'ensemble du territoire de Saint-Pie, un peu la manire d'un empire. Le Groupe Lacasse est le moteur de ce petit village. Il a cr l une culture entrepreneuriale qui a marqu profondment ce petit coin de pays de Montrgie situe presque mi-chemin entre Granby et Saint-Hyacinthe. La gnration de Lacasse qui suit a grandi dans ce bain d'entrepreneuriat. Au cours des dernires annes, Guy Lacasse a ignor certaines occasions de croissance et d'expansion l'extrieur du pays afin de privilgier la cration d'emplois dans sa communaut. Les usines et le sige social de l'entreprise sont situs Saint-Pie-de-Bagot, son village natal auquel il est profondment attach. En 1976, il a galement cr un parc industriel d'une superficie de 100 cres, qui, aujourd'hui, est rempli pleine capacit tant par des entreprises du Groupe Lacasse que par d'autres entrepreneurs. Certains de ceux-ci sont ses ex-employs, parmi les plus entreprenants. Presque tous ont eu besoin de formes varies de soutien de la part de Guy pour fondeur leur propre entreprise spcialise dans le secteur du meuble. l'aube de l'an 2000, un total de 1 500 personnes sont l'emploi des diffrentes entreprises installes dans le parc de Saint-Pie. Le Groupe Lacasse, lui seul, en emploie 650. De l'avis de plusieurs observateurs, Saint-Pie est l'un des rares villages du Qubec tre continuellement court de main-d'uvre. Les gens viennent de partout la ronde et mme de Montral pour y travailler.

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Au Qubec, le Groupe Lacasse est la quatrime plus importante entreprise de l'industrie du meuble. Elle occupe le 238e rang pour le nombre d'employs1. En 1998, l'entreprise a ralis un chiffre d'affaires de 85 millions de dollars, et un bnfice net de sept millions de dollars2. Le Groupe Lacasse est reconnu comme le plus important fabricant de meubles de bureau du Qubec, et le deuxime plus important du Canada3. Guy Lacasse a plus que tenu ses promesses de faire de Saint-Pie une capitale industrielle rgionale. Mais attention, alors qu'il pourrait prendre une retraite bien mrite, il ne tire pas encore sa rvrence. Il continue de rivaliser d'ambitions et d'initiatives pour l'expansion de son entreprise, pour le dveloppement du parc industriel qu'il a cr, et consquemment, pour le dveloppement socio-conomique de sa communaut. Son nouveau dfi consiste amener son entreprise sur le march boursier4 ou bien en devenir un actionnaire important. C'est un moyen additionnel pour amliorer sa stabilit et maintenir sa course vers la conqute du march du meuble de bureau. Guy continue d'investir de faon importante dans l'agrandissement et la rnovation des installations de Saint-Pie, avec un parti pris pour la recherchedveloppement, et le souci de crer de nouveaux emplois dans sa communaut. Guy a agi de manire entrepreneuriale, non seulement dans sa pratique des affaires, mais galement sur le plan organisationnel. En effet, il a conu son propre concept d'entreprise-rseau. Il pense qu'il est maintenant temps de passer la deuxime phase de la mise en place de sa vision du parc industriel. Mme s'il exporte dj 70 % de sa production, dont 65 % aux tats-Unis, son besoin de conqute de marchs sur d'autres continents apparat de plus en plus vident. Ce besoin semble d'ailleurs avoir t amplifi par ses participations diverses missions commerciales et foires internationales. Les nouveaux dfis ne manquent pas ce sexagnaire sur qui l'ge ne semble pas avoir de prise. Le risque et le changement semblent faire partie de sa faon de vivre. Ce caractre fonceur, ambitieux, un peu parieur, il l'a acquis de sa mre dont ces traits de caractre se sont ajouts la culture des Lacasse, elle-mme caractrise par une prdisposition acquise la pratique entrepreneuriale. Sa mre l'avait programm pour qu'il ait la bosse des affaires Guy Lacasse est n le 9 octobre 1939 Saint-Pie-de-Bagot. Il est le quatrime d'une famille de huit enfants, dont sept garons et une fille. Tous sont aujourd'hui en affaires. Ses parents sont originaires de Sainte-Ccile-de-Milton. Ses grands-parents paternels et maternels taient tous en affaires. Ses oncles paternels taient galement des hommes d'affaires prospres. Ils avaient tous bnfici du soutien de leur pre, lui-mme entrepreneur prospre, pour acqurir chacun une entreprise dans le1

Les Affaires, Le dfi de la performance. Les 500 plus importantes entreprises au Qubec, Hors Srie, dition 1999, p. 32-33. La Revue Commerce du 6 juin 1998 classait l'entreprise au 714e rang au Canada pour les profits. Turcotte, C., Le meuble de bureau la faon Lacasse, Le Devoir, 6-12 septembre 1999. Les Affaires, op.cit. Le Groupe Lacasse envisage d'aller en Bourse, Les Affaires, 18 avril 1998, p. 52.

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domaine du bois Roxton Pond, dans la rgion de Granby et Saint-Hyacinthe. Le pre de Guy, Euclide, travaillait comme mcanicien chez Alfred Benot et fils inc. Saint-Pie-de-Bagot. Dernier de la famille, il avait t choy par son pre. Celui-ci veillait ce qu'il ne manque de rien et surtout, ce qu'il soit l'abri de besoins financiers. Il avait l'auto du grand-pre, nous confie Guy. La crise conomique des annes 1930 fut malheureusement impitoyable envers ce grand-pre que Guy a connu. Elle le frappa trs durement. Euclide, son fils benjamin, subit galement un choc en voyant disparatre tous ses avantages. Dsormais, il devrait gagner son pain la sueur de son front. Tmoin de cette dbandade conomique, et quelque peu traumatis par tout ce qui tait arriv ses proches, Euclide Lacasse dveloppa une grande crainte des affaires. Il en tait arriv voir toute activit d'affaires comme un risque dangereux. Il prfra se contenter d'un revenu tir d'un emploi journalier : Parfois, nous lui demandions : "Comment se fait-il que l'oncle Ovila, l'oncle Albert et tes autres frres ont des usines? Ils russissent, ils ont de l'argent. Nous, on n'en a pas!" Nos rflexions le chagrinaient. Il nous rpondait : "Ils ont aussi beaucoup de soucis. Moi, j'ai huit enfants faire vivre. Du trouble, je n'en veux pas!" La crise l'avait marqu. Mais, nous, ses enfants, nous n'tions pas passs par l. Nous n'avions pas connu tous ces problmes. La mre de Guy, Yvonne Pontbriand, venait galement d'une famille entrepreneuriale. Elle n'avait pas du tout la mme perception des affaires que son poux. nergique et ambitieuse, elle encourageait sans cesse ce dernier se lancer en affaires. Cependant, elle n'a jamais russi le faire changer d'avis. Tu n'as pas voulu, j'aurais pu t'aider, marmonnait-elle trs souvent son mari. Intuitive, rvant d'un avenir plus prometteur pour ses enfants, et presque convaincue que sa famille tait investie d'une mission pour le petit village de Saint-Pie, elle se tourna alors vers un de ses fils pour pouvoir concrtiser sa vision : l'poque de mes 9-10 ans, la religion dominait. Ma mre nous emmenait la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupr. On s'agenouillait devant la statue de sainte Anne et ma mre nous chuchotait : "Les enfants, priez pour votre avenir, pour qu'un jour, vous ayez une usine. Une usine comme vous le mritez. Demandez-le sainte Anne et croyez-moi, vous allez tre exaucs." On en tait convaincu tant elle nous insufflait sa force. Elle a essay d'encourager mes deux frres ans, mais cela ne les intressait pas. Quant ma sur, il n'en tait pas question l'poque. Elle m'a alors "programm". C'est officiel. Je me souviens qu'elle s'acharnait sur moi lorsque j'avais 12-13 ans. "Tu vas partir en affaires, car tu as du talent." Beaucoup semble s'tre jou l, dans l'intense ferveur religieuse et avec l'trange volont d'une mre claireuse et courageuse qui voulait orienter ses enfants vers

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une voie que trs peu de gens empruntaient l'poque. En effet, dans ce temps-l, les valeurs religieuses taient fortes et beaucoup de parents souhaitaient que leurs enfants choisissent la vocation religieuse. Les parents ambitieux rvaient surtout de professions librales pour leurs fils, le prestige social y tant rattach. Ceux qui envisageaient de devenir entrepreneurs taient regards de haut, voire marginaliss, au sein d'une socit qubcoise encore trs profondment marque par des valeurs antimercantiles datant d'avant la Rvolution franaise, tout comme les gens qui avaient fond l'cole des HEC au dbut du XXe sicle et qui taient considrs comme des marginaux. Yvonne n'avait pas peur de cette marginalit. Elle dfendait vigoureusement sa vision diffrente de l'avenir, ayant t profondment imprgne par les valeurs et la culture entrepreneuriales de sa famille. Guy insiste sur la grande influence qu'elle joua dans l'laboration de sa propre identit : Par rapport mes deux grands-pres qui ont inspir ma vie, je me dfinis ainsi : promoteur industriel comme mon grand-pre Lacasse, avec l'aisance et la finesse en affaires de mon grand-pre Pontbriand. Ma mre est la personne qui a contribu le plus dvelopper chez moi la confiance en mes capacits. C'est elle qui m'incitait foncer, aller de l'avant. Ma dtermination russir en affaires, je la dois mon pre, simple travailleur, qui trimait dur pour gagner notre pain, alors qu'il aurait pu tre aussi prospre que ses frres. Selon Guy Lacasse, ses aspirations entrepreneuriales remontent pratiquement au moment de sa conception. Ds que sa mre fut enceinte de lui, elle s'est "programme" pour en faire un entrepreneur. Elle considrait ne pas avoir russi avec les plus vieux et ne voulait pas manquer son coup avec lui. Ds son plus jeune ge, Guy Lacasse est pouss adopter l'attitude mentale ncessaire l'expression de ses propres diffrences. Toute l'ducation maternelle le prpare devenir entrepreneur, passer l'action. Il n'a pas eu vraiment le choix. Ses lans de rvolte contre le conformisme et la rsignation ainsi que contre le scepticisme et l'immobilisme de son entourage ont t soutenus et entretenus par sa mre. La rvolte a l'effet d'un puissant stimulant sur Guy Lacasse. Elle nourrit ses ambitions et le fait avancer. Il ne se retient pas pour exprimer son indignation, son dgot, sa colre. Par ailleurs, ds l'enfance, Guy apprend de son pre cultiver le sens de l'effort et de l'abngation dans le travail. De plus, il s'est fix un ensemble de rgles rigoureuses de conduite. C'est ce qui l'a amen son esprit d'observation, sa capacit d'analyse. Il a galement appris ne pas faire contre mauvaise fortune bon cur. Quand on allait chez nos oncles, on tait un peu rvolt de voir leur situation comparativement la ntre. Je n'approuvais pas la rsignation de mon pre. Cette rvolte qui m'habitait a fait de moi un bagar-

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reur L'ambition de ma mre qui poussait sans cesse mon pre m'a beaucoup influenc. Je me disais : "Pourquoi est-il comme a? Pourquoi?" Durant tout ma jeunesse, ce manque d'audace de mon pre m'a fait souffrir. Je me disais alors : "Plus tard, je veux travailler fort comme mon pre, mais pas pour les autres. Je travaillerai dans mon usine, pour moi!" Ds l'ge de 17 ans, Guy travaille effectivement pour lui-mme, dans sa petite entreprise de fabrication de meubles. Mais, c'est d'abord chez Alfred Benot et fils inc. de Saint-Pie qu'il prend contact pour la premire fois avec le monde du travail. Il a alors quinze ans et demi, et vient d'abandonner l'cole en classe de neuvime anne. C'est son pre, employ de la mme entreprise, qui lui trouve ce travail avec l'espoir qu'il s'y plaise et y gagne sa vie. Malheureusement, Guy trouve cette exprience peu emballante et s'empresse de dsillusionner son pre : Papa, lui dis-je, comment as-tu pu passer toute ta vie travailler ici? "Je suis bien, me rpondit-il, je n'ai pas de troubles et je gagne un salaire raisonnable qui me permet de faire vivre ma famille". "Je suis incapable de continuer travailler ici", lui ai-je dit. Et malgr lui, j'ai laiss mon emploi aprs une semaine, dtermin plus que jamais me lancer en affaires. Malgr sa dtermination, Guy doit prendre son mal en patience, parce qu'il n'a pas encore choisi le domaine dans lequel il veut se lancer. De plus, il n'est pas form pour un mtier en particulier. l'instigation de sa mre, il suit alors un cours d'arts et mtiers du meuble Granby. Ce choix ne tient pas seulement compte du rve de sa mre, mais aussi de la passion que Guy a nourrie pour le meuble depuis son enfance. Son pre pratiquait l'bnisterie comme passe-temps favori. Dans son garage, celuici se plaisait fabriquer de menus objets en bois qu'il vendait ses frres et ses amis. Guy et Rjean, son plus jeune frre, taient les seuls s'intresser vraiment ces activits. Assis sur le banc de scie, les yeux brillants de curiosit, ils observaient attentivement leur pre travailler le bois. Paralllement, leur mre soutenait leur intrt, ne cessant de leur dire lorsqu'elle en avait l'occasion : Un jour, les enfants, vous allez faire pareil, vous autres aussi. Lorsque Guy termine sa formation au bout de six mois, il s'empresse de retourner Saint-Pie dans l'espoir de mettre en application ses nouvelles connaissances, d'assouvir sa passion et de commencer combler quelques-unes des attentes de sa mre. Malheureusement, il doit retourner Granby occuper un emploi que sa mre lui a trouv chez Granby Metal Tubing, une entreprise de meubles dont le propritaire tait un ami de la famille Lacasse. Dans cette entreprise, Guy est affect la section des meubles de machine coudre. L, il a l'occasion de se familiariser davantage avec les quipements et de mettre en pratique des connaissances acquises dans son cours d'arts et mtiers du meuble. Il apprend aussi manipuler les feuilles de lamin et le formica, des matriaux nouveaux pour lui. Il a du plaisir vivre cette exprience de travail, mais demeure insatisfait plus d'un titre :

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J'tais un garon trs sage. Je ne sortais pas. Je lisais et j'tais plutt renferm. Je m'ennuyais beaucoup, car c'tait la premire fois que je vivais loin du nid familial. Mme si j'tais fier de gagner ma vie, j'tais malheureux. Je me disais : "Travailler comme a durant toute ma vie pour les autres, a ne se peut pas." Les journes et les soires taient longues et trs dures. Je gagnais environ un dollar de l'heure, soit 45 dollars par semaine, le salaire normal de l'poque. Mais j'tais fier d'apprendre le mtier. Pour la deuxime fois, Guy est incapable de se conformer aux exigences d'un employ salari. Il ne se sent pas suffisamment gratifi. Cette exprience de travail dure huit mois. Guy se familiarise pourtant avec le mtier, ses rouages et ses exigences. Il ne cesse de rflchir ce qu'il pourrait faire pour se lancer son propre compte. Fort de ses acquis professionnels, il abandonne son emploi et retourne Saint-Pie. Cette fois-ci, il est bien dcid crer son entreprise comme il se l'est toujours promis, dans l'espoir cependant que ses parents et ses proches lui apportent leur aide. Tout au long de son parcours scolaire, Guy Lacasse a souvent exprim son anticonformisme et mme, certaines occasions, sa rvolte. l'cole, il se souvient avoir t un lve distrait, coutant trs peu, et rvant beaucoup : Je rvais tout le temps. Je prfrais dessiner des maisons et des meubles. J'ai un talent fou. Un jour, durant une rcitation en calcul oral, j'ai fait une erreur qui a fait rire tout le monde, except moi. J'tais humili et furieux. Je me suis avanc devant la classe et j'ai dit : "Vous riez de moi aujourd'hui, mais un jour, c'est moi qui vais rire de vous tous!" Guy dit qu'il tait tellement peu studieux et inattentif l'cole qu'en classe de neuvime anne, juste avant le moment de passer l'examen de certificat, un de ses professeurs le dissuada de se prsenter, estimant ses chances de russite trs minces. Voyant qu'il ne pouvait changer la volont de cette autorit pour qui la russite des lves tait une question de fiert personnelle, il ne diffra pas uniquement sa candidature l'examen, mais il se rvolta et abandonna compltement l'cole. Un abandon semblable se produisit l'anne suivante, aprs que Guy eut suivi son cours d'arts et mtiers du meuble et qu'il dut passer les examens de fin d'anne. Cette fois-ci, personne ne l'incita abandonner. Une fois le sujet matris, il ne voyait plus la pertinence de passer au travers du moule d'valuation des savoirs du systme scolaire. Comme un maon, Guy prfre tre test au pied du mur, sur la pratique. Il est d'abord et avant tout un concret qui intgre les apprentissages non seulement dans les savoirs faire mais aussi dans les savoir tre. Il aime rflchir et imaginer ce qu'il pourrait faire avec ces apprentissages de telle sorte que ds qu'ils sont matriss, il ait dj pass autre chose.

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Le refus du scepticisme et de l'immobilisme Guy Lacasse ne cache pas son norme penchant pour l'action. Pour lui, tout est possible si on y croit vraiment. Il rappelle avec fiert certains bricolages d'une complexit exceptionnelle raliss dans son enfance et dans sa jeunesse. 12 ans, par exemple, il a construit un petit avion d'une certaine complexit. Pour ce faire, il sollicite l'aide de Rjean, son frre, et d'Andr, un de ses meilleurs amis d'enfance. Il s'inspire de la revue Popular Mechanics et utilise les outils de son pre pour tailler les morceaux de bois ncessaires cette entreprise. Une fois le projet termin, Guy rassemble la famille pour le vol inaugural. Malheureusement, la tentative de dcollage choue, et l'avion s'crase, au grand dsarroi des trois complices. Pour la famille, ce fut un spectacle amusant. Guy se souvient aussi d'un autre essai manqu d'un parachute que les trois adolescents construisirent en s'inspirant toujours de la revue Popular Mechanics. Pour Guy Lacasse, cet esprit inventif, ce got de l'exprimentation et du risque traduisent aussi bien son sens du concret et de la dbrouillardise que son dsir de toujours accomplir des choses : tant habile de mes mains, il fallait que je construise quelque chose manuellement; je suis encore ainsi. Mme s'il a la conviction profonde d'tre un btisseur, malgr ses talents, son amour du travail et sons sens de l'effort, Guy Lacasse doit lutter prement contre le scepticisme de nombreuses personnes. En ce qui concerne son rve d'avoir une entreprise et de la faire grandir, il rencontre l'opposition froce de son pre. Il doit alors imaginer de bonnes astuces et s'entter afin de venir bout de sa rsistance la cration puis la croissance de l'entreprise : Au dbut, on fabriquait et vendait un meuble de machine coudre la fois. La production se faisait dans le garage. Tous les matins, avant de commencer travailler, nous devions sortir la Chevrolet de mon pre pour avoir plus d'espace, et le soir, il fallait replacer le banc de scie et remiser la voiture. C'tait trs malcommode. Souvent, je disais mon pre : "Papa, il faudrait construire une petite shop. Je suis sr que ce serait rentable. On va devenir gros." La rponse tait catgorique : "Arrte de rver! Fais comme moi, va sur le march du travail et dbrouille-toi!" l'insu de mon pre, Rjean et moi avions commenc creuser les fondations la petite pelle. Quand mon pre s'en est aperu, il nous a semoncs : "Remplissez-moi a ce trou-l! Vous n'avez pas besoin d'usine pour tre heureux." Comme nous n'avions pas d'argent, il aurait fallu hypothquer la maison paternelle pour obtenir un emprunt. On n'avait pas l'ge pour emprunter. On demandait mon pre de signer pour nous, mais il refusait. Il ne croyait pas du tout en nous. force de le talonner et de lui dire qu'on travaillerait toute notre vie pour lui remettre l'argent qu'il emprunterait, il a fini par signer. Un voisin lui a prt 3 000 dollars 6 % d'intrt avec une hypothque sur sa maison

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Trois ans aprs, nous les lui avions rembourss. En 1976, lorsque Guy Lacasse rve de crer un parc industriel Saint-Pie pour regrouper les entreprises spcialises dans le secteur du meuble, il doit une fois de plus surmonter le scepticisme de son entourage immdiat, mme celui des lus municipaux. Tous pensent qu'un tel projet est d'emble vou l'chec, tant donn les difficults attirer des entreprises dans une municipalit comme Saint-Pie, situe en plein cur d'une rgion agricole. Guy fait la sourde oreille et agit sur un coup de tte : mon retour d'Europe, je me suis dit un matin : "Je vais construire un parc avec des entreprises." Je suis all rencontrer le conseil municipal pour leur en faire part. Plusieurs des membres avaient le sourire aux lvres : "Un parc industriel avec une population de 1 200 personnes! Qu'est-ce que c'est?" Le maire m'a rpondu : "Peut-tre qu'on va y penser." J'ai alors ragi en pensant qu'ils ne me croyaient pas et qu'ils me prenaient pour un imbcile. Je les ai alors regards tout comme je l'avais fait devant la classe plusieurs annes auparavant et je leur ai dit : "Je vais le faire moi-mme. Comprenez-vous?" Et je suis parti. Arriv la maison, j'ai pens ce que je venais de dire (mon orgueil!) :"Maintenant, je suis pris; il faut que je le fasse." J'ai achet la terre et j'ai lotiss tous les terrains avec l'aide d'un arpenteurgomtre de Saint-Hyacinthe. Il a ralis les plans, mais lui non plus ne croyait pas en moi : "Aucune entreprise ne viendra s'tablir SaintPie", m'a-t-il dit. Guy Lacasse est ainsi, c'est un parieur. Il aime se mettre dans des situations o l'chec n'est plus permis. Il ne mnage pas ses efforts pour triompher avec gloire surtout lorsqu'il travaille raliser ses rves : Je voyais ce parc en deux parties : l'une industrielle, avec des usines; l'autre commerciale, dote de services indispensables... Je vivais pour ce parc. Je me souviens y avoir pass des samedis complets avec mes deux fils, clouer pour monter des usines En 18 ans, le parc s'est rempli d'usines sur une surface de cent arpents. Aucun terrain n'est vacant. Le succs est vident. Plus de 1 500 personnes y travaillent dans le domaine du meuble. Nous avons aussi construit une station-service, un casse-crote et un chic restaurant franais gastronomique. M. Lacasse reconnat cependant que l'aventure n'a pas toujours t facile. Au fil du temps, il n'a pas mnag ses efforts pour relever de nombreux dfis et rallier les sceptiques d'autrefois. Mais il n'a pas encore tout fait russi persuader les syndi-

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cats de sortir de leurs contradictions quant la sous-traitance et ses effets sur l'emploi et la croissance des entreprises : Les compagnies sous-traitantes sont inscrites dans notre convention collective. Je ne peux cependant plus en fonder d'autres Le Fonds de solidarit dsire qu'on btisse des PME pour aider la grande entreprise en fin de compte, de l'essaimage et de la soustraitance. La FTQ vise se dfaire de la sous-traitance, mais il n'en est pas question. Elle est compltement contre le progrs. J'aimerais donner une confrence aux syndicats pour leur faire comprendre qu'en faisant cela, ils freinent la croissance mme de la compagnie, et par l le dveloppement local. Comme tu ne peux pas exceller dans tout, la compagnie devient moins rentable Les syndicats ont demand au gouvernement de voter l'article 45 du code du travail pour la sous-traitance. Il ne faut pas que cela passe, car tu ne pourras plus rien faire. Ils prconisent de grosses affaires quand tout le monde dcentralise Quelques usines devront peut-tre fermer avant qu'ils comprennent. J'ai l'impression qu'ils n'auront pas le choix. Guy Lacasse pense qu'il est essentiel de recourir l'essaimage et la sous-traitance pour dcentraliser les usines et les spcialiser dans ce qu'elles font de mieux. C'est ce qu'il fait lui-mme depuis 1980 Saint-Pie. Il s'est entour de plusieurs autres entrepreneurs spcialiss dans la fabrication des composantes dont il a besoin pour la fabrication de ses meubles. Certains de ces entrepreneurs sont ses anciens employs. D'autres viennent d'un peu partout au Qubec et au Canada. Presque tous sont installs dans son parc industriel et fonctionnent en rseau, selon le principe du juste--temps. Les productions des entreprises se compltent et toutes gagnent en productivit et en qualit. Mais au del de cette logique conomique, la recherche de la complmentarit est une attitude que Guy Lacasse a fortement cultive et intgre dans ses pratiques depuis son enfance. Sa volont de toujours fonctionner en quipe constitue l'une des armes de sa russite. Rebelle meneur d'hommes et plus encore Guy Lacasse a appris capitaliser sur le travail d'quipe pour raliser ses rves. Dans l'enfance, il s'entourait de Rjean, son frre, et de ses meilleurs amis du voisinage pour faire toutes sortes de bricolages. Lorsqu'il commence son aventure entrepreneuriale en 1956, ses ressources se limitent ses comptences dans la fabrication de meubles, le soutien moral de sa mre et la forte complicit de Rjean. Guy prend conscience de la modestie de ses ressources par rapport ses ambitions. Astucieux,

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il regarde autour de lui et suscite l'enthousiasme de plusieurs membres de sa famille pour son projet : Au dbut, j'utilisais les outils de mon pre qui possdait l'quipement de base ncessaire la fabrication des meubles. Le soir, aprs la classe, Rjean, qui tait tudiant ce moment-l, venait se joindre moi Un an plus tard, il quittait l'cole pour travailler temps complet avec moi Ma mre suivait de prs ma production. Elle tait l pour m'aider et souvent, c'est elle qui tait derrire le banc de scie Elle peignait l'intrieur des meubles et elle nous accompagnait chez les fournisseurs quand nous allions commander nos matriaux de base Je me souviens qu'elle appelait des clients pour leur vendre des meubles Mme mon frre Normand, qui travaillait Montral, a vendu pour nous beaucoup de meubles Par la suite, j'ai russi convaincre Ral, mon frre an, qui travaillait Granby, de se joindre nous Aprs les travaux d'agrandissement de l'usine, Rjean et moi travaillions la production, tandis que Ral tait affect la vente. Nous avons embauch un premier employ, suivi peu de temps aprs, par un deuxime Ma sur Denise tait notre secrtaire l'poque. Les difficults de dmarrage tant surmontes, Guy pense la croissance de l'entreprise. Il s'assure du soutien continu de ses deux frres, Ral et Rjean. Il n'hsite pas attirer d'autres personnes pour l'aider. Vingt ans aprs le dbut de l'aventure, Guy se rend compte qu'il est devenu l'entraneur d'une quipe de plusieurs centaines de personnes. Guy Lacasse aime faire entrer de nouveaux entrepreneurs dans son systme. Il l'a fait avec la trentaine d'entrepreneurs installs dans son parc industriel, qui ont pu se lancer en affaires en sous-traitant pour lui. Il a une prfrence pour ceux qui exploitent des entreprises dans l'industrie du meuble et qui peuvent ajouter de la valeur son propre produit de base. Il a l'intention de continuer attirer et soutenir ces jeunes entrepreneurs tant l'extrieur de l'entreprise que parmi ses propres employs. Il raconte de quelle faon il procde la slection des entrepreneurs en herbe dsireux de faire partie de son rseau : Je m'assois avec eux et je discute. Je ne les reois que le samedi. S'ils ont pris la dcision de devenir entrepreneur, il faut qu'ils soient dci-

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ds! Il ne s'agit pas que d'employs, ils viennent de partout maintenant Mes critres sont premirement la volont de l'individu et sa bonne connaissance du produit. Je lui demande o il a appris, comment il a fait pour se dcider et pourquoi il vient me voir. Je veux qu'il me montre ce qu'il a dans le ventre. Il est rare que je lui demande son niveau de scolarit. Il sait que tout bon entraneur doit fouetter le moral de ses troupes d'une faon constante s'il veut augmenter les chances de succs : Ma plus grande inquitude a toujours t le succs des jeunes entrepreneurs qui dbutent dans le parc industriel. Tmoin de leurs efforts, je sais par ailleurs qu'ils ont peu d'argent et d'exprience. Une seule erreur pourrait les conduire la faillite et ce serait tellement dommage pour eux. J'en prouverais tellement de peine Ce qui me dtend le plus, et qui est aussi un de mes plus grands plaisirs, je le vis tous les samedis quand je vais faire un tour dans le parc industriel. C'est un rituel auquel je tiens beaucoup. Rencontrer les jeunes entrepreneurs, discuter de leurs proccupations, de leurs projets, me passionne normment. J'adore parler avec eux, les encourager, et voir leurs yeux briller d'espoir. Je me dis en moi-mme : "Que j'ai donc bien fait de construire ce parc!" Guy Lacasse a galement entran Colette, son pouse, dans l'aventure entrepreneuriale. Il l'a encourage exprimer et raliser son potentiel entrepreneurial dans le domaine de la construction immobilire : En 1979, j'ai demand Colette : "Aimerais-tu laisser ta marque Saint-Pie? J'ai un beau projet pour toi et je suis sr que tu serais capable de le mener bien. Tu vas btir des maisons." Au dpart, Colette est perplexe quant ses chances de russite comme entrepreneure, mais elle finit par se laisser convaincre. Elle entreprend alors la construction de maisons sur des terrains vacants du domaine familial. Son audace et ses efforts portent trs vite fruits. Ses maisons sont loues ou vendues aux entrepreneurs et aux employs venus s'installer Saint-Pie. Aujourd'hui, Guy Lacasse partage avec elle le bonheur de sa russite. Mieux encore, il est heureux d'avoir pilot indirectement une rvolution dans le domaine de la construction Saint-Pie : En 1980, il y avait deux entrepreneurs en construction Saint-Pie. Ils construisaient une ou deux maisons par anne. Aujour'hui, on en compte une dizaine. L'exemple de Colette semble avoir eu un effet d'entranement.

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Le leadership de Guy Lacasse s'exerce au-del du domaine du meuble. Sa culture entrepreneuriale s'est transmise comme un virus Saint-Pie. Celles et ceux qui l'ont contract semblent, dans l'ensemble, bien russir. Un homme engag dans son milieu Guy Lacasse est trs clair : tout ce qu'il fait doit tre rentable et profitable, mme lorsqu'il s'agit d'essaimage ou d'engagement social. Cela doit lui rapporter. Il aime entreprendre, mais il faut que cela lui rapporte. Pourtant, il sait que cela peut aussi tre tout autant profitable aux autres : Pour moi, le bonheur, c'est de me donner pour les autres. J'aime tre utile. J'aime aider mes semblables, essayer de les comprendre et trouver des solutions susceptibles de faire avancer les intrts de la collectivit. Avec une population de 5 000 habitants1, Saint-Pie-de-Bagot connat le plein emploi. La croissance de sa population de mme que celle du milieu environnant est une consquence du dveloppement gnr par le Groupe Lacasse. Guy Lacasse en est trs fier. Ses nombreuses contributions la vie sociale et conomique de Saint-Pie sont autant de plumes qu'il aime mettre son chapeau. Pourtant, les actions de Guy et du Groupe en faveur de la cration d'entreprises et des emplois qui s'ensuivent ne prsentent qu'une partie de leurs contributions au dveloppement de son milieu. M. Lacasse sait rester proche de la ralit sociale de son village en participant activement des projets communautaires. Il donne de son temps et contribue aussi financirement et matriellement. Par exemple, Guy et ses frres ont donn la municipalit un de leurs terrains vacants sur lequel le Centre communautaire de loisirs a t rig. Guy Lacasse dit prouver galement une grande fiert d'avoir contribu en 1980, par l'intermdiaire de sa fondation, la Fondation Lacasse, la cration du Centre culturel polyvalent de Saint-Pie. Aujourd'hui, ce centre est devenu un vritable lieu de rencontre des populations de diffrentes tranches d'ge et un des beaux sites touristiques de la place. L'engagement social de Guy Lacasse dborde le cadre de son village natal. Il ne compte pas le temps qu'il investit au sein des comits, de conseils d'administration d'entreprises sans but lucratif et d'organismes rgionaux de dveloppement. Il participe aux tables de discussion rgionales et provinciales. Il donne aussi de nombreuses confrences dans les universits et dans le milieu des affaires. Il aborde de nombreux thmes, mais ses favoris portent sur l'histoire de son Groupe et de son parc industriel, sa stratgie de lutte contre le chmage et l'avenir de l'industrie du meuble au Qubec.

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Claude Turcotte, Le meuble de bureau la faon Lacasse, Le Devoir, 6-12 septembre 1999.

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M. Lacasse participe galement l'ducation de la jeunesse. Depuis 1994, le Groupe Lacasse offre chaque anne des tudiants en design industriel de l'Universit de Montral la possibilit d'effectuer un stage rmunr dans ses usines. Il s'intresse galement l'organisation d'un concours de design de mobilier destin aux finissants de cette spcialit, ajoutant ainsi une dimension pratique au contenu de l'enseignement que ces derniers reoivent. Il faut cependant mentionner que Guy Lacasse ne fait pas l'unanimit Saint-Pie, mme parmi les entrepreneurs qu'il a aids se lancer en affaires. Il laisse peu de personnes indiffrentes : les gens sont rsolument pour ou contre. Sa rputation est celle d'un dur en affaires, de quelqu'un avec qui il n'est pas facile de transiger. Les entrepreneurs qui semblent l'apprcier le plus sont ceux qui ont su tre aussi fermes avec lui que lui-mme a su l'tre avec eux. Pour le prochain millnaire : inscription sur le march boursier et passage du flambeau la gnration suivante Malgr tous ses succs financiers et autres, Guy Lacasse ne se contente pas de ses succs passs. Il demeure tourn vers l'avenir, poursuit sa progression et sa croissance. Au cours des annes 1980, M. Lacasse s'est constitu un important rseau de ressources partir d'une quipe d'employs loyaux, d'un groupe de fournisseurs/sous-traitants ainsi que de partenaires familiaux et institutionnels crdibles. Cette rserve d'appuis lui a permis de bien traverser la rcession du dbut des annes 90, comme il avait pu maintenir l'lan de croissance des annes 80 et garder sa longueur d'avance sur la concurrence. Toutefois, au cours de la dernire dcennie du XXe sicle, le rseau a connu des changements importants, notamment avec le retrait successif de partenaires institutionnels, comme Panval en 1994 et la Socit de dveloppement industriel (SDI) en 1996. Ce rseau changera de faon considrable au dbut du prochain millnaire. En effet, Rjean et Ral Lacasse, les frres de Guy qui ont t ses principaux lieutenants, ne se sentent plus capables de contribuer l'entreprise autant qu'ils l'ont fait au cours des 40 dernires annes. Ils considrent avoir fait leurs parts. Ils se prparent tirer leur rvrence ds que l'entreprise sera inscrite sur le march boursier. Pour eux, la gnration qui suit est prte prendre la relve. Guy Lacasse pense diffremment. Il considre que le leadership exerc par son entreprise dans l'industrie du mobilier de bureau au Qubec, voire au Canada, peut servir de tremplin solide pour conqurir des marchs supplmentaires l'chelle internationale. Il a gard l'enthousiasme de ses 16 ans pour continuer btir l'avenir : Toutes mes PME fabriquent et me livrent tous les jours ce dont j'ai besoin : botes de carton, tiroirs, ferments, pentures, moulures, etc. Elles constituent une force. Je me dis : "Lacasse fera tout dans les meubles de bureau et deviendra un empire." Je livre tout tout le monde dans ce milieu. Les Amricains sont impressionns parce que je peux tout faire. Lacasse ralisera cette anne, en 1999, plus de

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100 millions de dollars de chiffre d'affaires. Nous prparons actuellement notre plan stratgique pour atteindre les 200 millions. Pour tenir ses paris et arriver garantir son entreprise non seulement une prennit, mais une croissance soutenue et un rayonnement international, Guy Lacasse envisage un nouveau type de partenariat avec des investisseurs privs. L'inscription sur le march boursier apparat comme l'option qu'il considre la plus raliste : Il y a environ trois ans, en 1996, la SID (Socit d'Investissement Desjardins) a dcid de vendre ses 20 % de participation dans Lacasse. Elle a envoy une offre toutes les industries amricaines de meubles de bureau. Cinq ou six compagnies ont rpondu en disant : "Nous ne voulons pas acheter seulement 20 %, mais tout Lacasse." J'tais fch! Cela a provoqu une chicane de famille, car mes deux frres, Ral et Rjean, taient intresss vendre. En fait, mme si c'est moi qui ai cr la compagnie, je n'ai pas la majorit des actions. Mes frres et moi possdons chacun 33 1/3 % des actions. J'ai d me battre pour garder la compagnie. Nous avons finalement acquis les actions de la SID, mais a n'a pas t facile! J'ai russi, mais pour combien de temps? J'avais toujours espr acheter les parts de mes frres, mais j'en suis incapable. La compagnie vaut 30 millions et n'est pas endette. Pour les Amricains, payer Lacasse 100 millions serait chose facile. Mais je ne veux pas vendre le "bb de ma vie". Je prfre aller sur le march boursier. Nous allons mettre 40 % des actions sur le march. La compagnie restera ainsi qubcoise 60 %. Mes frres me laissent aller, la condition de tirer des profits de cette opration. Sinon, ils voudront la vendre. Je pense que le public acceptera de nous encourager puisque nous avons l'intention de demander un montant raisonnable. En mme temps, la compagnie continuera appartenir aux Qubcois et apporter des richesses la province. L'occasion est-elle propice pour le Groupe Lacasse de faire son entre sur le march boursier? En ralit, Guy Lacasse ne pose pas ce genre de questions qui relvent davantage de l'ordre du faisable. Depuis 43 ans qu'il est en affaires, il a compris que le risque tait l'essence de la vie et que la foi est un prrequis au succs. Ces apprentissages forment l'essentiel de sa philosophie de vie. Il n'hsite pas le professer devant tous les adeptes de la prudence : Lors de mes confrences, j'en fais part aux universitaires : "Pourquoi avez-vous tant de barmes, tant de questions et tant de recherches? Tout est risque dans la vie. La vie tant risque, pourquoi n'y allonsnous pas? Pourquoi ne crons-nous pas des parcs industriels et des btisses pour les jeunes entrepreneurs?" Tout arrive, il s'agit d'y croire.

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Le meuble : une industrie en forte croissance Guy Lacasse croit qu'il occupera une place de choix dans les portefeuilles des investisseurs boursiers. En fait, son optimisme semble justifi lorsqu'on regarde l'volution rcente et les prvisions de croissance de l'industrie du meuble au Canada, et surtout lorsqu'on connat la place occupe par son entreprise dans cette industrie. Selon l'Association des fabricants de meubles du Qubec (AFMQ), l'industrie canadienne du meuble a enregistr une progression fulgurante depuis la fin de la rcession de 1990-1992. La croissance moyenne du march intrieur a dpass 10 % par anne depuis 1992. La part des exportations tait de 15 % par anne, mais atteignait 25 % en 1998 et 50 % des ventes du secteur en 1999. En 1998, l'industrie a export pour plus d'un milliard de dollars de meubles de bureau dans les secteur rsidentiel, commercial et institutionnel. Les meubles exports par le Qubec reprsentaient 44 % des livraisons canadiennes, comparativement seulement 26 % en 19931. Depuis la reprise en 1993, l'industrie du meuble du Qubec affiche une performance exceptionnelle au titre des exportations en Amrique du Nord, avec une perce particulire aux Etats-Unis. Certains fabricants qubcois dj cots en bourses, tels Shermag et Bestar, ont enregistr en 1998 des cours bnfices 30 fois plus levs qu'au cours des annes prcdentes2. Ces grands joueurs de l'industrie considrent que leurs avantages concurrentiels sur les marchs d'exportation rsultent essentiellement de l'amlioration de leur productivit au cours des dernires annes. Une tude rcente de la firme CIBC Wood Gundy valide ces affirmations en soutenant qu'entre 1988, un an avant l'entre en vigueur du trait de libre-change nord-amricain, et 1994, la productivit des fabricants de meubles canadiens a grimp de 3,6 % par anne en moyenne, alors que celle des concurrents amricains n'a progress que de 0,9 %3. Pour y arriver, les fabricants de meubles canadiens ont d fermer des usines non productives, opter pour la spcialisation dans des crneaux de marchs bien spcifiques, moderniser leurs quipements ou mme construire de nouvelles usines, acqurir parfois des concurrents, etc. C'est donc un mouvement de fonds qui s'est produit dans l'industrie. Les facteurs conjoncturels tels le taux de change du dollar ou la reprise du dynamisme de l'conomie amricaine ces dernires annes ne suffisent pas pour expliquer eux seuls cette performance exceptionnelle de l'industrie du meuble canadienne. Le Groupe Lacasse ne se situe pas en marge de ce mouvement d'ensemble. Il ne serait pas exagr de dire d'ailleurs qu'il est parmi ceux qui l'ont amorc et y ont pleinement contribu. Depuis plus d'une quinzaine d'annes, Guy Lacasse a construit son avantage concurrentiel sur la dcentralisation de son entreprise : depuis 1985, il s'est progressivement entour d'un rseau de PME qui il a sous-trait des activits spcifiques relies diffrentes phases du processus de fabrication des meubles. Il1

Les Affaires, 500, le dfi de la performance, dition 1999, p. 32-33; et Les Affaires, 500, Stratgies pour l'an 2000, dition 1998, p. 41. Les Affaires, le 18 avril 1998, p. 52. Dupaul, R., Les fabricants de meubles exportent en grand, La Presse, dossiers conomiques, 11 novembre 1997.

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n'a conserv que les activits de conception, d'assemblage, de marketing et vente, et de recherche-dveloppement. Ce systme de dcentralisation et de sous-traitance reprend d'ailleurs les lments essentiels des modles de russite allemands et italiens du secteur. La proximit gographique de ces entreprises satellites et la construction d'une usine ultramoderne en 1988 ont permis au Groupe Lacasse de profiter de nombreux effets de synergie pour poursuivre ses objectifs d'expansion du service la clientle et de respect des dlais de livraison. En 1996, le Groupe a obtenu sa certification ISO 9002, ce qui lui a permis de confirmer ses clients la garantie de qualit de ses produits selon des normes tant nationales qu'internationales, ainsi que sa volont de toujours faire mieux pour les satisfaire. La recherche de la perfection fait partie de la culture du Groupe Lacasse. Le design industriel s'est impos comme moteur principal de cette recherche depuis la fin des annes 80, lorsque le Groupe Lacasse, grce l'entremise de Guy, s'est associ la commandite et l'organisation d'un grand vnement annuel du domaine : le Salon international de design d'intrieur de Montral (SIDIM). Ces dernires annes, des employs permanents, des sous-traitants et des tudiants en stage, tous spcialiss en design industriel, ont intgr le Groupe Lacasse ou collabor troitement pour concevoir et crer de nouveaux produits trs originaux. L'entreprise a ainsi pu mettre en march quatre gammes de produits rpondant aux besoins de clientles diffrentes : Lacasse, mobilier distinct un prix dfiant la concurrence; Lartech, mobilier semi-dmontable destin au march domiciliaire, vendu dans les magasins grande surface et destin au march d'exportation; Synergie, systme de bureaux intgrs; et Avenue, mobilier de bureau pour cadres. Tous ces produits reprsentent la pense design par leur facilit d'assemblage qui allie simplicit et rapidit, convivialit, polyvalence (multifonctionnalit), ergonomie et lgance. Ils sont prsents dans une diversit de collections. Guy Lacasse entend prolonger la liste de ces caractristiques et amliorer le rapport qualit/prix de ses produits. cet effet, il a annonc des investissements de 17 millions de dollars pour accrotre non seulement les capacits de production mais aussi la recherchedveloppement dans ses installations de Saint-Pie. En somme, le parti pris pour le design, l'innovation et la qualit maintiennent le Groupe Lacasse dans le peloton de tte de son industrie et mettent ses pendules l'heure du prochain millnaire. Par ailleurs, dans le Groupe Lacasse, on conoit qu' l'heure de la mondialisation des marchs, la gestion de la croissance long terme passe par des effets conjugus en vue de maintenir sa comptitivit sur les marchs familiers, tout en assigeant les marchs trangers. Ainsi, on garde un il ouvert sur le march intrieur qui reprend de la vigueur depuis 1997, et sur le march des tats-Unis o le Groupe vend dj 65 % de sa production. Puis, on promne l'autre il sur l'Europe (France), l'Asie (Chine et Japon), et l'Orient (Arabie Saoudite), la recherche de nouveaux marchs conqurir. De plus, on examine en Amrique du Nord (Mexique) et en Asie (Chine), les possibilits d'tablissement d'une usine d'assemblage de mme que celles de partenariat avec une entreprise forte capacit de production.

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On demeure cependant conscient que les tats-Unis prsentent un norme potentiel de croissance pour les entreprises de l'industrie du meuble canadien, mme s'ils absorbent dj 95 % des exportations qubcoises de meubles. bien y regarder, la force, l'intgration et la proximit de ce march devraient rendre caduc l'emploi de l'expression exportation outre-mer. Mais plusieurs grands joueurs de l'industrie, comme le Groupe Lacasse, sont bien dcids diversifier leurs marchs pour ne pas se placer dans une relation de totale dpendance vis--vis d'un seul march tranger. C'est un peu la situation du gouvernement du Qubec qui a appris qu'il pouvait ngocier de meilleures taux d'emprunt sur le march amricain aprs avoir emprunt sur les marchs allemands et japonais. Les gens de l'industrie du meuble conservent un mauvais souvenir de la catastrophe qu'ils frlrent en 1990-1991, lorsque la rcession amena les distributeurs amricains annuler leurs contrats pour se tourner vers les fournisseurs mexicains offrant de plus bas prix. Le Groupe Lacasse avait alors perdu beaucoup d'argent, rduit ses effectifs, et son rseau de sous-traitants avait mme failli disparatre. Au cours des cinq dernires annes, le Groupe Lacasse a rvis ses intentions de conqute la suite de la participation de Guy plusieurs missions commerciales l'tranger. Les reprsentants marketing ont aussi visit plusieurs foires et expositions internationales, parmi les plus avant-gardistes, afin de mieux comprendre les tendances du march dans diffrentes parties du globe. Le Groupe Lacasse a galement ouvert de nouvelles salles d'exposition en France, en Chine et au Japon. Elles sont venues s'ajouter celles de Montral, Toronto, Edmonton, et New York. Cette logistique leur a permis de se rapprocher des marchs d'outre-mer et de concevoir une promotion des produits mieux adapte ces diverses clientles. Raliste, Guy Lacasse ne se dit que partiellement satisfait, car les affaires n'ont pas march aussi rondement qu'il l'aurait souhait : Ce n'est pas tout le monde qui peut exporter travers le monde. On exporte au Japon et on retournera en France, mme si, un moment donn, a n'a pas fonctionn. Ces propos expriment bien la grande capacit de Guy Lacasse traverser les preuves lies aux risques que prennent les entreprises dsireuses de poursuivre leur dveloppement. Ce n'est pas une non-russite ou un demi-chec qui vont l'arrter. Il continue apprendre de ses erreurs et sait rajuster son tir. Lorsqu'il veut aller dans une direction donne, il y va, mme si parfois le trajet est long. Guy Lacasse et lavenir Comment comprendre la rcente dcision de Guy Lacasse d'investir 17 millions de dollars dans la modernisation et l'expansion de ses installations de Saint-Pie-deBagot? Serait-ce l'aveu de son impuissance face la toute-puissance des syndicats et par consquent l'amorce d'un virage vers une grande entreprise fortement intgre au dtriment d'un rseau de petites entreprises sous-traitantes? Est-ce une capitulation devant la force syndicale qui ne permet plus Guy de rajouter d'autres sous-traitants, coupant du mme coup la logique du systme qui a fait sa force, permis le dveloppement du Groupe Lacasse et de Saint-Pie? Les exemples de succs dans divers pays

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sont presque tous des exemples de dcentralisation et de recours systmatique la sous-traitance. Mais la logique syndicale prfre les grandes entreprises : il y est plus facile de regrouper une masse critique de travailleurs pour faire pression sur l'entreprise. Cela a pourtant amen la fermeture ou mme la faillite de plus d'une entreprise du secteur du meuble au Qubec : Vilas, Radisson Warnock Hersey, pour ne nommer que celles-l. Comment concilier le paradoxe qui existe entre cette dcision et la vision que Guy Lacasse avait de son entreprise, voil cinq ans seulement? Il affirmait alors : "Lacasse inc. pourrait devenir cinq fois plus grosse et atteindre 200 millions de dollars de chiffre d'affaires sans avoir prendre de l'expansion. Nous n'avons qu' sous-traiter1. Cette dcision d'investissement vise-t-elle consolider l'entreprise et mieux la protger contre les concurrents amricains? Est-elle le symptme d'un dysfonctionnement du systme Lacasse, ce systme form du Groupe Lacasse et de son rseau de PME satellites? Guy a-t-il t trop exigeant auprs de sous-traitants, qui ne voudraient plus traiter avec lui? Au dbut, je demandais aux entreprises essaimes (sous-traitants) d'tre leur client pour une proportion de 50 % de leur chiffre d'affaires. J'exerais cette espce de pression sur eux, car je craignais qu'il me ngligent au profit d'autres clients. J'ai procd l'essaimage pour que a me rapporte. Mon prix tait le meilleur. Maintenant, je ne suis plus capable de le faire parce qu'ils ne veulent plus. Nous avons baiss 45 % en gnral. Dans certaines entreprises, nous ne reprsentons plus que 25 % du chiffre d'affaires. Toutefois, cela nous a permis d'utiliser au maximum notre capacit d'usine, ce qui n'tait pas le cas jusque-l. Certains de nos sous-traitants ont mme prfr travailler essentiellement pour des compagnies l'extrieur parce que c'tait plus payant pour eux, et m'ont laiss. Maintenant, au lieu de m'obstiner avec eux, j'en aide un autre. Dans ce concept dentreprises, il me reste encore une tape franchir. Jusqu prsent, je ne suis pas considr comme un exploiteur. Personne na perdu dargent avec moi. Je suis extrmement honnte et jy tiens. Lautre tape vise avoir deux fournisseurs pour chaque produit afin quils soumissionnent. Je vais les mettre en concurrence. On comprend ce commentaire de Guy la lumire de ce qui se passe ailleurs dans dautres grandes entreprises qui utilisent beaucoup les sous-traitants. Bombardier, par exemple, exige au moins trois soumissions venant dautant dentreprises diffrentes, avant de choisir celle avec qui ils vont faire affaire.

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Nadeau, B., Le miracle de Saint-Pie, L'Actualit, vol. 19, dcembre 1994, p. 38.

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Lesprit de Guy semble continuellement en alerte et aux aguets. Voici une de ses rflexions qui en dit long ce sujet : Chaque matin, je me pose la question suivante : ''Quest-ce que je pourrais apporter de plus lentreprise pour quelle soit meilleure quhier?" Malgr ses ralisations remarquables et ses 60 ans, Guy se voit pour bien longtemps encore au service de son entreprise, mme sil sait que la relve est l et prte prendre le timon de ses mains. Il a mme t nomm prsident vie, ce qui nexclut pas quil considre dautres options pour sa retraite. Bien que lentreprise fasse partie intgrante de sa vie, Guy Lacasse aime par ailleurs voyager, lire des biographies dhommes politiques clbres, jouer au golf et au tennis avec des amis, tre proche de son pouse et de ses trois enfants. Il caresse aussi de grands rves pour son village natal, tel le projet dy btir une cole de formation spcialise dans le domaine du meuble. Ainsi pourrait-il hisser dfinitivement son village au rang des grandes mtropoles de lindustrie du meuble et contribuer rsoudre le manque de personnel spcialis, auquel est continuellement confronte cette industrie. Enfin, Guy envisage aussi la possibilit de continuer travailler pour le dveloppement de Saint-Pie. Il pourrait tre maire ou faire comme Horace Boivin, ancien maire de Granby, qui continua uvrer comme commissaire industriel de sa ville pendant des annes aprs sa retraite. Il aimerait continuer mettre en valeur ses capacits entrepreneuriales, mais en les utilisant pour le service de son secteur industriel et de sa collectivit. Guy Lacasse considre que lavenir est devant lui et quil lui reste beaucoup accomplir pour que son vritable rve se ralise : que Saint-Pie devienne La capitale du meuble en Amrique du Nord! tant donn que le march public ne voulait pas donner son entreprise sa valeur relle et que les Amricains, avec la force de leur monnaie, accordaient une valeur beaucoup plus intressante, le 20 fvrier 2000, les deux frres de Guy Lacasse (Ral et Rjean) vendaient leurs actions Haworth, le deuxime plus gros producteur de meubles de bureau au monde. Haworth est une entreprise ferme dont le sige social est situ Holland au Michigan. Quant lui, Guy Lacasse a aussi vendu une partie de ses actions mais il demeure toutefois le prsident de l'entreprise. Il est trs heureux de cette transaction, puisqu'elle lui permettra de maintenir la croissance de l'entreprise. Il prvoit mme doubler le chiffre d'affaires d'ici un an ou deux, la suite de cette transaction. Il est prvu que le fils de Guy, Robin, aille passer de six mois un an au sige social du Michigan et qu'il revienne ensuite pour s'occuper de la direction de l'entreprise avec son pre. Guy Lacasse, qui aura 61 ans en l'an 2000, prvoit prendre sa retraite au plus tard l'ge de 65 ans. Il a t convenu avec les nouveaux acqureurs que Robin pourrait lui succder la tte du Groupe Lacasse. Cette transaction le rend d'autant plus heureux que le rseau de distribution de ce gant amricain est bien tabli en Asie. Ceci devrait permettre au Groupe Lacasse de prendre une expansion qu'il n'aurait pu prendre autrement. 2001-08-27Copyright cole des HEC

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