Upload
iuliaminor6401
View
204
Download
2
Embed Size (px)
Citation preview
Couveilute intérieure manquante
Ofiginnl en couleur
NF Z 43-120-0
RECTO ET VERSO
/•histoire
:ll%i^^v~"s~
'mu*
UTTÉRÂTUREGRICeii^
p*b ".
AM~RMOt~M~ t MMH<!t~OWHMarUwattadal'(n««i«l j Il«fMMnr
ff<tf))f,)0~<ttt(t''o.'uMa<)Mt<)t)M*.«3(1l'atli I tl'ill&jH!<ti)Pmnco
Ï'ÛMBPRKMIBtl :>'
HOMÈliE IiA POÉSIK 6YÇUQUE "– HÉSIODE
PAO .'•
Mamiii.!H OHOISKT
DBVXISISB ÉDITIOH•HBVUBKTA1IAMBHT6K
5^:|V.- PARiK- V:v .•' ;••
'"y:.LlpRÂimE THOBïN & FÏfcS "'••• ':• • >
Ài;*jB»*FÔIIT»TttOtHÔ» l|ditewp
-•'
-–'s~J~)~?M'B'A1[n~M.MBBt~DU(;0 LJ.80 8 9811.81031:8,DI! t'eceM~e~tMSS~&s~
"' '••' '•';
DsiAgowéïftiwa ÈtBOBa.m»WBi«BBe. $£?': .- •
.~ltUE"l.E, GOl"F, "1 i.
'v.?'v.: w. 1896 . .•.•>>. , I»r6it»<lotfflduct!oin:t<ic'r«prûcluciimi NUtviH, '> i ••
HISTOIRE
BB1,4
LITTÉRATUREGRECQUE
IMVnlMKnlK OfcNfttUI.K I1K l'.IIATII.I.ON-S-SKINK. – PICHAT K.T PKl'IN
HISTOIRE"1L.\
LITTERATUREGRECQUEI-âaALFRED OROI8NT
l4waArode1'Iswilul
<~<fM«)t)-t*finRtM~~h)))tt.
,~N~lelita~
MAUtUCE OROJ81~9'torefflur
MI:alt~~ do "1'10
V Wii'OMB PUEM1BU
HOMÈRE-M POÉSIKUYOUQIÎE HÉSIODEPAU
M.M'hick CllOISKT
DEUXIÈME BDITIOII
UKVUK ET *.U(»UBNTftK
PARIS
LIBRAIRIE ÏHORIN & FILSALBERT FONTEMOING, Éditeur
LIBRAIBEDES *G0U8 PRAItÇ*l8B3d"aTIIÉ5E3 W OBMMEDU COttèOB ne F.àHCE, DB l'BCOIB ROBMAI.B SOPBRIBUBE,8S U. SOCitï» Us» hlUUHS niSTOBIQUES.
RUE LE GOFF, 4
4896Droits de traduction et de reproduction râerrés.
AVERTISSEMENTnRJ,Á
SECONDE ÉDITION
Cette seconde édition no diffère do la première par
rien d'essentiel; on s'est efforcé seulement, sans rien
changer ni an plan ni aux idées principales, de tirer pro-
fit de ce qui a été publié de plus important dans ces
dernières années sur la période primitive de la littéra-
ture grecque. La bibliographie en particulier a dû être
complétée et remise au courant. Quelques retouches ont
été faites aussi au texte, surtout dans l'analyse des poè-
mes homériques, pour serrer de plus près certaines
questions. D'une manière générale, l'auteur a essayé de
tenir compte des critiques qui lui ont été adressées et
de celles qu'il s'ost faites à lui-même. C'est un plaisir
pour lui que de remercier ici tous ceux qui ont bien
11 AVERTISSEMENTDR LA SECONDSÉDITION
vaulu approuver ou discuter ses idéesot lui signaler des
fautes à corriger. En apportant tous ses soins à la révi-
sion de ce volumo, il a essayé de le rendre aussi digne
que possiblede leur bienveillante attention et de la fa-
veur que le public studieux lui a témoignée.
MauriceCroisbt.
Mars 189G.
PRÉFACE
C'est une vérité courante aujourd'hui et presque ba-nale, que l'histoire d'une littérature, pour répondre auxexigences de la science, doit être étudiée dans un es-prit essentiellement historique,et nondogmatique.Cettevérité banale est pourtant toute récente. Rappeler com-ment elle est née, à travers quelles vicissitudes elle apeu à peu pris possession dos esprits, quels travaux ellea successivement inspirés, c'est peut-être, au début decette nouvelle Histoire de la littérature grecque, le
moyen le plus commodeet le plus agréable de dire ceque nous-mêmes, après tant d'autres, avons tenté defaire.
I
Platon veut qu'on commence par définir les chosesdont on parle. Essayons donc de définir, ou, plus exac-tement, de décrire l'esprit historique.
IV PRÉFACE
Étudier historiquement une littérature, en n'ost pas,est.il besoin do lo dire? y chercher des faita historiques
proprement dits. Historiquement, dans cette manière
do parler, s'oppose h dogmatiquement. Or le point de
vue dogmatique, onmatiore littéraire, consistoà confron-
ter los écrits avec un idéal antérieur et supériour, avec
un codo littéraire, par exemple, ou avec un autre ou-
vrage érigé en type. La point de vue historique con-
sislo au contraire à n'apporter dans cette étude aucun
idéal à priori, aucune hâto do condamner ou d'absoudre,
aucune tondanco au panégyrique ou au réquisitoire,mais un esprit libro, curieux de toute vérité, avide de
comprendre encore plus que do juger, et bien pénétrédo tout ce que signifie ce mot comprendre, quand on l'ap-
pliquo à l'infinio complexité soit do la vie, soit do l'art.
Comprendre un texte, ce n'est pas seulement entendre
le sons oxtériour et superficiel dos mots et voir on grosdo quoi il s'agit c'est discerner, dans leur finesso pro-
pre et distincte, tous les traits qui déterminent an phy-sionomie ot qui font que deux œuvres, à première vue
assez semblables, sont en réalité fort différentes c'est
rattacher ces traits délicats aux causes qui les ont pro-
duits c'est reconnaître dans chacun d'eux l'héritagede la race, le caractère du temps, les convenances du
genre, les lois naturelles de l'évolution technique, la
marque personnelle de l'écrivain. Toute œuvre vivante
tient par mille liens à ce qui l'environne. Une phrase
d'un orateur, un vers d'un poète ressemblent à ces mo-
aedes de Leibnilz où le monde entier se réfléchit; fcc
sont des monades littéraires qui concentrent en elles
PRÊFAQE v
mille imagos; chacune d'elles, à la bien regarder, ro-flèto tout le passé d'une langue, toute l'histoire d'un
peuple, et l'esprit mémo do l'artiste qui lour a donnéla dernière forme. Cos imagos y sont concentrées etcommo latentes il faut loa évoquer, los forcer d'ap-paraltro et dea'épanouir. Pour s'aider dans ses recher-ches, lo philologue peut et doit interroger les arts pro-promont dits, los mœurs, los institutions, l'histoire
politique; il y trouvera dos lumièros sur lo génie de larace et sur colui du tomps, et cette connaissance éclai-rera les textes. Mais il faudra toujours qu'il en revionneaux textes, puisque l'objet précis de son étude ost lamanière dont cet esprit général d'un peuple s'est re-Hétédans les œuvres d'art qui s'exécutent avec desmots. Grammaire,histoire do la phrase, histoire du sonsdos mots, voila ce qu'il doit d'abord posséder à fond
pour acquérir l'intelligence de son sujet. L'historien deslottres rossomblo par certains côtés à l'historien do lanature il a comme lui sous les yeux des faits qu'ilcompare; mieux que lui peut-ôtro, il saisit la liaisondesformes successivos, les conditions mames dos change-ments comme lui, il est avant toutun observateur im-
partial.Est-ce à dire qu'il n'ait jamais à juger, et que, sa-
tisfait de connaître, il ne doive pas sentir et apprécier?Sainte-Beuvo,un des maîtres de l'esprit historique enmatière littéraire, ne le pensait pas « Soyons,disait-il,comme les naturalistes, faisons des collections; ayons-les aussi variées et aussi complètesqu'il se peut, maisne renonçons point pour cela au jugement déGnilif et
VI PRÉFACE
au goût, cette délicatesse vivu c'est assog quo nous
t'empochionsd'èlre trop impationteet trop vite dégoù-tée, ne l'abolissonspas. La vraie critique, tulle que jeme la déÛnis,consista plus quejamais à étudier chaqueêtre, c'est-à-dire chaque auteur, chaque talent, selonles conditions do sa nature, à on faire une vive otfldèlodescription, à charge toutefois do le classer en-suite et de lo mettreà sa place dans l'ordre dol'Art*. »11y a dans los lottre», comme dans la nature, des êtres
vigoureux et beaux, et d'autres qui sont faibles,chétifs,mal conformés; il y a des avortons, il y a des monstres;il y a aussi des Agesdifférents à côté des formes in-décises et comme ébauchées de l'enfance, la plénitudede la maturité, puis le déclin. L'observateur doit noteret dire tout cela. Ce qu'il faut seulement lui demandor,c'est do no pas mépriser, dans losgrâces encore impar-faites do l'onfanco, les promesses de l'avonir, et de ne
pas prendre un début pour une décadenceou un renou-
vellement pour une barbarie; c'est aussi do no pas con.fondre l'ignorance d'un idéal particulier avec la mécon-naissance des lois éternelles et fondamentales de la
pensée. Quant à croire que la vivacité des impressionslittéraires s'émousse dans ces recherches en appa-rence exemptes de la préoccupation d'admirer, ce se.rait une grande erreur. Le sens du beau s'affineet s'as-
souplit par la délicatesse et la variété des expériences.Le goût s'élargit sans s'affaiblir. La raison ne prend plus
pour sottise tout ce qui dépasse l'étroit horizon des pré-
t. CauseriesduLundi,t. XII,p. 191.
PRÉFACE VII
jugés régnants, maia elle reste inflexible»à l'égard de ce
qui n'est pas raisonnable. Nonquete goût et la raison de
l'historien, même vivement émus, s'expriment volon-
tiers par des jugements formols et tranchants; eosju-
gemonU-là lui semblent toujours peu proportionnés à fa
nature de l'esprit humain; mais l'accent môme do sa
voix le trahit, et il faudrait qu'il fat bien gauche pour
que sa discrétion donnfll lo change aur son sentiment.
II
L'antiquité n'a pas connu l'ospècod'histoire littéraire
que nous venons d'ossayor do décrire. Ce n'est pas
qu'elle n'ait produit, à partir surtout de la fondation
d'Alexandrie, nombre do travaux fort savants sur ses
poètes et ses écrivains de tout genre. Mais c'étaient
invariablement ou des recherches de pure érudition
(l'Écolepéripatéticienne en avait déjà donné l'exemple),ou des ouvrages de critique dogmatique écrits par des
grammairiens et par des rhéteurs pour l'enseignementde leurs disciples. L'esprit historique, tel que nous le
concevons, n'y paraissait que dans la mesure où il ne
peut pas ne pas paraître chaque fois qu'un homme in-
telligent parle d'un autre homme quia écrit antérieure-
mant. Les noms de Dcnys d'Halicarnasse et de Quinti-lien donnent bien l'idée de cette sorte de critique. Le
VIII PBÉKACK
êrutw de Cioéronet le Dialogu*«toiorateurs de Tacite
ont plua historiques peut-être par certains côté»,mais
on voit bien cependant qu'il n'y a pas lieu de chercher
là non plulldesancêtres direct. aux historiens moder-
nes des littératures. Du moyen Aga,bien entendu,
rien à diro. Arrivons donc à la Renaissance.
Dèsle miliou du xv» siècle, en Italie d'abord, onauito
en France et dans toute l'Europe occidentale. un élan
puissant emporte les esprits vers l'étude de l'antiquité.
La beauté do l'art antiquo, et on particulier de l'art
grec, avait donné le branle aux imaginations l'huma-
nisme fut ta première forme dos études sur l'antiquité.
Le besoin d'approfondir vint ensuite»et produisit la
philologie.Le xvi*sièclo hérite do ces doux tendances et se
partage entre elles, plus philologue peut-être dana sa
première moitié, plus huuiamalo et lettré dans la so-
condo.
Le célèbre manifeste de Joachim du Bellay exprime
bien le sentiment dos purs lettrés à l'égard des anciens:
il no s'agit pas à ses yeux doles étudier en historien,
en spectateur désintéressé, pour le ueulplaisir do sa-
voir au juste et de comprendre ce qu'île ont été il sa-
git avant tout de leur dérober le secret de leur beauté
toujours jeune. On a hâte de s'abreuver à la source
fratche, vraie fontaine de Jouvence qui fait des mira-
cles. On a mieux à faire, semble-t-il, que de les ai.
mer platoniquement il faut, selon l'expression de du
Bellay, les piller et les dépouiller. Poètes comme Ron-
sard, cicéroniens comme Muret, moralistes comme
PRÉFACE IX
Montaigne, tous demandent à l'antiquité un enseigne.ment direct, un profit immédiat: l'un, des images et des
rythme»; l'autre, d'harmonieuses périodes le troisième,desmaximes, des actions, des faits. Aucun n'est hihto-
rien.
Les érudits et les philologues, plus attachés aux tex-
tes, aunt mieux dans la voiode l'histoiro. Maisaux aussi
vont au plu pressé, qui est d'abord do publior les tex-
tes, ensuite d'amaaaer les matériaux nécessaires puuren préparer l'intelligence littérale. Los éditions prin-
cops «o multiplient. Budé.Turnèbo, par leurs Comtnen-
tarii ut tours Adversaria,préparant to Thésaurus.Quandles principaux textes sont publiés, ou mémo pondant
qu'ils se publient, on les traduit, on les commente.Les
études sur la langue se poursuivant, et l'admirable
Thésaurusles résume. Tout cola non plus n'est pas do
l'histoiro co n'en est quo la préparation, et une prépa-ration encore assez lointaine. D'autres matériaux s'ac-
cumulent dans les travaux des jurisconsultes sur lo
droit romain, dans tes études dont les institutions anti.
ques sont l'objet. Maisl'idée mémo d'une histoire litté-
raire telloque nous l'entendons ne se dégage pas si
elle a flotté confusément devant les yeux de quelques-uns do ces philologues,ce n'a été qu'une vague appa-rition, sans consistanceet sans figure.
Tout d'un coup, Baconparait, et cotte idée, jusque-làconfuse, prend un corps. Il proclame la nécessité de
l'histoire littéraire il en détormine les caractères avecune netteté d'intuition surprenante; il déplore que per-sonneencore ne s'y soit appliqué. « L'histoire générale,
X PRÉFACE
sans histoire littéraire, ressemble, dit-il, à une statue
do Polyplièmedont l'util serait crevé ce qui manque
«luraau tout, o'oatjustement la partie qui fait le mieux
ouunultro le génie propreet la nature do la personne». »
Avant tout, dit-il encore, que l'historien dor arts cl dos
lettros au préoccupe de co qui eat l'honneur et comme
l'âme de l'histoire politique, c'est-à-dire la liaison des
ofletsot dos causes; il faut qu'il rappelle la naturo du
paya et celle do la race, son aptitude innée ou au con-
trairo son défaut d'aptitude aux diverses acioncos,loa
circonstances historiques favorablesou défavorables, los
influences roligiousos, celles qui viennent dos lois poli-
tiques, enfin le mérite éminent et l'action féconde des
individus pour loprogrès des lettres, et los autros faits
du mémo genre. « Mais, dans l'étude de ces choses,je
veuxqu'au lieu dépasser tout sontemps, commefont les
critiques, à distribuer têloge ou le blâme, on se place d
un point de vue franchementhistorique, en disant ce qui
est, et ne mêlant qu'avec réserve des jugements nux ré-
cils*. »Et plus loin: « Il faudrait que l'historien des lot-
très, sans lira absolument tous les écrits d'une époque,ce qui serait infini, sût au moins les déguster, et, par
l'étude des sujets, du style, de la méthode, évoquerd'en-
tre les morts, commepar une sorte d incantation, te gé-
i. De Augmente Scimliarum, livre Il. chap. iv (tome I, p. 118et
suiv. des Œuvra philotophîqau de Bacon, édition BonUlet. Paris,
t834).2. At haec omuia ita tractarl praecipimus ut non criticornm more
in tendant ttanta tempua teratur. eed plane historiée res ipsae
narrentur, judicium parcius interponatnr (p. MO).
PRÉFACE XI
me Huerait* de ce ttmps » N'est-on pas lurpria et
charma do rencontrer, au seuil du xvii* sioclo,une pa.role aussi luminouio? Il somblait quo l'histoire litlû-
raire, après cette grande clarté, dût faire dos progrès
rapides il n'en fut rion.
Onditquelquofois quo t'érudition, depuis la fin du xvi*
sièclejusqu'au commencementdu xix*. subit en Europeune décadence. Ce n'ost pas bien certain. Pondant cette
période, les grands noms ai los grandes rouvres alio».
dent. La paléographiegrecque a Montfaucon,non moins
illustre par ses travaux sur les monuments figurés. La
bibliographio produit un chof-d'oouvro, la Ribliotheca
grxea de Fabricius onquatorze volumospetit in-8°(1705-
1708),plusieurs fois réimprimée, romaniôo, remise au
courant (édition de Harloss, 1790-1809).Lacritique ver-
bale est représentée par une longuoauite de noms célè-
bres les Français Saumaise, Ménage, Guyet dans la
première moitié du dix-septième siècle; plus tard, les
Anglais ou HollandaisBentley, Hemsterhuys, Ruhnken,Porson, l'Allomand Roiske, les Français Brunck et
Schwoighœusor.Je ne cite quo les «maîtres du chœur».
Tous ces érudits savent le grec ou le latin admirablo-
ment. Jamais le style des écrivains anciens n'avait en-
core été étudié do si près, ni avec une plus une intelli-
gence des habitudes de chacun. Ce qui leur manque,c'est un certain sens du développement historique des
1.Ut es eorum non parlectione, id enim infinitum quiddam<#*•$, m4 dégustations, et obserratione atgamenti. stylt, mcthodl.ganins illius temporis litterarius, velntl incantatione qaadam, amortois evocetar (p. 120).
XII PRÉPÀCK
ehoaos o'ost l'habitudo et le goût de a'élovor au-dessus
des mots pour saisir dans sa généralité l'esprit antique,
dont ces mots ai bien étudiés et ces œuvres ai doctement
commentéesdans leur détail no sont qu'une création par-
tioulièro'. Cesont des scoliastos,d'admirables scoiiastos,
mais non des historiens.
Cedéfaut de sons historique est pourtant bien plus
sensible choz los lettrés. Car losérudits,en sonimo, pé-
citaient surtout par omission mais ils faisaient bien ce
qu'ils faisaient, et ils amassaient do bous matériaux
pour l'avenir. Il est d'ailleurs impossiblede no pas ai.
mer ce qu'on sait si bien, ot cet amour érudit de l'anti-
quité, sans leur donner encore a proprement parler ie
sens historique, élargissait du moins leur goût.Les lot.
très, au contraire, ceuxqui font de la critique littéraire,
qui jugent et apprécient, montrent sans cesse, dans lo
même temps, un dogmatisme qui nosait guère qu'oscit-
ler entre la dévotion superstitieuse et la révolto intem-
péranteLe sentiment historique repose avant tout sur l'idée
du changement. Le3 théories littéraires du xvu* siècle
1. Le petit livre de Tannegul Lefèvre sur les Vit*«tetPoètu grée*
ne saurait faire modifier ce jugement général.2. Je parle ici surtout des lettrés français, qui tout la loi. pendant
deux siècles, a presque toute l'Europe. Car, pour être juste, il faut
ajouter qu'à l'étranger, et gràee à la forte culture des universités,
les élèves des érudits que je viens de rappeler portaient dans l'étude
de la littérature, quand Us voulait, ut s'en mêler, un goût plua sûr et
plus éclairé. Grimm, par exempte, élève d'Ernesti, jugeait beaucoup
mieux lea Grecs qu'on ne faisait en France à la mémo époque. Voir
Correipond., i« janv. 1765. etc. Mais Ortmm &isait alors moins d«
bruit que Laharpe; et lui-même d'ailleurs portait plutôt en ces
matières un dogmatisme éclairé qu'un sens profond de l'histoire.
PRÊFACK XIII
reposent sur lidéo d'un dogme immuable, d'un canon
du beau, à jamais fixé pour toua les siècles, Ce que los
humanistes du xvii* siècle avaient fait d'instinct, sans
réflexion, c'est-à-dire d'admirer dans les œuvres des an-
ciens surtout co qu'ollos avaient do plus général et ce
qui s'on pouvait le mieux détacher, et do prendre cos
beautés pour modèles, lo xvii* siècle le fait par règle ot
par systèmo. La poétique d'Aristoto n'ost plus simplo-ment le résumé philosophique de t'expérience grecqueon matière dopoésie c'ost un codeunivorsol et absolu.
C'est un texte sacré qu'on commente, une bible litté-
raire à l'interprétation do laquelle on applique, ou pous'on faut, les méthodos des théologiens, avec toute la
raidour intolérante d'uno doctrine on possessiondo l'ab-
solu. Los chofs-d'œuvro dos anciens no sont pas seule-
ment dos créations vivantes et bollos ce sont des typeséternels sur lesquels on n'a plus qu'à se régler. L'abbé
d'Aubignac, dans sa Pratiquedu Théâtre, loP. Le Bossu,
dans son Traité dupoème épique, sont les docteurs paroxcollonco do cette scolastique d'un nouveau genre.Toute la querelle des Anciens et desModernesest sortie
de là. On adore les anciens ou on lesblasphèjine.
Pour
la critique littéraire du xvii*siècle. il n'y a que des de-
grés sur une échelle unique do perfection. Les uns met-
tent Homère en haut do l'échelle, et les autres le met-
tent en bas personne, ou presque personne, ne le goûte
historiquement dans sa véritable originalité.Lesgrands écrivainsdu xvne sièclesont tous partisans
des anciens. La rectitude de leur raison, leur goût sain
et relativement simple les a tout de suite mis en com-
XIV PRÉFACE
munion avec la belle et droite raison des écrivains d'A-
thènes et dé Rome. Et cependant, qui oserait affirmer
quole défaut do sens historique n'ait pas nui môme au
goût littéraire d'un Racine ou d'un Boileau? Racine
sentait vivement lo charme littéraire d'Euripide et de
Sophocle, cela n'est pas douteux mais que pensait-il
d'Eschylo? Et Boileau, l'avocat ai chaleureux d'Homère
contre Perrault, comment jugeait-il, dans le fond de son
Ameet une fois le bruit de la lutto apaisé, certaines naï-
vetés de l'épopéo primitive? Durant tout le xvn* siècle,
on no distingue guère les Grecsdes Romains le nom
d'Anciens enveloppe &la fois toutes les fines différences
et ios dissimule. Il y a quelque chose do confus et do
mal défini aussi bien dans l'admiration do ceux quiaiment le plus l'antiquité quo dans le mépris do ceux
qui l'insultont.
On peut noter quolques exceptions, au moins partiel-
les. Je n'ai pas besoin de rappeler les pages célèbres
de la Lettreà l'Académiefrançaise où Fénelon s'exprimeavec une justesse si délicate non seulement sur Déraos-
thèno (beaucoup de goût suffisait pour les écrire), maia
aussi, chose plus notable, sur le naturel délicieux de la
tragédie grecque, sur « les peintures si naïves du détail
de la vie humaine » dansl'Odyssée,et enfin sur tout ce
qu'il appelle ailleurs (dans sa lettre à La Motte, du 4
mai 1714)« l'aimable simplicité du monde naissant ».
Le Têlimaqus lui-mae. malgré l'abîme qui le sépare
de Yllkàs carte VQégaëe. s» pestai étreécritque parun homme qui goûtât la poésie homérique comme Fé-
nelon seul peut-être à*cette date la goûtait. Le sentiment
PRÉFACE XV
littéraire, à ce degré «lefinesse, supposeun certain sens
historique. On sait que Fénelon demandait aux histo-riens d'observer dans leurs récils et dans leuratableauxla variété des mœurs, ce qu'il appelait il costume. E»littérature commeonhistoire, il sentait d'instinct la dif-
férence dos Ages,et cola donnait à son goût une délica-
tosse bien rare alors. Un peu auparavant, sans qu'onpuisse flxer la date avec précision, Saint-Evremond
(mort en 1703)avait dit, lui aussi, son mot sur la que-rello des Anciens et des Modernes,et exprimé à ce su.
jet des vues littéraires particulièrement pénétrantes et
judicieuses1 « Si Homère vivait présentement, il feraitdes poèmes admirables accommodésau siècleoùil écri-rait. Nospoètesen font do mauvais ajustés à ceux desanciens et conduits par dos règles qui sont tombéesavec les choses que le temps a fait tomber. Je sais qu'il
y a de certaines règles éternelles pour être fondées surun bonsens, sur une raison ferme et solide qui subsis-tera toujours, et qui portent le caractère de cette raison
incorruptible. Concluons que les poèmes d'Homèreseront toujours des chefs-d'œuvre, non pas en tout des
modèles. Ils formeront notre jugement, et le jugement
réglora la disposition des choses présentes » Il est
impossiblede mieux dire. Ce sont là debelles exceptionsà l'esprit du siècle, mais enfin des exceptions, et dontlesiècle suivant ne sut pas toujours faire son profit.
Onpeut dire quo toute la critique littéraire du xvui*
1.DanssoumorceauSurla pointesdesanciens(Œuvrescomplo-tes,éd.DesMalzeaux.t. V,p. t!8).
t. Cité par É. Egger, Hellénisme en France, t. II, p. 118-119.
XVI PRÉFAOB
siècle vient aboutir au Cours de littérature de La Harpe.D'autres critiques, dans le même temps, ont pu avoir
les uns plus d'esprit, les autres plus de fou, d'autres
encore dos idées plus exactes, ou plus originales, ou plus
profondes, sur certaines questions particulières auci»
n'est dans l'ensemble un écho plus fidèle ni un p.as
juste représentant de l'esprit du zvui* siècle. Pour ne
parler ici que do la partie de ce Cours qui est relative
à l'antiquité grecque, beaucoup de choses assurément ysont à louor, plus même peut-être qu'on ne le dit par-fois. Et d'abord, l'idée môme do Je professer et de fé-
criro. C'étail, on 1799, une brillante et hardie nouveauté
que culte promièro histoire deslettres grecques, présen-tée dans la suite régulière et complète do son dévelop-
pement, et écrite en français par un homme de talent
pour l'instruction et le plaisir des gons bien élevés ».
Doplus, chaque fois que La Harpe rencontre dans les
écrivains de l'antiquité de certaines beautés raisonnables
et fermes qui sont de tous les temps ou qu'on peut son
tir sans trop d'étude, il a le goût assez sain pour les re-
connaître, et la plume assez habile pour exprimer son
sentiment avec, chaleur et intérêt. Mais,cela dit, et sans
même nous arrêter aux nombreux contre sens qu'on lui
a reprochés, il faut bien avouer que La Harpe a commisune faute plus grave encore, mais qu'il partage avec
son siècle: c'est de ne pas paraître soupçonner qu'avantde prononcer sur des œuvres aussi éloignées de nous
t. L'année1199est oelle-où commence1*publicationdu Coursdelittérature.L'enseignementoral deLa Harpejs'ûtajtouverten 1786,an l.ycôrf.
PRÉFACE XVII
b
que cellesdes Grecs,il est bon de se déprendre, s'il est
possible, des habitudes et dos opinions de son propretemps, qui sont peut-être des préventions et dos préju-gés c'est qu'on n'entre pas de plain pied, au sortir duthédtre do Voltaire, dans l'intelligence do colui d'Es-
chyle; c'est queles faits littéraires ont leurs causes, queles races et les époquesont leur génie, et que le pre-mier devoir du véritable historien, en matière littéraireconmcen toute autre, est justement de saisir ce génie,de l'évoquer,commedisait Bacon,et derenouer la chaine
rompue des effets et des causes. Voilà ce que La Harpeignorait absolument.
L'Académiedes Inscripiions etBelles-Lettrescommen-
çait à le comprendre, et il serait injuste de ne pas tenir
comptodes efforts qu'ello fit au xviu»siècle pour décou-vrir dans les œuvres des anciens le reflet des circons-tances où elles sont nées. Nombrede mémoiresde l'an-cienne série portent la trace de cette préoccupation.Onveut expliquer avant de juger. Pindare, par exemple,était depuis longtemps en possessionde scandaliser les
partisans des modernes; il offrait à leur ignorance des
sujets de raillerie trop faciles.Fraguier, Chabanon,Vau-villiers le justifient en le faisant mieux comprendre.Les recherches de cette sorte se multiplient. Vers la findu siècle,elles se résument et se couronnent dans unlivre qui est à tous égards le chef-d'œuvre de ce genred'érudition, le Voyagedu jeune.Anacharm, de l'abbé
Barthélémy. C'est la vie grecque dans son ensemble
qu'étudiait le docte abbé.Lalittérature y avait sa place,etles
récits d'Anacharoisfaisaient passertour à toursous
XVIII PRÔF10K
les yeux des lecteurs Platon philosophant à l'Académie
ou au cap Sunium, i'Antigone de Sophocle représentée
au théâtre de Bacchus, Xénophon dans sa retraite de
Scillonte, Le voyageur scythe retrouvait à Thèbes le
souvenir toujours présent de Pindare, à Lesbos celui
d'Alcée et de Sappho. Les écrits des anciens, ainsi rat-
tachés à la terre natale, pouvaient en devenir plus vi-
vants, plus intelligibles aussi. Quelquus-unes des pages
consacrées par l'abbé Barthélemy à la littérature grec-
quo sont au nombre des plus estimables de son livre,
notamment colles où il parle de Pindare. Il y avait
vraiment dans tout cola beaucoup de savoir et la mar-
que d'un excellent esprit.
Le Voyage du jeune Anacharsis était-il donc de tous
points un chef-d'œuvre ? Etait-ce un de ces livres qui
ouvrent à l'osprit dos voies nouvelles, qui creusent à la
pensée son canal pour une ou plusieurs générations? Non;
c'était plutôt encore, ainsi que le livre do La Harpe, une
honorable conclusion à un fige littéraire tormtné qu'un
recommencement et une entière nouveauté. Stendhal en
a parlé quelque part avec son irrévérence habituelle
« Le pays du monde où l'on connaît le moins les Grecs,
dit-il, c'est la France, et cela, grâce à l'ouvrage de l'abbé
Barthélémy: ce prêtro de cour a fort bien su tout ce qui
se faisait en Grèce, mais n'a jamais connu les Grecs. C'est
ainsi qu'un petit maître de l'ancien régime se transpor-
tait à Londres à grand bruit pour connaître les Anglais
il considérait curieusement ce qui se faisait à la Cham-
bre dos pairs; il aurait pu donner l'heure précise de
chaque séance, le nom de la taverne fréquentée par les
PRÉFACE SIX
membres influents, le ton de voix dont on portait los
toasts mais surtout oola, il n'avait que dosremarques
puériles. Comprendre quelque chose au jeu de la ma-
chine, avoir la moindre idée do la constitution anglaise,
impossiblo<.» Stendhal en sommo a raison, malgré la
ton dopersiflageunpou pédantosquodont il use et abuse.
L'abbé Barthélemy s'attarde trop souvent à décrire co
qui no vaut pas la poinod'âtro regardé, et il no voit pasl'Amodeschoses. Il répand sur son sujet une éléganceterne et monotone qui fausse l'aspect do la réalité. Il n'a
pas senti la joie de cette «pure lumière », ç£o; ôyvôv,queles poètes grecs ont chantée, ni, avec Socrato marchant
pieds nus, la fraîcheur do l'Ilissus. L'esprit dola Grèce
lui échappe. Malgré ses efforts méritoires pour nous
montrer l'AcadémieetScillonto, Platon, dans son livre,
garde encoro cette robe do docteur quo Pascal voulait
qu'on lui ôlât, et Xénophon, chassant avec son hôte, a
beaucoupmoins l'air do l'ancien chef des Dix-Millequed'un académiciondu xviu° sièclo lisant à ses confrères
un mémoirosur l'Art de la chassedans Canliquilé. Los
intentions sont bonnes, le succès médiocre. Il est évi.
dent qu'au temps de l'abbé Barthélémy, et malgré les
progrès partiels dont son livre offre la trace, l'atmos-
phèro littéraire est viciée par trop do civilisation. Il faut
qu'un grand souffles'élèvo pour chasser toutes los con-
vontions, toutes les élégances, pour rendre à l'air de
i. Histoire de la peinture en Italie, livre VI, ehap. exi, note, Stend-
hal ajoute avec bien de la Justesse: « Le seul pays où l'on connaisse
les Gi'ôc». o'estGuBltingue. n
XX PRÉFACE
la fraîcheur, et pour donner à l'hommemoderne le son-
timent des Agesdisparus.Cetto rénovation s'accomplit à la fin du xvui* siècle
et dans les premières années du xix». Les trois siècles
précédents avaient surtout vu dans les chosesce qu'elles
ont de général, de simple,do permanent. Maispeu à pou
l'expérience avait découvert que la réalité no se réduit
pas si facilement à dos formules immuables et raides,
que la vie est plus riche, plus variée, plus changeante
qu'on no le croyait. Les voyages, la connaissance ot la
comparaison d'un plus grand nombre de littératures,
l'attention donnée aux poésies populaires, l'étude dos
arts, le mouvement général dos idées, la philosophie,
tout, depuis un demi-siècle, préparait cotto tra. jforma-
tion qui brusquement à la fin éclate do tous côtés en
France et onAllemagne, par des manifestations à la fois
diverses et concordantes.
Eu France, c* no sont pas les érudits ni los critiques
de profession qui l'accomplissent ce sont des poètes,
des hommes d'imagination. André Chénier est un pré-
curseur de l'esprit nouveau. Fils d'une mère grecque, il
n'a pas seulement appris l'antiquité dans les livres; il la
sent et il l'aime parce qu'il est de môme race; une affi-
nité mystérieuse et profonde fait tout de suite recon-
naltre, dans ce Français du xvm* siècle, un descendant
légitime de Théocrito. Par lui, l'antiquité grecque so
rapproche de nous; elle sort do la froide région pédan-
tesque où son ombre seule survivait; elle reparaît vi-
vante et toujours jeune. Quelques années auparavant,
un Marseillais,Guys,était allé en Grèce,et en avait rap.
PKÉFAOK XXI
porté un livre intitulé Voyatjede la ih-he, ou Lettres
sur fet Grecs ancienset modernes av»cun parallèle tfo
leurs mœurs, Guys avait constaté avec surprise que la
race grecque subsistait, qu'alla continuait de vivra et
de chanter, ot qu'ollo ressemblait a sus ancôtres beau-
coup plus qu'on no s'en doutait. La Voyagedo Guys,
pou apprécié, somhlc-l-il, dos savants do co tamps-lh,
préparait do loin pourtant YItinéraire doChateaubriand,
Chateaubriand,voilà logrand initiateur de l'esprit lus.
toriquoon Franco. Malgré lus vicissitudes do sa ranom-
meo, on pout dire qu'il rosto io maitro incontostablo de
la promièro moitié au moins du xix*siècle, ot qu'il ost
diflîcilod'oxagéror son influonco.Sos défauts sont con.
nus; ilssont éclatants: ily a chezlui biondol'a-pou-pi'ès,bien do l'arrangement, bion du charlatanismo parfois.En outre, ces défauts portent lour date ayant contri-bué a créer uno mode, ils paraissent surannés depuis
que la modoon est disparue. Mais, avec tout cla, com-
bien cet homme est près do nous La Harpe et Bar-
thélemy, qu'il a pu rencontrer et coudoyer, appartion-•
nent à un autre Agede l'esprit français. Chateaubriandest séparé d'eux par un abîme, et ce qui l'en éloigne lo
rapproche de nous. Il a les vives curiosités ot les larges
sympathies de l'esprit moderne, avidede tout voir, hos-
pitalicràtoutes les idéos,capablede se plaire tour à toursur les rives du Meschacébéet sur celles de l'Eurotas,sensible à la poésie sombre des mers du nord comme à
l'éclat riant de la nature méridionale, chdtiea et païen,romantique et classique successivementou tout ensem-
ble, artiste par dessus toutes choses, prompt à se pré-
XXII PRÉFAOB
ter sans sodonnerjamais. Chateaubriandte prendde pas-
•ion pour Ossianet pour Millon il cèlèbro avec un en-
thousiasme communicatif les beautés de l'art chrétien,
et l'art le roènoaux confia»de la foi il trace de l'inva-
•iun barbare des tableaux inoubliable» H décrit et
chante loasauvages de l'Amérique et les forêts vierges;
il vit sous la tmte il traverse l«s déwrts a ohoval il
éprouve les sensations des âges primitifs. Voyageur on
Italie, en Grèce, en Orient, il puis* a la source et re-
trouve dans sa pureté toute vive et toute fraîche le
sentiment do la poésie bibliquoot do la plus lointaine
antiquité classique. II se dédoublo il sorlilo luimômo,
de son tomps et do son pays, pour devenir un contem-
porain d'Abraham ou d'Homère, ot il se regarde vivro.
Son imagination n'est pas seulement grande, ollo est
vivo ot forte il a lo trait pittoresque, le mot aigu, la
touche hardie et décisive.Par tous ces caractères, il ost
le premier en date des «Enfants du sièclo», le maître
et l'initiateur de tous les autres.
N'oublionspas, à côté de lui, Madame de Stael, bien
moins artiste, bien moins sensible aussi aux mérites
des littératures du midi, romantique ptus queclassique,
et juge souvent récusable dos choses grecques, mais in-
telligenceouverte, instruite des choses du dehors, na-
turellement libre, rendue plus philosophe encorepar la
facilité de comparer, et en sommetrès moderne1.
,i.BenjaminConstant,malgrésonpeud'actionsur lamare!»gé-méralodesidéeslittéraires,mériteponrtantlciansouvenirpourles
pagesqu'ila consacrée*èHomèredanssonlivreDelaBetiglon.On
pourraitanssl, sans sortir du mémecercle,nommerl'allemand
PftftFAGB XXUl
On rait quet grand mouvement intellectuel suivit cet
éveil du siècle, De 1810« 1830. t'esprit historique se
développe et règne partout» non seulement dans l'his.
toiro proprement dite, &laquelle il apporta le mouve-
ment, la couleur et la vio, mais aussi dans la philoso-
phie, dans les arts, dans la littérature. Dèsle premier
quart du xix* siècle, il semble qu'une histoire de la
littérature grecque telle quo Bacon l'avait demandée
pouvait être écrite aiuonuno histoire définitive (il n'ya riondodélinitif dans la scienco),du moins une histoire
qui miton œuvre les matériaux accumuléspar les siècles
précédonte en les vivifiant par l'esprit nouveau. Pour
celui-ci, il fallait un hommoqui réunit en lui-même lesavoir exact dos érudits « la puissance d'évocation etde résurrectionquel'écolohistorique moderneréclamait.
Malheureusementl'érudition classique, en France, était
languissante. Il semblait d'ailleurs qu'elle se défiât d'unmouvement littéraire qui avait l'air d'ôtro plus roman-
tique que classique. Elle no comprit pas tout do suite
que l'orientation générale de l'esprit moderneétait chan-
gée, et que le goût classique, on devenant plus libre,allait devenir en même temps plus vif.Cependantla pré-occupation de l'histoire était désormais trop généralepour que le besoin d'un livre où le développementde lalittérature grecque serait retracé dans son ensemble nefut pas enfin sensibleà tous et urgent. Schœll.en 1813,publia une Histoire de la littérature grecque en deux vo-lumes in.8. Le premier volume seul était consacié à
Angaste-GaiUanmeSchlegelpourson CoursdeUlliraluredramati-que.
XXIV PRÉFàOK
l'histoire de la littérature grecque profane; le second
renfermait un précis do la littérature saerée.Cette H»-
toire eut du succès. En 1832, l'autour on donna une se-
condeédition,tellement accrueet transformée quec'était
onréalité un travail tout nouveau. Souscotte nouvelle
forme, l'ouvrage avait huit volumes,exclusivementcon-
sacrés à la littérature grecque profane Des notices
biographiques assez nombreuses complétaient l'étude
bibliographiquoet littéraire dos écrivains grecs. Que le
travail doSchcellait rendu des sorvices, c'est incontos-
table. Maisqu'il ait été le aw\decette sorte onFrancopen-
dant plus de trente ans, c'est cequi prouve à quel point
l'esprit historique fut lent à y pénétrer l'érudition. Car
cette Histoire,en somme.'n'estqu'une compilationmédio-
cre, œuvre d'un homme laborieux sans doute et cons-
ciencieux, mais sans ouvertured'esprit, sans finessede
goût, sans style, et poucapable même d'apprécier la
portée doschangements quis'accomplissaiont autour de
lui. Quelques hommes, dans l'Université française, au-
raientpu,dix ou quinze ans plus tard,rofaire l'œuvre de
Schœll et l'améliorer singulièrement. Jo ne citerai que
l'excellent auteur des Éludes sur les Tragiques grecs,
H.Patin. Nonqu'il y ait toujours, même dans ce savant
livre, toute la liberté d'esprit et de goût qu'on aimerait
à y trouver: on sent parfois, chez cet érudit si exact,
chez cet historien si bien informé, un esprit classique
quelquepeu timide; il n'ose pas toujours être aussi grec
quAnouale voudrions; ila trop de retours involontaires
et de regards en arrière vers le théâtre secondaire et
insignifiant du xviii8siècle ou vers celui des classiques
PRÉFACE XXV
du xtxV Maisquollo copieuse et saine érudition t Quel
goûtdélicat et profond,et, déjà, rendu libéral par la con-
naissance précise do l'histoire t Malheureusement, ni
M.Patin ni quelques autres, qui l'auraient pu faire, no
songèrent à nous donner l'ouvrage qui nous manquait,et l'Allemagne prit les dovants.
Là les traditions érudites étaient restées vivantes.
Quandla renaissance do l'esprit historique se produisit,elle no trouva pas, comme en Franco, une société étran-
gère auxcltosus dol'antiquité, dos collèges encore tout
ébranlés par les secousses violentes do la politique,des maîtres qui ressaisissaient avec peine le fil rompudo la tradition dos jésuites, et que leur éducation pré-
parait mal à accepter des idées suspectes d'alliance
avec le romantismo ot par conséquent d'hostilité contre
les classiquesdu xviiesiècle. En Allomagno,les Jniver-
sités étaient restées des foyers philologiques toujoursactifs.Elles avaient conservé les traditions laborieuses
du xvi*et du xvu* siècle. Elles continuaient de laisser
une forte empreinte sur tous les esprits. Ceux-ci, quel-
que hardis etnovateurs qu'ils fussent,gardaient l'accf>nt,
pour ainsi dire, de leur pays intellectuel, de l'Univer-
sité. Aussi ne cossaient-ils pas d'en être compris. Quand
l'esprit historique se développa, l'érudition devint sans
peine son alliée; nonsans quelquesrésistances partielles
assurément, mais l'ensemble fut rapidement gagné.L'esprit nouveau vivifia l'érudition celle-cià son tour
le soutint et lui fournit un champ fécond à cultiver.
Les études sur les arts plastiques des anciens jouè-rent ungrand rôle dans la préparation de cette réforme.
XXVI PHÉFAUK
Le langage des arts plastiques on effetn quelque choso
do plus direct et de plus libre que celui des écrits. Il
est moins sujet à sa laisser enfermer dans los potils
compartiment* ou les sooliastoscoupent les cheveux en
quatre. Il ao fait mieux entendre do l'ftmotout entière,
m'étantni séparéd'ello par les difficultésgrammaticales,ni morcelé on mots qui analysent l'idée au risque d'af-
faiblir la sonsatiou. Il était donc naturol quo l'évocation
historiquo dol'Amegrecque se fitd'abordpar co moyen.Cefut l'œuvre de Winckotmann,singulièrement dépassé
depuis sur bien dos points, mais qui out vraiment l'un
des premiers la vision nette et totalo de la beauté grec*
quo. Coque Winckelmannavait fait pour les arts plasti-
ques, Uordorlo lit pour la poésio plus encore, il est vrai,
pour la poésie hébraïque et pour la poésie allemande
quo pour collo do la Grèce, mais los principes posésavaient une applicationgénérale ot s'étendaient à toutes
les littératures >. Dans le mémo temps, une révolution
philosophique égale u collo do Descartes se préparait;Kant était on train do détacher pou à peu la science de
la poursuite do l'absolu pour la ramener a l'étude du re-
latif, c'est-a-diro à la notion historique par excellence.
Pendant que Kant vieillissait à Kœnigsberg,Hegel étu-
diait à Tubinguo et commençait à tracer dans son es-
prit les premiers linéaments do la philosophie du de-
venir. En 1795,"Wolfpublia ses célèbres Prolégomènes.
t. Déjà Leasing avait écrit sur la poésie ancienne des pages plei-nes de Justesse, mais piotâi (a la façon de Grlmm ou &S'ôxôrûf, <]«•>
éradits, ses maîtres) par exactitude de savoir et bonne éducation du
goût que par un sentiment historique véritable.
PRÉFACE XXVII
C'était la prise do possessiondo la philologiepar l'espritnouveau. On pouvait contester ses couoluaiuua, ao ré-
volter môme contre ©Iles; mais il était impossiblede
ne pas admirer la vigueur do cette intelligence qui, en
facedu plus anciQnmonumont littéraire do l'antiquité
grecque, reconstruisait avec une pénétration divinatrice
tout l'ensemble des conditions qui l'avaient produit, on-trait pour ainsi tliro dans l'Ame mémo du poète, puisdans celles do ses auditeura, et tirait de cotte résurrec-
tion hardio du passé des conséquences saisissantes do
nouveauté. Jamais regard aussi perçant n'avait sondé le
mystère des origines d'uno littérature. Enfin les lettres
pures obéissaient au mômo esprit. Au souil du sièclo,
pour ainsi dire, se drosso (îootlio,dont l'intelligence se.
reine, à la fois haute et hospituliero, capable do tout
comprendra et de tout aimer, est commel'imago inânio
do l'esprit nouveau.
L'Université do Gœttinguo, grâce u la réunion de
quelques savants d'élite, prit bientôt la tôto du mou-
vement philologique qui sortit do colte révolution
Berlin pourtant avait précédé. Gœllingue eut Wolcker
otOtfried Millier. Maisc'est à Berlinque vivait Bœckh,lo véritable maître do la philologie allomande du xix*
siècle, et qui eut 0. Millier au nombre do ses disciples.C'est Otfried Millier qui donna sur l'histoire de la litté-
rature grecque,en 1840,lo premier ouvragequ'on puisse
appeler sans restriction d'aucune sorte un chef-d'œu-
vre. Déjà, sans doute, l'Histoire de la poésie grecqued'Ulrici, parue un peu auparavant, celle de Bode, com-
mencée alors, mais non terminée, et surtout l'Esquisse
XXVIII PRÉFACE
de la littérature grteque do Bornhardyt, publiée quatre
années plus tôt, étaient des couvresfort remarquables.
MaisUlrioiet Bodo,quid'aillours laissent docôté la prose
grecque, sont trop souvent ou des métaphysiciens oude
purs érudits. Chez Bernhardy, le stylo-oatd'une abstrac-
tiun rebutante la penséo est en général pénétranteut profonde, mais subtilo aussi parfois, presque tou-
jours hérissoo d'uno toratinologio rébarbative de
plus l'élenduo prodigieuso dos notes, véritablos mer-
veilles d'ailleura de savoir et de critique, rend ce
Uvre aussi difficile à lire qu'utile à consulter. Celui
d'Otfr. Millier, composéà la demande d'uno société an-
glaiso et on vue du public anglais, devait être, par sa
destination mémo, clair et lisiblo, savant sans étalage
d'érudition, agréable mente s'il était possible Le talent
do Müller en fit une œuvre d'art. La forme et le fond y
étaient dignes l'un do l'autre. Un savoir immense, at-
testé pard'admirables travaux antérieurs, avait amassé
les matériaux du livre. Un goût exquis les avait choisis
et disposés. L'intelligence ou, mieux encore, lésons dé-
licat des choses grocquas s'y révèle à toutes les pages;
une sensibilité littéraire à la fois discrète et profonde
les anime et les échauffe. Une veine d'éloquence abso-
lument exempte de rhétorique, toute sortie du fond de
l'âme (fï»9si*î«ppwdî,comme dit Pindare), et soutenue
par une connaissanceprofonde du sujet, courtdans tout
le livre et s'y répand. Il faut se reporter à la date où
I. GrmdristderGrieehitthenUtteratur,Balle,1836.Onsait quecetimportantouvragen'a cesséd'êtrecorrigé,remanié,étendu.La
qutriémeéditiona commencéi paraîtreen18T6.
PRÉFACE XXIX
parut ce livre pour on sentir tout lo prix. Sans doute,certaines parties do l'histoire littéraire avaient déjà été
traitées en France avec dos mérites analogues. Maisc'é-
tait de l'histoire littéraire moderne. L'antiquité grecqueet latino semblait réservée aux historions de l'espèce do
Schœll, Otfried Millier prouva le contrairo. Son œuvre
était si nouvelle que des savants do mérite, parmi ses
compatriotes, ne la comprirent pas ils reprochèrent à
Müller de n'avoir pas fait une compilation érudite.
C'était justement do quoi il fallait le féliciter. Des livres
d'érudition peulisibles pouvontavoir leurs qualités, mais
quel charme aussi, et quel proQt, d'entrer dans l'étude
des lottres grecques sous la conduite non plus d'un pé-dant, maisd'un grand etlibro esprit, causant de toutes
choses on «honnête hommo », en philosopheet on ar-
tisto, avec cette solidité d'érudition sans doute qui est
la probité de la vraie science, mais aussi avec cette
éléganco rapide et sobrequi est la fleur exquise de l'at-
ticisme( Onne saurait exagérer à cet égard le mérite
d'O. Mullorni l'impression profondequ'il a produite sur
les esprits. De nombreux historiens de la littérature
grecque sont venus après lui tous ont plus ou moins
subi son influence. Si l'histoire de la littérature grec-
que est devenueaujourd'hui, auxyeux de tout le monde.
une partie do l'histoire générale qui ne dispense pasceux qui la traitent de l'obligation de savoir se faire
lire, c'est en grande partie à Millier qu'on le doit.
XXX PRÉFACE
III
Quols que soient pourtant les mérites de son œuvre,
elle n'a pas découragé et ne devait pas on effet décou-
rager les imitateurs.
D'abord elle est inachevée. Müllor se proposait de
conduire son récit jusqu'à l'entrée de la périodebyzan-
tine et chrétienne. La mort l'interrompit. Sondernier
chapitre est intitulé Isocrate. La période attique elle-
même n'est pas finie: l'auteur n'a pu parler ni do Pla-
ton ni de Démosthône.
Deplus, les progrès du savoir sont incessants, môme
dans les sujets qui semblent les mieux connus. L'ou-
vrage de Millierdate de près d'un demi-siècle. S'ilgarde
toujours un grand mérite général de vérité et d'har-
monie, il n'en est pas moins vrai que sur beaucoup de
points il laisse aujourd'hui à désirer. En maint endroit
il serait à retoucher ou à compléter. Il est souvent plus
simple de faire une œuvre nouvelle que de remanier
un livre vieilli.
L'esprit même qui anime tout l'ouvrage de Millier,
cet esprit dont j'ai dit tout à l'heure les rares qualités,
diffère cependant par quelques nuances de celui que
nous portons aujourd'hui dans ce genre d'études.
Otf. MOllerest un idéaliste qui s'arrête avec complai-
sance sur les côtésnobles deschoses et qui les exprime
aussi avec noblesse,en termes graves et généraux. Tout
PBÉFAGE XXXIce qu'il y a dans l'art grec d'harmonie, de grâce, demesure, est admirablement senti par lui, et rendu avecémotion, quoique d'une manière un peu abstraite. Maisle détail trivial et vivant, les cètés un peu bas, quoiqueréels, les limites mémos de ce génie grec si justementadmiré, tout celas'efface volontiers chez lui et s'atténue.La littérature,depuis un demi-siècle, sous des influences
diverses, s'est habituée à une franchise plus âpre. Nousvoulons voir à nu la réalité. Nous exigeons qu'on nousla décrive avec une sincérité absolue, en physiologisteou en physicien. Que la littérature abuse aujourd'huidu scalpel et de l'anatomio, c'est fort possible; maisl'abus ne condamne pas l'usage. C'est par une extension
légitime et durable de laméthodescientifique que l'es-
prit contemporain est devenu quelque peu réaliste entout. La critique littéraire ne saurait échapper à cotteloi. Les portraits d'O. Millier sont beaux et ressem-
blants ils n'ont pas toujours ce caractère intime, cetaccent familier qui rend la ressemblance criante. Au
risque do n'être pas toujours optimiste, il faut êtrevrai.
Enfin les besoins à satisfaire, en matière d'histoire
littéraire, sont assez différents pour qu'un seul ouvragepuisse difficilement répondre à tous. n faut toujoursfaire un choix ou prendre une route moyenne. Si l'ons'attache à développer l'exposition des idées générales,il est difficile que la bibliographie ne soit pas sacrifiée.Si l'on étend la bibliographie, l'ouvrage devient peu li-sible. Otf. Mûilorest extrêmement sobre d'indications
bibliographiques. En eùt-il donné davantage, elles se-
XXXII PRÉFIGE
raient aujourd'hui arriérées et par conséquent insuffi-
santes.
Par toutes ces raisons, mêmeaprès 0. MUllcr,il res-
tait quelque chose à faire, et la carrière demeurait
ouverte. Do nombreux savants s'y sont engagés, mais
à l'étrangor plutôt qu'on France. Ce n'est pas qu'enFranco même les boaux et utiles travaux nous fassent
défaut. Et, par exemple, pour no citer que lesplus con.
sidérablos, ilest certain quo les Études sur les Tragiques
grecsdo M.Patin, constamment remaniées et améliorées
dans plusieurs éditions successives, et, depuis, les tra-
vaux do M. J. Girard, qui forment aujourd'hui quatrevolumos(Sentimentreligieux, Poésiegrecque,Éloquence
attifue, Thucydide), tous inspirés par un sentiment si
profonddo l'hellénisme, forment un très bol ensemble
d'écrits sur la littérature grecquo1. Mais ce sont là,
malgré tout, des écrits détachée, qui ne peuvent rendre
tout à fait le même genre de service qu'une histoire
suivie. Quant à nos Histoires proprement dites de la
littérature grecque, celle de Pierron ( la plus ancienne
de beaucoup),celles do MM.Burnouf, Nageotte, Deltour,
ont leurs mérites de clarté et de brièveté*; mais ce sont
des ouvrages fort courts, destinés à l'enseignement se-
condaire. plutôt qu'à l'enseignement supérieur, et quine peuvent entrer en comparaison avec les ouvrages
beaucoup plus étendus des Anglais et des Allemands,
I. Lestravauxd'EmileEgger,ainombreuxetsi estimables,appar-tiennentplutôtAl'éruditionproprementditequ'àl'histoirelittéraireau sansoùnousprenonsicicemot.
3. n faut ajouter iaainteuaul &celle îiulo, l'ouvrage de M. Max
Egger, Paria, I8S2[note de ta if édition].
PRÉFACE XXXHI
c
de ces derniers surtout ».En Angleterre, Donatdaon(tra-ductour et continuateur d'O. MQllor),Mure, Mahaffyen Allemagne, Bernhardy (pour les éditionssuccessivos
et romaniôesdesonGrumlriss), Nicolaï(2»ôd.1873-1874),Munk (réédité on 1880par Volknum»), Th. Borgk, puistout récemment (1886) Karl Sittl, sans parler de
Bonder, dont l'Histoire est une couvre de vulgarisationun pou sommaire. ont parcouru tour à tour, chacunsuivant sa méthode et son allure propre, la route déjàsuivie par OtfriedMillier.Les uns, comme Bernhardy,ont donné à la bibliographie la première place. Les
autres, comme Bergk, l'ont complètementéliminée La
plupart ont suivi une voio intermédiaire. Tous ont
ajouté quelque chose à l'œuvre de leurs devanciers,soit des faits nouveaux, soit des idées personnelles,soit des qualités littéraires originales. L'ouvrage de
Bergk surtout, malheureusement inachevé, est à beau-
coup d'égards un chef-d'œuvre, et, par l'ampleur aiséede la forme aussi bien quo par l'érudition, un véritablemonument
1. Dans la catégorie des ouvrages scolaires, je signalerai aussi uneHistoire de la liUéralnre grecque écrite en grec moderne par M. Eus-tathopoulos (2iSvo<Kttjç «EUinvtxîjç YP«|i|ucToXoT(«e.Athènes, 2*éd.,1885),indice intéressant des efforts tentés par la Grèce pour déve-lopper chez elle l'instruction classique.
2. Le premier volume seul. sur quatre, a paru du vivant de Bergk.La rédaction du second et du troisième n'était pas entièrement ache-vée; il y subsiste des lacunes. Le quatrième a été composé à l'aidede morceaux divers empruntés surtout à des articles antérieurs deBergk.
Dans cette nouvelle édition, je dois mentionner en outre l'ouvragede M. Christ, GescMchte der Griech. Liter. (collection des Manuelsd'Iwan Mûller), Nordlingen, i888; manuel bien fait et précieux, maissec.
XXXIV PRÉFACE
Nous avons cru qu'il restait à tenter en France et
pour la Franco ce que les savants dont on vient doliro
les noms ont fait pour l'Angletorro et pour l'Allema-
gne, c'est-à-dire de rassembler ot do résumer dans un
ouvrage unique, suffisamment étendu, tacite à lire et à
consulter, l'enchaînement des principaux faits ot des
principales idées que les recherches do la philoiogio ont
mis en lumière aur l'ensemble de la littérature grecque
classique. Pour nous, comme pour Otf. Mullor, le vé-
ritablo sujot d'uno histoiro du genre de celle-ci, c'est
moins l'infinie multitude des écrits grecs pris on eux-
mômes et considérés dans un esprit de curiosité biblio-
graphique, que l'esprit grec ao manifestant et se déter-
minant suivant ses lois propres dans la création dos
genres littéraires, dans l'évolution technique do ces
genres, dans le mouvement général do la pensée, dans le
génie particulier dos écrivains, et enfin dans un cortain
nombre d'écrits caractéristiques où toutes ces caupos
convergent et produisent leurs effets. Nous ne parle-
rons pas avec le même détail do tous ceux qui ont écrit
en grec. Les auteurs d'ouvrages étroitement techniques
échappent à notre compétence 1.'histoire de la littéra-
ture n'est pas l'histoire de tous les livres c'est l'his-
toire d'un art, l'art d'écrire. Nous ne considérons comme
écrivains que ceux qui sont en quelque degré des ar-
tistes, et qui, ayant eu sur l'homme et sur le monde
soit une idée générale soit des impressions personnelles,ont su les exprimer. Nous craindront* plu» cependantde trop restreindre notre champ d'étude que de trop
l'étendre, et nous n'enfermerons pas dans des limites
PIIÉKAUK XXXV
trop rigourousos les manifestations littéraires dol'otprR
grec. Nous sommes do l'avis do Suiuto-Bouvo «Toutco
qui est d'intclligonco générale et qui intéressa l'esprithumain appartint do droit à la littérature IlNotre
objet essontiol ost do présenter sous forme d'expositionsuivie, sur chaque sujat, los conclusions qui nous pa-raissonl les plusjuslos.Dos indications bibliographiquestrbs étendues changeraient entièrement lo caractèredocet ouvrage. Cependant nous no croyons pas qu'ilsoitbon non plus do les supprimer complètement H
faut donnor aux travailleurs los indicationsessentielles,cellesqui leur permettront d'allor plus loin. Hfaut aussi
marquer les grandes directions do la scionco, les éta-
pes qu'ollo a parcouruos. C'ost une question de mesure
et dochoix. Des notes courantes au bas des pages, dos
notes spéciales en tète dos chapitres satisferont aux
besoinsles plus urgents. Enfin, pour tout co qui touche
à l'intelligence dos œuvres, ce qui ost, en somme, la
partie essentiello d'un travait tel que colui-ci, nous
avons fait les plus grands efforts pour être, commoon
dit, au courant, et nousespérons y avoir réussi dans lamosurooùitest possibled'y réussir. Lestravaux sur la lit.
teralure grecque sont innombrables. Les lire tous estévidemment impossible, Nous espérons du moins n'a-voir rien négligé d'essentiel. Est-il besoind'ajouter quol'étude des travaux modernes, si nécessaires à connai-
tre,. mais si encombrants parfois et si dangereuxpourla sensibilité littéraire, n'a jamais été il nos yeuxque le moyen do préparer et de rendre plus féconde
i.Nouveauxlundis,t. VII,p. 154.
XXXVI PKÊFAUK
l'élude immédiate des muvres antiques, ot que, par
goût comme par système, c'est à la sourceelle mômo,au
texte longuement éludit'tot savouré, que nous sommee
toujoura revenus, puur y puiser, avec la fratcltour et
la vivacité des impressions, «elle intelUgonco directo
et personnelle du passé sans laquelle on ne saurait ni
communiquer à ses lecteurs lu flammo intérieure ni
ajouter quoi que ce aoit à l'héritage do ses devanciers.
La t&choétait diflicilcNol ne le sait mieux quo noua.
Nous l'avons entreprise sans illusion, mais sans défail-
lance, et, pourquoi no pas l'avouer? avec un poude cet
enthousiasme qui est nécessaire uuxwuvres do longuo
haleine*.
Avril «887.
Ai.KRBUCROISET.
i. Les deux collaborateurs dont les nom» eont associés àla pre-mière page de cette Histoire se aont partagé la tâche de telk sorte
que chacune des grandes divisions de l'ouvrage fût essentiellement
l'œuvre d'un sent d'entre eux, l'autre n'ayant qu'un rôle de révision
et de conseil. Nous espérons que, grâce à une longue habitude de
penser en commun, t'unité de l'ouvrage ne souffrira pas de cette di-
vision du travail. Quoi qu'il en soit, le nom du véritable auteur sera
toujours placé en tête de chacune des parties du livre.
HM. « I» UU, Qncqat. T. I. 1
INTRODUCTION
LABAOKURECOUKET SONliKNIE. – SA L.VXtiUE.–tiHANOKSHKHIUDESUKI.'IUSTOIHK
I)KSAMTTÉKATUHK
I
LARAUSOUECQUKKT«OS»OËNIB.
Lorsqu'on veut suivre l'évolution intellectuelle otmorale d'un pouulo dans l'histoire do sa littérature, il
parait indisponsublo do déterminer d'abtml, aussi exac-tement que possible, d'où il est parti. Qu'clait-ii avantmémo d'avoir unu littérature? Quetles qualités primoi-ilialcs et distinctives portait-il en lui dans ces tempsd'ignoranco et du naïveté enfantine, où il préparait deloin, d'une manière inconsciente, ses grandes œuvresfutures? A quoi degré do perfection ces qualités étaient-elles parvenues, lorsqu'il s'avisa d'en tirer profit dansses premières productions poétiques ?q
Ces questions se présentent d'elles-mêmes à l'esprit.Mais, en ce qui concerne la Grèce, les documents nous
manquent pour les résoudre d'uno manière satisfai-sante. Avant qu'il y eut une nation hellénique à pro-prement parler, les éléments ethniques qui devaient unjour la constituer ont ou séparément leur vie propre,puis ils se sont groupés ou superposés par'une sériedecombinaisons qui restent encore obscures. Les nomsmêmes de ces pouples primitifs nous sont mal connus;
a INTRODUCTION
et malgré les découvertes quolidionnos do l'archéolo-
gie, ce que nous entrevoyons do leur état moral et des
caractères do leur civilisation est en somme bien peu de
chose. Nous apercevons dans une sorto do pénombreces races préholléniqueg d'Asie-Minouro et des iles, ces
Mlasges répandus un peu partout, ces Danaens et ces
Achéens dont le nom se retrouve sur d'anciens monu-
ments égyptiens. Leurs temples, lours tombeaux, leurs
citadelles nous sont restitues partie! le iiumt par les re-
cherches incessantes des savants. On rassemble et on
étudie les produits plus ou moins grossiors de leur in-
dustrie, ou scrute ces objets (lui étaient pour eux des
(ouvres d'art, on essaie d'y retrouver quelques indices
do leur goût, de lour culture d'esprit, et aussi des in-
fluences étrangères qu'ils ont subies. Hecherche pleined'intérêt et do promesses, mais encore pou avancée.
f/histoiro do la littérature grecque ne sera en posses-sion de son véritable point do départ que le jour où la
science pourra enseigner avec certitude dans quel or-
dre ces races ou ces groupes do tribus se sont succédé
et quels ont été les caractères propres do chacune de
ces sociétés préhistoriques. Alors on pourra voir naître
et grandir le génie grec, on comptera les éléments es-
sentiels dont il so compose, on saura ce qu'il doit à ses
origines lointaines, aux influences étrangères, aux mé-
langes des races, et à sa propre vigueur. C'est ainsi
qu'on étudie les peuples modernes on doit espérer
que la Grèce, dans un avenir prochain, pourra être con-
nue et décrite do la même manière. Quant à présent,
l'application do cette méthode serait trop conjecturale.
Nous égarerions nos lecteurs dans des discussions pro-
longées, ou nous les entraînerions dans de pures hypo-
thèses. Ils en tireraient pou de profit pour l'intelligence
du sujet que nous abordons avec eux.
Ajournons donc ces espérances, et contentons-nous
LA RAGE GRECQUE ET SON GÉNIE 8
d'exposer brièvement co qui est certain. Do quelque
manière que le génie grec se soit formé, nous savons
qu'U l'était avant la naissance aie YWade. Essayons de
nous le représenter ici dans co qu'il a de plus essen-
tiol et par conséquent de plus primitif, en laissant do
coté les traits secondaires qui no se sont révélés on
lui qu'on certains temps et par l'effet de circonstances
particulières.Co qu: frappo tout d'abord dans la race hellénique,
c'est la variété de sos aptitudes. Le vieux romain Juvé-
nal rolevait avec amertume, par la bouche d'Unibricius,
la souplesio des Grecs do la décadence, qui envahis-
saient Romo et s'y trouvaient bons pour tous les mé-
tiers Sans prendre trop au sérieux colto boutade d'un
poole satirique on colère, on no peut nier qu'ollu ne
contionno une part do vérité. Ce que le Romain tour-
nait en ridicule, Thucydide, si sérieux observateur,
l'admirait chez les Athéniens de son temps et les
Athéniens, en cula comme en beaucoup d'autres cho-
ses, étaient los plus grecs do tous les Grecs. Aristoto à
son tour remarquait qu'en général les peuples euro-
péens, habitants des pays froids, avaient de l'énergie,
mais pou de vivacité d'esprit; los Asiatiques, au con-
traire, habitants des pays chauds, de la vivacité d'esprit,
mais peu d'énergie, tandis que les Grecs, grâce à leur
climat tempéré, alliaient l'énergie du caractère à l'in-
tolligence 3. Cet égal développement de facultés diver-
1. Juvén., Sat., III. 73sqq.
Ingeninmvelox,audaelaperdita,sermo
Promptnset Isseotorrentior.Edequid illumEsseputes;quemvishominemsecumadlulitad nosGraminaticus,rhetor, geometres,pictor,allptes,Angur,scb«Bob«<le%me«li«ni»,magn» omnianovitOraeulosesuriens,in caelum,jnssetis, ibit.
2.Tlmcyd.,II, 41,1.3. Aristoto,Poliliqut,VII, 7(p.3276, Bekker).
4 INTRODUCTION
ses a été la cause do l'heureux équilibre ut do l'harmonio
qu'on remarque dans les grandes œuvres do la litté.
rature en Grèce comme dans celles de l'art. L'Holtèno
a toujours ou do la raison dans l'imagination, do l'os-
prit dans le sentiment, de la réflexion dans la passion.Jamais un no lo voit entraîné totalement d'un seul côté.
Il a, pour ainsi dire, plusieurs facultés proies pour
chaque chose, et c'est on los associant qu'il donne à ses
créations leur véritable caractère,
l'ar là aussi, il est on contact, de inillo manières à
la fois, avec la nature ot avec ses semblables. Los races
lourdes et lentes no sont capables à l'origine du
moins ot avant l'éducation que d'un nombre restreint
d'impressions monotonos qui donnent à leurs idées
quelquo clioso do solide. EUes pensent pou, elles ima-
ginant peu leurs pensées sont bien assises et leurs
conceptions semblent inflexibles. Les Grecs, raco éveil-
lée, active, se comportent tout autrement. D'innombra-
bles impressions soforment sans cesse on eux. La nature
leur parle un langage infiniment varié, toujours écouté
et toujours nouveau. Ils s'intéressent non seulement à
ses grands phénomènes, mais aussi à ses aspects chan-
geants, aux nuances délicates et fugitives de sa vio
éternelle. Et co n'est pas là le privilège do l'Ionien
d'Asie Mineure, ni do l'habitant de l'Alliquo ce n'est
pas mémo celui des populations riveraines do la mer,
qui associent la vie du pécheur ou du marchand &celle
du cultivateur. Le laboureur béotien ou locrien, tel quonous le voyons dans les Travaux d'Hésiode, celui quitravaille durement dans lo pays d'Ascra « froid en hi-
ver et brûlant en été », celui-là même a des impres-sions d'une vivacité surprenante, et, pour ainsi dire,mille visions si légères et si transparentes que la gaietéou la tristesse des choses se révèlent au travers. Le cri
des oiseaux de passage, l'appel strident de la cigale, la
LA RACE GHECQUE KT SON GÉNIE 5
llor«M<iitdu chardon, toutos ces menues chosoa fami-
lières le touchent comme los propos à la fois mysté-rieux et précis d'autant d'amas voisinos do la sienne.
Voilà pourquoi toua les Grecs partout ont peuple le
monde de dioux, qui no sont pas dos nain» ni dos puis-sances inconnuos, mais dos êtres vivants, presque fami-
liers. Kn transformant ainsi la nature, ils lui ont sou-
lomont rendu co qu'elle leur donnait. Li vie du dohom
était vonuo a eux pleine d'imagos et de aousatbus, elle
sortait d'eux et elle retournait aux cho-ios ploine da
ilioux.
Et si le spectacle du monde lus a ainsi émus, enchan-
tés et instruits, celui do l'honirna no tour a pas été
moins protitablo. Lo Grec est éminominent sociable. Il
recherche joyeusement son semblable, parco qu'il a
beaucoup à lui donner ot beaucoup à recevoir de lui,et quo cet échange est pour lui un dos plaisirs les plusvifs. llésiodo, qu'on aime à citer comme le plus ancien
témoin do la vie populaire, rocoinmando au paysan la-
borieux do passer devant la forge et la lesché sans s'yarrêter. C'est là que l'on causo longuement en hiver,et il sait combien la tentation d'entrer est forte. Ce ne
sont pas les séductions grossières, le vin, la débauche,
qu'il craint pour son laboureur ce sont les séductions
qu'on pourrait appeler délicates, celles de l'esprit plusque celles des sens. L'âmo hellénique, en général, est
trop ouverte, trop accessible de tous côtés, pour s'en-fermer dans une passion sombre ot dominante. De là
cette grandi ot précoce expérience do la vie qui se fait
remarquer déjà dans les plus anciennes poésies épi-ques. L'homme s'y montre plein de contrastes, avecdes nuances inattendues de sentiments et d'idées, avecdes péripéties do passion qui sont admirables il s'yplie à tous les rôles et s'adapte à toutes les situationsil est chef ou sujet, soumis ou révolté, il est père, époux,
6 INTRODUCTION
ait, ami ou ennemi, te tout non seulement avec natu-
rel vi convenance, mais avec une variété profonde. Le
jeu des facultés humainos n'a peut-ôtre été dans uu-
euna autre race aussi libre, aussi prompt, aussi étendu.
G'ost à cela sans doute qu'il faut attribuer une do»
plus remarquables qualités do la race grecque, sa vive
ot inépuisable curiosité, qui so manifeste do tant de
manières dans tout ce qu'elle a créé En fait do scion-
ces naturelles ou morales, d'histoire, de géographie, do
philosophie, «lo mathématiques, los Grecs ont été dos
curieux dans lo meilleur sons du mot, ot c'est ainsi
qu'ils ont posé los premiers presque tous les grands
problèmes et inauguré presque toutes los bonnes mé-
Ihodos. L'énigme, sous quoique forme qn'ello s'offrit à
eux, les a toujours tentés, cello du monde particuliè-romont. Partout, ils ont voulu voir ot connaître. Ce bo-
soin d'interroger tout ce qui pout répondre éclate chez
les promiers philosophes physiciens de lionio il s'ex-
prime avec une naïveté et une grandeur merveilleuses
dans tout l'ouvrage d'Ilérodote, si profondément hellé-
nique et, dans l'histoire de toutes les sciences, il reste
comme uno des gloires de l'école péripatéticienne, qui
a ouvert tant de routes à la recherche et attaché tant
d'honneur à la connaissance. Dans la poésie môme,
cette disposition d'esprit se révèle dès la plus haute an-
tiquité. C'était un dos charmes de l'Odyssée pour ses
premiersauditeurs quo ces descriptions qui découvraient
à leurs esprits curieux tant de choses lointaines et in-
connues. Les deux grands poèmes primitifs do la Grèce
sont en un sens deux révélations YIliade fait appa-
raître le fond do la nature humaine, Y Odysséelaisse
apercevoir l'immensité du monde.
1. Platon, Rép. IV, e. il xb çtXo(ia6éç,a în uept tôv naç'i,ffXt ifÀUax'Sv
tic tltiiamto î<S«ov.
LA RACE GRECQUE ET SON GÉNIE 7
A ces qualités supérieures s'attachaient, il ost vrai,des défauts graves, aussi bien au point do vuo littéraire
qu'au point de vue moral. La facilité à tout comprendreet à 80 prêter à tout est un privilège parfois dangereux.On connaît le précepte do Théngnis • Il Sache faire
» comme le poulpe, qui se rond semblable d'aspect à la
» pierre où il s'attache; tantôt suis tel exemple, et tan-
» tôt change do couleur; l'habileté vaut mieux que la
» raidour inflexible (xpîecwy-roiooçt'v)yiyv«m àrpoTrivi;).»
Cotte pensée se trouvait déjà dans un ancien poème, épi,
que ou didactique, où le héros Amphiaraos disait ù son
flls Ampliiloquo, au moment de se séparer de lui « Am-
» philoque, mon enfant, inspire-toi do l'exemple du
» poulpe, et sache t'accommoder aux mœurs de ceux
» vers qui tu viendras; tantôt sous un aspect, tantôt sous» un autre, montre-toi semblublo aux hommes parmi les-» quels tu habiteras8. »A vrai dire, ce conseil n'apparte-nait on propre a personne il exprimait une des tendan-
ces du caractère national. Le souple et astucieux Ulysseétait un des principaux héros do l'épopée, et Hermès re-
présentait le même type parmi les dioux.Ordansrhistoirede la littérature, ce qu'avait de dangereux cette souplessenative do la race se montrera aussi clairement que ce
qu'elle avait d'excellent. Elle prendra possession de
l'art avec une facilité remarquable, elle en tirera partibrillamment, mais elle en viendra souvent à se complaire
par trop dans l'exercice do ses facultés. Cicéron nous
apprend dans une lettre que Posidonios de Rhodes (un
philosophe pourtant et des plus graves) et d'autres en-
core, qu'il ne nomme pas, lui écrivaient pour le prierdo leur envoyer des notes sur son consulat ils se char-
geraient ensuite de les orner; « instabant ut darem sibi
1. Théognie,215-218,(Poetœlyricigr&ci,de Bergk,4*éd., t. II).2. Athénée,VU, 102.Voirle commentairede Bergkà proposdu
passagede Théognisquivientd'êtrecité.
8 INTRODUCTION
quod ornarent » On peut voir là sans doute un trait de
la décadence. Mais il ne faut pas oublier quo les déca-
dences no font pas apparaître dans le caractère d'une
race ce qui n'y était pas antérieurement. Déjà Cléon,
chez Thucydide reproche aux Athéniens d'êtro « dos
spectateurs de discours et des auditeurs d'actions »,c'est-à-dire do considérer les luttes des orateurs à la tri-
bune comme un spectacle et les événements comme un
drame émouvant. C'était là le défaut naturel de la qua-lité la plus hellénique. Lorsqu'un peuple dispose de fa-
cultés si promptes et si variées, le danger pour lui, c'est
de s'en servir en virtuose, au lieu de les adapter sérieu-
sement à l'œuvre de la vie humaine.
Si maintenant, outre cette aptitude générale, nous
voulons distinguer chez les Grecs quelques qualités
d'esprit, d'imagination ou do sentiment plus particuliè-
res, voici los principales observations qui se présententà nous.
La race hellénique est essentiellement fine d'esprit« Dès les temps anciens, dit Hérodote, l'Hellène s'est
» distingué du barbare on ce qu'il est plus avisé et plus» dégagé d'une sotte crédulité 4. » Co n'est pas là le fait
d'un temps ni d'un groupe d'individus en particulier.La finesse d'osprit se montre chez les plus vieux poètes
épiques comme chez les grands tragiques du v» siècle
et jusque chez les sophistes de la décadence. Et dans
l'existence même do la nation, elle n'est pas moins ma-
nifeste que dans la littérature. Elle se mêle à la vie so-
ciale, où elle entretient et excite le goût de la moquerie,des controverses, des contes, des apologues, des sonten-
ces ingénieuses; elle cherche et trouve son emploi dans
1. AdÂttic. ,11,1.2. Thueyd.,III. 38,4.3.Ingeniorumacumen.Cie.proFlaeeo,4.4. Hérod., 1,160 'AnsxpiOr, ix naXartépou toû p<xp«âpou ïOveoç xh 'EX-
X>)vixiv, iàv xa1 ttguâtepov xaV eùr,6eci)c f,).cO!ouÔ7rr,).).af névovpâXXav.
LA RACE GRKGQUEET SON GÉNIE 9
les affaires, notamment dans la finance et le commerce;elle domino enfin la vie politique; car, non seulement
à Athônos, mais dans chaque ville do Grèce, nous voyons,
partout où quelque lumière d'histoire vient à nous
éclairer, des hommes qui traitent finement de leurs in-
térêts.
Il ne faut pas se laisser tromper à cet égard par cer.
tains témoignages anciens, trop vilo acceptés, qui ont
besoin d'explication. On oppose souvent, non sans rai.
son, la gravite du génie dorien à la subtilité élégante du
génie ionien; on plaisante encore, d'après l'autorité d'une
fable ésopique, sur la niaiserie des Grecs de Kymé, et on
cite proverbialement la lourdeur des Béotiens. Ce sont
là ou dos vérités relativos fort grossies ou do simplesboutades propagées par la malignité. Les peuples qui ont
l'esprit fin, et par conséquent satirique, sont les plus
portés naturellement à se décrier ainsi eux-mêmes, parl'effet de certaines différences locales dans les maniè-
res ou dans le langage. Il faut bien se garder de les en
croire sur parole. Sans alléguer ici les grande noms lit-
téraires ou politiques de la Béotie, on ne persuadera
aujourd'hui à personne que les artistes ignorés qui mo-
delaient sans prétention les jolies statuettes de Tana-
gra aient été des rustres et des lourdauds. Et quant à
la gravité dorienno, ce serait une singulière erreur quede la concevoir comme une sorte de pesanteur d'esprit
incompatible avec la finesse. Les bons mots des Spar-tiates étaient justement renommés dans toute la Grèce.
Nous en possédons encore, dans la collection des œu-
vres morales do Plutarque, un ample recueil Moins
gracieux et moins légèrement ironiques que ceux des
Athéniens, ils avaient plus de concision et jjj*r§deforce.
i. Plutarque, Apophthegmata laconica et Lccxnarum apophtheg-mata.
10 IN*TI\ODUCTION
Plusieurs sages, célèbres par lours sentences, appurte-naient à la partie dorienne de la Grèce; et lorsque Cieê-
ron, dans son De Oratore, voulait enseigner à aiguiserlas mots spirituels qui sont une arme pour l'éloquence,c'était a tous les Grecs, sans distinction de tribus, qu'ildemandait dos exemptas «J'ai rencontré chez les Grecs,» dit-il, une foule de bons mots les Siciliens excellent» en ce genre, et aussi les Rhodions et les Byzantins,» mais surtout les Athéniens » Les Grecs do Sicile en
général sont pour lui Il une nation une et habite à la» discussion (acuta Ma gens et contraversa natura) s. »>»Jamais, dit-il, uu Sicilien n'est dans un si mauvais pas» qu'il no trouve quulquo bon mot à dire » Il suffit
d'ailleurs d'opposer au génie original de la Grèce lo gé-nie d'un peuple étranger, celui de Rome par exemple,
pour sentir combien la qualité dont nous parlons est
vraiment hellénique. L'esprit romain est sage et fort,naturellement judicieux et précis, mais sa précisionmôme n'a pas l'acuité do l'esprit grec. Plus assuré parlà contre les entraînements téméraires de la logique oules subtilités du raisonnement, combien on revancheil est moins penélrantt t
C'est graso à celte tinasse que les Grecs ont été si tôtet si longtemps dos muitres dans l'analyse morale commedans le raisonnement. C'est par là aussi qu'ils sont de-venus si aisément des sophistes durant certaines pério-des de leur histoire, et qu'il y a eu souvent quelque chosede trop ingénieux chez leurs plus grands écrivains. Il leura toujours été plus facile qu'à d'autres de dégager vive-ment des idées justes, d'apercevoir et do mettre en lu-mière les côtés les moins apparents des choses, mais
1. Cieéron,de Oratore,54.2. Id., Brutus,12.3. Cicéron,inYerrtm,11,43:Nunquamtammaie est-SifîMlW,quia
aliquidfaceteet commodedtcant.
LA RACE GRECQUE ET SON GÉNIE t L
aussi ils ont toujours eu quelque peine à no discuter quece qui mérite d'être discuté, à no chercher que ce quivaut la peine d'une recherche.
En môme temps qu'ils pensaient finement, ils conce-
vaient avec netteté. Les Grecs ont été un peuple d'ima-
gination, mais ils ont cela do commun avec beaucoupd'autres races. On peut croire sans témérité que dans la
tète d'un Indou, d'un Scandinave ou d'un Germain, il ya ou généralement autant d'images, et celles-ci aussi
fortes, aussi vivantes, que dans la tète d'un Grec. Mais ce
qui est propre à la facon de concevoir do ce dernier,c'est quo loulOi ces images qu'il portait en lui-même,et qu'il renouvelait sans cesse, présentaient des formes
simples et des contours arrêtés. Le vague, l'obscur,l'indéfinissable n'y avaient, pour ainsi dire, aucune
part. Tout y était éclairé, sinon également, du moins
suffisamment. Il serait exact do dire qu'il ne faisait ja-mais nuit dans l'imagination d'un Grec. Et comme les
choses démesurées sont forcément par quelque endroit
des choses obscures, toute conception grecque était na-
turellement mesurée. Non quo la mesure en tout soit,autant qu'on l'a dit quelquefois, un trait essentiel du gé-nie hellénique. Los Grecs en ont manqué assez fréquem-ment dans la spéculation philosophique comme dans leur
vie politique. Mais ils la gardaient sans clfort dans les
œuvres de l'imagination. Si cette faculté chez l'homme
est plus que toute autre sous l'influence directe des sens,il semble que l'habitude de vivre sous un ciel souvent
pur et d'avoir sous les yeux des horizons presque tou-
jours nettement limités puisse être considérée comme
la cause première de cette qualité vraiment nationale.
Accoutumé dès l'enfance à ne jamais rencontrer, en
portant ses regards autour de lui, ni l'infini, ni le vague,le Grec ne mettait ni l'un ni l'autre dans les images qu'il
*9 INTRODUCTION
se formait à lui-mémo Le monde do ses souvenirs, de
ses fictions ot do ses fantaisies ressemblait nalurollp-
mont à celui qu'il voyait on réalité autour do lui.
Bien n'est plus instructif à cet égard quo sa mytliolo-
gio. Comme elle hppartient à toutes les tribus grecquessimultanément et a la période la plus ancienne de leur
histoire, elle est particulièrement propre à montrer le
tour d'imagination qui a prévalu dès les temps les plusreculés dans lonsomble de la race. Or n*ast-il pas re-
marquable do voir combien les grands phénomènes na-
turels qui servent do fondement à ses fables y ont pristout d'abord des formes nettes et simples, aussi arrêtées
dans lour physionomie que dans leur contour! La plu-
part dos dieux y apparaissent comme des êtres humains.
S'il reste par hasard en eux à l'origine quelque chose de
maldéfini la poésie travaille instinctive monta l'éliminer
On se los représente comme environnés de lumière
Loin de restof à demi plongés dans l'inconnu et dans le
mystère, ils on sortent tout entiers pour s'offrir à l'es-
prit dos croyants dans leur beauté sensible. Et lors mémo
que leur nature première so prête le moins à cotte trans-
formation, ou la leur impose encore autant que possible.
Quand l'imagination grecque personnifie l'éclair et la fou.
dre, les tempêtes, les tourbillons, les éruptions volcani-
1. Onconnaîtlesbeauxvers de la Médéed'EuripideaiproposdesAthéniens $(p£i|i:voixXeivoiâtavtrofîav,«el8ià).a|tnpoT<xToupatuov-n; àSpw;ai&èpo;,x. t. i. Cic, de Nat.fleor.,II, 16 Etânimlicetvidereaeutioraingéniaet ad intelligendumapUoraeorumqui terrasiacoUnteas in quibasaeraitparas ac tennis,quamillorumquiutan-tur crassocœloatqua coucroto. E. Reclus,Nouvellegéogr.univ.,Europeméridionale,p. 89 a Cequi ravit l'artistedans les paysagesdusgolfesd'Athènesetd'Argcs,ce n'estpasseulementle bleude lamer,le sourireinfinidesflots,la transparencedu ciel,la perspectivefuyantedss rivages,la brusquesailliede3promontoires,c'est aussile profilsi puret si netdes montagnesauxassises decalcaireon demarbre on dirait dusmarn»»arehiteetarsles,et maint templequitescouronnene paraitqu'enrésumerla forme.»
L\ RACE GRECQUE ET SON CJÉNIE 13
qnos, c'osl-ù-diro dos forças immonses et déehainéos, elleles simplitio elles limite le plus qu'ell» peut, Ou no trouve,rien absolument dan» la mythologie grecque d'analogueaux concoptions immenses et fantastiques do l'Indo ni auxrêves obscurs do la raco soandinavu. Les Cyclopes, les
Hécatouchiros, /Ëgéon et Briarôo, Typhœus et los Titans,dans tour Uitto contre los Oljinpit-ns, sont a.ssuréiuoiitoo qui s'on rupprooho lo plus; mais il est visdilo quo la
poésie grecque, lursqu'eUo les représente, fait tout .-»ia
possible puur les rendre uiséniuiit concevables sans olro
trop inOdolo à l'idée promièro qui les a créés.; et il faut
hjuiiUt que bien loin do so complairu nrdinairoment àces iniages, t«lloles a au contraire do plus on plus négli-gûes. Los dieux les plus aimés des poètes unt été les
plus humains.
Cette noltcté plastique do la concuption est un desmérites les plus attrayants (le la littérature hellénique.Dans lo domaine do l'imagination, tout pour les Grecsest clair, tuut «st sensible, et comme ces formes si puressont do plus bien vivantes, elles ont par là même quel-que chose qui charme vivement et qui satisfait. Toute-fuisces qualités on oxclueut nécessairement d'autres, outout au moins les restreignent d'autant. L'obscurité a sa
poésie comme la lumière ot ce qu'on croit entrevoir à tra-vers t'ombre est bien souvent ce qui émeut le plus for-tement. Les Romains ont eu poul-ôlro plus que les Grecsce sens de l'invisible et de l'insaisissable. On trouveraitdans Lucrèce et dans Virgile do cos vers profonds quinous font sentir ce qu'on no peut voir, et qui ouvrent à
l'imagination des perspectives mystérieuses pleines derêve ou d'olfroi
ImpiaqueseUrnamtimueruntœcula noctem.
Et pourtant les Romains non plus n'ont pas été par na-ture les poètes du mystère. Cette admirable faculté de
14 INTRODUCTION
rêver en dehors do toutes tua formes précises et de sen-tir au dolà. dos sensations déllmes ot limitées, nous latrouvons bien plus dans los poèmes do l'Indojot les ra.ces germaniques et scandinaves l'ont communiquée plusou moins à presque tous les peuples modernes Chezles Grecs, au contraire, elle est relativement faible. En
revanche, tour netteté do conception les suit jusque dansles choses abstraitos, ot là aussi elle a ses avantages etses inconvénients. Aucun pouplo n'a donné à la meta*
physique plus de réalité concrète. Non seulement los phi.
losophes poètes des premiers temps se font une mytho-logie à eux qu'ils substituent à la mythologio populaire;mais, on plein règne de la prose, les disciples do So-cralo ne procèdent pas autrement. Platon se crée unmoado do dieux avec ses Idéos, il les voit revêtues doformes merveilleuses et il nous les décrit. Les générali-sations les moins substantielles dovionnont ainsi vivan-
tes on leur prête, pour ainsi dire, une physionomie eton se les rond familières. C'est un grand plaisir assuré-
ment, mais n'ost-co pas aussi un danger pour la scienceot pour la saino rai ion? LesGrecs ont mis dans le mondeà eux seuls plus d'entités métaphysiques que tous losautres peuples ensemble. Combien n'y a-t-il pas de cesfantômes qui ont l'air d'être quelque chose et qui nesont rien 1C'est la finesse et la curiosité de leur espritqui on sont principalement coupables, si l'on veut; maisleur manière do concevoir n'y a t-elle pas aussi contri-bué pour uno largo part?
Il faut tenir grand compte encore dans l'étude do lalittérature grocquo d'un trait de caractère qui n'est pas
simple, mais qui résulte de presque toutes les parlicula-
t. VictorHugo,Feuillesdautonine,XXXI.Car l'âmedupoète,âmed'ombreet d'amour, c-,Est une fleurdoituuiU %u!o'ûimeaprèsla jour
Et s'épanouitans étoiles.
LA RACE GRECQUE ET SON GÉNIE 15
rites déjà décrites. Bienquo la tradition y ait une grandeforce, la liberté individuelle y éclate partout. Ouvoit les
mômes sujets so porpétuer à travers do nombreuses gé<aérations de poètes, mais presque jamais l'autorité des
prédécesseurs n'asservit complètement les nauvoau-ve-
nus, S'ils acceptent si aisément les exemples donués.c'ostmémo tout juslomont parce que ces exemples ne les gê-nent on aucune façon, fis ont uno manière à aux de s'ensi
.servir quin'impliqiieaueuno soumission proprement dite,
l/usagedes sujets anciens et môino d«s formes cousucrocs
est pour uux connue celui du langage tout le monde
s'on sort, sans croire pour cola imiter personne. Surtout,ci' qu'on no rencontre guère dans la littérature grecque,ce sont ces influences prédominantes qui chez presquetous les peuples ont substitué d'une manière plus ou
moins durable uno vérité morale «le convention à la vé-
rilû naturelle. Lo Romain a généralement uno certaine
dignité sénatoriale et consulaire qu'il porto dans tout ce
qu'il écrit; il se fait un rôle à la hauteur de sa situation
dans lo monde, et il n'exprime que les sentiments quis'y accommodent. On pourrait écrire en télé d'une histoire
do la littérature latine
Ta regtre imperiopopulos,Romane,mtnunto.
Dans nos littératures modernes sans exception, le même
fait s'est reproduit, Le moyen âge est mystique, chova-
loresquo et scolastique. Le xvi6siècle est érudit et par-fois pédant. Le xvn6, scit en France, soit on Angleterre,soit en Espagne, subit la mode de la galanterie raffinée,du bel esprit, et souvent celle du point d'honneur castil-lan. Les plus grands génies oux-mèmos, les Shakes-
peare, les Cfaideron, les Corneille sont plus ou moins
'^servis à ces conventions. En Grèce, au contraire, il est
difficile, jusqu'à la période alexandrine, de signaler
quelque chose d'analogue. Et dans la décadence même,
18 INTRODUCTION
lorsque la génie hellénique n'a plus auaai clairement
conscience dosa force ni do son originalité, commo cette
liberté native réparait parfuis avec éclat t Enface do Pline
et de Tacite, si romains l'un et l'autre, voici Pluiarquo,avec sa bonne et charmante nature hellénique, si naï-
voinent humaine sous la forme un peu maniérée que son
temps lui impose. Entin quand un Syrien, comme Lu-
cien, s'est fait grec par toute son éducation, par toutes
ses lectures, par sa vio tout entière, quelle franchise no
trouve-t-il pas dans cet hollénismo devenu pour lui une
seconde nature Eu fait, los Grecs ont été constamment
plus voisins qu'aucun autre peuple do la simple vérité
humaine. Ce sont eux qui l'ont lo moins perdue de vue
on tout temps ot qui l'ont toujours le plus aisément
retrouvée. Par la hardiesse du jugement, par la fan-
taisio do l'imagination, par la sincérité naïve ou réflé-
chie des sentiments, l'ilollèno échappe a tout co qui
pourrait gêner l'essor de sa nature Rien d'artificiel na
vient se superposer en lui a la pure humanité. Les ca-
ractères propres qu'ollo prend dans ses couvres sont ceux
dont il no pout pas so disponsor, parco qu'il los porteréellement en lui. Ils ne tiennent ni à un rôle accepténi à une discipline quelconque.
U nous reste à dire quelques mots, pour terminer
ceci, de ce qu'on pourrait appeler la disposition morale
prédominante de la race hellénique rien on effet n'in-
téresse davantage l'histoire littéraire. Des divergences
dignes d'attention se sont produites à ce sujet parmi d'é-
minents critiquos. Pour los uns, l'insouciance et la
gaieté, voilà le fond du caractère hellénique. « Les
« Grecs, dit M. Renan, en vrais enfants qu'ils étaient,» prenaient la vie d'une façon si gaie que jamais ils ne
1. Delà cettepersonnalitési originaledequelques-unsdesBrands'hommesdela Grèce.Onnetrouveraità Romeni un Socrate,ni unDiogène.Calonle Censeur,comparaà eux,sembleraideet gourmé.
LA BACEGRECQUEET SONGÉNIE |77
Hist de la Litl. Grecque. T. I. 2
» songeront à maudire les dieux, à trouver la nature» injusto et porfide envers l'homme » Et ailleurs le
même écrivain nous parle do « cette jeunesse étornelle,» do cette gaieté, qui ont toujours caractérisé lo vérita-» ble Hellène, et qui, aujourd'hui encore, font que le» Grec est commo étranger aux soucis profonds qui» nous minent » D'autre part, l'auteur du Sentiment
religieux en Grèce, M. Jules Girard, qui a senti si pro-fondémenl l'i\me hellénique, prend le contre-pied do ces
affirmations. « JI y a eu on réalité chez le Grec,dit-il,m un souci do lui-même, do sa condition et de sa desti-« née, qui s'éveilla on môme temps que sa brillanto» imagination, qui mit dans ses premières œuvres,
quelque énergiques qu'elles fussent d'ailleurs, un ac-
» cent do plainte dont rien chez les modernes n'a dé-» passé la force pathétique » Ce qu'il y a do véritédans cette dernière opinion, nul ne peut sérieusement
le méconnaître. Mais si ello représente avec force lorésultat d'un examen érudit et attentif, la première ré-sumo à grands traits, avec une exagération sans doute
volontaire, une impression générale, qui, malgré lescorroctions indispensables, demeure juste dans son en-semble. Assurément les Grecs avaient l'esprit trop îinet le jugement trop libre pour ne pas s'aviser de bonneheure de tout ce qu'il y a d'obscur dans la conditionhumaine ot d'injuste ou d'irritant parfois dans la mar-che des choses. Il était impossible en même temps queleur vive sensibilité ne souffrit pas des misères de lavie. Mais s'il s'agit do constater la disposition morale
qui prédominait en eux, celle qu'on peut observer le
plus souvent dans leur littérature, il parait bien vrai
que ce n'était pas en somme cette conception triste des
1. Ia*Apôtres,p. 388.2. Ibid., p. 339. Cf. E. Beclus. ouv. cité, p. 61.
3. LeSentimentreligieuxen Grèce,2"éd., Paris, 1819,p. 6.
*8 INTRODUCTION
choses que les modernes ont souvent exprimée et qui80 montre aussi chez quelques écrivains latins. Us pou.vaient sans doute s'écrior avec Théognis, dans un mu.mont d'affliction ou de révolte « l,a meilleure des» chuses pour l'homme, c'est de no pas naître» de ne» jamais voir la lumière éclatante du soleil une fois» né, c'est di> franchir le plus tôt possible les portes» d'Aïdès, et de se coucher dans la tomhu on amassant» la terre sur sa tête ».Maisil y a loin de ces plaintesaccidentelles qui échappent parfois aux natures los moins
mélancoliques, à une habitude profonde de lu pensée etdu sentiment. Toute la poésie des Grecs est en détini-tive la poésie do la vie; lour idéal constant est un idéaldo jeunesse et de beauté, qu'ils cherchent sans cesse ùréaliser et auquel ils aiment à attacher leur pensée. Lagrande cause de la tristesse habituelle, c'est-à-dire losentiment profond d'une disproportion constante entrece que l'on conçoit et ce que l'on fait, entre co que l'ondésire et ce que ton obtient, cette causo intime de laplainte moderne, les Grecs l'ont ù peine connue. Quel-quos penseurs parmi eux ont pu s'en douter mais larace grecque, dans son ensemble, a été, plus que touteautre, amie do la vie, jouissant de ses pensées et doses sentiments, et portée par nature à un optimismetoujours actif 3.
Voilà, dans ses traits généraux, le type helléniquetel que nous le concevons. L'histoire do la littérature
1. Théognis,«3-428,Bergk.t. Théognis,4~3-428,Berék.2. Aristote[Problèmes,XXX,1)se demandepourquoiles hommes
supérieursdans la philosophie,la politique,la poésie ou les artssontgénéralementmélancoliques.Sansdoutesonobservationportaitsurtout sur desGrecs,mais elleneleur étaitpaaspéciale.Si elleestcomplètementjuste, cequipeutêtremis en doute,ondevraiten con-cluresimplementqueles grandshommesen Grècen'ontpas échappétraità fait à une loi générale,mais il faudraitbien se garder dechercherlà un trait de caractèrenational.
LA LANGUE GRECQUE 10
grocquo tout ontière, vue do haut, n'est que ]o déve-
loppementdo ces observations fondamentales.
II
u\ i-anuui; ghecque.
La langue d'un peuple est la première révélation lit-
téraire de son génie. Elle est ollo-mômo une œuvre cle
l'esprit, et toutes les autres œuvres de l'esprit dépen-dent d'elle. Quello que soit l'importance de l'élément
héréditaire qu'elle renferme, son originalité propre,dès qu'elle on a une, manifeste de la manière la plus
frappante les qualités do la race. Elle devient une dos
formes do son idéal, et elle exorco son influence sur
tout co qui se fait désormais par la pensée et par le
sentiment. C'est uniquement à ce point de vue, tout à
fait différent de celui des linguistes, que nous voulons
considérer ici la langue grecqueDès les premiers temps de la littérature, la langue
grecque a été finemont et musicalement accentuée.
Dans toutes les langues modernes do l'Europe, y com-
pris le néo-grec, l'accentuation consiste essentiellement
en un renforcement do la voix sur une des syllabes de
chaque mot. Par une conséquence qui nous semble
aujourd'hui nécessaire, la syllabe accentuée s'allonge.11n'en était pas de mémo dans le grec ancien. L'accent
t. Onpeutrenvoyeraujourd'hui,pourl'ensembledesquestionsre-lativesà la constitutionde la languegrecque,à la Grammairegrec-quedeK.Brugmann(Handbuchd. klassischenAtterlhums-WissenschafldeJ. vonSfulïer,t. II). Onytrouvera,pourchaquequestionen par-tieulier,unebonnebibliographie.– Toutcequiconcernela pronon-ciation.doitêtre surtoutétudiédansBlass, VeberdieAtmprachedesGtièi!iiav/tm.3"éd. 1888.
3Q INTRODUCTION
y était surtout mélodique. 11 avait pour effet principal
do faire prononcer la voyelle accentuée sur un ton plus
aigu. Entre cette voyelle et les autres, l'intervalle, se-
lon Donys d'Halicarnasse, était d'une quinte Que lé-
lévation de la note sur la syllabe aceontuéo ait eu pou
à pou pour conséquence do faire prononcer cette syllabe
avec plus do force et do l'allonger, c'est ce qui résulte
clairement de l'histoire même do l'accent grec, devenu,
dès los premiers siècles de notre èro, à pou près sem-
blable à ce qu'il est aujourd'hui dans le néo-groc. Cette
transformation fut graduolle, et il n'est pas douteux
qu'elle ait commencé à se produire de bonne heure
mais il ost certain aussi que, pendant toute la période
classique et encore au temps de Denys d'Halicarnasse,
c'était le caractère mélodique (et non le caractère
rythmique) qui prédominait dans l'accent, au moins
parmi ceux qui parlaient avec élégance et correction.
On élevait la voix sur la syllabe accentuée, mais on ne
la renforçait que faiblement. Voilà pourquoi la versifi-
cation grecque classique est complètement indépendante
de Pacconl rien no prouve mieux à quel point celui-
ci différait dans l'antiquité hellénique de ce qu'il est
aujourd'hui. La transformation ultérieure de l'accent
entraîna la disparition de ce système de versification
on est en droit d'en concluro qu'il ne se seraitjamais
établi si l'accent eût été à l'origine ce qu'il fut dans la
suite. Quand la syllabe accentuée fut distinguée des au-
tres par un renforcement très sensible de la voix et
qu'elle fut devenue la seule syllabe longue du mot, les
1.Denysd'Halic, Arrangementdesmot»,ti i AiaUxxwpiv»5v|>gXo«*v\{urptlteuei««T»)|iim*$Xeyo|Uv%>«tairfvtt,&i?TY"«»'Un ton*lePaB*
sagequiest fortcurieux.Onyvoit notammentqueles syllabesfrap-
péesdel'accentcirconflexeétaientà la foissigneset graves,c'est-à-
dire que la voix, en les prononçant,passait rapidementd'un ton
élevéà un tonplus bas. L'effet.devaitêtreceluid'unevéritablemo-
dalationmasïcale,d'ana sortedechantatténué.
LA LANGUE GRECQUE 31
vers d'Homère et do Sophocle sonnèrent faux. U fallutcréor un système de versification fondé sur l'accent,
puisque celui-ci avait Ont par tout absorber. Mais pon-dant do longs sièclos, los trois éléments essentiels de la
musique du langage, à savoir l'intensité du son, sa du-
rée et son acuité, étaient restés distincts et indépen-dants les uns des autres. L'accent grec était donc
délicat autant quo musical Il so posait avec légèretésur les mots sans les écraser ni les déformer. C'était une
liuo note qui faisait ressortir une syllabe, mais quilaissait discrètement aux autres leur valeur. II était en
outre varié. Au lieu do s'attacher exclusivement, comme
l'accont latin, à la pénultième et à l'antépénultième, il
se portait fréquemment sur les finales; et lorsque cel-
los-ci terminaient un membre de phrase, cotte tonalité
élevée frappait vivement l'oreille Dans l'intérieur des
phrases, au contraire, ollo s'atténuait volontairement,
afin de lier les mots les uns aux autres et de donner au
langage plus do fluidité. En somme, par le caractère
général de l'accentuation, la façon de parler des Grecs
devait produire surtout l'impression d'une facilité élé-
gante et variée.
Le môme caractère se montrait dans la constitution
intime des mots on ce qui concerne le groupement des
sons et leur prosodie. Il suffit de lire comparativementune phrase de Xénophon et une phrase de Tite-Live
prises au hasard, pour remarquer immédiatement com-
bien diffère dans les deux langues le nombre propor-
i. Quelquesdialecteslocaux,en particuliercelui de Lesbos,fai-saient exceptionà cet égard (R.Meisler,DiegriechisekenDialecte,Koettingen,1883,1, p. 31et suiv.); maiscen'est là qu'uneparticula-rité sansImportanceau pointde vuegénéralquiest le nôtre.Quantà l'accentuationdorienne,malgréses caractèrespropres,elle ne de-vait pas différersensiblementdu type que nous représentonsici(Ahrens,deDialectodorica,Gottingœ,1843,p. 26;R.Meiater,Bemvr-kungensur dorischenAccentuation,Leipzig,1883).
23 INTRODUCTION
tionnol des voyelles et dos consonnes. Pour une même
quantité do voyelles, le latin emploie environ un quartde consonnes do plus que le grec. Et pourtant la langue
attique, qui est celle de Xénophon, est beaucoup moins
riche en voyelles que celle d'Homère, qui l'est elle-
même beaucoup moins quo celle d'Hérodote. Si l'on éta-
blissait une proportion moyenne, elle serait donc encore
plus favorablo au grec. Parmi les langues littéraires
modernes, l'italien seul lui est comparable à cet égard.Mais ce n'est pas seulement par le nombro relatif des
voyelles que le grec est remarquable c'est aussi et
surtout par leur indépendance. Le mot grec wspi&pspan'a que cinq voyelles comme le mot latin correspondant
circumfercbat, mais trois voyelles au moins du mot la-
tin s'unissent dans la prononciation aux consonnes
suivantes et forment avec celles-ci des sons composés
(cir, cum, bat), tandis que les cinq voyelles du mot grecsonnent avec puroté, comme si elles étaient isolées. Il
est à remarquer aussi quo les cinq voyelles du mot
grec sont brèves, tandis que, sur les cinq du mot latin,trois sont longues. En général les voyelles brèves
étaient très nombreuses en grec, bien plus nombreuses
qu'en latin. Dans le vers épique latin, c'est le spondéequi domino, surtout avant Virgile dans Homère, c'est
le dactyle. Ces syllabes brèves échappaient naturelle-ment au renforcement de la voix, à cotlo augmentationd'intensité qui paraît s'être produite très anciennement
pour les syllabes longues par l'effet même de leur du-
rée plus grande. Il en résultait que le rythme généralde la prononciation grecque était plutôt facile et coulant
que coupé et comme martelé par des intonations vigou-reuses.
La netteté et la finesse de l'articulation devaient parsuite donner au langage beaucoup de grâce c't de clarté
sans exiger un grand effort dos organes. Il est possible
LA LANGUE GRECQUE 93
qu'à l'origine, dans la période préhistorique, cette qua-
lité ait môme été voisine d'un défaut. 11devait y avoir
dans la langue grecque trop do sons simples formes
d'une voyelle soit isolée, soit accompagnée d'uué seule
consonne Sous coito forme, ello pouvait manquer un
pou do vigueur et gardor quelque chose d'enfantin.
L'instinct populaire y remédia de bonne heure en res-
sorrant les syllabes, principalement par les contrac-
tions. Dans la poésie épique lu plus ancienne, nous les
voyons déjà fort on usage. A côté dos formos archaï-
ques, qui sont ouvertes et décomposées, nous en trou-
vons d'autros plus récentes et plus resserrées (par ex-
emple les génitifs on ouà côté des génitifs anciens onow
et on oo).Onsont que la languo achèvo alors do se dégager
do ses manières primitives ot qu'elle tend à un mode
d'expression plus concis et plus viril. Ce progrès, malgré
certains temps d'arrêt (par exemple chez Hérodote),
s'ost poursuivi dans la périodo historique, et le dialecte
attiquo l'a mené à son terme naturel, fort éloigné en-
core de la gravité un pou pesante du latin *>
Le système primitif des consonnes a quelque peu
souffert de cotte fatalité de la prononciation. Dès la
période préhistorique le sigma, non sonore, entre deux
voyelles, avait presque complètement disparu; et le
digamma, qui a subsisté longtemps dans le parler po-
pulaire et même dans l'orthographe des inscriptionson dehors des pays ioniens et attiques, n'a exercé que
peu de temps son influence sur la langue littéraire. Il
y avait là le germe d'un inconvénient qui aurait pu de-
venir grave. Les mots, en s'altérant ainsi, s'éloignaient
i. O.Meyer,Grieeh.Gramm.,Leipzig,1880,§ 122 Ammeistenhat
das Ioni'icheHérodotegetrennteVocalegednldet;am weitestenin
der Contractiongeht das Attiseho;dieabrigen MnndartennehmeneiueHUloîstelluiigein, stolienaber im allgemeiueu«IeiuIouischentueherats demAttisehen.
34 ISTROOCCTION
trop do leur forme primitivo, et leurs relations mutuel-los devenaient plus obscures en outre la prononcia.tion perdait do sa force et par conséquent do sa valeur.Mais un sentiment instinctif des qualités nécessairesdu langage empêcha ce double dommage do so pro-duire. Après s'ôtro adoucie et allégée, la langue restaencore vigoureuse et suffisamment fidèlo à ses origi.nos
Une chose particulièrement digne d'attention en grec,c'est la nature des finales. Les mots, quels qu'ils soient,ne se terminent jamais que par des voyelles ou paruno des trois consonnes sonores v, p, ç, cette dernière
simple ou composée, et $. Les Grecs fuyaient doncinstinctive mont les désinences sourdes ou rudes. Par
suite, les mots so liaient les uns aux autres avec unefacilité extrême, et la lluidilé du langage on était ac-crue sans qu'il perdît rien on netteté.
Voilà pour la prononciation. La formation des motsmérite aussi quelques remarques. Lo fonds primitif duvocabulaire et les procédés do dérivation familiers au
grec n'ont rien de particulier nous retrouvons dans
d'autres langues de mémo famille, et en latin notam-
ment, les mémos racines et l'emploi de suffixes analo-
t. Les déformations de mots dont il est ici question sont sensibleslorsque l'on compare le grec au latin, par exemple l'éolien «C»; (poura-j<j«;) et l'ionien r,w; au latin aurora, le grec t<k au latin vina. Ontrouve dans Hesycliius des formes telles que xaîvîta pour xa<nr»n"|.On ne peut nier, ce me semble, qu'il n'y ait là un excès. Une langues'affuthlit en effaçant ainsi des artieulations caractéristiques. Mais lesGrecs ont en général résisté avec beaucoup de goût à ces tendancesfâcheuses. Les aspirations ont toujours tenu une grande place dans lelangage. malgré quelques divergences dialectales. Denys d'IIalicar-nasse les louait avec raison (Arrang. des mots, 14 Kpcrrurra jtivoîv loxiv ooa toi ?mv|ucT( no).Xrâ)if£Tat. rà 8i Sa<nctxal tJ)v toO mit-
fiato; itpoa6r,XT,v(ïyu) S><ml-(yvt toO TtUtirara elvai ixiXvtx.Et il est a
remarquer que l'usage vulgaire distinguait à peine les muettes fortes(s. x, t) des aspirées correspondantes (G. Meyer, Gr. Gr., g296).
I.A LÀKGCE GBECOUK 25
guos, qui permettent de tirer d'une seule racine»un grandnombre do mots. Il no semble mômepasqu'ily ait dodifférence bien uotable à cet égard entre les ressource anaturelles des doux langues. Mais lo grec a boaucoup plusprofité des siennes que le latin. C'est le développementintallectuol du peuple qui a produit celui du langage. Amesure qu'ils ont inventé la rhétorique, la sciencemorale, la politique, la philosophie, les Grecs se sontfait sans poine un vocabulaire spécial et complet pourchacune do ces études nouvelles, et ils n'ont ou besoin
pour cola de rien emprunter à personne. Avant mêmela naissance des sciences proprement dites, la variétéde la vie chez ce peuple aux sensations fines et multi-
ples avait eu pour effet naturel de susciter dès les tempsanciens un langage remarquablement riche. La mômeidée était exprimée do plusieurs manières, entre les-
quelles la finesse naturelle do la race établissait bien-tôt dans l'usage dos nuances délicates
En co qui concerne les mots composés, la comparai-son du grec et du latin est particulièrement instruc-tive. La faculté d'associer plusieurs racines ou plusieursradicaux pour on constituer un terme nouveau est com-mune originairement aux doux langues. Mais peu miseà profit parles Latins, elle s'affaiblit chezeux de bonneheure au point de disparaître presque entièrement.Cola tient, semble-t-il, à ce que leur esprit, moins dé-lié et moins analytique, confondait les idées ainsi asso-ciées, de telle sorte qu'elles leur apparaissaient bien-
». Comparerparexempleentreeuxlesmotspivo;,(iî-vîç,̂êio;,>-tôt, faiirf;qui appartiennenttous simultanémentà la languehoméri-queavecle sens plusou moinsaccusédecolère.La différenceentrextXo;et x<Sto;estbien sentieet finementindiquéedans cesvers ill.,I, 81)
ef irep Y<4pte X*» Y* «^ <&Apap xmatdtyy,iiXi te xal |UT4m<r8ev tgti xitov, ôçpat TgXéwn),i» orrjtawiv M<ti,
36 INTaODUGTlQX
lût ensemble comme une idéo simple lu distinction
primitive dos éléments sVITuçaitet la notion composai)devenait un tout indivisible». Phénomène bien sensible
encore, mémo pour nous, dans dos mots tels que opù
/et, artifex, tubieen, et une foule d'autres, que l'espritno songe plus à décomposer, tant leur dualité urigi-nelle a disparu. En fait, dans les mots composés latins,l'un des radicaux, perdant li pou près sa valeur propre,
n'est plus qu'un suflixo. et lu composition n'est guèredos lors qu'un procédé particulier do dérivation. Voilà
pourquoi elle a cessé bientôt do s'exercer comme une
fond ion régulière dans la vie du langage. Combien les
choses no sont-elles pas différentes à cet égard citez les
Grecs 1 Pour eux, co jeu de l'intelligence, groupant des
éléments divors de pensée dans dcs combinaisons nou-
velles et toujours vivantes, était aussi facile qu'agréa-blo. Leur esprit vif et leur imagination uotle ne per-daient jamais do vue complètement les idées ou les ima-
gos distinctes qu'ils se plaisaient ainsi à rapprocherdans dos composés ingénieux ou sonores. Chacune d'et-
los gardait une part do sa valeur propre, tout en met-
tant, pour ainsi dire, l'autre en commun. Rieu do plusaisé it constater dans les cpilhèlos do l'ancienne poésie
épique par exemple. Mais peut-être l'étude de la prose
classique ost-elle encore plus décisive à cet égard. Sans
doute les composés qu'on peut appeler descriptifs y sont
devenus fort rares, mais l'aptitude à grouper les idées
sans les confondre se montre aussi vivante qu'autre-fois. Tandis qu'en latin, les verbes composés n'admet-
tent guère qu'uno seule préposition modifiant In sens
du vorbo simple (jacio, injicio) 1, dans la prose grecquela plus pure les verbes composés avec doux et môme
trois prépositions no sont pas rares s.
1. Madvig,Gramm,Int., §906,a, K«m,T(trp.rt.netiiwTheil),2. Dansun verbetelquenposgôyeivparexemple,quel'on rencontre
LA LANGUE GRECQUE 37
Le système de la déclinaison grecque offre un cas demoins quocolui de la déclinaison lutine et on généralsi l'on compare l'état où il se présente à nous danslu période historique avec celui de l'ùgo antérieur, on
y remarque une tendance prononcée it simplifier La
languo s'allégeait do tout cequi lui semblait inutile. Unseul et mémo cas, lo génitif, par exemple, traduisaitassez clairement dans l'usage des rapports de naturetrès diverse. Cela suffisait ù faire abandonner l'ablatif,comme superflu. Toutefois, dans celte simplification pro-gressive, la langue grecque, par un phénomène eu.
rieux, a longtemps garde les formes du duel, commes'il en coûtait il ces imaginations nettes de n'établir au-cun intermédiaire entre un et beaucoup.
Le système de conjugaison, bien que simple aussi,lorsqu'on lo compare ù colui de la langue sanscrito parexomple, est cependant complexe, relativement à la sé-rie dos flexions du verbe latin Los Grecs ont plusde formes verbales synthétiques que les Latins. C'ostainsi que nous trouvons ongroc un modo de plus qu'enlatin, l'Optatif, un temps de plus, l'Aoriste, et des formes
temporelles plus nombreuses pourl'Infinitif et lo Parti-
chezHérodoteet chez Thucydidepour dire conduhvle premierdestroupeshorsdu camp,le sensgénéraln'est intelligiblequ'autant quechacundes trois élémentsconstituantsgardetoutesa valeurpropre.Et lorsqueThucydideencore,et aprèslui Xénophon,se serventduverbeàvteite(iévai,ils exprimentdans un seulmot quatre idéesdis-tinctes(1»aller,2»horsducamp,3°Ill'attaque,i'potir répondreà celledel'ennemi),dontaucunene disparaitdansl'ensemble.Detelsexem-plesmontrentd'unemanièreconcluantecombienla facultéd'analyse•Haitinhérenteà l'esprit grec.
1.Ontrouveengrec,commeenlatind'ailleurs,la tracedeplusieurscasperdus un locatif,uninstrumental,un ablatif. Voy.Brugmann,oub.c, g US.
2. G.Curtius(DasVerbumd. griech.Sprache,Leipzig,1876;Intro-duction)a dresséune intéressantestatistiquedes formesverbalesdansles irote tangues,qui permetde faire aisémentla comparai-sou.
«8 INTRODUCTION
ripe, en outre une distinction bien mieux observée en»
tro les désinences dostnmps primaires et celle des tempssecondaires, nous y rencontrons aussi, côté de la voix
active et de la voix passive, une troisième» voix, appeléemoyenne, qui permet de marquer par une simple dési-
nonco des nuances délicates dans la manière d'onvisa-
gor le rôle du sujet. Do cotte comparaison, il aorait très
inexact de conclure que les Grecs aient pu traduire dans
leur langage beaucoup de modifications particulièresd'idées ou de sentiments qui échappaient aux Latins.
Rn réalité ceux-ci disaiont à peu près les mômes cho-
ses par d'autres procédés, et c'est encore ce qui nous
arrive à nous modernes, qui parlons des langues plus
analytiques. La différence caractéristique n'est donc pasdans le nombre ni dans Id nature dos idées exprimées,mais dans le mode d'expression et dans l'état d'osprit
qu'il suppose. En général, comme on le sait communé-
ment aujourd'hui, le procédé synthétique a prédominédans l'histoire des langues, avant le procédé analytique.Il correspond à une certaine phase do l'évolution du
langage. Ses avantages et ses inconvénients sont aisés
à concevoir. Il donne à la langue quelque chose de ré-
gulier et d'ordonné dans la variété il permet do cons-
tituer autour d'un même radical des séries de formes
parallèles, rattachées les unes aux autres par l'analo-
gie et pourtant différentes par là il a une sorte de
beauté qui tient do celle des œuvres d'art. En outre, il
condense plus fortement les pensées, il met plus de sons
et de valeur dans chaque mot, il en fait des groupes
pleins de vie. Mais l'inconvénient apparaît dans l'a-
vantage même. L'emploi d'un tel procédé est difficileil exige de l'esprit trop d'attention, trop de suite, tropde régularité il crée des formes trop voisines les unes
des autres, entre lesquelles le discernement exact ne
peut être fait dans l'usage que par des intelligences ou
LA LANGUE GRECQUE 39
très fines ou très patientes. Voilà pourquoi les peupleschez qui l'irU^lligonce est plus solide que fine, ou chez
lesquels la préoccupation prutiquo prédomine ordinai-
rement sur le sons de l'art, ont on général fort peuusé de co procédé ou l'ont abandonné de plus en plus.A co point do vue, lu langue grecque représente une
sorte do juste milieu remarquable. Elle mélange on efftt,dan* ses procédés d'élocution, la synthèse et l'analyseavec une liberté et une grâce tout a fait particulières.Ello doit aux procédés do l'une cotte régularité, cetterichesse do formos, cette beauté d'ordonnance et do
symétrie, qu'aucune autre langue classique ne possèdeau môme degré. Mais en môme temps, elle emprunteà l'autre une vivacité, une clarté et aussi une aisance
qui ne sont pas moins remarquables. Elle est ainsi éga-lement appropriée à la prose et à la poésie, aux discus-
sions et aux descriptions, aux besoins du langago cou-
rant et à ceux de l'art oratoire. Et pour en revenir au
point particulier que nous traitons en ce moment, nulle
part cet heureux tempérament ne se révèle mieux quedans la série des formes verbales. La conjugaison grec-que a autant de voix qu'il y a do manières réellement
distinctes d'envisager le rôle du sujet, autant de modes
qu'il y a de façons essentielles pour l'esprit de conce-
voir une action, autant de temps qu'il y a de grandesdivisions possibles dans la durée. Mais dans l'usage,les Grecs, sans s'asservir à une régularité gênante, ont
laissé tomber ce qui était surabondant, ont substitué
le procédé analytique au procédé synthétique là où ils
y ont vu quelque avantage, et ont déterminé avec
une finesse judicieusela valeur exacte des formes qu'ilsconservaient
i. Il suffitde parcourirune liste des verbesgrecsdits irréguliers,pnnrremarquercombiende formes,naturellementindiquéespar l'a-nalogie,la languegrecquea laisséestomberen désuétudeou peut-
80 INTRODUCTION
Si de l'étude des flexions, nous passons à celle do la
syntaxe, ce qui appelle notre attention, c'ost encore la
liberté intelligente et ingénieuse qui s'y associe tout
naturellement a l'ordre. Quand la langue grecque éta-
blit une règle, e'est-a-dire un usage certain et généra-
lement appuyé sur uno raison, il est rare qu'elle s'y
assorvisso. Ello », pour ainsi dire, sa logique à e^°>
souple, légère, artistique, qui n'est pas du tout la lo-
gitluo impérieuse et inilexiblo do l'école. l»ar oxomplo,
colle-ci, aveu son dogmatisme absolu, défend de moltro
au passif un verbe qui ne comporte pas à l'actif de coin*
plument direct et les langues qui aiment les lois rigou-
reuses lui obéissent ponctuellement. Nous disons en
français je nui* à quelqu'un, et, comino ce quelqu'un est
complément indirect du verbe nuire, nous n'osons pas
diro je suis nui par que/qu'un. Il y aurait là un manquo
de symétrie qui nous paraîtrait barbare. Les Latins nous
ressemblaient à cet égard, ou nous leur ressemblons.
Les Grecs, par respect pour la logiquo, ont, il est vrai,
la mémo règlo mais, avec une liberté (lui a bien aussi
sa raison, ils l'éludent souvent sans scrupnle, surtout
lorsqu'ils peuvent obtenir ainsi une fine et ingénieuse
antithèse
étramomon'ajamaiscréûes.D'unemanièregénérale.lalanguedutempsdo PtSriclésoud'Alexandre)est moinsrichequela languehomérique.Ontrouvepourtantalors dans la conjugaisonquelquesformesquecelle-cine connaissaitpas,par exemplelesfuturspassifsen 6r,<ro|ias,lesparfaitsdits aspirés,têts quercfotj>«x"-Celaprouvequele procédé
synthétiqueétaitencorevivantpour lesGrecs;maisils continuaient
à en user avecchoixet modération.G'eâtainsiqueles formessyn-
thétiquesdesmodesdu parfaitet cellesduplus-que-parfait(icXvxto,
tâûxoiiu,êXsX-jxetv)étaient fréquemmentremplacéesdans le langage
écrit, et sans doutebeaucoupplus souventencoredans l'usagecou-
rant,par lesformesanalytiquestorrespondantes(Utoxù;&.elr,v,qv),
parcequ'elles impliquaientun sens assez complexeque l'analysemettaitmieuxen lumière.
f. Xênopn., Banqixt, VIII, 2 Nari-parroî ip&t tî,î pwwwî svt*?*ts».
– Isocr., III, 57 *Hv f«? xaXû; Sjrçsirtai pittùat, noUûv «pzeiv 8uv*r
LA LANGUE GRECQUE si
Les règles do subordination et do corrélation sont
i\ peu près les mômes en grec et en latin. Dans les
deux langues, un arrive par des moyens simples, a l'aide
des modes et dos temps, combinés avec l'usage des con-
jonctions, à marquer très nettement et très finement
le rapport de doux ou de plusieurs jugements que l'on
veut rattacher les uns aux autres. Mais outre l'avantage
que lu grec tire de la richesse do sa conjugaison, il it
encore ici celui d'une logique moins absolue- ot d'une
plus grande élégance tlo procédés Il est curieux de
voir avec quelle facilité naturelle il rompt au besoin le
rapport grammatical dès propositions, pour donner à
l'une d'elles plus de vivacité. Cela est extrêmement
sensible dans les interrogations indirectes. Le latin,conformément à la logique, les traite invariablement
coin me subordonnées, co qu'il marque on les mettant
au subjonctif. Procédé éminomment rationnel. Pour le
.(Iri'C,c'est lo sons dramatique qui prévaut ici sur lu
logique, et comme en général la question a plus d'im-
portance et frappe plus l'esprit que lo membre de
phrase d'où elio dépend, il on fait io plus souvent une
proposition principalo «4 la traite comme telle Aussi
loin que nous pouvons remonter dans l'histoire de la
langue grecque, nous trouvons la preuve do cette li-
berté intelligente.
Signalons enliri l'usage des particules. On sait cum.
oovîas. – Xénoplt., Banquet, IV, 3! O-jxétt âit£Ù.ûnat, àX).' ïfit, «ire:}.<5
iîi.o;1.Par exemple,la simpleparticuleav ouxepeutchangerunepro-
positionintentionnelleenpropositionrelative danslesverssuivants(/««< XXIV,73),itt seulsignifieraitafinque,tandisquew;xrvsi-gnifiecomment,ce quimodifiele tonde la phrase
«fypatt! oi tSiia irjxsvbv feoç, wj xsv 'A^tUmS;
Swpwv èx Ilpiâtioto W-/ij.2. Isée, VI, {3 'Epopévcdvr,(uâyeî îrj, ivSixsXîxëçaaavàuoôavsïv.
Ondiraitenlatin Rogantibusnobisan vkevet,responsumest euminSiciliainteriisse.
SrJ INTRODUCTION
bien ces fines attaches des pensées sont nombreuses
et délicates aussi bien dans la poésie homérique que
chez les écrivains du cinquième ot du quatrième siècle,
Ce sont en général des mots anciens, dont le sens et la
valeur s'étaient affaiblis pou à peu. Il n'en est qu«
plus remarquable de voir avec quelle sûreté les Grecs
se servaient de ces torinos pou significatifs par eux-mê-
mes, mais qui gardaient pourtant quelque chose do
leur sons primitif, Ils les alliaient les uns aux autres,
les combinaient do diverses manières selon leurs affi-
nités, los rapprochaient ou los opposaient, en un mot
les maniaient avec aisance, on vue d'avertir l'esprit,
de faire deviner d'avance la pensée, de rattacher les
phrases les unos aux autres ou de los mettre en cun.
traste. Et la brièveté même de ces petits mots, qui
semblaient se perdre dans le tissu du discours, permet-
tait do faire de tout cela une sorte de jeu, où l'agilité
intellectuelle du Grec trouvait à s'exercer
Ces observations, extrêmement incomplètes et som-
maires, suffisent cependant à marquer los caractères gé-
néraux do la langue grecque au point de vue littéraire
Sonore et variée, elle se prêtait aussi bien à l'expression
des passions fortes et des idées vigoureuses qu'à celle
des nuances délicates du sentiment et do la pensée. Ex-
cellente pour la poésie par la beauté simple de son ac-
centuation et par l'ampleur mesurée de ses formes,
elle lui fournissait en abondance et avec une égale fa-
cilité soit les expressions éclatantes et descriptives qui
enchantent l'imagination, soit les lormes précis eténor-
giques qui sont pour l'homme plein do sa passion ou de
son idée commeautant de traits. Elle avait dès le temps
i. Notertout particulièrementl'emploidesparticules|itvet «i. qui
ont servi déslespremierstempsde la littératureà étiqueterenquel-
que sortelespartiesd'un développement,dans l'intérêtde la clarté
et du raisonnement.
LA LANGUE GRECQUE 33
Him. de la UU. Grecque. – T. X. 3
,o
d'Homèro, des ressources multiples pour caresser l'o»roillo et pour séduire les esprits, lorsqu'elle coulait« plus douce que lo miel » dis lèvres d'un orateurtel quo Jy'oslor, ou « plus pressée que les flocons dela neige d'hiver » do celles d'un Ulysse; elle en avaitaussi pour les frapper par dos soutences concises, à lamanière de Ménélas apportant dans l'assemblée desTroyens ses réclamations et ses menaces itsGpx<ùvfîlli (**>.«Xiyfwî, « quolqucs paroles seulement, maisnettes et vibrantes, « Et déjà, à voir cette richesse dis-crète, cette souplesso fine et brillante, on pouvait près.sentir quelle admirable prose sortirait un jour d'unetelle poésie. La langue d'Homère n'eut qu'à vivre quel-quos siècles, il mûrir, pourainsi dire, aux rayons do lasagesse morale et politique, pour devenir tout naturel-lement, et sans aucune modification profonde, la prosenaïve et hrillanto d'Hérodote, la prose concise et fortede Thucydide, lu langage morveilloux de Platon, mêlanttoutes les grûcos et toutes les splondeurs do la poésioaux plus subtiles finesses de la métaphysique, le parlorsimple et précis de Xénophon, si net, si juste, si élégant,et eulin l'éloquence do Déinosthôno, c'est-à-dire le purlangage do lu raison et de la passion, également lumi-neux et pathétique.
Nous n'avons rien dit jusqu'ici do la diversité des dia-lectes. C'est qu'elle n'a pour nous qu'une importancesecondaire à côté de celle des caractères généraux de lalangue. Toutefois, elle est trop brillamment représentéedans l'histoire de la littérature, pour que nous la pas-sions entièrement sous silence.
Les dialectes qui ont été parlés dans la Grèce an-cienne sont loin d'être encore classés d'une manièreabsolument méthodique et déflnitive ». Dans un pays
i. L'opinionde rauiîqaitê à ce sujet est expriméepar Strabon( VIII,i, 2)qui établiten quelquesortele tablenude rrfnorHH™,»».
34 INTRODUCTION
divisé on une foule de petits États, qui ne se compo-
saient parfois que d'une ville et de quelques bourgades
confédérées, il était impossible quo le langage parlé
n'offrit pas des variétés presque infinies, Mais ces par-
ticularités locales, oxtrèmemont intéressantes pour la
linguistique, nocomptent pas dans lalittérature. Colle-ci
no connait que quelques types principaux, l'Ionien, le
Lcsbien, lo Dorien, l'Attique, et enfin ce qu'on a nommé
la langue commune.
L'ionien a été le dialecte de la poésie épique et plus
tard celui de la prose ù ses débuts. Il se distingue par
sa fluidité, par la multiplicité des voyelles, par sa dou-
ceur, dont on peut voir comme un signe extérieur dans
la prédominance du son atténué de Vu sur le son plein
do l'a et dans la disparition précoce du digamma. Ces
traits sont plus accusés encore dans le nouvel ionien
d'Hérodote que dans le vieil ionien des poèmes bonaé-
riques. L'ionien est le grec d'Asie, légèrement amolli
soit par des influences que :tous ignorons, soit par l'ef-
fet de l'hérédité chez une partie de la race grecque vi-
dialectes. Maisil ne donne que les grandes lignes de cette répartition
et ne s'occupe nullement d'un classement détaillé et vraiment scien-
tifique. Il y a pour lui quatre dialectes répartis en deux groupes
17o«ien et l'Attique constituent le premier. l'Éolien et le Dorien le se-
cond. Le point de vue moderne est tout autre. G. Meyer (GrfeeA.
Gramm., p. xn) l'expose ainsi « L'ancienne division des dialectes
grecs en Dorien, Éolien et Ionien (ce dernier comprenant l'Attique)
ne peut plus être maintenue qu'à la condition de comprendre sous le
nom d'éolien tout ce qui n'est ni dorien ni ionien, sans vouloir créer
par là aucun préjugé en faveur d'une parenté reposant sur une ori-
gine commune, » Et plus loin « Donner un exposé détaillé des re-
lations de parenté de tous les dialectes grecs entre eux est une tache
dont la science est actuellement incapable, » Cf. Brugmann, ouv. c.,
p. 16, qui distingue d'après les ressemblances linguistiques, et sans
rien préjuger sur la question de parenté, sept groupes principaux
1»Le groupe ionio-attique 2° le groupe dorien 3» le groupe de la
Orée© an Nord-Ouest; 4» le groupe de la Grèce du Nord-Est; &>le
groupe de l'Èlide; & le groupe arcadien-cypriote; 7» le groupe paru-
phylien.
LÀ LANGUE GRECQUE 35
vant dans dos conditions particulières t. Dans le vieil
ionien, la force native du parler hellénique résiste en-
core à cet amollissement, et il en résulte une des plusbelles formes de la langue grecque, celle peut-être quiunit le plus do délicatesse, de variété, de graco à l'é-
nergie primitive.Le lesbion n'a ou de grande importance littéraire que
dans la poésie lyrique d'Alcôo et de Sapho. Si curieux
que soit ce dialecte au point de vue de la linguistique,il ne tient donc qu'une petite place dans l'histoire de
la littérature. Lu lesbien avait, comme le dorien, quel.
que chose de mâle et de sonore, avec moins de rudesse
et plus do grâce. Son accentuation, moins variée quecelle de l'ionien, devait le rapprocher davantage du la-
tin, auquel il ressemblait aussi, plus qu'aucun dialecte
grec, par ses flexions.
Tout autre a été le rôle littéraire du dorien. C'est avec
l'ionien la langue de la poésie, et son influence se fait
sentir encore dans la période attique. La poésie lyriquechorale lui appartient dès l'origine et reste jusqu'à la
lin dans aa dépendance. La gravité était sa qualité pro-
pre. Il recherchait les sons pleins, ceux de l'a et do l'a»
principalement, et conservait les groupes do conson-nes primitifs (- vrt, v;,) avec une prédilection quilui donnait une certaine lourdeur dans l'usago courant i.
i. Olfr.Mûller(Litt.greeq.,t. 1, p. 19de la traductionHillebrand,in-12)regardaitl'ioniencommeune modificationda grec primitif,(luiseseraitproduited'abordsurlecontinentet delàaurait ététrans-portéeen Asie.On tendplutôtaujourd'huià considérerl'Asieelle-mêmecommele foyerdef ionisme.VoyezCurtius,Hist.grecque,1.1,eh. n.
2. Onconnaitla jolie scènedes Syracusainesde Théocrite,on l'é-trangeralexandrinreprocheà Gorgoetà Praxinoa,quiparlentdo-rien,deprononcertouslessonsà pleinebouche(v.88,icXatsii<r8o:<jatânavrot).AquoiGorgorépondfièrement,en assénantà l'interrupteurun desplus lourdsadverbesdesonvocabulaire,qu'ellesparlentpé-loponnésten,«>«rawwiTT\>«<)tCpïCitoutcommeBellérophonde Go-rintheen son temps.
S6 INTRODUCTION
Mais lo dorien littéraire y échappait par le molango
do formes, qui ost commun à toute la poésie grecque.Do tous les dialectes grecs, l'nttiquo est celui dont la
fortune littéraire a été la plus brillante, et dans lequelse réalise le type lo plus achové do la langue nationale,
l'roeho parent de l'ionien, le dialecte attique lui rossem-
blo par l'atténuation dos sons pleins, mais il s'en dis-
tinguo par une fermeté que ionien a perdue de bonne
heure. Plus serré dans la conloxturo do ses mots, il a
toute la force désirable avec une certaine rapidité élé-
gante et concise. Toutes los qualités propres à la lan-
gue grocque, toiles que nous les avons énumérées pré.
eédemmont.brillonldoncdans lodialocte attique commedans leur foyer naturel Nous étudierons dans la suite
avec plus de détails les caractères do la langue d'Athè-
nes au moment du grand éclat de la littérature athé-
nienne. Bornons-nous ici à lui faire sa place à côté des
au'.res dialectes dont il vient d'être question.11est à remarquer que presque jamais, dans la litté-
rature, aucun du ces dialectes n'a été employé d'une
manière tout à fait exclusive. Grâce à l'autorité im-
mense d'Homère, le vieil ionien de l'ancienne poésie
épique, qui était déjà lui-même un langage mêlé, a
exercé son influence sur toutes les formes de la poésie,et quel que fût le dialecte prédominant dans tel ou tel
genre, les poètes se sont toujours réservé le droit d'ymêler des éléments empruntés à ce fonds commun. De
môme, le grand éclat de la poésie lyrique dorienne a
été cause que le dorien est devenu la langue naturelle
du lyrisme choral, et que les poètes dramatiques d'A-
thènes ont gardé l'habitudo de mélanger les formes do-
riennes aux formes attiques et aux formes homériques
i. Lesanciensremarquaientdéjàfortbiencecaractèredo dialecteattique.qui a empruntéà.ton»leswrtrwqwilqwKMHi*»de leur»qua-litéspropres.Ps.Xônophon,Bip.ath., 11,8.
DIVISION KN PÉRIODES 5*7
dans los parties chanlôos do leurs pièces. Cemélange des
dialoctos, habilement ménagé, est devenu ainsi un
moyen nouveau do variété, dont les langues moder-
nes, co-somblo, n'offrent guère d'exemple.
On appelle langage commun (xonré) celui dont se ser-
vent les prosateurs grocs, sans distinction d'origine, à
partir du temps d'Alexandre. G'ost en somme, au point
do vue dos formes, lo dialecte attique à peine modifié.
Nous l'étudierons, comme langue littéraire, au com-
mencemont do la période où il domine.
L'étudodo lalanguo, commecelle du type hellénique,
nous amôno donc tout naturellement à la division de
l'histoire littéraire en grandes périodes.
III
CARACTÈRES GENERAUX DE LA LITTÊRATOBB GRECQUE.
LES GRANDES PERIODES DE SON HISTOIRE.
La littérature grecque, considérée dans la suite de
son développement, offre cette particularité que tout
y est normal; les changements y sont lents et réguliers;
jamais ils ne prennent le caractère de révolutions.
Les influences étrangères elles-mêmes ont agi sur le
génie grec sans brusquerie et sans violence. Sans doute
les Grecs ont beaucoup appris des autres nations. Ils
ont dû aux Phéniciens l'écriture, aux peuples de l'A-
sie Mineure la musique et un certain nombre d'idées
religieuses qui ont pris une grande place dans leur vie
morale; l'Égypte, l'Assyrie, la Perse, Rome leur ont
tour à tour ouvert des horizons nouveaux, et ils ont
profité de leurs relations intellectuelles avec tous les
peuples qu'ils ont connus. Ce serait donc une idée très
38 INTRODUCTION
inexacte que de se les représenter comme enfermésen eux-mêmes et tirant tout de leur propre fonds. Maisvoici où se montre bien leur éminente originalité si
importants qu'aient été les emprunts faits par eux auxcivilisations étrangères, jamais du moins ils n'ont ac-
cepté du dehors une forme littéraire toute faite. Diffé-ronce profonde entre leur littérature et celle des Ro-mains par exemple. Ghoz ces derniers, l'épopée, la
tragédio, la comédie, l'élégie, la poésie lyrique, l'artoratoire lui-même, en un mot tous les genres littérairesont été importés <lo Grèce déjà organisés, déjà pourvus detraditions ot soumis à des règles. Il a fallu que le génienational s'accommodât de ces formes étrangères, et c'estdans l'imitation qu'il est arrivé pou à pou à se retrou-ver lui-même. Il en a été ainsi de presque toutes leslittératures modernes, dans leur période de renaissancedu moins. Au contraire, les Grecs, n'ont jamais trouvédevant eux un genre littéraire tout constitué. Que leursidées fussent spontanées ou qu'elles leur vinssent du
dehors, ils les ont groupées ù leur manière, et leurs«ouvres ont toutes été créées on pleine liberté, d'aprèsun sentiment purement hellénique.
Dans ces conditions, la formation de ce qu'on nommeen littérature les genres offre uu intérêt tout particu-lier. Quand les Grecs ont fait pour la première fois des
poèmes épiques, des odes, des tragédies, ils n'avaientsous les yeux aucun exemple de tragédie, d'ode, ni d'é.
popée. Rien, par conséquent, ne gênait leur fantaisie, Ilsauraient pu inventer à la fois vingt sortes d'épopées,construire des quantités d'odes do formes différentes,enfanter des draines où le caprice individuel se seraitdonné libre carrière, Do tollos oeuvres sans doute se se-raient encore réparties en groupes d'après quelquesgrandes ressemblances fondamentales quo l'esprit hu-main ne peut éluder; mais elles n'auraient pas donné
DIVISION EN PÉRIODES 89
naissance &dos genres proprement dits. La notion même
de genre littéraire suppose certaines convenances re-
connues et acceptées, d'où l'on ne s'écarte plus. Si les
genres sont nés an Grèce en dehors do toute tradition
et de toute influence étrangère, et malgré l'indépen.
dance naturelle à la race hellénique, c'est apparemment
que cette classification naturelle dos œuvres de l'espritconvenait à ces intelligences nettes et précises. H leur
somblaii que chaque chose devait avoir son caractère
propre et porter en quelque sorte sa destination écrite
sur son visage. De même qu'un temple différait d'un
gymnase, une tragédie n« pouvait pas ressembler à une
comédie. Un instinct très fin et très vif, un discorne-
mont très délicat ont donc établi chez les Grecs, à me-
sure que l'occasion s'en est présentée, un certain nom-
bre de types dont l'excellence n'a plus été contestée.
Mais comme les convenances que chacun de ces typos
représentait étaient parfaitement senties de tous et ré-
pondaient vraiment à des instincts nationaux, les grandsécrivains les ont observées sans effort et par suite sans
timidité scrupuleuse. C'est ce qui explique comment ces
mômes genres, qui ont paru quelquefois une servitude
aux modernes, n'en étaient pas une pour les Grecs. Ils
érigeaient leurs instincts en lois, tandis que nous, bien
souvent, nous avons reçu des lois toutes faites, et nous
y avons plié nos instincts.
11résulte do là tout naturellement que les phases suc-
cessives de la littérature grecque ancienne doivent être
caractérisées par l'importance croissante de la réflexion
dans l'emploi des facultés naturelles, fait essentiel de
toute évolution intellectuelle régulière. A l'origine, c'est
l'imagination et le sentiment, sous leur forme naïve, à
demi inconsciente et spontanée, qui prédominent: non
qu'il n'y ait d^jà dans cette spontanéité beaucoup de ré-
flexion et de calcul mais eu somme los idées sont en-
40 1NTJIQUUCTION
core élémentaires, et lo jugement, faute de connaissan-
ces, n'a pas acquis toute sa maturité. A la fin, c'est le
spectacle contraire qui s'offre à nous: les qualités naï-ves ont disparu et le savoir raisonneur a pris lo dessuson tout sur l'imagination. La division on grandes pé-riodes nous est donnée par cette vue générale. Elledoit mettre on lumière h>sphases principales do co chan.
gomont lent et progressif.Nous distinguerons d'après cela quatre périodes dans
l'histoire que nous niions rot racor: la période ionio-do-
rieime, lu période atlifjuc, la période alexandrinc, et la
période romaine.
1. Période ionio-dorienkë ( du x*siècle environ ù la findu vi° avant notre ère). C'est en Ionie, sur les riva-
ges de l'Asie Mineure, que le génie grec se révôlo parses premières grandes créations. Kntro le x" siècle etle vin", les chants épiques succèdent aux hymnes. D'a-bord courts et isolés, ils se groupent bientôt, et finis-sont par constituer de grands ensembles. La poésie dol'Ionio est héroïque. Mais elle suscite sur le continent
grec un autro genre épique qui vise à instruire. Cesdoux sortes do poésie, représentées éminemment l'une
par Homère, l'autre par Hésiode, remplissent à ellesseules toute la première partie de cotte période. C'estdonc l'essor do l'imagination qui est le caractère princi-
pal de la littérature de ce temps. Et toutefois la poésie
hésiodique marque déjà un besoin nouveau d'exacti-
tude, de vérité morale et historique, qui dénote un pro-
grès incontestable de la réflexion.
Ce progrès s'accuse dans la poésie lyrique qui s'an-
nonce dès la seconde moitié du vtnc siècle et domine
jusqu'à la fin du vi°. Des sentiments plus personnels,une habitude de pensée plus mure, un jugement plusforme et plus varié sur les choses de la vie donnent
DIVISION KN PÉRIODES M
naissance à l'élégie et à l'iambo. Puis les progrès de la
musique, le goût descomhinitisonsrythmiques nouvelleset aussi l'essor plus libre du la passion produisent la
poésie lyrique proprement dite. Malgré l'éclat dos nomsd'Alcoe et do Sapho qui appartiennent il l'île éolionuedo Lesbos, cotte poésie peut ôlro considérée comme sur-toutdorienne. C'est à Sparte, c'est dans le Péloponnèse,c'est dans les villes grecques de Sicile qu'elle grandit et
s'épanouit bientôt par une floraison magnifique. Ce quicaractérise éminemment cet ôgo, c'est la croissance ra-
pide do la raison qui s'ussocio a toutes les formes nou-voUes d'une poésie pleine de feco et d'éclat. Presquetous les grands poètes du temps, Archiloquo, Simonide
d'Amorgos, Cullinos, Tyrtée, Alcée et Sapho, Stésichore,Arion, Théognis, Pliocylitie, Simonide do Céos et Pin-dare jugent de haut la vie humaine ils dominent tle
plus on plus l'antique mythologio et l'illuminent pardes réllexions encore respectueuses, mais déjà hardies.Ou sont que la lumière si; fait dans le monde des idées;elle ne louche encore qu« les hautes cimes, mais elleles éclaire vivement.
Dans la lin do eHle période, deux choses nouvelles
apparaissent, la pross et la philosophie. Elles n'y cuit«ncorc l'uue et l'autre qu'une importance secondaire,mais leurs premiers essais suffisent à montrer que le
génie grec va entrer dans une phase nouvelle de sou
développement.
H. l'ÉMIODEATTIQUE(v° et |V° Siècles). C'est sousl'inlluencc prédominante d'Athènes que ce progrès s'ac-
complit. Dès l'année 510 avant notre èro, Athènes est
organisée on démocratie. Ses victoires dans les guerresmodiques au commencement du v° siècle lui assurentla primauté on Grèce. Elle devient la plus grande cité
commerçante et en même temps le principal foyer de
43 INTaODUCTION
lumière du monJo hellénique. Ses revers dans la guerredu Péloponnèse ne lui enlèvent pas cette prépondéranceintellectuelle. Ello la garde encore durant tout le ive
siècle, jusqu'après les conquêtes d'Alexandre, qui chan-
gent la face du monde grec. Tout ce qui se produit de
remarquable dans les lettres pondant ces deux sièclesest plus ou moinsathénien. Soule, la comédie sicilionne
d'Épicharme et de Sopliron fait exception à cet égard.La grande création poétiquo do ce temps, c'est le
drame sous ses diverses formes, tragédie, comédie,drame satyrique. De môme que, dans la périodu précé-dente, le lyrisme avait succédé à l'épopée par un pro-grès naturel de la réflexion, de môme à présent ledrame prend la place do la poésie lyrique, qui est relé-
guée à l'arrière-plan. Né au siècle précédant, ce genrenouveau s'organiso avec Eschyle et atteint sa perfec-tion avec Sophocle et Euripide. Il réalise l'alliance la
plus étroite entre l'esprit de combinaison, c'ost-à-Jiro
l'analyse, et la puissanco créatrice de l'imagination. Lacomédie suit, pour ainsi dire, pas a pas les dominéesde la tragédie. Elle s'organise dans la première moitiédu v° sièclo et règne avec éclat pondant toute la se-
condo, grâce au génie d'Aristophane et d'Eupolis. Elleaussi unit la réflexion la plus mare ù l'essor do l'imagi-nation, celle-ci prenant chez elle toutes les libertés dela plus folle fantaisie.
La prose, qui apparaissait seulement à la fin de la
période ionio -dorienne, se perfectionne rapidement dansla première moitié de la période attique. En même
temps qu'elle devient un remarquable instrument d'a-
nalyse, elle se prête à tous les besoins d'un exposé quitantôt se contente do précision et de clarté, tantôt viseà l'offel dramatique. L'histoire, sortant des mains des
îogographes, est agrandie par Hérodote et aussitôt aprèsscondensée par Thucydide. Le premier on fait un genre
DIVISION EN PÈfilOOBS 48
plein de vie, plein d'instruction curieuse et variée, et
on outre naturellement dramatique. Le second, sans
lui rien ôter de ce qu'elle avait d'émouvant chez son
prédécesseur, enseigne une fois pour toutes aux esprits
réfléchis à la considérer eommo une école de raison
et d'expérience. Après eux, elle reste comme une des
études préférées do tous ceux que le spectacle des cho-
ses humaines intéresse. Xénophon et Ctésias, Éphoreet Théopoinpe, pour no citer que quelques noms illus-
tres, la traitent selon la variété de lours aptitudes per-sonnelles: car elle invite tala fois ceux qui savent poin-<ku et ceux qui se plaisent tt juger.
L'éloquence, qui est aussi ancienne que la parole hu-
maine, devient dans le môme temps un genre littéraire,eu ce sous qu'elle donne lieu à des œuvres écrites quila préparent, lui viennent en aide ou la sauvent do l'ou-
bli. Et peut-être, dans ce grand essor de la prose s'éle-
vanl au rang qu'abandonne alors la poésie, est-ce à
elle surtout qu'il est donné du recueillir co que celle-ci
a laissé do passion ou d'imagination sans emploi. Si elle
n'est guère qu'ingénieuse et savante chez les sophistes«si chez Anliphon lui- môme,elle est déjà vivante, va-
riée, dramatique chez Lysias et Isée, humaine et per-sonnelle chez Isocrate, puis elle s'affranchit tout ù coupdu ses dernières timidités et révèle l'Âme tout entière
chez Démosthène et chez Kschino, chez Lycurguc et chez
Hypéridc.La philosophie, a la fin do la période ionio-dorienne,
s'était produite avec hardiesse et grandeur, soit dans
lu prose, soit dans la poésie. Au début de la période at-
tique. devenue plus mûre, elle rompt avec la poésie,et s'établit, pour ainsi dire, au cœur de la société cul-
tivée. Son influence est grande au temps de Socrate,
plus grande au iv*siècle. Il y a encore un brillant refletdo l'ancienne poésie dans la prose de l'Ialon. chez Xé-
44 lNTUODUCTiOX
uophon, c'est lu sagesse du sons commun qui s'exprimeseule dans une langue clairo, élégante ot finomont
exacte. Avec Aristote. nous voyons In philosophio deve-
nir une science, aussi bien par la forme que par la nié'
(liode; et toute l'école péripatéticienne reste (idole à la
tradition du maître. Les autres sectes suivent la manie
tendance. On discute, on s'attache aux idées abstraites
l'imagination et le sentiment ne figurent plus dans l'é-
cole que commo des matières d'observation ut do rai-
sonnement.
Ainsi, durant los deux siècles do la période attique,nous voyons la prose se substituer on Grèce ù la poésieet la réilexion l'emporter sur le jeu plus naïf et plus
spontané dos facultés. Toutefois la poésie subsiste en-
core dans le iv° siècle, et la comédie moyenue ou nou-
velle, entre les mains d'AnlipImnc, de Diphilo, de i'hi-
léinon et do Ménandre, produit des œuvres aussi char-
mantes qu'instructivos. Mais cette poésie elle-ineiuo sa
rossent de la prédominance de la prose, dont elle so rap-proche chaque jour. Kilo n'a plus la hardiesse ni la li-
berté lie celle d'autrefois. Elle est sage, réfléchie, pluinod'expérience et de modération. Kilose tient lo plus prèspossible do la réalité, et ello fait do la philosophie mo-
rale commo on on fait autour d'elle, moins le dogma-tisme qu'elle évite.
III. PÉRIODEalexandhine (ut0 et u8 siècles). Les con-
quêtes d'Alexandre mettent lin à l'importance politiqued'Athènes et par suite à sa primauté littéraire. Le
monde grec voit brusquement reculer ses limites et
agrandir son horizon. Des royaumes helléniques se fon-
lient, des capitales nouvelles surgissent, entourées de
l'éclat que leur donnent des monarchies &demi orien-
tales. Alexandrie, Mtio par lo conquérant, devient en
quelques années une des plus grandes villes du monde.
DIVISION EN PÉRIODES'i
45;
Los Plolêméos y rassemblent autour d'eux les lilto'ra-
tours et los savants. C'est elle qui est. reconnue alors
comme te foyer principal tlo la haute civilisation groc-
que tandis qu'au second rang d'autres capitales, telles^
«uo Porgamo, Antioche, Syracuse, font do plus on plusoublier Athènes. Mais, dans le cours du deuxième siè-
du avant notre ère, Homo grandit chaque jour et son
ombre s'étend sur lo mondo grec. lui 146, la Grèce ûV-
viiMttune province romaine, ot les Grecs, lotlrés ou sti-
vants, quittant tour patrie, aftlueut do plus on plus au-
[irt'S do leurs nouveaux maîtres, lies la fin do ce siècle,
Homo est réellement le centro du mondo civilisé, t!
plus do soixante-dix ans avant la bataille d'Actium,
i|iii fora do l'tigypto elle-mèino uno provinco romaine
(M)av. J.-C), on peut diro que la période uloxuudrino
louche ù son terme, puisque tous les regards sont tour-
M>svers un seul point du monde et quo ce point est
Homo.
Los doux siècles qui constituent ensemble cette pé-riode marquent la dernière phase do révolution uatu-
relle du génie grec. C'est alors qu'il devient surtout
chercheur et raisonneur. H excelle dans les mathéma-
tiques, il s'adonne avec passion à la philosophie et à
l'érudition, et il transforme la poésie elle-même en une
matière do combinaisons ingénieuses, d'où l'inspirationnaïve est absente. On fonde partout des bibliothèques.La critique et la grammaire se constituent Aristarqueet Cratès partagent l'attention du monde lettré. La my-thologio so résume et so condense dans de vastes
recueils; l'histoire, si l'on excepte l'œuvre vraiment
originale do Polybo, imite médiocrement les modèles
classiques; la philosophie domine les écoles, remplit les
bibliothèques et se fait admettre jusqu'au foyer domes-
tique la rhétorique succède à l'éloquence. La poésiedevient savante las Callimaqac, les Philctas, les Rhia-
40 INTRODUCTION
nos, les Apollonios do Rhodos sont des érudits en môme
temps que dos poètes. Théoerilo lui-môme, créateur
dans un siècle qui l'est si peu, appartient à son temps
par son goût pour les œuvres concises et travaillées,
d'une facture rare, dont lo mérite consiste en grande
partie dans uno finesse ingénieuse et délicato.
IV. Période rosaire (du iersièclo av. J.-C. au commen-
cement du vie siècle ap. J.-C). – A partir du milieu du
ior siècle avant notre ère, commence dans l'histoire de
la littérature grecque uno nouvelle et dernière période
qu'on peut appeler romaine, puisque Rome alors domine
le monde entier. Elle s'étend depuis Auguslojusqu'à Jus-
tiuien, embrassant ainsi une durée do plus de cinq siècles.
Le génie grec n'a plus alors aucune faculté nouvelle
à mettre au jour. Il use, plus ou moins heureusement,
do son expérience lentement acquise, et il produitencore nombre d'umvres remarquables, mais dans les-
quelles l'imitation du passé l'emporte sur la nouveauté.
Le siècle d'Auguste est surtout pour les Grecs un siè-
cle d'histoire et de critique. Diodore, Denys d'Halicar-
nasse, Strabon sont les plus grands noms de ce temps.
La poésie n'a plus qu'une existence artificielle dans l'é-
pigramme, dans les improvisations, ou dans des pané-
gyriquos commandés. Les Grecs de ce temps sont à
demi romains par leurs idées, par leurs amitiés et par
leurs admirations.
Toutefois un mouvement d'indépendance se dessine
après la mort d'Auguste et produit bientôt le siècle des
Antonins. L'esprit grec, sans échapper à la prépondé-
rance romaine, tend à relever ses traditions déchues. Il
y réussit en partie dans l'art oratoire avec Dion Chry-sostome et les sophistes, dont la réputation devient im-
mense au temps d'Adrien, d'Antonin, de Marc Aurèle;
dans la philosophie morale et dans l'histoire avec Plu-
DIVISION EN PÉRIODES 47
tarque, Épiclèlo, Arrion, Appien, Mare-AurMo lui-même,romain hellénisé, que l'on peut considérer comme un
Croc; dans la prose satirique, avec Lucien.Mais après cet éclat, le déclin so manifeste d'une ma-
nière définitive. L'histoire, honorée encore par Héro-dien et Dion Gassîus, disparaît ensuite, ou du moinscosse d'être ni un art ni une science. L'éloquonce so-
phistique, simple procédé habilement entretenu, semble
par là môme plus durable, et çllo brille depuis le com-moncoment du m° siècle jusque vers la fin du iva, avecPhilostrate, Himérios, Théniistios et Libanios; maisollo n'est on réalité que l'ombre d'un art déchu, etJulien lui-mémo no lui rend pas la vie. Le roman naît
alors, sans' produire aucune œuvre qui mérite d'êtreconsidérée comme une création originale. La philoso-phie est peut-être ce qu'il y a de plus remarquable enc(itemps. Ammonios au n° siècle, Plolin et Porphyre aum", Jamblique au iv», Syrianos, Proclos, Damascios,Olympiodoro et Simplîcios au v° et au vie, prouvent, parune sorte de renouvellement des doctrines anciennes,que la vitalité do l'esprit grec n'est pas encore éteinte.Ce temps, si pou poétique en apparence, produit mêmeune poésie. Nonnos et Colouthos, peut-être aussi Quin-tus do Smyrne, puis Musée et Triphyodore sont les der-niers représentants do la tradition hellénique affaiblie,et annoncent déjà le moyen âgo byzantin, bien qu'ilsappartiennent encore par l'esprit et l'imitation à l'anti-quité.
Danscette dernière période apparaissent les écrivainset les orateurs chrétiens, depuis les apologistes du se-cond siècle jusqu'aux grands prédicateurs du iv«. Nousaurons à parler sommairement des plus illustres d'entreeux, de Clément d'Alexandrie, d'Origèno, d'Eusèbe, deS. Basile, de S. 4mn Chrysostome, de S. Grégoire deNazianze, etc. Mais il nous sera impossible do les élu.
48 INTRODUCTION
dior ici comme ils lo méritent et do leur accorder toute
l'importance, qu'ils ont réellement. Notre point do
vue spécial ne nous permet «le les considérer que dans
leurs rapports avec riiollénUiue. Pour suivre complète-ment le développement propre de la littérature grecquechrétienne, il nous faudrait brisor lo cadre du cet ou-
vrage.Le spectacle de la longue évolution que nous venons
d'esquisser appelle quelques réflexions indispensables.Le génie grec a eu. pondant sept ou huit siècles un es-
sor magnifique; puis, pondant une période presque
égale, il est resté inft'rieur à lui. mémo,pour disparai-tre ensuite dans l'ombre du moyen âge byzantin. Cotte
décadence n'est pas imputable aux défauts do la race
hellénique, bien qu'ollo les ait rendus plus sensibles. Lu
domination romaine eu a été la première cause, puis lu
situation politique de l'Empire a partir du m0 siècle. Ja-
mais, pendant co temps, la race grecque ne s'est trouvée
groupée et constituée dans des conditions de force, d'in-
dépendance, d'unité morale, qui lui aient permis do se
ressaisir elle-môme, Hien un prouve que, si ces condi-
tions lui eussent été oiferles, elle n'aurait pas pu,' touten restant fidèle à son génie, renouveler ses traditions,
se refaire pou à pou un ensemble d'idées et do senti-
inents nouveaux, on un mut recommencer une seconde
évolution, analogue à celle dont elle avait une pre-mière fois offert le spectacle. Le christianisme pouvaitdevenir l'occasion naturelle de ce développement, et il
a semblé un instant, au iv° siècle, que cela allait peut.être se produire. Mais le christianisme a trouvé son
contre en Occident, ot l'Orient, on lutte avec les barba-
res, Porscs, Bulgares, Gotlis, et plus tard Arabes et
Turcs, n'a jamais vu s'établir dans son sein un état de
«hoses qui permit une renaissance hellénique, Il na faut
donc pas se hâter de dire que la littérature grecque a
DIVISION EN PERIODES 49
nï»l.dola LUI.Otucvjuo.– T. I. 4
pris fin parce que l'esprit grec était épuisé. La vérité
est que l'occasion lui a toujours manqué do mettre à
profit ses ressources pour recommencer une vie nou-
velle. Le dé veloppemont d'une littérature est en sommecelui d'une tradition. La Grèco en a crée une première,
qu'ollo a conduite gloriousement à son terme naturelà travers une sôrio de phases régulières. La fortune
lui a refusé les moyens d'en constituer une seconde.
CHAPITRE PREMIER
LES ORIGINES
SOMSUIHE
I. Aneieimalê de la poésie un Grèce. – II. Les Muses et lu poésielliraoa ou piérienne, Orphée et Linos. Musée, Eumolpe et Pamphos.
III. Le culte d'Apollon et la poésie apollinienne. Olon. IV.
Chryaothimis, Philainmon et Tuamyri». La poésie des hymnes.V. Les Èoliv'na et lus Ioniens en Asie Mineure. – VI. Les hé-
ros. Les aventuras héroïques. Légendes de la Guerre de Troie etdes Hetours. – VII. Les premiers chants épiques. Récits d'ensem-ble récits épisodiques. Leur groupement spontané.
I
L'histoire proprement dite ne commence pour la lit-
térature grecque qu'avec les poèmes homériques, au-
cune œuvre plus ancienuo n'étant parvenue jusqu'ànous'. De tout ce qui a précédé ces poèmes, il, ne res-
tait dans l'antiquité qu'un souvenir des plus confus,
altéré par des fictions de toute sorte. Et toutefois plus
l'intelligence des choses primitives s'est développée de
nos jours, plus il est devenu impossible de négligerces origines. Non seulement elles excitent par elles-mè-
i. FI. Joseph, c. Apion, I, 2, p. 438 (Havorcamp) *OXu«Si n«f-:<toî; "£XXi)9(voiSiv £[io).OYOÛ|uvovfjpitrxetat Ypâ(i(iatf,; 'Onr,j)ounonf,<J!u;icpiaSûtepav. Sext. Empir. adv. Gramm. 1. 20, 3 'Apx«iot£r>i -2<rtivr,'O|tr,pou TToir.oit-icofrrfiaïàp oviîivîtpeoSwwpovt.xjv tEçiuiâc tnt iuiivouxoif.uew;. Ci. Schol. l)en. do Thraco, p. I'8ï Bekker.
PREMIER AGE DE LA POÉSIE 51
mes un vif intérêt, comme tout ce qui révèle les pro-micros tentatives et les premiers succès du génie hu-
main, mais il faut reconnaître de plus, qu'en les laissant
absolument do côté, on s'exposerait à mal apprécierce qui a suivi. L'Iliade et Y Odyssée ne peuvent être
bien étudiées qu'après qu'on s'est fait une idée de la
lente évolution poétique dont elles marquent la phaseluplus brillante. Considérées isolément, elles remplis.sont l'esprit d'un élonnoment profond on ne les com-
prend qu'en les rattachant à toute une série d'œuvresantérieures qu'il faut essayer au moins d'entrevoir.
D'ailleurs les découvertes récentes et presque quoti-diennes de l'archéologie, ainsi que les progrès cons-
tants de la science historique, attirent en quelque sortela pensée plus fortement qu'autrefois vers la haute an-
tiquité du peuple grec. Si obscure que suit encore pournous la période primitive, elle s'est éclairée pourtantde certaines lueurs qui encouragent l'imagination. De-
puis que des recherches heureuses nous ont fait con-naître quelque chose do la vie, dos arts, du luxe mêmedes anciens habitants de l'Argolido et do l'Attique, de-
puis qu'un s'est mis &suivre, dans les iles de la mer
Egée, la trace des populations successives qui les ont
habitées, depuis enfin que les vieux sanctuaires nousont livré quelques uns de leurs secrets, il semble qu'onsoit moins téméraire en cherchant à deviner co que leshommes de ces temps anciens ont pu penser et do quel-les créations poétiques ils ont été capables. Ces Achéens,
qui sont nommés dans les monuments égyptiens dela xixe dynastie et qui envahissaient l'Egypte sous Mé-
néphtah I, vers le xiv"ou le xui°sièclo avant notre ère,étaient sans doute déjà un peuple puissant Leur vie
matérielle, dont nous recueillons aujourd'hui les indi-
i. Maspira,lllst'.aac.du peupladel'OsUni,p. 251-253.Cf.Pcmtt,liât, del'artdansl'antïq.t. VI, {>.57et surtoutp. 1001et auiv.
63 CftAÇITR^ PRKMÏM.. – t«# PRJQJinks
cos. nous autorise à nous représenter en quelque tno-sure une vie intellectuelle et morale qui en était l'efllo-fosconeo. Quand on voit los arts décoratifs, bien querelovant on grande partie de l'habileté manuelle, mani.
fcstor, si longtcmps avant la période historique, l'exis-toncod'un goût tîéjf»cultivé et jusqu'à un certain puintindépendant, on se sent disposé i\ croire que d'autre»
arts, ou l'osprit seul entre on j»u, n'étaient pas alurs
complètement Ignorés.Et on offul ta poésie se laisse outruvoir dans cetto pé-
riode obscure sous doux formos principalos: l'uno plus
libro, à laqucllo appartiennent les chants do deuil et
d'hyménée, les péans, los thrènes au latnentations, et
quelques mélodies populaires accompagnées de parole-.4
plus ou moins expressives; autre plus régulière et
presque hiératique, qui est cello dos hymnes. La pre-mière contient déjà on gormo quelque chose de ce quisera plus tard la poésie lyrique nous en parlerons plusloin. La seconde n'est autre chose quo le commence.
mont môme de la poésie épique; & ce titre, elle doit at-
tirer dès à présent notre attention.
t. Collignon, Archéologie grecque, p. <8 « La civilisation do ce peu-» pie est empreinte d'une grandeur barbare; l'or est prodigué dans» les sépultures des chefs achéens de Mycènes. » L'influence orien-tale est sensible, selon l'auteur, dans quelques-uns des bijoux trou-Tés à Mycénes par M. Schliemann lors des fouilles qu'il commençaen 1874; mats le plus grand nombre de ces objets est le produit
d'une industrie locale et accuse un style encore rude et imparfait. »C'est surtout dans Vllitt. de l'art dans VmliquM de MM. Perrot etChipiez (t. VI, la Grice primitive, Paris, 1894),qu'il faut étudier cottecivilisation mycénienne. M.Perrot pense que presque toua les objetstrouvée aur le sol de la Grèce représentent un art national. Cetteopinion, il est vrai, est encore combattue par des juges très compé-tente, notamment par M. Belbig (Mémoire lu à l'Acad. des Inscript.,séances du 31 mai et du 7 juin 1895).
LA POtilE PiiniEXXK $»
Il
C'est sur lo versant septentrional du mont Olympedans la région nommée l'iérie, qu'une tradition an-donne plaçait le lieu du naissance des Muscs'. Cette pe-tito bando de terre montagneuse fut on «flot un desberceaux do la poésie hclléniquo. Là habitait, dans l'Agepréhistorique. un groupe de tribus thracos, produisparentes des l'hrygions et des Grecs. Kn un temps oùl'hellénisme n'était pas encore constitué, aucune limitainfranchissable ne séparait ces peuples do leurs voisins
plus méridionaux. L'Olympe et le mont Piéros, qui onest le prolongement, forment ensemble comme une li-
gno brisée qui va du Sud au Nord, parallèlement au ri-
vage du golfe Tlioriuaîque, sur une longueur d'environsoixante ou quatre vingts kilomètres, entre l'ombou-clitiro du Pénéo et celle do l'IIaliacinon. Venus du Nordot resserrés à l'Ouest et à l'Est entre cette montagne etlumer, les Fierions devaient naturellement chercher uneissue vers le Sud. C'est dans cotto dernière direction
(lu'ilsentrerontencontoctavec les Grecs proprement dit*.Aune date incertaine, une colonie doces Fierions émigra,dit-on, vers lo contre do la péninsule hellénique et vints'établir au pied del'Hélicon, où ello fonda Ascra-.Quoi
I. Théogonie,v. 53 Mo5»ai'Ota|un&i;,xoOjaiAi4;aÎYi&xoto,– t«çêvlltip:t|KpoviÏTjtixf naxpl\nytUti –Mvr,|tocrûv«j.Cf.v. 60-02.Sur l'o-riginedesMuseset leur culte,coosulterDecharme.LesMuses,Paris,tS69,et aussi lechapitrerelatifau mômesujetdaimla Mythologiedela Grèceantiquedu mômeauteur,p. 223etsuiv.
2. Strabon, IX, 2, £5. Cf. X.3. Voyezaussi le témoignagedePausanias,IX, 29. Il tendà faire nupposerque déjàquelquechosed'analogueaucultedes Musesexistaiten cet endroit;maisil y a làunmélangede traditionsanciennesetd'inventionsplusrécentesqu'ilest bien difficiled'eclaircir. Sur les Thraces en Piiocide.cf.Thuc.II, 29.11y avait à Delphes,au ivesiccle,un grouped'habi-tantsqui s'appelaientepaxiSxt(Diod.16,34).
W CHAPITRE PBKMlKfl. – L^8 OqiOlSBa
qu'il faille penser du fait réel qui se cache bous cette
tradition à demi légendaire, la rotation entre la poésie
liêlieonienne el lu poésie piêrienno n'ont pas douteuse
toutes deux rolovuiont »lu minw culto, cl lu plu» rô-
conto, ei»ll»dol'Uélieuii, aimait îksoconsidérer ollo-mtfino
etnnino issuo tic l'autre.
Au reste le prttpr» dus troiltliona est du aiiupliliitr. Il
i»st bien probtiblo «(«'onftiil ni lu Mario ni l'Ilftlicon n'«»t
ou, tlan« l'histoiro tlo la puônio grecque, tuuto l'iutpiH1-luuro <|iti lour ost ainsi attribuée. Quanti la civilisation
fut assez avancée parmi les tribu* liollôniquo!» pour qunriiuutino ptU s'arraclior par iiistunls aux pr»ti>cou|mti.»nsabsorbantes tlo lu viu uiuttTiollo, In poésie roligiouse dut
prendre un pou partout un rupitlo essor. En vouant tlo
l'Orient, ces tribus avaient apporté avec «Ilos des liyiu-nos plus ou moins semblables à ceux qu'on retrouve
dansl'luilo et on général chez tous lus puuplcs primitif*diMiiôiao origine Dans las dorniors stîclos do lupériodo
préhistorique, a utesuro quo los sanctuaires ao multi-
plieront ot quo loculto dovint plus ponipoux, cette poésio
roligiouso crùt aussi on importance et so perfectionna.Co fut vers ce temps probablement quo le e.ullo des Mu-
ses, parti des localités piériennos dt; l'impléa et do Li-
liétbrou, puis établi on Déotiodans la région do l'IIélicon,
prit un éclat nouveau. Son influence s'exerça au loin;
les poètes qui le célébraiont firent écolo; on reconnut
partout les déeslos piériennos pour los dispensatricesdo l'inspiration poétique, et on rattacha il la Piério pardiverses légendes les représentants réels ou fictifs do la
poésio transformée.
L'extrême simplicité moralo et intellectuelle do ces
temps antérieurs à l'histoire so reflétait naturellement
dans ces antiques création» du génie national. Les po-
pulations de la Gr.co, autant que nous pouvons en juger,cherchaient alors leur subsistance dans le travail dur
LA POÈSIK PIÈRIKNNK 5B
ut obstiné do la lorro: ni iudustrio active, ni grandouiniiun-uo; une vie rude, pauvre, asservie ut inquiMo;lu guorro frôquonlo, v! par couséqiiout lus incursions ut
lus pillugos; tout lit uinndo avait les uruios a lu main
{r.iftx îr, 'ÉXXJ;fatfctjHrç^n)1.Au Hetitto villas ouvert* des
<!iiruintcsfi>rlilli'Oii,bi\tiiisonpiorrosénormosHur dt'S cul-
liuos et là, dus diofr du gtiorro, qui simihdouto «loftiu-
ilaitmt au liosuin l'Iitiniiiiu des clitini|w ot lui duiinimntt
unilu dorriîtru lours rompurts vu eus d(>«lutigur. niuis
ijiii«usai, un lomjis do paix, lu prossuruionl oruellintont
i>l 1'ussujotlissniitut a du lourdos curvûuH. Huns eiito
uxintouco sombro, ht graudujuio, c'était lu roli^iou don
ittio»Mrt>sd Ht1»ftUvH.L'A(»« iiuttiiolluiiiont jHH'ti(|tH'tlo
en puuplo si biuu duiiô a'y dOlu^uit ut s'y rvlruiupuit. Sus
iiiHliuuUd'urdro, d'iditul, do grandeur siiuplo lo prûdos-liiiuienl à la prièro puûti(|<ioot vliantào, Zoas, l'unciou
ilUiiipôlasgiquo, luitmitru supr^ino, l'Iiuliiluut divin«len
liaiiltsHciinoâ,Zous, l'tHhur diviuisô, pussosseunlc la fou-
tlru, assomblour do nuugus ot bionfuitour Houvoiuiu des
liiiiiiiuus, était ctdtù ù qui s'adrosHuiout principuluniontIishItuiuniugOHdo lu pnûsio primitivo..Snus eu nom vu-
nûrt' c'était lu naturo niômo qu'on udoruit d'ium inti-
nièro t'i doiiiicunscionte la nature torrildo et soui-îunlo,iiilinio on uialfaisauco vouiino ou boulé, tautùt .sombro
i:t destructrice, tantôt lutninouse ol duucomoiit apuiséo.Les Musos, on dovonant helléniques, duvinrent aussi
lus fitlus deZous, qu'elles célébraient constauiinent. Dès
le temps d'Hésiode, lu notion do cotte origine est lixôo
ilans une formule presque invariable: « Muses do l'O-
lympe, filles do Zous qui tient l'égide2. » Vivant auprèsde leur pèro, leur fonction propre est do lu charmer en
l.Tliucyd.,I, e. 6. L'historienveut dire simplementpar 14quee'ùtaitalors l'usaged'étroarmé.Mais,si onl'ôtait,c'estqu'onnepou-vaitfaireautrement.
î. T/iéogon.,25,52.
4W CHÀ.1UTBE PBEMIKB. g^LKS OUIOIMES
chantant1. Elles célèbrent, pour lui plaire, les dieux,leur naissance, leurs attributs, leur infinie diversité1,
LuUmémoest lo principal sujet de leurs chanta; c'est
par lui qu'elles les commencent ut les finia»oul\ Ce quiest attribué aiwtiaux Musespar la traditiun hôsiodiquo,c'est co quo les poète»de la Grècoprimitive avaient dû
fuire depuis dos temps recula. Ils chantaient les dieux
h un petipio simple ut croyant, et un les chantant ils
les t'iitfoignaiont. Interprètes de la pensée commune,
mais supérieurs à la fouleon raison et en réflexion, ils
dégageaient une a une lus idées qui germaient confuse'
mont on elle, il» notaient les attributs divius vaguement
conçu*,ils inventaient, sous la dictéeinconsciented'une
multitude avide do mystères, les premiers mythes, ils
marquaient les rapprochements et les contrastes, les
parentés divines cl les hostilités cosmo^oniques,on un
mol ils ébauchaient devant dos auditeurs toujoura cu-
rieux et ravis l'histoirn future de l'Olympe. Si simplo
que fût ce chant primitif, sorle do mélopée gravo et
ilouce, longuement narrative, on ne saurait dire ni
mémoconçu voir aujourd'hui quelles émotions profondeset quel euohantomonl religieux il fuisuit naître chez les
vieuxCadméunsde Thèbesou chez lesUaaaSnsd'Argos,
quand il rotontissiiit auprès de l'autel. Qu'un relise,
dans la TMognnie,pour s'on faire une idée, la doscrip.
tion si délicieuse de l'hymne nocturne des Muses, « à la
voix aussi suave que lo lys» « Uoleur bouche, le chant
» s'échappe,charmant et sonore. La '• 'c se répand sou-
,>riante dans la demeure de Zeus qui fait trembler le
1.thiwjmi..5!.S. TMogon..H-M. 38, 4l-!>2.65-68.
3. Thiogon.. 47. Z»,v«.««Svwxlf' *,«i«ai ivïyûv,– ipx«|«v«i »' V-
««<« «t«l >nr«v««tt io«8i${.Co dernier rers eat justement tniipeet en
raison de son incorrection métrique. Mais interpolé ou non, ii a sa va-
leur comme témoignage; car Il n'a pu être introduit là qu'en raison
d'un usage existant et certainement ancien.
i,A pni;<m piftRiitVN'K 57
» monde, ollo se répand avec tour voix doucoot cares-Il santo. (/écho la répète au loin sur les cimes noigou-» »oa do l'Olympuet dans lo* palais dos luunorlols »
Duc»s poètes primitif», lent lu rôle fut ai grand pour*tant dans lo progrès de la civilisation, nous ne savons
rien; et l'antiquité elle-même no les a pas mioux con
nus. Maispour se dissimuler sou ignorance, ello a crééun certain nombru de personnalités mythiques, Orphée«t Limm,Musé»,Kmnulpt',Puiuphos, «lotitnous devonsdire quelque»mots t.
Orplii-out Linos, prètros et poàtos tous doux, nousH'inlreprâsoutûs coinmo dos Thracos, fils d» Calliopc1.Muis,à vrai diru, ni lunu ni l'autro d«<ces doux légen-des ne sonibtodo nature à nous fournir cet «'lômontdovérité historique qu'on trouve dans un grand lomltred'Anciensrécits. En 00 qui concerne Linns,on ost a peuprès d'accord uujtturd'liuipour lo considérer eointncun
pursonnago outiôroiuout fuliuloux. Uuovioillo iuvoca-lion populaire, l'*rXivo;,qui n'était autre chose <jiiolesnuitssttiiiitit|uosai lenu liullûiiisôs,a vraisonililtildoinuntdonné naissmico &sou nom et «a Ingondo4.Uuo foish; porsonuago créé, on lui Utune histoire fletivo,quiuonousupprond rion sur le développement réel do la not'i-si<(primitives. Il est inutile d<!la .'ippelcr ici. Orpli«M>,de sou cote, n'appartient pasplus à l'Iii.stoiroque I-inos,dont il fut quelquefois considéré comme le frère*. Son
t. Théogon., v. 39 et sulv.S. Nous ne parlons pas de quelquas noms qui sont simiileraenl des
persunniOcations de peuples Anlkés, «t'Anltiédon en Bâotio, qui Htdes hymues; Piâroa, de Piôrie, qui chantâtes Mu»«i(Plul., de Uus., 4).
3. Apollolore, I, 3, t.4. Praller. Griech. Uythol, t. I, p. 371. Dorgk. Griech. Uler., t. I,
p. 3:S. Élien, Ilist. tarife (Hereher), Hl. 32. Diod.. III, 59. Ot. HAgiotlc,
fr. 132 (Qoellliog).C Apollodow, I, 3, 2.
^&~ – CHAPITRE PRBMI8R, fcB3 0RI6IHB8
nom no ligure ni dana Homère, ni dans Hésiode; il a dû
être inventé dans un temps postérieur. Quand it appa-rait dans l'histoire, littéraire, c'est pour servir à autori-
ser toute une littérature apocryphe dont noua aurons à
parler dans la cuite. Arisloto, qui disposait da tant d'in.
formations aujourd'hui pontue*, ne croyait déjà plus a
sou existence son opinion u pr.Wulu do nos jours. La
légende d'Orphée*, si înliîrosNmito t<tsi poétique qu'ellesoit d'uillours, nous ost donc en diMinitivo aussi inutilo
quo colle do Mnns. Elle appartient à la mythologie et à
la fiction, muis elle ost on dehors de l'histoire lilléruiro.
Ou puurrait en diro autant do celle de Musée, xi elle
ne nous laissait du moins entrevoir une des routes quosuivit la poésie primitivo pour pénîitror dans la Grèco
contralo. Los traditions rotatives ilMuséo sont loin d'ètro
concordantes On faisait de lui te fils do Mené, c'est-
à-dire do lu Lune, le fils ou le disciple d'Grphuo. Thracn
d'origine, il avait éti), ilisuil-im, lo premier prtMre ilus
mystères d'Eleusis. Des poésies religieuses apiwryphesfurent composées plus ou moins anciennement sous son
nom, notamment un hymne ù Uémèter Il représen-tait donc une poésie sacerdotale rattachée à la l'iérie
par sus origines et ù l'Altiquo par le choix do ses sujets.Si cette idée liait réellement fondée sur une tradition
< Cie..deNat.dtor. I, 38 OrpheumpoelmndoeelArltlalelesnun-
quamfuisse. Touteslesquestionsrelnllvesa Orphieontété sur-tout éluciJéc»de nos jourspar Lobeckdans «onAulaopkamus,t. I.I. h(Kainlgtborg,1829).
S.Apollod.,I. 3. S; I. », 16;I. 9, 23; Apollonius,Argon.1,2t sqq.HermÉiUaax,fr. 2, v. 1-14{Anlhol.l>jr.de Bergk);l'banoclés,fr. 1(ibid.);Diod..III, Gi IV.S5;Virgile,Uéoryiquet,IV,v. 453et suiv.;¡Pausan.IX. 30. GénéalogiesflelivesjuM|u'&Homèreet HésiodeContourscTHom.eitl'Utê.{Uet.Op.Ooetlling,p. 351»)Suidas,"O|*r,?oç;Proctue,VitaHomeri.
3. Hernifiblanux.tr. S,v. 1Set suiv.[A.uhol.lyr.deBergk);Diad.,IV, 25;Pausan X.7, 2; Eurip., Bhésot,945;Suidae,McvoaTa;.–
LégendedeMusée &Albénes,son tombeausur leMusée,Fous.,1,25.4. l'ausas.»I. 22.
LA £OÊS|£ FIÊulKKNK M'
solido, ce que nous no pouvons ni nier ni afftnuer, ilfaudrait admettre que la poésie piorionuo, on moine
tomps qu'ollo pénétrait jusqu'à l'Ilôlioou par la Thés,ttalio, dut arriver par mer à Élouais sur k>» cotus do
l'Attique; il n'y a rien là d'invrnisomulatdo. Le nom
«IKumolpo, lo Thrauo, (lui, d'après lit lôgtmdu t, vint s'i-Inhlir a Éhnisi» ot y célébra avec les lillos «loKtHéosh<srites dos ilôossos, su rattachu nutiirollement ù colui «le
Muséo, qu'on lui a donné tantôt puur jièio ot tnnt<U
piiur fils; au rosto Euuiolpo, amtUre roui ou liclif dolu fittiiillo «nconlotalo des Kumolpiilos, ùiuit plutôt cun-sitltnù cimiiiko un iiiiliutuur roligiuux que commo un
jintitoh proprement parlerKn Attiquo, la vioille puésio ruligiousu a encore un
ttutro roprûseutant dans la porsouno do l'amplios. Audira do Pausanias, co serait mùino lui qui aurait «ioni-
pusô puur lus Atliâuious lus liyuinus les plus ancions'.I.t-s orudits du u* ot du m0 sièclo après J.-C. lui nttri-liuuiuntdos liytnnos à Dôiuùtor, i»Arlôuu^à Posôïdon, aZiîiis, a l'A'us,aux CUariUis, compositions ôvidciiiinoiit
iqxicryplios, qui étaient pcut-iHro toutes rocontos ulors4.Il n'multo toutefois do cotto attribution quo l'uniphos«Huitrugardé comme un de ceux qui, par leurs hymnessacrés, avaient lixé la tradition roligiouse on Attiquo etdans la partio voisine do la Bôotio; et comme, d'autre
part, on no lui faisait honneur d'aucune innovation poé-tiquo ni musicalo, nous avons quoique droit de le con-sidérer comme un simple héritier do lu vieille tradition
piérionno.En faisant dans tout ceci, comme il convient, la part
t. Pansas.,I, 38.2.Suidas(v.K^oXr.oi)ne lui attribue quedes poésiesrelativesà
l'institutiondesMystères.3. Puusan.,IX.29.4.Taiwan..I, 38;VII, 21;VIII, 36; IX, 27,29,35. Philostrale.
Ilé~oïq~r,p. PAS(Ke1ftr),
Vf CUAPITRBPREMIER,– LES T 0BIGINE8
des (luutes nécessaires, il n'en reste pas moina qu'une
poésie roligiouse, aussi élémentaire qu'on voudra dans
ses formes, mais,considérable par aoninfluence, a eer-
taincmeiu existé dans la Grèce continentale dès les
temps préhistoriques. Le premier grand perfoctionne-ment qu'elle reçut lui vint do son contact avec una
poésio issue dos îles et do l'Oriont grec.
III
La religion d'Apollon, quitte qu'on soit l'origino,
semble avoir pénétré on Grèce à la fois par lo Nord
ot par l'Est, Pytho, qui prit ensuite lo nom do Delphes,
la reçut probablement do la Thessalie, tandis que Dé-
loi, qui en fut le contre pour la Grèce orientale, la rat-
tachait plutôt à l'Asie. Il est probublo que, de part et
d'autro, olle suscita dos hymnes et par conséquent un
mouvomont poétique; mais les témoignages paraissent
établir que la partie oriontalo do la Grèce vit naltro an-
ciennomont une poésie apollinicnno plus brillanto.
Cette poésie a pour représentant plus ou moins lé-
gondoire le lycien Olon. Ce personnage passait, à tort
ou à raison, au temps d'Hôrodolo, pour l'auteur d'hym-
nes qui étaient chantés à Délos par les femmes du pays.
Le témoignage do l'historien est fort curieux « Les
» femmes détiennes, dit-il, se rassemblent pour chan-
» ter un hymne que leur a fait le lycien Olon, et
» dans lequel elles invoquent par leur nom les vier-
» ges hyperboréennes Opis et Argé. Au dire des Dé-
» liens, c'est d'oux que les habitants des Iles et les
» lonions ont appris à invoquer ces vierge» dans dos
» hymnes et à célébrer ces fôtes 4. » Les chants en
i. Hèrutfote.IV,35.
"LX l'ÛÊàlÈ ÀÎMJLÙNIICNNÏ Ct
question se rapportaient au culte d'Apollon, puisqu'uny invoquait les vierges hyperboréennes, personnageslégendaires»do son cycle. Ainsi Délos se regardait ello-mùmo comme le foyer d'une poésie religieuse d'origineasiatique, qui avait rayonné autour d'ollo sur les lies«ilchez les lonions, et Apollon, aon dieu, était aussi ledieu do cotto po5»ie. Ceque Pausnnias nous apprend du
j*luasur Olon n'ajoute pas grawlVImso à cos faits. Hluialiribuo un certain nombre do compositions poétiques,dmil l'autlionticilé évidomniont n'est rioii moins quevraisemblable et il le proelamo la plus ancien auteur
d'hymnes qu'il y ait eu on Grèce ». Outre cos hymnesU'Glon, los Hélions citaient encore d'autres Uymnos an-cious on l'honneur d'Apollon, par exomplo coux qu'ilsattribuaient à la Sibylle Hérophilo, antérieure à la guorrodoTroie'. Ces faits, rapprochés les uns dus autres, mon-trant assez combien était furto et vivace parmi les lui-liitants de cette t!o l'idée qu'une grande poésio religieuseavait pris naissance chez eux, autour du sanctuaire deluur dieu.
Jusqu'à quel point cette prétention détienne était-ellu
justilioo par los faits? Il ost impossible aujourd'hui dodire exactement comment les choses durent so passerdans des temps aussi reculés. Peut-être d'autres pointsdu mande gréco-oriental, tels que la Crète par exemple,auraient-ils eu tout autant de droit que Délos à récla-mer pour eux l'honneur de cette initiative poétique.Maisce serait là une dispute do médiocre importance. Co
qu'on ne peut nier, ce semble, d'après les traditions allé-
i. Patuan.,1, 18;VIII, 21;IX, 27; hymneà IHIhye;V,7.hymneà Aeluea;II, 13,hymneà Hôra.
2. Putiian., IX, 2ï Aûxto; 'ÛX*,v5ç xat t»Ùî û(ivow; toi; «p-/«'ot«tovîtitoinoiv "EXXtjmv. CalUmaque, Hymne à DêUa, 304 Oî (Uv irai ESoum»6|»ovAuxloio T*povtoe, – 6v toi ànb EivBoio 6i6itpo«o; JWv 'QM*.
3. Poumb., IX, 18
03 CHAPITRE PREMIER. – LKS ORIGINES
guées, c'est qu'il y ait eu, dès les temps les plus anciens
de l'établissomont du culte apollinion dans ces paragos,une poésie liée i ce culte, qui se recun unissait olle-
mémo comniu suumise originairement à dos influences
asiatiques. Ces traditions nous permettent do croire quela poésie on question était indépendante de colle de»
Muses, dont nous avons parle précédemment. Celloci
se rattachait à la l*iério cellolà à la Lycie; l'uno célé-
brait principaloment Zeus elles dieux do son cyclo, Tau-
tro était «onsuerôu a Apollon. Co sont sans doute deux
manifestations a pou près contemporaines du génie hel-
Ionique, nées tuutos deux d'un môme état général de
civilisation et répondant aux mémos bosoins, mais, au-
tant quo nuua pouvons en juger, duos à dos influouces
diverses et niarquéus pur suite du caractères diu*éronts.
l'lus novateurs que leurs frères d'Europe, les tirées
orientaux se sunt toujours montrés moins sévères qu'euxdans leurs goûts. Ii est donc vraisemblable que leur
poésie religieuse a du, dès l'origine, séparer, pour ainsi
dire, plus richement, en faisant une plus large part &
l'élément musical. Costco que les traditions anciennes
semblent confirmor, lorsqu'elles attribuent à Apollon la
cithare et à Olon l'invention du vors hexamètre.
La phonninx ou cithare (^ôfpyÇ, x(0*piî ou xiOàpot),bien qu'inventée selon la légende mythologique parHermès est proprement l'instrument d'Apollon. La
poésie ancienne a représenté bien des fois ce dieu jouantdo la cithare, tandis que les .Muses chantent dos hym-nes Il est donc naturel de penser que cet instrument
1. Hymnehomériqueà Hermès,v. 25et suiv.Il est facilede voirquedanscettelégendeHermèsjouele rôled'inventeur,simplementparcequel'inventionut sonattributessentiel;mais la citharene lui ap-partient pas.
2. lliade.l,003 .çipsi'-YT'î«»pt*«î*foc,?,vIx' 'AnWJtov.–Movffiuv9' <*îSitîovâjssi6&|uv<tièiù x«M).Les passagesanaloguessont nom-breux; voyeznotammentHymneà HêyiaàJ,T. i et anW.; 333et
euiv.; l'infot\j, «m.. V.41et suiv.,Bargk.
LA POÉSIE AP0LL1NIKNNE 08
a été des la plus haute antiquité associé à son culte, et
que l'un et l'autre ont ou,àpou do choseprès, lesmômesdestinées. La cithare, fort simple à l'origine, convenaittrès bien aux chants primitifs Elle se prêtait à mar-
quer fortemont le rythme, et par suite elle dut contri-buer au perfectionnement qu'il reçut par la création del'hexamètre.
Diverses traditions avaient cours dans l'antiquité au
sujet dosoriginos du vers épique. On on faisait honneur
principalement, soit à la proinierc Pythio de Dolphes,l'Iiénionoë, soit au lycien Olon Cette socondo attribu-
tion est évidemment la plus vraisemblable Lo collègosacortlotal de Delphos, on donnant aux oracles la forme
de vers, se proposait do les rendre à la fois plus faciles
ai retenir et plus mojestuoux; il devait do toute néces-
sité su servir pour cela do mètres déjà connus, déjà fu-
iniliors par conséquent a ceux qui venaient consulter
lu «lieu; et parmi les métros do ce genre, il était impos.sible qu'il no préférât pas ceux qui étaient consacrés
aux hymnes religieux. La poésie a donc servi do ino-
t. On suit on quoi elle consistait essentiellement des cordes, ten-dues au. dessus d'une sorte cb botte sonore, formée parfois d'une écaille
lu tortue, s'attachaient par leur extrémité supérieure A un joui/ Uwyov)porto pur deux bras (Kr,z««) lu mubitsien les taisait vibrer soit en testouchant du doigt, soit à l'aide d'uoe petite pièce d'ivoire ou de mè-tul recourbée qu'on appelait le perçussent- (itXf.xtpov).Le nombre de«os cordes s'accrut a mesure que l'art musical lit des progrès onpeut dire, sans fixer de dates, qu'il y en eut d'abord trois, puis qua-tre, dans la périoie primitive.
£. Theod. Srall.ap. tiaisford. Script, lai. rei metriese, S37 « Bletrum•lactylicum llexametrum inventum primitus ab Orplieo Critias asse-rit, Damocritus a Museeo, Persinus a Lino, parmulti ab Homero. »yiein. Strom., I, c. 16 "Etc T«<rl -A *,ptôov-A É$«(mpov *avo9iav &,“Tjvaîx» 'Iwtflav, oî tk e«i«v, (ifav tûv Tit«vt!c*v, eiptlv. – Phâmonoâl'roclus. Chrettom. ap. Photium, cod. 239 (p. 319. éd. Bekker) Kat{Uta nP4x>o;| 6t. xhëno; itpÛTOVyXvifiOpt *T,nov6r,f,'A««)iX6)v»çjipo-çr.ti; U«|Utp«««-/picole xpi)««|Uvi).Cf. Eustath. ad lliad., p. 4, 1.Ulen Pausan., X. 5. – Traditions divergentes, Plutarque Pourquoih Psthif a cesse deparkr en «!>«, p. 621, et beaucoup d'autres.
fit CHAPITRE PREMIER – LES ORIGINES
dèle à l'oraclo, et nou l'oracle à la poésie Ajoutons,s'il faut ici un témoignage, que la tradition favorable
à Olen, c'est-à-dire à la poésie apollinienne orientale,est rappolée et confirmée par uno Béotienno*; ce fait
prouvo que, même dans la Grèce centrale, I09 prête n-tions de Delphes étaient loin d'être acceptées.
Que faut-il d'ailleurs entendre au juste par l'inven-
tion do l'hexamètre? Il est bien clair qu'un organismeaussi parfait n'a guèro pu naitre un beau jour tout formé
de l'esprit d'un homme C'est l'expérience seule, selon
l'obsorvation d'Aristote, qui a dà l'approprier à sa
destination On peut se faire au moins uno idée de ses
transformations probables.Le pied qu'on nomme dactyle est l'élément fonda-
mental de riiexanùlro Deux choses le caractérisent
nettement. Il est composé do deux temps égaux, et le
temps fort y précède le temps faible; ilfuutajouter quele second temps, bien qu'égal au premier, on diffère
pourtant, puisque l'un est formé d'une longue, l'autre
do deux brèves. Il résulte de là que le dactylo est graveet bien pondéré, sans monotonie et sans lourdeur. 11
convenait, par suite, mieux que tout autre pied, à des
chants religieux plus solennels que passionnés, et sans
1.L'oraclede Delphesd'ailleursnesembleavoirpris toutesonim-portanceque postérieurementau granddéveloppementde la poésieépiqueionienne.Bouché-Leclorcq.llist. de la divinationdansFanti-quiîi,Paris, 1879-1883,t. I, p. 359et suiv.
2.Bobo,dans Pausan.,X,5 lïpùto;8' àpjjatuvfafcavtixttJv«t'àoi-ïiv.
3. G.Herman,Elem.doclrinsmelricw,p. 331 Necaaneimmeritodivinumquidhaberevisaest hujusverausinventio,etc.
4.Aristote,Poétique,24 Totï |tttpovte r,pioïxbvàit'otîjçiu(p«cîjptio-luv(se.TîjtKOirotz).et plus loin aùri]tj çv«{tilintt ta àp(i4rtovait}.
it. Philologtu,t XI, p. 328.articlede E. vonLeutschaur l'Originedu nomset*pied*grées.L'auteurétablitquele dactyleestlepiedleplus ancienet qu'il ya en d'abordnnepoéaiepurementdactylique(p.349).
LA JPOÊ3ÏB ÀPOLMNÏENNE «5
«"uosiauttl. Grecque.– T. I.g
doute le sentiment dos premiers poètes d'hymnos ne
s'y est pas trompé. Dès qu'on out commencé à cher-cher un
moyen derythme dans la quantité relative
des syllabes et dans lour groupement, ee qui fut le faitdo l'instinct, on dut reconnaître immédiatement qu'en-tre les combinaisons élémentaires qui s'offraient d'elles-mômes, aucune n'était mieux
appropriée que celle-là àl'usage qu'on en voulait faire l.
Mais le dactyle une fois adopté comme pied fondamen-tal dans les hymnes religioux, il est peu vraisemblablequ'on soit arrivé immédiatement à reconnaître qui!convenait d'assemblor les pieds do ce genre six par sixpour en composer dos
groupes toujours identiques.Si Ton considère lo vers do l'épopée homérique il
semble qu'on y retrouve encore la trace d'uno soudureplus ou moins ancienne qui aurait réuni en un soûl toutdoux membres autrefois distincts, bien qu'étroitomentlt«s. Les césures qui le partagent on deux parties en
1. Bargk {Geachkhte der (,iech. Lilcrah»; t. 1, p. 3Si et suiv.) e-cprime une opinion fort différente. Frappé de li.nportancedu rythmeanapestique dans les chants populaires de l'ancienne Grèce, il penseque los premier, hymnes religieux et même los premiers chaléTques durent être composés dans ce mètre, et que l'hexamètre sortitplus tard de la réunion de deux membres
^^Ti^Z^Z(le premier diminué de son commencement fj^^dl«mK .1. ""s ")- Si lon rapproche bout à bout ces deuxmombres, on a on effet un vers hexamètre; e» réalité le rythme en esttout différent. Le moindre défaut de cette combinaison est d'ét™ en-t èrement arbitraire. D'ailleurs la conjecture nJTsSr V£ZfosXlnr'l0ll-'êtreprfbable-n8ei)TOt ^apestedSdaÏÏles chants populaires; mais les hymnes religieux n'ont jamais mTadesehantspoP»^.es;^ontdaavoiyrattMat^e^tère de gravité, de solennité, qui justifiait et
J^SS^^Ld'uo rythme particulier. Lo mètre dactylique était aussi Dabuel à.lalangue gmeque que le mètre anapestique, et il serait absolument in-m>yable qu'oa elU fait usage de l'un et ignoré la valeur de l'autre,jusqu au jour où un heureux hasard en aurait révélé la h«,nu Tune eombi«ai«.ft RM8j «^«u, fy^™1FBVéléto b««W-dan8
tf!_t i^* *
66 CHAPITRE PREMIER, – LES ORIGINES
sont comme le témoignage subsistant Un heureux ins-tinct lit sentir de bonne heure; ot pout-étro môme dès
l'origine, l'avantago do grouper oos membres tropcourts deux à deux. Co groupement dut donner nais-sance d'abord à une sorto de strophe; puis la souduredos deux membres devint plus intime, et le vers épiquese forma. Ce sont là des conjectures assez probables,mais en somme dos conjectures. Co qu'il importe de
dire, c'est que la constitution déiinitive do l'hexamètrefut une («uvre dos plus remarquables. La dignité natu.re Hounie à l'agrément, la grandeur associée à ta variété,et, avec cela, une sorto d'égalité qui convient aux -longsrécils, telles sont les qualités propres grâce auxquellesco rythme facilita la naissance do l'épopée et la servitensuite mervcilleusomont
11est impossible de savoir où et quand se firont ces
progrès successifs du moire épique. Peut-être fut-il ébau.ché simultanément par les poètes de la Grèce continen-tale et par ceux dos fies. Mais ceux-ci sans doute entirèrent tout d'abord meilleur parti, et quand leur
poésie vint su fondre avec ccllo du continent, l'essor queprit le génie hollénique no dut pas pou contribuer au
progrès do cet art naissant. w
1. G. Hermann, Elem. doclr. melriem, p. 332. Marins Viotoriaus,1, 19. Iuoisiones ettam versuura, quas Graci toi»à«vocant, ante om-nia in hexametro necessario observande sunt; omois enim versusin duo cola formandos est, qui herous hoxameter merito nuncupabitursi competenti divisionnm ratione dirimatur. Cf. Christ, Metrik derGrieehen und RBmer,g 303 (2«éd., Leipzig, 1879)et H. Gleiitseb, Me-Irik d. Griechen und Hômer, S 33 (Manuel d'I. von Mflller).
2. G. Hermann, Elem. doclr. tnetr.. ch. XXVI, S i. Quia est enimqui, si accuratius ejus naturam considéra verit, non admiretur exi-miam illam Gneeorum solertiam, qat in ipaia artisprimordiis statimiliud metruin repererint, in quo omnia que gratam varietatem, ve-nustatam, dignitatem carminibus adderent, conjancta eernerentur? 'tetc. Arist., Poil.. 24 TG yxç TipwiVov«rosviiuivaTCVxal «txu8«(rtaT0vt<3vfitfav litxli.
PREMIERS CONCOURS 07
eIV
Delphes somblait ôtro le lieu prédestiné où les in.llucncos grôco-oriontulos devaient se mêler avec collesdolaPiério. Par sos origines et ses relations on olïot,le grand sanctuaire de la Phocide so rattachait à la fuisau nord do la Thossalio et à la Crète, c'est-à-dire auxiloux foyers primitifs do la culture liolléniquo, ù coluidu. Nord at ù celui do l'Orionl. Aussi, lorsquo Delphessortit do l'obscurité, la fusion de ces deux influences netarda pas à s'y opérer.
La plus ancienne tradition relative aux concours
poétiques de Delphes mot précisément ce fait on pleinelumièro, « Lo premier concours établi à Dolphos dont»un fasse mention, nous dit Pausanias, lo premier pour» lequol dos prix aient été institués, consistait dans lo»cl~arit d'tai hymme en tleormeur du dieu. Chrysollt6mis» le Cretois y chanta et y fut vainqueur; on dit qu'il était»(ils do Carmanor qui purifia Apollon. Après Ghrysothé-» mis, Philammon, dit-on, fut vainqueur au concours» du chant, ot, après Philammon, Thamyris, son fils.
Hésiode, à ce qu'on prétend, ne fut pas admis au ton-»cours, parce qu'il ne savait pas s'accompagner en jouant» de la cithare »
Que nous apprend en somme cette tradition ? D'abord,que les premiers concours de Delphes furent des con-cours de poésie religieuse, ce qui confirme l'idée géné-
i. Pausan.,X,7. Onsait quel'établissementrégulierdesjeuxpytuiquespar décretdes Amp'.iietionsdate du commencementduviesiècle(vers585);maisonadmettaitgénéralementqu'ilsavaientexistélongtempsauparavant,commeentémoignela narrationrelativeà lafaussemortd'Orestedans YÉlertrede Sophocle,et il ne paratt pasdouteuxqu'iln'y ait unepart devéritéhistoriquedansla traditionrapporté»M.
68 UHAPITRK PHKM1KR. LBS ORIGINES
raie quo nous exposons on ee iiiomont; en second Hou»
que cas concours attireront successivement des poètesvenus do la Grèce insulaire et oriontalo, tels que le Cre-
tois Chryaolhnmis, puis «Vautres qui nous sont partoutdonnés comme des Thrauos, lois que l'Iiilummon et son
lils Tluunyris; enlln, quo tous cuux qui concoururent u
Delphos chantaient dos liymnos en l'honneur d'Apollonet s'accompagnaient de la cithare. Si nos conjectures
précède nios sont fondées, godernier fait ost particulier» •
mont intéressant car il nous fuit voir quelques-uns au
inoins dos héritiers do la tradition jiiériouno acceptantlos invention* nouvelle» do la fir&ui ariaiitalû oi acLoin-
plissuul ainsi la fusion féconda dos doux poosios origi-nairomeut distinctes. Apollon apportait aux Muses, ou-
tre sos rythmes perfectionnés, l'usago d'un instrument
nouveau qui chantait «in môme temps quo lu poMo «I
donuait a ses vers plus d'écltil et do sonorité, Lt>sMu-
ses do leur c«Uélui prêtaient sans doute quelque chose
do lu gravité religieuse et mystiquo do leurs vieilles tra-
ditions. Une ulliunco étroito et déJinitivo so faisait en-
tre ces divinités si hien faites pour s'entendre, Apollondevenant le maitro du chœur divin, lo dieu do toute poé-sie et do tout idéal, tandis quo los Muscs, intérieures à
lui on dignité, restaient cependant los dispensatricesimmédiates de l'inspiration
Est-il passible maintenant do faire dans cos événe-
ments généraux la part porsonnelle de quelques hom-
mes ot de démêler un pou de vérité biographique au
milieu des légendes rolativos aux personnages quiviennent d'olre cités? Voici on quelques mots co quel'on sait ou ce que l'on peut deviner sur chacun d'eux,
Chrysolhémis n'a, pour ainsi dire, point de légende.On disait seulement qu'il avait le premier chanté un
1. Tkiagon.,v. 91 'Exfàf Itovv&tv*a\lxn«4Xoa'Aft£AX»vo«–av-ty«CioiJoi&t«tvM x8ov\.5caixitapioraf.
XFOCLCraKT USSltUSBS «*
nome on l'honnour d'Apollon est s'accompagnant sur lu
oilliaro », Crétois, fils tlo Carmanor, qui passait pouravoir puriftô Apollon, il poraonnilio cluircuienl, par tous
te* titres a la fois, lu poé*io roligiouao u|iollinii»nfw,voiuio &Dolphos dus H«mgn.<uqùosdu lu mur Ëgûti.
Co (|ui nous uat rapporté do PUilainnion et do Tltn-
myriH s» réduit égatouicitt a pou do chose. Tous doux
nous sont représentés cotiuno itos Thruces iltt doivoul
dont; tHro rangés dans cette classe «lo clianlours miorés
qnt*la l'iôrio nvnil vuu nuilru et ilui de lais'ûluil répitu-duo du us lu (ïrècocontiiiuiiUtlo; inuis tous doux, inutgrôcvUv urigino, nous sont donnés couuno des ««prit* ou-
vorts aux nouveautés musicales et poétiques. l'Iiilani-
iiiuii pussuit on outro pour avoir institué les myatàrosdo Lorno ot appartenait ainsi à lu sério dos înitiatoura
du culto do Dômôtor et do lacchos ». On lui attribuait
uussi des noinos cithurédiques annloguos à ceux de Tor-
pitudro il ost à poino liosoi» do dîro quo cette ntlri-
liiitiun provonait ôvidcuiinoiit d'unu confusion entre les
liynuiOHsucrés dont nous venons du parler, chants d'un
<mr«cl6rograve et monotone, plus narratifs quo lyri-
ques, et les compositions musicales déjà beaucoup plussuivantes do Torpandro. Quant aux dates, les anciens
pluçuient lu vio de IMiiliunmon dans la période aulé-
riouri au retour des Héruclides lo vieux poèto aurait
donc été un contemporain des dynasties achéoimcs i'iu
Péloponnèse.
Thamyris, qui passait pour le fils do Philammon, a.
t. Pausan., X,7; Proclus,chezPhotius,cod.239(p. 320Bekker).a. SnMM,~Mtt)n.<,6i4)Mj)tt;~Me, H. S9t; Stfabon, VMï. as;2. Suidas,*i>ili(ia>v,6i|fjpi<;Iliade,II, 591;Strabon, VIII, 25;
Julien,Epist..41 Conon,dans Photius,cod.186(p. 132Bflkker).Ilestv.-aique, seloa Plutarque,de Mm.4.Philammonaurait été onDelphien.
3. Pauean..II, 37.Cettetraditionestd'ailleursconsidéréepar Pan-•aaniascommepeufondée.
4. Suidas,TépnxvSpo;.Plut.. deMus,,c. 3 et 5.S. Fiusâi. II, 37.
70 anÂPÎrBB PRBMÎKR. – lûtes ÙitlùINKH – ;– j–
un pou plus de célébrité que lui. Par la lôgendo mythn-
logiquo do son origine, il ao rattachait a la fois à Dulphe»et à la ThrAoe sa moro, la nympho Argiojio, t'avait
conçu pros du Pffntawe; puis elle avait quitté lo paya,et lui avait donné le jour ehe* les OJryua» S'il faut
tnttluiro ceci on lungugu historique, il oat difficile, ce mu
aeinht», do no |ms l'interpréter ainsi Tltainyria, coiutno
pitèto, était & lu fois un Piôrion ut un Dolphion, l'iériou
par l'hûritago poétique et religieux qu'il avait reçu et
qu'il garJuit liulphiou pur les innuoucoa apollinionnca
que Philaminon avait Hiibioaavant lui et qui lui furent
lranami*«*.
Mais la rououiuiâa do Thamyria pruvonuit surtout
de aa rivalité légendaire av«<cles Muses, C'est dans
l'Iliade que noua trouvons 1» plus ancien récit do ce
curieux «'pisodo, rappnlé ensuite pur pltiBiours écri-
vains de l'antiquité. On montrait on Mesaénio, prèsd'uno rivière nniumée Balyru, un vmlroit aulrofois ap-
pelé Horion; c'était là, disait-on, quo Tliamyris, revenant
d'fficlialia (plus tard Andania), dninoure du roi Eurytus,avait rencontré les Muses et los avait déliées do chanter
mieux que lui vaincu par ollos, il était devunu aveugleon oxpiatioii do Ha témérité, et avait oublié son art du
chanteur ol de citharisto Cotto légondi; attesto d'abord
l'introduction très ancienne do la puési<>religieuso dans
la Péloponnèse. Kurytos d'Œchalia, d'après los tradi-
tions, était le contemporain tk Nélvus, père do Nestor
Quant au sens do la lutte do ITIiaiiiyri» avec les Muscs,
il a été généralement interprété d'une manière qui n'est
peut être pas exacte. Le texte homérique nous repré-sente Thamyris comme vonant do chez Eurytos; par
1.Paaian.. VIII, 33. ·S. Iliade.II, S9«et miW.;Apotlod.,T,3; Stralwn,VIII. U; Pau-
md., IV.2.3. Cri- râsaiiedes Wseadte«pp?r(*« p»rPmumbIu.IV, 2.
itiAiiYttts ft~
iuito, Otfricil MUllorot Borgk ont vu on tui un dos pw-inion» uède* qui soraiont allait do palais on palais chau-
ler li>*légende* horoïquoi, et il* ont euniùdèro su lutlo
aveu lus Mu»o* comme ovllu do I» poonio prufann nuit»
«iinlt»avec l'uuciouuo pooaiu ri>lî|(itni*u. Lu légende»no
tlit riou du cela. Thamyria passait uu cunlruiio pmir nu
|Mtè|ud'un oaruc^ru h demi Htuwdulul; lunis vuiuins do
voir qu'au diro do l «uuiutiu» il fut vniiu|uo»r uu «t»«-
cmirn du Dolplio* un çliHiitunl un Itymuuà Apultuii; ot
«'«Ko«ipiuiuu «Huit ai liitm collo do l'antit|»iil»! qu'un lui
nttriliuuil uu« Théologie ou trtiin mille vur* Ku mitro
toile opposition ontru la p<H>»iuruligioutte ol la ptidiîa
jirofimc n'est guùru admUsililo d»nt co« lotujm primitifs,car la socondo célébrait les Imtos fil» dos tlioux, ot par
cousâi|uunt, bien loin do s'opiMisor à la pr»mi«Nr«,s'un
niitoriaait au contraire pour In compléter. Il fnut Irn-
tlnirn autroinoiil la vioillo tradition inos^niouuo, ot
cota purait faoilo. Audania ou (jRttlialin u «ti? aucionno-
mont un dos sanctuaires rôvôivs do la (irtu-ti Tliamyrin,on su qualité do chanteur Huen' y compoxiiit ot y récitait
sas Ityinnos, Sans douln, docil» aux influniit'ns dol'Orient
gr«in,il so montra novulour duns non art. l'no tnidition
fuisnit d« lui l'inventeur de I» quatrième cordo do la
citltaro primilivo Sans attacher uno grande valeur à
co genre d'ussortioiiH, un peut croiro du moins qu'iln'éluit pas considéré &turt coiiuno ayant été uniniô d'un
esprit do progrès. C'est sans doute h quelque innovation
leittéo ou accomplio par lui qu'il faut rapporter la lé-
gende en. question Elle nous laisse deviner quelquechosu du développement do la poésie dans la Grèce pri-
t. Suidai»,eipvpi;.S. l'ausan..IV, 1.3. Diod.,III, 5».t. Plino{llut.nul.,VII, SO)altrlbuoà Thamyrla,tans aucuoevrai-
aembiancod'ailleun, rinvenlioa de la musiquepurementitiBlru-iwtnlal»• Ci>M>*r>>»!»»y.f* <hw1«HTli»mwri»nrimim.
H chapitre prsmïeh, – le» ohioïnes
mitive et de l'opposition contre laquelle loa novateurseurent plus d'un© fois à lutter
Kn quoi consistait cette poésie ai complètement jtor.d«M»?Par quels»caractère* essentiel* a« distinguait-elledes chants héroïques qui devaient naître d'elio? On ne
pout mettre on doute qu'ollo na fut surtout énuméra-liv«. Si les témoignages ancien» relatif* aux chanta do»Musos no semblent pas «Incisifs îi cet égard, la siinplorellexion peut les cumplétor ot lo» cunllrmer. La viemorult" îttait «ncoro trop simple ot trop naïvo pour quechaque poète eut dos aontimonU persnmioU il oxprimor.1/AIAnmiit lyrique, dnn» <u««hymno», devait donc aurnduiro à dos invocations plus ou moins multipliera; lanom du dieu y révoltait souvent, entouré d'épithètesbrillantes ou sonores, qui aatiafaiaaient la piété. Le
poèto on développait lo nons, suit par quelque récit rudi-menlairo, oà los faits étniont soulomont indiqués sansaucune pointuro dn pnHHions,mût par des furtttulas gé-néralos qui oxprimnicnt la puissance du dieu. Sanschercher dans la litléraluro do l'Inde do» exemptas pluxou moins analogues, nous pouvons on trouver dans lapoésie grucquo ollo-uièino. Il no faut pas songer ici aux
hymnes dits homériquo», qui sont, comme nous lo var-rons plus loin, des rouvres d'un genre tout dilféront,issues do la grande épopée. Mais au début dos Travauxd'Ifésiodo, se rencontre une invocation probablementajoutée après coup au poème, qui peut représenter assezbien le type de ces antiques compositions
« Muses de Piério, dit le poète, déesses des chants» qui donnent la gloire, venez, célébrez Zous, volnt» propro père, dans vos hymnes; Zeus, par qui. sont
i. Si la légendede Thamyiisfut localiséeà Dorion,c'estpeut-élreque ce lt«u,tout proched'Œchalia,était celuides fêtesoù leahym-cesétaientclianté».Il eutpossibleaussiquelenomdela rivièrevoi-sineBatyraet l'étymologiepopulaire(inoftiXltivct,vXiîpav,Pausan.,IV, t) suffisent&expliquercettelocalisation.
N4TURE DR8 H YMNKS 78
» tons tes mortels, inconnus ou illustra, gloriou* ou» obscurs soton aa divine volonté. Sans poino, il donne» la Wot>; sans peine, il lu briso; sans peine aussi, ilu humilie oolut qu'on enviait, et il élève colui qu'on nemvoyait pua hqiih peine, il redressa et- qui est courbé et•>nétrit eu qui est glorieux, lui, le diou qui fuit grondai-» la foudro dans los airs, Zous, assis dans su doimniromsublime Prèle l'oreille, vois ut entend*, et quo l'ô-Il qiiitô rftglo tes jugomonU »
L'archiiïsiiiu dos oxnrossious, ta tuitr liiiindiqiio dos
{lonséesHoinblunl attester latitiquiti- d«<t;o morcunu. Ilest remarquable par sa forme si'Ut«)miousi) ut par la
multiplicité dus formules. (ta sont là dos traits qu'ondovait rencontrer souvent dans les anciens hymnesMais celui.ci n'exprime quo des pensées générales; ilne contient aucun récit, ni morne aucune indication dofaits mythiques. D'autres hymnes sans doute àtniont
plus narratifs On peut s'en faire uno idée par plusieurspassages do la Théogonie hésiodiquo, tels quo la brèvenarration relulivo &Styx et à sos onfunts (v. 383-103),l'éloge d'Hécate et l'énumératiou do sus honneurs
(UMt-152).Seulement il ne faut pas oublier que, dansun genre unique, les œuvres particulières ont certaine-meut varie'»,comme toujours on Grèco, avec les temps,!os lieux et la diversité do caractère des poètes.
D'ailleurs les circonstances, auxquelles ces hymnesdevaient s'approprier, n'étaient pas toujours les mêmes.Hérodote nous apprend que, clioz les Perses, un mage,assistant à chaque sacrifice, chantait pendant la céré-monie une poésie théogonique 3. Quolquo chose d'ana-
t. Travaux,t-9.2.Cf.la prièred'Achille,Mad,,XVI,233 ZtOSv«,âuBuvrft,Ifc-
tarpxi, tt,M8ivaluv, AuStivr,;(utiwvSj<r/<t|ii?o-j.3. H£rod., I, 13î M£]fOî ivr,? T.*fi<rtti>: (î% GuffrfJ in«t8« 6t&YO«iqv,
O",v «»!twtvoi Myovoiv tlvai tf.v insoiir.v.
?4 CHAPITRE PHEMIER. – LB8 0R1G1NR8
loguu a pu exister anciennement en Grèce. Le sacrifice
appelle naturellement t'hymne, qui lui donne sa signi-fleatictn et qui lo consacre. En outre, toute cérémonie
religieuse est une occasion de réunion, et quel momentserait plus convenable pour parier île» dioux que celuioù l'on se réunit pour los honorer? L'hyitmo dut purconséquent à l'urigino faire partie des rites du sncri-fleo, soit qu'il ftlt chaulé pondautla cérémonie mômesoit qu'on le réservat pour lo reposquien était lu suite1.Toutefois les trudilion* relatives à Chrysulliéinis, «
Thamyris. àOloi» saitibient attester un autro usago un
peu «titreront de celui-ci, bion que sans duulo simultané.Los hymnes étaient chantés aussi auprès dus sanctuai-
res, dans les fôtea qui uttiraiant la fuulo, ut où nuqui-ront sans doute les premiers concours C'est là que letalent dos premiers abdos de profession dut trouverl'occasion do se produire avec éclat, et c'est là aussi parconséquent que la ptiésio, dovenant plus hardie à mo-sure qu'ollo so sentait plus udmirée, prit véritablementson essor.
Quoi qu'il on soit d'ailleurs de cette histoire obscure,on ne peut douter qu'à la période des hymnes ne cor-
respondo un développement considérable do l'espritgrec, et quo l'iiifluonce de cotte poésie primitive surla poésie épique n'ait été furt grande. « Cesont lespoè-» tes Homère et Hésiode, dit Hérodote, qui ont fait lu» théogonie grecque, en donnant aux dieux leurs
t. Platon, loi*,III. xv (p. 100H. Est.) Ka(« r,v«!«o;««?,;tù/»'«(>&«(«où{,£vo|*aai C(ivot<Ka>o0vTo.On voitdans Callimaque{Hymneà Zbum,t) quel'hymneest chantéicapàonov8}»(.Cf. Proelas.Chret-tom.,chelPhotius,Biblioth..p. 320,Bokker 'O et supiu;-i|ivo««pô;wMpav̂8«totatûtuv. K. If.llermann,Uhrbuchd. Or.Alt., H, | 29,note6.
t. Ath.,XIV.54 'Attà |ir,vot àp^aïoimpUXaSovxalî«i<rtxa\v£|tai;toù«tôv tiûv û(ivou;çbiv<îit«vt«{ivt«Iç t<rtii»toiv.
3.. Pausan., X, 7. S '\px<utxatw il if^'i» ivMn pvniiovriovoi*«'« if* m «j/miuv 5W,« n«u«y (& CflpbfiS), ùdtii OilVftïSi; ïlv teiï.
OÏStÎNAtlON DB8 HYMNES 7&
n noms, on fixant les honneurs et loa attributs de ehti*» ound'oux, on dépoignant lotira formes » Le grandhistorien s'est trompé. L'honneur qu'il attribuait a \U>-mèro ot à Hésioderevient incontestablement aux poft.toadoa hymnes. Durant une périodo de temps quo nousna pouvons déterminer, ils ont (.'hanté, avec plus oumoinsd'art et de talent, les dieux do chaque ehi, et,
lorsqu'ils se mirent à voyager do sanctuaire en sanc-tuaire, ils contribuèrent à former, on les groupant,l'Olympehollôniqiie. Ce sont eux surtout qui ont popu-larise les caractères, les attributs, les formes mAinosdoc«3dieux; ils ont attacha à leurs uuimi cortninox ôpi-tluMosqu'une vénération traditionnelle a conservées
par la suite. Dolà vient qu'on rencontre en grand nom-bre dans la poésie épique des adjectifs archaïques, quinorépondent plus ni au goût, ni aux habiludos de lan-gagedu temps, mais qui s'y maintiennent par la forcetlot'usage do là vient aussi qu'on on trouve tantd'mi<trcs dont le sous général et purement descriptif attestequ'ils ont pris naissancedans uno poésioplus religieuseque dramatique Loshymnes ont été l'écolo des pre-miers chants épiques, comme eus chants à leur tour ontété celle de l'épopéohomérique.
i. Hérodote, II, 53.3. Des qualifications tolte» que «xs).«fifiitr,{, ppir.nuo;, tvuxXio;,ta-
>aû(!tvo(,poûKiç, olc.Bonl corlain«men(|ilutt anciennes que les chant»héroïques. Cf. Christ, Geieh. der Griech. Lilcral., 14.
:t. Il parait évident en effet que et la poésie héroïque avait créé elle-mûmoses épithèks, elle le* aurait empruntées &l'ordre d'idées quilui éluit particulièrement familier. Or c'est ce qu'elle ne fait presquejamais. rar exemple, entre les nombreuses épithétes attribuées à la
mer, il n'y a que celle de eipûitopo; qui ait quelque rapport avec leslégendes héroïques.
76 CHAPITRB PREMIER, – I,ES QR101NKS
V
Ciioieun peuple aussi vif d'esprit que lo peuple grec,colto poùsio primitive nu pouvait rester bionlungtompssemblable à otlo-iuomo. Kilo oui certainement son pro-grès intérieur, ol ce progrès devait la conduire pou à
pou à unu transformation. Les grands événemouts desxit* et xi* sieelos avant notre oit», – établissement desDorions dans io l'éloponnoso, chuta do la puissancenchûonnts dont Mycèues ôtait te contre, fondation A'n-tats uuUons ot ioniens sur tu littoral do l'Asie Miuoiire,
tous ces mouvements d'Iionunos, do passions etd'idées auront sur la poésie une innuenco profundo etdécisive.
Dès la (in du xu* siècle, pout-elro môme avant l'in-vasion dorienne, il sontblo que lu puissance achuvnnode Myc&nossoit ébrunlûo. Sous Oreste, fils et vongourd'Aguinomnon, une grande ômigration ho préparedéjù,d'après le l6motgnago de Strabon Une partie desAchéons so lève, quitte ses foyers, vi chercher quelquepart une nouvelle patrio. Ils se rassemblent à Aulissous Ponthilos, lils d'Oroste; puis ce chef, et après luison lils Arcliéluos et son petit-fils Gras, amènent cesexilés à travers la Thraco et l'Hellespont jusqu'au norddo la Troade. Ils traversent la péninsule dardanienneet viennent s'établir à Lesbos. D'autres Achéens, sousKleuas et Malus, également descendants d'Agamemnon,arrivent pou après do Locride en traversant directementla mer Egée. Plus hardis que leurs prédécesseurs, ils
prennent pied sur le continent mémo do la « SainteAsie », autour do Kyiné, près de l'Hormos. Dans le
1. Consultersur toueces faite le témoignagecapitaldeStrabon.Xm, I, 3-«(Meioeke).
ÉMIGRATIONS KN ASIE 77
cours du xi* sioclo, ce mouvement continue. Toute une
st''i'io d'émigrations" ioniounes, qui semblent avoir eu
l'Atliquo pour point do départ, jettent sur le mémo ri-
viigo, mats plus au sud, entre l'Hermos et lo Méandro,ilrs colonies principalement composées des fugitifs quel'invasion du Péloponnèse et sos conséquences chas-
saient do tour domicile. A tour tète figurent, selon la
tradition antiquo, dos chefs fils de l'Athénien Codros
et par conséquent issus do la raco pylieuuo des Né-
lidos.
l.'iiistoiro do ces établissomonts grecs d'Asie Mineure
mms est malheureusement presque inconnuo du xi°
siècle au vin*, c'est-à-dire pondant la période où nait
justement la poésie épique. Toutefois, dans celte obscu-
rité mémo, il y a quelques faits essentiels que nous
(levons relever, parce qu'ils ont ou la plus haute impor-tant:))pour cette poésie.
l.'«xil rapproche les hommes. Dépossédés do leur an-
cienne patrio, les Grt.s d'Asie durent se sentir ou quel-
que sorte plus frèros les uns dos autres. Nous voyons
parmi eux les Ioniens se grouper on confédérafion au-
tour du sanctuaire de Poséidon Héliconios au Panionion
do Mycalo; il est possible que los Achéo-Éolicns du lit-
toral mysien se soient associés entre eux do la môme
manière. En tout cas, il y eut bien certainement dans
co groupe de colonies une communauté de souvenirs,d'abord inconsciente, dont la poésie no tarda pas à s'em-
parer, Une bonne partie de ces fugitifs venaient du Pé-
loponnèse. Le dernier grand souvenir qui leur était
resté du pays natal, c'était celui de la brillante civili-
sation achéenne d'Argos ot do Mycènes, dont l'imageidéalisée demeurait [empreinte à jamais dans leur es-
prit. Les Achéens do Losbos et de laMysio» qui, sous les
descendants d'Agamomnon, formaient à l'origine le
groupe le plus Jhoiitojjèite, bardaient ce souvenir avec
78 CHAPITRE PRKMIKH. – LES ORIGINES
un attachement particulier; mais les Ioniens, leurs
voisins, n'avaient aucune répugnanco à s'y rallier, car
leurs pères avaient été associés à cette puissance. Donc
tous ces Grecs d'Asie étaient des Grecs d'avant la con-
quête dorienne. Comme nos réfugiés français du
xvu« siècle après la proscription religieuse de Louis XIV,
ils gardaient quelque chose d'antique et vivaient en
imagination dans te passé, ce qui ne les empêchait nul-
loment d'aillours d'appliquer lour intelligence pratiqueaux choses du présent. Au milieu mémo de leurs dis-
cordes, les traditions conservées et aimées étaient leur
siguo de ralliement. D'ailleurs ils les enrichissaient et
les élargissaient par dos mélanges incessants. On trou-
vait en Éolide des Béotiens à côté des Achéens; en lo-
nie, à côté des anciens habitants de l'Égialôo pélopon-
nésionno, on trouvait des Abantes, dos Minyens, dos
Gadméjns, des'Dryopes, des Phocidiens,des Arcadiens,
des Épidauriens, des Pylions. La nouvelle Grèce d'Asie
fut comme le creuset où se Ut la fusion de leurs légen-
des il s'y forma, pour ainsi parler, un large Achéismo,
qui fut la première forme de l'Hellénisme.
De plus, ces hommes intelligents et énergiques eu-
rent l'avantage, fruit do leur malheur môme, de se trou-
ver on contact avec des peuples différents. Les Ioniens
durent, pour s'établir à l'embouchure du Méandre,
faire une rude guerre aux Cariens, tribus asiatiques,
que la science moderne tend à rattacher à la racoKous-
chite, et qui avaient en par leur étroite alliance avec
les Phéniciens une période de gloire et de puissanceLes*Achéens arrachèrent le sol de leurs cités futures
aux tribus aryennes des Dardanions et desMysiuns. Les
uns et les autres devinrent voisins des Phrygiens, peu-
1.Maspero(Histoireanciennedespeuple»de l'Orient,p.238)renvoieà l'ouvraged'Kckstein,tesCaretdan»tanUquité.
LES LÉGENDES DES GRECS D'ASIE 79
jilode même origine qu'eux, dont les monuments attes-
tont encore aujourd'hui le génio original et le sons artis-
tique Là se trouvaient aussi les Lydiens, les Lélèges,
plus au sud les Lyciens, races mélangées. Ces ronoon.
très de peuples, môme hostiles, sont toujours marquéesdans l'histoire par des échanges heureux. L'esprit hu-
main n'a pas du moyen de progrès plus efficace quo la
comparaison. La race grecque, en se transportant en
Asie, et ov s'y retrouvant au milieu d'autres races dont
sans doute elle s'était dégagée quelques siècles aupara-vant, accrut ses facultés natives, emprunta et imita, ot
en môme temps prit une conscience plus nette de sa
personnalité.Enfin il faut noter encore que l'occupation du littoral
d'Asie, grâce aux avantages naturels du pays, créa bien-
tôt pour ceux qui l'accomplirent des conditions d'exis-
tence toutes nouvelles. Si nousadmettons quelo xiesiè-
cle tout entier, comme cola est probable, fut absorbé
par les difficultés du premier établissement, par les
guerres, par les travaux indispensables, par les fonda-
tions des villes, par l'appropriation du sol, nous pou-vons fixer approximativomentaux années qui suivirent
l'an 1000 avant notre ère le début d'une période de
prospérité croissante pour les Grecs d'Asie. Les poèmes
homériques, dans les rares allusions qu'ils font aux cho-
ses contemporaines, nous montrent des villes fortifiées
et bien bâties, des routes déjà tracées, des ports et des
chantiers, de grands palais, décorés à la mode assyriennede plaques en métal et de vives couleurs, des jardinsfruitiers, des vignobles, des terres bion arrosées grâceà une canalisation intelligente Nous voyons, dans la
célèbre description du bouclier d'Achille au xvm« livre
1.Maspero,mômeouv.,p. 239et suiv.î. Bochbolz,DiehomerizcheBaaKen,t. II. Leipzig.1883.Cf.Bel-
ing,VÉpopéehomérique,trad. Trawinski,e. VII-X.
80 CHÀPITAB PREMIEU. – LES OJUlïlNKS
de VJltude, une scène admirablo do labour, qui éveilleon noua des idées de fécondité paisible un roi, eest-à-diro un richo propriétaire, y fait accomplir par ses ser-vi tours dos travaux bien ordonné», que les dieux bénis-aont. L'ancienne poésie atteste ainsi par avanco coqu'Hérodote confirmera plus tard « Los Ioniens qui se> réunissent au Panionion, dit-il, sont, do tous les peu-» pies que jo connais, ceux qui ont bâti lours villes sous» le plus beau eiel et le climat le plus favorable «. » Etun peu plus loin « Les Éoliens d'Asiu ont un torri-» toire uieillour encore quo celui dos Ioniens, bien queIl leur climat soit moins excellent s ». H est vrai quo['Iliade nous laisse apercevoir aussi, parmi cos imagesdes choses contemporaines qu'elle évoque trop rarement, quelques scènes do guerre, une ville assiégéequi appelle du secours, une embuscade, des pillages otdes incondies. Cela prouve simplement qu'au milieu decette vie, en somme heurouso et facile on gardait en-core les armes à la main et l'instinct guerrier au fonddo l'Ame. Circonstance éminemment favorable à unepoésie qui devait retracer des aventures do guerre, mais
qui no pouvait être chautée que dans la paix.Tout ceci explique suffisammont lo grand essor que
prit la poésie épique en Asio Mineure, probablementdans le cours du xe siècle. Nous reviendrons plus loin,à propos de YIliade et de l'Odyssée, sur cotte questiondo date ot de lieu de naissance. Mais il importe, pourbien comprendre la suite des faits, de mettre dès à pré-sent co grand événement à sa vraie place. A coup sûr,nous ne pouvons pas affirmer qu'il n'y ait eu dans laGrèce propre, vers lo même temps, quelque progrès dela poésie, analogue à celui dont l'Asie Mineure fut
1. Hèrod.,1,14».2.Hèrod.,I, 14».
i. tR^WÈROS Çf
Hral. de la litt. Grecque. T. I. 0
alors tomain t, Mais dans ces ombres d08tompspréhis.toriques, l'histoire littéraire ne pout saisir que les faitsprincipaux. Or l'osaor poétique dont nous parlons s'estproduit alors onAsie Mineure d'uno manière si brillanteque tout autro fait analogue, plus ou moins probable,disparait pour nous.Essayons do nous onrendre comptemaintenant plus complètement, en montrantpar quelletransformation naturelle la poésie héroïque ust sortiedes hymnes.
VI
Lo sujet naturel de la poésie épique proprement dite,ce sont les aventures héroïques.
De nos jours, la mythologie comparée a dissipé ungrande. partie l'obscurité qui enveloppait autrefois leshéros primitifs de la Grèce8. Sans entrer ici dans desdiscussions qui lui appartiennent en propre, rappelonsce qu'ello a mis on lumière Les héros, à l'origine dumoins, étaient conçus en Grèce comme fils ou petits-filsîles dieux. Quelques-uns d'entre eux étaient en réalitéd'anciens dieux, longtemps honorés d'un culte local, etplus tard réduits à un ranginférieur par la prédominancedes divinités nouvelles. Thésée en Attiquo, Castor etl'ollux enLaconic, Idas et Lyncée on Messénio sont des
exemples de ce fait souvent signalé. Dans d'autres lé-gendes héroïques, telles que celle d'Héraclès, on trouveun curieux mélange dosouvenirs nationaux et de croyan-
».Légendosà cesujet ÉUen,ff««.variée.XI, 2 "Oxttjv'Opoiêov-tiouTpoiïnvJovïro|«pb'Ourjpev,»( çcnnvotTpot^viotX&yauCetOrœ-bantiosdeïrézènen'estcité aultepart ailleurs,et n faut avouerquecesXiyoiTpoirtvtotsont une médiocreautorité.
2. Preller,Grieck.Mythol.,t. II. p. i-8 (3*éd., Plew).Decharae,Mythologiedela Grèceantique,Paris, 1879,t. IV. lesHéros.
«9 0HAP1TRK PHKM1EW. LKS ORIOINES
ces étrangères. EnOn beaucoup de récits relatifs aux hé-ros étaient dos traditions revêtues do formes poétiques,qui conservaient la mémoire do l'origine dos tribua etde leurs anciennes relatioua ainsi que do quelques grandsévénements do leur histoire. II y avait donc des héros
plus mythiques, pour ainsi dire, et d'autres plus hiato.
i-iques; mais ces distinctions, intérossantos ù d'autres
points de vue, n'ont en réalité aucune importance pourl'
l'histoire littéraire. I.a poésie épique, dans les œuvresoù nous pouvons l'étudier, n'en a plus conscience ù au.
cun degré. Fiction et réalité, tout so confond pour elle.
Elle croit aux héros comme elle croit aux dieux, sans
leur domandor d'où ils viennent. Ce que la science mo-derne analyse, elle, au contraire, le syuthétiso sponta-nément. Il n'y a point pour elle d'élémonts divers dans
la légendo; colle-ci esta s ïs yeux quelque chose do vrai
dans toutes ses parties, un ensemble vivant, qui a ses
racines partout et qui s'alimente incessamment à ton-
tos les traditions anciennes.
Il n'est pas douteux que les héros n'aient figuré dès
l'origine dans les hymnes religieux de la Grèce primitiveles uns, parce qu'ils étaient dieux eux-mêmes, les au-
tres, parco que, issus des dieux, ils avaient place natu-
rellement dans dos récits qui embrassaient toutes les
choses divines. Les hymnes formaient une sorte de cyclosans cesse élargi; les héros y eurent de jour en jour plusd'importance.
Bien des choses durent contribuer à les mettre en fa-
veur. Plus ils devinrent distincts des dieux, plus ils fu-
rent aptes à intéresser les hommes. Malgré tout ce que
l'imagination grecque avait pu faire pour humaniserles dieux, ceux-ci devaient cependant garder, à moinsde déchoir complètement, une grandeur et une puis-sance qui les maintenaient toujours fort au-dessus de
l'humanité. On leur attribuait, il ont vrai, dos passions,
IlRÈU1T8 D'AVBNTURKB 88
dos craintes, dus joies, et mémo, dans uno assojs largoinosuro, doit peines ot des saulfranaas. Toutefois il fal-
fait bien qu'ils éehappaaaont du moins h la mort: cola
suflisait pour qu'il» fuswMiten toutes choses d«ua une
condition dîfféronto do oello dos hommes. Los héros au
contrairo pouvaiont mourir, ot, bien quo doués do qua-lités merveilleuses, ita étaiont hommes. C'était lu pouraux, au point do vuo do la poôsio, un avantage notalilo.
l'oMos et auditeurs s'identifiaient avec eux Mon plusfttuiloment. On vivait de tour vie, on s'axaltait dans leur
forée, un souffrait du lourd anxiétés, ou triomphait do
Untts victoires'. D'ailleurs ils étaient plus attachés quolui dioiix à lotir lioudo naissance. Ceux-ci, par leur utt-
tiiro niéiiio, toudaionl sans cosso à duvonir les dioux do
tout le moudo; los héros domouraioiit toujours los re-
l»rti.sculatUsd'un certain groupe d'hoininos. ils n'avaient
|ius«l'Olympoqui leur servit dedotnicilo commun, iUno
loiinaiont pas uuo fatnillo. Lotir lorro natato restait loin1
liuii d'habitation naturel; ils appartenaient iMeiir pou-
pie, et conservaient à jamais dans leur physionomio ses
traits distinctifs. On los on aimait davantage et on s' i-
téressait d'autant plus u tours aventures. Voilà pourquoi,
après avoir figuré dans les hymnes dos anciens temps,ils no pouvaient manquer, &mesure que la poésie deve.
nuit plus libre et plus vivante, do grandir en importance.Il est plus que probable quo, dès la période achéenne,
les lieras furent groupés parla légende on dos récits d'a-
ventures communes. Ce groupement no nous parait pas
appartenir, comme on l'a dit, à une phase distincte do
l'évolution légendaire*. Si certains héros, tels qu'Héra-clès et Thésée, étaient ordinairement représentés comme
isolés, ce n'était pas qu'ils eussent été conçus par la poé-sie dans un âge plus ancien; cela tenait simplement à
i. Consulterparexempleà cesujetHérodote,V,67.9 Bergfc,Qrieek.liter., 1.1, p. 489.
8t cïttfrm* rjnmwt, – iï**tmtmî«ts
l'origine mémo et à la nature des traditions qui leatuii*.cornaient. Lu logoiule héroïque est libra, complexe ot
eauridouao ollo a pu produire ot ollo a produit de» ré.cit* de divers» «orlt* wiiiiultsnâmutit. l.i» guornm d«»tribus, tours alliances, leurs entreprises cammtinos msont railûtétts daim dus Notions à demi rt*i*IU'».Tantôt onil fait d'un auul )iar«uitiiugfl lu rtipronuntuut do tttttl un
|itnii»l»', tautût on a réuni dans lus tégendaa uhiBÙmrithltrus, cuuunu un intérêt commun les avait réunin danxlu rÔHlitô.C'odt iiinni tluu unt|iiirout les récits rolulifitùillu guorro dos l.njiiUu's, aux doux gm>rro» do TliMm», hlu citasse do Mi'déugro, ut livauctiu|i d'uutro» dunt iiouhrotrtiuvoiiit «ù et là lu truco. Lu (dupurl suiu doute sontuutorieurs à la colutiUutioit do l'Asie Minuuro, au moinssuus tour rorme iirimilivo. Mais duns l'ignorance nbso-hio uù nous smnntcHdt) en ifti'iln ôtuimit alors, il doit suf-lir» du les inotitiunnur ici.
L'ussur d'iinugiiiiititin nu«|u«ldonuôruut lieu losgrandsinouvomontij do (inuplos signulôs plus haut dévolu»»»cousidôruldiMiiont cm U'-gondos h<')roïi|uas primitives.Losôinigruiils 4mi|utrt{ùfliit «v«ceux Unira truditions; «t,on les mêlant lus iiumsaux autres ou simplement on Im
comparant onlro olloa, ils las enrichissaient. En outre,la grandeur mômo do lcurs ontreprisos ot do leurs éta-blissements nouveaux oxerça naturellement son in-fluence sur tos fictiuns ot les souvenirs qui remplissaientleur esprit. Beaucoup do légendes anciennes grandirontalors, tout simplement parce que ceux (lui en étaient leshéritiers avaient grandi eux-mêmes. A mesure que lesfils prenaient une plus haute idée d'eux-mêmes, ils at-tribuaient à leurs pères des exploits plus merveilleux.
Tydée a dû gagner ainsi aux succès des descendants du
Diomède, et Againernnon a profité de la hardiesse deschefs qui se disaient issus de son sang. La gloire remonteaussi bien qu'elle descend. La guerre de Thèbes est de-
LÉOKXOK DR h\ GUERRE UK TKOIK 85
voiiup plus «unglanto à mesura que la Dclion a rendu
|ihu lititgtio et plus terrible collo df Troie, t't oello-d à-i.mtour n'a put du miiiimdoute lin*r pou d'âelat deaçuii-
i|inUt»sréelle sd<»l'émignition nohéu-èolionne.Cuite légendw do la guerre du Troio intéresse parti-
riiltoremuut l'histoire littéraire, |tuiHt|u't*llt>u donnétmissanco h YIliade et à YOdy^êe, II p«| diflltil»' do doter-miner aujourd'hui ci' <|u'ullu cunlioiil de râalitô. l'oul-ètre ecttu guurro représonto^-elle moins uno exju'ulitiun^rumlioso «t uuii|uo qti'uiiu «ûrio d'Iiustiiitéa wiuvunt
rêpÀtéus t'iUro lit puissance lu'liâoiuio du lu Gtim conti-uuiitiUunt la piiittsttiict»«lnrt!a»icnnr do la Troado. I.urtt-
tjH«l«s ÉuliùtiH,nu xt*8iècl«, prirent piud aur lu cùtu tl'A-si*1,lorsqu'ils uuront conquis I.oî»Ihiset la rivago mysioii,rcfouli'ice qui restait encore de Dordanions et b&lidesvill»* au pied d« l'Ida, luit nouvonirs des fuit» anciensoicM^Hà coux dos Avôiioiiionts réoouts durent totidro àan groupai* «miuno légoudu collective. Do môme qu'unehistoiro poétiquo s'«>slfuite puiuluiit lu moyen Age au*tour do Olinrlotnngne, do môme une liistoiro noi: moins
poétique se fit alors autour d'Agamemnon et d'Achillol'uu représentait los Acltâens du Péloponnèse, l'autreceux de lu l'Ulliio. La vôrittdile. guerre de Troie, trnns-
llgurée grâce u la poésio naissante, devint ainsi unesorte d'expédition idualo qui résumait toute la gloireudiéoune. Par là même, elle oxer<;a sur toutes les lé-
gendfs antérieures une attraction naturelle. Chaque citéet chaque tribu voulut y avoir son représentant touslos héros vinrent à elle pou à peu et s'y associèrent.
Quelques-uns. même, tels que lopylien Nestor, s'y trou-vèrent mêlés à dos compagnons d'armes, qui, d'aprèsla légende, n'étaient pas de leur temps. Mais en géné-rat les généalogies étaient déjà assez bien fixées par la
poésie de l'âge précédent, pour que ces confusions fus-w»nldifficiles. Ce fut donc la detiiière génération de hé-
86 GHAPITRK PHKMIER. tSS OHlûlNES
rua qui figura dunaet»U«guerre. D'autre pari, on laralta-
cha h la aôrie dos événement»plus récent» pur lu légendedos retours, qui ramenait l«mvainqueur» de Truie «huis
tour patrie, c'est-à-dire aux lieux mêmes d'où leurs pu-tiU-HU,les chef»do lu colonisationéolionno, ttuhouvo-
liaient d'ôtro partis. Celto légende dos retours uo fut
tl'ultonl suiiHduuto qu'un» partie tuut à fuit secomluiru
do la légondu gâuoraiti do la guerre du Troie, dont ollo
formait le dénouement. Mais, peu à pou, ou y môlu lu
souvenir do eatUBtroplioset do crimes doinostiituosquiavaient oiisttiigluntôdosdoniuurea royales on y lit en-
trer lo récit plus ou ntotiis fictif do voyage*iuvoluutai-
ros accomplispur los cliofsuclioonsquota tompôtoavait
dispersés elle prit alors uuo importance tout autre.
Les progrès do la navigation et los légondes maritimes
qui su formaientduii8 les ville» grecque»d'Asio Minourotendirent à l'augmenter chaque jour, Cofut bientôt,dans
ce cyclo do récits, coinino une suconde partie distincte,aussi iutércssunlo ot plus nouvelle que la première.
Cogrand travail d'imagination et do création poéti-
que no so fit pas on entier, bion certainement, avant
quo la poésieépique fùt née. Cefut elle-mômo qui l'ac-
complit on grande partie, à mesure qu'elle en éprouvale besoin. Quelques témoignagos anciens peuvent nous
aider à comprendre comment elle s'y prit et quels suc.
cès elle obtint d'abord.
vit
Dans notre moyon-ûgo français, nous voyons la poé-sie débuter par des compositions qu'on a coutume d'ap-
peler cantÙènet; simples récits versifiés qui étaient
chantés par le peuple, Rien no nous autorise à croire
PKBHresscKiNTkîPiQnDrBs wr
qu'il en ait été Je mémo en Grèce. Quand la poésie épi-
que y prit naissance, la poésie religieuse, « ce qu'il
s.'iiiblo, étuit on état do lui léguer un ensemble de pré-
ceptes et d'exemples, qui durent la Ji*peii*or d'uu long
apprentissage. La matière changea, mais la forint» no
fut d'abord qu'à peine modiQéo. Los premiers chanta
épiques étaient sana doute de véritables hymnes un peu
plus développés, lia débutaient par une invocation t\ un
dieu puis ils racontaient uno aventuro héroïque au
litui d'oxpuaor un mytlio; lu dilftntiice était insensililo;
ut il ost U8so*prubablo quo lo passugo d'un genrual'nu-
tru su lit, pour ainsi dire, «utro les mains des aèdus,
sans que coux-ci eussent niéino biou clairement cons-
cionco do la truiisfurinatioii qu'ils accoiiiplissaiont.Le premier fonds de ces chants était emprunté aux
trudilious anonymes qui circulaient alors partout. Main,
ùcoup sûr, les poètes de ces temps anciens, loin de ^'us-
servir à ces traditions, en usaient avec elles très libre-
ment. L'imagination d'un peuple jouno esltropeompItM-
suiito pour refuser à ses poètes la droit d'embellir lort
choses. Ceux-ci, qui sentaient on eux l'esprit d'un dieu
ut qui passaient pour elfoctivemeut inspirés, croyaient
même, dans une cortaino mesure, créor la vérité dos
événements pur lainanîèredont ils les racontaient. Lors-
qu'il n'y a encore dans une nation ni histoire, ni criti-
que, lorsquo tout le passé apparait comme obscur et
vague, il est naturel que colui qui éclaircit le mieux
les faits, qui les présente d'une manière à la fois vrai-
semblable et intéressante, qui les coordonne pour les
rendre plus intelligibles, soit cru de tout le inonde sur
parole, pourvu qu'il respecte les données très générales
de la tradition; et lui-même ne peut guère manquer de
considérer son œuvre comme une révélation divine. Le
germe de la légende était donc seul antérieur aux ré-
odyait, vnr»«9.
88 UHAHTKE PREMIER. –"LES ORIGINES
cita «les aèdes; mais on réalité ce furent ces récita qui
dégagèrent la légende et lui pormirent du ho dévolop*
per. Un assentiment Immédiat fut donné a leur» inven-
tions lus plus heureuses, à mesure qu'elles se produi»Huiotil elles prirent corps et elles deviiiruut quelquechose d'historique.
Ces promiers chants épiques ne pouvaient t uèro trui*
ter que les grands événements de chaque légende. Il
fallait tirer de l'obscurité lux choses principales pour
qu'il fût possible aux autres d'apparaître. Mais chaque
composition qui obtenait quelque succès devenuit parlu infime propre à on susciter d'autres qui tu conti-
nuaient ot retendaient. Kilo incitait en lumière quel-
ques faits nouvcaux, autour desquels d'autres épisodesvenaient bientôt Mgrouper. Une sorte du solidarité s'é-
tablit uinsi spontanément entre les aèdes. Sans qu'il yeût d'entente positive entre aux, ils acceptaient les in-
ventions les uns des autres, lorsqu'ils les trouvaient
admises déjà dans la croyance publique, ut ils s» con-
tontaiont do los enrichir par des additions toujourscroissantes.
Quand la légende fut assez complète et assez connue
du public dans ses parties essentielles, il se produisitun fait curieux, qui est d'uno importance capitale pour
expliquer la formation de l'Iliade et de l'Odyssée c'est
que les chants nouveaux, à mesure qu'ils naissaient,
commencèrent à se grouper entre eux. On savait d'a-
vance la suito des événements principaux, on connais-
sait le caractère des personnages, leur rôle, tours
grandes actions. Lorsqu'un aède, en racontant un épi-
sode dramatique, avait réussi à exciter particulièrementl'intérêt ou l'admiration en faveur de tel ou tel héros,
l'esprit de ses auditeurs allait do lui-môme à d'autres
épisodes connus où le même héros figurait, et le désir
du public invitait le poète à les traiter également. Nus
onOtTPKMBNT DES CHANTS ÉPIQUKS 89
|t>poèlo avait ou do suocN d'aliord «vue ses porsonnu-
gos, moinsil pouvait ensuit»' les ulmmltmuor.laiMiièm»
s'itttadiait à eux vu raison «IntttU'itt qu'il avait mis à
It s faire «gjr et parler, Une sorte d'affinité s*otal>ltssuil
«mire aux ut hit il les aimait comme les créations du
mm esprit, pt il revenuil do prôférentui aux acèuos où il
ôiuil quostion d'«u. ouuuiiu l\ collos où il so sontail lu
I»Iih on |iossitsàiou do son génie. Il ni résultait «ju'uiittiôimuièile étuit conduit Il traiter pur ox»»mj>lotoute uiio
NÔri»du -sofinos rolativos h Aoliillo un a Iliomèil»» ou h
Ulvssu, on so confuriuunt &cortuinos dimntios gûnt'ralus
<|ti'ilttvttit on pnrtb rt-çuns dr lu tradition, on partie Aè-
ttu'ininéus lui-iiiâuio. Un toi grouponunit 110constituait
pas des épopées à propromont parler c'était uno sorto
«lucyclu,quolquochuso d'intorinédiairo outre les chants
<'iilitV.»montisolés «l lo.s longsdévoloppoinontsciMitiuiiti.l.o vin* livre do \'0th/.m:c tutus mol sous les youx |t\s
faits quo nous signalons ici ut a co titro, il duit étro
considéré couiino l<>plus iinportuiil docuniont relatif à
l'histoiro do la poûsio épiquu en Grèce.
Ulysso inconnu est uccuoilli chez Alkinoos, roi dos
Placions. Un buuquot a liou lo londcmuin do son urri-
v^t!,d.ins la inatinéo. Uu vieil aôdo aveugle, Déinodo-
cos, y viwnt prendre place. On l'invite à chanter il se
lèvo, et lu musc lui suggère de retracer une querelle quieut liou entre Achille ot Ulysse en présence d'Agamem-
non.Cetlequerollo nous est mal connue. Mais ce que nous
voyous très bien, c'est quo l'aèdo est censé choisir à son
gré dans la légende qui ost alors le plus on faveur*
c'est-à-dire dans celle de la guerre de Troie, un épisode
qui met particulièrement en lumière les qualités d'U-
lysse et qui le montre même supérieur à Achille. C'est
donc Ulysso qui est le héros de son chant. Le récit
émeut profondément les auditeurs; à chaque pause du
chantcur, qui ménage ses forces et su» succès, des sic-
90 ÔIUPÏTRK i*«MMIEH. – LKS ORIGINES
clamai ions et des encouragements éclatout, jusqu'à ce
qu'il ait achevé. Voilà bien lu premier fait noté plushaut. L'aède a dégagé do la légondo un épisode tout à
l'honneur d'Ulyme il a représenté colui-ci d'uuo ma.
nibre si intéressante et si vivante quo son public est
pris d'admiration pour lo héros. Tout naturellement, ce
public rodomandera lo mémo personnage au poète, quisera obligé do lo satisfaire.
Kn ftiïot, lo soir, un nouveau banquet a lieu, où le
mônw aèd© et les mêmes convives so retrouvent on pré-senco.Qunnd lo ropasost lini, l'étranger, encore inconnu,sa lève; il adresse à l'aède des paroles flatteuses, le
loue de sou talont ot du choix do son sujot, puis il l'in-
vite à raconter un autre épisode lié au premier, colui
du cheval de bois, dernier acto du siège d'Ilios, où
UlysHuu joua le rôle principal « Démodocos, je te loue
» outre tous los mortels c'est la Muse, lillo do Zous,« qui t'a instruit, ou bien c'est Apollon. Car, ou vérité,» ton chant est parfait, lorsquo tu dis la destinée dos
» Achéens, co qu'ils ont fait, ce qui leur ost arrivé, ce
» qu'ils ont souffert. Eh bien, donne-nous maintenant
» autre chose à la suite; chante lo cheval de bois que» construisit Épéos avec l'aido d'Albèné, trompeuse of-
» fraudo que le divin Ulysse fit entrer dans l'acropolo» d'Ilios, l'ayant rempli d'hommes qui dévastèrent la
» cité. Si tu me dis cola comme il convient, moi, de mon
» côté, je répéterai partout qu'un dieu bienveillant a mis
» on toi le don divin du chant » Ainsi, c'ost bien lo ré-
cit du matin qui est la raison d'être immédiate du récit
du soir; c'est parce que l'aèdo a mis une première fois
on scèno le personnage d'Ulysse avec naturel et pathéti-
tique, parce qu'il a su faire ressortir la grandeur de sou
caractère et la finesso do son esprit, qu'il est invité à
retracer un autro épisode où le mémo personnage va
UOdyssée,VUl,487-498.
GROUPEMENT DES CHÀNTs &P1UU ES âï
roparattro d'une manière non moins glorieuse. Dans
t 0<~M< il est vrai, cola répond aussi à un tout autre
dossoin, qui ost tlo préparer la révélation qu'Ulysse,encore inconnu dos Phéaeiona, valeur faire de son nom;mais co dossoin est secret, et celui qu'Ulysse avoue ou-vertement doit avoir assez do vraisemblance pour le
dissimuler il faut donc que sa demande et la manièredont il la justifie soiont en accord uvee les usages quirognaient on co temps.
Kt maintenant peut-on interpréter cette so<">nod'unomanière diiïérentc? Est-il possiblo d'admettre pur ex-
oniplo, avec Wolckor •, que Dômodoeos soit censé réci-ter dos fragments d'un poème proprement dit, d'unoPetite Iliade, composée antérieurement par lui ? Rienn'est plus contraire à l'évidence. Le texte homérique nenous donne nullement l'idée d'un poème continu dontun détacherait dos épisodes; il nous montre dos chants
distincts, mais liés entre eux par le sujet, co qui ostfort différent. Ulysso vient d'être jeté à Skhérie par un
naufrage après un séjour do sept ans dans l'îlo do Ca-
lypso: comment saurait-il si Démodocos a fait un poèmesur tel ou tel sujet ? Co qu'il est censé connaître, cesont les événements que la renommée a publiés par-tout l'un de ces événements étant mentionnés parl'aède, il peut lui demander sans invraisemblance d'enraconter un autre qui s'y rattache étroitement. Cet en.semble de dires qui courant lo monde, voilà manifeste-ment ce que lo poète homérique appelle ol'jtt],propre-ment la roule suivie par le récit populaire à travers unesérie d'inventions variées
1.Welcker,DerepischeCyelta,1. 1, p. 268et suiv.2. Odyssée,VIII, 7* 0^ T?,çt4Tf£f» xXéocoùpavivejpùvfxavtv.
Il nofautdoncpasdonnerAcemol,paruneInterprétationtout arbi-traireet forcée,lesensdepoème;il désignesimplementune traditionconnueet fixée,à laquellel'aèdeemprunteles épisodesqui lui plai-sent.La traditionrelative&la guerre de Troieest l'eTu <̂giutrwmo-ducosdansVOdtjasiemetà contribution.
93 CHAPITRE PREMIER. LES ORIGINES
Ilest vrai que lo vin* chant do l'Odyssée appartient àun temps bien postérieur à celui où nous nous plaçonsen ce moment, puisque l'Odyssée, comme nous le ver-
rons, est née après YIliade, et que le vin* chant n'est
peut-être pas un dos plus anciens du poème. Mais n'hé-sitons pas à dire que cola •• 'infirme en rien les con-clusions que nous croyons a. uir lo droit d'en tirer. De
quelque façon et en quelque temps qu'ait été composéecette partie de VOdyssée, elle révèle certainement un
usage qui subsistait encore quand elle fut achevée.
Or, si l'on récitait ainsi des chants détachés, direc-
tement empruntés à la tradition, lorsque l'Iliade et la
plus grande partie de l'Odyssée avaient déjà pris nais-
sance, à plus forte raison devait-on le faire, lorsqueni l'un ni l'autre de ces grands ensembles n'existait.Nous pouvons donc être certains qu'au temps où la
poésie épique prit son essor, les choses se passaientordinairement ainsi. Les traditions étaient déjà riches,variées, et fixées dans leurs traits essentiels; le pu-blic les connaissait en gros les aèdes les lui racon-
taient on détail. Leurs récits, bien qu'indépendants les
uns des autres par la composition comme ils l'étaient
par la récitation, se rattachaient entre eux par suite de
certaines relations naturelles des épisodes et par le
rôle prédominant attribué à certains héros. Il se for-
mait ainsi, à mesure que ces récits partiels naissaient,non de grands poèmes au sens propre du mot, mais
des groupes de chants, qui pouvaient avoir, selon les
circonstances et le génie des autours, plus ou moins
d'unité intime.
L'Iliade, à sa naissance, ne fut pas autre chose qu'unde ces groupes, et nous pouvons espérer maintenant,en l'étudiant de près à la lumière do cette idée, en com-
prendre la formation.
CHAPITRE II
l/lMADE. – AXALYSE CRITIQUE DU POÈME
BIBLIOGRAPHIE
Manuscrits. – Pour l'étude détaillée des manuscrits del'Iliade, consulter J. La Roche, Die ftomerm/ie Textkritik im At.terthum,Leipzig, 1866, appendice. –Résumés utiles: A. Pier-ron, Iliade, t. 1, Introduction; W. Christ, Iliadis Carmina,Pro-leg., p. lOu. -Nous ne mentionnerons ici que les manuscritsles plus importants ou les plus curieux. En voici la liste parordre d'ancienneté probable
1°Plusieurs Papyrus (provenant de tombeaux égyptiens),savoir a, un fragment du livre XI, d'une trentaine de versenviron, trouvé en Egypte dans le Fayûm, et publié par Ma.haffy en 1891 il peut remonter au m» siècle avant J.-C.
les deux Papyrus de Balissier, appartenant au Musée duLouvre, l'un probablement antérieur à l'ère chrétienne, etcontenant seulement les débris des 39 premiers vers dulivre I; l'autre, du V siècle ap. J.-C., offrant 61 frag-ments de vers; c, le Papyrus de Paris (no 3 du Louvre), ap-pelé aussi à tort Papyrus de Drovetti, du i« siècle ap. J.-C,fragment du XIII» livre (28-47, 107-111, 149-173).Ce papyruset les précédents ont été publiés in extenso dans les Noticesetextraits des manuscrits, t. XVIII, 2»partie d, le Papyrus deBankes, du i" siècle ap. J.-O., trouvé dans l'Ile d'Éléphan-tine, XXIV»1., 127-80* e, le Papyrus d'Harris, un peu plusrécent, XVIIIe 1 311-617. – En général, tous ces fragments,si intéressants par leur antiquité et si curieux au point devue paléographique, sont aussi fautifs que mutilés la cri-tique du texte n'a presque rien à en tirer.
2»Le Palimpseste syrien(S, Syriaeus) du British Muséum, ivsiècle ap. J.-C., fragments des livres XII-XXIV. Édité parCureton, in-folio, Londres, 1851, avec fac-similé.
3» h'Ambntianus, dit Iliade peinte (Iiim pfcte>,à cause des
«4 CHÀPlTBE Il. – ANALYSE DR î."îtIADR
miniatures dont il est orné; v* siôole ap. J.-C., selon AngeloMal; 58 feuillets in-4°, contenant seulement quelques frag-ment-a du poème.
Ce sont la plutôt des curiosités que des ressources pourrétablissement du texte. Les manuscrits importants sontles quatre suivants
4° Le Vendu* ou MareianmA (Blbllotèquo de Saint-Marc, à
Venise, 431), x« siècle. Manuscrit d'une valeur exception-nelle, resta inaperçu jusqu'à la Undu siècle dernier, signaléet réellement découvert par le français d'Anase de Villol-
son, en 1781. 11contient, outre un texte soigné, les signescritiques d'Aristarque, et un graud nombre d'anciennes soo-
lies, qui nous donnent la substance des âorlts d'AiusTONi-oos (liioi <T<u!t«iv'l>ix^«;,i«r siècle uv. J.-G., oxplicatiou des
signos critiques d'Aristarque, selon sa doctrine), de DidymëGualcbntèuk (lUoi ti5; 'Apiorrâii^ow(JtoisOwTivç,môme temps),d'HÊttouiuN (iXt«xnr.yiVfkiu.,h* siôole ap. J.-C.), de Nica-Non (Ht«) «TTiyui; sur lu poitetuution, même temps). C'est doncune sorte d'abrogé du l'iuunenso travail critique fait surl'Iliade par tes savants les plus autorisés de la périodetilesandrine et romaine
8° Lo Venetusou MarcianusB (Biblioth. de Saint-Marc, 453),xi* siècle contient toute une série de soolies (les scolies Bde Venise), qui complètent sur quelques points l'immenserecueil du VenetusA.
0° Le LmtrentianuBC (Biblioth. de Florence, XXXII, 3), xi°
siècle, médiocrement correct; quelques bonnes leçons cepen-dant.
?• Le Laurentianus D (Biblioth. de Florence, XXXII, 1S),xi" ou xii" siècle, plus rapproché du VenetusA que le pré-cédent remarquable par l'omission certainement inten-tionnelle du Catalogue (H, 491-877).
8»Le Genevensis44 (Biblioth. de Genève). La partie primi-tive date du xm» siècle. Voisin du Laurentianus D, mais plus.fidèle à la tradition de l'archétype. Ce nis., dont s'était servi
H. Retienne, avait été perdu de vue depuis lors; il a été re-
mis en lumière en 1891 par J. Nicole, qui en a montré la va-
leur (tes scoliesgenevoisesde CIliade, 2 vol., Genève, 1891).
i.On trouvera l'historique de ce travail critique dans l'ouvrage citéde J. La Roche, Die homer. Textlr., dont il forme toute la premièrepartis.
BIBLIO€H»APHIE 05
Outre ces manusorits relativement anciens, il yen a beau-
coup d'autres plus récents et de moindre valeur. Nous neles énumérerons pas loi. Mentionnons seulement celui de
Cambridge (Cantabriijknsis), que l'on a cru a tort un des plusanciens sur l'autorité de Barnos, et les manuscritede Yiemu
G, H, L Iïiii' et XIVesiècles).L'étude comparée de ces manuscrits a démontré qu'ils re-
montaient tous à une réoension éclectique du m' ou du iv«siècle ap. J.-C. (Wolf, lliadt, Fréf.,y. xxxvi). Cette réoen-sion avait pour fondement le grand travail d'Aristarque. Delà vient qu'un certain nombre de vers rejetés par le critiquealexandrin ne figurent dans aucun de nos manuscrits; ilsont été rétablis dans le texte d'après des citations d'autoursanciens (IX, 458461 cf. Plutarque, De audiendis poclis, 8, etOcachilatoreet amico, 33; XVIII, «04-803 cf. Athénée, V, p.180D). Toutefois la récension éclectique, si Môle a celle
d'Aristarque dans ces passages. s'en écarte dans d'autres.Tous les manuscrits ont conservé certaines leçons qu'Aris-tnrque rejetait (XI, 460, mss. Utn ?«»}, Aristarque <x>r'«Sri});souvent ils préfèrent au texte adopté par lui les variantes de
Didyme et d':Iérodien (11,2S8, 330 I, 1 10).Il résulte de là
qu'ils procèdent d'un type commun contemporain d'Héro-
dien ou légèrement postérieur à ce grammairien mats ilsen procèdent librement, et chacun d'eux avec des variantes
qu'il est bon de comparer (W. Christ, pass. cité). -Àu
reste, tous ces manuscrits ne peuvent nous donner que l'étatdu texte de l'Iliade durant la période alexandrineet romaine,les plus récents même pendant la période byzantine. Lascience moderne est en droit de remonter au delà, car elleen a le moyen.
Sgolies. – Ici encore, nous renvoyons pour les détails à
l'ouvrage cité de J. La Roche. Les scolies de l'Iliade sontnombreuses et d'origines diverses. Des découvertes nouvel-les grossissent encore de temps a autre la collection. Bor-
nous-nous aux choses essentielles.Les plus importantes des scolies de l'Iliade sont les Sco-
lies A DE Venise nous en avons dit et expliqué la valeurà propos du Venetus A, où elles sont contenues. On peutdire qu'elles dispensent presque de toutes les autres. Ellesont été toutefois heureusement complétées sur certains points
99 ÇnTATITRK ». AHAtyse BB i^fcliM&S
(notamment pour le oh, XXI) par les SconKa ofixKvoiaKs
découvertes et publiées en 1801par J. Nicole (voy, plus haut).– Lks Soûlibs H de Vknisk sont d'une médioore utilité,
Le groupe des Pktitks sgomes comprend ta principale
partie de celles qui étaient seules connues avant la dôoou.
verte de Villoiaon (Seoiia minora, brevia, vetuitti);on le» appelleaussi Seoliet de Diiiymc; mais elles ne sont en aucune façonl'œuvre do Didyme Uholcentâre, et elles n'ont d'autre titre
à être ainsi désignées que la reproduction plus ou moins
exacte de quelques remarques de ce grammairien. Édition
priuceps, dite à Jean Lasoaris, in-folio, Rome, «517.
Mentionnons oullu toute une série de scolies addllioniul-
les, généralement de très médiocre valeur tes Siolies duma-
nuscrit de Townlttj, nulles de Ltipziu qui vont jusqu'au livre
XV11, utiles de Mùwou,do Ltydt, du nmnKserttUtirkytn, «te.
Décernaient onooio, en «875, M. l'abbû Duohcsue a découvert
un certain nombre de scolics nouvelles au monastôro grecdo Vutopédi. Hekkor a publié à Berlin, 1827,en 3 vol. in-
4», ta collection des Sco/iw sur e Iliade, avec le Lexique d'Apol-lonius (voy. plus loin) et des Index complets, l'ius récom-
meut, G. Dindorf a donné une nouvelle édition des scelles
grecques sur le imtino poème, Seholittgntecu in HUidem,4 vol.
in-8, Leipzig, 18751877.
A côté des ttcolies proprement tlites, il convient de signa-ler ici les travaux do quelques critiques anciens, qui eu sont
indépendants les Hevherclteshomériquesdo Porphyro ('O.uquxii
ÎDTnuxTit),dont une édition complète a paru récemment (HT'
phyrii <,uaestionumhomericarum ad Iliadem pertinentium reUquias
collegitH. Sehrador, in-8», Leipzig, 4880-82) l'abrégé d'un
ouvrage du grammairien Zénodore (date Inconnue), Intitulé
Tâvmpt rov«9ri«4mrouà; cet ouvrage comprenait dix livres;
l'abrégé que nous possédons a été retrouvé en 1868par le
savant français Em. Miller et publié par lui dans ses lié-
langes de littér. grecque, Paris, (808; le volumineux et indi-
geste commentaire d'Eustathe, qui fut archevêque de Thés-
salonique au xn* siècle (n^stxëoW ti; rir» 'Ojtijpou'O#'ta<r«»
xxt •O.tàSa); la partie relative à l'Iliade a été publiée par
Stallbaum, 4 vol. in-i», Leipzig, 1827-4830; enfin le frag-ment du commentaire de Jean Tzetzès (xne siècle), intitulé
>E$4yw^ tt; rijv Ofxîjpou'Uiâ^a,publié par C. Hermann, ln-8»,
Leipzig, 4844; son'ftrâgtmt iXkv/opnQtivu.en vers politiquesn'est qu'un «TorAgAsans intérêt des poèmes homériques.
8ÏBÏ.J00RA.P1UB 07
HiiL de ta LUI.
Owoquy^Ve.«l£\ 7
t 1 5\
Un certain Apolloatua, contemporain d'Auguste, avaitcomposé un lexique apôoial de VJthide et de VOtlgnée. Unabrégé incomplet et mutilé de cet ouvrage a été tiré en 1770da la Bibliothèque de Sftlut-Geruiain<-des.Prés par d'Angede VilloiMon et publié par lui en I77J. Oitle trouvera, commenoua l'avoua dit tout a l'heure, dans le recueil dea scoliesde Bekker. Il a ôtô aussi publié a part (Berlin, <833), 11faut ajouter que le Grand Êtymotogigut, sans pouvoir être oon-iiidâré assurément comme un lexique spàoial des poésies ho.luôriques, oontient, a propos des termes homériques, ungrand nombre d'expl ioations empruntées a ta critique qlexan-drine. Voir, outre l'édition de Uaisford, lo supplément pu-blié par Km, Miller dans «es BIHungestklitttr. grecque d'aprèsun manuscrit de Florenue. – Lo Lexique d'IIésyeliius offreégalement des ressources d'interprétation dues u la criti-que anoienne,
éditions – (On trouvera une revue assez dôtallléo dosprinoipales éditions de VIliade dans l'introduction déjà citéed'A. Piurron; mais cette revue, faite a un point de vue trèssystématique, ne nous parait pas donner une Idw juste dutravail critique contemporain.)
L'édition princeps de l'Iliade fut publiée à Florence auxv° siècle (tlomericar mina,2 vol. in-foi., H88) par le Greo Dé-mûtrlus Chalcoudyle, d'après les manuscrits alors en usagedans les écoles byzantines.
Au xvi» siècle, les principales éditions furent celles desAlde {première,2 vol. in-80, Venise, 1804.reproduction fidèlede l'édition princeps, avec quelques vers de plus; deuxième,2 vol. in-8°, Venise, 1517, avec d'assez nombreux change-ments; troisième,2 vol. in-8», Venise, 1524); – celle des Junte,2 vol., Florence. 1519; -la Romaine(4vol. in-fol. 1542-1550),édition princeps des Commentaires d'Eustathe; – l'éditiond'Henri Estienne, Genève, 1366, premier volume de ses Poetaegraeciprincipes heroici carminis; elle était faite d'après les édi-tions antérieures revisées sur « un vieux manuscrit »; J. Ni-cole (voy. plus haut) a démontré de nos jours que ce ms,était le 6«neoensts44; ce texte, fort soigné, a constitué la Fui-gate; en t588, H. Estienne le publia de nouveau à part, avecdo* corrections et une traduction latine.
C'est celui de toutes les ôdUtaos qui suivirent, jiifW* i«
88 CIUPITRK U: ANAUYSK HIB tifLÏADK
fin du xviii1 siècle, La déoouverta «leVlItaUan permit alorsda restituer i. texte de la période ntexandrlne et romaine.Il en fournit lui-même les élément» dans son édition du Yt•
neiiu A (Ilemeri Mu», ad vtttrit eodieisvtnttifidm rtcewito, lu-fol., Venise, (788). – F -A. Wolf les utilisa dans aon exoel-lente récenslon de l'Iliade (2 vol, in-8\ Halle, 1791], à la.quolle 11 adjoignit en 1793 les célèbres l'fali'gamènei. Cetturéaenslou, améliorée par Wolf dans plusleur* édition* huo-coaslvea, donne le teste de VltiuJi toi qu'il était vers le so.oond sidole de notre ère, après les travaux d'Aristarque etde tous tes oritlijues qui l'uvaient suivi.
l>uits le cours du xix* siècle jusqu'à nos jours, pliiHicuratendance* ne «ont inanifestôon i\ j ropos du texte de Vltnutc,
11 y a d'abord des critiques et c'est le grand nombre –qui piunuont pour bune de toute réaunalon l'excellent truvuilde Villoison, et qui tondent par conséquent à donner untexte qu'on pourrait appeler alezan iroromain, o'est-i\*direnristnrohlon par bos origines, mais amélioré par la critiquedes savants successeurs d*Aristarque pendant la périoderomaine. Cette tendance est représentée avec éclat par lagrande édition do Ileyne (Ilomeri earmina oum versioue Minaet annotationt, 0 vol. in-8°, Loipzig, 1802-1822);elle devait com-
prendre toute la poésie homérique, mais l'Iliade seule a parti,C'est un vaste et commode répertoire, où l'auteur a réunitoutes les ressources critiques qui existaient de son temps;des dissertations spéciales sur un certain nombre de ques-tions homériques y remplissent cinq volumes. A la mêmetendance se rattache l'édition de Dugas-Montbel, accompa-gnée d'une traduction et de commentaires (9 vol. in-8», Pa-ris, 1828-31,avec l'Histoire des poésieshomériques).
D'autres ont prétendu ou prétendent encore restituer letexte d'Aristarque lui-même. Négligeant de parti pris letravail des successeurs de ce critique, Ils veulent en revenir&l'Iliade qu'il avait constituée au second siècle avant notreère. L'initiateur de ce mouvement a été Karl Lehrs par sadissertation De Aristarehl studiis homericU,Kœnigsberg, 1833.G. Dindorf, qui suivait encore la précédente tendance lors-
qu'il publia sa première édition d'Homère (Leipzig, 1826-28),reproduite dans la collection Didot, se laisEa convertir en-tièrement par Lehrs, et sa quatrième édition de t855 est unessai de restitution du texte aristarebien. Cette méthodea été appliquée avec une sorte de passion dans Ylliade d'A.
BJBUOOIUPIUE 99
Pierron (I vol. in8«, S» édition, Paris, 1883),qui fait partieda la oollaollon d'éditions savantes publiées par la maisonHttQhetto. – C'est aussi en somme celle de J. La Rooha tltias,t vol, Jn-8», Lclpxlg, 1873-74).
La troisième tendanoe, qui nous parait la vraie, constatea traiter le- texte du l'Iliade avec une entière Indépendancea l'égard des critique* anciens, Les progrès de la philologiepermettent A la scltmae moderne de se faire une idée beau-aoup plus préolso de ea que devait être a l'origine VIliadequ'il n'ÔUit permis a Aristarque de le concevoir. S'attacherdocilement à Incrltiqutt alexandrine, c'est donc se faire igno-rant aana y 4tra obligé. Nous n'en voyons pna le profit, 11ont vrai que cotte Indépendance peut donner lieu a beaucoupd'écarts; 1» «agesso consisto à los éviter, ot non A suivre laroutine. Notons en oe genre la bizarre édition de PayneKnight (Carminiihomerka Ilias et OJyssea, Londres, 1820), pssuipar trop fantaisiste tl'une restitution de l'orthographe grec-que la plus anoienno; le remarquable travail do Ilekker(i vol., Berlin, 1843, etQonn, 183S),suivie en Angleterre parPuloy {The I/imJ of Ilomer, toith enylish notes, in-8», Londres,«800); la curieuse tentative d'A.. Koeohly, dont nous par-lerons dans le chapitre suivant (lliadis car minaXVI,schotarumin muni restitué, Leipzig, 1801 l'édition <le W. Ghrist{Ihmeri Uiailt carmina sejuncta, discreta, emendata, prukjjommhet «pparatu eiitieo instructa, Leipzig, «88*),qui présente, avecdiscrétion et hardiesse tout &la fois, les plus importants ré.Hiiltats du travail critique auquel l'Iliade ne cesse de donnerlieu. Celle de A. Fick (Goettingen, 1886)destinée ù rendreà l'Iliade sa forme éolienne supposée primitive.
Depuis quelques années, les éditions critiques de l'Iliadese sont multipliées, sous l'Influence du progrés général desétudes de linguistique. Il faut citer celles de A. Rzach(Leipzig, 1886-87),de J. Van Leeuwen et Da Costa (Leyde,1889),de Cauer (Leipzig, 1892).
Parmi les trés nombreuses éditions à l'usage des classes.qu'il serait impossible d'énumérer ici, mentionnons seulo-meut celle d'Amels revue par C. Henze. Rééditée fréquem-ment depuis 1868,elle a été tenue au courant de tout ce qnis'est fait depuis lors. Le texte, qui était à l'origine très vol-sin de celui de Bekker, n'a cessé de s'améliorer. Elle est pré-cieuse à la fois par l'annotation «t par tes Appendices, pu-bliés en livraisons distinctes, qui offrent un résumé substân-
100 QHAPITRE II. – ANALYSE DE L'ILIADE
tiel des principales discussions critiques auxquelles chaquechant a donné lieu.
LisxiguKs. Le» lexiques homériques sont iiw nombreux.
Le Dictionnaire 4'Uomêre et dt$ HbmCridt$de Theil et Halleyd'Arros, très répandu autrefois en France, a cessé depuis
longtemps do répondre a l'étal du texte, amélioré par la cri-
tique. Le lexique d'Autenrleth et celui de Seller, destinés
aux oiaases, méritent tour réputation. Mais t'ouvrago te plus
complet en ce genre est le Lexieonhomtrkut» d'Ëbeling (t vol.en 3 parties, Leipzig, terminé en 188!>),indispensable pourl'étude approfondie de la langue homérique. Il été abrégé
pour l'usage des et assea (H. Ebeling, Schulwerttrbuth su Homer,
Leipzig, 1800). – Dans un genre voisin, YIndtx kemerkm dt»
Gehring (Leipzig, Teubner, 1801)peut rendre aussi de grandsservices.
SOIMIAlilB.
I. Nécessita d'analyser les poèmes homériques pour trouver Homère.
Division de VIliade en livres et en sections. Il. Livres 1 /.«
Querelle. Sa valeur et son importance. III. Livres XI-X. Rup-ture du plan primitif. Sujets variés. IV. Livre XL I\otour à
l'idée principale: La Défaile d'Agamtmnon et de m compagnons en
l'absence d'Achille. V. Livres XII-XV. Développement épiso-dique de la situation L'Attaque du camp et des vaisseaux.– VI.
Livres XV (ûn)-XVII. La Patratlie. VII. Livres XVIII-XXIV.
La fin du poème ou AehiUUde,constituée autour du récit de la Mort
d'Hector (XXII" livre). VIII. Conclusion.
I
C'est par une analyse critique de YIliade qu'il nous
parait indispensable do commencer l'étude dos grandes
épopées grecques. Tout ce qui se rapporte à leur forma-
tion est obscur et profondément incertain. Par suite,
nous ne pouvons pas ici, suivant la méthode ordinaire,
aller du poète à son œuvre: nous possédons l'œuvre,
DIVISION DU POftME toi
mais non» cherchons lo poôloj V/iieule seule peut nous
apprendre co que cacha la nom d'Homère.
Dans cotto analyse nécessaire, notre dessein ost de
marquer à grands traits los caractères propres dos par-lins principales, d'indiquer rapidement par quoi les au-
(rus en diffèrent et comment oitos s'y rattachent néan-
moins, en un mot de laissor pressentir aux lecteurs,o.'t présence du texte même, les conclusions que nous
essuierons do dégager dans lo chapitre suivant II est
ln>n do se placer quolquos instants au cœur de la pué-sio homérique avant do sa risquer à lui demander son
secret.
Un mot d'abord do la division extérieure du poômo,V Iliade est aujourd'hui répartie, comme l'Odyssée, en
vingt-quatre livres ou rhapsodies Chacun do ces li-
vres est désigné par une dos lettres do l'alphabet io-
nien, qui devint, comme on le sait, à partir de l'an 403
avant notro ère, l'alpitabot attique officiel, et plus tard
resta comme l'alpliabot commun do tous les Grecs >.
Dans la Vie if Homère, attribuée a Plutarque, il est dit que
Insistons sur ce point qu'il ne saurait être question d'examinerici en détail toutes les difficultés que soulève le texte aotuel deVllbide.Nous ne mentionnerons mèmo pas uo grand nombre d'inter-polations qui sont probables ou presque certaines, mais qui n'inté.ressant pas la marche du ddvelopp3ment.1Pour cette étude, qui doitêtrefaite le texte en main, nous renvoyons aux Introductions de Henze,en tête des Remarques afférentes à chaque cUaut, dana l'Appendice del'édition Aineis revue par lui. On y trouvera aussi tout l'essentiel surla bibliographie du sujet.
2. Le mot rhapsodies, employé par Eustathe dans son commentairepour désigner les livres de Vlliade, est tout à fait impropre, bien qu'ilait passé dans l'usage, car il semblerait impliquer que chaque livrea formé, en un temps quelconque, une unité de récitation, ce qui n'estpas. Le terme de chants, dont on se sort quelquefois, ne convient pasmieux, et la raison en est la même. Ce sont des Uvre»à propremen tparler, ou plutôt des tonte;, c'est-à-dire des sections destinées à for-mer des groupes de même importance ou pou s'en faut.
S. F. Lenormant, art. Alpkabeium, dans le Dictionnaire de» Antiqui-tésde Daremherg et Saglio.
109 CHAPITRE II. – ANALYSE DE I/IUADB"
cotto division fut Ttouvro du célèbre critique alexan-
drin Aristarque ollo ne remonterait point par consé-
quont au delà du second siècle avant notre ère. Rus.
talhe confirme ce témoignage en l'obscurcissant car,
en môino temps qu'Ariatarquo, it nomme, comme au-
teur tio cotte mémo division, un autro critique alexan-
drin presque aussi célèbre, Zônodotu, sans distinguer la
part do chacun Quel qu'en soit l'autour, il parait cer-
tain qu'elle était inconnue avant les grammairiens
uluxandrins. On ne lu trouve usitée dans aucune cita-
tion antérieure, et elle répond &tout un système da di-
visions que les bibliothécaires d'Alexandrie mirent ù lu
mode. Utile pour l'usage courant, ollo n'a donc en elle-
môme aucune valeur pour l'étude quo nous entrepre-
nons. Ajoutons qu'elle est souvent très arbitraire, comme
on le verra par t'analyse du poème.Mais à côté de cette divisiou alphabétique, nous en
trouvons une autre plus intéressante. Celle-ci est ropré-
sontéo par dos titres variés, qui désignent brièvement
certains épisodes saillants (Mfôvi;, "Opxta, etc.). Quel-
ques-uns de cos titres figurontehez Platon et chez Aris-
toto, et cps écrivains ne connaissent d'autre division
de l'Iliade que colle-là les autres nous ont été conser-
vés par divers autours, entre lesquels il faut nommer
Élion et surtout Eustathe; ce dernier cite tous ces titres
dans son commentaire «. Quelques uns s'appliquent à
dos morceaux fort étendus 5; d'aulres au contraire no
1. Pb. Plutarque,Vied'Homère,c. 4.2. Euslathe,Comment,sur l'Iliade,p. 5(Stallbaum).3.Arist.,Poét.,t6et 24.Platon,République.1.X,p. 614B; Cralyle,
p. 438C: PelUHippias,p. 364E; /on,p. 539B.4. ÉHen,Hirt. variée.XIII, 14. – Cf. la tableiliaquede Bovill».
C.I. G.,n*612S.5. Parexemplele titredeAïo^Sou;àpurtttadésignaitnonaeulement
le V»livre actuel,auquelon l'appliqueordinairement,maisaussi le
Vit-Hérodote.II. ««, eite nnpwwn»»AnVI*Uvreaeluelcommedé-
tachédela AïoiujSovcàpumla.
UVREI 103
conviennent qu'à des scènes très courtes >. Il ne faut
((unispus croire que chaquu morceau pourvu d'un titre
spécial ait dû il t'origino ôtro récité isolément. La ton-
gtiour dos uns, la brièveté dos autres excluent égale-ment cette hypothèse. Lo plus probable, c'est qu'un cor-tuin nombre do costitres souloutonl appartenaient à dosmorceaux indépendants; quant aux autres, introduits
puii a pou dans l'usage par une analogie fort naturelle,ils ont servi à désigner certains épisodes connus; maisces épisudes n'étaient jamais produits est public isolé-ment et ne pouvaient pas t'être.
II
Quoique opinion qu'on ait sur la formation do l'lliatleet sur l'Age relatif do ses diverses parties, on no sau-rait douter que le premier livre, dans son ensemble,no soit le plus ancien de tout le poème. C'est là en effet
qu'en est établie la donnéeessentielle, à savoir l'absenced'Achille. Sans doute, la légende avait bien pu racon»
tcnlfyh qu'Achille et Agamomnon s'étaient un jour que-rellés a propos d'une captive, et qu'Achille avait eo^sépar dépit de prendre part pendant quelque temps auxcombats. Mais qu'on y réfléchisse tant que cotte que-relle n'avait pas été distinguée cin'o tous les événe-
ments- d'égale importance par un chef-d'œuvre, eût-ilété concevable qu'elle s'imposât comme une donnée né-cessaire à toute une série de chants ? Évidemment non:cequi lui a donné celte valeur et cette autorité, c'estle succès du récit admirable qui est parvenu jusqu'à
1. Letitrede Aoijii;entèteduI"livr« n«d<M»neproprementqu'onipisuded'une trentainede vers. Le reste est désignépar le motMf,
10* CHAPITRE II. – ANALYSE 1>K L'ILIADE
noua. D'ailleurs l'antiquité do ce récit est confirmée partous ses caractèroa.
Doux groupes do scènes remplissent co premier livre
en s'équilibrant mutuellement: l'un, qui comprend la
poste et la querelle proprement dite (v. 1-317); l'autre,où sont racontées los conséquences immédiates do la
querelle et lo développement qu'elle prend par l'inter-
vention dc8 dieux (v. 318-611),C'est on invoquant la muse selon l'usage tradition-
nel que le poète ouvre son récit (v. 1-7). Sous une forme
très vuguo, une sorte de sommaire des événements fu-
turs est contenue dans cette invocation. Beaucoup de
souffrances pour tes Achécns, beaucoup d'âmes de hé-
ros descendant chez Hadès, beaucoup do cadavres livrés
en pftturo aux chiens et aux vautours, voilà, entre les
choses à venir, celles qu'il nous découvre. On ne peut
s'empocher do remarquer quo le véritable développe-ment du poème actuel n'apparaît là que très imparfai-tement. Rien n'annonce dans ce résumé préliminaireles grands événements qui en rempliront la seconde
moitié, la mort de Patrocle, lo retour d'Achille, sa vic-
toire sur Hector. Le poète, uniquement occupé des re-
vers des Achéons, ne semble pas avoir la moindre idée
de leur triomphe iinal; il voit la colère d'Achille funeste
aux siens, et il ne songe pas au jour où, par une péripé-tie des plus dramatiques, elle doit se retourner contre
les Troyens et leur devenir bien plus funeste encore.
Quo faut-il conclure do là ? Ces vers, en raison même
de leur pou de précision, ne peuvent pas avoir été com-
posés par un aède pour servir d'introduction au poème
après son achèvement complet. C'ost donc bien l'autour
de la Querelle qui a dû les mettre en tête de son chant;seulement ne devient il pas probable par là même qu'enles composant, il n'avait aucune conception arrêtée des
événements qui figurent aujourd'hui dans l'Iliade ?9
LIVRE I 105
L'action commence, et aussitôt elle nous captive parun intérêt simple et profond. Los Achéens ont pris à
Chrysès, prôtro d'Apollon, sa fille Chryséis elila l'ont don-
née à tour roiAgamemnon; le vieillard, qui veut ravoir
son enfant, vient au camp pour la réclamer, lo front
couronné do bandelettes sacrées et les mains pleinesd'or. Agamomnon le repousse durement. Scène courte,mais d'un pathétique admirable. La prière du vieux
prêtre désespéré monte vers Apollon; le dieu l'entend,sa colère éclate, il lance ses traits contre les Achéens.
Pétulant neuf jours, la peste ravage lo camp; au bout
do ce temps, Achille convoque l'assemblée et décide le
devin Calchas à révéler la cause de la colère du dieu.
Culchas dénonce l'outrage fait par Agamomnon à Chry-sôs. Hn'en faut pas plus pour mettre en feu les passionsd'où naîtra tout le poème. Voilà le chef suprême dési-
gné comme l'autour des maux dont souffre l'armée: fu-
rieux, il invective le devin ot s'en prend à tous les chefs
indirectement: résigné à rendre Chryséis, puisqu'il le
faut, il entend bien du moins être dédommagé de son
sacrifice. Une telle prétention irrite l'impatient Achilleainsi s'engage la querelle. Les menaces et les provoca-tions, les outrages et les plaintes amères s'entrecroi-
sent. Aux paroles violentes succéderaient des actes
plus violents encore sans l'intervention d'Hère et d'A-thùné. Achille avait déjà tiré à demi son épée; il la re-
met au fourreau, mais il jure solennellement qu'un jourles Achéens regretteront de ne plus le voir combattre
pour eux. En vain le vieux Nestor intervient avec dos
paroles de paix; Agamemnon répète qu'il se dédomma-
gera aux dépens d'Achille en lui enlevant sa captiveBriséis, et Achille de son côté renouvelle sa déclarationde haine et d'hostilité. L'assemblée se disperse alors etAchille se retire, taudis qu'Agauie.'titiou su prépare à
renvoyer Chryséis à son père et fait purifier le camp.
106 CHAPITRE H. – ANALYSE DE L'ILIADE
Tout cela se tient et forme un ensemble qui se suffit
à lui-même. On se reprès >nteaisément un tel morceau
comme indépendant. Rien n'y dénote chez le poète la
conception précise d'une suite, arrêtée déjà dans son
esprit. S'il y a des allusions aux événements futurs,
elles sont vagues et n'annoncent rien qui ne pût être
connu des auditeurs par les données générales de la
légende Le poète n'introduit, à proprement parler,aucun de ses personnages comme nouveau; il n'expose
pas non plus la situation des Achéens au début de l'ac-
tion manifestement, son public sait d'avance les anté-
cédents et les conséquences de la scène particulière qu'ilextrait de la légende. Au début de l'Odyssée, nous sen-
tons la préoccupation do marquer le commencement
d'une grande action, en notant son point d'attache avec
les événements antérieurs « En ce temps-là, nous dit
» l'auteur, tous les autres qui avaient échappé à la
» mort cruelle étaient chez eux seul, Ulysse. »
Cela suffit à nous avertir. Un tel début prouve, à lui tout
seul, qu'au temps où il a été composé, l'Odyssée appa-raissait déjà comme un grand ensemble. Au commence-
ment de l'Iliade, rien do semblable. Ce sera seulement
au second livre, et d'une manière incidonte, dans un
passage sans doute plus récent, que le rapport chrono-
logique du poème actuel avec l'ensemble de la guerresera indiqué. La Querelle est, pour ainsi dire, en dehors
de tout calcul exact de temps, comme une scène quiavait toute sa valeur par elle-même et qui pouvait se
placer, par suite, à un moment quelconque de laguerre.La seconde partie du même livre se rattache étroite-
i. Lesseulesallusionsde cegenresontcontenuesdansles parolesd'Athèné(v.212814)et dans lesdéclarationsd'Achille.Elles nousfontsavoirseulementque les Achéenspaierontchèrementl'offensefaiteà cehéros.Maissi le fait dela querellefiguraitdéjàdansla lé-
gendeavantquecechanteût été composé,cequi ne parait pasdou-
teux,sesconséquencesgénéralesy figuraientnécessairementaussi.
LIVREI 107
mont à la première, qui aurait pu so passer d'elle, maisdont elle-même ne peut se passer. Agamemnon envoie
prendre Briséis dans latente d'Achille. Celui-ci la livre,mais on renouvelant son serment do haine et de ven-
geance. Puis, seul, amèrement affligé, il invoque surle rivage sa mère Thélis; plainte admirable, où l'accent
mial so môle à celui de l'orgueil irrité. La déesse appa-rait, écoute ses plaintes, gémit à son tour dans un sen-
timent de tendresse toute maternelle et s'engage à de-mander vengeance à Zeus, lorsque ce dieu, absent do
l'Olympe pour douze jours, y sera revenu. En atten-dant, Achille reste à l'écart, éloigné des combats et des
assemblées, tandis qu'Ulysse, envoyé par Agamomnon,reconduit la jeune Chryséis à son père qui révoque so-lennellement sa malédiction. Enfin le douzième jourarrive Thétis va trouver Zeus, et, par une prière pres-santo, elle obtient do lui la promesse solennelle que lesAchéens auront le dessous jusqu'à ce qu'ils aient donnésatisfaction à son fils. Le secret de cette promesse est
surpris par Hère, pleine de sollicitude pour les Achéens.Une altercation vivo éclate entre elle et Zeus. Le fils
d'Hère, Hèphaistos, intervient pour rétablir la paix etla cordialité après un festin joyeux, les dieux se sépa-rent pour se livrer au repos.
Comme on le voit, ce groupe de scènes ne constitue
pas un tout, distinct du premier c'est une suite et riende plus. Cette suite semble être une sorte d'agrandisse-ment que le poète a fait subir à sa première création.
Quelques légères contradictions de détails peuvent pas-ser pour des indices de ce double travail Mais ce qui
1. Laehmannles a notéesle premier(BetrachtungenùberHomerallias,éd. Ilaupt, Berlin,1874,p. 6).Voicila plusgrave.Les dieuxsontprésentsdansl'Olympependantla querelle(221-222);et lors del'entrevuede Thétisavecsonûls, qui a lieu le mêmejour (v. 318,318),ilest dit qu'ils sont tous partis la veillepour l'Ethiopie(v.121).
108 CHAPITRE II. – ANALYSE DE L'ILIADE
est bien plus instructif à cet égard, c'est quo le second
groupe révèle une certaine imitation du premier. Le
poète reproduit sous des formes nouvelles quelques-unsdos motifs qui lui ont déjà réussi et dont sa pensée som-
hlo avoir peine à se détacher. Achille, au bord do la
mer, invoquant Thétis, nous fait songer à Chrysès sur
le rivage, invoquant Apollon. Dans la plainte du héros,
la querelle nous est retracée une seconde fois; elle était
en drame tout à l'heure, elle est maintenant on récit.
La prière do Chrysès il son dieu pour l'apaiser offro,
jusque dans la forme, la contre-partie do celle qu'il luiadressait précédemment pour demander vengeance; le
serment do Zeus est comme le redoublement du serment
d'Achille; enfin la dispute d'Hère ot do Zeus rappelledo loin colle d' Achille et d'Agamemnon, d'autant plus
que do part et d'autre il s'agit des droits du pouvoir
suprême; et l'intervention même d'Hèphaistos entre
les deux divinités n'est pas sans analogio avec colle de
Nestor entre les deux héros. Cotte seconde partie, tout
on nous montrant le développement naturol dos événe-
n ants do la première, en est donc comme une ingé-nieuse variation. Par suite, si l'on y roconnait le môme
art et la môme pensée, on peut croire du moins qu'ellen'a été conçue pour faire suite à la première que quand
celle-ci était déjà en possession du succès.
Quottes ont été les raisons du poète lorsqu'il a ainsi
agrandi son œuvre? Si nous ne nous trompons, la con-
ception de cette seconde partie no s'explique pas uni-
quement par le besoin de compléter la première ou ysent aussi l'intention de donner plus do force et d'éclat
à un fait capital, l'offense d'Achille; et pourquoi cette
intention, sinon pour préparer d'autres chants qui se-
raient composés d'après cette donnée? Les déclarations
d'Achille y sont renouvelées en présence des messagers
d'Agamemnon, l'outrage est rappelé dans l'entretien
tïVBE r ioa
avec Thétis, le personnage du héros grandit par lesréflexions douloureuses quo sa mère fait sur sa desti-
née, enfin le serment solennel do Zeus avec l'appareildo majesté et do terreur qui l'ontoure, avec los révoltes
inutiles qu'il provoque dans l'Olympe, donne l'impres-sion profonde do la gravité des événements accomplisot de l'étendue des conséquences qu'ils produiront. C'est
grâce à ce complément remarquable que le chant dela Querelle a pu devenir la base de tout un édilice de
poésie, et par suite il semble difficile do nier quo sonauteur ait eu, en le complétant ainsi, la peuséo do l'ap-proprier à cette destination. Mais résulte-t-il do là quelos chants futurs, dont le poète devait avoir dès lors
quelque idée, lui soient apparus à ce moment sous laforme du poème continu quo nous avons aujourd'huisous les yeux? En aucune façon. La prière do Thétis etle serment do Zous attestent mémo lo contraire. Thétisdemande à Zeus que les Achéens aient le dessous jus-qu'à ce qu'ils aient donné satisfaction à son Gis, et c'estlà ce que promet Zous Or cotte promesse ne s'accorde
quo très imparfaitement avec l'action du poème; caelosAchéens donnent complète satisfaction à Achille auneuvième livre en lui accordant tout ce que Thétisavait demandé pour lui, et ils n'on continuent pasmoins à subir dos désastres par la volonté du dieu su-
prême leurs affaires vont même de mal en pis, jusqu'àce qu'il plaise à Achille d'envoyer Patrocle au combatet ensuite de renoncer à sa colère pour le venger. Zousfait donc en réalité dans le poème beaucoup plus qu'iln'a promis a Thétis au début, et il vient un moment oùil agit par suite d'un engagement qui n'a plus de va-leur et qui ne peut plus en avoir. A partir du neuvièmelivre, il est, pour ainsi dire, à la discrétion d'Achille,
1.V.509.Tifpa 8'ftt»Tpwt<r»itifetxpdhoc,fffp'5v 'Aza«o(iiïv ip&vttc«etv,ifîXkwaivxi i Ttjttj.'
110 CHAPITRE II. "– ANALYSE DE I/IWEADB
et il semble qu'il appartienne désormais à colui-oi dulixor l'instant où la colère du dieu devra cesser. Si |o
poète avait au d'avance ce qu'il voulait faire dans lasuite, si en composant la scène du serment de Zeus ilon avait déjà déterminé toutes les conséquences, il n'ost
pas douteux qu'il n'eût adapté plus exactement les ter-mes de ce serment aux événements futurs. La véritéest qu'il n'entrevoyait encore ceux-ci que confusément.
Le premier livre dans son ensemble nous parait doncrévéler chez son autour l'intention et lo projet d'uno
continuation, mais en excluant l'idée d'un plan arrêté
d'avance, par conséquent celle d'un poème à proprement parler. Ce que nous devinons au travers de son
œuvre, c'est uno conception encore vague de chants
futurs, qu'il se proposait de tirer successivement do la
légende.Cola étant, lo meillour moyen do reconnaitre dans le
reste du poèmo actuel co qui appartient à ce poète pri-mitif sera toujours do comparer chaque groupe de scènesà colles de ce premier livre. Notons-en donc briève-mont les caractères essentiels. Et d'abord, l'extrême
simplicité des moyens. Très pou de personnages dansla querelle, Achille et Agamemnon sont comme isolés;les émotions des assistants n'existent pas pour le poèteil est tout entier à ses acteurs principaux et ne songe
aucunement à la foule. En général, du reste, sa poésien'a pas d'arrière-plan toute l'action se passe sur ledevant de la scène c'est un bas-rolief plein de vigueur,mais sans perspective. Même simplicité dans les des-
criptions. Toutes sont utiles, brèves et fortes; l'effeten est concentré en deux ou trois traits, quelquefois enun seul. Le surnaturel prend chez lui quelque chosede naturel ses dieux sont grands et puissants; ils ontde la majesté, mais point de pompe; leur interventiondans les choses humaines est libre et franche; ils ne
LIVBBS 1I-X ilf
go dissimulent pas sous dos visages étrangers; Athèné
et Thétis apparaissont à Achille sans ompruntor pourcela la forme do mortelles. Tout osl donc simple chezce vieux poète, mais en même temps fort et grand. La
vérité des sentiments et des passions lui est familière;il fait parler et agir ses personnages sans effort appa-rent, sans subtilité, avec une naïveté pleine d'énergie.D'ailleurs la douceur et la tristesse ne lui sont pas plusétrangères quo la force, comme on peut le voir par laseèno de Thétis et d'Achille; mais il a do la gravité etde la réserve jusque dans l'attendrissement rien ne lui«st plus inconnu que la mollesse et la recherche dubrillant.
III
Il faudrait passer par-dessus les neuf livres qui, dansh pobme actuel, viennent immédiatement après le pre-mier, pour trouver la suite naturelle du récit qui vientd'être analysé. Ces neuf livres renferment pourtant
quelques-uns des plus beaux morceaux de l'Iliade. Delà un problème des plus délicats. Disons immédiatement
qu'il se résout assez simplement, si l'on considère cesmorceaux comme étrangers à la conception primitive.C'est la liaison seule qui est ici défectueuse, et notre ana-
lyse va le montrer.Voici tout d'abord un indice singulièrement probant:
c'est uno invention capitale qui n'aboutit à rien. Au dé-but du livre II, Zeus, seul éveillé pendant la nuit, songeaux moyens de tenir sa promesse et de faire périr beau-
coup d'Achéens auprès des vaisseaux. Après réflexion,le meilleur parti à prendre lui parait celui-ci il fait ve-nir Oniros (lo Songe) et lui ordonne d'aller trouver Aga-
lia CHAPITRE U – ANALYSE DE L*ILIADK
memnon pendaut son sommeil: qu'il lui dise d'armer
ses soldats ot do les mener au combat; a'il attaque main-
tenant, il prendra Troie. Comment douter on lisant cela
qua cette fausse promesse ne doive avoir pour effet n<V
cessaire une attaque imprudente dos Achéons, suivie
d'uno défaite sanglante? Uno telle invention, ai elle a
jamais fait partie d'un plan combiné d'avance ou sim-
plement d'un développement régulier, na peut être sté-
rite. II serait absurde d'admettre qu'un poète créateur
a imaginé <:oltu méditation nocturne de Zous et cette
tromperie divine si réHéchio pour n'en rien tirer par la
suite. Voyons dune e«>qui en résulte.
Agamemnon, réveillé au lover du jour, so croit sûr
do vaincre (v. 3540). Il convoque les chefs en conseil
particulier, lour fait connattre le songe quo Zeus vient
do lui envoyer, et, comme il est naturel, proposo do
faire prendre les armes aux troupes. C'est bien là ce quenous attendions. Mais auparavant, il veut éprouver ses
soldats, chose dont loSonge n'apoint parlé. Cette éprouve,
qui donno son nom au livre II (ITeTpa),estdes plus étran-
ges. Rien do ce que nous avons vu antérieurement ne
la justifie on quoi quo ce soit. Agamomnon, dit-on, veut
s'assurer dos dispositions de ses soldats qui viennent
d'être décimés par la poste et troublés par la retraite
d'Achille. A supposer que cotte raison fût bonne, il serait
en tout cas à remarquer que le poète n'en dit absolu-
ment rien. Nous aurions donc affaire à un nouveau pro-cédé do composition. L'autour du 1erchant se croyait tenude donner ses raisons: tout dans son récit et dans les
discours de ses personnages était clair et motivé: ici,
au contraire, nous devrions comprendre à demi mot, les
choses les plus essentiollos étant désormais passéessous silence. Mais, tout au moins, cette raison qu'ilfaut deviner est-elle bonne ou simplement acceptable?'l'ant s'en faut. En admettant que les troupes soient dé-
LIVRE II lia
Hiat. de la Litt. Grecque. – T. I. 8
eouragées coinmo on lo suppose, l'éprcuvo imaginéen'aurait do sons qu'autant qu'Agamemnon serait décideà on tenir compte. On comprendrait qu'il dit aux oltofsIl J'ignore les dispasitions do l'armée; éprouvons-laon proposant le retour. Si les troupes, comme je l'es-
pèro, s'indignent à cette idée et demandent le combat,nous attaquerons; sinon, nous nous abstiendrons. » Maisil n'en est rien; son intention est de combattre dans touslosea*: car il prévoit que la proposition do départ pour-rait être acceptée ot il recommande aux chefs de se te-nir prêts a contenir lo mouvement (v. 7a). Et, on fait, leschoses so passeront ainsi. Dans ces conditions, l'idée
d'Agiimemnon est vraiment déraisonnable: il est décidéù combattre, il a pleine confiance, ot, au lieu de com-
muniquer cette confiance aux siens, il s'expose volon-tairement à les décourager. D'ailleurs, il émet celle éton-nante proposition dans l'assemblée des chefs sans lamotiver le moins du monde; il semhlo que ce soit làune de ces idées quientrainent d'ollos-mômes l'assenti-mont: et, on effet, elle est acceptée sans discussion,'surune réihxion insignifiante do Nestor. Alors on réunitl'anné» tout entière en assemblée. L'épreuve a lieu:
Agmnemnon feint de vouloir se rembarquer. Il est vrai
qu môlo à dessain à son discours des raisons propresà retenir l'armée (v. 1 19-130).Mais ces raisons ne fontaucun effet; à peine a-t-il conclu, que la multitude desAchéens se lèvo avec des cris de joie et se précipite versles vaisseaux. Tout serait perdu sans Ulysse, inspiré parHère et Athèné1. Les chefs même, qui savent pourtantqu'il s'agit d'une simple épreuve, ont couru aux vais-seaux comme les autres; ni Agememnon, ni aucun d'eux
1.Arist.,(Poétiq..XV,p. 20Christ)blâmecette interventiondesdieux,commeune machineépique.il est inconcevableen effetqu'U-lyssen'agissepas ici par suite de ce qui a été convenuavec Aga-memnon,m»\n qu'il ait besoin d'nno inspirationparticulier*desdieux.
H4 CHAPITRE Il. ANALYSE DE L'ILIADE
no fait quoi que ce soit pour arrêter la foule; et bien
loin do proclamer alors, comme la vraisemblance l'oxi.
gérait, cotte promesse de victoire reçue de Zeus par l'in-
termédiaire du songe, ils n'en font pas môme mention.
Ce serait l'argument approprié, et cet argument noces
sairo ost entièrement passe sous silence. Seul, Ulysse,
pur son énergie, arrête lo flot humain et ramène les
Achéons à l'assemblée, où il châtie l'insolence de Ther-
sito il prend la parole alors et, rappelant les oracles
anciennement rendus à Aulis, il fait décider que l'un
restera. Quant à Agamemnon, son rôle est nul, et dans
tout cela il n'est toujours pas dit un seul mol du la pro-
messe de Zeus1. Le dieu a voulu tromper los Achéens,
mais sa tromperie n'a aucune inlluenco sur l'action. On
ne peut nier qu'il n'y ait là une série de contradictions
graves et une incohérence do plan inacceptable. Or il est
impossible d'expliquer cette incohérence par dos inter-
polations partielles: car elle tient à ce que les deux faits
principaux, la promesse de Zous et l'épreuve, no sont
pas en accord l'un avec l'autre. Il faut donc nécessaire-
ment que des morcoaux primitivement étrangers au
poème aient été raccordes ici maladroitement8.
1. C'estseulementplustard, dansle banquetdeschefs,queNestorfait peut-êtreallusionà cettepromessedivine(v.436).Encorecetteallusionest-ollefortincertaine,carlesparolesdeNestorparaissentse
rapporterplusnaturellementsoit au sacrificequi vientd'avoirlieuet qui a été accueilliparZeus(v.420),soitaux promessesantérieu-res desdieux(v.349et suiv.)
2. Kœchly(Opusc,1.1,p. 41)exprimel'opinionquele livre n est
composéde deux récits originairementdistinctsqui ont été fondusensemble.Je seraisplusporté à croireque l'Épreuveétait unchant
originairementindépendant,dontla plusgrandepartie a été conser-vée et raccordéetant bien que mal au récit de l'lliadeactuelleparl'inventionmalheureusedu songeet duconseildes chefs.Cerécit in-
dépendantdevaitêtrefortbeau,à enjugerparcequinousreste.Maisona remarquéavecraisonqu'ildiffèreassezsensiblementdupremierchantpar.les caractèresdu développement(Ameis-Henze,Anhang,!•<liv., p. 80-81).L'actiony est plus lente, les descriptionsy ont
LIVAB-II «5Suit tout un long développement épisodique. Les
Aehéons réunis de nouveau, Nestorpropose de les ran-
gor par tribus et par phratries. Do là un double cafalo-
gue, colui des vaùsaaux achéeos d'uuo part (v, 484-785)et de l'autro celui dos forces troyennes (v. 786 877),II est reconnu aujourd'hui d'une manière presque una-nimo que le premier de ces deux morceaux no convient
pas a la place qu'il occupe, et qu'il a du y être insérétardivement1. Quant au second, comme il correspond au
promior, il y a lieu de croire qu'il a été composé pour
onùlre comme locomplément1.
plus d'ampleur, les comparaisons y abondent, le poète s'arreto à desdétails (sceptre d'Agnmemnon, tOi et suiv.; portrait de Thoralte, 2Het auiv.)
1.Otfr. MttUer, Hiat. de la litt. gr., traduction Hillebrand, élition in-iS, tome I. p. 10bet suiv. Kœehly, Disserlatio secimda <le)tiadis car.minil.us,Oputc, t. ï, p. 21. Bergk. Griech. Uler., t. 1. p. 557. Princi-palus preuves Contradictions Mégès, fils de Phylée et roi deDulichion (II, 028); le mène, roi dds Épéens et habitant l'Élido (XU1,692;XV, 519). Melon, navarque dn vaisseau de Philoctète, de Mé-thone (II, 127); le mémo, chef des Phthiens de Phylaque (XIII, 693;XV, 334). Ajax de Salamine, à peine mentionné incidemment (557I550),maigri sa grande importance dans l'Iliade. Nouveautés lesArcadiens (v. 603414), inconnus dans le poème; de même pour Ni-rée de Syme. et les Grecs des Iles de la cote d'Asie (v. 671-680); demêmepour les Rhodiens et leur chef Tlépoléme (v. 6S3-670),qui ne fi-gurentque dans un épisode manifestement interpolé du V*chant. Im-portance des Athéniens (v. 546-566),et en particulier de leur chef Mé-nestheus,. «leplus habile des hommes à ranger des cavaliers et desfantassins couverts de boucliers », éloge que rien ne justifie dans lepoème. En outre, ce catalogue n'est pas à sa place dans un récitqui s'ouvre la dixième année de la guerre. 11 n'a pas été eomposépoar la circonstance, car il mentionne les Myrmidons qui ne combat-tent pas. Enfin il est difficile d'expliquer pourquoi l'autour énumèredes vaisseaux, lorsqu'il ne s'agit pas de batailles navales, et pour-quoi il commence par les Béotiens (d'où le nom de Bowtia employéquelquefois comme synonyme de K«t*Xoyoï«5v veôv),ce qui serait na-turel seulement si le catalogue précédait par exemple le récit d'uneupêdition partant d'Aulis ou celui d'un débarquement sur la terretroyenne.
2. O»fr, Huiler, ouvrage cité, p. i!û. Bcrgfc, p. 567. On a remarquéaussi très justement (Ameia. Hanze. ouv. cité, p. 82)que le message
116 CHAPITRE IlV– ANALYSE DE L'IUADE
Le combat va-t-il enfin s'engager ? allons-nous sortir
de ces détours déjà compliqués? Les deux armées s'a-
vancont Tune contre l'autre; ollos sont sur le point
d'en venir aux mains, lorsque tout à coup un combat
singulier so trouve substitué à l'engagement général
que nous attendions. PAris vient de défier les chefs
achéens, et c'est Ménélas qui répond au déli. Une con-
vention doit être conclue à ce sujet.– Tandis qu'on
la prépare, Hélène se rend sur les murs de Troie, et là,
accueillie avec une tendresse paternelle par le vieux
Priam, avec admiration par les vieillards troyons, elle
montre A Priam les principaux chefs achéens en les
lui désignant par leur nom; scène célèbre sous le nom
do Tai/ocjumia >. Cependant la convention se con-
clut. Si Ménélas est vainqueur, les Achéens repren-
dront Hélène et recevront do plusun dédommagement
moyennant ces avantages, ils lèveront le siège et se
retireront si au contraire blénélas est vaincu, its s'en
d'Iris, qui ordonne aux Troyens de se compter, est tout à fait en dé-saword avec le dessein de Zeus. Celui-ci vent pousser les Troyensan combat et leur assurer la victoire il leur fait dire justement ce
qui est le plus propre à les empêcher de sortir de leurs murs (v. 796et auiv.). – Omissions Il n'est rien dit des Uaucones ni des Lélèges,alliés importants des Troyens, 'souvent cités dans le poème (X, 489,829; XX. 96, 389; XXI, 86); rien non plus d'Asteropéos. Nouveau-tés Kcnomos le devin, tué par Achille dans la rivière (II. 861); in-
connu dans l'Iliade. De marne Amphimaque (II, 871). Otfr. Millier re-
marque en outre que Stasinos n'aurait pas mis à la fin des Chants
eypriens un catalogue des alliés de Troie, comme nous savons parProclos qVil le fit, si l'Iliade eut déjà contenu nn catalogue sembla-ble.
i. Cet épisode se rattache mal à l'ensemble du- poème (Ameis-Henze.ouv. cita, p. 162).Hélène nomme à Paris quatre héros aehéens,
Agamemnon, Ulysse, Ajax et Idoménée. Les deux premiers sont dé-crits avec soin; lu troisième, Ajax, si important dans le poème actuel,n'est qu'indiqué (v. 229) en revanche Idoménée occupe fattention
plus qu'il ne le mérite; et il n'est rien dit de Diomède, qui va êtreau premier plan dans le en. V. Mais an réalité, ce n'est pas spécia-lement la Teixooxonte qui se rattache mal à VIliade actuelle, c'est le
groupe entier des chants III et IV.
LIVRESIII ETIV il?iront sans aucun dédommagement t, Est.ce là une suitepossible do l'action commencé© La fausse promesse devictoire faite par Zeus au roi Agamomnon devient deplus en plus inutile. Celui-ci, bien loin de se laissertromporpar les paroles dudieu, n'en tient aucun compte.S'il y croyait, la convention serait inacceptable. Com-ment admettre qu'il renonce, sans mémo délibérer, àun succès certain et complot pour l'espoir très incer-tain d'un succès beaucoup moindre? Cette invraisem-blance énorme n'est même pas atténuée par la seuleexcuse poétique qu'elle eût comportée, o'estàdire parl'entraînement des passions car la convention estcondue froidement et solennellement, non entre les com-battants, mais entre les deux chefs suprêmos. On vachercher pour cela le vieux Priam dans Troie, on l'a-mène dans la plaine du Scamandre, et là le pacte estscellé par un sacrifico et des serments, dont le poètenous donne tous les détails. Le combat singulier a lieula description on est conforme à un type que nous re-trouverons plusieurs fois dans l'Iliade. Paris va êtrevaincu et tué, quand Aphrodite le sauve, comme ellesauvera Knée au cinquième livre. Tandis qu'elle letransporte auprès d'Hélène et fait succéder, malgrécello-ci,l'amour aux combats, Ménélas erre au front del'armée troyenne, cherchant vainement son adversairedisparu. Agamemnon alors réclame des Troyens tfexécu-tion du pacte et les Achéens appuient à grands cris saréclamation.
Nous nous attendons à ce qu'une réponse quelconquelui soit faite. Mais brusquement le poète nous trans-porte dans l'assemblée des dieux. Zeus se moque d'Hère
1.Ona remarquéqu'unetelleconventionse comprendraitmieuxla premièreannéede la guerreque la dixième.Celaeat vroi. Maisles invraisemblancesde cegenresontdecellesquetouslespoètessepermettentsans scrupule.
ii8 CHAPITRE II. – ANALYSE DE L'ILIADE
et d'Ath&né qui ont laissé blesser Ménélas, tandis
qu'Aphrodite a sauvé Ënée, Hère s'indigne elle veut
la destruction de Troie Zeus cède, et elle obtient l'au-
torisation défaire rompre la convention sans cela lu
guerre était finie et le serment de Zeus restait sans ef-
fet. Pour qu'il n'y ait pas contradiction absolue entre le
rôle joué ici par Zeus et l'engagement pris par lui en-
vers Thétis, on intorprète avec complaisance la penséedu pcète lodieu fait semblant, dit-on, do se laisser con.
traindre, mais en réalité c'est lui qui excite les déesses.
Nous sommes surpris en ce cas que cela ne soit pas in-
diqué expressément cette antiquo poésie est d'ordi-
naire plus naïve. Les deux déesses poussent lo Lycien
Pandaros à une perfidie. Doloin, tandis que les Achéons,
sur la foi du pacte conclu, sont sans défiauce, Pandaros
lance une flèche à Ménélas et l'atteint. Il semble que
cotte trahison dovrait provoquer un grand mouvement
dans les deux armées. Est-il possiblo que les Achéens
ne protestent pas avec indignation ? qu'il n'y ait pas
un échange de paroles entre les chefs dos deux armées?
Nullement. Agamemnon so lamente, envoie chercher
Machaon pour soigner son frère, mais no s'adresse pas
même aux Troyens. Ceux-ci d'ailleurs s'avancent déjà
en armes, ce qui force les Achéens à s'armer de leur
côté. Il faut avouer que cette offensive brusque des
Troyens est bien inattendue. Ils se sont réjouis du pacte
conclu (III, Hi et 320-23); ils n'ont aucun intérêt à le
rompre tout au contraire et sans rien tenter pour le
maintenir, sans qu'Hector qui l'a fait conclure (III, 37-
78) intervienne en aucune façon, sans être attaqués ni
provoqués, ils s'associent à la trahison de Pandaros
d'un mouvement unanime et spontané. Il est trop clair
que le poète a besoin d'un combat et qu'il ne prend
pas la peine de le motiver sérieusement. L'auteur du-
Ier chant avait un tout autre souci des vraisemblances.
LIVRES V ET VII UQ
Du moins, nous voudrions que cette rupture fût justi-fiée par une sorte d'égarement subit, par une folie di-vine qui ferait perdre aux hommes la raison. Si lesdeux armées, a la vue du sang versé, se levaient enpoussant dos cris, si les Achéons surtout, indignés dela trahison, se jetaient les premiers sur leurs ennemis,nous n'aurions rien à dire. Mais Agamemnon, qui n'apas même tenté une réclamation, a pourtant tout lesang-froid et tout le loisir nécessaire pour passer en re-vue ses troupes. C'est r'AyajMjMwo; fattrwXu««, qui sedéveloppe en deux cents vers environ (v. 223-421).Après cette revue seulement s'engage la mêlée, dont lerécit se rattache en réalité au livre suivant c'est l'in-troduction des Exploits de Diomède.
Cesdeux livres III et IV forment, comme on le voit,un groupe qui semble s'être constitué autour d'uneseule invention, celle du pacte. Ce groupe se rattachemal à ce qui précède ou même le contredit, et il estsans influence sur ce qui suit, car il no sora pour ainsidire plus question dans le poème de la trahison desTroyens. On peut le supprimer tout entier par la penséesans inconvénient. Au point de vue littéraire, il offrecertains caractères propres: un développement dont lesparties sont pou liées et où le souci de la vraisemblanceest médiocre, une certaine surabondance de détails «,de larges épisodes qui s'intercalent dans le développe-ment, rien de la manière rapide et grande du Chantde la Querelle. L'abus des formules y est particulière-ment sensible Cela n'empêche pas d'ailleurs qu'iln'y ait de fort belles choses dans cette partie du poème.1.Voyeznotammentla conclusiondupacte(surtoutIII, 310).2.Dansles5»premiersversdulivre111,ontrouvecinqfoisla for-mule'AXt|«v8pocesoïi&Kà la fin du vers; dansle livre tout entier
(461v.),ontrouvequatorzefois laformule'Ap^tXoçMevéXaoçplacéeae la mômemanière.Cettemouotouieou cette négligenceest loind'êtreordinairedansle poème.
180 CHAPITRE II. – ANALYSE DB L'ILIADE
Le mérite des deux épisodes de la TttjçwjxoTïiaet deT'E-
icMïwXYia»;est frappant mais ils ont l'un et l'autre ceci
de caractéristique, quo ce sont des thèmes poétiqueset non des moments de l'action. Le premier accuse en
outre un goût descriptif qui semble étranger à l'éner-
gique et simple auteur des parties primitivesde l'Iliade •;
le second est remarquable par une symétrie trop appa-
rente, où l'on ne retrouve pas la liberté suprême quiest la marque du génie
Il paraît bien probable, malgré tout ce qui a été dit
do contraire, quo ces deux livres sont dans leur ensem-
ble l'œuvre d'un môme auteur; mais cet auteur no
saurait être le poète du premier chant, ni même celui du
second. Son dessein manifeste est d'élargir le cadre géné-ral du poème en retardant l'action, on nous introduisant
dans Troie, en nous montrant quelques-uns dos grands
personnages de la légende qui ne prennent pas direc-
tement part à la guerre, tels que Priam et les vieillards
troyens. Hélène, Pâris et sa protectrice Aphrodito l'ont
spécialement intéressé, et il a tiré de beaux effets du
contraste entre l'ardeur guerrière d'une part, jointeaux plus mâles vertus, et de l'autre les séductions do la
beauté féminine et l'enivrement do la volupté. Mais si
le poète du premior chant avait conçu lui-même le des-
sein d'élargir ainsi son récit, outre qu'il eût porté dans
son développement ses qualités propres, il était impos.sible qu'il se montrât si insoucieux des données qu'il
1. Celuici ne décritjamais ses héros autrementque par un mot.Il ne s'attachepas aux particularitésphysiquesqui lesdistinguent.Ici, au contraire,le poètespécifie,dans defortbeauxversd'ailleurs,leur stature,leurattitude,leur manièremêmedeparler.C'estlà.sem-ble-t-il,lo faitd'uneobservation*plus analytique.Voy.III, 168-170,
193-198,209-224,226-227.2.Agamemnon,parcourantlesrangsde sonarmée,adressed'abord
trois élogesà Idoménée,aux Ajaxet à Nestor,puis troisblâmesà
Ménesthée,à Ulysseet à Diomède.
LIVRES V ET 1VII *at
avait créées. Son Zeus pouvait trouver en lui-môme,«'ans sa sagesse, dans sa justice, dans ses affections,des raisons plausibles de suspendre pour un temps Vae-complissoment de sa promesse, mais à coup sûr iln'aurait pas laissé flotter les choses au hasard et sanssuite, comme cela a lieu dans le poème actuel. Au con-traire, son continuateur a ou pou do souci do la con-duite do l'action, parce qu'en son temps, celle-ci étantdéjà connue, l'intérêt se portait do plus on plus sur lesscènes secondaires; et peut-être a-l-il utilisé, pourfaire du nouveau, d'anciens morceaux qui avaient ouà l'origine une tout autre destination.
Avec le dernier morceau du livre IV, commence unnouveau groupe, qui comprend aujourd'hui la tin dulivre IV (àpartir du vers 422) et los livres V, VI et VII.C'est le récit d'un grand combat qui remplit toute unejournée et so termine le soir par la conclusion d'un ar-mistice.
Considéré dans son ensemble, ce groupe se rattachemalà l'action commencée. La promesse de Zeus à Thétisy est sans effet, car les Achéens l'emportent sur leursennemis. Faut-il croire que le patriotisme du poète reculedevant la description d'une défaite ? L'explication sem-ble au moius insuffisante, car il lui était facile de glo-rifior les Achéens même dans uno défaite, comme celaa lieu au livre XI. Rien d'ailleurs n'avertit le lecteur quel'effet de cette promesse ne soit que retardé: en réalité,elle est purement et simplement oubliée, et Zeus resteà pou près étranger à ce qui se passe. Quant à la fausseespéranco qu'il a fait donner à Agamemnon au com-mencement du livre II par l'intermédiaire du Songe,elle est bien plus oubliée encore. La bataille s'engagesans qu'il y soit fait allusion et sans qu'elle y contribueen rien. Il est donc manifeste à présent qu'elle a étévaine, ce qui montre assez combien on aurait tort de
138 CHAPITRE Il. – ANALYSE DE L'ILIADE
chercher on tout ceci un plan primitif. Mal relié par
conséquent à l'ensemble de l'action, ce groupe no tient
pas mieux à ce qui le suit immédiatement, En elfet,
ni au moment de la mort de Pandaros, ni lors du défi
d'ÏIoctor, ni ailleurs, il ne sera question du pacte an.
térieurement conclu et violé. Il semble que l'épisode
du pacte n'existait pas encore lo?squo le récit de ce pro.mier grand combat a été composé.
Prenons à présent ce récit on lui-même. Il se divise
ou plusieurs parties distinctes. La première comprend
la bataille proprement dite, c'ost-à-dire la flndu livre IV
et tout le livre V. C'est le chant des Exploits de Dio-
mède au sens précis du mot, bien que ce titre ait été
étendu dans l'antiquité à ce qui suit. Les deux armées
sont aux prises; Arès et Athèné excitent les combat»
tants colle-ci prèto à Diomèdo une valeur extraordi-
nairo, et, pour lui laisser libre carrière, elle décide Arès
à se retirer. Alors se déroulo, dans une magnifique
narration, la série des exploits du héros argien. Blessé
par Pandaros, il est guéri sur-lo-champ par Athèné
elle l'oxcito de nouveau et lui ordonno même d'attaquer
Aphrodite, s'il la rencontre sur le champ de bataille.
Désormais rien ne résiste à Diomode. Il trouve devant
lui Énéo et Paudaros, montés sur le môme char; il tue
Pandaros, force Énée à fuir et le blesse dans i-.afuite.
Aphrodite, mèio d'Énée, vient au secours de son fils:
Diomèdo frappe et blesse la déesse elle-même. Cello-ci
s'enfuit dans l'Olympe sur le char d'Arès, et là, elle
est consolée par sa mèro DionA, tandis qu'Apollon, par
ses menaces, repousse enfin Diomède et met Ënée hors
de danger. C'est la première partie de la bataille (de IV,
422 à V, 453).Une chose rend immédiatement suspecte la place qui
lui est attribuée dans l'Iliade actuelle. Comment se fait-il
que, dans la première bataille du poème, le principal
LIVRE V 133
rôle soit attribué, du côté des Achéens, à Diomèdo plu»tùt qu'à Agamemnon, et du côté dos Troyens, à Éaéo
plutôt qu'à Hector? En co qui concerne Agamomnon, lerôle offaeé qui lui est donné ici est d'autant plus inac-
ceptable qu'après s'être vanté dans la Querelle do pou-voir aisément se passer d'Achille, il est moralement
obligé de se signaler plus que personne sur le champde bataille. Ajoutonsqu'il a do plus, pour l'exciter à com-
battre, la promesse do victoire apportée par le songe,
promesse si oubliée jusqu'à présent. La prééminenced'Knce sur Hector n'est pas moins étonnante car Énée
ne sera, dans le reste de l'Iliade, qu'un personnage se-
coudairo, tandis qu'Hector est réellement le premierdos Troyens. Cedouble renversement des rôles ne peut
guère s'expliquer d'une manière satisfaisante quo paruno seule hypothèse. Il faut admettre que le chant des
Exploits de Diomède a été composé lorsque los premiè-res places dans l'action étaient déjà prises. En le com-
parant au livre XI (Exploits d'Agamemnon), on trouvela confirmation de cotte hypothèse. Le livre XI ost le
modèle; l'autre est une sorte de variation admirable,
qui est certainement d'une dato postérieure Le rôledoZous peut aussi servir à la même démonstration au-tant le dieu, au onzième livre, est actif et vigilant dans
l'accomplissement de son serment, autant il se montreincertain et sans volonté au cinquième.
La seconde moitié do ce livre ressemble à la première,dont elle agrandit en quelque sorte le thème. L'exploitdo Diomèdo contre Aphrodite, qui est le fait principalde la première partie, se renouvelle dans la secondesous une forme plus merveilleuse par son exploit contreAres. Cette rencontre du héros et du dieu est le point
1.Cf.Annuairede l'AssociationdesÉludesgrecques,1884,p. Si etnttiv.(Étudessur l'Iliade).
134 CIIAPITRK II. ANALYSE DE L'ILIADE
vers lequel tout convergo. Si nous dégageons l'idée pii-
mitivo des quelques additions qui l'obscurcissont au-
jourd'hui, tout se réduit on eflet à uno série d'ôvéne-
ments fort simples qui nous y mènent on droite ligne.
Arès a ranimô le courage des Troyens il marche de-
vant eux avecÉnyo et jette la terreur partout. Diomèdo,
lui-mème, se retire intimidé. Mais alors Hèrô et Athèné
interviennent elles obtiennent l'assentiment do Zeus
et descendent de l'Olympe sur lechamp do bataille. La,
Hère, par son exhortation puissante, rond le courage
aux Achéens, taudis qu'Alhôné do son côte excite do
nouveau Diomède. Elle monte avec lui sur son char à
la place de Sthônélos et la dirige contre Arès. Grâce à
elle, le dieu est vaincu par lo héros, et, blessé, il re-
monte dans l'Olympe la scène qui a lieu entre Zeus et
lui rappelle, par une sorte de symétrie voulue, celle
d'Aphrodite et do Zous à la fin de la première partie.
Ce plan primitif est principalement troublé aujourd'hui
par l'épisode du combat singulier do Tlépolèmo et de
Sarpédon(v. 628-698), qui est sans rapport avec le reste
du poème et trahit clairement son origine plus récente1.
Mais il semble bien qu'on outre un certain nombre
d'additions do détail s'y soient introduites peu à peu.
Ce n'est pas le lieu do les signaler ici une à une. Dans
l'ensemble, ce chant des Exploits de Diomède est d'une
belle allure, bien que l'action dos dieux n'y soit pas
toujours suffisamment expliquée et quela mise on scène
i. Onest fortsurpris de rencontrerTlêpolèmeet les Rhodiensiei
et dansleCatalogue(II, 653-670).Tlépolème,aïs d'Héraclès,appartienten effotdans la légende,à unegénérationautre que celledeshéros
dela guerredeTroie.Thesprotedenaissance,il vientà Tyrinthelots
dupremierretourdesHéraclides,s'exiledelà, par suited'unmeurtre
involontaire,et coloniseRhodes.Il estdoncentrédans l'lliade,avec
les Rhodiens,lesseulsDoriensqui figurentdansle poème,et celaen
unseulpassage,quiestcelui ducatalogue.Dureste,il n'estplusfait
aucuneallusiondans le restedu poèmeà cette mortde ïlépolèiu*,
quiresteainsiunfait isolé.
LIVRE VÎ 185
puisse paraitre quelquefois disproportionnée aux faits KH présente d'ailleurs, au point de vue de la légendeet de la mythologie, quelques particularités romarqua-bles*.
Bien que le HvroYI vise à peu près la situationqui vient
A'èlvo décrite, on ost conduit àsodomander en l'exami-
nant sicon'estpas une simple pièce de raccord destinéeà encadrer quelques morceaux plus anciens. Ces mor-ceaux sont au nombre de doux l'entrevue d'Hectoravec Hélène et Paris, et rontreliond'Hoetoreld'Andro-
inaquo ("Exto,:©; x«i'Av&po(ixy»i; ô;xi>.{«,) qui donne son
iiniii tout l'ensemble.
Taudis que los divers chefs achéens multiplient leurs
exploits 3, Hector, sur les conseils d'Hélénos, se décideà quitter le champ de bataille malgré le danger pres-sant, pour aller prier sa mère Hécubo do porter uneoîiaiuL solonnollo à la déesse Alhôné. Démarche en-
tièrement inutile à l'action, puisque cette offrande sera
Alhèné. qui a quitté le champ de bataille, au début, d'accordavecArès (2P-36), est de nouveau prisenle au v. 122et se retire imprudemment au v. 133. Elle est dans l'Olympe ponr se moquer d'A-phrodito(v. 417et suiv.). Apollon excite alors Arès à rentrer dans lecombat,sans lui parler du départ d'Athèné (v. 454-459); et pourtantil est dit au v. S10, qu'il l'excite. « parce qu'il a vu la déesse s'enaller».Celle-ci, d'autre part, ne semble plus se soucier du combat nideDiomède, jusqu'à ce qu'elle soit avertie par Hèré (v. 7it et suiv.)Ellerevient alors sur la champ de bataille en grand appareil de guerreavecHère, dont tout le rôle se borne à prendre les traits de Stentor Ala voixd'airain (v. 785) pour exhorter en quelques mots les Achéens.
2.Bôle de Dioné, qui n'est pas nommée ailleurs dans l'Iliade. Sondiscours(38I-4IS), plein de mythes inconnus.. Aphrodite est appeléecinqfoisKypiis, nom qui ne lui est donné nulle part ailleurs ni dansilliade ni dans l'Odyssée, mais seulement dans les Hymnes. Ényo (v.333et 592)est inconnue dans le reste du poème; de môme Paièon, mé-decindes dieux (v. 401, 89J, 900). Athènê, dont le nom revient sanscase dans le poème, n'est qualifiée d'Alalcoménéis que dans ce chant(J.W8)et au début du chant IV (v. 8), etc. (Voy. Ameis-HtnïeAdang, eh. V, p. 60;.
3.Il est à noter qu'au lieu de Diomède, c'est Ajax qui prend ici lapremièreplace, sans que cette substitution nous soit expliquée.
186 CHAPITRE II. ANALYSE DE L'ILIADE
sans effet on outre comment no pas remarquer com-
bien le départ d'Hector est mal justifié par la raison
qui en est donnée? Tout autre des nombreux fils de
Priam pouvait aussi bien se rendre auprès d'Hécube à
sa placo, C'est donc là tout simplement un prétexte as-
sez mal combiné on réalité Hector rentre dans Troie
pour donner occasion aux doux entrevues qui vont sui-
vre, En son absence, a lieu sur le champ de bataille
la Rencontre de Diomède et de GlaucosÇv. 119-236), épi-sode indépendant, sans lion avec l'ensemble, qui mani-
festement a été inséré là plus tard Hector est dans
Troie. Hécubo, d'après son avis, monte avec sus fem-
mes au temple d'Allièné, et supplie vainomont la déesso
do briser la lance do Diomède. Pendant ce temps, Hec-
tor se rend chez Paris, pour le décider à revenir eom-
battre. La scène qui a lieu entre eux est belle, surtout
par le rôle d'Hélène mais il est fort douteux qu'elleait appartenu originairement à l'Iliade. Si Paris est ab.
sent du champ do bataille, dans le poème tel qu'il est
aujourd'hui, la raison on est tout accidentelle c'est l'is-
sue do son combat singulier avec Ménélas au livre IIIor les paroles d'Hector à son frère et les réponses do ce-
lui-ci ne paraissent pas se rapporter exactement à cette
situation on croit comprendre, en les lisant, que l'ab-
sence de Paris tient à un dissentiment entre losTroyonset lui, dont l'Iliade ne nous rend pas compte (v. 326 et
338-36). A l'entrevue avec Paris, succède une des plusbelles créations de la poésie homérique, les Adieux
d'Hector et d'Andromaque. Cette scène, si admirable-
ment délicate et touchante, n'a pas été faite non plus
pour occuper la place qu'elle tient aujourd'hui. Mani-
festement, dans la pensée du poète, les deux époux se
i. L'auteurdecet épisodes'est si peu souciéde ce qat précédaitqu'il fait dira à Diomède,venantde combattrecontreAphroditeetcontreArès,Oùxâvïfu>-(iScofoiviiravpavioimna"/oi|iT|v(v.129}.
LIVREVU i£7voient alors pour la dernière fois. Les tristes pressen-timents de l'un et de l'autro n'ont toute leur valeurpoétique qu'à la condition d'être vrais. Par suite, il y atrop d'intervallo dans l'Iliade entre ces adieux et lamort d'Hector, qui n'aura lieu qu'au vingt-deuxièmelivre; do plus, à la fin du septiômo livre, une trêve d'unjour sera conclue, qui implique nécessairement un re-tour d'Hector dans Troie. Et pourtant le livre XXIIquiest, comme nous le verrons plus tard, un dos plusanciens du poèmo, semble bien imiter en quelques pas-sages l'épisode des adieux. Tout dénote donc que ce.lui-ci a dit être composé, ainsi que l'Entretien avec Pa-ris, comme un morceau indépendant à peu près danslo môme temps quo les chants primitifs de l'Iliade oupeut-ètro un peu plus tôt, et sans doute par le mômepoôto.Plus tard un arrangeur l'a rattaché à l'Iliade, encomposant,précisément pour cela, les autres parties dulivre VI.
Le livre VII achève dans l7/»««feactuelle le récit dela bataille commencée à la 8n du livre IV après la rup-ture du pacte, mais il l'achève do telle façon qu'il est àpouprès impossiblo d'y voir l'œuvre d'un poète dévelop-pant régulièrement une idée épique. En effet, sans rai-son valable, la bataille s'interrompt tout à coup pourfaireplace à un combat singulier. Athèné, au livre pré-cédent, avait refusé d'écouter les prières des femmestroyennes qui lui demandaient do briser la lance deDiomède;or, malgré ce refus do la déesse, Diomède enpleine victoire, disparait do la scène. Hector sort desrangs et défie les chefs achéens; son défi est accepté,et le sort désigne Ajax pour lui tenir tête. Il y a là plu-sieurs difficultés, Comment les Achéens vainqueurst. Je
ne veuxpasdire queces deuxmorceauxsesuffisaientà eux-Blêmeset fOrmaieDtlmIout ils deveientappartenirit an développe-ment,dontil nenousresteau'uneD8l'tiA-
128 CHAPITRE Il. ANALYSE DE L'ILIADE
consentent-ils à interrompre eux-raôraos volontaire-
ment leurs succès ? Comment acceptent-ils un nouveau
pacte avec los Troyons après celui qui a été violé le
matin même, et cola sans faire aucune allusion à cette
trahison ? Voilà bien des invraisemblances. Mais au
point de vue de l'art de composer, que penser de cotte
bataille furieuse qui se termine par un combat singu-
lier ? Et ce combat singulier est le second de cette jour-
née et il répète, comme il est naturel, los péripéties
du premier. Il est inadmissible par suite qu'il ait pu
être composé par le grand poète qui à fait l«>sExploits
de Diomède. Lorsqu'on cherche à en dovinor l'origine,
l'explication la plus vraisemblable est celle-ci le récit
dos Exploits de Diomède, une fois misa la place qu'il oc-
cupe dans le poème, avait besoin d'un dénouaient; il
fallait que la journée se terminât d'une manière quel-
conque l'autour du raccord, incapable de créer par lui-
memo des scènes égales aux précédentes, a mis fin illa
bataille par une intervention d'Athèné et d'Apollon, qui
est uno simple machine épique; et, en guise do dénoù-
ment, il a imaginé d'insérer là le récit d'un combat sin-
gulier, dans lenuol l'imitation devait rendre sa tâche
moins lourde La lin du livre VII (v. 313-482), dé-
signée sous lo titre A'Enlècement des morts (NexpûvcJvat-
peaiî), est un morceau d'un mérita poétique fort médio-
cre et dénué de toute vraisemblance. Uno trèvo d'un jour
est conclue pour permettre d'ensevelir les morts, et les
Grecs en profitent pour entourer leur camp d'un rem-
t. Hectorseulendit un mot(v.69)enrejetant tout sur Zeus.C'est
là une atténuationassez maladroitede l'invraisemblancesignalée.Elleprouvequel'auteurduVII*livrea enconsciencedecetteinvrai-
semblance,mais il a passéoutre par les raisonsquej'indique.2. Onpeutsupposerd'ailleursquecerécit,composémanifestement
aprèsceluidu combatde Paris et Hénélasau 3«livre, existaitdéjà
quandle raccorda étéEûtet qu'il estduà un antrepoète,trèssnpA-rieur à l'auteurdu raccord,car il :enfermede fort belleschoses.
LIVREVIII 189
Hitt.delalit».Gwoqoe– T. I. 9
part formidable. L'invention n'ost pas heureuse caroutre que le temps matériel est ridiculement insuffisant
pour un travail aussi considérable, il est clair quo riendans la situation ne justifie une mesure de défense quin'a pas été priso depuis neuf ans. On peut donc êtreassuré que ce morceau a été introduit dans l'Iliade, non
par choix, mais par nécessité; il se relie au livre XII
(l'Assaut du mur), qui ne pouvait être inséré dans le
poème sans cotte préparation.Le lendemain matin, la lutte reprend: c'est la seconde
bataille do l'Iliade; elle fait le sujet du livre VIII (KéXoç
p/)). Au début, une fort belle scène, où Zeus ordonneaux dieux do s'abstenir et prononce do terribles mena-ces contre ceux qui enfreindront ses ordres. Quelle quesoit l'origine de co remarquablo morceau, il est isolédans le livre VIII et il n'y est pas à sa place: car Zeusest mal obéi. Le récit de la bataille, funeste aux Achéens,est en somme pauvre et presque vide Point de gran-des phases, point de scènes largement développées. Dèsle commencement, tous les principaux chefs sont frap-pés de terreur; le combat proprement dit se réduit à
quelques épisodes: rien de la belle et simple ordonnancedu livre XI par exemple, où un sujet analoguo sera traitéd'une manière vraiment homérique. Le poète sembleembarrassé de sa tâche, comme s'il craignait de répéterdes choses déjà dites avant lui; pour se tirer d'affaire, ilraconte longuement une tentative vaine d'Hère et d'A-thèné cherchant à intervenir en faveur des Achéens.La nuit arrive, sans que la journée ait été réellement
remplie. Les Achéens sont rentrés dans leur camp; les
Troyens campent dans la plaine entre le Xanthe et lesvaisseaux. Évidemment, un récit ainsi composé n'est pas
».Toutecettesecondebatailleest contenuedansleUvreVIII. tanàUquelapremièrecomprendleslivresIV-VIIet la troisièmeles li-vresXI-XVIII.BUeestpourtantcenséedurerautant queles autres.
180 CHAPITRE Il. ANALYSE DE L'ILIADE
l'œuvre du poète primitif. Et ce qui achève la démonstra-
tion, c'est que des passages nombreux y dénotent l'imi-
tation des chants précédents et suivants Le huitième
livre a été fait pour rendre possible l'introduction du
neuvième dans le poème la démarche supplianto queferont les Achéens auprès d'Achille dans ce livre IX
n'était concevable qu'après une grande défaite; c'est le
tableau de cette défaite que l'autour du livre VIII s'est
proposé de tracer, et il a réalisé son dessein en poète,mais sans liberté et sans essor, avec la préoccupationvisible d'un raccord tardif à opérer.
La nuit a séparé les combattants. Agamemnon ras-
semble les chefs et propose de lever le siège. Cette pro-
position, déjà faite antérieurement, est répétée ici dans
les mêmes termes mais, au livre II, ce n'était qu'une
feinte, tandis qu'à présent elle exprime la pensée réelle
du roi. Un pareil abus dans l'imitation suffit à révéler
un raccord. Le véritable sujet du neuvième livre n'est
abordé qu'au moment où s'assemble la réunion intime
dans laquelle on décide d'envoyer une ambassade à
Achille pour lolléchir (v. 89). Cette ambassade est com-
posée d'Ulysse et d'Ajax, auxquels s'adjoint dans le
poème actuel le vieux Phénix. Accueillis courtoisement
par Achille, ils essayent de l'apaiser, et cette tentative
donne lieu à un échange de discours qui ont été juste-ment admirés dans l'antiquité et de nos jours. Seul, le
long développement narratif de Phénix tranche par sa
lenteur avec les morceaux d'éloquence naïve et vigou-reuse auxquels il est associé. Quant aux paroles empor-tées d'Achille, elles sont comparables aux plus beaux
passages du Chant de la Querelle, dont elles reprodui-
1. Kayser,HomemcheAbhandlungen,Leipzig,1881,p. SI,et suiv.2. IX,tt-25-7 II, 418-118;IX, S4-a8s=U,139-141.La comparaison
•lespassagesmontreclairement V«le poètedu UvreIX est l'imita-tour.
LIVRE IX 131
sont d'ailleurs exactement les qualités distinctives. Nulduuto pour nous par conséquent sur l'origine vraiment
homérique do tous ces développements. Mais, chose
inattendue, dès qu'on veut se rendre compte de leurs
rapports exacts avec les autres parties du poème, les
plus sérieuses difficultés surgissent en foule.
Thétis, au premier chant (v. 809-SIO), a demandé à7eus « d'accorder l'avantage aux Troyons jusqu'à ce
que les Achéens donnent satisfaction à son fils et lecomblent d'honneur »; et c'est ce que Zjus a promis.Or, ici, cette satisfaction est accordée aussi pleinomentquo possible. Agamemnon se reconnait coupable (v. 1 15et suiv.); il s'humilie devant Achille par les offresmêmes qu'il lui fait faire (v. 260 et suiv.). Les Achéens,dont Ulysse est l'interprète, s'associent à leur roi etdomandent grâce; ils déclarent qu'ils n'attendent loursalut que d'Achille et qu'ils sont prêts à l'honorer commeun dieu (v. 230-31 et 300-303). Djhc tout ce que Thétisa demandé est réalisé. Si Achille n'est pas satisfait,c'est affaire à lui; mais Zous est libéré do sa promesse,et dès lors cette promesse ne peut plus être, semble-t-il,le moteur principal d'une action épique. Si Zjus con-tinue à servir les intérêts d'Achille, sa conduite devientobscure et sans règle. Où s'arrétera-til dans ses com-plaisances ? Il se met dans la dépendance d'une passionprivée, sans que cette obéissance d'un dieu à un hommeait désormais de terme naturel c'est Achille qui devradécider à quel moment Zeus. aura fait pour lui tout cequ'il devait.
Dumoins, savons-nous nettement ce que veut Achille?
D'après quelques passages du poème, il attend pourreprendre les armes le moment où les Achéens seront
traqués jusqu'à leurs vaisseaux et où Hector menaceraceux des Myrmidons (I, 400; IX, 650-53; XVI, Gl-63).Cette conception est-elle satisfaisante ? Si Achille veut
132 CHAPITRE 11. ANALYSE DE L'ILIADE
humilier Agamemnon, il semble qu'il y ait plus do ca-
price que do raison dans lo fait do déterminer à l'avance
ce moment précis. La véritable humiliation, c'est l'aveu
déjà fait par le roi qu'il no pout se passer d'Achille
cela ost frappant et positif; lo reste est arbitraire. Mais
peut-être Achille vout-il dire plutôt qu'il ne combattra
quelo jour où il aura personnellement intérêt à lo faire,
pour sa propre défense par conséquent et non pour celle
des Achéens, dont il u'attond rien? Celte attitude so
comprendrait et aurait môme sa beauté; mais elle s'ac-
corde mal avec la prière de Thétis, qui a clairement
subordonn le retour de son fils à uno démarche des
Acltéens, et elle est on contradiction absolue avec la
suite du poème.Ne parlons pas des passages où l'ambassado est si m.
plement ignorée 1. Mais le commencement du livre XVI
révèle chez lo héros de tout autres sentiments. Là,
Achille, prêt à envoyer Patroclo au combat, lui recom-
mandera do modérer volontairement son succès, « afin
que les Achéens lui rendent sa jeune captive et qu'ilslui apportent do beaux présents M(XVI, 83). En d'au-
tres termes, il veut obtenir au seizième livre, par un
calcul do politique, précisément ce qui lui est offert au
neuvième dans le poèmo actuel et ce qu'il y refuse avec
un emportement appuyé de serments qui n'admettent
pas de retour. Ces deux scènes ne pouvent appartenirà an môme plan il en résulte que le livre IX n'a pas
i. XI. 608 NOv6fo>neplfoûvat'è|iàirojaeoOcii'Ax*'»^» Uaaapl-vtrac.XHI, 115,oùPoséidonrecommandeauxAchéensde se réconci-lier avecAchille.XVI,71 Tàz«x**ïtiSïovte;iva-JXo-JCnX^aeiotvvs-xian,tX(toixpekav'AyajUiivcavr,inaetien).
2. Il est impossible,malgrél'opinioncontrairede Bergk(Griecli.,Uter.,1. 1. p. S9t),de considérerle passagedulivreXVIcommeune
irUerpolaliou».car cepassagetient au développementmêmedo l'i-dée.Il fautabsolumentqu'Acllillerecommandeà Patroclede nepastr«pb'avanoer-etqu'il motivesa recommandation;en outre, une in-
LIVRE IX 133
pu être fait en vue du récit continu que nous lisons
aujourd'hui. Comment résoudre cette apparente con-
tradiction? Voilà un développement magnifique quenous attribuons sans hésiter au poète primitif; et nous
lo trouvons en désaccord avec les parties nécessairesdu poème. L'explication la plus simple de ces faitsn'est-elle pas d'admettre que lambassade ne figuraitpas dans la série primitive de chants où l'auteur de la
Querelle développait librement son sujet? Son Achillevoulait à la fois une satisfaction matérielle et une satis-
faction d'amour-propre. Ni l'une ni l'autre ne lui étantofferte par les Achéens, il pensait l'obtenir de leur re-
connaissance et de leur intérêt en laissant aller Patro-cle au combat, en leur montrant ainsi qu'ils ne pou-vaient rien sans lui, mais en évitant de les sauver toutà fait, jusqu'à ce qu'ils eussent expié volontairementleur faute. Dans cette conception, il n'y avait pas d'Am-
bassade. Et toutefois, ce sujet de l'ambassade, soit qu'ilfût indiqué déjà par la légende, sait qu'il se présentâtsimplement comme possible à l'esprit du poète, était si
séduisant qu'il pût céder à la tentation de le traiter,
après coup, sans trop se soucier de le raccorder exacte-ment à ses autres chants. Plus tard, on l'aura fait entrerdans l'Iliade, comme les Adieux d'Hector et d'Androma-
que, au moyen de raccords plus ou moins adroits. Ajou-tonsqu'il a subi probablement soit avant, soit après sonentrée dans le poème, une addition importante, celledu rôle do Phénix tout entier, qui n'appartenait pas àla composition primitive
terpolationdoit avoirune raisond'être celle-ciserait injustifiablepuisqu'ellecontreditune des plus remarquablesscènesdu poème.Quelrhapsodeauraitignorél'Ambassade,si VAmbassadeeù.t appartenuaurécitmêmedontil exposaitune partie?
i. Le discourude Phénixest une longuenarration mythologiquequinerépondpasau restede la composition.Ona remarqué(Bergk,Griech.Hier.,1. 1,p. 395)qu'enparlantdesdéputés,le poètese sert
134 CHAPITRE II. -ANALYSE DE L'ILIADE
Le livre X ou Dolonie raconte une expédition noc-
turne, qui est censée faite par Ulysse et Diomède dansle camp troyen pendant la môme nuit, à la suite de
l'ambassade. Ils y massacrent le thraco Rhésos et ses
compagnons, nouvellement arrivés au socours des
Troyens, puis, au retour, ils mettent à mort l'espiontroyen Dolon; d'où le titre de l'épisode. Tout ce livreétait déjà considéré dans l'antiquité comme un morceau
ajouté à l'Iliade primitive la critique moderne s'estralliée à peu près unanimement à cette opinion quis'impose Rhésos et ses Thraces, qui sont représentéslà comme les principaux auxiliaires des Troyens, ne
sont mentionnés nulle part ailleurs dans l'Iliade; ils
apparaissent et disparaissent tout à coup; il en est de
même du merveilleux attelage dont Diomède s'empare.D'ailleurs l'action de la Dolonie no peut raisonnable-ment trouver place dans la nuit déjà si remplie d'évé-nements où a lieu l'ambassade, et elle ne so rattacheen rien ni à ce qui précède ni à ce qui suit. Enfin parles caractères de l'invention poétique et du style, celivre se distingue profondément des parties anciennesdu poème a. On y remarquera le goût des détails, des
descriptions de costumes, de l'arrangement symétriquepoussé jusqu'à la monotonie. Rien ne ressemble moinsà la grande manière de l'auteur de la Querelle et des
Exploits de Diomède.
constammentdu duel, commesi Ulysseet Ajax étaient seuls enscène v. 182,183,185,198,196,197,198.
1. Eustathe, p. 785, 41 *a<r\ & ot neAotuA ttjv fatyailav TwStt|v V
'Oiufjpou !6fo mér/fica xal \ir\ lpunakir(rfiftvat toïç [ûptai dj, 'IXt'<8»«,(n&
& ïlummçiito\i t$xiyfiai tic tV aolqatv.
2. Duentzer,DieDoloneia{BomerischeAbhandlungen,Leipzig,1872,p. 302-325). Nitzschlui-même,le défenseurdéterminéde l'unitéprimitivede l'Iliade,eonsidéraUla Doloniecommeune addition.
3. Les finaltlprjftiay abondent.Notons,commetrès caractéristi-que en cegenre, remploidu tout ?v£<«(v.311,398,447),qui neserencontrenullepartailleurs nidansl'Iliade nidans VOdytsée.
LIVRE XI 135
IV
Après la Dolonie, les choses sont à peu près dans lemémo état qu'à la fin du Ier livre. A travers ces longsrécits, qui vont du livre II au livre X, la situation n'a
pas sensiblement changé. On peut raccorder sans lemoindre effort la XIe livre au Ier. Ce n'est mémo pasassez dire en réalité, si nous nous les représentonscomme liés immédiatement l'un à l'autre, non seule-ment les scènes qui vont suivre n'en souffrent pas,mais elles y gagnent en valeur morale, parce qu'ellessemblent plus naturelles et plus justifiées.
Que nous met sous les yeux ce XI» livre Une grandebataille, livrée et perdue par les Achéens. C'est le ma-tin Éris, envoyée par Zeus, prépare tout pour que lalutte soit terrible et sanglante. Agamemnon, plein deconfiance et d'ardeur, s'arme pour combattre. Rien de
plus naturel après la querelle du Ier livre, mais rien domoins vraisemblable après les désastres du VIIIe et l'am-bassade du IX0 Avant que la bataille s'engage, Zeusmanifeste énergiquement sa volonté et prend la direc-tion des événements (52-55; 73-83). Enfermés dans leur
palais, les autres dieux s'abstiendront; lui seul conduitles choses à son gré, en vue do venger Achille, commeil l'a promis à Thétis. Autant son action était jusqu'a-lors incertaine et mal combinée, autant elle devient
i. Il y a une véritablecontradictionmoraleentre le débutdu IX*livre,qui nousmontreAgamemnonaccablé,et cettepremièrescèneduXI«,où 11est pleind'espoiret d'assurance.Et pourtant,dans lepoèmeactuel,cesdeuxscènesne sontséparéesqueparunenuit,pen-dautlaquellele refus violentopposapar Achilleauxtentativesderéconciliationd'Agamemnona dû acheverdedésespérercelui-ci.
130 CHAPITRE II. – ANALYSE DE L'ILIADE
tout à coup ferme et appropriée. Nouvelle preuve du
rapport étroit de ce chant avec celui de la Querelle.Unefois faction engagée, les événements marchent
avec une rectitude admirable, qui ne nuit en rien à lavariété du récit. Agamemnon, jouant véritablement icibon rôle de chef, se signale avant tous les autres, et ses
exploits ont justement donné à ce récit son titre
('Ayaji^avovo;ipwrife). Zeus prévient Hector de resterà l'écart tant qu' Agamomnonsera là, et de se tenir prêtà entrer en scène dès qu'il aura disparu. Donc tout sefait par son ordre, et, dans la victoire même, nous necessonspas un instant de pressentir la défaite.Delà une
remarquable clarté de composition. Vers le milieu du
jour, Agamemnon est blessé et forcé à la retraite. Alorsles choses changent de face. Hector se précipite dansla mêlée, « semblable à un coup do von*,violent, qui du» haut de la montagne tombe sur la sombre mer ». Larésistance des Achéens so partage en trois phases dra-
matiques, dont l'émouvante succession aboutit à la dé-route finale chacune a son caractère distinct et peutêtre désignée par lo nom des héros qui y figurent au
premier rang d'abord Diomedoet Ulysse, puis Ulysseseul, puis Ménélaset Ajax. Tous sont blessés ou repous-ses. Ajax, resté le dernier, recule pasà pas; Zous, Ûdèlo
jusqu'au bout à son rôlo, le forceenfin à céder, et h
champ do bataille ost ainsi perdu.Tout co récit, qu« (>.1 [crinmutqualifiait de divin
est ou effet un des plus beaux do l'Iliade; mais ce quenous (Iovoiihsurtout remarquer, c'est qu'il offre préci.Momentle» mémo» caractères que le livre I. fordun-nanco on est J'uiio simplicité oxtréino les évànemeiUx
ti'y développant avec ulmndanco,mutit qu'il y uit un
institut do (timfuHinii; Hiuquoporiiiiiinugit principal y{*»?«Hh 8«H»»!•• •!• »«M»>MéH>ttl<{IIMjUIIIMIIi{Ml'Ai*!«l'ttM»
I. ti. Itormami,i^i/so,,V,{i,6%
LIVRE XI 187
cun d'entre eux neae mêle avec celui d'un autre. Maisce plan si simple comporte une admirable richesse derécits partiels. En variant les actions et les sentiments,le poète suscite en nous à son gré dos impressions aussidiverses que profondes, qui nous conduisent par un
progrès naturel jusqu'au dénoûmont. Et ce qu'il y a de
plus éminent en lui, c'ost ce que nous avons déjà prin-cipalement admiré au livre I, à savoir le don de créerdes êtres vivants, de faire parler les passions, de saisirimmédiatement dans chaque situation et pour chaquepnraonnage lo sentiment vrai, enfin d'attribuer à cha-quo héros sa physionomie propre sans avoir besoin pourcela de le décrire. Tout ce qui constitue le lypo homé-rique est donc là réuni et s'y manifeste au plus hautdegré.
Cesobservations s'appliquent à tout le récit de la ba-taille, c'est-à-dire à la principale partie du livro XI(v. i-896); mais ellos ne conviennent en aucune ma-niôro à ce qui suit (v. 597-iln). Cette Un est on effet unépisode absolument distinct du récit précédent. Nestoremmène sur son char Machaon blessé. Achillo les apor-çoit do sa tonte, mais comme il no roconnait pas loblossé, il envoie Patrocle savoir qui il est. Patrocle vientdans la tente de Nestor et refuse de s'y arrêter, allé-guant l'impatience d'Achille. Cela n'empêche pas Nos^tor do lui adresser un long discours, étranger à la cir-constance. En s'en retournant Patrocle rencontreEurypyle blcmsé, et oubliant de plus en plus qu'il est«ttondusi impatiemment, il rosto nv«c lui. Con'est qu'auKvmXV, lorsque l'action aura marché, qu'à lit vuu dudésastre dos Achéon» il pensera enfin à revenir voi-aftAcliillo. H Btiruauprès do lui ait début du XVI» livro,muni(ju'ii y Huit fait iinmiii» mont ion précis» do m» i«-•m»'. et là ni l'un ni hwirfl nfi ptnmiiuiil an wntvmiïr•IIIpl-fllMi0V|Mtlt.'f(llMi«lMHll00M4»tVHIMIMS,TtMltilldilfllO
438 CHAPITRE II. ANALYSE DE L'ILIADE
par conséquent que cet épisode do la commission de
Patroclo a été ajouté après coup et probablement altéré
lui-même par dosadditions postérieures. En tout cas,il ne saurait être considéré comme une partie inté-
grante du beau récit au quoi il fait suite immédiate dans
YUiade«.
V
Tout ce qui est compris entre la défaite des Achéens
ot l'intervention de Patrocle (c'est-à-dire les livres XII,
XIII, XIV et la plus grando partiodu livro XV) peut être
considéré soit comme une continuation do ce qui pré-
cède, soit comme une préparation ii\&Palroclie. Cesont
dos chants d'Ages divors et de mérite inégal, au milieu
desquols éclatent dans plusieurs passages dos beautés
de premier ordre, bien que d'ailleurs aucun de ceschants
ne semble avoir fait partie du noyau primitif du poème.Tout d'abord, l'assaut du mur et la prise du camp
(Tei/ojAx/Ja). Le poète du livre précédent se représen-tait te camp dos Achéens comme entouré d'un simple
fossé; cela est évident par de nombreux passages Ici
les choses changent, et nous nous trouvons en présttncod'un rempart véritable, solidement bftti en pierres, avec
des tours on bois et des parapets; les portes en sont
t. (1.Hormanneutle premierqui ait signaléles difficultésréuni-tant de e«tt«eomml«»londe t'atrocto,et par m»<.b*«rv«tloii»&ea
aujatII a jetAbeaucoupdolumièreleurlot relation»de»partie*<|iiicomposantta mllion de VUiade(f'ir interpalatorehimcritw,(tymr.t. V).– Parmi l«»additions,lit\<\u*a|ipumit«est )«lo»« ruMt<l»
Nualor,peut-Alr«empruntéAijuoli|u«iinoltueliuuti'|ilim«ttttltmla«uiiptuiitluud»tiilaeh {Hauctipunk,» iVt»et dullsrtfkiiirituh./"<•
|i, tioi).3. X|, v. 18,hi, 8», 8H,«M,»«».
LIVRE XII 139
formées par do lourds battants, munis eux-mêmes dofortos traverses. Cecamp est une place forte; c'est celui
que nous avons vu construire sur les conseils do Nestor àla findu septième livre, et nous nous expliquons mainte-
nant l'épisode si invraisemblable de cette construction,
quisemblaitoublié; il était indisponsable pour pormeltrod'introduire dans YIliade le récit d'un assaut. Ce rem-
part merveilleux a été inventé par un poète qui a vouludonner une suite au récit de la défaite des Achéensdôsiroux do nouveauté, il a imaginé un assaut. Nousverrons plus loin que le combat auprès des vaisseaux,
qui forme à la fin du quinzième livro le vrai début dola Patroctie, est certainement antérieur à l'Assaut. Onavait donc raconté déjà et la porte du champ de bataillo
(XI0 livre) et la lutte furieuse soutonuo ensuite jusquedans te camp (tin du XV° livre et commencement du
XVI").Quel autre moyen dès lors d'étendre le récit, quede supposer quelque circonstance intermédiaire? Unechose semblait môme tout indiquée c'était d'imaginerque les Trayons avaient été arrêtés tluolquo temps on-tre les deux phases do leur victoire. Pour les arrêter,il fallait un obstacle do là, l'invontioti du rempart etdu l'assaut. Le douzième livro est donc uro additionaux chants primitifs. Mais cette addition no peut-elU;pas du moins ôtro considérée comme l'œuvre de l'au-leur môme do ces chants, désireux d'agrandir et de
compléter sa première création? Nous ne lo croyonsI>iiH.L'invention fondainontalo, cotte du rempart, a quoi-que clio.so d'artificiel, Ce qui distinguo essentiellementl'ait homérique proprement dit, c'tml la «implicite **x-trftniMdm inoymiH,unio h la grandeur do l'wflVt. L'au-teur du onzième livre n'uuruit cortniiiouH'iit pus «mImuMoindo coUo groHH»muiHtnictioii pour «r«w un /iptuudo•ll'iiiuutiqua il nniiil iim'iiil «MM»*ut jtHUMi<ti(it»)u(i»»{{ii'iHHifuitoiiiitiit nviu! ralluquo ut In déf»it»n d'un» min
140 GHAPITRB Il. – ANALYSE DE L'IUADE
pie palissade. Le récit est fort beau, cela est vrai; mais
il y a quelque naïveté à posor comme principe quetout ce qui est beau dans YIliade appartient néces-
sairoment par là même au poète primitif; la vraie
question est do savoir si cela est beau du mémo genrede beauté que le premier livre ou le onzième. Or il est
difficilede nier quo les narrations du douzièmelivre ne
dénotent un art plus savant, ot par là même moins
spontané. L'action est plus on dehors des personnages,elle n'ost pas aussi complètement faito avec leurs pas-
sions, ollo donno plus de place et d'importance aux
événements, et par suite les phasos moralos n'en sont
pas aussi nettemont marquéos. 11faut ajouter que ce
récit introduit le troyen Polydamas comme un person.
nage connu (v. 60), bien quo son rôle appartienne aux
livres suivants, et qu'il met au premier rang Sarpédonet ses Lycions, qu'on no voit pas (igurordans les chants
les plus anciens du poèmeAvec le treizièmo livre, commenceun récit d'un ca-
ractèro nouveau, assez apparent encore sous «.'asinter-
polations presque évidentes, récit qui remplit les livros
XIII et XIV, ainsi quo la première partie du livre XV.
Lo camp est forcé. JI soutblc quo l'action devrait se
précipiter; ollo sa ralentit au contraire. Zeus, voyantles
Troyens victorieux et par conséquent la vongouncoqu'ila promise a Achille ou voie do horéaliser, détourne ses
regards, Il onrésulto quo les événements cossunt d'être
dirigés ot Ilottont au busard. Poséidon, qui était resté
jusqu'ici fort étranger il l'action, qnoiquo ounomi Am
TroyoïiH,prolllo du eo quo Zottaont distrait pour venir
t, Joma«lit*riuitd>«»v, a.aiHurl>trt»ntriiettoufuturedu rom|wrt.inorA«*uquiti'«im»«oitHiml«tt>ittilmmItmtl#yti*m«t»i«|«l«<•!«n(wutrwtiMiuu»v«Miila*bttbitu&i»tu»i>ly»̂muUiiU<̂(«I*i»<M*I*"
|Mtrll|MU.lIlNiKl(Hl|l«ltt*IlMU»lmi<IAlîCOtllm»Mil*M<llll»M,tlU|i1|IAn'v1witiidua¡\UI"(IIHIII\\lRI11111/11111.
LIVRE XIII 141
au secours des Achéons. Une description pleine d'éclatet do grandeur nous fait assister à son voyage, assezinutile d'ailleurs, à travers les mors (v, 10-38), Tantôtsous les traits do Calchas, tantôt sous ceux d'un person-nage anonymo, le dieu excite les principaux chefs. Avrai dire, il s'agite plus qu'iln'agit. Une longue bataille,extrêmement confuso se déroule devant nous. Mais il
faut subir d'abord un épisode do très médiocre intérêt:c'est l'entretien aussi languissant qu'inutilo entre Ido-môtiôoet Poséidon qui a pris maintenant les traits de
Tboas (v. 206-239), puis entre Idoménén et Mérionès
(v. 240-329). Idoménéeet Mérionès du côté dus Achécns,Kuéoet Déiphobos du côté des Troyens, sont los princi-[Kiuxbérosducombal: narration toute en épisodes3, sans
progrès sensible jusqu'au moment où Hector, rassem-blant les sions pour une attaque commune, se porte avectout» ta masse des Troyens contre Aja.v, sans que l'osoi-
don, cotte fois, fasse rien pour l'arrêter (v. 723-837).L'intervention du dieu étant à pou près sans oflut, le
quatorzième livre débute par un conseil des chefs
ncliéuiis, où Againoiniion proposu encore une fois de se
rembarquer. Ulysse, puis Diomèdc, font écarter cette
|ir<)[M>sttion.Tout ce que nous voyons ici rappelle ou ré-
|uMoeu que nous avons déjà vu: c'est un des morceauxles plus faibli;» de VIliade*, Poséidon rupuruit pour lu
t. Du imtiiiH,iIiiiim]iliiHlaur« du le» partie* 11y en a d'antres fortliiilli'H(Hiirloiit:mi.«7i'). Ilnu «itiKultàra liié«itlltô ml un do»anruetAroHil" eut l'iiimu,
t'iml ll'l 1(11.1MUll'IlUVOItIKIllùMlHI|\tnil|ll)U<>ll«lltl illUtlIIIflM|l|UBiioliihlftHîle VtUml».iti rat dim t>a|t|iUiHoniuitM,l'ylwmàiidH,i|ul a M&lu»|.if MiiiiiSlm*uu |lvr« V (v, W-'M), mH M m\ \Am\mMin ooi|mil«i»uulllo luAtioiw ««•*ynHH(V. mitt.(iKU),
• '»ti h vh,i|k viilri tldw»«»Httr4|iâml<iit wtm, l'iiiîssHitH d«nuu-'<' i<iifuiiu mulu >ltt itiMii»|utti(ivimlm>iS'iiuirKVitllMt) tutiiMmilud<>tt<iiu<:r.ii iuiiùrnû niitr1*,n t*>nt i» m^mn, <\a« ta (.h,'i|«, }<ur lu ImimiIt" 'l'Auiiiiuniliuii, tiull.iuil i.aHuU|4rit4V4tliiUUHi(Uw|.)(t«4I»'<U
143 CHAPITRE Il. – ANALYSE DE L'ILIADE
quatrième fois sous les traits d'un vieillard inconnu
et il fait lever t'assemblée par une exhortation ardonte.
Au milieu de cos délibérations stériles succédant à des
luttes sans résultat, rion n'avance, Fatigués de ces len-
teurs, nous nous plaignons du sommai! d'Homère, lors-
que tout à coup éclate un brillant et célèbre épisode,keus trompé (Aio; àfo&m).Hère, sans grande nécessité
réelle, mais pour seconder les dessoins do Poséidon et
détourner l'attention do Zous, vient trouver celui-ci
sur le Gargaron, elle l'enivre de son amour, et, avec
l'aide du Sommeil, elle l'endort. Poséidon, aussitôt pré-venu, est ainsi misen état d'agir à son gré(v. 153-362),comme il l'a été déjà au début du livre précédent, mais
plus complètement encore. Il intervient donc pour la
cinquième fois, excite les Acbéons,et lour suggère l'idéo
étrange de faire entre eux un échange d'armures*. Lui-
même marche à leur loto3. Los Troyens plient; Hector,
blessé par Ajax, est emporté par ses compagnons sur
les bords du Scamandro, où il ne reprend connaissance
que difficilement. Pendant ce temps, les Trayons sont
éloignés des vaisseaux, chassés du camp et repoussésdans la plaine.
Alors Zous se réveillo (XV, 4). Il s'aperçoit de ce quise passe, s'irrite et avise à romoUro les choses dans
l'état où elles étaient avant son sommeil. Poséidon,
sommé par lui de se retirer, cède à regret, mais n'ose
résister. Apollon ranime Hector, cl lui-même, se mettant
1. C'estle seulcasdansyIliadeoù undieuprendainsiuneformeindéterminée.
».Cetéchange'aeeampllt au milieudela mêlée,enrune«uapensioad'arméeelt ImpoMlble,et il n'eneat aucunementquestion.
8. Du moinslu (mitala dit (v. 381-387);mataIine somblopas quelodieuloit vud'uuauitdes combattant!.Kt dèslor«ia deucrlptloti,toutebriKaRtequ'olleeut.M rapporteen rJalitoa une int»rv«ntn>njutfwmMiiBuwaW.<{utus dlUUruqu'«aapMrauoadocelleduXIII*li-vra,l'oieldanne |>rimdpanplut qu'auparavantunepartelTeolivauu«UMlIlItt.
LIVRE XV J48
n la tète des Troyens, chasse les Achéens vainqueurs,comble le fossé do leur camp sur un large espace et ren-
verse lo rempart. Tout est donc comme si ce rempartn'avait jama<a existé, ce qui revient à dire que l'action
se raccorde ici à la situation décrite à la fin du onzième
livre, quand les Acheens, après avoir perdu le champdo bataille, se réfugiaient auprès de leurs vaisseaux.
Là se termine véritablement l'épisode de l'intorven-
tiun de Poséidon commoncé au début du livre XIII, épi-sode dont l'artilico d'ilbré forme le centre. Si nous nous
te représentons comme un ensemble, on lo détachant
du reste par la pensée, on no peut nier qu'il ne révèle
mie certaine unité fondamentale do conception; mais,dans le développement, plusieurs rédactions successives
semblent s'être superposées ou mêlées. Le poète qui en
a conçu la première idée s'ost proposé évidemment do
rattacher son récit à celui du livre XII, dont il accepteIcs données. Il a voulu introduire dans l'action généraleune péripétie inattendue, soit pour la rendre plus variée,soit pour que la défaite dos Grecs fût interrompue par
quolquos succès partiels. Ses continuateurs ont enchérisur son idée. Malgré les disparates, lour oouvro com-
mune se distingue par certains caractères propres. Les
discours y sont fort abondants et souvent languissants:ils remplissent un tiers du chant XIII et la moitié du
chant XIV. Le récit est médiocrement conduit'; mais
une imagination très br illante se déploie dans des scènes
isolées, plus descriptives que dramatiques, telle quel'arrivée do Poséidon (XIII, 10-38), si admirée de Lon-
gin avec raison, Pombrasseinent deZsus et d'Hère sousli' imago d'or (XIV, v. 340-3X1)ot qiinlquA» tiollottmm-
t. W.UhrltU{ltimlitrarm., l'roleg.p. 41),roiniinjuo,aprd*Hchm-munit,•iu'autrâta ver*093dulivra Xl et la varaU91dulivre XV.Uii'!ho|>muadon, »nnfl'A««antdu mur,quiUhmuvancarl'«ollmiau<|>»'i<|'i«rt>miU.
144 CHAPITRE II. – ANALYSE DE L'ILIADE
paraisons (XIV, 392 et suiv)1. Les allusions à la légende
d'Héraclès (XIV, 2S0 et suiv.; XV, 23 et auiv.) sont un
indice curieux à relever, qui semble dénoter encore une
fois l'influence de poésies contemporaines relatives à ce
sujet.Passons rapidement sur deux morceaux de raccord
(v. 367-591) qui suivent immédiatement. Le premier
(v. 367414) nous montre, à l'aide de vers généralement
empruntés, Patrocle sortant do la tente d'Eurypylo à la
vue du désastre 'les Achéons et se rendant auprès d'A-
chille; c'est une nouvelle scène ajoutée à l'épisode qui
termine le livre XI, comme pour nous en rappeler lo
souvenir et préparer le rôle de Patrocle au livre XVIS.
Le second morceau (v. 413-391) est fort supérieur; c'est
un beau récit de combat qui semble avoir pour but do
remettre plusexactement encore los choses au point où
les avait laissées le grand récit du livre XI; il est remar-
quable on effet qu'il so termine justement par le même
vers (v. 591, cf. xi, 5»5)*.
t. Hoffmann, Quacaliones Itomerkue, Ulauslhal, 1848, t. II, p. 333
Apparat ejusmodi fuisse bujus poetuo ingeniutu quod luxuriaret in
describoiidia rébus minoribus, quas suunnu cum eiegantiu oxomul,
velut initiam Ubri N et praaclarissimam illaui eomparalionom M278
et quae leguntur Z384-40(1at minus aplum fuisse hune pootatn ad ofû-
ciondum clarnm et eoucisum narratiouis progroasuin; pertinent ejuit
carminu ad id genus quod exiuiiu «ingulurmu partium, maxime iniiio-
rum. pulchrituJiuo et vi maj{i« lectoroa deloctat ijuaiu aequebili et
moilesto totlusnarrulioiiiH habilla atque tenore. Le critique croyait
à un autour unique uno étude plus attentive de ces trois livrox
semble avoir prouvé (ii'iflnitiveineut quo c'étuit là uno erreur (Voir
AmoiHflehUe, Appendice da livre XV,p. ilOet milvunt»); mSunmolua,
les reanemblance» «ignalfem «ont n'iolie».
8, l'atruclo, ni pr«»io a ta fin du livre XI, prend loi tout «on tno>|>«,
ut de i-liia 11a complàlomnnt oublia la contiuinniitn dont il ôIhHvliwt'gA
par Aolitlla (aoO-iOij. Voyez mur cm v«r* U«riii(iiiit, Opuif., t. V,
(•. «t.a. Toutufûia carloluâttfiuntraillGtluuw »'ili« l«t il.Mitll«de na rdoit n»
l<»riualtotil «u*redu croire, tn»ii»u ici.fc «h« lévIttctltiHuiiiquo. Il «»••»
bl<>plitlrtt q»o ta pnétu ait uliH»Ales frnuimmi« d'un mwton »*
LIVRE XVI i45
Uni..1» |* Mu, (in, .j», |, 1()
VI
Nous arrivons ainsi à la Patroclie, c'est-à-dire à la
principale péripétie de l'Iliade. Le début de cette partiedu poème est facile à reconnaître à partir du vers 892du livre XV. Nous trouvons là, on effet, une sorte derésumé des événements, qui n'a d'autre objet que debien déterminer la situation et d'on rappeler les don.néesessentielles, au commencement d'un récit dont l'in-térêt en dépend.
Les Troyens, sous la conduite d'Hector, se ruent surles vaisseaux. Ajax, que nous retrouvons ici dans le
premier rôle comme à la fin de la partie primitive duXI0livre, les défend \aillamment. Superbe descriptiondo combat, qui appartient à la plus belle manière ho-
mérique.Les Acbéons semblent perdus, quand Patrocle intor-
cètlopour eux auprès d'Achille. 11peint à son ami leurtiisto situation, telle qu'elle était à la fin du livre Xlo,ot sans faire la moindre allusion aux événements quiont suivi. Malgré le péril extrême, celui-ci refuse decomhatlro lui-môme, mais il permet à Patrocle do serevêtir de ses armes et do repousser les Troyens. Iln'est que temps. Déjà Ajax est refoulé, sa lance esttoisée pur Hector, qui réussit même à mottro le feu a unv;tissellu. Achille à cette vue presse Patrocle; il faitnrinttr en hâto ses Myrmidona, et enfin, après une prièreHiilitiinollo,les envoie au combat. L'arrivée do cettemassa d'hommes on rang* serrés clinugo la face dos«Imwhh.L'incundio ont éteint, los Troyons soat éloignés
l><mdr»ducoluiqui formaiti>rln)llivomoutIhlinduclmntXI Apar-!•<«tu»»fshw,
146 CHAPITRE II. – ANALYSE DK I/ILIADE
des vaisseaux et bientôt forcés de repasser tumultueu-
sement le fossé du camp Rien de plus épique que la
peinture do cette déroute. Une fois le camp délivré,Patrocle devrait s'arrêter, s'il obéissait à Achille. Mais
il veut achever sa victoire; il coupe la retraite à une par-tie des fuyards et en fait un grand massacre. Là se
place l'épisode du Combat singulier de Patrocle et de
Sarpédon (v. 419-683), terminé par la mort de Sarpédonet la fuite des Lyoiens. Ces Lycions du Xanthe semblent
étrangers aux chants primitifs de l'Iliade; il est donc
possible que le récit de ce combat singulier et de ses
suites ait été inséré après coup dans la Patroelie Si
on le laisse de côté, la série naturello des événomonts
n'est pas interrompue. Après avoir massacré les Troyensdont il a coupé la retraite, Patrocle, tout à fait onivré parle succès et par le sang, s'élance à la poursuite des autres.
Moment dramatique, puisqu'il décide do sa mort, comme
le poèto l'a fortoment marqué (v. 684 et suivants) En
poursuivant les Troyens, Patrocle atteint Hector dans
la plaine; il tue le conducteur de son char, Kébrionfes,et une lutte furieuse s'engage autour du cadavre. L'in-
tervention d'Apollon donne la victoire a Hector. Patro-
cle, ù moitié désarmé par le dieu et blessé par Eupbor-
1. L'auteur de la Pativctie ignore le rempart; le camp pour lui est
entouré d'un simple fossé (v. 368.315-6, 380, 397); oo qui semble prou-ver que sa composition est antérieure à cette invention. Voilà pour-
quoi l'auteur de la Aàc ànixi\, qui voulait raccorder son œuvre à la foi»
au chant de VAttaut, ou figure le rempart, et à la Patrottit, ou il est
Inconnu, a da le faire détruire par Apollon à la An do «on récit (XV,
361-388).Cette grande et grosse construction disparaît donc aussi mer-
voUleusemeat qu'elle a iilé odlflAo.2. Un y trouve d'ailleurs doux allusion» au livre XU (v, SI2 et 5.'i$(.Sur les Lveiena méridionaux et leur rôle dans l'Iliade, voir Christ,
Pmkyiim., | 31. Le récit de la mort de Sar|iédon ont imité de IrA*
liréa do celui <U la mort d'IIoator ait XXII* livre.8. Le vert*ilKft,oi'i Ion I. y clou»hoiiI nommé», a dn olra léa<\r«nt«nt
Mitxlindaprân l'IiiuBitlim de i'ôpiaoïio iirwimlmu.
LIVRES XVI-XVII U7
bos, est achevé par Hector et meurt en lui prédisantqu'il sera vengé par Achillo.
La PatrocHe proprement dite est complète dans les
limites de ce récit. Elle se relie tout naturellement aux
parties les plus anciennes du poèmo, c'est-à-dire d'une
part à la Défaite des Achéens (livre XI) qui tient elle-
même au chant do la Querelle et d'autre part à la
Mort d'Hector (livre XXII). Elle présente d'ailleurs les
caractères que nous avons signalés comme propres à
cos chants, la simplicité de l'ordonnance, la clarté do la
progression, le jeu des passions •. Au contraire, olle est
on pleine contradiction avec l'Ambassade et cette con-
tradiction repose sur une conception différente du ca-
ractère d'Achille. Dans l'Ambassade, Achille fait peu de
cas dos satisfactions matérielles qui lui sont offorlesil a été offensé, et il estime quo cotte offense est irré-
parable. Ici, au contraire, sa préoccupation principaleest d'amener les Achéens à composition. S'il permetà l'atroclo do combattre, ce n'est pas qu'il ait pitiéil'oux, il veut simplement sauver ses propres vaisseaux
(v. 80-82). Du reste, il recommande à son ami do no
pas pousser trop loin sos succès, afin quo les Achéens
1.Toutefois cette liaison n'est pas absolument exacte. Car au UvreXl (v. 84.86)il est midi; et au chant XVI (v. 177), après tant d'événe-ments intermédiaires, le milieu du jour vient seulement d'être dépassé.Celaest très cboi{uaQtdans le poème actuel, où tant de choses arriventuittro los deux moments ainsi indiqués mais, même en rapprochantla l'atrocliede la Défaite des Achéens,l'Inexactitude subsisterait encore.On pont admettre quo le passade du en. XVI Il Hà Interpolé par unrhapsode qui avatt oublié le chant XI.
ï. U n'y a pas lieu par conséquent de H'arrdter à de très légères par-ticularité» telle* que l'upostruphe narrative du poète A son héros (v.-U Tàv ïi î*«p«j«m^uv rposlyr, ll«TpowXêt«tnntO. Cf. v. 58»,G»3,71*W.Hli>, 84!1|,H peut arriver A uit poéto d'adopter un jour un procédé•1"en K.uir»tit .l'y renoncer annuité. D'une manière générale, la /'«/.«•
ont lu plu» luiiytit! dm put Huit primitive* do l'IUud*. La pott* yintorvtAiit plim «(u'ullIoitM; nmU cola peut tenir ù)n Hyiii|mllil« tra*ma<|u'il Apt.tuvM|t.tnr mouhéros et A la trlito rtostiiula du oslul-al.
148 CHAPITRE II. ANALYSE DE L'ILIADE
aient besoin do lui et qu'ils essaient do le Héclur pardes présents (v. 83-86); chose inconcevable, si ces pré-sents lui ont été déjà offerts et s'il les a formellement
refusés Quant à la relation do la Patroclie avec la
Mort d'Hector, elle est difficile à déterminer. La scène
de la mort de Patrocle rappelle de très près colle de la
mort d'Hector, à laquelle en outre elle fait directement
allusion. On peut se demander on les comparant si la
Patroclie n'a pas été composée après la Mort d'Hector.
Cela n'empêcherait d'ailleurs aucunement qu'elle fut
l'œuvre du même poète et qu'elle ait été comprise parlui dans la série des chants primitifs qui ont constitué
le noyau de YIliade. C'est là en somme l'opinion la plus
vraisemblable, bien qu'elle ne s'impose pas, nous lu
reconnaissons, ave^uno entière évidence.
Le XVII»livre roule tout entier sur les combats livrés
autour du corps do Patroclo. On conçoit par conséquent
qu'il soit regardé comme indispensable à l'action parceux qui voient dans l'Iliade primitive un poème con-
tinu. Patrocle tué, il faut bien, si le récit ne doit subir
aucune interruption, que nous apprenions comment
son corps a été rendu à Achillo. Mais si l'on écarte cette
idée systématique, le jugement sera tout différent. Mal-
gré de beaux passages, lo récit est long, confus ot mo-
notone peu ou point d'invention, pas une situation
vraiment dramatique. C'est un va-et-vient, au milieu
duquel abondent les rémiiiisconces ou les emprunt»
directs, le XIe livre étant particulièrement mis à con-
tribution. Chercher dans cotte composition los parcollu»
t. Il «it vrai qued'imlro part Umv. «l-«:i«nmblimtfiltre allusion4
ce (|ii'Ar.l.lliaa dit du» mVAmbanmle(IX,OKIMIH'J),Je croit»ij.iol'iillu-
nIoiiont |iur»iu«iilnpparaiite."K»r,vmi v. 01 hIkuIAu« • »">'"BIUHA
««!.»*»(« ». <V<u4l'âutuur du VAiuluuiulenui n'ont Houvoim<\«<«
|iuhhh(joet (|iit h mU •Un*lit U«mM«tl'Afllilll»)ii«tan.0iitI* }itmi^<>>t<lui «mil uliriliuétiici.
LIVRE XVIII 149
disporsées d'un récit primitif qui aurait disparu peu à
peu sous les surcharges est une tentative purement t
chimérique. Noua le considérons dans son ensemble
comme un do ces développements tardifs qui sont venus
s'ajouter avec plus ou moins de succès au corps primitifde l'Iliade. Le dessein principal de son auteur ou de ses
auteurs est d'ailleurs visible on a voulu compléter la
Pntroelie ot préparer certaines parties des chants sui-
vants, qui, à vrai dire, n'avaient aucun besoin de cette
préparation.
VII
Le nom d'Achilléide, qui n'a point de valeur histori-
que. est une dénomination commode, inventée par Lacli-
mann, pour désigner les derniers chants de l'Iliade lAchille en effet los remplit tout entiers. Par là, ils for-ment un groupe; mais cela ne veut pas dire qu'ils aientété créés ensemble, ni qu'ils soient l'œuvre du môme
poète.
Distinguons d'abord dans ce groupe les livres XVIII1et XIX, qui en forment comme l'introduction.
Lo début du livre XVIII s'offre à nous comme la findu récit précédent; mais il est visible qu'il est bien
plutôt le prélude do l'épisode principal qui • suivre,c'est-à-dire do la Fabrication des armes. Antiloquo ap-[uirto à Achille la nouvelle de la mort de Patroclo.Achille est d'abord commo écrasé par la violence de m»
ilouldiir; mm désespoir attira hors des profondeurs dola m«r Thétis et son cortège do Néréidea. Insontûhln«uvitoiiNuliUiiuiHot aux «rnintott do m more, lo héros
f.i.iiimmmtl'appliquât!Aun((«HtiliimiaiiioiUquirâvuiii)&n«»nrà*»tu tlMNMXVUUttlii.
»W^ QHAPI5RK «, – A^ALYÔR 1VR t'IUABBne songe qu'à venger son ami, et par conséquent ilrenonce implicitement à sa uolèrocontre lea Achéensune nouvelle passion prend dans son cœur la place dal'ancienne. Thétis alors promet à son liU des armes
pour remplacer celles qu'Hector a prises à Patrocle, etcette promesse est évidemment l'objet principal de lascène, qui se relie ainsi âtroitoment à tout l'épisode dela Fabricationdes amies.Quefaut-il d'ailleursenpenser?L'énumération des Néréides, leur rassemblement dansla grotto do Thétis, leur arrivée en long cortège auprèsde la tente d'Achille, leurs pleurs, leur départ, toutcela est d'un goùt plus descriptif quo la vieille poésiehomérique. tin revanche les sentimenta d'Achille sont
peints avec forceet grandeur; son désespoir et son dé-vouomontpassionné à l'ami qu'il a perdu noua touchent
profondément; et lorsque, après lo départ do Thétis, ils'avance au bord du fossé sur l'ordre d'Iris et arrête
par son cri la poursuite des Troyens qui voûtent arra.cher aux Achéens le corps de Patroclo, l'invention estsaisissante. Aussi a-t-on essayé de dégager dans cette
première partie du dix-huitième livro les éléments an-ciens des additions postérieures maiscola n'a pu êtrefait encore d'une manière satisfaisante, et il parait plusnaturel, quant à présent, do la considérer comme uu
tout, digne de figurer à côté des beaux morceaux du
poème. – Cedébut du XVIIIelivre forme donc un ma-
gnilique commencement de drame, dont Eschyle profi-tera un jour; mais aussitôt après, l'action se divised'une manière fâcheuse; plus d'unité ni de progrès aulieu d'une construction simple et grande en larges as-
sises, nous avons sous les yeux un agencement ingé.nieux de petits matériaux. Deux scènes parallèles sesuccèdent d'une part ¥ Assembléenocturne des Troycns
t, Voirl'éditiondeW. Christ.
WTwrxvnr l isi
(v. 343-313), où Polydamas consoillo do rentrer dansTroio, tandis qu'Hector persiste à vouloir attaquer lesvaisseaux dès que lu jour reparaîtra; d'autre part losHonneursfunèbres rendus pondant la mémo nuit auoorpsdo I'atroolo par Achille et les Myrmidons(v. 814-308).L'une et l'autre do ces deux scènes trahissont uneorigine récente. La première Bomble avoir été faited'après quelques paroles d'Hector au vingt.deuxièmolivre(v. 100-104);la secondeest un simplecomplément,assezinutile par lut-màme, mais qui a du sa naissancoil un besoin do symétrie. 11fallait que les Achéons,aiinmo losTroyons, tissent quelquo chosependant cottenuit. Épisodessur épisodes toute la secondo moitiédu XVIII»livro ost romplie par lo récit de la visito doThétis à Héphaistos, ot par la bollo description des ar-mes que lo dieu forgo pour le héros. Dans l'antiquitéditjù, Zénndote, frappé do voir combien la descriptiondu houclierétait inutile à l'action, la considérait commeuneaddition au toxto primitif On a remarqué on ou-tre quo toute cotte description semble dénoter un son.timent de l'art plastique plus avancé que celui donttémoignent les autres parties do l'Iliade* que, com-paréoaux parties primitives du poème, eilo trahit ungoût moins aévère et un art plus épisodique; qu'on
i. ScoUeduvers483.t. Sur la valellr artistique de cette description. voir le chapitre 31de
l'ouvrage dlielbig sur l'Épopée homérique. L'auteur en a très bienmontré le vrai caractère. Le poète ne décrit pas une œuvre d'artréelle; il en compose une de sa façon, mais en s'inspirant librementde ce qu'il a pu voir, particulièrement des vases en métal d'impor-tation phénicienne ou des imitations grcques de ces vases. Je croistoutefois que Helbig iui attribue une part d'invention trop grande.Pour que le poète composât si largement, il (allait, si je ne me trompe,que l'art plastique eût déjà produit non seulement des scène» iso-lées, mais des essais de composition, Aproprement parler. Voilà pour-quoi il me parait impossible d'attribuer à ce morceau un Agetrès re-culé.
-te*cnrenTB«^r«-^K»wt*-wt-ii*itii*©«- –
croit y sentir déjà les manières de penser et de «'expri-
mer qui domineront dans VOdyuée,Tout cela est vrai;
mais en réalité, c'est sans doute l'épisode de Thétis et
diléphaistos tout entier qu'il faut considérer comme
un complément plus ou moina tardif. H n'est devenu
nécessaire en effet qu'au temps où les chants primitifs
ont été constitués à l'état do poèmo. Il a fallu expli-
quer alors comment Achille, dans le chant de la Mort
ttfhclor, était rovetu d'armes divinos et cette expli-
cation, que le publio primitif ne demandait pas parco
qu'il la trouvait dana la légendo, on a pris plaisir s la
mettre en forme d'épitiodedans le poèmolui-môme.
Il n'y a dans tout le dix-neuvième livre qu'une scène
vraiment utile à l'action générale du poèmo c'est cette
de la Réconciliationd Achilleet dt.Agammnon. Tout le
reato est vido ou rempli de détails sans intérêt. Nous
voyons Tliétis intervenir ollo-mômo pour éloigner les
mouches du cadavre de l'atroclo petite besogne pour
une déesse. Puis, après la réconciliation, le temps ao
passe à discutor si l'on prendra lo repas, oui ou non,
avant de combattre. Sur ce sujet un débat très long n
lieu Ulysse fait tout un discours plein do sentences
généralos finalement, on décidequ'il faut manger pour
mieux combattre. Achillosoul refuse de prendre aucunn
nourriture. En vain on s'efforco de le faire changer
d'avis; il faut qu'Athèné elle-même intervienne pour
le nourrir d'ambroisie à son insu. Rien n'est moins ho-
mérique que ces inventions. Ala Onseulement, le récit
se relève tout à coup, lorsque lo poète nous montre
Achille s'armant, plein de colère, pour aller chercher
i. XXII,r. 316.Il sepourraitbien«ouiquece t«p»quimanquedansquelquesmanuscritsfat uneInterpolation.Dansc«cas,l'épi-«odôdeThôtiset d'IIéphaiatoset delafabricationdesarma serait
tout simplementnue decesinvention»merveilleusesqui onttté
surajoutéesaux chantaprimitifs,lorsqueceux-cicommencèrentù
paraîtretropsimples.
IJEVSK XIX IWot tuor Hector, malgré la prophétie olïrayante do sonoltovalXanthoa doué pour un instant d* la parole. Ensi.tumo,le contre de ce livre, c'est la RrconciHation,Cemorcoaupourrait être regardé comme plus ancien queI»reste, à condition d'admettre que le disooura d'Aga-Miuiiinonait été largement interpolé Maisfaut-il l'at-trilmor à l'auteur môme de la Querelle Si l'Iliade a étéditsl'origine un poèmo continu, une seèno do réconci-liation y était, dit-on, nécessaire, et c'est pourquoi lespartisans de cette opinion considèrent généralomouttoile quo nous possédons comme un débris do la scèneprimitive. A vrai dire, cette prétendue nécessité d'uneréconciliationest tout arbitrairo. Achilloa bien envoyél'atrocle au combat sans consulter personne. Rien nel'oinuôcherait, ce semblo, d'y courir maintenant de lui-im'ino avec ses soldats, sans se concertor avec Aga-iticinnou. Et en fait, il agira dans les livres suivantscommes'il était soul, et la réconciliation n'aura aucunt'Ifotappréciablo sur les événements. Il est donc bionpossiblequ'elle n'ait été imaginée qu'on un temps où lecaractèreprimitif d'Achilles'est adouci et où des mœursjtlusdélicates ont rendu désirable cet oubli mutuel dosinjures. Mais, en outre, dans la scène mémo do la ré.conciliation,le personnage d'Acliillon'est certainementpascelui que nous attendons. On a peine à croire quel'autour de la Querelle l'eût représenté si apaisé et queIn nouvelle passion puisque c'est elle qui domptel'ancienne ne se fût pas exprimée plus fortementdans son discours. Toute la scène des présents et desHcnnonts,qui suit la réconciliation,est en rapport étroitaveccelle de l'Ambassadedu livre IX. Toutefoisil y est
1.Il faudraitenretranchertoutela légendedela naissanced'Hé-raclès(v.91-136).Nousavonsdéjàtu an livreXVcoo.èlenles lé.gendesd'Héraelésavaienteu d'influencesur les iuterpolalioasd8l'JJiade.
154 Cn&PITRKII- ANALYSEDB1,'IUADB
parlé do l'ambassadecomme si elle avait eu lieu la veille
(v. IIS et 195), tandis que d'après le poème elle a lieu
vilectivement l'avant-vciUo,Ce détail indique peut-âlro
qu'au moment où la Hécancitiation a été composée,Ylliuden'était pas encore complètement formée et quepur suite la chronologiodes événements n'y était panfixéecommuelle l'olt aujourd'hui.
Nous voici au livre XX; ici commence le combat quidoit ao torminer par la mort d'Hector. biais au début (v.
1-74),nousaasiatouaàune assembléegénérale dos dieux,
qui, sur l'avis du Zeus, se partagent entre les adversai-
res et descendant dans laplaine, où bientôt ils prendrontpart aux combats. Ce morceau est visiblement dostiné
à préparer la Théomaehiedu livre suivant, et par consé-
quant ce que noua aurons a dire do l'origino de cetépi-sode n'appliquera également taces soixante-quatorzevers. Suivonadoncl'action AchillecliorchoHector Apol-lon excite contre lui Énée,et do là un combat singulier
qui remplit la plus grande partie du livre (v. 75-382).Cerécit, a n'on pas douter, est relativement récent. Ou-•
tre qu'il renferme donombreuses imitations, il n'est rien
moins que dramatique; il altoro te caractère d'Achille,il arrête l'action, et l'abus dos discours y est manifeste.
Notons aussi un emploi du surnaturel bien moins sim-
ple et bien plus éloigné de la vraisemblance que dans
les parties anciennes do l'Iliade1. L'intention do l'au-
tour semble avoir été de grandir le rôle d'Énée, et bien
loinquo la généalogiede ce héros nous fasse l'offeld'une
interpolation, conformément à une opinion assez com-
1.Voirau t. 335dequellemanièrePoséidonsauveÉuée.–CbrUI.Mali*carmiiia.Proie»,p. 27 AoneaecertamencnmAchilleIllepi-diMimumetexlaciniisallorumcarminura,atqueeU*mejuadem11-bri(801-208= 132-433)miteraeontutum,si quodadditamentumIlit-die.divinoHomerlioganioindigoumest.ut vertHomerum,si hoi
quoquovenuefeciasoi.iluruiîUtièôâlcsr«sretc.
LIVR8S XX ET XX! tW
ni une,nous serions plutôt tenté d'y voir la raison d'e-tro de tout l'épisode. II n'y a en somtno que la Ondoeuvingtième livre (v. 381-503)qui puisse sembler au
premier «bordappartenir au récit primitif. Lepocle nous
ymontreAchillechassant devantlui lafouledes Troyonsqu'il massacre et rencontrant enlin puur lit premièrefoisHector, qui est dérobé àsos coupspar Apollon, Mai»ilaua co morceau mémo, le principat épisode, c'est-u-direle combat d'Achille et d'Hector, est fait d'imitations,et il en est do mémo de la doscriptirm finale qui nousfuitvoir le char d'Achille écrasant les mortset tout rougidus&ug.tËnoutre, le Merveilleux y présente le mêmecaractèred'invraisemblance inutile et d'exagération quedansle morcoau precédoul1.Nous serions porté a croireen conséquence que cette partie du récit a été ajoutéeau combat d' Achilloet d'Éuoo comme introduction auxscènessuivantes.
Lu Combatpris du //etiue (livreXXI)fait suite en oflbtd'une manière immédiate à cotte description. Achilleporteç>ot là le carnage sur les bords du Xantho otdanslu lit mémo du flouve. Il tuo le Thracu Astéropào. LeJlouvoalors s'irrite contre lui, ut commeAchillolebrave,ilcltorchoà l'engloutir soussos eaux soulevées*.Achillofuit; le Xanthe lo poursuit; bientôt mémo, il appello àsonaide le Simoïs: les deux fleuvesdébordent, inondentlaplaine, roulent les cadavres et les armes. Achillopé-rirait sans l'assistance des dieux; mais Héphaistos, surl'ordred'Hère, vientà son secours. Ses feux dessèchentles eauxdébordées. L'embrasement arrète l'inondation
1.LetraitlancéparHectorestdétournéparle souffled'Athèné,tandisqu'auV livre,c'étaitavecla mainqueladéesseécartaitdeDiouiedela lanced'Art»(t. 853);et de plusle Iraitainsidétournérevienten arriéreà sonpointde départ(v.437-U1).Ceaontlà desindicesd'ungoûttortdifférent.
*• H y a plusieurs difficultés sérieuses dans cette partie, qui sent-b!.>Avoir Mi rem:mi6:.
156 OH&PITHK Il. AKALYSB DK L'ILUBX
et la rofoulo. Enfin le Xanlho demande grâce, et tout
t>'apaise.Rien n'est plus célèbre que ce récit: c'est l'œu-vre d'un poète d'un» grande et brillante imaginatiuu,en qui les qualités dramatiques s'unissent aux qualitésdescriptives d'uno manière remarquable mais si l'onveut y trouver lo caractère homérique, il faut changer lusens do ce mot, Cequi caractérise essentiellement l'art
homérique, toi qu'il nous ost apparu déjà dans le chantde la Querelle,dans les Exploits d'Agamenmon,dans la
Patroclie, et ailleurs, c'est, noua l'avons dit, la grandeurdel'elfet associéeà l'extrême simplicité dea moyona.Or,dana la lutte d'Achille et du Xanthe, c'est le contraire
qui nous frappe. l/olfol est grand, mais il est obtenu
par doa moyens extraordinaires. Faire sortir un fleuvede son lit,puis,comme ai cola mêmo était insuffisant, en
appeler un secondà son aide, déchaîner un incendie à
travers une plaine et nous la monlror tout entière eu
feu, mettre on lutte doux éléments, en un mot boule-verser tout pour un seul homme qu'une simple vaguosuffisait à engloutir, c'est le fait d'un poète à qui rien
no coûte, pourvu qu'il étonne et qu'il effraye. Ace mor-
ceau succède l'épisode appelé proprement Combatdes
dieux (v. 383*585),qui ost rejeté preaquo unanimement
par la critique. Sana raison, les dieux des partia enne-
mis se provoquent deux à deux, et ces défisn'aboutissent
qu'à des échangos de paroles ou à des rencontres quisemblent à peine sérieuses. Nulle part, on peut le dire,
l'interpolation n'est plus évidente que là. En comparantce morceau au précédent, il semble naturel do penser
qu'il a dû être composéantérieurement et que le com-
bat d'IIéphaistos et du Xantbo est simplement un bril-
lant épisode ajouté après coup à la pauvre Théomaehie
qui existait déjà; à moins que cello-ci au contraire n'ait
été composée pour encadrer cet épisode.Immédiatement après lecombat desdieux, commence
h+~UVREXXII 157
(au vers 836) lu sublime récit de la Mort Jllcctor quicomprend, avec la fin de ce livre, le livro suivant toutentier. Tandis que lesTroyonsôperdus rentrent en fuulepar les portes de la ville, ouvertes aux fuyards sur l'or-dre do Friara, une ruse d'Apollon éloiguo pour un ina-titut Achille qui t'attache à la poursuite d'un vain fun-lonut. Hector, seul entre los Troyons, s'aricio mi pied.Immwi, et l'attend (t. XXII, S). En vain, du haut duivmpui, son père et sa mbra lo supplient tour à tuuril» rentrer: il reste sourd à lours appels déchirants, dé-«idAùcombattre. Mais voici qu'Acliillo para», et soudain»w frayeur irrésistible le saisit. H fuit, poursuivi parmn adversaire, et le poote noua fait assister toutes lesémotions du cette course ardonte dont la vio d'Hector «sihsiijou. Rien de plus beau dans tuut lo poômo. Zeusabniidoniio lu malhuuroux Hueturasa destinée: ulorsAihftné arrête Achille, puis ollo vient auprès d'Hectorsous les traits do son froro Ueipholn» et lui prauaile<lotenir lôteà celui qui lo poursuit. Los deux ennemisS.111Idonc faco à face. Le combat s'engage. Hector, trahipar lus dieux, est vaincu «t tombe, lu gorgo peroiio, maisvivant encore II prie Achille do rospocter du moins sou«urps, du lo rondre aux siens après sa mort; Achille,impitoyable, achève le vaincu on l'insultant, et Hectormeurt, non sans prédire à son cruel vainqueur que luiaussi tombora bientôt. Aussitôt, pondant que les Achéeiisso réjouissent en chantant le péan autour du cadavredu leur terrible ennemi, le poète, par un contraste aussisimple qu'émouvant, nous montre la douleur navrante«luvieux Priam, cello d'Hécube, et surtout le désespoiret loslamentations
loucliantesd'Andromaquo». La beauté
1.On admetgénéralementaujourd'huique ces lamentationsont•».grossiespar lVuMilioi>d'uneaortede lieucommunsur le sort del'orphelin,morceau«.ntentieuxetd'ailleursfortintéressant,maisqui..0posaitpan(ivuroir,« rapporterau lilsd'Ilector.
158 CHAPITRE H- – ÀrUL*8K DK L'ILIADE
incomparable do co long récit est dans la vérité et la
forcedos sontimonta, dans la variété des péripéties qui
naissent sans apprêt de la auito naturollo des événe-
ments, dans I» manière puissante dont le poète fait va.
loir les granùoa situations dramatiques et marque les
phases principales de l'action. C'osl le chant le plus pa-
thétique de VIHade,et il n'en est aucun qui porto à un
plus haut degré les caractères distinctifs des parties pri-
mitives. Commedans te chant de la Querelle, te poète»«
contente du plus petit nombre possible de personnagesil lui suffit de deux hommes qu'il met face à face pour
composer et dérouler sous noa yeux lo drame le plus
émouvant et le plus rempli •.Corécit do laMort<t Hector
est visiblemonllo noyau des derniers chants, et les par-
ties suivantes, c'est-à-dire la ilndu poème,do mêmeque
les parties précédentes, semblent y avoir été ajoutées
postérieurement.Le XXU1* livro se compose do doux morceaux éten-
dus. Le premier (v. 1-250) est le récit des funéraillos
de Patrocle. Ce qui manque lo plus à ce récit, c'est la
grundour, par conséquent lo caractère essentiellement
homérique. Tout y est décrit avec convenance, los son-
timonls comme les actions, sans que lo poèto toute-
fois semble jamais «'oublier lui-même, ni s'élever au.
dessus do «on art. Le court épisode du message d'Iris
1 Les quelque» allusions, nulles ou apparente», qui, dans te XXII'
livre, ae rapportent &diverses parties de l'Iliade, ne prouvent rien
contre l'antériorité de ce chant. Les ven 48-52ont pu étre introduite
après coup, lorsque Vlliade fat complète, pour rappeler la mort de
Lycaon et de Polydore; mais il ne me parait pas impossible non plus
qu'ici comme ailleurs l'allusion apparente ait précédé le passage au-
quel elle parait se rapporter et lui ait donné naissance. Il en est de
même de* vers 100-103,qat comblent viaer la Mène da XVIII» livra
où figure Polydamas; cette scène, dans le récit où elle est interca-
lée, ne tient A rien; n'est-il p88 vraisemblable qu'elle a été faite âpre*
«m»^ d'après las vers de la Horl d'Hector qui semblent aujourd'hui
destinés à la rappeler?
uv«* xxm «9^
auprès dos vents, qui tardent à venir allumer la flammedu bûcher de Patrocle, est
caractéristique do cotte ma-nière; la poésie n'y sort pas naturellement des chusesmais l'autour s'efforce doles orner pour les rendre poé-tiques. Au récit des funémillos proprement dites faitsuite colui des jeux funèbres célébrés par Achille onl'honneur de Patrocle (v. 257:897). Ce second morceaudu X\II- livre a été jugé par quolquos critiques trèssupôneur au premier «. Il renferme en offet do réellesImnutôsdans sa première partie, mais l'ordonnancenon est rien moins que satisfaisante, Le puète nousdé-crit successivement huit jeux différonts, coqui est trop.L'attention se fatigue, «l il en a tollomont conscioncelui-même,qu'il sent biontôt le besoindo se hâter La»course des chars eat seule racontée en détail, avecd'ingénieusespéripéties qui la rendent très dramatiqueMai»,ensuite, lunarratour passe rapidement sur le pu.gilat,lalulto, la courao à pied, le combat singulior, lojou dit disque, lo tir à l'arc et lo concours dujavelot1.Amidésir d'abréger ost particulièrement sensible danslo léett do la lutte, dont il éludo la dornièro partie aumoyend'un artifice Achillodonne des prix égaux auxdouxrivaux, Ajax et Ulysso,et metfin à tour combat« alttique d'autres Achéenspuissent aussi concourir »(v.737). Cotte préoccupation d'ôtro complot au risquedesacrifierles
éléments dramatiquesdu développementn rien assurément d'homériqueJ.t. Bergk, Grieçh. Hier., 1. 1, p. 639.2. il,°8î,i *ral8emW»Weque trois de ces jeux, le comtat singulier,le jeu du disque, le tir à l'are, ont été ajoutés après coup. Cela résultedes deux pasMge8 où Achille (v. 621-623) et Nestor (v. 634-640) ne
monlioDnentque cinq jeux (Lachmann, Betraehl.. p. 80. et Leli» Dei'iuaT" tff hOme>iC'p. *24)- M8ls cette addition aupprimée, lacritique subsiste et n'est presque pas atténuée.
3. Je n'insiste pas ici sur d'autres arguments que l'on donne ordi-nairement pour prouver que cette description des jeux est moins an-cumneque les parties primitives de l'/fi«fc.On fait remarquer par exem-
tffiT~ CHAPITRE 1T. -» AHALY9BPB L'1UÀP<
L'objot du vîngt-quatrièmo livre, qui termine l'Iliade,
c'est le Rachat dit corps d Hector fExwjo; Xvcp*). Les
dioux prennent pitié d'Hector privé de sépulture. Zeus
fait venir Thèlis et la charge de préparer Achille à ren-
dre le corps ttu son ennemi vaincu. De son côté, il en-
voiolris au vieux Priant pour lo décider à allor lui-mémo
demander à Achillo le cadavre de son (ils. Priam part
la nuit, malgré les prières d'Hécubo. Grâce à l'assis-
tance d'Hermès qui viont à lui, sans se laisser recunnai.
tro, il pénètre dans le camp dos Crocs et arrive jusqu'à
la toute d'Achille, H se jette à ses pieds, et dans une
scène adinirublo réussit à le fléchir. Tout est boau dans
co récit justement célèbre. Achille fait laver le corps
d'Hjctor ot donne à Priant l'hospitalité sous sa tente.
Mais avant le jour, Priam, sous la conduite dilermfcs,
qiiillo le camp et rentre dans Troie. Là, il assemble
tout lo peuple pour pleurerle glorieux guerrier toinM
sous tes coupsd'Achille. Au iniliou des fouîmes, Andro-
maque, Uécube, HJlèno se répandent successiveiuoul
en plaintes touchantes t. La forme symétrique de ces
pie que los héros qui prennent part aux joux, Agituiemnon et Diomé>k
notamment, out été bloaaés tout récemment et qu'ils «o sont depuis
lors abatenus du combat à plus forte raison doivent-ils être burs d'e-
tat do se mêler aux jeux. Ce sont la dos raisons do stricte vraisem-
blance qui ont. je crois, peu de valeur en tout état du cause, et qui n'eu
auraient aucune et ce chant avait été originairement indépendant,
bien que rattaché A la série. Ce qui eat plus significatif, c'est le roto
important d'Ëuméle, fils d'Admète, et d'Êpéios, constructeur du che-
val de bois, tous deux inconnu dans l'Iliade. saut dans le Catahgtf-
t. On a considéré ces plaintes comme une addition postérieur*!
(Selbel, Die Klag* «m Hector, p. 37 et suiv. Cf. Christ, Protegom., p
87). Rien ne me parait moins vraisemblable. Nécessaires la propor-
tion du développement, elles sont parfaitement dans le ton général
du XXIV» livre. On dit que les aêdes ou chanteurs spéciaux des fu-
nérailles sont qualifiés d'i(£pxou; (Y.161), et que néanmoins, à propos
d'Andromaque, d'Héeabe. d'Hélène, noua voyons employés les ver-
bes t,nt (v. 753). éRpxe (v. 747), tïfy>x«encore (v. 731), ce qui impliqtw
contradiction. L'objection me semble de peu de valeur. Les aèdes do
profession peuveut commencer par une plainte générale, un threne,
LIVRExuv 161
Hial.d« I» Lilt. Onoqm. – T. I. Ht
plaintes, qu'on a exagérée en voulant les réduire enstrophes est remarquable et heureusement appro-priée à la monotonie naturelle de ladouleur. Oncélèbreles funérailles d'Hector, et c'est par cette scène d'unenoble triatesase que s'achève le poème.
Govingt-quatrième livre constitue un ensemble dontl'unité no parait pas douteuse. La scène entre Priam etAchilleon est le centro; ce qui précède on forme l'in-troduction,et ce qui suit on est le dénoùment naturel.Il y a quelque lentour dans la première partie et los
pursonnagosy sont faiblement caractérisés, mais toutlu livre plait par la délicatesse et la douceur dos senti-monts, et lorsque le poète mot Priam en présence d'A-chille,il atteint sans effort au pathétique le plus su.Mime.Malgrécela, il parait difficile de l'identifier avecl'autour du viugt-douxièmo chant et des parties lesplus anciennes do l'Iliade. On a remarqué souvontcombienlo rôle d'Ilormès, insignifiant dans le reste dupoème et considérable au contraire dans l'Odyssée,prend d'importance dans ce récit du Rachat d'Hector.C'ustlà une observation qui a sa valeur, bien qu'aprèstout cette innovation ne soit pas absolument inexplica-ble, même dansl'hypothèso d'un poète unique. Maislosindices tirés des caractères littéraires nous semblentplus décisifs. Le ton général est plus voisin de celuidol'Odysséeque de celui des parties anciennes do 17-liade.De nombreuses oxpressions sont même emprun-tées à telloou telle partie de ce poème D'ailleurs tout
auquelrêpondlecri de douleurdes femmes;puischacunedespa-renteslesplusrapprochéescommenceàson-tourunelamentationpar-ticulière,à laquellerépondencorelemêmecri({niai<mvix<mofuval-«c).Lesdeuxchosesne«'excluentpas.
1. Kœchly, Optoc. phU., II, p. 65.2. Christ. Wad. carm., Prêt, p. S*. It fout tain le travail de rap-
prochement soi-méme, à l'aide des renvois notés an bas des pages.poar constater combSôn ce XXIV* livre eat iésllewéiil wiaiu <1«VO-duate.
les CHAPITRB II. – ANALYSE DK L'ILUDB
ce qui précèdo l'action principale, o'ost -à-direla scène
du conseil des dieux et la partie du récit relative à
Thétis, révèle un imitateur, qui, à vrai dire, semblemôme un pou embarrassé do ses personnagos et ne
réussit que médiocrement à leur donner un rôle digned'eux 1.L'idée du vingt, quatrièmelivre a dû naître du
passagedu vingt-deuxième, ouPriam gémit sur la mort
de son Dis et annonce, dans son désespoir, l'intention
d'aller redemander son corps à Achille. Un poète d'un
noblo talent a développé cotte donnée ot en a fait le
dénoùment du poème. Moinsoriginal et moine puissant
que l'auteur des chants primitifs, il a su s'inspirer dos
exemples de,son grand devancier et emprunter quel-
quochose dosa poésie,on y mêlant ce qu'il y avait dans
sa propre nature de plus délicat et de plus tendre.
VIII t
Résumons-nous. Dal'analyse qui précède ressortent
certaines observations essentielles dont nous aurons
à tenir compte on expliquant la formation de l'Iliade.
Voiciles principales1° Un petit nombro seulement de parties du poème
sont primitives et portent la marque d'une origine
commune.
2° Si l'on détache ces parties de celles qui les entou-
rent aujourd'hui, on remarque immédiatement que
quelques-unes d'entre elles – et ce sont les principa-
le^ sans former un poème continu, constituent du
1. Noter aussi les différences de versification. Christ, Melrik d.
Grieehen und BBtner, 2Ȏd.. p. 166 Dass aueb zwiseben den einsel-
nen Gesangen des Homer ein grosser Unterachied in der Knnst des
Versbaues waltet, wird sien jedem leieht ergeben, der nur einmal die
malodiseses Ver» der M3«« nnd der Jlpe&fe mit den ungelenken
Rhythmen der Afcpa "Extopos verglicben hat.
CONCLUSIONS V$&
moins une série do chants liés par l'ordre dos événe-ments et par le développement d'une même situation.Cosont la Querelle (1. I), tes Exploits dAgamemnonou la Défaite du Achéem (1. XI), la Patroelie (1.XVI avec
quolquo8partiesadjaccntos),etla Mort d Hector (I. XXII).Ces chants sont de telle nature qu'ils pouvaiont êtrerécités isolément, sans qu'il manquât rien d'ossentielaux auditeurs, los événements intermédiaires étant ou
superflus, ou suffisamment expliqués par quelques vers
d'introduction qui ont disparu plus tard, ou enfin connus
par la légonde. A coté do ces chants, s'en trouvent
quelques autres, qui leur rossoinblent plus ou moins et
quino leur sont pas tous inférieurs on mérite, mais dont
la placo dans la série n'est pas aussi nettement mar-
quée par la nécessité même du développement drama-
tique. Cesont ha Exploits de Diomède (1. V), les Adieux
dllector et dAndromaque (fin du livre VI), l'Ambassade
(livre IX sous sa forme primitive), et peut-être encore
quelques autres morceaux (comme par exemple los belles
parties du livre It, la scène d'Hector chez Paris aulivre VI, etc.), sur l'origine desquols il est difficile do se
prononcer aujourd'hui.3° Les autres parties du poème sont presque certai-
nement dues à divers poètes. Elles ont été ajoutéos plusvardaux chants primitifs, les unes à titre de libre déve-
loppement, les autres comme pièces de raccord, mais
toutes, à quelques très rares exceptions près, ont été
spécialement composées pour tenir la place qu'ellesoccupent.
C'est sur ces données résultant de l'étude mêmo du
poèmequ'il faut essayer maintenant de fonder une ex-
plicati onhistorique de sa formation.
CHAPITRE III
FORMATION DE l/lLIADB
SOMMAIRE
I. Opinion traditionnelle sur l'unité primitive de l'Iliade. Objectionspréliminaires. Invraisemblance d'une grande composition au tempsoù est né le poème. – Il. Discussion des systèmes d'unité primi-tive. Ntlisoh et Oftried Muller. III. L'SUadt considérée commeun assemblage de petits poèmes indépendants. Wolf. Dugas-Mont-bel. Lachmann. Réfutation de cette manière de Toir. IV. Systè-mes Intermédiaires. Wolf, God. Hermann. Hypothèse de Urote.Quignlaut et Koeouly – V. Vérité probable. Le premier noyau del'Iliade. Chanll liés en série et chants annexes. VI. Chante dedéveloppement. – VII. Chante de raccord.
L'antiquité somblo ne s'être fait qu'une idée assezvague de la composition des poèmes homériques. Elleles étudiait et les admirait sous leur formetraditionnelleplutôt qu'elle no s'interrogeait méthodiquementsur leurorigine. Une opinion fort répandue, commenous le ver-rons plus loin, attribuait au tyran d'Athènes, Pisistrate,la constitution définitive de ces poèmes. On admettaitdonc qu'auparavant, pendant une période de tempsplusou moins longue, ils avaient dû être dans un état maldéfini, qu'on qualifiait de dispersion Mais cette opi.
1.Êpigr.ane.(Aneed.grattade ViiloiKon,t. II, p. 183) EtropàSr.vrt *pW4«86|uvov.Cic,deOral.,III, 34Homerilibros eonfososan-tea.Élien,Uist.var.,XIII,U Ta 'O^povtin)«pinpovtnpnv^~8avat1!Z)~B9!.
RÊPL8XK>N9PRÉLIMINAIRES t«ft
nion, autant que nous pouvons en juger, n'impliquaiton aucune façon qu'on ne crut pas à leur unité primi-tive. Les grands critiques alexandrins, Aristarquo on
particulier, ponsaiont que des éléments étrangers a'é-Iniontmêlésdiversement à la poésie authentique d'Ho-mère.Par là mémo, ils attestaient leur croyance en unpoètedoconom, auteur dol'Iliade ainsi que del'Odyssée;et le soin qu'ils prenaiont d'effacer ou d'expliquer lescontradictionsou les divergencesentre les partiesde soniiMivrosupposéotémoigne que, dans leur pensée, cottoœuvre était uno compositioncontinue et compléta, dontl'unité première no leur paraissait pas douteuse.
Cottemanière de voir peut doncêtre considérée d'unefaçongénérale comme colle do l'antiquité. Ello a passédosanciens aux modernes par tradition; et coux-ci l'ontreçue d'autant plus aisément qu'elle répondait à l'as-pectextérieur des poèmes aussi bien qu'à lours propreshabitudes littéraires. Composer un ouvrage, fût-ce unpoèmoépique, d'après un plan arrêté d'avance, devaitsombler chose toute naturelle dans un temps où per-sonne n'aurait songé à procéder autrement. En outre,jusqu'à la On du xvni*sièclo, la plupart dos scolies an-ciennes étant ignorées, on no se faisait pas une idéeexactedosdifficultésaperçues par losancienseux-mômeset de l'incertitude do leur tradition relativement à cespoèmes.
On a vu dans le chapitre précédent combien cettecroyancedogmatiqueet traditionnelle àl'unité primitivedo l'Iliade est inconciliable avec l'étudo attentive etcomparéedes diverses parties du poème. Maisindépen-damment des innombrables objections de détail qu'ellesoulève,on peut la combattre aussi par certains argu-mentsgénéraux, que nous devons mentionner icià titred'observationspréliminaires. Cesarguments ont été pro.duitspour la première foisd'une manière vraiment mé-
i«6 CHAPITRE III, FORMATION DK I/iLIADK
thodiquo et savanto par Fr.-Aug. Wolfdans aes célèbres
Prolégomènes,publiés on 4795. Cent cet ouvrage qui a
posé pour 10 monda savant lus quo&lianshomériquesBien que les idées de Wolfaient été depuis lors réfutéesen partie, nous croyons que co qui en reste est asso*
important et assoisvigouraux pnur mériter réltuxion.Wolfs'était proposa principalement d'établir que l'é.
crituro était inconnue, ou du moins hora d'usage, au
temps uù fut composéeï'Hiade*;et commeun aussi longtravail do composition lui semblait impossible sans lesecours do cet art auxiliaire, il concluait do là ou lais.sait concluro à sos lectours que lopoème actuel était un
simple assemblago de morceaux anciolls rapprochés lesune des autres par l'industrie des arrangours do Pisis.tralo. La critiquo, depuis un siècle, a considérable montaffaibli la partie CHsontiollode sa démonstration. D'une
part, ollo a fait voir combien il «Huithasardeux de fixerune limito préciso Ala puissancede la mémoire, tin étu-diant chez divers peuples et ondivors temps les produc-tions do la poôsio épique primitive, on a recueilli dos
exemplos qui no permettent pas do douter qu'en l'ub-sencodo l'écriture certains hommes heurouseniont douéset spécialement exercés ne puissent composeret retenirun nombre de vers presque prodigieux. D'autre part,on a dû reconnaître quo la date de l'introduction do l'é-criture on Grèceétait fort incertaine; et on somme, onne saurait affirmer que les aèdes homériques, pourvusd'une instruction particulière on raison de leur profes-sion mémo, n'aient pas été en état soit d'écrire cou-
1.Lire.dansla RevuedesDeux-Mondtidu1"mars1)118,unarticledeM.GalUBkysur Wolf.Uny trouveàla foisd'intéressantsren-seignementsbiographiesei unexponAcritiquede ui idéessurHomère.
2. Il avait été préeélé dans cette démonstration par Robert Wood,.auteur du remarquable Suai tur le génie original d'Homère (en anglais.Londres. 1769), traduit en français par Uemeunler, l'aris, tuï.
R&FLKXIONS PRÉLIMIIUIIUCS 107
raniment, soit du moins d'aider lour mémoire par un
système de signes. deux siècles peut-être avant lacoin-•lioneomontdes Olympiades*.Mai*m l'un ne dégage decodébatobscur où les conjectures ont trop de part, voiciun fait qui subsiste et qui a unu importance capitale.Quandmême on admettrait quoYIliadea pu être écrit»dosl'originaou partiellement notée–- ce qui après toutrtuto douloux, il est bien certain du nuùna qu'ellen'a pasété faite pour être luo. Orc'est la le point capital,f/m-riltire, pendant longtemps,n'a Ituétro chez les Grecs
qu'un moyonmnémoniquu: il n'y avait ni livres à pro-prement parler ni feeteurtt. Cela suffit pour qu'il soitcertainement difficiledo concevoirco que l'auteur d'unsi long poèmeaurait bien pu se proposer.
Pour assigner à son itnmonso travail un but raison-
1. ICnnégligeant l«» traditions fabuleuses des Oroca tur l'origineilo leur écriture, dont ils attribuaient l'inrentloti ou l'introductionsoit à Orphée, soit à Marie, soit A Liiiot, Mit t I>aUm«de, on ne peutlaisser ontiéranent de côU le lûmxittmgo d'Ilârotloto (V. 58-80). D'a-pri» cet historien. les lotiras pliôuldeanes auraient étA Impotl.icH en(Irico par Cadmoi. puis inodillAa»pou Apou dans leur form» les Io-nions ho ton seraient approprie» Wn prmnlors «t en auraient faitusage pour Oorlre sur des peaux préparéoii. Lus plus anciennes las-erlptiuns grecques connues sont celles de Thâra quelques-unes(i'eulro olles semblent remonter ait ix< siècle, ou tout ou moins &lapromlère moitié du vin»; olles «ont donc antérieures aux Olympia-des. 11est clair que l'écritunt elle-même doit être notablement plutancienne en Grèce que ces vieux monuments des inscriptions n'ontde raison d'être qu'autant que la connaissance de l'art d'écrire estdéjà assez répandue. D'ailleurs l'alphabet de Tbéra. bton que IWsvoisin du prototype phénicien, en diffère cependant d'une manière sen-sible; et ces différences ne s'oxpliqueralent pas sans un assez longusage antérieur et an oubli plus ou moins prolongé du modèle. Il estdonc probable qu'en effet, comme le dit le vieil historien. c'est bien aupremier établissement des Phéniciens en Grèce, et particulièrement ala colonie cadmèaune de la Béolie, que doit élr« rapportée l'introduc-tion de l'alphabet parmi les populations grecques. Cf. Lenormant,art. Atphabelum dans le Lict. des Antiquités de Daremberg et Saglio.Consulter aussi Nilzsch. De Uistoi ia Bomeri, faacicul. prior, et Bergk,Gnen. der gricchuctt. Hier., t. I, p. W5.
tW QHAPtTRJt IÏÎ. – FORMATION DK LÏLIAD8
nable, on doit imaginer de grando. récitations eonli-nuo»,analoguesà reliait qui avaient lieu pluslard àAllié-nn aux fêtes des Panathénées.Il fallait desoccasionsdoeegenre pour que,le poème pot neproduire dans nonen.tier; et s'il n'avait du être livré au publie quo partielle,ment, la constructionlaborieusod'un si vaste onaombloétait auporfluu.Maisce»grandes récitations, ai néccssai*ren à l'hypothèsedo l'unité primitive, nous ne les voyonsmentionnées nulle part. VOdysuk, qui met en scène desafcdos,avec l'intention manifeste do montrer leur artdans toutu m splendeur, ne connalt rien de somblablu.Et quand ces récitations apparaiasont dans l'histoire,ellos nouHsont présentées comme une innovation donton fait honneur soit à Sulon, suitun OUdo Pisistrate1.La croyanceà l'unité primitive de l'Iliade impliquedonctout d'abord une hypollioso,qui, loin de s'appuyer surdes témoignages anciens, ost en désaccordavec ceuxquinoua sont parvonus.
Il faut ajouter quo cotte hypotlriso est loin d'être sa-tisfaisante en <Ilo-mômn.Qu'on y réfléchisse en olfot.Comment ces grandcs récitations ont-elles pu nattro qLaseulo manière vraiseinblablod'on expliquer l'origine,c'est d'admettre qu'odes se sont organisées pou a peuàmesure que lo besoin s'en est fait sentir; et ce besoina dn résultor tout naturellement do la formation do ces
groupes do chants que nou?.avons signalés les récita.tions ont grandi on même tomps quo ces groupes eux-mêmes grandissaient; cola est aisé à concevoir et con-forme à la nature dos choses. Mais si l'on reconnait
qu'antérieurement à l'Iliade il n'y avait que des chantsde pou d'étendue, et si l'on suppose que la principale
t. Dlog.Laërc«,Solon,il. Pg. Pitton,Hipparque,•«.328,B'ittxjpxu–%Csà 'O(i^po'jImjKp&To;Ix{|»mv«tetr,vfyvtavtipixoi\^v^xatratoi; jei^tjiBoù;IlavaOr.vatoi;« ûnoXr^lu',i;ttf,«aùràItiivsi.~rr.!gvcir~r a%~rr~er.
TRÏrWHCÎCfa* Fft&MMiNÀinKS 1U
innovation homérique a été précisément do créer un
|iooim»proprement dit, il faut admettre du même coupque lu* grandes récitations n'oxistaieut pus avautl'Hùid*;ce qui revient à dire quo l'auteur de oopoèmo,eule composant, aurait ou 911vue da l'approprier a des
usages emuiro inconnus et de so placer on dolmrs deacamlitiuusqui étaient alors imposéesà la poésie, 11au-rait fuit à dessein une oeuvre dont le mérite prupru no
pouvaitétro apprécié quo dans dos circonstances touta fait uouvolloset en somme fort incertaines, puisqu'ils'agissaitdo modifierpuur los produire les habitudes du
publie.On ne peut nier qu'il u'y ait là tout au moinsuiiograve invraisomblanco.
Ktcette invraisomblancoparaîtra saosdouto plus forteencore pour peu qu'on veuillodonner quelqua attentionà corlainoMoonséquoncosnécessaires dol'hypothèse tra.ililitinnolli'.Si l'Iliade est l'œuvro d'un poèteunique dé*
voloppantun plan arrêté d'avance, ou bienil a composésonumvro tout entière avant do la donner au public,ou hitm il on a réoitv los divorans parties isoléniont àniKSuroqu'ollos étaiunt achovéos. Examinons ces doux
façonsdifférentes de concevoir les choses.Si l'on admet quo l'œuvro a été faite d'un snuljet pour
être livrée intégralemant au public dans une do cas
grandesrécitations supposées, tout d'abord on rond plusinexplicablesencore lescontradictions intimes dupoème,la inarcho flottantede l'action, les lenteurs du dévolop-limitent; mais, ce qui est plus grave peut-être, c'estqu'on est condamné alors à se représenter le poètecommeadonné, pendant un temps nécessairement fort
long,à un travail do méditation solitaire et silencieuse,quicontraste étrangement avec les habitudes d'espritdecet âge encore primitif. Nous voyons dans l'Odysséelesaèdes préférer toujours la dernière légende, la plusRouvello,et la prendra enquoIqHOMirUtaiimilimimAniA
170 CIUPITHK 111. – FORMATION DB L'ILIADK
do son succès pour en faire le sujet de leur poésie Cela
donne l'idée d'une aorte do concours incessant entratoua ces hommes de talent pour apporter à leurs audi-
teur» quelque cltoae qui n'eut pas encore été dit. Con-
cevrait-on, dans un tel milieu, un poète laissant vieillirà dessein la nouveauté enlro sos mains et se taisant
plusieurs années ou vue d'un succès aussi incertain
qu'éloigné? N'est-eo pas dénaturer cette poésie vivantuet toute voisinodo Mmprovisation que do la supposersi tente à éclore, si studieuse et ai maîtresse d'elle
mémodans ses longs calculs! Et los nécessités mémode la vie et do la profession d'aède, telles qu'on peutles deviner, permettent-elles cotte supposition?
Dirons-nous,pour échappor à ces difficultés, que le
poète a dû donner au public tea parties de son œuvre
à mesure qu'elles étaient acltovéos? Dans quul ordre
ponso-t-on quo ces parties du poème aient été ainsi
composéeset récitées pur leurs autours? Celuiqu'olles
occupent aujourd'hui est-il aussi celui do lour publica.tion? VIliade se refuse il cette hypothèse; qui voudrait
croire par exemple quo le second livre qui n'altoutit a
rien, et tant d'autre» qui sont dans le mémo cas, ont
pu être récités à l'origine sans tes grands épisodessui-
vants *? Il faut donc admettre que le poète a donné
les principales parties de son œuvre au public avant
les autres. Maissi l'on va jusque-là, quollo nécessitédésormais do lui attribuer la composition du poème
1. o&h* I, v. 351.
2. Pour serrer de prés cette hypothèse, tout un développement m-
rait nécessaire nous non* bornons Ici A Indiquer l'idée. Qu'on ne
nous oppose pas lea romans modernes publié en feuilletons. Leurs
auteurs n'ont pas affaire à un public rassemblé par hasard pour un
banquet ou uno fêle; quand il y a suspension, chacun des lecteurs
sait qu'il aura la suite à échéance fixe; au contraire, l'aéde grec n'é-
tait jsnsei" s*r de prtrwsw \m f»*w«<»wulIlMira. La régularité mo-
derne change ici les conditions du tout au tout.
RÊFLKX10N8 PRÉLIMINAIRES 17!
ciunplolt Les grands épisodes ao suffisaient à ouxwnc»iiuH. puisqu'ils ont pu être récités isolément. Pourquoivouloir à tout prix quo les autres. qui sont de simpleseouiplémonts, soient nés de liwnèniopensée.olorsmômoqu'ils s'y rattucliont mai et qu'ils portent la marqued'il neorigino différante?
Une autre raison qui poussait Wolf à mettre on doutel'unité primitive do {'Iliade, c'est quo les Grecs, selonlui, ii'avaionl appria que tardtvomont à oonslruiro un(•usDiublo,II lui paraissait impossible qu'à une époquetris rorulôe, un liommo, mémo supérieur, eût pu ogon-cor los parties d'une aussi vaste cunstruction poétique.Smiscotlo forme, l'affirmation a évidemment quelquechosed'arbitraire. Maia on nous invitant à réfléchir al'urt do la composition dans {'Iliade, elle nous mot surla vnio d'observations peut-être décisives.
Assurément la plupart dos scènes du poèmo sont liéesles unes aux autres, mais «lies losont souvent si logèrc-mciit qu'olles nous laissont oublier, lorsquo nous los li-sons, Inur rotation avec l'onsomblo. Voici par exemple locinquième livro, les Exploits de Diomède. C'est un dosbeaux «pisodes du pobmo. Songeons- nous, on l'admi-rant, à l'action généralo ot on particulier à la vengeanceil'Acliillo, quo cos succès semblent éloigner indéfini-ment? Ysmigoons-nous au sixième livro, lorsquo Hec-tor est rentré dans Troio, lorsqu'il adresse à sa femmeet it son enfant ces adieux touchants? Ces scènes nousoccupent tout ontiers; elles sont quelque chose d'indé-pendant; olles nous détournent et nous retiennent. Lemême caractère est frappant dans toute l'lliade. Lesépisodess'y insèrent et se développent avec une libertéqui équivaut à un véritable oubli do l'ensemble. Maissi nous examinons chacune des parties du poème enelliMiiôme,nous ne trouvons plus rien de cette fagon decomposer flottante et capricieuse, partout du moins où
178 CHAPITRK 111. – FORMATION DE L'IMADK
le caractère homérique est lo plus nettement marqua.Les grandes soènoasont conduites avec une rectitudeet une simplicité parfaitement conformes a toutes loshabitudes de l'esprit grec. Bien loin de so plairo aux
détours, le poète les néglige parfois plus que nousno lovoudrions. Lorsqu'il noua raconte la querelle d'A.
gamomnon et d'Achille, il est tout entier à cette que-relle, seul et unique sujet do son récit, et il ne nous
parle ui dos émotions dos assistants ni du liou où les
chosesae passent la poste même, qui pendant neuf
jours dévaste le camp, est indiquée sommairement,mais non décrite. Nous sontons un esprit attaché à une
aoule grande idéo, qui no voit rien au delà ni à côté.La même netteté précise, la même rapidité, la mémo
manière de dégager le principal des accessoires nous
frappe dans le récit du combat final entre AchilleotHector au vingt-deuxième livre pas un mot des té-
moins ni do leurs sontimonts pondant toute la narra-
tion proprement dite pas un détour, pas un arrêt;il n'y a pour le poète et pour nous que doux hom-
mes on présence, l'un déjà vainqueur, l'autro quiretarde sa mort plutôt qu'il ne défend sa vie; l'action
tend à son dénoùment par une auito do progrès rapi-des, on droite ligne. Voilà ce qui apparaît clairement
dans toutes los grandes scènes de l'Iliade. Il y a donc
un contraste frappant entre l'art do composer qui se
révèle dans les parties considérées isolément et celui
qu'on cherche dans l'ensemble. Autant l'un eat rapide,starde lui-même el de son dessein, habile à se passer
d'épisodes et à trouver dans le sujet même l'abondancoet la variété, autant l'autre est lent, incertain, accou-
t. Cesilenceest d'autantplusremarquablequelesparentset lesamisd'Hectoraontcernésassisteraucombatduhautdesmarsd'I-Uoa.et. qu'ayantle combat,PriametHécubeontcherchéà obtenirdeleurfilsqu'ilrentrùtdansla ville.
SY8T&MKDR L'UNITÉ PRIMITIVE 178
lumâ à s'égarer et à suppléer par do petits artifices àl'absencedes grandes lignes. En présence d'une diver-sitéaussi profonde, on est on droit de dire que cet douxmanièresdo faire n'ont pas pu'se rencontrer simultané*mont chei un même homme, parce qu'elles sont oon-tradictoires; et par conséquent l'autourdes grandespur-tioadu poème ne peut pas être onmême temps l'auteurdo l'onsomblo.S'il avait conçu un tout, quolquo gran-diosequ'il fat, il l'aurait conçu nécessairenuMil selonses habitudes d'esprit. Il ne l'a pas fait pareo qu'on nepouvaitpas le fairo de son temps, et nous en revenonsuiiisià la formule mémo de Wolf,justifiée par l'obsor.vatiun,à savoir que les Grecsont appris plus tard sou.loniontà construire do grands ensembles.
Cusont là les réflexions générales et préliminairesquinous paraissent pouvoir être opposées tout d'abordà l'opinion traditionnelle. Mais pour la discuter d'un»mnmoroplus précise et plus offleaco,il faut la considé-rer dans les systèmes modernes qui lui ont donné uneforumscientifique
II
Deux de ces systèmes méritent particulièrement d'êtreétudiés do près: ce sont ceux de Nilzsch et d'OtfriedMillier1. Us représentent ensemble le plus remarquable
I. Nous choisissons Ici Nilzsch elOtf. HOlIer, non Maternent à causede leur notoriété» mais parce que chacun d'eus nous offre une théorielMedans toutes au parties. Il a paru d'ailleurs, en faveur de l'unitéprimitive, bien d'autres travaux, dont quelques-uns sont fort dignesd'attention. Nom citerons particulièrement l'ouvrage de M. Havet,DeOrigineet xmitaU poemalum homericorum. Paria. 1M3. C'est un re-marquable morceau de ariifyM •» point 4« rta naHsJre, plutôt mrtaediscussion détaillée. M. Havet se contente d'expliquer, à titre d'exem-
Ï7Ï aiUPlTWS III. – KORMATIOS ÛB L'ILIADE
clîorl do la critique moderne en faveur de l'opinion tru
(UtionneUo,légèrement amondéo.Les idéo» do NtUsch soutenues avoo loa roaaourcea
d'une érudition considérable mais singulièrement suit-
lilo et confuse, ont du tour importance à co qu'elles cous-
(Huaient une réaction soiontiltque contro la tentative
do Wolf. liombre, d'après Niltsch, aurait composé {'Iliade
à pou près tulle quo nous la lisons, sauf quelquos inter-
polations duos aux rhapsodes; danscotto grando œuvre,
il aurait mis largement à profit maiuto composition an-
tûriouro où duminait déjà l'idûe d'un doasoin do Z»us
défavorable aux Achôons; maison les faisant entrer dans
aun poemo, il les aurait appropriées a son intention pur-
Himnollo, qui était du représenter la colère d'Achille
d'abord funeste aux Achéons, puis plus fatale encore à
Ini-inomo, ot enfin s'apaisant par l'oirot dos supplications
do Prium1. Tout naturellement cet Hoinèro ainsi conçu
plat, quelques-unes des contradictions nlgnalées dans VIliade. Depuis
lors, la critique antiunilairo a singulièrement forlifiA sa* poeilioas.
Mentionnons, parmi les travaux plus rAconU, la dUMrlation très sub-
Hlanltelle de Raumlelo [l'tiiUtlogui, t. VII); t'ouvrage de R. Volkraann,
GetcAt~·btsund lfrilik der tVol/kchen Profeg.mona su Homtr, Leipzig,
«87»; la» Vindiciat earminum Homericorum ai E. Buohholx. Leiptlg,
1885; l'Élude surClliadt d'Homère i« Bougot, farl». 1888; eoBa la sé-
rie d'articles que NI. Jules (Ururd a donnée au Journal de, savanlt à
propos de la 1" édition du présent ouvrage.1. Voyo* surtout De haloria Uumtri marimeque de tetiptorum car-
minumaetale meletemata (l« fuse, Hanovre, 1830; 2- fase., Hanovre
1831); Die Sagenpotiie dur Griechen, Leipzig, 1852. – II y a peu de lec-
tures plus pénibles; et en ce qui concerne ce dernier ouvrage particu-
lièrement, on a le droit de te demander, apresjaroir la, si réellement
il peut se lire. M. Qalusky écrivait à propos de Nitzwh en 1848dans
l'article sur Wolf cité plus haut « Ses compatriote. même commen-
cent à se laeser de la barbarie de son langage et du désordre de 888
pensées. » S'il en était ainsi alors, je penae qoe la publication de ce
gros volume a dê tea en dégoûter dofinitiToment. En tout eaa, on peot
répondre du étrangers.2. De M$lor. Bomeri. p. 112 (faac. prior) Ergo ut dicam quod mihi
none muIt" probalor, Bomeram interpretor eum, qui ex varlis an-
tiquiorum carmlotbus, quao de rebut Trojanls (uerint minora, mai-
SYSTEMS OK L'UNITÉ PRIMITIVE 175
avait dû vivro lorsque la poésieépique touchait déjà au(ormedo sa floraison, puisqu'on somme il avait plutôtarrangé selon sa conception personnelle loisinventions«lesautres, qu'il n'avait inventé par lui-même. AussiNiUaclile supposait-il peu antérieur aux Olympiados,et il arrivait ainsi à rendre assez vraisemblable qu'ileût employél'éorituro, choseindispensable pour ce vastetravaildo raccordement et do combinaisonréfléchie.SonIlomèrodevenait donc >,n poèto presque savant, un lit-térateurplutôt qu'un aède, qui avait composéindustriou-smiuintun vaste récit épique à l'aide de la vieille poé.aio,nu moment où celle-ci allait disparaître. Si l'on seropurtoà l'analyse qui romplit notre précédent chapitre,lespoints les plus Caiblosdo ce systèmo apparaissentd'nux-mèmes.Tout d'abord il repose sur l'idée fort cnn.lostubloque l'lliade so ramène tout entière au dévolop-pomoiitdu caractère d'Achillo'; nous avons vu combienluréalité répondait pou à cette manière do voir. Doplusilsupposequo toute.»les parties du poàmo,ou du moinsunlionnombred'entre olles,ont été accommodéesaprèscoupà la concoption unitaire, tandis qu'en leç étudiantdo|irôson soconvainc au contraire qu'olles ont été pres.qu(!toutes composéospour tenir précisément la placequ'elles occupent aujourd'hui. L'hypothèsodo Nitzschimpliqueraitun travail de réparation et d'appropriationvraimont prodigieux, et il doviont alors inconcevable
lumprofecerit,etquiUiadtm,quaeanteadeJovIbBouA$fuisse»,con-formaveritin hancquamlogimusde ira AchUlis,primumGraecisgravi,deindemIpsumverteate,doneePriamimaximeadmonitiono,latemporantiarahumanaequesortiaconsciemiamvocatur.In hoccarminéplurimaexantlquloribusretentasuapieor.
I. Mêmeouvrage (tasc. poaterior). eh. V lixadem vero viderat (Aris-totele»)eam iwlli Trojani condicionem habere, qnae a primia iraeeausia profeeta, omnibus ejns effeetibna exhausiis, in AchUlis animoad humanitatem revooalo compositoque Hectoris fnnere consisterai,'.luol non ita dicimus. quasi \ehillis ira iruil omnibus qaae per Ilia-dis projjressnm eveaiunt, at subesl tamen.
176 CHAPITRE IJI. FORMATION DE L'ILIADE
qu'un poêled'un esprit aussi puissant se soit donné tantde peine pour rasaomblor et combiner des morceauxdemérite fort inégal, au lieu de développer librement parlui-même le thème nouveau dont il était l'autour. Con.
cevoir le premier la pensée si remarquable d'un dévu.
loppomont moral tiré d'un caractère, et se servir pource développementde matériaux anciens manifestement
impropres à cet objet, c'est là, au point de vue littéraire,une chose contraire à toutes les lois de l'esprit humain.
La théorio que nouscombattons pourrait, en somme, se
formuler ainsi: un génie novateur, d'une hardiesse et
d'une grandeur incomparables,so mottant au servicede
toutes les médiocrités passées pourles faire valoir géné.reusoment.
Otfried Millier, un des esprits qui dans notre siècle
ont fait lo plus d'honneur à l'Allemagne savante, avait
un trop vif sentiment de la vérité morale et poétique
pour accepter une telle hypothèse. S'il défend,lui aussi,dans son Histoirede la littérature grecque1,l'unité pri-mitive do l'Iliade, il la conçoit en réalité d'une manière
toute différente. SonBomèro n'est pas, comme celui de
Nitzsch, un poète doublé d'un arrangeur qui économise
adroitement sa peine et songénie, c'est tout simplementun poète. Il l'imagine se servant sans doute des œuvres
antérieures, mais s'en servant librement, non pas en
les insérant telles quelles dans sa composition, mais en
l'enrichissant à propos par d'houreux emprunts oud'in-
telligentes imitations. La grande idée de ce poète, pourOtfriedMillier, c'est d'avoir conçu comme sujet possibled'un poème épique une série de péripéties purementmorales qui prédominent dans son œuvre sur les évé-
noments eux-mêmes. Rien de mieux que cette façonde
comprendre Homère lorsqu'on la considère abstraite-
4.Chap.V.
SYSTÈME DÉ I/UNITÈ PRIMITIVE 177
ant, de la Ull. Grecque. – T. I. 122
mont et en ollo-inèmo; mais, dès qu'on l'étudié sur le
potMno,elle cesso d'être satisfaisante.Non seulement on eifet les quelques interpolations ad-
mises par Otfried Millier no suffisent pas à expliquer lesnombreuses différences de manière et les inégalités detalont que nous avons signalées; mais, ce qui est bien
plus grave, la contexture générale du poème est endésaccord avec l'idée fondamentale qu'il attribue à sonautour « Sans doute, dit-il, uno vieille légende, bien» antérieure h Homèro, racontait déjà comment Hector» [lérit par la main d'Achille pour avoir tué Patroclo et» comment le (ils do Thétis n'était point venu au secours» du moiUour de ses amis, parce que, irrité contre les» lirocs qui lui avaient fait affront, il no prenait plus» part à leurs combats. C'est le changement qui se passe» dans le cœur d'Achille et qui le transforme d'ennemi» dus Grecs en ennemi des Troyens, que le poète choisit» comme le point culminant do son poème, comme le» moment décisif do l'action ontière. » Cette manièrede voir est la conséquence logique de la conception d'Ot-frioilMillier. Si en offut lo dévoloppement du caractèred'Achille a été la raison d'être de l'Iliade, il semble né-cessaire que le point culminant du poème soit le chan-gement essentiel de ce caractère. Cela devrait être, maiscela n'est pas; et il n'y a que la force d'une idée pré-conçue qui ait pu tromper sur ce point l'esprit si judi-cieuxd'OtfriedMûller. En réalité, les livres XVIII et XIX,qui nous montrent précisément Achille passant d'unsentiment au sentiment contraire, bien loin d'être,commeil le laisse entendre sans oser y insister, les plusbeauxou les plus importants du poème, sont au contrairedunombre de ceux qui présentent le moins les caractè-res homériques. Et si l'on en exclut tout ce qui est épi-sodique, tout ce qui a pu être ajouté après coup, pourconsidérer seulement la crise morale à proprement par-
m ÇHAKTRÇ «I. FOBMAIION DE L'itlAOS
1er, c'est-à-dire le message d'Antiloquo et l'entrevued'Achille avec sa mère au début du dix-huitièmo livre,ou encore !a réconciliation au dix-neuvième, il est cer-tainement impossibled'attribuer à ces morceaux la va.lour exceptionnelle que leur prête Otfried MQllor.Le
message d'Antiloque et l'ontrovue d'Achilleavec samèreasont do bellos scènes, mais elles n'ont pas l'ampleurqu'elles devraient avoir nécessairement si l'hypothèseou question était vraie. Je remarque en particulier quele poète n'a pas tiré du personnage de Thétis ce qu'onaurait été on droit d'en attendre dans une scène capi-tale; elle exprime do nouveau des sentiments déjà ex.
primés par elle, mais elle ne tente rien pour changerlu résolution do son fils; et par suite la passionnouvellede celui-ci,fautedo contradiction, n'éclate pasavec toutela forcequ'elle devrait avoir, étant admis que toute lasuite du poèmoon dépend. C'est donc altérer la physio.nomio vraie de l'Iliade que de vouloir y découvrir un
plan dramatique aussi fortement conçu. En réalité, les
grandes scènes morales sont celles de la Querelle, do
l'Ambassade,de la Mort d'Hector; et on a peine à croire
qu'un poète, qui a été capablede créer do telles choses,eût produit la médiocre Réconciliation que nous avons,si, dès le début, ses regards avaient été fixéssur ce mo-ment décisifde l'action, et si tout son récit eût été mé-
nagé, comme le voudrait OtfricdMillier,en vue de cettescène unique.
Écartons donc le système de l'unité primitive queses plua éminents défenseurs n'ont pas pu mettre enaccord' avec l'observation impartiale du poème etconsidérons à présent le système opposé.
i. Voir i ce sujet H. Bonitz, Ueber den Urtprung der homer. Gediehtt,5*édit., Vienne, 1881.Grâce aux notes, cette dissertation est une vé-ritable revue des questions homériques.
SYSTÈME DES CHANTS INDÈPENDANTS 179
III
« Dès le xvi* siècle, Soaligor doutait do l'unité des» compositions homériques A la Un du xva*, d'Au-» hignaoot Porrault attaquent sur ee point l'opinion» vulgairo avec plus d'audaco que de bon sons s. Verss» le.même temps, Bentley tranche la question on trois» lignes. La Alotte, on 1714, n'est pas éloigné dos» mêmes doutes. Voltaire, que l'on rencontro partoutmoù il faut douter, et même où il no faut pas douter,» écrit avec insouciance dans son Essai sur h poème» épique: «Quand Homèro composa l'Iliade (suppose» qu'il soit l'autour de tout cet ouvrage), il ne fit quo» mettre en vers une partie do l'histoire et des fables» doson tomps. » Le fondateur do la philosophio de» l'histoiro, Vico, par uno sorte d'intuition savanto» dont sos dovanciers ne coivont pas lui ôtor le mérite,» car il les connaissait à peine de nom, découvre quo» lo véritable Homèro n'est autre chose quo la Grèce» héroïqueracontant sos exploits3 il reconnaît volon-» tiors autant d'Homères qu'il y avait de villes groc-» quos se disputant l'honneur d'avoir produit le poèmo» do YIliadeet de l'Odyssée*. »
t. J.-G. Scaliger, Poétique, eh. V, p. li, et eb. XLI, p. 450 (éditionde 1561).
2. Perrault, Parallèle des ancien et des modernes, Paris, 1688. D'Au-
bignac, Conjectures académiques ou dissertations sur FIliade, Paris,171S.
3. Prineipi di Seiema Nuova. Napoli, 1125 (le livre III est intituléDella diseoverta del vero Omero). « Vico, dit Dugas Montbe., est le
premier qui ait compris que les poésies homériques n'étaient pas aeu-lement une œuvre littéraire, que c'était la poésie d'une époque, la voixde tout un peuple, en un mot l'énergique expression de la civilisation
héroïque de la Grèce et l'Ionie. » {Hist. des poésies homtriq,, en tètede la traduction de l'Iliade, p. lxxvii).
4. Egger, Mémoiresde littérature ancienne, p. 74.
180 GHAP1TRB111- FQBMAT1OHBl .iAfiUBft.Bien que Wolf,incidemment au moins, ait laissé de.
viner dos opinions assez différentes dont noua par.lerons plus loin, il est tliflicilode no pas le considérercomme le véritable patron do co système, qui décom-
pose l'Iliade primitive on une foule do petits poèmesdistincts. L'idée qu'on emporte des Prolégomènes,c'osl
quo l'Iliade et VOdysséesont un ossomblago du mor-ceaux originairomonl distincts, qui ont été créés sépa-rément par les Iloméridea et réunis plus tard un un
corps par les soins de Pisislrato. En négligeant dV>-tudier et d'indiquer tout d'abord ce quo cotto multi-
plicité primitive, qu'il entrevoyait, devait contonird'unité pour être concovablo, Wolf a ouvert la porte htoutes los hypothèses hasardeuses qui ne pouvaientmanquer do se produire.
Elles ont trouvé leur expression princi["\loen Francodans l'llistoire despoésieshomériques que Dugas-Mont-bol a jointe à sa traduction de l'Iliade Là, l'unité
primitivo est niée hardimonl. 1.'autour, plein dosidéesdo Wolf et do Vico, se représente les chants qui ont
plus tard formé l'lliade, comme naissant spontanémentà la suite des événements qui on sont l'objet. «A poinc» dix ans s'étaient écoulés depuis la chute d'Uion,» écrit-il, quo déjà dans les palais dos rois on chantait» chaque jour tout ce quo publiait la renommée sur» les triomphes et tes infortunes dos Grecs. Ce fut» dans cette contrée do l'Asie Mineure, qui dans la» suite reçut le nom d'tonie, quo cos poèmes prirent» naissance co fut là qu'on chanta d'abord la valeur» d'Achille, do Diomède,des deux Ajax, la puissance» d'Agamemnon, le courage d'ilector et la noble dou-
1.Éditiondel'Iliade,testeettraductionenregard,9vol.in-8»,«828-1834;l'Histoiredespoésieshomériquesut à la findel'ouvrage.Ellea
été réimpriméeen têtedela mêmetraduction,publiéechezDidoteu12vol.in.t.
SYSTÈME DfiS CHANTS INDÉPENDANTS 181
.1leur du vieux Priant, » Do là, dans la ponséo do
l'uuteur, autant du récita poétiques dintincU et untièru-uiitnl indépendants los uns des uulro»; et «et récits.swlon lui, seraient dovonus plus tard Vlfiadc, grâco àun travail d'élimination, d'addition, do juxtapositionut do racoord, qui aurait été quol«|uu pou ébauché déjà|iur les rhapsodes, plus sérieuse mont coinmouué parSolo», mais réellement entrepris ut achové par Pisis-truto. l.o véritable Itomèro, puur Ougus-Munlliol, gorûsulvait dune on une imittitudo do chaiitoui'H, et il
«sprintait cotto idée on s'uppropriunt une phrase doVicie « Si los peuples de la Urèut-ont tant discuté surIl lu patrio dilotuoro, si prosque tous le voulurent puur» leur concitoyen. c'est que les pouplos grecs furontueux innmo» cet Homère. »
l.o systèmo du Dugus-Montuel, malgré les romarquosdu détail quo l'autour a soméos dans sos notes pour loconfirmer, no s'appuyait pas sur uno analyse cumpl6toui sur uno comparaison très attentive dos parties du
pufane. C'étaient surtout des vues générales, qui s'au-turisuiont des témoignages anciens, relatifs au travaildo Pisislrate otà l'état do dispersion primitif dos poèmeshouiériquos. Les recherches précises autant que hur-diosde Karl Lachmann vinrent donner à cos hypo-thèses une force toute nouvelle.
Dans deux mémoires, lus devant l'Àcadémio dessciences de Borlin, le 7 décembre 1837 et le H marsI8il Lachmann soumettait toute l'Iliade à uno étudeminutieuse destinée à montrer la diversité d'origine deses parties. A vrai dire, il ne se prononçait nulle parttrès nettement sur les relations premières de cos par-
i. Leadeuxmémoiresde Lachmannontété réunienous le litre«ommnndeum (Uacinh UDerHomeraIlias et publiésavecquelqueaadditionspar na disciplede l'auteur,MoritzH«Hn».Berlin 3*Mi-lion,1876.
18* «HÀ PITRE 111. – FORMATION DK 1/1 LU DE
ttos entre elles, et il est «lifiloilapar suite do diro eum»mont il «oreprésentait la fur mution du poème at'tut<l.Maialaisser eontplètoinenl de coté, comme il le faisait.l'unité primitive, quelque opinion qu'il en eût, pouraccuser soulumcmlles diversités des parties, c'étaitdonner crédit au système quo nous venons d'indiquer.En nutant uno foute de divorgoncos, il arrivait à dé.
composer l'Iliade ait dix-neuf chants primitifs do di-
mensions et do valeurs diverses ». Sana entrer ici dan»In critique des dûtails, il y a un grave ut décisif ropro.olio a furniulur contre cetto manière de fair« c'est
qu'olle met, on apparence tout au moins, tous cas
chanta primitifs sur la mômoligue, en no distinguant
pas, entre eux, ceux qui ont produit ou attiré les au.
tr«s. La décomposition do VIliade ainsi opéréo nous
donno l'idéo d'uno multiplicitéprimitive dédiants, ana.
loguo a collo quo concevait Dugas-Montliol;il somblu-
rait, a envisager du cette façon le vieux poomo, quoses éléments divers aient été assemblés fortuitomontou par un artifice quelconque, sans qu'il y oùt on eux
dos t'origine aucun germe do leur unité actuelle. Or
l'analyse que nous en avons faite nous a montré clai-
roment certaines parties ossontiollos, d'où les autres
ont dû naître par un développement organique. Tout
système qui n'explique pas ce développement, qui n»
le montre pas on action dans la mesure du possible, et
qui détache seulemont los parties les unes des autres,altère par là mémo très gravement la physionomiovraie de l'onsomblo. C'est on cela que la méthodo do
Lachmann est condamnable. Mais il faut se hâter d'a-
i. Voicilestitresqu'ildonnaitàcesdix-neufchante 1.M?,v«S.Aitai.3."Oviipoc-4.'Af0(W.5.Doiwtia.6,'Opxot.7.T«xo«xoi<(a.'Aya-(^livovo;JnisiiXtian.8.Aiop^Souc«piateia.9."Extopo«xal'Avîpoiiô/'i:teOia.10.npi«6t(a.lt. AoXiiviia.12.'At«iUiivovoç4pi<m(«.13.T«i/o->oxl«-U-*E*\vauvt|»<5xi-15.Ailsintixtj.10.IlaTpixXtt».17.'AxiXXr,t;.18.'ASXot.19."EsTopetXvrpa.
SYSTÈME DES CHANTS INDÉPENDANTS 183
jouter que se» âtutloa ont été romarquablemunt fécon-des, et qu'on fait c'est d'elles que procède presque touteI»critique homérique depuis cinquante ans, tt'uilieur»ct>qui était resté obscur dans lu pentit'tuou danslu»farit» de l.uclmiaim a été éclaira duus unu certaineuiosuro par quelquesuus do si* nombreux disciples,«t nous aurons tout à l'Iu'iire ir noter elle* l'un d'eux,A,Koeelily,une théorie do la formation de VIliadebien(iIumaynthotique, et par cungéquant plus voisine do lavtritô, qu'un n'aurait pus'y attendre d'après la méthodeInip tixuliiHÎvomtintanalytiquedu maître »,
Les iuvruisumWaiiuoado ces systèmes up|iosés nupouvaient manquer da susciter des explications inter-médiaire».Collos-ciso ramènent toutes à uno distinc-tionentre VIliadeacluollo, résultant d'additions et doremaniements successifs, et YIliade primitivo, que l'onclmrclioà reconstituer avec plus ou moins do précisionet <losuccès. Nous allons examiner quolques-uiios dosprincipulos.
IV
Lo systèmo le plus ordinairement accepté on ce genreost celui qui consiste à représenter l'Iliade primitivocomme un poème complot, beaucoup moins étendu
1. Ejwer a résumé dam ses Conclusion»sur les poèmes homériques(Mémoiresde Ml. anc., p. 96 et sulv.) les idées exposées par lui A 00sujet dans son cours de 1845-1846. Le savant professeur s'inspiraitdes opinions de Wolf et de Vico « Je ne comprends pas, disait-il en» parlant de Schiller (p. 108), qu'an grand poète de nos jours ait pu»préférer l'Homère de la tradition classique & l'Homère multiple et• vivant de Wolf et de Vico. » Mais, avec la modération naturelle deson esprit, il en indiquait plutôt la vraisemblance «ênérale qu'il Decherchait à les formuler en un système. Ces pages sont encore pleinesd'inlérdt,
184 CHAPITRE 111, – FJKMAT1OX HE LIMA DE
que \'Hia<leactuelle, 11semble bien que ce fût la au
fond la pensée définitive du Wolf lui-même, lorsqu'ilécrivait dan* la préfaeo de son édition do YIliade en
1798,postérieurement aux Pratfywtiiw. « Onpourra,» si je no me trompe, arriver ît démontrer clairementmqu'il faut n'attribuer a Hombre quo la plus grandempartit»dos obanU do ses doux poèmua, le roale étant» l'œuvre des tloméridcs, qui ont suivi los lignes tra-itcées par lui «l'avanco».» La mémo idéo ao retrouve,mais collo fois dégagoo et exprimée avec lûun plus do
netteté, dans la remarquable ot fécondedtssortation sur
los interpolations dans Homèreque GodofroyIlormauii
publia on i 832: « Toutes les difficultés seraient réso-» lues, écrivait-il, si nous admettions quilomèro a» composé deux poèmesde médiocre étendue, l'un sur
» la Colèred Achille,l'autre sur leRetourd'Ulysse,ot quo» ces chants, répétés onsuito partout, peu à peuaccrus
» et perfectionnés, ont porté à la postérité lo nom
» dilomèro comme colui du plus ancien poeto ».C'est
sur cotte opinion, plus ou moins modifiéedans lo dé-
tail, qu'a vécu presque toute la critique contemporaine.On la retrouve, pour ne citer ici quo quolquos noms,dans le cours de Fauriol 3, dans tes dissertations de
I. W..ir, Kkine Scfmftm, I, 211: Id tatnen. ni fallor, poterit efûci.
ut liquido appareat Homero nihil praeter majorent partent curminum
tribuendum obso. rell'jua Ilomoridi», praucripta lineamenia perse-
quentibus.t. G. liermann, Opine., t. Y. p. 70 Dissipari vero has dubitationes
et solvi facitlima quadam rationo dixi, si slatueremus .lîomerum
duo non magni ambitus carmina de ira Achilfia Ulyr.isgue mditu com-
posuisse, qiiae deinceps a mnitis cantata panlatitnque auala atqi.u
expolita Homeri nomen ad posteroa ut poetae vetaslissimt propa-
gavissent.3. Ce cours fut professé à la Faculté des lettres de Paris durant
l'année classique 1835-1836. Egger en rendit compte dans le tournai
géntrei 4» eiflrwUo» pukliqu* au un» sorie de douze articles rédi-
gés avec l'aide du professeur lui-môme. Ces articles ont été résumés
SYSTÈME DES CHANTS INDÉPENDANTS 185
Kaysor dans YHistoire do la littérature grecque deIlornhardy et dans cotte do Ilorgk, oaflii dans l'éditioncritique de 17/iWe do \V. Chris», Très aatisbiHunle àpremière vue, ollo offre do sériousos difficultés quand«mlu poursuit dans sos conséquences. Car, ai \lliadtprimitive était un po&ine complet qui subsiste dans lepm'<moactuel, on doit pouvoir à pou près l'y retrouversua* la farine d'un récit continu et c'est en offol ce queIn plupart dos critiquus s'ouorcent du fuira. Mais, pourétablir cotte continuité, tout on faisant lus retranche-mo.iU nécessaires, il faut prendre un petit morceauici, un autre là, ait los découpant assez arbitrairementu« milieu des parties qu'on délaisse. Et, un outre, on seheurte à une difficulté beaucoup plus gravo, bien quesouvent dissimulée par l'adresse du critique c'ost quoquelquosunes dos parties indispensables à l'actionsemblent dénoter un art inférieur et une origine plusrécente. Que ces morceaux soient regardés comme pri.mitifs par los défenseurs do l'unité absoluo, on lo coin-prond mais qu'ils soient maintenus à leur rang parceux qui décomposent le poème d'après los différencesintimes des parties, cola no s'oxpliquo que par la né-cessité do faire honneur au système accepté.
L'opinion soutenuo par l'historien anglais Grote, bienqu'elle mérite d'être indiquée à part, n'échappe aucu-nement à cette critique ». Pour lui, l'Iliade est forméed'abord d'une Achilléide primitive, comprenant quatorzelivres du poème actuel (I, VIII, XI-XXII), d'ailleurs ac-
à l.'ut tourdansl'Annuairede VAtsocialionpourCencouragementdesétudesgrecque/,1880.).Abhandlungen,p. 43.2.M.Mahaffy,danesoitffitloryofgreekliteralure,l'a faite sienne
enla recommandantcommela plus vraisemblablede toutes. OndoilsignalerIncidemmentau lecteurl'articleintéressantdeMériméesurGrote(RevuedesDeuxitondts.l« avril »r*7);l'hyjw^h*,»Jm^.riquedel'historienanglaisy est exposéebrièvementet approuvée.
186 CHAPITUK III. FORMATION DK L'ILÏADB
crus eux-mêmes et interpolés; puis, du divers autreschants. originairement distincts ou appartenant à d'au.très poèmos(livres II à VII, IX, X), qui aont venuspos-térieurement s'ajouter à X'Achilléideet l'ont transforméeen Iliade entin, do deux chants supplémontaires(livre8XXIII et XXIV), composés on dernier lieu, Or, pourn'ompruntor nos objections qu'à l'analysa même du
(mémo,il est visiblo, d'après le chapitre précédent, quocotto opinion pèchedo plusiollr. manières d'abord eneo qu'elle admet dans YIliadeprimitivo dos chanta tels
que lo VIII4 livra, qui manifestement ont été faits àl'aido d'emprunts et pour sorvir de raccords onsuitoon ce qu'ello n'expliquo pas suffisamment la subordina-tion des livros II-VIIà la donnée générale du poème,onliu, on co qu'elle roconnait comme parties intégran-tes de l'Achilléidedos scènes, qui, pour t\tre nécessai-ros à l'action, 'n'en sont pas moins, ainsi quo nous ve-nons de lo dire, d'origino relativemont réconto, 11faut
ajouter qu'olle a encore le grand inconvénient do subs-tituor à l'acoroissomont organique et naturol un ac-croissement artificiel, bien moins satisfaisant pour l'es.
prit.Parmi los tentatives faitespour échapper à ces diver-
ses difficultés, les plus remarquables me paraissent êtrecolle de Guigniaut d'une part et celle de Koechlyde l'au.tre. Guigniaut, dans sa Noticesur Homère a très bienvu qu'il fallait attribuer nécessairement l'unité de YIliadeà une conception primitive comprenant l'action danstouteson étendue, et que, d'un autre côté,la miseen œu-vre de cette conception dans ses diverses parties no pou-vait être imputée à un môme poète. Son erreur a étéde se représenter cette conception primitive sous laforme d'un plan proprement dit, qui se serait transmis
I. EntêteduDictionnaire(VHomèreetdesHomêridt*deTheiletHui-lezd'Arros.
PRKMIKRÉTAT PROBABLEDUPOÈME 187
pur héritage aux Homérideset qu'ils auraient peu à peuoséuuté. Il est trop manifeste que cette notion d'unplandistinct de l'ouvrage lui-même ne peut se concilier«vuela liberté et la souplesse de la vieille poésieépique,surtout ai l'on admet que l'écriture n'était pas encored'un usage courant. Mai»co n\>sl là qu'une ommr dofurme,pour ainsi diro, qui ne doit pas compromettrace qu'il y a dojuato dans l'idée mômo, Kouchly, disoi-plodo Lachmann, et se plaçant eu cotte qualité a unpuinld« vue tout opposé, néglige trop l'unité doYltiadruetuolle; mais co qu'il a ou le mérite de mettre en lu-mière, c'est que le premier gormo du poème a dû êtrenuitpas un poème, à proprement parler, mais une se-riodo chants détachés, qui se reliaiont los una aux au-tron>,Qu'il ait d'ailleurs mal défini cette série primi-tive, pou importe l'idée n'en reste pas moins.C'est oncombinant ces deux concoptions qu'un pout sans doutaapprocherle plus possible do la vérité.
V
L'analyse do l'Iliade nous a fait reconnaître qu'uncertain nombre de parties du poème présentent des ca-ractères communs très frappants. Quelques-unes de ces
parties forment une sériechronologique, en ce sens que
les événements qu'elles rapportent occupent nécessai-rement une place détorminée dans le temps, les uns parrapport aux autres. Tels sont le Chant de la Querelle,
t. Homer und dut grieehiaehe Epot, dissertation publiée en 1843dansla Zeihchrift fur die AUerthumviitsemchaft, •oproduite dans les Opus-t«la philologie^, t. II; voir surtout p. Il et J5. Cf. aussi Dissertationsur ( Odyssée,p. 73 du même volume. L'édition de l'lliade, publiée parKoechlydans la collection Teubner en 1860.sous le titre de 'O.,àe m-*?«.offre seize chante extraite du poème homAriq.m. r.Vnsessbte estamai détruit. ce qui eat un grave inconvénient, sans que nous puis-sions voir comment les parties procèdent les unes des autres.
188 CHAPITRE III. – FORMATION DE L'ILIADE
le* Exploits dAgamemnon, lu Patrocliê, la Mort d'Hector.
Si l'on suppose ces morceaux récités dans tour ordre
naturel, il» constituent ensemble, non uno épopée pro-
prement dite, puisqu'ils «o su suivent pas sans interrup-
tion, mais un groupo do chaula d'un genre très appro-
chant, puisqu'il* mottont on scène les moments princi-
paux d'uuo mémo action. Qu'ils aient pu ôtro composéset récités ainsi, colu n'a rion qui duivo surprendra,
puur pou qu'où se représente combien lu légondo déjàconnue permettait facilement aux auditeurs do combler
(tu lamine» du récit; et. d'autre part, dans que! intérêt
ot par quel calcul un grand poète aurait-il traité en dé-
tait dos épisodes secoiiduiros, avant que cos scènes bion
plus importantes eussent été misos on pleine lumière?'t
Allons plus loin lu Patroclie qui présentemoins nettement que les trois autres chants les earuo-
tbros delà composition primitive, n'est pas absolument
indispensable à lu série fondamentale dont nous parlons.Il aurait suffi au poète do lu Mort d'Hector do rappoleron dix ou quinze vers le fait connu do la mort do Pulro-
clo, pour que son dornior chant satisfît à toutes los con-
ditions do vraisemblance exigées alors d'ur. morceau
épique.Une telle série de chants ressemblait en somme od'as-
sez près à collo que nous voyons atlribuéo à Démodocus
au huitième livre do l'Odyssée, et nous avons dit plushaut comment elle put naître. Voici donc ce qui nous
semble être la vérité sur ce point. L'Odyssée nous ap-
prend positivement que de telles séries ont existé, et
l'lliade, analyséo avec soin, nous livre une de cus sé-
ries encore très reconnaissable dans la masse de poésie
plus récente où elle est aujourd'hui engagée.
Mais, à côté de ces morceaux, nous avons remarque
qu'il s'en rencontrait d'autres <fang l'Iliade, qui sem-
blent également primitifs, et qui pourtant n'ont pas do
PUBSTIBU tTXT PROBABLE DU POEME iSB
place déterminée dans la série indiquéo, bien qu'ils se
rnppurlonl à la môme donnée générale par exemple,IonAdieux d Hector et (fAndromaque, ou encore l'Amàm-
suite, dégagée des altérations ot des additions qu'elle asul'ios. IMondo plus naturel car lo poêle no so sentait pasuhligo de disposer toutes los situations qu'il imaginaitdo li'llo manièro qu'elles se lissent suite rigoureusementIcsiitios aux autres. Quelques-unes étaient liées clirtmo
|u^ti|uoinont soit; mais pourquoi aurait-il cru nécos-suirode s'assujettir partout t\ cette exactitude ? Dans sa
|nui!»te,nous t'avons ditdojà, rontrevuod'llector et d'An-dm imtjuo était censée avoir liou pou de temps avantla mort d'Hector c'était là une donnée implicite quidominait sois récit; mais quoi besoin pour lui de la tra-duire d'une manière exprosso? Du moment qu'il no fai-sait pus un poème, il n'avait pas à assigner, une fois poïirIiiiiIom,à la scène qu'il composait ainsi une place fixedans un développement arrêté; s'il pouvait, dans la ré-citation, la lier à celle de la mort d'ilector, qui jusqu'àun certain point lui faisait suite, rien on somme no l'yobligeait, et ello no pordail pas sa vatuur pour être iso-lée. Il y avait dans tout cola uno liberté que nous nous
roprésontons mal, dominés que nous sommes par la
superstition du livre, qui impose à l'œuvre uno formotinnitiahlo.Do même, le récit de l'Ambassade so rappor-tait bien, dans la pensée du poète, à un moment où lesAcliôens, vaincus par suite de l'absence d'Achille, sevoyaient réduits à une situation presque désespérée;maisce moment n'était pas pour lui une phase déter-minée d'un récit suivi. Ses auditeurs voulaient de bol.les narrations poétiques, ot ils se souciaient peu quel'ussomblago en fut plus ou moins exact. De tels chantsétaiont donc faits à propos des précédents et, pour ainsidire, à côté d'eux; ils les supposaient connus, sans s'yrattacher rigoureusement.
t«0 CH1PITBK UU – FORMATION Dg L'IU k PB
Voilà donc, selon ce qui nous paraît vraisemblable,le premier état de l'Iliade dos chants isolés, mais
connexes, les uns liés entre eux par la suite nécessaire
dos événements et formant une série plus ou moins in.
terrompue, les autres flottant autour de ceux-là sans yêtre encore attachés par dos liens rigides. Cette con.
ception est-elle d'ailleurs susceptible d'une précisionabsolue? Nous ne le croyons pas. Quel était au juste le
nombre de ces chants? Quelle était l'étendue exacte de
chacun d'eux? A quelle date relative ont-ils été compo-sés? Autant do questions qui sont aujourd'hui et quiseront peut-être toujours un objet do recherches et de
discussions. Mais qu'importe après tout? Quelles quesoient les réponses et les divergences, elles ne portent
pas atteinte aux vues générales que nous exposons ici.
Une seule remarque au sujet du classement chrono.
logique des parties du poème s'il y a chance d'en dé-
terminer les dates respectives par comparaison, c'est
en s'attachant aux choses mémos, c'est-à-dire au fond
du récit, plutôt qu'à dos détails tels que vers empruntésou allusions apparentes Il est clair en effet que le
poème ayant été bien des fois retouché avant de rece-
voir sa forme actuelle, beaucoup de ces traits isolés
ont pu et ont dû y être introduits après coup on se
proposait par là de marquer la place que le morceau
prenait dans l'arrangement général, à mesure que ce-
lui-ci se constituait.Il.
Quoi qu'il en soit d'ailleurs de l'origine et de l'âgede tel ou tel morceau en particulier, la chose impor-tante à noter, c'est que le poète, autour de ces premiers
chants, sans avoir fait lui-mémo un poème, a été le vé-
1.Cesemprunted'an chantà un autresont généralementindiquésdansles éditionsrécentes.Ils ont été réunisdansl'ouvragede C.E.
Schmidt,IntituléParallel-HomeroderIndexallerhomerischenItéraitin lexicalischerAnordnung,Gôttingen,1886.
1 tiHASTS PB OÉTELOFFEMENÏ 19i
ritable fondateur du poème actuel. Il n'a pas légué un
plan proprement dit à ses successeurs; mais, ce qui re-
vient au mémo, il leur a légué une action dont le tracé
futur était comme jalonné d'avance car elle consistait
essentiellement en trois ou quatre grandes scènes, qui,
par leur sujet et leurs rolations, constituaient un corn-
moncomont, un milieu et une Jin. « J'appelle un tout,Il dit Aristote, dans sa Poétique, ce qui u un eommen-
» cornent, un milieu et une On » On ne saurait mieux
dire, et voilà en quel sens l'Iliade primitive, sans être
un poème, était pourtant un tout
VI
Suivons à présent la destinée probable de ces premierschants. Comment cette action primitive ainsi ébauchée
arriva-t-elle à se développer si largement et à se trans-
former en un poème continu? Par un accroissement
organique, dont on peut, jusqu'à un certain point, ru-
conter l'histoire.
Tous les chants secondaires de l'Iliade, c'est-à-dire
tous eaux qui n'appartiennent pas au noyau primitif,se divisent en deux groupes, très inégaux par le mérite
et l'importance; il est nécessaire de les bien distinguer
poi- -omprendre la formation du poème. Ce sont les
chants de développement d'une part, et d'autre partieschants de raccord.
Les chants de développement sont ceux qui ont été
composésd'après les données des chants primitifs pour
1.Poétique,ehap.Vil. "OXovai *<mm ï*ovàpxnvxal (léiov%a\xi-Xtwt^v.
2.Il y avaitquelquesrapportsévidemmententreune épopéeainsiconstruiteet les trilogiesd'Eschylepar exemple.Quellesque soientlesdifl-Srences.c'étaitdepartit d'autrele mêmegenrede liaison.
m CHAMTIt»III. POftMATïOÎ?OB LtLtA&lf
créer de nouveaux épisodes à côté des anciens. Leur nais-
sanco peut être expliquée sommairement.
Représentons-nous lo succès et la nouveauté deschanls
primitifs. Si ces chants avaient rassemblée la masse dos
productions épiques antérieures ou eontomporainos, il
n'y aurait eu aucune raison pour qu'ils devinssent le
gorme d'une floraison poétique aussi considérable. Mais
Us on différaient profondément. Ce qui les distinguaitd'une façon éminente, c'était l'intensité de la vie morale.
Liioinino y avait pris avec éclat la prédominance sur
les événements. Tandis que les aèdes antérieurs et con-
temporains racontuiont sans doute avec une certaine sé-
cheresse des faits légendaires, il s'était rencontré un
pofcteda génie, qui, dans le récit d'une querello, d'une
bataille, d'un combat singulier, avait su mettre on jeu
quelques unes des passions les plus fortes do la nature
humaine; par là même, it avait créé quelque chose d'in-
connu et d'inattendu, l'épopée dramatique et morale.
Rien, ce mo semble, ne pout nous rendre l'impression
profonde qu'une telle nouveauté dut produire. Quelle ad.
miration naïvoot enthousiaste pour ceschants, quiétaient
l'imago de la vie, et dans lesquels on voyait et on enten-
dait de véritables passions! Quand leur autoùr out dis-
paru, après los avoir mis au inonde et récités lui-même
successivement, ils rostôrent comme un groupe d'une
beauté incomparable; supériorité qui explique suffisam-
ment pourquoi d'autres aèdes, en les récitant à leur
tour, eurent l'idée de los accroître.
Mais il faut songer de plus que ces aèdes, ou du moins
un bon nombre d'entre eux, semblent avoir appartenu
originairement à une môme famille. Nous aurons à par-ler plus loin avec quelques détails des Homérides de
Chios. Il importe de dire dès à présent qu'il y out là très
certainement un groupe d'hommes, unis entre eux pardes lions domestiques et religieux, qui furent à l'origine
CHANTS DR DÉVELOPPBI.ENT 19$
Hitf. d*1*lia. Grwqoe.– T. I. 13
les dépositaires des premiers chants de l'Iliade. Grâce
à eux, ces chants se répandirent promptomentsoit danslosvilles du littoral, soit dans les îles, et partout sans
doute furent accueillis avec la même faveur. Combien
par suite tes mieux doués de ces aèdes ne durent-ils pasm sentir vivement sollicités à créer de nouveaux épi-sodesà côté dos anciens ? L'idée do respecter une couvre
existante, c'est-à-dire de la conserver dans sa formepre-mière par égard pour l'originalité de son auteur, est re-
lativoment moderne. Elle ne pout naitre quo lorsqu'unegrande partie du public en vient, par une éducation lit-
téraire uvancée ot délicate, à chercher l'autour dans son
couvre et à s'intéresser à tout co qui distingue sa ma-
nière. A l'origine des littératures, rien de pareil n'a lieu
l'auteur n'est rien, ot l'œuvre est tout. Tout le monda
indistinctement conspire à l'étendre et à lu compléter,aussi bien ceux qui l'écoutent que ceux qui l'interprù-tont. Un récit n'est alors pour les auditeurs qu'une série
d'événements qui les touchont ot les passionnent. Ilsne
demandent qu'à y voir apparaitro dos scènes nouvelles
qui en augmentent et on multiplient l'effot; et los chan-
teurs, qui le rodisont les uns après les autres, trouventleur intérêt et leur plaisir à satisfaire en cela leur pu-blic. Appliquons cela aux Homérides ayant, pour ainsi.
dire, dans leur domaine de famille la source de cette
poésie nouvelle qui enchantait alors tous les habitantsdes villes ioniennes, comment l'auraient-ils fermée deleurs propres mains? D'autres sans doute, à côté d'eux,continuaient à mettre en œuvre l'ensemble de la légende
i. Cettesorted'accroissementd'unpremiergroupedechantspeutu produiremêmedanstanpoèmeproprementdit et dufaitde l'auteur.M.Galusky(articlecité,p. 885)mentionnelefaitsuivant: «Wieland,»danssesentretiensavecWolf,ne niait pas que les choseseussent»pusepasser tellesqu'ellesétaientprésentéesdanslesProlégomè-
Mi;it misaitm4m<t1\ eu»t des eonndeaMsIntêtéù&ül6tiMur»lesadditionsmAmA A dont«tes formésonintéressantessur))»lesadditionssuccessivesdont s'était formésonpoèmeà'Obtron.»
194 CHAPITRE III. – FORMATION DE L'ILIADE
héroïque: l'Iliade, nous l'avons remarqué, laisse devi-
ner, on maint passage, l'existence do chanta contempo-rains, étrangers au cycle troyon. Rienne prouve que les
Homérides oux-mémes aient absolument dédaigna ces
sujets communs; mais les ohants relatifs à la colère d'A.
chilleétaiont leur gloire, et ils lespréféraient. N'oublions
pas d'ailleurs que les Grecs n'ont jamais conçu la nou-
veauté littéraire tout à fait à notre manière. Quelques-uns des poètes cycliquos, dout nous aurons à parler un
peu plus loin, ont cru faire du nouveau en complétant
VIliade ci YOdyssée,quand ces deux poèmes furent cons-
titués, Après eux, les poètos lyriques furent novateurs
aussi en traitant les sujets que l'épopée avait épuisés,aauf à les rajeunir par des scènes dues à leur imagina-tion ou empruntées à des mythes locaux. Et plus tard
encore,quand la tragédie reprit sousune troisièmeforme
ces mêmessujets, on vit des poètes du plus grand génies'imiter indé(inimont les uns les autres, on remettant
sans casse sur la scèno los mêmes personnages et los
même» situations. Los Homérides n'ont pas fait autre
chose rois ou quatre siècles plus tôt. Ils ont gardé, de
génération en génération, ce qui plaisait à leur publicdans le legsde leurs prédécesseurs, maisen le renouve-
lant par des additions qui suffisaientà leur goûtdenou-
veauté.Déterminer exactement dans quel ordre chronologi-
que ces additions se sont succédé est chose impraticableactuellement, et il est fort possiblemême que la critiquen'arrive jamais à ce résultat idéal, bien qu'après tout
il ne soit pas sans honneur ni sans utilité de le poursui-vre. Maisce qu'on peut faire du moins, c'est de les grou-
per selonleur nature, do manière à mieux rendre raison
de ce qu'ont voulu leurs auteurs.
Et, tout d'abord, il est à peine besoin de dire quelle
grande part aeue l'imitationau développementdu groupe
CHANTS DE DEVELOPPEMENT 195
primitif. Les doux parties do la ûiomédie, qui conati-tuent onsomblo lo V*livre aeluol, semblent bien n'avoir
pas eu d'autre originn: la première partie est une ad-
mirable imitation dos Exploit» tfAgnmemnon (Kl* livre
actuel), et cotte première partie a donné naissance elle-
môum la la seconde, qui n'en est qu'une variante. H ya là do tollos beautés poétiquos qu'on pout se demander
si eo n'est pas l'auteur moine dos chants primitifs quis'est ainsi imité lui-màine. En ce cas, il aurait le pre-mier donné l'exemple d'un procédé dont sos successeursdevuiont user largement Bien n'ost plus instructif à cet
égard qua de comparer ontro eux los nombreux combats
singuliers de YIliade. Celui d'Achille et d'Hector on ostle type et sans doute le premier modèle. Sur ce modèleont été faits, avec plus ou moins d'originalité dans l'i-
mitation, ceux do Patroclo ot d'Hector, de Patrocto ot do
SarpmUui, do Tlépolème et do Sarpédon, d'IIoctor et
d'Ajax, de Paris et de Ménélas, d'Achille ot d'Énéo. Onarriverait peut-être, par une étude patiente, a les clas-ser en série, selon les inventions accessoires qui s'yajoutent au motif principal.
Mais l'imitation a été plus souvent un moyen qu'unmotifd'extension. Les aèdes en général no créaient pasdo nouveaux épisodes pour le simple plaisir d'imiter tesanciens. Ce qui semble avoir surtout déterminé le pre-mier accroissementde TZ/ta^e,c'est le désirqu'ils avaientde compliquer la marche des événements et d'embellir
par le merveilleux ce qui paraissait trop simple dans lesinventions primitives. On peut citer, comme exemplesromarquables de cette double tendance, le douzième li-vre ou YAssautdu mur, et la plus grande partie deslivres XVIH-XXIV. L'autour de la défaite des Achéensracontée dans le onzième livre actuel se représentait lecamp entouré d'un simple fossé ot d'une palissade à lafin du combat qu'il avait décrit, les Achéens avaient
108 C1UPITRK III. FOUMATION DE I.'IUÀDE
perdu le champ de bataille et étaient rejelêa au delà de
oo fossé, poursuivis par Hector, Un aède, d'uno remar-
quablo imagination d'ailleurs, un dos plus grands Ho-
m6ritloa après Homère, a trouvé cola trop simple: il a
conçu la ponséo do représenter le camp comme entouré
d'un véritable mur avec dus crénoaux et dos tours puis-
santos, atin d'avoir l'occasion d'ajouter au récit primi-
tif la description biou plus riche on incidontsd'un assaut.
Un ne peut nier qu'il no l'ait fait on vrui poète. Mais
l'invention fondamentale, comme nous l'avons déjà re-
marqua, trahit, dans son invraisemblance naïve, un Ims
aoiii de nouveauté quo le poète primitif ne pouvait con-
naître ot qui répugnait môme à la nature de son génie,
Dans los derniers livres, presque tous los épisodes célè-
bres, la Fabrication des armes, le Combat des dieux, lo
Combat d'Achille et du Xanthe procèdent d'une inten-
tion analogue. Il avait anfli au promier poète de mettre
Achille on face d'Hector pour tirer du cotte simple in-
vonlion un des plus beaux dramos que l'imagination
humaine ait jamais créés. Il faut à ses successeurs nu
neuve soulevé, une inondation, toute une plaine boule-
versée par les flots, puis la lutte étrange de la flamme
ot do l'oau, c'est-à-dire uno série d'inventions, frappan-
tes assurément, mais extraordinaires. D'un bout à l'au-
tre du poème, nous retrouvons, comme lo précédent
chapilro l'a fait voir, cette double série d'inventions jux-
taposées, les unos simples, tiréos tout entières de la vé-
rité morale, les autres merveilleuses et plus ou moins
compliquées. Et, chose remarquable, les premières oc-
cupent ce qu'on peut appeler les positions essentielles
du poème, tandis que les secondes sont toujours là par
surcroit, témoignant de l'effort fait par d'ingénioux et
brillants successeurs pour développer l'œuvre de leur
inimitable devancier. Tout le groupe des livres XIII, XIV
et XV, qui a pour centre la scène où Hère éloigne Zeus
CHANTS DE DÉVELOPPEMENT 197
du champ do bataille et qui nous montre l'intervention
do Poséidon rendant un instant la victoire aux Achéens,tout co groupe qui constitue la prinoipale péripétie do
YIliade avant ta Palroclie, me parait devoir son originea la tendance quo je signala ici «.
Un autre motif dont l'influence n'a pas été moins
grande dans l'extension des chants primitifs de l'Iliade,c'est lo besoin do compléter tes parties déjà existantes;motif qui devint naturellement do plus en plus fort, amesura que la groupe toujours grossissant apparut da-
vantage comme un ensemble.
Ce besoin prit d'ailleurs plusieurs formes. ;Une des pluscuriouscs, co fut le désir de justifier certaines allusions
apparentes des chants antérieurs. Souvent los premier*aèdes, obéissant à co goût de précision qui est si natu.rel ù la poésie grecquo, avaient imaginé à titro d'exem-
ples dans les discours fictifs do leurs personnages desfaits de pure invention, qui étaient censés s'être accom-
plis précédemment. C'est ainsi qu'Androtnaquo, dansson entretien avec Hector, rappelle, pour l'engager àno pas sortir do la ville et à défendre le rempart, quetrois fois déjà los Acbéons ont donné l'assaut au mêmeendroit Non seulement cet assaut ne figure pas dans
l'Iliade, mais il n'y a rien absolument dans les autres
chants qui se rapporte de près ou de loin à quelquechose de semblable. C'est donc une fausse allusion,
que le poète s'est permise pour donner plus de force
t. Il est à remarquerque les Grecsn'ont jamaiscesséde grossirouderetoucherainsileursrécits primitifspourUs rendreplusmer-veilleuxou plus romanesques.Lorsquel'on compareles légendes,tellesqu'ellesfigurentdansl'épopée,aveclesmêmeslégendes,tellesqu'onles trouvechezles mythologuesalexandrinson byzantins,ons'aper«oitde l'importancedecesadditionset deleurnature.Il seraittortextraordinaireqae la poésieépique,au tempsde sa croissancela plusactive,eût échappéà cettetendance.
Lefaitestr«êm«rnpportéavecquelquesdétailset lesnomsdeshérosachéensqui y ontpris part sontmentionnés;VI, v. 433-437.
198 CHAPITRE III; – FORMATION DK L'ILIADE
à sa pensée Do mémo dans VOdyssée, Euméo, au
XIV- livro, pour expliquer qu'il ne peut ajouter foi
aux récits de son hôte, raconte qu'il a déjà été trompé
par un Étolien qui prétendait avoir vu Ulysse Cest
là encore un fait imaginé pour les besoins do l'argu-
mentation, en dehors de toute donnée légendairo. On
comprend qno do telles allusions aient du suggérer plusd'une fois à des aèdes, pendant la naissance de l'Iliade,
l'idée do les justifier en créant précisément les scènes
auxquelles elles semblaient se rapporter. L'épisode do
l'Assemblée des Tmyensm XVIII* livre (v. 243 313), où
Hector repousse les consoils de Polydamas qui veut l'o-
bligor à rentrer dans Troie, me parait être né ainsi dos
paroles prononcéos par le mémo héros au XXII* livre
(v. 100-103). Et c'est oncoro do la mémo manière quola célèbre scène du XXIV*livre, qui nous fait voir Priara
aux pieds d'Achille, a dû sortir dos lamontations do
Priam au XXH*(v. 408 429), dont elle n'est quo le dé-
veloppement. Ce fait curieux mérite d'autant plus d'at-
tirer l'attention qu'il est de nature a nous tromper sur
l'âge rotatif do certains morceaux. Nous sommes portés à
croire toujours que l'allusion est postérieure au récit
qu'elle vise or, en plus d'une occasion assurément,
c'est le récit au contraire qui est sorti de l'allusion,
purement fictive à l'origine ».
Mais il y a bien d'autres sortes do morceaux complé-
mentaires dans l'Iliade. Citons particulièrement ceux
qui y ont été insérés dans des vues intéressées. l'lus
l'Iliade grandit et prit de l'importance, plus les chefs
des principales tribus grecques établies en Asie durent
tenir à y voir ligurer leurs ancêtres. C'est ainsi sans doute
i. Odyssée,XIV, 379et suiv.2. Ce que je signale ici brièvementa été fort bien exposédans
l'ouvrage«JeB.Nf*w MeKnUtehtmgderhameritcheuPoésie,Berlin,
1882.
CHANTS DE DÉVELOPPEMENT 199
que s'est développé le rôle do Nestor c'est ainsi queceuxdo Glaucoset de Sarpédonsemblent avoir «té ajou-tés,c'ost ainsi quecelui d'Idoménéeet de soncompagnonMérionè»s'est étendu en dehors même dos convenancesde l'action. Noussommes réduits à cet égard à des con-
joctures plus ou moins plausiblos mais si chacune en
particulier peut être contestée, l'idée dont olles s'ins-
pirent toutes est vraiment hors de doute. Voilàpour lesadditions d'intérêt particulier. Il y en a d'autres, qu'onpourrait appeler complémonts d'intérêt général. Les
premiers chants homériques, on grandissant commenouslu voyons, tondirent naturellement à absorber tou-tes tes légendes rolativos à la guerre do Troie. On nevoulait pas les laisser perdre, et on ne pouvait guèrelosconservor autrement qu'en leur faisant une placedanscegrand ensemble. Bien quele poèmefût tout autrechoseà l'origine qu'une histoire complèto de la guerre,iltondait par son développement à en devenir tout aumoinsune imago abrégée. C'estmême là ce qui expli-quecomment plus tard il a servi de noyau à une par-tieda la poésiocyclique. Mais, bien avant déjà, on peutse rendre compte ainsi de certaines additions, telles
quolo Catalogua des vaisseaux au livre II, l'Entretiend Hélèneet de Priam (tsr/omf»eix)au IIIe, la Revued'A~gamemnonau IVe, qui ont bien plutôt leur placo natu-relle dans une Iliade proprement dite, c'est-à-dire dansun récit complet du siège d'IIios, que dans le poèmeau sujet bien plus restreint qui porte aujourd'hui cenom.
Enfin il convient de mentionner encore, parmi lescausesd'additions, l'influence de quelques poésies con-
temporaines. Certains discours narratifs, tels que ceuxde Phénix au neuvième livre et de Nestor au onzième,
1.Notammentparlelongrécitquilui est attribuaàlafinduXX*livre.
SOO CHAPITRE III. – FORMATION UK L'ILÏADK
tes longues allusions à la légende d'Héraclès dana plu-
sieurs partiea du poème actuel, semblent témoigner do
ce fait. Toutefois, réduits on cette matière » deviner,
nous devons nous borner à uno simple indication.
VII
A côté des chants de développement, dont nous ve-
nous de parler, nous trouvons dans l'Iliade un certain
nombre de chanta qu'on peut appeler chants de raccord,
car ils n'ont d'autre objet que de rattacher les uns aux
autres des morceaux déjà existants.
Une dos erreurs qui ont fait le plus de tort aux opi-
nions dérivées de celle dé Wolf u été de se représenter
le raccordement général des parties du poème comme
opéré après coup et on une soute fuis. Rion n'est plus
contraire soit a la vraisemblance, soit aux indications
fournies par le poèmo lui-mémo. Il résulte un olfot de
tout co qui procède que ce raccordement a dû so faire
au moment mémo où naissaient los chants nouveaux,
puisque ceux-ci étaient fait a précisémentpour s'ujustor
aux anciens. L'Assaut du mur par exemple, qui forme
aujourd'hui le livre XII est venu se greffer, pour
ainsi dire, sur le récit dos Exploits d'Agamemnon,
qui forme la principalo partie du XIe. Il n'était be.
soin là d'aucun raccord. Lo premier des deux chants
servait d'introduction à l'autre, lorsqu'on les récitait
ensemble; mais il pouvait arriver aussi qu'on les réci-
tât isolément; car le poème une fois connu du public,
personne n'éprouvait de difficulté à comprendre la si-
tuation supposée et continuée intentionnellement dans
le second. De la même façon, la Mort d'Hector, noyau de
la fin du poème actuel, a pu porter successivement tel
CHANTS Dt RACCORD SOI
mi tel épisode précédent ou suivant, qui à son tour on
a porté d'autres. Le mémo «(Tels'oat produit dans chu-
ijiiflgroupa et le plus souvent par conséquent aucun
travail postérieur n'a été nécessaire pour réunir desmorceaux qui naissaient en quelque sorte tout réunis.
Toutefois, comme nous l'avons dit, certaines parties,ou primitives ou du moins très anciennes, avaient été
compos6es d'une manière plus indépendante tuut enrucoii naissant la donnée générale, elles no su rutta-cliaient d'une inanièro étroite et directe à aucun chant
déjà existant, et par suite elles n'avaient point do placelixo dans la série. Les Exploits de Diomède, les Adieuxd'Hector et d'Andromague, l'Ambassade en sont des
exemples. Debonne heure, les aèdes homériques durent
éprouver le besoin do faire cossor cet état de choses.A mesure que l'ensemble des chants existants apparais*suit plus nettement sous la forme d'une longue chaîned'événements liés les uns aux autres, il devenait plusnécessaire de ne rien laisser d'essontiol on dehors docet enchaînement. Il fallut donc fixer les chants flot-
tants et c'est pour cela qu'on fit des chants de rac-cord.
Les Exploits de Diomède durent être un des premierschants ainsi fixés. Sa place dans la série fut déterminée
par une considération très simple. C'était une grandevictoire des Achéens. Or entre la défaite qui forme le
sujet des Exploits d'Agamemnon et la Patroclie, il n'yavait aucun moyen d'insérer le récit d'une telle victoire,à moins do bouleverser tout ce qui existait déjà. On le
plaça donc au début après le chant de la Querelle. Maiscomme ce récit n'avait pas été composé en vue de cette
destination, il ne se rattachait ni à ce qui précédait nià ce qui suivait. En conséquence on sentit le besoin de
séparer ces morceaux mal concordants par des scènesdiverses qui fussent de,nature à atténuer ce manque
809 QHAPITRK III. – FORMATION DE L'ILIADE
do auitu. Il est probable que cola se lit asaoi lentement,
et que cotte partie de YJtiad* est celle qui est restéo lu
plus longtemps ouverte. On peut expliquer ainsi l'es-
pèce de tioufuaion et d'incohérence qui y repue.
1,'épisodo des Adieux d Hectoret dAndromttqueeul un
sort analogue. Bien quo son autour ne l'eût placé nullo
part à proprement parler, il est visible, comme nous l'a-
vons dit, quo pour lui cette scène était censée précéder
de pou la mort d Hector. Mais il était impossible, dans la
série d'ôvénoimmts qui s'était organisée pou à pou, de
faire une place convenable à cet épisodo dans la m~
condo portio du récit. Hector no pouvait rentrer dans
Troio ni pondant la défaite dos Achéons, ni pendant
l'assaut du mur, ni pondant la Patroclio, puisque dans
tous ces récits il figurait constamment au premier rang
des combattants. On fut donc forcé do placer son entre-
vue dernière avec Andromaquo au milieu do cos chants
mal cohérents do la première partie, qui eutouront los
Exploits de Diomède; et on l'adapta du mieux quo l'on
put à ce dernier récit. Le raccord est ici d'autant plus
visible qu'il est moins satisfaisant. C'est au moment où
tout fuit devant Diomède, où les Troyens ont par con-
séquonl le plus besoin do leurs chefs et notamment
d'Hector, que le dévia llélénos conseille tout à coup à
celui-ci de quitter le champ de bataille pour un motif
sans importance. Hector lui obéit, et c'est ainsi qu'il
rentre dans Troio. On avouera qu'il est difficile de choi-
sir plus mal son heure et les justifications qui ont été
proposées sont de cellos qu'on peut qualifier de désos-
pérées Voilà donc un raccord manifeste. Il en est de
1. Lebesoindecesjustificationst'est faitsentirdèsl'antiquité.On
peut voirdans les seoliescellesque proposaientles grammairiensdécidésà rendreraison detout.Quandune chosea tant besoind'ê-
tre justifiés,il est tosjows probableqa'ellene pe«<p»«»'<«<«•(Voir
Porphyre, Quaestioneshomericae,éditionSchrader,1.1. p. 90.)
CHANTS DE RACCOItD 203
mttmo du septième livre qui a fait suite à cette scènedos Adieux <t Hectoret WAndromaçue nous avons ox-
(tMSÔplu» haut commont lo combat singulier d'Hectorol tl'Ajftx, qui un est le sujet, ne pouvait guèro s'expli-quer que par le désir do donner à peu de frais un dé.nouaient à la bataille racontée dans les Exploits deDiomède.
V Ambassade était aussi à l'origine un de cos chants(luttants. La place qu'elle occupe dans le poème actuellui fut assignée do même par une sorte de nécessité.La Patroclie marquait le moment où Achillo, en facedu périt imminent des Achéons, se décidait à faire quel-quochose en leur favour l'Ambassade au contrairo lemontrait s'obstinant dans un refus de concours absolu.Elle devait donc être antérieure. Par là mâme, on se vit
obligéde la placer avant la sério d'événements non in-
terrompus qui aboutissent au départ de Patrocle, et parconséquent avant le chant dos Exploits d'Agamemnon.Mnis d'autre part la vraisemblance morale exigeaitqu'elle fut aussi éloignée que possible de la Querelle,puisiju'Agamomnon no pouvait se décider à une démar-che aussi humiliante immédiatement après avoir of.fensé Achillo et l'avoir traité avec tant de mépris. Cesraisons combinées la firent placer après les Exploits deDiomède et les chants qui on dépendent. Seulement,comme ces chants ne rapportaient que des avantagesobtenus par les Achéens et que l'Ambassade no pou-vait se comprendre qu'après une grande défaite, il fal-lut bien créer celle-ci. De là le livre VIII, qui n'ost vrai-ment qu'un chant de raccord et qui en porte si mani-festoment tous les caractères.
On pourrait multiplier ces exemples, mais en multi-pliant aussi les conjectures. Qu'il suffise donc ici d'avoirindiqué la nature de ces raccords. L'Iliade s'achevaainsi peu à peu. Plus elle grandit, plus elle devint une
804 CHAPITRE III. – FORMATION DE L'ILIADE
et serrée, Aucun do ceux qui travaillèrent à l'étendre
et à la compléter ne se proposa sans doute jamais de
la réciter d'un bout à l'autre; l'usage des récitations
courtes et indépendantes avait suf8 à la faim naître et
suffit aussi à la transformer en un poème proprementdit. Ce n'est donc pas l'artifice d'un arrangeur ni d'une
commission de littérateurs qui l'a faite ce qu'elle est;
ce fut le libre travail de plusieurs poètes, dominés parla grandeur d'une création primitive qu'ils voulurent
perfectionner on la développant. L'unité était vraiment
en elle tout d'abord; mais à mesure que les vides du
récit primitif se comblèrent, elle apparut de plus en
plus nettement. S'il était permis d'exprimer ces faits
par une image qui les rendrait plus sensibles, on pour-
rait dire que le premier poète avait élevé de sa main
puissante sur l'immense terrain de la légende trois ou
quatre tours superbes pour marquer l'espace qu'il s'y
était réservé; ses successeurs les relièrent peu à peules unes aux autres, d'abord par d'autres constructions
poétiques, plus richement décorées, mais moins simpleset moins grandioses; puis par une simple muraille des-
tinée à fermer les intervalles qui restaient ouverts. Ainsi
se forma avec le temps une enceinte continue, et la cité
épique qui s'était constituée de cette manière fut appe-
lée YIliade.
Quand les poèmes cycliques prirent naissance, c'est-
à-dire vers le commencement des Olympiades, au mi-
lieu du viue siècle avant notre ère, tout ce travail était
achevé. L'Iliade était désormais un poème complet et
fermé. On ne pouvait plus rien y ajouter en dedans;
on l'accrut tout naturellement par le dehors.
CHAPITRE IV
LE GÉNIE ET L'ART DANS L'ILIADE
SOHMAIRE.
I. Dimensions et proportions du poème. Unité du sujet. Marche del'action. Variété. Et. Le récit. L'ordre et la olartè associés à lavie et au mouvement. Vérité morale. Simplification hardie. Art decomposition dans les principaux récits. Grandeur et idéal. Les hé-ros et la foule. III. Descriptions et comparaisons. Discours.IV. Les personnages. Caractère d'Achille; son développement. Lesantres héros. Personnages de femmes; Andromaque, Hécube, Hé-lène. Valeur morale et nationale des caractères. V. Les dieux.
VI. La langu et la versification.
I
Lorsque nous comparons l'Iliade aux œuvres poéti-ques des âges suivants, sa grande étendue nous frappetout d'abord. Elle résulte à la fois de la manière dontle poème s'est formé et d'une tendance qui est natu-relle au genre narratif dans sa première expansion.Toutefois, s'il est vrai qu'à notre point de vue Y Iliadeest
longue, et si déjà dans l'antiquité cette longueuravait fini par passer en proverbe', nous ne devons pasoublier qu'elle est singulièrement courte en comparai-
i. Elksbiœ. contre Ctésilchots,M9 ~9nvp~ac ¡¡np6't&pov 'I7tté~doç.Cic., ad AtttQ., VIU, il Tanta malorum impendet 'Uiàt.
206 CHAPITRE IV. – L'ART DANS L'ILIADE
son dos immenses épopées do l'Intlo. Le Ramayana etle Mahabharata – ces puissantes créations d'un peupledu mémo origine que l»s Grecs, mais d'un génie bien
différent – font ressortir par le contraste cette brièveté
relative de l'épopée grecque. Là le récit surabonde et
déborde; un épisode devient un poème; tout y est im.
monso, ot le regard se perd dans les profondeurs d'uneaction confuse, comme dans l'obscurité d'une foret im.
pénétrable*. Ce sont dos masses de poésie plutôt que des
poèmes. Dans YIliade au contraire, tout ost mesuré. Ilen résulte quo le poèmo, dans son entier, présente émi-nommcnt cetto qualité qu'Aristote a si bien définie danssa Poétique par lo tonne d'evowvoiwovs. VIliade, commeil le dit, se laisse bion embrasser d'un seul coup d'œil.
Lorsqu'on vient de la lire d'un bouta l'autre, on n'a pasd'effort &faire pour se la représenter tout entière les
parties essentielles reparaissent d'elles-mêmes dans la
mémoire, et les autres, moins nettes, no sont cependant
pas tellement effacées qu'elles ne forment comme unfond à cette image poétique. On no peut s'empêcheralors do remarquer que l'étendue acquise pou à peu
par le poème dans ses accroissements successifs lui a
donné une grandeur d'aspect que les chants primitifs ne
possédaient pas au même degré. Et l'influence même
qu'il a exercée a prouvé par la suite que cette étendue
n'était pas sans beauté. Eschyle n'aurait peut-être ja-mais conçu la trilogie dramatique ni Hérodote le plando son histoire, si l'Iliade, avec son large développe-
1. LeRamayanaa environquarantemillevera; le Mahabharataena deux centmille;VIliadeen a moinsdeseizemille.
2. Aristote, Poétique, 83 Arô. xal xwixy itmdmoi Sv?avehi "O(«ipoï
irapà toù{ fiXXout, t# |ttl8i tôv ir<SXe|iov,««drap tyoïrm âpxV tD.oç,
imxn<rïj<rai jtoislv fiXov' Xtavyàp âv (téya *«' oùx eâavvoircav i\uX>.tv tans-
Sat trâ pfjiiïu lUTplâCov xaToncenXer|Uvov *9 icos^tXff. NOv 8' Iv |iipo;&iroXati>vincivoSioi; niy^xcu noXXotc,otov veSv xaTaXiym xal SiXoiç ir.i--
ooSioi;, ot( Siaia^ëâvti xr\v noh|<nv (W. Christ).
DIMENSIONS DU POÈME 207
mont, n'eût été devant leurs yeux comme un modèle.Tollo qu'elle est, elle fait naître dans l'esprit une idéedo fécondité, large et pourtant mesurée, d'abondancecontenue, qui entre pour une part dans l'admirationdont elle est l'objet.
Cottemesure dans l'abondance est d'autant plus re-marquable que l'honneur en revient à toute une sériede poètes fort inégaux en mérite. Après tout, il eût étépossiblede grossir encore le puèmo actuel, et il n'étaitpas tellement formé quand il parvint à son achèvement,que tout épisode nouveau en fût nécessairement exclud'avance. S'il est resté ce qu'il est, c'est qu'à un certainmoment poètes et public ont senti d'instinct qu'il n'yavait plus rien à y ajouter, et qu'en le développant da-vantage on l'alourdirait au lieu do l'enrichir. Eu cesens, les dimensions de YIliade sont un remarquableindice de l'esprit do mesure qui a été de bonne heurenn des traits caractéristiques du génie grec. Il faut re-connaître d'ailleurs que le jugement naturel des poètesa dû être éclairé et guidé on cela par les habitudes dela récitation publique. Celle-ci imposait une étenduenécessaire et à peu près uniforme à chaque chant isolécotte étendue des scènes principales détermina indirec-tement celle du poème tout entier.
Mais tout cela n'aurait pas suffi à faire que toutesles parties du poème vinssent se rassembler d'elles-mêmes sous le regard, sans cette unité intime qui futcréée tout d'abord par l'auteur des chants primitifs etque ses continuateurs respectèrent. C'est une purediscussion de métaphysique littéraire que de se deman-der, comme on l'a fait trop souvent, si le sujet dupoèmo est la colère d'Achille, ou le dessein de Zeus,ou toute autre chose de même genre. Ni les poètes ho-mériques, ni leur public, ne se posaient de pareillesquestions. Absolument étrangers à ces abstractions
808 OHAPJTBB IV. – L'ART DANS t 'ILIADE
subtiles, ils ne concevaient un sujet poétique que sous
forme de scènes vivantes, liées les unes aux autres.
La première grande scène do l'Iliade était une querolloà la suite de laquelle Achille jurait que les Achéens,
désormais privés de son secours, auraient à se repentirdo l'avoir offensé. La dernière grande scène devait,
par une véritable nécessité morale, montrer la récon-
ciliation opérée, non par des engagements et des dis-
cours, mais par des faits, par une victoire décisive, parla mort d'Hector. C'est par lo nom d'Hector qu'Achillo
effrayait les Achéens en se séparant d'eux c'est parla mort du héros troyen qu'il les rassure, lorsqu'il est
revenu à eux Ces doux scènes qui se répondent sont
le fondomont même de l'unité du poème. Le reste n'a-
vait en somme, à co point do vue, qu'une importancesecondaire, ot l'on s'explique très bien qu'une fois ces
doux -termes extrêmes bien définis cotte unité ait sub-
sisté, malgré tout ce qui semblait devoir la compro-mettre. On savait d'où l'on partait et où l'on allait: pou
importaient quelques détours de plus ou de moins; on
ne risquait jamais de s'égarer. Et toutefois, ici encore,
nous devons remarquer la rectitude relative du poème.Étant données les conditions dans lesquelles il s'est
formé, il est surprenant de voir combien l'unité fonda-
mentale a été rospectée, et quels efforts on a faits, là
même où il fallait bien la sacrifier quelque peu, pours'on écarter le moins possible. L'Iliade, conçue comme
une œuvre collective, atteste certes d'une manière re-
marquable cette libre et intelligente docilité dont l'es-
prit grec devait plus tard donner tant do preuves écla-
tantes.
1. Iliade,I, 240 THbot' 'À-/iXMjo«*oM|Rmuvî« 'Ax«iûv– <ni|i-wm«e. – ..t&t'5viraXXolSç'°E*top»«âvtpofdvora– (Mfcntovre;nl«-Twai.
2. lUutle,XXII,333.1Ip£p«9«|4ya xStcfis£$vc|ixv'EatofaîToTà>TpûecK«à firru8«<ji&tt&xtT&uvio.
UNITÉ DU SUJET 909
Hul. de la Litt. Grecque. T. I. 140\
Si d'ailleurs la marche de l'action est quelquefoislento, si mémo dans la promière partie surtout, cettelentour va jusqu'à l'embarras, il no faut peut-être pastrop le regretter. Grâce à la manière dont elle s'ost
formée, YIliade offre, dansson unité, le spectacle d'uneétonnante variété. C'est là une des qualités qui la dis.
tinguont le plus avantageusement d'un grand nombredo pubmes épiques. Les scènes qui s'y succèdent ne serossomblent les unes aux autres quo do loin en loin.Et cotto variété ne tient pas seulement à ce fait qu'àcôtédus grandes môlées furieusos nous roncontrons des
épisodes de sentiment et de description, comme lesAdieux d'Hector et d Andromaque, Zem trompé parHfoé, ou le Bouclier d Achille. Virgile a su inséror éga-lontoiit dans son poème dos épisodes de diverses sor-
tes, et pourtant VEnéiden'échappe pas complètement àla monotonie. La variété de l'Iliade est bien plus pro-fonde. Elle tient à des dilféroncos d'imagination, do sen-
timents, de style mémo ici la grandeur et la simplicité,là une grâce brillante et presque pompeuse, ailleursdes inventions merveilleuses; et, tout à côté, le naturelle plus dédaigneux des artitices poétiques. Si ces dis-semblances allaient jusqu'aux disparates, elles seraientoxcessivos, et l'Iliade n'aurait jamais été un poème.Maisvoilà justement le trait hellénique. Do même qu'auParthénon l'inégalité de mérite des sculpteurs qui onttravaillé sous les ordres de Phidias, si sensible qu'ellesoit, n'a point compromis l'unité générale de l'édifice,do même celle des aèdes homéridos a'a point détruitl'unité morale du poème. Tout différents qu'ils aientété les uns des autres, il y a cependant certains carac-tères communs de goût, de mesure, de clarté, de vie,qui se retrouvent chez tous à des degrés divers. Ilssont fils du même sol, héritiers de la même tradition,épris des mêmes modèles, dominés par le respect d'une
SiO CHAPITRE IV. – L'ART DANS L'ILIADE
mônio œuvre. On ne saurait assez dire combien cette
variété dans l'unité, si heureusement imprimée sur le
premier chef-d'cauvre poétique du peuple grec, a été
utilo à la liberté de son développement.
II
Si. de cette vue d'ensemble, nous passons à l'étude
particulière dos éléments dont so compose la beauté to-
talc du poème, la perfection du récit est la première
chose à remarquer. Dans les parties supérioures du
YIliade, cotte perfection est incontestable et vraiment
éclatante dans tes autres, l'art du narrateur est iné-
gai sans douto, mais. sous l'influence des exemples et
de la tradition, il reste partout à uno hauteur à laquollo
aucune autre épopée en somme no s'est jamais mainte.
nuo.
C'est d'abord par la conception lumineuse des objets
représentés que la poésie homérique est admirable.
Une vision nette et claire, à laquelle rien d'essentiel
n'échappe. Hommes et choses apparaissent au poète
sans confusion; images distinctes, qui se présentent à
son esprit naturellement dégagées et ordonnées. Une
merveilleuse faculté d'analyse toute spontanée lui per-
met d'apercevoir dans chaque situation tout ce qu'elle
contient d'intéressant les conceptions complexes se
décomposent d'elles-mêmes dans son esprit, à mesure
qu'elles y prennent naissance; sa pensée est ordre et
clarté. Mais, dans cette clarté, il n'y a ni froideur ni sé-
cheresse. L'analyse instinctive dont nous parlons n'est
pas celle de la réflexion qui ne laisse subsister que des
abstractions. Ici, c'est l'imagination qui décompose, au
moment même où elle crée, et tous les éléments qu'elle
LE RÉCIT. OU PRE ET MOUVEMENT 811
sépare sont vivants. Dans une action donnée, elle décou-vre des phases successives, toutes intéressantes, toutestendant à une môme fin dans un sentiment général,vtto distingue des péripéties morales aussi vraies quedélicates et variées. Le résultat de cette analyso, c'estdonc la vie et le mouvement, mais le mouvement or-donné, progressif, toujours intelligible, la vie simpli-Me, dégagée do ses obscurités, devenue, pour ainsidire, toute claire et toute transparente Rien d'exlraor-dinuiro dans de tels récits, presquo point de merveil-loux, car l'ordinaire, ainsi interprété, suffit à tout. Des
coups de théâtre, parce que la nature humaine en com-
porte, parce qu'il s'en produit sans cesse en nous etautour do nous, mais dos coups do théàtro vraisembla-bles, et jamais de ces soubresauts capricieux qui pro-viennent uniquement dos fantaisies individuellcs d'unauteur.
Quel récit pourrait être comparé sous ce rapport àceluidu combat d'Hector et d'Achille au vingt-deuxièmelivre? Une série de scènos passent sous nos yeuxl'hésitation d'Hector, sa fuite, te jugement des dieux,la tromperie si dramatique d'Àthèné, le combat pro-prement dit, et enfin l'admirable dialogue entre le mou-rant et son vainqueur; autant de péripéties, qui se fus--sent évanouies entre les mains d'un moindre poète, etqui, dans l'œuvre homérique, ont toutes leur valeurpropre par la manière étonnante dont chaque situationa été tour à tour discernée et distinctement représen-tée. Qu'on relise par exemple, entre toutes ces scènes,celle de la fuite. Avec quelle clarté n'est-elle pas dé-taillée 1 Commechaque moment en est indiqué et ca-ractérisé avec justesse 1 Tout est vu et dessiné d'untrait, les acteurs, leurs mouvements, le lieu du drameet les souvenirs qui s'y rattachent, l'action elle-mêmeet ses phases:
813 CHAPITRE IV. – L'ART DANS L'ILIADE
Hector attendait: Achille vint à lui. semblable à Ênya-
llos, dieu guerrier et bondissant sur son épaule droite, sa
lance, taillée dans un frêne du Pèlion, vibrait dans sa course
d'un mouvement terrible; autour de sa poitrine, l'airain
resplendissait, semblable à la lueur d'un grand feu ou à l'é-
clat du soleil levant. Quand Hector le vit, un tremblement
le saisit, incapable de tenir pied désormais, il n'osa pasrester auprès des portes, et, terrifié, prit la fuite. Alors le
fils de Pelée bondit après lui, sûr de ses pieds agiles, aussi
prompt que l'épervier des montagnes, le plus rapide des
oiseaux, quand il fond sur une palombe celle-ci, sous les
serres de son ennemi, hâte sa fuite; l'épervier, déjà sur
elle, pousse des cris aigus, et sans cesse se jette en avant,
affamé do la saisir. Tel Achille, avide de sa proie, volait
droit à Hector et le Troyen, tout tremblant, se rappro-ohait du mur de la ville, d'une course effarée. Et ainsi, au
pied de la tour du guet et du figuier sauvage, tous deux,serrant le mur de près et suivant la route des chars, ils pas-
sèrent et ils atteignirent les bassins limpides où jaillissentdeux sources du Scamandre tourbillonnant. L'une roule des
flots tiédes, et une vapeur s'en élève, comme si un feu bril-
lait en-dessous; l'autre, en été, coule aussi froide que la neigeou la grêle, ou que l'eau oongelée. Tout auprès, sont de
vastes et beaux lavoirs de pierre, où les femmes des
Troyens et leurs filles gracieuses lavaient les riches étoffes
autrefois, quand c'était la paix, avant que les fila des
Achéens ne fussent venus. C'est là qu'ils passèrent alors
en courant, l'un fugitif, l'autre acharné à la poursuite; de-
vant, un brave fuyait, mais, derrière, un guerrier bien
meilleur encore le poursuivait d'un pas agile; il ne s'agis-sait pas en ce moment de gagner uue brebis ou une peau de
bœuf, prix ordinaires proposés aux coureurs; c'était pour la
vie d'Hector dompteur de couraiera qu'ils luttaient de vitesse.
Quand des chevaux habitués à vaincre courent comme em-
portés, ils tournent autour de la borne un grand prix est
proposé au vainqueur, soit un trépied, soit une femme dont
le mari est mort ainsi Achille et Hector tournèrent trois
fois autour de la ville de Priam d'une course effrénée, et les
dieux contemplaient ce spectacle »
Tout est raison et justesse dans cette narration, si
1. Iliade, XXII, 131.
LE RÉCIT. ORDRE ET MOUVEMENT 913
pathétique pourtant. Ni digression, ni réflexions oiseu-ses, ni remplissages d'aucune sorte, ni omission do cir.constances loucliantos ou simplemont nécessaires. Lesentiment lui-même, ai sincère et si fort qu'il soit, n'est
point ce qui conduit le poète; c'est la pensée qui Iomène, et par conséquent c'est la raison. Jamais sonémotion no l'écarte de son dessein, jamais olle ne l'em-
porte au delà du but. Chaque chose est à sa place otreste dans sa mesure; tout a son utilité, dramatique oumorale; on sont là je ne sais quelle sereine possessiondo soi-même, associée à la sensibilité la plus profondeet à l'imagination la plus forte. Si la personnalité du
poète se montre si peu dans les récits de l'épopée grec-que et si les choses seules y appellent notre attontion,c'est précisément en raison de la pureté des imagosquiviennent tour à tour se réfléchir dans ce limpidemiroir. Il n'y a là que la nature même et la vérité, dé-couvertes du premier coup par une merveilleuse intui-tion.
Mais ce qu'il faut remarquer surtout dans les récitsdel1 Iliade,comme le trait vraiment hellénique, ou, pourdire plus encore, vraiment homériquo, c'est la simpli-cité hardie de cette raison si nette et si lumineuse.Nulle. poésie au monde n'est plus pénétrée de cette
croyance, réfléchie ou inconsciente, que l'art est unchoix. Viser à un certain effet, et l'obtenir par unecombinaison simple de moyens appropriés, voilà en
quelque sorte sa formule. Le parti pris si assuré aveclequel elle passe par dessus les détails inutiles, et mêmepar dessus ceux qu'on pourrait croire utiles, toutes lesfoisqu'elle a besoin d'aller vite, est admirable. La mi-nutie lui est aussi étrangère que la précision lui estnaturelle. Toute inspirée de la réalité, elle y est moinsassfrvie qu'aucune poôsiwconnue. Les hommes et leschosesno se montrent au poète qu'en ce qu'ils ont d'es-
914 CHAPITRE IV. – L'ART DANS L'ILIADE
sontiol; ot par suite, pour les poindro, il procède par
largos touches, avec liberté ot grandeur. Ploir d'un»
impression dominante qu'il veut traduire, il sacrifie
tout ce qui no s'y rapporte pas; ou plutôt, il n'y a pasde saerifleo, car il semble que la justesse puissante do
son esprit ne lui permette seulement pas de s'y arrôter.
Par là encore et surtout, la poésio de l'Iliade est le typede l'art grec, à moins qu'on no profère diro qu'ollo est
le type do l'art absolument.
Grâce à ces qualités, la composition dos grands récits
de l'Iliade est particulièrement remarquable. On ne sau.
rait dire qu'elle soit étudié© ni savante, tant on y sont
pou le travail ot la préméditation; mais les plus longs
.développements s'y distribuent avec une aisanco et un
ordre qui révèlent assez une conduite réfléchie. Une am-
ple action dramatique, comme la défaito des Achéens au
XI*livre, est embrassée sans peine par le poèie dans son
ensemble. Il y distingue du premier coup d'oeil la chose
essentielle à montrer, qui est, dans cecas, le déploiementextraordinaire de valeur dos héros Achéens et l'inutilité
de cette valeur. Il faut que dans cette bataille furieuse
Agamomnon et lossiens se surpassent eux-mêmes, qu'ils
apportent au combat toute leur fougue et toute leur force,
qu'ils soient, pour ainsi dire, humainement vainqueurs,
bien que vaincus par la volonté des dieux. Ce sera une
victoire terminée en défaite, mais qui restera glorieuseet superbe jusque dans la déroute finale. Voilà l'idée
maftresse, et il est visible qu'elle constitue pour le poète
le seul plan qu'il veuille suivre. Bien différent d'un his-
torien qui so croirait obligé avec raison de nous faire
connaître le terrain, la disposition des troupes et leurs
mouvements principaux, en un mot de nous faire l'ex-
posé stratégique de la bataille, Homère n'a souci que de
nous en décrire les grandes phases dramatiques le reste,
s'il en est question incidemment, n'est pour lui qu'ac-
COMPOSITION BBS GRANDS RÉGITS 815
eossoire. Cotte idée morale suffit à ordonnertoute la nar.ration et à en régler le mouvement. Ayant toujours lamême conception générale présente à l'esprit, il marchesûrement à son dénoùment, sans lentour ni précipita-tion. Il le fait pressentir, puis it l'éloigné, il prolonge lavictoire par des épisodes qui nous montrent Agamem-non triomphant et comme invincible, et pourtant il nes'attarde pas au point de compromettre l'idée principale;il y a dans son récit comme un mouvement général quinous entraino et qui va en s'accélérantèi mesure qu'ap.proche le terme nécessaire. Quand Agamemnon blessé adisparu, quand la défaite commence, Ulysse et Otomèderemplissent un instant la scène, mais déjà leur couragemôme ost marqué du caractère de la défaite; c'est unesorte de fureur inquiète, plutôt que cette valeur impé-tueuse d'Agamemnon qui tout à l'heure renversait tout.Et lorsque, blessés à leur tour, ils s'éloignent du champde bataille, nos regards et nos cœurs se portent d'eux-mêmes vers Ajax, qui résiste seul en reculant pas à pas,et on qui se concentrent toute la force et toute l'espé-rance dos Achéens. L'unité de ce vaste récit, comme savariété et son mouvement, proviennent donc des qua-lités que nous signalions tout à l'heure, de la clarté d'uneimagination puissante et de sa hardiesse à simplifier.
La grandeur est, avec la clarté et le mouvement, letrait le plus saillant du récit homérique. Elle résulte sur-tout de ce que le poète a constamment devant les yeuxun idéal bien supérieur à la réalité. A plusieurs reprises,il est question dans l'Iliade de la force merveilleuse deshéros ils soulèvent sans effort des pierres que plusieurshommes d'aujourd'hui, nous dit le narrateur, auraientpeine à remuer. Expression naïve d'une idée qui est par-tout présente. L'humanité dépeinte dans le poème estune humanité idéale, que le poète et ses contemporainsconsidéraient, il est vrai, comme réelle dans le passé,
916 CHAPITRE IV. L'ART DANS L'IUA'DB
mais non dana le présent. On imaginait pour elle des
richesses merveilleuses, (les arts tout-puissants; les hé-
ros sont couverts d'or, leurs armes sont ciselées avec
une perfection dont aucun artiste du temps n'était assu-
rément capablo. C'est là lo seul genre d'exagération que
se permette celte poésie si vraie. D'ailleurs, il faut re-
marquer que, dans l'exagération mémo, elle se garde
naturellement de dépasser une certaine mesure, qui lui
est indiquée par un sens délicat Jo ïa vraisemblance.
Si les héros de l'Iliade sont plus robustos et plus légers
que les hommes les plus lestes et les plus vigoureux,
cette supériorité n'est pas telle pourtant que notre ima-
gination ne puisse l'admettre, à titre d'exception. La
poésie homérique se souvient de la réalité alors même
qu'elle la dépasse, et elle reste sensée jusque dans ses
fantaisies. Elle veut procurer à ses auditeurs le plaisir
de l'idéal; mais comme elle sait bien qu'on le détruit dès
qu'on éveille le sentiment de l'impossible 1 Son art est
de ménager l'imagination, tout en favorisant son essor.
Tout ce qu'elle crée est grand, rien n'est démesuré. Ces
batailles immenses et furieuses sont encore des batailles
d'hommes, et non de géants. Agamemnon et Diomède,
Ulysse et Ajax luttent à eux seuls contre des masses
d'hommes, mais on ne les voit pas comme Turpin, dans
la Chanson de Roland, tuer quatre cents ennemis en quel.
ques instants. Jamais ce genre d'exagération enfantine
n'apparaitdans les grandes narrations de l'Iliade. L'hy-
perbole y est audacieuse et magnifique, comme elle doit
l'être dans la poésie vraiment héroïque; mais, dans cette
audace même, il y a une raison solido, qui ne s'oublie
jamais.
Ajoutons que la grandeur homérique ne devient pas
monotone comme celle de tant d'épopées, parce qu'elle
est tempérée par un sentiment profond et constant de
• 1. ChamondeRoland,éd.LéonGantier,v. 2092.
GRANDEUR IDÉALE 317
la faiblesse humaine. Le poète peut bion s' exalter lui-
mômedans ses conceptions, mais combien il sait forte.
mont ce que c'est que l'homme, et comme il compatit à
sosmisères! Les plus vaillants héros de l'Iliade ont leurs
faiblesses.Diomôdo est sur le point de fuir, lorsque Ulyssele rappelle et le relient: « Fils de Tydée, oublions-nous
notre valeur? Allons, ami, viens ici, tiens-toi debout
» près do moi. Quelle honte pour nous, si l'impétueux» Hector s'emparait de nos vaisseaux! » Et Oiomède,vaillant entre tous, lui répond avec autant de simplicité
que de vrai courage: « Eh bien donc, je resterai, et je» tiendrai ferme avec toi. Mais nous n'aurons guère à» nous en réjouir, car Zeus l'assembleur de nuages est» aujourd'hui pour les Troyens et contre nous » Voilà
la vérité. Il y en a vingt exemples dans l'Iliade. Ajaxlui-même, l'intrépide Ajax, a peur. Tous ces héros, si
forts ot si vaillants qu'ils soient, sont pourtant des hom-
mes, et le poète nous en fait souvenir à propos, afin quenous nous attachions à eux davantage. S'il en est ainsi
des chefs illustres, que dire de ces combattants nom-
breux et obscurs qui s'agitent sur le champ de bataille
et tombent le plus souvent sous leurs coups? La grandefoule anonyme elle-même se compose d'hommes, et le
poète ne dédaigne pas do peindre leurs sentiments. Ilnousfait sentir ces larges et puissants courants d'exal-
tation ou de terreur qui passent sur los multitudes, et
par là il nous intéresse à elles. Les armées homériquesont une &me collective.
«Éris poussa une clameur terrible et aiguë, et elle mit aucoeurde chacun des Achéens une courageuse ardeur de com-battre et de s'obstiner à la lutte. Soudainla guerre leur de-vint plus douce que le retour sur les vaisseaux creux versleur chère patrie*. »
1.lliade,XI. 319.S.Iliade,XI, 10.
aia CHAPITRE IV, – L'ART DANS L'ILIADE
Véritablo ivresse de sang et de gloire, à laquelle s'op-
pose un pou plus loin le tableau de la terreur des Troyens
fuyant devant Agamomnon.
« Atride s'acharnait à la poursuite, encourageant les Da-
naëns à grands oris. Les Troyens, fuyant le long du tom-
beau d'Ilos, antique Dardanide, couraient a travers la plaine
en passant près du figuier, pressés d'atteindre la ville. La
clameur d'Atride s'élevait sans cesse derrière eux, car il vo-
lait sur leurs traces, les bras tout trempés de sang. Quand en-
fin les premiers eurent atteint la porte Skôe et le chêne, ils
s'arrêtèrent ets'attendirent les uns les autres. Une partie de
leurs compagnons, encore au milieu de la plaine, couraient
effarés, semblables à des bœufs qu'un lion a surpris pendantla nuit et qui fuient de toutes parts un seul pourtant est en
proie à la mort; le lion a brisé son cou de sa mâchoire for.
midable, et il lèche son sang en dévorant ses intestins. Tel
l'Atride, le puissant Agamemnon, poursuivait les Troyens,tuant les derniers des fuyards, l'un après l'autre; les sur.
vivants hâtaient follement leur course, mais beaucoup tom.
baient de leurs chars, sur la face ou sur le dos, frappés
par le vainqueur; car, baissant sa lance, il bondissait en
avant1. »
Certes, la force descriptive est admirable ici; mais ce
qu'il y a de plus étonnant dans le morceau, c'est la puis-
sance avec laquelle le poète a su peindre cette chose
indescriptible, la terreur d'une foule, et lajaire passer
en nous.
Cette profonde et mâle sensibilité homérique a d'ail-
leurs bien souvent aussi des délicatesses et des tendres-
ses qu'on serait tenté d'appeler virgiltermes, si l'on pou-
vait définir un modèle par l'imitation la plus exquise qui
en ait été faite. Le poète s'intéresse à tous ces guerriers
d'un rang secondaire qui succombent sous les coups des
chefs; et à chaque instant, au milieu des récits de mas-
sacre, des épisodes touchants nous sont offerts. Pour
1. «rade, XI, i«6.
rPART DU SENTIMENT =
gi9
nous dire leur mort, il rencontre des mots simples et
profonds, empruntés au fonds éternel des affectionshumaines.
teAgamemnon saisit le glaive d'Iphidamas de aa puissantemain, et il l'attira à lui, fort comme un lion; l'épée fut ar-raehâede la main du vaincu; alors le roi frappa son ennemià la gorge, et le fit tomber. Et soudain Iphidamas, roulantsurle sol, s'endormit du lourd sommeil d'airain; infortuné,il avait quitté sa femme pour porter secours aux Troyens,sajeuneet chère femme,dont il ne devait plus voirla beaulêLo
Cotte grâce et ce charme de la vie entrevus dansl'ombre même delà mort, ce dernier sourire de toutce qu'on a aimé et que l'on va quitter, Homère, le pre-mier, en a compris la tristesse infinie et en a fait commeun élément nécessaire de la poésie héroïque. Maischezlui cette tendresse humaine est toujours associée aux
inspirations les plus hautes et les plus viriles. On passedes unes aux autres sans surprise, mais avec une émo-tion profonde. C'est l'humanité tout entière, à la foisgrande et faible, mêlant la fureur du combat à la dou-ceur des plus chers souvenirs, l'humanité résumée dans
quelques contrastes aussi simples que sublimes.
III
La description est en quelque sorte partout dans lerécit homérique, ici développée et formant épisode,ailleurs introduite d'une façon accessoire sous formede comparaisons, plus souvent encore brève et mêléeau courant même de la narration.
Cette dernière forme de description, celle qu'on pour-rait appeler par excellence la description narrative, tant
i. IHadc,XI, 238.
830 CHAPITHE IV, – L'ART DANS L'ILIÂDÉ`
ello se fond intimement dans le tissu des événements,est de beaucoup la plus usitée dans YIliade, Elle est,
pour ainsi dire. la forme la plus ordinaire du récit ho.
mérique, car c'est le propre de cette poésie quo do poin-dre tout en racontant. Elle peint par le choix de l'ex-
pression, par le son des mots, par le tour de la phrase,mais surtout parla netteté et la force de l'image. Qu'on
prenne au hasard quelques vers dans une des partiesanciennes du poème, non pas un morceau éclatant quise détache du reste, mais au contraire un fragment du
récit ordinaire.
« Alors, par leur ardeur, les Donnons brisèrent enlln laligne ennemie, et un cri de victoire éclata a travers les rangs.En tête, Agamemnon«'élançait et il tua un guerrier, Biènor,chef d'une troupe de combattants, et, avec lui, son compa-gnon Oïlèequi menait les chevaux. Bondissant hors du char,Otlée s'était jeté devant lui mais au milieu de son élanmême, Agamemnon le frappa de sa lance aiguë entre lesdeux sourcils, et l'airain massif du casque n'arrêta pas lefer; la pointe traversa la visière, puis l'os du front, et elledéchira on dedans tout le cerveau et Oïléotomba en pleinélan 1.»
Toute la narration dans les chants primitifs est ainsi
toujours rapide, brève, et pourtant largement rythmée,montrant chaque chose un un mot, et jamais rien quine touche ou qui no frappe. Une intuition nette et pré-cise, sans séchoresse néanmoins; quelques traits quidessinent les personnages, indiquent le mouvement,éveillent l'imagination. Nulle poésie n'est plus sugges-tive, aucune ne produit plus d'effet avec moins d'effort.
Ce qu'elle décrit ainsi sans chercher cependant à dé-
crire, c'est sans doute une fiction, mais toute composéede traits réels. Le poète homérique, d'une manière gé-nérale, doit être conçu comme un observateur et nulle-
1.IKade,XI,90etttuiv.
&SSÛÏUPTÏOXS 93Ï
ment comme unrêvour: il sait a pou près tout co qu'onpont savoir do son temps, et il le sait bien: les détails,même techniques, lui sont familiers; il a une idée pré-cis»de chaque métier: labour, chasse, pèche, fabrica.tion des armes, tissage des étoffos, construction, stra-
tégie et tactique, médecine môme, rien dos choses
contemporaines ne lui est inconnu Si l'archéologuey trouve son compte, le simple lecteur en est presqueaussivivement charmé. C'est la vie entière d'une so-ciété encore jeune que nous avons ainsi sous les yeux.L'épopée, traitée de cette manière, ressemble à une his-toiro finement et familièrement descriptive on ne selassopas d'admirer cetto variété do détails dans un ré-cit pourtant si libre et si grand.
En général, la description, dans les parties les plusanciennes de l'lliade, est toujours ainsi mêlée à la nar-ration. Le poète ne décrit pas pour le simple plaisir dedécrire. Mais quand le sujet s'y prête, quand la miseen scène doit rendre l'action elle-môme plus dramati-
quo, tout naturellement alors les traits descriptifs se
multiplient et se groupont en tableaux
« Chrysèspriait, et Phœbus Apollon l'entendit. A grandspas,du haut de l'Olympe, il descendit, le cœur courroucé,
1.Delà l'utilité et l'intérêtsi vif des ouvragesspéciauxoù sontexpliquéstouscesdétailsmatérielsde la viehomérique.Citonsaumoinsici celuide E. Bucbholtz,DiehomerischeRealien,3vol.in-8»en6 parties,Leipzig,1871-1885,véritableencyclopédiehomériquequ'ona sanscessebesoinde consulterenlisant l'lliadeoul'Odyssée;et,dansun autregenrele beaulivre de Helbig,DtuhomerischeEpos,traduitenfrançaispar Trawinsky,Paris, 1894.C'estaussicettepré-cisiondescriptivequi a donnélieu à tant de discussionssur le sitedéTroieet auxbellesfouillesde M.Schliemann,résuméesdanssonIUos,qui a été traduit en françaispar M- Egger.La stratégiede1Iliadea été toutparticulièrementétudiéeparun Grecsavantet let-tré.M.GeorgesNieolaïdôs,'IXtiaoî«tpmqyHriktantu)) «al Tom>tp«-?(«,Athènes,1883.Plus récemment,M. Ch.Hanriota publiédansleBulletinde la Facultédet Mires de Poitiers(juin188S)une étudedegéographiehomériquesurla Camptioyeti.
228 CHAPITRE IV. t'ART DANS L'ILIADE
portant sur ses épaules son arc et son large carquois. Et
dans les mouvements de sa colère, aes flèches s'agitèrent
bruyamment, quand 11 prit son élan et il venait vers le
camp, semblable a la nuit. 11 s'assit à distance des vais.
seaux, puis il lança un trait et l'aro d'argent 8t entendre
un effroyable sifflement »
C'est là, disons.lo, la véritable manièro homérique.
Dans los parties plus récentes, nous trouvons dos des.
criptions plus dévoloppées, plus brillantes, qui ont été
peut-être admirées davantage et qui sont en effet admi-
rables, mais non pas supérieures, ni ntâme égales. Te 1
est par exemplo lo célèbre morceau, cité par Longin, où
est représenté le voyage de Poséidon à travers les mors,
au début du treizième livre:
Le dieu attela au timon du char ses deux chevaux aux
pieds d'airain, au vol rapide, à la crinière d'or ondoyante;lui-même se revètitd'une armure d'or: il prit dans ses mains
les rênes formées d'une bande d'or assoupli, monta sur son
char, et s'élança sur les vagues. Les monstres marins bon-
dissaient autour de lui, sortant en foule de leurs obscures
retraites, et ils reconnaissaient bien le roi de la mer. Fré-
nissantes de joie, les vagues s'écartaient; et les chevaux
volaient avec un élan merveilleux et, sous le char, l'essieu
d'airain n'était pas même mouillé »
Si belle quo soit cette peinture, elle se distinguo de
la précédente à deux signes: d'abord elle est moins liée
au récit, moins utile à l'action; l'autre était un acte es-
sentiel du drame, celle-ci n'est qu'un magnifique décor;
ensuite l'art y est plus apparent, et si l'effet enest pres-
que aussi grand, les moyens sont bien moins simples.
On peut donc distinguer plusieurs manières descripti-
ves dans l'Iliade, répondant à divers âges de la composi-
1. Iliade, I, 43-49.2. Iliade. XIII, 23-SO.
DESCRIPTIONS 328
lion et à diverses origines. Mais si nous remontons au
typepremier, tel que nous le trouvons dans les descrip-tions les plus anciennes, et que de celles-là nous pas-sions aux morceaux plus récents, nous aurons lieud'admirer comment la tradition poétique primitive s'estmaintenue en somme dans tout le poème, à travers lesvariations môme du goût et la diversité des manières.
Uneautre forme que prend fréquemment l'élément
descriptif dans l'Iliade, c'est celle do la comparaison.Luscomparaisons descriptives abondent dans le poème,aussibien dans les parties les plus anciennes que danslesautres. Évidemment elles se rencontraient déjà dansleschants héroïques qui ont précédé et préparé la nais.saaeodo17/iaefe.Dès que la poésie épique prit son essor,lesaèdes durent chercher à orner leurs récits en même
temps qu'à rendre leurs conceptions aussi vivantes
quepossible. Les comparaisons répondaient à ce doublebesoin; l'usage fréquent qu'on en fit contribua à lourdonner bientôt une forme quelque peu convenue. Unefoisquo la ressemblance générale entre les choses com-
paréesétait indiquée, le poète out le droit de dévelop-perà son gré les descriptions épisodiques qui s'offraientà lui C'est cette liberté qui nous frappe tout d'aborddans les comparaisons homériques. Elles traduisentavecforce et sincérité l'impression voulue, mais ellesnese contentent pas de la traduire, et, autour de cette
impression,elles développent volontiers toute une scènoquimérite d'être admirée pour elle-même. Grâce à cetteampleur, elles étendent de la manière la plus heureusel'horizondu poème. Dans un récit de guerre, elles nousfont voir incidemment,et comme par d'ingénieuses échap-
i. C'estcequePerrault fans sesDialoguesappelaitdes comparai-sonsà longuequeue.VoyezBoileau,Réflexionscritiquessur quelquesmagesdurhéteurLongin,VI,oùse trouventdesremarquesfortm-«ewascsà ce sujet.
384 CHAPITRE IV. – L'ART DANS L'ILIADE
péos do vue, des scènes do chasse, des épisodes do la
vio rustique ou urbaine, et, plus souvent encore, les
aspects divers de la nature. Par là, elles ne contribuent
pas médiocrement a i'agréable vaùété du poème,
Beaucoup d'entre elles d'ailleurs sont remarquables
par leur valeur descriptive. En mettant sous les yeux
«le ses auditeurs des scènes do la vio commune qui leur
sont familières, le poète sait traduire d'une manière
saisissante l'aspect imaginaire des grandes scènes de
guerre qu'il raconte. Veut-il peindre deux fronts de ba.
taille opposés l'un à l'autre?
« Semblables, dit-il, à deux lignes de moissonneurs qui
s'avancent l'une vers l'autre à travers les sillons dans un
champ de blé ou d'orge, riche domaine, et qui font tomber
devant elles les épis en gerbes épaisses, ainsi les Troyenset les Achéens, s'élançant les uns contre les autres, frap-
paient devant eux »
Quelquefois elles étonnent notre goût moderne par
une familiarité hardie et expressive. Ajax, pressé par
uno foule d'ennemis, assailli d'une nuée de traits, ne
recule pourtant que pas à pas; toute son énergie s'est
tournée en une obstination héroïque
Tel un âne, qui s'est jeté dans une pièce de terre, s'y
obstine malgré des enfants en vain on lui brise des bâtons
sur le dos; il renverse les blés épais tout autour; les en-
fants le frappent à coups redoublés, mais leurs coups sont
sans effet sur lui, et ils ne le font enfin sortir qu'àgrand'peine
quand il s'est repu à son gré. Tel Ajax, le glorieux fils de
Télamon, assailli par les Troyens ardents et par la foule de
leurs alliés, qui frappaient son bouclier de leurs longues
lances, résistait en reculant K »
Mais le plus souvent, c'est par la force et la grandeur
1. IHade,XL 87et soi*.2. Iliade, XI, 558et suiv.
COMPARAISONS 985
Htat. de !» un. Gneqn* – T. T. 15
quo les comparaisons homériques nous ravissent. La
chasse dans les temps ancien» étant comme une imagenaturelle de la guerre, ses épisodes en fournissent d'ad.
mirables au poète. Ulysse oat entouré d'ennemis
« Tandis qu'il avisait au danger, les rangs des Troyensvinrent sur lui avec leurs grands boucliers, et ils l'envelop-pèrent de tous côtés, mettant ainsi le péril et la mort aumilieu d'eux. Quand, autour d'un sanglier, des chiens et deschasseurs ardents s'élancent Il l'attaque, la bête sort duhallier épais, aiguisant ses blanches défenses dans ses ma-ohoires recourbées; on se jette sur elle de tout côté, maisses dents se heurtent avec bruit, et les assaillants s'arrêtent,pleins d'effroi. De même, autour d'Ulysse, cher Il Zeus, s'é-
lançaient les Troyens i. »
Les descriptions de la nature, surtout collos des as-
pects divora do lainer, no l'inspirent pas moins heureu-
sement.
« Hector frappait les chefs des Danaëns et après eux lafoule, comme lovent d'ouest, fondant sur les blancs nuagesamassé* pur le Notos, les secoue de son choc impétueux etles poussa violemment au loin des flots énormes roulunt,et l'écume soulevée par le vent vole dans les airs, tandis quela rafale se déchaîne en mugissant. Ainsi Hector renversaitdevant lui cette foule de têtes serrées 1. »
II faudrait multiplier à l'infini ces exemples pourdonner une idée exacte de la variété de choses qui figu-rent ainsi dans, l'Iliade incidemment. Nous devons à
cette façon d'illustrer le récit beaucoup de renseigne-mente intéressants sur la vie contemporaine. Et ce rap-prochement perpétuel; de la réalité et de la fiction, si
intimement^ associées l'un» à l'autre, contribue à don-ner à l'ensemble un air do vérité qui nous charme.
i.Jto«fe,XMUet8»iv.Uiade.XI. 304et suiv.
298 CHAffïRE IV. – L'ÀHT DANS L'ILIADE
Un autre «méritent du récit homérique, ce sont les
discours nombreux prêtés aux personnages; ces dis-cours font de la narration uno sorte do drame. C'est l'i-
mitation de la vie réelle qui les a introduits dans l'épo-
pée; et, par suite, il y en a, comme dans la vie réelle,de publics et de privés. Souvent le poète roprésonloses personnages s'entretenant los uns avec les autres,s'exhortant mutuellement, se déliant sur le champde bataille ou se faisant connaître de leurs adver-
saires les paroles qu'il leur prête no sont pas alors
des discours à proprement parler, c'est simplement
l'expression spontanée do leurs sentiments. Mais, à côté
de ces entretiens, il y a de véritables discours publics.Les chefs délibèrent entre eux et exposont leurs opi-nions dans le conseil, ils s'adressent au peuple assem-
blé et ils discutent devant lui, ou bien encore ils vont
porter officiellement comme ambassadeurs des propo-sitions au nom de tous. Nous trouvons là l'image des
mœurs du temps. Il y avait déjà une éloquence publiquedans les cités grecques lorsque l'Iliade prit naissance,et par suite il y a aussi une éloquence publique dans ce
poème lui-même1. Cette éloquence a été admirée à bon
droit dans l'antiquité comme elle l'est de nos jours;mais elle l'a été d'une manière qui n'est pas toujours
parfaitement juste. Lé passage principal de Quintiliensur l'excellence oratoire d'Homère est classique On
1. Consulterà cesujet Fr. Blass,DiealtischeBerethamkeit,Intro-duction;G.Perrot L'Éloquencepolitiqueetjudiciaireà Athènes,ch.I;MauriceCroiset,DepublicaeeloguenliaeprineipiitapvdGraecosinhomericiscarminibus,Paris, 1875.Voir ausai plus loin, t. IV, p.14et suiv.
8. Jnstit.oral.,X,1, 46 Hic enim(Homerus). omnibuseloquen.Ma*partibusexemptantet ortumdedit; necpoetieamodo,sedora-toria virtuteominentissimus.Namut de landibut,exhortttionibns,consolationibuslaeeam',nonne«1 nonus liber, quomisasad Achfl-lemlegatioeontinetur,vel in primointer ducesilla eontentio,vel
dictaein secundosentent!» oiuutmIHiuoiaeconslHornmcspHcsal
LES DISCOUBS 287
y sont très fortement une tendance fâcheuso, consis.tant louerchez le poète homérique l'emploi d'une foulede procédés ingénieux, qui n'ont été classés et dénom-més que beaucoup plus tard dans los écolos do rhéteurs.Certes, il y avait de l'adresse déjà et du calcul dans l'é-
Joquencopublique, telle qu'olle a pu être pratiquée parles contemporains de l'Iliade, et il est tout naturel parconséquent qu'il y en ait aussi dans les discours que le
poète prête à ses héros. Ceux-ci parlent comme deshommes habitués à réfléchir, qui ont le sentiment dul'effetqu'ils veulent produire, et qui ne laissent pas flot-ter tout ponsées ni leurs paroles au hasard. Que l'on
puisse en conséquence observer chez eux une sorte de
rhétorique, nous en convenons mais c'est une rhéto-
rique toute primitive, tout élémentaire, faite surtout
d'expérience personnelle, d'observation, d'imitation di-*recto. Elle sort do la vie, et non de l'éc:>lo. Une chose
remarquable dans ces discours, c'est le grand rôle quele caractère do l'orateur y joue. Les personnages se
jettent, pour ainsi dire, tout entiers dans la discussionil semble qu'ils comptent moins pour persuader surleurs arguments que sur leur autorité personnelle. Ilsdiscutent peu, ils n'entrent presque jamais dans les rai-sons de leurs adversaires, ils ne vont pas chercher les
objections pour les réfuter, ils affirment et ils veulentêtre crus. D'ailleurs ils nedéveloppent pas, parce qu'ilsne savent pas analyser. Ils conçoivent les choses for-
tement, mais d'un seul coup, et ils voient chaque pen-sée comme un tout indivisible. Une courte phrase, unseulmot même est quelquefois pour eux l'équivalent detoute une démonstration par l'intensité de passion qu'ils
arlesî. JamsimtlltadineB,amjliftcationes,exempte,digressos,si-gnarerumet argumenta,ceteraqueprobandiae refutandi,sont itamulta,ut e'.lamqui de atUbns scripserunt,plnrimi harnmrerumtestlinoniumab hoc poetapatant. etc.
888 CHAPITRE IV. L'ART DANS L'ILIADE
y mettent. C'est donc la forceet la justesse naturello do
l'affirmation qui font surtout la valeur de cette élo.
quence. Par là mémo, son mérite dramatique est émi-
nent. Ce sont les grands discours de l'Iliade qui mot.
tent surtout on relief les personnages] ils ne sont pas
seulement un ornement du poème, ils en font la vio et
l'excellence morale.
IV
Le don do créer des êtres Oçtifssemblables àdesélres
réels a été le don homérique par excellence. C'est cotte
qualité éminente qui a mis le premier autour de l'Iliade
si fort au-dessus doses devanciers1, et bien que ses suc
cessours n'aient pu régaler à cet égard, ils l'ont encore
imité avec assez do succès pour aiformir la tradition qu'il
avait créée*. “Il est probable que la plupart dos héros do l'Iliade
avaient déjà une personnalité poétique, avant que le
premier chant do ce poème eût pris naissance. Quelques-
unes dos épithètos qui s'attachent ordinairement à leur
nom somblontlo démontrer. Ce n'est pas dans l'lliade
qu'Achille a été surnommé pour la première fois
« Achillo aux pieds légers » (wé8«ç&atfc 'AxOXevî) Aga-
memnon était déjà dans»la poésie antérieure « le roi qui
commando au loin » («if* xPe{wv'Aw*i*"»). et Nestor
« le doux orateur desPylions »>(Xuyoî\hik\m &i^m<).
Ces qualifications étaient toutes fort simples; elles coa.
si staient en un seul trait, et elles étaient d'autant plus
1. Arist..Poil., e. 2i 'OU (Homère),ttlT« wo*««tjwvo«.w»4t
clqiY&I.¡..apœ010 ts #.QOÇ, %al ~1'~ ~°-S2. Sucle*personnageshomériques,eonsallerlesé^es «pêmato
de M.Delorme,Leshomm ÏBomère,Paris1861.etde M.CawtoaUa,
le*femmesd'Homère,Toulouse,185*.
LES PERSONNAGES 239
propres à donner l'essor aux imaginations qu'elles leurlaissaient plus do liberté.
L'œuvre de l'épopée fut de développer conformémentau sentiment populaire ces données primitives qui n'é-
taiont encore qu'à l'état d'indications. Ello y réussit encréant dos situations qui exigèrent de la part des per-sonnages mis en scène des sentiments forts et variés,et en les faisant valoir dans de larges récits. Grâco àcotte origino, les personnages los plus marquants del'Iliade sont à la fois très vivants et d'une nature très
simple. Nés de la légende et de l'imagination populaire,et non d'une conception abstraite, ils sont pleins de réa-lité. Si peu complexe que soit le caractère do chacund'eux, il serait impossible de l'exprimer par une formule;cone sont pas dos types généraux, mais dos hommosaux traits bien individuels. En cola, l'épopée homériqueressemble à l'histoire. Mais elle en diffère par la sim-
plicité. Moins enchaînée à l'exactitude, elle choisit etelleélimine plus librement. De là vient qu'elle ne laisse
presque rien d'obscur dans l'âme de ses personnages;comme elle ne s'attache en chacun d'eux qu'à un petitnombre de traits saillants, elle peut les mettre en pleinelumière. La vérité morale est chez elle toute en dehors,et elle éclate sans qu'on ait besoin de la chercher.
Achille, c'est la jeunesse héroïque, une force et unebeauté presque divines dans un mortel. La légende l'adonné au poète de la Querelle comme un type de grâcevirile, avec l'orgueil de la supériorité et la tristesse dela mort prochaine. Tout le reste est sorti de la situation
même, interprétée avec un sentiment profond de la vé-rité humaine. La Querelle lui prête une grandeur ad-mirable. C'est lui qui prend l'initiative de remédier auxmaux présents. Il promet à Calchas sa protection, et onsent aussitôt que personne dans l'armée n'est puissantcontre lui:
330 CHAPITRE IV. L'ART DANS L'ILIADE
Sois sans crainte, devin, et dis-nous les choses que tu sais
par révélation. Car j'en atteste Apollon cher à Zeus, le
dieu que tu invoques toi-même, Calchas, quand tu déoou-
vres aux DanaSnsles desseins d'en haut, personne ici, tant
que moi je serai vivant; tant que mes yeux ne auront point
fermés, ne portera sur toi des mains violentes dans l'en
ceinte de ce camp, personne entre tous les Danaëns,' quandmôme celui que tu vas nommer serait Agamemnon, si glo-rieux d'être le premier des Aohéens*.t.
Point do petitesse d'aucune sorte dans son âme: à la
fois fier ot modéré au début, il montre hardiment à Aga-
memnon son injustice ot lui promet pourtant un dédom-
magement. Mais quand le roi le menace personnelle.
mont, alors sa colère éclate sous l'injure. Cette colère
est toute faite d'un orgueil juvénile, auquel se joint naï-
vement le souci des profits perdus, curieux indice de la
race et du temps; elle est l'expression spontanéo du ca-
ractère, toute colorée du feu de la passion
Ah chef impudent, trop habile chercheur de profit?, quelAchéen désormais voudrait se prêter a tes désirs, et sur ton
ordre se mettre en route ou engager le combat? Quant n moi,ce n'est pas en haine des guerriers troyens que je suis venuici livrer bataille, car ils n'ont rien fait dont j'aie à me
plaindre. Jamais ils n'ont chassé mes bœufs, jamais ravi mes
chevaux,, jamais ils ne sont venus dans le pays fertile de
Phttaie dévaster mes champs; entre eux et moi, il y a.tropde montagnes couronnées de forêts, ily a la mer mugissante.C'est donc pour toi, homme effronté, oui, c'est pour toi quenous sommes ici, afin de te donner satisfaction; c'est la ven-
geance de Ménélas, c'est la tienne, impudent, que nous ré-
elamons des Troyens. Et voilà de quoi ta n'as ni pensée ni
souci! Il faut que tu me menaces de m'enlever toi-même une
récompense pour laquelle j'ai pris tant de peine et que m'ont
donnée les fils des Achéens Jamais nos parts ne sont égales,
lorsque les nôtres détruisent quelque ville opulente de la
Troade. Les plus rudes taches de la guerre tumultueuse, c'est
i. Iliade, I, 85-M.
ACHILLE <J31
mon bras qui les accomplit, mais quand vient le partage,à toi la plus large récompense, à moi un faible salaire, au-quel je tiens pourtant; c'est ce que je remporte dans mesvaisseaux après les fatigues de la guerre. Eh bien donc, jem'en irai en Phthie, car il vaut bien mieux m'en retournerchez moi avec mes vaisseaux recourbés; et je n'ai pas l'tn-tention de rester ici sans honneur pour t'amasser à toi ri.chesses et profits «.
L'injuro d'Agamemnon pénètro comme un trait danscette âme irascible, et ello y reste fixée. Rien ne donnemieux l'idée de son énergie puissante, que le calme ap-parent avec lequel lo jeune héros se laisse enlever Bri-séis, une fois qu'il a arrêté le projet et la forme de sa
vengeance. Cet enlèvement était, il est vrai, donné parla légende, et le poète ne l'a pas créé. Mais ce qui lui
appartient on propre, c'est cotte modération dans la plusviolente colère, qui traduit si admirablement la profon-dour de la blessure et la force du ressentiment:
« Salut, hérauts, messagers de Zeus et des nommes: ap-prochez ce n'est pas à vous que j'en veux, c'est à Agamem-non qui vous envoie ioi à cause de la jeune Briséis. Allons,noblePatrocle, fais sortir la jeune Ûlleet remets-la leur, pourqu'ils l'emmènent. Mais qu'en même temps ils me soient té-moins devant les dieux bienheureux et devant les hommesmortels, et aussi devant le roi violent, si jamais il a besoinde moi pour écarter des autres un désastre. Car il est enproie à un vertige de mort, et il ne sait pas réfléchir à la foisau passé et à l'avenir, pour assurer le succès des Achéensauprès des vaisseaux »
Dans la scène de l'Ambassade, nous retrouvons lamémo âme. Rien n'y a faibli. C'est un dramatique spec-tacle quo le réveil de cette grande colère après les pa-roles affables adressées par'Achille aux députés qui sont
»•Iliade, I, U9.2. Iliade, 1, 334.
832 CHAPITRB IV. – L'ART DANS L'ILIADE
ses hôtes. Le contraste est saisissant entre cette noble
courtoisie, cette fierté douce et bienveillante, et l'em-
portement soudain de la passion qui s'exaspère au moin-
dre contact. L'injure est aussi vive qu'au premier ins-
tant, et toutes tes forces de cette nature héroïque se
soulèvent en tumulte autour du grief unique qui domine
toutes ses pensées. – Passons à la Mort d Hector, Achille
y reparaît avec le même éclat. Une passion nouvelle,celle de venger son ami, a succédé alors en lui à l'an-
cienne passion, à celle do sa vengeance personnelle. Elle
est nouvelle, mais elle a les mômes caractères que l'an-
cienne. Elle possède l'âme tout entière, elle la soulève
jusque dans ses dernières profondeurs. Tout ce qu'il ya dans Achille de forces morales, son courage intrépide,sa confiance en lui-même, sa résolution inflexible en
face même d'une destinée qu'il n'ignore pas, et surtout
son dévouement ardent à un sentiment qui est pour lui
comme une religion, tout cela se dresse à la fois contre
Hector
« Hector, ennemi détesté, ne me parle pas de promessesmutuelles. Point de serments entre les lions et leshommes;point d'entente entre les loups et les agneaux la haine, et
toujours la haine 1 De môme, entre toi et moi, ni amltié ni
promesse il faut que l'un ou l'autre meure et qu'il rassa-sie de son sang Arôs, l'opiniâtre combattant. Appelle à toitoute ta vertu c'est maintenant qu'il est à propos d'excel-ler à manier la lance et à combattre. Plus de fuite possiblepour toi: Pallas Athèné va te dompter par mon fer; tu
paieras en une seule fois les deuils de tous mes amis, mas-
sacrés par ton bras 1.»
Si le don suprême de la poésie est de mettre tout
l'homme dans.une passion, jamais peut-être ce don ne
Vest révélé plus merveilleusement. La vengeance de
Patrocle, voilà le seul objet auquel tend toute l'action
1.Iliade,XXII, 26t. ·
ACHILLE 238
d'Achille au vingt-douxièmo livro mais dans ce rôle si
simplo, la richesse de sa nature éclate; sa haine impla-cable est unie à tous les sentiments qui lui sont propres;elle les absorbe et les transforme en elle-même, mais ne
.les supprime pas.Dans les développements ajoutés plus tard à ce grand
caractère, nous relevons deux scènes particulièrementremarquables; la douleur d'Achille après la mort deson ami Patrocle et sa générosité en face du vieux Priam.Ni l'une ni l'autre ne sont tout à fait égales à celles quenous venons de signaler. La première est plutôt es-
quissée qu'achevée on n'y sent pas toute la féconditéd'invention du grand poète de la Querellé. La donnée dela seconde est admirable, mais il ne faut pas oublier
qu'elle était indiquée déjà avec ses principaux détails au
vingt-deuxième livre; quant à l'exécution, elle méritetous les éloges par une naïveté profondément humaine
quiassocie la vérité du sentiment à la grandeur de l'i-
magination. Si ces deux scènes ne sont pas du poète pri-mitif,on doit remarquer combien la tradition qu'il avaitcréée était forte et à quel point le personnage conçu d'a-bord par lui s'imposait désormais à ses successeurs.Ceux-cine savaient pas, il est vrai, autant que leur de-
vancier, déployer à la fois toutes les richesses de'sonâme, mais ils lui conservaient.toujours à quelque degréla noblesse et la grandeur.
Nous n'étudierons pas ici, à côté d'Achille, tous lesautres personnages de l'Iliade, mais nous devons endire pourtant quelques mots. La. variété de leurs carac-tères est une des beautés du poème. Il est à peu près cer-tainqu'elle existait déjà dans la légende et dans les poé-siesantérieures; mais l'Iliade a fixé ce qui était encoreflottant et elle a donné un corps à des créations sim-plement esquissées. Dans le onzième livre seul, c'est-à-dire dans lo récit de la défaite que subisaeut les
984 CHAPiniK IV. – L'ART DANS L'ILIADE
Achéensquand ils essayent de se passer d'Achille, les
personnages do Diomèdo,d'Ulysse et d'Ajax, qui se suc-cèdent au premier rang, sont caractérisés tour à tour
par des traits individuels. Le courage impétueux et la
fougue de Diomède,la vivacité de ses passions qui se
marque dans son apostropheà Paris ne ressemblent pasau sang-froid ni à l'énergie réfléchie d'Ulysse, non plusqu'à l'opiniâtreté muette d'Ajax, dont l'ontôtement hé-
roïque est si hardiment caractérisé par la célèbre com-
paraison traduite plus haut'. L'audaco brillante du pro-mier, le dévouemontintelligent du second, l'intrépiditéuu pou lourde du troisième ont été conçus si nettement
que tous les détails de la narration, actesou paroles,descriptions ou comparaisons, tendent également à faireressortir ces différences.Et de là ollosont passé dans lereste du poème. 11on est do mémo pour les autres
grands personnages. Chacuna sa physionomieproprele vieux Nostor, avec sa sagesse bionveillanlo et son
indulgence, si heureusement alliée à l'énergie des con-seils ainsi qu'à une liberté de réprimande qu'il revendi-
que comme le privilège de son grand agoj le nobleHector, si plein do toutes les affectionshumaines, si dé-voué aux siens, si admirable dans la victoire et dans ladéfaite; le malheureux Priam, pliant sous l'infortune,sans forco morale en face de la destinée terrible qui le
frappe, dépouillé mémo un instant de sa majesté natu-rel lo par l'excès de sa douleur, et réalisant ainsi sousnos yeux la misère humaine dans toute l'étendue dontelle paraît susceptible
t. XI. !MUSet Milv, Toiit«, Xtae^p, xipx «r*«i, «a^tvonfnw C'urtune invsclive «mère et moqueiiae, où chaque mot «tf un trait de raille-rie et une vengeance,
2. Voir p. 83*.Cf. RollMU, Héfltxluiti teiligu» tur qutlque* fam»,wdu rhilem' Imigin, IX, et U nota de M" D»oler nue ce |>MMy« du XI>Itvro dam lu W«w«c(yMc«(|uln«eempign«n( dk IrMnetlon tla Vllimh.
a. Bur FrlNin, >uy«i nbuMiubrimiili (iétttu «I» CkrMlmhme, t. iî,
LES FEMMES 33&
Los porsonnagos do femmes méritent d'être cités tout
particulièrement comme exemples do ce don poétiquede vérité et do variété. Il y en a trois principaux dans
YIliade, sans parler des déesses: Andromaque, Hécube,Hélène. Los deux premières appartiennent certainement
par les parties les plus ossentiellos de leur rôle au
groupe des chants primitifs.Le caractère d'Andromaque ost une des plus belles
créations do la poésie ancienne. Épouse et mère avec
cette sorte de passion exclusive qui est si naturello à la
femme, ollo ne conçoit pas lus impossibilités morales
qui empochent Hector do rentrer dans Troie; ollo no
voit qu'une chose, c'est qu'elle veut le sauver, parce
qu'il est tout pour elle et tout aussi pour son enfant:
Hector bien-aimé, ton ardeur to perdra tu n'as pas pi-tiédo ton enfant encore muet ni de moi, infortunée, quibientôt serai veuve. Ils vont te tuer, ces Achéens, en s'élan-
tant tous ensemble contre toi. Ah t mieux vaudrait pourmoi,si je viens à te perdre, descendre sous la terre; car, unefois que la destinée t'aura frappé, plus de oonsolation pourmoi, rien que des souffrances Je n'ai plus ni mon père nimamère vénérée. Mais toi, Hector, tu es pour moi unpère, une mère bien-aimée, uh.frère, tu es mon époux flo-rissant do jeunesse. Oh! aie pitié; reste ici sur cette tour,ne fais pus de ton fils un orphelin, de ta femme une veuve;rangenos combattants auprès du flguiar, du côté où la villeest le plus accessible et où. l'on peut arriver jusqu'au rem-part en courant »
l.o sentiment est sa raison, et lo poète lu fait parlersuccussivoment avec l'éloqucnco de la tendresse danssa prière et avec l'éloquence du désespoir dans son af-
fliction. Mais, quelle que soit l'effusion de son Âme, iln'oublie jamais do lui garder en toute circonstance une
<*ap.iv la scène du XXIV*livre a'y trouve traduite et analysée,non«ciiibquelquesubtilité, main avec une graado forcede sentiment.».Hmfr, VI, 487,
336 CHAPITRE IV, L'ART DANS L'ILIADE`
grâce noble qui môle à sa douleur un charme de beauté.
Au départ d'Hector. eUe sourit à travers ses larmes en
voyant l'effroi naïf d'Astyanax et quand le cri dos
Troyens lui apprond qu'Hector a succombé, elle tombe
évanouie sur le rempart, sans qu'aucuno violence exté.
rieure manifeste co qu'ollo éprouve
Hécubo n'a qu'un rôle secondaire toutefois il est im-
possible d'oublier sou appel déchirant à Hector au début
du vingt-deuxième livre, et son désespoir à la fin du
môme récit.
Quant à Hélène, les passages où elle figure semblent
être d'origine diverse mais ils s'accordent sur quel-
ques données cssontielles, à savoir les reproches qu'elle
se fait à elle-même et l'admiration quo sa beauté excite
parmi les Troyens. La scène la plus caractéristique est
colle du sixième livre où est racontéo son entrovue avec
Hector. Il y a une touchanto vérité moralo dans le suis.
timont qu'elle éprouve pour le vaillant héros, quand il
reproche à Paris sa mollesso
Hector, quelle soeur as-tu en moi? Une femme audacieuse,
malfaisante et funeste. Ait pourquoi, le jour où ma mare
me mit au monde, un coup de vent furieux ne m'a-t-il pas
emportée au loin dans la montagne ou dans les flots de la
mer bruyante? Que n'y ai-jo été engloutie avant que tout
ceci n'arrivât 1 Ou du moins, puisque les dieux en avaient
décidé autrement, que ne m'ont-ils donné d'étro l'épouse
d'un homme vaillant qui aurait su s'indigner et sentir l'ou-
trage Quant a celui-ci, nulle volonté en lui, ni maintenant
ni jamais; sa faiblesse lui vaudra plus d'une honte. Allons,
entre chez nous, frère, et assieds-toi sur ce slége, car tu as
t. On peut lire sur Andromaque1'apprâciationde Chateaubriand,Géniedu Christian., 1.II, chap. VI, mais plus par curiosité littéraire
qlle pour y «herohwrla vArité; car le parti pris de l'autour a nul «in-
gultèremont à la rectitude de son jugement. Cf. Saint-Marc Girar.lln,
Littérature dramatique, chap. xiv, où le» principales parties du r<M«
d'Andromaquasont traduite» et vainementappréciée». Voyezaussi
une bonneétude de Oamboulfudans l'ouvragecité plus haut.
LES FEMMES 837
beaucoup à souffrir à cause de moi, misérable, et à cause de lafaute de Paris; Zeus nom a infligé une triste destinée, afin
que nous soyons dans l'avenir un sujet de chants parmiles hommes »
Ses lamentations du vingt-quatrième livre sur le
corps d'Hector no sont en quelque aorte quo lo dévelop-
pement do co qui apparaît là à travers ses amers ro-
grets, se montre le souvenir d'une admiration respec.tueuse et tendre à la fois
• Hector, toi qui me fus cher entre tous les frères de mon
mari, je suis l'épouse d'Alexandre issu des dieux, car c'estlui qui m'a amenée a Troie que ne suis-je morte aupara-vant! Voioi déjà la virgtlôme année que j'ai quitté mon
pays et jamais, durant oe temps, je n'ai entendu de toi unsoûl mot blessant ou léger. Au contraire, si quelque autredans le palais me parlait durement, soit l'un de mes beaux.
frères, soit une de leurs femmes ou l'une de tes sœurs, soitnui ltellc-méro, car Priam, lui, était toujours pour moicomme un tendre père, – qui que ce fut, tu le réprimandais,et tu me protégeais de ta bonté et de tes douces paroles.Voila pourquoi je pleure à la fois sur toi et sur moi, le cœurplein d'une amére tristesse car je n'ai plus personne dansla vaste Troie qui soit pour mol doux et bon comme tu l'é-tais je fais horreur a tous ». »
Les potMos qui ont mis ce personnage dans l'Iliade
l'ont plutôt laissé entrevoir qu'ils ne l'ont expliqué.Peut-être, eu raison do sa situation mémo, le fond de
ses sentiments était-il trop difficile à démêler. L'Hélènedo l'Iliade n'a donc qu'un rôio épisodique, son carac-tère est pou étudié, mais sa. situation est au-dessus de
l'un et de l'autre elle est la cause do la guerro, et elle
jette sur tout le poème l'éclat de son incomparablebeauté. « Ah t certes, ft'écriont tes vieillards troyens enla voyant paraitre, il n'y a pas liou de s'indigner si les
l.lliude. V1.8M.2 Marte,XXIV, 76*.
838 CHAPITRE IV. L'ART DANS L'ILIADE
Troyens ot les Achéens souffrant tant de maux depuis
si longtemps pour une telle femme son visago est tout
semblable à colui d'une déesse '.»»
Mais si le don do créer la vie et do manifester les son-
limentsestmorvoUloux dans l'Iliade, ilnefautpascroiro
pourtant qu'il so montre partout égal à lui-même. Il
y a bon nombre do personnages dans lo poème, mémo
parmi les plus illustres, qui n'ont qu'une physionomiu
indécise tels sont Idoménéoet son ami Mérionès, tels
aussi Eurypylo etlo fils d'H Jraclès, Tlépolèmo, Losll>
inéridos n'ôtaient pas tous dos Homère. Cette inégalité
se fait sentir même dans les parties récentes dos rôles
primitifs. Aeliilto par exemple est absolument médiocre
dans toute la première partie du vingtième livre, où un
poète continuateur l'a mis on présence d'Éntîe j nous
net-retrouvons là aucun dos traits essontiols de son ca-
ractère ot ce qui lui manque le plus, c'est précisément
ce qui lui est ailleurs le plus propre, la passion.
Entre tous los personnages qui ont souffert do la façon
dont {'Iliade s'est faite, il n'en est aucun qui ait été plus
maltraité qu'Agamomnon. Ici l'inégalité, lo manque de
suite, Tincoaslance du sentiment sont portés au plus
haut degré, et la dispersion dos scènes empêche soule
qu'on n'en soit généralement frappé comme on devrait
l'être. L'Agamemnon do la Querelle, si hautain et si
passionné, personnage superbo d'épopée, ne so retrouve
dans le poème qu'au XIelivre, où il se montre en héros.
C'est là visiblement la conception première, un roi puis-
sant, chef d'une confédération do princes dont il se fait
respecter par sa valeur personnollo autant que par les
forces dont H dispose, orgueilleux de sa haute situation
et très jaloux de ses privilèges.
« Va-t'en, dit-il a Aohllto qui le brave, f aia bien loin, si
t. Iliade III, 1S6.
VALEUR MORALE ET NATIONALE 889
c'estlà ton bon plaisir; ce n'est certes pas moi qui te sup-pliorai de rester loi pour ma cause. J'ai auprès de moi d'au-tres princes qui m'honoreront, et, plus encore qu'eux tous,Zeusaux sages pensées. Va-t'en donc chez toi avec tes vals-seauxet tes amis, et fais la maître chez tes Myrmidons» jesuis indiffèrentà, ce que tu penseu, et je n'ai pas souci deta colère >.»
Maisà mesure quo le poème s'ost compliqué, rienn'était plus difficile que do soulonir ce personnage autravers des péripéties qui doivent le conduire à la ré-conciliation avec Achille. Los aèdes homérides y ontéchoué. Au IX- livre avant Y Ambassade, au XIV»aprèsla prise du camp, Agamomnon se montre sans force etsans volontit. Il no sait plus que pleurer et proposer le
départ'. La vraisemblance morale n'est pas même ména-
géepar la mise en scèno on sent quo los auteurs de cesmorceaux se servent d'une donnée dunt ils ont besoin,sans l'approprior véritablement à su destination.
Toutefois ces disparates n'ont qu'une faible impor-tance dans l'ensemble du poème. Les beautés moralesdominont et les font oublior. Los principaux person-nages du récit se font admiror du nous dans une sériedo scènes où nous les retrouvons constamment aveclos grands traits de leur physionomie, toujours vivantset suffisamment semblables à eux-mêmes. Sans doute,il n'y a encore chez aucun d'eux développement régu-lier et suivi d'un caractère, comme plus tard dans cer-taiiius tragédies. L'épopée primitive no comportait pasecttoétroite liaison des parties ni cette succession sa-vante de phases qui s'cxpliquont l'une par l'autre. biais
».Iliade.1, 113.2.J-amanièredontDioinédel'insulteau IX»livre(37-40)caracté-risabienfortementcettesecondeconception,ei étrangementmêlée
aujourd'huila premièreSoltï iiâviixo8àMKp&vovnaïf *rKvXo|»r,«ft>-e)tattt6<jtjMWu. 1Mw.Ttït- M?!S~Mt'i>nv «' oi toi 8<Sxiv, 6 t« x;dxoc êarl péttotc*.
340 CHAPITRE IV. L'ART DANS L'IUADB
ai elle ne réalisait pas encore pleinement cet idéal de
l'art au service de la vérité morale, elle le laissait déjà
entrevoir avec une remarquable netteté. Los grandes
scènes s'y continuent les unes les autres. Elle sait non
seulement créer les situations émouvantes et les faire
valoir, mais encore y engager si profondément les ac-
teurs dont ollo dispose, que leur nature intimo s'y. ré-
vèle tout entière; elle sait enfin y poser les grandes
questions morales qui doivent apparaitro dès que les
intérêts humains sont on jeu, et qui changent d'aspect
au gré des passions qui s'agitont.Voilà pour la valeur morale des personnagos du l'i-
liadc; lour valeur nationale en résulte naturellement,
H était impossible à des poètes greesdepénétrorsi avant
dans lu vérité humaine sans mettre en lumière en môme
temps lus caractères propres de leur race. L'idéal bel-
léniquo, tel qu'il se montre dans l'Iliade, est un com-
posé d'intelligence, d'énergie, de piété sans mysticisme,
do raison pratique, de sentiments d'honneur associés
a un souci assez marqué de l'intérêt personnel. Mais il
n'est pas réalisé dans un personnage cxclustvomont,
qui eu serait comme la froide abstraction. Il est dans
tous partielle ment, inégalement, quelquefois brillant
et plein d'éloquence, quelquefois obscurci par la pas-
sion et il se dégage soit des discussions, soit des ré-
flexions, soit des leçons de l'expérience, c'est-à-dire de
l'action mémo. Il est hors do doute quo le génie grec
s'est reconnu lui-même très promptemont dans cotte
œuvre qu'il avait créée, et que l'Iliade, dès qu'elle sor-
tit de l'Ionio, devint le poème hellénique par excel-
lonco, comme elle l'a été pendant tout la période clas-
sique et au delà
1 Con&auerà cesujetLtaer. GtMchivMederHomeritch.Poeiie.Ber-
ttn, «Si (p.5-S8),àt Sèa'gsfcawt,fifeorteHakomtritep*»>,*»rttede
l'Iliadede 0. Dlndorfdansta bibliothèqueTvubner.
LES DIEUX 241
»iil. il» !• Litt. Grecquo. T. I. 10
V
A coté ou plutôt au-dessus des hommes, les dieux
jouent dans l'Iliade un très grand rôle >. Nous devonsdire ici quelques mots de ce rôle, au point de vue lit-téraire exclusivement, puisque la question, si souvent
agitée, du merveilleux dans te poème épique s'y trouve
impliquée.Et tout d'abord il est vraiment superflu de faire re-
marquer que, pour les poètes homériques, il n'y avait
pas une mythologie poétique différente dos croyancescontemporaines Les dieux do l'épopée étaient aussi lesdieux da la vie ordinaire, On no demandait à i'iroagùnation du public aucune complaisance et on n'invoquaitaucune convention littéraire pour lus lui faire accepter.En représentant les dieux comme en représentant leshommes, le poète mettait en scène ce qu'il considéraitcomme une réalité vivante.
Cos dieux, d'après la croyance commune, avaientune forme humaine oÇdes passions humaines. Toute-fois,comme la plupart d'entre eux n'avaient été à l'ori-
gine que des porsonnitications des grands phénomènesnaturels, quelque chose do cette ressemblance primitiveavecla nature subsistait encore en eux Le peuple conce-vaitZt uscomme un homme d'une force et d'une majestémerveilleuses, mais il l'imaginait au milieu des nuagesqui s'assemblaient à son appel, tenant la foudre dans sa
puissante main et capable d'ébranler le monde d'un seulmouvement de sa létc. La vengeance d'Apollon, quand
1.a. Bertrand.1mdieuxprotecteur»de»hérosgrecsoutroytn»dansriliiule.Rennes,«858;et engénéral,Naegelsbach,DieHomerischeTheo-%<e.Xnremberg.1810(2«Mit.,par Aulenrlelh,Nuremberg.1861).
2. J. Girard, Lelentimentreligieuxta Grtc*d'N.n,~aiwn Far~chap.I.
248 CHAPITRE IV. – L'ART DANS L'ILIADE
il frappait ses ennemis, participait du mystère et de la
soudaineté des fléaux inattendus qui viennent s'abattre
sur les hommes ses flèchessimaient à travers les airs,
et l'on croyait entendre frémir dans los murmures du
veut la corde terrible de son arc d'argent. Poséidon ha-
bitait les abimes transparents de la mor, au fond d'une
grotte, ou il trônait comme un roi; quand il sortait do
là, on se le représentait traversant los mers on domi-
nateur, apaisant ou soulevant les flots à son gré, en-
touré d'un cortège tumultueux de monstres marins
qu'une sorte de terreur religieuse attirait au passage
de leur maître. Tout cela était le fond même de la
croyance populaire ces images étuiout familières à tous
les esprits, et le poète n'avait qu'à les dégager, à lus
rendre plus lumineuses, pour que ses auditeurs recon.
nussent avec une pieuse admiration dans ses descrip-
tions éclatantes ce qu'ils entrevoyaient dans leur propre
pensée. A chaque instant, dans l'lliade, la nature appa-rait ainsi derrière les dieux, et elle jette sur eux comme
un reflet de sa beauté grandiose D'ailleurs ces dieux
ne sont pas seulement des personnifications plus ou
moins transformées de ses phénomènes changeants. Ils
la représentent aussi en ce qu'elle a d'ordonné. La reli-
gion grecquo, au tempsde Yllade, impliquait déjà, dans
sa conception du monde, d» idées de régularité et
d'unité, dont la notion dos dieux ne pouvait manquer
de profiter. Ces idées se personnifient tout particulière-
ment dans la Destinée, qui se laisse apercevoir dans le
poème comme supérieure aux dieux, eans que le poète
d'ailleurs paraisse songer aucunement à en préciser la
vraie nature ni les rapports exacts avec les passions
divines. C'est une notion obscure encore, mais singu-
lièrement forte et majestueuse, qui donne à toute la
philosophiedu poème une profondeur remarquable. La
même conception fondamentale explique aussi toute la
LKS DIEUX 243
hiérarchie divine, et par conséquent la suprématie de
Zeus. Cette suprématie, il est vrai, est éludée et même
bravée, mais jamais d'une manière définitive. Zeus ensomme se fait obéir de tous; sa volonté n'est pas seule-ment la plus grande force morale et physique qu'il y aitdans l'univers, elle est mémo capable de dompter à elleseule toutes les résistances coalisées, et elle mène dehaut les événements avec une puissance irrésistible quine contribue pas médiocrement à la grandeur du récit.
C'est donc à la fois par ce qu'ils tiennent do la natureet par ce qu'ils doivent à une philosophie encore élé-mentaire que les dieux de 1"Iliade s'imposent si forte-ment à l'imagination. Mais, outre cela, ils entrent pro-fondément dans l'action' par les passions tout humaines
qui les animent. Si plusieurs d'entre eux sont déjà à
quelques égards les dieux de toute l'humanité, ce ca-ractère d'universalité n'apparaît encore que bien faible-ment chez la plupart et n'entraine nullement comme
conséquence l'impartialité. En générai la poésie homé-
rique, dans l'Iliade, les conçoit comme ils avaient dûêtre conçus antérieurement par les auteurs dos chants
épiques dont elle procède. Ce sont des dieux nationauxtout dévoués au peuple auquel ils appartiennent. Apol-ton est le dieu d'Uios, parce qu'en faitil avait régné surla vieille citédardanienne avant que son culte ne s'établîten Grèce; Hère est la déesse d'Argos; Athèné, celle de
l'hellénisme tout entier sous sa forme achéenne. Il est
vrai que les ennemis de leur peuple les prient aussimais ils ont à lutter alors contre une défaveur instinc-tive de leur part. Les divinités ont un patriotisme dansla poésie homérique, un patriotisme qui ne tient pas à
une convention arbitraire, mais qui est reconnu par la
croyance commune et attesté par d'antiques traditions:c'est une des choses qui contribuent le plus à en faire
d'excellents personnages d'épopée.
344 CHAPITRE IV. L'ART DANS L'ILIADE
Outre ces préférences générales, il en est d'ailleurs
do particulières, qui sont parfois ou des sonlimeuts pro-
fonds ou de véritables passions. Thétis est mèrej elle a
toutes les tendresses et toutes les sollicitudes de l'amour
maternel. Et en général, lorsqu'une divinité s'allie à un
homme dans l'Iliade, ello fait vraiment causocommune
avec lui.
« A présent. dit Athônô à Aohille au XXII»livre, j'espère
qu'à nous deux nous allons remporter une grande gloire, eu
triomphant d'Hector, si insatiable qu'il soit de combattre.
Non, il n'est plus possible qu'il nous échappe, quand même
son protecteur Apollon, l'habile aroher, se mettrait en peine
pour le sauver, jusqu a se jeter aux pieds de Zeus qui tient
l'égide. Allons, fais halte et reprends haleine je me oharge
d'aller te le chercher et del'amenor à te combattre en face'. •>
Le dieu est intimement associé à son héros, il a la
môme ardeur au combat, les mômes haines et les mô-
mes perfidies, il l'aide au besoin à insulter ses ennemis
avant la lutte et après la victoire. Do tels personnages
divins apportent dans les chants où ils se mêlent toute
une somme nouvollo d'émotions variées.
D'aillours lour secours puissant, bien loin de diminuer
l'action personnelle du héros, l'augmente au contraire.
La poésie homérique ne connait pas les subtilités méta-
physiques ni théologiques. Elle ne so demande pas, lors-
qu'ollo représente la fureur de Diomède excité par
Athèné, quelle est, dans les mouvements impétueux de
son àme, la part de l'action divine et celle de sa propre
nature. « Courage, Diomède, dit la déesse, assaillons les
h Troyens je t'ai mis au cœur cette fermeté inébranla-
» ble qu'avait ton père, le cavalier Tydée, au bouclier
» sonore ». » Est-ce là une opération mystérieuse qui
t. Iliade,XXII. 216.2.Iliade,V. 124-128.
JLKsi DiKUX 845
supprime l'énergie personnelle du héros? Aucun desauditeurs d'Huinère n'aurait môme pu concevoir pareillechose. Une parole humaine, l'exhortation d'un chef oud'un ami, un regard parfois, suffit à doubler le couragedu combattant. La parole ou le regard d'un dieu produi-sent les mêmes effets avec une puissance bien supé-rieure, sans qu'il y ait là plus de mystère. Ni le poèteni son public ne se posaient à eux-mêmes de questionsdifficiles et obscures on face de pareils spectacles; maisavec leur foi naïve, ils goûtaient profondément la jouis-sance de contempler ces âmes héroïques, devenues toutà coup plus héroïques encore par l'influence d'une divi-nité amie. C'est une dos beautés dramatiques de l'Iliade
que ces rolations incossantes dos héros avec les dieux.On les voit tour à tour appeler ardemment le secours etle surcroît do force dont ils ont besoin, se plaindro avecamertume quand cet appui leur manque, s'exalter dansl'assurance de la victoire quand il leur est accordé, ettoutefois trouver en eux-mêmes assez do courage soit
pour braver la défaveur divine, comme Ajax, soit pourdéfendre leur vie en désespérés, 'comme Hector, quandil se sent trahi et abandonné. Lo sentiment religieuxn'est donc pas surajouté dans ces chants au sentiment
héroïque; il y est môle si intimement, qu'on ne pourraitl'on supprimer sans déchirer violemment le tissu dontleur poésie est faite
Ces observations s'appliquent à tout le poème et toute-fois il y a aussi, dans cet ordre d'idées, des différencesnotables entre les parties anciennes et les nouvelles.
t. J. Girard.ouv.cité,p. 67.«L'étalnatureld'unhérosd'Homère,c'estl'étatmerveilleux,puisquepartou!.autourdeluiet enlui-même,il croitvoirousentir la divinité;matacetétat merveilleuxne sup-primepas sonactivitépropreet n'affaiblitnullementl'intérêtqu'ilnousinspire.car c'estpour lui-mêmeunesourceperpétuelled'émo-tionset uneoccasionde développerta forcepar l'exaltationoupar lalutte.»
846 CHAPITRE IV, – L'ART DANS L'ILIADE
Dans les parties anciennes, les dieux n'interviennent
que par des actes importants. Au livre 1, Apollon lance
ses traits sur les Achéens pour venger son prêtre,
Atlièné arrête Achille au moment où il va tirer l'épée
contre Agamomnon, Thétia vient se concerter avec lui
pour assurer sa vengeance j ce sont autant de scènes
dramatiques et de moments do l'action. En outre le
merveilleux y est à la fois grandiose et discret point
de description pompeuse les dieux se révèlent par un
seul signe et sont reconnus seulement de celui à quiils ont affaire.
« Tandis qu'Achille roulait ces pensées dans son âme, et
que déjà il tirait du fourreau sa longue épée, Àthânô vint à
lui, descendant du haut des airs; elle était envoyée parHère, qui avait même affection et même sollicitude pour les
deux héros. Elle s'arrêta debout derrière lui, et posant la
main sur sa blonde chevelure, elle lui apparut a lui seul:
aucunautre no pouvait lavoir. Achille fut saisi de surprise;il se retourna et aussitôt reconnut Athèné car les yeux dela déesse lançaient des éclairs »
C'est là l'antique et simple manière mais il arriva,
pendant la croissance do l'Iliade, qu'à force défaire in-
tervenir les dieux, les aèdes finirent par s'apercevoir
que le merveilleux était par lui-môme un ornement
très propre à relover certaines parties du récit et peuà pou, ils en Brent usage comme d'un moyen connu et
commode, soit pour se donner l'occasion do descriptions
brillantes, soit pour remplir des vides, soit tout simple-ment pour ajouter un agrément do plus à leurs dévelop-
pements. On peut choisir comme exemple do cette ma-
nière lo message d'Iris auprès de Borée et de Zéphyreau XXIII* livre K Il s'agit là uniquement d'exciter la
flamme du bûcher de Patrocle, et pour une chose aussi
i. Wo~e.ï.tMetstttv.1. Iliade, I, î«3etsulv.autv.2. Iliade.XXIII,192et aulv.
LA LANGUE DK L'ILIADE 847
simple lus dieux interviennent, Iris va portor aux ventsles ordres do Zeus, on discourt, on s'agite, comme sile
sujet en valait la peine.En opposant co passage au précédent, on a les deux
termes extrêmes d'uno longue série qui comprend natu-rellement une foule d'inventions intermédiaires.
Dans son ensemble, le monde divin de l'Iliade est aussi
vivant, aussi intéressant que le monde héroïque. En semêlant à celui-ci, il lui prête sa majesté, et il permetau poète do faire apparaître, derrière la grandeur pu-rement humaine de ses héros, une grandeur religieusequi devait toucher vivement des âmes croyantes.
VI
Terminons cette rapide étude en disant quelques motsdo la langue deYIliade
La langue homérique offre, dans l'Iliade, un mélangebien digno d'attention. On y trouve en effet, non seu-lement dos mots en grand nombre qui ont disparu plustard de l'usage, mais des procédés de déclinaison et de
conjugaison qui lui sont propres, et des formes qui ap-partionnent à des dialectes divers.
1. La langue de l'Iliade comme celle de l'Odyssée doit être étudiéedans les lexiques spéciaux. (Voir ci-dessus la bibliographie à la page107.)Elle a en outre servi de matière à un eert- 'n nombre d'ouvrages,parmi lesquels nous citerons Ahrens, Formenlehre des homerischmDialectes, Gôttingen, 1852; Van Leeuwen et M. B. Mondes da Costa,Grammaire de la langue d'Homère, traduite par Keelhof, lions 1887D. B. Monro. Bomeric grammar, 2» éd., Oxford, 1891 J. van Loen-wen, Ënchiridion leetùmis epicae, Lugduni Batavoram, 1892-1895.Con.sulter aussi l'étude de A. H. Sayce, à la fin du 1" vol. de l'hietoirede la littérature grecquo de Mahaffy. en anglais. Les Prolégomènes•!«*iritulis curmina de W. Christ contiennent également d'excellenteslemarques sur ce sujet ainsi que tes Grundfragen dey Homerkrilik deP. Caner, Leipzig, 1895.
818 CHAPITRE iV. – L'ART DANS L'il.IAUK
Toute l'antiquité a cru que lu puésio homérique, cun-
temporaine do plusieurs diulectos coexistant*, avait ont-
pruntô do côté et d'autre ce qu'elle croyait bon dt<s'ap-proprier. Du la était résultéo, pensait-on, uno sorte do
langue composite, dont lu fond était le dialecte ioniendo ce temps, mais qui admettait aussi un assez grandnombro de formes éulienues et même doriennes. « Il» ne suffit pas à Homère, dit Won Chrysostume, do mêler» ensemble les diversos façons du parler des Hellènes,» et de s'exprimer tantôt on éoliou, tantôt on dorien, tan-» tôt on iunien il faut encore qu'il parle olympien (&u«tî» $!e<X:y*7$xt) » On peut voir chez les grammairien»et co;ninontulours anciens un certain nombre do formes
homériques qui sont signalées par eux comme éolionnesou comme dorîonnos, et dont ils semblent attribuer demAino l'origine à un choix plus ou moins arbitraire du
poète.Toutefois une observation plus éclairéo et plus me
thodique a permis do reconnaître qu'il n'y a point dansla langue de l'Iliade do formes doriennos. Celles qu'onqualifiait ainsi ont été ou corrigées ou désignées autre-mont. Tout se réduit on réalité à un mélange d'ionismcet d'éolismo
Les formes éoliennes se trouvent d'abord dans un
grand nombre do locutions traditionnollos, formules ou
épithètos 3. C'est là un fait très important ît noter, car
il prouve évidemment que la poésie homérique est sur-tout éolionne par ce qu'elle a de plus ancien. Ces fur-
4, Orationes,XI.23.Cf.Plutarque,de VitaetpoesiIlomeri.B.eh.8Ai|n U hoixîXti«|^pi)|âivo(,toi; inônivut JioOixtoutô>v"EWr.vituvx»-paxTijpa;èr»r(il|uUv->EÏ&vtôfri;i«ri icS««vït,v 'E'û.ita tet>.tùvx»isfivI6vo«.
2. Christ,Uiaditcarmina,Prolégomènes.p. 127.3. Sur les éoliimesd'Homère,voirUinrichs,DeHomericaeelocu-
tionisvesttguBaeolicit,IéUa,«75,et 0. C.Warr, TheaeolicélémentinthelliadandOâgms(CtoiicoJhteiew,î, p. 35et 91;.
LA LAKOUKDE L'ILIADE 840
mules ont été créées dans une langue éolienne. non dansune langue ionienne, et plus lard, consacras par l'u-
sage, elles ont gardé lourformo primitive. Mais l'emploidu rèotismo dans la langue homérique n'est pas restreintà ces vioillos choses souvont rôjiétéosot presque imtnua-lilos. On trouve, on dehors dos formules et des epithe-tes consacrées, dos formes éoliennos substituées à dosformes ioniennes quand la nécessité rie lu mesure
l'exige; on les trouve même 1a où elles sont non pas in-dispensables, mais simplement plus commodes ou plussonores. II est clair par suite quo la poésio homériques'adressait originairement la un auditoire pour lequolces formos n'étaient ni inconnues ni désagréables. LosIoniens qui entendirent d'abord l'Iliade avaient doncassez d'habitude de i'éolisme pour reconnaitro immé-dinlomont les formes propros à co dialecte, ot ils trou-vaient peut-être uno certaine saveur particulière ù dossons qui n'étaient pas tout à fait ceux dont ils se ser-vaient quotidiennement.
Lu langue ionienne de 17/iWe différait d'ailleurs olle-mômoassoz notablemontdu celle qui était alors courante.Formée par une succession potil-etro déjà longue de poè-tes, elle conservait par héritage un assez grand nombred'archaïsmes d'une part, ot do l'autre des expressionsou des locutions que ces poètes avaient créées pour leur
usage.Pour expliquer cet état de la langue homérique, on
a supposé récemment que les chants de l'Iliade avaientété composés d'abord en éolien et traduits plus tard enionien. Los formes éoliennes subsistantes seraient alorsceltes qui auraient résisté à cette transposition en raisondes difficultés métriques Le texte de l'Iliade ne se
t. A.Flek,DiehomerischeOdystetinderurtprilnglichmSprachformztcdcrhergitleltt,Gwllingan,1883,et Oiehomerischettias nacAihrer
350 CHAPITUE IV. L'ART DANS L'iLÏÀDB
prôto pas à cette hypothèse car d'abord il renferme
itua forrwusèulîonncs qui auraient pu, une inconvénient
pour la mesure, être transposée» en ionien et en
second lieu, ai elle était exacte, il devrait y avoir de» dif-
férences notables, au point de vue du nombre d«s for-
mes éotiuuncs, entre les parties anciennes ainsi tra-
duites et 1»'bplus récentes qui no l'auraient paa été; or
en fait, celto inégalité n'oxiatc pas. D'ailleurs, aila lun-
gue éulienno avait produit dis ces tomp» anciens un»
oauvro lollo quo VIliade, il serait absolument impossiblede concevoir Pour quollo» raisons cotte couvre aurait
passé ensuite dans une langue diiïéronto au lieu de gur-dur sa furmo primitive. On no pourrait a'en rendra
compte qu'en supposant une décadence profondo du
l'éolismo entre doux périodes brillantes, l'une épique,
représentée par Vlliade et l'Odyssée, l'autro lyrique, parl'écolo lesbionno il n'y a aucune circonstance histori-
que qui rende cola vraisemblable.
Mais cette supposition n'est pas nécessaire. L'étal do
la langue de {'Iliade s'explique sans peino par Ins origi-nes do ta poésie grecquo. Coilo-ci a pria naissance dans
lu Grèce ccnlralit sous formo d'hymnes, puis elle a
grandi dans los villes éolienncs d'Asie Mineure sous
forme do chants épiques de médiocre étendue. Ello s'est
fait ainsi un langage qu'elle a consacré dès l'origine parson caractère religieux et ensuite par ses succès. Plus
tard la grande épopée est née en Ionie sur les confins de
l'Éolide. Tout naturellement clio a parlé ionien, mais un
ionien mélangé d'éolismos que la tradition lui suggéraitet que les mœurs acceptaient. Toute l'explication du la
langue homérique est dans ces quelques faits. C'est donc
Bntttehungbelrachletundmil derurtprùngliehenSpraehformwiedrr-
htrgetMU,Gôttingen,1985-86.1. Voir la discussionde Monro,Hommeùrammar,£•«tiitfùn.
p. 386,et lesobservationsde P. Cauer,ou»,cité,p. 98et 8.p. aM,et tea<)bMrvaMensde P. CitMef.eM.etM,p. 98et 8.
LA LANGUE 01 L'itlADB 851
um>langue composite, mais co n'ont pas un mélangearbitraire du tout U*dialectos contemporains. Le poètequi I* parle a souvent le choix entre plusieurs termes,doqui donnoà sa diction beaucoup do souptusso et devariété, mais ces formes no sont pas prises au hasardoutro Imites collos quo luioffruitl'usage do son temps;oncuromoins«ont elles fabriquéespar lui artiflcîolloinenla i'aidoli'uliongoinonis oudu raccourcissements cosontou dos formes anoionnos eonsorvôos par lu poésiepour«in usago particulier ou des formes contemporainesappartenant au dialoclu du poèto. ||«»i dwte tantôt vu-tunhiiromunt archaïque, tantôt flilèloà l'usage régnant.Sa liberté est grande, plus grande assurément, et dohouucoup,que ne lo fut dans la suite en Grècecollo desécrivains do l'ago ctassiquo, mais c'est une liberté rai-sonnée ot rcspccttiouHodo la tradition.
Coquo nous disons ici des formes verbales peut s'ap.pliijuorégalement ait choix dm mots. Il est visible quolus poètes homériques se funt uno règle constante dene pus employer le vocabulaire ordinaire, coluido toutle monde ot do tous losjours, afindo donner leur récitplus do noblesse. Ils mo"ent en pratique pour cela plu.simirs procédés traditionnels fort simples. Comme ilsaiment les formos archaïques, ils ont aussi le goût destermes anciens. Quelquefois,mais exceptionnellement,ils nous les signalent eux-mêmes comme appartenantà lu langue des dieux, distincte de celle des hommes
I. Iliade.XIV,MO"Opv»«.ityupr,ivaWYXtoc,f.vt*« Spunn– XaX-xî«»xixlfrmtmfcol,Xvifitc81«i(uv«iv.Cf.1,403,Briarteet /Egétm;XX,74,Xanlhaet Seamandre.C'estcequelesanciensappelaientladionymiehomérique.LegrammairienPloléméed'AlexandrinavaitécritIhp!tfrf«t«p*'O|t<p8̂wvu|tla«««pà«lot;xaliveptinoit.J'inler-pr.'leiciladionymiecommelescommentateursancienssemblentl'a-voirgénéralementinterprétée.Cettefaçondevoira étécontestéedenosjourstrèsfortement,mais&tort,selonmoi.VoirLobeck,Aylao-Vluimus,II, p. 838sniv.;Nauck,dansles JahrbmhtrdeJahn.Snp-
1114 UHAmHK IV. – L'A UT DANS L'ILIADK
Maisordinairement ils les mêlent tout simplement aux«notacontemporains, ann do donner à la pliraio quoi»que chose d'insolite qui la relève La longue liste drsa
XmÇ ripuplvs de YIliade est évidemment formée on
grande partio d'éléments arcliaTquoade ce genre.Un autre moyen dont iUusent pour ennoblirlour élo-
oution,c'osl l'emploi des mots composés,l'rolltant d'unofaculté naturelle à lu langue grecque, ils créent, avecune hardiosto quo le langago ordinaire no pouvait pasadmettre, dos expressions brillancesol sonores, forméesd'un groupod'élômonU qni parlonttousà l'imagination.Cesont surtout les adjectifs qui deviennent ainsi comnioles ornomenU naturols du discours poétique. Ils lui
apportent une magnificence do sons et d'images quipréio au récit épiquo richesse otgrandeur. Maisco qu'iltaut remarquer dans cotte richesse, c'ost qu'elle ne nuitun rien à la clarté. Les mots composés do lapoésie épi.quo différent on cela très notaMoinoit'ido ceux quecréa
plus tard la poésielyrique, on particulier leditliyrambu.Presque tous sont formés d'un radical do nom et d'unradical d'adjectif qui loqualifie(XiuxwXjvo;,SoXiyôoxw;)c'est le procédédo composition lo plus simple et lo plusclair: quand la languehomérique associoentre eux d'au-tres éléments, elle lu fait toujours dans le même esprit,do façonque lu sens du mot nouveau ressorte avec éclat.
Indépendammentdes expressions composées,il ya beau-
coup d'autres créations poétiques dans la langue d'Ilo-
plém. VIII. p. M8 auiv. Bernbardy, tlriech. Lit., I, p. 182.Cf. sur ce
sujet J. van ï-eeuwen. lie lingua deorum, Hnimotyne, XX, p. t il
(18M).I. Arialote, Poétique, eliap. s» et axit. – A vrai dire, il est fort dif-
ficile «ujonrd'nui de déterminer lûrement l'âge des mots dans le telle
homérique. On est réduit sur ce sujet à des conjectures mais plu-sieurs sont à peu près certaines. Arislots signale i?r,TT,ppour Upric{Iliade, h 91; Arist., Poil., cb. xxi) comme un mot fabriqué («noir,-l<év«v);n'est-ce pas plut6t un de ces mots anciens?
LA LANGUI OS L'ILUDS 153
mère, Nous nous bornons à signaler celles qui sont d»
l'essence môme de toute poésie, comme en généraltoutes tes métaphores et toute* tas manières indin-ctoadntraduire ta ponsée. On no peut trop admirer à cet égardet las ressources qu'elle sait trouver et l'art avec loqueI
ollo on use. Elle a autant do force et de grandeur que d«
linusso et do grâce; olle sait décomposer ou au contraint
russorror une expression selon le bosoin elle possèdi*à la fois l'abondance et la vigueur Il est bien romar-
i|»ub!o en purticuliur de voir couibion ce soin de gran-dir ut d'vnibellir l'élocution est éloigné d'unu faussa
nulilfsso. Partout les chosos simples aonlôuoucoos situ-
|iluinoiit, les mots propres sont employés à propos suit
pour éviter des longueurs, soit pour donner de la forci!au style, et lus périphrases, quandelles so mdlontaulit-sudu discours, servent non à ramollir, mais à lo rendm
plus brillant
(«astructure dos phrases et dos propositions est sou-
plu ut variée avec une extrême simplicité. Los assem-
blages compliques do pensées sont absolument inconnusde la poésie hoinérîquo, mémo dans les discours, continunous l'avons fait observer plus haut, et à plus forto rai-son dans le récit. C'est la juxtaposition qui est la loi or-dinaire de ce stylo naïf et clair. Lorsque) par hasard iu
pltrase se prolonge, – ce qui est exceptionnel, tes
uonséos successives s'ajoutont les unes aux autres danst'ordre où elles se présonlont à l'esprit jamais elles no
t. Uaintilten,X,46 Hunenemoin malnis rébus subUmilate,inparvisproprietatesuperaveril.Idem '.aelusac prewu?,jueundubetgravie,tumcopia,tum brevttateuiirabllig. – Plut.,Oracltaenprose,t. H 'Api<rroriX/)«(ùvolv (iivov"O|ir,povtytft xivoi!|uva4v4|iatamietvîsi t»i»{v«?Y«,»y.Cf. Philémon.fr. 97(Kock).
2.Iliade,ï, 88 Offrit<|uOCûvto;xallui yfim\e»pxo(iivoio.Cesder-nieramotséquivalenttafi).{itovr6,mais il n'estpersonnequi nesentecequ'ils ajoutentde forceAl'affirmationen mêmetempsque detoute extérieureà l'expression.
S64 GHAPITBB IV. – L'ART DANS L'ILIADG
sont déplacéesen vue d'enfermer par exemplelespropo-sitions incidontes dans la proposition principale ou de
partager toute la pliraae on groupes aymétriques. Duni
cette série d additions qui constitue le développementmémo de la pensée, le poète use d'ailleurs d'une grandeliborlé. La rigueur de logique et d'analt)gieque le pro.grès de l'osprit analytique introduisit plus tard dans la
langue lui est oncore étrangère On peut qualifier
d'inexpérience ce laisser-aller, et il est certain qu'il tient
en effet à un étui d'esprit caractérisé par une réflexionencore éléinoutuire mais il faut reconnaîtra qu'ils'tis.socie furt bien duns la tauguo homériqueà unocunnuiV
sauce fuimlièrode tous les seci-olsdu style.Cottephraseflottante et si peu liée a parfois une vigueur extraor-
dinairo. Elle se rodrns*obrumquemont,se précipite ou
s'arrdte avec un sentiment juste de l'offot qu'ulle doit
produire. Hienduns sua allure qui rappelle l'uniformité
un pou traînante dos récits populaire». Ellea don tours
pteins do vivacité, des surprises, doit élans imprévus,elle sait détacher un mot comme un trait, ou le fuire
pénétrer comme un coup d'épéo. Elle décrit commeolle
veut, par le son des mots, pur lour place, par la façondont olle les groupe ou les sépare C'ost un art con-
sommé, associé li une naïvoté incontestable.La langue homérique est d'aillours fort bien servie
en cela par une versification à la fois très simple et très
rythmée'. Au temps où loschants de l'Iliade naquirent,
»,Voyez»arcesujetlasréflexion*deG.Heramnndansu disser-tation Delegibiuquibutâamtubtitioributlermonithomericiiflpiuc,t. II,p. 18-58).
2. Notez des yen tels que eeloi-ei, remarqué et cité par Denys (De
compot. cerborum. S).
Aiftt Bitft,v*vpn U |Ùt' fax". U»o 4' &«rci(.
L'art te plu rafûaô uV rien imaginé de plus descriptif ni rien fait de
plus habile.S t»"îiB'i iiffr SUTce CaJÇîXX"USÏBSnf%fRS?J?IVtn 9I"MP»W• mman^m«a«w*
tbal, 1848; Drobiaeb, Vnterêuehungen ûberdie Format dtt Hexameter
LA LANOUK D8 L'ILIADE 955
l'hexamètreavait atteint déjà toute sa perfection.Grâcefiune longue pratique, la raideur primitive avait coin-
|it6lentontdisparu. La variété de formes dont août par-lions tout àheure permettait au poèted'éluder avec uneextrême facilité les gènes apparentes de la quantité. Lastructure du vers n'était assujettie qu'à un très petitiiiimbrode règles absolues. La variété dus césures un
particuliuroffrait au génie poétique de grandos ressour-ces et aeprétait à une foule d'effets. La pensée pouvaitsansinconvénient dépussorles limitesdu vors; elle rem-
plissaitau besoinplusieurs hoxamètros ou s'arrôtuil uumilieudo l'un d'entre eux; c'était le privilègo do vu
rythme si net, ai aisé à saisir, qu'on le brisant ainsi onne tedétruisait pas. Maisai tout était possibledanscetteversificationai appropriée à l'épopéo, rien n'y était in-différent. Ellemo'.taiten relief admirablement ce qu'onla chargeait do faire valoir, et {'Iliade altodto, dans ses
partieslus plus ancionnos, à quoi point les vieux poètesépiquesdo l'Iouio avaient le sentiment profondet déli-cat do ce qu'ils pouvaient demander à un instrumentniexcellent. L'appropriation du vers et do ses artilicos àla pensée et surtout au sentiment ost chozeux admira-ble. C'est un partie l'habileté de leur versification quinousfait voir los choses, quand ils décrivent, ou enton-drejusqu'à t'accent dus personnages, quand ils los font
parler1.
des Vifu'U,Horai und //orner, Bericlite d. k. SOohs, Oes.d. Wissanseh.,Pliiiol..hiBt. CI., XX (1863); W. Harlel, Homeritche Siudien, 1-111,Vienne, 1871-187*.
f. Qu'on relise par exemple ces qaatre ver» des menaces d'Aga-ueuinoa à Chry*éa (I, i9-32)
"n,v 8' iyùkeu Xùat*.«plw|uv *A ifijpat fruiaiv
r,iiïzlft? M atwf, iv "Àffytt, ti)Xitt «âtprit,totbv imixo|Uvi)v«ai ipâv Ujot iv«<ci«rav«XX'itti, nr, |i* ipétiïc, (xa(ittpo{û{ « vir,«i.
Il n'est personne qui ne sente ce que la coupe de ces vers en quelque
856 CHAPITRE IV. L'ART DANS L'ILUPB
De tout cela résulte la beauté propre do la poésie doVttùide.Elle est de tette nature qu'il n'est besoind'au-aune réflexion pour ia comprendre Une richesse infi-nie de pensées et do sentiments dans une transparenceincomparable le langage et de versification, voilà on
quelque sorte sa formule. Coqui la caractérise éminem-
ment, c'est qu'eUoest avant tout une poésie parléo ou
chantée, et non écrite. Pou importe ici la date do l'é-criture et la question do savoir si on fait aucuno parti»du pob:non'a été écrite par son autour. Dans l'onsom
ble, la puéaiodo l'Iliade donne l'improssion de la paroluvivante. Elleen a la naïveté, la liberté, la Kiardicssod'ulture et la simplicité de réflexion. Pour lo mouvement illa vie, ello n'a point d'égale.
sort»martelée,la variitédoleurallure,lacompositionproBO.lijuodesmotietenftuleurplaceontdevaleurdramatique.
HUl. ds la UU. Ontqa». – T. I. J7
CHAPITRE V
l/OUYSSKK. ANALYSE tW POÈME
BIUMO0fUI>IIIK
M*Nirs«RiTS.– Nous n'avons pour VOdyate ni papyrus an.cien, comme pour Vltiad», nt manuscrit comparable ouvaleur au Vtnetm A. Los plus anciens manusorits do l'Odys-*!« no Hombloiit pas remonter uu delà du xu« aieelo. Voir,comme pou.- les mss do l'Iliade, La Roche, Uomer. Ttxkritik,p. 433 ot suiv., ot en outro les Pnliqomùnet do soit édition dul'Odyssée, ainsi que la préface (3«partie) do celle de Huyman.Gf, DiuJorf, préface des aoolie.s (voir plus loin). Ils sonttous sans oxcoptiou médiocrement corrects.
Los plus importants sont lo Patatinuf, les trois manuscritsdoMitan [Ambrotianf), le Uarleianus,les manuscrits de Vienne,«eiui do Hambourg, VAugmtunm de Munich, les manuscritsde Paris.
Ces manuscrits ne nous donnent par eux-mêmes que l'é-tat du texte pendant le moyen-âge byzantin. Mais on peut,grâce aux indications qu'ils contiennent, remontfr souventplus haut, et il n'y a pas grande exagération à lire que letexte alexandrin de l'Odysséenous est en somme presque aussiconnu que celui de l'Iliade. Au reste, la remarque faite plushaut sur les manuscrits de l'IKarfs s'applique également àceuxde l'Odyssée.La science philologique a le droit de ne pass'enchatner aujourd'hui à un texte qui ne représente qu'unetradition médiocrement éclairée.
SCOLIES. U en ut des scolms comme des copies mannscri-tes celles de l'Odysséesont loin de valoir celles «1avin*
858 CHAPITRE V, – ANALYSE DE L'ODYSSÉE
Lus plus anciennement connues sont les Schaliavutgata ap.
pelée* aussi PedtttSeolteau Seolieidit ?»•«»?«•JM<fy»ie.Ce recueil
nous a été transmis comme un ouvrage Indépendant, et non
aou» larme de notes marginale» c'est un abrégé d'un coin-
monlulro nnoltm, qui comprenait des notes empruntées aux
urltlques alexandrins et à leurs héritiers, en particulier a
UiJymô; 11 est regrettable quo l'auteur de cet abrégé n'ait
pas su mieux proUter de tant de resaouroea. L'édition pria-
oups est de 13i8, in-8, Venise.
Eu outre, un grand nombre des manusorits de VOdym'e,
disparues dans les diverses bibliothèques de 1'Kurope, con-
tiennent des notes marginales, dont beaucoup sont encore
Inédites. Laplupart de ces notes sont «uns intérêt, soit parée
qu'elles répétant ce qui est dit dans lus PetiM Scoliet, soit
parou qu'elles font double emploi avec lu Commentaire d'Ku-
stattie, que nous possédons. On les désigne par la nom des
mnuuserlU auxquels elles uppurtlennent (ScftoKoNarciuna,
ScfcoliaAm&roitoriu,etc.). 11est inutile de lo«énumérer Ici. Lus
inoiUoin-oi sont les Soolios dit manuscrit harlôïan (Scholia
llarldtma), reouollllen par Poraon, Cnunor et Dindorf.
Toutes les Scolies do VOdymfeqai ont paru mêritor quel.
que attention ont 6t6 publiées on un soul recueil par Din-
dorf {Seholiagraecu in Oilymam ex coilkibus aucla et emendittu
edidil G. Dindorflus, *2vol. in-8, Oxford, m&).
A côtô dos scolies proprement dttos, nous dovrions mention-
ner ici pour VOdysste,commo nous l'avons fait pour VIliade,
quelques travaux de critiques anciens qui nous ont ôtô con-
servés. Nous renvoyons, pour éviter des répétitions Inutilen,
&cette partie de la bibliographie de l'Iliade (voir plus haut,
entête du oh. H). Le commentaire d'Ëustathe sur l'Odysséea
été publié par Stallbaum en deux volumes, Leipzig, 1823-20.
S Éditions.– L'Odyssée se trouve réunie avec l'Iliade dans la
plupart des éditions savantes qui ont été indiquées ci-des-
sus. Rappelons donc simplement ici celles de Florence
(t488), des Aides, de Rome (1342-1530), d'Henri Estienne
(1366)– cette dernière signalée déjà comme la source de la
Vulgate, l'édition de S. Clarke (1729- 1740),améliorée par
Ernesti (1759-1764)et par G. Dindorf (1824), celles de Wolf
(1804-1807),de roreon, avec une c«»lation du manuscrit har-
léïen (1800),de G. Dindorf (1827), dont la récension a été re-
produite dans la collection Didot, enûn de Bekker (1858).
BIBLIOGRAPHIE 359
En oulre, VOiyute a été plusieurs fois publiée a part, et
surtout de notre temps» on l'on a mieux compris que les
queutions relative» à ce poéma étaient jusqu'à un certain
point indépendantes et pu tout cas dUtlnottia do oalles qui
touuhent Al'Iliade.
L'édition de Baumgarlen-Crusius (3 vol., Leipzig, 1822.
mi) contient, en forma de notos, doa extraits bien choisis
.lu commentaire d'Eustathe ot dea principales SooUes.
O, Dlndorf a donné en I8SS, a Oxford, une récenslon nou-
vt'lle du poùine. – Parmi leâ éditions récentes, les plus con-
nue» aont celles de J. Lu Rooho (Lelpzig, <8-i7.08) avoo des
I>rol6gomânea et 11 fao-almilede manusorits; celles do A. Pier-
ron (Paris, 1878),do A. Kirohhoiï (Berlin, 1879), avec do re-
mnrquablos appendices sur la formution et la compositiondu poôme; les éditions anglaises de II. Hayman, Londres,
|g«B-7»,ot de Merry, Londres, 1878; celle de J. Van Leouwen
<>tMendes du Costa, Leyde, «890-92. – Nous devons slgna-
lur aussi, A tltio do teutative intéressante, bien qu'à notre
iivi-; fort hasurdeusa, la rostitution do VOtlyssôodans sa pré-
tondue forme prlinittvo, o'ost-à-dlro éolionno, par G. Fiek
(Ouotlingen, m,3).lin fuit d'éditions a l'usago dos classas, los plus dignes
d'attention sont celles de J. Il. Fuesi («849), do Il. Dttutzer
(1863),et surtout do li. Amois revuo par Henzo avec dus notes
oxplioatlves en allemand ot des appendices critiquos d'un
grand intérêt; sans cesso améliorée, YOâyssie de Ameis est
souvent rééditée; la 0» édition des douze premiers livres a
paru de 1890&1893.
800 CHAPITRE V. – ANALYSE DE L'ODYSSÉE
SOMMAIRE.
I. Indépendantedesquestionsrelativesà VOtlyaiie,Leaquatrepre-mierslivrai. –II. Livre*V-VUI Ulyssecliai les Phéaciena.–III. Livres 1X-XI1I les récits d'UlysaeCAXxtvovi*<SX»toi).IV.LivreaXIII-XVI la rentréed'Ulyssoa Ithaque. V.LivrerXVIIXX leséprouvezU'Ulyssedans son palais. VI. Livre»XXI-XX1Vla vengeanced'Ulysse.
I
L'Odyssée est lo second cbof-d'œuvro do l'épopée grec-
que. Do moine quo l'lliade, elle s'olïro à nous sous la
forme d'un long poèmo continu, attribué à un seul et
môme auteur, qui est encore Homère. Il est clair quesi l'unité primitive de l'Iliade n'est pas admise, celle de
l'Odyssée devient par là mémo fort douteuse. Ces deux
grands développements narratifs se ressemblent en effet
tellement malgré les différences particulières, qu'il pa-rait presque impossible au premier abord do no pas ap-
pliquer à l'un les observations générales qui convien-
nent à l'autre. C'est la toutefois une simple impression
qui ne peut pas tenir lieu d'une étude raisonnée. Après
tout, il aurait pu arriver que l'Iliade, en se constituant
comme poème, servit de modèle à l'Odyssée, née un peu
plus tard. Dans ce cas, il n'y aurait rien de contradic-
toire à admettre que celle-ci ait été dès sa naissance ce
que celle-là n'est devenue que tardivement. Les ques-tions relatives aux deux poèmes sont donc indépendant
LIVRESHV 961
tesles unes des autres ot elles demandent à être traitéos
séparément'.L'Odysséedébuto par quatre livres qui peuvent être
considérés ensemble commo une introduction'. On les
désigne quelquefois sous le titro colloctif do Tiléma.
chie, parco que le jouno Télémaque, fils d'Ulysse, en
est le héros1.Et d'abord, comme dans l'Iliade, une invocation à la
Muso,accompagnéed'une sorte dosommairodos événo-
monts qui vont être racontés. Le manque do suite quis'y fait sentir dans les idéos dénote plusieurs remanie-monts et des additions4.Cequi semble primitif dans ce
morceau ne vise que la première partie du poème, les
voyagesd'Ulysso et tout ce qu'il a souffert loin de son
t. L'analyse critique AeTOdyssie a été vivement éclairés par Kirch-lioll'tlans les notes et appendices de l'édition citée pins haut, où il arésumé ses travaux antérieurs sur le même sujet. Nous avons pro-fité largement de ses remarques, tout en nous écartant souvent deses opinions. Borgk, daus son llist. de In liltér, grecque, a présentéaussi une analyse détaillée du poème. Mentionnons encore l'ouvragetris utile de A. Jacob, 'Vbsrdie Entstehung d. Ilias und d. Odyssee,Berlin, 1856,et celai de Bonttz déjà eltê (p. 185). Enfin Wilamowitz-
MoollendorfF.dans ses Homerische Vntenuchungen, Berlin, 1881, a re-
pris à nouveau ce sujet avec la critique souvent téméraire, mais in-
génieuse, érudite et pénétrante qui lui est propre.2.La division de l'Odyssée en vingt-quatre livres ou rhapsodies est
entièrement analogue à celle de l'Iliade. Nous renvoyons le lecteur à
ce qui a été dit plus haut à ce sujet (p. £01).3. Principale étude spéciale sur la Télémaehie, Hennings, dans les
NeueJahrbùcherfùr Philologie, 8»vol. des Suppléments, p. 133et sniv.;
publié &part, Leipzig, 1858.4. Les vers 6-9, relatifs au crime commis par les compagnons d'U-
lysse envers Hélios, semblent intercalés dans un morceau plus an-
cien. Ils donnent une importance exagérée à un fait qui tient peu de
place dans le poème, et dont le récit, comme nous le verrons plusloin, n'appartient pas aux parties primitives. Quant aux vers 15-19,ils rompent l'enchaînement naturel des idées, qu'il serait aisé de ré-
tablir, comme l'a remarqua Kirehhoff, en rapprochant du commence-ment du vers 15 (h mcioai YXayupoîm)la fin du vers 1 9(8eo\8'iXfattpovScMTtt).
309 CHAPITRE V. ANALYSE DE L'ODYSSÉE
pays: il n'y est nullement question de co qui remplitles douze derniors livres do l'Odyssée, c'est.à-diro do la
lutte ouverte ou cachée du héros contre les prétondants.Toute cotte seconde série d'événements n'apparaît qu'un
pou plus loin, dans une allusion assez vague (v. 18), au
milieu d'un passage qui rompt l'onchaînomonl des idées,et qu'il est difficile par suite donc pas considérer comme
ajouté plus tard. On peut conclure do là que cette sorte
dp prélude poétique a dû être composé en vue d'un
groupe do chants qui comprenait les événements nota-
bles do la promiero partie, dans un temps où la seconde
n'existait encore qu'à l'état de légende.Le récit proprement dit commence. Dans une pre-
mière scène, le poète expose son sujet avec une sim-
plicité ploino do grandeur. Tous les héros achéens de
la guerre do Troio sont morts ou rentrés chez eux;
sout, Ulysse, est encore retenu loin de sa patrie par la
nymphe Calypso, malgré l'ardent désir qu'il a do re-
voir la fumée do son toit et sa terre natale. Los dieux
ont pitié de lui, sauf Poséidon, qui l'a pris en haine,
depuis qu'il a tué le Cyclopo, son fils. En l'absence de
ce dieu, Athèné, la déosso protectrice d'Ulysse, inter-
vient on sa faveur auprès de Zeus. Elle obtient qu'Her-mès soit envoyé immédiatement à Calypso pour lui don-
ner l'ordre do laisser partir Ulysse. Autant cotte scène
(v. 16-87) est bien conçue, autant la façon dont elle se
termine trompe notre attente. La demande quo vient
do présenter Athèné reste sans effet; Hermès ne se
met pas même on devoir d'accomplir son message, et
il faudra, au commencement du livre V, que la même
scène soit répétée à l'aido do vers empruntés pour ra-
mener une seconde fois la même décision, qui auracnOn
ses conséquences naturelles. Il est bien difficile parsuite de douter que cotte assemblée des dieux du livre 1
n'ait été primitivement l'introduction du livre V; on
LIVHES MV 963
l'en a séparée pour donner place à tous les récita inter.médiaires qui constituent aujourd'hui los quatre pre-miers livres
Ces récits s'ouvrent par la descente d'Athené à Itha-
que. La déesse, sous les traits do Mentes lo Taphien,ancien hûto d'Ulysse, vient trouver lu jeune Télémaquedans son palais envahi par les prétendants. La raisonévidente de cotte invention, c'est de donner un motif
divin, et par conséquent conforme à l'usage épiquo, au
voyage de Télémaque. La déesse, accuoillie Itnspitalière-mont, s'entretient avec le jeune homme et lui suggèreta conduite qu'il tiendra dans h suite immédiate du ré-cit. L'entretien est long ot peu dramatique, et les con.seils de la déesse no sont rien moins que précis. Lasoute chose qui on ressorte avec netteté, c'est qu'il fo-rait bien d'aller auprès de Nestor a Pylos et do Méne'lasii Sparte, pour s'enquérir du sort do son père. Ainsi estintroduite la donnée du voyage do Télémaque. Alhèné
disparait dès qur le poète n'a plus besoin d'elle, et nous
voyons alors les prétendants se livrer dans le palais àla bonne chère et &la joie (MvTirr/ipwvtwa/ix), tandis
que l'aède Phèmios lour chante le retour des Achéons.Il n'y a rien dans cotte description qui révèle la vigueuroriginale d'un grand génie. On n'y admire vraiment
que la courte scène où est représentée Pénélope descen-dant au milieu des prétendants (v. 328-367), épisodegracieux qui reparaîtra presque dans la même formeau livre XXI (v. 57 et suiv., 343 et suiv.); la comparai-
i. Wilamowitz(ouv.cita,p. 12)objecteque l'occasiondudiscoursàeZeusestle meurtred'Égisthe.faitdont il n'estpas questiondanslespartiesanciennesde l'Odyssée,tandisqu'il apparaîtdansla Tèlt-machiecommeala grandenouveauté». Jeneméconnaispaslaforcedel'objection,mais il ne me semblepas qu'elledoiveprévaloircontrela presqueévidencedu rapprochementproposéparKirchhoiT.Onpeutadmettreouquela légendede la vengeanced'Orestea été long-tempspopulaire,o«quelediscoursde Zensa été remanié,lorsqu'ilfatincorporéà la Télémachie.
80« CHAPITRE V. – ANALYSE DB L'ODY8SÉE
son des doux passages ne permet guère do douter quecelui du XXI*livre ne suit l'original. La journée «a ter-mine avec le banquet quelques paroles échangéesentre Télémaquo et les prétendants accusent plus for-tement peut-être l'hostilité déjà connue; mais on est
surpris d'entendre le jeune homme, en annonçant l'as-sembléodu londomain, révélor d'avancece qu'il comptey faire, et par là détruire lui-mômeun meilleure chancodo succès. C'est l'indicod'une cortaino faiblessud'inven-tien qui paraft d'autours dans tout ce promier livre t.
Le second a pour sujet principal VA$m»We('ltontu-oîuvetyopcS,),dont le départ do Télémaquo (TtiX«;iiyouetao&npfoforme la suite naturelle. Point do dissonancenotable à lignaler dans ce livre Le poèto représentehabilement dans une sério do discours la variété dessontimcnts quo la discussion mot en jeu. Télémaquedénonce au peuploles violencesdes prétondants; mais,malgré les encouragements do quelques amis, il n'ob-tient rien, pas mêmo lo vaisseau qu'il domande pouraller à la recherche de son père.
Dans ce débat plein de mouvement, chacun des per-
sonnagos voit los choses selon sa situation ou ses pas-
sions, et tous disent avec force et naturel ce qu'ils ont
à dire. Toutefois il s'en faut do beaucoup qu'aucun des
caractères soit mison relief avec la grandeur qui éclate
dans lo premier livre do l'Iliade Après quo l'asscm-
1. Je ma rallie aujourd'hui à l'opinion de Kirchhoff (Odyuée. Ex-cars. I), qui veut que la plus grande partie du i- livre ait été com-
posée après le second et par un autre poète. Sa démonstration me
parait concluante. Cf. Wilamowitz. ouv. cité, p. 6 et auiv., où cettedémonstration est encore confirmée par d'excellentes remarques. quifont voir dans l'auteur de 1**chant an médiocre imitateur.
t. L'interpolation la plus considérable est le passage du discoursd'Anlinoos (v. 93-110),dont l'original est mis ailleurs dans la bouche
de Pénélope elle-même (XIX, 138-156).Voyez Kirchhoff, Odyssée, note
relative à ce passage.3. Parmi ces personnages, celui de Mentor est a remarquer. Aux
LIVRES MV 965
Idée a'ost dissoute, Télémaquo, dont toutes los tloman-dos ont été ropousaôos, ho rond tristement au bord dotn nior comme Achille après la querelle, ot là il priaAthàtté du lui venir on aide. La rvssemblaura avec['Iliade est ici frnppanto. ot elle permet de croire qu«l'iiuitutiuii du promior chant do ce poème n'a pas poucontribué à suggérer à l'autour do la Télèmachie cettescèno de VAssemblée, qui a»t inutile à l'action propre-ment dite, mais qui mot en relief los caractères. GrâceIl lu déosse, qui proiul los traita do Montor, lïilétnnquoh»prueuro ba moyens d'entreprendre son vtijugu; lu l!u•lu livre II nous fait assister a ses prépuralifs ot à son
départ; sujet màdiucro en lui-mémo, dont lo poète a tiré
parti non sans habiloté.
Télémaque so rend d'abnrd à Pykis chez Nestor, ot Jo
séjour qu'il y fait ost lo sujet du livro III (x&îv 1IÛX<;>).L'arrivoo du jounn homme ot do sus compagnon)*, la
description do la fête célcbruo par Nestor en l'hon-nour do Poséidon, l'accueil du vieux roi et ses récits,la disparition d'Athèné et to sacrifice qui lui est offert,enlin le départ do Télémaquo pour Sparte ou formenttes épisodes. Aucune interpolation grave dans co récit.Considéré dans son ensemble, il se relie naturollementau livre précédent comme au suivant. Onno peut douterque ce n'aient été là dès l'origine los parties d'un mêmetout. Le dessein du poète de la Télémacitie se poursuit.Télémaquo étant son héros, il lo grandit ingénieu-sement, en nous le montrant si bien accueilli par le no-blo Nestor. Nous nous habituons ainsi à voir en lui ledigne fils d'Ulysse. La représentation dos mœurs et
ver*22*et sutv., il est dit qu'L'iyaseen partant lui avait confiélegouvernementdeIl maison.Celanea'accordenullementavecla se.condepartiedu poeiusoiil ne joi» aucunrôle. I .'autoura» \t, tm-maoAi«laconnàinaitcependant,maisil se souciaitpoudetant d'exac-titude.
866 CHAPITRE V, ANAI.YSK DK l/ODYSSÈK
des caractères, moins dramatique que danaI'd«NMi6/fr
«lu livra Il en raison même «lu la différence des ttu«-
tion», est pourtant agréable par un naturel «mplo et
gracieux, qui décèle lu «nôme art, plu» ingénieux que
vigoureux.Au quatrième livre, TY'lémnquoarrive uSpurto, clioas
Ménélas. «îolui-ci est on train do célébrer to double ma-
ri»go do son fils et de aa (ille. La magnitlccnco do son
pnillii et collo do la fèto w»ntdécrites avec cumplaisaucu
par le |wiôte. Télémaquo, reconnu pour lu IIU d'Ulysse,
oal accueilli avec joie Ménélfts et Hélène hofinit un plut-
sir do louer devant lui hiih phro. puis, quand il aW
ropoiô, Ménélas lui raconte o.oqu'il a lut-ntéino appris
de la boucho du dieu Protée au sujet d'Ulysso. Il no fau-
drait pas concluro de l'ôtt-ntluotlo acsrâciU quo la nar-
ration primitive ait iH«'*plus tard développée. Los avon.
tures gluMonélns ont paru a l'auteur de ta TM'mac/iie
un sujet, flpiswliquo hiuis doute, mais fort propre a in-
térosBor ses auditeurs par lonr curactèro fantastique.
La façon tn«Wn«doi.l il présoulo Ménôlas, la splondeur
dont il l'entoure, tout exige quo les récits mis dans sa
bouche aient une certaine ampleur ot quoique chose de
merveilleux. Après ces récit», la narration est interrom-
pue inopinément. Télémaquo, qui annonce son intention
do repartir aussitôt (v. 590) et qui reçoit même do sos
hôtes les présents dir départ, va cependant rester un
mois entier à Sparte. Il ne se remettra on route qu'au
livre XV, oh la scène des présents sera répétée textuel-
lement. Maladresse évidente, mais nécessaire, si la
Télémachie, comme nous le ponsons, a été composée
après le reste du pofcmo.Télémaque en effet no devait
pas rentrer à Ithaque avant son père, puisqu'il n'avait
aucun rôle à y jouer en l'attendant; et, d'autre part, le
poète ne pouvait juntifior par aucune raison acceptable
la longue durée do son séjour à Sparte. Il a préféré la
LIVRESHV 807
dissimuler phi.> oumoins habilement, et c'est en sommo
ou qu'il avait do mieux à faire. Nous noua éloignons(Uhwdo lui brusquement, et nous revenons sans lui ft
Ithuquo. Les prétendants s'aperçoivent Je l'absence de
iVloinaquo; il* s'entendent pour le perdre à son retour,
Al,dans cedossein, préparent une embuscade Leurs
préparatifs révélés ftl'énèlopo pur Médon In remplissent
d'inquiétude. Maiselle est rassuré» en aongo parle fan-
lottip do sa sœur Iplilimé mio lui envoie Aligné. Ainsi
i<hIexposée coiiiplètoinciit la situation sur laquelle ao
ttiritiino rinlnulurlMm du poèine.|lu tout cola rossortoiît les qualités et los défauts qui
sont propres à l'autour docotto introduction. Sa manière
cM plus narrative que dramatique, ot d'une ubundunco
un pou prolixe. Los curaclùros do Ménélas et d'IlûKuio
pliu'Huntau lecteur, et toutefois il y a chez l'un ot l'un-
hv, mnis surtout cliez Ménôlas, un certain abus do pa-
rôles, un goût do déclarations exagérées, qui truiieho
avec, la simplicité d'autres parties du poèrneSitns ontrer encore duns l'élude du la limitation do
{"Odyssée,qui fera le .sujet du chapitre suivant, nous
avons deux choses â retenir coinnio résultat principal•lu l'analyse do cos quatre premiers livres. D'une part,ils interrompent mal à propos l'action commencéo ait
début du pobmo par l'assemblée dvs dieux, et par là ils
se désignent eux-mêmes comme l'cjouvre d'un ou do
plusieurs continuateurs. Leurs caractères propres témoi-
gnent égaloment do cette origine; c'est une poésie été-
1.Uncurieuxindicede l'dgerelativementrécentde cettepartiedu
poômoa été relevépar Klrcbhoff(notedu vers 640).Il est fait allu-siondanscev«r»Eumée, qui n'est pas nommé,maissimplementappelûleporcher,ouStâtr, Celaest très simplepournousquiavonslu lasuitedu poèmeet qui connaissonsparconséquentle porcheret
t importancede sonrôle; mais il était impossiblequ'ons'exprimâtainsiavantquecettesuite fûtconnue.
2. Voyez notamment v. 404-110 et 469-182.
908 UHAPINIK V. ANALYSE DK I. 'ODYSSÉE
gante, facile, qui a do la grâce et do la vie, mais qui
manque do forceot do coneiaian. Le» comparaison»ysont rares ot pauvret. Le don du pathétique»,qui est ai
remarquable chez la poèto des livres V,VI et VII, fuit
surtout défaut a l'autour du premier chant. il point dos
situations touchantes sans nous toucher réellomont. Si
l'autour dos chanta primitifs do VOdyuto avait ou fin.
tention do donner à ses récits une introduction do cetto
sorte, il est hors do doutoqu'il l'ontfaite bionplus couru*
et par là mémo bien plus émouvante. Sa grande imagi-
nation, voulant poindre l'audaco dos prétondants et lo
pillago dos richesses d'Ulysse accomplisous les yeux du
son fils, lui aurait fourni sans poinodos traite bien au.
tromont énorgiquesotorigiimux. Nons concluonsde là
sans hésitor quocesquatre livres sont une addition aux
chants primitifs. Mais,d'un autre coté, nous nous rofu-
sons à croiro qu'ils aient oujamais une exiatence indé-
pondante L'idée d'une Télémachie, d'aborddistincte'do
l Odyssée,ol plus lard réunio &co poèmo.doit être abso-
lument écartée. Quoi qu'on puisso dire, il n'y a pas ma-
tière à unesérie de récits indépendants dans cos quatre
livres, par la raison qu'il n'y a pas d'action. Con'on
est pas une qu'un voyage dont lo principal actour se
borne à écouter ce qu'on lui dit. Les quatre premiers
livres n'ont donc pu ôtro composés quopour tenir lu
place qu'ils occupontt. •
4.Kirchhoff {.ùdyitie. IV,6W, note) suppose que les quatre premier»
livres se reliatonl primitivement au livre XV et qn'ils constituaient
ensemble on rAssttqat a 616pins tard disloqué et dont quelques par-
ties senlemen'. sont entrêes de» l'Odyuée. L'hypothèse est compli-
quée, mais ?He n'améliore en rien l'opinion que noua combattons Ici.
WilamowMz croit aussi à l'indépendance primitive des chants relatifs
aux voyages de Télémaque. Pour t'admettre. il faudrait supposer ao
BKrfa» qw «*• wy-g« » pr«la»g«U«nl M gna l'auUur laUait ainsi
raconter aux chefs achéeos eux-mêmes un certain nombre d'épisodes
de la guerre et du retoura. Rien n'autorise cette hypothèse, et il se-
UVRES V-VI1I 960
II
Avec le cinquième livro, commence la plus belle
purUede l'Odyssée,Ello embrassa los livros V, VI,VII et
pout-etra uno partio du livro VIII. Cequi la caractériseumiiioinmoiii,outro la force créatrice de l'imagination,o'ostle don du pathétique.
l'our la reconstituer, il faut naturellement faire dis-
piu-uilro la scèno de la socondo assemblée des dieux uu
début du cinquième livre (v. 1-28); simple raccord, fait
du vers empruntés, qui ont été arliflciolldinent soudés
ttt* ttns aux autres'. Cette scène écartée, nous l'qirouous,
|iutir lu remplacer, la scène analogue, que nous avons
dt'jù rencontrée et admirée au début du premier livre
i'IIo se rallacho en effet, sans la moindre difficulté, a
m qui suit Dès lors, tout marcho à souhait. Zous eu-
voie Hermès u Calypso pour lui ordonner do laisser par-tir celui qu'elle retient. L'ordre est porté, et le poète
proittl soin do nous décrire les oiicliantoinonts do i'îlo
tl'Ogygio, avant do nous faire voir Ulysso assis à l'écart,
dédaigneux do tout ce qui pourrait charmer ses yeux,
pleurant sur le rivage, et regardant au loin & travers
rait surprenant quo de tels récits eussent étO délaissés et perdus,quanti VOdyuie eo constitua.
t. Tout le discours d'Athéné (v. 7-20) se décompose ainsi 7-13 =II, 230-836; 13-17 = IV. S5G-560;18-20 = IV. 700-702. Ce n'est rienautre chose qu'un centon.
2. Il ne serait pas surprenant certes que, dans les remaniementssignalés, plusieurs vers eussent disparu. M. Kirchhoff a montré ingé-ni.:us«iueut qu'il suffisait d'un seul vera pour raccorder le vers 87 dulivre I au vers 29 du livre V, en supprimant la Wimachie qui les sé-pare aujourd'hui; et pour rendre la démonstration plus sensible, ilrétablit ainsi Gavwb, par «mj^inre, es l'empruntant à V!Saie{X7ï,ii* comme une des formates usuelles de l'épopée: 'Q; ïfxt*. ovS*ir.iirfli r.xiTfi àvîpàv ti Otùv w atyu â'à'p' ». t.i.
Efat. o~r
870 CHAPITRE V. – ANALYSE OS L'ODYSSÉE
l'immensité do la mer. L'impression est saisissante;l'homme nous est immédiatement révélé.
Les plaintes do Calypao on réponso au message d'Iler.mes siint en quelque aorlo l'exprossion sensible do lu
dure captivité qui posait sur Ulysse. H faut quo nuus
sontiuns combien le lion est difficile à rompre pour quelu délivrance du héros ait toute son importance morale.
f/ordro de Zous met fin à la rûsislancode Calypso, mais
le ponte a soin que la volonté pcrsonnollo d'UIysso so
manifeste aussi dans cette rupture. La déesse vient a
lui, paréo, ploino do séductions, cllo lui annonce qu'ilest libro et qu'il va préparer son départ; et, comme il
doute, elle confirme sos paroles par les serments les plussolennels; mais en mémo temps, elle cherche &lui ins-
pirer le regret do co qu'il va faire et ello veut lui faire
sentir combien Pénélope lui est inférieure en tout.
Ulysse se montre tout entier dans sa réponse. Ce que
Calypso lui dit, il le sait, et il en convient sans diffi-
culté. Oui, la traversée est pleino do périls; oui, Pénis-
lopo n'est qu'une femme, et elle ne peut se comparer ù
une déesse; mais, malgré cela, ce qu'il veut, ce qu'il es-
pero, c'est de rentrer chez lui, c'est de voir luire lo jourdu retour. Cette noble obstination de l'homme dans los
sentiments humains, cet attachement du mortel à ses
affections morlelles, voilà dès ce début la source pro-fonde du pathétique.
Ulysse se met à l'œuvre. Il fait son radeau do ses
propres mains. Il part, et le voilà seul sur les flots, as-
sis au gouvernail nuit et jour. Dix-sept jours se pas-sent la terre des Phéaciens est on vue. Alors Poséidon
entre en scène. Il aperçoit son ennemi qui va lui échap-
per par son ordre, la tempête se déchaîne, et Ulysselutta contre les éléments bouleversés. Cette lutte ad-
mirable, c'est toute la seconde moitié du récit. Avec
une imagination aussi puissante que docile à l'idée pre-
LIVRES V-VIII 87i
inièro, le poète en varie les péripéties, non pour lo plai-sir do décrire, mais alin do mettre on lumièro ploiuo-
iiiont la nature morale do son personnage. Pour lui»
Ulyssoest tout. C'est lui qui attire nos regards au mi-
lieudos flats ses émulions, une à une, so répètent on
nous; nous partuguons son accabloiuent, nous nous as-
socions à soa doutes ou à ses résolutions, noua jouissonsdosoi» courago, et à la fin nous triomphons do son su»
ct's lorsqu'il touche le rivage, lorsqu'il adressa au (louve
hospitalier uuo si touchante prièro et lorsqu'il t>mbra»so
IMutiseiiiont lo sol nourricier.Itiou de suspect dans tout co beau récit, que quelques
vers isolés et i?ans importance. Nous nous sentons la
en présence de l'wuvro d'un poète créutour, impres-sion qui ae conlinuo dans les livres suivants.
Les livres VI et VU font étroitement suite au livre V.
Maisautour du personnage principal, toujours lo menu1,Il, scène chango à vue d'inil, do façon à nous char-
mur par la plus agréable diversité. Au lion de lu
uusr et do la lompelo, le calme d'une hello campagne,lus rives d'un fleuve largo et fécond; puis l'uctivilé tou-
jours intéressante d'une grande et richu ville maritime,
un port, des chantiers, une agora, et à l'écart un su-
perbo palais aux portes d'or et d'argent, paisible et
pourtant joyeux au milieu des riches vergers qui l'en-
tourent >.Tel est le fond du tableau. Quant aux person-
nages, l'imagination du poète n'est pas moins heureuse
pour les créer. C'est d'abord la jeune et gracieuse Nau-
t. Loiraisonsqat ontdéterminé MM.Friedlander(Philologue,1831,p. 669et aulv.)et Kinhhoffà considérercommeuneinterpolationla
descriptiondeavergersd'Alkinooset cequi précèdeimmédiatement(v.103131}ne meparaissentpaeconcluantes.Lechangementdetemps(leprésentsuccédantAl'imparfait)estun simpleprocédéde styledesplusnaturala;«t il n'ya rien a induire d«<w<jh«I*pnAto«Mrritdonchosesqu'Ulyssenepeutvoir;car cetteremarques'appliqueraitaussibienà ladescriptionprécédentequel'on nesongepas à suspecter.
873 CHAPITRE V. – ANALÏSB DE L'ODYSSÉE
aicaa entourée do ses compagnes. La scèno célèbre oùelle accueille Ulysso est vraiment admirable par la vivo
lumière qu'elle jette sur le caractère du héros. Dans
cette nature si énergique apparaissent ici tout naturel.
lomont la douceur, lo respect pour dos jeunes nilos, undon de porsunsion incomparable, quelque chose do eu-
rossant dans lo tangage, ot une touchante fierté jusquudans ta supplication la plus humblo. C'est unu sortedo repos quo cet ontrotion après l'action tourmentéedu livre précédent, mais un repos qui est encoro pro-fitable au développement du caraclèro principal.
l.csscènos suivantes, c'ost-a-dire l'ontréo d'Ulyssndans la vilto dos Phéacions, son urrivéo au palais, l'ac-
cueil du roi Alkinoos ut do la roino Arèté, nu sont pasmoins profondément empreintes du dessein original «litl'autour. Au milieu des descriptions, c'est toujours lo
personnage d'Ulysse tlui prédomina. Assis on suppliantdans lu coudre du foyer uu invité par lu roi u prtmdro
pluco auprès do lui,, il garde sans effort su dignité nntu-
relle. Quelque chuso do supérieur, qui est on lui, lu ro-
lève du son humiliation et so fuit sentir soit duns lu
beauté simple de sa prière, soit dant la gravité forle cl
modeste de son récit.
Toutefois c'est avec ce premier récit d'Ulysse (VII, 241
et suiv.) que commencent d'assez sérieuses dillicullôs.
Tout d'abord 10 début mémo de ce récit, par certaines
maladresses évidentes trahit un raccord Puis Alki-
noos promet par doux fois à Ulysse do lo faire recon-
duire chez lui le lendemain matin (Vil, 189-191 et 318).
1. Comparer les vers 2(4-216 et 2SI-255.2. Ii est fort probable que M. Kirchhoff a très bien vu en suppo-
sant que primitivement les récits d'Ulysse (1. IX-XIII), ou du moinsles parties anciennes de ces récits, étaient placèea là. Mats il a tort, je
croie, de suspecter la fin dn livre VII, qui, même eu ac«ï-u.r.i s
supposition, se justifie de la manière la plus naturelle.
LIVJRKS V-VIII 873
Hi*.<hla Litt.Clreoqaa.– T. r. 18
Or en réalité Ulysse passera chui les Pitéaciens toutela journée du lendemain à des jeux, il emploiera la nuitsuivante on récita, et en définitive no partira que le sur-lendemain soir, sans quo ce retard s'explique d'aucunemanière. Il paraît donccertain quo cotto partie du poèmoa du être allongée. peut-être même a plusieursreprisoa,
H est fort difficile do dire quelle part doit être faite àces romaniomonts dans la tin du VU*livre, et ce qui aété tenté à cet égard n'a qu'une valour trop conjecturale.Hnrevanche, la plus grande partie du huitième livre peutliiuu être considérée comme formée d'additions, car toutou presque tout yest purement épisodique. C'est une sorted'intermèdo entre l'arrivée d'Ulysse et ses récit», «t unno peut nier que les scènes dont il se compose, quoiquo soit le mérite propre de quelques- unes, no fassontlonguour dans l'onsoniblo. L'assemblée dos Phoacions(VIII, 1-45) n'offre que pou d'intérêt, «t Athèné y jouemmsnécessité lo rôle do héraut (v. 7}, comme au secondlivro de l'lliade. L'épisode du premior chant de Démodo*cos(v. 02-93) est uttuchaiU, et l'on a eu tort de considérerla peinture do l'émotion d'Ulysse comme une irtitation|mslériouro du passage analogue qui se trouve à la Gndu mùmelivre (v. 521et suiv.),carc'ost surtout par l'effetproduit sur Ulysse que ce premier chant nous intéresse.La description des joux, bien que peu utile à l'action,est adroitement combinée pour mettre en relief à la foisla fierté d'Ulysse, sa force et son adresse. En revanchele récit des Amours d'Ares el d'Aphrodite, mis dans labouche de l'aède, est entièrement étranger au sujet;on outre, cette sorte de satire, légère et moqueuse, dontles dieux sont l'objet, semble bien peu d'accord avecl'esprit de gravité religieuse qui règne d'ailleurs danstout le poème et il faut ajouter que ce morceau estloin de se relier naturellement à ce qui précède, carde toute façon un tel chant no peut guère être accom-
274 CHAPITRE V, – ANALYSE DE L'ODYSSÉE
pagné dune danse. comme cela résulte de la forme ac-
tuollo du récit. Des critiques anciens, comme l'attos-
tout les scolies, en suspectaient déjà l'origine. Il y a
donc lieu de le considérer comme intercalé après coup
dans l'ensemble du'livre VIII.
La fin de ce livre nous offre le tableau du repas du
soir et nous fait assister à un second chant de Démodo-
cos, qui provoque encore l'émotion d'Ulysse. Cotte émo-
tion éveille la curiosité amicale d'Alkinoos, et ainsi est
amené dans le poème actuel le commencement dos ré-
cits d'Ulysse, que ce huitième livre prépare, avec une
intention évidente, mais un peu longuement.
III
Les récits d'Ulysso choz Alkinoos ('AXxivoo«forait)forment dans l'Odyssée un groupe do chants des pluscurieux à étudier. C'est là en effet que nous saisissons
pout-ùtro le mieux la diversité des éléments qui ont
constitue le poème.Le neuvième livre comprend les épisodes des Kicones,
des Lotophages, des Cyclopes. Les deux premiers sout
présentés sous une forme'sommaire, sans qu'aucune des
scènes particulières qui les composent soit développée.H semble que nous ayons là sous les yeux un spécimende la manière narrative qui devait être en usage avant
l'épopée homérique et qui probablement se maintint
assez longtemps encore à côté d'elle. L'épisode du Cyclope
(KuxXwwta)commenceà cet égard commeles précédents,mais presque aussitôt la forme change le récit s'élar-
git et s'anime, et, au lieu d'une simple esquisse, nous
voyons se dérouler une admirable narration, à la fois
descriptive et dramatique, qui met en scène des person-
LIVRES IX ET X 375
nages pleins do vie. D'une part, la férocité du Cyclope,sa naturo bestiale, et, parmi ses instincts sauvages, unattachement touchant pour les animaux qui partagentsa misérable vie; de l'autre, les émotions des compa-gnons d'Ulysse, lours angoisses, le courage du héros,sa ruse, son sang-froid, et à la fin cette imprudencehéroïque qui lui fait braver un danger inutile pourinsulter son ennemi. Malgré cette différence profondeentre le* parties du neuvième livre, il est difficile docroire qu'il ne soit pas tout entier du même poète etqu'il n'ait pas été conçu en une seule fois; mais ce poète,solon toute vraisemblance, travaillait sur des récitspoétiques antérieurs qui lui servaient en quelque sortede matière >,et tandis qu'au début il s'y attachait avecune sorte do timidité, dans l'épisode du Cyclope au con-traire il s'est livré hardiment à son inspiration 1.
Le dixième livre a dans son ensemble un caractère
beaucoup plus fabuleux que le neuvième. Les inventionsy sont plus merveilleuses, quoique moins dramatiques.C'est d'abord le séjour d'un mois dans l'ilo flottanted'Éolo et le don que ce dieu fait à Ulysse d'une outreoù sont renfermés les vents contraires à son retour. Ilest à remarquer qu'il n'y a aucune trace dans le restedo l'Odyssée do la domination attribuée ici à Éolosur lesvents (v. 21-22). Nous avons donc affaire visiblement àune fiction mythologique moins ancienne que les récitsprimitifs. En outre, d'un bout à l'autre de la narration,
1. Kayser{Abhandhmgen.p.34)a remarquéfort justementque,danstouscesrécits d'Ulysse,Athénénejoueaucunementlerôledeprotec-triceacUvequ'ellea dansle restedupoème.C'estlà une différencetrèsfrappanteen effet,et il est biendifficiled'en rendrecompteau-trementquepar la diversitéd'origine.Cf.plus loin,p. 886.2. Onentrouveunepreuvedansle débutmêmede cet épisode.Le
poètey décritlesCyclopesd'aprèsunedonnéeévidemmenttradition-nelle(v.103-H3),dontil s'écarteradansla suiteasseznotablement.Lesmotso08*ôXXiîXmv&4r<>umvde cepassagenesontpas en confor-mitéavecles vers399et suivants.
876 CHAPITRE V. – ANALYSE DE L'ODYSSÉE
règne uno insouciance vraiment étonnante dans l'in-vraisemblable. Ulysse s'endort juste au moment où il
aporcovait déjà la terre d'Ithaque (v. 29 et suiv.); puisil raconte en détail ce que ses compagnonsont dit pon-dant son sommeil, ce qu'il n'a pu ontendre par consé.
qnont*; enfin les vents déchaînés ramonentprécisémentle vaisseau en arrière a Vilo flottante qu'il a quittéedepuis neuf jours. C'est là un merveilleux inutile, pu-rement artificiel, et fort différent de celui du livre pré-cédent. – Lemôme caractère est sonsiblodans l'épisodedes Lestrygons qui suit immédiatement (v. 77-132).
Ulysso raconte encore ici co qu'il n'a pu voir par lui-mémo ni apprendre do personne (v. 103 et suiv,); ettandis que les Lostrygons sont dos géants anthropopha-ges, la fille du roi Antiphato ne se distinguo en riendes femmesordinaires (comparer lOo-ilO et 111-112).En outre l'épisode dans son onsemble n'est qu'une va-riante de cclui du Cyclope,mais uno variante sans va-leur originalo. Fuyant avecun seul vaisseau, Ulyssearrive dans l'ilo d'.Eajn, qu'habite Circé. Il faut noter
ici, en passant d'un épisodeà l'autre, la monotoniedestransitions (IX, 565; X,78 et 133) qui sont copiéesuni-formément sur le vers 103du neuvième livre (IvQcvU
Twforépo)7cXéoji.6vaîx*/Yi[t£vo'.r/roji).C'est co dixième livre,à vrai dire, quirend impossibletoute géographiede l'O-
dyssée,parce quesonautour n'en a eu aucune lui-mêmedans l'esprit, à la différencode celui du neuvième livre,
qui se représentait avec une certaine précision l'itiné-
i. M. Kirchoff a cru voir dans ce fait la preuve que ce récit n'était
pas primitivement dans la bouche d'Ulysse, et il a cru qu'une appro-
priation maladroite lui avait donné plus tard sa forme actuelle, en
substituant la première personne à la troisième. Cette appropriationtoute mécanique me parait fort difficile à admettre, et l'hypothèse est
vraiment bien inutile, puisqu'elle ne supprimerait qu'une seule invrai-
semblance dans un récit ou l'invraisemblable abonde.
LIVREX «77
rairo de son héros ». La trait caractéristique de l'épisodede Circé, c'est la magie, qui ne figure nulle part ailleurs
dans YOtjysiée*. Muis, outro cela, la récit ao distinguo des
parties anciennes du poème par les mômes caractères
que nous venons déjà do signaler. Là aussi Ulysse ra-
conte ce qu'il ne peut savoir, et là aussi le poète se con-
tente d'amuser son public sans aucun scrupule de vrai-
semblance. L'intervention dos dieux ost pour lui un
simple procédé qui le dispense d'invention s. Les inci-
dents, les détails curieux, tels que la description des
quatre servantes do Circé (v. 348 et suiv.) ou la ntôla-
morphoso dos compagnons d'Ulysse (v. 391 et suiv.),
romplissent presque tout le récit, aux dépens du vérita-
ble intérêt dramatique, qui est très faiblo. Nulle étude
profonde do sentiments, ni chez Circé, qui reste si in-
férieure à Calypso, ni chez Ulysse. Il y a plus l'oubli
du vrai caractère du héros ost manifeste. Tandis quel'autour du cinquième livre nous le montrait chez Ca-
lypso uniquement préoccupé de son retour, co qui est
la donnée essentielle du poème, celui du dixième livre
nous le fait voir endormi dans le bien-être et ne son-
geant au départ que sur les instances pressantes de ses
compagnons (v. 467 et suiv.). C'est avec la même indif-
férence à l'égard des vraisemblances et de la partiemorale du sujet que le poète invente l'épisode final, où
1.Ératosthène disait, selon Strabon (I, p. 3t, Meineke), que pour dé-terminer l'itinéraire d'Ulysse, il faudrait d'abord retrouver l'ouvrierqui avait cousu l'outre où étaient enfermés les venta. Il y avait beau-coup de vérité dans ce bon mot; car une fois l'outre ouverte, noussommes perdus.
2. Il est à remarquer qu'en effet Circé n'opère pas ses métamor-phoses par un pouvoir divin qui soit en elle, comme font ordinaire-ment les dieux homériques, mais à l'aide de drogues et d'une baguettemerveilleuse, ce qui constitue proprement la magie. De là l'épithète deiroX-jjipiiaxo;(X, 876)qui est caractéristique.
Z. Rftle inutile d'Hermès, r. 27S et saiv. Notez surtout les vois 303-306. Merveilleux inutile et tout artificiel v. 570-574.
978 CHAP1TRK V. – ANALYSE DE L'ODYSSÉK
Circé fait savoir à Ulysse qu'il doit ao rendre chez lesmorts pour consulter Tirésias. Aucune raison valablen'oit alléguée à l'appui de cet ordre qu'Ulysse accepteen gémissant, mai» sans la moindre discussion, 11ost
trop clair quo le poète so propose ici tout simplementdo rattacher son propre récit à un récit antériour, celuidu voyage choz les morts, que nous allons étudier danslo livre suivant.
On voit déjà quo lo dixième livre dana son ensemble
ost unoaddition manifeste auxchants primitifs. La vraienature de cetto additionnousappuraHra plusclairomont,lorsque nous retrouverons le personnage de Circé audouzièmelivro.
Le livre XIest rompli toutonliorpar lo voyaged'Ulyssechezlesmorts(proprementlo Sacrifice nuxmorts,NéVuui).L'ensemble on est égal aux beaux récits du nouvièmelivro: mémo simplicité d'invention, mémo naturel etmôme pathétique dans les sentiments, mémo conduite
dramatiquo du récit'. Quolquospassagesajoutes au récit
primitif se laissent aisément reconnaître, ot il suffira
quo nous les signalions chemin faisant. Dès le début,une vingtaine do vers do raccord ù noter; quand le di-xième livre a été inséré dans lo poème, ils ont servi ù
le rattacher ù celui que nous étudions. Aussitôt après,commence le développement narratif original. Ulyssesacrifie, et les morts accourent en foule autour de l'au-
tel multitude confuse, décrite en quelques vers pleinsd'effroi et de pitié, dont Virgilo s'est souvenu pour les
traduire. Parmi les morts, est Elpénor, compagnond'Ulysse,que nous venons de voir périr par accident à
la fin du dixième livre dans le palais de Circé tout ce
qui le concerne (v. 51-83) est donc lié àcedixième livre;
1.OnpeutliredanslesOpusculapMlologicadeKœchly,t. IT,p.393,uneiniéressauloétudôsurceXI*livreia YOigsstevoire»wi*«»lesBorner.Unttnueh.de Wilamowitzlechap.spécialquis'y rapporte.lea8omer.Unlerauch.doWilamowitzlechap.spécieiqnts'yrapporte.
LIVRE XI 870
et, on fuit, la moindre attention dûmonlroque «otôpi-soilono tient pas au roato du récit, avao los dotmt<ea
duquel Hest absolumont on désaccordt. Maisvoici, aumilioudu lu foulo, Aitticlée, la nuVo d'IUyano twlui-eil'i'carto tout d'aburd, bion à cuulro-eiuur, pour «coûterTirésias.
La roponso du vieux dovi» Bombloavoir été altâréoussoe gravomont, Ulyaso,à ce moment, ignora encorequel dieu lu poumuil du sa culèru; ildumando <|iiollopuissaiicolui forme lo cltoinin do mn pays, Tin'-slastldil dune-d'«lw>rdlui noutiner mnennemi, – et c'estcequ'il fuit doua los premiers wm dosa répo»su(v. 101-102) puis, lui apprendre comment il l'apaisera, – etc'est lo sujet du la dernière partie de sondiscours (v. 121•
llii). Maisaujourd'liui ces deux morceaux no ao raccur-«loiilpas, et ils sunt aépares l'un do l'autre par un dévo-loppouumtsurrinimitiô d'IUMiosotaur lu mort dos pré.tendants. Codéveloppement,étudié onlui-même, donneprise à dos critiquoa sérieuses, et de plus il vise doschoses qui semblent étrangères au groupe dos chantsprimitifs. Il y a donc lieu decroiro qu'il a été inséié làtardivement et qu'il en a chassé un passage qui manqueaujourd'hui.
Alors a lieu la magniGquo scène entre Ulysse et sa
inèio, entrevue profondément touchante, et l'une des
belles inspirations do l'épopée homérique (v. {52-224).Le contraste est grand entre cet entretien pathétiquoet le long épisode du défilé des femmes illustres (v. 226-
332), qu'il parait impossible dfattribuer au mémo poète.
i. Ulysse s'entretient avec Elpénor, bien qu'il ne veuille adresser laparole à aucun mort avant d'avoir interrogé Tirésias et qu'il écartemême sa mère pour consulter le devin. Elpénor parle, t \nsavoir hate sang des victimes. Enfin on retrouve dans cet épiuode l'espritsceptique du poète qui se plaît à faire ressortir lui-méme les luvrai-sâmMaucea de son récit (v. 88). C'est bien le même qui au <X«livradécrivait à sa façon le Mol// (X. 304-306).
**0 GHAPITRKV. – ANALYSEOK L'ODYSSÊ'E
C'eut on réalité un simple catalogue ou dénombrement
h la manière Iiôaiodiqui'.aantrUiiidodramaUquo,Uly*«t>
nejouodani tout ce morceau aucun râle effectif; il est
là comme un «impienomenelatuur, et lo poète ne nous
apprend rien de ao»sonlimonts, ce qui ost justement lo
conlrniro de la manière liomériquo.Los récits d'Ulyaso ont déjà rompit doux livrai et
demi sans interruption. Uno court» suspension a lieu
âpre* lodénatnbromentdo» femmes, par conséquent au
milieu môme do haMxutx(v. 328-3H4).Gummo cotte
scènnépîsndique ne paraît avoir d'autre objet quo de
dégager Alkiuoos do sa promesse du VII*livra on mou-
lant d'un jour le départ du héros, il y a lieu do croiro
qu'ello a été insérée là, lorsque l'allongomont gradueldu récit primitif eut rendu l'accomplissement do celte
promesso impossible.La second»partie do la Ni'xwt a pour sujot los entre-
vues succossives d'Ulyssoavec ses anciens compagnonsd'arme», Aganieinuon,Achille, Ajax«.Toute»cesscènes
sont pleines do sentimentsjustes et profondu,sans mer-
voilloux inutile, toutco qu'elles ont do pathétiquo étant
tiré do la nature humaine. On est ému de la tristesse
qui ptY*osur ces grandes Ames, do leurs souvenirs, de
leur attachement à leurs affections terrestres, enfin de
leur regret de la vie1.Laplainte d'Achillo est admirable;
la sombre colère d'Ajax ne l'est pas moins. Maisaprès
qu'il s'est éloigné sans parler, commence un morceau
bien différent (v. 865-626).C'est unedescriptionde quel-
ques personnages mythologiques fameux, punis ou non
dans les enfers. Cemorceau est en désaccordmanifeste
t. Elle commence au yen 385 par un raccord visible. Le rôle
attribué APersépbonée semble snggorô par le vers 635du même livra,
mais il n'est en accord ai avec ce vers, ni avec la donnée générale,car Peraâphoné est au fond de l'Aidés et ne doit pas paraître ni agir.
S. Le dialogue avec Agamemnon semble avoir subi des additions.
LIVRK XII 881
avec l'ensonibtodo la description, comme les scoliastesanciens foui fait remarquer déjà dans dea notes répé-tées. Jusqu'ici en offet, noua avion* sous loa youx unegrande prairie, d'abord déserte, puis remplie pou à peupar la foule desmorts qui sortent de l'Èrebe. loi au con-traire les poraonnagea dont parle le poète ont néeos-ssiromont un séjour lixe: c'est Minossur son tribunal,Tityos étondu ot lié sur le sol, Tantalo plongé dana soumurais,Sisypho roulant unu ruche pesante sur le flancd'une montagne. Evidemment cos deux conceptionssont contradictoires. Cela suflit à prouver que ce mer.eonua été ajouté à la Nèxui*primitive». Sion le rotran-che purement ot simplement, lesderniors vers du livreXI(628-635)se rattachont sans difficulté au départ d'A-jax (v. 868), et la narration commencée s'acbèvo ainsinalurollemonl.
Colivro se compose donc en résumé d'un récit d'unogrande beauté, dans lequel ont été intercalés trois ouquatre morceaux facilement rcconnaissablos.
Ledouzième livre au contraire ost tout entier d'ori.gino plus réconlo, et nous y retrouvons, h n'en pasdouter, le poètedu livro X avec sa manière propre. Lesévénementsqui le remplissent sont le retour d'Ulysseet«loses compagnonsauprès doCircé, les prédictionset lesavertissements do la déesse, te départ, Tépisododes Si-rônes, celui de Charybdoet de Scylla,l'arrivée dans l'îlede Thrinakié et le sacrilège commis là sur les troupeauxdu Soleil, la tempête, ta mort descompagnonsd'Ulysse,enfin les souffrances du héros lui.même, jeté seulau bout de neuf jours d'éprouves dans l'ile de Calypso
i. WHamowiUle croitd'origineorphiqueet l'interprèteen con-séquence;voirdansl'ouv.citélechap.sur la NekyiaetVuuum1«la paao109.J'yverrai»plutôt,pourm»part,»w allégoriede laviohumaine,qui rappellebeaucouplesmytheshésiodiqueset quipourraitbienêtredumêmetemps.
*88 CHAPITRE V. – ANALYSE DE L'ODYSSfcK
où il doit séjourner sopt ans. Commeau livroX, touticiest fantastique. Le goùl do l'extraordinaire, la roclior-ohodu merveilleux pour lui-même s'y révèlent à cha-
que instant; ol, commuai! dixième livre aussi, ce mer-
veilleux prédomine sur l'intérôl inoral, quiostmédiocro.Avec cola, une géographie purement imaginairu t. La
poète n'a d'ailleurs, ici encuro, qu'un souci extrême.
mont faiblodo la conduitedu récit oldea vraisomblancosde détail, Pourquoi au début ramonc-t-il Ulysseet ses
compagnonscho* Circé? Son seul motif ost le désir do
placor dans ht bouchetle la déessoune prédiction, qu'on
pourrait appeler lo programme du spectacle Il so plutttant à ces morvoilioaqu'il tient à nous los montrer ainsi
doux foisdo suite, en abrégé d'abord et comme do loin,
puis d'uno manière plus détaillée et plus sonsible dans
dos descriptions dont quelquos-iinos sont, il est vrai,d'un grand mérite. Los petites difficultés continuent à
ne pas l'urrôlor. S'il a besoin d'éloigner Ulyssodo ses
compagnons pour que ceux-ci puissent immoler les
bœufs du Soleil, il raconte simplomont quo le héros
s'en va dans l'intérieur de l'Ile prier les dieux do lui
enseigner la route du retour, et qu'il s'y endort (v.333otsuiv.). Quand lesbœufs sont immolés, son Ulyssesait
ce qui s'ost passé entro Lampétié et Hypérion, et, ici
encore, l'auteur, selon son habitude, accuse lui-même
l'invraisemblance par une explication qui l'aggrave (v.
389-390).Ce sont là des traits qui ne permettent pas do
le méconnaître. Songenre d'imagination, songoùt pourl'extraordinaire, ne sonlpas moins reconnaissables dans
la description si peu homérique dos prodiges qui s'ac-
complissent après que les boeufsont été dépecés(v.394-
397). Enfin il faut ajouter qu'il ne se préoccupe guèrede raccorder ses récits à l'ensemble de ceux qu'il déve-
I L'Ileà'Mt&neatàl'Orient,carc'estlàquelesoleilselève(XII,3-1).Il estimpossibled'accordercettedonnéeaveclerentedurécit.
LIVRE XII 883
luppo.Car, évidommont, c'est lui qui a introduit dans
l'Odysséelemotif delacolèro d'IIélio*Hyperja», inconnuau poète primitif. Pour celui-ci, Ulyssen'a d'autre en-noini quo Poséidon qui vongo soit fila Polyphème 1.L'auteur du douzième livre lui on adonné un second,ut c'est lui par suite qui a dû égatamont motlro dans le
|iiiùinoles doux allusionsa cotlo seconde inimitié qui setrouvent, l'uno au XI*livro dans la prédiction de Tiré-sitts (XI, 104-113), l'nutro au premier, dans l'eNordo
(1,0-9)'.Il résulte do co qui précède quo les 'AXxfvw«rtj>.syot
secomposontdo deux récits çntromolés, l'un primitif,qui comprend les livros IXet XI, sauf les intorpolations,l'Autre, plus récent, qui ost constitue par les livres Xet XII ot qui a été relié au précédont par quelques rac-cordsassez facilos à découvrir. Co second récit a pourhéroïneCircé, flllo dilélios et sœur d'Éétes, roi do Col-
cliide, l'un dos principaux personnages de la légendedesArgonautes. Orc'est aussi dans cette parlio do l'O-
dysséeque se trouve l'allusion célèbre aux chants rela-tifs a cette légende (XII, 70, "ApywzSLnjaîJuhjo*).C'enserait assez pour soupçonner quo ces développementsdu récit primitif ont été composés sous l'influence do
poésies contemporaines qui avaient pour objet l'expé-dition des Argonautes. Co soupçon, commo l'a démon-tré M.Kirchholï3,se change presque en certitudo, lors-
qu'onnote cortaines ressemblances tout à fait frappantes
1.Il n'estquestiond'Hypérionni dansl'ansembléedesdieuxdupremierlivre,ni dansle cinquième,lorsqueUlyssequittel'IledeCalypso.Danscesdeuxcirconstancesdécisives,c'estPoséidonseulquiest l'ennemid'Ulysse.VoyeznotammentI, 19,6rolt'tlia:(.mKTOvttcvi«f i llop«8£<t>voc.Lepoètequiparleainsinesaitriendelahained'unautredieu.
2.Ce qui est tout à fait probant A cet égard, c'est que les deux pas-sages en question ro.npent l'ua et l'autre la suite naturelle des idées.
3. Odyssée, 1» parti'}, Exc-.rsus II, p. 287 et suiv.
S)84 CHAPITRE V. ANALYSE »« I/0DY8SÊB
ontro la légende dos Argonautes et plusieurs passagesdos développement» on quoation Ajoutons quo lu ca-
ractèro même du récit eomplètorait encore cette prouve,s'il était nécessaire. Los inventions fantastiques quenous avons notées sont d'un mervoillouxmoins simple
quo les invontions ancionnos doYOdyssée,et il«"estpas
douteux quece goût noao soit principalementdéveloppéon Qrtco aprbs le grand essor du lu poésie homérique,
lorsque l'épopée, i'orcéodo so renouveler, recourait aux
légondos do la Golchidoet de la Thossalie.
IV
Avec le treizième livre, commence la seconde partiede YOdyssée.Les voyages d'Ulysse sont finis; il est dan:)
son ilo et bientôt dans son palais; il y prépare sa ven-
geance, et, quand l'houro en est venuo, il l'accomplit.Cette seconde partie est manifestement une continua-
tion du la première ou du moins des récits primitifs de
celle-ci elle les suppose connus et le poète y fait allu-
sion fréquemment. Mais cotte continuation a des carac-
tères propres, que nous allons essayer do faire ressor-
tir en l'analysant. Le plus remarquable, c'est la lenteur
de l'action et la grande placo fuite aux entretiens quideviennent presque la forme principalo do l'action. Les
grandes qualités dramatiquesy sont subordonnées d'une
manière générale à la peinture délicate des sentiments.
D'ailleurs cette seconde partie est d'une nature presqueaussi composite que la première. La manière dont les
Ois qui forment la trame du récit sont entremêlés sein-
I. M. KtMhhaar&ppraehapsf cscmpteSTeetaiseBt'tpiM<~1. »t. Kîrchfca8rapprochapar exesspieavecraison l'épisode*»
Lostrygonsdu débarquementdes Argonautesà Cyzique,et les ro-chesPUne'.aedesrochesSymplégades.
LIVREXIII 885
ble nous avertir déjà qu'il y a eu là aussi plusieurs tK>s-
soins auccossifs. L'tHudo des détails et l'observation <|e«différences littéraires confirment pleinement o««tlo|>ro-mioro impression, mai» elles ne doivent pas nous faireméconnaître une véritable unité do conception que no-tro analyse muttra en lumièro t>tdunt nous rendrons
compte dans lo chapitre suivant.Lo livre XIII raconte d'abord ta départ d'Ulysso quit-
Imit l'ilo des Phéacions, aa navigation iiuclurnu, son ar-
rivât) a Ithaque où un lo tlépuso oudonni sur ta rivageaveu»80»trésors, et le prodrgo qui traiWormo on rocherlu vaisseau phéacien canfcrrtrt6tttant à un ancien oracle.Cotto promière moitié du livro XIII (v. 1-184) a du êtro
considérée nécessairement comme la On do l'Qdym'el>rimitivo par coux qui lu conçoivent coiniuu un poèmoc(iii)|(Iotet distinct de sa continuation Sans ce coin-
plument on oflbt, co premier poème n'aurait pas do Ai-
luiAinoitt, et par conséquent Cono serait pas un poôrne.Mais si l'on conçoit los choses d'une manière plus li-
bre, analogue a celle quo nousavonsappliquéc à Iliade,il n'y a aucuno raison pour couper ainsi en deux letreizième livre. Au point de vue moral et poétique, lesdeux parties en sont réellement inséparables. La se-condo nous montre lo réveil d'Ulysse dans son Ho,otnous fait assister à son entretien avec la déesse Athèné,sa protectrice, qui vient d'abord à lui sous la formed'un jeune pAtre et bientôt se révèle sous son vrai nom.
L'objotdo cet entretien est manifestement d'introduiredans les chants nouveaux le personnage d'Athèné
qui manquait dans un certain nombre des anciens, etde justifier cette différence, ce que lo poète fait ingé-nieusement. Athèné allègue qu'elle n'a pas voulu com-battre Poséidon (v. 341-343). Mais cette justification
i. C'estl'opinionde M.Kirchhoffnotamment.
8*6 CHAPITREV. – ANALYSEOS L'ODYSSÉE
mônto, tout habile qn'ollo mi, révèlo lo continuateur,uoucii'ux «loraccorder sos propres conceptions, avec h>
plu*do vraisemblance possible, il de» créations poéti-
quos déjà célèbres t. Tout lu treizième livre portod'ailleurs au plus haut degré les caractères qui vont
doiiiinor dans los inoillour* chants do la (lu du poème.Lo rouit y est pou dramaliquo, mais d'une poésie sint-
|ito «t puro, qui a parfois au grandeur ol qui attacho
par la vérité morulu», 1,'autour auplail aux Notionsros-
semblant à la vérité, tollos que lo récit do puro in-
ventiou fait par Ulysseau jouno pfttro. 11est contour
avant tout, et il l'est avec un grand agrémonl. Lo mer.
vcilloux est pour lui un élément traditionnel qu'il om-
gloioa propos, plutôt qu'une ressource poétique au limi
d'cn user, comme fauteur des chants rolatife &Circ6,
pour le plaisir d'olonuor, il s'en sert discrètement pourlos besoins de son récit, mais il n'y attacha aucune im.
portance, parce que l'intérêt a ses yeux est ailleurs.
C'est par la flnossodélicate du sentimont qu'il oxcoIIk,
et la grâce spirituelle est innée ou lui. I/entretion du
héros et do la déesse, si ingénieusement varié dans ses
diversos phases, est à eut égard un véritable chef-d'tâu-
vre, bien que peut-être le charme n'on puisse être com-
plbtoment senti aujourd'hui que par des esprits bien
préparés.Une chose importante à noter, c'ost que cet entre-
tien d'Ulysse et d'Athèné est évidemment une intro-
1. Il est &peine besoin de faire remarquer combien la raison don-
nés par Atliéné est insuffisante attfond. Car antérieurement &l'offense
faite par Mysaa a Poaéidon, elle n'agit pas plus en sa faveur qu'aprô3,
et de plus cette réserve qu'elle s'attribue ici n'est guère en accord
avec l'initiative hardie qu'elle prend dans l'assemblée du premier
livre.2. Aristote \foét. c. Si) a touS î« rscit da débsïqBesMS*, •» remar-
quant que le talent du poéte empêche seul le lecteur d'être choqué de
l'invraisemblance des événements.
LIVRE XIV 287
«diction aux récits qui remplissant la fin du poème. Si
dune,il u été composé avant ces récits, il faut admettre
t|iio coux^i ont été connus dès lors par lo paùlo, sinon
cuinino un puèmo continu, du moins comme un groupe110chants qui devait dans sa pensée comprendre au
moins tr«w actes essentiels auxquels il faisait paravance allusion, lo'JSéjour chez Eumée (v. 401 et suiv.),
VKpraivr damle palais (v. 33S336 et 403-404), et lu
Vengeance{\. 3!li-3(Jli). Nouscroyons que cotto hypo-llt&joest vruio, ot l'analyse des chants suivants lu eon-
111iiiuru
Ulysso, débarqua a Itliaquo, chorcliu d'abord un abri
tluus la campagne; il arrivo choz sun vieux serviteur,luporchor Kumûo, qui lui donne l'hospitalité cette
urrivéu chez Euméo, cet accueil foriiiuut lo sujet du
qunloreièiuo livro, un dos meilleurs du la seconde par-liù dt)l'Odyssée. C'ust un dos actes annoncés, coiniuo
nous venons du le voir, dans l'entretien d'Athoné et
•l'Ulysse au livro précédent. L'intention principalo du
jtnMtisemble avoir été do nous faire sentir d'une ma-
nière dramatique combien les plus (idoles amis d'Ulyssodésespéraient de son retour, au moment môme où il
était déjà ronti é dans sa terre natale c'est lit ce quir url en effet de toutes les paroles d'Euméo, si dé.
ù son maître et 'si découragé. Et on môme temps<ulu aussi mettre en oeuvre cette donnée, si émou-
s par ollo-memo, Ulysse traité en étranger dansson propre domaine par un serviteur excellent qui nele reconnaît pas. Il y a réussi admirablement. Le ca-
ractère d'Eumée, bon, religieux, hospitalier, aussi fidèle
I. Ala finde l'entrottea,Athènédit quelquesmotsà Ulyssede nonfilsTiHémaquequi ostà Sparte(v.413-428),et, quandelle le quitte.c'estlà qu'ellesorendpourl'enramener(v. 439440).Ces-deuxpas-tsgssas peuventêtre quodesraccords,s'il est vrai,commenous lecroyons,quelesvoyagesdeTélémaqueontété composésaprès la se-condepartiede l'Odyssée.
988 CHAPITRE V. ANALYSE DE L'ODYSSÉE
après vingt ans qu'au premier jour, mais on même
temps dôHant comme un homme qu'une longue expé-rience a instruit, est point de la manière la plus déli.
calo et la plus naturelle. Deux personnages remplissentseuls la scène, et il n'y a pas d'action à proprement
parler, car tout se passe en récits. Mais les sentimentsde ces deux personnages et leur situation nous intéres-sent profondément. En outre lo tableau de la vio rus.
tique qui sort de fond à cette scène lui prête un charmetout particulier. Si la longueur des récits n'est pas «n-
tièrement justifiée par l'intention principale qui vientd'être indiquée, c'est que le puète, comme nous l'avons
déjà signalé, se plait à ce genre d'inventions. Remar-
quons d'ailleurs qu'en vue mémo do la récitation, ilsentait certainement le besoin de donner à son récit
partiel une assez grande étendue pour qu'il pût se suf-lire à lui-même et constituer la matière d'un chantisolé*».
Autant le quatorzième livre est facile à embrasserdans son ensemble, autant le quinzième l'est peu. Ce
n'est plus une scène qui se développe régulièrement,c'est un assemblage do pièces et de morceaux. Onnous tranporte successivement à Sparte et à Ithaque,et tout ce va-et-vient ne tend visiblement qu'à relierles situations exposées au commencement du poèmeavec celles qui vont suivre. Le retour de Télémaque
(v. 1-300) forme la première partie du livre. Athèné,
qui a quitté Ulysse à Ithaque après l'entretien du XIII*
livre, arrive à Sparte, où nous avons laissé Télémaque
1. n n'y Aguèreà signalerdansce livre, commeadditiondequel-que importance,queles vers 174-184,relatifsau voyagede Téléma-queà Pylos.Noualessupprimonscommetouslespassagesdumêmegenrequidanscettepartiedu poèmese rapportentà Télémaque,etl'on peut voir,en étudiantle texte de près, que cette suppressionest toutnaturellementindiquéepar la suitemêmedesidées.
LIVBE XV 389
Hiat. de 1» Utt. Grecque. – T. I. 199
chez Ménélas à la fin du livre IV «, Elle apparaît en
songe au jeuno homme et l'exhorte au départ, Au pointde vue moral, son discours (v. 10-42) s'accorde bien peuavec le reste du poème, car il défigure le personnagede Pénélope; et au point de vue littéraire, il offre
l'exemple d'emprunts singuliers. Il a de plus le tort de
nous faire remarquer l'invraisemblable durée du séjourdo Télémaquo à Sparte. Ce séjour a duré en effet tout
près d'un mois, bien que Télémaque eut manifesté dès
la lendemain de son arrivée la ferme intention de re-
partir immédiatement et que rien absolument n'ait mo-
tivé depuis lors un changement d'idée de sa part. La
scène des adieux de Télémaque et de Ménélas ne prête
pas moins à la critique, malgré ses mérites. Ménélas yoffre à son jeune hôte un présent qu'il lui a déjà offert
au livre IV, et cela dans les mêmes ternies3, sans qu'ilsoit possible de supprimer ces vers ni dans l'un ni dans
l'autre de ces deux passages Télémaque quitte alors
Sparte, passe à Pylos sans s'y arrêter, et s'embarque pourrevenir dans son îlo. Sur le rivage de Pylos, il rencontre
et recueille le devin fugitif Théoclymène et l'emmène
avec lui à Ithaque. C'est un personnage inutile pour le
moment, mais qui aura son rôle au vingtième livre. Le
sort de cet épisode, au point de vue critique, est donc
lié à celui de ce livre ou tout au moins du passago de
ce livre où figure le devin; l'un et l'autre ont dû être
i. Elle y arrive dans la nuit, quand Télémaque est endormi, bienqu'elle ait quitté Ithaque le matin. C'est là une de ces petites contra-dictions auxquelles ne pouvait échapper un poète préoccupé de rac-corder les uns aux antres des morceaux originairement distincts.
2. Comparer v. 10et suiv. avec III, 312et snlv.3. IV, 613-619et XV, 113-119.4. Nous croyons qu'ils appartiennent originairement au livre IV et
que toute cette partie du livre XV n'est qu'un raccord. Elle ressem-ble beaucoup aux premiers livres du poème par les caractères de l'in-vention.
290 CHAPITRE Y, – ANALYSE DE I/ODYSSÉE
insérés dans lo poème en même temps. Tandis queTélémaque est en mer, le récit nous ramène brusque.ment à Ithaque (v. 301492). Une nuit et un jour sesont écoulésdepuis que noua avons laissé Ulysse chez
Eumée; ce temps est resté sans emploi; Ulysseest tou-
jours chez Eumée, et nous assistons à un nouvel entre-tien q« se prolonge dana la nuit. Il est clair qu'aprèsla conversation si intéressante de la veille, celle-ci est
sans objet. Elle ne sort qu'à donner à Télémaque le
temps d'arriver. Eumée raconte à Ulysse comment il a
été enlevé tout enfant par des pirates phéniciens et
vendu à la femme do Laerte. La narration est atta.chante en elle-même, maiscomme un conte étranger àl'action du poèmo. Il semble évident qu'un tel dévolop.
pement n'est devenu possiblequ'après que le rôled'Eu-méo out grandi, grâce aux chantapostérieurs, à celui du
Massacredesprétendants en particulier. Lorsqu'onl'out
vu combattre à côté do son maître, lorsqu'il fut devenu
ainsi presque un héros, on comprend que l'intérêt pu-blic tût excité en sa faveur; on prit plaisir alors à sa-
voir quelque chose de son origine, de ses aventures
antérieures, do sa vie. Son récit servit donc à la foisde
complément et de raccord aux chants primitifs
Télémaquoétait censé naviguer pondant ce temps. Ala
fin du livre, nouaquittons Eumée et Ulysse,pour assis-
ter à son débarquement. Il envoie ses compagnonsà la
ville avec le vaisseau, et s'achemine seul vers la de-
meure d'Eumée.Le père et le fils se trouvent ainsi en présence. Leur
reconnaissance mutuelle est la principalo scène du sei-
i. Eumée raconte, à partir du vers 420, des choses qu'il n'a pu sa-
voir nous avons déjà noté ce genre d'invraisemblance dans les livras
X et XIÎ. Ce procédé narratif, ans lois admis, «# pouvait en efltet
manquer d'être imité, en raison même de la facilité qu'il donnait au
narrateur.
LIVRE xvi 89i
zièmo livre. dont elle remplit la première partie. Mais
le besoin d'assurer la continuité du récit on reliant les
unes aux autres les scènes primitivos y a fait ajouterensuite toute uuo seconde partie aingulièromimt infé.
rieure en mérite.
Télémaquo arrive chez Euméo; le vieux serviteur
accueille son jeune maître avec uno joio touchante
et lui présente son hôte, Ulysse, qui s'ost donné pourun Crétois et dont Télémaque n'a garde de deviner lo
secret. Pour quo la reconnaissance soit possible, il faut
que le poète éloigno Eumée. Il imagine do te faire en-
voyer par Télémaque à sa mère Pénélope pour l'infor-
mer secrètement de son retour. On no peut s'empêcherde remarquer combien cette invention, qui serait bonne
on elle-même, concorde mal avec la fin du livre précé-dont. Los compagnons de Télémaque sont déjà rentrés
ù Ilhaquo, sans qu'il leur ait recommandé le silence sur,
sonretour; ils on ont répandu la nouvelle, et Eumée la
trouvera parfaitement connue. Gomment donc Téléma-
quo peut-il lui recommander de no parler do son retour
Il personne qu'à sa mère, de pour que ses ennemis n'en
soient instruits?Doux scènes qui se contredisent si mani-
fostomont ne sauraient être attribuées au même poète.Dès qu'Euinée est parti, Ulysse se fait reconnaître de
son fils, moment plein d'émotion, auquel le poète a su
donner une beauté à la fois noble et touchante. Puis le
père e»,le 61s se concertent sur ce qu'ils ont à faire.
Dans cette délibération, figure une sorte de cataloguedes prétondants (v. 245 et suiv.), dénombrement fort
suspect, qui excitait déjà la surprise des critiques an-
ciens une véritable armée passe devant nos yeux; on
sont là ce goût d'exagératioj» que nous avons déjà si.
gnalé dans les parties récentes de l'Iliade. Quant aux
instructions d'Ulysse à son fils (v. 281-298), Aristarqueles rejetait, comme empruntées au début du livre XIX,
893 CHAPITRE Y, – ANALYSE DE L'ODYSSÉE
où nous les retrouvons on effet textuellement. On a dé.
montré do nos jours que le passage du seizième livre
était au contraire le modèle dont celui du dix-neuvième
est l'imitation ».
A côté de cette bollo scène, tout le reste du seizième
livre aecuse une infériorité de conception notable on
môme temps quo co manque do aoltcté dans l'ordon-
nance qui trahit los raccords. Tout le mondo s'y agite,sans qu'il en résulte rien do vraiment utile ni rien
qui intéresse lu lecteur. Les compagnons do Télémaquearrivent à Illiuque. Les prétendants, qui l'apprennent,sortent du palais, fort inquiets. On se rappelle qu'a la
fin du quatrième livre, c'est-a-diro un mois auparavant,ils avaient envoyé quelques-uns des tours sur un vais-
seau pour attendre le fils d'Ulysso à son retour de l'y-los. L'embuscade a été déjouée, et ceux qui s'en étaient
chargés reviennent justement à ce moment. Ainsi
réunis, tous les prétendants délibèrent, mais leur déli-
bération n'aboutit a rien. Ils rentront dans la grandesalle du palais, où Pénélope, sans raison suftisante, vient
essayer do los détourner de tours mauvais desseins
contre son fils. Eumée cependant a quitté la ville, et
nous le voyons revenir auprès do Télcmaque, à qixiil
rend compte de sa mission.
H est bien clair que ces deux parlies du seizième li-
vre ne sauraient être jugées de Ja même manière. La
seconde n'a ni unité, ni valeur dramatique originale;elle est indispensable à la continuité du récit, voilà tout.
La première au contraire constitue par elle-même un
chant complet, et à ce titre elle aurait pu figurer dans
une série primitive. Toutefois il faut remarquer qu'olle
implique la donnée d'un retour de Télémaque arrivant
chez Euméo après une absence plus ou moins longue.Un a supposé qu'à l'origine, dans la forme primitive
i. Kirchhoff,Odyssée,2»partie,ExcursusII.
LIVRE XVI 298
du récit ot avant l'invention de la Télëmachie,Télôma-
(juo arrivait, non d'un voyage lointain, mais simple-ment de lu ville. Cela n'est pas impossible; l'addition
de la Télémachia aux chanta plus anciens do l'Odyssée» certainement ontrainû dos remaniements profonds,dont nous surpronons à chuquoinstant la trace, et il ost
évident quo cela est vrai surtout du rôle de Télémaque,Maisc'est précisément parcequo ces remaniements ont
été assez importants, que les conjectures sur l'état de
certains chants primitifs sont aujourd'hui fort husur-
tli'uses. Il est pout-êtro plus sage de s'on abstenir et de
se borner à faire voir l'état réel des choses'.
v
Lo groupe des quatre chants qui suivent nous mon-
tro Ulysso daus son palais, où il roàto inconnu, déguisé
on mendiant, où il est outragé et maltraité par les pré-
tendants, tandis qu'il emploie toute sa force d'amo à
dissimuler on épiant l'occasion do la vengeance. La si-
tuation est si émouvanto par elle-môme, elle mettait si
bien en relief quelques-uns des traits du caractère liai-
i. Je ne puis m'empêcher de soupçonner quant à mot que les cor-
rections faites aux chants primitifs ont été plus profondes qu'on ne
le suppose. dans cette partie du moins. Il y a des passages du livre
XVII, où la conduite de Télémaque en face des outrages faits A son
père ne s'explique pas suffisamment par la convention conclue entre
eux. On se demande en les lisant si primitivement la reconnaissancen'était pas postérieure à ces scènes. Peut-être avait-elle lien plusplue tard dans le palais, et il y a bien quelques indices de cela dans
le récit actael du Uvre XVI (v. 163, le mot |iir<*P<>v;v. 202>*vSov
livra). Quand on inséra la Télémachie dans l'Odyssée, on dut tout na-
turellement changer cet ordre, afin de ménager un retour intéressantà Télémaque, et la nouvelle reconnaissance fut composée avec tout
cequ'on put garder de l'ancienne.
994 CHAPITRE V. – ANALYSE DE L'ODYSSÉE
léniquo, et par conséquent elle devait intéresser ai vive.ment les auditeurs dol'Odyssée,qu'on «e peut s'étonnerdo voir les scènes primitive» grossies d'additions assox
nombreuses, quelquefois difficilesà démôler.Le dix-Hoptièiiiolivro ost proprement la récit de la
Rentréed Ulyssedam sonpalais. Maisil débute par unodo ces scènes accessoires,qui attoslont comment le der-nier ordonnatour de l'Odyssée a du procéder pour nolaisser aucun personnage on arrière dans le développe^mont général tluJ'uction,Telcmaquea pris les devants.Il arrive leprouiiur au paluisoùsa ntôro l'accueille avecune tendresse pleine dejoio1. Lo récit qu'il lui fait doses voyagesest on grande partie un asscmblago do vers
empruntés au livre IV,c'esl-à-diro a la dernière partiedo la Tëlèmachie; et il faut avouer quo ces empruntsdénotent une composition plus oxpéditivo qu'adroite ou
réfléchie, car Télétnaquo y rôpôto mot pour mot des uf-
finnatioiisdoMéiiélus dont lo mouvement inéine tsomblo
singulier dans la bouche d'un narrateur parlant d'a-
près ses souvenirs*. Après ce début emprunté, com-mence le récit original. Nous y retrouvons toutes leshautes qualités qui font le prix des livres XIII et XIV.Tout y est juste et dramatique, d'une invention simpleet frappante. Ulysse et Eumée cheminent ensemble
1. Les paroles par lesquelles Pénélope accueille Télémaque sont
précisément les mêmes que celles par lesquelles Eumée l'accueillaitun peu auparavant. Il est assez singulier que le langage de la ten-
dresse maternelle soit identique A celui da dévouement domestique.Cette répétition Inopportune atteste le genre de négligence qui est si
aisément explicable dans les raccords de YOdysiée.2. Voyez en particulier vers 132et suiv. II s'exprime même par-
fois de façon que Pénélope ne devrait pas pouvoir le comprendre.
L'expression yipuv «Xio«du vers 140, qui désigne Protée. est parfaite-ment claire dans le passage identique du livre IV, lorsque ce per-
soasags mythetogiqsc vient d'être nommé et décrit, mai» tel «H« est
absolument inintelligible pour Pénélope,' qui ne sait pas que Ménélasa consulté Protée.
LIVRE XVII 895
vers la ville. et arrivent &la sqwpm oà est l'autel dos
Nymphes, Ils y roncontront le chevrier Mélanthous,serviteur insolent et porvers, qu! insulte ot frappe lemendiant. Puis l'arrivée au palais, avec la peinture sidélicato des sentiments d' Ulysse,l'épisodo admirable duchien Argos reconnaissant son maitre ot mourant à ses
pieds, et enfin la acèno tout homérique qui nous repré-souto Ulysse d'abord assis sur le seuil do la grandesalle, ensuite allant mendier do table en table, insulté
ot frappé par Antinous, qu'il maudit. Tout cela est pleinde vio, et le mouvement dos sentiments y ost aussi pro-fond que naturel. Plus on dégage ces grandes partiesdu poème, pins elles apparaissent dans leur beauté.
Ala On de ce dix-soptièmo livre, Pénélope, prévenuedo l'arrivée du mendiant, le fait inviter par l'intermé-diaire d'Euméo à venir la trouver pour lui dire ce qu'ilsait. Ulysse lui fait répondre qu'il s'entretiendra avecelle après lo départ dos prétendants. Lo sujet futur duXIX.0livre, c'osUVdiro précisément cet entretien de
Pénélopo avec Ulysse déguisé, est donc visé ici expres-sément par dessus le dix-huitième, et il en résulte quele dix-septième et le dix-nouvièmelivre forment ensem-bleun groupe. Au contraire, si l'on compare ce même
dix-septième livre au quatorzième, on s'aperçoit qu'il ya entre eux à la fois accord et divergence. La façondont Eumée annonce et fait connaitre le mendiant à Pé-
nélope se rapporte bien à ce qu'il en a appris lui-mêmedans lours entretiens du quatorzième livre. Mais quandUlysse, interrogé par les prétendants, leur raconte ses
prétendues aventures (v. 419-444), la narration qu'illeur fait diffère notablement de celle qu'il a faite précé-demment à Euméo (XIV, v. 199 et suiv.); or celui-ci est
présent à ce second récit, et par conséquent Ulysse,par cotte contradiction, se compromet ici sans aucunenécessité aux yeux d'un homme qu'il doit ménager. Ne
890 CHAPITRE V. – ANALYSE DS L'ODYSSÉE
peut-on pas conclure de là que le dix-septième livron'était pas destiné à faire suite au quatorxièrae? Il ap-
partenait primitivement à un groupe différent, qui tansadoute supposait la connaissance des faits racontés dansles chants précédents, mais qui s'y rapportait sans au-cun scrupule d'exactitude rigoureuse.
Une série d'épisodes, dont aucun n'est indispensableà l'action générale, voilà le dix-huitième livre. Le pre-mier, de beaucoup supérieur aux autres, nous ropré-sente le mendiant Iroset sa lutteavoc Ulysse (v. 1-157),invention ingénieuse et dramatique, qui fait ressortirla forcedu héros sans la révéler complètement. Quelle
qu'on soit l'origine, il est difficilede croire qu'il ait été
composéavant les grandes scènes qui suivent dans le
poème actuel. C'est un de ces récits secondaires qui ontdû se grouper naturellement autour des principales si.
tuations indiquéespar les chants primitifs ».– Le second
épisodeest celui dolavisite de Pénélope aux prétendants
(v. 158-303).Nous retrouvons là un motif poétique qui
figura à plusieurs reprises dans l'Odysséeet dont l'ori-
ginal semble être au livre XXI.Toutefoisla démarchede
Pénélope a, cette fois, un but différent. Ello vient pourse faire donner dos présents par les prétendants en les
trompant sur ses intentions, et elle y réussit; Ulyssequila voit faire est charmé do son adresse. Bien que cette
scène assurément ne doivopanêtre jugéeavecnos idées
modernes, il faut avouer qu'elle semble peu conforme
au caractère réservé que le poèteprimitif avait attribuéàPénélope. Un plus grave inconvénient, au point de vue
dramatique, c'est qu'elle met les deux époux en pré-sence l'un de l'autre avant le moment opportun. Le
i. Onpeuten trouverunepreuvededétaildansl'allusionduvers158quiparaitvier levers28*dalivrexfcïl,*v«w>nnadifférencedenoms(*A|tf2vo|u>(pour*A|tfipttuv),duesansdoutesoità unsouvenir inexact,soità unefautedetexte.
LIVRE XVIII 997
poète du dix-septième livre avait différé leur entrevueafin d'en faire l'objot d'un récit spécial; dans sa penséela baauté de la situation devait consister surtout en ce
qu'Ulysse, après vingt ans d'absence, se retrouveraittout à coup en présence do sa femme, sans qu'il lui fût
permis de trahir son émotion; or ici, à propos d'unecirconstance insignifiante, voici que le héros revoit Pé-
nMopo: l'effet dola scène principale on est affaibli d'a-vance comme à plaisir. Et, chose remarquable, l'autouroublie môme do nous signaler ce fait, dont l'importancemorale est pourtant si grande dans le développementdo l'action. Comment douter dès lors que l'épisode en
question n'ait été ajouté aux récits primitifs, lorsqu'oncherchait à les grossir par des inventions accessoires?t
Remarquons seulement qu'il est postérieur à celui d'I-
ros, auquel il ae réfère par une allusion diroctc (v. 233et suiv.). La scène qui suit (v. 301-343) n'est pasmoins inutile à l'action générale. Los servantes viennent
pour éclairer la salle pendant les danses des préten-dants. Ulysso veut les congédier; mais, insulté par l'uned'ollos, Mélantho, il ne peut les renvoyer qu'en les mena.çant. L'insolente Mélantho est visiblement une copie du
grossier et brutal Mélantlieus du XVII"livre; la ressem-blance môme des noms accentue celle dos sentimentset des actions. On ne comprendrait guère que le poèteprimitif se fût ainsi imité lui-même et presque répétésans motif. C'est donc là encore un épisode ajouté, pos-térieur lui aussi à celui d'Iros comme le prouvent lesvers 333 et suivants. Le récit de l'insulte faite à Ulyssepar Eurymaque clôt cette série de scènes à peine liéesentre elles. Nous avons là sous les yeux une variantedo l'épisode d'Antinoos au XVIIe livre, mais la copiereste fort inférieure au modèle. En somme, tout ce dix-huitième livre paraît étranger au groupe des chantsprimitifs, et l'impression qu'il donne estcelle d'une sorte
'496 CHAPITRE V, – ANALYSE DR L'ODYSSÉE
d'intermède, formé d'uno auito de développements quiont été greffa*le» uns sur les autres.
L'ontrovuo d'Ulysse et do Pénélopo fû&wretu; x«i
ïlwiXoxiiat outXfc), annoncéo dès le dix-septième livre,
remplit presque entièrement lu dix-neuvième. Toute.
fois, uvimt cotte ontrovue, Ulysse, Télésitaque et la déesse
Athènê emportent les armes hors do la grande salle,
où los prétendants ont l'habitude de so réunir, et vont
los déposer dans uno pièce intérieuro; morceau épisodi-
que qui a dû élro inséré là tardivement t. Au début de
l'entrevue, Ulysse ost encore insulté par Mélanlliu, quo
réprimande Pénélope; ai la rùlo de Mélantlio n'ost pan
primitif, il y aou là nécessairement un remaniement.
Mais passons surdos détails. L'entretien dos deux époux
dans tout son développement est digne dos bulles par-
tios du poomo. Pénélope, qui ignore qu'olle ost en prû-
sonce d'Ulysse, laisse voir par tout ce qu'elle dit coin-
bion elle est attachée à son époux absent. Les récits
du héros déguisé sont conduits do manière à exciter
t. Ce morceau a 6t6 fait certainement d'après un passage des ins-
tructions d'UlyBse à son fils au seizième livre; plusieurs vers sont
même reproduits textuellement. D'autre part, il eat en rapport direct
avec le passage du XXII (v. 141),où Mélanlhios dit aux prétendantsa J'irai dana la chambre socrèto vous chercher des armes pour vous
» en revêtir; car sans doute, c'est là, au fond dea appartements et
non ailleurs, qu'Ulysse et son fils ont déposé les armes. » Toutefois
le morceau en question ne s'accorde pas complètement avec le XVIe
livre. L'auteur du XVI* livre a supposé que l'enlèvement des armes
devait se faire furtivement sur un signe d'Ulysse, et par conséquent
en présence des prétendants, tandis qu'ici cet enlèvement a'accomplit
dans de tout autres conditions. De plus, d'après le XVI*livre. Télé-
maque devait ré.-erver des armes pour son père et pour lui, ce qu'ilil
ne fait pas au XIX°. L'intention du poète me parait elru de rester ici
en accord avec le XXII* livre, où ces armes réservées ne figurent pas.
On peut conclure de là que tout ce morceau est un raccord et une con-
ciliation entre le XVI» livre et le XXII*; ces deux récits contradictoi-
res se font, pour ainsi dire, des concession mutuelles par son inter.
médiaire, et la contradiction est ainsi affaiblie au point d'échapper à
un lecteur ou à un auditeur médiocrement attentif.
L1V11EXX 899
dans coite Amoimpressionnable un©variété d'émotionsqui donne à toute cette soèuo lo naturel le plus tou.chant. D'ailleurs lo poète y a introduit à propos un élé-ment dramatique on y intercalant la reconnaissance
d'Ulysse «t do sa vioillo nourrice Euryclée».On s'ima-
gineaisùmùnlcMc Entrevue d'Ulysieet de Pénélopesoussa forme primitive, différanlseufcmont do co qu'ollo est
aujourd'hui par l'absence de quelques raccords, moinsi-tmiUmioiilrattachéopar conséquent aux autres partiesdu récit, et jusqu'à un certain point indépendatito dansla série do scènes quo l'imagination du poète tirait li-brement do la léguudo
Après cotte scène si largomont faite ot si bien ordon-
ntto, nous retrouvons une série d'épisodos à peine liés
ontro oux, quoique cliuso d'anuloguo au dix-liuitiômo
livre c'est lo vingtième. Los anc.ens l'uppoluioiit sim-
plcinent Avant le massacre des Prétendants (Ta «pô rôç
Mwionit:o7«y;««), et en effet co litre, qui ne dit rien, ost
lo seul qui convienne à un récit sans unité. Quelques-unes do ses parties sont pourtant bellos et même utilesà l'action générale; par exemple, le réveil d'Ulysse au
i. Il convient seulement d'en retrancher, comme une addition ma.nifesl. le long récit relatif à la blessure d'Ulysse (v. 398-461),expli-cation inutile, jetée mal à propos, sous la forme d'une narration dé-
veloppée, au milieu d'une scène pleine de sentiment.i. Dans son état actuel, le dix-neuvième livre se relie au vingt et
unième par l'idée de l'épreuve de l'arc que Pénélope soumet à sonhâta à la fin de l'entretien et que celui-ci approuve. Mais cette liaisonpourrait à bon droit être regardée comme l'œuvre d'un arrangeur. AuXXI' livre, en effet, le poète nous présentera comme l'effet d'une sug-gestion immédiate d'Athéné (XXI, i et saiv.) ce que nous voyons icidécidé d'un commun accord entre Ulysse et Pénélope- D'ailleurs, àla fin de l'entretien, la proposition de Pénélope n'est nullement enaccord avec l'ensemble de la scène, puisque l'entrevue même supposequ'elle conserve encore quelque espoir de revoir Ulysse et que lesdiscours du mendiant. ainai que le songe quelle raeoni», ont <)>con-firmer en elle cet espoir. Cette proposition se présenta donc là de lamanière la plus inopinée, et Pénélope ne'prend aucun soin de la jus-tifier (XIX, v. 5T7et sniv.).
300 GHAPITBB V. – ANALYSE DE L'ODYSSÉE
lever du jour dans la cour du palais et les pronostics
qui l'accompagnent; ou encore l'arrivée du bouvier Phi.
lœtioa, dont lo caractère ost tracé avec une exquisevérité. Coït un secondEuméo, aussi dévoué quo le pre-mier a son maltro absent, et il no pourrait guère figu-rer commo il le fura nu vingt-douxième livre dans lo
massacro dos prétondants, s'il n'avait été auparavant
présenté déjà au public. Il faut donc bien quo cette par.tio au moins du vingtième livrosoituntérieuro au vingt.deuxième. H y a aussi une grandeur uainissanlo dans la
prédiction du dovin Théoclymène annonçant la mort
prochaine dos prétendants et dans la description de la
folio subito qui s'empare do ceux-ci. Mais ces beautés
de détail no peuvent nous empocher de remarquer le
défaut d'ordonnance de 1'onsonibloet lo manque d'uno
invention simploqui groupe ces scènes diverses en un
ensemble vraiment dramatique. Onest surprisd'ailleursdo voir Télémaque (au vers 144)sortir pour se rendre
à l'assemblée indiquée; on no l'est pas moins d'onton-
dro parlor dos préparatifs d'une fête splendide en l'hon-
neur d'Apollon (v. 186 puis 276 et suiv.), fôte dont, à
partir de ce moment, il no sera plus qu'à peine questiond'une manière incidente (XXI, 258). Enfinl'outrage fait
à Ulysse par Ctésippe n'est qu'une répétition do cequenous avons déjà vu à deux reprises. Lavéritable nature
de ce vingtième livre est par suite fort difficile à déter-
miner, et nous ne croyonspasqu'elle ait été encore com-
plètement éclaircie. Il ne serait pas impossible qu'il ait
été composé comme une sorte d'introduction aux
grandes scènes qui font suite. On remarquera on effet
qu'il pouvait suppléer dans une certaine mesure à tout
ce qui précède, puisqu'il offrait comme un résumé de la
situation, et qu'ainsi il formait avec les livres XXIet
XXII une véritable unité de récitation «.
1. L'allusion aux fêtes d'Apollon a 618expliquée par M. Kirchhoff
UVREXXI 301
VI
Nous louchons au dénoûmont du poème. Tout ce qu'ily a d'essentiel est contenu dans les livres XXI, XXII et•tans la première partie du livre XXIII, Ces scènes, aux-i|uulles aboutissonttoutes les autres, ont dû figurer dansla plus ancion développement donné par un grand poèteit cotte seconde partie de la légende d'Ulysse. Aussin'ttvous-nous affairo ici qu'à un polit nombre d'interpo.lations, de médiocre importance, qui n'ont altéré en rien1»phystonomio primitive de l'œuvro.
Lo XXI- livro nous met sous les yeux l'éprouve de
l'arc, qui est la préparation immédiate du massacre des
prétendants. Le récit, d'une simplo et bello ordonnanceso fait remarquer par la flno pointure des sentiments,
qui, sans ôtre passionnés, sont intéressants et animés.
L'âpopéo ici, on nous dépeignant la vaine présomptiondos concurrents, la diversité de leurs défis, et les nuan-cos du dépit qui vont chez eux do l'humiliation il la co.lùro, so rapproche plus do la nouvelle comédie que dela tragédie; et toutefois l'élément tragique y est forte-ment représenté par le personnage d'Ulysse dont la dis-simulation couvre àpoino la colère toujours grandissanteet dont la force vengorosso se révèle déjà. Signalons,comme épisodes, d'abord la scène entre Pénélope et sonfils(v. 343-358), déjà rencontrée plusieurs fois dans le
poème sous forme d'imitations; puis la reconnaissance
d'Ulysse par Eumée et Philœtios (v. 188-244), moins
commerésultantd'unemprunt &un autre récit aujourd'huiperdu.quiauraitétéplusoumoins,fondudansle récitactuel.C'estune con-jecturebienhasardeuse,maiail fautavouerqaeàe toute façonil yalà desérieusesdifficultés.
808 CHAPITRE V. – ANALYSE DE L'ODYSSÉE
pour sa beauté dramatique car le poète semble l'a-
voir un pou sacritiôo – que pour la manière dont elle
varie ce que la scène principale aurait pu avoir de
monotone; enfin la description d'Ulysse essayant son
arc (v. 401-432), morceau admirable de tout point, quisemblait fait pour servir un jour do modèle soit à un
pointro, soità un sculpteur.Dès qu'Ulysse a en main cotte arme redoutable, le mo-
ment de la vengeance ost venu. Le vingt-deuxième livre
est le récit du. combat, qui se termine par un massacre 1.
Si l'on peut reprocher à l'ensemble quelques longueurs,il est impossible en revanche do ne pas admirer la force
d'imagination qui éclate presque partout. La révélation
d'Ulysse an début est saisisse nto, et la façon dontla lutte
s'engago jette tout d'abord dans l'âme du lecteur uno
émotion profonde. L'effroi des prétendants, l'éclat ter.
rible de la colère du héros, la prière do ses ennemis,
la violenco superbe do son dédain, autant de coups do
théâtre d'une incomparable grandeur. Le récit du com-
bat lui-même, malgré sa beauté, est moins parfait; une
sorte do symétrie dans les mouvements y donne à l'or-
donnance générale quelque chose d'artificiel on dirait
que le poèto, bien différent de celui do Iliade, a besoin
do péripéties empruntées à des causes extérieures, la
lutte elle-même ne lui offrant pas assez do ressources.
En revanche, il se retrouve tout entier dans les scènes
finales, qui suivent le massacre, lorsque la violence des
passions s'apaise et qu'à la fureur du vainqueur se mêle
quelque clémence. L'horreur de la vieille Euryclée à la
vue de son maître tout couvert de sang et entouré do
cadavres est d'une invention aussi forte que hardie
i. Touty sembleprimitif,sauf peut-êtrel'épisodedel'interventiondu fauxMentor (v.201-340)et un léger remaniementdans les veto
890-291qui fontallusionà l'outragede Ctésipperacontéprécédem-mentdansun passagesuspectda vlngUéme.tttW.
LIVRE XXIII 803
(v. 398 et suiv.); et la purification solonnollo du palaisaprès to châtiment dos servantes coupables clôt digne-mont par une scène d'une gravité religieuse cette sériede tableaux d'une grandeur terrible et sinistre.
On ne peut douter que la partie principale du vingt-troisième livre, c'ost-à-diro la Méconnaissance d Ulysseet dePénélope, n'ait été conçue et racontée dès l'originedans la farmo où nous la possédons par l'autour mémodes scènes précédentes. En effet, si le sommeil merveil-leux qui s'empare do Pénélopo au XXI»livre (v. 3S7) ladispense heureusement do prendre aucune part aux évé-nemonts sanglants du XXII8, il implique nécessairementque le poète lui ménageau ré voil la surpriso par laquelleses longues éprouves vont prendre fin. Nous retrouvonsd'ailleurs, dans la scène mémo de la reconnaissance,l'art délicat qui le caractérise: là comme partout, il ex-celle conduire au but los sentiments do ses porsonnagespar dos détours un pou lents, qui en font valoir les nuan-ceset multiplient d'une manière ingénieuse les péripé-ties*.1.
Quand les deux époux se sont reconnus, quand Ulysse,redevenu le maître de son palais, y a retrouvé la ten-dre affection' de sa femme, nous avons épuisé la sériedes scènes vraiment intéressantes que fournissait la lô-gendo. Aussi les plus judicieux critiques de l'antiquité,Aristophane do Byzance et Aristarque, considéraient-ilslovers 296 du XXIIIe livre comme marquant la fin do
1.M.Kirchhoffsupprimede cette«cèneles vers 111-176,pendantlesquelsla scènedela reconnaissanceestcommesuspenduepar l'en-tretiend'Ulysseet de Télémaquequidélibèrentsur lesconséquencesprobablesdu meurtredesprétendants.Cettesuppressionmeparaitinutileet mêmefâcheuse.Il est biendansla manièredn poèted'in-terromprela scèneprincipaleparun épisode.Quantaux préoccupa-tionsd'Ulysseau sujetde la vengellncedesparents.desprétendants.ellessonten sommefort naturelles,et elles ontpn figurerlà avantlacompositionduvingt-quatrièmechant, qui est un développementultérieurdel'idéeexposéeici.
804 CHAPITRE Y. – ANALYSE DE L'ODYSSÉE
l'Odysiée ». La plupart des modernes se sont ralliés à
cette opinion. Les morceaux principaux dont l'assem-
blage forme la fin du poème actuel doivent donc être
signalés surtout comme exemples dos additions qui ont
constitue le texte définitif.
Les récits d'Ulysse à Pénélope (v. 300-343), sorte de
résumé rapide de ceux qu'il a faits antérieurement à
Alkinoos, allongent aujourd'hui fort inutilement la scène
de la reconnaissance, alors qu'elle est absolument ter.
minée. Le départ du héros pour la campagne où habite
son père Laërte (tin du livre XXIII) n'est qu'un raccord
entre ce livre et la principale partie du XXIV*.
Au début du vingt-quatrième livre se place l'épisodo
que l'on appelait ordinairement dans l'antiquité la se-
coude Nesunec.C'est un de ceux qui trahissent le plusclairement une origine postérieure. Les âmes des pré-tondants, conduites par Hermès, arrivent chez les morts,
où Agamemnon déplorait son malheureux sort en s'en-
tretenant avec Achille. Le récit que fait le prétendant
Ampliiinédon de la vengeance d'Ulysso fournit à Aga-memnon l'occasion de louer la fidèle Pénélope en la
comparant à Clytemnestre, et cette comparaison semble
être l'objet principal de tout cet épisode, d'un si médio-
cre intérêt. On peut voir dans les scolies les nombreuses
raisons qu'Aristarque faisait valoir contre l'authenticité
de la seconde Nfcuia. Ces raisons sembleront générale-ment inutiles aux modernes; car, outre la faiblesse du
morceau, ilfait doubleemploid'une manièrosi choquanteavec la première Néxuix, qu'il paraît impossible de l'at-
tribuer au même poète.La fin du poème nous fait assister à la reconnaissance
1. Kustathe, p. 1493 'Ioréov il gT> xatà rf)v twv «ataOv liropii»
'ApiaïCtpxQt xa\ 'Apurroçàviic, o\ xopvçaïoi t<ôv tite -jp«[i.ii<Kix<ôv,e!« tb,
me èppiti). « àonâaioi XéxTpota noXatoO 6e<r|t%vCxovto », mpatoOsi ^i'
'OSiaociav.
HVBB XXIV 805
HiaLdela Liu.Oreoque.– T. T. 20
d'Ulysse et de son père Laërte, puis au combat qu'ilssoutiennent contre les parents des prétendants et enfin
àl'arrangoment qui rétablit la paix dans Ithaque, Ces sca-nos no sont pas isolées les unes dos autres; elles for-ment un tout qu'il faut accepter ou rejeter dans son en-tier. Leur principal tort est de venir à un moment oùl'intérêt est épuisé et d'arrêter notre attention sur destableaux qui rappellent do trop près quelques-uns deceux qui précèdent. Au reste, la reconnaissance entro
Ulysse et Laerto, prise on elle-même, n'est inférieure àaucune des scènes analogues du poème, et si la fin esttraitée sommairement, avec une sorte de hâte d'en finir,c'est là une inégalité qui n'aurait pas lieu do nous sur-
prendre beaucoup chez l'auteur de la seconde partie de
l'Odyssée. Toutefois une raison au moins empêche de luiattribuer ce dénoùmenl supplémentaire; c'est la concep-tion du personnage de Dolios. Dans les chants précé-dents, Dolios figure comme le père do Mélanthcus, et sonnomest évidemment caractéristique dosa nature perlide,dont son fils est l'héritier. Ici, au contraire, c'est le typeduvieux serviteur fidèle, un autre Eumée, aussi dévoué àLaërte que le premier l'est à Ulysse.II est peu probableque le môme poète se soit ainsi contredit lui-même, et ilsemble plus naturel de voir dans ce dernier chant l'œuvred'un disciple ou d'un continuateur, qui a voulu menerles choses jusqu'à leur terme extrême.
Cette analyse laisse entrevoir déjà la constitution vé-ritable de l'Odyssée. Elle est moins simple que celle de
l'lliade, et elle implique des séries de chants qui res-semblent bien plus à des poèmes continus. Nous allons
essayer d'éclaircir cette idée en montrant comment lepoèmea pu se former.
CHAPITRE VI
FORMATION DE l'OOYSSBB
souwAine.
I. Systèmede l'unitéprimitive NtlzuchetOtfriedMUller. II. Sys.tèmedes chanteindépendants la Télé'tacMe,les Récits(VUtysst,leschantsdela secondepartie. III. EssaisdereconstitutiondesgroupesfondamentauxKœohlyet Klrehhoff.–IV, Naissancedel'OdysséeMarnentprimitif.– V.Développementde l'Odysséeparla continuationdu récit. VI.L'achèvementdu poème.
Avant de tirer de l'analyse qui précède nos conclu.
sions au sujet de la formation de l'Odyssée, nous de-
vons exposer rapidement, comme nous l'avons fait pourYIliade, los diverses explications qui ont été données
de l'unité actuelle de ce poème.La plus simple, en apparence du moins, c'est de so
représenter un seul poète imaginant le développementdans son entier, se faisant à lui-même un plan, et le
réalisant successivement dans toutes ses parties. Cette
façon de concevoir les choses a été celle de toute l'an-
tiquité, pour l'Odyssée comme pour l'Iliade. Rappelonsles paroles d'Aristote à co sujet quoi qu'on pense de
l'opinion exprimée par le philosophe, il n'est permis ni
do l'ignorer.iri de lu traiter légèrement « Homère, qui
l'emporte en tout sur les autres poètes, a eu en parti-
SYSTÈME DE L'UNITÉ PRIMITIVE 307
culier le mérite do bion voir, soit par sa connaissancede l'art, soit par instinct, ce qui fait l'unité d'un poème.Quand il a composé l'Odyssée, il n'a pas pris pour sujettous los événements de la vie d'Ulysse, par exemple lablessure qu'il reçut sur le Parnasse, ou la folio qu'ilsimula au moment où se rassomblait l'arméo car au-cun de ces deux événements n'était tel quo l'autre duton sortir nécessairement, ni même vraisemblablement.Au lion de cela, il a composé toute l'Odyssée autour deet*que nous appelons une action unique, et do mêmepour l'Iliade «, » Cette actiou unique de l'Odyssée, Aris-toto a pris soin do la résumer lui-même dans un autrepassage « Toute l'Odyssée peut être exposée en quel-quos mots. Un homme est absent de chez lui depuisplusieurs années; retenu au loin par Poséidon, il estseul; do plus, la situation do sa famille est cause queses bions sont dissipés par des prétendants qui médi-tent la mort do son fils. Il arrive, échappé à la tempêtediverses reconnaissances ont lieu; il attaque sos enne-mis, se tire lui-même du danger et los fait périr. Voilàl'ussontiel du poème tout le reste n'est qu'épisodes »Ce qui frappe Aristote, c'est donc l'unité du plan. Il estvrai qu'il le simplifie en l'exposant, puisqu'il omet en-tièrement la Télémachie et le séjour choz les Phéaciens.Uno seule pensée principale régulièrement développée
1.Poil. ch. vjii «O8' "Ofuipoc,ûarropxotlta «tt« Stotfipst,x«ltO0t'ifotxe**Xw;i&ïv{jto«Siàtéz«iv 8iàçimv. 'OSàcaetavY«p«otfflvoùxèsoir^evôsavta 8<raaixi? (ruvISn.otovir>riW«'|ttv4vIlapvaffvÇ,(i«-vivmti icpoaito^oaoS»!h t$ *T«PI»^.&voMlve«té?o«ï(vo(i4vouàvKfxrtov»)v?,t\xi( ïàtepovfevIaSai,*U««ep\ |i!av«pSïtv.ofavMyotuv,xip•O8ii<T<r«iav(n»vé«»i<«v,ôjiofw;ïi x«triiv 'IXiât*.
2. Poil., ch. xvh Tîjc fàp '05utr«ca« nixpbc à l«To{ iwrlv. 'AneSrrlioOvri; tevo; ïn) uoUà x«l icapafjXano|tivau 4itb toO IIo(rec8ûva; xtA |m5-voj ?vtoç, Stt Si tûv otxot oCtmî ix<m>v âare ra xP>ili«a 5«b (iviioT^puvivaX!<nte(»9«i«al tbv «ti>v inigouXnSeaSa», oùtic 21 àçtKveÎTai Xeinaofle(;, xak
fexT'upteaî «và<a£ï«îï tBi«i|«v*t «isït (Uv tuAHn, TOÙ«8* MpoÙs 8tlo-8*>f>ev.To |iiv oîv Hiov toOto. ti 8*ax« mki<x68i«.
308 CHAPITRE VI. FORMATION DE L'ODYSSÉE
et des récits aceessoiros intimemonl môles à ce déve.
loppement dès son origine, telle est on somme sa con-
ception de l'Odyssée,Cotte manière de voir ayant été contestée de nos jours,
comme nous le verrons un pou plus loin, les défenseurs
do l'unité primitive dos deux poèmes homériques l'ont
naturellemont reprise et défondue. Ici encore, e'ust
Nitzsch et QtfriedMuller que nous pouvons choisir comme
les représentants les plus considérables d'une opinion
qui a pour elle un très grand nombre de partisans t.
M'Ussch se ralliait sans réserve aux idées d'Aris.
loto1, et il les commentait on ces tonnes: « Aristote
avait bien observe que l'Odyssée, dès son début, viso
à son dénoùment, qu'on outre elle amène habilement
Ulysse a une situation esquissée par les premiers livres,
enfin qu'après avoir grossi pou à pou la culpabilité des
prétendants elle le fait apparaîtro comme vengeur,
tout cela au moyen d'une combinaison si savante qu'il
n'en est point do comparablo aillours » II est à remar-
quor tout d'abord qu'on admettant l'exactitude do ces
observations, on ne serait nullomont obligé d'en con-
clure l'unité primitive du poème. Car si la Télémaclik
par exemple a été ajoutée postérieurement, comme nous
le pensons, à un groupe de chants primitifs, il est fort
naturel qu'elle fasse pressentir et qu'elle prépare le
dénoùment du poème, puisqu'elle était faite juste-
1.Pour la critiquedu systèmeunitaire,on consulteraavecfruitla
dissertationd'Henn.Bonitedéjà citéeà proposdel'Iliade,Vtbtrden
VrspmngderkomeritchenGedichte,5«édition,Vienne.1881.
2.ErkUrendeAnmerkungeasur Odyssée,t. II, Préface.3.HistoriaHomeri,fasc. poster.,cap.v Persuasissimumbabemus
conaiderateAriatotelemac meritoetiamdescriptioniatandemcarmi-
nibushomerieispraecipuamdédisse.ObaervaveratOdysseam,sta-
tim ab iniUoin exitumintentam,eo artiflcioUlyeum ta adumbra-
tamprioribaaUbriscondicionemadducereauctaequeaenaimculpaovindicemaiaterent cnmbujusoperisimpllcationeac sollertianullum
poasetcarmencomparari.
SYSTÈME DE L'UNITÉ PRIMITIVE 309
mont pour s'y i accorder. De même, pour co qui est de
la culpabilité d«9 prétendants pou à pou grossio par les
scènes successives do la sooondo partie, n'ost-îl pasévident que touto invention nouvelle en co genre de-
vait produire précisément l'effet quo l'autour de l'ob-
sorvation citée attribue sana hésiter à la conception
première? Il faut donc reconnaître que cette vue d'en-
semble, bien que spéciouso, est en réalité sans force
pour résister aux objections de détail qui se dégagentde l'analyse précédente. Mais il y a plus on est on
droit d'on contester la justesse, Est-il vrai par exemple
quo la culpabilité des prétendants soit grossie progres-sivement jusqu'au dénoùment? Aucun lecteur attentif
ne pourra lo pensor. Le dix-septième livre, qui est le
premier où Ulysse se trouve on face do ceux qui ont
envahi sa maison, est aussi celui où la réprobation
qu'ils oxcitont est la plus forte. Bien loin qu'elle s'ac-
croisse dans la suite, c'est à peine si l'on peut dire
(|u'ollo no s'affaiblit pas. Ne sommes-nous pas on droit
par suite do retourner l'argument que nous discutons ?
Si un seul poète avait conçu toute la seconde partie do
l'Odyssée d'après un plan bien arrêté, il n'aurait pas
manqué, ce semble, de répartir les humiliations et les
injures d'Ulysse en deux ou trois scènes de plus en plusfrappantes, selon la véritable ordonnance homérique,de manière à pousser aussi loin que possible l'impa-tience de ses auditeurs avant de faire éclater la ven-
geance. Le défaut de progression qui règne dans cette
partie du récit actuel n'est-il pas l'indice le plus certaindu manque d'unité dans la conception première ?q
Otfried Millier n'est pas moins affirmatif sur la ques-tion qui nous occupe « L'unité du sujet, écrit-il, rè-
gne incontestablement dans l'Odyssée aussi bien que
i. Hist.de la UUér.gr., chap.v trad. HUlebrand.in-12,1.1, p.113.
810 CHAPITRE VI. FORMATION DE L'ODYSSÉE
dans l'Iliade, ot on no pourrait supprimer aucune dos
parties essentielles de ce poème sans laisser une lacunedans le développement do l'idée principale. » C'est dans
cette seconde proposition qu'est toute la difficulté.
Quelle est cette idée principale? Quelles sont ces par.ties essentielles? La Télémachic par exemple cst-ollo
de co nombre ? Otfried Mulicr a raison incontestable-
ment do remarquer qu'il y a uno véritable unité dans
l'Odyssée, mais il s'agit do savoir comment cetto unité
s'est formée ot do quelle nature elle est au juste. Trou-
vons-nous dès le début du poème une conception notte
de l'ensemble? et toutes les parties du développementsemblent-ellos ôtre sorties, chacune solon lour ordre
actuel, do cette idée première? L'affirmation d'Olfriod
Millier, sous sa forme générale, no jette aucune lu-
mière sur cotte question. D'ailleurs le point de vue cri-
tiquo qu'ello suppose est-il oxact ? Faut-il juger l'au-
thenticité des parties de l'Odyssée d'après le rapportplus ou moins étroit qu'elles ont soit avec le dévelop-pement do l'action, soit avec celui du caractère princi-pal ? Nous en viendrions ainsi à concevoir dos doutes
sur quelques-uns des plus beaux morceaux du poème.Voici par exemple l'épisode de Nausicaa ou encore celui
de l'entretien d'Ulysse et d'Eumée? Est-il vrai de dire
qu'on les supprimant on créerait uno lacune dans l'ac-
tion ? Assurément non. Sont-ils du moins indispensablesà la peinture du caractère d'Ulysse? On ne peut guèrele soutenir. Ils le complètent, ils y ajoutent quelquestraits délicats et agréables, sans aucun doute mais s'ils
manquaient, l'Odyssée n'en subsisterait pas moins, avec
son enchaînement régulier d'événements et son unité
morale. Les réflexions de cette sorte ont donc plus d'ap-
parence que de force réelle elles ne sont point de na-
ture à nous faire passer par dessus les divergences de
SYSTÈME DE L'UNITÉ PRIMITIVE 311
détail qui ont appelé notre attention dans le chapitre
précédent.Outre le défaut de progression dans la seconde partie
du poème, la grande objection d'ensemble contre l'unité
primitive sort naturellement du rôle de Télémaquc. La
façon si peu satisfaisante dont lesquatre premiers livres
se relient au récit principal et l'imperfection évidente
dos raccords dans la seconde partie jusqu'au seizième
livre inclusivement ne semblent pas pouvoir se conci-
lior avec l'hypothèse d'uno seule idée première déve-
loppée solon un dessein arrêté. Do plus, pour V Odyssée
comme pour l'Iliade, le point faible du système de l'u-
nité primitive, ce sont les concessions indispensablesdont il ne peut se défondre. Si l'on admet, pour 17/ftnfe,
que la Dolonie, c'est-à-dire un épisode développé, cons-
tituant aujourd'hui tout un livre, a été ajouté postérieu-rement au récit primitif, on avouo implicitement par là
môme que ce récit est resté, pondant un certain temps
au moins, ouvert à dos additions étrangères, qui, une
fois admises, devenaient une partie intégrante du tout.
Cefait étant reconnu, le principe du système est mani-
festement détruit il n'y a dès lors à débattre qu'une
question de plus ou de moins. Il on est de même pour
l'Odyssée.Les défenseurs les plus résolus de l'unité pri-
mitive ne peuvent guère se refuser à une concession
au moins, en reconnaissant que la seconde Nâcutet,
c'ost-à-dire l'épisode de l'Arrivée des prétendants aux
Enfers au XXIV8livre, est l'œuvre d'un poète qui a sura.
jouté ses inventions à d'autres inventions déjà existan-
tes. Le même raisonnement devient alors applicable ici.
Tout morceau qui ne tient pas étroitement au plan gé-
néral, ou qui no porte pas l'empreinte manifeste du
génie du premier poète, est suspect; et, de proche en
proche, c'est l'unité primitiveelle-même qui est attaquée.
3i8 CHAPITRE VI. FORMATION DE I/QDYSSÉE
Ces considérations, s'ajoutant aux objections dodétail
que nous avons signalées, nous paraissent décisives ».
II
Toutefois il est manifeste, d'après l'analyso du poème,
que celui-ci se prête encore moins que l'Iliade à uno
décomposition complète. Aussi bien cette tentative n'a-
t-elle jamais été faite d'une manièro méthodique. Wolf
n'avait fait que poser la question et Dugas-Montbol,
qui, s'inspirant librement des Prolégomènes, admet en
principe que les deux épopées homériques ont été
fabriquées de pièces et de morceaux, n'a pas poursuivi
méthodiquement, comme il aurait dû le faire, la démons-
tration de ses idées En fait, la plupart des chants de
l'Odyssée révèlent clairement qu'ils ont été composésen vue de leur destination actuelle et ne se prêtent pointà l'hypothèse d'un isolement primitif. Quelques-uns
seulement, on petit nombre, auraient pu à la rigueurexister par eux-mêmes, en dehors du groupe auquel ils
appartiennent maintenant. Mais nous croyons que, pourceux-là même, une étude attentive est pou favorable à
cette idée.
Ce sont d'abord les chants relatifs à Télémaque. M.
Kirchhoff, qui a tant fait, dans son édition do l'Odyssée,
pour éclaircir les questions relatives à la formation de
1. Il fautciterencoreparmilesprincipauxpartisansdel'unitépri-mitivede VOdyttée Qrote, Biatoryof Greece,II, 166 Dûntzer,Kirehhoff,KœchlyvnddieOdyssée,Cologne,1812;et E. Kammer,DieEinheilderOdyssée,Leipzig,1874.
2.Voir l'Histoiredespoésieshomériquesen tètede.la traductiondeVIHadt,et notammentles passagesdtis au coap.ixxda présentvo-
lume,p.180.Consulteraussitesnotesquiaccompagnentlatraductiondel'Odysséedu mêmeauteur.
SYSTÈME DES CHANTS INDÉPENDANTS StS
co poème, a cru y voir les débris d'un poème distinctdont Télémaque était le héros*. Nous avons dit et nouadevons répéter qu'un toi poème parait entièrement in-concevable. On ne saurait imaginer un personnagemoins propre à jouer Je premier rôle dans un poèmeépiquo qu'un jeune hommo irrésolu, timide, qui acons-cionce do sa faiblesse et demande conseil à tous ses amissuccessivement. D'ailleurs lo prétondu sujet du poèmen'est pas même à proproment parier un sujet. Une sériedo voyages peuvent bien servir do matière à un romanmoral et didactique, toi que lo Télém«que de Fénelon,oii l'intérêt de l'action ost on somme secondaire dansla pensée mémo do l'auteur il s'agit là d'instruire, et
par conséquent de mettre sous les yeux du lecteur le
plus grand nombre possible d'exemples sous formed'événements imaginaires; l'action ne sort qu'à fairenaitre ces exemples, on y mêlant un élément dramati-
quo qui no devient jamais prédominant. Mais on ne se
représente vraiment pas un poème épique ainsi consti.tué. Si les chants relatifs à Télémaquo nous semblent
déjà longs et languissants dans l'Odyssée, combien neseraient-ils pas plus dénués d'intérêt, s'ils nous étaient
présentés comme quelque chose do distinct et s'ils pré-tendaient nous attacher par eux-mêmes. Unetelle hy-pothèse est contrairo à l'évidence même des choses.Destinés dès l'origine à servir d'introduction, ceschants ont tiré de là leur caractère propre, et si l'im-
perfection des raccords trahit un arrangement, ce n'est
pas une raison pour méconnaître le dessoin manifestedu poète qui l'a opéré.
Un autre groupe qui pourrait, dans l'Odyssée actuelle,se prêter à l'hypothèse d'un isolement primitif, est ce-lui des récits d'Ulysse chez les Phéacions. Sur ce point,
».C'estaussi l'opinionde Wilamowilzdans sesHomeriacheBnfer-wclmngen.Voirplushaut p. 281,notei.
314 CHAPITRE VI. – FORMATION DE L'ODVSSÊB
il importe de bien s'entendre. Si l'on veut dire simple-
ment que ces récits ont pu exister en tout ou on partie
sous une forme primitive avant d'être mis dans la bou-
ehe d'Ulysse, nous l'admettons et nous chercherons
mémo à l'établir un peu plus loin. Mais si l'on prétend
quo les récits de l'Odyssée ne sont autre chose que ces
chants antérieurs textuellement reproduits, sauf les
modifications do désinences nécessaires pour les mettre
dans la bouche du héros lui- môme,cela nous parait im-
possible à accepter. M. Kirchhoff a soutenu cette opinion
pour uno partie de ces récits (livres X et XII), on faisant
remarquer ingénieusement qu'Ulysse raconte dans plu-
siours passages des choses qu'il ne peut savoir invrai-
semblance qui disparaîtrait si le récit était fait, non
par le héros, mais par le poète parlant en son propre
nom. Si spécieuse que soit cotte raison, elle doit être
écartée ici. Les morceaux on question, comme l'a re-
marqué M. Kirchhoff lui-même, trahissent une origine
plus réconto quo les autres parties des récits d'Ulysse
celles-ci oxistaiontdoncdéjà, lorsqu'ils prirent naissance.
Comment concevoir dès lors qu'ils aient pu constituer
à ce moment un groupe indépendant, différent des au-
tres par la forme, quand ils onétaiont en réalité la con-
tinuation et le développement ? Une invraisemblance
de détail, qui est certainement devenue de très bonne
heure une convention poétique, ne peut prévaloir con-
tre les difficultés d'une telle hypothèse.
Enfin quelques critiques modernes » oui pensé que
toute la seconde partie de l'Odyssée se composait de
chants primitivement isolés, réunis plus tard par un ar-
rangeur. Que ces chants n'aient pas formé à l'origine
un poème proprement dit, nous l'admettons; mais qu'ils
aient été composés sans autre relation des uns aux au-
l. VoyezR. Volkmann.Commentationesepicae,p. 19et suiv.;Meis-
er, dans le Phitologua.t. VIII.
GROUPES FONDAMENTAUX 315
très que lo fond commun de la légende, et cela par des
puèUts différents, c'est ce que démont, à notre avis,
tout» étudo attentive do leur état présent.Nous pouvons donc dire en somme que toutes les
parties de l'Odyssée, sans exception, ont été composéesen vue de lour destination actuelle, bien qu'elles n'aient
été ni conçues simultanément, ni exécutées parle même
poète d'après un plan primitif. Il reste à expliquer com-
ment olles sont nées les unes dos autres pour former
l'unité que nous avons sous les yeux.
III
La première chose à faire pour résoudre ce problème,
c'est évidemment de rétablir autant que possible les
chants de l'Odyssée dans leur forme première, afin de
pouvoir les comparer entre eux et déterminer ainsi
leurs rapports mutuels. Co travail a été entrepris plus
tard pour l'Odyssée que pour l'Iliade; mais il se pour-
suit aujourd'hui avec activité. Nous dirons ici quelquesmots dos essais de Kœchly et do M. Kirchhoff, en raison
de leur importance.
Kœchly divise l'Odyssée primitive en groupes et cha-
cun de ces groupes en chants'. La première partie du
poème, comprenant les douze premiers livres et le pre-
mier tiers du treizième, forme deux groupes: le Voyagede Télémaque et le Retour d'Ulysse. Le Voyage de Télé-
maque se compose de quatre rhapsodies, la première
postérieure aux trois suivantes; le Retour d'Ulysse, de
cinq rhapsodies, comparables aux cinq actes d'une tra-
i. Oputcula phUologica, 1. 1 De Odymae carmtuOtus dissertationes,
I. II, III (1862-1863);t. II, Ueber dm Zusammenhang und die Bestand-
theile der Odyssée (1862)et Ueber das etfle Bueh der Odyssée (1864).
316 CHAPITRE VI. – FORMATION DE L*ODYSSÊE
gédie, savoir: Calypso, Nausicaa, Ulysse chez les Phéa-
ciem, l'Aventure d Ulysse, le Retour d Ulysseproprementdit. Laseconde partie du poème est formée de huit rhap-sodios principales, auxquelles se sont ajoutés plustard quelques autres développements; ces huit rhapso-dies sont: F Arrivée d'Ulysse à Ithaque, Ulysse et Eu-
mée, la Reconnaissance d'Ulysse et de Télémaçue, Ulysseen présence des prétendants, Ulysse en présence de Pé-
nélope, le Massacre des prétendants, l'Arrangement, la
seconde Scène chez les morts.
Ce qu'il faut approuver dans cotte tentative, quelques
critiques de détail qu'elle soulève, c'est qu'elle tient
compte des deux faits essentiels qui ressortent d9 l'a-
nalyse du poèmo, c'est-à-dire do son unité et do sa mul-
tiplicité. Kœchly fait la part très grande à l'unité, et
cela de deux manières d'abord on reconnaissant quetoutes les parties du poème ont été faites les unes pourles autros. les plus récentes ayant été composées en
vue de s'adapter aux plus anciennes puis en admet-
tant l'existence de groupes primitifs qui réunissaient
plusieurs chants. bien qu'il fût toujours possible de ré-
citer ceux-ci isolément. C'est une manière de concevoir
les choses qui répond trop bien à l'impression même
que nous donne l'étude du poème, pour n'être pas très
voisine de la vérité. Mais ce qui a surtout compromiscette tentative aux yeux des critiques prudents, c'est
que, dans un sujet où la certitude est impossible, l'au-
teur n'a jamais su ignorer. Nous devons signaler en
cela un des torts les plus fréquents de la critique ho-
mérique moderne. Kœchly et ceux qui l'ont suivi veu-
lent reconstituer jusque dans les moindres détails les
chants primitifs dont ils signalent l'existence et cédant
à la tentation naturelle des esprits trop ingénieux, ils
les recomposent au moyen de vers empruntés de côté
et d'autre, qu'ils rapprochent avec une adresse merveil-
GROUPES FONDAMENTAUX 817
louso «. Il est clair qu'une telle méthode se détruit elle.môme par ses propres résultats car si réellement leschants primitifs ont subi des remaniements qui les aientainsi défigurés, jamais une science prudente ne vou.dra croire qu'il soit possible de les reconstituer. La cri-
tique ne peut procéder avec quelque certitude que surdes ensembles bien caractérisés; il y a contradictionévidente à signaler la traco de remaniements successifsaussi profonds et à vouloir déterminer avec tant d'exac-titude l'état primitif de l'œuvre poétique.
M. Kirchhoff a été on général plus prudent, et sa
critique do l'Odyssée est dans son ensemble une desœuvres remarquables de la science moderne.
Le poème actuel, pour M. Kirchhoff, se composeessentiellement de trois éléments bien distincts. Le pre-mier, c'est le vieux Retour d'Ulysse, qui remplit aujour-d'hui six livres et demi environ (V-XIII, v. 184) l'ar-rivée d'Ulysse chez les Phéaciensj ses récits chez Alki-noos et son départ, tel en est le sujet sous sa formeprimitive, cette composition était d'un tiors environplus courte qu'elle n'est aujourd'hui. Le second élé-ment, c'est la fin du poème actuel, à partir du momentoù Ulysse est à Ithaque (XIII, v. 185) il faut en retran-cher des additions très considérables qui l'ont grossipostérieurement; cette seconde partie est une continua-tion du récit primitif, et jamais elle n'en a été indé-pendante. Enfin le troisième élément comprend la plu-part des grandes additions qui ont donné au poème sa
i. Voicipar exemplequelleest pour Kœchlyla compositionde larhapsodiequ'il intitule le Retourd'Ulysse('OSutnr&ocàitinXouç)v,i-3;X,363-369;v, 4-9; 8. 392-820;v, S9-35;6, 417-422,428,430-434.«0448;v, 36-63;9,457-469;v, 63-69.Les élémentsensont doncdis-persésdanstroisdeslivresactuelsdupoème,et tellementdispersésqu'ilfaut reprendretroisversd'an côté.cinqdeVantrn, pourreeonsti- •tuerl'ensembleprimitif (Kœchly,Opute.philolog.,t. I, p. 187et«oiv.).
318 CHAPITRE VI. – FORMATION DE L 'ODYSSÉE
forme d6linitive, par conséquent les Voyages de Télé.
moque avec tout ce qui en dépend.Lo grand mérite do cette conception, c'est de jeter
une vive lumière sur le développement organique du
poème. Au lieu do le décomposer on morceaux indé.
pendants, M. Kirchhoff nous le montre grandissant pouà peu par une sorte d'évolution intérieure qui amènolo germe à produire tout ce qu'il contient. Son tort, ànos yeux, c'est de soreprésenter constamment VOdyssée,aux différentes phases do colto évolution, comme un
poème complot; de là résulte en effet l'obligation dotrouver dans le groupe primitif une action aboutis-sant à un dénoùmont, et dans la seconde partie, déga-
gée des additions plus récentes, une continuité qui no
peut être obtenue sans effort. Ici encore, c'est en com-
binant deux systèmes divers, on empruntant à l'unl'idée du développement organique, à l'autre celui d'unocertaine indépendance des parties, que nous croyonspouvoir approcher plus près de la vérité J.
IV
Lorsque l'auteur du premier livre de l'Odyssée nous
montre l'aède Phémios racontant aux prétendants pen-
i. Nous ne discuterons pas ici des hypothèses plus hardies, telles
que celles de Niese ou de Wilamowitz. Le premier suppose qu'origi-nairement Ulysse se faisait reconnaitre de Pénélope dès leur pre-mière entrevue, et qu'alors les prétendants se retiraient d'eux-mêmes.Il est clair qu'un tel bouleversement du sujet ne saurait être admis
par une critiqua prudente sur la foi de quelques indices, toujours sus-
ceptibles de diverses interprétations. Le second maintient le dénou-
ment sanglant par le massacre des prétendants, mais il veut aussi
que Pénélope, dans le récit primitif, ait reconnu Ulysse à la fin de
leur première entrevue (Homer. Vnters., o. 3, p. 47-60). Bien que la pré-tentiou soit plus modeste, elle dépasse encore de beaucoup co qu'au-torise la démonstration tentée.
CHANTS PRIMITIFS 319
dant le repas le Retour des Achéens,il sembleattester parlà que, de son temps encore, on n'avait pas perdu la tra-
dition de cea chants d'ensemble embrassant sommaire.ment toute une longue série d'événements. On no p<mtdouter qu'en réalité le Retour des Achéens n'ait étéaintâ
chanté avant la naissance do l'Odyssée. S'il en fallaitune prouve, nous la trouverions dans le rôle d'Athèné.
Dès qu'Ulysso a ou sa légonde particulière, Alh&né est
devenue sa protectrice, sans doute à cause d'une cer-
taine ressomblance do caractère qui est notée dans un
passage de l'Odysséet. Et pourtant les événements mé-
mos de ce pobme sont inexplicables si la poésie ne l'a
pas représentée à un certain moment comme irritée con-
tro tous les Achéens et par conséquent contre Ulysselui-môme. Poséidon en effet n'est l'ennemi du héros qu'àpartir du jour où celui-ci s'est vengé du Cyclope Poly-phème mais, antérieurement, Ulysse n'a-t-il pas été déjàécarté de sa patrie par la tempête ot jeté sur dos côtes
inhospitalièroà? Quelle divinité l'a éprouvé ainsi, sinonAthèné elle-même, irritée contre tous les Achéens in-
distinctement'? Il a donc fallu que la poésie racontâtceschoses et qu'elle en établit la tradition avant que cettedéesse fût devenue l'amie particulière et la protectricetoujours bienveillante d'Ulysse, c'est-à-dire avant qu'ily eût des chants particuliers relatifs à ce héros. Nousrattachons ainsi avec certitude les parties anciennes de
l'Odysséeà des compositions poétiques antérieures quiembrassaient dans un développement sommaire toutela légende des Retours sous sa forme élémentaire. Les
aventures d'Ulysse n'étaient alors qu'un simple épisodedans un ensemble relativement restreint.
Le poète qui eut l'idée do les en détacher fut le créa-
i. XIII, 296et suiv.S. Oâj/Mêe, V, £03 'Aràp èv v6tcio *A8nvat»iv iUxovn, – î) oçiv lic&p*'
Svcfôv Tt xay.ôv xat xû|Urta paxpâ.
380 CHAPITRE VI. – FORMATION DE L'ODYSSÉE
teur de l'Odyssée.C'ost dans les Récits d'Ulysse ehes Alki-
noos(k partir du livre IX), que nous croyons surprendreson premier essai. Un caractère frappant de ces récits,c'est on effet leur inégalité, qui semble attester encore
quelque hésitation. Certaines parties sont de simplessommaires qui rappellent l'ancienno manière préhomé-
rique, d'autres au contraire sont développées avec ara*
pleur Rien de plus naturel, si nous les concevons comme
l'œuvre d'un aèdo qui met à profit des chants existants
et tantôt se contente d'une légère appropriation, tantôt
s'étend avec complaisance sur les épisodes qui plaisentà son imagination. La forme de ces récits ost certaine-
ment de son fail: c'est lui qui a ou l'idée de les mettre
dans la bouche d'Ulysse lui-même. Mais cela n'implique
pas nécessairement qu'il eût d'abord raconté on détail
l'arrivée du héros chez los Phéaciens. Dans le Retour
qui existait déjà, le séjour chez les Phéaciens, peuplemerveilleux, était évidemment mentionné comme la
dernière étape dos voyages d'Ulysse. Il était donc tout
naturel de lui faire raconter là ses aventures, pour quele cycle en fût peu près complet. Los auditeurs étaient
mis au courant, si cela était nécessaire, au moyen do
quelques vers d'introduction, qui rattachaient ces chants
nouveaux et particuliers à un groupe do récits légen-daires déjà connus. Quiconque est tant soit pou familier
avec les épopées homériques, sait à quel point cotte
façon de raccorder un épisode à une sério d'événements
était ordinaire dans l'art de ce temps.Toutefois, nous l'avons vu, une partie considérable
des récits d'Ulysse semblent avoir été ajoutés postérieu-
rement, à l'imitation des premiers, et pour multiplierdes sujets de chants qui charmaient le publie d'alors.
Laissons-les donc de côté. Les plus anciens,' c'est-à-dire
I. Voyezau chap.précédentl'analysedulivreIX.
CHANTS PRIMITIFS 331
Hi«t.d« la Utt. Grecque,– T. I. 21
ceux des livros IX et XI, sont l'élémont primitif do
l'Odyssée, ot ce sont coux-là dont nous nous occupons.L'Arrivée tf Ulysse chez iesPhéaeiens (livres V-VIII)
on est, dans l'Odyssée, l'introduction naturelle, et c'estla plus bolle partie du poème. En la comparant aveccertains épisodes des récits d'Ulysse, celui du Cyclopepar exemple, nous sommes frappés de la ressemblance.Il parait donc naturel d'admettre quo c'est l'autour deces récits, qui, encouragé par son succès, a développéainsi cette introduction. C'était lui en somme qui avaitdonné, par sa précédonto invention, une importance par-ticulièroau séjour d'Ulysse chez les Phéaciens. Cethèmeiui appartenait; il le mit en œuvre avec la grandeurd'imagination qu'il avait déjà montrée, mais avec uneliborté toute nouvelle, parce qu'il n'était plus assujettià suivre aucun récit antérieur.
Le livre V (avec son début naturel, c'est-à-dire l'As-sembléedes dieux du premier livre), les livres VI, VII, et
peut-être quelque chose du livre VIII, sauf la part à faireaux additions et aux remaniements, sont le fruit de cette
grande idée. La pensée dominante du poète fut do met-tro on lumière le caractère d'Ulysse dans une sorte dedrame librement créé. Il avait raconté déjà ses aventu-res, il nopouvait y revenir; mais, d'après la légende, souhéros après avoirerré trois ans, en avait passé septdansl'île d'Ogygie c'est au terme de ce séjour qu'il plaçale premier acte de son drame, Calypso, c'est-à-dire l'af-franchissement. Le second acte, Nausicaa, le troisième,Ulysse chez Alkinoos, succédèrent naturellement. Il est
impossible de dire aujourd'hui si c'est à tort ou à raisonque quelques critiques croient entrevoir sous ces largesdéveloppements une forme de récits plus simple. Riensans doute n'empêche de croire que le poète ait lui-mêmepeu à pou modifié et agrandi son couvre. L'épisode deNausicaa, par exemple, a bien pu n'être ajouté par lui
839 CHAPITRE VI. – FORMATION DE L'ODVSSÈE
qu'ultérieurement: mais comme nous n'avons aucun
moyen de résoudre ces questions, il est inutilo do les
soulever.Ainsi fut constitué l'élément primitif de YOdyssée
d'une part les récits d'Ulysse,dol'autre, avant ces récits,une aorte d'introduction dramatique, qui, en fait, les
dépassait do beaucoup en importance. Cen'était pas un
poème, car il n'y avait pas de dénoùmonl, ni même de
régularité dans lodéveloppement de l'action: c'était un
groupe de chants, et rien do plus. Maisce qui on faisait
déjà l'unité profonde,ot coqui allait en faire la fécondité,c'était l'admirable conception du caractère d'Ulysse,c'était l'intérêt puissant que lo poète avait su donner à
cet iminonsoet unique désir de lapatrie et du foyer do-
mestique, sifortement imprimé dans l'Amede son héros.
v
Il en fut de l'Odyssée comme de l'Iliade. Le premier
groupe de chants qui apparut en suscita d'autres parson succès môme. Mais il y eut une différence notable.
Les premiers chants de l'Iliade laissaient entre eux
des intervalles d'action, que les premiers continuateurs
se mirent naturellement à remplir. Ceux de l'Odysséeformaient une série plus continue: il n'y avait rien d'in-
téressant à insérer entre l'arrivée d'Ulysse chezles Phéa-
ciens et ses récits»; les récits eux-mêmes pouvaient, il
est vrai, être augmentés, et ils le furent effectivement,
mais ce développement ne se serait pas prolongé sans
monotonie. D'ailleurs, avant de les étendre, il y avait
mieux a faire: c'était de ramoner Ulysse dans sa patrie.I.« prnrnior groupe de chants avait rendu le personnage
1.Ony insérapourtantla plusgrandepartiedulivre VIII, enplu-sieursfois, maisle videmêmede ce développementaccusela stéri-lité du sujet
CONTINUATION DU BÉCIT 333
populaire. Or sa légende n'était pas épuisée le vieuxRetour, qui servait alors de matière à une poésie plushardie, parlait aussi, plus ou moins brièvement, de sarontréo à Ithaque et do la manière dont il avait reprispossession do son palais. C'était là un thème magnifiqueà développer.
L'aède qui s'on chargea n'était pas complètement l'é-
gal du premier. II n'avait ni la mémo force d'imagina.tion, ni la môme grandeur naturcilo; mais c'était encoreun admirable poète, nourri des meilleures traditions,ot doué d'un sentiment aussi délicat que profond de lavérité morale.' Quelques-unes des situations qu'il a trai-léos ont pu lui être fournies par des chants antérieurs t;mais la peinture des mœurs lui appartient en propre,et il y oxcollo.
Autant que nous pouvons en juger, il dut réaliser la
pensée qu'il avait conçue en développant successive-mont dans des chants séparés los principales situations
qui s'offraient à lui dans la légondo ou que son imagina-tion créait. Son premier mérite fut do les dégager, le se-cond do donner à chacune d'elles une valeur propre quila rendit à jamais attachante. C'est ainsi sans doutequ'il chantait le Débarquement d'Ulysse(1. XIII), Ulyssechez Eumée (livre XIV), la Reconnaissance d'Ulysse etde Télémaque (partie du livre XVI), Ulysse en présencedesprétendants (l. XVII), Ulysse inconnu en présence de
Pénélope (1. XIX), Philœtios (partie du livre XX), enfinl'Épreuve de l'arc, le Massacre des prétendants et laReconnaissance d'Ulysse et de Pénélope (l. XXI, XXIIet partie de XXIII), ces trois derniers chants étroitementunis ensemble et formant un groupe presque indissolu-ble. Il serait téméraire de vouloir déterminer aujour-d'hui avec précision dans quel ordre chronologique les
1.Voyezla noted'Ottr. Mûller(Bist.de la lit 1er.grecque,t. 1, p.in; sur l'arcd'Eurytos,et aussi les notesdeM. Kirchhoffsur cettepartiedel'Odyssée.Toutcelad'ailleursest extrêmementconjectural.
334 CHAPITRE VI, – FORMATION DE L'ODYSSÉE
différents actes de cette longue série épique ont été pro-duits. Dans leur état actuel, ils sa font suite les uns aux
autres, mais les premiers no sont pas si indispensablesaux derniers que ceux-ci n'aiont pu existerd'abordsans
les autres. 11est donc possiblo que le poète, allant d'a-
bord aux situations principales, ait onsuite agrandi son
cuuvro à loisir. Tout en co genre lui était permis, ot
chaque jour lui apportait son inspiration.On peut dire que l'Odyssée, on cet état, devait avoir
un charme et uno beauté, qui, loin do s'être accrus dans
la suite par des perfectionnements apparents, en ontété
plutôt diminués. Nousvoyous trop aujourd'hui, dans la
seconde partie, un poèto qui se donne de la peine pourmonor parallèlement plusieurs récits; et en somme un
certain nombre do scènessont plus utiles quevraiment
intéressantes. Aucontraire, tout était attachantet vivant
dans ces scènes primitives qui se succédaient sans être
liées. Poésie sans entrave, sans scrupule dogmatique,sans raideur d'aucune sorte, essentiellement souple et
indépendante, qui choisissait librement dans un vaste
sujet les parties aimables et fécondes,et n'avait aucun
souci d'être complète, pourvu qu'elle fût dramatique et
qu'elle plût. L'imagination des auditeurs suivait celle
du poète et ne lui imposait pasd'exigence pénible. Nulle
habitude de prose ne se mêlait encore à ce délicieux
commerce de pure poésioentre des esprits également
jeunes. On ne demandait pas à l'épopéo de ressembler
à une chronique, ni de marcher sur une grand'routoà
pas comptés. Fille de l'imagination, elle avait des ailes
et osait encore s'en servir pour voler. Cen'était plus, il
est vrai, cet élan superbe, qui, au temps de YIliade, la
soulevait si puissammentet l'emportait dans la plushaute
région de poésio; maisc'était encore un vol charmant,
plein de grâce et de fierté, qui errait au-dessusdes
servitudes de la terre.
CONTINUATION DU RÉCIT 335
S'il parait probable que les scènesmentionnées sont
l'oauvrod'un même poète, il no faut cependant pas être
trop afflrmatif à cet égard. Dans un temps où l'essor
poétique est uni à une docile simplicité, il se peut fort
bien quo l'œuvro du disciple se confonde avec celle du
maître. En tout cas, en admettant que toutes les scènes
principalesaient étéproduitesparun seulet mômegénie,il no parait guère possiblo de ne pas attribuer à des
imitateurs les scènes secondaires qui les grossissent
aujourd'hui. II sufflt on effetde se représenter la série
de chants que nous venons d'indiquer, pour comprendrecombien le succèsqu'elle obtint devait engager do nou-
veaux aèdes à la développer par des chantsaccessoires.
Ceux-citrouvaient place tout naturellement au milieu
des précédents, et tantôt ilsétaient liés dans la récitation
à quelques-uns d'entre eux, tantôt ils s'en séparaient.Tous les épisodesdu dix-huitième livre, par exemple,la lutte avec Iros, la visite de Pénélope aux préten-dants, l'insolence de Mélantho, l'outrage d'Eurymaqueà Ulysse,peuvent être considéréscomme desadditionsde
cegenre. Nous nous contenterons ici de signaler d'une
manière générale ces chants accessoires. On les re-
connaîtsouvent à leur caractère d'imitation; il arrive
mémoque des emprunts textuels plus ou moins consi-
dérables contribuent à les déceler. L'étude de ces em-
prunts est, pour l'Odysséecommepour l'Iliade, une des
ressources les plus importantes dont disposelacritique,quand elle veut s'instruire de l'origine et de l'âge re-
latifdes parties du poème.
VI
Cefut sana doute l'achèvement de l'Iliade qui dé-termina celui de l'Odyssée. Nous avons vu comment
l'Iliade, en grossissant peu à pou par des chants in-
386 CHAPITRE VI. – FORMATION DE L'ODYSSÉE
tercalés, finit par former un ensemble qui no pouvaitplus s'élondro sans inconvénient, et comment alors,sous l'influence sans doute de l'instinct historique quicommençait à naitre. quelques raccords plus ou moinshabilos lui donnèrent la forme d'un poèmo achevé.
V Odyssée subit naturellement les mémos modifications.Elle aussi tendit de plus en plus à devenir un poème.
Dans l'état où nous venons de la décrire, olle étaitassez notablement inférieure à Iliadeen étendue. Ilsemble que le poète qui l'acheva ait été préoccupé dudésir de rendre les deux poèmes aussi semblables
que possible l'un à l'autre.
Sa création principale fut la Télémachie, c'est-à-dirole groupe des quatre premiers livres actuels. L'Odyssée
primitive étant constituée comme nous l'avons dit, ilétait impossible, à moins d'un remaniement complet,de tirer de la légende môme du retour d'Ulysse lamatière d'un préambule quelconque. Les récits duhéros chez Alkinoos, avec les chants d'introduction,l'embrassaient en effet tout entière. Le poète y suppléade la manière la plus ingénieuse. Il s'avisa de grossir
l'Odyssée par des emprunts à la légende générale du
retour des Achéens, et pour cela il mit en scène quel-
ques-uns des compagnons d'Ulysse racontant leurs
aventures. Le personnage du jeune Télémaquelui servit
fort heureusement à renouer cette addition il la série des
chants déjà existants. En racontant ses voyages chez
Nestor et Ménélas, il ajouta toute une partie préliminaireau poème. Cette addition entraîna par une conséquencenaturelle des remaniements assez profonds dans la
seconde partie. Comme Télémaque y jouait déjà un rôle,il fallut le ramener à Ithaque après l'en avoir éloigné;et de là les raccords médiocrement heureux que nous
avons signalés en analysant la partie du poème quis'étend entre les livres XIII et XVI.
ACHÈVEMENT DU POEME 337
Si les dernières scènes du vingt-quatrième livre,c'est-à-dire la Reconnaissance «TUlysseet de Laërte et laCombat avec les gens d'Ithaque, no constituent pas unedes additions mentionnées tout à l'heure, c'est sansdoute aussi à ce poète qu'il faudrait les attribuer. L'O-
dyssée en effot, telle qu'elle allait sortir de ses mains,n'était plus une série de scènes, c'était une action com-
plète, agencée dans toutes ses parties, et qui devait par
conséquent aboutir à un déooûment. Si ce dénoûmentn'existait pas encore, il ne put faire autrement que de
l'ajouter.Grâce à ce travail d'achèvement, l'Odyssée devint le
poème que nous possédons, sauf peut-êtro quelquesinterpolations postérieures sans grande importance.Quelles que fussent les dissemblances qui subsistaiententre ses parties, elle prit l'aspect extérieur d'une
composition qui aurait été faite d'après un plan arrêtéd'avance. L'arrangement de cet ensemble eut même, en
apparence, quelque chose de plus réfléchi que celui des
parties de l'Iliade. Cela provint de deux causes d'abordde l'idée primitive qui avait fait d'Ulysse lui-même lenarrateur de ses propres- aventures, idée qui avait eul'influence la plus profonde sur la constitution de la
partie la plus ancienne du poème; en second lieu, de lamanière dont le poème avait été complété par la 7e-
lémachie. Un heureux instinct poétique et une nécessité
avaient ici collaboré, malgré l'intervalle des temps. Il
n'y avait en réalité rien de savant dans la combinaison
qui en était résultée.
CHAPITRE VIIt b
LE GÉNIE ET L'ART DANS L'ODYSSÉE
80UMAIRE.
I. Étendue et proportions du poème. Unité du sujet; marche de l'ac-tion. 1/ Odysséemoins variée que l'lliade. II. Le récit. Caractèresnouveaux moins d'émotion et pins de curiosité. Les grandes scè-nea la Tempête, la Mort des prétendants. Ton général du poèmerareté des comparaisons, vraisemblance et finesse du récit. L'hommeet la nature; l'habitation d'Eumée. Fantaisie. Le naturel dans lemerveilleux le Cyclope. III. Les personnages Ulysse; valeur
poétique et morale de son caractère; sa prééminence dans le poème.IV. Personnages secondaires les alliés d'Ulysse, Télémaque,
Eumée et Philœtios; ses ennemis, les prétendants. Personnages lé-
gendaires Alkinoos, le roi hospitalier; Nestor et Ménélas. – V.
Les femmes Pénélope Arèté et Hélène; Nausicaa. VI. Les
dieux dans l'Odyssée. Ils sont plus unis et plus moraux que dans
l'Iliade. Différences de détail. Rôle d'Athèné. – VII. La langue de
l'Odyssée.
I
En quoi l'Odyssée, au point de vue de l'art, ressem-
ble-t-elle à l'Iliade ? En quoi s'eu distingue-t-ellc ?q
Essayons de complétor et de préciser ici ce qui ressort
déjà des précédents chapitres à cet égard ».
i. Les différences entre les deux poèmes homériques ont été assez
vivement senties déjà dans l'antiquité pour que deux critiques alexan-
drins, Xénon et Hellanicos, aient mérité le nom de ehorhontes en
ÉTENDUE ET UNITÉ DU POÈME 339
L'Odyssée, considérée dans son ensemble, est, commel'Iliade, un poème facile à embrasser d'un coup d'oeil,èîicrvwisTov.Même ampleur ot môrao mesure à la foisdans le récit: lorsqu'on le lit de suite, on arrive à lafin sans avoir rien oublié d'essentiel. Comme l'Iliadeaussi, l'Odyssée se partage naturellement on scènesdont l'étendue semble avoir été principalement déter.minée par les habitudes do la récitation publique. Cesscènes, grâce à la manière dont le poème s'est formé,so répartissent môme plus facilement en groupes quecelles do l'Iliade, et ce groupement spontané vient en-core en aide à la mémoire pour retenir la suite desévénements. De là résulte que l'Odyssée est un despoèmes épiques les plus attrayants, celui peut-être oùl'on se retrouve le plus vite ot avec le moins d'effort.C'est un de ses mérites que de coûter très peu de peinepour être bien connu.
Que faut-il penser toutefois de la proportion des par.ties L'analyse nous a montré combien l'étendue desscènos particulières y est pou en rapport avec l'influencequ'elles out sur la marche de l'action. Dans VIliade, ilest vrai, on voit aussi des épisodes secondaires déve-loppés avec une ampleur qui nous étonne^ mais lesgrandes scènes du poème, celles qui attirent le plus leregard, sont en même temps les plus nécessaires chosenaturelle, puisque l'action a été tout d'abord dessinéedans son entier par le poète créateur. Il n,'en est pasde mémo dans l'Odyssée. Là, comme on vient de le voir,les scènes particulières semblent choisies et dévolop-
refusantd'attribuerl'Odysséeà Homère;leur opinionfut vivementcombattuepar Aristarque.Consultersur cesujetSengebusck,Home-rusadisserl.prior,p. 56et suiv.La questionainsiposéeétait encoredébattueau tempsdeSénèque(Debrevitatevitae,13).Les chorizon-tes,peunombreuxdansl'antiquité,ontcertainementpoureux lama-joritédes critiquesmodernng.
830 CHAPITRE VII. L'ART DAXS L'ODYSSÉE
pées bien plus d'après l'intérêt qu'elles offrent parelles-mêmes que d'après leur rapport à l'action géné-rale. Dès le début, les longs récits de la Télémachie en
sjnt un exemple frappant. Puis, voici le groupe central
du poème, c'est-à-dire l'arrivée et le séjour d'Ulyssechez les Phéacions, où presque tout est épisodique,sans en excepter le VI* livre avec le rôle do Nausicaa.
Dans la seconde partie, qui ne sent combien l'étendue
des entretiens chez Eumée est hors do proportion avec
leur importance dramatique? Demême pour l'entrevuo
d'Ulysse et de Pénélope. De telle sorte qu'à une ou
deux exceptions près, les scènes les plus connues et
les plus largement développées sont aussi celles dont
l'action générale du poème pourrait le plus aisément
se passer. C'est là un fait qu'on ne saurait trop remar-
quer. Lorsqu'on loue la composition de l'Odyssée comme
plus savante que celle de l'Iliade, on se laisse tromper
par une simple apparence. En réalité, il n'y a de com-
position savante, à proprement parler, ni dans l'un ni
dans l'autre des deux poèmes mais les fondements de
l'Iliade oalètë jetés par une main plus puissante, à quiest due l'extrême simplicité de la construction. L'Odysséeau contraire, plus vaguement dessinée à l'origine, s'est
prêtée à des combinaisons plus complexes, mais moins
profondes et par suite elle laisse voir plus clairement
la disposition d'esprit des poètes de ce temps, pour
lesquels l'action générale était en somme peu de chose,
et qui s'attachaient à chaque scène selon l'intérêt qu'elleleur offrait.
Donc plus de laisser aller, en ce qui concerne les pro-
portions, dans l'Odyssée que dans l'Iliade. En outre,
une liaison moins nécessaire entre les parties. L'Iliade
sort tout entière d'une situation morale et, pour ainsi
dire, d'une passion; on ne saurait trop admirer la puis-sance et la fécondité du génie qui a tiré cette situation
ÉTENDUE ET UNITÉ DU POÈME 881
de la légende, qui l'a rendue tout d'abord si intéres.sante. et qui a marqué avec tant do vigueur les deux
i ou trois phases principales de son développement.Dans YOdyssée, les événements du poème ne sont pasles conséquences d'une situation morale posée dès ledébut. La destinée d'Ulysse est indépendante de savolonté, on grande partie du moins; il la subit, maisil ne la fait pas; par là même, les phases do l'action sontmoins fortement liées les unes aux autres.
Toutefois l'unité de l'Odyssée ost évidente, et Aristoloa ou raison de la mettre on lumière comme il l'a fait.Mais elle n'apparUont pas comme celle de l'Iliade à unseul auteur: elle est Pœuvro commune des trois poètesprincipaux dont nous avons distingué dans le poèmeactuel les inventions successives. Le plus ancien, l'au-teur des Récits d'Ulysse et de son séjour chez les Phéa-cions, en a déposé le germe dans ses chants en prêtantà Ulysse une pensée dominante, celle de rentrer dans samaison; l'unité totale lui doit plus qu'à tout autre. Aprèslui, l'auteur des principaux chants do la seconde partiea développé ce germe en prenant précisément comme
sujet l'accomplissement de cette pensée d'Ulysse; c'estgrâce à lui que l'aventure du héros est devenue un tout,puisqu'il lui a donné sa fin naturelle. Enfin le poète dela Télémachie, loin do méconnaître ou d'oublier cetteunité, a plutôt cherché à la fortiBor, en faisant entrevoiret désirer, dès le commencement du poème, le retour etla vengeance d'Olysse, qui en forment le dénoûment.
Malgré cette collaboration si intelligente, non seule-ment les événements de l'Odyssée sont moins fortementliés que ceux do l'Iliade, mais ils sont aussi moins con-densés. Quel que soit le nombre des épisodes dans l'Iliade,le tissu du poème est remarquablement serré. Tous lesévénements principaux y tiennentdans un court espacede temps. Depuis la promesse de Zeus à Thétis, au pre-
838 CHAPITRE VII. – L'ART DANS L'ODYSSÉE
mier livre, jusqu'à la mort d'Hector, au vingt-deuxième,il ne s'écoule que cinq jours. Dans un récit fort étendu,
l'action est pressée; cola tient à sa nature mémo une
situation violente produit ses conséquences rapidement.En agrandissant les donnéos primitives, on a du accu.
muler les scènes secondaires entre des scènes principa-les peu distantes les unes des autres. Aussi lo récit est-
il chargé, parfois môme avec excès. Dans YOdyssée au
contraire, les événements remplissent un pou plus d'une
trentaino de jours; c'ost une durée six fois plus longue;et il faut remarquer quo cos événements sont fort pounombreux, car les aventures proprement dites d'Ulysse,
présentées sous formo do récits épisodiques, sont cen-
sées s'espacer dans une période de dix ans qui est en
dehors du poème. Si donc l'Iliade est trop remplie, l'O-
dyssée no l'est peut-être pas assez. Le développement en
est trop étendu pour le sujet, et on croit y sentir dans
certaines parties la préoccupation d'atteindre, en dépitde la matière, aux dimensions on quelque sorte typiquesde l'lliade.
Inférieure à l'Iliade pour la structure, l'Odyssée l'est
aussi pour la variété. Cela est d'autant plus remarqua-
ble, qu'à considérer seulement le sujet on pourrait s'at-
tendre à co qu'il en fût autrement. Toute l'action do
l'Iliade so passe dans un camp; il semblo que nous no
devions avoir sous les yeux que des scènes de guerre.L'action de YOdyssée au contraire se déroule sur plu-sieurs théâtres très différents, tantôt sur les mors, tan-
tôt dans une îlo merveilleuse, tantôt à la campagne,tantôt dans le palais d'Ulysse. Mais c'est là une variété
plus extérieure que profonde. Celle qui vient du poète
lui-même, de ses inventions personnelles, est moindre
dans l'Odyssée que dans l'Iliade. Toute la Télémachie
est d'uu mémo ton, qui, malgré la brièveté relaMvn de
cette partie du poème, no laisse pas que d'être mono-
ÉTENDUE ET UNITÉ DU POÈME 933
tone. Maisc'est surtout à partir du treizième ohaat jus-qu'à la On,quocemanque de variété se fait sentir. Nousnotrouvons pas là, commedans YIliade,ces alternativespuissantes, eus scènes gracieuses ou touchantes, mêléesà des scènespassionnées, ces différencesde ton et de ma-nière qui réveiilont sans cesse l'attention Rienne ré-vèlo mieux la différenced'âge dos deux poèmes. Quandl'Iliade se fait, la poésie épique, toute jeune encore,laisseà l'initiative de chaque poète une ample libertéau contraire, au temps de l'Odyssée,los traditions sont(lovonuesplus assujettissantes l'art a ses procédés quilo rendent plus facile, mais aussi moins original: l'aèdea moinsd'efforts à faire, et, par une conséquencenéces.sairo. il est moins personnel.
Ajoutons que l'Odyssée, selon laremarque bien con-
nue d'Aristote et do Longin, est moinsdramatique quo
l'lliade La narration y tient souvent la place do l'ac-tion 3. On no peut nier, ce me semble, que le poème parsuite ne
languisse on plus d'un passage; on y sont quel-quefois ce que l'autour du Sublime appelle la vieillesse
(l'flomèro, et ce quo nous appellerons, nous, l'affaiblis-
i. La critique de la Harpe à ce sujet n'est pas aussi injuste qu'onl'a dit quelquefois, malgré son exagération évidente, a La marche del'Odyssée,dit-il, est languissante. Le poème se tralne d'aventures enaventures, sans former un nœud qui attache l'attention, et sans ex-citer assez d'intérêt. La situation de Pénélope et de Télémaque estla méme pandant vingt-quatre chants, etc. » (Cour* de littérature,cUap. tv, section première ) Tout cela est plutôt dur dans la forme,qu'entièrement inexact quant au fond.
t. Aristote, Poét., c. 2t 'H (iiv 'IX,à; i,««v»x4v. J, tï 'OMo^ia.r,0:xi;.
3. Traité du Sublime, chap. vu (traduction de Boileau) « De làvient, &mon avis, que, comme Homère a composé son lliade durantqne son esprit était dans sa plus grande vigueur, tout le corps de sonoavrage est dramatique et plein d'action, au lieu que la meilleure par-tie de l'Odyvae se passe en narrations, qui est le génie de la vieil-lesse tellement qu'on peut la comparer dan* w dernier osrxagc ausoleil quand il se couche, qui a toujours sa même grandeur, mais quin'a plus tant d'ardeur ni de force. h
834 CHAPITREYH. – L'ARTDANSL'ODYSSÉE
semont. pou sensible encore, mais pourtant réel, de la
poésioépique, après lo grand effort qui avait produitVHinde.
Il
Cesdifférences générales entre los deux poèmes, nous
les retrouvons jusque dans le récit. Non que l'art nar.
ratif do l'Odyssée soit autro quo celui do l'Iliade: la ma.
nière de composer un récit, de le conduiro h sa lin, de
le varier, en un mot l'onsemble des procédés instinctifs
ou traditionnels, noditibre pas sonsibloment d'unpoèmoà l'autre. Ce qui est nouveau dans l'Odyssée, ce n'est
pas la forme do la narration, c'est l'esprit du narrateur.
Les grandes scènes à proprement parler, celles quioxaltent puissamment l'imagination et qui nous remuent
jusqu'au fond du cœur, y sont aussi rares qu'elles étaient
fréquonles dans l'Iliade. Et il ne faut pas dire quo cola
tient au sujet et à la nature môme dos choses. Le mèmo
sujet pouvait être traité d'une manière toute différente.
Il oùt été facile à un poète d'une âme ardente, comme
l'était l'auteur dos scènes primitives de Iliade, d'inven-
ter des épisodes, qui, sans modifier la marcho légen-daire do l'action, lui auraient donné un autro aspect.Nous imaginons sans peine une Odysséeoîi les voyagestiendraient moins do place, où le séjour chez Euméo
serait à peine indiqué, et qui se concentrerait presqueentièrement dans le récit de la vengeance, grossi de
quelques scènes pathétiques; un poème tragique, animé
d'un soufllo guerrier, quelque chose comme les Nieùe-
UmiffMhalléntftés. Si lo poète qui a créé l'Iliade avait
aussi créé l'Odyssée, il nous bemblo qu'il l'aurait ainsi
conçue. Nous no pouvons soupçonner assurément tout
LE RÉCIT 335
ce que sa puissante imagination aurait tiré do son sujet,mais nous sommes certains qu'il aurait su, d'une ma-nière ou d'une autre, remplir son œuvre des passionsénorgiques do l'Iliade. Il ost clair qu'aucun des autoursdo l'Odyssée n'avait cette fougue ni cet essor de pensées.Sans doute te temps même où ils composaient les pré-disposait à un goût différent. Autour d'eux, on admiraitmoins qu'autrefois la force du guerrier et le déchatne-ment brusque des passions; on su détournait do plus en
plus do la violence; on appréciait clmquojour davantageles qualités qui sont propres à la vie civile, la justice,l'intoUigenco, la sociabilité. En toutes choses, l'idéalétait désormais plus humain. Et dans la poésie même,on voulait moins d'ùproté, moins do grands élans peut-être, mais plus do finesse, plus d'observation délicate,plus de détails vraisomblablos et curieux. Le plaisir de
l'esprit se mêlait do plus en plus a celui du sentiment.Acoup sur les auditeurs demandaient toujours au poètede les émouvoir, mais ils préféraient une émotion plustempérée, qui laissait à l'intelligence la liberté de s'ins-truire et de reconnaître les choses dont on lui parlait.L'ûpopée, pour leur plaire, devait donc se rapprocherdo l'histoire, c'est-à-dire de la réalité.
Il n'y a guère dans V Odyssée que deux scènes, quirappellent par des effets grandioses ou terribles certains
passages do l'Iliade: la description de la tempête, auV°livre, et celle du massacre des prétendants au XXII*.La première a précisément le genre de grandour quenous avons noté dans l'Iliade', quelques effets simpleset frappants, produits par un petit nombre de traits
énergiques, qui rossortent d'autant plus que la descrip-tion est moins chargée de détails
« En parlant ninai, Poséidon rassembla las nueges, et «al*ms.siuttà deux mains son tridont, tt boulovoraa la mer.Ton*tonHoufflosdos vents ao déchulnôrest a la toi de tous
830 CHAPITRE VII. L'ART DANS L'ODYSSÉE
oôtôs; un voile épais de vapeurs enveloppa soudain la terreet la mer; et du olel une masse de ténèbres descendit.Euros
et Notos fondirent ensemble sur tes flots, et avec eux Zè-
phyre au souffle terrible, et Boréené au plus haut des deux,roulant devant lui les flots amoncelés < Commeen un
jour d'automne, quand Boréechasse a travers la plaine des
ronces arrachées aux buissons, qui s'enlacent étroitementen faisceau, alnel, a travers la mer, les rafales pouasaientUlysse ça et la: et tantôt le vent du Midi le lançait commeun jouet au vent du Nord, tantôt la vent d'Est le livrait auvent d'Ouest qui le ohassait devant lui*, »
Toutes les terreurs et toutes les violences de la tom-
pète sont ici comme rassemblées en quelques mots. Ett
cotte impression île grandeur ne résulte pas seulement
d'un ou deux passages du récit, elle subsisto depuis lo
commoncement jusqu'à la fin. Mais, outre que cela est
exceptionnel dans YOdyssée, il faut reconnuitru quo là
mémo les caractères nouveaux du récit épique apparais.sont. Si importante quo suit par elle-niômo la descrip-tion do la mer décliainée, il y a quoique chose duns ce
morceau qui attire davantage l'attention, cV,st la lino
et curiouse analyse de ce qui se passe dans la ciour d'U-
lysso. Nulle part dans l'Iliade on no trouverait une suc-
cession de sentiments aussi exactement déduite quo
collo qui remplit cos deux cents vers. Et il ne s'ugit pas
seulement des émotions principales, abattement, retour
d'énergie, défiance, obstination, elforts héroïques, priè-
res, élan de joio; dans chacune de cos phases, que do
moments divers à distinguer I comme lo poète mplaît à
cette analyso toujours juste, où il cxcellol Suivoz-lo pas
à pas; voyez-le créer ingénieusement descireonslaneos»;
point do minutios assurément, niais que du fimmaodéjà
dans cotte peintura, si largo encore I
Si cola est vrai do colla grandu scouo de la U>ninM<s
i. <i(iytté$,v, aoo-ww.B.ttdyêiét,V, »i7-lUJ.
LE RÉGIT 337
iiiai, ii«ii mu. oi.^h*. t. i, as
combien plus encore du massacre dos prétendants t Ici,
la différence avec l'Iliade ost d'autant plus frappante,
qu'il y a plus d'analogie dans le sujet. Rappelons-nousles bataillos épiques qui ont été précédemmentétudiées.Ne somblait-il pas qu'on dehors môme dos passions por-sonnellos des combattants, chacune d'ellos eut sa vie
propre ? Les diverses heures du jour, les accidents du
combat, surtout l'intervention dos dieux, produisaienttour à tour dans le développement do la lu*te dos varia-
tions dramatiques. Derrière les roncontros individuel-
los, quelque chose d'immense apparaissait, la bataille
ello-meme, avec ses redoublements de fureur ut ses al-
ternativos do succès. Rien de semblable dans la scène
du massacre. La furce de la conception y éclate surtout
a doux moments au début, dans l'admirable révélation
d'Ulysse, à la fin, lorsque la tuerie est achevée, et quenous avons sous les yeux la cour pleine do morts et la
salle pleine do sang. Quant au combat lui-même. c'est
par l'étude dos caractères et par l'ingénieuse invention
des péripéties qu'il nous frappe. Lo triomphe du poète,c'ost de nous montrer d'une part la colèro implacable
d'Ulysse, sombre ot sur do sa vengeance, de l'autre les
sentiments variés des prétendants, leur olfroi, tours
vaines adresses, leur désespoir; c'est do cola qu'il fait
son drame, ot celui qu'il compose est admirable. Mais
l'épopée ainsi conçue fait déjà pressentir l'histoire.Est-co à dire que lo récit dans l'Odyssée manque gé-
néralement do grandeur? Rien n'est plus loin de notre
pensée. Mais c'est une grandeur plus calme et plus
é#ulo. L'Iliade nous ravit d'admiration, s'empare de nosninos et les exalte puissamment. L'Odyssée nous élève
dmiciiitiont jusqu'à une région de poésie serein®, dont
i)l|odéroule duvaul nous lot» large» ut euriouaes perspec-tives.
Uuttodiirorouutt no marqua, peur aluni diro, ostoriou-
838 CHAPITRB VII. L'ART DANS L'ÔDYSSÊE
remont dans un fait significatif, qu'on a plusieurs fois
noté. Los comparaisons abondent dans l' Iliade, ollos
sont très rares dans YOdyssée.N'est-ce pasparce que la
comparaison.'telle que les anciens poètes l'employaient,était une manière briUanto d'idéaliser les choses, qui ne
répondait plus au goût nouveau? Lo récit du massacre
desprétendants offrait au narrateur bien des occasions
do mettre en usago ce procédé traditionnel; il los a
toutes négligées. Lo combat est raconté dans les trois
cents premiers vers sans une seule comparaison, et c'est
seulement à la fin, pour poindro la dispersion effarée
des vaincus et l'acharnoment des vainqueurs, que le
poète revient par exception à l'ancienne manière i. Ce
n'est pas tout; non seulement le nombre des compa-raisons est beaucoup moindre dans YOdysséeque dans
Ylliade, mais un outre culles qu'on y trouve ont un eu-
ractèro différent. Lo plus souvent, elles sorvont, non
plus ù agrandir los conceptions, ni à ornor le récit, mais
à expliquer les choses représentées. Lorsque Ulysse,avec l'aide de ses compagnons, onfonce le pieu brûlant
dans l'œil du Cyclope,le poète le compare à un char-
pentior qui, à l'aide d'uno tarière, perce une poutre, ot
il nous fait voir le mouvement de l'outil, tiré alternati-
vement dans les doux sens par doux équipes d'ouvriers
Recherche d'exactitude, qui prouve assez quo le besoin
de décrire avec précision commençait à prédominerdans la poésie sur le désir d'idéaliser. Et cola est plussonsibloencore, quand, aussitôt après, le narrateur nous
dépoint l'horrible blossure du Cyclope:
«Lorsqu'unforgeronplongedans l'eau froide une lourde
haoheou unedololraqu'il veut tremper – carc'eutlà cequidonneau fur 8»force. – le mitai boutiiaut om au inltiau
i. OdjfiiMXXH,'|9»-»O9,8.ojj/n^ ix, au-a»i.
LE RÉCIT 339
de la vapeur; ainsi l'œil du monstresifflait autour du pieu'd'olivier'.»a
Si un des poètes do YIliade avait ou à traiter ce pas.sage, on peut e'ro assuré, co mo sembla, qu'il n'aurait
pas décrit do cotte manière. Co qui l'eût préoccupé,c'oùt été dotraduire par une comparaison hardie et sai-
sissante la force de la douleur subite qu'éprouvo le
monstre ou l'intensité elïroyablo do ses clameurs. Par
instinct, il aurait cherché l'offot dramatique, là où le
poète de VOdt/sséecherche plutôt la justesse descrip-tive.
Si cotte manière nouvelle ost inférieure à l'ancienne
par certains côtés, il faut reconnaître qu'elle a mis àla
dispositiondes poètes dos rossources qui ont bien leur
prix. Ce qu'ils perdent on puissance, ils le regagnenten agrément. Les chants do l'Odysséequi représententUlyssechez Eumôe marquent vraiment l'avénement
d'une poésienouvelle. C'est dans cette partie du poèmepcut-ôtroqu'il y a le moins d'action maisc'est là aussi
quo se laisse le plus délicatoment sentir ce qu'on pour.rait appeler le mérite propro do l'Odyssée. L'épopée,tout en gardant sa noblosso native, se fait là presquefamilière; le poèto est tout près do devenir conteur; il
soplaît aux petites choses, et il sait en dégager admi-rablement tout co qu'ollos contiennent d'aimable ou detouchant. La nature agreste, qu'on entrevoyait seule-ment çà et là dans l'Iliade par ces échappées de vuedontnous avons parlé, prend icibien plus d'importance.Sans doute, ce n'ost encore qu'un fond de scène, etl'action reste toujours, pour le narratour comme pournous, la chose principale. Mais ce fond de scène n'est
panun décor indifférent il prête à l'action un char mo
[iiAÏuuiUav,ut U nous occupa uuaot agréablement pour
t Odyuto,IX,301-30».
340 CHAPITRE VII. – L'ART DANS L'ODYSSÉE
qu'elle puisse se ralentir sans quo nous songions à nous
en plaindre. Qui no sait grô à l'épopée grecque d'avoir
un pou oublié ses traditions do grandeur idéale pournous poindre, comme elle l'a fait, la demeure rustiquedu bon Euroêe?
« Ulysse le trouva assis devant sa maison: là était une
haute étable, grande et belle, située sur un point élevé, et
accessible de toutes parts. Le porcher l'avait construite lui.
radine pour ses animaux, après le départ du roi, sans l'or-
dre de Pénélope ni du vieux LuiirtQ il l'avait faite en
grosses pierres et avait garni le mur de prunier sauvage.En dehors, il avait enfonoé en terre une longue série de
pieux très serrés, tous taillés dans du cœur de chêne. En
dedans de la cour, il fit douze hangars rapprochés, pour y
loger les porcs. Dans chacun de ces hangars, cinquantetruies étaient couchées sur le sol, destinées a l'accroissement
du troupeau; les mâles dormaient au dehors, bien moins
nombreux, car les prétendants, divins héros, en avaient pris
beaucoup pour leurs festins. Tout auprès, des chiens.semblables à des bêtes féroces, veillaient, la nuit; Us étaient
quatre, nourris par le porcher, chef des serviteurs. Eumée
était occupé alors & attacher &ses pieds ses chaussures, a
l'aide de courroies qu'il avait coupées dans un solide cuir
de bœuf. Des autres serviteurs, trois étaient allés de divers
côtés avec les troupeaux de porcs le quatrième, Eumée
l'avait envoyé aila ville, pour conduire un porc aux préten-dants orgueilleux. – dure nécessité, afin qu'après le sacrifice
Us eussent de quoi banqueter &leur aise >.»
Cette représentation des choses familières, si fine-
ment exacte sans être jamais fatigante ni surchargée,nous la trouvons partout, et toujours avec plaisir, dans
cette seconde partie do l'Odyssée. Ici, c'est la campagneailleurs la grand'route, la source des Nymphes où les
passants ont coutume do s'arrêter, le palais, avec ses
cours, ses salles, l'appartement des femmes, les pièces
I. Odyuée,XIV. 0-88,
LE RÉCIT 341
où sont gardées les armes, les dépendances où vont et
viennent les serviteurs. La vie rustique et celle quuii
menait alors dans les demeures des grands nous sont
racontées et décrites avec une foule de détails aussi
variés qu'intéressants. Voici par exemple le retour des
troupeaux à l'élablo et le sacrifice qui précède le repas
du soir:
« Ulysse et Eumée s'entretenaient ainsi, lorsque revinrent
à l'êtable les troupeaux do porcs accompagne de leurs gar-diens. On sépara les animaux par groupes pour la nuit; et
un grand bruit s'éleva quand ils se précipitèrent dans leurs
étables. Alors Euraôo dit a ses compagnons « Amenez-moi
le plus gras de ces animaux, afin que je le sacrifie enl'hon-
neur de l'étranger, notre hôte. Nous en profiterons aussi,nous qui prenons tant de peine pour les élever et les garder.Le fruit de nos fatigues, ce sont des étrangers qui le consom-
ment. » –En parlant ainsi, il fondait du bois avec sa hache.
Les autres amenèrent un porc de cinq ans, bien engraissé, et
ils le tinrent debout près de l'autel. Le porcher n'oublia pasles dieux, car c'était un hommo religieux. Il jeta dans le
feu, comme prémices, quelques poils coupés sur la tête du
porc aux dents blanches, et il pria tous les Immortels pour
que le sage Ulysse revint dans sa maison. Puis, soulevant
un lourd morooau de chêne, qu'il avait mis de côté en fen-
dant le bois, il frappa la victime; celle-ci tomba. Les hommes
l'égorgèrent alors et 1* firent rôtir; ensuite, ils la découpè-rent. Le porcher, prélevant les prémices de chaque membre,les enveloppait dans la graisse; et les saupoudrant de la
furine sacrée, il les jetait dans le feu. Le reste fut partagéen morceaux et grillé sur des broches Le porcher se leva
pour servir, car il savait ce qui est juste. Il divisa le tout en
sept parts; la première, il l'offrit en priant aux Nymphes et
à Hermès, fils de Maîa; les autres, il les distribua aux con-
vives. A Ulysse, il attribua la part d'honneur, un morceau
du dos du porc aux blanches dents. Et il réjouit le cœur du
f(«i Aussi le sage Ulysse loi dit-il – « Tolsses-tu, Euiuée, êlre
aussi agréable à Zeus que tu as su l'être à ton hôte, toi quiin'hoiioro3 ainsi, dans l'état où je suis. » – Et le porcher Eu.
iiiro lui répondit; – « Munge, hôte vénérable, et profite do ce
349 CHAPITRE VII. – L'ART DANS L'ODYSSÉE
que noua avons. Les dieux peuvent donner on refuser, selon
qu'il leur plait, car tout est en leur puissance »
Cette manière de peindre les hommes et les choses
par des détails familiers, cette fino naïveté qui sait
choisir, ce goût do l'exactitude piquante, cet art de don.
ner une valeur à des actions et à dos réflexions on ap.
parence insignifiantes, voilà bien co qui est nouveau
dans l'Odyssée et co qu'on no so lasso pas d'y admirer.
11avait fallu plus de génie sans doute pour représenterles masses d'hommes qui so heurtaient avec fureur
dans la plaine d'Uios; mais, pour tracer ces charmants
tableaux, il fallait plus d'esprit et presque autant de
poésie.Un autre trait propre aux récits do l'Odyssée, c'est la
part qu'ils font à la fantaisie, du moins dans les chants
où Ulysse raconte ses voyages. Ces longues chaînes
d'aventures morveilleusesno ressemblent guère à la sé-
rie des scènos guerrières de l'Iliade. Do narrateur épi-
que qu'il était autrefois, le poète s'ost fait conteur, pres-
que à la façon dos Orientaux. C'est là encore un des
charmes propres de l'Odyssée nous l'aimons pour son
merveilleux, comme nous aimons l'Iliade pour son hé-
roïsme.Ce qu'il y a d'exquis dans ce merveilleux, c'est qu'il
concilie constamment, et sans le moindre effort, deux
choses qui semblent s'exclure, la naïveté enfantine des
invontions et la vraisemblance morale la plus délicate 3.
Cette Une étude des sentiments que nous venons de
signaler comme le trait caractéristique de la seconde
partie du poème, elle ost aussi partout dans ces aven-
tures merveilleuses, mais elle y est, sans contrarier en
1. Odgssée,XXV,«0-«5.2. Nousn'avonsen vue iciquela partie anciennedes récits d'U-
lysse,tellequenous l'avonsdéterminéeprécédemment.Pour lespar-tiesplus récentes,il faudraittairedesréserves.
LE RÉGIT 343
rien la liberté gracieuse de l'imagination. Ce sont do
vrais contes d'onfants quo les récits relatifs aux Lo-
tophages ot aux Cyclopos, mais qu'il y a do vérité hu-
maine et d'art inaperçu dans cos contes I/ôpisoilo du
Cyclope ost le chef-d'œuvre on co genre. Avec quelle ha-
biloté, peut-être instinctive, co géant fantastique n'est-
il pas placé dès Io début du récit dans un milieu qui lui
prête, pour ainsi dire, touto la réalité dont il est sus-
coptibio t Nous no Io voyons pas tout d'abord; mais
voici au grotte, son troupoau, tout co qui atteste la
présence d'un habitant; ot avec cela, en quelques mots,une sorte de description préalable du monstre, do son
humour faroucho, do ses habitudes, comme pour nous
accoutumer à lui
« Quand nous arrivâmes au rivage voisin, nous vimes de-vant nous, a la lisière de l'lie, une grotte, tout près de lamer; elle était haute et tapissée de lauriers; des troupeauxnombreux, brebis et chèvres, y reposaient; un mur entou-rait leur parc; clôture formée de pierres qu'on avait dAtraî-ner jusque-là, et achevée avec de longs sapins et des chênesà la cime superbe. C'est 14 qu'habitait un homme gigantes-que, qui gardait ses troupeaux, seul à l'écart; jamais il ne semêlait aux autres, mais il restait dans sa solitude farouche,ennemi de toute justice. C'était un monstre prodigieux; ilno ressemblait pas à un homme habitué à se nourrir de bié,mais &un pic couvert de forêts, qui se détache seul au mi-Hou d'une chaîne de montagnes »
Le voilà bien, tel que la légende naïve le représen-tait aux contemporains du poète, mais l'adroit conteur
ne nous le laisse voir ainsi que dans le lointain. Dans
toutes les scènes qui suivent, l'homme-montagne est
devenu tout simplement une sorte de sauvage, d'une
taille gigantesque, d'une nature inculte et grossière-meut cruelle, dont la bestialité native est tempérée
»• Odguie, IX, 180-192.
SU CHAPITRE VII. – L'ART DANS 1,'OimSÉE
pourtant par une sorte d'attachement domestique pourson troupeau. Ainsi représenté, le Çyelope n'est plusun simple épouvantail, propre à terrifier des enfants,c'est un être vivant, qui devient concevable pour nous,
qui est accepté par notre imagination, et qui dès lors
nous interosse, tout en nous faisant horreur. Cette trans-
formation s'opère insensiblement dans le récit par les
détails choisis, par les entretiens, moyens bien simpleson apparence, grâce auxquels le narratour nous révèle
pou à pou dans cette brute gigantesque une sorte d'âme,
domi-humaino, domi animale, où s'agitent des instincts
conformes à sa nature. Voilà comment nous no som-
mes pas choqués de le voir rapproché d'hommes sem-
blables à nous, aussi vivants, aussi naturels que le sont
dans le môme récit Ulysse et ses compagnons.Quel que soit donc l'aspect sous lequel nous envisagions
le récit homérique dans l'Odyssée, nous en revenons
toujours à ce mérite prédominant d'un fin naturel et
d'une délicate vraisemblance. C'est par là que celte
admirable composition s'est fait aimer si profondémentde l'antiquité grecque avant de charmer les autres
peuples. L'Iliade était le poème héroïque par excellence,colui dans lequel l'àino nationale reprenait sans cesse
conscience de ses plus hautes qualités; mais l'Odysséeétait à la fois un rêve charmant, qui donnait à l'ima-
gination un délicieux essor, et le plus aimable tableau
de la vie antique dans sa simplicité primitive, où tant
de Qncsse se mêlait si agréablement à tant de naïveté.
III
Ce que nous venons de dire du récit s'applique assez
bien, d'une manière générale, aux caractères des pot-
ULYSSE 345
sonnagest. Moins fortement conçus que ceux de]' Iliade,ils plaisent par une vérité délicate et souvent familière,
grâco à laquelle plusieurs d'entre eux, dans des situa-tions fort analogues, se distinguent pourtant les uns desautres.
Ulysse est le digne héros du poème, dont il soutient,
pour ainsi dire, presque tout le poids. On ne sauraitdouter qu'avant même la naissance des premiers chantsde l'Odyssée, son caractère n'eût été dé jà asseznettement
esquissé par les récits poétiques qui avaient cours. Dans
l'Iliade, il est représenté à la fois comme brave etcomme habile; sa réputation de prudence énergique et
de savoir-faire est déjà bien établie; mais rien dans le
poème ne justifie l'épithète de icoXûrXoc;,« durement
éprouvé », qui y revient à plusieurs reprises. Si donc
elle n'a pas été introduite dans l'Iliade postérieurementà l'Odyssée, ce que nous croyons pou problable, ellefait allusion à une légende déjà formée, relative aux
voyages du héros. C'est de cette légende qu'a du sortirla première esquisse du rôle. Ulysse par conséquent s'estoffert au plus ancien poète do l'Odyssée comme un typed'homme avisé, endurci à la peine, indomptable dans la
souffrance, et constamment en possession des mer-
voillousos ressources de son esprit comme de celles deson courage.
Voilà ce que ce poète a reçu, mais voici maintenantce qu'il a créé de lui-même. Cette énergie intelligented'Ulysse, il a su la rendre vraiment dramatique, ennous la présentant dans un récit tout nouveau, noncomme une sorte de vertu naturelle, mais comme
l'effort d'une volonté généreuse appuyéo sur un motif
i. L'éditiondel'OdyssicdoIJaj-mancontientdans l'appoiiJicBEuneanalyseassezdétailléeducaractèredes principauxperepnnages,Ulysse,Pénélope,Télémaque,Pallas, Antinoos,Eurymaque,Méné-las,Hélène.
346 CHAPITRE VII. – L'ART DANS L'ODYSSÉE
profondément humain. Son Ulysse n'ost pas seulementun hommo qui souffro avec cuurago; co qu'il y a dovraiment supérieur en lui, c'est l'attachement à son
idée, qui ello-màinoest au fond unoaffection. H veutrevoir sun foyor, et rien no peut étouffer on lui co désirni môme le diminuer. C'ost une passion moinsardente,moins tumultueuse surtout, quo colle d'Aelii'lo, mais
aussi fortement enracinée. Ello tient à l'homme,et c'est
par elle saule qu'il agit. Quand il parait pour la pro-inièro fois dans le poème, retenu encore chez Calypso,c'est dans l'aititudo do l'oxilé qui n'a qu'uno seule pen.sée, cellodu pays natal
«Tout le jour, assis sur les rochers et sur le sabledu ri.vage, usant ses forcesdans la douleur,dans les larmes etdans les gémissoments,il tenait ses regardsattachas a l'ho.rizondes flots,lesjoueshumidesde pleurs »
Coregard, qui cherche Ithaquo à travers l'étendue
inlinie des mers, nous explique du premier coup le rôle
tout entier. Il y a un amour profonddans ceUo Amesi
forteet si maîtresse d'ollc-memo, un rogrot comploxo,celui de la famille, du foyer, des lioux ou l'on a vécu,
des êtres que l'on a chéris. Lorsque Calypsocherche à
inspirer du moins à Ulysse un peu d'hésitation, cet
amour so révèle tout entier on quelques mots
«Déesse,ne te fâchepas contre moipour cequeje vaisdire. Je sais, moiaussi, que Pénélope n'a point ta beauténi ta taille divine; elle est mortelle,et toi tu es Immortelleet toujoursjeune.Mais,malgré cela,ceque je veux, cequeje désiresans cesse,c'est de revenirchezmoi, c'estde voirluire lejour de monretour.Et si quelquedieudoit mefairesouffrirencoreau milieu de la mersombre,eh bient je sup-porteraicela,carj'ai un cœur habitué a la souffrance.Déjàj'ai enduré bien despeineset bien des fatiguessur.les flots
f. Odyuée,V,185-159.
ULYSSE 947
et dans les combats; que ge mal nouveau s'ajoute aux mauxque j'ai subis précédemment I »
Ulysse, dana V Odyssée, esl le type do l'humum quiveut parce qu'il aime, et qui réussit parco qu'il veut.Colto conception, si frappante ot ai noble, ost d'ailleurs
exempte do toulo raidour. Dion loin do s'ondurcir dansune sorte d'obstination méprisante et surhumaine, l'umodu Itéras reste ouverte à toutes les émotions, Ln swtif-franco semble toujours neuve dans ce eiour ci exerce àsouffrir. Rien de plus touchant que sa plainte quand la
tempête le saisit au milieu do la mer
« Ahl trois et quatre fois heureux ceux des Donnons quiont pôrl dans la grande plaine do Troie pour venger lof-fenso des Atrides 1 Moi aussi. que ne suis-je mort avec eux 1Que n'ai-je vu le terme de ma destina, le jour où les Troyenson masse m'accablaient sous leurs javelots d'airain autourdu cadavre d'Achille Si j'étais tombé là, j'aurais ou de glo-riouses funérailles, etles Aohêens auraient oôlôbré mon nom.Au lieu qu'à présent, voici l'horrible mort quo le destin m'a-voit réservée». »
II gémit, il espère, il se réjouit tour à tour avec unenaïveté qui nous enchante. Quel tableau que celui desa délivrance, quand il aborde à l'embouchure du fleuvedans l'île des Phéaciens
« Écoute-mol, ô fleuve, quel que soit ton nom. Avec qaetdésir je viens Atoi, échappé des flots et sauvé des menacesde Poséidon 1Il est digne de la pitié des Immortels, l'hommequi vient à eux vagabond, comme je viens aujourd'hui verstes eaux courantes, comme je me jette à tes genoux, ô diou,brisé par la souffrance. Pitié, roi de ces eaux je suis tonsuppliant. » – Il parla ainsi; et le fleuve soudain suspenditsou cours; il calma ses vagues, et devant le malheureux ilétendit ses eaux en une nappe unie, et il le laissa trouver
1.Odyi»* V, 155-159.2.Odyssée,V, 303-313.
318 CHAPITRE VII. l/ART DANS L'ODYSSÉE
un refus* dans son estuaire. Alors Uyase fliolilt le» deux
genoux et l«U«a retomber ses bras robuMea, car la vague
avait brbô son courus». Son eorps était enflé, I'e«u «al*«
coulait de «a bouche et de se» narines; sans aouftl» et «an»
voix, il restult étendu sur ta aot, à ddml-raort; une fallgat»
douloureuse le pénétrait. Muta quand 11eut repris haleine,
quand le sentiment sa réveilla en lui, il rejeta au loin l'é-
oburpe dino. et faisant quelques pna pour a'ôcarter du
fleuve, il sa coucha dan» les roseaux du bord et il battu la
terre, nourricière des hommes •<»
Sa douceur, quand il s'u,lrosso à Nausicaa, sa dignité
chez ses hôtes phoaciens, furniiuil uutant de nuances
délicnlos dans son caruclôrc et riivôlonl une nature ri.
che dans sa simplicité.
Une fois qu'Ulyaso est h Ithaque, c'est-à-dire élans
toute la socondo partie du poème, aa force d'aino se uton-
tro à chaque instant par la contrainte qu'il exerce sur
lui-moire jusqu'au dénoumont, on ao dissimulant soit à
ses ennemis, soit uiôiao h ses amis. C'est un grand et
touchant spectacle que celui do cet homme qui est enfin
dans sa patrie si désiréo et qui no peut en jouir comme
il le voudrait. Mais lorsque de plus il est insulté par le
chevrier Mêlant heus ou môme outragé et maltraité
par Antinoos, alors cette dissimulation devient vrai-
ment dramatique, car elle impliquo une lutte torri-
blo de la volonté contre la plus naturollo des pas-
sions
€ Tout en parlant, Antinoos avait lancé l'escabeau qui
frappa Ulysse à l'épaule droite, entre le dos et le cou. Il
resta ferme comme un rocher, inébranlable sur ses pieds.
Le projectile d'Antinoos ne la fit pas même chanceler; mais,
muet, il secoua la tête, sombre et absorbé dans ses pen-
sées »
S'il y a quelque chose à reprocher à cet admirable rôle
1. Odyuie, V, 445463.1. Odyssée,XVII. 462-405.
>.UtYSSB 349
dans cotte partie du poème, c'est peut-être un certain«ces danscoUo possessiondosui-mômo.Kousvoudrionsque dos aantimouls si durmnont contenu* vUmmil toutà coup à m décharger. Il. éclatent au XXII»livre, aucommencementdu massacra dos prétendant*, dans l'es-plosiondo colère par où débuta cotte scène:
• Ahl chlon»,vouano ponsloipus queje reviendraisehetmoldu paya lotntaln d'IUo»,tordue VOtt*rulnie»,“» mal.son, lorsquevou»fahiei violenceAin«*«ervnntet,larguemolvivant, voua «ourtUle»ma femme,«an»oruinUreni !••.lious.qul habitant leva«t«el»l,ni la vongeancofuturdd'au-«in homme.Ehbien!aujourd'hui, tous,tant que vouaètw,vou»voicidons lea liensde la mort«.»
Colaest suporbo, mais nous voudrions un pouplus.Ily avait dautros passions dans l'âmo d'Ulysso quo lacolèreet la aoif de so vongor. CesalFoctionssi profondestjui sont rostéos vivantos dans aon cajur depuis vingtuns, nous avons besoin do les voir déborder libromontaprès cotte violente contrainte. Kilosho montrent assu-riiinonl dans les scènes do reconnaissance do cette se-condepartie. Maisil semble que le narrateur ait quel.que scrupule d'insister sur ces divines faiblesses ducœur et qu'il nous on ir '<nugolo spectacle d'une ma-nière bien parcimonieuse. Ulyasoest plus tendre, plusprofondémenthumain dans los chants do la premièrepartie il devient plus dur dans ceux de la seconde, oùlacontrainte est une nécessitéde son rôle, et l'idéal dofonnoté que le poètea devant los yeux ôte à son géniequelquechose de sa liberté.
Quoiqu'il faille penser do ces légères défectuositésqu'on rencontre dans toute œuvro humaine, la hautovaleurpoétiqueet morale do ce caractère ressort d'elle-mêmeet frappo immédiatement tous les yeux. Si les
«<%M^.xxu.35.il.
350 CHAPITRE VII. L'ART DANS L'ODYS8t*
éprouves d'Ulysse sont d'une nature exceptionnelle,
ollos ressemblent cepondanl à toutes les épreuve» poa-
sibles par lo«souffrancesqu'elles infligont à celui qui en
ost victime et par les qualités morales ou intellectuelles
qu'elles l'obligent à mettre en jeu. Nous avons donc la
sous les yeux l'exemple d'inquiétudes, de regrets, d'an.
gois.as. de craintes, d'humiliations plua ou inoins ana.
loguoi à cellosqui ne rencontrent dans toute existence
humaine; à ce point de vue, le rôle d'Ulyssoest unique
dans l'épopéo il noua oflro comme un raccourci des
épreuves et dos douleurs auxquelles nous sommes su-
jota, et il noua donne lo spectacle fortifiant du triomphe
do l'intelligence associéo à l'énergie. On sait combien
l'antiquité en a été frappéo. MÔmosans la Télénmhie,
YOdysséeaurait été populaire dans la Péloponnèseet
particulièrement à Sparto; des allusions qui subsis-
tont encore dans plusieurs fragments du poète Aie-
man prouvent qu'ello y fut Wonconnue 8t aiméo». Rien
do plus naturel. Le héros dol'Odyssée était on quelquo
sorte lo typo do la vertu lucédémonionne, avec moins
de raideur toutefois ot plus d'adresso. Plus tard la phi-
losophioa repris cotte idée et l'a encore exagérée. Elle
a semblé prêter aux vieux poètes dos intentions d'en.
seignement qu'ils n'ont puavoirot qui auraientnuià leur
exquise naïveté*. La poésie homérique ne tenait pas
écolode morale. Mais, commotoutea les grandes poésies,
elle servait la morale en représentant le vie humaine
qui ne saurait s'en passer. Dans cet ordre didéos, la
figure héroïque d'Ulyssoest une des plus noblesqu'elle
ait créées.
1. Part. Iffieigmci d» B«rgk. Aleman. tt. M42, il «te.
S. Horace, Êpitrtt, I, >, r. 17 et ratv.
Rartumquldvlrlu*etqnldMpisnUapoMttUUleproposaitnoblsexemplur,UiyMwm.
AMISST BNNBMISD'ULYSSE 351
IV
l,o sujetinéiiiudoVOtijfuég,non muinsque la coudutte
dit poème, donne au pontonnago d'Ulysso une préémi-m>uceexcessive.
Acôté do son rôle, il n'en est aucun qui ait l'impor.luiiuodes rôles sooundairosdo VIliade. C'est môme là
unodescause. qui tont que eu dornior poème est plulvaria. On ne saurait comparer, au point do vue drama-
lit|uo,niTôléinaquo, niEuméo, ni Antinoos à Agamom-
uu», ù Diomèdo. à Hector, à Priam. Tout co qui paraitdan*l'lliadc oslgrund dans VOdyuét, il n'y a do gran-deur quo chez Ulysse il suffit quo les autres personna-
gussoient vrais ot diveraoment intéressants.
Nommonsd'abord Télémaquo, puisqu'il romplit les
premierschants et rosto on scène jusqu'à la lin. Cequenousavons conjecturé de la formation du noùinoexpli-
quo les incertitudes de son caractère. Tclôinaquc n'u
dù figurer d'aborddans loschants primitifs de la seconde
partiequ'à titre d'auxiliaire indispensable du son pare,parconséquent dans une situation subordonnée. Plu8
tard, l'auteur de la Télémachieet des raccords do la se-
condepartie on a voulu faire un vérilablo personnaged'épopée.Il semble s'être inspiré principalement pourceladu rôle du jeune homme dans le vingt-el-uniômochantactuel. Il a voulu représenter on lui, au point do
vue moral, la transition entre l'adolescence et la viri-
lité.Conceptionsingulièrement difficileà réaliser, puis-qu'elle excluait d'avance tous les traits accusés quiconviennent le mieux à la grande poésie épique. On ne
peutnier ni le succès partiel du poète, ni les défauts de
sonoeuvre.SuuTéléuittque ue nous est pas indifférent
M» CHAPITRE VII. – L'ART DANS L'ODYSSÉE
il y a en lui une sorte d'ingouuUô flère qui nous nt-tache, et on même temps un sentiment de sa faibles^*
qui parfois le rondtouchant. Mais,avec cela, nous no|«
comprenons pas entièrement. On ne soit trop ee qu'ilvout ni co qu'il ationd de sa mère. Il y a môme à cutégard do véritables contradictions dun* le puent»*,Qu'ollos proviennent do surcharges plus ou muins ré-cuntus, coluse peut mais cos surcharges mômes nu-raiont été impussiblus si la concoplionpremière eut élv
plus uello. –Acoté du Télémuque, il suflil du mention-ner lu vieux l.utirto, dont il est surtout (|uostion dans tuseconde partie du poème. Il no paruit on pornwiimtqu'au vingt-quatrième chuitt. Tuut sou rôlu est contenudans une seule scène, bien touchante, cello de sa recon-naissancesavec Ulysse.Ello a le tort pout-ôtro do renou-voter un gonru d'émotion que les réeils antérieurs outà pou près épuisé. Mais, isoléede co qui précède, clin
échappo à cot inconvénient, ot elle garde lo churm;élornel de tout cj qui est vrai et profond.
Toutefois,parmi los auxiliaires d'Ulysse, celui quitient le premier rang, ce n'est ni son père Laêrte, nimôme son fils Télémuquo, c'ost l'excellent serviteur
que Fénolon appolait gracieusement « le bonhommeEuméo »». Si l'on admetquo la création dupersonnaged'Ulysse appartient surtout à l'autour du groupe primi-tif, on sorait tenté do dire que le rôle d'Euméo est lechef-d'œuvre du poète de la seconde partie. Plus finmoralisto ot plus agréable conteur que narrateur pa-thétique, il a trouvé dans la peinture do ce caractère
i. Comparernotamment.XIX,S30,avecl'enwmbledqcaractère.Nuttepart.dansVOdyuie.TélemaqueneJoueauprèsde«amèrelerile Indiquépir cesvers.
9. Fénelon, Lettre à l'Aead.. art. V. « Cette simplicité de mœursemble ramener l'Aged'or. Le bonhomme Eumee me touche bien plu»qn'uo héros de Clétie oa de Cléapâlrt. Les vaine préjugea de noiret«raps aviU&Mfil de teil«s bM&lis. »
AMIS KT ENNEMIS D'ULYSSE 863
niil. de te LUI.Grecque. – T. I. ~3
l'occasion d'utiliser ses plus charmantes qualités, Kumée
est un vioillard; les grandes passions sont étrangère»
il son flgo commu à ait situation c'est donc surtout par
le lin naturel don sentiments qu'il devait plaire, et le
j.uèto qui l'a représenté y a ploinomont réussi. II agit
|itw et ce qu'il fait est do médiocre importance. Mais il
non» intéressa et nous attache sans agir. Son dévoue-
mont et sa fidélité à l'égard d'Ulysse et dos siens n'ont
rien d«>servite. C'est chez lui un sentiment ancien et
profond qui a grandi peu à pu la reconnaissance» et
l'intérêt mémo y ont ou part au début puis l'Iudiitudo
s'ost furméi', ot avec l'Agocotte aUoctiou reap«etuouiM»ont dovenuu coiiuno uno socondo nature; l'ahsencu
d'Ulyssi', les malheurs de l'énélopo et do Télémaquol'ont avivée. Eumée jouo auprès d'eux le rolo d'uno
surto du protecteur, liion luunblo et bien impuissant,
mais iililo pourtant par son expérience et son dévoue-
munt. Il voillo avec un soin jaloux sur lo bien do son
inuîlro absent. Il est bon, hospitalier, pieux, et avec
cola actif comme il convient 11un homme chargé d'in-
térêts importants, déliant, ou tout ou moins prudont,comme on l'est toujours plus ou moins quand on a beau-
coup venu. Il aime a parler, co qui est bien do son Age,et il parle surtout do son maître, dont sa ponséo ne se
détache jamais. On est ravi de voir comment le poètea su faire de lui une figure épique et lui prêter même
une sorte do majosté patriarcale, sans le grandir pour-tant au delà dos convenances de sa condition. Le
bouvier Philnetios n'apparait pas dans le récit avant le
XX'chant. Son rôle est donc beaucoup moindre quecelui d'Buméo, auquel il rossomble par son dévoue-
ment. H se peint tout entier dans les paroles qu'iladresse d'ahord à Ulysse sans le connaître (XX, 199-
223). Rien de plus délicatement observé que la manière
dont le souci de son intérêt personnel se mêle sure
SSt CHAPITRS VII. L'AWT DANS L'ODTSSÉÏ
gret qu'il a de no pas voir revenir son maître. G'esiune nature droite ot honnêto, bien qu'un peuvulgaire,un bon et courageux serviteur, dont le poète n'a pasvoulu faire un héros. Ajoutonsqu'on aimo chez ce»deux humbios porsonnages la simplicité do la vie an-
tique, une résignation courageuso aux peines néces-
saires, l'acceptation tlu labour quotidion, l'attachementau foyer. Tout un état social, dont l'histoire no nousdit
rion, revit en eux. G'ost là une cause accessoire d'inté-
rèt, qui ost puissante.Le groupe des onnomis d'Ulyssoest inférieur on va-
leur po6tique à celui de ses amis, Le poète qui a crûû
les citants fondamentaux do la seconde partie do l'O.
dysséen'avait rion de l'osprit d'Archiloque. Il était sana
douto trop bon lui-même pour bion représenter tos mé-
chants. Los prétendants sont dans te poème ce qu'ilsont dû"être dans la légende, uno foulebruyante, dissi-
péo, insolente parfois, mais ils n'ont pas la rudesso do
mmurs ni la violence d'instincts quo supposo leur rolo.
Quand Horace les qualifie en badinant do nebulotws
il emploie une expression juste, bien que légère. Co
sont on effet de « mauvais sujets » plutôt que des «lé-
chants. Quels sont leurs sentiments à l'égard de Télé-
maquo? Ils veulent le faire périr, sans doute, mais il
n'y a pas uno scène où lour haine s'exprime d'une ma-
nièro qui la ronde effrayante. On la suppose parcequ'elle est nécessaire, plutôt qu'on ne la sont. Il faut
ajouter que parmi eux il n'en est presque aucun qui ait
une physionomie très distincte. Antinoos et Euryma-
que sont à peu près les seuls qui ne se confondent pasdans la foule. La scène de l'outrago qui met en lumière
la dureté insolente d'Antinoos ost une des plus fortes
de la seconde partie. Cellede l'épreuve de l'arc les mon-
t. Horace,ÉpUret,1,s, 27.
AMIS KT ENNEMIS D'ULYSSB 365
tre aussi tous doux sous un aspect vivant et intéres-sant. Il n'en est pas moins vrai qu'il n'y a pas là enfaced'Ulysse un sou! adversaire digne de lui. Le poètede !a Télémachien'a pas surpassé à cet égard celui dela seconde partie. Plusiours des discours tenus dansl'assombléed'Ithaque au deuxième livres sont pleins de
vigueur. Maisc'est l'action surtout qui dans une épopéedoitmettre en reliof les porsonnages prééminents.
Passons rapidement sur le rôle peu étendu dea ser-viteurs infidèles, Mélantheus et Mélantho. Mélantheuaest lo modèlo dont MélantUoest la copie. La courtoscènedu XVII*livre, où le chovrior insulto son maitre
déguisé, est excellente, mais ce n'est qu'une scène.Tous les porsonnages dont noua venons de parler
sont aussi près do la réalité que la poésieépique le per-met. Il n'en est pas tout à fait de même du roi desPhéacionsAlkinoos, non plus que do Nestor et de Mé-lUilas.
Alkinoos n'est pas, à proprement parler, un person-nagequi ait un caractère, et il est aisé do comprendrepour quollos raisons. Les Phéaciens, sur lesquels il rè-
gno, sont un peuple merveilleux en eux se porannni-fientplus ou moinsdistinctement quolquos-uns des rê-vosque les marins grecs d'Ionioemportaient dans leurs
navigations lointaines et quelques-unes des légendesqu'ils en rapportaient. Opulenceet bien-être, joie per-pétuelle, palais lambrissés d'or, vergers enrichis par unété sans cesse renaissant, voilà ce que le poète primi-tifdo l'Odyssée a imaginé pour les caractériser. Alki-noospar suite est moins pour lui un personnage hu.
main, semblable aux autres, que le représentant idéaldoce peuple, tout idéal lui-même. Son seul caractèredoitconsister, et consiste en effet, à se montrer fas-tunux et hospitalier mnnnn un monarque de féerie.C'ostun roi riche et heureux, exempt de soucis, chez
356 CHAPITRE; VII. – L'ART DANS L'ODYSSÈB
lequel on fait bonne olière, on danse, on écoulo d'excel-
lents aèdes et on raconte ou l'on entend des histoires
merveilleuses. Horace, élève des philosophes ot inter.
prète de leurs jugements, l'on a gourmandé très mal à
propos en s'adressant au jeune Lolltus
AlolnotqueIn outeouranda plus eequooperata juventu*,Cul pulohrumfuit in médiasdormiradiesetAd atrepltumollhurcoeeisaluuiduceroouram.
Ucqui scandalisuit ainsi les moralistes grecs et latins
faisait aucontraire l'admirationdu poèlo primitif coinmodo ses auditeur8; ot la postérité lour a donné raison nu
point de vue littéraire C'est un excollont décor épi.
que quo cette vio phéacionno, un instant entrevue ut
goùtéo par le malioureux naufragé et Alkinoos resto
pour nous comme environné do l'éclat qui rayonnadans le pobmoautour do lui.
A coup sûr, Nestor et Ménélas n'étaient pas, pour lus
auditeurs do l'Iliade et de l'Odyssée,dos personnagesd'uno nature aussi idéale. Mais il semble quo l'auteurdo la Tétémachie,quand il voulut les représenter, se
soit souvonu, volontairement ou non, do cette hospita-lité d'Alkinoosqui hantait les imaginations. Il faut ajou-ter quo l'Iliade, on popularisant ces héros, leur avait
aussi prêté une grandeur merveilleuse, que l'admiration
populaire augmentait chaque jour. Do là cette repré-sentation complaisante du luxe et du bonheur glorieux
qui losentourent. Ilsapparaissent dans YOdysséecomme
deshéros d'un autre âge, témoins des grandes choses
du passé, jouissant en paix de leur gloire, et biensupé-rieurs à tous les hommes qui vivent auprès d'eux.
LES FEMMES DE L'ODYSSÉE 337
v
Los femmes do l'Odyssée sont presque aussi nombreu-
sus que collos do 1//<acf< et ai loura rôles sont moins
pathétiquos, la délicate pointuro de lours sentiments
los rond néanmoins fort attachantes
Au premier rang parmi elles, figuro l'énélopo. Dans
t'état actuol du poème, l'éludo générale do co caractère
est rendue un pou difficile par les remaniements quil'ont altéré. Pour en reconnaître les traits essentiels, il
faut les cltorcher dans ios scènes primitives do la se-
cundo partie. Los plus caractéristiques sont l'Entrevue
tt Ulysseet de Pénélope, l'Épreuve de l'arc, et la Recon-
naissance des deux époux. Dans l'entrevue, Pénélope,on face du mondiant inconnu qu'ello interroge, se mon-
tro pleine do prudence et d'Iiubileté son intelligence
iléliéo, qui apparait à la fois dans ses récits et dans sos
quostions,ju8lifio l'épitlièlo d'avisé; qui est comme at-
tachée à son nom, zepiçpwvIluvaXomisc.En mémo temps,elle plalt par le double ebarmo de la beauté et do la
tristesse. Somblable dans sa démarcho aux déesses
Aphrodito et Artémis, ollo exprime ses regrets ot sa
douleur avec uno dignité simple qui n'ôte rien à la
force de ses sentiments. L'Épreuve de tare nous la fait
voir au milieu des prétendants, imposant le respect
par une sorte de noblesse royale qui est en elle; elle
règne dans le palais, elle y fait reconnaîtro son autorité,
mais elle cède à son fils, dès que celui-ci revendiqueson droit. Dans la Reconnaissance. nous retrouvons les
mêmes traits: la prudence y domine, poussée même
jusqu'à une défiance qui semble excessive mais quand
i. Voir,dansl'ouvragedéjàcitédeûamboalin{Lesfemmesd'Homère),lesétudes sur Hélène,Nausicaa,Arété,Euryeléeet Pénélope.
368 CHAPITRE VII. – L'ART DANS L'ODYSSÉE
cette défianceest dissipée, la tendresse éclate et tousles sentiments contenus débordent à la fois. Voilàlestraita principaux du caraotère. S'ils ne fontpasde Péné.
hpoun personnage égala l'Andromaque de VIliade, ilslui constituent du moins une nobleet touchante physio-nomie.
Toutefois il y a, au fond de ce caractère, quelquechosed'indécis, qui tient en partie à la légende même eten partie, semble-t-il, à la conception trop peu précisedu poètequi a fait les principaux chants de la continua-tion. Pourquoi Pénélope n'oppose-t-olie pas aux préten-dants un rofus absolu? Pourquoi les amuse-t-elle pardos paroles trompeuses? Que gagno-t-elle à leur laissercroire qu'elle se décidera plus oumoins prochainementen faveur de l'un d'entre eux? Redouto-t-olloleur vio.lence, ou résorve-t-olloi'avenir Onsedemande parfoissi ces deux idées n'ont pas eu chacune leur tour dansla série des scènes auxquelles elle ost môlée. La pre-mière a surtout pour elle une sorte de tradition vagueet d'impression générale mal raisonnée au fond, il estdifficilede comprendre en quoi Pénélopo pourrait em-
pirer sa propre situation ou celle de son fils en décla-rant formellement qu'elle entend rester à jamais fidèleau souvenir d'Ulysse: ce sont ses propres hésitations,réelles ou apparentes, qui. donnent une sorte de pré-texte au séjour persistant des prétendants dans le pa-lais. Il y adonc là, dansla situation même, quelquechosed'obscur qui jette une ombre sur son caractère. Il sem-ble probable que, dans la légende antérieure àl'Odyssée,Pénélope, au moins à l'origine, devait être partagée en-tre deux sentiments, le désir de contracter, dans le casoù Ulysse serait mort, une nouvelle alliance, propre àlui assurer un protecteur et une maison, et l'espérancede voir reparaître encore son époux absent et perdu.Cette donnée expliquait fort bien comment ses délais
LES FEMMESOE L'ODYSSÉE 359
n'étaient jamais des refus. Le poète de la seconde par-tie doVOdysséel'a trouvée trop bien établio pour la me
difier profondéinout mais, on fait, il a donné aux cho-
ses un tout autre aspect; les calculs do la Pénélope
primitive ont disparu, et sa fidélité a pris un caractère
entièrement désintérossé. La physionomie du person-nage est devonue ainsi conforme à un idéal nouveau,
qui tendait alors à se former t Toutefois ce qui restait
dans ce râle des données anciennes ot légendaires y a
maintenu au fond une sorte do contradiction, que l'art
du poète dissimule le plus souvent, mais ne supprimepas.
Les autres personnages de femmes dans l'Odysséesont épisodiques.Nous ne dirons qu'un mot de Calypsoet de Circé, qui ont à peine droit de figurer dans ce
groupe,étant immortelles. Calypso,au cinquième livre,
apparaîtplus comme femme que comme déesse; le ca-
ractère est esquissé avec franchise et netteté: il y a
quolques traits de passion fortement indiqués mais ni
la marche de l'action, ni peut-être les habitudes mora-
les du temps n'ont permis au poète de les développer.Circéest fort inférieure à Calypso il n'y a en elle ni
passion, ni même, à vrai dire, aucune ébauche de ca-
ractère elle est magicienne, et son rôle, par suite, ap-partient plus à la fantaisie poétique qu'à l'observationmorale.
Arèté, Hélène et Nausicaa nous attirent bien davan-
t. Et ainsi transformée, elle est demeurée pour la postérité ce quel'Odyssée l'a faite, le type de réponse fidèle consumée par le regretde son époux absent. Plante, dans son Stichtu, traduisant les Frire»amis de Ménandre, faisait chanter à Pliilumena, privée, elle aussi,de son mari Credo ego miseram – fuisse JPenelopam, – soror, snoex animo, quae tam diu vidua viro suo caruit. C'était un sou-venir fidèle des vers admirables de la Nixuta
oiCvpalU ot aiel
<p6(vcvvtvvuxter xt xal ^potra SaxpuxtoOor).
360 CHAPITRE VII. L'ART DANS L'ODYSSÉE
tago. Arèté, la femme d'AIkinoos, n'oat guère qu'entre-vue dans le poème. Il est possible que certaines retou-ches aient diminué son râle. Toujours est-il que, dansson développement actuel, il no répond pas complète-ment aux promesses du poète. Arèté nous est présentéecommo toute-puissante sur l'esprit de son mari et surcelui des chefs du pouple il semble qu'elle exercecomme une royauté morale à Skhérie. Nous la voyons,dans un passage célèbro, assise à son foyer et filant la
laine, tandis quo les convives se livrent dans la mémosallo à la joie du festin. G'ost olle qui accueille Ulyssesuppliant et qui l'intorrogc mais son rôle so borne la.Nous no retenons d'elle qu'une image gracieuse et no.
ble, qui reste dans l'esprit comme un des beaux souve-nira du poème.
Hélène est uno des meilleures créations do la Télé-machie. Réconciliée avec son époux, elle a repris sa
place au foyer domestique, sans que les souvenirs du
passé s'élèvent entre elle et Ménélas. Si elle les rappellepour s'accuser, il est le premier à rejeter sur les dieuxla faute et à témoignor que tout ressentiment est éteinten lui. Cotte situation est touchée délicatement par le
poète, avec plus do grâce d'ailleurs que de force ou do
profondeur. Partageant l'existence heureuse et opulentede Ménélas, Hélène est de moitié dans son hospitalité,Elle a, comme lui, pourle jeune Télémaque, une bienveil-
lance charmante, qui se distingue de celle de son époux
par une nuance féminine, presque maternelle, fort gra-cieusement indiquée.
Mais de tous les rôles secondaires de femmes dans
l'Odyssée, il n'en est point qui soit égal en mérite à ce-
lui de la jeune Nausicaa. Un tel personnage ne pouvaitévidemment figurer dans la légende, qui ne s'arrête
point aux scènes puroment épisodiques il nttt d& tout
entier à l'auteur du sixième livre actuel. C'est lui qui
LKS FEMMESDE l/ODYSSÉE 30t
a conçu co type si élégant de jeune flllo, et qui a su
mêler fort heureusement oa ello, grâoe à l'admirablo
délicatesse do son génie, la linoase do l'osprit, la grâce,la buulé, la timidité même avec une certaine bardiossedo race qui la distingue entre ses compagnes. Rien de
plus charmant que l'adrese ai féminine avec laquelleello demuudu à son père la permission de sortir en char.Un aongo lui a donné ie pressentiment de son prochain
mariage; elle veut être prête, et pour cola elle proposed'aller laver au neuve les pièces do toile qui doiventservir à confectionner les vêtements de fôlo; mais ci>
motif vrai, elle le dissimule sous une fine invention
eCher père, ne voudrais-tu pas me faire préparer le char
tilevô,aux roues bien construites, aflu que j'aille laver aulleuveles toiles fines qui ont été laissées de côté? Il faut quetu ales de beaux vêtements pour tenir ta plaoe au conseilentre les premiers de ta oito. Et tes cinq OUqui sont là dansle palais, deux sur le point de se marior, trois encore tous
jeunes, ne veulent-ils pas toujours dos vêtements fralche-mont blanchis pour aller danser C'est a moi de songer atout oela »
Cette dissimulation si naturelle est aussi gracieuse
que délicate. Mais à cette grâce s'ajoute une u'erté har-
die qui est le trait distinctif du personnage. Lorsqu'aubord du fleuve, Ulysse, sortant du fourré, apparaît tout
à coup, encore couvert de l'écume des flots, les che-
veux en désordre, cachant à peine sous un peu de feuil-
lage ses membres nus et robustes, toutes les jeunes fil-
les, saisies d'effroi, s'enfuient. Nausicaa seule reste et
attend, pleine de courage et de dignité:
« Toutes tremblantes, les jeunes filles avaient fui en toussens vers le rivage; seule, la fille d'Alkinoos resta carAthèué lui avait mis au cœur un courage ferme, et empé-
1.Odyssée.VI,57-55.
3«3 U1IAP1TKK Vil. – L'ART DANS L'ODYSSÉE
ohailque la orulntene la lit fuir. Elledemeuradonc,vclltwtt«auvltage >,»
Athené la traite ioi comme les héros sur le champ de
bataille, puisqu'elle no dédaigne pasde lui inspirer uno
intrépidité extraordinaire. II y a, par suite, de la gran-dour dans co rôle, si joune d'ailleurs et ai délicat. Il yon a dans l'attiludo mémo do la jeuno Qlle,debout,écoutant lo suppliant agenouillé devant elle à distants?,et bientôt le rassurant par de douces paroles. Maia lu
poète, toujours fidèle à la vérité, so garde bien d't'xa-
gérer cet aspect do son personnage. QuandUlysse,aprèss'etro baigné et couvert d'un vêtement digno do lui, ro
paraît devant son yeux, ellu le contemple avec admi-
ration, assis non loin d'elle au bord de la mer; et se
penchant vers quelques-unes do sos compagnes, olloleur dit à voix basse, avec cette naïveté qui est un des
traits les plus charmants de la poésie homérique:
«Écoutez-moi,chères amtes cen'est pas sans la volontédesdieux habitantede l'Olympe,quecetétrangerest arrivéchezlea Phéaoienségaux aux Immortels.Toutà l'heure,Iime paraissait laid; maisà présent il ressembleaux dioux,qui habitentle vaste ciel. Plotauxdteuxqu'étant tel il vou-lût habiter ici pour devenirmon épouxet qu'it lui ptat dese fixeren ce paye »
Impossiblod'indiquer plus finement cette sorte d'ad-miration discrète, qui n'est pasencore de l'amour, mais
qui est toute prête à le devenir. Aussi lepoète du VIIIe
chant a-t-il été heureusement inspiré, ce me semble,
quand, avant le départ d'Ulysse, il a voulu amener unedernière foisNausicaa auprès de lui.
«Elle se tint auprès de la porte de la salle, admirant
1.Odytsie,VI.ISS-iii.2. Odgisée. VI, 239-2*5.
LESDIEUX 863
UlyaMqu'elle voyait devant elle, et elle lui adressa«et pa.roi»»:– Adieu,étranger, et qu'un jour «tantta patrie il ta«ouvlenned« mol, a qui tu «loi*le prix do ton salut ».»
Danaun râle en somme très roslroint, c'est ft un <a-facture complot, et la légèreté du dessin n'ampôchopas que la phyaionomiono os détache avec des traitstout personnels, Nauticaaest peul-ôtro,après Pénélope,culuide tous los porsonnages féminins de YOdysséequirassemblele plus, par la valeur moral» ot drumulique,parl'intensité de la vie, aux personnages d« VIliade,
VI
L'homme, dans YOdysséecomme dans {'Iliade, eston rapports fréquents, pour no pas diro incessants,aveclos dieux. Ces dieux sont d'une manière généraleles mêmes dans los deux poèmes; mais cette identitéextériouro et myf wlogique couvre des différencessonsibles.Benjamin Constant, dans un ouvrage célèbre,les a signalées avec force, mais non sans quelqueexagération. Nous devons les rolovor ici sommaire-ment
Tout d'abord les dieux do l'Otlyssée ne sont pas di-visés les uns contre les autres comme los dieux dol'Iliade. Poséidon soul, au début, est en dissentimentavecle reste de l'Olympeau sujet d'Ulysse.Mais ce dis.sentiment no prend jamais dans le poème la formed'une lutte, ni même d'une querelle ouverte. Il est aucontraireatténué partout, ot il disparaît complètement
1.Odyuée,VIII,458-162.2. Benjamin Constant. De la Beliaion. t. III. Rwgk, 4ttm son Bist.
«e ta tilt, gr., noté ces différence» avec précision. Nous croyonsy ajouter pourtant quelques traits nouveaux.
86* «JtUPITRB VII. – L'ART DANS L'ODYSSÈB
nu iroixièmo livre. « aemblo donc qu'au temps de Ï'O-
<fy.wV, ai la croyanoo commune acceptait encore loi
discorde* des dinux eomm» une chose po**ible, «ur lit
foi do» grand* témuignagos poétiques partout répèléa,
une piété nouvelle ot pîus déHeato, cti détournait du
moins, l'imagination dos poètes. On no niait pus oncuro
eus diacordos, mai» un n'aimait plus à los décrire. Tan-
dit que los auditeurs de YUiwh trouvaient plaisir i\
voir les diaux aux pris»», coux do VQdytsée prôféraioul
sa les rourt^oulor unis, Lu* nfctlos étaient naturnllt>-
tntîtit à cet égard l«» interprètes du «oultmoitt pulilicUno remarque très importante à c» point do vuo, «'est
que les prétendants do l'Odyssée n'unt aucun dieu pour
eux. Les divinités môme qui, dans ta première partie du
publias avaient do» griafa contre le héros no prAtont pus
un sont institut luur socourtt a sot ennemis. Lo fait est
d'autant plus digne d'attention que bien des raisons
poétiques militaient on fuvour d'uno conception dilN-
ronto. l/oxomplo do l'Iliade, qui tire on purtio son puis.
Haut intérêt Jrur 'nUquc du couflit dos dioux, devait en-
gager des poètes nouveaux &fairo usage des munie*
moyons; olon ne peut nier que l'intervontion d'une di-
vinité en faveur des prétendants aurait pormis & un
grand poèto d'introduire dans les chants de la seconde
partie uno variété qui y fait défaut. Si donc ce moyen
facile et opportun a été laissi de côté, ce no peut être
par un olfot du hasard. Doux conjectures s'offront d'ci.
les-mêmes. Ou bien l'on n'a pasvoulu montrer les dieux
en lutto los uns contre les autres, et un tel scrupule
est un indice remarquable de la force nouvelle que
commençait à prendre l'idée do l'unité divine. Ou bien
il a paru peu convenable d'accorder la protection
spécialod'uno divinité à des hommes viotents et rajustes;
mais ce second sentiment n'est p*» moina nouveau que
le précédent, auquel d'ailleurs il se rattache intinie-
LESDIEUX 365
mioiU.l.'Itùidt n'a point do tels ménagement». Il y a dea
dieux pour protégar Pari», le ravUsour d'Ilélouo il yeu n môme pour seconder Pandaros, quand il viole
tiuvortomont la fui juréo. Si donc la morale, dans l'eu*
Hùiiibtodol'<i</y«t^,atentd'iiilUionco sur lu ctmeeplioli
du râla des dieux qu'elle prévaut manie eontru des rai-
nons d'art ut du poésie, c'est là uno uliuao tuut à fait
curncléristu|iio, qui d/uiuto certuineutoiU un progrès do»
iiltnis ontro lo» doux puèmus,A eus rumarques générait», oupourrait ujoulur liouu»
i.iupd'olunrvAli.Hi» dnd«U»il qui «ppitrlieiuiont plutôt
2ila inytlinlogio qu'a l'Iiistuiru littéraire. Il siiflirfl do
signalor ici d'un mot lo« principales. iris porto les
niessttgos do Zousdans l'Iliade; c'est lionnes qui rom-
(ilit lo mômo uflico dans VOdyim'e. (.«* idôos rolativ»1»
nu Hûjiiur des inirts aomhlont beauctiup plu» pnkiâoa
iIiiiih le second poème que (Ihiih lo promicr. I<ohiiiani*
ftwtntit>ns de» dieux ntles-môinos y sont ditrérnntos.
Iliade montro volontiors lour puissance mm un»
forma plus sonsiblo et par conséquent plus innlériollo.
Xons y voyons Apollon descendant ta grands pus «lo
l'Olympo et semblable à la nuit; nous entendons le
Itrtiildo Bon curquois; Aria estun guerrier gigantes-
(|iiu, dont lu cri ost «gui &celui do plusioui-s milliers
«riio.iunes; Itéré terrifie aussi sesennomis par la puis-
mincedo sa voix; Poséidon parcourt ios mors sur un
char magnifique, suivi de tout un cortège monstrueux
et fantastiquo. Cette façon de réaliser en quelque sorte
la puissance des dieux, do la mesurer aux sons de
t hommeet de la lui faire voir ou entendre, est fami-
libreaux poètes do YIliade; elle s'offre d'elle-même à
leur imagination. Si au contraire elle apparait çà et là
dans l'Odyssée, c'ost à l'état do souvenir, dans des des-
eriptions traditionnelles ou dans des passages imités,
mais elle ne s'y rajeunit plus dans des créations nou-
806 CHAP1TRKVil, – L'A1\TDANSL'ODYSSÉE
vullua, parce qu'elle a cessé de répondre au aentiment
public. D'un poème à l'autre, l'intorvalt» s'est fait plusIl
grand entre le ciel et la terre.Le rôle d' Athènéest particulièrement à considérer
dans l'OJgisét. Nous ne voyons pas dans VItiadt une
divinité liée avec un mortel par uno sympathie aussi
iiitolligonto. En général les dieux do l Iliadene ron-
dont pas raison de Jeurl favours ou do leurs préféren-ces un sent qu'elles sa fondent aur des traditions ou
des légundes que le poète accopte, sans chercher autre-
ment à «'on rendre compte. Hère aat la déesse d'Argus,
Apollon ost le dieu de Pcrgamo; ils pronnont parti cliu-
ounpourleur villo. L'AUtènédol'Odysséeest tout autre.
Entre Ulysseet elle, il y a sympathio de nature, et leur
amitié est faito d'intolligonco. C'est une déesso d'esprit
(lui aime un hommed'esprit. La scène du treizième livre
où la dooasoet lo mortol s'onlrotiennont familièrement
ensemble, ot où Athèné jouit des invontions importur.bablosdo son protégé, est tout h fait nouvelle dans la
poésiogrecque. Iliadeno nous offre rion do sombla-
hle. On y sent uno religion qui s'épuro. La puissancedivine s'y allie par un instinct nouveau à l'intelligence
humaine, olle se donnn à elle commeà l'objet naturel
do sa préférence. Philosophie encore inconsciente,dont
l'inslinct poétique est te révélateur.
blais, choso remarquable, lo rôle de la déesse n'ost
pas en rapport, dans lo développement du récit, avec
l'idée de cette alliance. Athèné, qui s'est faite l'amie
d'Ulysse, n'agit pas pour lo secourir d'une manière di-
gne d'elle. Son intervention ost rare et faible. Elle
chango at rechange sos traits extérieurs, elle vient I*é-
clairei lorsqu'il transporte lesarmes, elle apparaît enfin
un instant sous la figure do Mentor pondant le massa-
crôdôs prétendants. Quelsque soieoi les autours des
morceaux auxquels nous faisons allusion, aucun d'eux
LA LAN0US DK L'ODYSSÉE 3fl?
n'a pu imaginer une scène oùle rôlo do la déesso eût la
grandeur que nous attendions, Était«ce seulement in-
suflUanoede leur part ? ou plutôt ne aubissaiont-ilspaslà l'effetnécessaire du changement des idées ? Athèné,devenant pouà pou lu représentation divine do l'intol-
ligence, n'était pins proproacombattre parmi les hom-
mes. Elle avait cesséd'dtre la robuste déessequi faisait
criar sous son poids l'essieu du char do Diomèdo.Sa
puissance était désormais tout intérieure elle habitait
tluns l'esprit d'Ulystto, et si elle figurait encore dans
reposée, ce n'était plus quo grAoeà uno convention,celledu merveilleux traditionnel.
VU
il nous reste, pour terminer cette étude, a dire quel-
ques mots do la langue do l'Odyssée Ici encore nous
devons commencer par reconnaître quo les ressemblan-
tes avec YIliade sont des plus frappantes. C'ost lo ma me
vocabulaire, à pou do chose près, do part et d'autre;ce sont les mêmes flexions, la même syntaxe. Certai-
nes formes de conjugaison, qui plus lard furent d'un
emploi assez commun, manquent également aux doux
pnùmes homériques Dans l'ensomble, it ost incon-
testable que les chants de l'Odyssée et ceux do l'Iliade
appartiennent à une même période do l'histoire de la
langue grecque.Mais une langue vivante n'est jamais immuable. Si
donc les chants de l'Odyssée, d'une manière générale,
1.Voirles lexique»et ouvragesspéciauxcités plushaut (p. 100et241).
2. Parexemplelefutur passifen 8r,«oiiai,l'optatifdufuturactif,lefiàiTsi!aspiré.Curitus,dosVerbum,t. I, p. 8.
868 CHAPITRE VII. L'ART DANS L'ODYSSÉB
sont plus récents que ceux do l'Iliade, il est impossi-
ble qu'il n'y ait pas entre tes uns et los uutres quelques
différences d'élooutîon. Et il semble mémo qua I» con-
naissance do l'évolution ordinaire des langagos hu
mains nous perniHle de diro d'avance en t|uui eih's
doivent consister essentiellement. On doit voir tomber
en désuétude iluns l'Odyssée certaine* formes eucuru
florissantes dans l'Iliade, et d'autre part ou duit y as-
sister à la naissance du mots nouveaux, particulièrement
do mots abstraits. C'est on effet ce qui a lieu.
h' Iliade contiont un certain nombre de formules qui
romontaient évidemment à un temps plus uncien. Tellu
est par exemple ta qualification do « bou et granit »
(r.'J; « ^Y*« *•)» appliquée & plusieurs héros. On a re-
mnrquo qu'elle revenait vingt-cinq fois dans l'Iliade,
et trois fois seulement dans l'Odyssée •. Le fuit est d'au-
tant plus remarquante qu'évidemment l'autorité tlo
Iliade dovait avoir pour effet naturel de faire ilurtir
do tottos manières de parlor. Le rare emploi qu'un fuit
l'Odysmfeprouve que celle autorité ne suflisuit pasft réu-
gir contre le mouvement naturel qui condamne à l'ou-
bli les vieilles choses.
Les noms abstraits donnent lieu à des observations
bien plus significatives encore. La langue homérique
ne comprend qu'un nombre minime do substantifs ser-
vant à exprimer des états ou des qualités. On peut s'on
rendre compte en parcourant un lexique spécial de
cette langue et en romarqnant combien il est rare d'y
trouver &côté de l'adjectif lo substantif dérivé. Toute-
fois l'Iliade est bien plus pauvre à cet égard que l'O-
dyssée. Sans vouloir dresser ici une statistique corn-
plèto, nous croyons utile do donner po irtnut quelques
indications précises. Los terminaisons qui servent à
1. Artide deH. CoUHzdansla revued'A.Kuhn,XXVII,2, p M-
LA LANQUB DE L'ODYSSÉE 360
HisLit U Utt. Oncqo*. – T. I. 24
former lo plus grand nombre de substantifs abstraitsiltms la langue honuMquo sont les trois suivantesfn, aÙYi\,et tv;, H est curieux decotnparvr dans Wdeux
fiuèmus eu qu'on pourrait uppetor lu fécondité relativeilo ces trois formations.
l,u terminaison iûv» est représentée dans la languehomérique par vingt-six mois; sur co numbre, il y eun su" qui appurlioiuicnt eu propre à VIliade, et QHHtarsrqui no figurent que dans VOtlyssfo.
X lu tériiiinuisuu fa se rapportent soîautte-dh tnut*dt>la langue liontériquo; ilix-wjit mnl «'aininium aux
douxpubines vinyt-tm ne se truuvonlquo dans l'Ilùule,Imite-deux dans ['Odyssée soulomeiil.
Knfinla terniinaisun ta; est représentée pur diir~$e/)tmots; sur lesquels, trois sont communs aux doux poô-mes, cinq propres à l'Iliade, ut neuf h i'Odyssêe «.
il résulte de ces indications que, pour chacune decen trois terminaisons, mtti soiilenient lo nombre dosmots employés dans l'Odysst'e est notablement supii-rieur à colui qui ligure dans VIliade, mais, de plus, quol'on voit, pour ainsi dire, se dévolopper dans XOdyssée,pur une extension naturelle duc à l'analogie, des pro-cédés du formation qui ne font encore qu'apparaîtredans 1*Iliade.Ces faits sont d'autant plus remarquablesque certainement les poètes de {'Odyssée s'appliquaientà imiter la langue de l'Iliade et qu'ils se défendaient
par tradition des expressions trop nouvelles du langagecourant. C'était donc malgré oux, par la force naturollodes choses, que l'abstraction entrait peu à peu dans la
langue poétique.Mais cette observation s'impose bien plus fortement
1. Il y doncen somme81mots abstraiteen h,,oûvr)et tO«dans leIniquede VOdyutepour58dans celui del'Iliade.La proportionesta peuprés cellede 7 à 5. Il est impossibleévidemmentd'expliquercelapar le hasard,ni mêmepar la différencedessujets traités.
370 QHAP1THBVil. – L'ART DANSL'OÏ»YS8ÉE
encore, si, an lieu do st> contenter d'uno simple statis-
tiquo, un examine do près l'histoire do quoique» mut*.
Voici pur exemple le terme vérité (dXufebt). Noua ne le
rencontrons que doux fuis dans Iliade, et encore dans
les doux derniers livru» (XXIII, v. SOI, et XXIV, v. 407),
au milii'U do développements quo, pour d'autres rai.
nons, nous «vous dû attribuer aux derniers temps do
lu forniulion du poème. On peut donc dire, sans exa-
gération, que go mot n'appartient pus à la languo de
VUitule. Or il ligure sept fois dans l'Odyssée. La dilfôrenee
ost frappanto, surtout pour un terme qui. en rainait du
m signification mémo, a dû être appelé à un emploi fré-
queut. dès qu'il a été on usage «. l/adjoctif bienfaisant
(«ùifyo;) est entièrement inconnu h ['Iliade il se trouve
trois fui» dans l'Odyssée, et il y dnnno naissance au
substantif nouveau bienfaisance (évadant). Ve mot
r'j9p07iiv») (joie) n'est pas dans l'Iliade nous lo trou-
vons cinq fois dans l'Odyttt'e. N'ost-il pas évident t\vo
du tollos comparaisons, faciles A multiplier, nous fout
saisir sur le fait, sinon la naissance do nouvelles idttas
moralos, du moisis une transformation décisive qui Iok
faisait alors passer dans le domaino public *?
On peut donc diro en somme quo la langue de l'O-
dyssée est plus abstraite que celle de l'IHade ot qu'olle
1. Il faut remarqua en outre qu'il sert plusieurs fois dans VOâyisie
a opposer la réaliti 4 la fiction. Cette opposition devenait «ans doute
alors plus nette. plus courante. Cela seul dénote un grand progrès
de l'esprit critique, c'est-à-dire du jugement.S. En outre, VOdijuie admet'des mota que VIliade évitait «ans doute
d'employer commetrop nouveauxou trop populaires, par exemplelemot
ç\.T»j.qui est toujours remplace dans VIliade par fit* ou «Mo; (?<&c
no Ognreqne dans la Dolonie, oft il revient trot» fois). K«*tt«uo<,inconnu
à l'Iliade, se trouve six fois dans VOdyuée. La location otpniu; x«-
«XtÇov ne figure dans l'Iliade que par nn passage de la Dolonie et
par on autre da 81*chant, c'est-à-dire dans des morceau d'origine
récente; elle est,d'un emploi courant dans VUdytUe, oit elle revint
Jusqu'à t3 fois.
LA LANGUE DE L'QDYSSÉE 371
dispose d'un plus grand nombre do termes pour expri.Kior los choses créées par l'esprit. II n'est poraonno quino comprenne immédiatement quello est la valeur d'un
toi indice, suit pour ta nxation de l'Age des doux poèmes,suit pour les questions relatives à leur origine ».
1.L'itude de U métrique conduit d'an» minière aussi évidente «ixm.!uiai eonolualoni. N'eat-ee pu un Mument ilécUir par exemple<lti.ideoonitalerqtt« Ueoupi «ppel** htpti féminin par les tnétricien»«Mdent Vttiatte oelle d'un vers mr o«nt, Undii qu'elle n'eil plus iUdiVOdysaftque «elle d'un vers tar deux centif Voir L. Havel, t'omiéltmeitlairt dt mitriquê, p. 18; parle, 1893,
CHAPITRE VIU
UOMKlltO ET LES HOMKIUDËS
BOUIOIRE.
I. Les biographies d'Homère. Il. L'histoire probable l'élémentôolion et rétament ionien. Les Homérides de Chios. – III. Diffu-sion de la poésie homérique. Les aèdes. Voyages des Homirides.Les Créophyliens de Samos. IV. Les rhapsodes. Accueil fait
aux poésies homériques dans diverses cités. Lycurgue, Solon, Pi
sistrate. V. De la chronologie homérique.
I
Après avoir étudié la poésie homérique en elle-môme,
il nous reste à rattacher autant que possible l'histoire
de son développement à des lieux et à des temps déter-
minés t.
S'il était prouvé historiquement qu'il y a eu un grand
1. On trouvera un utile résumé de ces questions, avec les textes
principaux et beaucoup d'indications bibliographiques, dans les deux
Dissertations homériques de Sengebusch, déjà citées plus haut. Rap-
pelons qu'elles se trouvent en téta de l'Iliade et de l'Odyssée de G. Din-
dort dans la Bibliothèque des auteurs grecs et latins de Teubner. La
première se rapporte spécialement aux écrits des anciens sur Ho-
mère, la seconde aux questions homériques elles-mêmes. Voir aussi
Nitzsch, Meletematum de hUloria Uomeri, ia.ee. II, pars altera (Ses
tentiae velerum de Homeri patria et aetale aeeuratius digermtur) Kiel,
1834.
LES BIOGRAPHIES D'HOMÈRE 373
poète nommé Homère, nous devrions, d'après nos pré-cédontes conclusions, essayer de déterminer à présent
quelle a été sa véritable part dans la formation soit de
l'Iliade, soit do YOdyssée, soit do l'un et do l'autre poème,ot il est clair que la solution de ce problème résulterait
assez naturellement de ce qui a été dit jusqu'ici. Mais
il s'en faut de beaucoup qu'il en soit ainsi. Les traditions
anciennes relatives à Homèro présentent en grande
partie le caractère do fables, et ce qu'elles renferment
do vérité historique semble s'appliquer bien moins à un
homme qu'à une succession de poètes. Nousdevons tout
d'abord les faire connaltre sommairement, et nous es-
saierons ensuite d'y démêler, à travers la légende, ce
qui peut appartenir à l'histoire.
Il nous reste huit biographies ou notices anciennes
ayant Homère pour objet t. Il y a quelque intérêt à
analyser, comme un spécimen du genre, la plus consi-
dérable, – celle qui porto, bien à tort, le nom d'Héro-
dote.
C'est une sorte de roman biographique, qui n'est pasabsolument dénué de mérite. Au moment de la fonda-
tion do Kymé en Éolide, nous dit l'auteur, il se fit là un
grand rassemblement de Grecs d'origines diverses
parmi eux était un pauvre Magnésion, Mélanopos, fils
d'Ithagène, fils de Kréthon; il épousa à Kymé la fille
d'Omyrès; de ce mariage naquit Kréthéis, qui devait être
la mèro du poète. Voilà donc les ancêtres d'Homère dé-
terminés ce sont des Ioniens d'un côté et des Éoliens
de l'autre. Mélanopos, en mourant, confie sa fille déjà
grande à son ami Kléanax d'Argos. Bientôt Kréthéis de-
vient enceinte du fait d'un inconnu. Kléanax, ne pou-
1.Westermann,Vitarumscriptores,I-V1II,Brunswiek,1845.Lasecondebiographie,celleduPseudo-Plutarque.n'est reproduitequ'in-complètementdans cettecollection.– Consultersurtoutescesbio-graphiesla premièredissertationdeJSengebusch,p. 1-13.
874 CHAP. VIII. – HOMÈRE ET LES JIOMÉR1DES
vant la garder chez lui, l'envoie alors dans la ville
nouvelle de Smyrno, chez son ami le béotien lsmônias*.
C'est à Smyrne, sur les bords du fleuve Môles, que naît
l'enfantde Kréthéis, ot, en souvenir do cette circonstance,
il est appelé Mèlésigène, Ainsi le père reste ignoré, l'au-
tour ne connait que la mère ot le lieu de naissance. Quant
à l'onfant, sa vio commence d'une manièro heureuse. Il
est recueilli avec sa mèro, à Smyrne même, par le mai-
tre d'écolo Phémios; dovonu bientôt après l'époux de
Kréthéis, Phémios fait l'éducation do Mélésigèno. Celui-
ci montro dbs son enfance do merveilleuses aptitudes.Arrivé à l'Age d'homme, il voit mourir son second pèreet sa mère Kréthéis, mais il recueille leur héritage, et
continue ù Smyrne avec un grand succès la profession
do Phémios. La réputation de son école attire vers lui les
étrangers qui venaient commercer on Ionie. Parmi eux,
so trouve un marchand de Loucade, Montes, hommo in-
telligent et instruit, qui se lie avec lo jeune mattro, le
décide à quitter son école et sa ville natale pour voyageret s'instruire on observant.
Représentons-nous donc Mèlésigène parcourant le
monde, comme Ulysse, sur le vaisseau de Mentes; sa
vive curiosité s'intéressait à tout, il questionnait tout le
monde, et sans doute môme, nous dit gravement l'au- ;0
teur, « il prenait des notes sur ce qu'il voyait ». » En re.
venant de Tyrrhénie et d' Ibérie, les voyageurs relâchent
à Ithaque. Mèlésigène y est-atteint d'une affection do la ï
vue, qui oblige Mentes, partant pour Loucade, à le lais- s
ser là, confié aux soins de son ami Mentor. C'est pendant
ce séjour à Ithaque, dans la maison hospitalière de l'hon-
1.Lesoucidela vraisemblancese fait sentirjusquedans ceston-
taisies lamentasestessentiellementun nomthébain;Klèanaxcon-
Tientbien ta glorieuseArgos.2.g6 Elxà;«4tuv$v%»\pnuniiowiaitivrav-jpiçeotou.Il nousa prô- i;
eedemmentavertis que probablementil songeait déjà à s'adonner&la poésie laat ykpx«\t$ notr,«itfa TfSt'inevir.tarf^ototen.
LES BIOGRAPHIES D'HOMÈIIE 375
note Mentor, que Mélésigène recueille les traditions re-latives à Ulysse.Bientôt Montés revient, reprend son ami
plus ou moins guéri, et leurs voyages recommencent,
jusqu'au jour où, à Colophon, le pauvre Mélésigène de-vient complètement aveugle. Il retourne à Smyrne, etc'est alors qu'il débute comme poète.
La aussi commencent ses malheurs. Réduit à la mi-sère par suite de son infirmité, il mène désormais unevie errante. Nous lo suivons d'abord à Néontichos, oùil est accueilli par le bon Tychios, ouvrier en cuir, quidevait un jour figuror dans l'Iliade comme fabricantdu bouclier d'Ajax. Il récite là, pour gagner son pain,la Thébaïde et les Hymnes; l'autour dit avoir vu en-core la place où il s'assoyait; un peuplier noir y avait
poussé depuis lors. Do Néontiehos, Mélésigène revientà Kymé, patrio do sa mère, et dans cette ville, commeà Néontichos, il charme ses auditeurs par ses poésiesot ses entretiens; on s'assemblait autour de lui dansles « leschés des vieillards »; encouragé par ses admi- ·
ratours, il ose demander au sénat de la ville do lui as-surer l'hospitalité au nom do l'État, promettant de
payer en gloire ce qu'on forait pour lui. Mais les séna-teurs de Kymé n'étaient ni intelligents ni généreux.Un d'entre eux fit valoir que, si l'on recueillait ainsitous les aveugles (ôpjpou;) 1, les caisses publiques se-raient bientôt vides. Mélésigène ne gagna donc à sadémarche que le nom d'avougle ("OjAiipoç),qui lui restadésormais. Devenu ainsi Homère, il s'éloigne de Kymé,après avoir exhalé sa douleur et son indignation dansdes vers qui nous sont rapportés, et il se rend à Pho-cée. Là, mômes récitations dans les loschés. Son succès
i. L'auteurnousassure quelesgensde Kyméappelaientainsilesaveogies.Cetémoignage,confirmépur la secondebiographiequiestattribuéeà Plutarqueet par cettede Proclos,n'en reste pasmoinsfortsuspect.
37G QIUP. VIII. – HOMÈRE KT UKS 1IOMÉIUDES
inspire au maître d'duul» Theatoridès l'idéo d'un mur-
ehé singulier. Il proposu au poète de tu nourrir, à con-
dition que celui-ci lui permullrii do s'nttribiior ses poo-sies. Homère accepte, et compare puur lui lu Petite
Iliade et la Phaciïdr. Avec ce bagage poétique, 't'hos-toridès abandonne Wioeéo et va s'établira Chios, pun-sant avec raison qu'il se forait plus aisément passer
pour puote devant des auditeur* qui ne 10coiumil raient
pas. li réussit on âlfut, et bientôt lo bruit do sos succès
pousso Huiuôro a quitter l'huuôe pour aller à Ohius dé-
masquer l'imposteur. Il se rend dans celte iiilenlion à
Krytliréos, y truuve dos pécheurs qui refusent d'abord
de lo transporter, mais qui, bientôt, rejetas à la côte par10vent et les flots, sont forcés do coder à ses prière».Ils le pronnont avec eux et le déposent ..ur le rivagede Chios, près do Bolissos.
Accueilli par le pauvre chovrier Glaucos, Homère lo
charme par ses récits. Glaucos lo conduit à Bolissos et
l'introduit auprès do son maître, qui confie ait poèteerrant l'éducation do ses enfants. Uomôro compose poureux la Batrachomyomachie et d'autres poésies du même
genre, qui le font bientôt connaître jusque dans la villo
roêmedeCbios. Tliestoridès offrayé s'enfuit; et Homère
vient alors s'établir comme maître d'école à Chios, où
11amasse quelque fortune, se marie, et devient pèrede deux filles. C'est là qu'il compose YIliade et l'Odyssée,où il fait figurer par reconnaissance sosanciensamis Men-
tes. Mentor, Tychios. Sa renommée se répand dans toute
la Grèce; pour en jouir, il forme le projet de se rendre soit
à Athènes, soit à Argos. Il se met en mer et débarqued'abord à Samos; une prétresse l'écarté d'un sacrifico,
et il la maudit; au contraire, une phratrio l'admet à son
banquet de fête, et il la récompense par des éloges gra-
1. On remarqueraque cematlred'êcoleporte le nompatronymi-quede Calchas(«., 1,89).
LES BIOOIUPHIES D'HOMÈRE S7Î
meus. C'«sl là aussi qu'il composa pour dos potiers lo
K««;mvo;,«t qu'au retour du printemps, «ctcuiipugiiàd'une troupe d'unfuiiU, il va chanter do porte ou porte.•lovant loa maisons des riches, l'B'pi'nuivr,. II h'emliar-
t|tio cependant pour Athènes. Un malaise le force ù ro-lAehordans lïl» d'fos, on «leseufunts lui proposant uno
ûiiigmo qu'il na pout résoudre, Sa inuliulio H'uggravo,ut il mourt à los. Un tmttboau ltsi est 61#~véat<rt<'nv')gMpur ses t;oiii|tagnons do vaisseau «I son cf>uijfitriotos.l.'nutour acheva son récit en démontrant à m fa«uni|ii'tfumèru était l'^iliin vi non louion, et qu'il naquitsix cont vingt-doux ans avant J'ox|)6ililion dit Xorxè*(on 1102 av. J.-C. par conséquent).
Il est bien superflu, après cette nimlyao, do dAm»n>tror quo ce coato n'oat pas d'IWrodoto, malgré l'«n-nonce du début «. Non seulement l'autour n'ost pas«l'accord avec lo grand historien sur la chronologie ho-mériquo ni sur l'origine dos poàuios du cycle, (mais,co qui est bien plus grave, il n'y a rien do commun on.tre la bonne foi simple do l'un ot tes combinaisons in-dustrieuses au moyen dosquelles l'uutro disf'.nuloson ignorance des faits réels. Son roman est visiblementcomposé de trois éléments, qui sont quelques tradi-tions localos de Kymé, do Phocée, de Smyrno, do Neon-tichos, de Chios, de Colophon quelques poésios ancien-nes d'origines diverses, épigratnmos, fragments épiques,inscriptions, oracles, chants populaires, énigmes, qu'ils'arrango pour introduire dans son récit; enfin ses in-ventions porsonnelles, empruntées soit à des réminis.ceheos des poèmes homériques, soit à une vraisem-blance générale qu'il apprécie à sa manière.
Voilà donc comment on traitait' l'histoire d'Homèreen un temps qui ne dovait pas être éloigné du siècle
t. 'Hp«8oToe'AX<xa?v<«r<nù;»npl"O|in?ouytvimo;«alVtxlncx«tfl w-»,t rxtt irtipriM,tr,xi,aa(ixtUMtt*el«tbârptsinarov.
378 Q1IAP. VIII. – ItOMfcltK KT LK8 1IOMÈR1DKS
«l«s Anloniu» Lo «redit obtenu |»nr un toi récit, <|itia'o»t Iraiisiuia juaqu'à noua à travera les éoolea by tau-
linoa, munlro aasoi combien l'on Ainil dépourvu «lu
ruiisoigiiumonlii autlionliquust. U'ohI cp quu eoullriiKiiil
il'uillours loa uutrott notant» », On s'ucotirdait à |»ou prôa,
t. La date de cette prétendu* biographie ««t Incertain», et «lia « é(Afort «liecnlfa; V6y*l S»ngebu«cli, Uomeiica tlhierf, prior, p. I el auiy.It m» MmUl*qu'on y •*>t»tIn manier* <!•«><•liUtirlont •ophidttttqnltmlUlenl lUro lolael .lonl l.ueion »"mt mcmué, U'aillaur* t'*eo!» U'Iloroèi» i Smyrna y tt\ iviiiaimntnl 001141111&pou de chose prA«,«omm*rnNi/.7<.iiyd'au iirufùuour if ilûquanco, Lenteur se nprAtnnlo te vieux
poi'lo coinmo Polèmon, at tan peraonnaga renewl>l« à ceux qui fluu-ront UuttHlo» l'fr* a« t'biloatrale.
S. Noua avons aoua le nom da l'Iutnrqun une aort< <t«traité en J»milivre*, Intitulé Ci* «I |iwiii* ailomht (lltoi i«0 [litu x«l «^ ««tf,«(u;'«)(«r,pov,l'Iulurchi vnjralid, M, Diilot, t. III, p. IU0). (!a« doux livr.i»eoitnlltuant en riSutlti deux uuvrtiKe» «lifT.iiunls. l.o |irittnl«t- tout «ut
biutiraplilque. I/nultiur y .«piu>rl» U'une p:ut la («' mol^natiad'Çplioralur la naltaanco d'Ilomire, d« l'aulra celui d'Arlnlolo. Celui d'Èphons'anoor.lc A peu |ni>H«vec le récit analyxi plua haul. aauf quelque»détallt Muna importance. et une par«nl< rubulsuto aveo IKalodo, Imt-
Kluùopar l'Iilatorien pour hunorar sa pnlrin. Quant au récit ImputiSta Ariululc, c'ost un» pure légende; llumiio y «si reprùavotA commeAla d'un tmlyrt ou du <|neli|uo aulro divinité champâlro sa mère OUIhAia épnuso Méon, roi de Lydie, etc. 11 eut évident quo si ces fa-ble» figuraient râellumont dana tu IroiaUtme livre du IUp\ ntintfiv d'A-riatote, comme l'affirme l'auteur. elles y étaient nipportôe» commetables par le philosophe, qui ne gardait bien d6 les prendre Ason
compte. Le second livre du traite de Plutttrque est une inlrodurtioo
grammaticale. littéraire. philosophique, religieuse. médicale. astro-
nomique, etc.. la lecture de l'Iliade et de VOdyuie. II n'est pas im-
posai Wjque ce curieux recueil soit une couvre de la jonnoase de l'iu-
tarque, propre ù donner une idée de lu façon dont on commentaitalors la poésie épique ancienne dans les ècoles.
Une aulre notice se trouve mêlée an récit anonymeintitulé Homèreet Hésiode, leur origine el leur concours (H;pl toû 'O|ir,pou x«l 'Hiwtcu
fivou; x«l toO iï<ivo; «itûv, dan« les Vitarum teriplore* de Weslor-mann. n*8, et daim l'Hésiode de Gœllling). Cela ressemble bcaneonpcomme genre aux inventions du faux Hérodote. C'est l'œuvre d'anlettré du second aiécle, qui écrivait, sentble-t-il, peu après la mort de
IVuapwaur Adrien /|3>. Ou y trouve dea détails précis sur quelquespoèmes perdue du cycle, et, en outre, d'autres poésies qui semblentanciennes et que l'auteur a mises a profit comme documents. (Voirsur cet fierit MarckschefTel, Hetiodi fragmenta, p. 33- t2.)
L'HISTOIRE J'HOBAHLK 379
il mi vrai, à rapréwntur lu vieux poète comme avou-glo et «rraitt. Mai*eo allaient pas là de» trait*: vrai.ment individuels. Il* fuUuiunl partie du type môme del'aède car Jus poète» chanteur* utlaient do ville onvilla, ut la poésie était purfoi* une rosguurcu pour«nix quo Ih céeitô privuit d'uutiL's iimyi'iis d'oxiskuicp..Nousvoyous flgurur dam \'()dy$sée lufede uvouglo tlè*iiiodiKo», otu» puDHiigodu 17/i<n/eeit6 pféc^tbinmont(p. 70) iium* ravititto ciHiiiiinnt \v* Miwt's privMmt d«lu vuo tu puât» Tliatnyris; vnliii l'uèdo do l'%ww »>Aputfan Détien m douta aussi puur avouglt». K» rÀaiitâdonc, lorsque l'antiquiU') prétuud nous raconter l'hifitoiro(t'IIoiiiîsre, elle compose lu romutido l'ufcdo ionien muis«H«10composo dans l'intontion nianif(t.sto do concilierdon tradition* divergentes en accordont quoique c|«woà olmeuno delloH, et par cotisw|uout d'après cerltiinesdonnées réolloHquo,nmiadevouH niaiiiteiiunt nous appli-«|u«r « dàgngor.
II
Nous avons vu quoi' Iliade et YQdi/sséereposaient surune légende dont l'origine éolienuo ne saurait étromise on doute. L'Iliade on particulier unit les traditions
achéonnesd'Argosàcollosdo la Phthiotide thessalienne.Elleest donc comme la poésie naturelle do ces Aclicons'lui so sont réunis pour fonder les colonies éoliennesd'Asie Mineure >.
Si nous chorchons, parmi les légendes biographiquesdont il vient d'êtro question, ce qui est en accord avec
». Signatonasimplement,à titre de curiosité, l'opinion de B.Thiarschqui fait d'Homèreun Une d'Europe.antérieur au retour*» Héraelides Jahvhacherfur elass.Philologie.1.1(1826),p. 433-I68,et(/~<-fefa~2eilallerrrudValerlauddes Hon:Er,Halberstadt,1826et18liî.
380 U1IAP. VIII. – 1IOMÉHK ET LES HOMÈRIDES
cett« dunnéo capitak, nous romnrquona immédiate-
mont quo les plu» miUirisôo» rapportent I» naissance ou
l'origine d'tluurëro a deux 'villes éulicnnoa «l'Asie, Kym£
etSmyrnu*, Toutefois vos doux ville» n'tint pas des litres
égaux. Kymt»miux osl représeutûo tuunino la patrie du
KrtHhôia, mèro «lu poMo;«'est à cette vîllo que Bovntlu-
ohe 84 mulornilt'»; tuais fV*l &Hiiiyriu>>«ubord du Ilonvo
M»HtNa,qu'oll» dtmno lu jour à sonenfant, d'abord appelé
MéléHigèno. Huu-ôo uiilia et Nôontifluw, autres villes
«'uiHonnPs,n«ius sont citées coimiio des lieux où il aurait
séjourné. D'uutro part, taraquo lluinèr» est dovonu
homme, lorsque*déjà la gloiro liai somltlo assurée, Kyim'ilo ropousao, et il tbandonno Smyrno do lui-mémo pouraller s'établir dans l'ilo ianionno tle Ohios. Il n'ont pns
douteux que nous n'ayons là du précieux indices pour
l'ttistairovraio do la poésio homérique. Kymépoutétro
considéréo avec vrnisomlilance comme lo premier foyor
de la poésie héroïque dan» la Grèce d'Asie; c'est là sans
doute que, dans l'Ageiininédiatemont antérieur à l'lliade,
les premiers chants épiques rolatifs à la guerre de
Troie, au roi do Mycones Agamemnon,au héros achéon
Acitillo, se sont formés et répandus. En ce sons, c'est
en ce pays éolion qu'Homère a été conçu, car c'est lu que
l'épopée future a puisé les premiers éléments de la vie,
et il n'est pas indifférent de remarquer quo le nom do sa
mère lictive Kréthéis rappelle de près celui de Kré-
thous, un des 01s d'Éole et l'un des ancêtres dos tribus
éoliennes. Kymé fut longtemps la position avancée de
PÉolide grecque avant d'en être la capitale olle tint
tète aux Pelages de Larissa et elle bâtit contre eux la
1. Je dis lesplusautoriséespar la vraisemblancegénérale,et non
par lecréditpersonnelde leurs auteurs.Carleplus remarquabledes
critiques,Aristarque,faisaitd'Humèreun AtbisiCBÇr et S»biogra-
phiede Westermann).2. Strabon,XIH, 3. 3.
1/IU3TO1RBl'ROllADLK 381
fart» place do IN'éontichas (le nouveau rempurt). <|uilinit par lasi réduire. Au milieu du ers population» guor-riôroà naquirent los chants rudes et belliqueux, quilurent la source prochaine des grandes inspirations doYIliade.
DoKymé, la légond» nous transport» à Smvrne, tou-
juiirs un pays éulitw. lUimèro y voit tu jour, allais il no
s'ttppullti pus encore Huinfiro. C'est lu un détutl qu'ilfaut r«iimrqu«r, car il no ti'oxpUquo que pur la nécessitédu rospocler uau trudition uneiunuu. A Siiiyrno, la lé<
sentie hoinériquo a un caractère mythique, ho nom du
Molusigouo ifitliquo cluiruinunt qu'à l'uriginu lo poète y«'•luitconsidéré comme le (Hadu fleuvo C'était une nia-
nii-ro allégoriquodu marquer l'originu locale do la poésielioinùriquo; elle était née pour los habitants do Smyruodu ilouvu qui coulait près de tour ville, cmnino los pre-inittrs rois d'Allionos étuiunt nés pour lus Alhéiiions dusol iui-mômo. En langage historique, cela veut dire
qu'il Smyrne ont lieu la promièru éclosion brillante do
(tiii-sioépique. Kymé n'avait produit quo des chantsiMicorc rudes; co germe est venu éclore à Smyrne,comme l'enfant quo Krélhéis portait dans son soin estvenu naitre sur les bords du Mêlés.Est-ce à dire quo les
premiers chants doVIliade aient été composés à Smyrne ?qUiondo moins probuhlo, d'abord parce qu'il faudrait alorsso livrer à des combinaisons plus ingénieuses que soli-des pour expliquer l'emploi du dialecte ionien dans ces
premiers chants; on second lieu, parce que la légendenous représente Ilombre composant ses grands poèmes,nonà Smyrne, mais à Chios.Lapoésio épiquede Smyrnea dû être une poésie éolienno dans la forme comme
1.Traditionconservéedansplusieursdesnoticesprécédemmentin-diqaces,notammentdanslerivoc'O^pouqui figuresonste numéro4dansles Scriploretvitarumde Weslermann Kati «'êviouç("O^poç4to>it,t»|{utbsJp)MéXT.to;toOitot«|ioOx«lKpi6i){Sacvvnçr.ç.
S8a CHAP. YIH, – HOMÈRE ET LES UOMÊRIDKS
dans lo fond; elle n'a produit ni Vltiade ni l'O«fo«/r,mais elle « donné naissance à dos chant* déjà remar-
quublea, sans loiquol» l' Iliadeet rodyswtosorsiput inox.
plioables. Homère a donc été là vraiment a l'école de
Pliômiug,puisque le génie poétique éolion y a donné au
génie ionien Iongrandes laçonsdont celuUcia si admi-
rablonuml profité bientôt après.En réalité, c'osl Cliios (luiest la patrie d'ilomèro, au
senHpropre iiu mot, car c'est bien là que s'est roncoiw
trô le grand poèto qui a jotô, comme nous l'avons dit,
los fondements do l'fliad* t. La légende nous repré-sento Homère abordant on premier liou à Bolissos,sur
la côlo occidontalodo f Ho,au pied du mont Pélininnos,
évidemment un détail aussi précis a sa signification,et coîa d'autant plus qu'en venant d'Érytbroos il n'était
pus naturol quo lo poète prit terre sur cepoint. Étionno
do Uyzanco nous apprend que Bolissosétait une ville
éolienne. Des Éolionsétaient doncvenus s'établir là au
milieu do la population ionienno do l'ilo. Sans doute ils
y apportèrent avec eux los légendes et les chants hé.
roïques qui étaient alors florissants à Smyrne. Des aè-
des éoliens de cette villo durenty être attirés dès qu'ilstrouvèrent la des hommes de leur race, et ainsi la poâ-sie épique éolienne pénétra dans Chios.
Des témoignages anciens irrécusables attestent qu'il
existait à Chios dans les temps historiques unyfw; qui
s'appelait lui-même et qu'on appelait les Homérides
( *O(U)p{$«t) Quo la signification de ce nom ait été éten-
t. Les principaux «moins en faveur de Chio» sont Acusilaos, Pin-
dare, Simonide et ïbncydide. Ptndaee, semble-t-il, hûslUU entra
Smyrne et Chiot; on voit avec quelle raison. Consulter la premièredissertation de Sengebnscb, p. 157, i<3, lU.IM.
2. HarjHMtfaUon, Ust/jus, Hi^Jtsf, 8tn*w, XW, as, gaia*s. U-
xiyjt, 'Oi»r,p(8«t; Pseudo-Lucien, Éloge de Démostkéne, «;SeoliaBt8
de Pindare, Ntmttnnu, II, 1. On trouvera les teste» anciens sur les
L'HISTOIREPROBABLE 389
et» dans l'usage à lie simples amateur» de poésie Un-
onMque, cela «al possible muta l'existence du yivo;doGliiosn'on reste pas moine un fait certain. Los IIu-ntérides se donnaient pour les doseaiitants du poètuHom&ro.Cette prétention, attostéo déjà par te vieil liis-lurionAcuailans,s'expliquerait fort naturellement, si lu
jini'jiit)homérique, et par conséquent lupersonnalité (le-tivc d'Homère, était l'œuvre des Iloméridc». C'osl duneoopointqu'il faut ossnyer d'éolaircir. Voici on peu doiiiutHcomment on peut se représenter leur histoire t»lImirrôle;
l.«s Huméridog éclataient sans doute déjà à Cliioacmtiineyt*n, lorsque la poésie ôolionno, vonuo do
Smyrnopar ilolissos, commença à s'y répandre. D'onlourvenait ce nom 1 Nous l'ignorons, ot il snrait aussivaindo le rechercher que de su demander quelle u été
t'origine historique do la plupart des YévnathéniensTousse rattachaiont à un ancêtre, réol ou imaginaire.quiéchappeabsolument à l'histoiro, les Ruta<lesà llu-tès, les Kérycos it Kéryx, etc. Il en était do même du
Y^vo;do8Homéridesdo Chiosavant son illustration: sun
ancôtro,Homéros, homme ou domi-dieu, appartenait àla inomo classe. C'est chez ces Homéridos que naqui-rentlos poésies homériques. Il se rencontra parmi euxun certain nombre d'aèdes, los uns créateurs, les au-
HomérldeBrassemblésdansla secondedissertationdeSengebuscb,p.*7oteatv.
1. Voyez la seolie de Pindare citée dans la note précédente. Ct.Isocrate, Éloge d'Hélène, 33; Platon. Ion, p. 530; République, p. 599;Phèdre,p. 851.
2. Les étymologies les plul diverses ont été proposées pour lenom d'Homère ({|»D afptiv, rassembler; Smt<>(,otage: ô^po;, aveu-gle.etc.). Aucune n'est certaine. Et pEU importe vraiment tous lesnoms propres ont eu un sens à l'origine, mate les gene avisés n'ontjamais cru Jusqu'ici que chacun d'eus lut. &cause de cela, une notice
biographique en abrégé. Pour la discussion de ces étymologies,voir Songebnseb, Dits, homer. poster., p. 89et sulv.
341 CHAP. VIII. UOMÊUB ET 1.K8 1IOMÊRIDKS
Iros contimiutoiir», auxquels duit être attribuée toute
cetto longue élaburation poétique qui a ôtô analysât)
plus haut. Cola no veut pas diro, commo on l'a compris
quolquufoi* à lurt, quo lo ylvo; do» llomérides fût une
sorte d'association d'uèdea; il est biou rare qu'un Grèce
iiMiiHvoyous le mot yiw; servir à désigner une gosiété tlo
ce genre. C'était simplement, eom.im tous los Y<v»»,un
groupe de fnntiUuHqui «o rnltucliaioul 6 un mémo un-
cùtro; entre ces fauitllos, il y an avait uuo uu plusiuurs,
où, 80Ion l'usage du Ioiu«m, la discipline poétiquo se
truusmottait plus ou inoind régulièrcmunt duspëroa aux
enfanta; loua ussurémont n'ôtaiont pus publos, main il
suflisait que chaque génération fournit un petit nombre
d'iioutnios qui avaient à cœur do conserver et d'iuig-
monter lu trésor domestique. Ainsi s'expliquent le» pas-
sages de IMutouet d'Isocrate, qui représentent les Ko
mérides comme on possession d'unu sorte do dépiU tlo
poèmes ot de traditions, dont ils étaient les gardiens
Un de ces Ilomérides, Kyniuthos, (tout la date est d'ail-
leurs tout à fait incertaine, nous est particulièrement
désigné comme l'autour do nombreuses interpolationsdans les poésies homériques'. L'auteur de l'hyinno ù
Apollon Uélieii, que ce soit co môme Kyniothos ou tout
autre, était certainement aussi un do ces Homérides, car
il se don no lui-même pour habitant de Chios, et su ma-
nière le rattache étroitement à la tradition do cette fa-
millo. Enfin d'autres Homérides encore, un Thestor, un
Partliénios, d'aillours inconnus, sont mentionnés comme
poètes épiques II y a dans ces faits réunis une bien
1.PI«Ion,Phèdre,p. 252;/on, p. 530;République,p. 599;Isocraie,
Éloged'Hélène.6S.2. Seoliaste,Néméennei,II, "OiMipiîôviicifivdctrivovtoot««P1
Kûvai9ov,oO«çaotsoXXitw» êm»v*«.<«.;« tç&Oa*dî -rip '«««f»
3. Eudocie,Violarium,Ut.
LES AÈDES 385
26
frappant» concordance avec les oonclusions qui rossor.
tout du l'étude moine des poèmes attribuas à Homère.
Ces poèmes révèlent un long travail successif, une sé-
rie d'additions coordonnée»; les témoignages nous mon-
trent à Chiog, dans te yfat dos Homérides, lu possibilitédo ce travail, l'explication vivanto de ces additions, si
bien adaptées les unes aux autres. Nous trouvons là
une série du poèlos, une tradition pieusement conser-
vée, un esprit du famille au service d une grande couvre
poétique. Nuus ne pouvons faire uutreinenl que du leur
attribuer la création et le développement de VIliade et
do l'Ody$$?'?.On comprend très bien quo, dans cette grande fa-
mille, l'univro do chacun fût anonyme. Co n'était paslu poésie de tel ou tel, c'était cette dos Iloincriiles. Mais
après plusieurs générations, quand tes souvenirs pur-sonnels furent obscurcis, il devait arriver ut il arriva
que cette poésie do famille, qui faisait la gloire «les Ho-
muridos et qui portait partout leur nom, fût attribuée
par eux et par tours auditeurs &l'ancétro de leur yévo;c'était on ell'ol la poésie d'Ifomàro, puisque ceux quil'avaient créée étaient eux-mêmes les fils d'Homère.
L'ancêtre norsonniHait la famille; la gloire commune
do ses descendants lui appartenait naturellement.
III
Ces aèdes homérides de Chiosne durent pas resterenfermés dans leur ile natale. Bien qu'ils eussent làleur domicile ot la source de leur poésie, ils s'en éloi-
gnaient sana cesse. poury revenir. Membres d'une fa-milleet rattachés à on même culte, ils n'ea avaient pasmoinsles mœurs et les habitudes qui étaient alors cel-
388 CHAP. VIII. HOMÈRE ET LES HOMÈWDES
les do tous les poètes chanteurs, quels qu'ils fussent.L'aède était essentiellement nomade. Changer fré-
quemment de publicétait unenécessité de sa profession:il évitait ainsi de lasser ses auditeurs. D'ailleurs, lors-
qu'il avait acquis quelque réputation, on n'attendait
pasqu'il lui prit fantaisie de venir, on l'appelait, commeon appelait le médecin, oule devin, oule charpentier.Il était roçu dans les palais des princes, et il prenaitpart à leurs festins; la manière dont Phémios et Dé-modocossont traités dans l'Odyssée montre combienlour art ctait apprécié d'unu aristocratie, qui goûtaitdo plus on plus les plaisirs élégants et délicats. Nousavons reproduit ailleurs on partie (p. 90) la scène entre
Ulysso et Démodocos on se rappelle les paroles Bat-teuses du héros à l'égard des aèdes « Tous les hom-» mes qui habitent sur la terre, dit-il, honorent et vé-» nèront les aèdes, à cause des récits que la Muse leur
enseigne car elle aime la race des aèdes » Cettehaute estimo tenait, comme on le voit, à l'idée partoutrépandue que l'aède, était inspiré par les dieux. Maisilne faut pas se méprendre sur la valeur de ce privilègeni oublier qu'on ce temps toute habileté supérieure étaitcensée venir des dieux. Le forgeron renommé, l'archi-
tecte, le constructeur de vaisseaux passaient pour ins-
pirés dans la pratiquede leur art, aussi bien quel'aède3.La Muse était pour celui-cice qu'Héphaistosou Athènéétait pour les ouvriers habiles ou les artistes et touten croyant fermement à la suggestion divine, personnen'ignorait qu'il devait en grande partie son talent à un
apprentissage régulier.Il fallait en effet que l'aède sût jouer de la cithare et
t. Odyss., XVII, 388et Bniv., surtout 386 OJtoi Y«pxXi]tof?e ??o-tiSv». imtlamm yctav.
2. Cdyss., Vni, 179-481.3. Odyu., VI, 232-235.
LES AÉDES 387
chanter. Il est vrai que cette partie technique de son art
était fort simple. Avec un instrument tel que celui dont
il disposait, l'effet musical ne pouvait être que subor-
donné à l'effet poétique. L'aède préludait par quelquesnotes qui annonçaient le chant et lui donnaient le ton;c'est là ce qu'on appelait &m&£Xka<sb%\(commencer)1. Le
récit suivait. Sans doute la cithare ne servait plus qu'àsoutenir la voix de loin en loin, car il est évident qu'ilne pouvait être question d'un véritable accompagne-ment. Le chant lui-même se réduisait à une sorte do
récitation mélodramatique L'aèdo s'interrompait de
temps à autre, soit pour se reposer, soit pour réveil-
ler l'attention de ses auditeurs. Ceux-ci, comme nous
le voyons au VIIIe livre de l'Odyssée, l'encourageaientalors par des acclamations et le pressaient de conti-
nuer 3. Ignorants des formes poétiques plus savantes
que l'art devait un jour produire, ils trouvaient un
plaisir naïf et profond dans ces longues et pathétiquesnarrations, qui étaient pour eux l'image idéalisée de la
vie.
Les aèdes en général ne se contentaient pas de débi-
ter les poèmes déjà connus. Ceux de l'Odyssée sont évi-
demment conçus comme les auteurs des chants qu'ils
récitent, puisque la Muse est censée les leur avoir en-
seignés, et on ne peut douter qu'au temps où la poésie
épique était on plein essor, il n'en fût ainsi le plussouvent. Le véritable aède était donc un poète, et, outre
l'aptitude naturelle, il avait besoin, à ce titre, de pos-séder une réelle science acquise. Cette science consis-
tait dans la connaissance pratique de la versification,dans le maniement familier de la langue épique, et enfin
i. (MyM.,VIH,266 AMp t<'H' ~~Mme xcù~v~fSMt.1.Odyss.,VIII,266 Aùtàpi seule âve6<4»*roxaXôv àciSeiv.récit2. Cettemanièrede chanter,la seulequi pniaseconveniran récit
épique,est encorecelledeschanteursserbeset russes.3. Odyss.,VIII, 87,90-91.
388 CHAP. VIII. HOMÈRE ET LES IIOMÉRIDES
dans la connaissance dos légendes qui formaient le fonds
naturel do toute poésie. Bien qu'aucun témoignage coti-
temporain ne nous apprenne comment so faisait l'édu.
cation technique des aèdes, il est permis d'affirmer qu'il
on était do cet art comme des autres, de la divination
ou do la médecine par exemple. Les maîtres le trans.
mettaient à des disciples, et souvent les pères à tout s
enfants. Lorsque Phémios, dans l'Odyssée, dit qu'il est
son propre maître », il n'entend certainement pas affir-
mer par là qu'il n'ait reçu les leçons do personne dans
son enfance, – chose manifestement impossible. Il vout
dire simplement qu'il no récite pas les poésies dos au-
très, mais qu'il crée lui-môme tes siennes, sous l'ins.
piration dirocto d'un dieu.
Les aèdes du y&o;des Homéridos ne différaient en rien
dos autres. De Chios, ils durent, dans leurs voyages,
porter leurs chants dans los villes de' la Grèce d'Asie et
dans les ilos voisines. Les rolations dos cités ioniennes
entre elles favoriseront particulièrement la propagation
de leur poésie. Plusieurs do ces cités avaient gardé dans
les temps historiques des traditions relatives à Homère,
qui pourraient bien s'expliquer en grande partie par ces
voyages et ces séjours dos Homérides L'aède de l'Hymne
à Apollon Délien venait ainsi de la « rocheuse Chios »
aux fêtes de Délos, et demandait aux jeunes Déliennes
d'y conserver son souvenir. Les habitants de la petite
ile d'los montraient le tombeau d'Homère, et, sur la foi
de leurs déclarations, les biographes font mourir lo
grand poète dans cette ilo; quelques-uns même, parmi
lesquels Aristote, croyaient que sa, mère en était origi-
naire. Il est peu probable que cette tradition n'ait ab-
solument aucun fondement; elle peut s'expliquer par
le séjour et la mort à los de quelque aède homéride,
1.Odysi.,XXII.8*7 AitoSiômetoî8' «(«'•8«n{« (wiè»fj-wAvot|wî– «avrofactviçuar».
LES AÈDES 389
peut-être d'un des autours do l'Iliade et de l'Odyssée.Bien entendu, les Homérides n'étaient pas les seuls
on ce temps à composer dos chants épiques. Plusieurs
passages de YIliade et do l'Odyssée font allusion à des
légendes poétiques alors on vogue, parfois môme à deschants où ces légendes étaient développées. Nous avons
mentionné, à propos do la formation do l'Odyssée, l'in-
fluence que les chants relatifs au navire Argo semblentavoir eue sur ce poème. On y trouve également, semble-
t-il, des allusions à une Orestie La Thédaide anonyme,
qui plus tard fit partie du Cycle, pourrait bien avoir été
aussi, en partie du moins, coitteinporaino des poèmeshomériques. Il est donc probable qu'à côté des Homéri-dos qui travaillaient h YIliade et à l'Odyssée, beaucoupd'autres aèdes, dans les villes d'Ionie, produisàiont des
chants épiques, ot qu'une influence réciproque des uns
sur los autres s'exerçait incessamment8. La faiblessedoces aîdes fut do n'ètro pas associés entre eux comme
les Homérides. Au lieu de grandes épopées, ils ne pro-duisirent que des chants détachés, qui disparurent bien-
tôt, tandis que l'œuvro homérique subsistait.
Gréophyle de Samos semble avoir été le chef ou l'un
des membres principaux d'une famille samienne quiprésente quelque analogie avec le yéw; des Homéridesde Chios 8. La tradition mettait Créophyle en rapportspersonnels avec Homère. Selon les uns, il aurait reçu de
lui, comme prix de l'hospitalité qu'il lui donna, un
poème, la Prise dOEchalie, qu'il aurait ensuite publié
1.Welcker,Episch.Cyelus,t. I, p. 297.2. Onnesait que penser de ce Mélésandrede Milet,auteur d'un
Combatdes Lapilheset des Centaures,qu'ÉIienmentionne(Hist.var,,XI,2)commeantérieurà Homèreet qnin'estciténullepart ailleurs.Commeil figuredans ce passageà côtéde Darèsle Phrygien,sonexistenceest plusquesuspecte.
3. Sur tes Gréophyliensde Samos.voir Weleker,ouv. cité,t. 1,p.219et suiv., avecles témoignagesanciens.
390 GHAP. VIII. – HOMÈRE KT LES HOMÉRIDES
sous sonpropre nom,avec l'autorisation d'Homère selon
d'autres, Créophyleauraitaucontrairecomposôlui«mômela Prisa tfOEchalieet l'aurait ensuite attribuée àHomère,
qui aurait bien voulu par reconnaissance en prendre la
responsabilité Il semble probablequo cette historiette
fait allusion à dos relations réelles, et sans doute à des
échangospoétiques, qui eurent lieu entre les lioméridea
do Chiosot.des aèdes de Samos. La légende d'Héraclès,dont la prise d'GEchalion'était qu'un épisode, a cortai-
noment oxorcô, comme nous l'avons vu, une influence
appréciable sur quelques parties do l'Iliade. D'autre
part, Plutarque rapporto quo Lycurguo recueillit los
poésies d'Iloiuèro à Samos, où elles lui furent transmi-
ses par les Créophyliens*.S'il y a quelque fondde vérité
dans cette légende, ceux-ci étaient entrés en partagedu trésor littéraire qui s'était formé originairement en-
tre les mains des Homéritlos.Co sont là des faits quinous permettent de nous représenter avec quelque pré-cision les échanges d'idées et do poésie que la simplevraisemblance nousobligorait d'aillours à concevoir, en
l'absence mémo do tout témoignage. Pythagore out en-
core pour maitro à Samos un descendant de Croophyle1.On no p?ut douter en somme qu'il n'y ait eu réellement
une famillesamienne, qui, sans atteindre à la gloire dos
Homérides, tira quelque illustration, elle aussi, d'une
culture héréditaire de la poésie épique.
IV
Aux aèdes succédèrent plus tard les rhapsodes. A
1. Strabon, XIV, p. 638.2. Plutarque, Lycurgue, e. 4.
3. Porphyre, Vie de Pythag., 1; 3ambHque, Vie de Pylkag., 2, 9;
Diog. Laerce, Vies des philos., Vlll, t; Suidas iiu9«ï4p««; Apulée,
Flarida, II, 15.
LES RHAPSODES 301
quel momentce nouveau nom se substitua-l-il à l'ancionot quelle fut h l'origine sa significationessentielle? Noua
l'ignorons,L'otymologio du mot reste encore à écluicir1. Une
chose du moins ust certaine; c'est que los rhapsodes,
comme les aèdes, récitaient des morceaux épi(|iios di-
vers, qu'ils ajustaient les uns aux autres, do manière à
on constituer dos groupes. Voilà pourquoi Pindaro les
appelait, on jouant sur lour nom, dos chanteurs de
« morceaux ajustés »*. Aucune distinction donc no dut
(Mro faite tout d'abord entre rhapsodes et aèdes. Mais,
pou à pou, le mot rhapsode prit une signification plus
t Dés l'antiquité. quelques-uns le faisaient dériver de f >8So;(ba-
guette) et de cul&iv (chanter, de telle sorte que le mot, d'après ou*,mirait désigné originairement les chanteur* de poésie épique qui re-noncèrent les premiers à la cithare et débitèrent les vloux poèmessans las chanter, en tenant à la main une branche de laurier, Mais Ued tort difficile de comprendre comment lea deux radicaux on ques-tion ont pu former le mot £*}i<j>86e.Pour échapper à cette difficulté,on avait imuginé lo mot 2a68<jittfc»cité par Eustathe; pure fantaisie
grammaticale, qui n'est jamais entrée dans l'usage. D'autres, on plusgrand nombre, tirent le mot JttJiuSic.des éléments fiâiraiv et àoi8»i.loi encore les lois de l'étymologie ne sont guère respectées, car le
changement da nen<|> demeure inexpliqué. Au reste, en admettant la
possibilité de cette formation, il y a encore doute et divergence sur
l'interprétation. Que signifie £âit«iv iotW,v? est-ce assembler des mor-ceaux divers? ou bien ajuster des vera les une à la nulle des autres,de façon à former un discours poétique continu, par opposition aux
strophes de la poésie lyrique? ou enfin n'est ce paa tout simplementcomposer?L'usage homérique du mot pâirteivconfirmerait plutôt cette
dernière hypothèse. 'Pâtrceiv. en poésie, signifie, d'après le Lexiqued'Apollonios, combiner, produire quelque chosepar cimMnitison (|WTa-fofjixûcftnxatJtotoc %<Ax<xra<nc«uiC«!v).et on trouve dans Homère, xaxi
faitt.iv ttvi (Od., III, 118; XVI, 423; Iliade. XVIII, 367), ?4vov, 9«v«-
tov, |i«povéimeiv (Od., XVI, 379,' 431). Le rhapsode, en ce sens, neserait autre chose qu'un poète. C'est avec cette signification sansdoute que l'expression f inrtiv ioiî^v figure dans les vers attribuésà Hésiode par le ecoliaste de Pindare (tiêm., II, 1) 'Ev ^\u> *6n
npùTov(yi) %a\"O|*ripo<àoiîol MiXito|iev,dvveopoîç«[ivoii pà^a^tetâoitàiv, «PoTBov'AnôXXuvaxpwàopo*' &vT'xe At)t<ô.
2.Ném. II, t 'Pantûv Itiuv. âoi8ol.
393 CI1AP. VIU, UOMËRB UT LES HOMÊR1DES
précisa. Tandis qu'on appelait indifféremment«Afestous
le» chanteurs, aussi bien ceux qui figuraient dans les
funérailles et y faisaient entendre les thrèno» funM>rtw
que lus interprète» do la poésie épique, lo nomde rhnjhsodés fut attribué exclusivement à eos derniers, et on
t'habitua à ne plus les désigner autromont. Cette non-
velle dénomination prit faveur en un temps où l'usagode luphorminx commençaità être abandonné dans
récitations épiques. Sana doute los progrès nouveauxdo
la musique avaient rendu lus auditeurs plus difficile*;
cet accompagnement primitif semblait monotone et in-
signitiaut; on y renonç.».En outre, comme le ^énie épi-
que allait s'aHaiblisaant, ces artistes qui récitaient los
vieux potmiescessèrent tl'Mro eux-mêmes des poètes.Ainsi le mot rhapsodesprit dans l'usage un sens déter-
miné qu'il n'avait probablement pas eu à l'origine. 11
désigna ceux qui récitaient en public, sans accompagne-
mont musical, des poésiesépiques, dont ils n'étaioiitpas
les autours'.Si l'histoiro des rhapsodes nous était mieux connue,
celle des poésies homériques le serait parla mémo; car
ils furent incontestablement les propagateurs de cette
poésie à travers le mondegroc*.C'est sans doute l'arri-
vée de rhapsodessaluions Sparte que la tradition men-
tionnée par Plutarque représentait allégoriquement,
quand elle attribuait à Lycurgus l'introduction dans sa
patrie des poésieshomériques recueillies par lui dansla
Grèce d'Asie8. Le génie dorien, à ce qu'il semble, fit
1. Quandnouslisons,dansAthénée(XIV.e.xu),quedespoésiesd'Archiloque,de Simonide,dEmpédocleontétérhapsodiétt,celaveutdire parconséqueutqu'ellesontétérécitéessans accompagnementmuelcaletsurunescène,avecl'appareilordinairedesrhapsodes.
8.Surlesrécitationsrhapsodiques,cf.Sengebuscb,premièredis-
sertation,p. et, Us,Ml.8. Plutarque, Lycurgue, Élien, Var Mst., H; Héraclide de Pont,
Thf\ woXtttiûv, Petit. Laced.. 2, dans les Hittor. graec. firagm. de Mûl-
1er, t. Il.
LES RHAPSODES 393
d'abord quelque résistance à cette poésie vonuo du de-
hors; mais enfin il se taissa séduire complètement, et il
y eut à Sparte, en Crète, à Gyrône, des concours de
rhapsodes, ou tout au moins de solonnolles représenta-tions rhapsodiquos*. Hérodote mentionne expressémentdos concours de rhapsodes qui avaient lieu h Sicyone au
vi*siècle et que lo tyran ClUthène fit cesser1. Argos,
glorifiée «lanaVfliade, ne dut pas et ro moinshospitalière
pour los rhapsodes, et il n'est pus douteux qu'ils n'aient
ligure dans les fêtes homériques que cette ville, d'aprèstut toiuoignuge ancien, célébrait périodiquement Maisl'accuttil que leur tit Athènos a une importance toute
particulière, à cause de l'inlluonco qu'elle out sur la
constitution ot la conservation du texte écrit des poèmesd'Homère.
Si nous en croyons Diogèno Lnerco, le grand légis-lateur d'Athènes, Snlon, no dédaigna pas d'imposer un
règlement public aux rhapsodes. Co seul fait montreassez quclle importance avaient prise alors leurs ré-
citations. L'État, qui organisait les fêtes publiques et
qui on arrêtait le programme, y faisait place officielle-ment à l'épopée, en l'obligeant à se montrer dans
1. Max.de Tyr, XXIII,5 '0^1 plvTàp r, Snc.pt>)p^wBtî,tyl Six«lt| Kp^tt).6<Jilîi *«lt4 Auptxoviv Atjûtj-j<vo«.Voir à ce proposMarckschoir>)l,Utslodifragmenta,p. 210, D'aprèsle scoliastedePindarecitéplushaut {Ném.,II. 1).ceseraitKyntethosquiauraitlepremierrhapsodieles poèmeshomériquesa Syracusedans la 69»Olympiade(804-501).Cettedate tardiveest suspecte,et pourraitbienprovenird'unesimpleerreurdetranscription.Euslathedit aussi,fortobscurément(Comm.de Miad.,p. <6et 17; ToOànayyinmrip *O|i<-pou>mtr,nvmataotilamàfxv>Inoifaa.xoKOvwSo;&Xloc.
2. Hérod.,V,67.3. ConcoursdBom'ereet d'Hésiode,g 18. Il est dit, dans le même
récit,qu'Homèrea rhapsodieses poèmesà liorinthe.Il y a là proba-blementuneallusion&l'éclatdesrécitationsrhapsodiquesdanscettevillo.Onsait qu'unépiaodaAt>V(My*»*>flgnrait«orle «offrecélèbredansl'histoirede l'art sous le nomde coffrede Kypsélos(Pausan.,V.!9,7).
394 CHAI». VIII. HOMÈBB ET LKS HOMÉRIDES
toute sa grandeur. Malheureusement, le texte de Dio-
gène Laorce, qui contient cette intéressante mention,
soulevé do graves difficulté», qui l'ont rendu suspect,en tout ou on partie. Peut-être ces difficultés ont-
elles été exagérées. « Solon, dit le biographe, ordonna
» que les poésies homériques seraient réciléos par los
» rhapsodes d'après un texte écrit, du tollo sorte que« chacun d'eux commencerait au point où la précédent» aurait fini.Solonaa doncplus fait pour mettre Homère
» dans tout son jour que Pisistrato, comme l'a dit Dieu-
» chidas dans le cinquième livre do sos Mégariqucs ».
L'autour veut dire évidemment que, jusqu'à Solon,les
rhapsodes, qui récitaient à Attlènos, n'étaient soumis à
aucun contrôle. Ils choisissaient dans l'Iliade et dans
l'Odysséeles morceaux qui leur convenaient le mieux,
et les groupaient selon leur fantaisie. Solondécida qu'il
y aurait désormais un ordre officiel, et quo les récita-
tionades rhapsodesseraient surveillées et réglées, sinon
en vue de l'exactitudo absoluedes détails, du moins afin
d'assurer la successionrégulière des morceaux.L'Iliade
et l'Odysséedevaient ainsi, dans la pensée du législa-
teur, se déroulor tout entières devant l'imagination at-
tentive des Athéniens,commedes récits historiques non
interrompus
i. Diog. Laerce, I, 2, 57 Ta w 'O^pou U 0*o«oXSjc?iYfWP*#«*»"
letatai. otov Snou &«pffitot &»i!ev,iwte«v Spx«o««t*iv tx«|«vov itâttov
oîv SiXuv "O|ir,poï èij<A«a«vr, Heiffiorpotoc, àï<pr,(nAuvx««{ tvité|ure<|>
M«t«P«»»- La difficulté vient des mots *ifrKo«o»,«. G. Hermann. dans
une solide dissertation (Oputc., t. III). a démontré que ces mots et-
gniflaient nécessairement a d'après un texte qu'an souffleur rappelait
eu rhapsode ». Ce sens ne parait pas en accord avec l'explication
donnée par Diogène. Il semble en effet que l'auteur ait pris les mots
en question comme synonymes de « iitoi^nat, a en se succédant sans
interruption ». On a conclu de là que l'explieation avait été ajoutée
au texte après coup et qu'elle n'était pas de Diogène. Cela n'ôteratt
rien en tout eau à la valeur du témoignage principal, qui est ii»««-
pendant de la proposition interprétative subséquente. Mais je crois
avoir montré en traduisant qu'on pouvait laisser aux mots n im>6o-
LES RHAPSODES 805
Uno tollo réglementation dut être d'abord diflioile à
appliquer. Kilo supposait en effet un texte invariable,
1 seul reconnu par l'Etat. Or co texte n'existait pas. Lors-
que les rhapsudes étaient en désaccord sur l'authenticité,
la place ou la forma exacte de toi ou tel morceau, il n'y
avait aucune autorité qui pût trancher le différend. On
dut vivre d'accommodements pendant un temps plus ou
moins long; mais l'inconvénient était trop vivement
senti pour qu'on n'y cherchât pas un remède. De là le
grand travail accompli par Pisistrate ot par ses fils,
(lu travail est connu par une tradition ancienne dont
nous [trouvons l'attestation chez plusieurs auteurs. Dos
divergences légères de détail et dos inexactitudes évi-
dontes no doivent pas faire mettre on doute le fait lui-
mémo L'intention do Pisistrato fut do doter Athènes
V,î lo sens indiqué par Hermann et néanmoins consorver la seconde
proposition, à condition do considérer ce qu'elle énonce, non commeune interprétation, mais comme une conséquence. La récitation de-vient continue par ce seul fait qu'elle est assujettie à un texte.
t. Êplgr. anon. (Antli. Jacobs, t. IV, p. 186)
ait |i> tvpavvifaavta To»aur«xi{ ig:8lcoÇ<
îîj|io« 'Epixt^ot, Si; 8' inavi)r<<Y<TO,tov niyav iv (JouXaZ;HetaftrrpaTov, 6; tbv "O|ir,pov
T,6potoa,<jitopôÎT|Vxhnp\v iei64|tevov.Gic. de Oral., 111, 3i Quis doetlor iisdem illis tomporibus aut cujua
eloquentia litteris instructior fuit quam Pisiatrati, qui primus Ho-meri libros, confusos antea, sic disposasse dicitur, ut nunc habe-mua? Pausan.. VII, 26. Élien. Var. /M., XIII, 14. LibaniusSocratis apologia, t. III, p. 25, Keiske. Suidas, "O|ir,pa«.– Eusta-the, Comm.sur l'lliade, 1. I, v. 1 et 1. X, v. 1. Wilamowitz (Ho».Unters.,2*partie, I, die Pisislralische Recemion, p. S35 et suiv.) a bienfait sentir comment cette tradition avait subi l'influence des mœursde l'époque alexandrine. Le Pisislrate qu'elle représente ressemble
à.Ptolémée, et sa commission au groupe des philologues du Musée.Celaest évident. Mais H ne faut pas aller pour cela jusqu'à nier l'exis-tence de cette commission et son travail. Elle a du s'occuper peu desdétails, mais eUe a pu et dû faire un classement des vieux poèmes etde leurs parties. (Voir Cauer, Grand fragen d. Homerkrit.. p. 80et suiv.)KUe accepta d'ailleurs beaucoup d'interpolations, même des plusrécentes.
300 QHÀP. VIII.– HOMÈRE ET LES HOMER1DES
d'un texte tléflnitif dos poésiei homériques, texte qui
serait imposé aux rhapsodes et qui d'ailleurs se recom-
manderait de lui-môme par m grande autorité. Pour
le constituer, il forma une commission, dont le princi-
pal porsonnago fut lo poète Ûnomticrite d'Athènes K On
devine au travers des légendes ce qui dut se passer s.
La commission appela à ollo tes rhupsodos les plus ru-
nommés elle les écouta, elle fit écrire los doux po{--
mes entiers sous leur dictéo.ot son travail propre con-
sista surtout à les mottre d'accord. L'Iliade et XOdym'e
étaient alors achevées depuis bien longtemps, mais
comme on no les récitait guère que partiellement, bien
peinte personnes savaient au juste tout co qu'ollos con.
tenaient. Certains morceaux do mérite inférieur, comme
la Dofonic par exempte, étaient considérés par les uns
comme authontiquos {£r d'autres comme étrangers
au poème primitif. Voilà comment on a pu dire que
Pisistrate les avait introduits dans l'Iliade. En fait, il
était impossible qu'une commission s'entendit pour
une fraude do co genre. Le rêveur mystique Onoina-
crito/qui avait composé de fausses poésies de Musée
dut respecter néanmoins les vieux poèmes ioniens, et
on ne saurait trop faire remarquer, pour mettre ce
fait important hors de doute, qu'ils no portent nulle
part la moindre trace do ses idées personnelles. La
4.Scoliede Tzetzôs.publiéeen latin par RMsctal(Debibtiotheeit
alexandrmlsetCovollar.disputât,debiblioth.alexandrinsdequePisis-
trati curishomericis)et eo grecpar H. KeU,Rheinisch.Muséum,1M8;
reproduitepar Sengebnsch,Dits,poster.Les autres commissaires
nomméssont Zopire d'Héradée, Orphéede Crotoneet un certain
Conchylos;la lecturede ce dernier nomest incertaine.
2. Onpeutvoir ces légendesdans deuxscoliessur un ouvragode
Denysde Thrace(AnecdotagvaeeadeVilloison,t. II, p. «82;etSon-
gebusch,Di».potier., p. 36-38).3. Sur OBoaaerite.consulterH*r«loto,VII, 7. qui racontecom-
mentil fut convaincuparLasosd'Hermioned'avoirfabriquédefaux
oraclesde Muséeetchasséd'Athènespour cefait.Cf.Pausan.»•
LES RHAPSODES 90?
grande uuivro dos coininissuifos de Pisjstruto, ce fut do
mettre fia a toutos les dtvergoncos et du cunalidu-r un
toslo complut. Ce texte différait Bans doute fort pou do
oului qui est venu jusqu'à nous. Dès qu'il fut établi, il
s'imposa toute la Grèce, non seuiomont parce qu'AtluViu<hexerçait déjà une véritable prépondérance iutellec*
liiollo, mais plus encore peut-être parce que co travail
du cullecttatt ot d'élimination, qui avait mis {in ù beau»
cn(i|i tl'incortitutlos, rôpoiiiluil vi'uimont à uu husoin du
lnui|Ks.lai manuscrit d'Athèuos fut dtuic copié et n'1»
pnndti par le commerco dans los grandes villes grec*
<pu>K.(m n'explique ainsi comment notro texte d'IIo<
mttro portu si inuiiifosluiiiont dans sa langue les trace»
ihiiio inlluence attique. Doux sièclos et demi plus tard,
<lt>sexemplaires de cos copies revinrent do plusieurs
points tlu inonde grec à la bibliothèque d'Alexandrie et
survirent au travail du comparaison critique dos savants
alexandrins. Co sont los Éditions ticsvilics {x.xxi-i'ku;),mentionnées dans nos scolios. En réalité, elles no ra-
présentaient, elles aussi, quo la tradition atliénienno
avec de légères variantes do détail 1.
Apres Pisistrato, l'un de sos fils, Hipparquc, d'aprèsle témoignage de l'auteur du dialogue platonicien qui
porto co nom ordonna que les poèmes d'Homère se-
raient récités par les rhapsodes aux Panathénées, et
qu'ils le seraient d'un bout à l'autre usage qui subsis-
tait encore au temps où co dialogue fut composé. Un
1. Surcesdiverspoints,voir lesdiscussionsde Wilamowitz(IlomUni.,p. S35et suiv.)et deCauer(Grundfragend. Bomerk.,p. 75-87).
2.Ilipparque,p. 228,B 'ïmtipxv&*T"'O|i^povSitunp^To;ix4|iias»ci;tt,vTilvTa-jnjv!(esogirationévidento,quiprovientsansdouted'unefausseinterprétationdu fait qui sait)xotlifiif%atnxoù;(Sa^mBoù;Ilav-a9i|vafoicè£ijtoXtjiJuw;éfe(^caùtàSiiivaiûnrepvCvtn o78eitoioOai.–II yavaitaussides récitations analoguesdans le dèmede Brauron;Hyavaitaaasidesrécitationsanaloguesdans te d4mede Branton;Hésychios,Bpaupuvloic-– Voir;nr toutcelala dissertationspécialede Nitzseh,Derhapsodiséetàtisatticae,Keil,1835.
398 CHAP. VIII. HOMÊRB *T LES HOMÊRIDKS
autre dialogue platonicion, Won, nous représento, do la
manière la plu»vivo, co qu'étaient ces grandes repré-
sentations rhapsodiquos au W-»ièele, Le rhapsode, re.
vêtu d'un costumede coulours variées et portant une
couronned'or, déclamait en acteur les vieux récits, qui,
grâce à une mimique passionnée, se transformaient en
un véritable drame. Ce n'était plus l'ancienno épopée,
grave et modéréejusque dans le pathétique, c'était une
immenso tragédie, qui arrachait des larmes à un public
innombrable ot excitait en lui los émotiuns les plus va.
riées L'art des rhapsodes, devenu de plus en plus
semblable à celui des acteurs tragiques. contribuait
ainsi, autant que les bibliothèques et les écoles, à per.
pétuer la gloire d'Homère*.
V
Nous n'avons presquerion dit jusqu'ici do la chrono.
logie. C'est qu'en dépitde tout ce qui a été tenté, la
détermination des dates, un ce qui concorne les po5-
mes homériques,no peut être qu'approximative.
Essayons d'abord de bien poser la question. Si tous
les historiens anciens s'accordaient, à quelques années
près,sur les dates de l'existenco d'Homère, nous au-
rions à interpréterces dates d'après les idées que
nous
avons exposées au sujet do la formation des poèmes
homériques. Mais il n'en est rien, et les divergoncos
sont telles qu'ellesconstituent un écart d'environ cinq
t. Platon, Ion; en particulier, ce qui est dit au 8 6 (p. 535.B.
°2DGe?art, ainsi compris et pratiqué, vécut bien au delà de la pé-
riode classique. On le voit Boriswnt à la cour d'Alexandre, à celle
des Halémfcw.el dans les pancgyrfcs WotJeaBW. ft p^homône. a
Tiiespies. pendant la période romaine (C. G., 1583-1587;Athénée.
XII, p. 538. et XIV. p. 620; Plut., Prop. de <«*# re> *• 2>'
GHRONOLOUIK HOMÉHIQUS 300
cents ans t. Philostrato rapporte en effet que quelques-
uns plaçaient Homère vingt-quatre ans après la prise
du Troie en d'autres termes, ils lo considéraient
eoiiiino contemporain des événements qu'il avait ra.
contés. D'autres au contraire, tols que l'historien Théo.
puinpo, estimaient qu'il avait vécu cinq cents ans après
eus événements » Voilà bien l'écart indique. Entre ces
«Iom.v opinions oxirdmes, dont la première faisait d'Ho-
imVo le contemporain d'Oresle, tandis que la seconde
le ramonait jusqu'au temps d'Archiloquo, une foule
d'autres avaient place, et presque toutes s'appuyaient
sur dos autorités considérablos, telles qu'Ératosthène,
Aristoto, Hérodote, Phitochore, etc. Il est impossible
aujourd'hui de critiquer directement ces témoignages,
parce que nous ignorons entièrement sur quel calcul
chacun d'eux était fondé. Ce qu'il importe de remarquer,
c'ost que, d'après les idées émises précédemment,
la formation des poèmes homériques a dû romplir une
assez longue période do temps, et que par conséquent
nous ne sommes tonus on aucune façon de chuisir une
dato précisa à l'exclusion do toutes les autres il pour-
rait so faire à la rigueur qu'elles fussont toutes vraies
simultanément. Considérées ensemble, elles détermi-
f. Voyez Clinton, Fasti hellenici. et Songebusch, Dûs. homer. pos-ter., p. 15 et suivantes, dont le système est résumé par ces mots«ViJatur hoc commune fuisse omnibus fere civitatibus in quibusHomericaescholae reperirentar, ut eo tempore Homerum natum esse
sibi persuadèrent, quo quaeque ipsa Homericae poeseos particepsreddita esset » (p. 84). Malheureusement ces dates de l'introductiondespoésies homériques dans les principales villes d'Asie sont elles-mêmes le résultat de combinaisons bien fragiles.
i. Héroïque.XVIII. 1.3. Théopompe, dans Clément, Slromata, 1 (p. 388, Pott., p. 441
Sylb.). Clément rapporte dans ce passage la plupart des témoignagesdes auteurs grecs relatifs à cette question. Cf. Tatianus, Oratio ad
Graeco*,«h, M (Otto); G. Syneelle, Chtvnographia, p. tSO D.4. Tous ces témoignages ont été recueillis par Clinton, Pasti heue-
nici, t. I, p. 145-U8.
400 CHAP. VIII. – HOMÈBS ET LES HOMÉRIDES
nent une vaste é tondue de temps, qui est bien celle
pendant laquelle les poèmes homériques ont dû naître
et grandir. Elle commence au douzième siècle avant
notre ère, et elle finit avec le huitième: limites extrê-
mes qu'il somble impossible d'élargir, ne fût-ce qu'on
raison de l'uniformité d'art et de langue qui y règnent.
Mais est il possible d'arriver plus do précision ? C'est là
ce que nous avons à examiner.
Et tout d'abord les faits historiques, que nous avons
essayé de dégager des légendes dans les pages précé-
dentes, nous permettent déjà de rapprocher la pre-
mière limite. D'après la chronologie d'Ératoslhènu, qui
pour les grands faits de l'histoire primitive semblela
plus solide, Lesbos aurait été occupée par les Éoliens
cent trente ans après la prise de Troie, soit en l'an 1053
avant notre ère. L'émigration ionienne, d'autro part,
aurait eu lieu en 1044 la fondation do Kymé en 1033,
celle do Smyrne on 1015. Si l'ou se rappelle que la poé-
sie homérique se rattache par ses premières origines
à ces deux villes, il devient évident qu'elle n'a pu nailre
avant l'an 1000. Mais il faut nous souvenir en outre que
nous n'avons pu attribuer soit à Kymé, soit à Smyrne
que des chants préparatoires en quelque sorte, et non
ceux qui constituent aujourd'hui l'Iliade. Ceux-ci sont
nés à Chios sous une influence éolienne, par conséquent
après que la poésie épique des Éoliens avait pris déjà
son essor et que la légende de la guerre de Troie était
devenue populaire. Bien qu'il soit impossible évidem-
ment d'apprécier le nombre d'années nécessaire à ces
divers progrès de la poésie, on voit que les premiers
chants de l'Iliade ne peuvent remonter au delà du mi-
lieu du dixième siècle avant notre ère (950).
Mais est-il certain ou môme probable qu'ils soient
aussi anèieus? L'eûsômbl© de VlHadeétait certaine-
mont achevé depuis peu de temps vers le commence-
CHRONOLOGIE HOMÉRIQUE 401
Hbt. del.Liu. Oreeqao. T.I, 26
ment dos Olympiades, c'est-à-dire au milieu du hui-
tième siècle, lorsque les premiers poètes cycliques,Arctinos do Milet notamment, entreprirent de racon-ter les événements qui avaient précédé ou suivi ceux
du poèm3. On ne comprendrait pas on effet commentle mouvement poétique qui avait produit VIliade, et quiallait produire le cycle, aurait été interrompu pour re-
prendre quelque temps après.Si donc l'Iliade avait été commencée au dixième siè-
clo, il aurait fallu doux cents ans pour conduire ce
poèaio à sa fin. Il y a plus de vraisemblance, somble-t-il,à supposer que la période préparatoire, celle qui a eu
pour théâtre Kymé et Smyrne, s'est prolongée pendantle dixième siècle tout entier; ce serait alors, à partir del'an 900 onviron que les premiers chants do l'Iliade au-raient pris naissance. Nous nous trouverions ainsi à peuprès d'accord avec HéroJoie, qui pensait qu'Homère avaitvécu quatre cents ans avant lui (vers 850)*. Une fois
commencé, le poèmo dut tendre sans interruption à son
achèvement, sollicité en quelque sorte par la force d'or-
ganisation que le premier germe portait en lui-même. Tlest donc probable que « le gros œuvre «fut terminé peuaprès 850, dès'letomps de la génération d'aèdes qui sui-vit immédiatement le premier auteur. Mais alors aussi,par une sorte de loi fatale, le mouvement se ralentit, etil y a lieu de croire que les additions dernières, qui ontachevé le poème, devinrent déplus en pluslentes. Quel-ques-unes, comme le XXIVechant, semblent appartenirau temps de l'Odyssée; d'autres, telles que le Catalogue,à celui d'Hésiode; la Dolonie est peut-être plus récenteencore. Même quand le poème proprement dit futachevé, la période des petites interpolations ne se trouva
1.Hérodote,II, Sa «ttrloîovxal"OW«vftrejr.vmpaxorfoinUw«ma*|»evirps<r6vtipov«vtvfotott,xaloi nïloai.
403 CIIAP. VIII. – HOMÈRE ET LES HOMÊHIDES
pas close pour cola: il est probable qu'on fit subir au
texte des remaniements de détail plus ou moins inv
portants, jusqu'à la fin du vi» siècle, au moins. Mais
tout cela n'avait plus, depuis longtemps, qu'une im-
portance secondaire. Ce qu'on peut appeler « la créa.
tion >»do YIliade est le grand fait littéraire et moral
du ix* siècle.
L'Odyssée, comme nous l'avons vu, est certainement
postérieure dans son ensemble à l'lliade. Toutefois elle
ne peut l'être de beaucoup. La partie la plus ancienne
du poème, colle qui raconte les voyages d'Ulysse, a dû
naître avant le grand essor do la navigation hellénique
en dehors de l'Archipel, c'est-à-dire avant le mouve-
ment de colonisation du huitième siècle. Elle suppose
une connaissance très vague encore des régions de l'A-
frique qui sont à l'occident de l'Égypte, do la Sicile, de
l'Itulio méridionale. Tous ces pays no sont entrevus par
le poète qu'au travers des légendes. Cotte partie du
poème ne peut donc pas être moins ancienne que la
première moitié du huitième siècle, et il est plus vrai.
semblable qu'elle remonte à la fin du neuvième (un
peu avant 800). Quant à la seconde partie, bien que
plus récente, elle n'aurait guère pu s'adapter à la pre-
mière, si celle-ci avait eu une longue existence indé-
pendante. D'ailleurs, le fait que nous signalions à pro-
pos de l'Iliade a dû se produire également ici. Quand
une œuvre collective grandit au milieu d'un succès uni-
versel, il y a nécessairement dans sa croissance une pé-
riode d'essor. C'est certainement le spectacle de l'Iliade
en train de prendre sa forme définitive qui a inspiré
l'autour des premiers groupes de chants de l'Odyssée.
Celui-ci ayant ouvert par un coup de génie une voie
nouvelle, d'autres s'y sont jetés aussitôt. La Télémachie,
qui semble avoir été le dernier grand élément consti-
tutif du poème, est antérieure aux Catalogues hésiodi-
CHRONOLOGIE HOMÉHIQUE 403
ques et pout-ôtro d'un assez grand nombre d'années.
GelasufOtà prouver que, pour l'Odyssée aussi, l'essentieldo la construction se fit assez rapidement. Nous croyons
que le poème existait dans sa forme généralo dès 750.
Reste, comme pour YIliade, la question toujours ouvertedos additions partielles et des interpolations de détail. A
cet égard, co que nous venons do dire du premier de
cas poèmes est aussi applicable au second
Ce rapide coup (l'œil sur la suite des temps qui ont vu
naitro la poésie épique nous conduit naturellement à ce
qu'on nomme le cycle. Nous trouverons, dans l'étude
que nous allons en faire, une confirmation indirecte de
co qui vient d'êtro dit.
1. Le fragm. 34 des Calalogues (Kinkel) oat manifestement inspirépar Od. UI, 404, comme l'a très bien vu Kirohhoff (Odyssée, exe. IV).
2. Le caractère de ce livre et les limites qui lui sont assignées ne
nous permettent pas de discuter, ni môme d'indiquer ici en détail lestentatives qui ont et6 faites pour donner une date plus ou moins pré-cise a telle ou telle partie des poèmes homériques. On peut consul-ter a cet égard, 8i on le désire, les excursus des éditions de l'Iliadede Christ et de VOdysséede Kirchhoff, l'ouvrage souvent cité de Wi-
hmowilz-MœllondorlT, l'Homerio iijnchronism de Gladstone, et aussi
l'Épopée homérique de l'archéologue Helbig, sans parler des chapitresafférents à ce sujet de certaines histoires de la littérature grecque.Ou fera bien seulement de remarquer que beaucoup d'indices de dé-tail, qui semblent assez probants au premier abord, n'ont guère devaleur solide, soit parce qu'ils peuvent être interprétés autrement,soit parce qu'ils peuvent avoir été introduits apréa coup dans un texte
plus ancien.1 Voilà pourquoi il faut peut-être faire plus de fond surdes raisons du genre de, celles qui viennent d'être exposées, bien
qu'elles puissent paraltre à quelques-uns trop générales, que sur descombinaisons d'une précision purement apparente.
CHAPITRE IX
LA POÉSIE CYCLIQUE
BIBtIOORAPnlB
Éditions. – Les fragments du cycle, avec l'extrait de la
Chmtomathte de Proclus qui s'y rapporte, ont été publiés et
traduits en latin dans l'Homère Didot, UomeHcarmina et Cy.
eli epici reliquiae, Paris, 1837-56, d'après la récenslon de G.
Dindorf. – Les autres éditions sont oelles de C.*G. MMlor,
Leipzig, 1829, aveo traduotion latine; de H. Dûntzer, Colo-
gne, 1840; de G. Kinkel dans le tome I de ses Bpicorumgracco-vumfragmenta, Leipzig, 1877.
Les fragments de la Thêbaide ont été édités séparémentavec un commentaire par E.-L. von Lentsch, Gœttingen,1830. Quelques débris des Chantaeypriem se trouvent dans
les Parerga Plndarka de Tycho Mommsen, Francfort, 1877.
F. Wûllner a aussi rassemblé des fragments du cycle avec
des extraits de la Chreslomathiede Proclus dans son ouvrage
intitulé De Cycloepicopoetitque eyelicis commentatio, Mûnster,
1828.Ce qui reste de Pisandre de Rhodes se trouve dans l'Hé-
siodeDidot, Paris, 1840, dû à Fr. Dûbner, et dans les Epico-non graecorumfragmenta de Kinkel cités plus haut.
La Chreatomathiede Proclus a été publiée en entier, avec
VEncMridion d'Héphœstion, par Gaisford, Leipzig, 1833, et
Oxford, 1883; puis par R. Westphal, dans le tome premierde ses Scriptores metriei graeci, Leipzig, 1866.
IDÉE GÉNÉRALE DU CYCLE 405
SOMIMinE
I. Idée générale da cycle. II. La partie iroyaune du cycle. Atotl-
nos de Milet, ÊlhhpUle et Prit» <f/«o*. Leaohèa, Petite Iliade. Sta-
ginos de Chypre, Chants Cyprient. Agias, tes Retours, Eugaromon,
La Ttttgonie, III, Les poèmes cyoliquea Ihébain». La ThébaUle.
Lesï&pigonea.l'OBdipodie – IV. Les autres poèmes cycliques. Tita-
nomachk, Danatde, Guêtre des Amazones, Ninyade. Prist d'CEchattt,
eto, V. Piaindre de Rhodes. VllératU». Us Thiof/amies hemï-
{MM.
I
Qu'est-ce que le cycle? Comment sont nés les poèmes
qui le composent et comment so sont-ils groupés? Quels
sont leurs rapports avec l'Iliade et l'Odyssée? Quelques
mots suffiront pour répondre à ces questions.
Roprésonlons-nous d'abord l'état des légendes épiques
vors lo commencement dos Olympiades, lorsque l'Iliade
ot l'Odyssée furent achevées. La partie do ces légendes
qui figurait dans ces deux poèmes venait de prendre
un développement disproportionné avec son impor-
tance réelle. La querelle d'Agamemnon et d'Achille
d'une part, le retour d'Ulysse de l'autre, simples épi-
sodes dans l'ensemble des récits relatifs à la guerre de
Troie, avaient mis dans l'ombre tout le reste. Il est
vrai que les autres événements de cette guerre avaient
été traités dans des chants plus anciens, qui sans doute
subsistaient encore; mais ces chants, sommaires et peu
dramatiques, ne pouvaient en aucune façon se raccorder
aux grands poèmes dans lesquels une manière entière-
ment nouvelle venait do prévaloir. D'un côté, une action
riche et variée, fertile en incidents, en descriptions, on
scènes émouvantes; des discours, des entretiens, de l'é.
400 CHAPITRE IX. LA POÉSIE CYCLIQUE
loquonce, on un mot le spectacle mémo do la vie; do
l'autre, une simple énumération d'ôvénomonts, qui dé.
sonnais semblait pauvre et insignifiante. C'étaient deux
genres do poésie différents et inconciliables, la poésie do
l'onfanbo, naVvo,timide, superficielle, et celle do la jou-
nosso, ardente, vigoureuse, pleine d'idées et de passions.
L'œuvre dos poètes cycliques s'explique tout entièro
par co simple contraste. Pondant doux cents ans envi-
ron, dopuis le milieu du huitième sièclo jusqu'au conv
monoomont du sixième, dos hommes do talent, épris
do la poésie épique, travaillèrent à raccorder ces vieux
chants, tombés dans le discrédit, avec les poèmes bril-
lants et grandioses do l'âge homérique. Ils s'efforcèrent
do rendre, autant quo possible, aux diverses parties dos
légendes leurs proportions primitives. Ils voulurent,
pour linsi dire, ramener les récits do l'Iliade et do
l'Odyssée à lour rang de simples épisodes dans un grand
ensemble, et pour cola, reprenant, à la manillre nou-
velle, les principaux événements, antérieurs ou posté-
rieurs à l'action de ces doux poèmes, ils se mirent à
les traiter avec d'amples développements, de façon à
leur rendre l'importance relative qu'ils avaient perdue.
Une toile tentative était sans doute fort naturelle.
En ce temps, où la poésie épique était l'histoire mémo,
il n'y avait aucune raison pour sacrifier certains grands
événements. La Grèce, de plus en plus curieuse de savoir
et do mettre on ordre ses connaissances, voulait embrasser
d'un coup d'œil tout son passé, dont ses grands poètes
épiques vonaient de glorifier quelques parties. Le rapt
d'Hélène, le rassemblement des Grecs à Aulis, leur dou-
ble débarquoment on Troade, les prises de villes et les
incidents divers qui étaient censés avoir rempli neuf
ans avant la querelle par laquelle s'ouvre l'Iliade, et
d'autre part la mort d" Achille, la défaito des derniers
alliés de Priam, et entin la prise môme dilios, tout
IDÉE GÉNÉRALE Hli CYCLE 407
cola ne pouvait désormais rester perd» 'lans do vieux et
obscurs récits poétiques qu'on n'osait plus chanter. Etles retours des chofs, et lour dispersion, et leurs mal-lie ura domestiques, et les fondations de colonies loin-
taines, n'était-ce pas là une masse vivante de souvenirsnationaux qui appelait la poésie, qui réclamait son con-
cours, et qui se plaignuit d'être injustement oubliée?'t
Malheureusement, ai impérieuse que fut cette nécessité
morale, tout essai do ce genre était condamné à de mé-
diocres résultats. V Iliade et l'Odyssée avaient absorbé
par avance ce que le génie épique pouvait créer do
meilleur. Après tout, les genres littéraires no sont pas
inépuisables. Il était au-dessus dos forces humaines doconstruire désormais, sur le même fond de légondes,de longs récits, sans y ramener des situations analo-
gues, dos sentiments presque identiques, des porsonna-ges déjà connus sous d'autres noms. Et ce n'était là quelo moindre inconvénient de l'entreprise; le plus gravetenait h une raison plus intime. L'Iliade, dans sa lente
élaboration, avait trouvé son unité, comme nous l'avons
montré, dans un fait moral simple et prédominant lacolèro d'Achille, ses phases et ses conséquences. L'O-
dyssée avait grandi de même autour du personnage
d'Ulysse, attaché à un seul sentiment. Mais commentdonner ce genre d'unité aux récits nouveaux, où tantde choses devaient trouver place.? Qu'on imagine, par
exemple, la situation d'un poète essayant detraiter les
événements de la guerre troyenne antérieurs à l'Iliade.Pour se conformer à la manière de son modèle homé-
rique, ce n'était pas un poème seulement qu'il se se-rait vu obligé de composer, c'étaient vingt ou trente
grands poèmes; la véritable unité ne se trouve eneffet que dans des sujets relativement restreints, parceque seuls ils peuvent être droninéa par un même per-
sonnage et montrer le développement d'une même si-
403 CHAPITRE IX, – LA POÉSIE CYCMQUK
tuttlkm morale. Sous cette forme, l'entreprisoétait irréa«
lisable. Quo fallait-il donc faire ? Choisir quelques évé.
noments notables et négliger tous les autres, c'est-à-
dire se résigner à être incomplet ? L'esprit historique,
qui grandissait, s'y opposait absolument. Voilà comment
on dut rassembler do longues séries d'événoments dans
chaque poème nouveau, et compter par années, là où les
poètes de i'àge précédent comptaient par journées. On
out ainsi dos narrations épiques, amplement dévelop-
pées sans doute relativement aux chants primitifs dont
elles s'inspiraioht, mais sommaires et complexes tout
à la fois relativement à l'Iliade et à l'Odyssée; dans ces
conditions, l'unité qu'on peut appeler homérique était
impossible. Pourquoi dès lors nous étonnerions-nous
do ce quo le secret do la composition semble s'être
perdu après 17/iWe, et VOdgssdef On avait trop à dire
pour bien composer. Un procédé narratif nouveau
,répondait à des besoins nouveaux, et il se substi-
tuait à l'ancien comme l'histoire a succédé un jour à
l'épopée et la prose à la poésie. C'est une loi commune
qui est entrée en jeu ici du moment que la force des
choses imposait au peu de génie épique encore survi-
vant la conservation dos vieilles légendos dans leur
entier et lour adaptation aux poèmes d'Homère, il était
impossiblo que l'épopée ne s'achominàt pas vers la
chronique.Prenons donc les choses telles qu'elles sont. Le cycle
marque un nouvel âge de la poésie épique. L'indépen-
dance créatrice dominait dans le précédent l'imitation
et l'adaptation sont les caractères principaux de celui-ci.
Les auteurs n'ont plus la môme liberté. Tandis que les
aèdes homérides créaient des incidents nouveaux et
des scènes entières à leur gré, batailles, rencontres de
héros, assauts, aventures merveilleuses, les nouveaux
venus, historiens en même temps que poètes, se vi-
IDÉE GÉNÉRAL®DU CYCLE «09
rent obligés, à co titre, do suivre pas à pas des séries
d'événements données. S'ils ont produit ainsi do moins
belles couvres, ce n'est pas une raison pour les dédai-
gner leur manière caractérise une phase importantede l'histoire littéraire. Ceci posé, venons-on aux faits
eux mêmes.
Le principal témoignage ancien relatif au cycle, le
plus propre à en bien expliquer la nature, est celui do
Proclus rapporté par Photius « Proclus, dit celui-ci,» s'étend ensuite (dans le second livre de sa Chresto-» mathie) sur ce qu'on appelle le Cycle épique. Cecycle» commence à l'union fabuleuse du Ciel et de la Terre,» d'où naissent trois géants à cent bras et trois Cyclopes;» il continue on parcourant les autres fables des Grecs» rotatives aux dieux, ainsi que les quelques traditions» vraies qui peuvent s'y trouver mêlées; et enfin, en» réunissant les œuvres combinées de divers poètes, il ar-» rive à son terme, c'est-à-dire au débarquement d'Ulysse» dans son tle d'Ithaque, où il est tué par son fils Télé-» gonos qui ne le roconnait pas. Proclus dit que les» poèmes du cycle épique subsistent encore et qu'ils sont» recherchés généralement, moins pour leur mérite que» pour les événements dont ils présentent la succession.» II indique le nom et le lieu do naissance do ceux qui» ont composé le cycle épique » Il résulte de ce té-
moignage qu'il existait au temps de Proclus, au second
siècle de notre ère, une série continue de récits, for-
1 Confonduà'tort avecle célèbrephilosophenéoplatoniciendu v*siècle,ceProolusétaitprobablementlegrammairienEutychiusPro-cluade Sieea,l'on desmaîtres de MarcAnrèle.Il avait composé,sousletitrede Xp^trcoiiàSsictYpa(i(iattxV),une sortedeCoursde littéra-tureen quatre livres,qui nousest connupartiellementsoit par l'a-nalysesommairequ'enadonnéePhotiusdanssa Bibliothèque(n°239),soitpar quelquesfragmentsimportantstrouvésdans deux manua-eritsd'Homère(CodexEscorialensiset CodexVenetus,484);voy.laBt-bliographieen têtede cechapitre.
S.Photius,BiU.. 239;dansl'HomèredeDidot,p. 581.
410 CHAPITRE IX. LA POÉSIE CYCLIQUE
méo de poèmes entiers ou de fragmenta de poèmes
combinés entre eux, qui ombrassait toutes les princi-
pales légendes mythologiques et héroïques. L'Iliade et
l'Odyssée, comme nous l'apprenonsd'ailleurs par un
morceau conservé du même ouvrage de Proclus, étaient
incluses dans cette série. On rappelaitle cycle (xûxto;,
cercle) parce qu'eUe formait comme un vaste corclo do
connuissanees l.
Ce cycle ne s'était pas entièrement organisé de lui.
môme. Il avait été probablement constitué par le gram.
mairien alexandrin Zénodoto d'Éphèse,au commence.
ment du m» siècle avant notre ère Son travail dut
consister à choisir, entre do nombreux poèmes, ceux qui
so prêtaient le mieux à former une série continue et qui
étaient on môme temps les plus intéressants, à on ox-
1. Cette appellation n'apparaît pour nous qu'au second siècle; maia
il ost probableqa'oile remonte jusqu'aux temps alexandrins. Déjà, au
temps d'Arlstote, le mot i-pwuXuKdamnait tout ce qui faisait partie
du cercle d'idées et de connaissances d'un homme bien élevé. car le
philosophe appliquait ce mot à ses toutes exotériques, c'est-à-dire
populaires (Êth. Nie. I, 3; De eœlo. I. 9, avec le commentaire de Sim.
plicius). Les Grecs de ce temps se représentaient donc ces idées et
ces connaissances comme une sorte de cercle. On comprend dès lors
que le mot tetxb; xûxtac a dû nattre de lui-même pour désigner l'ensem-
ble des récits épiques qui constituaient la légende héroïque connue
de tous. Cette légende, commune et rebattue, ne comprenant que les
grandes choses, s'opposait pour les érudits aux légendes rares et neu-
ves dont ils faisaient collection. De là l'idée de banalité que Callima-
que (Anthol. XII. 43) attachait à l'adjectif xuxXtxAcet dont le mot la-
tin eyeUeus avait hérité.
8. Welcker, DerEpisehe Cyelus, 1. 1, p. 8et suiv. Cela résulte du
double tèmoiiraase d'un scoliaste d'Aristophane et du poète Ansone.
Scolie de Caecius (Tzetzès) sur le Plutus d'Aristophane (Didot, Scho-
lia graeca in Arislophanem. Proleg., p. xxn) Alexander Aetoluset
Lycophron Ghalcidensis et Zenodotns Epbesius, iinpulsu régis Pto-
lemaei, Philadelphi eognoroento. artis poetices libros in nnum col-
legerunt et in ordinem redegerunt, Alexander Iragoedias, Lycophron
comoedias. Zenodotus vere Bomeri poemala et reliquorum illustrium
pœtarum. – Ausone, Bp.. XYTII, 29 Qaîqa* saeri laeerum eolleg"*
corpus Homeri. Le nom d'Homère désigne ici toute la poésie épique
primitive.
IDÉE GÉNÉRALE OU CYCLE 411
dure par conséquent un certain nombre d'autres, puis à
lixor le texte dos poèmes choisis, ot enfin à los grouperdans un ordre fixe au moyen d'un catalogue. Cofut on
somme une savante et ingénieuse classification; et cela
seul suffirait presque, indépendamment des témoignages
cites, à dénoter l'intervention d'un des bibliothécaires
aloxandrins.Il est probable quo les poèmes ainsi associes
no s'ajustaient pas toujours exactement les uns aux au-
tres; nous verrons par exomple un peu plus loin que la
prise d'Ilios avait été racontée à la fois par Losehès et
par Arctinos. Si donc io critique alexandrin n'avait pasmutilé ces anciens textes pour los faire entrer nrlificiol-
loinont dans sa combinaison, il devait y avoir dans son
cycle des répétitions. Elles disparurent sans doute plus
tard, puisque l'analyso de Proclus n'en porto aucune
trace. Do quello façon ? Peut-être, après Zénodote, lo
cycle subit-il une sorte de rétrécissement, afin de s'ac-
commoder de plus en plus aux besoins et au goût des
lecteurs; ceux-ci, selon le témoignage cité, y cher-
chaient plutôt un exposé complet de la mythologie et
dos légendes héroïques que de beaux morceaux de
poésie voilà pourquoi ils laissèrent de côté ce qui fai-
sait double emploiIl résulte de tout cela que, pour étudier la poésie cycli-
que en elle-même, il no faut pas tenir trop de compte des
diverses combinaisons anciennes, qui sont en somme
artificielles. Leur seul mérite pour nous, c'est de laisser
1. Ce travail fat Opéré sans doute par les mythographes de l'époqueromaine. Denys, appelé « le cyclographe », composa, vers le temps de
Marins, un « cycle historique » (xûxXo;tcrropix&c)qui offrit aux lec-
teurs, probablement sous forme d'analyses et d'extraits, un résumé
continu,de tontes les légendes héroïques (Diodore, III, 66). Nous con-
naissons encore de nom d'autres cycles analogues, notamment celui
de ThAodore (G. ï. &. 618S). Il non» est impossible d» ««voir snjonrd'hui en quoi Us différaient les uns dés antres c'était apparemmentdans les combinaisons de détail plutôt que dans les grandes lignes.
413 CHAPITRE IX – LA POÉSIE CYCLIQUE
apercevoir un autre groupement, celui-ci primitif et
spontané, beaucoup moinsrigoureux, sans loqool elles
auraient été impossibles. En essayant do lo dégager,nous verrons dans quels rapports les divers poèmesdu
cycle étaient entre eux à l'origine, et nous nous ren-
drons compte ainsi de l'influence que les anciennes
compositionsépiques exerçaient les unes sur les au-
tres. Étudions dans cette intention d'abord les poèmes
troyens, puis les poèmes thébains, et en dernier lieu
tous les autres
H
La partie troyonno du cycle a été de beaucoup la plus
populaire dans l'antiquité, et do là vient qu'elle est
aussi la mieux connue. Un dos fragments conservés
1. Le classement alexandrin des poèmes du cycle n'a pu être resti-
tué que d'une manière hypothétique, en combinant les indications
de l'inscription Borgia (C. J. G.. 6126) avec celles de la Chrestomathie
de Proclus, et en s'aidant encore de la chronologie fabuleuse. Cette
restitution est donc fort conjecturale. Voici la série complète, telle
que la donne Welcker (Cyctus, t. I, p. 35) 1 Titanomachie, 2 Danaïde,
3 Althide ou Amazonie. Œdipodie, 5 Thébaïde ou Expédition d'An»-
phiaraos, 6 Épigonss ou Alcmlonide, 7 lUingade, 8 Priae d'~cl~alie, 9
Chants cypriem, 10 IlioJle d'Homère. Il Êthiopide. 12 Petite Iliade, 13
Prise d"Ilios, 14 Rr.taurs, 15 Odyssée d'Homère, 16 Télégonie.– L'ins-
cription Borgia, ici mentionnée, est un fragment d'une table iliaque,
trouvée à Vélitres; elle est aujourd'hui au musée de Naples, après
avoir appartenu à l'antiquaire Stefano Borgia, d'où son nom. On ap-
pelle Tables iliaques des tablettes de marbre ou d'une matière analo-
gue, sur lesquelles étaient représentés en relief des épisodes de la
guerre troyenne. Sur l'usage de ces tables, voir la dissertation de
Bœckh (C. J. G., 6125).Parmi les études récentes auxquelles a donné lieu le cycle, nous
devons mentionner celle de Wilamowitz-Moellendorff dans ses Home-
rische Untersuchungen. L'auteur s'y montre très sceptique sur lus ira
ditions relatives aux noms et à la personne des poètes. Voir aussi
H. Weil, Rev. de PMI. XI, p. 1-5 et 5.9.
PARTIE TROïENNE DU CYCLE 413
do la Chrestomathie do Proclus nous donne l'analysepresque complète des poèmes qui la constituaient », et
diverses représentations figurées, ainsi que de nombreux
témoignages antiquos, viennont à l'appui do cette
analyse.Il y a de fortes raisons de croire que les plus anciens
de ces poèmes sont YÉthiopide et la Prise dJIios d'Arc-tinos de Milet. Ce poète vivait au commencement des
Olympiades, par conséquent vers le milieu du vm" siè-cle avant notre ère a. Son premier mérite fut de bien
comprendre où en était YIliade. Au lieu de chercher,comme los aèdes homérides l'avaient fait jusque-là, à la
grossir par le dedans on y intercalant de nouveaux épi-sodes, il entreprit résolument de la compléter par ledehors on la continuant. Pensée féconde, qui marqua lafind'une période et le commencement d'une autre.
L'Iliade s'arrêtait à la mort d'Hector. Arctinos se mit
à raconter les événements qui avaient suivi, jusqu'à la
chute d'Ilios. Son œuvre comprenait une longue suc-cession de scènes sans unité intime 3. L'Amazone
Penlhésilée venait avec ses compagnes au secours des
Troyens. Elle était tuée par Achille. Thersite insultait le
héros en se moquant de son amour pour la belle guer-rière tombée sous ses coups. De là, meurtre de Thersite
par Achille, dissentiments violents parmi les Achéens,et enfin purification d'Achille par les soins d'Ulyssedans l'île de Lesbos. Après l'Amazone Penthésilée, Mem-
non, fils de l'Aurore, arrivait à son tour comme allié du
vieux Priam, et une nouvelle série d'événements com-
1. llomeri carmina et Gycli epici religuiae, éd. Didot, p. 581.2. Soldas, 'Apxrtvoc. Saint-Jérôme, Chron., 01. 1 et OL IV. Geor-
ges le Syncelle, 01. 1.3.Voyez l'analysa de Pioelua luttilionnée pins haut et la table ilia-
que du musée du Càpitole (C. I. G., 6125, avec une planche qui repro-duit les scènes en question).
414 CHAPITRE IX. LA POESIE CYCLIQUE
monçait. Memnon tuait Antiloquo et périssait ensuite
do la main d'Achille. Mais celui-ci succombait dans sa
victoire mémo, atteint par la flèche de Paris que diri-
geait Apollon. Alors lo poète décrivait los funérailles
d'Antiloque, puis celles d'Achille, et la querelle d'Ulysse
et d'Ajax au sujet de ses armes, avec la mort d'Ajax
Cette série de scènes constituait, d'après Proclus, le
poème appelé Êthiopide, qui comprenait cinq livres, et
que l'on distinguait alors do la Destruction d'Ilios dont
nous allons parler.Il est à peine besoin de dire que cette division ne
saurait être attribuée à Arctinos lui-inôme. Celui-ci ne
composait pas des poèmes distincts il complétait la
série do chants qui constituaient VIliade par d'autres
chants, qui devaient peut-être, dans sa pensée, s'in-
corporer au groupe déjà existant ». De même que les
chants do l'Iliade étaient connus sous les noms de Chant
de la querelle, Exploits de Diomède, Patroclie, etc.,
de même sans doute ceux d'Arctinos s'appelaient
l'Amazonie, YÊthiopide, la Destruction dllios, sans quo
l'usage do ces dénominations impliquât la division de
son œuvre en plusieurs poèmes formant chacun untout3.
Ce fut donc plus tard que les récits d'Arctinos, n'ayant
pas été incorporés à l'Iliade, acquirent leur indépendance
défluitive, contrairement à l'intention de leur auteur.
1. L'analysede Proclus doit être complétéepar SchoLPind.fe-
thst~.III, 53.2. Le débutmêmedu poèmese rattachaitde la manièrela plus.
intimeà la findel'Iliade.Celle-cise terminepar ce vers Q; otT
4MU*ov*4Çov"ExropoctariffM. Le scoliastenousapprendautretexteportait "Qco?Y'*«»* tS?ov"ExTopo^-»Xte«Ap«-
Càv -'Apw ftofav (KT«Wbbpo«-*c«Mpwo.Welekerconsidèrece
derniervers eomWle commencementde i'Élhiapided'Aretinos.En
tout cas, tfeit au moins une transitionqui ne pouvaitservirqu*
lier Êthiopide'k l'iliUde. •3. Cf.Bobert,PMI.JJntenueh.V, 223. v.
PARTIE TROYENNE DU CYCLE 415
On en forma alors deux sections sous les deux noms
i'Êtniopide et do Destruction d'Ilios.
Cette Destruction d'Ilios n'est en réalité que la suite
do l'Éthiopide. Elle comprenait les épisodes de l'enlè-
vement du palladium «,du cheval de bois, de Laocoon, de
Sinon, le retour des Achéens devant Troie et leur en-
trée secrète dans la ville, puis les massacres et le par.
tage des captives, enfin l'incendie da la ville, tels à peu
près qu'ils sont connus par l'imitation qu'en a faite Vir-
gile au second livre de l'Enéide 9.
Quelle était l'originalité d'Arctinos dans le dévelop-
pement de ce sujet? Nous voyons clairement qu'un
certain nombre de scènes avaient été faites d'après des
scènes connues de l'Iliade. Par exemple, le rôle de
Thersite dans l'Éthiopide, son insolence, sa méchanceté
agressive rappelaient certainement quelques passages
du second livre de l'Iliade. Antiloque,tombant sous les
coups de Memnon et vengé par Achille, ne pouvait pas
ne pas ressembler à Patrocle, tombant sous les coups
d'Hector et vengé par le môme Achille. D'autres rap-
prochements analogues s'offrent d'eux-mêmes 3. L'anti-
quité n'avait donc pas tort, lorsqu'elle considérait Arc-
tinos comme un disciple d'Homère L'Iliade était son
unique modèle, et il l'avait toujours présente à l'esprit,
soitvolontairement, soit à son insu'. Maisce disciple dut
i. Cetépisoden'est pas mentionnépar Proclus;maisvoyezDenysd'Halie.,Antlq.rom.,-1,69.
2. Le secondlivre de l'Éneide,d'aprèsMacrobe{Saturn.,V, 2, 4),seraitpresqueentièrementtraduitde Pisandre.S'il en estainsi. Pi-
sandrelui-mêmeavaitsuividetrèsprèsArctinoscarl'analysedePro-
clusmontrequecelui-ciavait traité précisémenttoutescesscènes.3. Voir dansWeleker,Cyelu»,t. IL l'étudesur les deux poèmes
d'Arctinos.4.M*6r[riie'Orôpov.Artémon,dans Suidas,'Ap*tîv««.5.n est plusdifficilede dire si Arctinosa imitécertainesparties
del'Odyssée,qui sont parmi lesmoinsanciennes,ou si au contraireles auteursdecesparties (Récitsde Nestor,rdled'Ajaxdansla Né-
418 CHAPITRE IX. – LA POÉSIE CYCLIQUE
être en môme temps un vrai poète: la populatité dont
jouirent les personnages do Penthôsiléo et de Memnon
atteste qu'il y avait dans son récit des parties fortes et
brillantes, des scènes pathétiques, dos caractères atta-
chants. Il inspira Pindaro et Eschyle, ce qui est déjà un
honneur
Leschès ou Leschéos, (ils d'vEschylinos, était un Les-
bien, de Mitylène ou do Pyrrha, et appartient au siècle
suivant. Il vivait vers la 30e Olympiade (660-657), en.
viron cent ans après Arctinos et une trentaine d'an.
nées seulement avant Alcée et Sapho, c'est-à-dire à peu
près au temps d'Archiloque Son couvre, connue sous
le nom de Petite Iliade (TkAi {*«?*),se rattachait à celle
d'Arctinos, mais avec bien plus d'indépendance que
celle-ci ne se roliait elle-même à la grando Iliade. Il
semble que la pensée do Leschèâ ait été non seulement
do compléter les récits d'Arctinos, mais aussi de les re-
nouveler partiellement. Proclus, dans l'ouvrage que
nous ne cessons de suivre ici, analyse quatre livres
de la Petite Iliade, qui vont de la folio d'Ajax jusqu'au
moment où les Troyens viennent do faire entrer le che-
val de bois dans leurs murs. Leschès prend donc pour
point de départ un des événements principaux racontés
par Arctinos, la mort d'Achille, mais il suppose qu'a-
près cet événement et avant ceux qui suivaient immé-
diatement dans le récit d'Arctinos, d'autres sont inter-
venus qui n'ont pas été racontés précédemment il en
*vta,deuxièmeNi*»»)ont imité Aretinos.Lesréponsespeuventva-
rier pourcesdiverspassages.1. Pindare(Ném.III, B943).lorsqu'Uveut direbrièvementceque
fat AchilledevantTroie,s'inspirenondel'Iliade,maisde VÉthiopide.Le hérosy avaitévidemmentgrandi sonrôley étaitplus merveil-
leux.Le mêmepassagenousmontrepar allusionquelétaiU'éclatdu
rôle deMemnonet ausside celuid'Hélénos,qui sansdouterempla.
çait H«ttérde wM*d««Troyen».2. GeorgesleSyncelle,01,XXX.Pausan.,X.25,3. Table iliaque
duCapitole(C. G.,6125).
PARTIE TROYENNE DU CYCLE 417
hui. de la Lut. Greoqa». – 1. 1. «»
fait la matière propre de ses chanta. Ses héros sont
Philoctèto et Nôoptolèmo, personnages nouveaux dans
l'épopée, et Ulysse, personnage anoien, dont l'impor.
tance a singulièrement grandi sous l'influence de Ï'O-
dyssée. C'est lui qui, au début, obtient, de préférence à
Ajax, les armes d Achille c'est lui encore, qui s'emparedu devin troyen Hélénos et le force à révéler que Troie
succombera sous les coups de Philoctète. Il va chercher
à Scyros le jeune Néoptolème, qui devient dans ces ré-
cits un second Achille, quand il a reçu d'Ulysse les ar-
mes de son père. C'ost encore le roi d'Ithaque qui s'in-
troduit dans la ville et prépare avec Hélène la trahison
décisive il y rentre pou après avec Diomède et enlève
le Palladium. Enfin, s'il ne construit pas lui-même le
cheval de bois, œuvre d'Épéos et d'Athèné, il dirige du
moins l'exécution du stratagème, et il est le véritable
chef des guerriers qui pénètrent ainsi dansla ville. Ce
fut pout-étro pour grandir aussi le rôle d'Ulysse dans
l'épisode final, que Leschès refit, après Arctinos, une
description de la prise de Troie. On ne peut douter on
effet que cette description ne figurât dans son poème,bien que l'analyso de Proclus ne la mentionne pas. Cela
est prouvé par plusieurs témoignages Cette simple
analyse laisse deviner ce que valait l'esprit ingénieuxet indépendant de Leschès; quelques courts fragmentsencore subsistants confirment cette impression 2. C'est
sans doute parce que Leschès avait refait à sa manière
un récit déjà fait par Arctinos, qu'une légende ancienne
i. Aristote,Poétique,ch.23.Pausanias,X,25,26,27.Cedernierdé-
crit,dans cespassages,letableaude.PolygnotereprésentantlaprisedeTroie,composé,dit-il expressément,d'après la Petite IliadedeLeschès.
2.Nom.«c'm. et oycliepfcireüq., éd. Didot,p. S9aet sniv., parti-culièrementfr. 4et 9. MônélasépargnantHélèneà causede sabeauté(tr.15)est unsujet dontlesarts plastiquesout tiréprofit;J. Martha,Archéologieétosque,p. 107.
a _h. n·r
413 CHAPITRE IX- – LA POÉSIE CYCLIQUE
le représentait, en dépit de la chronologie, comme ayantconcouru avec ce poète D'après cette légende, il sa.
rait même sorti vainqueur de ce c&aoours. Cet hom-
mage lui était dù Arctinos n'avait fait que continuor
l'Iliade; Leachès, plus hardi, avait tenté de renouveler
ce qui existait déjà, en partie du moins; son succès fut
assez grand pour que son œuvre méritât d'ètre appeléela Petite Iliade et de figurer sous ce titre à côté do la
grande Iliade. Cela môme «omble indiquer qu'elle ne
s'y rattachait pas très aisément et qu'elle constituait
en fait une série do chants distincte.
Le nom de Stasinos do Chypre est inséparable do ceux
d' Àrctinos et do Leschès a. Aucun renseignement chro-
nologiquo relatif à ce poète ne nous est parvenu mais
la nature mémo de son œuvre, toute pénétrée déjà des
idées qui allaient dominer dans la poésie lyrique, ne
permet pas de le considérer comme antérieur à Loschès.
L'épopée qui lui ost attribuée était connue dans l'auti-
quité sous le nom de Chants cypriens, d'après le lieu de
son origine. Elle so rattachait aussi étroitement à
l'Iliade que collo d'Arctinos, mais elle en différait pro-fondément par l'esprit. L'objet du poète avait été de réu-
nir dans un récit continu les événements do la guerre
1. Phanias chez Clément d'Alex., Strom., I. 21, 131.
2. Stasinos de Chypre est cité comme auteur des Chants cypriens
par le scoliaste d'Homère, Iliade, I, 5. Proclus (dans Photius, Bi-
blioth., cod. 239) le mentionne également en cette qualité, mais en
ajoutant que d'autres attribuaient ces chants à Hégésinos de Sala-
mine (en Chypre). Athénée, VIII, p. 3340, nomme Stasinos avec une
réserve. Hérodote (II, 117) parle des Chantt eyptiens pour dire qu'ils
ne peuvent être d'Homère, mais il n'en nomme pas l'auteur. En gé-
néral, lorsque les anciens citent les Chants cypriens, ils disent simple.
ment Ata KiSupiaYpA|>«c,ou se servent d'une expression analogue. Le
nom de Stasinos ne peut donc pas être considéré comme définitive-
ment acquis 4 l'histoire littéraire. – Sur les traditions cypriotes re-
latives à Homère et sur les liens de Stasinos avec l'ancienne épopée,
voir la 2»dissertation homérique de Sengebuscb, p. 47.
PARTIE TROYENNE DU CYCLE 419
troyonno antérieurs à l'action do Y Iliade; mais on même
temps, obéissant à un besoin d'esprit nouvoau, il s'ef-forçait d'expliquer tout l'ensemble de celte légende pardes vues générales, qui attestent déjà l'éveil de la rai-son philosophique et théologiquo
• On raconte », dit un scoliaste ancien t, t que la Terre,accablée par la multitudo des hommes, qui ne connaissaientaucune piété, pria Zeus de la soulager de son fardeau. Zeussusolta d'abord la guerre de Thôbesi, grâce à laquelle il endétruisit un grand nombre. Puis, un peu plus tard, suivantle oonseil de Momos, il réalisa ce qu'Homère appelle le des-seinde Zeuss. Au lieu de détruire tous les hommes par lafoudre et par les déluges, comme il l'aurait pu, il s'en laissadissuader par Momos, qui lui suggéra de marier Thétis àun mortel et de faire naître une jeune tille d'une beauté admi-rable de ces deux événements résulta la guerre entre lesGrecs et les barbares, et cette guerre fut un soulagementpour la Terre, car beaucoup de guerriers y périrent. Celaest raconté chez Stasinos, l'auteur des Chants cypriens, quis'exprime ainsi
IIy eutan tempsoùdesmyriadesd'hommeserraient• • • • eutle vasteseindela terre.Zens,quivitcela,eutpitié,et danssasagesseIl résolutdesoulagerla terrenourrioieretropchargéed'hommes;Etil lançaparmieuxla grandediscordedela guerretroyenne,AfinquelamortfitunvidedanslafoulepesantealorsdanslaTroadeLeshérospérissaient,et ainsis'accomplissaitle desseindeZeus.•
En admettant, comme il est problable, que le rôle ici
assigné à Momos appartient à un développement plusrécent de la légende, on voit par les vers mêmes du
poète comment toute la guerre de Troie était issue
pour lui d'une sorte de nécessité inhérente aux des-tinées du genre humain. Zeus est déjà le dieu jaloux
i. Scol.Iliade, I, 5 (Didot, Cyclirettq., p. 591).2.Allusionau vers 5 du Uvre 1 de l'Iliade. Aà: 8' ttstefao par»).
passagedont le sens est d'ailleurs tout différentde celai qui est in-diquéici..
480 CHAPITRE IX. LA P0ÉSI8 CYCLIQUE
d'Hérodote, qui arrête l'essor de l'homme. Sa volonté,réfléchie et implacablo, dominait tout le récit du poète.
Après Zeus, c'était Aphrodite, la déesse de Chypre, qui
y jouait, somblo-l-il, le principal rôle. Hélène et Acliillo
étaient les deux personnages marqués pour l'accom-
plissement des desseins d'en haut. Le poète racontait
les noces de Thétis et do Pelée, le jugement do Paris
qui on fut la suite, l'enlèvement d'Hélèno, le ras-
semblemont des Achéens, leur première expédition on
Touthranie, pays qu'ils avaient pris pour la Troade,
puis leur second rassemblement à Aulis, le socrilino
d'Iphigénio, le débarquement on Troado et les prin.
cipaux événements du siège jusqu'à la querelle, no-
tamment ceux auxquels il est fait allusion dans l'lliade.
Cette simple énumération suffit à montrer combien les
Chants cypriens contenaient de faits qui sont restés au
premier rang dans la tragédie et dans la légende. Les
quelques fragments qui subsistent, si insuffisants qu'ilssoient pour nous faire connaître le poème, attestent tout
au moins le talent descriptif de son autour
On peut voir, par les trois poèmes ou séries dochants*
dont nous venons de parler, comment le travail poéti-
que qui avait constitué l'Iliade, antérieurement aux
Olympiades, se continua dans le premier siècle de l'ère
nouvelle. L'Odyssée ne fut guère moins féconde que
YIliade. Son influence ost attestée dans le cycle par
deux poèmes qui l'encadrent et qui la rattachent à la
i. En particulier,le fragm.8(Klnkel),ouïe poètedécrit la parure
d'Aphrodite.2.J'emploieicicesdeuxexpressionssimultanément,parcequ'ilme
parait impossiblede déterminerlaquelleconvientle mieuxà casœu-
vres, néesprécisémentau tempsoù les sériesde chantsprimitive>étaientde plus en plus considéréescommedespoèmes.Dans tonte
évolution,lesétatsextrême»sontaisésà distingueretpar conséquentà nommer,maisnonles états intermédiaires.
PARTIE TROYENNE DU CYCLE 4SI
série complète des événements do la guerre de Troioce sont les Retours et la Tétégonie,
Les Retours sont attribués par la plupart des témoi-
gnages anciens à un poète de Trézène, nommé Agiaaou Hégias*. En l'absenco do toute donnée chronologiquepositive, on peut en faire par conjecture un contemporaindo LoBchès. Plusieurs raisons'nous y autorisent: d'abord,la patrio mémo du poète les Retours n'ont pu être
composés par un Trézénien qu'au temps où la poésiehomérique, et l'Odyssée en particulier, étaient déjà trèsconnues dans le Péloponnèse; puis, l'introduction du
personnage de Médée et l'imporlanco donnée dans le
poème aux légendes locales (légendes de Colophon, des
Molosses), qui no se sont greffées que peu à peu sur la
légende primitive plus générale, et qui prirent un si
grand développement dans la poésie lyrique à partirdu vue siècle; enRn, la forme même du poème, qui ré-vèle un effort sensible vers l'unité en dépit du sujet.
Le poète raconte le retour des Grecs après la prisede Troie. Il prend les événements au point où Arctinosles avait laissés, c'est-à-dire immédiatement après le
pillage de la ville et le partage du butin, et il les con-duit jusqu'au moment où tous les Grecs sont rentréschez eux, sauf Ulysse, c'est-à-dire jusqu'au début de
l'Odyssée. Les aventures d'Ulysse, seul entre tous loshéros Achéens, sont laissées de côté Il n'est donc pas
1. Proclus.Chrestom.(Didot,Cyclireliq.,p. 584).Pausan., I, 2. –CependantEustathe,Odyssée,XVI, Ut, dit quel'antenr des RetoursétaitdeColophon.Sengebuseh(Z>i»s.homer.poster.,p. m)supposequ'ilavait au moinsprofité d'an poèmeantérieur,œuvred'nn Colopho-nien.
2.Kirchhoff(Odyssée,Exe.IV dela 1™partie,p. 334et suiv.)a con.testél'exactitndedel'analysede Procluset a vouluprouverque lesaventuresd'Ulyssetenaientuneassezgrandeplacedansles Retours.Sadémonstrationme parait absolumentin>mffl»ant«.Wilamowitz,danssesmon.Vnttrsuch.(p. 173et suiv.),a traité en détail des fie-tours il s'enfait uneidéetout autre,trèsarbitrairement,à monavis.
492 CHAPITRE IX. LA POÉSIE CYCLIQUE
douteux que les Retours n'aient été composés en vue dese raccorder à l'Odyssée, lia a'y rattachaient d'ailleurs
par le développement qu'Agias avait donné aux faitsracontés d'une manièro sommaire dans la Télémachie
par Nestor et par Ménélas, Néanmoins l'intention du
poète semble bien avoir été de constituer un poème dis.
tinct il avait essayé on effet do donner à son œuvre
l'unité, à laquelle les événements qu'il racontait ne so
prêtaient guère naturellement On voit par l'analysede Proclus quo les rôles d'Agamemnoa et do Ménélasdominaiont tout le récit et que les aventures des autreshéros étaient habilement encadrées dans los leurs àtel point qu'un auteur ancien a pu désigner les Retourssous ie nom do Rapatriement des Atrides*. Ce qui nousreste du poème ne permet pas de l'apprécier. On sait
par un passage do Pausanias (X,28) qu'il contenait une
description de l'Hadès ot de ses terreurs, sans doute
quelque chose d'analoguo à la Nc'xuutde l'Odyssée, saufles changements dus au progrès dos idées religieuses.
Si le poème des Retours servait on quelque sorte d'in.troduction à l'Odyssée, la Télégonie en formait le dé.noùment. C'était une œuvre de peu d'étendue lesAlexandrins la divisèrent en deux livres seulement.L'auteur était un Grec de Cyrène, nommé Eugamon ou
Eugammon, qui vivait, d'après la chronique d'Eusèbe,dans la LUI" Olympiade (S68-S6S av. J.-C.)3, par consé-
1.Le plusdifficileestde comprendrecommentil avait remplil'in-tervallede tempsqui s'écouleentrela mortd'Agamemnonet la ven-geanced'Oruste,puisqueces deux événementsfiguraientdanssacomposition.Les voyagesde Ménélasavaient pu lui fourniruneressource.
2. Athénée,VII, p. 281»B. Il est difficile.de ne pas admettreavecWelckerquele titrede Kieoî.çtôW'AtpiSSvdésigneen effetdanscepassagele poèmed'AgiasdeTrézène.
3. Proclus,Chrestom.(Didot, Cyelireliq., p. S04);Kinkel,Ep.gr.p. 57;Kustathe,Odyss.,p.1796,49;Clêm.d'Alex.,Strom..Vl.p.ïSi.– Ensèbe,LUI*01.
PABTIK THÉBAINE DU CYCLE 493
quent un contemporain de Solon et do Pisislrale. Le
temps de l'épopée était alors passé; c'était la poésie ly-rique qui régnait. Aussi le poème d'Eugamon no fut-ilsans doute qu'une œuvre médiocre. Il racontait, en s'ins-
pirant des prophéties de Tirésias dans l'Odyssée, les der-nières aventures d'Ulysso après son retour à Ithaque. Lehéros allait chez les Thosprotes, y contractait un nou-veau mariage, et combattait pour le peuple qui l'avaitaccueilli. Revenu à Ithaque, il était tué par Télégonos,né autrefois de ses relations avec Circé et le poème seterminait par le double mariage de Télégonos avec Pé-
nélope et do Télémaquo avec Circé. Eugamon évidem-ment se souciait pou dos vraisemblances, et de tellesinventions dénotent un art bien déchu «.
III
En face du groupe des poèmes troyens, le génie épi-que de la Grèce primitive en avait constitué un autre,dont les légendes thébaines étaient la matière. Le siègede Thèbes n'était guère moins célèbre dans l'antiquitéque le siège de Troie. Plusieurs générations d'aèdessans doute se transmirent, en les grossissant, les tradi-tions glorieuses qui s'y rapportaient, et de là sortit touteune famille d'épopées.
Ce groupe était représenté dans le cycle par troispoèmes, choisis peut-être entre beaucoup d'autres, l'QE-
i. Eugamonavait vouluprobablementmettreen lumièreune lé-gendedomestiquedes princes thesprotesquiprétendaientse ratta-cherà Ulysse.Les traditionsde Cyrène,sa patrie,devaientfigureraussidansle poème,s'il est vrai, commele rapporteEustathe,qu'ildonnaitpourfils à Pénélope,outreTélémaque,un certainArcésUas,cUefsansdoutedelaligué»voyaisdesAreéailasdeCyrène(Eustathe.Odyss..p. 1796).
494 CHAPITRE IX. LA POÉSIE CYCLIQUE
dipodie,la Thébaïde,et les Épigones.Decesgrandes œu-vres épiques, rien n'a subsisté. Nousn'avons mètrij pas,pour nous les représenter, la ressource d'une analysecomparable à celle de Proclus. Il en faut chercher latrace chez les mythographes, chezles poètes lyriqueset tragiques, et enfin dans quelques rares témoignagesisolés ».
La Thébaïde ou Expédition dAmphiaraos* était l'Iliade
de ce groupe. Ce poème est le seul dans le cycle, avec les
Épigones, dont l'auteur nous soit entièrement inconnu.
On le mentionnait sans nom de poète, ou on l'attribuait à
Homère. Pausanias, qui pouvait encore le lire et le com.
parer aux autres poésies cycliques, le mettait hors de
pair3, et cette appréciation semble confirmée par l'influ-
ence qu'il a exercée. La Thébaïde a inspiré Pindare*, elle
a fourni des sujets de tragédies à Eschyle, à Sophocle, à
Euripide, elle a suscité un imitateur, au v* siècle, dans
le poète épique Antimaque, qui a voulu la refaire sur un
plan nouveau. Chez les Latins, Properce l'attribuait en-
core à Homère et admirait l'audace de son ami Ponticus,
qui osait rivaliser avec le grand poète en traitant à son
tour ce sujet 5; enfin Stace, que la poésie homérique ten-
tait, composait sa Thébaïde, en prenant, il est vrai, An.
1. Signalons l'essai intéressant et ingénieux tenté par Bethe pourreconstituer l'histoire légendaire de Thèbes Thebanische Heldenlie-
der, Leipzig» 1861. Les résultats en sont d'ailleurs très incertains.S. Ce second titre, qu'on trouve dans Suidas, v. 'Opiipoc, et dans la
Vie d'Homère du Ps. Hérod., § 9. ne peut, comme l'a bien vu Welcker
(Ep. cycl., I, p. 898-302), s'appliquer qu'à la Thébaïde.3. Pausan., IX, 9 Ta Si ïta\ TotOtaKattTvoc, 4çnt4|ttvo« aûrôv ei«
prij|H)v. ïqrç<rev"Oinipovx!»vitoir.aovta elvai (il est probable qu'il s'agitici du poète Gallinos, bien que cela ait été très contesté). Ka»huSI «oXXofTe*«\ SÇioi\4yov wcrà xaùtk ^vnio-av. 'Eyh Si tV irobio-ivtoi-
«|v fjni yt 'IXiiSa xal rà £«t) ta é; 'OSviffdioêitoivwnâXtirro.t. Pindsre, Ofgmp.^ VT, iS, et tsaUr.
5. Élégies, l, vu Dum tibi Cadmeae dieuntur, Pontice, Thebae,
armaque fratemae triatia militiae, atque, ita aim felix, primo con-
tondis Homero.
PARTIE THÉBAINE DU CYCLE 495
timaque pour modèle, mais sans doute en suivant ausside loin le poème cyclique, comme il allait un peu plustard suivre les poèmes troyens dans son Ackillélde.Tous ces faits réunis prouvent au moins la grande im-portance littéraire de la Tkëbaïde. On no peut douterqu'elle n'ait été un de ces poèmes féconds qui, parl'heureux choix du sujet ou par la force de l'inventionpremière, agissent puissamment sur les imaginations etrenaissent pendant longtemps dans des œuvres tou-
jours nouvelles.Bien que la date de cette composition poétique ne
nous ait été donnée par aucun témoignage ancien, on esten droit d'en affirmer la haute antiquité. Anonymecomme l'Iliade et l'Odyssée, la Thébaïde semble appar-tenir à cette période primitive où la poésie était encorepresque impersonnelle. D'ailleurs les allusions de l'lliadeet en particulier celles du livre IV, qui sont fort dé-taillées, nous montrent que la légende, sinon le poème,était déjà entièrement formée lorsque l'Iliade fut ache-vée.
« Tydée, dit Agamemnon dans un de ces passages « vinten ami à Mycènes, avec le héros Polynioe, quand il cher-chait à rassembler l'armée qui ensuite marcha contre lesmurailles de Thèbes. Tous deux priaient pour qu'on leardonnât de vaillants auxiliaires. On se laissa persuader, onaccorda ce qu'ils demandaient; en vain Zeus détournaitles Myoéniens de cette entreprise par des signes funestes.Quand l'armée fut partie et qu'elle eut fait déjà beaucoup dechemin, elle parvint aux rives de l'Asopos, bordées de joncsépais et couvertes de gazon; là, les Achéens s'entendirentpour charger Tydée de porter des propositions. Il alla doncet trouva les Gadméens réunis en nombre pour un festindans la demeure d'Étéocle. Tout étranger qu'il était, le vail-lant cavalier Tydée n'ent aucun effroi, seul au milieu de
V.'àsif1*'IV, 376 8UiV'-Autres «"oskms, V. 802sqsj. VII, 223v. 28~.
496 CHAPITRE IX. – LA POÉSIE CYCLIQUE
cette multitude de Cadméens. 11les provoqua à des combats
simulés, et il les vainquit tous sans aucune peine tant ilétait assisté par Athèné.Pleins de colère, les Cadinéens, ar-dents cavaliers, allèrent lui dresser une embuscade, commeil retournait vers les siens; cinquante jeunes gens l'atten-dirent, et ils avaient deux chefs, Méon1Hémonide sembla-ble aux Immortels, et le filsd'Autophonos, le belliqueux Po-
lyphontès. Mais Tydee fit tomber sur eux la mort affreuse,il les tua tous, sauf un, qu'il laissa rentrer dans sa mai-son. »
Tous ces détails précis dénotent une légende déjà
popularisée par des chants épiques*. Est-ce à dire toute-
fois que le poème lui-même existât dès co temps sous
sa forme complète et définitive? On peut en douter, car
il est dit dmsVOdyssée (XV, 244 et suiv.) que le devin
A mphiaraos mourut sous les murs de Thèbes; or la tra-
dition recueillie dans la Thébafde était différente et plus
merveilleuse; le devin, englouti sous la terre avec son
char, continuait à y vivre glorieusement on rendant
des oracles. Cela ferait croire que la Thébaïde ne fut
achevée et constituée en poème qu'après l'OdysséeUno tradition antique rapportait qu'Homère l'avait
composée àNéontichos en Éolide. Sans doute UThébaïde
comme Iliadeout pour point de départ des chants éo-
liens, mais, comme elle aussi, elle ne devint réellement
une grande œuvre poétique qu'entre les mains des aèdes
ioniens, peut-être des Homéridos.
Le sujet du poème était l'expédition funeste que le
1. Notezaussi le grandrôlede Tirésias an XI*livrede l'Odyssée.Tirtsias est le devinthébainparexcellenceil devaitêtredéjàpo-pulaire,quandceXI*livrefutcomposé.
2.Welcker,Cyclus,t. IL pass.cité.Christ(Gr. Lit.,55)a remar-qué en outreque le premierversdu poème,tel qu'ilest citédansleConcoursd'Homèreet d'Hésiode,dénoteun tempsoù il n'était pinstenu aucuncomptedu digamma(ïv9evSvavtec)mais le préambulepouvaitêtre plus récentquelesprincipalesparties du récit.
3. Vitd'Homèreattribuéeà Hérodote, 9.
PARTIE THÈBAINE DU CYCLE 427
roi d'Argos, Adraste, excité par ses gendres Polynico et
Tydée, conduisit contre le roi do Thèbes, Étéoclo. Lesdeux principaux personnages, Amphiaraos, le sage de-vin, et Adraste, le fougueux et imprévoyant auteur de
Jaguerro, étaient opposés l'un à l'autre par un contraste
frappant, qui devait rappeler à quelques égards celui
d'Agamemnon ot d'Achille dans l'Iliade t. Amphiaraos,sans être le chef de l'expédition, tenait néanmoins le
premier rang dans le poème, comme Achille; c'est ce
qu'indique le titre secondaire à%Expéditiond' Amphiaraosqui lui fut donné. Les phases dramatiques du récitétaient le rassemblement des combattants, mentionnédans le passage de l'Iliade qui vient d'être cité, l'ins-titution des jeux Néméons, l'ambassade de Tydée, l'as-saut donné aux murs et la mort de Gapanée, le combat
singulier des deux Gisd'CEdipe, la défaite et le massacredos Argiens auprès du fleuve Isménos, la disparitiond'Amphiaraos, la fuite d'Adraste sauvé par la rapiditémerveilleuse do son cheval Arion. De tout cela, il nenous reste aujourd'hui que deux fragments du début,où sont rapportées les malédictions d'ÛEdipe contre seslils2. L'épopée grecque n'a pas subi de perte plus consi-dérable que celle-là.
De même que l'Iliade était encadrée dans lo cycleentre les Chants cypriens et l'Éthiopide, de même laThébaïde l'était entre l'Œdipodie et les Épigones. Iln'est pas douteux que ces deux poèmes n'aient été faitspour se raccorder au précédent.
Le poème des A'/9?yo«es était anonymecomme la Thé-baïde et tellement lié à celle-ci par le sujet qu'on a pu,
1. Welcker,Cyctus,t. II, p. 320et suiv.Adrastesembleen outreavoirété représentécommeun orateurremarquable.Platon {Phèdre,269B>en fait letypede l'orateurhomériqueet le rapprocheà ce titredePériclés,Iyped8 l'orateurhistorique.
2. Cyclireliquiae,Didot,p. 687.Kinkel,Ep.gr.. p. Il.
438 CHAPITRE IX. – LA POÉSIE CYCLIQUE
quelquefois les considérer commeles deux parties d'une
môme composition Il paraît plus probable toutefois
que les Épigones n'étaient qu'une suite, ajoutée posté-
rieurement. Le parallélisme des deux poèmes semble im-
pliquer en effet que l'auteur du second était simple-
ment un imitateur sans grande originalité personnelle.
Il avait raconté la seconde expédition argienne contre
Thèbes, celle qui fut conduite par Alcméon, fils d'Arn-
phiaraos, et à la suite de laquelle les Cadméens, vaincus,
quittèrent leur ville. Son poème avait exactement la
môme étendue que la Thébaïdes mais la ressemblance
extérieure devait faire ressortir plus vivement l'infério-
rité de l'invention. Tandis que le principal poème était
riche en grandes scènes qui ont fait fortune dans la lit.
térature, le second n'a, pour ainsi dire, rien laissé
après lui
VŒdipodie était à la Thébaïde ce que les Chants cy-
priens étaient à 17/îad<?,une sorte d'introduction. L'ins-
cription Borgia nous en fait connaître l'auteur, qu'elle
nomme Kinœthon. Ce poète, désigné ailleurs comme
lacédémonien, vivait au commencement des Olympia-
des c'était un contemporain d'Arctinos*. VŒdipodie,
comme son titre l'indique, racontait l'histoire à'Œdipe.
Que valait-elle au point de vue-poétique ? Il ne nous reste
ni fragment ni témoignage qui nous permette d'en
juger 5.
1. Unscoliasted'Apolloniusde Rhodes(1,308)cite,commeétant
dela Thébaïde,un passagedesÊpigones.Einkel,Ep. gr. p. 14.
2. Concoursd'Homèreetd'Hésiode,g U.3. Onpeutvoir dansApoUodore,W6Ko<A.,III.combienla seconde
guerrede Thèbesest pauvreen événements,relativementà la pre-mière.Peut-êtrele sujet avait-il été moinspréparépar leschants
antérieurs.4. Eusébe,Chron..01. V. Il n'y a aucuneraison pour confondre
KiuœthondeLaeédémoneavecEiasathosde CUios,commele voulait
Welcker.8.Aux légendesthébainesserattachaitaussi VAleméonide.dontil
POÊMES DIVERS 499
Cegroupe de poèmes thébains était relié, dans le cyclede Zénodoto ou de ses imitateurs, au groupe des poèmes
troyens par d'autres poèmes dont nous allons parler.Maisà ce sujet une remarque est nécessaire l'adaptationprimitive que nous avons observée précédemment faitici défaut; nous sommes en présence d'un rapprochement
purement artificiel, opérépar les mythographes. Al'ori-
gino le cycle thébain a dû être absolument indépendantdu cycle troyen la Thébmde a pu subir l'influence del'Iliade ot l'Odyssée, mais elle n'a pas été composée onvue do les compléter. Si l'on veut appliquer à toute l'an-cienne poésie épique ce mot do cycle, il doit être en-
tondu qu'il y a eu originairement en Grèce, non pas un
cycle unique, mais plusieurs cycles, qui se sont formésles uns à côté des autres.
IV
Lorsque Zér.odote voulut relier le cycle thébain au
cycle troyen, il dut naturellement imaginer un ensem-ble beaucoup plus vaste dans lequel ils trouveraient
place l'un et l'autre. Pour le construire, il recueillit uncertain nombre de vieux poèmes, qui certainement n'a-vaient pas été destinés à être ainsi groupés. Cespoèmessont loin d'offrir le même intérêt que les précédents, etce que nous en savons se réduit a bien peu de chose.Contentons-nous de les mentionner rapidement.
La Titanomachie est attribuée par les témoignagesanciens soit à Eumélos de Corinthe, soit à Arctinos, soità Kinœthon, qui vivaient tous trois au commencement
nousrestaquelquesfragments(Kinkel,Ep.gr., p. 76).Cepoème,queWolekeridentifiaitareo imÉpigmm(Cyclus,I, p. 195),nesemblepasremonterau delà de la secondemoitiédu vi'sièole.
430 CHAPITRE IX. LA POÉSIE CYCLIQUE
dos Olympiades. D'autres la citent sans en nommer l'au-tour. On sait que le combat des Titans contre Zous, quien formait le sujet, est raconte sommairement dans la
Théogonie d'Hésiode, Quoi but s'était proposé l'auteurde la TUanomachief Dans quel esprit avait-il remaniéles vieilles légendes mythologiques et quels développe-ments nouveaux y avait-il ajoutés ? Nous l'ignorons ab-solument.
La Danaïde est citée dans l'inscription Borgia comme
figurant dans le cyelo, immédiatement après la Titauo-maehie. Il est clair quo, malgré ce rapprochement, cesdeux compositions étaient entièrement indépendantesl'une do l'autre; quel autro lion supposerait-on en effet
que celui d'une chronologie fabuleuse entre le mythedes Titans et la légende argienne do Danaos?
Après la Danaïde, venait un poème dont le nom a dis-
paru dans l'inscription en question, par l'cffct d'unemutilation, On a supposé que c'était la Guerre des
Amazones conjecture fort incertaine A cette Guerredes Amazones on a rattaché, plus arbitrairement encore,la Minyade, peut-être appelée aussi Phocéïde. Ce poèmenous est connu seulement par quelques passages do
Pausanias', qui l'attribue, avec doute, à un certain Pro.dicos do Phocée. Le titre indique assez quo le sujetétait emprunté à l'histoire légendaire des Minyens,ancienne race qui avait occupé une partie du sol de la
i. Welcker, Cyclus, I, p. 201 et siuv. La principale raison de cette
conjecture, c'est que ce poème a été quelquefois cité comme l'œuvred'Homère, d'où ('on conclut qu'il devait appartenir au cycle; l'èvéne-ment qui en Taisait le sujet, c'est-à-dire probablament l'invasion de
l'Attique par les Amazones, lui assignerait dès lors assez naturelle-ment cette place dans la série. Weleker assimile d'ailleurs cette Guerredes Amenonea avec YAtthide que Pausanias (IX, 29) attribue à un cer-tain Hâgâsinoos, ce qui est encore plus incertain.
2. Pausan., IV, 33; IX, 5et 28; X, 31. Sur l'identification de la %•niade et de la Phocéifh, voir Welcker, Hp. Cyclus, I, 237.
POÈMESDIVERS 431
Béotie et lutté contre lesCadméensde Thèbes. L'épopée,avant do mourir, cherchait à recueillir tous los grandssouvenirs nationaux et croyait tour donner une vie quin'était plus en elle. On trouvait dans la Minyadn une
description do l'Hadès, où. figurait le batelier Charon,
personnage inconnu des vieux poètes. Cette description,selon Pausanias (IX, 28), fut misa à prolit par le grand
peinlro Polygnote prouve intéressante de l'influenceexercée sur les arts par ces épopées aujourd'hui perdues.
La Prise tFOEchalie était beaucoup plus célèbre dans
l'antiquité. « On a raconté, dit Strabon t, que Créophylede Samoa, ayant donné l'hospitalité à Homère, reçut delui en retour le poème qu'on appelle la Prise dŒcha-
lie, avec la permission d'y inscrire son propre nom. Cal-
limaque présento oe fait d'une manière différente dansune épigramme; il y attribue lo poème à Créophyle, quil'aurait fait passer sous le nom d'Homère, pour se payerde son hospitalité
Je suis l'œuvre du Somieo,dans I* maisonduquel le divin nombreFut reçu Je pleure les malheur» i'SarytmEt la blonde Iolee. On m'iie poème homérique
Qnade récompooMpour Créophylo, par le nom de Zoiu •
II résulte de ces vers de Callimaquo quo la Prise d'Œ-ehalie était considérée par les Alexandrins comme l'œu-vre du Samion Créophylo, mais qu'ils la classaient enmémo temps parmi les poésies homériques, c'est-à-dire
sans doute dans le cycle. Ce Créophylo, dont nous avons
déjà parlé, était, on s'en souvient, l'ancètre, réel ou
mythique, d'une famille samionno, celle dos Créophy-liens, analogue au y*Vo;dos Homérides de Chios. On
peut donc supposer que ce poème, quel qu'en fût d'ail-
leurs l'euteur, appartenait aux aèdes do cotte famille,à l'origine du moins. Le sujet, d'après l'épigramme
I. Strabon,XIV,p. 838.
488 CHAPITRE IX. – LA POÉSIE QYOLIQÛK
citée, était l'expédition d'Héraclès contre CEchalie, ville
du roi Eurytos, qui avait refusé au héros la main de sa
Kilo lolé, au mépris d'une convention formelle. On s'ex-
plique, par suite, que le poème fut aussi appelé Hêraetêt
(Paus. IV, 2, 2). Nous on ignorons la date. Toutefois il
fautse rappeler quelle influence, signalée précédemment,
les légendes d'Héraclès ont exercée sur l'Iliade, Il est
donc certain qu'au temps où le grand poème homérique
s'achevait, ces légendes prenaient corps, et il est assez
vraisemblable que la Prise d'Œchalie a été l'œuvro la
plus considérable do cette poésie relative à Héraclès,
puisqu'on ne cite pas d'autre épopée antiquo, enmpnsno
sur le mémo sujet, qui ait effacé celle-ci par son éclat.
Cotte énumération ost loin d'épuiser la liste dos poèmes
épiques quo la Grèce vit naitro entre le vin'et le vi*
sièclo avant notre ère. On peut encore lire sur l'ins.
cription Borgia le nom mutilé do Lycaon, qui devait
être le héros d'un récit poétique également raUaché au
cycle'. D'autres poèmes, (lui furent hissés en dehors du
cycle parce qu'on no pouvait pas y faire tout entrer,
n'auraient pas ou moins do droits sans doute a notre
intérêt, si quelque chose en était parvenu jusqu'à nous8.
Il faut se représenter cotte période et colle (lui J'avait
immédiatement précédée comme un temps d'abondante
production poétique, où les récits épiques naissaient
presque en tous lieux et s'entrolagaient à l'infini. JI
1. Welckerle nie{Cyclus.1,p. 35).sansen donneraucuneraison.
La légendearcadionnede Lycaonse prêtaitaussi bienqu'uneautre
au développementépique.2. Lesancienscitentuncertainnombredepoèmesépiques.telsque
la TMstide(Arist.. Poil.,8), la Phoronide(Scot.Apollon.,1;Strabon,
X.p. «i etc.); voirKinkel.Bp.gr., p. 20tet suiv. Aristote,l'oél.9,
mentionnede nombreuxauteursi'fUratliidt»et de ThiUidcs.Onne
saurait affirmerqu'il»appartiennentà la périodeépiqueprimiti»,bien quecelasoit probablepourplusieursd'entreeux. Sur Méli-
saadro»daMilet»auteurd'uncombatdes Lapitheset dosCentauw,
voir ÉlUn,Hitt. var.,XI, 8.
POÈMESDIVERS 433
Ilitl. da |« Mit. «ircr.juo, – T. I. 28
n'y avait alors ni drame, ni histoire, ni philosophie;mais l'épopée pour tes Grecs do co temps était un dramo,une histoire, une philosophie. Elle répondait à tous lesbesoins moraux et intellectuels à la fois, et voilà pour.quoi elle so prodiguait pour les satisfaire. De tous ces
pnèmos, fort inégaux sans doute en valeur, quelques-unsseulement ont survécu, du moins à titre de souvenirs;les autres ont disparu pou à pou; mais ceux-là mômeont souvent laissé lour traco, plutôt soupçonnée aujour-d'hui que distinctement aporçuo, dans la poésie lyriqueotdans la tragédie.
V
Entre los compositions puétiques qui ne furent pasrattachées au cycle, il n'en est guère qu'uno seule à
laquelle l'histoire littéraire doive une mention: c'estYlldraclde du nhodien Pisandro.
Tous nos renseignements sur ce poète proviennent(l'une notice de Suidas, pleine d'erreurs manifestesEu la débrouillant autant que cela est possiblo, on ondéduit avec vraisemblance que Pisandre, fils de Pison,était né à Gamiros, dans l'ilo de Rhodes, et qu'il vivaitvers la 33* Olympiade (648-G43 av. J.-C.) ». C'était doncun contemporain du Lesbion Lcschès, à quelques an-nées près. Hdut composer son Héraclée après la 37°Oly m-piado («32-629. av. J.-C.)s. Le choix du sujet s'expliqueon grande partie par le lieu do naissance du poèmeTlopulème, colonisateur de Rhodes, étant fils d'Hé-
raclès, celui-ci pouvait être considéré par les Rhodiens
J. Sufdus,v. llsiaavîpo;.2. Noticesur PUnndredans l'iltaiodode Didot,en tfiiedes frog-
imntadeFilandre.».Otfr.MttUer,Variais,t. II, p. «7.
484 CHAPITRE IX, LA POÉSIE CYCLIQUB
comme un héros national et un ancêtre Ses travaux
étaient racontés par le poète. Une inscription attribuée
à Théocrite et placée plus tard sur le piédestal d'une
statue de Pisandre en fait foi
« L'homme que vous voyez ici, Pisandre de Garniroa, a
été le premier parmi les disciples de la Muse qui ait retraoô
toute la vie du fils de Zeus, vainqueur du lion, combattant
aux bras robustes toutes les éprouves du héros, le poète les
a racontées. Voilà pourquoi oe peuple, il faut qu'on le sa.
ohe, a voulu l'honorer, lui aussi, en dressant cette statue
d'airain après bien de»moi» et bien des années •. »
Cette préoccupation d'être complet ot d'embrasser
dans un seul récit tout un cycle d'événements est pour
nous le trait caractéristique de l'couvre perdue do Pi.
sandre. Elle révèle bien en lui un contemporain des
poètes dont nous venons do parlor, tous plus ou moins
dominés par l'esprit historique. Un épisode do la vie
d'Héraclès, la prise d'UËchalio, avait sufli autrefois à
Gréophylo do Samos; mais Pisandre no choisissait plus,
il visait surtout à ne rien laisser perdre. Nous no savons
rien d'assez précis sur X'Héraelée pour la juger littérai-
romont. Toutefois il semble quo Pisandro, voulant ra-
jeunir un sujet déjà ancien, avait eu recours à dos in-
ventions plus ou moins merveilleuses. Ce fut lui qui,
le premier, donna un grand nombre de têtes à l'hydro de
Lorne, afin do la rendre plus terrible 8. Dans une inten-
tion analogue sans doute, au lieu do représenter son
héros armé de toutes pièces, conformément à la tra.
dition, il le montra triomphant do ses plus redoutables
».D'autrespostesthodienaavaientdéjàwnd«honneur4 HéroeUa.
Clémentd'Alesundrle«fllrmeque Piwudre avait fait de nombreux
emprunt*4 un certain PlilnosdoLindo»qui nous<«tentlôromen»
Inconnu(Stromat..VI, p. 7St).3. ïhéocrite.Cpigr..XX.a. l'aman., II, 17,t.
PISANDRE 438
ennemis avec une simple massue t; conception dont le
succès durablo atteste l'autorité du poète.Outre VHéraclée, on attribuait à Pisandre, au dire de
Suidas, d'autres œuvres qui n'étaient pas de lui. La
plus célèbre semble avoir été une sorte de cycle mytho-
logique en vers, intitulé los Théogamies hé'oiques K
C'était une série de récits comprenant toutes les prin-
cipales légendes do la Grèce on ne doit pas être surpris
iju'un tel ouvrago soit souvent cité par les scoliastes.
Virgile, d'après Macrobe, l'aurait suivi de près dans le
H*"livre de VEnéide* cela semble indiquer quel'ouvrageétait consulté tout au moins comme un recueil do faits,
et qu'à ce titre il dispensait do recourir à d'autres récits
plus anciens, dont il offrait une sorte do résumé4. Si une
composition de ce genre a pu être attribuée à Pisandre
sans trop d'invraisemblance, c'est sans doute que ses
(«uvres authentiques présentaient déjà quelque chose
do ce caractère, qu'on serait tenté d'appeler encyclopé-
diquePisandre est le dernier dos poètes épiques primitifs
qui ait continué avec éclat la tradition homérique. Si
nous connaissions mieux ses devanciers et ses contem-
porains, il serait aisé sans doute do dégager avec pré-cision les causes qui ont amené pou à peu l'oubli decelte
tradition et qui ont fait disparaître pour un temps la
poésie épique. Toiles que nous los entrevoyons, elles
peuvent se résumer en quelques mots. Les vieilles in-
ventions étaient épuisées; on répétait co qui avait été
déjà dit, ou l'on sortait du naturel pour redevenir origi-
t. Suldaa,v. Th(oav«po«.Cf. Strabon,XV,p. 688.Dans l'Ilèfliodede Didot,FragmentaPiiandri.
3. Maorolio,Saturn.,V,2.(Vflgtpour cela bus doutequol'Ioandroa ûté<|uetyuofoi»rap-
!•!««!é'Hefflèreet«l'HtekHÎ*«m»»"»••<•#pn«ii«n»MmalaaUaacitons»
|nliiiUiv«H,<Jen«nrhiw«,0 Cum«lut nntlqulRilmipoalRrnm,Hoiua-riiH,IlaiiottiiH,l'iiondor.
436 CHAPITRE IX. –LÀ POÉSIE CYCLIQUE
nal. Mais ce n'était pas là le seul mal. Le plus grave,c'est que la poésie épique n'était plus assez libre. Elle
s'assujettissait de plus en plus à l'histoire, qui lui im.
posait ses longueset lourdes successions d'événements.La vieille liberté homérique avait passé aux poètes ly-riques qui, eux, choisissaient à leur gré les plus bolleslégendes, les traitaient on récits ou par simples allu-sions, selon qu'il leur plaisait, et les associaient à une
philosophie personnelle qui les rajeunissait. Dans leursœuvres, éclataient la vioet l'invention toujoursnouvelle;les poètes épiques n'étaient plus quo des narrateurs fa-
tigués et monotones.
CHAPITRE X
ANTÉCÉDENTS DE LA POÉSIE HKSIODIQUE
HÉSIODE
80HMAIRB
I, La poésiehésiodiqueestessentiellementdidactique;elleappartientà la Grècecontinentale. II. Élémentsde la poésiedidactiqueavant Hésiode i*Élémentgénéalogique;8*Mythesmoraux.III. Apologues.Sontonoes.Préceptesteehnlques.– IV. Hésiode.Légendeset histoire. V.En queltempsa vécuHésiode?î
I
Nous venons de suivre dans tout son développementl'histoire de la poésie homérique. Une autre forme de
poésie épique appello à présent notre attention c'estcelle dont Hésiode est le représentant le plus illustre.
Une chose la distinguo essentiellement de la poésie
homérique elle est didactique. Ni l'Iliade ni YOdysséeni aucun des poèmes dont nous avons parlé jusqu'icin'étaient des œuvres d'enseignement. Non pas qu'il n'yeut dans los chants dos aèdes bien dos leçons do toute
Borto; on promior Hou, ils faisaient connaître le passéCar pour etix, âùumto jimir leurs «tutittaura, lu fond detour rénit avait une vnlttur Ittuturiquo; do plus, la mise
438 CHAPITRE X. LA POÉSIE HÉSIODIQUE
en sclno dos passions humaines, telle qu'ils la conce-
vaient, ne pouvait manquor d'être instructive. Ils onsei-
gnaientdonc on un certain sens, parce quo toute grandeœuvre do l'esprit enseigne, à l'insu même et sans l'in-
tention de son auteur; mais en somme, co n'était paslà ce qu'ils se proposaient. Leur objet était do glorifierles grandes actions, c'est-à-dire de faire ressortir dans
de beaux récits ce qu'avaient fait et souffert los glorieuxancêtres. Ils visaient avant tout à l'effet narratif, ils re-
cherchaient les scènes dramatiques Je jeu dos passions,les descriptions Gniouvantes, en un mot tout co qui pou.vait toucher et charmer leurs auditours. Préoccupés do
plaire plus quo de touto autre chose, ils traçaient avec
liberté un tableau idéal, dont le sujet était bien empruntéà la tradition, mais que leur imagination embellissait
sans scrupule.Bien différente est la poésie dont nous avons mainte-
nant à parler. Certes, colle-ci n'est pas non plus dénuée
du désir do plaire, sans lequel co no serait pas, à pro-
prement parlor, uno poésie; mais une autre intention la
domino elle veut instruire. Soit qu'ollo donne des pré-
eeptos moraux, soit qu'elle enseigne à bien conduire les
travaux des champs, soit qu'elle traite do navigation,
d'astronomie, de divination, soit qu'elle déroule en lon-
gues é numérations los généalogies dos dieux et colles
des héros, elle a toujours pour objet principal do graverdans la mémoire de ses auditeurs des choses qu'il est
bon pour eux de savoir. Si elle cherche à les charmer,
c'est que le plaisir est le meilleur appât de l'attention
et le meilleur auxiliaire de la mémoire. Elle veut se
faire écouter, afin qu'on retienne ce qu'olle proclame.Tout chez elle est subordonné à une vue générale d'u-
tilité, qui lui donne son caractère propre.Cotte poésie n'appartient pas à une école '.Sos repré.
t. La notion inexacted'une écolehésiodiquea été détruitepar
CURACTÈRESQÈNÈHAUX 439
sentants sont en général étrangers les uns aux autres, et
plusieurs d'entre eux semblent avoir cultivé simultané-
ment les deux genres que nous opposons l'un à l'autre.
Mais, chose remarquable, presque tous sont originairesdela Grèce continentale ils sont béotiens, locriens, corin-
thiens, lacédémoniens. Au contraire, comme on l'a vu, la
poésie homérique, par ses origines et par son principaldéveloppement, appartient à la Grèce d'Asie,. elle vient
do Kyiné, de Chios, de Colophon, de Milet. Oppositionfrappante d'un côté une poésio brillante, capricieuse,
pleine de liberté et d'essor, œuvre des Grecs d'Asie; de
l'autre une poésie sensée, recueillie, moins libre d'ima-
gination, mais plus mordante et plus spirituelle, œuvre
dos Grecsdu continent. Quelquo chose en somme comme
le contrasto de deux tendances innées et profondes, vrai-
ment helléniques toutes deux, qui semblent tout d'a-
bord bien plus séparées qu'elles no le sont réellement,mais qui, en se développant, s'appelleront mutuellement
pour se confondre dans les œuvres de l'âge suivant.Il est admis aujourd'hui d'une manière à peu près
unanime que l'essor do la poésie didactique de la Grècecontinentale est postérieur en date à celui de la poésiehomérique. Nous toucherons plus loin à cctlo questionde chronologie. Mais, dès à présent, il est bon de faire
remarquer, pour l'intelligence do la poésie hésiodique,que cela résulte en quelque sorte de la comparaisonmôme de leurs caractères respectifs. Il y a plus d'ima-
gination dans l'uno et plus de réflexion dans l'autre.
Or, dans une littérature telle que la littérature grecque,où l'on voit les divers genres naitro chacun à leur tour
d'une manière spontanée, sans que rien vienne troubler
gravement l'ordre naturel do leur succession, c'est pros-
0. Marckscheffeldans unlivre quej'aurai souventl'occasionde ci-ter Benvài,Eumdi,Ciiwethônto,etc., fragmtnta,Le!p?te,<M0.
440 CHAPITRE X. – LA POÉSIE HÉSIODJQUE
que une nécessité morale d'admettre que l'œuvre d'ima-
gination a précédé l'œuvre do réflexion.
II
Quels sont les antécédents dola poésie didactique en
Grèce ? A défaut do témoignages, il n'y a que la poésie
hésiodique elle-même qui puisse nous renseigner à ce
sujet. Tout occupée du présent, elle laisse apercevoirun passé, qu'on pourrait appeler l'enfance do la réflexion
pratique. Chacun dos éléments essentiels dont elle se com-
pose est le produit d'un long travail intellectuel, dû à
des générations plus ou moins nombreuses. Essayons,en distinguant ces éléments, de nous représenter ce
qu'ils pouvaient être avant Hésiode.Los généalogies sont le fond de la Théogonie comme
des Catalogues et do tous les autres poèmes do ce genre.
Évidemment, il n'est pas possible do supposer qu'un
poète, on dehors do tout usage traditionnel, so soit avisé
un jour de mettre en vers ces longues filiations et qu'ilait ainsi constitué un genre nouvoau. Le succès de celte
forme do poésie on Grècene s'explique que par un besoin
social fort ancien, et ce besoin a dû susciter, avant les
grandes œuvres que nous connaissons, bien des essais
qui ont disparu. C'est aux hymnes religieux qu'il est na-
turel de rattacher les origines de la poésie généalogique,comme nous y avons rattaché celles du chant épique pro-
prement dit. Sans doute nous ne possédons pas d'hym-nes antérieurs à Hésiode, et nous ne pouvons par con-
séquent nous appuyer sur des prouves positives. Mais la
Théogonie elle-même n'est-ello pas en quelque sorte une
série d'hymnes généalogiques • L'auteur de ce poème
i. Ménandrale rhéteur, deEucomUê.{\V&\z.Hhelor.graeci,t. IX,
GÉNÉALOGIES ET MYTHES 441
emploie à plusieurs reprises l'expression consacrée 0(tv»ïvpour désigner son récit; n'est-co pas donner à entendre
qu'il se considère bien comme l'héritier des poètesd'hymnos qui l'avaient précédé? Et comment d'ailleurs
pourrait-il en être autrement? L'élément généalogiquen'était-il pas on effet comme le fond nécessaire des hym-nos primitifs? Dans une religion polythéiste qui n'avait
pas de livres sacrés, il fallait bien que chaque culte lo-cal se définit lui-même par les chants dont il se servait;il ne pouvait mieux le faire qu'en racontant l'origine ditdieu qu'il honorait. D'ailleurs aux dieux se rattachaientles héros et à cou x-ci les rois d'alors. Les généalogiesétaient comme les archives vivantes des grandes famil-les, et les hymnoscommo le dépôt sacré de ces archives >.
C'est sans doute aussi à cette même poésie religieuseque sont dus les mythes hésiodiques qui su rapportent àla destinée humaine, tels que ceux de ProméthéootdePandore et dos ûgos du monde. Déjà, dans les poùnioshomériques, nous en trouvons quelques-uns do ce genrele mythe des Prières, au IXe livre de VIliade (v. 502 et
suiv.), celui dos deux tonneaux où Zeus puise les bienset los maux, au XXIV«(v.827), celui d'Até, au XIX"(v. 9i).Mais,chez Homère, cos récits d'un caractère si particu-lier, paraissent trop étrangers à la poésie dans laquelluils sont mêlés pour qu'on puisso admettre qu'ils y ont
p. 149) Sratviu;fluvovcipeîvtXr\avtiûv3ewv,èv<pxof ivs«)oyixôv|iô-vovfipnt»! «XVtXti«faoX*|i6divoit4( Gcoyovla;tipvou;elvsiOtûv.
I. Il est curieux de retrouverdans l'Iude modernel'usagede lapoésiegénéalogique.Ony rencontraitencore,il n'ya pas fort long-temps,ndesgénéalogisteschantants,qui retenaientparcœurla suitedesfiliations,etvenaientaux mariagesetauxfêtes,rappelerleshautsfaitset les traditionsde la famille» (Rob.deBonnières,Unejournéeà Lahore,Bévuepolitique,10avril1886).Quelquechnsed'analogueexistaitchezlesanciensBretons;voirAug.Thierry,Conquêtedet An-gleterrepar la Normand*,t. 1,tv.%f« iV»nti<i»««gAné»l«gi?<>.con-servéessoigneusementpar les poètes,servirentà désignerceuxquipouvaientprétendreà la dignitédechefsdecantonoude famille.<>
449 CHAPITRE X. – LA POÉSIE HÉSIODIQUE
pris naissance. Dans une narration toute dramatique,voici des traces d'une philosophie déjà spéculative la
réflexion des aèdes homériques était-elle assez tournée
vers ces conceptions générales pour qu'ils aient pucréer
eux-mêmes de tels mythes? Remarquons qu'en les ra-
contant, ils semblent rapporter toujours de vieilles et
saintes choses venues à eux par tradition. Ces mythes
préexistaient; ils les ont trouvés tout faits, et ils s'en
sont servis. Où les ont-ils trouvés ? Non pas assurément
dans la* traditionpopulaire, car ils portent tousla marqued'un esprit philosophique qui sait dégager déjà la pensée
abstraite et la revêtir de formes vivantes. Ce sont des
poètes qui ont dû les créer; et quels poètes, sinon ceux
qui, célébrant les dieux ot leur puissance, étaient plus
particulièrement appelés à réfléchir sur les rapports de
l'homme avec la divinité et par conséquent sur la des-
tinée humaine en général? Les mythes moraux ont eu
leur place naturelle dans les hymnes religieux, dès quela pensée hellénique se fut élevée à un certain degréde réflexion; leur multiplication et leur popularité fu-
rent certainement un des faits marquants de la périodeimmédiatement antérieure aux poèmes hésiodiques.
Au reste, ce qui le prouve d'une manière frappante,c'est qu'Hésiode, quand il s'en sert, les suppose connus
de ses auditeursdans ce qu'ils ont d'essentiel. Lorsquel'autour des Travaux introduit dans son poème le per-
sonnage do Prométhée, il ne se croit pas tenu de le pré-senter à ses auditeurs comme s'il leur était étranger;laissant de côté beaucoup do choses que tout le monde
sait, il n'insiste que sur ce qui convient à son dessein;
l'obscurité de quelques parties de son récit provient pré-cisément do ce qu'il procède par allusions là où nous
aurions besoin d'un exposé complot. Cet ensemble, qui
nous manque, existait alors sous une forme arrêtée et
jusqu'à un certain point populaire. Ce n'était pas mm-
PBÉCEPTES ET SENTENCES 448
riment dans un chant épique proprement dit c'étaitdonc dans des chants narratifs d'un caractère religieux,c'est-à-dire dans des hymnes,
III
Outreles généalogies et les mythes moraux, que trou-
vons-nous encore dans la poésie hésiodique? Des apolo-
gues, des sentences, dos préceptes techniques. Chacun de
ces éléments mérite d'être étudié dans ses antécédents;mais d'une manière générale, ils se ramènent à une dou.
ble origine, à la fois populaire et religieuse.Sil'on considère, dansle poème des Travaux et desJours,
cette sorte de calendrier qui s'appelle proprement les
Jours, on ne peut s'empêcher d'être frappé de son carac-
tère dogmatique et religieux. Ce n'est pas au nom de
l'expérience que le poète enseigne, c'est en vertu d'une
science traditionnelle, qui s'autorise d'une révélation desdieux t. A qui cette science appartenait-elle? A ceux sansdoute qui faisaient profession de deviner l'avenir. Un
autre poème hésiodique était intitulé VOrnithomantie;nous trouvons dans ce titre la confirmation d'une hy-
pothèse qui s'impose à nous. Il n'est guère possible queles devins n'aient pas résumé de très bonne houro les
préceptes doleur artdans des recueils versifiés qui étaient
pour eux comme des codes sacrés. Do même que le vers
épique a été employé dès la plus haute antiquité pourles oracles, afin de leur donner plus d'autorité et de lesrendre plus aisés à retenir, il ne pouvait manquer del'être aussi pour fixer ces préceptes arides et immuablos
qui ressemblaient tant à des oracles. Cen'est pas tel poèteen particulier qui a pu être l'inventeur de cetto poésie
t. Trtw,,v. 760 Afttfàji r,|Wp«teM Aifc(irapà|tr,t<4«vroc<
4« CHiïITRS X. – tA PUÊSIK HÈSiODlQUE
ohrosmologujuo c'est la foreo dos choses qui Tu ronduo
nécessaire ot qui l'a créée, dès qu'il y out une versiHcation
assez souple pour cet usage. Colaétant, on ne peut douter
que la poésie héaiodiquo no procède, on ce qu'elle a de
prophétique, de cotte poésie toute spéciale. Par là encore
elle ost roligieuso dans sos originos et jusqu'à un certain
point saeordotale,hion quol'auteur dos Travaux lui- mémo
n'ait été rien moins qu'un prêtre.Dans la même ordre d'idées, il faut tenir compto
aussi de l'influence que los oracles proprement dits ont
exercée sur elle. Nous avons vu que los nncions attri-
buaient quelquefois à la première Pythie, Phémonoô.l'in-
vontion du vers hexamètre Sans prêter à cotte légomle
plus do valeur qu'oUo n'on a, on peut au moins en con-
clure quo los oracles vorsifiés do Delphes remontaient à
une très haute antiquité Ces oracles étaient souvent
rendus pour trancher des questions morales, et lours
réponses ressemblaient alors à s'y môprondroa telle ou
toile courto série do vers moraux que l'on pourrait re-
cueillir dans Hésiode. Hérodote on rapporte un curioux
exemple, qui remontait au commencement du vi°siôclos.
Un certain Glaucos do Sparto consultait l'oracle pour
savoir s'il ferait bien do s'approprier un dépôt au
moyen d'un faux serment. Il lui fut répondu
« Glaucos, fils d'ÉpikydidêB. oui, il y aura profit pour toi
quelque temps à déjouer la réclamation par un serment et Il
faire de ces biens ta proie. Jure, car l'homme qui respecte
son serment n'est pas exempt de la mort. Mais le serment a
un fils sansnom, qui n'a ni bras ni pieds; et pourtant il vole
à la poursuite du coupable, jusqu'à ce qu'il ait détruit dans
1. Strabon,IX. 3,5,parlede poètesattachésau templepour mettre
en vers lesoracles.Cf.Plut, dePytit.oraeul.,2S.Nousn'avonsau-
enn détail malheureusementsur l'histoirede cettecurieuseprofes-sion.
ILHtavl., VT,m-
PBfeQKprfisg^agxygsegs 44s
son étreinte m raoe tout entière et toute sa maison. Au con-
traire )a ileaeendanoade celui qui respecte son sonnent est
houreiiBod'année en année. »
La dernier vora »oretrouve mot pour mot dans le» 7'm-
mux d'Hésiode De quoique façon quo l'un vouillo ex-
uliquor cutto l'oncontru, elle montre clairomunt quelles
ivlutionsétroitos existaient entroeetto poésie morale des
oracles et eollo que nous lisons dam Itùsiode les
su|it vers (|iu>noua venons du citor miraient pu être
transportés littâralouienl dans lo poènio des Travaux
mi dans tout autro po^mo mural de eu genre, sans y
|iuraiJro dâ|iluGÔs. Ktsi. au liou do quelques v ers isolés,
unis possédions un recueil complot dos sontencos qui
furent rendues pondant plusiours siècles par tu collège
sncordotal d« Delphes, la ressemblance, qu'il faut cher-
cher aujourd'hui, apparaîtrait avec évidence. A cetto
|iiH>siodes oracles la poésie d'Hésiode a certainemont
erniirunto ce tour sentencieux et ce ton d'autorité (lui la
caractérisent si neltoinonl1.
A côté do ces origines religieusos, les origines popu-litiros. Los sièclos suivants nous feront voir le chant do
IV-lôgioet do l'iambo associé fréquemment aux repas et
louant ainsi sa place dans la vie de société. Un tel usage
ne naît pas du jour au lendomain et certes ce goût de
moraliser sous une forme vivo et spirituelle n'a pas dû
attendre, pour se produire on Grèce, que la formo élégia-
que ou iambique fût créée*. Deux choses révèlent par-ticulièrement chez Hésiode l'innuence do la vie sociale
1.La v. 285 'Avtpi;8' tùipxoupar!a
imiiKaOïv&|M!v<i>voracles2.La traditiond'empruntsfaits par la poésieépiqueaux oracles
existaitdans l'antiquité.Homère,selonune opinionrapportéeparDiodore(IV,66.1),aurait dt beaucoupaux oraclesde Daphné,filledeTiréJias,confondueavecla Sibylle.Peut-étresouscettelégendeyavait-ilun soupçonde la vérité.
3. Hymne & Hermès, 55 8toc a' ûjc!>xaXbv Seittv il avroex*
7.!t~flÍlUv~ l¡~TI tteOpet – f¡C1\T«\0..11, -9'1/1:&1", nt~{'<w?<
44« CfUMTRK X. J.A P0È8IB HÉSIODIQUK
contemporaine les proverbes, quiabondent chot lui, et
l'apologue, dont il fait usage incidotnmont. Il y a quoi.
ques proverbes déjà ehe*Homère, maison petit nombre
relativement; il y on a beaucoup ohei ïléaMnle.Ouol-
quos-una ont pu être créés par le poète lui-môme, mais
n'eatil pasproblablo que loplus sauvent il s'est contenir
de formuler d'une manibro plus durable des vérités qui
avaient cours de son temps? La finesse spirituelle Ao
l'esprit grec se prêtait particulièrement à ce genre ilo
création. Quant à l'apologue, quolloqu'en soit l'origine,rien no convenait mieux à un peuploinventif et contour
quu cette forme iiigéuiouso qui pluîl un mémo temps à
la raison et à l'imagination. Satiro et drame à la fois, «à
l'osprit et la fantaisie trouvaient également leur compto;on démontrait une vérité morale, et on Imaginait uno
historiette; l'allusionvivomentsaiaio doublait l'agrémentdu récit. LosGrecsnUondirontils jusqu'à la Jinduvi»si<V
clo, temps où une tradition plus que suspecte fait vivre
lofabuleux Ésopo,pour user familièrement del'apologue?Uion do moins probable. L'apologuoost une dos fonuos
naturelles du l'improvisation maliciouso Arcliiloquo
l'employait ainsi; bien d'autres ont dû lo faire avant lui.
Hésiodelui- mémotrès certainement n'a pasété i nvonteur
à cet égard. Lorsqu'il racontait la fable do l'éporvior et
du rossignol, soyonspersuadés qu'il ne faisaitque suivre
une modo déjà établie. Un.pau plus tard, la goût des
énigmesse répandra en Grèce nousn'en trouvons guèrede traces bien nettes dans la poésiehésiodique; mais l'a-
pologue est précisément une sorte d'énigme on action.
Hésiodeest vraiment ingrat quandil signalecommedes
lieux dangereux ces leschésoù l'on se réunissait four con-verser. 11leur a dû beaucoup. En hiver, c'est lui qui nous
l'apprend, la tentationiétait grande pourle villageoisbéo-
tien, quand il passait près de la forge où quelques amis
causaient autour du feu, ou près de la lesché abritée du
APOL0QUB3ET PROYKRBES 44»
vont et bien exposée au soleil. On t'entretenait dune là
une bonne partie du jour; et do quoi»sinon des misère»
présentes, des mécomptesde la veille et des espérancesdu lendemain t C'est la aussi «ans doute que l'expérience
agricole trouvait ses docteurs. On y formulait en pré.
coptes rustiques co que la pratique quotidienne avait
unsoigné, Cii aortes do proverbes spéciaux, rolutifa aux
ehungements du tompa, à la culture, h toutes los choses
dola vie des champs, sont do tous les pays, Comment
miraient-ils manqué en Héutiuplutôt qu'ailleurs ? Un
[titèlo,expert lui-mômu en cetlo matière, «'avait qu'alu*recueillir, &tex<uMtrdnnn(*r,ay mettr».son empreinte
pursonnollo, puur on constituer un gonro nouveau do
poésie, plein de saveur.
N'insistons paa nous voulions faire sentir combien
In poésie d'IIésîodoost loin dVitroruollomoul ««qu'elleiiiiiibparait aujourd'hui, quoique chose d'isolé, sana ra-
cinesdans lo passé.C'estollo-mAmoqui nous n rendu US.
moignago. Lorsqu'on l'étudié attentivement, on .s'aper-çoit qu'elle tient à tout ce qui existuit ulorn et qu'ullon'nn est qu'une heureuse adaptation. telle procède des
hymnesreligieux, des ponsiescliresniologiquos,desora.
clos,des improvisation de société, des entretiens popu-laires. Maiscequ'elle ad'admirable, c'est qu'elle a sufon-dre ceséléments divers, do manière à en constituer des
œuvres qui ont leur unité propre et leur physionomiedistincte.Cette adaptationou cette combinaisoncréatricefut conçue et exécutée par un homme, dont le caractère
porsonnelest resté fortemont empreint sur son œuvre.
IV
Les récits relatifs à la vie d'Hésiode, que l'antiquiténous a légués, ne contiennent guère, oatt^ des légendes
M9 CHàPITRI X, – LA POfeWBHfcglODIQU»–––
sansautorité, que des faitsempruntée aux poèmeshésio-
diques oux-inôinos.C'est dune a cette suuroo que nousdevons romuntor, nous aussi, pour trouver l'IuHnmudans le poète*.
L'autour dos Travaux (v. U3B) design»» la potîlo bt»ur-
gado hootiomio d'Ascru, au pied do lilôlican, couuiio lu
lieu ou son père vint s'établir. Il lui dit pou qu'il y Huit
ne hti-mânio; main la tradition & peu près utinnimu
suppléa sur eu point & hou silence l'our qu'aucun»
ville do Bootic, pns inôinu Orchotiiènc, n'ait disputé toi
houuoiir à l'obscuro bourgade do l'Ilùlicon, dolruil.<s fort
auoionnuinont par les g«>na do Tlii'Kpios, il faut bien qui>sus titres aient pnru iucoiitoslultlos D'après to uiôiiiu
passugo dos Travaux (v. (J32 et auiv.), lu pèro du poèto,
pritnilivoment habitant de Kymô, dans l'Éolide d'Asio,
aurait oto réduit pnr la pativratô h quitter sa ville nu
lalo, ut aurait vomi >>ôtnulir on Dt'uitio. Ilésiodo, béolinii
do iiairisunco, sorait ainsi origimiiro du lieu qui fut l*>
borceau do la |toésio limnôriquo. Il n'y n ituciino raison
posilivo ù ullôguor pour uiottro ou doitto l'uuthonticitti
do co passngo d«s Travaux la souh» chose qui le rondo
I. N'ouh «voua trois iluciimants blograpliii|iio^ principaux sur lié-
siod« (• le récit nnanymu que nous «vous (!<'•]&cil6 souvent mur le
Concourt d'Homère tt (Méïiode; S* une Vied'U(tioâ«, «Urlbuéa par er-
r«Ui à l'roclu», mris qui titnbte «Iro l'ceuvra do Tz«ttès (F. Ranke,de Ht/imli Operibu* cl Ditbus commtnlalio. p. 4) 3*la courte notice du
toxique de Suida», au mot 'IMoSo;. Ces notices se trouvent dans te
recueil des Vitarum icripiorti de Wastermnnn et dans les principales«dilions d'Hésiode. Voyez sur la vie d'Hésiode les Prolégomènes de
GoHling dans ses Ifeiiodi carmiiia.3. Puusan., IX, 38, 4, Inscription du tombeau d'IliSsiode à Orcho-
m*ne. Anlhol. pal.. Vit, 53. Nlcandro, Theriaca. II. MoBchoa,III, 8».
Virgile. Égtoguet, VII, 70; Géorgiquei, II, HO, etc.3. Snidas soûl rapporte qu'Hésiode était de Ky mi et qu'il fut amené
tout enfant A Ascra par son père. Si cette tradition avait eu quelqueautorité, elle aurait trouva d'autreB appuis. On a vainement tenté
d'interpréter le nom du poète comme une désignation générale équi-valente à poète ou chanteur ('HaloSo; de Uvai-.Lîr.v). L'élymologienous parait sis retu*» à cette iatarprâUUon.
u_ HfeSIODg **»
Hist. de It UU. Ortcqoe. – T. I. 29
suspect au fond, c'est quo si «es fait* «oui réels, ta réa-
lité a ici io tort do trop ressembler à une combinaison
ingénieuse. Ce n'est peut-ôtro pas après lotit une nùso»
«uftisanto pour refuser d'y croire »,
Une soute circonstance do la vie d'Hésiode nous eat
connue, go» débats avec son frèro Persôs au sujet de
l'héritage paternel. La situation respective de» deux
frères furiuu lu dounéo foiidaniuiitale du poèm» des
Travaux. Est-co uno liction ou un fait réel f Lorsque les
ituùtos de co temps avaiont besoin d'uno donnée active,
c'était à la mythologie qu'ils l'empruntaient. L'uutour
«lesPréceptes de Chiron, (lui fut puut-otre Hesiotlo lui.
inùniu, nteltail ses conseils dans lu koueliu «lucuittuiiro
Gltirou a'adrossant au juuue Achille, son élève; il leur
tlotinuit ainsi plus d'autorité. Mais, dans tes Trammx,
|i!S deux frères n'ont rien de mythologique ce font
doux personnugos bien réels, d'humble origine «t de
iiiotlesto condition. D'ailleurs, s'il s'agissait d'une liction
«lustinôo ù servir de simple prétexte à une série de con-
seils et d'enseigiieinoiits, cotte fiction no sorail-ollo pas
nécessairement exposée uu début sous forme d'intro-
duction narrative 1 Elle ne se révèle que par allusions
successives et quelquefois obscures indice certaiu d'un
fait réel qu'on n'arrange pas po'ir les besoins de la
composition. Voici co fait la succession du père a été
partagée entre ses deux fils. Perses, envieux et disst-
pulour, ne s'est pas trouvé satisfait do ce qui lui était
attribué. Pour augmenter sa part, il a plaidé contre son
frère, et des juges gagnés par ses présents l'ont en
effet favorisé aux dépens d'Hésiode. Gobien mal acquis
t. Quaotau nomde Dlos,attribué au pire d'Hésiode,il està peu
pré»évidentqu'il doit Ma origine&unsimplemalentendu.A(*v-y*-vo«{Travaux,299)eat une expreisiouquidoitdireentenduecommele
eio;i?op«6;de l'Odysiée.6a à èu tort de faire de ÏIo;l'adjectifd'unnompropreAlot, oudecorrigerKoven Afou.
«0 CHAPITRE LA POÉ8IK It&StODIQUC
no lui a pas profilé ennemi du travail, il a laissé dé.
périr sa propriété; et, réUuilà la misère, tantôt il vient
implorer stm frère, tantôt il songe à plaider do nouveau
contre lui.
D'aprèacola, on peut 90 roprésonter Hésiode, pon-dant unit parti» àv sa vie au inoins, comme établi Uuns
mm pays natal, auprès do l'ilélicon, ot là travaillant
<jiu(rgiijiii>nu'ntà faire vuloir son petit domaine, qm>son frère lui dispute. Voilàcertes un puèto bien diffé-
rent de s aède»ioniens. tioux-ei sont dus chanteurs tlo
profession, qui gagnent leur vio un exerçant leur ai';îiotes salarié», ils vont de maison en maison, fréquen-tant surtout les riches et les grands. La puèto béotien
ne fait pas de la poésie son gagne-pain c'est pour lui
une noble distraction, ou un moyen d'exp/imor avec au.
torité des vérités utiles; aussi ne Haltetil personneson («uvreest un enseignement, et quelquefois un» sa.
tire, jamais une glorification. Il a déjà ce franc parler,cotte liberté hautaine ot mordante, qui dénote l'homino
indépendant, les mêmes qualités au fond qu'Arcliilo-
quo poussera bientôt jusqu'à l'excès. Lorsque Lucien
raillait Hésiode, il avait tort de méconnaître ce qu'il
devait, lui moqueur ot sattriquo, à l'un des pères de la
franchise et de la libro parole.C'est par cotte franchise innée qu'il faut expliquer la
vocationpoétique del'autourdes Trcuaux.blaieuneraison
si simple ne pouvait suture aux nalfa auditeurs dupoète.Aussi le plus remarquable héritier de son génie, l'au-
tcurdelarA4tyont0,a-l-il représenté cette vocationd'une
manière tout idéalo, dans un morceau justement célè-
bre (Théogonie,v. 22 et suiv.) ce sont les Muses héli-
coniennes,dit-il, qui autrefois enseignèrent à Hésiodeses
beaux chants, tandis qu'il faisait paftre ses troupeauxau pied de l'Hélicon divin. Cette fiction gracieuse d'un
disciple ne se rapporte à ancan souvonir précis qu'on
HÉSIODE 4SI
|.uisso essayer do retrouver sous lo r<Ml lôgvnduire. Il
nVst pu* iua;no question de troupeau* duns Jcs fra-
vaux, ot, »'il faut faire dus conjectures, l'uutuur du ce
|.in'<inoétait plutôt un laboureur qu'un borgor.Un événement assez nutublo do l.t viu du poète Mo.
lii-it sorait acquis à l'histoire, ni l'un puuvuit tenir pour
uiithnnliqua unpassago intériissunt dos Travail* (v. QM
t>(suiv.) l'autour y ra|tjiorto t|u*il u navigua une fois
si'iilt'inent dans su vit», |iour aller d'Autis à Cbaleis on
Kulioo,que lit il prit part à un cuucuurd puûtiquo pi>n*iliiiit les fuuôruilios d'AnipItidamas et fut vainqueur d«
sert rivaux; victoire rôcutupcnsôo pur un trépiod, qu'ilfiiiisucra aux Muses de l'Ilôlicon. A ce passago dus Tra-
vaux quelquea-uns ajoutaient un vers d'après lequelHomère aurait olû en cette circonslanco lu rival mal-
tittiii'tiux d'II«'iâiodo>, ot cette légoudu forme lu sujetiiu'tiuodo l'écrit déjà cité sur le concours dos deux puà*los niais l'autour anonyme no 8Uconlontu pas do mon-
tiomior lo fameux trépied que vit aussi Pausanias, if
donne en outre une prétendue inscription, qui, d'aprèslui, y aurait figuré bien quo l'uusanias, si exact, n'en
ilist;rien 3. Tout cola, il faut l'avouer, ressemble fort à
une fablo arrangée pou à pou et de là lo soupçon d'in-
terpolation élevé contre ce passage des Travaux. Plu-
tarquo, dans son Commentaire, le rejetait absolument
et presque tous les critiques modernos se sont ralliés à
son opinion il est en effet non seulement inutile, mais
mal amené et mal rattaché au reste. Seulement, en
écartant la fable relative à Homère, et on reconnaissant
dans les vers en question l'œuvre d'un interpolateur,
1. "ÏVvcj»vnrijvavt'ivXaXxttitttov"O|it|pov.2. 'HvfoSocMofo««'EX!x»v!«tAv8'dvi8T,xtv,H^vifvn^aacivXaX-
xiS:Cilov"O|M|pov«3 Panssjsias,1S, St.4.Platarque,Fragmenta(Otdot),Comment.surHétiode.e. 26.
458 CHAPITRE X. – LA POÉSIE MÊS1ODI0UB
no rosto-t-il uns au moins uno tradition ancienne, dont
colui ci s'est fuit l'interprète, et qui n'u rien on ollo.
mdina d'inucuoptabloî Si ollo est vraie, ce sorait à ChnU
ois, ilu.is un concours puotiquo, quo lo génie d'Hésiode
aurait ioçu aa plus brillante consécration.
La inoit il'ilésioilo a 6té raeontôo U'uno manièvn à
demi fubulouso pur plusieurs autours ancions >. Lu
narration lu mieux faite ost colle quo l'on trouve ilmis
lo Banquet des sept sages attribué a iMuturque. U\
voici à défaut do vérité assurée, elle ta uno oerttùnu
gruco tlui tu reeotmnundo au Icctour
« Un edrtalii Màldaias, avec qut Httaioilo t>artagoait lo vi.
vre et lo couvert chez un hâte commun Rn I.ooride, ayant eu
des relations aeorôtos avec la Olletlecot hôte, fut découvert.
On soupçonna Hôsiodo tl'avoir eu counalsHunce do ta citons
dès le début et «lo l'avoir cach6e; bien «{u'innoeent, il fut
victime de ta colôro et do In calomnie Les frères do In jeune
fllk l'iittondlrent ut lo tuèrent uupres da N'etneou on Loerido,
»t uveo lui son serviteur, «ini s'appelait TroVlos. Puis leurs
corps furent jetés dunt* la mor. Celui do Trotlos, poussa pur
les Ilot» jusqu'il l'embouchure du Daphnos, «"arrêta sur un
rocher battu des vagues qui a'ôlevoit un pou au-dessus de la
mer: ce rocher a gardé jusqu'à nos jours le nom de Trotlos.
Quant au corps d'Ilésiode, une troupe de dauphins le pritdès te rivage et le porta vers le Rhion jusqu'à Molyerie. Les
Locriena étaient ulors réunis pour la tête et la panégyriedes Ariadnéea, qu'ils célébrent encore aujourd'hui à cet en-
droit avec beaucoup de solennité. Dès que le corps, poussé
par les flots, fut aperçu, tous, surpris, comme 11était natu-
rel, accoururent au rivage, et ayant reconnu le mort qui n'é-
tait pas encore e défiguré.ils n'eurent rien de plus pressé quede rechercher les meurtriers, à cause de la gloire d'Hésiode.
La recherche fut prompte. Les meurtriers furent précipitésvivants dans la mer, et leur maison fut détruite. »
Les divergences des autres récits sont ici insignifiantes
1 Proclat. Tlvoc'Hai«8ou.– Anonyme,Concoured'Homèreet d'tfé-
$bde. Plat., Banguttdtt sept Sagtê, c. 19.
HÉSIODE 459
ot la précision «les désignations locales somblo dénoter
iinu tradition ronformant une part do veri lé. Quoiqu'on
doive poiwor du» circonstances accessoires, il est donc
probable qu'Hésiode passa les dornières années do sa
vie chez los Locrions Ozolus, aux environs do Naupncte,
et qu'il y mourut t. !t y fut aussi onsoveli. Plus tard,
Lis Orchoménions, sur un ordre do l'oraclo do Delphes,
vinrent y chorchor sos restes et les transporteront dans
Unir propre ville *j c'est « Orclioinono que l'nusanins,
uu second sieulo do notre bro, vit oncoro lo tombeau
d'Ilùsiodo ». Selon une autre tradition, co serait à As-
cra que les Orclioménions seraient allés chercher los
restes du poète, après quo la bourgade do lilélicon, dé-
truitu par les Thospions, fut devenue un liou désert .
l,e* doux récits no sont pas inconciliables lo corps
(l'Ilésimlo a pu ôtro ramonô d'abord do Naupacle à As-
«ra, ot plus tard transporté d'Ascra dans lo tombeau
d'tlrchoinène 5.
Uno tradition ancienne, évidommont fondée sur uno
simple méprise, donnait pourfils à Hésiode lo poète lyri-
que Slésichoro*. Nous n'avons pas ùy insister aut renient.
Il est certainement impossible do tiror d'uno biogra-
phie aussi incomplète et aussi mélangée do fables une
1.Cf. Plutarque.Deauimutiumsofertia,c. t3, où il estencoreques-
lionde Naupacteà proposde la légendedu chiend'Hêsiodofaisant
découvrirle meurtrierde sonmaître.Pausan.,IX, 31;Pollux,Ono-
mast.V,K.2. Plutarque,Banquet,c. 15.3.Pausan.,IX, 38.4.Plularque,Comment,sur Hésiode,c. 26.5. Delà aansdoutela fabled'une résurrectiond'Hésiode,qui au-
raitétéensevelideuxfoisfàNaupaeteotà Asera).Proctue,dansle Vi-
vo;,et Suidas,an mot 4H«48movYSi?«s.attribuent à Pindarei'ôpl-
grammesuivante:X«Tpe8tcnW,Mî«»l8iîT<if(»u«fctitoXifrac,– 'Hwioi.
àv8pwitot{(Utjiovïx«v<rofln;.6. Philochore,chezle scoliastedes Travaux,v. 271.En.parlantde
méprise.je reas dire que probsbl«««ntune «Hsl»»»»«l'nrdr»pura-mentlittérairea été regardéecommeune filiationpar le sang.Voy.
Rizzo,QuestioniStetieoree,blessine,189S.
451 CHAPITRE X- – LA POÉSIE HÊSIOOIQUE
idée arrêtée du caractère du l'Iiumiao. Ce que nous en
savons viont do ses couvres mômes, et par conséquentc'est en étudiant son principal poème quo nous pourronsutilement lu mettre on relief. Toutefois quelques IruiUdominants du sa physionomie sont en rapport ai èlrottavec los circonstances de sa vie qu'il est bon de les in-
diquor dès à présent en quelques mols.
Hésiodeest un homme do labour en mémo temps qu'unhomme de génie. Ce double caractère est imprimé sur
son «ouvre. Habitué pas, la dureté do la vio a beaucoupdo travail pour un médiocrerésultat, il entreprend avec
hardiesse une tacho considérable, collo do donner un
corps à la sagesse populaire et traditionnelle, do la fixer
dans un poème qui soit eoinmo la loi écritode la vio pourl'hommo attaché h la terre. Plein do son idée, il envisa.
gera on face toutes les poinos, toutes los désillusions,toutes les amertumes, toutes les monotonies dos jours
qui succèdent aux jours, dosannôesquiK'amassont et qui
jettent leur ombre sur toute chose humaine. Conceptionvirile, qui dénote chez son autour une sorte décourage
profond et sans éclat, une énergio morale durement
exercée et longuement marie. Tandis qu'ailleurs la poésiese détourno du réel pour chercher dans la liberté char.
mante do l'idéal l'oubli des ennuis et des inquitétudes,l'exaltation joyeuse des sentiments, et, pour ainsi dire,le déploiement brillant de toutes les facultés humaines,voici un poète qui, pouvant, lui aussi, donner l'essor à
son imagination et se laisser aller aux rêves agréablesou dramatiques de la fable, préfère s'attacher au sol.
Bien loin do dédaigner les petites choses, les préceptes
arides, les descriptions techniques, il les aime au con-
traire, pour elles-mêmes d'abord, parce qu'elles sont la
réalité quotidienne, et pour leur utilité ensuite, parce
qu'elles peuvent servir à mieux faire. Le réalisme de sa
poésie tient donc au fond de son caractère. Ce n'est pas
HÉSIODE 455
che* lui doctrine d'école: c'est le roflot mémo do toute
sa manière d'ôtre, do ses plus profondes habitudos do
ponsée et de sentiment. Et ainsi s'explique ce qu'il y a
do plus curieux potit-etro dans le caractèro moral de sa
poésie: Hésiodeest, commele paysan,volontiers inécon-
lont, grondeur, accusant les hommeset les choses, gros-sissant ses désappointements et diminuant ses profits,
quand il on parle; maisavec cela incapabledodécoura-
gement. Luttant avec une patienco invincible contre tes
diflicullés,jouissant dos rares instants de repos qui dô-
tondont ses mombroset son âme, il est au fond intime-
ment satisfait dotout ro qu'il obtient par son savoir-faire,
sunénorgioet sa prudence. Coqui lu caractérise éminent-
ment, c'est la façon dont ces éléments divers s'associent
onlui: los7>ae«i« sontunoœuvrovraiment individuelle,
portant la marque personnoilo do son autour, presqueautant quo pouvait la porter les poésies d'Archiloque.Nouveauté bion digne d'attention dans l'histoire de la
littérature grecque.L'hommequiaou lepremier on Grèco
la puissance nécessaire pour s'approprier la poésie,pouron faire sa chose ot la marquer do son nom, ce n'est
aucun des aèdes homériques, c'est Hésiode.
v
L'originalité mémo du caractère du poète nous rend
plus désireux de rapporter lo temps de sa vie à des dates
précises. Malheureusement l'antiquité ne nous a trans-
mis, en ce qui le concerne, aucune indication chronolu.
gique sur laquelle on puisse s'appuyer avec confiance. Les
auteurs anciens Oxent le temps d'Hésiode par comparai-son avec celui d'Homère; mais, dans cette comparaison,ils sont en complet désaccord. Pour les uns, Hésiode est
460 CHAPITRE X. – LA POÉSIE HÉSIODIQUfi
antérieur à Homère» pour d'autres, parmi lesquels est
Héroduto, les deux grands poètes semblent eontomp»».
rains'jles derniers, à la suite des critiques alexandrins,
reconnaissent qu'Hésiode a da vivro après Homère
Des affirmations qui so contredisent ainsi, et dont nous
ignorons d'ailleurs los raisone, sont à pou près sans vu-
leur. Avons-nous donc, en dehors des témoignages, des
arguments propres à nous décider? C'est là, on peut lu
diro, toute la question4.Do nos jours, on s'osl attaché principalement aux
preuves qu'on poul appeler historiques. es poèmos at-
tribués Il Hésiode, particulièrement la fin do la Tht'oijo-
nie et les Catalogues, renferment on grand nombre des
noms de peuples et dos noms des lieux ils font allusion
à des légendes qui cachent dos événements réels, et
ceux-ci no semblent pas toujours impossibles à décou-
vrir. On a essayé do tirer parti de tout cola pour obtenir
quelques dates certaines qui se rapportent générale-ment an viiie et au vu0 siècle. Que vaut colte mé-
thode? Remarquons d'abord quo los poésies mises sous
le nom d'Hésiode appartiennent manifestement à des
autours qui ont vécu en divers temps et on divers lieux.
A supposer donc qu'on put déterminer ainsi la date où
fut composé tel ou tel poème, qu'on résulterait-il rela-
tivement à la personne môin« d'Hésiode? En outre
i. Éphoro et L. Acclus dans Aulu-Gelle. III, il. Le Marbre de
Paros place Hésiode 101ans avant la première Olympiade, et Homère
130ans seulement avant la même ère.
2. Varron, dans Aulu-Gelle, III, H. Hérodote, II. 63. Cornelius
Nepos, dans Aulu-Gelle, XVII, 31. Clém. d'Alex., Stromata, L p. «»
et U6, éd. Srlburg.S. Philoeuote et Xénophane, dans Aulu-Gelte, III, il. Posidotijos.
dans Tzetzôs, Bxeg. in lliad., p. 19, 2 lierm. Opinion des gram-
mairiens alexandrins, Scol. Venet. Illad., XXIII, G83.
4. Voyez, «laim les Prolégomènes da Uœttling déjà cités; la s«e-
tion II De tempore quo llesiodm vixerit.
CHRONOLOGIE 457
puul-tm douter qu'un genre où Jos énumérations hôroï-
quosot les généalogies toiiniont un» si grande place n'ait
(lu susciter plus ijuo tout autre lu zèlu «1rs interpola-
tours? Les archives de noblesse sont sujettes, comme on
sait, à grossir on vieillissant, et nous no pouvons nous
dissimuler <|tio los poésies hésiodiques ont été souvent
de véritables archives. Comment no pas se demander
|mr suite, lorsqu'on détermine unu date, si eo n'est pas
plutôt colle de l'interpolation que celle tic l'ouvragemême?
Cette méthodo étant écartée, il faut s'en tenir à l'osa-
mon des caractères propres aux poèmes, et il semble
bien qu'on puisse obtenir do cette manière une déter-
mination chronologique, au moins approximative. Si la
comparaison ontro la mythologie d'Homère et celle d'IIô-
siodo, entre la géographio dolours poèmes entre leurs
opinions morales, ou entre les conditions sociales dont
ils présentent le tableau, no donne aucun résultat bien
certain &cause do la différence des pays, il n'en est pasdo môme dos observations relatives h la langue t. Les
poèmes hésiodiquos, malgré certaines particularités di-
gnes d'attention, sont composés dans la mémo langue queles poèmes homériques, et cette langue est dans son en-
semble une langue ionienne. Un tel fait n'a pu se pro-duire dans la Grèce contrale, en Béotie et en Locride,
quosous l'inlluonco d'une grande poésie épique ionienne
qui s'imposait alors à tous comme un modèle nécessaire.
Commentexpliquer cotte influence, sans admettre que les
poèmes homériques étaient déjà en grande partie achevéset qu'ils commençaient à être connus au loin, lorsque
t. Celaa été parfaitementmisen lumièreparBergk,danssonHis-toiredela littératuregrecque. Knoutre il est certainqu'Hésiodeaété,sinonl'initiateur,dumoinslepremiertémoindespratiquesmys-tiques,inconnuesà Homère,«seculimysticiquasianteeursor»(Lobock,Aglaoph.,1.1, p. 3j9).
458 CHAPITRE X. – LA POÉSIE HÊSIOOIQUE
les poèmeshésiodiquesfurent composés?S'ilen est ainsi,
Hésiodelui-même n'a pas pu vivre avant la fin de la
pèriotlohomérique, peu de temps par conséquent avantle commencement des Olympiades,
Est-il vraisemblable d'autre part qu'il appartienne à
une périodeplus récente? Le commencementdes Olym-
piados marque en Grèce celui do la chronologie à peuprès historique. Dospoètes, tols qu'Arctinos de Milct,Eumélos do Corinlhe, Kinuslhondo Lacédéinone, quiont vécu dans les premières Olympiades, figurent à leur
rang dans les tublaaux dresses par les chronographes
grues. Si Ilésioile, hinnplus illustre qu'eux, avait été
lour contemporain, ou s'il eût vécu après eux, il serait
étrange que tant d'incertitude eut subsisté autour du
lui. La divergence extrême des opinions, en ce qui con-
cerne losdates desa vie, sembloprouver qu'il appartientà un temps plus ancion. C'est donc en somme entre l'an
800et l'an 750 onviron que nous sommes amenés a cir-
conscrire nos conjectures.
CHAPITREXI
I,ES TltAVAUX ET LES JOUHS ET I.A POKSIE PRATIQUE
UIHMUOttAflilt.
Bien que ce chapitre ne se rapporte qu'au poème des Tira-
vaux, nous réunissons loi toute la bibliographie kôslodique
pour éviter des répétitions.
On trouvera une bibliographie hésiodique détaillée dans
l'édition Kœohly-Klnkel, et un bon abrégé dans l'édition
Gcettling-Flaoh. – Nous nous bornons a en résumer les in-
dications essentielles.
Manosouïts». Les manuscrits d'Hésiode sont nombreux,
mais beaucoup n'ont aucune valeur. Citons seulement ceux
qui sont regardés comme les meilleurs:
i" A Florence, trois manuscrits de la bibliothèque lauren.
tienne, savoir: M5 (Medleeus, XXKl, 39), du xi» siècle, conte-
nant seulement Us Travaux et les Jour», le meilleur de tous.–
i. Dans ces dernières années, on a découvert en Egypte des frag-
ments de papyrus contenant des vers d'Hésiode 1" an papyrus du
Fayoûm. contenant t7t vers des "Epr« et 39 vers de l* >A<ntf((pu-
bliô par Wessely, MiltkeUungen au* der Sammlung der Papyrus Brz-
heriog* Rainer, p. 73-83) *>un papyrus d'Achman, ancienne Panopo-
lis, aujourd'hui à la Bibi. Na». de Paris avec dVutres papyrus re-
cueillis par Maspero (publié dans Silzungaberichten d. K. prêtas. Altad.
d. Wûsensch. zu Berlin, t. 39, p. 807). Ces deux papyrus datent du iv»
ou du v» siècle après J.-C. Ils s'accordent en général avec nos meil-
leurs mss. On voit par le titre du second et la composition probable
dupremier qu'il y avait un eorpu» hésiodique, comprenant la Théogonie,
lea Travaux, le Bouclier, d'après une môme recension alexandrine.
Voir Wiene,' SludU», 1888,p. 2G1et sait., art. da A. Bzaea.
400 CIIAP. XI. LES TRAVAUX ET LES JOURS
M 3 (JMiVut XXXII, t6), du xu* sUtole, contenant fa Tkfo.
goHt>ot lt Hmclitr, Sur ce» deux mummerUs, «joiotUlor Flttoh,Lie behltn «faite» Hawhckrifttnilt$ Ihtiait, J.»lp*lfc',>877. M8
(Af*tte*M«XXXI. 33», du xiv» «Idole, Ai Tktyomi et le UutwJiVr.ï» A l'arU P t (PaW«eHïi*2708), du xi V wtôulu,lu Ttuvtux,
la Tfr'oyanh; le Hmelter. P 'Hhiritkniii 377»), du xi» «lôele, lu
Travauxet lesJour*, iivou la«uiniiiuiituiro do l'roulu».3*A Mes^ino: – tu (Metitmitia),du xii'elôole. Ut Travaux ei
lei Jours; roprolult on gronde purlio, d'aprùaFItuth, dans Vda
{Paminhis 3773),4*8 (.SoMferjfctmiaimJ),du xi v«»IMe, ttutrefah AFloreuuc,
aujourd'hui on AUoiuugiM*,oontonuitt toutoslu* a-uvres d'Hi».bIoiIo.
5»A WiiUt*; – V t (tVnefitf.Ut, IX, ead. VI), dn stvsiàeJr,aonteuiini toutes los umvro* d'Uôsiode, uvcis du*aoolie-i.
V 2 ( »'<«*/«<,J»ll)l. S. Mura, coi. 40V), oonlvuuut i'«uloinctiltoulos )ob œuvres d'ilâslodo, écrit do lu niuiii do Doiuôtriu»
Triolinlns entra los annâoH<3(6-30(nn«i»i»eH«niwsl Trietinlit-
nu$).
Suoi.ikh. Sur tes ui-olios d'IIôsiodo, consulter d'uno inu-
niàr» gânéralo les ProlÔgoinùium de IL Flach duiis sus Glo»sm
und Scholkn zur Iksfoilischm Thcoyouic,Leipzig, (876»t't tu «lia-
sertntion du tnAino uulour intltulâo De fonlibus icholiurum ad
Ilesiotii Opura et »im, Jahrbllch. f. cl. l'hilol., 1877, p. 433 etsulv.
Les grammairiens et critiques unclens, ceux d'Alexandrioet do Pergatne d'abord, puis coux do lu période roinalno, s'ù-
talent occupés des poômes d'Hàsiode presque autaittquo des
poôtnos d'Homère. Zônodote, Aristophane de Ityzance, ApoUlonios de Rhodes. Aristurque, Séleucos d'Alexandrie, Didy meCnalcentôre, Arlstonicos, Cratôs de Malles, Démétrios Ixion,
Denys do Corinthe, Iliérouyine et Ëpaphrodite, enfin IMu-
tarque, avaient annoté, commenté ou édité ses œuvres. De
tout cela, il nous reste seulement ce qui a été recueilli parles commentateurs plus récents dont les œuvres sont venues
jusqu'à nous. Ces commentateurs sont
Proclus, dont l'œuvre critique (TiropvBfwc«îj t« 'llmàfou "E«y«
xat 'Huitix;) n'a été conservée qu'en partie (Édition spéciale,dans les Operaet Dies de Vollbebr, Kiel, <84i); c'est ce qu'il
y a de meilleur dans les scolies d'Hésiode. On y trouve quet-
ques fragments du commentaire de Plutarque sur les Travaux.
DIBLI0ÛIUP1UK 461
– Jeun IMuo.MlusQulemtu (Kij t«v tsS 'II»«îuVjwu/v.iio «Aç.
yvsim), Jean Taeliàs i'Kftyoïi; «> **•<***«!iMi*j et 't :?«>,ii, Tiv ?vJ 'Utiv/ov'iit(mV), – Deux ttimuyimn, uiUuur.-t>ldr<t«
iituri|U«* *ur la Bouclieret la TJutywfr. – Jeun Ultto<iuu« IV-
tlllsillUIH^«It» imWtytmXW*il; T<»T,'II. 'Ailtiôs»),– Jt»ft»Pri»<
tu«i»ulliiirlii4 (Catiuiieiituiru »ur le auleiulrioi' qui fait jutrlio•IîihTruciiuc). Mtuinul MiiHolioitiiulus {t(«iiiuri|utiii sur la*
'JVnuiii(i),– I làiuàtrliis 'i'rlolhiiuii (Suulli'H sur lu Th>'oynnk\,– l'iiiiuule (Huiill.'s sur lo* TVavaux). Cun-ttaiitlu I.uxditrU
iSuolli'» nnr lo lUiwUtr),l,a oollfollon iltia ttuallaHit'lUi«ioiK<tt t-tt>(Mililiâo |mr Tli,
«iaittford tlmu tu toniu Il du «oh l'ottu? wfriurf*ynii-ci, OsfiMil,IHIt-IftîO, ot l.eliultf, 1813, Pour iscllfn .jul xn rn|>|u>rlnutAIn TftCojonf»,voir la oattoattan <ts H. Kiacti, olt.'d j.tus Imtit.
I'.oitiuns, – Los)trlnol|>utea ôilllloiis «t'iléislmlo saut:xv* «iàoto: [.'dilitloii i>rlit«o|tn«la hôiiK'U'huCImlooH.lylo,
siuu Indication du Hou ni JoJato, jirobalilumont Milan, ll'.i:t;i'IIu oontlout Hùulciiiuiil If* Travaux et la Juiirx, – I.'tnlitlon«IhhAl<les (<Kuvre8 ooinpUHos), I i91>.
xvi" slôuto: JMltloiis deslmito, iiiCi <stIliio (<i:uvr«H.:oiu-
l»li':to»). – Ivlltlon do lli\lo, i:H2 («KuvroHcoiniiUHo* uvuu lutnuluution lutiiiu do L. VitUit ot do Honlmia Muinhrititis). –
IMitlon «l'Honri I^tlunnw, l'urls, liiiiO.x vu" hIiMo: |>MUiondo Dtinlcl lIoinsiiiH. r.cy.l»1,1603, uvcn
iiiio ûtuilo sur lu doctrine dos Travaux. lto|»roduUo «n 1032
l>ur <i. l'iisor, avoo un index nouveau. – l'édition du Solirc-
volius, Amsterdttin, tÛ'M, iivcal'lmUs. de l'unor considérable-meut accru souvent rùôditée.
xvm1 siècle: Uniodi Aieiwi que exslant.cà. variorum, <J.o
l.niHiior, Leipzig, 1778, ample recueil où so trouvent réunisourésumés tous tes travaux antérieurs. – Theogonia,par Wolf,Huile, 1783. Opéra et Dits, par Brunck, Strasbourg, 1 76i.
xix* siècle: Hesioili carmina, de Gaisford, dans ses Poitœ
<jcxclminores (voy. plus haut). Hetiodicarmina, de Gceltling,Uotha, 1831 3*édition due à J. Flach, Leipzig, 1878; proie»gomènes et notes fort utiles. Huioii carmina et fragmenta,•le F. Ddbner (Biblioth. Didot), Parts, 1840. – Hesiodi,Cinx-thonis, etc., fragmenta, de G. Marckscheffel, Leipzig, 1810.
Theepics of IlesioJ, de Paley, Londres, 1881- Hesiodea quesuperiunt omnia, de Armtn. Kœchly et God. Kinkel, Leipzig,1870, œuvre de critique fort remarquable, a beaucoup fait
463 CHAI». XI. LEà TRAVAUX ET LES JOURS
pmir réUl»UM«i»i«nt •'« »»xto; reproduit*» dunsla petita édi-
tion U'Hàaloito pur Kwolily, qui fait partie de ta litMluth.
T«ubn«r. – ff«*i'U on» /WVNfwrom*ta. tte G. Ranch, l.»ipxifr,
tl»i, buune édition critique – Umod$ Qedichtt de Fiok, Oail-
tlugt'i», <8ii?;oi\ l uulaum'cit pro)ta*é du iliaUiiguor les dtver»
Alàmaiit» du texte actuel et «la la rumeiur A su forma prlmU
Uvu. – Il7(«\ r* «r.*vT«de K, Siltl, Allions*, ISSU<Ulbttotl^-
t|ua /.»g*mpU<>»). |.o Tktouuni»u61*5piiMlôeàpurl pur \Veh<-
ker avec d«» notes «rltlque* et explicatives et un £«a< sur /«
pottii hMwUqHt, Klb*r«r«UI, l««ïi oveo une traduction nli.
Mmnil«|>»r8«UunHnwn,Uerlln,l8«S;»vo«a«»rroIêtfom*netparII.FIaali, Uarliu, IH73,l,n ournollon ttu texte du lu TMof/tmit
uàtd préparé» •ur»o«t par HMteïi dan* «on ouvrage ItrMirn-
rfalioncrAN30N<(i«hctiodeat, l.elpilg, 1833.
Le* frugmenU hàtlodlquo* la trouvent nu«»l réuiiU dutu
Epitor. gmteor. /ro^wnilrt de Klnkel, Ulpxig, 1877.
•OMMAini!.
I. Analyse du poème de» Travaux tt Jour». II. Unité primllivo du
poème. – III. Des aenUmenU qui Inspirent la poésie d'IH»!oJe.-
IV. Le* mythes dans les Travaux. V. Mérita descriptif. Corn-
ment Hésiode a vu la nalure. – VI. La langue d'ilislode. VII.
Autres «uvres de poésie pratique.
1
Le poème intitulé Travaux et Jours ("Eff*xai 'H^-
pat) est la plus originale et la plus authentique des
œuvres attribuéos à liésiodo «. Avant de l'étudier au
I. Aucun doute ne s'est élevé dans l'antiquité aor 1'altrltaUoa des
Travtux à Hésiode. C'était, au dire de Pauaanlaa (IX, 3t), le seul,
entre les ouvrage» dont «" *»er°y"il !"«««««*•«i«i fat Ksam* «saxes
antbenUque par les Béotiens da l'UdUcon. La tradition du texte est
ANALYSE DU POÈMK 4M
|uiint du vuo lillorairo, il ost ntfeossairo toutefois d'en
tlUculer rapidement l'uuilé priiitilivo car, mulgro «i
|iriî»v«>U\il paraît composa«r^léitionts si divin-*qu'onne pont s'empêcher à première vue d'en être étonaô,
l'ut*analyse Houtmuirunoua pormeltra du faire ros»or-
lir twilo variété,l.Vnsumldum dù'iso en qualru groupes principaux
(" ( du début ait v<m,382) uno cxliurlaliuit moralo au
travail, oiUrcniiMt'odo tumtonecs «livorsot 2" (du v.3H3au v. GOé)dos conseils sur l'ugricultur*1,ttuivisdo
ijiMi|i)uo3avis sur ta navigation 3*(du v. WH au v.
7<i4)un corp» de préceptes à demi religieux 4U(du v.7ti!in lu lin) uuu tiurlode ciUendrior, où sont nianjuôsIl
tus joursliotiri'ux elles jours inallieuroux. Lo titre gti-titrai du poème s'applique particulièrement à deux deeusgroupos, lu nom do 7'~t aM~so rapportant au sa-
riiiiil,colui du Jours au quatrième.I. Exhortation(v. 1-382) ho coi ipose d'une série
domorceaux principaux, qu'on pourrait sans doute dé*tiurhurles uns dosuutros sans grantl inconvénient, mais
quiHontpourtant reliés, si l'on veut y fuiro attention,
par une inôtnoponséu morale quelques morceaux ac-cessoires do moindre valeur s'y trouvent môles. La
poiiséomorale dominante, c'est la nécessité du travailelleso développe sousdiverses formes sans progressionsousible. D'abord l'Allégorie des deux Êris (v. il-2i),l'une personnifiant l'émulation féconde, l'autre la ja.lousiestérile; la première encourago l'hommo au tra-
n~nmotnaMM<tMWtttM.MitMun det pasMgMpr!netp«ut(<<tnéanmoinsumi iaearlaiae.t*
Dansun des passagesprincipaux(ladescriptiondal'âged'or),lacritiquemodernedftrétablirtroisverseon»éeatifs(ltO-fSS)quinefigurentdansaucunmanuscritet nesontconimenWspar aucunscoliasle.Cesyen ontétécitéscommeappar-tenantauxTravauxparDiodore,Origineet lescoliasled'Aralos.Onavaitdonc.au tempsde cetécrivains,untextede cepoèmepluscompletquelenôtre,
l. Osai sa tara* actoelle, JI compte 838 v«rs.
48V UllAP. XI. – LES TRAVAUXET LKS JOUHS
vail.Insucondel'ou détourne, l'uislo <%Mr tbPromfthée
«4de Pandott (v. 42-106), destiné à expliquer commuât
le liittl eut outré dmw lu inutiJo, ut par ciuisuqutnitcomment le travail est devoitu uûuujuuiro, uummiml k
souffrance »'usl appwsuntio sur l'Immunité. Lu Mythe
tle$ cni// «Jj/m du momie (v. IUH-201),qui ti au Itunl
la iubuio signification sorte d'hiatuiru fubulouho Un
iiiom]t).<i'tmfiit>cunl|)UM pou dans le» tôuôbrua «l duits
lu numéro il ou rossurt <|u« la cumliliuu tlo lu vin lui.
iiiuiue, eusluue lutte cuustuiilo ooutro des maux inévi-
table». UApoloQiw th téperuirt et du rouùjnut (v. 2U!l-
21S),cundauinatiunilu lu viuiuucuul ddriujuHtico, servant
indirectement à inontrur oucoro «|uu lo lritvuit **stle
soul moyen de s'onriclur. Enliu un |>urull6le druuiiilt-
que iMitro les M*»faits de la justice et lu Mai ilr tu
Violence (v. 213-204) lu {luùtoy dunllu à sus idûtis une
cniistjcruliim roligiouHu, «n ru|tr(')sontiiiit lu survoillmico
exorcot* sur lus huiumus jiar UwIront») uiillo
gurdionti invisibles qui parcourent sutistci;sso lu terre
uu nom de Zeus (v. 218-2B5). Quelques admttnitions
8|iéciulOH(26S-33S) su ruuièiteiit a la moine pcnHée. Tel
est, puur ainsi dire, le corps de la preuiiùru pnrlio, dé.
pouillé do ses accessoires t.
Touto culte première partie, sauf les recommanda.
lions de la On, ost étroitement rattachée & lu donnée
dramatique du poème, c'est-à-dire au dissentiment
d'Hésiode et do son frèro Perses. Le nom de Perses y
revient fréquemment, et les allusiuns à la situation
respective des deux frères y sont météos au développe-moett. Elle porte donc la marque porsonnclle de l'au-
i. Nousy trouvonsen ootr»aa débntune«sorteU'bymiw»«nlhon-neurde Zeat (t. 1-10),débrisprobabled'ancienne»poésies,quenoa»avouaprécédemmentcil*commetel(Toir plushaut. p. 72),et à lala
ly. aaa-383)uneateiederecommandationsdétachées,qui n'ontvrai-
mentquedearapporte.très incertainsavectu penséeprineipate..
ANALYSE DU POÈME 465
Hltl. i» la LUI. GneqiK. -r T. L 30
tt'ur.Sil'unité fund<unentaten'encatpt~ très apparente,elle so laissu néanmoins sentir, comme.on vient do le
voir, sous dos additions et roiiiaiiiomonU probables,
qu'il est aussi difficilesdo nier que do déterminer en
détail. Dans l'ensemble du poème, YExhortation ko
.listinguopar le nombre des mytltes qui y figurent; elle
doit ce caractère a ce quVIlo est particulièrement cou-
ancrée aux idéos moraloaet philosophiques, dont le
mytho était alors la forint, par excellence.
Il. Vannent eniluito lus Précepte» t!'a~ricrrltttra1ut
loi Conseilssur la navigation. formant la seconde par»lindu poème(v. 383-691) ensemble d'observations quicunstituent un tout bien déllni.
Rien de savant, ni do très réfléchi, dans l'ordre du
développement mais cet ordre ost naturel et facile ia
suivro. D'abord une courte introduction (v. 383-404),on le poète détermine la durée dos travaux rustiquoshululants du rivage, de la pluiuo ost de la montagiw.tous sont conviés par lui à la tache nécessaire mais
c'està son frère Porsès qu'il entend s'adresser en par-
ticulier,et il l'interpelle avec une sorte de dureté impi'i-riuusequi donne à ses conseils l'accent d'une somma-
tiun
«Travaille, insensé le labeur est la loi queles dieuxont
assignéeaux hommes;crains qu'un jour, avectes enfantsetta femme,Inquietet acoablé,tu ne te voiesforcéd'aller de-manderà tes voisins de quoivivre, et qu'ils ne sedétour-nentdetoi. Deuxou trois fois peut-être,tu obtiendrasquel-quechose;mais si tu les importunesplus souvent,ceseraenvain. et tu perdras tesparoles;on te feralargessede dis-cours.Écoute-moi songe a,te libérer de tes dettes et à te
préserverde la faim.»
Les préceptes généraux sur l'installation agricole,sur la confection des instruments de culture, sur lo
1.Lucien,Bnlrtt.avecltétiodt, «apxcvtati«t*«*W*(>
480 GHAP. XI. – LES TRAVAUX ET LBS JOUH3
choix des serviteurs sont naturellement les premiers
qu'il expose (v. 405-447): quelques faits d'expérience,
quelques observations pratiques, et rien.de plus. Après
quoi, il aborde le cycle des travaux qu'il doit énuniô-
ror. C'est à l'automne qu'il le fait commencer, par le
labour et les semailles (v. 448-402); car c'est là la tru.
vail qui prépare et rond possibletout ce qui suivra. Sur
ce sujet mémo, il est brof; pou ou point de précepte
techniques il s'agit de choses simples et traditionnel-
les, quo chacun connaît l'activité, l'a-propos, la prièru
adross6o aux dieux avaat d'ouvrir 1«eiltoo, voilà tout
ce qu'il recommande, ou à peu près. Uno fois la t«rra
ensemencée, il faut s'arrêter, l/hivor (v. 493-363) i«-
torrompt tout duro saison, dont le poète décrit les ri-
gueurs avec une vérité saisissante, commo un domino
qui a suuiïcrl du froid et vu souffrir la nature; ce froid,
c'osl peut-étro pour le paysan, s'il s'en garantit mal, la
maladie et la mort; aussi insisle-l-il sur les précautionsà prendre, lui faisant un art de se bien vêtir. Bnlin lo
printemps revient (v. 564) « cinquante jours après lo
solstice d'hiver », l'hirondelle so montre, on taille la
vigne, et la vie active recommence. Alors se déroulo
la série des travaux de l'été. Ici encore, même rapidité;
ces travaux sont connus et toujours les mémos le poèteno les énumère pus cequ'il indique, ce sont les vertus
qu'ils exigent, fuir la mollesse, subir la fatigue et la
chalour, demander beaucoup à ses serviteurs ot soi-
môme. Il vient pourtantun moment où le travail serait
dangereux: les jours de la canicule sont dos jours de
repos (v. 582-596),intermèdo nécessaire dans la vie la-
borieuse du cultivateur, courts instants où le poète lui
permet de se délasser à l'ombre du rocher on buvant
du vin de Naxos. Avec la lin de l'été, les soins et les
plaisirs de lit récolte (597-817): plas do soins que de
plaisirs, comme on peut s'y attendre..Il faut battre le
ANALYSE PU POÈME 467
blô, l'ommugasinor, lo faire garder, rentrer les fourra»
g«s, C'ostaussi le temps do la vendange, dont il n'est
dit qu'un mol, comme pour terminer.Les Conseil* sur la navigation (v. Cl8-09V) sont
tmooro bien plus incomplets dans luur gonro que les
proceptos d'agriculture. La navigation, pour le poète,n'est pas uuu profession c'est on quoique»sorte un
loiiiplémont de la vie agricole le culti vnlourse faitmarin pondiint quelques semaines, pour aller vendre
lus produits do son champ. Brièvement, Hésiode
rappelle Ionsoin»a prendre on vue du conserver l'eut-liurcation pendant l'hiver, puis les rares moments do
l'année favorables à la navigation c'est do préférenceI»fin do l'automne, à condition qu'on soit do retouravant l'hiver; au printomps, quoique» jours aussi pou.vent être mis a profit, mais on s'o.xposoalors à de bien
Iitusgrands dangers. A ces conseils s'ajoutent des sou-venirs porsonnols (v. U33-6G0) nous avons dit plusImut pourquoi ils avaient été justement suspectes, en
partie ou en totalité, par la critique ancienne ot mo-der no
Toute cette seconde partio du poème étonne le lec-teur par son manque do proportion et par ses lacunes.Sur certains points, les préceptes techniques, qu'onattend, font défaut; d'autre part quelquos descriptionssemblent trop développées. Presquerien des semailles,de la naturo dos terrains, rien du choix des céréales,rien des travaux d'irrigation ou d'assèchement, dont ilest fait mention pourtant dans VIliade, rien de la cul-ture des arbres fruitiers, et fort poude chose on sommeà propos des travaux m'mos qui sont mentionnés. Lo
poèten'a vraiment d'enseignoments précis adonner quesur la confection des instruments aratoires et sur quel-
t. Voy.ci-dessus,p. 4M.
468 CIIAP. XI. LES TRAVAUX ET LES JOURS
quoa pointa rotatifs ait labour. En revanche, la longu»
peinture do l'hiver, abondante en traits énergiques, dû-
passe de beaucoupla ineauro des autres descriptions du
poèmo. Doplus, çà et là, des vers qui rompant le sens.Si ces derniora défauts truliim'iit des additions ou dos
romaniomonU, disons toutefois quo puur nous ni las
remnniemonta ni les additions n'expliquont d'une ma-nièro satisfaisante l'état général de la compositionnous aurons a onchorchor plus loin la raison dans les
intentions du puèto ot dans sos habitudes d'esprit. Ct>
qu'il impurlo do remarquer dbs à présent, c'est que,bous les altérations présumées, on dépit dos lacunes etdes disproportions, apparait une ordonnança régulière,manifostée par l'enchalneinont dos précoptes selon l'or-dro dos temps et dus travaux. Cotteordonnance no per-met pas de douter que tout cet ensoinltlo do précepte*n'ait été conçu et exposé en une soûle fois.
Non moins que la promièro partie du poème, ce se-cond groupe so rattache à la donnée fondamentale dus
rapports d UAsiodoavec Perses. On a beau supprimer
quelques passages qui ont pu être ajoutés postérieure-ment, il est impossiblo de l'en distrairo complètementsans user d'une sorte de violence.
III. Une troisième partie comprend les Préceptesmêlésqui suivent (v. 695-764).Rien doplusdifficilequedo les réunir sous une seule dénomination il y a un
peu do tout dans cos prescriptions, qui semblent asso-
ciées au hasard. Ponséossentencieures sur le mariage,sur les relations sociales,puis sur certaines observances
religieuses, tout cola sous forme puremont gnomique,c'est-à-dire par maximes détachées. Dans un recueil de
ce genre, ce serait chose absolument vaine que de po.ser la question d'authenticité quel moyen aujourd'huido discerner, parmi ces maximes, celles qui appartien-nent au poète primitif do celles qu'on a pu lui prêter
AXALYSEDU POÈME 460
plus tard? Au reste, il n'y est plus question da Porsès,ot aucun dos préceptes énoncés n'a lomoindre rapportavec la situation qui sert de donnée fondamentale au
poèmedes Travaux. Tout co qu'on peut dire, c'est quola plupart d'entre oux conviennent plus particulière-mont à la vie rustique, et qu'ils constituent une sortede code do morale prudente à l'usago des habitants dola campagne,
IV. Les Jours forine.it la quatrième et dernière partiedu pobmo(v. 7G3-II»).C'est une sorte de calendrier,dnits lequel sont -ôimmérésceux dos jours du mois quidoivent être rogardés comme favorables pour tollo outollo chose. La sagesse religieuse, dont le poète ost l'in-
terprète, lodispense, comme nous l'avons déjà remar-
qua, do rapporter ou d'inventer dos raisons quelconquespour justifier ses arrêts Nomonclaturo passablementnrido,relevée parfois par lo mérite do l'oxprossion, otfort curiouso d'ailleurs comme témoignage dosupersti-tions populaires. l'ersès n'y iiguro pas plus que dans latroisièmepartie s'il n'est pas impossible à la rigueurde trouver une relation entre co calondriorel l'intontion
générale du poème, il faut avouer qu'ello reste assezmal définie et que le poète n'a rien fait pour la rendre
plus sensiblo.
Il
Ce simple exposé fait pressentir et justifie on même
t. v. 768. Aîït Tfàp+,t«j!«ictvl Atb; ««pi un*i<Smo;.Il est curieux devoir comment cette sagesse qui ae croit Inspirée, et qui dogmatise onconséquence, était Jugée par la sagesse rationaliste qui lai succéda enGrèce un peu plus tard. Heraclite, dit Plutarque {Camille, 19), repro-chait à Hésiode d'avoir distingué les Jours en bons et mauvais, et den'avoir paa su reconnaître qu'Us étaient toua de même nature (<àcivvooOvttfioiv ijftpat &*4oii; |iiav oiiav).
470 CHAP. XI. LES TRAVAUX ET LKS JOURS
temps le travail auquel s'ost livrée la critique moderne
pour élucider la question do l'unité primitive du poème.Cette unité a été absolument révoquée en doute par
quelques-uns. Dès 1815, Tweston, dans un commentaire
hardi faisait ressortir les incohôronces do détail qu'ildécouvrait on maint endroit dans cotte composition, re.
gardée jusqu'alors comme un développement continu.
Une vingtaine d'années plus tard, Lohra, s'inspirant et
s'aidant do co premier travail, soumettait le mime
poème à une critique attentive et vigoureuse a. La con.
clusion do son remarquable travail, c'était que les Tra-
vaux et les Jours no constituent pas un poème. Il y dis-
tinguait 1° Un Traité poétique de l'agriculture et (le la
navigation, la seule partie do l'œuvre qui offrit, selon
lui, un développement régulier; encore regardait-ilcette partie mémo comme profondément altérée pardes suppressions, par des additions et par dos remanie-
ments provenant du mélange do plusieurs recousions; i
2° Un calendrier, les Jours, d'un caractère différent,
œuvro ancienne, qui, d'après lui, aurait subi aussi quel-
ques brèves additions 3° Une vaste Chrestomathio,
recueil do pensées morales, do conseils pratiques, do
récits mythiques, attribués à Hésiode, mais dus en réalité
à des poètes divers Bien loin de présenter une suite
logique, ce recueil, selon le critique, n'était qu'un assem-
blage puremeut artificiel, dans la formation duquel de
simples rapprochements de mots avaient déterminé
l'association des idées: l'ordre adopté serait on somme
un ordre alphabétique approximatif.
1. Commentatiocrilicade Uesiodicarminé,quoditucribilurOpéraetOie».Klel,1815.
2.K. Lehrs,Quaeslionesepicae,III. Kœnigeberg,1837.3. Lehrsva même,dans cetteméthoded'analyseet d'endettement,
jusqu'à distinguerdans le Mythedes âges l'œuvrede cinq poètesdifférents,dont lesinventionsdiscordantesauraientété combinées(p.230,note13). Denos jours, A.Fick(voy.Bibliogr.).en sefon-
UNITË PRIMITIVE DU POÈME 471
Cette critique a eu doux bons résultais, qu'on peutregarder comme acquis. Elle a parfaitement mis en lu-mière les remaniemcuits nombreux dont le texte héaio-
dique a été l'objet, et elle a détruit pour jamais l'habi-tude d'y chercher uno suite do pensées non interrompue.Nous lui reconnaissons ce mérite, mais nous ne pouvonsaccepter ses conclusions.
Et d'abord est-ce une idée bien juste quo d'attendred'un poëto de cet ûgo une logique tout à fait conformeà la mUre? La difficulté de lier les idées abstraites, dolos comparer entre elles, de los ramener à lour unité
véritable, est une des gènes qui partout ont pesé le pluslongtemps sur l'esprit humain. Beaucoup d'exercico estnécessaire à la réflexion pour arriver à former ces lon-
gues chaînes do pensées, ces associations claires, bien
que complexes, qui constituent un développement ora-toire ou didactique sur un sujet de morale ou do philo-sophio. N'avons-nous pas remarqué précédemment com-bien l'argumentation des orateurs dans les poèmeshomériques est encore rudimentaire? Ils touchent aux
pensées essentielles, mais, faute d'analyse, ils on aper-çoivent mal les rapports intimes, et ils les lient entreelles bien plus par instinct, par imagination, par senti-
ment, quo par raison profonde; l'accident a une part no.table dans leur éloquence. Et pourtant les raisonne-ments des personnages de l'épopée se rapportent à desfaits présents; la suite de leurs idées leur est donnée en
quelque sorte par les choses elles-mêmes; ils ont une
proposition à faire et ils vont droit à leur but. S'ils ren-contrent des matières do morale générale, qu'en font-ils ?Us les énoncent par sentences ou les traduifent sousforme do mythes. Voilà un état d'esprit bien caractériséet absolument différent du nôtre. C'est celui qu'il faut
dantsur desraisonsde langueet decomposition,aboutità un mor-cellementdupoèmebeaucoupplus arbitraire encore.
472 CHAT. XI. – LES TRAVAUX ET LES JOURS
concevoir et réaliser, pour ainsi dira, en soi-même, si
l'on veut bien comprendre. Hésiode.
Représentons nous un Grec, un Béotien du vm*siècle
avant notre ère, sans philosophie, sans aucune habi-
tude d'un développement oratoire quelconque, formantlu projet do mettre aun talent poétique au service d'i.
déos morales qui lui sont chères et quo des circonstances
particulières lui rendent plus précieuses encore. Si.
inagino-t-oii qu'il ait pu so tracer un plan comme nous
l'entendons, c'ost-à-diro so définir exactement à lui.
môme son sujet et distribuer d'avance ses pensées on
groupes, solon leurs ressemblances intimes? Était-il en
état de construire un poème sur le travail, à pou prèscomme Pope construisait son Essai sur la critique ou
Boileau son Art poétique ?q
Évidemment, non. La soule chose possible, on ces
temps reculés, c'était de grouper autour d'un fait pal-
pable un certain nombre d'idées qui s'y rapportaient
plus ou moins directement. Ce fait, c'est pour Ilésiodo
la conduite de son frère; il en est à la fois attristé et
irrité; il le plaint et il se fâche contre lui, il se sont
menacé lui-mêmoet il se défond voila dos impressionsréellos, profondes, qui s'amassent jour par jour, quisuscitent mille idées et mille sentiments, qui les assem-
blent au fond de son âme, comme un orage toujoursgroseissant qui finit par éclater. L'explosion finale, c'estson poème, du moins sous sa forme première, une in-
vective mêlée de leçons, une exhortation tantôt inju-rieuse et tantôt solennelle. Tout ce qui sert sa passionsert aussi son idée, et par conséquent lui est bon, sen-
tences, apostrophes, courts développements, allégories,
mythes, apologues, ce qu'il a entendu dire et ce qu'ilinvente, la sagesse des ancêtres, les oracles des dieuxet l'expression véhémente de tout ce qui s'agite en lui-
même. Quel arrangement voudrait-un qu'il eût mis
UNITÉ PRIMITIVE DU POÈME 478
dans tout cola ? L'ordre do ses idées se fait au fur et àmesure qu'elles naissent, et il se fait comme il peut. A
coup sur, ce n'est pas celui d'une démonstration mé-
thodique; les incidents y sont pour beaucoup; ceux dola passion, ceux de l'imagination, et parfois tout sim-
plument ceux du langage. Un critique do nos jours en.
tend, pour ainsi dire, sonner lo môme mot importantdans plusieurs groupos de vers consécutifs et il croitsentir la l'urlifico d'un arrangeur; mais qui nous prouveque ces rapprochements de mots n'étaient pas tout jus-tement uno dos choses qui plaisaiont lo plus au poètelui-même ot à son public? On suppose que cola a étéfait plus tard pour (os enfants qui appronaient les versd'Hésiode par cœur; est-ce qu'flésiode lui-môme et sesauditeurs n'étaient pas, eux aussi, des enfants a biendos égards ? et, à défaut d'une liaison profonde etréfléchie dont ils étaient incapables, est-ce que cetteliaison accidentelle, fantaisiste, faite par des associa-tions do mots et de sons autant ou plus que par des asso-ciations de choses, n'était pas précisément ce qui leurconvenait ?q
A ces réflexions on peut ajouter d'ailleurs des argu-ments non moins concluants. Si les Travaux n'étaienton majeure partie qu'une Chreslomalhie tardivementformée autour d'un poème sur l'agriculture, ce quiest l'opinion de Lehrs, il faudrait choisir entre deux
conjectures opposées, également invraisemblables. Oubien cette chrestomathie s'est formée des débris d'un
poème moral antérieur qui offrait cette unité, cette suite
logique, cet ordre méthodique et réfléchi qu'on netrouve plus dans les Travaux; ou bien ce poème n'a
jamais existé, et la chrestomathie en question n'est
qu'un recueil de morceaux détachés, pris de côté etd'autre dans des œuvres de nature diverse. Examinonsces deux hypothèses.
474 CHAP. XI. LES TUA VAUX BT LKS JOURS
Si lo |iuiNi»o qu'on nous représente ? réellement
oxislé, d'un vient quo cette composition ai savante «
disparu ? lleaueowj» d'autres grande» et belle» uwvro*
ont été détruites, cela est vrai, mais détruites quand
l'antiquité ollo-iiiûnio a pris Un, quand rinlulltgeucehuuiuiuo a été comme submergée bous un Hotilo téni*
bres; ollos ont vécu jusque-là, ollos ont oxorcô Unir
inlluenec, et nous on avons dos témoignages. Ici uu
contraire, il fuudrait HU|»|iusorune dispurilion biou uu-
tôriomo aux loinjw classiques poidunuo daus l'mili-
quilû n'a jamui» ctiiuiu un autru |ioèmo dos Travaux
que lu nôlru coinniout ndnietlro qu'uuu umvro si r«t-
marqubblc, si oxlruoidinuiio nour lu loiups auquel on
la rapporto, ait été ainsi ouldivof Kst-uo qu'ollo no su
serait pas défendue par son unité iitàuio? Est-co que la
beauté do co développement si bien uncliuuié ne l'un-
rait pas gravée a jamais daus lus miiinoires dociles des
audus et dus rhapsodes? Qui pourrait sérieusomnnt
peuser qu'un tel cliof-d'œuvro eût été ainsi rejeté dans
l'oubli, sans qu'il en frit resté môme uulégor souvenir?
Devons-nous donc croire que les Travaux soient un
simple reciioil, forme do pièces diverses sans origine coin-
mu110? Maisici, c'est la donnée môme du poème qui nous
arrête immédiatement. Dans quelle intention un arran-
gour aurait-il imaginé cette histoire des disputes de
Perses avec son frère? Une seule est vraisemblable: il au-
rait pu vouloir par celte fiction prôleruses préceptes une
sorte d'intérêt dramatique. Le poème, toi qu'il est cons-
titué, répond-il & cette intention ?JSous avons déjà dit
pour quelles raisons nous no le croyons pas. Si l'histoire
de Perses était fictive, elle serait exposée avec clarté,
et surtout on eu aurait lire parti au point do vus poéti-
que. En est-il ainsi? Elle apparaît dans les Travaux à
travers dos allusions dispersées, elle n'y remplit en au-
cune façon l'office d'un décor qui fait valoir la pièce. La
UNITÉ PRIMITIVE DU POftMB 475
sincérité du puètogo r&volo olairomeut par raluont-o «le
parti pria ut de calcul; il ii'»x|tluiu< pus cette dtmnuo;dune co n'a*! pas lui qui l'a iuinginut) pour plaint i« mm
public.L'unit" primitive dos* Travaux mmhte ainsi «<ltililiu.
Et toutefois, il importe, tlunn un sujet aussi liusaitlmix,d»t tto rion e.\ttg£rur. Lu s»>ulechose tjuo iimis «mms
vmilu prouver, t-'ost quo l'cnsomMo du pui-mo est l»it>ul'teuvro tl'tlÔHÎutl»ot qu'il l'a composé à pou jin'tHt«l «|iiuimuslo ptisittitltins,quant ù lu furuutgi<nériilo, MuU il nt<
rt^ultu pas do lu quo ce pmino «il ûtâ fuit un uni* m«>uIo
foi», sur un plan urrâté tl'uvautiu, ni môiuo qu'il uit jtt-nuùs élô protluil tlunH suit untiur d«n*tuit lu pulilic t»u-
quel s'utlroisuit lu puât». En l'nhsonco ilo roiisuignoituuitsprécis sur ce point, qu'il nous.suit poruuHtlo mmsguiiluruncuro sur lu simple vraisumlilanco.
Los puùsioHliésiuilit|iios n'ont pus plus ûltt omiipaséusvu vue <l«la fculuro quo lus pitûnioa lumtm'iquvs ollosétuiont Tuiles curluiuiuuont pour ùtre rt'-oitt'-Ks, ut euslùuituliuiis no devaient pas dilféror liuuucuup dos roci-talions hotnâriquos. L'ardu, il ont vrai, dôlritnU sr verssans nccotiipuguoiuont de citîiaro', probliiblumont avecune sorte de modulatinu simple ut utuiioloue de la voix;mais il lus débitait dans lus mômes circonstances, c'ost-ù-dire dans los banquets, dans lus réunions, dans les
fûtes, pauUôtre aussi dans les lescliés où l'on s'ussom-lilait aux heures do loisir2. H est diflicile ducroire qu'on
t. Il n'est nullepartquestiondans les poésieshâsiodiquei!de la(iliormim.L'aulcurdela ThéogoniereçoitdesMuses,danscettesortede visionrappeléeau débutdu poème,un rameaudolaurieren si-gned'investiture.AussiPausaniasrapporte.t-il(X,7June traditiond'aprèslaquelleHésiodeu'ut'raitpas él<5uduiisau pnuiier concoursétablià Delphes,parce qu'il nesavaitpas s'accompagneren jouantdela cithara.»
2. Lehra(Ouaeit.epicue,p. 319)a ing&iiousemeiitappliquaauxrécitationskdsiodiquescequ'Aratosdit au sujetdeDikéreniant ses
476 CHAP XI. TRAVAUX ET LES JOURS
ait ttmiutôavec plaisir on du lollo» oecasiumiune Ins
lunguoii»ilo»lo|it'iisûoi»uUîi»ir«iWi%inontIivi>»oulrocllos;
au contraire on «lovaitygtiûter vivement des murcoaux
miurU.où une |ioiuôo morale apparaissait dans un récit
mytlilt(iio,entourée do réflexions qui on préparaient nuen dévoluppuioullo wm.C'est uim\ sans doute que lits
Travaux ont dû nattro peu à pou. Unjour lo pnoloona compoaôutportédevant «onpublic une partie, un au-
tre jour uuouutro. l.rtsprûeoptoJHtir l'agricultureélainiii
par exemple éminomnifiU prtipros à funnor la inutiiro
d'unn de ce»réctl«tiotts IwinylliedoPrumétl»*»elwlui
dua &gmdu HHindona l'ùlaioul pas moins chacun du
ces récits, srAcuà l'idoo moralo qu'il cnntonail, servait
a grouper dos polluéesdo inùmonature. dont Hdevenait
la centre. Les récitations différaient d'aillours les unnn
dos mitron; le poêla los découpait la son gré dans lo ro-
cuoîl toujours grojsissanl qu'il so faisait i lui-mâtno, ut
il avait soin do les varier, tuut un roulant fidèloot h sess
principes bien connus et a quol«|uos donnée» énoncées
tout d'abord. Quandnous appelons lotTravauxunpueme,
l'oxpression dont nuua nous servons no doit donc paxolro prise dans un sens étroit et rigoiirousoniont exact.
S'il fallait chorchor quol<|ucchose d'analoguo dans les
littératures modernes, nous comparerions uno tollocou-
vre, on tenant compte do différences évidentes, à des
collectionscomme tesCaractèresde LaBruyère,ouvragessans cesse accrus, formésd'éléments divers que l'auteur
a négligé de lior fortemont, et pourtant doués d'une in.
conleslablo unité. Seulement le recueil du vieux poète,loin do s'être maintenu dans l'état où il l'avait laissé, a
dû subir après lui bien des additions et bien des sup-
pressions. Quelques parties en ont été oubliées, quel-
ques-unes ont été grossies. D'autres poètes y ont ajouté
ondes parmileshommes'At««p*|Uvi|tï Yip«vta; f,l«ou«lvitopjf,tifv%if<fivdr»$ – «nnoitpïi5«8«visi<ntipy.ouctaei|uata«.
SENTIMENTSRKUOIBUXKT MORAUX 4??
lotir &tuur dos réflexionsnouvelles»! pouHlru des nwr-
iuuxentiers, tën ngUtttiit ainsi, ils n'ont d'iulhnira ni
tmkliflàlo procodé intime do la composition, ni altéré
Irissgravoiiiunt ta physionomieprimitive du i'teiivro.
III
II rôsuilo do ce qui viuiit d'être ilit quo le pitènio îles
Travauxprocinlottlufait iloçircuiiittiiiutcspurtiCMlitws«tt•l'uneaùgdsso unciunritn Il est gûiiûrnl ut individuel on
iiiûinotemps il rôvôlouno civilisatiuu ut nu lioniinoI.a simpHoilàmorale, voilà tout d'abcrtl eu qui enrac
tôriao la poésio liésiudique siiuplicilA profonde. pupu-luire,vruiiuont touchunto parce qu'ollo no fiuugopas à
toucher. La conception fuixlanionluludos dioaoa y est
timtoroligioiiHOot traditioiiiiullu. \.a ptiissttncudivine est
partout,ot pnitontolloust sauverai iu;;rion no l'arrôto ni
nodôjouoses voloiilôs; mais ollo, quand il lui pluit, ollo
arrâtoot dôjouo les calculs humains1. Au fond, ces idées
m; sont pas différantes do collas qui remplissent l'épo-
péohomérique; mais, par l'aspoct qu'elles prennentdans lopuoinodes Travaux, elles s'en écartent sensi-
blement.Les dieux d'Homère, révélés par le génie du
poète,so montrent à nousouvertement, dans desdescrip-tions quo tout lo monde connait; ils parlonl, ils agis-sont sous nos youx; et ainsi, bien qu'environnés d'une
splendeur immortelle, ils se rapprochent de l'humanité.
Les dieux d'IIésiodo, moins dramatiquement mis on
scùne,sont plus mystérieux, et par là môme plus grands
1.Nomne pouvonsquetoucherIci légèrementauxidéesmoraleset religieuse»d'Hésiode.Ellesontétéexposéesdanslespremiersehapilresdu livradéjàcité deM.Jules Girard,k Sentimentreli-gieuxenGrèce.
2. Travaux, 105 Ofatc oï si kts foti &( v5ovtgaV.favtai»
478 GtlAP. XI. – LES TRAVAUX 8T LES JOURS
peut-ôlro; plus lourn formas restent jmdocises, plut ils
sont propret»&inspirer l'olïrui. C'est i peine »i, en quel-
ques passage» duo caractère presque anoedotiquo,par
exemple dans le mythe de Promôthée, un Iohvoit réu-
nis et «'occupant &une action déterminée. Partout ait-
loura, cosont domdieux cachés; mais qui surveillent tout
avec uno uttontitmjalouso. Cette présence invisible est
plus saisissant» quo du magnifiques descriptions
« Présents au milieu tl«»homme*,le» Immortels surveil-lant ceuxqui par des jugement* Injustess» font tort mu.tuelleinentsans «ouoi«lesdieux.CarIly a sur ta terre nour-ricier* trente milloImmortels,gardionsdeshommesau nomde Zen*.Its observentles jugement*rendus et les action»
mauvaises, enveloppasd'obscurité, errants ça ut là sur laterre u
Croyance vraiment populairo ol commo omprointod'une terreur socrM». Il s'agit la, il est vrai, do démons
plutôt que du dioux proprotnontdits. Maislosdieux eux-
inùinoHne sunt pus conçu»différemment.C'est lour puis.smnee,bienplus que lourd personnes,quele poètenous ro-
présentoettout iiiamont.otcoltopuissancoest aussi mys-tériouso quo redoutable
Los maladiesviennenta nous,de jour ou de nuit, sansattendre aucunordro et c'esten silencequ'ellesseglissent,apportant la souffrance;car le prudentZeus les a privéesde la parole >
S'il los a ainsi rendues muettes, c'est pour mieux
surprendre les hommes. L'imagination du croyant ne
fait donc en réalité quo personnifier t'inconnu dans ce
dieu qui voit tout et qu'on no voit pas (r.ircct$ùv Atô;
ô^OaXjxô;xxl sirca voria*?)3. C'ost un juge ou un onnemi
1. Tissaus,T.SIS859.2. Travaux. y. 102-104.
3. Travaux, v. 367.
SENTIMENTSRKLI01EUX KT MORAUX 47$
qui épie sans cestolos hommes, du fond do ton obsenrîttl.Il ressemble à la force cachée des choses, qui ne se laissedeviner que par lou coup» qu'elle frappe. Kt pourtantcette divinité à demi abstraite est bien toujours lo Zous
mythologique; mais, par la simplicité naturelle do
mn ûruo, Hésiode simplifie involontairement la religiontraditionnelle, ot il faut avouer que sa piouse naïveté
l'élevé, à un point de vue philosophique, bien un dessusil» la reli.giutt descriptive dos aùdus ionions.
Autre trait tlisliitctif cotte Hiniplioité a quoique chus»
ilo grava. La croyaucu liûsiuiliquu «st aériuuau ut pruti.que. Il somblt) que colle dus luniontt, suus dtro moins
sincère, ait éii plus extérieur*), plus portée &se répan-dre on discours, plus sensible au piuisir dos yeux ot dn»
oroillos. H y u chez lo puMe-puysiui d'Ascra plus d««
rutonu» et plus do profondeur sa religion tiont d'un»manière intimei'i muvia elle sn tourne d'elle-meino eu
morale. Esprit droit et net, plus vigoureux que souple,uttuclié aux notions simples et solides, et plus préoccupad'uction que do upéculation, il met uolto religion toutentière nu service de la justice, qui est pour lui la con-dition môme de lu vio sociale
« La justice omIla loi que lu fils do Cronos a donnée auxhomme< 11appartient aux poissons, aux bêtes sauvages etaux oiseaux qui volent dans les airs de se manger les unsles autres, parce que la justice n'est pas en eux. Mais Ill'homme, Zeus a donne la justice, qui est pour lui le pro.mier des biens ». »
Les dioux d'Hésiode no sont pas des dieux bons ni
indulgents, mais ils sont justes, au moins quand la lé-
gende mythologique ne s'y oppose pas et quand leurintérêt personnel n'est pas enjeu, c'est-à-dire en sommedans toutes tes circonstances ordinaires de la vie
t. Travaux,v. 276-280.
480 «MAP. XI. LES TRAVAUX KT LES JOURS
cela suflit pour que le poète trouve dons m foi une sourit!
do ooiiQance et do force intérieure. Sun rouvre e*t une
ftpro prédication, poétique ot rcligiouso, débordant d'unt'
Aim* qui ne doute pas. Une chose entre toutes est pour
lui certaine: eaux qui #tint justes sont ri-otbiblponaée par
les dieux et prospèrent, les viotonts et tes purjurvs sont
punis
« SI quel'iu un sait ce qui e»l juste et |»arl«»selo» va *|n*ll~t
sait, Zou» li la voix retentissante lui acsapk I» bonheur,
Mais celui qui, à l'alU» U«faux témoignages, tuauquo volou-
talroinent à ce qu'il a juré, qui offense la jumioa «l se raiid
gravement coupable, celui-là itelulise après lui qu'une rnco
obnuuro et InKrme. Aucontraire, l'homme Udèle à aon serment
a des fait qui prospérant d'année en année '.•
Cette itlôo rovionl frAquenuncnt dans les Traçant,
parce qu'ollo est h> fond mttini) da lu doctrine moral»»
ot religieuse d'IIâsiodo. Ettu ii'udinut <:lioz lui aucune
hésitation ni aucune réserve, et do là le genre d'ôlo-
quenco qui lui est propre: c'est cullo qui nuit non <lo
l'ubondanco dos ponséus, muis de la prâdominanco d'un
principo uniquo, obstinément imposa à l'attontion par
une conviction qui no so lasse jamais. Quelle est pour le
poète lu malédiction do l'âge do for, c'est-à-dire du sien?
Justement lo règne de la violence et du parjure, le mé-
pris brutal de la justice. Aussi avec quollo certitude n'en
prévoit-il pas toutes les alfreuscs conséquences t
« Le père ne sera plus un père pour ses enfanta, les fils ne
seront plus des file, l'hôte reniera l'hospitalité, les amis tra-
hiront l'amitié, le frère cessera d'aimer son frère commecela
était autrefois. A peine vieillis, les parents seront insultés
par leursentants, et ils entendront de leur bouche des paroles
dures et des reproches. Mus de souci des dieux, pluade sub.
sistance assurée aux vieux parents; partout le droit de la
force, les villes pillées et détruites. Nul respect désormais du'
1. Travaux,v. 280-Ï85.
SENTIMENTS lUCUGIfiUX BT MORAUX 4SI
Bût. U LiU.OrMO».– T. I. 91
serinant, ni de la justice, ni du bienj ce aéra l'homme mal»faisant et la violence hautaine qui seront en honneur pourjutUoe, U» auront leur bras, et rien ne sera rupeotè. Le ne*chant fera tort A l'homme meilleur que lui par des discours
perttilM, et n y ajoutera le parjure. Parmi les humaine mal.heureux, régnera la Julousie malfaisante, aux dleeoure en-
venimés, la jitlouvle heureuse du mat. Alors quittant la vait«terre et montant vars l'Olympe, cachant leur aimable vhage«pus leure voiles blancs, Atdôs etNéméaU abandonneront le
«ijour dee ttomuioi pour se réfugier parmi le* Immortels.Kt, »ur la terre, 11nu restera plue que daiidouleurs affreuses,ta mal partout et le remède nulle part ». »
Tout so tient d«»s c*>sonibro tableau; et, du ooinmon«
cernent a la Un, le poète auit aon idée avoci>as»iou. Idée
impérieuse qui l'obsède. L'injuatico, libre du frein, va
il'ollu-inôino à son (orme, qui est la tlestructiou olle ae
complaît dans la violence, et oilo y trouve sois châtiment.
Et do mémo qu'il untusse ici fléuu sur fléau avec l'asti
ruucud'un hoinmo de foi, pour quiios conséquences du
mal sont aussi cortainos que le mal lui-mémo, do mémo,un peu plus loin, avec une confiance non moins absolue!il décrit la prospérité nécessaire de ceux qui respectentla justice A l'énumération dos maux répond à présentl'énumération des biens
« Ceux qui rendent ta justfoe aux étrangers et à leurs con-
citoyens sans jamais s'écarter du droit, ceux-là voient pros.pérer leur ville, et le peuple qui l'habite est florissant. Cheseux régne la paix, nourrice delà jeunesse, et jamais Zeus à lavoix retentissante neleur inflige le fléau de la guerre. Amisde la justice, ils n'ont pas &souffrir de la famine ni des
calamités sans cessé au milieu des fêtes, ils passent le temps4 se réjouir. Pour eux, la terre se couvre d'opulentes mois-sons; le chant, sur les montagnes, montre au regard sesglands et oaohe les abeilles sons la fouillée. Les brebis sontrevêtues d'épaisses toisons les femmes mettent au mondedes entant» wmHqhfo»à leur père. La prÂspAritAflaurit p#r-
1.Travaux.182-301.
iêi QHAf, XI.– LES TRAVAUXET LES JOURS
tout ut IU«'oui pus besoin»lomettrele pieddur un vais.eftii, tout I» terre bienfaisanteeut pourauxprodiguailos.esfruits ».»
Voila curtos une logieluepoussée jusqu'il la plus ox-
ncto «ymôlrio tuut lubion pusbiblopour les huit», tuutle mal puur lus moolitiiiU, Ùiiotellu nettoie du répurli-tkmuquoique cIiosh)de bion liuliétiiquo.Sa naïvbtôtM&txe
e&ld'tu.lours co qui la rend sur tuul il yh pluUir, Itirttqu'uusait m faire ancien avec les tuicicns,à ouloitdro parler cul liuininosi «ùr du lui l'uutui'itô
(ltiguiutit|uuuvvu laquollâ il imposo boavuos mornlmà
luutoehosu fait on parti»»lu beauté du son umvru, parce
qu'elle on fait l'unité.Si son idéal n'est pas très ôluvo, Itmsentiments qu'il
lui inapiro sont furls ut aiiicôrcn, coiniiiu tuul co 'luiviont do cette nuturu simple. il osl loind'uvoir dans l'os-
pril un typa liuinuiii.comparaltloon imblossoà celui «lu
Itérus humârtquo. Danssos oxliortulious, point do dé-
ploiomont soudain des hautes qualitôs do l'ûmo, point
d'appol au dâvouomont héroïque. Toute cette régionsu-
périeure delavortu lui est étrangère. Hdôlostola guerre,
quo chantaient les aèdos ioniens, et il 11 considère
comme un fléauque Zeusépargne à ceux qui respectentsos lois («ftipoc t*xootôcxat çvXoiciçatt.rh).S'il parle des
héros qui ont combattu sous les murs de Thèbes et do
Troie, c'est pour rappelor qu'ils sont morts misérable-
ment*. Il les qualifie bien « d'hommes divins », louangetraditionnelle et par conséquent de peu de valeur; mais
en fait, on ne sent pas qu'il éprouve la moindre sym-
pathie pour leurs grandes passions ni le moindre en-
thousiasme pour leurs exploits. Son objetpréféré, à lui,
simple habitant des champs, n'est pas la gloire, chose
étrangère à sa vie, mais le bonheur. Et ce bonheur, il
I. Travaux,HS-iit.i. Travaux, 1«MM.
SENTIMENTS RBUOIEUX ET MOHAUS 483
leoungoit, avoo son esprit pratique et ses tendances
puùtives, suus unoforint»presque tauttimulérwlle, abun-danco et repos, point do soucie ni do souffrances
« Leshommesde l'àt^od'or vivaient comme de»dieux,l'Ameexoniptode soucia,«ans travail et sons douleur.Lavtelllea*enaaalilanton'était pas suspenduesur tour tôte;tour*membresrestaient vigoureuxjusqu'à la On.et Unpas-saient le tempsdana do Joyeux feslltiu,étranger*a tous lesmaux.tin mourant,Us«embUlents'endormir. Tousles Wonsftutent à leur disposition la terro fécondeleur donnaitU"«ll*-m4m«««sfrnlUtm ahoixianca,et eux, tranquille», mpartageaientans biensen patx,nu milieude l'opuloiioe.<»
Véritable ruvo do paysan fatigué, qui so sont vioillirvite sous la poidsdu luliuurquulidien, qui s'inquièto sanscasse pour aitsubsistanco mal assurée, et qui n'imaginorion do plus désirable on fin do compta quo do pouvoirmanger à sa faim ol boire à sa soif, sans user son corpspur io travail ni sonftmopar les soucis. Celaest touchant,
parce que cola est humain et sincère. Voilàlo sentiment
qui remplit le poème.Si ilésiodo preelio si obstinémentle travail, ce n'est pas qu'il l'aime ni qu'il lui attribue,selon la pensée chrétienne, une valeur morale et roli-
gieuse. Le travail est pour luf imodure nécessité quetes dieux ont imposéeul'liommo; une nécessité, et nonuno éprouve une vengeance, et non une punition. Ilfait partie de cette immense misère humaine dont il aun sentiment si vif et si amer « La terre est pleine de
maux, la mer on est pleine I* ». Jamais le pessimismen'a rien trouvé de plus désolant que cette simplelamentation, qui embrasse le monde entier. ;Et toute-foisHésioden'est pas pessimiste, car il aime la vie etso rattache avec passion aux quelques joies qu'elle lui
1.Travaux,112-119.2. Travaux, v. iOl IlXtiq plv t«? Y«f«xaxcSv,«Xî!<i& OxXawra.
484 GHAP. XI. LES TRAVAUX ET LES JOUBS
laisse espérer. Nullement curieux de philosopher, il ne
tient pasà examiner longuomont ce qu'on lui a raconté
dosorigines (lecette dure conditionhumaine. Un oudeux
mythes, contes d'enfants qui amusent l'imagination,
répondent d'avance à toutosles questions c'en ost assez
pour le satisfaire, lui ut ses auditeurs. Losdieux ont ar-
rangé los choses ainsi; il ne se révolte pas plus contre
eux qu'il no s'incline avec respect devant leur volonté;il s abstient seulement de récriminer, parce que cola
serait inutile; ot, prenant loschosestelles qu'elles sont,son intelligence se tourne tout entière vers le présontet l'avenir. Voilà la vie qu'il faut vivre; il s'agit do lui
arracher do forco co qu'elle no nous donne pas d'elle-
mémo, un poudo bien-être et do sécurité; et, pour cola,il n'y a qu'un moyen, qui est do travailler. Unefoisatta-
ehé à cette idée,Hésiodes'y donnetout entier et, comme
il arrive ordinairement, il finit par prendre plaisir, au
moins en imagination, à co qu'il recommande si forto-
ment. La noblesse native et l'énergie de sa nature s'yintéressent; il estimequ'il y a de l'honneur dans cette
vio laborieuse, comme il y a do la honto dans l'oisiveté
imprévoyante. Ainsi ses conseils deviennent peu à peu
supérieurs aux raisons par lesquelles il les justifie. Un
idéal obscur, mais généreux, se laisse deviner derrière
l'idéal borné qu'il nous propose; c'est le sentiment de la
dignité humaine et la fière satisfaction d'avoir gagné sa
part de bonheur à force d'intelligence et de volonté.
On comprendra aisément à présent pourquoi les re-
commandationstechniques tiennent si peude place dans
la partie do son œuvre où il semble qu'elles devraient
en tenir le plus. L'ennemi qu'il veut combattre, ce n'est
pas l'ignorance, c'est le goûtde l'oisiveté, ou encore le
découragement. Hésiodon'a jamais été tenté, comme
Virgile par exemple quand il conçut les Géorgtqttes,de
composer un. beau poème régulier qui. présentât un
SENTIMENTS RELIGIEUX ET MORAUX 485
ensemble completdo préeeptoa.Il est douteuxmômequ'ilcrut &l'existence d'une scienceagricole proprement dite.
Ce qu'on avait toujours fait en matière de culture lui
paraissait encore bon à faire, et quoiqu'il no dédaignât
pas de formuler à l'occasion quelques-unes de ses ob-
servations personnellos, il n'avait certainement aucune
idée d'en constituer une sorte do traité. Son dessein,
quand il énumbre les travauxdes champs, est en réalité
tout autro. Il dresse, saison par saison, la liste des tra-
vaux à faire, et, comme un bon surveillant, il a soin de
la mettre bien en vue, alin que chacun connaisse sa
tache.Sonexactitude provientdonc de l'intention morale
qui est tout pour lui. 11éveilleson hommede grand ma-
tin, il le mène aux champs ou à l'établo, il le prend parla main quand il lo croit disposéà s'échapper, il le con-
duit jusqu'au sillon commencé, lui montre la charrue
attelée et lesbœufs sousle joug, et il lui dit « Voilàton
» travail; dépouille-toi de tes vêtements, et ne crains
» pas do peiner sous le soleil.La misère et le mépris t'at-
» tendent si tu recules, le bien-être et la joio du repos» mérité, si tu achèves ton sillonà l'heure dite ». Toute
la partie agricole de son poème est ainsi conçue, et parlà elle se relie intimement à la partie morale celle-ci
prépare celle-là. Il a posédans l'uno ses principes, il en
fait dans l'autre l'application, avec cette ténacité ingé-nieuse et convaincue qui rend sa sagesse sioriginale.
IV
En étudiant l'inspiration morale du poème, nous ve-
nons d'indiquer déjà quelques-uns de ses mérites lit-
téraires les plus frappants. Il y en a d'autres toutefois
486 CHAP. XI. – LES TRAVAUX ET LES JOURS
dont nous n'avons encore rien dit et qu'il serait bien
injuste do passer sous silence.
Si chaque voix humaine a un son qui lui est propreet qui la fait reconnaître entre mille autres, on peutdire aussi que chaque vrai poète a dans son accent
quelque chose do spécial, qu'on imite quelquefois,mais qu'on ne reproduit jamais. L'accent personneld'Hésiodo est fait do rudosso, de familiarité, d'ironie
mordante, de bonhomie, d'amertume, de grâco sé-
rieuse, on un mot d'une foule de choses contradictoi-
res, qui parfois éclatent on lui toutes à la fois. 11a du
laisser-aller et de la solonnité, il parle en prophète et on
paysan, et il mâle à tout cela une sensibilité voilée,
qui vous va au cœur. Le bon sens ferme, énorgique,ost la noto dominante do sa poésie mais que do flues
nuances dans co bon sens, et que do choses non ex.
primées qui apparaissent dans ce qu'il dit I Tout est
court dans son poèmo, tout s'y découpe on groupescirconscrits, parfois en vers incisifs qui se détachent
comme autant de traits. Il no crée point de grandes
scènes, comme les poètes homériques, il ne met pas en
lutto los passions humaines, il no se complaît pas à des
descriptions charmantes ou terribles. Esl-co à dire quel'invention chez lui soit faible et trahisse une certaine
pauvroté de génie ? Tant s'en faut, elle est seulement
concentrée. Au lieu de s'étendre en beaux développe-ments, elle se ramasse dans de courts morceaux, qu'elleanime jusqu'en leurs moindres parties. Par elle, cha-
que fragment du discours poétique devient quelque
chose de vivant et d'individuel, qui intéresse, qui tou-
che, ou qui invite à penser et, par elle aussi, sans
qu'on sache comment, les petites choses grandissent,et d'humbles pensées, en s'ouvrant tout à coup, laissent
apercevoir je ne sais quels lointains majestueux.Les formes mythiques, dont l'usage contemporain
UÈCITS ET liESOHIPTIONS MYTHIQUES 487
revêtait si volontiers les pensées morales, offraient àces rares et hautes qualités do précieuses ressources.Aussi les allégories et los légendes divines abondent-elles dans les Travaux. Les plus courtes ne sont pasles moins excellentes. Hésiode sait mettre dans cesmorceaux de pou d'étendue tout son bon sens, toutson esprit, et ce genre do grandeur qui lui est propre.Quoi de meillour en ce genre quo le mythe allégoriquedos deux Éris au début mémo du poème? Une simpleobservation do moraliste en fait le fond le poète a été
frappé d'une cortaino ressemblance entre deux chosesbien différentes, la saine émulation et la jalousiomalfaisante. Les doux sentiments ont même origine,le désir qu'évoilleen nous la vue du bonheur, l'aversioninstinctive do la souffrance; mais l'un tend au bien na-
turellement, et l'autre au mal. Cette observation, il latraduit à sa manière, sous la forme d'une généalogiefictive, vraimentsaisissante, qui place chacun des deux
sentiments, transformés en êtres mythiques, au rangqui lui convient; et, dans cette généalogio, nous admi-rons à là fois toutes ces qualités poétiques si person-nelles que nous venons d'indiquer, la variété du ton,les détails ingénieux, les mots éloquents, la vie, et, plusque tout, cette sorte d'élévation naturelle d'idées parlaquelleune œuvre d'art méritod'être appelée grande:
«Non, il n'est pas vrai qu'une seuleÉris soitnée à la lu-mièredujour: deuxsœursdumêmenomerrentparlemonde.L'unedoit être louéede tout hommede sens, l'autre est di-gnede blâme;opposéesentout, ellestendent àdes fins con-traires. Ce qui plait à l'une, c'est de fomenter la guerrefunesteet ladiscordeen s'acharnantau mal; aucundesmor-tels ne l'aime, mais,malgréeux,par la volontédesImmor-tels, il faut bienqu'ils lui rendent honneur,à l'odieuseÉris.L'autreest néela premièrede la Nuit érèbienne et le filsdeCronos,dieudeshautescimes,habitantdesdemeureséthérées,l'a établiesur la terrequisupportetoutechose,aumilieudes
488 CBAP. SI. – LES TRAVAUX ET LES JOURS
hommes, pour qu'elle leur fat bienfaisante. C'est elle qui,tou-chant le pareiiseux môme, l'éveille pour le travail; et ilehaat te paw~eax mfme, r$veUt« poar te travatt: « ttarrive, graoe a elle.qu'un homme qui ne travaillait pas, ve-nant à jeter les yeux sur un riche, soudain se met à labou-rer et a planter, pour ramener le blen-étre dana sa maison.Le voisin rivalise avec son voisin ardent à a'enriehir. Voilàl'ÉrU qui fait du bien aux hommes i »,
On sont assez, en lisant co morceau ot d'autres aem-
blables, que cette façon allégorique do traduire les idées
abstraites n'a pour Hésiode rion d'artificiel. San» doute,ce n'est pas lui qui l'a créé»; elle devait être commune
avant lui et autour de lui; elle caractériso un état d'os-
prit alors général et marque un âge de la penaéo. Mais
ce qui est personnol fc Hésiode, c'ost la vivacité d'ima-
gination et de sentiment avec laquollo il conçoit cos
êtres allégoriques. Cesdeux Éùaont un rôle dramatiqueet des passions; on les voit se disputer le monde; quand
l'allégorie est ainsi vivante, clio cesso d'êtro allégorie.Si ces 6 très fictifs représentent des idées, ils sont du moins
tout autre chose que ces idées revêtues d'une forme et
d'un ncm il y a de plus en eux dos traits individuels,des sen iments ardents ou délicats, un caractère même,en un mot tout ce qui constitue la personnalité et tout
ce qui appelle l'intérêt.
Cette personnalité, Hésiode, bien fidèle en cela aux
instincts helléniques, sait la créer en quelques mots,
par une indication nette et sûre, sans emphase et sans
effort. Sont-ce de simples fantômes par exemple, que ces
deux vierges gracieuses et indignées qu'il nous repré-
sente, dans un passage cité plus haut, abandonnant la
terre qui n'est plus digne de les garder ? L'une est la
Pudeur, l'autre l'Indignation; mais qu'elles ressemblent
peu à ces allégories subtiles et froides dont la poésiedu ::tuyeu âge croyailjs'einiclii»' aux dépens de l'Ecole }
1. Tracaux,11-24.
RÉCITS ET DESCRIPTIONS MYTHIQUES 48U
Point do descriptions ingénieuses, point d'allusions ro.
eherchéot; rien qu'un» vision»uno déliciounovision de
poète, et do poètegrec, l'eaquisaud'uu mouvement aussi
simpleque gracieux, doux divinisa fuyant à traversles airs, enveloppées dans leurs longs voiles Muncs; ni
dans cotte esquisse, la tristesse d'un exil éternel, unedouleur pleine de confusion, admirable mentindiquée
par le geste si noble et si féminin des doux fugitive*
qui se voilont le visage.Le personnagode Diké ou de la Justice, mis en scène
à plusieursreprisos danala première partie des Travaux,n'est pas moins remarquable à cet égard. Si Hésiodeavait voulu en faire une représentation trop exacte do
l'idéo abatraito qu'elle personnifie, touto vio et toute
poésielui échappait. Mais soisnom suffit à définir son
râle; et, sans aucune préoccupation scolastiquo, cosont
uniquement ses sentiments qu'il nous décrit, et c'est
par là qu'il noua touche. Losvioloncosdes hommes,c'ustolle qui les subit, semblable à uno captive troyonno en-trainée et maltraitée par des mains brutalos
Horcoss'élance,dos qu'un jugementinjuste est rendu,et il le suit à la piste.Onentenda travers le mondelescrisde Dikétratnée à terre et frappéeparles homniosmangeursde présents,qui jugent sans soucidu droit. Ktelle marchederrièreeuxen se lamentant,a travers lesvilleset les cam-pagnes, invisibledans un nuage,apportant le châtimentaux hommesqui l'ont chasséeet qui ont fait des partagesinjustes »
Dans l'Olympe même, au milieu du rayonnement di-
t. Travaux, 219-224.On a signale un désaccord dans ces images etoa acra y découvrir la trace -l'an mélange de deux morceaux super-Ilosés (voyez Lehrs sur ce passage, dans ses Quaettionts epicae). Jemû» pou frappé do ce désaccord; et, eu tout cas, l'ensemble de la des-
cription porte si nettement l'empreinte hésiodique que la question de
mélange est fort secondaire.
400 Cli&i'. XI. L.KS TRAVAUX KT I,KS JOUHS
vin qui l'oiitouro, ollo garde encore pour lu puolo quoi
que eliusp dt>coite faiblesse et de cette grâce; assise
auprès «la«on père Zeus, elle rappollo (létèno auprès de
l'rimn
« OlkA est une vierge, elle est (Utude /eu», et autour d'elU
rigm uiitttlauadfft r<?*|»ectuauie vanératian parmi lot dieux
qui haWlont l'Olympe, Kl lorsqu'un homme l'offenie par
l'outrug» du ntoiuoim», nuMlldt elle vient «'«MOttir aujiréide son par*»,Zou*, QUde Cronos, «t elle crie devant lui les
ponsiSoadu Uoiuuia* injuste*, pour qu'U lu ohàlie •. »
II ost curioux de voir comment eolto toiuiancn à trai-
tor les fictions «ommotlos réitlilôainduil parfois la poète
h abscurcir, sans s'on npercovoir, lo sons primitif dos ré-
cits mythiquos qu'il rapporte. Pandore, dans lo mytho
do Prumétltéo, no pouvait guitro Atro à l'origino quo la
porsonnification de In richosao qui attire l'Itommo et qui
lo trompo c'est lîi co qui semble rossnrtir do la signifi-
cation du nom ot dos choses ollcs-mômos. Mais Hésiode,
peu soucieux de l'allégorie, a traité son sujet comme
une simple matière do poésie. Il a préféré lo récit lui-
même à sa signification cachée, et on se laissant aller a
nous décrire la jeune Pandoro, il lui a prêté tant de sé-
duction féminine qu'elle est devenuo, sans qu'il l'ait
voulu peut-ôtro, comme la personnification do la femme;
idée qui se dégagera nettement dans la Théogonie, mais
qui est déjà on germe dans los Travaux
« Sur-le-champ, le glorieux Héphaistos façonna d'un peude terre une forme semblable &une pudique jeuae illie: aiusi
le voulait le fils deCronos. La déesse aux, yeux bleus, Athèné,
s'empressa elle-même de la ceindre et de draper son vêtement.
Autour de son cou, les divines Charités et l'uuguste Pitho
mirent des colliers d'or et, sur sa tâte, les saisons à la belle
chevelure posèrent une couronne de fleurs printaniéres. Tout
1. Travaux,336-361.
RÉCITS ET DESCRIPTIONS MYTHIQUES 491
«la fat arrangé avecIrdoe par Pallas Mhènè. Dana tonnain,te dieui»(e-i»a«»r,Arglphcmtè»,tléimaii1»troiu|i«rleet1mdl*<x>ur*«4duls«nt*et un ««pritnMUlol<>u*.Put»II l'ap-palufamweet Pandore,parceque tous le»habitants <Ial'O-lympa«valent mil en elleUur*dou«,Mauxdes hommesIn-Juntrleuxi. »
Lomythe des Agessomblobien avoir subi aussi unoaltération analogue. Il est «erlnin qu'on l(Tforme oùnous lo lisons dans los Travaux, il no satisfait pas coin*
pletoinont l'osprit L'idéogénéraleest incontestablonioiUcelled'une dégénéreacoiice,à la fuis physique et morale,dont chaque phaso résulto do la préoédonto mais, sansparler de l'intercalation d'un Agehéroïque qui rompt lasuito naturelle des choses,on no peut nior que iViicliaî-nomontdos descriptions n'ait quoique chosodo nottant.Celane liondrait-il pas encore à co que l'iinagiiiationdupoètea trait6 les choses libromont, arrangoant à soit gréles données anciennes, bien plus d'après ses impres-sions porsonnollos que d'après la considération exactedo leur sens primitif? Le secondAge,par exemple, l'Aged'argent, devait être à l'origine un âge do bonheur, dif-férent toutefois do l'Agod'or par uno diminution deforce et d'activité. Cette idée d'affaiblissoment a frappéHésiodo,et, enla développantà sa manière par des traita
vigoureux et hardis, it a créé une description d'unebeauté à la fois étrange et obscure, dont l'elfot est aussigrand que la signification en est vague. Un monde peu-pléd'enfants, mais d'enfants vioillis,à qui l'Âgen'apportepoint la raison, voilà ce qu'il imagine. Dans cette lan-gueur mêlée de folie et do violences, quelle place pourle bonheur? et sans le bonheur, que devient le sens gé-néral du vieux mythe?'l
«Uneseconderace.bieninférieure,fut faite ensuitepar les
1.Travaux,70-82.
409 C1IAP. XI. – LES TRAVAUX ET LES JOURS
habitante de l'Olympe la ra«s d'argent. Elle n'était égalsa la race d'or ni par la oorps, ni par l'esprit. Durant oant
année*, chaque être, enfant, grandissait auprès de sa mèreeu m jouant sans raison dans «a demeure. Puis, quand la
jeunesse arrivait, quand 1Uatteignaient l'Age qui en marquele début, ils no vivaient plus que peu de temps, souffrantde leur Irréflexion. Car lia ne pouvaient s'abstenir, tes uns &
l'égard des autres, delà violence téméraire, tta ne voulaient
pas rendre "hommage aux dieux, ni aaorlfler sur les autelsdes bienheureux, commele» hommes doivent le faire en sui-vant les coutumes. Alors Zeus, fils deCronos, les fit dtap«.rattre, Irrité de ce qu'ils n'honoraient pns («adieux, habitants
de l'Olympe •.»JI
C'est un privilègo pour un poète moraliste, venu dans
un âgo de conceptions encore mythologiques, que do
pouvoir former ainsi des imagea qui intéressent et cap.tivent les csprits sans les satisfaire. L'obscurité ot l'in.
décision de la pensée, dorrière la clarté vigoureuse de
la pointure, créontuno sortede profondeur mystérieuso,ou toute une nation va chorcliorpondunt dos siècles une
sagesse qui se dérobe toujours.
V
Mais ni la beauté des mythes ni la valeur des exhor-
tations morales n'ont été les principales raisons du suc-
cès des Travaux. C'est surtout à titre de poème rustique
que cette grande œuvre a été admirée de l'antiquité
grecque et latine, et c'est encore à ce titre qu'elle nous
plait le plus aujourd'hui. Nous y sentons une poésiede la nature, non pas complète ni somblable à la nôtre,
mais originale et profonde, une sorte de parfum de la
terre, dont la saveur est exquise autant qu'elle est saine.
Les aèdes homériques avaient peint déjà la nature,
i. Travaux,121et suiv.
POÉSIEDRhKNATURE 493
mais on généra! ils ne la voyant guère que sous ses
aspects majestueux; co qu'ils noua représentent loplussouvent, dana les comparaisons do 17/mk/p, c'est la mer,tantôt calme et tantôt soulevée ce aont les montagnesqui se dressent au-dessus des flots, los cimes environ-ii6os do nuages ou baignées dans la lumière pure, lesvalléos sauvages où les chasseurs pourauivent los bâ-ton féroces, on un mot tout co qui offre à l'imaginationun grand spectacle. Les champs cultivés oux-inèinos,
lorsqu'ils les décrivent, pronnont un aspect grandiose àvastes plaines d'lunie, qui su déroulent jusqu'à l'huri.
zon, ut où un peuple de serviteurs travaille sous l'aaildu mattre. Qu'on se rappelle la magnifique scène do la-
bour et do moisson qui estcenaéo Oguror sur le bouclier
d'Achillo
« Héphaletos y représenta une molle et vaste jachère, nou-vellement labourôo, 8rasso et déjà retournée trois fois. Làdo nombreux laboureurs, allant et revenant, poussaientleurs charrues sur plusieurs points à la fois. Et quand ils
faisaient retourner l'attelage, arrivés à l'extrémité du champ,un serviteur venait leur mettre dans la main une ooupe devin délicieux. Ils revenaient sur leurs pas, de sillon en sil-lon, ne songeant qu'à atteindre l'extrémité de la jachèreprofonde. 11avait aussi représenté un domaine couvertd'une riche moisson. Dea serviteurs moissonnaient, ayant enmain des faucilles tranchantes. Des poignées de blé tombaientù terre, drues et serrées, le long du sillon; d'autres, relevéespar les botteleurs, étaient réunies en javelles. Trois botte-leurs étaient debout: en arrière, des enfants ramassaient lesblés par brassées, et, les portant devant eux, les leur remet.taient a mesure. Le mettre, au milieu du champ, se tenaiten silence sur le sillon, son bâton à la main, le cœur pleinde joie. Des hérauts à l'écart apprêtaient le repas sous unchêne. Ils venaient d'immoler aux dieux un bœuf de grandetaille et le faisaient rôtir; les femmes préparaient la blan-che farina de froment pour le repas des serviteurs <.»
1. Mode,XVEtl,5*1-560.
494 CUA1VXI. LES TRAVAUXET LES JOURS
Tout est largo dans cette sereine ot pacifique des.
eiiptioti. ka poéstedola naturoainsi comprise a quoique»
«litiged'ttâroYquoot do royal, qui convient admirable»
menta l'épopée. Dans l'Odyssée,nous l'avons remarqué,
les choses sont déjà plus simples. Los établos d'Eumép,
non habitation «utiquo, le mur bas do la cour tutti
tapissé des pousses du poirier sauvage, la rudu exis-
tunco qu'il mène là avec ses chions do gardo ft demi
rérocos, la nuit passé» auprès du feu, tout cola forme
uu tubloaud'un genre plus familier, où noua voyons do
plus près coquotlovait Otroou ce temps la vie du paysan
grec. Mais, là môme, la grandeur naturelle do l'épopée
intervient encore, ol la marcliode l'action, l'importance
dramatique dos personnages, l'intérêt des sentiments
no laissent aux clétailadescriptifs qu'une valeur accus.
soiro. iII on ost tout autrement dans les Travaux d'Hésiode.
Ici la naturo n'est plus simplement un fond de tabloaa
ni un décor la vie rustique est le sujet mémodu poème,
ot la nature avec le paysan sont au premier plan. Ni
l'un ni l'autre d'aillours n'y sont idéalisés commodans
l'épopée. Plus do lointains horizons ni do vastes do-
mainos, plus do larges descriptions éveillant des idées
do grandeur, d'abondance et d'ordre. Nous sommes à
Ascra, au pied de l'Hélicon, mauvais pays, nous dit le
poète, brûlé par le soleil en été, et glacé on hiver par
le vent du Nord. On y travaille durement, on y souf-
fre, on y dispute au sol une subsistance incertaine, et
on a grand'peine à s'y défondre des brouillards malsains
et dos intempéries de l'atmosphère. En outre, le paysan
d'Hésiode est pauvre; petit propriétaire économe, qui
ne possède qu'un attelage do bœufs, qui fabriquo lui-
même sa charrue, son vêtement do peau do chèvre et
ses chaussures. Son champ est étroit et ne ressemble
on rien aux riches campagnes des bords de l'Hermos.
POÈBIt: DE LA NATURE 4U&
Étranger aux riantos Hélions,c'est on plvinu réalitéque le pobto m place tUmnoiisnous h>plaisir de l'ysuivre
S'il n'était guère |»liilo.<H»pltudans lu partie philoso-phique de son poème, a plus forlo raison ne lu soru-t-ilpas dans colle-ci. Doncaucune conception do la naturedans soitensemble, comme force mystérieuse et divine;rien de ces élans enthousiastes»qui abondont chez Lu.crèce ot chez Virgile, Cesont lus phénomènes ntiturols<nix>memosquifunt impression sur Ilésiodo quant auxcauses cachées, quant à l'harmonie intérieure et pro-fonde, on un mot quant à tout ce qui est au delà do lasensation immédiate, il n'eu a ni le souci ni peul-ôtremôme lu soupçon. Voilà déjà un premier aspect doschosoaqui n'existe pas pour lui. Il y en a un secondqu'il ne voit pas davantage, c'est colui du rèvo. Cher-cher dans la nature une conformité ou un contraste aveclos sentiments de l'homme qui la contemple, savourerson silence, jouir de sa sérénité ou l'en accuser commed'une sorte d'indifférence cruelle, l'admirer enfin dansses violencesou dans le déploiement magnifique et pai-sible do sa force, rien de tout cela no lui vient à l'es-prit. Et co n'est pas seulement parce que cette façonde sentir est plutôt moderne qu'antiquo quand mêmoon en trouverait quelque chose chez d'autres poètesgrecs, on pourrait être assuré qu'elle lui est étrangère.Sa préoccupation pratique est bien trop forte pour lais-ser ainsi courir son imagination.
La seule chose qui lui convienne. c'est d'exprimercequ'il a vu, entendu ou senti. En le faisant, il est grecpar la précision, par la finesse, par la sobriété, par l'artde simplifier les choses et de choisir les détails. Jamaisde sensationsconfuses ni surabondantes. Il noto chaquechose par uu ou deux traits descriptifs d'uue exquisenetteté. Et ce qui fait l'intérêt de cette notation, c'est
400 OHAP. XI. Ï.B3 TRAVAUX KT LES JOURS
au'ello ne dérive pasd'une science écrit»et quelle mm-
Womôme n'emprunter presquerien à personne: le*-
nérienee personnelle du P«eloon fait tous les fraw.Il a
Laslronotnioa lui, astronomie élémentaire, qui peut
bien sans doute lui avoir été enseignée en partie, mam
qu'il u confirmée ou complétée dans sa vie, passée au
grand air et constammentcurieuse d'observation La
moment du labour ost marqué par le lever des Pléîades
il suit qu'après *trer«mtéos cachées Pendant quarante
uits, elles reparaissent au-dessus da l'horizon « l«r«.
qu'on aiguise le fer «. mLa connaissance -ImhM*de,
moîurs dos animaux et do la vio dts plantesb'omuoio
tout naturellement à celle des astres. Il a, en toutos ces
matières, sa science du village, hite.de remarques quo.
tidiennos et d'impressionssans cosse ravivées, dont s»
poésie profite. La Hn de la canicute, qui ost le temps
dus premières pluie», c'est pour lui la moment où le
corps se sent plus léger et plus souple, tout t ^J'
par cette humidité bienfaisante qui succède àloté dé-
voranl; il noteque le bois est alors bonà coupor, « car
les ver* no s'y mettent pas ». »»On est ravi à chaque ins-
tant, en l'éboulant parlor, de tous ces détails curieux,
sur lesquels d'ailleurs il n'insiste jamais. Si l'on a
tardé à labourer, nous dit-il, on peut encore réparer
cette négligence à la dernière heure, « lorsque le cou.
?cou chante dans les feuilles du chêne et qu'il réjouit
“ les mortels dans toutes les parties dola terre » mais
il faut souhaiter alors « que Zeus verse la pluie le
«troisième jour sans s'arrêter, et que l'eau couvre la
corne du pied d'un bœuf, sans rester au-dessous ni
» monter au-dessus».»Cetteprécision n'esUollepas char-
mante ? Elle nous montre l'attention qu'il donne à ces
1.Travaux,V.3W.2. Travaux, v. 416, 420.
3i Tratiaux, 486-489.
POÉSIE PS LA NATURE 49?
Hlit. de !• LitL Grecque. T. L 34
choses, l'importance qu'elles ont pour lui et ses audi •
tours, ot par conséquent millo sentiments derrière une,geulo imago, ce qui t>*t l'essence mémo du la poésie.
Nous toucluiuB là au trait le plus caractéristique dutalont descriptif d'Uosiudo, Ce qui lui est propro en
effet, c'est qu'il ne décrit rion sans se faire connaîtrelui-même involontairement il no dit pas un mot quine découvre l'homme. Écoutons le nous parler do l'hi-ver. Lo vent souffle, un» pluie glacée to:ntto incessant-mont:
« Alo bien soin, tilt-il, do fulre ce que je t'enseigne pourpréserver ta santé, ttevôts-tol d'une molle tunique do laineet d'un second vOtoment ohaud qni couvre tout le corps ilfautque la trama en soit très «paisse par rapport a la chaîne.Hiivoloppo-toi <looe vêtement, de pour que le frotd na fassefrissonner le poil sur tes membres ot ne le hérlssc sur toutton corps. Mets tes pieds dans dos chaussures faites du cuird'un bœuf assommé qu'elles soient bien adaptées, et quole poil de la bote soU tourné en dedans Il »
Kvidoinmont co maraliato, qui s'interrompt ainsi pourfaire do l'hygiène, n'est pas un poète qui décrive pourle plaisir de décrire chape détail ici est un trait de
caractère le seul vers sur le rapport de la trame avecla chaîne révèle Hésiode. N'en est-il pas de même en-core lorsque, après l'hiver, il nous décrit l'été ? Un au-tre que lui nous peindrait l'aspect des champs desséchés,les troupeaux réfugiés à l'ombre des grands arbres, lesrivières réduites à un minco filet d'eau. Qui no connaitlos beaux vers de Virgile
Jam rapldus torrents sitientes Sirius IndosArdebat ooelo, et medium sol igneus orbemHauserat; arebant herbae, et cava flumina siccisFaucibus ad limuin radii tepefacta coquebants.
1.Travaux, v. 536et soiv.2. Gêorg.,IV, 425.
&98 GHAP. XI. LES TRAVAUX ET LKS JOURS
Mais Hésiode ne se soucie point de ce qui se passe
aux Indes, que d'ailleurs il ne connaît pas; il n'a pas
l'imagination si vagabonde c'est à iuUmônie qu'il rap-
porte tout, ce sont ses sensations et sos observations
personnelles qu'il exprime
« Quand le chardon fleurit, quand la cigale bruyante posée
sur un arbre fait entendre sa chanson stridente en agitant
vivement ses ailes, dans la saison des chaleurs Mttjdu**
alors les chèvres sont grasses, le vin est dôUoieux les fem.
messontavides de plaisir et l'homme est épuisé. Sirioabrûle
sa tête et dessèche ses membre* le corps est exténué par 1 ar-
deur du soleil. H lui faut l'ombre d'un rocher et le vin de
Naxos, du pain bien cuit, le lait d'une chèvre qui vient dé.
tre éloignée de son petit, la chair d'une génisse nourrie dans
les bois et trop jeune encore pour être mère, et celle d'un
tendre chevreau. Bois en outre du vin brillant, assis à 1 om-
bre, quand ton appétit est satisfait, et tourne alors ton vi-
sage vers le souffle vif du Zôphyre, auprès d'une source in-
tarissable et limpide, que rien n'a troublée». »
Une chose bien digne d'attention et bien hellénique,
c'est que ces petits tableaux, composés de menus dé.
tails, ont néanmoins de l'unité et ce qu'en matière de
peinture on appelle du style. La raison en est facile à
donner: aucune de ces petites choses n'est exagérée
comme si elle voulait faire de l'effet par elle-même; ce
sont des traits de vérité qui concourent ensemble à
une impression générale parfaitement nette; et cette
impression est si simple, si humaine, si large même,
que, malgré la finesse des éléments dont elle s'est for-
mée, elle a une sorte de grandeur.
On peut se demander toutefois jusqu'à quel point ce
poète si exact, si attentif à la vérité des sensations, était
capable de composer un ensemble plus considérable.
Il nj a vraimont qu'un seul passage des Travaux qui
1. Travaux, v. 882 et auiv.
POÉSIE DE LA NATURE 499
semble offrir le moyen de répondre à cette question,et ce passage est an de ceux qui ont le plus provoquélos doutes de la critique: je veux parler de la descrip-tion du moisLéncaon <.Cette description débute par un
admirable morcoau, où est représentée la violence du
vont Borée:
« Pendant toat le mois Lênœon, série de jours mauvais,funestes au bètail, sois sur tes gardes, défie-toides gelées quicausent tant de soucis, lorsque Borée souffle au loin à tra-vers la terre. Du fond de laThraoe, nourrioière de chevaux,il s'élance sur la vaste mer un mugissement remplit la terreet les forêts les chênes à la cimeélevée et lessapins touffus,saisis par lui dans les gorges de la montagne, tombent surle sol fécond la clameur immense de la forêt monte vers
lelciel.Les botessauvages frissonnent, et ramènent leur queuesous leur ventre. »
Voilà assurément de la plus haute poésie. Mais sou-
dain ce bel élan s'arrête, et dans une comparaison des
plus singulières le poète se demande quels sont les ani-
maux qui ne souffrent pas du froid. Les bâtes fauves
ont froid, le bœuf, malgré son cuir épais, a froid aussi,
les chèvres sont glacées à travers leur long poil; seul, le
mouton est préservé par sa toison. Une fois entré dans
les détails, il n'en sort plus, et les images se succèdent
avec une certaine confusion: le vieillard courbé sur son
bâton, la jeune tille qui travaille dans la maison auprès
do sa mère; puis une étrange observation sur la vie du
poulpe au fond des mers, où le soleil ne l'éclairé pas,et de nouveau un retour aux effets produits par le froid
sur tous les êtres animés. Ce désordre même est au fond
le plus grave argument qu'on ait produit contre l'au-
thenticité de ce morceau, mais il faut reconnattre qu'ilest loin d'être décisif. Nous ne devons appliquer à cha-
que écrivain que des règle» de critique faites pour lui
i. Travaux,503et.suiv.
600 CHAI». XI. LES TRAVAUX ET LES JOURS
et d'après lui. Or rien dans los Travaux no nous per-
mnt d'attribuer à Hésiode le talent do composer un mor-
ceau descriptif étendu et lié dans loutos sos parties.
Son mérite ost surtout de bien voir et do bien oxprimor
les détails quand il les groupe, c'est, comme nous
venons do le remarquer, autour d'une impression por-
sonnolle. Mois ici, il s'agit de choses lointaines, qui dé-
passent son expérience quotidienne. Quoi d'étonnant
si son art sa trouve en défaut, s'il hésite, et si, après
un boau début, il revient plus ou moins adroitement à
ces petites choses qu'il sait et qu'il dit si bien ? La cri-
tique que l'on adresse au morceau en question ost juste,
mais prenons garde qu'au lieu d'en démontrer la non-
authenticité, ollo no mette simplement on lumière un
dos traits caractéristiques do la poésie d'Hésiodo.
V!
Il ne nous reste que quelques mots à dire du poème
des Travaux. Que faut-il penser do la langue dont le
poète se sert ? En quoi diffère-t-elle de la langue homé-
rique ? quels en sont tes caractères propres ?q
Le dialecte dont Hésiode fait usage est à pou de chose
près celui des poèmes homériques c'osl le vieil io-
nien, mélangé de formes archaYques et de mots qui
certainement n'ont jamais ou cours que dans la poésie.
Nous avons déjà fait remarquer l'importance capitale
de ce fait pour la chronologie littéraire8.
i. La meilleureétudeà consulter sur la langued'Hésiodeestla
dissertationspécialed'AloisRzach.DerPialeeldesBesiodos(Jahrbà-cherfur classischePhilologiedeFleekeisen,Supplément»,t. VIII, «816.
Cettedissertationa été tiréeà part).2. AjoutonsIci quela langnsd'Hésiodeesten progrèsgrammati-
cal sur celled'Homère.Par exemple.le pronomréfléchide la troi-
LA LANGUE D'HÉSIODE 50i
Toutefois l'élément éolion a dans los Travaux nnoimportance plus grantto que dans los poèmes homéri.
ques. Ou y trouve eu effet quelques formes d'un carac-tère éolien bien prononcé, qui sont absolument étran-gères à la langue d'Homère Il est singulier que cesformes ne se retrouvent pas dans le dialecte béotien, tel
qu'il nous est connu par los inscriptions et les témoi-
gnages elles appartiennent plutôt à l'éolten d'AsieOn pourrait être toute do voir là une confirmation inat-tendue de la tradition qui rattachait la famille d'Hésiodoà 1'Éolio asiatique nous croyons qu'on se tromperaitun poète parle la langue de sos auditeurs et non lasienne. La vérité est que nous connaissons trop pouloa relations des divers dialectes béotiens au temps d'Hé-siodo pour avoir le droit de lirai- d'un si petit nombrede faits des conclusions aussi précises. A cet élémentdialectal éolien, s'ajoute et se mêle, dans les Travaux,un élément dorien, qui deviendra plus important dansla Théogonie ». Co fait a été ingénieusement expliquéon l'a signalé avec raison comme un indice de l'in.iluenco exercée sur le langage d'Hésiode par celui deDelphes Nous croyons seulement que cette influences'est exercée sur los Travaux autant que sur la Théo.
gonie. Nous avons montré plus haut que les oracles
sièmepersonne,étrangerà Homère,semblebieny apparattredéjà,mêmedans les Travaux;voy. Rzach,p. 427.1. Arvuiiit pour atvfa. Travaux, 683. *Apii|uvai pour ipoOv, 22. "A^tv
pour tyiSot, 428. Tpn)x6vmi>v pour xovfytmxix, 696. MsXiâv pour iieXiOv.115. (Bzach,p. 465).
2. Rzacli,p. 464-65.d'aprèsAhrens(Verhandlungender GœttingerPhilologenversammlung,1832,p. 73et suiv.).).
3. Lesaccusatif*plurielsde la premièredéclinaisonavecla finalebrèveSeivctïifaat. v. 675;pnà rpoitiçrieXiato,564et 663;les ancien-nesdésinencesdes troisièmespersonnesdu plurieldans lestempssecondaires,Ï8»8ov,139 lenombrecardinaldorien,rftoaa,698(Kzach.p. 46S).
4. Ahrens,onv. cité,p. 75.
603 CHAP. XI. – LES TRAVAUX ET LES JOURS
avaient été nécessairement un des modèles du poète
moraliste à qui noua (devons cette couvre il n'est pas
étonnant qu'il ait considéré comme suffisamment au*
toriaôs certains dorismes dont le dieu prophète lui don-
nait l'exemple.En co qui concerno le choix ot la couleur dos mots,
il semble que la langue du poème des Travaux pré-sonte un caractère plus populairo, on pourrait presque
dire plus rustique, que celle dos grandes épopéesioniennes. Cola tient d'une part au grand nombre jtfotermes techniques qui sont amenés par la nature méimV
du sujet. Mais, en outre, le poète a un goût personnel
pour des expressions un pou rudos, qui rendent sa pon-8éo avec forco et concision. II dira par oxemple que lo
cri de la grue annonçant l'époque du labour « mord le
» cœur do l'homme sans bœufs » (xpaSi^vïiax' «Jvîpôç
etéo'JTCt»,v. 481) jamais sans doute un aède homéri-
que ne se fût exprimé de cette façon. H aime aussi les
mots qui décrivent minutieusement. Le pain qu'ondonne au valet de charrue est « un pain à quatre entail-
les, partagé on huit tranches » (fiptov.. Texpirpuçov,
fo-rïétoitov, v. 442). Il a des mots composés à son usage
qui lui servent à traduire nettement et sans périphrasedes idées complexes (v. 485, àjrttps-rflî,colui qui laboure
trop tard; TCpt*nf>p6T»iç>celui qui laboure au commen-
cement de la saison). Et ce n'est pas seulement aux
choses matérielles qu'il applique cette précision, c'est
aussi aux choses morales. Il les [rend avec une conci.
sion énergique et vive qui lui est propre. Le mot qui
fait image lui vient rnaturellement à la bouche « Que
» le laboureur, dira-t-il, trace droit son sillon, sans
» chercher de l'œil ses compagnons, le cœur à sa be-
» sogne » N'y a t-il pas à la fois une peinture et un sen-
i. Travaux,444 MijxItiitamafvuvnpbç4|uqXixa;.G«verbeest ho-
LA LANGUE D'HÉSIODE! 609
liment dans cette spirituelle façon de parler? Et quandil recommande do no pas prendre un serviteur tropjeuuo, avec quelle lîno intelligence du langage popu-laire no transforme t-il pas une expression d'ailleurs
courante pour nous faire voir son personnage rêvantaux plaisirs do son Age au Hou de travailler « Un» homme trop jeune a toujours l'esprit en l'air à la» poursuite do ses compagnons » A chaque instant,chez Hésiodo, nous rencontrons do cos vives inven-tions do stylo. qui révèlent ,lo vrai poète. Il sait faire
beaucoup avec peu do chose, comme tous les grandsartistes; les mots lus plus ordinaires deviennent dos»
criptifs entre sos mains par la façon dont il les appro-
prie à son idée. Veut-il nousreprésenter
la moisson mûreet abondante du paysan laborieux quo les dieux protè-·
gent? Il un nous montrera pas, comme Virgile, les blésdorés qui ondulent au loin, car ces grandes imagos lui
sont pou familières mais en un vers tout frappé à son
emproir.te, avec un mot abstrait un peu lourd et un
mot pittoresque fort simple, il nous fera voir les tiges
qui plient souslo poids des épis bien pleins
âii xsvâSpovwr,?t«£u<;viûoitvIpseÇe*.
Un autre trait de la langue hésiodique, c'est l'emploi
fréquent de tours indirects, de périphrases ingénieuses,où nous retrouvons encore quelque chose de la bonho-mie malicieuse du peuple grec et de son goût pour lesfinesses du langage. Au lieu de dire tout simplement,« Si tu agis ainsi, tu pourras remplir do blé tes ampho-» res », il aimera mieux nous faire entendre la chosed'une manière détournée « De cette façon, dit-il, tu
mérique,maisl'emploiqu'enfaiticiHésiodea quelquechosedehardietdetrès personnel.
i. Travaux, 447 Koup4«po{ f«P «^ÎP !«*' «(ripwsaç £irro»|T«.2. Travaux, 473.
604 CHAP. XL – LES TRAVAUX ET LES JOURS
h auras Heud'ùter les toilos d'araignées de tes amjilio-» toa t. »Ce n'est pas seulement l'image qui lut a plu,
mais il se satisfait lui-mémoon disant unochose au Heu
d'une autre qui y tient do près, et on faisant deviner
la seconde pur la première. Domôme encore, là où un
uutro dirait IlSi tu labouros trop tard, tu foras unu
» maigre récolte », voici comment il s'exprime « As.
» sis pour moissonner, tu no proudras dans la main
» que quelques épis ot tu to couvriras do poussière en
mliant tes gerbes Il Cespotits artifices de langage
sont absolument étrangers à la tradition homériquo»H
ils doviendraiont fatigants si le poète on abusait; mais
employés à proposau milieu d'un poèmedont la languo
est en général si saine et si savoureuse, ils lui donnent
un attrait do plusAu point de vue do la structure do la phraso, la poé-
sie hésiodiquo dans les Travaux n'a pas l'ampleur ni
la souplesse homériques, et on peut diro qu'elle no les
recherche pas. Elle aime les sentences, et en dehors
mémo do co qui mérite proprement ce nom, la forme
sentencieuse est celle qu'elle a presque toujours en vuo
et dont elle so rapproche le plus possible.Peu ou point
de grands mouvements; une phrase brève, solide, bion
sonnante, éminemment propre à servir toutes les qua-
lités moyennes de l'esprit puis dos antithèses, des rap.
prochements de mots, tout ce qui donne à une pensée
de l'originalité et du trait Une telle manière do gou-
'1.Travaux,475.2. Travaux, 480.3. Signalons aussi quelques expressions énigmatiques, telles que
« le mortel A trois pieds » pour dire « le vieillard », v. S33; « l'ani-
mal sana on »,pour désigner un poulpe, v. 524 • l'arbre à cinq bran-
ohes », c'est-à-dire la main, v. 743. Il n'est pas sûr que les passages
et »\\m m tmavent soient d'Hésiode, mais elles n'ont rien qui répa-
gne A sa manière.
4. Quintilien, X, I, 52 Raro assurgit Hesiodus. tamen utiles
DIFFUSION' DE LA POÉ>JilK PRATIQUE 605
vornor le langage poétique marque une évolution im-
portante dans l'hisloiro littéraire du peuple grec noussaisissons là nno curieuse transition entre l'épopée et
l'élégie morale, et déjà noua pressentons do loin la nais-sanco de la prose.
Yll
Au poème dos Travaux sq rattachent un certain noin-
bro d'œuvros poétiquos que l'antiquité attribuait géné«ralomont à Hésiode; nous sommes hors d'état aujour-d'hui d'on indiquorou d'en discuter l'origine ni la date.
Ces poèmes ne nous sont connus que par leurs titres,
par quelques rares fragments, parfois suspects, ut pardos témoignages insuffisants. Et toutefois, quand les
titres seuls subsistent, ces titres mêmes ont un intérêt:
ils nous laissent deviner l'importanco et l'extension d'un
genre dont nous venons d'étudier le typeLo caractère commun des poèmes on question, c'était
de donner dos règles ou des préceptes. Les uns conte-
naient l'exposé des principes et des procédés de certains
arts: véritables traités.rossomblant par conséquent plusou moins à la partie des Travaux qui concerne l'agricul-ture et la navigation. Les autres consistaient en séries
de recommandations morales; ils se rattachaient ainsi
plus directement à la première partie du même poème,à celle que nous avons appelée l'Exhortation.
On ne sera pas surpris do rencontrer tout d'abord deux
traités de divination l'Ornithomantie et les Commen-
taires sur les prodiges. Nous avons déjà noté les rap-
ports du calendrier qui fait partie des Travaux avec l'art
circa praeceplasantenliae,levitasque verborumet compositionisprobabilis daturqueei palmainUlomediogénèredlcendi.
506 QHAP. XI. – I.KS TRAVAUX ET LES JQUflS
dosdevina. Hésiode,d'après l'ausanias, passaitpour avoir
appris la divination chez les Àcarnanions».Instruit par
eux, il avait composéses poésiesdivinatoires,c'esl-a-dire
les deux poèmes qui viennent d'être cités s. La divina.
tion par les oiseauxet la divination par lesprodiges étant
les deux formes principales do la mantiquo ancienne,
cesdouxoxposôsdidactiques se complétaient l'un l'autre.
Tout ce quo nous en savons, c'ost que YOrnithomanlit
était quelquefoisrattachée aux Travaux et considérée
comme une partie do co poème s.
L'Astronomie n'ost guère mieux connue. On rapporte,
il est vrai, à co poème quolques légendes astronomiques
dispersées chez les auteurs anciens. Mais il est à re-
marquer quo la plupart de cos récits sont simplement
attribués à Hésiode, sans aucune mention spécialedo
l'ouvrage auquel ils sont empruntés; ils peuvent donc
appartenir à d'autres poèmes, et particulièrementaux
Catalogues
1. Pausan., IX. 3i.
2. "Eot) (lavTixx.Pausan., ibid. On a fait de ces mots par méprise
un titre distinct; cette opinion été réfutée très nettement par Marek-
eheffel, ouv. cité, p. 113et suiv.
3. Ce fut Apollonios de Bhodes, seiuMe-t-H, qui sépara définitive-
ment VOrnUhomanlie des Travaux. Scolie de Produs, Travaux, v. 821
ToiStotctti&xowii wee tr,v 'Opviflonavwlav, ôtiva 'AitoXXeâvio«6 P«io{
ititet. Marckacheffel a supposé, non sans vraisemblance, que le rat-
tachement de VOrnithomanlie aux Travaux aurait eu pour cause le
dernier vers de ce poème
opvi9a;xpivwvxal irapSancac iXuîvuv.
4. Une épigramme de Callimaque sur les Phénomènes d'Aratos
(Epigr., XXIX) semble viser ce poème, mais elle ne le nomme pas,
et elle pourrait bien se rapporter simplement à la partie astronomi-
que des Travaux (Marckscheffel, p. 195). L'Astronomie ou Attrologie
d'Hésiode n'est mentionnée expressément que par Athénée (XI, «91
G), par Pline l'ancien (H&<.fiat., XVIII, 25), qui n'en admettent ni
l'an ni l'autre l'authenticité, par Plutarque {Oraclesde la Pythie, 18),
par Tïotzcs {ChU.. XII, «9 sqq.) et par le seoîisste des Tr»«<uœ
(v. 382). Aucun de ces témoignages ne remonte au delà de la période
romaine. On a donc pu supposer que c'était en réalité une composi-
DIFFUSION DE LA POÉSIE PBATIQUE 507
Cestrois compositions avaient sans doute plus ou moins
le caractère do traites, Los Préceptes de CMron étaient
tout autre chose, .Rien ne devait plus ressembler à la
premièro partie des Travaux que co poème tout moral.
Nous savons par Pausanias (IX, 31) qu'il se composaitdo conseils donnés par le centaure Chiron au jeune
Achille, son élèvo, Le début nous a été conservé<
« Metsbien dans ton esprit, si tu veux ôtre sage, chacune
de ces choses,En premior lieu, lorsque tu entres dansta de.
Meure, accomplis au l'honneur des dieux immortels les cé-rémonies qui conviennent. »
Il rôsulto do la forme de co passage quo lo centaure
était censé adresser la parole au jeune héros. Celte
donnée fictive était certainement fort propre à corrigerl'aridité naturelle des préceptes en y mêlant un élément
dramatique, il est fâcheux qu'aucun fragment no nous
permette d'apprécier l'importance do cet élément. Tou-
jours est-il que ce poème semble avoir joui d'une grandeconsidération dans l'antiquité. Pindarey faisait allusion:
«On dit qu'autrefois, dans les montagnes, le fils doPhilyradonnait au jeune Achille privé de ses parents ces con-
seils d'honorer d'abord entre les dieux le filsde Cronos,mattre redouté des éclairs et de la foudre puis de
rendre aux auteurs de ses jours le respect et les devoirs
réglés par les lois éternelles* .» » Aristophaneplus tard
tournait en parodie quelques passages du même poèmeet un autre poète comique, Phérécratès, l'imitait d'une
manière non moins irrévérencieuse3. Quintilien enfin le
tionassezrécente,misebouslenomdu vieuxpoètedesTravaux.OUfriedMillier(ProLad Myth.,p. 193)la considéraitcommeappartenantà la périodealexandrine.
1. Scol.de Pindare,Pyth.,VI,19.2. Pind., Pyth.,VI.3. Bachmann,Anecd.Graeca,II, p. 385(Didot.Ari&toph.fragm.,
XVIII).
008 CHAP. XI. – LES TRAVAUX ET LES JOOBS
citait encore commo faisant autorité on matière d'édu-
cation'. Personne avant le grammairien alexandrin Aris-
tophane de Byxanco n'avait mis en doute qu'Hésiodon'on fut l'autour Cette question d'authonticilé nous
échappe aujourd'hui complètement.Il paraît certain que les Préceptesde C/tiron ainsi que
YOmithomantie étaient anciennement rattachés aux
Travaux, et quo cos divers poèmes ainsi groupés for-
maiont ensomble un corps dopoésie hésiodiquo C'était
sans doute à cet ensemble, ainsi qu'on l'a supposé avec
beaucoup de vraisemblance,quo s'appliquait la dénomi-
nation do Grands Travaux (MeyiXaEpyx)*. 11est donc
inutile d'admettre que l'antiquité ait possédé sous ce
titre un autre poèmehésiodiquosur l'agriculture, beau-
coup plus étendu quo los TravauxNous ne mentionnerons ici que pour raémoiro un
certain nombre do titres do prétendus poèmes hésiodi-
ques qui n'ont jamais existé ou qui n'ont rien de com-
mun avec l'ancienne poésie épique. Tels sont le Tour
du Monde(r*iî Twpîo&o;),les Discoursdivins(QeîoiXôyoi),les Hymnes (Tjuioi), les Histoires phéniciennes ($onu-
x«x), les Salaisons (Ilepl txfi^m)*. Laissons de côté ces
fantaisies pour passer à l'étude dos poèmes généalo-
giques, seconde grande forme de la poésie hésiodi-
quo.
t. Quintil.. Intl. oral., I, 1, 15. cf. Isoor., ad Nieocl., 43.
2. Même passage.3. Pausan., IX, 31.
4. Athénée, VIII, p. 364.
5. L'opinion que nous rejetons ici repose uniquement sur quelques
testes mal interprétés; voir à ce sujet l'excellente discussion de
MarckseheffeL ouv. cité, p. 202-215.Il est hors de doute que si un tel
poème avait existé, nous le trouverions mentionné fréquemment et
expressément distingué des Travaux.
9. Sur l'origine probable de ces méprises ou de ces fautai»!»», con-
sulter Marckscheffel. ouv. cité. p. 197et suiv.
CHAPITRE Xlï
LA THÉOGONIE ET LA POÉSIE QKNKAI.OO1QUE
SOMMAIRE.
1. Idéede la poésiegénéalogique.– H. Analysedela Théogonie,III. Unitéprimitivedu poème.Desseingénéralde l'auteur.Con-jectures sur la date de l'œuvre. Accroissementsprobables.IV. Méritepoétiquede la Théogonie.Versificationet languedu
poème. – V. Autrespoèmesgénéalogiquesattribués à Hésiodeles Catalogues,les GrandetÉées,etc. Petites épopéeshéslodi-
ques.
1
La poésie généalogique n'a pas moins d'importance,dans l'ensemble de l'œuvre attribuée à Hésiode, que la
poésie pratique. Celle-ci annonce l'avènement prochainde la philosophie, celle-là fait pressentir le premieressor de l'histoire. Dans l'une, la réflexion grandissanterecherche les règles de la vie, dans l'autre elle entre-
prend de fixer l'ordre des temps.Nous avons dit par où cette poésie se reliait aux hym-
nes primitifs. Comment s'en détacha-t-ollo ? Sans donto
par la croissance naturelle de l'esprit historique. Dans
les hymnes, les généalogies ne figuraient qu'à titre
d'élément accessoire un temps vint où le besoin au-
quel elles répondaient fut assez fort pour qu'elles dus-
610 CHAPITRE XII. – LA THÉOGONIE
sont constituer un gonro à part. L'épopée ionienne, si
riche en beaux récits, no pouvait à elle soulo donner
satisfaction au désir qu'on avait de connuîtro le passé
sans doute elle représentait d'une manière dramatique
et saisissante certains groupes d'événements, elle fai-
sait revivre beaucoup do personnages illustres, mais elle
ne montrait ni l'origino des traditions ni la continuité
des famillos. Au goût d'ordre et d'arrangement qui a
toujours distingué l'esprit hollénique, cotte résurrec-
tion partielle des choses anciennes no suffisait pas.:
plus les mythes et los légendes se multipliaient et se
compliquaient, plus il devenait nécessaire de los coor-
donner. Ce travail de coordination fut proprement l'œu
vre de la poésie généalogique ».
Celle-ci dut grandir par conséquent à côté do la poé-
sie épique narrative, qu'elle servit à 'compléter. Tou-
jours la même au fond, elle varia dans la forme. Tan-
tôt, comme une sorte do chronique locale, ello s'attacha
exclusivement aux traditions d'une seule tribu ou do
quelques tribus voisines; tantôt, plus'largement helléni-
que, osant s'élever au-dessus des préjugés et des souve-
nirs du canton, elle entreprit de grouper les légendes
divineset humaines en de grands ensembles que la Grèce
entière pût adopter. Ces deux formes du même genre
sont représentées presque également dans la collection
dont nous avons à parler; mais il semble bien qu'entre
tous ces poèmes, les deux plus importants, la Théogonie,
pour les dieux, les Catalogues, pour les héros, aient dû
précisément leur prééminence, en grande partie du
moins, a ce qu'ils offraient l'un et l'autre au plus haut
degré ce caractère panhellénique.
1. Le goûtauquelcettepoésiedut donner satisfactionà l'origla»
se retrouvait encore«lu» les Spartiates au tempsde Piston. Hïpp-
maj.,p. 285 ïhfi. tôv Yïvôvtôv te *?<â»v«il tûv4v8(><S«wv«l tûv
mrcoixtoeujv,&i*oip/aTovixït<rtn«tvat *6Xt«{,«aim»XX^68nv«"V *«
âpXaloioï'<ltî^8tot«àxpoavtai.
ANALYSE DE LA THÉOGONIE 611
La Théogoniea soule subsisté: c'ost pour nous commele type du genre généalogique. Peu d'œuvres littérai-res ont été plus discutéos. Disons tout de suite que,pour la bien apprécier, los jugements portés sur Hé-siode dans le chapitro précédent ne doivent pas pren-dre trop d'inOuoncosur l'osprit du lecteur. En réalité,la Théogoniediffère absolument des Travaux ni l'ob-jet principal de J'auteur, ni sa manière de composer,ni son tour d'esprit ne sont identiques dès le début,nous le verrons se distinguer lui-même d'Hésiode, touten se donnant pour un continuateur de son œuvre.Poète indépendant, considérons-Io donc dans son œu-vre porsonnelle, sans aucune préoccupation do retrou-ver en lui des traits qui nosont pas les siens.
II
La Théogonie, dans son état actuel, est un peu plusétendue que les Travaux; mais elle ne se divise pas,comme ce poème, en un petit nombre de groupes aux.
quels on puisse donner des noms distincts. C'est une
longue énumération, dont toutes les parties ont une
importance égale. Un seul morceau se détache à pre-mière vue de l'ensemble l'introduction. En l'étudianttout d'abord, nous entreverrons en abrégé l'histoire du
poème entier.
Il n'est personne peut-être aujourd'hui qui mécon-naisse la vraie nature de cette introduction (v. i-115)assemblage de morceaux fort divers, dont il n'est pas fa-cile de déterminer la provenance. Nous croyons y dé-
couvrir, quant à nous, trois développements princi-paux qui peuvent être restitués avec vraisemblance;le reste se compose d'additions successives qu'on ne
513 CHAPITRE XII. – LA THÉOGONIE
saurait essayer de déterminer sans avoi»%le texte à la
main.
Si nous dégageons le plus ancien do ces trois tlévo-
loppements, nous y voyons un poète qui se met on
scène Itii-mèmo son propre témoignage nous éclaire
immédiatement sur sa personne et sur son dessein
« (v. i-4). Commençons, dit-il, par chanter les Muses héli-
coniennes, les Muses qui habitent la haute et divine monta-
gne de l'Hélicon, et qui autour de la source sombre dansent
d'un pied léger, près de l'autel du puissant flls de Kronos.–
(v. 22.34). Ce sont elles qui autrefois enseignèrent à Hésiode
un noble chant, tandis qu'il faisait paitre ses agneaux au
pied de l'Hélicon divin. Quant à moi, voici en quels termes
elles me parlèrent d'abord, les Muses olympiennes, filles de
Zeus qui tient l'égide « Bergers rustiques, hommes vils
qui n'avez souci que de manger, nous savons dire beau-
coup de choses fictives qui ressemblent à la vérité, mais
noua savons aussi, lorsque nous le voulons, proclamer des
choses vraies. » Ainsi parlèrent les Elles du grand Zeus,
déesses au doux langage, et elles me donnèrent, comme
sceptre, une branche de laurier toute en feuilles, pousse vi-
goureuse qu'elles venaient de cueillir. En même temps elles
firent nattre en moi >ar leur soufne le chant divin, afin que
je me misse à célébrer les choses futures et les choses passées,
et elles m'ordonnèrent de mettre en hymnes la filiation des
dieux éternels, en les chantant elles-mêmes dès à présent et
dans l'avenir sans jamais cesser. (v. 104-107).Salut, filles
de Zeus, accordez-moi de plaire en chantant, et célébrez
avec moi la sainte filiation des dieux éternels, ceux qui sont
nés de la terre et du ciel étoile, ceux qui sont fils de la som-
bre nuit, et ceux que la mer aux flots salés a mis au monde8. »
1. Le nyatème que nous proposons ici aurait besoin sans doute
d'êtrejustifié plus longuement.Mais en de telles matières l'importantn'est pas d'arriver à une précision absolue, car cette précision ne
serait jamais qu'apparente. Il s'agit surtout dé distinguer les trois
idées principales qu'on croit découvrir au fondde cette introduction.
Quantà la manière de reconstituer les trois développements,elle est
nécesasiremeut eoujecluïate et emporte par conséquent plusieurscombinaisonsqui se valent, à peu de chose près.
2. Cet exorde est formé de trois morceaux aujourd'hui séparés
ANALYSE PU POÈME 5ia
33
Tout se tient dans ce développement fort simple quinous parait constituer à lui seul l'introduction priitii-tive. Le poète, quel qu'il soit, se donne pour une sorte
de révélateur, inspiré directement par les Muses. La
mission qu'il a reçue d'elles est analogue dans sa pen-sée à celle qu'elles coutièrent jadis à Hésiode et cette
analogie est aussitôt expliquée tous deux s'adressent
à un auditoire de pâtres, de paysans, tout occupés des
choses matérielles, et tous deux sont chargés de leur
faire entendre le langage divin de la poésie, mais d'une
poésie uniquement faito de vérité. Hésiodo leur a en-
seigné le travail et la justice; son successeur va leur
dire les générations des dieux; morale d'un côté, reli-
gion de l'autre, deux aspects do la sagesse éternelle;voilà on quel sens la Théogonie se rattache aux Travaux.
Aussitôt après cet oxorde, les généalogies divines com-
mençaient.Si le respect dos œuvres littéraires eut été connu
des aèdes, ce début serait resté toujours tel qu'on vientde le lire; mais rien ne leur était plus étranger que ce
sentiment. Quand l'auteur du poème eut disparu, un
autre aède eut l'idée d'en modifier l'introduction. Dans
quel dessein? Le premier poète avait parlé de lui-même;cela intéressait pou son successeur. Une gracieuse fic-
tion lui parut préférable; il imagina de mettre en
scène les Muses elles-mêmes et de supposer que c'é.
taient elles qui récitaient le poème de là un nouveau
début, pour lequel d'ailleurs il emprunta sans scru-
pule à son prédécesseur ce qui lui parut convenable
«(y.1-4).Commençons,disait-il en reproduisant les premiers
(1-4,22-34et 104-107).J'ai indiquéla séparationpardes traitspourqu'ellefrappâtimmédiatementle lecteur.Il y a là troisgroupesdis-tinctsd'idées, cequi dupliquequ'oùait pu intercalerentre euxdesdéveloppementsnouveaux mais les troisgroupesse fontsuite toutnaturellement.
514 CHAPITRE XIJ. – LA THÉOGONIE
vera du début primitif, «orarainçonspar chanter Ils Muses heii-
«mienne*,lesMusesqui habitent la haute et divine montagneet qui
autour de la sourcesombredament d'un pied lig«r,prèt de fauteldu
puissant fi» de Kronoê.»
Puis il continuait
« (v. 8-2) Elias venaient de se baigner, vierges délicates,
dans les eaux du Fermasse, ou dans Hippocrône, ou dans
l'Olméos divin «; et ensuite, au plus haut de l'HèUoon, elles
avaient formé leurs chœurs de danse graoieux, au rythme
vif et charmant. C'est de là qu'elles partirent, enveloppées
d'ombres, et s'en allèrent à travers la nuit, jetant dans les
airs leur voix enchanteresse et elles chantaient Zeus qui
porte l'égide, et la divine Hère, déesse d'Argos, aux sandales
d'or. et la fllle de Zeus, Athènô aux yeux bleus, et Phœbus
Apollon, et Artémis aux traits rapides, etc. »
Suit toute une énumération brillante ot sonore, pre-
mior cortège do dieux qui défllent sous nos yeux avec
une pompe royale. L'énumération théogoniquo, c'ost-
à-dire le corps du poème, s'y rattachait naturellement*.
Puis, pour terminer, le môme poète, s'adressant à ses
auditeurs ordinaires, princes et chefs de tribus, leur dé-
diait, en forme d'épilogue, un hommage où les Muses
reparaissaient encore, comme dans la fiction éclatante
du début:
(v. 75 87) Voilà ce que chantaient dans la nuit les Muses
qui habitent l'Olympe, toutes les neuf, filles du grandZeus,
Clio et Euterpe, Thalle et Melpomône, Terpsichoreet Érato.
Polymnie et Uranie, et enfin Calliope. Celle-ci est la plus no-
ble de toutes car eest elle qui s'attache aux rois qu'en-
1. Cechangement de temps, sur lequel on a beaucoupdisserté, me
parait s'expliquer ainsi tout naturellement. Les premiers vers rem.
cent l'habitude des Nases, ce qu'elles font d'ordinaire; les suivants
se rapportent à la scèneparticulière que composele poète.
S.Je supposequ'après le vers 2» commençaitla Tkéogonwpropre-
ment dite, avec le v«w «5 légèrementmodifie.
T|ivouv 8' &(npiSnvra%&*Siftv«i\ «. t. I.
ANALYSE DU POËME 815
toura le respect public. Celui d'entra les roisissus des dieux
que les filles du grand Zeus honorent et qu'elles regardentavec faveur à sa naissance, elles lui versent sur la langueune douce rosée, et de sa bouche coulent des paroles douéescomme le miel; tout le peuple ales yeux fixés sur lui, lors-
qu'il résout les procès par des arrêts pleins de justesse sûrde sa parole, il termine habilement les plus ardentes que.relles (v. 68.74). Ces Muses allaient alors de l'Hélicon vers
l'Olympe et faisaient retentir avec grftce leur voix immor-telle. La terre sombre répétait au loin leurs chants, et sousleurs pieds un doux bruit rythmé s'élevait, tandis qu'elles serendaient auprès de leur père. Celui-ci est le dieu qui règnedans le ciel, le maître du tonnerre et de la foudre auxlueurs sinistres, le puissant vainqueur de son père Kronos.Il a distribué aux Immortels leurs honneurs avec équité etmis chacun d'eux à son rang. >
Magnifique morceau final, où la vision gracieuse s'a-
chève dans une imago sereine et grandiose, qui ré-
sume tout le poèmeVoilà donc déjà deux développements distincts déga-
gés de l'assemblage confus que nous étudions. JI y en
a un troisième et dernier, qu'il suffit d'indiquer, car il
subsiste intact dans le texte actuel c'est un chant en
l'honneur des Muses (v. 36-67). Hymne descriptif, quicélèbre la beauté de leur voix, l'enchantement qu'ellesprocurent aux Immortels, leur naissance et leur séjour
1.L'œuvre du second aède comprenddonc un débat et un épilogue.Le débat est formé des 21 premiers vers du poèmeactuel; l'épiloguedes vers 75-87et 68-74.C'est Otfried Moller qui a vu le premier quecesvers 68-74devaient être un débris d'un épilogue. Je complètecetépilogue en y ajoutant les vers 75-87,grâce auxquels la fiction duchant des muses est heureusement rappelée en terminant. La trans-position de ces vers s'explique naturellement par les additions quiont été faites au morceau sur les rois après le v. 87.Si cet épiloguea été placé Ici, c'est que, de bonne heure, la Théogoniea cessé, pourainsidire, d'avoir une fin, puisqu'on l'allongeait indéfinimentpar denouvellesgénéalogies. On a d&alors rassembler au commencementl'épilogue ou las épilogues dont on se servait ordinairement, à cotédesdiverses introductions qui étaient aussi en usage.
616 CHAPITRE XII. – LA THÉOGONIE
sur le mont Olympo. Ce morceau est absolument indé.
pendant do co qui précède et de ce qui suit. Il consti;
tuait par lui-même un troisième début complot, fort
bien approprié à une récitation do la Théogonie; et
comme il représente les Musoa chantant non soute-
mont les dieux, mais aussi los héros et lesgéanls(v. 50),
il semble qu'il convenait particulièrement lorsqu'on réu-
nissait dans une môme récitation certains morceaux
des Catalogues ou de quelquo Gigantomachie à la
Théogonie proprement dite».
I,« juxtaposition do ces trois introductions poétiques
dans l'introduction actuelle montre asse* par quelles
vicissitudes a du passer le poème. Attendons-nous donc
à en retrouver la trace dans quelques parties au moins
de l'énumération théogoniquo elle-même.
C'ost le poète de la première introduction, le disciple
dllésiodo, qui est pour nous l'autour principal du corps
du poème. Sos vers nous l'ont déjà fait connaitre.
Homme simple et attaché aux traditions, il tient des
Muses une mission qu'il veut remplir sa poésie, dédai-
gneuse dos fictions brillantes oudramatiques, est unique-
mont au service de la vérité. Un immonso enchaîne-
ment do généalogies s'offre à son esprit non do simples
généalogies humaines, mais les lignéos mêmes dos
dieux; dieux du ciel, dieux des eaux, dieux de la terre
et des montagnes, dieux d'autrefois et dieux d'aujour-
d'hui en somme, tous les temps et tous los lieux, la série
des siècles et l'immensité de l'univers. Est-il insensi-
ble à la grandeur do ce spectacle idéal qui est son sujet
même? Assurément non; mais on ne peut nier que le
l. II sembletrès probableque cecbantétait quelquefoisdétaché
de la Théogonieaprès qu'il y eut pris place,et réeitô commeun
hymneparticulier.C'estcequ'Ouï. MttUera conjecturé{llisl.de.la
UU.9> t. 1. p. 187)d'après Plutarque(Proposdetablt, XIV,.l)'Extojtou«ntovSiîèiWir,irà|«0«toït Moiff«Wxal. «twpaajMV,itpôfrf.v
Wpavlx tov 'HViiîouxk«epit^v t<SvMoDaûvyivwiv.
ANALYSE DU POËME M7
souci do l'ordre et de l'exactitude no prédomine on lui.
Avant tout, co qu'il se propose, c'osl un classement fi-
dèle; contempler ot décrire los dieux n'est pas son
affairo; il a une tache toute différente, tache qu'il a choi-
sie et qu'il aime, c'est do los dénombrer et de les grou-
per. Par suite, peu d'épisodes, mais beaucoup de noms
assemblés; des familles succédant à des familles, tou-
tes rangées autour do leurs chefs, et gardant leur rang
dans cette sorte de défilé mythologique. Comprenons
bien ce qu'il a voulu, car c'est ce dessein, poursuivi
avec une imperturbable régularité, qui explique la
structure do cet étrange poèmo et qui on fait la gran.
deur.
On n'analyse pas une énumération; mais lorsqu'elle
suit une route définie, on peut en indiquer la direction
générale. Celle-ci a son principe régulateur, son allure
propro et persistante, ses habitudes; voilà co que nous
devons essayer d'indiquer brièvement
Et d'abord quelle est, pour ainsi dire, la loi intime
qui règle co défilé dos dieux ? Il n'y on a qu'une, qui
est l'ordre même dos temps. D'âge on âge, en suivant
le poète, nous portons nos regards des afnés aux plus
jeunes. Seulement, dans ces générations si denses, où
d'un même père et d'une mémo mère naît parfois tout
un groupe de dieux, quand tous les frères ont été d'a-
bord nommés simultanément, chacun d'eux reparait à
son tour comme chef de famille confondu tout à l'heure
1. La Théogoniea êté analyséeen détail,d'unemanièreexplicativeet critique,par Schœmann tout le secondvolumedeses Opusculesest consacréà cepoème.Voiraussi l'analysede Bergk,dans son
Bist.dela lillér. gr., et lesouvragescitésparnousdansles notesde
cechapitre.Ontrouveraun tableauanalytiquede la Théogoniedans
l'atlas (p.8et9)queM. Boucliô-Leclercqa joint à sa traductionde
VBist.grecquede Curtius.En outre,il faut mentionnerle travailde
J.-D. GuiRniaut,Dela ThéogonieaBésiode,Paris, 1833.etunchapitre
déjà citédu livre deM.J. Girardsur leSentimentreligieuxen Grèce
0. 1. ch. h).
818 CHAPITRE XII. – hK THÉOGONIE
avec ceux do son Age, il revient maintenant, séparé
d'eux, mais entoure de sa descendance. Les frères se
succèdent ainsi, jusqu'à l'épuisomonl de leur généra.
tion. Derrière chaque chef marche toute une phalange
divine, ici les enfants de la Nuit, plus loin los fils et
filles do Thaumas ou de Phorcys, d'autres ensuite et
encore d'autres, troupes nombreuses, qui se pressent
sans jamais se confondre. Le principe qui domine l'en.
semble domino aussi les parties chacun do cos grou-
pes se divise à son tour, et toujours selon le même
mode. Uno apparente dérogation à la loi commune
nous fruppo-t-ollo ? Regardons plus attentivement;
presque toujours la raison, d'ahord cachée, nous appa-
raîtra. Ce groupe qui no semblait pas à sa place se rat-
tache par une alliance importante à un autre groupe
plus joune; c'ost avec celui-ci, pour ainsi dire, qu'il
entre dans l'histoire, et voilà pourquoi le poète les a
réunis. Son ordonnance générale est droito et simple,
mais sans raideur. C'est un constructeur savant, si l'on
veut, ou encore une sorte de stratège de l'armée di-
vine, ancétro lointain de Xénophon qui décrira un jouravec tant de goût les belles évolutions militaires, et,
comme son. descendant, s'il aime à la passion l'ordre
et la symétrie, il l'aime en véritable Hellène, toujours
souple et ingénieuse.A l'origino des choses, trois êtres primordiaux. Au
delà d'eux dans le passé, il n'y a rien, car ils sont eux-
mêmes le commencement; ni l'imagination ni la tradi-
tion helléniques ne remontent alors plus en arrière.
Quels sont cos trois êtres? Chaos, c'est-à-dire proba-blement l'espace vide, Gaia ou la Terre, Éros enfin ou
l'Amour. Éros n'a point de postérité Chaos n'a enfanté
que peu de temps; Gaia seule est vraiment féconde.
Les premières générations constituent le monde toute
une cosmogonie se laisse voir en abrégé dans des in-
ANALYSE DU POÈME 519
dications rapides la masse torrostro s'organise, la lu-
mière se dégage des ténèbres, le ciel se déroute au-
dessus des montagnes naissantes, la mer se reposedans son lit profond. Phénomènes mystérieux, nulle-
ment décrits, mais contenus et comme voilés dans
quelques noms expressifs, Érébos ot Nyx, Éther et Hè-
méré, Ouranos et Pontos « ({16-132).Alors commence à proprement parler l'immense dé-
roulement des générations. Voici colles qui procèdentd'Ouranos ot de Gaia tes Titans, tes Cyclopes, les Hé-
catonchircs. Ici un épisode, la révolte des Titans con-
tre leur père Ouranos. Quelle en est au juste la portée ?Y
Rien ne l'indique est-ce une révolution céleste à pro-
prement parler, un pouvoir nouveau succédant à un
pouvoir ancien? Ainsi l'interprète la mythologie des
temps postérieurs; mais le poète lui-môme n'en ditrien. Son Ouranos n'est pas un roi du monde, ni sonCronos un usurpateur. Tout à son œuvre de nomencla-
ture, il a rapporté en passant un vieux mythe néces-
saire, et sans l'expliquer davantage, il continue sa
route. Avec les lignées de Nyx et de Pontos, une séries'achève: les premiers nés de l'univers ont épuisé leurfécondité (132-336).
C'est le tour des Titans, Okéanos, Hypérion, Crios et
Koios, puis Cronos. Si Japétos est omis pour le moment,c'est que sa lignée s'est illustrée uniquement par sesluttes malheureuses contre Zeus, le plus puissant desGisde Cronos. Laissons le poète nous faire connaître les
Cronides, et quand Zeus régnera sur le monde, les en-
fants de Japétos auront leur tour.
Avec les Cronides (453), un ordre de choses nouveau
semble commencer. Aux dieux primitifs qui n'ont ja-
i Sur la cosmogoniehéssodiqne,H. Flach,Da Sys&mderhesiodis-chenKosmogonie,Leipzig,1874 Th.H. Martin,Mémoiresur la cos-mographiegrecqueà l'époqued'Homèreetd'Hésiode,1874.
5S0 OHAPITBB XII. – LA THÉOGONIE
mais eu d'autels, succèdent ceux dont le culte était cé-
lébré dans les cités grecques. Tout à l'heure une mytho-
logie purement poétique nous était présentée en voici
une maintenant qui est le fond môme de la religion pu-
blique. Mais ce changement, si important pour nous,
le poète en a-t-il conscience ? Nullo différence de ton
ni de méthode, nulle réflexion qui arrête l'esprit, nul
indice, si légor qu'il soit, qui éveille la pensée, De gé-
nération on génération, il a passé des dieux d'autrefois
aux dieux d'aujourd'hui, voilà tout. Les critiques peu-
vent diviser ingénieusoment son œuvro et lui prêter
la conception do grandes périodes distinctes: sa peu-
sée lui reste obscure ou il n'a rien su de tout cela,
ou il n'a pas exprimé ce qu'il savait.
S'arrètera-t-il au moins à nous raconter en détail
l'avènement de Zeus ? Un commencement de récit lui
suffit. Zeus, sauvé par sa mère Rhéa, grandit en Crète,
ignoré do son père Cronos. Devenu fort et hardi, il dé-
livre ses frères et rend la liberté aux Cyclopes. Ceux-ci,
par reconnaissance, lui donnent la foudre, grâce à la-
quelle il règne sur le monde. S'il y a ou lutte entre Cro-
nos et son fils, le poète n'en dit rien. Cet avènement
de Zeus est le plus grand fait de toute l'histoire mythi-
que on est surpris de voir à quel point il s'accomplit
sans bruit et combien le récit lui donne peu d'impor-
tancù.Nous revenons alors à Japétos (507). Sa lignée per-
sonnifie l'humanité d'une manière à la fois grandiose
et tragique. Les quatre fils du Titan sont Atlas, Ménoï-
tios, Prométhée et Épiméthée, tous quatre ennemis de
Zeus, révoltés contre lui, châtiés par lui mythes pleins
d'attrait pour nous, vivifiés en quelque sorte par un
sens hardi et obscur. Pourquoi ici encore la poésie hé-
siodique ne rompt-elle pas ses lisières? Voici une belle
occasion de prendre l'essor elle n'ose pas, ou ne com-
ANALYSE DU POÈME 691
prend pas. Plus que jamais, elle s'onformo dans sa
concision symétrique; quelques mots seulement, commeun sommaire rapide d'anciens récits bien connus, c'esttout ce (ju'ollo accorde au sort de chacun des quatrefrères. Seule, la légende de Prométhée est un peu plusdéveloppée mais ce développement même appartient-ilà la Théogonie primitive ? En partie peut-être, mais non
pas dans son entier; on sent assez, avec un peu d'atten-
tion, qu'il a été doublement grossi, soit à l'aido du
passage analoguo des Travaux, soit au moyen doréflexions parasites
D'où vient donc que ce poète de généalogies, nomen.clatour obstiné dans ses filiations, semble tout à coupdéroger à son principe? Les lignées des Titans sontfinies. Parmi los enfants d'Ouranos, il n'y en a plus
que deux, Thémis et Mnémosyné, dont il n'a encorerien dit; l'une et l'autre figureront plus loin parmi les
épouses de Zous. Pourquoi donc ne nous fait-il pas con-nattre immédiatement les enfants de Zous et d'Hère,tels qu'Ares, Athèné, Héphaistos, qui ont pris placedans l'Olympe?q
Ici encoro, essayons do le bien comprendre. Au fond,si l'ordre dos temps règle sa marche, c'est avec l'aided'une autre idée sous-entendue qui détermine plus oumoins le choix des noms et des épisodes. Obscure jus-qu'ici, elle se dégage à présent plus clairement. Touten racontant le passé, c'est le présent qu'il a en vue.Au moment où il compose, il se représente l'univers en
paix, peuplé de dieux qui acceptent la domination deZeus et règnent sous son autorité. Ces dieux sont iné-
gaux entre eux il faut quo leur histoire rende comptedes attributs et du degré de puissance de chacun. L'u-
t. Il est assez probableque le développementle f>H>«ancienReterminaitau vers534.L'énumérationqui précèdeest complèteetsesuffità elle-même.
53à CHAPITRE XII. – LA THÉOGONIE
nivora est en quelque aorto le patrimoine primitif d'Ou-
raiios et de Gaia; de génération on génération, ce bien
de famille s'émiette entre les enfants des enfants, pos.
térité innombrablo toujours croissante. Il y a des
répartitions à l'amiable et des disputes, des arrange-ments et des violences. La Théogonie, pour ce Béotien
pratique, n'est que l'histoire idéalisée d'une grande fa-
mille et d'un domaine trop étroit. En définitive, tous
ces dieux, si variés de nature et de caractère, de forme
et de puissance, ont fini par prendre chacun leur placemais il y a eu quelques procès bruyants, qui ont été
réglés à coups de foudre, et il faut bien que le poète
nous dise comment.
Deux grands événements ont établi le règne do Zeus
sa victoire sur les Titans et l'écrasement du monstre
Typhoeus. Si les généalogies s'interrompent, c'est pour
faire place à ce double drame nous no sortons pas de
l'histoire domestique des dieux, car c'est entre eux
qu'ils se battent et qu'ils s'allient.
Au reste, dans le drame même, notre poète reste
bien ce qu'il était. Ce n'est pas la bataille qui l'intéresse;
il préfère les négociations. Sa Titanomachie (617-720)1
n'est pas, comme on pourrait s'y attendre, un récit
complet de la guerre des Titans contre les dieux. Pour-
quoi cette guerre? Il n'en dit rien; rien non plus des
péripéties qui se sont déroulées pendant dix ans une
seule chose l'occupe, l'acte final, c'est-à-dire l'alliance
de Zeus avec les Hécatonchires et la victoire qui en
est la conséquence. Toujours préoccupé du résultat,
nous le trouvons ici tel qu'il est partout. Briaréos,
Cottos et Gygès, jadis enfermés par Cronos, sont déli-
vrés par Zeus; un traité est conclu entre les libérés et
le libérateur. Alors la bataille décisive s'engage, ter-
i. En désignantainsi ce morceau,nousn'entendonsanennementl'isolerdureste.
ANALYSE DU POÈME 523
minée bientôt par la défaite des Titans; et leurs véri-
tables vainqueurs, les trois Hécatanchires, les enfer*
mont dans le Tartare. Au milieu du récit, un épisodebrillant se détache, celui do l'intervention personnellede Zeus (v. 687-712); mais appartient-il à la composi-tion primitive? On peut en douter la plus ancienne
poésie théogoniquo avait-elle de ces grands éclats • ?y
Passons rapidement sur la partie descriptive et con-
fuse qui fait suite à ce récit dans le poème actuel (721-
819). H semble que le nom du Tartare, où les Titans
viennent d'être enfermés, ait éveillé l'imagination d'une
série de poètes ou excité l'industrie d'une série d'arran-
geurs, qui ont rapporté ici une véritable collection de
morceaux descriptifs. Voici le Tartare (721-74S), à la
peinture duquel il semble que tout le monde ait mis la
main à la fois; voici le séjour d'Atlas ( 746-766); la de-
meure d'Itades, gardée par le chien qui ne permet à
personne d'en sortir (767-774); puis celle de Styx, une
voûte de rochers soutenue par des colonnes d'argent,et à ce propos quelques détails sur les serments des
dieux (776 806); enfin la description d'un lieu sans nom,où nous sommes tout surpris de retrouver les Titans
tout à l'heure enfermés dans le Tartare; près de là sans
doute, « aux fondements de l'Océan », Cottos et Gygès,les vainqueurs du dernier combat (811-819).
». La plus grave objection contre l'authenticité de cet épisode, c'estqu'il s'accorde mal avec le reste du récit Zens semble y déeider lavictoire par la foudre; mais la foudre n'est pas nue arme nouvelleentre ses mains, et pourtant la guerre est censée durer depuis dixans. Si cette arme le rend invincible, pourquoi n'a-t-il pas vaincuplus tôt? Pourquoi a-t-il du recourir aux Hécatonchires? Le rôle deceux-ci devient même inutile; or tout indique, dans le reste du récit,qu'il a été au contraire conçu comme décisif. En outre, ce morceau,qui est beau, ne l'est pas comme les autres parties de la narrationil vise bien plu» &l'effet. Kmchly le considère, avec beaucoup devraisemblance, comme intercalé par un poète qui aura voulu grandirle rôle de Zeus, trop sacriûé par le premier narrateur aux Hécaton-ehirea.
534 CHAPITRE XII. – LA THÉOGONIE
Rien no ressemble moins à la fermeté de dessin, si
manifeste jusqu'ici dans le poème, quo l'incohérence de
cette partie. Il ost clair que nous n'avoua plus affaire à
l'auteur de la Théogonie. On dirait qu'un premier au.
dacieux ayant fait une brèche au monument pour y in-
sérer un ornement do sa façon, vingt autres, suivant
son exemple, sont venus apporter tour à tour, dansl'ou-
verture béante et sans cesse élargie, des matériaux de
toute sorto. Personne no pourrait entreprendre aujour-
d'hui sans témérité d'en démêler la provenance.
Si nous retranchons par l'imagination toute cette par-
tie, la suite des idées se rétablit. Zeus a maintenu, mal-
gré la révolte des Titans le pouvoir souverain qu'il
s'était approprié. Une seconde révolte le met dans un dan-
ger plus grand encore (820-868). Gaia elle-même suscite
contre lui un monstre épouvantabîo, Typhoeus, en qui
semble se personnifier la violence dos tourbillons. La si.
tuation est au fond la même que précédemment; los
circonstances seules diffèrent mais cette ressemblance
n'a pas lieu do nous surprendre do la part de l'auteur
de la Théogonie, le plus systématique des poètes et le
plus ami de la symétrie. Si, dans son état actuel, le ré-
cit est loin d'être satisfaisant, il paraît aisé, sinon de le
restaurer entièrement, du moins d'imaginer ce qu'il
devait être. Gaia enfante Typhoous que le poète décrit
(820-835). Le monstre se dresse contre Zeus, et il l'au-
rait renversé, si le dieu ne se fût avisé d'un moyen de
salut inattendu (835-838). L'exposé do ce moyen ainsi
annoncé s'est perdu; mais nous le devinons facilement
par le reste du récit. Zeus délivre les Cyclopes comme
il a délivré précédemment les Hécatonchires, et il ob-
tient d'eux la foudre ». Ainsi armé, il dompte et fait
périr son ennemi (852-868) •. ï-a généalogie des vents
1. C'estcequi a étéannoncéplushaut an v. 141.
2. Cerétablissementnécessairedu récit primitifsupposequequel-
ANALYSE DU POÈME 525
funestes (869-880), qui sont fils doTypIioeus, nous rap-
pelle que cet épisode fait partie d'une oeuvre surtout
généalogique.
Après ces deux victoires, Zeus est roi et assuré de
son pouvoir. C'est le moment pour le poète de nous dire
la naissance des derniers Olympiens (881-929). Zeus
s'est uni successivement à Mètis, à Thémis, à Eury-nomé, à Dèmètor, à Mnèmosyné, à Lèto, et enfin à
llèré. Ses enfants s'appellent les Saisons, les Parques,les Charités, Perséphoné, les Muses, Apollon et Arté-
mis, Ubbé, Arès et Ilithyo. En outre il a donné nais-
sance, seul, à Athèné et Hère, seule, à Héphaistos.Voilà donc l'Olympe au complot. Le poèmo primitif de-
vait finir là.
Qu'est-ce donc que les cent vers environ qui en forment
aujourd'hui la dernière partie ? Évidemment une addi-
tion ultérieure, ou plutôt une série d'additions. Nous
y voyons figurer d'abord une sorte do complémentdes généalogies divines (930-962), mais ce complé-ment n'a plus rien do l'ordre si frappant et si ré-
gulier qui règne dans tout le poèmo. Le poète va au
hasard et s'égare dans une énumération confuse, dont
une partie était déjà rejetée par les critiques alexan-
drins. Les mortelles, comme Sémélé, Alcmène, Ariane.
Médée, paraissent ici à côté des Immortels. Nous reiN»
controns môme une lignée d'Hèlios, qui, si elle eût fait
partie de la Théogonie primitive, y aurait figuré certai-
ques vers ontété perduset d'antresintercalésmal à propos.Quel-ques-unsde ceux-ci sont empruntésà la Tilanomaehie(846= 695,848= 681) d'antres ont pu appartenirau récit primitif.Quantà laraison dece bouleversementelle est analogueévidemmentà cellequi a fait introduiredans la Titanomachie,commenousl'avonsvu,tout un épisode.Ona voulugrandir le rôle de Zeus,lui attribueràlui seulle méritede sa victoire,et, pourcela,on a supprimél'inter-vantiondes Cyclopes.Cedieuqui a besointoujoursde quelqueauxi-liaire suffisaitau poèteprimitif;mais, unpeuplus tard,on'futscan-dalisédele voir si peucapablede se tirer d'atiaireà.lui tout seul.
536 CHAPITRE XII. – LA THÉOGONIE
uomont à la suite de la lignée d'Hypérion (371-374) et
non ici. Vient ensuite une Béroogonie (964-1032),énumération des unions contractées entre déesses et
mortels. L'origine relativement récente de ce morceau
a été reconnue d'une manière à peu près unanime De
ces unions sont nés les héros. Nous sortons donc ici de
la Théogonie proprement dite pour entrer dans la sé-
rie des généalogies héroïques. Les doux derniers vers
du poème montrent qu'en effet les Catalogetes, dont
nous parlerons plus loin, étaient reliés à la série des
générations divinos par ce morceau intermédiaire il ya lieu de croire dès lors qu'il avait été composé juste-ment pour sorvir à cette liaison.
III
Une chose ressort manifestement de l'analyse qui
précède c'est que la Théogonieno peut pas s'être faite
peu à peu par une collaboration lente et multiple. Le
lien des diverses parties consiste en une combinaison
trop solide et trop rigoureusement suivie pour n'être
pas due à un seul autour. On ne comprendrait pas unesuccession de poètes s'assujettissant ainsi à une même
méthode, et observant dans leurs compositionsle même
principe, sans jamais s'en laisser détourner par aucune
fantaisie
1. Marekscheffel, ouv. cité, p. 90 et suiv.
2. 1a question de l'unité primitive delà TMogonie doit être étudiée
principalement dans Scbœmann, De compositione Theogoniae, Opusc,t. II, p. 419-509.et dans Kœchly De diverti* hesiodeae Theogoniae par-
Mu», Zuricb, 1860,bien que noua n'acceptions d'ailleurs les conclu-
sions ni de l'un ni de l'anU-e. Sur les interpolations et lacunes, con-
BnHoTSohœmann,Ueinterpoialianibus TheuyQniae,Oputc, H, p. 425-
«64, et Goettling, Praefat., p. sssxx. voir aussi Fiok, Besioih Ce-
diehte, p. 6-42,qui a cru restituer a la vraie Théogonie».
UNITÉ PRIMITIVE DU POÈME 537
Il faut ajouter que chacune des parties, prise en elle-
même, est trop peu de chose pour constituer une œuvre
indépendante. Elles n'ont do valeur et de force qu'à la
condition d'être assemblées, comme elles le sont dans le
poème actuel. Quelques-unes des lignées énumérées se-
raient môme absolument insignifiantes, séparées de
celles qu'elles complètent: celle de Crios a trois vers,celle de Koios en a sept; mais l'une et l'autre sont in-
dispensables dans l'ensemble des généalogies des Ti-
tans, qui remplissent presque tout le poème. Enfin le
parallélisme même de toutes ces lignées serait inexpli-cable, si l'on n'admettait qu'une intelligence organisa-trice a tout distribué il y aurait des rencontres, des
contradictions, des confusions; certains noms appartien-draient à la fois à plusieurs généalogies distinctes;
d'autres, qui sont indispensables, ne se trouveraientnulle part. Le monde divin, dans la Théogonie, offre
l'aspect d'une belle et nombreuse armée, rangée comme
pour une revue; chaque groupe y est à sa place et ne
comprend que ceux qu'il doit comprendre comment
admettre que des bandes, venues successivement de
côté et d'autre, eussent pu réaliser spontanément une si
exacte ordonnance ?q
Mais il faut aller plus au fond des choses. On pour-
rait, tout en reconnaissant dans la Théogonie l'œuvre
d'un organisateur, supposer qu'il s'est contenté de dé-
couper dans des poésies plus anciennes, hymnes ou ré-
cits, les morceaux qui convenaient à son dessein, et quetout son travail n'a consisté qu'à les coudre ensemble.
L'analyse du poème se prête-t-elle à cette hypothèse?Nous n'hésitons pas à dire que non.
Le caractère synthétique et panhellénique de la
Théogonie, tel que nous l'avons signalé tout d'abord, s'y
oppose manifestement; et ce caractère, qu'on veuille
bien le remarquer, n'éclate pas moins dans les détails
538 CHAPITRE XII. – LA THÉOGONIE
(juo dans l'ensemble. Prenons par exemple un des
morceaux qui sembleraient los plus aisés à détacher
du reste, la généalogie de Pontos (333-336). Nousavons,
en une centaine do vers, le groupe à peu près completdes divinités ou des personnifications mythologiques quiont rapport à la mer. Ne pourrait-on pas admettre quec'ost là un développement complet en lut-môme et in-
dépendant à l'origine, que l'organisateur de la Théogo-nie s'est contenté d'annexer toi quel à d'autres déve-
loppements du même genro? Qu'on y réfléchisse. A
coup sûr, on se roprêsonto aisément des légendes loca-
les traitées ainsi isolément. Si nous trouvions, par
exemple, on un groupe, un certain nombre de légendes
divines d'origine béotien no ou locrienue, ailleurs des
iégoudes thossulionnos, ailleurs encore des légendes
Cretoises, il serait bien naturel alors du supposer qu'oneliet chacun da ces groupes aurait existé comme poésie
roligiouse indépendante, avant d'être incorporé a lu
musse commune. Mais en ost-il ainsi Nullement: le
i|roupoque nous étudions ronferinodosdivinilésde toute
provenance. Ce qui en fait l'unité, c'est quo ces divi-
nités appartiennent toutes à une mémo gronde section
do l'univers: c'est un des compartiments du Panthéon
hellénique, et la Groco tout entière a contribué a lo peu-
pler, il y a donc synthèse dans cette petite partie do lit
Tluhiijonic,aussi bien que dans l'unsembla. Cela étant,
voici ce quo suppose lit théorie que mm» discutant*.
Kilo nous demande de croire qu'à un certain moment,
il y a eu eu iireco nombre de poMimqui ont été frappé»biniiiltanéinoiitde l'utilité d'uni» ttyuth^Ho théngoniquiiut uloru, tmiiHtt'oln» coucnrtéH, ils ho hoiiI tu bien euteii-
dtiH«t <imn(*ri»,fjM»l'm» » groupé d'iipi'o* i«» pii»<i|ttt
hm dieux do ht uiiu', uu ituti't» ceux du m\> tin iintti<
iturnin î«iàv»>iitS,f4 îii««i «Jbswite; «littl»w» mtmHU»»»*;
lu ïht'iitjtwe «)tMii|i|Mi»t> putUiti fuiiih! h luirn; t*»i»l»fi*
UNITÉ PRIMITIVE DU POÈME 529
Mutrf«l«Millli-.(iiu II 1 Utt
les parties do la charpente étaient taillées, il a suffi de
les ajuster. On pensera sans doute avec nous qu'il suffit
aussi d'ajuster toutes les parties d'une hypothèse do ce
genre pour qu'elle s'écroule aussitôt.
Donc nullo hésitation possible sur ce point essentiel
II y a eu un poète, quoiqu'il soit d'ailleurs, qui a conçula Théogonie en entier, comme un développement con-
tinu, et qui a réalisé cotte conception. dans lu poème
que nous possédons. Il a rassemblé un jour devant son
imagination toutes les légendes divines, toutes les tra-
ditions qui lui étaient connues il les a comparées, ju-
gées il a fait son choix parmi otlos, et do cette matière
confuse il a tiré une œuvre systématique, dont toutes
los parties sont liées entre ellos. 11estévident qu'un toi
travail n'aurait pas été possiblo, s'il n'eût été préparé a
la fois par un mouvement des esprits et par un certain
nombre d'essais partiels. Mais ni ces essais ue nous sont
connus, ni ce mouvement n'est attesté pour nous pardos faits quo l'on puisse citer. Nous voyons un sérieux
effort et un remarquable résultat comment l'un ot l'au-
tro sa sont-ils produits? Nous l'ignorons. Il faut reeon-
nailru la grandeur do l'œuvre et rononcer à en décou-
vrir Ios antécédents immédiats.
Du moins, nous no devons pas rendre le problème
plus obscur micoro, en prêtant it l'auteur do lit T/téi-
f/onie dos idéos philosophiques qui un mmt pas réelle-
ment empreintes dans Ha composition. Il y n ici uno
uicmurndélicat» n garder; «w il ml égulommit innwl
do diro qu'il «ut tout a fait philoNophiHtt qu'il nol'union
litimimt ftiQiMlA 'toup hAt, hou idoo fouiliitiitMitiilo, etdlo d'tiuiilor H
».futrI» ImiiUiiom|ilitliwi(ihii|ii(i>l»lu ïMn((i>»i*,t\wh|i|iiImmh"»illVUlitOtl.|(( rt|*t'>|Hllll^'M:V(ltl'llKiMMIMIMIl»MlJHHIIHUIII,*•" "|i tnt «I m\u •f'iMr.iin<nt#»tih-rw-uttiwhmtimm^uonin,\<n, '* inUl.l, PHP.fltJ, |4 Mn»HH(»-
530 CHAPITRE XII. – LA THÉOGONIE
de simplifier la mythologie, a en elle-même quelquechose de philosophique tendre vers l'unité, c'est tou-
jours tondre vers la science. En outre, il est incontostable qu'on entrevoit, derrière eet immense déroulementde généalogies, une idée plus ou moins claire de l'orga-nisation progressive du monde. Al'origine, il n'y apourle poète que deux choses, la matière et le vide, unesubstance et une condition d'existence. Il y ajoute un
principe d'union, Éros. Il est vrai qu'il semble ensuite
l'oublior; mais le soul fait de l'avoir nommé ainsi audébut est de la plus haute importance Éros, antérieurà toutes les générations divines, les domino toutes;il est lit personnification mythique d'une des grandeslois de la vie. Admettons, si l'on veut, que ectto idée
n'appartienne pus au poète, qu'il l'ait reguo toute faite
et qu'il no l'ait peut-être comprise qu'a demi; il n'en
reste pas moins que nous trouvons la une trace incon-
tostablod'une philosophie naissante, dont il a subi l'in-
iluoncoii quoique degré. Une clarté se montre à nous
et disparait. On so demande s'il n'on sait pas plus qu'ilne veut ou diro, ou au contraire s'il ne répète pas des
choses qui lui échappent en partie. Kt il un est munide-
puis litcommencement du son oxposéjiiKqu'ata tin. Su
poésie est un voit», derrière lequel on doviue une nii-
gertftndéjà Eu'illuute mais ht voile est épais et richement
hroilé, et l'oit ne naît Htla voix qui iioiih décrit lin»ro-
piVmenlutit'HHdont il «Htorné vient du cAtodelà humain
nu du «tiUédo INimhro.h» mutilation d'Oiinuicm,lu Au-
l'ikite(UmTitan», lit vieluire déilnitivu do Zeua iipifml'»tdl'UKUlUOittileTjjthniiua.tniia mmKiiuuU«vAnom«llt««(•••Httsucridlt'litamtihNtt l'tett Hymlm|inut'luu|ihitttuupiiitrii
|ml«Ktl'Mii»Avulnlimi qui vu do h viithmit» h l*t |t»U.dit iltiKiinliuh riiuiMMmjii,'hm lAiiMtntHh h IimuUuk
VA(imm(MhH(JOi«ijt»sM«iV(t»Hftu'ruti«»'wMi«pvuImUhmrtit*H»t'
UHiiitouHlAtu»(lii'di'.llicfiUillul^VI'|n|i|tlHM!inf,thli'l|H"Min
UNITÉ PRIMITIVE DU POÈME E8t
ble que l'on va trop loin. Si la poète on avait claire-ment conscience, dans quelle intention la cacherait-il?Quand do telles ponséos s'établissent dans un esprit,ellos y exercent l'empire. Si ellos se dissimulent dansla Théogonie,n'est-ce pas parce qu'elles étaient obscures
pour l'intelligence qui ;Pa conçue? No disons donc pasquo l'unité du poème est dans le développement d'un
système fonda sur l'idéa do progrès; non, elle est sim-
plement dans la succession dos généalogies; mais ces
généalogies révèlont une philosophio latento dont 10
poèmo a profité.Nous croyons même qu'il faut y chercher la raison do
sa naissance Rion do plus inoxact quo dose représenterlu Théogoniecomme une œuvre liturgique destinée àfournir des hymnes aux cérémonios roligicusos Le
poème n'a rien do roligieux ilproprement parier. Il visemanifestement à l'instruction, et non al'édilicalion. C'estlo besoinde savoir qui l'a suscité, et c'est fi co besoin
qu'il s'est proposé do répondre. Avant d'être lu, il a dûtUrorécité comme un chant épique, devant le mémo pu-blic et par tes moines interprètes, Do là les uiwoi.sHO-monts et loi remaniements dont nous avons pu donuorune idéo onl'analysant. Musil conquit d'autorité, plan litImitation fut fort» pour «oux qui In rédtuiont d'y insé-rer soit dtm fragmeulHd'autres poésies, suit don itom-
|t|éiueiitsdo leur propre iuvttntiou. Et il «liitonAtrouiimi
jiiHqu'aujour ou il y ont un texte déHiùtivoiiioutumMé,<tmt-Miro nout-ntv»jusqu'aut(MM|ittd<»l'iNintrulo",
Toulonwt* iiliHnmUiitiit»iltHurmiiuint«l'uuomiutUno
n|t|ii(i)»iiitutivo IimIuIimImlu Ththnionif,Ntinuuvmumilil
1.<t~4(''t)'it't")'f!<t')'H~"M)'<'<))" Iti4~ tif4
111'/1 1'1111111111 ."UtlMI",I,! (,H', n Nilil Il h'tIIH" 1111 MillIlll'" l'ml
'<)'4t<4tt))K)Mt~')t<t)tft't(t~)~t't"t~("t't't)~)t"f<ft"t't
~))4t.,))t)ti.)))')t.~).tt)«'~HtXt'))t)Wtt)~)''<'<<A"M~.
588 CHAPITRE XII. – LA THÉOGONIE
déjà qu'oHo n'était pas d'Hésiode et qu'elle était pos.térieure a co poète. D'aprèsle témoignage formel du
Pausanius(lX, 31), los Béotiens de l'Hélicon no recon-
naissaient comme oeuvreauthentique d'Hésiode que los
'travaux. Si l'on songe à la tendance qu'avaient toutes
los cités grecques à revendiquerla gloired'avoir vu naî-
tro les grandes compositionspoétiques, on no peut nier
que cedésaveu n'ait en réalité, quoiqu'onen ait pu dire,
une certaine gravité. Le premier début do la Théogonie,tel que nous avons essayé de lo rétablir plus haut, est
encore plus décisif.Celui qui l'a composése donne pourl'autour du poème, et il se distinguo d'Hésiode il faut
réellement faire violence au texte pour en tirer un
autre sens. Sa façon de parler laisse môme entendre
que la gloire d'IIésiodoest déjà pourlui dans un lointain
plus ou moins profond,et qu'il se propose dola rajeunir.llten d'ailleurs n'est plus conforme à la vraisemblance).
L'oll'ort d'abstraction ost plus grand dans la Théogonie
quo dans tes Travaux on sont qu'on y est plus prèsdes premières tentatives do la science. Et toutefois, il
est impossible d'attribuer à lit Théogonieuno dato troprécente. Gouxquiconsidèriuil co poème comme hnuvrr
d'un simplo nrranguur sont seuls on droit d'admettre
ihihhîqu'il n pris imiHMinctttardivement. En réfutant lu
première opinion, nous avons implicitement rejeté I»
Hommdo,IIy a mmnaïveté dit croyant'» ot do ooiKtoptituidaim mu goiiéulogiiiHtlivimm,qui no p<trm«tt\>m<Iomii|i-
pOMttr«|IM>M |'timitl'<|MttllU»«HHUitlt>ttyiltlltm»Itjt |U| H"
pioiluiii»iHUtuotuip(tprim ht liiiilièmtt mMh, I.h h'iivuil
dtt l'Uitttutlt»ttdu (ittn«i»tm'miii|iniiinmlmihua i AvUiou
du ti>xttf,nin^irt*tiH'itibint|ifiiitnilt>mm d«mtui|ti<»cutln
iltm|iMfi|inmIttHtti'i»ii|td"*li tu»(tout tMn»(iiumUmi,ilmt<
hmpmm)lnttiluti* itfiH,i»iiltMirt'inlitutni miAiimmISuH*»"»
linti iitmvulhi
MÉRITE POÉTIQUE 533
IV
It résulte de ce qui précède quo la Théogonie a unebeauté do structure qu'elle doit à l'idée profondo d'oùoiloost sortie. C'est un genre do beauté sévère quo lesGrecs semblent avoir senti, mais qui échappait déjàaux Latins, et que les modornes ont encore plus dopeine à goûter. « La plus grande partie du la poésiedilésîodo,dil Quiulilion,noconsiste qu'en énumérationsdo noms » Évidemment celui qui parlait ainsi n'ytrouvait pas grand charme,ot nous croyons que do nosjours bien pou do lecteurs seraient d'un autre senti-ment.
Maisil faut se dire que ces noms, insignifiants pournous et par suite monotones, étaient pleins do vie pourlo poète et ses auditeurs. Chacun d'eux lour rappelaitmillo souvonirs, «veillait duua leur aine mille senti,ments confus, et y faisait surgir eu foule dos imagosdo toute sorte. Ils étaient charmésd'ailleurs do tes voirainsi groupés; cet ot*«Ii>oximplo ut harmonieux, quidistribuait les dieux en famille*, donnait satisfaction aun htmoiudes esprits. On était heureux du mmtir qui»désormaisou les connaissait mieux, que l'imiuenHtido-muitwtin In mythologie était miiintuuant faeilo !»par-•loiiiii',ot qu'on pouvait s'y l'utrnuvoi' buiih tnienuol'tiiuo, Ui\m uuti loligioii qui n'avait |toinl il«>liv»o mh
fié, m»|i(if)iiiu t'iniiliiit lin* H'oyanh t|Mti|tt»«t<f-itM>i«Jom
Ht«»vi(i(ia«jM'ilH«iuuitmt|iu iiUitMihoil'itiito^M*rovol»'»,M!«•»i'ttitmtigtmiiwsw»slm\{\ ts\itt'faijttjwimv \w\wm\\<lov-\ww*i|iii M<><Mi|)i(ii'iillintr luiitHiimliiMi.Wl, iittliVliuitdiiOHUUUt.(«l'.ojljé»^,»», III»,»,}!. »»,,{,«,»,““(
1 1Il,ÜII,4. )<i< 1:o1H¡.¡1I1i1"1t'11<1'III"111111'11111(y1t`f.vllt!itliy
ost CHAPITRE XII. LA THÉOQONIE
dos noms dans chaque vers, la symétrie ingénieusedes groupes, la fine variété des consonnances dana les
énumérations, lo choix et la splendeur des épithètes,tous cos menus artifices, auxquels nous faisons à peineattention, aidaient leur mémoire et donnaient du prixaux plus petites choses».
Si étrangers que nous soyons naturellement à cette
façonde sentir, nous pouvons encore nous la roprésen-ter, tout au moins par moments. Lorsque lo poète énu-
mère par oxomploles cinquante fillesde Nérée, ost-ce
une simple liato de noms que ces vers, si curieusement
construits, où apparaissent successivement, avec leursdénominations expressives, les graciousoshabitantes do
lamor?t
«.Dorisot Panopôet la charmantoGulatôa,– Hlppo-thoô, viurgoaimablo,et Hippnnoâaux bras de roso,– etKymodocô,qui sur la mer assombriepar lesnuages – apalsoles flots et calmele rouHIopuissant dos vents,– avec sasœur Kymatoh'iRô,tivooAmpititritoaux beaux pieds –
KtKymoet Eïonô,et Allniédôa lahollocouronne, Olau-oonomâsonrlnntn et Pontoporôln.–Llagoro.ftvagorôetLao-môdMn,–Polynôme, AutonoôotLyriannHsa.–Rvurnâi\ littaillct«raolflHHoot au vianff»ruvlfisant>.»
ToîitnHkmHiiivftntniiiHi,hvoc hnu'Hiiuius hoiiotohot
truiiH|tnr<inlH,dout toute trudiictiou olliictt 1«hoiih ot
dofritl^hit lit hiiuiitfl «HtmHo tmivnnt, ou plutôt dUmHoiiililttntf^litimu'iiittlhiiiMuitiIumhlu llnl limpido d» lit
ItlMttiO,(ÎIHIMltOlit \U\bl»Ht)lilHl'(!p|^H(t||(*tg|J8MIMlt(HIHHI,U|ttflit|Miuut Inn^tua,iIiuihItiBiitilloi'dilolHàm uuiik«|i*'«l-Im»liiihjtniit. H (i<iottt do KtAiiiuou iiiitiut |iitHHii^sUVOf.||f>»Viniôltm(('«tflotHitlUltit'H|(ti ||i |iilfl|(t(iVMI|ll(i
l< fi<iu.d'IUUti..du ituiial..il, u.il itJtùUbi)i Hluk&QiU&VW~N(~9~k~~ir'!fih~nl(.1~i Iü~ia(,ti.~I~4~4:nNflya~7v;111,ilii;
V1~·'p~tt)f. :i·7I!~il~
MÉRITE POÉTIQUE 535
do ravissantes visions, ailleurs des formes tristes et tor-ribles
« Pêphrido, dans son vêtement aux longs plia, Ênyo sousson voile ronge – et los Gorgonesqui habitent au delà dupuissant Océan, aux oonflns des régions de la nuit, oùchantent harmonieusement les Hespérides – elles s'appel-lent Sthôno et Euryalô et Méduse, vouée a souffrir ». »
Ajoutons à cela les allusions aux légendes connues,les renseignements nouveaux et curieux, les récite
épisodiques; autant d'éléments d'intérêt* qui nous tou-chent à peine, mais qui romuaiont alors fortement desâmes naïves et croyantes. Toutes ces choses agissant à la
fois, on peut se représenter combien elles devaient être
prises et captivées par un tel poème. Du commence-mont à la fin, un rave divin se déroulait dans l'espritdos auditeurs, un rôvo plein do réalité. Ils regardaiontnaitro et grandir ces superbes famillos de dieux, et, se-lon lit portée de lour esprit, ils entrevoyaient plus oumoins sous les mythes tout ce qui s'y cachait on faitdo connaissance do l'homme et du monde. La Théogo-nie était ù la fois pour eux un spectaclo admirable etune suggestion perpétuelle: l'imagination, lo sentimentet la finesse do l'esprit y trouvaient également leur
complo.
QutilqiKtfoiH,v,nniiiih profond do» mythes disparaissaithoiih lit fulilo, mais i|u<d<|uofniHuiiHsiil lostait m appa-rent, si fiitûlo a découvrit', qu'il no pouvait maitqutird'nti'd iiiMiiédiiit«tiiiiiiiftitmipriH. Qu'on ho rappoll» par«x«ii»|i|» la Hiimiudoligué» tlo la Nuit, N'y a~t-il |ium\ht<tUt«iIHIfH!lllt(!tt|)tMHI(IdllIdlUOlIriltdll lit VIOlillUMlillO?'1••tm(omMiI'onwtrliMtl fiHlMi'fi||«*i«Mu*ilim Cmiiiioh viigtion«>t«finilirnHdu umllifnir, lu ntitluditi, Itm inquiet ml»»,
t. ~n",tr~lu,k~;lia7~.
536 CHAPITRE XII. – LA THÉOGONIE
et aussi les mauvais désirs, le mal qu'on subit et celui
que l'on fait.
f La Nuit enfanta la Destinéo odieuse, et la sombre Kere,et la Mort; elle entama la Sommeil, elle enfanta la tribudes Songes; sans s'unir à personne, voilà ceux qu'enfantala Nuit érébienne. En second lieu, eUe mit au monde Mo-
mos et la Souffrance cruelle, et les Hespèrides qui, au delà
de l'OisAan,veillent aux belles pommes d'or et aux arbres
qui les portent; Némésis, fléaudes mortels» naquit aussi do
la Nuit funeste; et après elle, la Tromperie, le Dâsir sen.
suel, la Vieillesse pernicieuse, et enfin Êris au cœur dur »
La confusion môme de cette énumération a son
charme il y a quoique bien au milieu des maux, de
belles images au milieu des idées tristes: cela ressemble
ainsi à la vie, et provoque davantage la pensée.Toutesces observations se rapportent aux généalogies
qui forment la fond du poème. Mais, à côté des longues
énumérations, nous ne «lovons pas oublier quelques
remarquables morceaux épisodiqucs,où d'autres mérites
sont à notor, plus accessibles au lecteur moderne.
Ces récits ont bien plus que ceux de l'épopée homé-
riquo le caractère populaire. Losaedes homériques.avccun sonliment merveilleux du grand art, semblent avoir
au dès l'origine sacrilior dans une narration les faits so-
condairen, passer rapidement sur les explications préa-
lables, et cela pour mettre en lumière Ic.h scènes déci-
sives avec toutes leur* ressources dramatique». Il n'en
est pas ainsi dans la Théogonie. Le poMo ressemble h
«es go»» du peuple qui voiih racontent les préliminaire»d'une cliimf»ini|iorl(uiUi avec plus dit détnilHqtHila cIiiiho
ftlIn-Mtniitii;loiiiine eu*, il l'uni qu'il ntpportn ci qu'on h
dit iltt pari ni d'milr» nvimt d'iigir, ttt, rnmMu aux
Hm*h •»"«ait lit lajium tur qu'un t'uUuiit (turliu' ttu»|M>r-
f. 1'f'Uff/lll'':'t<<
MÉDITE POÉTIQUE 537
sonnagos. Celte naïveté a son charme chez lui, commeelle l'aura plus tard chez Hérodote Chez l'un et l'autre,elle est pleine du vie et do clarté. Los narrations, il estvrai, y perdent on dignité; elles prennent l'apparence do
simples contes; mais ces contes ont un naturel et unevérité familière qui rapprochent de nous los inventions
mythiques les plus étranges et nous les rendent pros.que croyables.
« De tous tes enfants qui naquirent de Gaia et d'Ouranos,les Titans furent les plus turribles, et leur père les prit onhaine avant leur naissance. Dès que l'un d'eux venait aumonde, Il le dérobait, et, l'enlevant à la lumière, il le oa-chait dans le sein profond de Gaia; et il se réjouissait de sonaction cruelle. Elle cependant, l'immense Gala, gémissait,tourmentée dans ses entrailles par son fardeau. Et elle ima-gina une ruse perfide et méchante. Elle produisit un élé-ment nouveau, un métal dur et brillant; elle en fabriqua unegrande faucille, et oonfla son dessein à ses enfants. Pleinede colère, elle leur dit pour los encourager « Mes enfants,fils d'un pore cruel, écoutez mes conseils et nous nous vonge-rons de sos méfaits car c'est lui qui le premier a mal ngi. »Elle parla ainsi et tous tremblaient aucun d'eux n'osaitparler seul le grand Cronos, a l'esprit avisé, plein do cou-rage, répondit ainsi à sa mère vénérable « Ma mère, ce seramoi, je m'y engage, qui accomplirai cequo tu médites; je n'aipoint d'égards a observer envers un père indigno de ce nom;car c'est lui qui le premier a mal agi. » Il parla ainsi; etl'immense Gaia se réjouit en son cœur ello lo plaça en em-buscade, ot lui mit dans la main la faucille tranchante, otelle prépara tout pour le succès »
Le reste, c'est-à-dire la mutilation d'Ouranoa, «utraconté «n quelques mut». C'est que to po&to «horclio laclarté pliiKque l'intérêt dramatique; il <>Bthistorion «léjn,Mmt «vaut l'Iiifttoiw, et ciimmqunur plu» eiifiwo qu'his-torien. Ji vont définir oxiMstitmwit I» rAItt do cluuuiu ¡il I» fait hvob min Mitrto d» hiHihmnioqiii mnirmU* nvwh nature lins faits rftmmtflH,<>[« n'ont |HH'ri«uiiHtqui tio
nlll. "1, tf!<?.
588 CHÀP1TBE XII. – LA THÉOGONIE
sente ce qu'il y a de piquant dans ce contraste même.
Tel nous venons do le voir dans ce récit, tel nous le
retrouvons dans celui du combat des dieux et des Titans.
loi encore, comme nous l'avons déjà fait remarquer, ce
n'est pas la partio dramatique du sujet, c'est-à-dire la
représentation même de la lutte, qui l'attire principale-ment. Chez lui, cotte description sera courte ce qu'il
tient à nous expliquer en détail, c'est l'idée qu'ont eue les
dieux de recourir à Cottos, à Briaréos et à Gygès; c'est
le traité qui a été conclu par eux avec ces redoutables
auxiliaires, ce sont en un mot, ici comme précédomnuvnt,
les préliminaires de l'action bien plus que l'action elle-
même; nous assistons donc à un entretien entre Zous
et les trois Hécatonchires, comme nous assistions tout
à l'heure à l'entretien de Gaia et do sos enfants
« Écoutez-moi, dit Zeus, enfants illustros de Gaia et d'Ou-
ranos, afin que jo vous apprenne oo que mon cœur me com-
mando do dire. Voici bien longtemps déjà que nous combat-
tons incessamment pour la victoire et la puissance, nous, fils
de Cronos, contre les Titans divins. Vous donc, aujourd'hui,
déployez contre les Tl~ans la force redoutable de vos bras
Invincibles, engagez avec eux une lutte terrible, en souvenir
de notre amitié, on souvenir des maux et de l'odieuse capti-vité dont je vous ai délivrés, quand ma volonté vous tira dos
ténèbres épaisses pour vous rendre à la lumière, » Il parla
ainsi, et le robuste Cottos lui répondit a Dieu puissant, co
quo tu nous rappelloti, iiouh le savons nous n'ignorons pasce que vaut ton cœur, ce que peut ta sagesse. U'«st toi quinous as délivrés, nous iminortolH.'d'unottffrouse uiulodiotiou,
et c'est par tes coiihoIIhqu'échappas utix ténèbres àpulssoti,noua uvonapu sortir do l'affreuse prisait, ou nous souffrions,
6 roi nisdoCroiiOM, dos mnux iiicisprlinablon. Voila unnri|iial
muluUinaiit, ililAlos ot ilovouAi»,nous voua do»»«ron»l» vic-
toiro duiiH lu Itittu tmrlhln, lit noiiH «nmlmttran» oontro l««
'l'ititiih ilaita V(»mniAlâtwfurinitHim•,»n
t, ÏM'iicitit, im-M'l,
MÉRITE POÉTIQUE 539
Là.dessus, le combat décisif s'engage, Un aède ho-
mérique no manquerait pas en pareille circonstance denous décrire les combattants, d'en distinguer quel-
ques-uns des deux calés, de les faire parler, et de mettre
dans leurs discours et dans leurs actes toutes leurs pas.sions, Rien de pareil ici. Tout se réduit à une peinturede la conflagration univorsolle qui résulte delà lutte.En quelques vers énergiques, le poèto nous montre la
terre et la mer, la ciel et les montagnes secoués et bou-
leversés. H voit les choses on gros et il les exprime do
môme, avec plus de force quo de variété. L'abondance
lui manque, mais il a la puissance do l'imagination et
une magniilconco un pou bruyante, qui produit uno
vive impression
« Au loin, le gémissement terrible do la mer immense, otle fraons do la terre sous les coups en haut, lo murmure duvaste ciel ébranlé on bas, les secousses do lu longue chaînede l'Olympe, tremblant lIousl08 pieds dos Immortels; de puis-santos commotions jusqu'au Tartare ténébreux le bruit épou-vantable des pas dans l'indescriptible môlée, et l'éoho sourddes coups violents. Les uns aux autres, ils se lançaient desprojectiles à grand bruit. La voix dos oombattants montaitjusqu'aux astres, clameurs do colore et d'oneourngomantet ils se heurtaient en jetant le cri do guerre A travers l'es-pace »
Dans les belles descriptions homériquoH, lo pofaodisparaît; on n'oserait dire qu'il on soit do inumo ici.Cola tient «uns doute a ce que l'itulour do ce piiNHitgo,quand il visait à ces grand» ollots d<mm'|ilifH ot druitui-
tiqtiOH, Horttùt un pou do hdh IiiiIiUihIoh ot do mm imlii-rol.
Nu ai qui eoncttriH» ht luiiftiui, lu 'Mir/wWfmiiiipui'nii
t, ')h<u,i/t,nw,(m tit hiiIv, Muiihl'iiiiiilynii<|iil(it'àiuVI»,mm* uvoiih"innulAm Mnvoftitu(îniiittioiiM<tit<1t1ltir)n|ii'ii|i<ift|flMainloi, doua r>mvutiUrtMHlit Ï7i*<iw Mit» tfuVIInmkI,ut Ikh |wt|c4 H.Witmi»"».<i»tl'Ht'KtMluItt InmulAItitAiHlvutilt lutil,
540 CHAPITRE XII. – LA THÉOGONIE
aux Travaux, n'offre guère do particularités notables,sauf peut être une légère prédominance dos formes do-
rionnos1. Le vocabulaire en est moins varié, moins ori-
ginal. Différences qui s'expliquent aisément par celle
des sujets. bloins ancienne que les Travaux par la date,la Théogorsieest plus rapprochée des hymnes primitifs
par la tradition. Il n'est pas surprenant qu'elle en ait
gardé quoique chose dans sa structure et dans son lan-
gage. L'uniformité du développement do la phrase poé-
tique mérite particulièrement d'y être remarquée. Elle
est si sensible quo quelques critiques l'ont attribuée a
un système de composition strophique*. D'après eux, le
poème primitif aurait été formé d'uno série do groupesde vers, tous égaux entre eux, et ces strophes auraient
été altérées plus tard par dos interpolations. La difficulté
d'appliquer cette conjecture à toutes les parties du poèmedevait suffire à la faire rejeter elle a conduit au con.
traire le plus hardi de ces critiques, A. Kœclily, à une
seconde conjecture plus compliquée encore. Au lieu d'un
seul système do strophes à demi effacé, ce sont deux
systèmes superposés qu'il a cru retrouver; le poème,selon lui, aurait été d'abord composé on strophes dotrois
vors plus tard cos strophes ternaires auraient été re-
maniéos une à uno do façon à former des strophes de
cinq vers, on même temps sans douto que d'autres stro-
phes quinaires étaient ajoutées double travail, mé-
connu ut à demi détruit dans la suite, lorsquo l'arrange-ment définitif out liou. C'est là pour nous un véritable
i. Itzacb,oiw,cittf,p. iliH.S.Soolbeor,VtrtuehttieVrfltrmtfwTh<mu»i»i*uaahtuwtiu».lierlln.
1817.liiit|i|io, (Setter<«*'théogoniede*llrwd, Ititrlln. iRtt. 0. llnr-
maiut,l'« lle»mdifi>ruwunti<iul»tlmu,tHHii'tyiM»».,I.VUD.A.K;»»ly,llediwii lte»l<4m<>fb«t>u»»i«t>|»«i'«A««,Xurloli,i««0(«jim».î«/i*«I-.t. I). A. l'V.k,fin Mtpi-unuliehefyuwtifitm matanung der hniu-
<<)M~'n'fAt"&f"<ff,1HNHtlrd(tw,t. I~aHrtad. <M~e«'< bprrrohau.XII,t-Ut.
LANGUE ET VERSIFICATION 5il
jeu de combinaisons, la fantaisie d'une critique à quirien d'ingénieux ne semble téméraire. Mais il faut avouerque ces hypothèsos mêmes eussent été impossibles, sila versification de la Théogonie, n'avait quelque chosedo monotone. La phrase poétique y est sans cesse jeléedans le même moule, ot elle s'enferme d'elle-même dansune mesure à peu près constante. Il est probableque cette mesure est celle de la ponsée même du poèteil a l'haleine un peu courte, et chacun de ses développe-ments s'achève naturellement en un morceau énumé-ratif qui ne dépasse guère trois ou cinq vers. Les strophesartiliciollos qu'on lui a imputées nesont donc en réalitéque des groupes d'idées spontanément formés. Et toute-fois, on peut aller plus loin encore. Cette monotonie in-volontaire a bien pu s'imposer quelquefois à un poètequi aimait évidemment la symétrie et la régularité entoute chose. Ce qu'il avait fait sans y penser et sans levouloir en maint passage do son œuvro, il peut l'avoirpratiqué avec intention dans quelques développementsdont la nature même comportait ce genre d'arrange-ment'. Il n'y a que les conjectures systématiques et in-flexibles qui soient condamnables en pareille matière,parce qu'elles conduisent à faire violence au texte;toutes celles qui tiennent compte do la liberté du poèteet do la variété probable do ses intentions sont accep-tables.
On voit assez par tout ce qui précède que la Théogo-nie, malgré ses mérites, no saurait être mise sur lemôme rang que los Travaux. Elle n'en a pas moins unetrès grande importance dans l'histoire littéraire. On enjugur» pur 1« nombre dos poèmes généalogiques qui sogroupant naturellement autour d'ollu, et dont il nousroHtph dire quelques mots,
l'ur «xiiropio«'«nnméwUnndos nnlonado ftmft(HK(I030),oftu«ymélrladu»falluappelletmjuiflllm.iuulpulla,iulitUmw>.
518 CHAPITRE XII. – LA THÉOGONIE
Y
Rien n'était plus côlèbro on ce genre, après la Théo-
gonie, quo los Catalogues, poème aujourd'hui perdu,dont nous ne possédons plus quo quelques courts frag.monta. Nous avons dit plus hnut pourquoi les Cata-
loyues étaient inséparabtos de la Théogonie. Le mônui
esprit animo ces deux grands ouvrages, et la même
méthode avait présidé à lour formation. D'un côté, tous
los dieux de la Grèce groupÔB par familles do l'autre,
tous sos héros. Le poète dos Catalogues, s'élovant, comme
celui do la Théogonie, au-dessus dos rivalités locales,
avait assomblé librement les légendos particulières, do
manibre à constituer en quelque sorte to livre d'or do
la nation tout entière.
Un trait fort^curieux do cette glorieuse onumération,
c'était la prééminence accordée aux femmes par son au.
tour. Si on la désignait souvent du nom do Catalogues•
ou do Généalogie héroïque on l'appelait aussi quelque.fois le Catalogue/les femmes et Pausanias commente on
quelque sorte ce titre lorsqu'il nomme les Catalogues« une épopée en l'honneur des femmes4. »Hésiode, nous
dit Maxime do Tyr, énumèro les races des héros on com-
mençant par les femmes, et en disant toujours do quelle
1.Strabon,I,p. 42,Casaubon.Eustathe,Odya.,p. 1481,1.65 Iliade,
p. 13,44.Pharorin.,Eclog.,p. 381,9. Argumentdu Bouclierd'Héra-elèt, III. Seol.lliadt, II, 336,etc.
2. ProcluB,ad Uetiod.,p. 4,Gaisford.Tzetzès,Exeg.Il, p. 186;ad
Lyeophr.,176,284,393.3. Pausan.,I, «3et 111,2*.Scol. Ven.Iliade,XIV,200;Odyu.,I,
98.Diomèdo,p. 480,éd.Putsch. Procloset Tzelzès,ad Hesiod..p. 9et 19,Gaiaf.Suida»,v. 'HefoSoc
4. Pausan.,I, 9 et II, 31.CLServius.ad Vergil./Eneitf.,VII, 208.
POÈMESGÊNÉÀLOGIQUESDIVERS SIS
mère chacun d'eux oat ué >, mSans doute cette disposi-tion remarquable tenait à dos usages locaux, sur les-
quels noua no possédons plus tous les renseignementsdésirables1. L'éuumération commençait à Pandore,épouse de Prométliée C'était elle, selon te poète quiavait donné naissance à toutes les grandos ruuus huilé,
niques. Sun petit-Ois, Hellon était on effet i'ancAtro coin-mun do la nation tout entière. On voyait, pour ainsi
dire, sortir de lui, dans une série do généalogie» purul-l&les, tous lus héros épouymos qui représentaient tesdiverses tribus; magnifique végétation d'un peuplusur un sol prédestiné. Sans doute, comme dans lit Théo-
gonie, cos généalogies so succédaient avec ordru d'aprèsun principe simple et constant; et, comme dans copuom»aussi, oltos étaient interrompues çà et la par d» courtsrécits qui expliquaient comment los races s'étaient été-
possédéos tes unes tes autres Quelques-uns do ces ré-cils pouvaient môme s'étendre plus longuement. Noussavons par exemple que l'un d'eux se rapportait a
l'expédition dos Argonautes, et tes fragments nous
permettent encore do constater que cet événement étaitraconté avec quelques détails. Mais,jusque dans ces dé-
veloppements, l'épopée hésiodiquo garduit son carac-
1. Maximede Tyr, Duttrt.. XXXII,4 Tùv f,pi2uvinh twvaetxûvlipxiiuvo;xaraXIyeita yiv»|,Sorti;tÇ ïyu.
2. Voy. toutefoisPolybe, xn, 5. Il semble mêmeque les nomspatronymiquesfussentremplacésquelquefoisdanslesCataloguespardes nomsmétronyiniquei.VoyezScol. Iliade, XI, 74»,et Eustathe,Iliade,XXII, 638.
3. Par exemplele fragmentcitopar le acoliasted'ApollonlosdeRhodes,1,156(!r.XVI dn Marckscueffel,XLIVdeGoottling)repré-sentelestransformationsdo Pôriclyménoset se continuaitAvidem-mentpar un récit de sa mort. Le même«coliaste(1,124)nousfaitconnaîtrel'histoire de PiSlôeet de la femmed'Acasle;or cettehis-toire,d'après le scoliastede Pindare(Ném.,IV, 93).était racontéepar Hésiode,et nousen possédonsencoreun fragment(fr. XXIMarclcseh..UXGœtU.).On trouverabaaucnnn<1'»»«r«sexemplesdecegenreen parcourantles fragmentsdesCatalogua.
614 CHAP1THB XII, LA THÉOGONIE
tire propre profondément différente do épopée ho.
ntériquo, elle so préoccupait plus do ronsoigmtr son
public que d« l'émouvoir.
Lu pueino des Catalogues, d'après les témoignage»
nnciiMM,fut partugé à uno date iiuuinuuo on quatre li-
vres, pout-étra on cinq Nous ignorons si cette «lividitm
c«rros|iiiiidail a un certain grouporuont primitifdesgô-
nétilogios, uu si ollo n'était quo l'iouvra urtificiolln dos
gruiiittiairinns,ToutufiMHlu i|untri6niti livro au uuiins u'appiirtonuil
oiMlninomont pas &l'umvru prituitivo. C'était en r*vn-
lité un |ioî>inodistinct, qui ont cité pur les unoinns koiis
10iium d'fVMOu Oramtts Êtes ('Ilotat uu MsyiXaiv.oïxi)',(lo nom singulier lui venait do la furmulo par laquello
coiutiMMti'uilcltucuu dos dnvoloppuinonts purticlH. Vm
piuNiunétait une énuinérulion do foin mesqui uvuioul
ét« «iméo» pur ilo» lininorli'ls; lit l'iuilour, nj»rî«:i «voirinvite lu Musa &lui rnppelor h, nom do ces fomnws, il.
lustres ot nulles entro toutes, continuait on disant
« Tolk fut Alcmvito. », ot plus loin «Tollooncoro.
(*i oïu) ». Les Êi'es rcssoniblftiont donc aux Catalogues
par le rùlo prédouiintint <|u'oll()3 attrikutiioril aux foin-
mos mais elles en diiréruiont par deux traits chsoii-
tiols. D'abord, au liou d'olfrir un système lie généalo-
gies vraimont helléniques, elles no toucliaiont qu'à un
petit nombre do lôgcmles thessalionnes et béotiennes
c'est là du moins ce qui semble résulter du fait que les
cinq femmes mentionnéos dans les fragments, Aie-
1.Marckscheffel,p. 10t.S.Il n'estpasdouteuxque lesÉtetn'aientforméle quatrièmelivre
des Cataloguai.Cela résulte clairementd'un passagedel'argumentdu Bouclierd'Héraclè».d'aprèslequelledébutde cepetitpoèmeau-rait été empruntéà cequatrièmelivre des Catalogue*;or ce début,commesa form3l'indique,estuneÊde("Hofyitf>oX«it«5»«84s»o«ï.).11yavait doncidentitéentreles Ê4e$et le quatrièmelivredesCata-
logues.
POtMKS GÉNÉALOGIQUES DIV8RS 546
HW. 4* I* Ult. Oftcqat. T. L 35
mène. Coronia,Mékioniké,Kyrènéet Antiope,appartien-nent à la Thesaalioou à la Bôotio.En second liou, lesrécita y tenaient beaucoup plut do placo.Nou» pouvonsen juger par le fragment emprunté &l'Éée d'Alomène,qui forme aujourd'hui te début du petit poème intituléBouclier d'Héraclès. Évidemment l'idée généalogique,•ans êtro absente des Êtes, n'y avait pas lu mémo im-portance que dan* les Catalogues,
Nous ne possédons plus aujourd'hui los moyons d'in-formation indispensables pour diacuter suit lu date, suitt'originu des Cataloguesni des Êtes, Tout co que l'onpeut dire à ce sujet, c'est quo si les allusion» histori-quos qui figurent dans les fragments n'ont pas «té in-s6rées après coup dans ces poèmes, on aérait ou droitdo los rapporter avec vraisemblance uu vu* siècle (.
A cos épopées généalogiques au rattachent plus oumoins directement quelques petits poèmes, quu l'anti-quité avait pris l'habitude d'attribuer &Hésiode,dovenupour elle le représentant du gonro tout entier.
Tel est d'abord le Bouclierd'Héraclès, qui est venujusqu'à nous. C'est une compositiond'environ cinqcentsvers, dont los. premiers sont empruntés aux fk'es Lesujet apparent est le combat i'IIéraclès contre Kycnos,(ils d'Ares, qui arrêtait auprès do Pagases en Thessa-lie les offrandos dostinées au tomplo de Delphes. Enréalité, l'autour somblo s'élro proposé principalementde décrire le bouclier d'Iléraclès. Cotte description(v. 141-319) a donné son nom au poème tout entier;
1.Onpeutvoir4cesujetMarckscheffel,p. !3S;maisil ne fautpaaIl dlwlmulerqu'enMieceaootlà du questionsinmlubloa,oùnousdevonsnouacontenterdedéterminationaprobables,maisassezva-gTMB.
«. Argum.. III T«i«'Aoicitat ipxh *»*$ K<n*Uy<?ç ipttai (iix(>.nlxm v' sa\ C'. Cela serait évident, même sans ce témoignage. Il adixmoins l'avantage de nous bien prouver que le Bouclier a'ut pasune des Éit», ce qui résulte d'ailleurs clairement de la nature mêmeda poème.
546 CHàPITJRl XII, Lk THÉOGONIE
elle est imilôo manifestement da celledu bouclier d'A-
oliilloduo» Vliïadr, Tout le poèmo porte la marque de
la décadencedo la poésie épique l'imitation y rem-
place l'invention. la description du bouclier est labo.
rieuse et confuse elle vise à l'effet par des moyen»
grossiers le poMo veut nous offrayor avec dos figures
épouvantables, qui ne sont qu'odieuses ou ridiculos.
Il est iiiutilu du churchor, cumme on l'a fait, à dis-
tinguer dans uno pamillo œuvro des parties ancien-
ne»et d'autros plus récentes. Sans doute, elle a pu su-
bir dos interpolations; mais il faut le diro franchement,
eu qui est ancien n'y est guère meilleur on général queco qui cet nouveau. Nous y voyons l'œuvre d'un rhap-sode qui, profitant du succès des liées, a détaché do ce
poème lo commencement du récit relatif à Alcmèno,et
sur ce fragment a greffe tout un développement à lui,
moitié narratif, moitié descriptif.Nous ne foronsque mentionner ici les Nocesde Ke"yx,
YÈpithalamc de Peléeet de Thétis, {^Dactyles de l Ida,
simplirs titres représentant pour nous dos cnuvros en-
tifcromcnlignorées. La Descente(le Thteée chez Hadte
ot la Mélampodieont un peu plus d'intérêt, et surtout
nous devinons mioux pourquoi ces poèmesont été ran-
gés parmi les œuvros hésiodiquos. Il est probablequ'en
représentant Thésée et son ami Pirilhoos aux Enfers',
1'autour de ce récit, quel qu'il fût, s'était souvenu de
YOdyssée,et qu'une énumération de morts illustrcséta-
blissait quoique ressemblance entre ce poème et les
Catalogues. La Mélampodieétait une œuvre assez éten-
due; elle fut partagéo en trois livres au moins Le de-
vin Mélampeen était, d'après l'indication du titre, le
personnage prinçipal. A côté de lui figuraient les au-
tres dovins célèbres do l'âge héroïque Mopsos,Amphi-
1. Paoaao..IX.3î.2. Athénée, XI. p. 498.A, B XIII, p. 60S, E.
PCÔMBS QÈNâAL0QIQUB8 DIVKHS 51?
loqua, Calchas, Tirésias. Co groupement tloa devina onun récit donnait sans doute au poème quoique chosedu
religieux et peut-être de didactique en certaines par-ties, ce qui l'avait fait attribuer h l'autour dot Travaux,Les épisodes que noua en connaissons, la mort do Cal.chas la consultation do Tirésias par Zeus ut Ht<ré»,lafoliodo. filles do Prtatos attestont toutefois que con'était pas un traité. Quelques beaux vera pleins de
grandeur et do tristesse, où Tirésias, aprt<s avoir vécu
aopt générations d'hommos, ao pluignait de eu longuevie, méritent d'étro mentionnés
« 0 Zeus,père et souverain, •'écriait le vieux.prophète,pourquoinern'as>tupasdonnéun*vie plus «ourleet mapartde l'ignorance humainoTCen'est pasune faveurquetu m'asfaite, en in'usslgnantcettelonguepossosstonde la vie, prolongéejusqu'au termede septgénérationsmortelle!)I »
Lo poôto qui a conçu ce rôle et exprimé avec cette
«impliciteun toi sontimont no doit pas assurément êtreoublié.
Malheureusement, la vraie poésie devait être raredans les pommesgénéalogiques, et il osl probable qu'ellelodevint do plus on plus à mesure que ravènotnent dela prose fut plus proche. Si nous posséda is los couvresde ce genre dont nous connaissons encore les titres etcelles que nous avons entièrement perdues de vue, le
plus grand intérêt docette collection serait sans doutede nous bien montrer par quelle lente transition cette
mythologiehistorique sotransformapeuàpeu en histoire
4.Strabon,XIV,p. «12Cas.2 Apollod., III, 6, 7.3. ApoUod.. II. 2, 2.4. Il n'est personne qui ne songe en lisant ces vers &ceux qu'Ai*
fred de Vigny a mis dans la bouche de son Moïse, fatigué de sa gran-deur et réclamant la mort qui a toujours fui devant lui
Seîguèur, rai irup vécu paissant et solitaireLaissez-moi m'endormir du sommeil de la terre 1
648 CHAPITRB XII, LA THÉOQONIE
mythologique. Les proraiera logographes succédèrent
naturellement aux derniers poètes, et l'onpeut affirmer
qu'à ee moment le* poètes devaient ressembler beau.
coup à des logographes.Contentons-nousici de quolquesindications sommaires sur une série d'wuvres à peu
près inconnues.Acôté dos poèmesgénéalogiques attribués è Hésiode,
l'antiquité en connaissait d'autrea en grand nombre. –
Les Chantsde Naupacte{'EimN*»i:à*.T\a.)devaient leur
nom à la patrie de lour auteur, Karkinos. L'oxpéditiondos Argonautos semble y avoir tenu une placeconsidé-
rable. C'était, commo les Catalogues, au dire do Pau-
sanias, <<une composition en l'honneurdos foinmos«».
UsEgimiosdu Milésion Korcopsse rappnrtait vrai-
somblablomontà la légende plus ou moins historiquedu vioux roi ;Kgimios, que les tribus doriennes eonsi-
déraiont comme un ancétro. n no nous en resto qu'un
petit nombredo fragments, dont plusiours rolatifs à la
légende d'Io Corintho out son poèto épiquo on lu
peraonno d'Ëumélos, M8 d'Amphilytos, de l'illustro fa-
millo des Bacchiadoi3;il vivait dans la seconde moitié
du vin* siècle. La composition épique qu'on lui attri-
buait était ordinairement désignée sous le nom de Co-
1. Pausan.,X,38.8. VASgtmioi est attribué tantôt a Hésiode, taotot il Kereops de
Milet; mal» Hésiode pouvait aisément dépouiller Kercops. tandis
que Kercops, bien moins illustre, ni pouvait guère dépouiller Hé-
siode Il parait donc d'une bonne méthode de préférer l'attribution
la plus obscure. Kercops est d'ailleun un inconnu, qui ne doit pasdire confondu avec le pythagoricien du même nom. Une légende rap-
portait (Ciog. Laeree. II, 48) qu'il avait rivalisé avec Hésiode. Sans
doute l'identité des sujets traités avait donné naissance au récit fa-
buleux d'un concours V/Rgimio$devait donc ne rencontrer dans cer-
taines parties avec les Cataloguée. Nous savons qu'il comprenait au
moins deux livres (Scol. Apollon. Rh., IV, 818; Et. de Byzanco.'A6*vt(c). II nous en reste neuf fragments. Le plus Intéressant, au
poSst de vue historique, est celui qui bssbdw feire filusstot! 6 Mro*
parlilion des Doriens envahisseurs en trois groupes de population
(Otfr. Müller, Doriens, I, p. M).
POfiMSS GÉNÉALOGIQUES DIVERS 549
Hnthiaquts. Elle olfrait, autant qu'on peut en juger parles fragmenta, un récit continude l'histoire fabuleuse de
Corinthe, depuis ses promiora rois issus d'Hélios. ln>
caractère du poème semble assez nettement déterminé
par le titre de poète historien qu'un acoliuato donne à
Eumélos. Il faut ajouter que les Corinthtagues furont
transcrites en prose, probablement au sibcle suivant.
Du moment que la poéeio s'attachait, comme l'histoire,à l'exact oncliatnement des événements, la versification
n'était plus pour eUe qu'un vêtement superflu dont olle
devait ao dûbarrassor au premier jour t. Ce qu'Eu-mélos avait fait pour Gorintho, Kiniuthon le nt pour
Lacédémone.sa patrie. Contomporain d'Arctinos etd Eu-
mélos, ce poète, dont nous avons mentionné plus haut
VOEdipodie rattachée au oycle, dut composer ses généa-
logies* vers le milieu du huitième siècle. Le titre exact
du poèmo est incertain. Il nous en reste quatre frag-
ments, d'après lesquels on peut conjecturer que l'auteur,
remontant jusqu'aux Atridos et peut être plus haut,
exposait les généalogies royales de Sparte et doMessène;
1. Sur EumiSlos, Scol. Apollon. Rh. 1, 146 S. Jérôme, Chron., 01.III, S et 01. IX, Cyrille, Contre Julien p. 12, B; Clém. Alex.,Strom.. I, p. 144, Sylburg; Pauean., Il. 1. Seol. Pind., Olympi-qxiei, XIII, 14, Etf|")X4;ne non)TÎ)<l»"pu<c jet Tzetzis, ad Lycophr,,174). – Transcription des Corinthiaquet en prou Pausan.. 11, ipassage fort bien Interprété et commenta par Marckscboffel. – Ku-mélos était aussi l'auteur d'un autre poème épique du même genre,l'Buropie, qui devait se rapporter aux aventures d'Europe (Scol. Yen.ad Iliad.. VI, 131) Pausanias (IX, 8) appelle ce poème xk Ini) x» ticEipwjoiv. On loi attribuait encore la Bugonie, poème mentionné parVarron (de re nutica, II, 5), mais dont il est Impossible aujourd'huide deviner même le sujet. En outre, U était en compétition avec Arc-tinos pour une TUanomachie, avec Hagias de Trézène pour le poèmedes Retours (Seol. Apoll. Rh., I. 1165; Athén., VII, p. 211; Scol. Pin-dare, Olymp. XIII, 31. avec une correction au texte). Enfin. Eumélosétait reconnu pour l'auteur d'un Chant prosodique destiné à la théorieque les Messénisns envoyaient à DéUw; il nous en reste en frP.tde deux vera hexamètres (Pausan., IV, 4 et IV, 33).
2. Pausan., II, 3 et IV, 2.
'550 CHAPITRE XII. LA TtlâOdONIK
il touchait aussi à colles do la Crète Asios de Sa-
moa est bien plus connu par ses élégies qu'à titre du
poèteépique. Mentionnons tuutefois ici soa poème gé-
néalogique, dont le titre et le sujet sont mal détermi-
nés – Le nom de Chorsias d'Orchomène, dont les
œuvres étaient déjà perdues au temps de Pausanias,doitterminer cotte énumération
11est aisé de comprendro,qu'ontro tous les genres
poétiques, celui-ci, étant le plus accessible à tout le
monde, dut être un des plus cultivés. Il y fallait pluide patience que de génie. Avec une certaine industrie
d'arrangeur etdovorsiQcatour,joinloà unoconnaissance
suffisante de. légendes locales, un était assuré de quel-
que succès. Maieceux qui en d'autres temps auraient
pu être do vrais poètes préféraient sans doute lo silence
à un si médiocro emploi do leurs facultés. Ni l'imagi-nation ni la pensée ne pouvaient se révéler dans cos
longues énumérations monotones. Aussi, quand l'his-
toiro parut, condamna-t-olleà l'oubli la plupart do ces
poésies, qui n'étaient pas défonduospar un mérite réel.
On les traduisit en prose au vu*et au vi"sfôclo; puis.
quand on leur eut pris tout ce qu'elles contenaient d'u-
tile,quand les chroniqueurs en eurent fait lourprofit,on les rejeta dédaigneusement, et celles qui ne péri.rent pas subsistèrent seulement à titre de curiosités,
connues des archéologues, des érudils et dos biblio-
philes.
i. Diven témoignages attribuent en outre à Kinœthon une Télégonie,une UéncUe, une Petit* Iliade (Seol. Apollon. Bhod. L 1357; S. Jé-
rAme, Chron.. 01. V; ScoL Vatic. ad Eurlpid. Troad.. 831; Tzetzes,
Bxeg. Utod,. «S, 10.
2. Pausan., IV, 2; h, 6; vit, 4. Cf. t. H, p. 188.
3. Pauaan., IX. 38. On lui attribuait l'inscription du tombeau
d'Hésiode. C'est une doute lui que l'autour du Banquet des Sept Sa-
get a fait figurer an nombre de ses personnages (e. xhi).
CHAPITRE XIII
LA FIN DE I.'AOR KPIQUK
BIBLIOORAPHIE
Manuscrits. – Pour les manuscrits des Hymnes et de la
BatrachomyomachU,consulter Baumets ter, Prolégomènes d*»l'édition des Hymtus mentionnée ol-après et Prolégomènosorittques delà Balrachomyomachie,et surtout A. Geinoll préfacede son édition des Ilymnet. Un des meilleurs est le ms. de Flo-rence, Laurentionm, XXXII, 4», LdeBaumeister. Mais le clas-sement général est encore sujet à contestation. Le manus-crit de Moscou {Moseovieiuis,aujourd'hui à Leyde), du xiv*siècle, nous a seul conservé l'Hymne à Dèmêter(voir plus loin,p. 580) c'est le plus correct en apparence, mais non le plusfidèle au texleprimttlf;beauooupdele$ons qui lui sont parti-culières semblent dues à un interpolateur. Il y a en outretrois manuscrits des Hymna à Paris (2763,2765 et 2833, A, B,C de Baumeister, xvi« et xiv» siècle); deux à Mitan du xv»siècle {AmbroMianiD et S de Baumeister) enfin deux au Va-tican ( Patatinua f79, xv. siècle, et Raginansia91, du même
temps).La Balrachomyomachieest ordinairement jointe duns les
manuscrits à VUktde et à YOdyuêe. Mais elle ne figure quedans des manuscrits relativement récents, où elle est trans-crite de la manière la plus incorrecte. Ces manuscrits provien-nent, d'après Baumeister, d'un même archétype alexandrin.Consulter aujourd'hui sur ce point Ludwich, Batraekomaehiaearchetyput et De codidbus Batraekomaehiae, dans Berliner phi-lolog. Woehensehrift, I89S, 20*livraison.
558 CHAPITRE XIII.– FIN DE L'AGE ÉPIQUE
Éditions.– Voir Bauraelster, ouvrages oltés. –Les Bymnniv« la totmkmvmatki* et les Épigrmmti ont été imprimé*pour la prunier* fols d»n« l'édition prlnoep* des poéalt.»d'Homère par Démet riu» Chalooudyle, Floreuoe, IMS.– .mpremières corrections de quelque Importance aont duM A H.Estlenne, Paris, 1866et 1588.- Il suffira de rappeler, aux vu*•t au xvai' siècle les nom» de Bar nés, d'Ernestl, de Wolfl'Hymne d Dimêttr, découvert en 1780, a été publié pour lur entière fol» par D. Ruhnken, Leyde, 1781. Mentionnonsaussi, en raison de ses abondants commentaires, l'éditiondes Hymntt, d, la BatraeXomyomaekUet des Êpigrammu, duu àIlgen, Halte. 17M. – Dana notre sléole, les Uymnn ont étépubliés avec la Batrarhomyomnchiepar A. Matthim, Lotpzlg,180»; lesHymnciiet les Épjjra ww«ipar God. Hennunn, Berlin.1809 les Uymnet, les Spigrammet, les PngmtnU et la Butracho-mymaehk, par Fr. Franke, Leipzig, 1818 (3* vol. des HomtritarmHta da G. Dindorf et Fr. Franke), par Bothe (Homericar-mina, t. VI, Leipzig, 1835), par G. Dindorf dans la oollectionDldot (Homtriearmlna, Paris, 1837).Il faut citer t\ part O. Bau-melater (Batrachomymaehia, Gœttingen, 1852 Hymni, avec un
apparatue critique et des notes, Leipzig, 1860) ne savant a
plus fait que toua ses prédécesseurs pour établir le texte cri-
tique des II y mnes.L'Odyuéed'K Plerron (Paris, 1875)contient,A la On du second volume, la Hatrachomyomaehie, les Hymneset les Èpigrammes le travail de Baumeister y est fréquem-ment cité et mia à profit.
D'Importante» améliorations ont été apportées dans cesderniers temps au texte de ces poèmes par E. Abel {Homerihymni, epigrammuta, batrachomyomachia,Leipzig, 1886). A. Ge-moll (DietiomerischenHymnen,Leipzig, 1886, avec un précieuxcommentaire critique et explicatif) enfin A. Goodwin (HymniAomerici,Oxford, 1893).
HYMNES HOMÉBIQUKS 55S
aOMMAIRK.
I. Fin del'As»éplqttt.Lmllymnttdit*homérique».l*$Épigrammn,II. La BalrtKkomifomachh;la MuyWt, III. L'espritgrecà la
finût l'âgt éplqo*.
I
Nous sommes arrivés au terme de l'Age épique. Mais,qu'on le remarque bien, quand l'épopée disparait enGrèce, c'est le genre qui s'épuise, et non le génie du
peuple qui s'affaiblit; celui-ci est au contraire dans toutela force et dans tout l'éclat de sa jeunesse. S'il aban-donne les longs récits, c'est pour prendre un nouvel es-sor dans l'élégie, dans l'iambo, dans la poésie lyrique.La sève du grand arbro hellénique est aussi abondante
que jamais; elle monte lentement dos branches infé-rieures qu'ello vient d'animer à d'autres branches quidonnent aussitôt naissance &une végétation magnifique.
Les raisons de ce changement seront expliquées plusloin, quand nous raconterons la naissance des genresnouveaux. Mais, avant d'entrer dans cette étude, nousdevons essayer de résumer tout ce qui précède. On peutévaluer à quatre siècles environ la durée de la périodeque nous venons de parcourir. Pendant ces quatre siè-cles, qu'avait appris la Grèce? Quels progrès avait-ellefaits dans l'art littéraire et dans la pensée ? En répondantà ces questions, nous ferons mieux apprécier encoreJahaute valeur des oeuvres qui viennent d'être étudiées etnous les rattacherons d'avance à celles qui vont suivre.
Il n'y a que les chefs-d'œuvre les plus rares qui exer-cent une ialluence profoude sur l'esprit d'un peuple; maiscette influence, ce sont surtout les œuvres moyennes qui
554 CHAPITRE XIII. – FIN DE L'AGE ÉPIQUE
permettentde la mesurer. Voilà pourquoi lo reoueil des
hymuosqu'ou appollo homdriquesost précieux pour nous,
Aucun de cos hymnes n'est comparable aux moindres
chants de Y Iliade ou de V Odyssée, aucun n'approche du
mérite original des Travaux ni de la largeur d'idées de
la Théogonie, Mais lorsqu'on a étudié Y Iliade et Y Odys-
sée, les Travaux et la Théogonie, on retrouve dans les
hymnes comme le reflot de cotte immense lumièro de
ntiésie. Un art s'y manifeste, qui procède directement
de tous ces exemples. G'ost une sorte de perfection ac-
quise, d'oxceHenco héréditaire, qui rend témoignage de
la manière la plus décisive à un admirable passé.
Les hymnes dont nous parlons sont au nombre de
trente-quatre: il y en a cinq qui sont de véritables corn-
positions épiques, et dix-neuf peu étendus, dont quol-
ques-uns ne consistent môme qu'on quelques vers t. Leur
destination à tous semble d'ailleurs avoir été la même*.
Ce sont des préludes composés en vue de récitations
épiques,soit pour de simples réunions, soit pour des
concours. Les aèdes et les rhapsodes avaient coutume
d'invoquer toujours un dieu avant de commencer à ré-
t. Toutes las questions critiques relatives aux Hymnes doivent être
étudiées d'abord dans l'édition d'Aug. Baameiater et ensuite dans
celle d'A. CUmoll. On Ignore. en quel temps le recueil des Hymnes*a
été constitué. Lu témoignages anciens permettent seulement d'affir-
mer qu'il y avait une collection d'hymnes attribuée à Homère dès le
temps d'Auguste (Diod. de Sicile. 1. 18; III. 65; IV, 8); cette collec-tion est citée plusieurs fois Sol. Pind., Pyth., III, U Scol. Nicand..
Alexipharm-. 130, et Scol. Aristoph.. Oiteaux, 578. Plus tard, on ra-
contait qu'Homère les avait composée à Néontichos (Pseudo-Héro-dote, YieétHmnhre, 9); assertion dont l'origine nous échappe.
3. Baie est indiquée clairement par les formules qu'on lit à la an de
plnaiéan de ces compositions XXXII, 18 Sio 8' àpx&|uvoc, dit
le poète au dieu en terminant, xM« <put<3v Coupai *,|nflé<»v,ûv
sUbMMr*ïpn««*' *o'«o'- Cf. XXXI, 18. Formule analogue, II, III, IV-
V. vi, vu, ix, x, xiii, xvm, xix, xxv, xxvn. XXVIII.
XXIX, XXX, XXXIH. A la fia dss hymssa VI. XI. XV, XX. XXIV,
il demande le succès pour S88 chants épiques on même la victoire
dans un concours.
HYUNBS HOMÉBIQUES O5
citor leurs poèmes; c'était quolquofoiala Muse,souventaussi le dieu dont on célébrait la fête, lorsque losréci-tations faisaient partie du programmede quelque solen-nité, G'oatà ce dernier usage que so rapportent en gé-néral nos hymnes. Réunis, ils nous fournissent unesortede catalogue des panégyries grecques où la poésie avaitpart. En les lisant, nous nous transportons tour à touren imagination à Uéloset à Dolphos,à Eleusis et à Cla-ros, à Salamino de Chypro et à Athènes; nous y assis-tons aux fêtesd'Apollon, de DèmMor,d'Aphrodite, d'A-thônu ou d'iléphaistos, et à uiiu foulo d'autres. IJ n'estpoint de dieu qui n'ait son hymne, point do ville quin'ait ses fêtes, point de grande réunion sans poésie. L'é-papéo se montre là vraiment vivante et régnante, aumilieu do ses prêtres et de ses fidèles, dans tout l'éclatdo sa gloiro, comme la tragédio d'Eschyle ou do So-phocle sur le théâtro d'Athènes; nous la suivons d'Eu-rope en Asio, à travers les Cyclades, partout acclaméeet traînant la foule après elle. Quelquesprologues poé-tiques deviennent ainsi les témoins irrécusables de l'em-pire qu'elle a exercé et nous permettent do le concovoird'une manière sensible.
Bien que tous ces hymnes parlent uniquement desdieux, il n'en est pas un qui présente un caractère litur-gique. Tous ceux qui ont quelque importance sont dovéritables récits épiques, et les autres sont le plus sou-vent des abrégés de récits du même genre. Cinq seule-ment laissent entrevoir quelques traces, plus ou moinscertaines, d'influences orphiques1. Les autres se ratta-chent directement soit à la tradition homérique, soit àla tradition hésiodique, parfois à toutes les deux simul-tanément.
C'est surtout l'élégance et la grâce brillante qui dis-
_l* sont les byttnm VIII. XIV, XXX (XXL éd. Piereon). XXXI(XXII, dit même) et XXXH (XXm, du môme).
656 CHAPITRE XIII. – FIN DE L'AGE EPIQUE
tinguent Y Hymneà Apollon MHen*, le premier et le
plus remarquable de la collection.Destin6à une des fôlesde Délos,il a pour objet do célébrer la naissance du dieudan*l'ile choisie.Rien ne manque à ce petit poèmepourcompter au nombredeschefs-d'œuvre, sauf la puissancede l'invention. Toutes los qualités que le long succès de
l'épopée avait développées chez les aèdes sont réunieslà si harmonieusement qu'elles y semblent naturelles.Pures et nobles images, simplement dessinées et pleinesde vie, qui se détachent, brillantes, sur un fond presqueaussi lumineux qu'elles. Les dieux y apparaissent beauxet majestueux; le poète los groupe ou les isnlo sans
effort, commeau fronton d'un temple; il sembleque l'art
do la composition soit devenu chez lui un instinct, quispontanément donne à chaque chose sa valeur exacte
t Oui,il faut queje célèbre Apollon, l'aroher aux traitslégers,celuidevant qui les dieux mômestremblentdans lademeurede Zeua,quand il y apparaît. Dès qu'il approche,ils s'élancent tous de leurs sièges,à la vuedeson arcroilou-
tablequ'il tend.Seule,Lètoresteassiseauprèsde Zeus,lemat-tre de la foudre elledétendl'arc du dieu, elle ferme son
carquois,elledétacheelle-mèmedesesépaulesrobustesl'armeflexibleet la suspendcontre le pilier où est adosséle siègede Zeus,à un clou d'or. Lui-môme,elle leconduita sontrdne et le fait asseoir. Son père lui donnealors le nectardans unecouped'or, en signed'affectueuxaccueil tous lesautres dieuxse rasseoientautour de lui et la divine Lèto
1.L'hymneI, àApollonDélien,confondudanslesmanuscritsavec
l'hymneII, àApollonPythien,en a étéséparépourla premièrefois
parRahnken(Epitt.critic.,I, p. 17);depnislorscettedivision,bien
quediversementcontestée,a généralementprévalu.Dansl'éditionDidot(Homeriearmina),les deuxhymnessontencoreréunisen unseulsousle titregénéralet; 'AitiW.uva.– A. Gemoll{DieHom.Bymntn.p. tii et sulv.)est revenuenarrière,et il aessayéde dé-montrerquel'ensemblenepouvaitpasêtrediviséen deuxhymnesiu<l«iwu<Iauts.Souargumentation,trèsétudiée,n'estpasdécisiveetsesconclusionspersonnellesrestentobscures.
HYMNES H0HÊRIQU8S 557
ta sentrempliedojoie, parcequ'elle » enfanté cefils, l'ar-cherdivin à qui rien ne résisteU»
cette belle poésie transparente illuminetout ce qu'elletouche: quand elle déroule devant noua les noms des
Iles et des caps où règne Apollon, il semble qu'ellemotlo un rayon à chaque sommet. Elle sait d'ailleurs
aussi animer des personnages. C'est un morceau char-
mant que la prière do Lèto à l'île de Délos, quand otle
lui demandeun asilopour mettre au mondeses enfants;et la réponso do l'île n'eat pas moins intéressante il ya de part et d'autro une exquise et apirituoito naïveté
dans l'expression de sentiments aussi simplesque vrais.
Puis, légèrement, vivement, avec cette grâce descrip-tive qui lui est propre, le poète nous montre les déesses
qui s'assemblent pour la naissance du jeune dieu; il
fait tout un drame des douleurs de Lèto, des alléos et
venues d'Iris; et enfin, quand la moment do la déli-
vrance est arrivé, les images les plus aimables embol-
lissent son récit, qui semble sourire et s'éclairer tout à
coup
« Alors Lètojeta ses bras autour du palmier, et elle ap-puya ses genouxsur la moiteprairie;la terre souriait au-dessous d'elle; Apollon s'élança soudainà la lumière ettoutes les déessesà la foisjetèrentun cri.
« Et déjàil marchaitsur la terre immense,Phœbosaux
longuesboucles, aux traits rapides toutesles déessesleregardaient, saisiesd'admiration et Délostout entièresecouvrit de fleursd'or, comme un cap élevéfleuritau prin-temps soussa couronnede forêts,»
II est impossibled'être plus à l'aise au milieu do ses
descriptions quo ne l'est notre poète. Aussi, à la fin,
quittant son sujet aussi facilement qu'il l'a développé,
l. AApollo*rVli*4-M.v. 117.
658 CHAPITRE XIII. FIN Du L'AÛE ÉPIQUE
Harrête nos esprits sur la fèto elle-même, sur le»
louions assemblés quisont venus là tlo toutes les Iles,
et onfin sur lo cliwur chantant et dansant des jouaes
Dôtionnos, auxquelles il recommande sa renomme
poétique
«Soyei heureuses, toute»;et souvene«-vousde moi dana
l'avenir,Ioniquequelqueétranger, venu de loin après bien«lesfatigues,vouademandera – «Ojeunesfilles, quelest
celui de vos aôdeafumUlersqui vous oat le plu»cher,quele*\celuiqui vousotuirmeleplus? »Alors,toutes,d'un com-
munaeoord,répondex-luipar eesdouoe*paroles – C'est
unaveux!» » habite«Unsl'lie rooatlleuwde Chles,et «es
chunWresterontcélèbresdans l'avenir. Et, moi, de mon
cltû.je porterai au loin votre renomméechez tous les peu-
plusoù me conduirontmes courseserrantes & travers les
villespopulouBos.Et cequeje dirai seraoru.car je n« di-
rai que la vérité t. »
Si nous avons insisté Bur cotte «uuvru pou étendue,c'est
qiCcllo rosumo avec éclat lostitrus du la poésie doshym-
nos. Nous pouvons donc être plus brofa sur les autres.
Il y a bien moins do grâce et d'aisance dans V&ymme
« Apollon Pythie», qui célèbre la fondation do l'oraclo
do IMphos par Apollon. Non seulement l'autour, comme
tuus les poètes des hymnes, irnito la grande épopée,
dont il emprunte los tours, les expressions,les procé-
dés, mais il suit de près aussi l'hymne précédent. Moins
libro et moins souple que son prédécesseur,il s'attache
aux légendes locales, aux explications étymologiques,
1. V. 166-176. Cet adieu plein de grtee prouve qae l'hymne a été
composé par un homértde de Chlos. Thucydide y reconnaissait en-
core Homère lui-même (III, 101); de même l'auteur anonyme du
Concours dlhmère el d'Iléiiodt. Il n'est pu douteux que cette poésie,
où l'imitation est portée A la perfection, n'appartienne & un temps
bien plus récent que l'Iliade. Selon une antre opinion assez répan-
due dans l'antiquité, l'aède qui se désigne Ici comme habitant de
Chlos serait Kynsethos de Chios (Scot. Ptnd., Mm., II, t). qui vivait
dans la 69< Olympiade (804-501).cette date trop récente o «le (.as-
peetée avec raison.
HYMNE8 HOMÉRIQUES US
aux vieilles traditions; il est plus historien, plus exé-
gMo,et par là mémo, eominul'a romarqué justmnentBaumoiater, plus itiSsimlique.Et toutefois, il est fatai.liur lui aussi avec toutes les ressourcesd« l'art, et imbudus mornes IraditioiiHi,II est bien factieux quo l'hyuuio fil ù Ihnnèn ne soitvenu jusqu'à nous qu'endommagé par don altérations
graves ot dos lacunes, C'est unrécit, domi-sérioux, de.
mi-moquour, de l'onfanco d'Honni»*,réllit adroitementramené u l'unité du tomps par lugruup.tuiont dos aveu-turoa. Tout au pas*e on quoique» heure*, et, dans cos
quoique^ houros, lionnes vient au ittondosur lu mont
Cyllèiio,invento la cithare, vole les lirouf*d' ApollonenThossalie, les rainènoon Arcadio,sedéfenddos reprochesqu'il a mérités, plaide sa cause au trihunal du Zous, etQnalemonlsoréconcilieavec sou frorc Apollonauinoyoudo concossions inuluolles. Tout cela ost raconté d'unton Mgor,spirituol, ingéniousoinent adapté à la naturedu sujet. L'auteur oxcellu il trouver le détail descriptifet précis, à inettro un scène ses personnages, A lesfaire parler. La plupart des obscuritésdo sa dictionpu-raissont provonir du mauvais état du texte. C'osluncontour et un poète, mais le contour on lui est supé-rieur au poète
». Quelque* désignations géographique* relativement rétentes,telles que les noms d'Europe et de Péloponnèse (v. 13, 74; 112, 113;Ml, *»2, VA), semblent indiquer que cet hymne n'appartient pas à
un Agetrès aneien; mais U est nécessairement antirieur à l'année 818.où out lieu l'incendie du premier temple de Delphes, le seul qu'ilconnaisse (Pausan.. X, 8). Cf. Baumeisler. p. 117.
S. Btnmeiater a fait remarquer qae l'Hymne à Uermit ne peut «Iretrès ancien, puisque la cithare bbriqofe par Hermès est la cithare &
sept cordes, qui ne parait pas avoir été en usage chez les Grecs avantle vn* siècle. Pour cette raison, Il pense qu'il a été composé vers la«• Olympiade (630-617av. J.-C). Hermann arrive &une conclusionssafetaM» ou ae tondani sur los particularités de la métrique {Orphica,p. 689;; le procédé est en lui-même bien hasardeux.
860 CHAPITRE XIII. VIN »K L'AOK ÉPIQUE
L'hymne IVà Aphrodite ressemble pour la facilitébrillante il l'hymne dûlien. Ii nous raconte commentla déesse
Aphroditeaima AnchiseU Troyen, qui la rou-
dit mère d'Knôe. On souhaiterait un développement outnoine étendu ou plus varié; le poème est trop eomide.rable pour le aujet, et il contient trop de discours oùles récits ont plus da part que les «entimenta. Nouaavons atfaire à un narrateur élégant et abondaut, à
qui une poésie dopuis longtemps assouplie ne refuse
riun une seule chose lui manque, la forcequi vient dela méditation, seule capablede auppléeren quelque me-sure à l'élévation naturolto qui vient du génie »,
Toutes les bonnos traditions épiques rovivont sousun aspact de gravité religiouse dans le dernier dos
grands hymnes, V, à Dèmètrrh Beau récit, cluiromout
ordonné, qui dûroulo sous nos yeux tout le drame do
l'ontovoment do Proserpino. Lagraudoitnagedo la dou-leur liuilornollodo ltàmMor le domine autour de cette
imugo Boutgroupées avec art los légendes attiquos d'É-
lousU. L'ôlogo qui *st fait dus myst&rea semble déno-ter l'origine localo do la composition et prouve en
mêmetemps qu'elle no doit pas romontor beaucoupaudolà du sixième siècle
Nous no signalorons, parmi los autres hymnes du ro-
1. Otfried MQller nous Mmbte avoir urfait cette composition. U a
•apposé non un» vraisemblance qu'elle r.v»U pu être faite pour un
prince isiu de la race d'Éoèa (v. 1W). La iate «a est Inconnne, et ilne semble pa. qu'il y ait anoun élément de conjecture sérieuse.
S. Oito dans l'antiquité par Pausanlaa (1, 38; II, 14: IX, 80), cet
hymne ne ligure que dans «n seul manuscrit découvert à Moscouen 1780par l'helléniste Christian-Frhdérie Matthai. Voyez ce sujetles lettres de Matltuei à Rohnken (t'aése de M. Hlgnard sur les Hym-ne» homérique*, appendice).
3. Le texte du manuscrit oltre dans la lin quelques lacunes. Cer-tt!n« tHentttoM q~'ea decoaTM t& et tt a'tmtahMnt pM tee mn-taines «Itérations qu'on découvre «a et là n'autorisent pas les con-
jectures téméraire* qui Qui (M faites sur YSttAprimitif & SStti ces-
position.
HYMNES HOMÉRIQUES SOI
Hi»l. de la Uit. amqn. – T. t. 36
oueil, que la VU*, adressé à Dionysos et relatif à son
aventure avec le* pirates tyrriténions, et Jo XXIX*en
l'honneur du dieu Phii. Beaucoup du ceux dont noua nedisons rien sont de simples invocations. Ce que tous at-
testent. c'est combien les poètes do la fin do l'âge épi-
que avaient la tête romplio doa grandes œuvres de tours
prédécesseurs. Ils pouvaient comme eux, ils parlaientcommo oux, ils se servaient du leurs comparaisons et
de lours imagea comme do choses qui appartenaient dé-
sormais à tout le mon Je; l'épopée ancienne était la
source do leurs idées, do leurs sentiments et do leurs
expressions.Les mêmes rotnarques s'appliquont à la séri» do pe-
tits morceaux poétiques que l'on joint ordinairement
nous lu nom d'pigrantmes aux grands poèmes homé-
riques. Ces dix-sept morceaux figurent dans la biogra-phie d'tlomôro, faussement attribuée à Ilérodulo ils ysont rapportés plus ou moins adroitement diverses cir-
constances de la vie fictive du poète; mais il oxt visible
qu->le récit a été fuit pour les épigrammes, et non los
épigrammos pour lu récit. Celles.ci oxistaiont donc an-
térieuremonl. Il parait probable qu'un bon nombre au
moinsd'enlro elles appartiennent à la fin do l'Age épiqueet qu'ellos ont été composées on diverses occasions pardos rhapsodes. Los plaintes contre les Kyméens par exem-
ple (Épigr. IV) somblent bien être cellos d'un chanteur
de Smyrno, mal accueilli à Kymé. D'autres ont une ori-
gine toute différente. L'épitaphe do Midès à Larisso
(Épigr. I(f) était un morceau célèbre dans l'antiquité,
que l'on attribuait aussi à Cléobulos do Lindos, l'un des
sept Sagos Les conseils au chevrier Giaucos (Épîgr/XI)
1. Cetteépitapheest citéepar Platon Phèdre, p. 961),par DionChrysostome(Oral,XXXVIII.p. 120),et d'unemanièreincomplètepar Longinet Sextus.DiogèneLaerce(I, 8»)dit que beaucoupdepersonnes,an nombredesquellesil nommeSimonide,-l'attribuaientà Cléobnle.Voy.Poetaelyricigraecide Bergk,Simonid:fr. 57.
569 CHAPITRE XIII, – PIN DE L'AGE ÉPIQUE
sont do véritable» préceptes hésiodiquos. Los beauxvers sur la phratrie sa(iiienne(Épigr. XIII) semblent un
fragment île poème moral. L'épigramme XIV, intituléele Four ou les Potiers, est un curieux morceau attribué
par Julius Pollux à Hésiode. L'autour, quul qu'il soit,
appoltola protection d'Athèné sur les travaux des po-tîurx, si ces derniers lui font lion accueil; dans lo cas
contraire, il dévoue tours travaux h ta malfaisaucud'uno foulede génies dont les noms bizarres personni-fient los accidentsspéciaux à leur industrie. Si les Hym*wx nous faisaient voir on imagination los rhapsodesdans les panégyrios où ils apportaient leurs chants épi-ques, quolquoâ-unoâdo ces épigrammos nous les mon-trent au milieu des petits accidents de leur vie errante,ftUésen tel endroit, mal accueillis en toi autre, s'adres-emntaux plus petits comme aux plus grands, aux gensde métier comme aux magistrats dos villes. En ce sens,elles ajoutent quelques traits intéressants à un tableaudont une trop grando partie a été effacéepar le temps.
II
Rion ne marque mieux l'espèce d'avilissement des
formes épiques dont nous venons de parler que io mé-
diocre poème de la Batrachomyomachie, si indigne de
la réputation dont le temps l'a environné ••
Le poète raconte, en imitant les formes homériques,une grande lutte imaginaire entre le peuple des rats et
celui éég grenouilles. Ne nous demandons pas quelle
i. A.iitéfttib pensequele vrai titreest BaliackamachicBerlin,philot,Woch.,èi ài»ra189*.Votr aussi lesétudesda mfimecritiquestarles mas.4*« foém* dansla,mimerevue,1895.w 20.
LA BATRÀGH0MYOMAC1UE 588
est la portée do son couvre, car ello n'on a aucune. S'il
se proposait do tourner on dérision les grands senti-
monts dos héros, nous pourrions nous intéresser à cette
révolte d'un bon sens un pou vulgairo contre l'on-
thousiasino et les tonduuoos idéalos. Il n'en est rien;
ni cette idée, ni aucune autre du môme genre ne
l'inspiro. Son œuvro n'eat qu'un amusement, et un
amusement dénué do fantaisie. Il n'y a rôolloment
trace d'invention quo dans la roprésentation do l'ar-
moment tles combattants et dans la choix de leurs
noms au reste, situations, épisodes, discoun. inter-
vontion dos dioux, tout est imité de l'épopée. Il au-
rait fallu, pour animer cela, quelquo chose du génie
do notre La Fontaine c'ost par la fine observation des
miMirs dos animaux et par lo sentiment vif des chose*
tio la nature, associés à un osprit satirique, qu'un tel
récit aurait pu plaire; au lieu do cola, tout so réduit
dans la UatmchuMtjomachle à une sorte, do drdlorio ar-
tificielle, dont le procédé est si apparent qu'on s'on lasso
dès lo début.
Il faut ajouter que la languo dont so sort l'auteur
n'ost rion moins quo poétiquo. Tout ce qui n'ost pas.
ompruntj à la vioillo épopée, tout ce qui lui appartient
on propre, commo tours ou comme expression, est déjà
presque do la prose. C'est là l'indice lo plus certain de
l'âge récent du poème. Qu'il soit l'œuvro du Carien Pi-;
grès, frère do la reine Artémise, comme le veulont
doux témoignages anciens, ou qu'il doive être attribué
à un inconnu, il parait certain qu'il n'a guère pu être
composé avant la Un de la période épique*.
i. La Batrachomyomachiea été attribuée à Homèrepar Stace-
Martial.Fnlgenee,et peut-êtreaussi, bienqu'entermesobscurs,par
PhUostmtoetThéonpani~ ïes L'auteur duTraitéet Scï<!s%dsM
aHimdott,qai 8gatapansa tesœawwds .FUtfanpte,« Sai<tos»<Ja»s
son Lexique,disentqueee poèmeétaitl'œuvrede Wgrés. – Letexte
en est extrêmementaltéré, et il y a de gravesditergeneesentre les
manuscrite.
56i CHAPITuE XIII. FIN DE L'AGE ÉPIQUE
Uuo tollo œuvre bien certainement n'a pus été uni-
que en son genre, Ces jeux d'esprit étaient trop faciles,
une fois l'art épique tombé dans le domaiuo commun,
pour h» pas so multiplier. Los anciens citent, sous lo
non du Kcûyvt»,divers pubmes, tels que los Kercopes,los ËpitieMMds, d'autres encore, <|iii nous sont d'ail-
leurs inconnus, et dont los titres mêmes ont donné lieu
à d'arides discussions. Nous na nous y arrêterons pas,
• n'ayant rien a y apprendre lu Umrmhumyomaehh suf-
fit à représenter pour nous un gonro qui n'a vraiment
qu'un intérêt ininimo.
.Maisil faut bion so garder do confondra avec ces
productions insignifiantes uno œuvre dont la porto est
profondément rogrottublu. Nous voulons parler du
3tar(fiiès Au jugmnent d'Arislotu, eu poèmo était M
l'égard de lucomédio co que Vliimle olV Odysséeûttti>nt
&l'égard do la tragédio Dans un récit plaisant, «lotit
nous ignorons malliourousomcnt la sujet, figurait, comnir
porsounago principal, le héros qui donnait son nom
au poème, Mnrgiles. c'ost-tt-diro lo sot par «xcollenco 3.
Un vors, quo Platon nous a conservé, le caractérisait
d'une manièro aussi vigourouso quo spirituollo
II uvoict«i.-obftucouj)dechoit*,Disl»pi*unesoutecommoil hat*•
Margitès n'était donc pas un pauvre d'esprit; lo poètel'avait conçu plutôt comme une intelligence bizarre,
1. tfoir Welcker,Cycle,i, p. 184.tioettling.DeMargitahotmnim,Iena. 1803.
2.Arist.. Poét.,c. iv 'O y«PMapYÎnssivdt).oyov!E-/ei.wo««p'I).(à{'Oliania. itpôct««Tpaywîfcu.oût»x«\oi«« «f'o; t««xw|ia>Sia(.Voirtout le passage.
3. Map-fÎTT,î, de fâfyo;. inaeneé. Eust. p. 1839. râv ânb toO i»»pf«!vîtv,
6 fat! jwjafem*.4. Platon,SecondAtàb.,p. It7 Bet O lié/ fimVxa.oïfY3««»»:
t* ~at« aâvsa.
LE MAROIT&S 595
pleine do volléitéà et d'idées incomplètes, mais dénuée
do jugement et do sons pratique.
«Les dieux n'avatentfait delui ainn travailleur deterreni un lauauraur, ni l'homme d'aucunmétier il n'était ca-
pable de rien »
Coqu'un poète, qui était on mômetemps un moraliste,
avait pu tirer do culte conception, noua l'imaginons ai-
Béinont,et la célébrité du porsonnugo dans l'antiquiténous encourage a l'imaginer. Son nom était passé en
pravcrlio. On le citait comme la type de l'homme quifait du travers tout co qu'il fait, ut se rend ridiculedans
les choses los plus simples Quollo quo fût l'action,
Margilès s'en allait donc a travers la vie on achoppantà toutes les pierres et on donnant do la tôto contre tous
les murs; c'était, pour ainsi dire, l'antithèse vivante
d'Ulysse Lo génio grec s'était offert on colui-ci le
spectacle do l'inlelligonco déliée, pratique, prête à tout,
manifestant lo»qu;ités dont il était lo plus lier il s'a-
musait &présent il considérer dans l'autre les défauts
les plus opposés. L'élémont satirique, qui apparaissaità poine dans l'ancionno épopée sousles traits de Ther-
site, s'était dégagé complètement et devenait épique à
son tour dans ce récit nouveau qu'il remplissait.Par là même, on ne peut admottre, commel'antiquité
l'a cru, que le Margilèsait été composépar lo premier
1.Aristote.Éth.dNicom.,vt,7,etCUm.d'Alex.,Slrom.,I, p.121Syiburg.
2. Suidas, v. Maprfoic; Dion Chrysost., Oral., txvi; Lucien, ller-
mot., a Scol ad Philopseud., 3. Harpocration. Mapyixrfi. Hésychius.
KaftnxtK et UafxivM (Paul-ôtre, au mot Map-rêne, trouve- t-on une
allusion à une des aventures comiques du héros). D'sprès Dion
Chrysost. (Or. 83.g 4). le philosophe Zenon avait écrit sur le Margi.tè$ comme anr l'Iliade et VOdytsie. Harpocraliou, pan. cité, parle de
l'admiration de Calllmaque pour ea poème.3. Voyez, pour les principaux traits de sa sottise, Kinkei, Epie. gr.
fragtn., p. 83, fr. 4 et S.
000 CHAPITBK XIII. – FIN DE L'ÂGE ÉPIQUE
autour ds l'lliade L'âge dos grandes inspirations hé-
rotquos n'est pas celui do la satire, ot lorsqu'on se pas-
sionno si ardemment pour les héros, on no descend pas
volontiers aux choses ridicules ot vulgaires. L'esprit de
co poème, tel quo nous pouvons encore le deviner, ap-
partient manifestement à la période qui commence aux
Travaux d'Hésiode et où brille principalement Archi.
loquo. Un réalisme hardi ot vigoureux so mêlait alors à
la poésie. Gollo-ci se détachait des choses du passé pour
so donner à celles du jour; la réflexion morale prenait
une intensité et une àpretô toutes nouvoiles; et tout
cela s'associait naturellement à la hauto fantaisio, aussi
vivante que jamais. Le Alargitès naquit alors, et, comme
pour marquer cette association si frappante de l'épopée
à la satire, lo poète anonyme qui le conçut y mêla lo
vers iambiquo, dont la fortune commonçait, avec le ve;
héroïque, déjà illustré par tant de chefs-d'œuvre
III
Ce poème remarquable, simplement entrevu par nous
dans une demi-obscurité, nous montre bien où on était
l'esprit grec àla fin do l'âge épique.
Depuis quatro cents ans, la Grèce apprenait chaque
jour à penser plus hardiment et plus fortement. Elle
avait commencé par un rêvo magnifique, celui de l'épo-
1. Aribt., Poét., e. xv; Mor. à Nieom., VI, 7; à Eudème, V, 7. Pla-
ton, Second Alcibiade, p. 23h Plntacqne, Démoslh., xxm, etc.
2. Aristote, pas», cité. Héphsstlon, Manuel, p. 112Gaisford. Marias
VietorinuB, Ara metrica, 1. II et In. I/iambe n'était pas associé à
l'hexamètre dans te Margilèsde feçoa à former des strophes régulières
il s'y métait «à et là, sans autre règle que la voloutô du poète (H6ph.,
ouv. cité, p. U9. Marias Victor., ouu. cité, p. 133 Keil.)
t'JBSPRIT ÛRKGÂPBÊS L'ÊPOPÈE 667
pée. L'homrao y raonait un vie presque divine. JI y était
grand par le courage, par la protection do ses dioux,
par la noblesse de sa race, par le déploiement de sa force.
Une sorte do rayonnement merveilleux l'y environnait.
L'héroïsme était l'état naturel do son âme, et les misè-
ros de sa vie ne se laissaient voir qu'autant que l'art et
la vérité poétique les réclamaient pour rendre vraisom-
blable cet héroïsme. L'Iliade, voilà le type incompara-
ble de cette poésie tout éprise d'idéal. Mais, peu à pou,
l'ombre do la réalité monte sur cette grande lumière
la vision se rapproche de l'observation. Déjà, dans 1*0-
dyssée, l'héroïsme est moins soutenu, le rêve poétiquo
est moins pur et moins haut j une philosophie pratique,
un sentiment fort dos conditions vraies de la vie s'y ma-
nifestent soumis à dos épreuves prolongées, lo héros
principal s'y exalte moins dans sa force et subit d'une
manière plus humaine sa destinée. Et toutefois, c'est
pou do chose encore. Mais, dans les Travaux, le chan-
gement est grand et profond. Là, le rêve de la vie hé-
roïque est dissipé à peine si, do temps à autre, le poète
nous le laisse encore apercevoir comme flottant dans le
lointain. Quant à lui, il est tout entier aux choses pré-
sentes et c'est de ces choses même que sort sa poésie
elle ost faite des impressions quotidiennes qu'il en re-
çoit et des résistances que sa nature énergique y oppose.
Le sentiment personnel y est puissant elle implique
une réflexion ferme et persistante, qui tend à prédomi-
ner sur l'imagination elle-même. Il est vrai que dans
le mémo temps la poésie héroïque vit encore dans les
longs récits du cycle mais l'infériorité mémo de ces
récits semble indiquer que le sentiment public n'est
plus entièrement avec eux. On tient sans doute à con-
server la mémoire des choses passées, mais on veut
vivre de plus en plus dans le présent. Si la poésie hésio-
diquo est locale à l'origine, elle n'en traduit pas moins
508 CHAPITRE XIII, FIN DE L'AQK ÉPIQUE
une manier» do sentir qui est général» la naissance
d'une littérature suliri(|in<, dont lo Morgith peut tflro
regardé comme le typo, atleslo que l'homme a pris la
placo du héros et qu'au plaisir de rêver on associe do
plus ou plus celui do juger.Voilùdouo uno tendance bien aecuséo, donti'offet der-
nier no pouvait ôtrt» quo do substituer à la poésie nar-
rative une poésie pins persunnollu. Mais il ho faudrait
pus croire que «ello-ei eu natssaut ait chassé l'autro, au
point do n'on rien luissm- sulisisJer. Non souloiiioul la
poôsie épique a survécu pondant taul l'Ago lyrique et au
del<i par les récilaliuns tlos rhapsodes, mais elle y a
exercé une influonco de tous les instants. C'était oilo
qui avait constitué d'une manière définitive les princi-
palos légendes et ces légondes ronformatont L la fois
presque touto l'histoire et toute la sagesse dos aièclos
précédents il était impossible do penser sans songersans cesse à tout cola; les jugements sur los choses pré-sentes impliquaient une comparaison perpétuelle avec
celles du passé. C'était aux souvenirs do l'épopée que la
poésie lyrique allait donc emprunter los divorsos ima-
ges d'idéal héroïque dont ollo aurait besoin, soit pour
instruire, soit pour blAinor, soit pour encourager bien
loin do rompre violemment avec ces admirables récits,
elle devait en fait se les approprier pour les mettre en
œuvre à sa manière.
Et à côté de cette influence visible et roconnuo, com-
bien l'influenco secrète des mêmes poèmes n'allait-elle
pas agir profondément? L'épopée avait fait pendant plu-
sieurs siècles l'éducation intime des esprits elle avait
rompli les imaginations de belles et grandes images, elle
avait mis en circulation une quantité presque infinie de
sentiments et d'idées, elle avait créé un langage délicat
et superbe. Lorsque le lyrisme commenta à s'organiser,
tout ce qu'il y avait en Grèce d'hommes sensibles à la
l/KSriUT ORKU APRÈS L'ÊIWÊE 5fl9
FIN DUTOMEPHEUIERy t'
1
poé$ione pensaient que par lfumère et par llé'imlo, Los
patentes qu'onlour attribuait étaiont ulura lu seulu lilté-rature connue. Chacungantait leurs vors dans sa mo«muii'ocomme l'expression la plus m'inplo«il lupluspar-faite «lotout ce quela vif avait enseignaaux géiiéraiiouaniiliM'ieurt's.Co n'était pas, comme pour iuihh, une •!«»
forinos«lelu poiVsio,u'étuit lu puâsîo absoltutiuiit ut In
poésio, «'ôtait tout, on tait cl'oxiiôrioiu'omora!t\ île
st'itMiroliislorii|ui<,du sutisfuuliuiis intt«IK'i!tiu*ll<>Ht*t«s-
tli(&U(|iios.Doncon vivait tlans l'ûpupée»ou y respirait,
unyliuliittttt..Nalurellomeiit l*»sgr«nJt«!*«jtmlités«lu
génie lielléniquo qui l'avaient ollo-màmo proiluite m
fortiflaiont à présent par elle, sans qu'on on eût cons-
cience. Des esprits tout imbus d' Homère et d'Ilôsiotlo
ôtaiont par là mâmeimliusd'or«lro,<l'liarinonic,dobeautévivanle, do sincérité, do graco oxqutso ut do hardiosso
honsée. Lapoésie lyrique, conçuo et coiisliluéo par eux
•l pour eux, ne pouvait quo leur ressembler.
TABLE DES MATIÈRES
Pag<Préface • v i-xxxvi
INTRODUCTION
I. La race grecque et son génie 1
II. La langue grecque *»
III. Caractères généraux de la littérature grecque. Les gran-des périodes de son histoire. 37
ClMPITMKPHEMtKIl.– LES ORIOINES.
I. Ancienneté de la poésie on Grèce 80
Il. Les Muses et la poésie thrace ou piérlenne. Orphée et
Linos. Musée, Eumolpe et Pamplios 83
III. Le culte d'Apollon et la poésie apollinienne. Oten 60
IV. Chrysothémis, Philammon et Thamyris. La poésie des
hymnes. • • 67
V. Les Italiens et les Ioniens en Asie Mineure. 76
VI. Les héros. Les aventures hérotques. Légende de la
guerre de Troie et des Retours. 81
VIL Les premiers chante épiques. Récits d'ensemble récits
épisodiqués. Leurgroupement spontané. 86
Cha*. Il. L'Iliade. Analyse critique bo poème.
Bibliographie de l'i««fe. 98
I. Nécessité d'analyser les poémes homériques pour trou-
ver Hombre. Division de l'Iliade en livres et sections. 100
II. Livre I la Querelle. Sa valeur et son importance. t03
578 TABLEDESMATIÈRKS
III. Livre» H-X tluptuM du pltro primitif. Sujet» variés, mIV, Uvre XI: Iletmir a l'itUe principale la P^f«Uf<rA</a-
mmuntut H de ter tumpagnam en l'ftbsane* d'Aeuilte. ISSV. Livre* XII-XV Dévalappamenl <tyl§ -dlqua d» la Ilot»
lion VAttaqut <lanintp et île» vahteuux, ISSVI. Livres XV<ftn)-XVIIî In Pahwtif U9VU. Uvres XV1U-XXI V. I.n II» du pa«ma ou AthilléUI», cons-
titua» autour Ju râcit do 1» JU«rfd'Hector (XXII» livro) i(9VIII. Canuln^iona 163
ClIU'. III.– FoHM^TlOXUKl.'Il.UIlK.
1. Opinion traditionnelle »ur l'unitA primilivti do VHiiule.
Olijecllon» prétirninitiroa Invraiiemhliincn d'une
grand» composition au temps oit <tstné le poima. 161II. DisoiiB«!ou des sysliime» d'unité primitive. Nitïtch et
Olfriet Mflitor «73III. Uiliutif eonMifitio comme un ftsuinblaga de petit* poè-
mei indépendant*. Wolf. JJngns-Monllwl, LaeUmann.itôTuiaiion de cette manière de voir. 170
IV. Systèmes ititermédinirAs. Wolf Uod. Hermann hy(io-thiso de (irote Ouignl«ut et Kondily. 483
V. VoWtâ probable. Le premier noyau de l'Uiati*. Chantsliés en târio et chants annexes 187
VI. Chanta de développement. 191VU. Chants de raccord. 200
Ciim>. IV. LE ofiNiË et l'aht outta l'Iluue.
I. DiinooBiona et proportions du poème. Unité du sujet.Marche de l'action. Variété 205
II. Le râcit. L'ordre et la elarté associés a la vie et aumouvement. Vérité morale. Simplification bardle. Artde composition dans les principaux récits. Orandeur etidéal. Les héros et la foule 210
III. Descriptions et comparaisons. Discours 219IV. Les personnages. Caractère dAchille; son développe-
ment. Les antres héros. Personnages de femmea; An.
dromaque, Hécube, Hélène. Valeur morale et natio-nale de ces caractères 228
V. Les dieux, 4 2«VI. La langue et la versillcation 247
Chapitre V. – L'Odyssée. Analyse DOpoèbb.
Bibliographie de VOdyuée. MT
I. Indépendance des questions relatives à VOdytTt», î<as qua-tre premiers Uvres 260
TABL8l)E8MATlâRBS 578
II, Uvres V-YIII Ulyua «bai les Piiàgoiana 86»
III. Ltvrw IX-XII: !*• récita d'Utywa ( 'AJmfawàij4*OY«t> 87*
IV, livres X111-XV1 la rentré» d'Ulysse AIilm<|iu> gai
V. Livre» XV1I.XX le* épreuves d*Uly#»o dm* «on jm-txl» m
VI, Livra» XX1-XXIV 1» v«mge«o« d'1'lyaae SOI
Ctlfcl*.VI. – KoUUATIùN-MBl,'U(iVSSÉK,
I, Syatoma de l'uullô primitive; N'Usait et oifr. Millier.. ami
II, Sysliima <]as c!xinta lndé(toatlai)tH lu Tèlenunliif, li -iJlt-i!j/j (flllijait, la aecaiiiUi purtia 3t3
III, hNnui» do rcoonslilulitm diis giouiios faiulitiwut.tus
Koeolily et KlrcliliofT, SIS
IV, Naissance tle n«y*.<^ r.Hèmout iirimilif. UI8Ii
V. IVve!opi»mBntdo l'f '«''• (>urI» ctmtinunlloa du rOolt. 322
VI. L'iiebàvomant du (îoèiuo -'&'>
ClIiPITKS VII. – JiK O^XIB Eï «.UT IUS3 I.'0llV8SÉB.
I. Étonduo et proportion du poème. Unité du sujet niiir-
«lu»do l'action. L'Orf.v.isi'cmuins viiriiWque Hlîmli' 9îS
II. Le r^âit. GftrncUMroBhouvoiuix mo'nm d'dinotlon ot plusde curiosité. Los erandea acono.4 IR 'fern/iit?, la Mort
îles priteniiauls. Ton général du puùmo: ruruto des
comparaisons, vrateotnblanGo et finesse du rtsclt.
L'hommeot lu mituro t'hubitatkm it'Kvunéo. Fantaisie.
Le naturel dans le morveilleux le Cyclupe 'J'J'.1,
III. Los praonnagim I/'ly«8« valeur îi.iùtiquo et morale de
son caractère sa prWiiiincnco dans la paèmo 314
IV. Personnages secoudaires los alliait d'Ulysse, Télima<|ne,Kuméo et Pbiloitios; ses ennemi», les prétendants. Per-
sonnages légendaires :Alkinoos, le roi hospitalier; Nes-
tor et Ménêlas 35l
V. Les femmes Pénélope Arèté et Hélène; Nausicaa 357VI. Les dieux dans l'Odyssée. Ils sont plus unis et plus mo-
raux que dans l'Iliade. Différences de détail. itOlo d'A-thèné 363
VII. La langue de VOdyssie 367
OlIAP. VIII. HlJUÈREET LESIIOJlÉniDES.
I. Les biographies d'Homère 372II. L'histoire probable l'êlémont éolien et l'élénwnt ionien.
Les Homérides de Gttios 379
III. Diffusion de la poésie homérique. Les aèdes. Voyageades Iloiuôrtties. Les Créophyliens de Sqmos 385
574 TABLE DKS MATIÈRES
IV. 1-e» rhapsodes. Accueil Mtanx poéalea homériques dans
illveraaa oltés. Lycursue, Soton, PisUtrate 390
V. DaUeJiranologleùomértyua. 'JUS
Uiup. IX. – ï.v ïoêsik ov«nou«;
Bibliographie du cyclo 401
I. Idée générale du cycls. 403
II. Lu partie trayenue du eytilo. Aratinos de Mtlei, Êthio-
ftiitf et Pri$i <riiios. Loishéf Mil» Iliade. Slasinu» de
Chypre, Chanh cyprlen*. Agi* lt$ Hilaur», ICugamon,l..i TMigoni» 0 413
III. Lei poimas oy«|lquoa lltAliafns; La TMtmïdt, In tyiijo-mm, tOMipodi» i 4S3
IV. Les autrot puèuio» cycliquw î^timtwiinAt*, Douaidt.Guerre rfci .l«i«:o;ii"ï, AJinj/«i/c,IVJxe<f<VCrA(i/i>.»lo 439
V. Pimwdre de Wmdes les thiagamXn Mroï-
que». 433
UtUI'. X. – ANTf.CftllBNTSDUI.l POÊ8IKIIÊSIUUIQUB.HâltlOUE..
I. La poâsie héslodlquo est osiantleUement dlductique elle
appartient & la CirJco contioentele 4U7
II. ÉlèmonlB do la poésie Itâatodique avant Itéatode 1° ÊIA-
ment gèoèalogique S»Mythes moraux 440
III. Apologues. Sentonces. Préceptes techniques 443
IV. Hésiode. Légendes et histoire 447
V. En quel temps a vécu Hésiode? 1 455
Cn.w. XI. LES Th.waux ct lks Jours «.r l*. I'oêsie puxtkjuk
Bibliographie hésiodlqae 4S9
I. Analyse du poème des Travaux et 7our* 402
H. Unité primitive du poème. 469
III. De»sentiment» qui inspirent la poésie d'Hésiode. 477
IV. Les mythes dans les Travaux 485
V. Mérite descriptif. Comment Hésiode a vu la nature. 492
VI. La langue d'Hésiode MO
VII. Autres ouvres de poésie pratique 505
Ciut>. XII. – La. Tuéooonie ET LApoésie oExeM.ooto.UB.
I. Idée d« la poésie généalogique. 599
Il. Analyse de ta Théogonie 51t
III. Unité primitive du poème. Dessein général de l'auteur.
Conjectures sur la 3&ts do l'oeuvre. Amroiaseineiils
.probables. • 628
TABLEDESMATIÈRES 575
/J f.tapriumm- ifintnif de C.lullillon-sur-Seiao.
– Pichat tPptws '• •
IV. Miirile poélUiiii' de la Magame. VeraiHoalion et tanguadu |«tèim> (as
V. Attira* poômt'3 «Anêalosique» attribué* IIdaiad« le*CtttHlùjiuet. le* ILiiHiitt fcV», aie, l'oliltu ifopta» jié-
aMtqnfa. jitt
IÎIUI-. XIII. – I<*FIN I1K U'\UKKt'KUrt,
Rihtingi'npliiu do.s IIi/iiiws, do In ltut,wlwniyamarliie ol tles $/ii-jMwiMici 551
I. Pin de l'dga éjUijuo. Les llymim Malioim-riques, ft
la* É/iiui-niiHi)?*, 85aII. Lu llntni"ti'imij<,mnrliir etla Mui'nitfn 5fia
III. l/osprll pr<iB i'i I» Un ilo l'Age ôpit|u« .». ii(i«
BIBLIOTHÈQUENATIONALE
ATELIER DE RELIURE
COTE> '
OCVSAGERESTAURÉLE rU M1 V |i^
ItSIJÊ iE I. – – -–•