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CERSOI ANNUAIRE DES PAYS DE L’OCÉAN INDIEN 1977 Charles CADOUX A L'ÉCOUTE DE L'ILE RODRIGUES Version numérisée préparée par Noël ALLAS Le 1 er février 2008

A LéCoute De Rodrigues Charles Cadoux

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La formation de l\'OPR en 1976 vue par Charles Cadoux, politilogue français

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CERSOI

ANNUAIRE DES PAYS DE L’OCÉAN INDIEN

1977

Charles CADOUX

A L'ÉCOUTE DE L'ILE RODRIGUES

Version numérisée préparée par Noël ALLAS Le 1er février 2008

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A L'ÉCOUTE DE L'ILE RODRIGUES Par Charles CADOUX (1*)

L'île Rodrigues, qui s'estime injustement oubliée, est maintenant décidée à faire entendre sa voix dans l'Océan Indien. Elle est si petite (110 km2) qu'on omet fréquemment de mentionner son existence dans les ouvrages de référence (le Petit Larousse l'ignore) ou sur les croquis géographiques de l'Ile Maurice dont elle est pourtant, depuis 1968, partie intégrante. La « petitesse » du problème rodriguais - si l'on en tient aux seules dimensions physiques - n'en diminue pas pour autant l'importance sur le plan humain et politique. C'est le problème devenu classique à notre époque, surtout dans les Etats-archipels, de la recherche d'une relation nouvelle entre une métropole - en l'occurrence elle-même insulaire et petite (la superficie de Maurice est cinq fois inférieure à celle de la Corse par exemple) - et ses éléments périphériques dont la nature et l'histoire ont tissé le particularisme.

Le problème rodriguais d'aujourd'hui n'est pas une séquelle lointaine de la colonisation française dans les Mascareignes (1), et il n'a sans doute pas (ou plus) de lien direct avec la colonisation britannique dans cette région même si le sous-développement de l'île, qui a été pendant long temps une « dépendance» en marge et isolée, lui est en bonne partie imputable (2). Il se pose en effet en termes de devenir - beaucoup plus que par référence à un passé ou à raison d'un complexe colonial « non surmonté » - c’est-à-dire en termes économiques et politiques très concrets et dans un rapport inter-îles très précis : à l'issue d'une première décennie d'indépendance, l’île Rodrigues pose ouvertement la question de son traitement et par conséquent, de son statut dans l'Etat mauricien. La création récente de l’Organisation du Peuple de Rodrigues (O.P.R.) témoigne de la volonté des Rodriguais de prendre en mains les affaires de leur pays. Notre propos n'est pas d'exposer tous les aspects du problème rodriguais mais, plus modestement, d'essayer d'en situer les contours en attirant l’attention sur le particularisme rodriguais et sur les premières manifestations du renouveau politique dans l'île.

1 - LE PARTICULARISME RODRIGUAIS Rodrigues constitue une entité géographique et économique que l'on connaît encore mal, même à Maurice. Les études spécifiques qui lui sont consacrées sont rares (3). D'où l'intérêt du panorama socio-économique dressé en 1977 par un économiste mauricien qui présente quelques-unes des « réalités économiques » de l'île (4). Etude solide (avec 25 tableaux) appuyée sur l'observation et sur les données statistiques officielles les plus récentes, qui a le mérite d'aller au-delà de la simple description quantitative L’auteur établit en effet, avec la prudence du chercheur, un diagnostic d’ensemble et formule des propositions de solution qui ont nécessairement un prolongement dans le champ politique.

A ce travail qui mérite d'être connu et discuté nous empruntons quelques chiffres ou estimations pour mettre en relief les trois données principales qui nous paraissent caractériser, sur des plans distincts mais complémentaires, la spécificité de l'île Rodrigues.

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1) Spécificité de la population rodriguaise, tout d'abord, qui forme incontestablement une communauté distincte au sein de l'ensemble démographique mauricien dont elle constitue approximativement 3% (5), le rapport de l'île à la superficie totale de Maurice étant de 5,5%. La configuration géographique et climatique de Rodrigues conduit à un habitat dispersé avec les conséquences socioprofessionnelles qui en découlent (6) ; elle explique les différences de densité de population entre les deux îles : densité nettement plus faible à Rodrigues (265 habitants au Km2 contre 460 à Maurice) si l'on tient compte de la superficie brute, mais beaucoup plus forte si l'on calcule cette densité « par rapport à la superficie effectivement sous culture » : cela donne en effet 1.062 habitants à Rodrigues contre 901 à Maurice (7). Or la population rodriguaise, malgré une forte mortalité infantile dans la décennie 1967-1977 (8), s'accroît à un taux net de 30/1000 sinon plus, c'est-à-dire à un rythme deux fois plus rapide qu'à Maurice. A l'époque du dernier recensement (1972), 57,7% de la population avait moins de vingt ans. D'où un courant migratoire difficile à évaluer avec certitude faute de statistiques précises, mais qui semble important (13% des Rodriguais seraient installés en permanence à Maurice). A ces caractéristiques démographiques s'ajoutent les différences et décalages culturels. Le niveau moyen d'instruction de la population rodriguaise ne dépasse actuellement pas le stade de l'enseignement primaire (9). Le manque de qualification retentit dans la répartition des emplois (10) et les Rodriguais s'estiment très mal placés par rapport aux Mauriciens proprement dits pour la compétition professionnelle, par exemple dans la fonction publique où ils occupent jusqu'ici, dans la majorité des cas, les échelons les plus bas. Le particularisme rodriguais tient par-dessus tout à l'homogénéité remarquable d'une population qui, dans son ensemble, est classée dans la rubrique «population générale», c'est-à-dire population d'origine non asiatique (11) : 97% sont des « Rodriguais en terre rodriguaise » selon une formule aujourd'hui répandue. Au pluralisme ethnique et culturel mauricien à dominante indienne Rodrigues oppose donc une unité de communauté. C'est là un aspect important qui, en tout cas, sous-entend désormais le « fait politique » rodriguais. 2) La régression de la production agricole est une autre donnée de l'économie rodriguaise actuelle. Une régression que P. Dinan analyse avec précision à travers les résultats chiffrés et commente en se livrant, écrit-il lui même, à « un véritable exercice en optimisme ». La nature n'a certes pas été généreuse avec Rodrigues qui, isolée en plein Océan Indien à 600 Km de Maurice, manque du bien le plus précieux, l'eau (12). La pluviosité moyenne (1.250 mm/an) est inférieure de 40% à celle de Maurice. De plus, l'île Rodrigues a éprouvé pendant cinq années successives (1973-1977) une sécheresse catastrophique (13), aggravant ainsi les conditions déjà rudes posées à l'agriculture par l'érosion, le déboisement et le surpâturage. Les pluies ne sont revenues à la normale qu'en 1978. Du coup, les objectifs du 1er Plan mauricien de développement 1971-1975 - qui visaient notamment « à rendre au sol sa capacité physique en vue de la production agricole et de l'élevage » - n'ont été réalisés que très partiellement (14). Les techniques défectueuses de

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marketing - chaotiques selon l'auteur - et le système du relief-work (15) n'incitent pas par ailleurs le paysan rodriguais à développer son effort. Quelle que soit la diversité de ses causes, la régression est manifeste, tant pour les cultures vivrières, presque exclusivement autoconsommées, que pour l'élevage et la pêche qui sont produits d'exportation (16). L'île importe de plus en plus pour assurer la subsistance de la population (17) au point que les exportations, malgré leur doublement en quatre ans, sont de loin inférieures aux importations. La détérioration de la balance commerciale avec Maurice s'est considérablement aggravée (18). L'écart de niveau de vie entre les deux îles tend par conséquent à s'accentuer fortement. Selon l'auteur, il sera de 1 à 7 en ce qui concerne le produit intérieur brut (P.I.B.) au terme du second Plan mauricien 1975-1980, à supposer que les objectifs du plan soient à peu près tenus (19). Autre estimation qui souligne la nécessité de modifier la stratégie de développement : le produit national brut (P.N.B.) de Rodrigues, très inférieur à celui de Maurice, place l'île au rang des pays les plus pauvres du monde (moins de 100 dollars par an et par tête d'habitant), alors que Maurice est actuellement dans la catégorie des pays à plus de 500 dollars, c'est-à-dire à un rang nettement supérieur à celui de certains de ses voisins de l'Océan Indien (20). Il est évident que la connaissance de ces écarts incite à la réflexion le mauricien « rodriguais ». 3) La dépendance économique de Rodrigues par rapport à Maurice, qui « s'accentue d'année en année », selon P. Dinan, va devenir sans doute le point central du débat politique. Schématiquement, la question posée est celle-ci : Rodrigues est-elle source de profit ou charge financière pour Maurice ? La difficulté à connaître avec exactitude les mouvements d'argent entre les deux îles, en l'absence des documents précis (il n'existe pas de balance des paiements), n'autorise pas de réponse chiffrée absolue mais seulement des évaluations. De l'analyse des échanges commerciaux inter-îles et des données budgétaires, l'auteur croit pouvoir tirer quelques conclusions que nous résumons très sommairement. Dans le mouvement des importations-exportations, le gain net est pour Maurice (c'était le cas en 1975), et il est certain que le réinvestissement des bénéfices se fait à Maurice, compte tenu de la faible motivation - jusqu'ici tout au moins - pour l'épargne et l'investissement à Rodrigues. De même retourne à Maurice une bonne partie des allocations spéciales versées aux fonctionnaires mauriciens en poste à Rodrigues. En bref, l'épargne mauricienne tire probablement le plus grand profit de ces échanges (21).

La part globale de Rodrigues dans le budget mauricien est de l'ordre de 3%, pourcentage sensiblement égal au rapport de population. S'agissant du budget de développement, le Plan 1975-1980 a prévu un ensemble d'opérations portant surtout sur l'infrastructure, l'agriculture et la pêche, soit un montant total d'investissements (actualisés) de 128 millions de roupies (22). Mais les prévisions du 1er Plan mauricien concernant Rodrigues sont jugées par l'auteur très optimistes. Dans le budget de fonctionnement, la part de Rodrigues a augmenté passant de 1,7% en 1974-75 à 2,3% en 1977-78. Mais les trois quarts du total (76,2% dans le budget 1977-78) sont consacrés au traitement des employés du gouvernement, fonctionnaires et autres travailleurs.

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Or ces dépenses de fonctionnement sont loin d'être équilibrées en recettes par Rodrigues en raison de la faiblesse du revenu. Il y a donc un énorme « trou à combler » et, de ce point de vue, il est certain que « l'aide mauricienne est considérable » (23). A partir de ce constat on imagine quelles peuvent être les attitudes respectives : d'un côté (mauricien) volonté de maintenir ce système plus ou moins corrigé ou, peut-être, attitude «cartiériste»; de l'autre (rodriguais) résignation à une domination fatale et à l'entretien par la métropole ou, au contraire, refus de la mentalité d'assisté permanent et d'une « colonisation » par Maurice. Et c'est ici que la politique prend le relais.

II - L'ÉVEIL POLITIQUE L'éveil est, tout compte fait, récent mais il a pris, en moins de deux années, une dimension politique tout à fait remarquable. 1) C'est à l'occasion des élections législatives de décembre 1976 - première consultation nationale à Maurice depuis l'indépendance acquise en 1968 - que le « fait rodriguais » a véritablement crevé la surface politique avec la création de l'Organisation du Peuple de Rodrigues (O.P R.) Jusqu'à cette date, les aspirations ou impatiences rodriguaises n'avaient pas trouvé de porte-parole véritablement enraciné dans le pays. Le sort de la population de Rodrigues n'a certes pas été un thème majeur du programme des trois principaux partis qui, parmi les 21 groupements présentant des candidats, étaient en fait les seuls directement concernés par l'enjeu politique (24). Mais c'était la première fois qu'une formation politique spécifiquement rodriguaise se manifestait officiellement sur la scène nationale mauricienne. Constituée avec une certaine précipitation, l'OPR obtient néanmoins à Rodrigues (c'est la 21e circonscription électorale et la seule où l'O.P.R. présente des candidats) 32% des suffrages exprimés contre 54% au P.M.S.D., qui fait à Rodrigues son meilleur score (25), et seulement 7% au Parti de l'Indépendance. Cette incontestable percée de l'O.P.R. conduira le nouveau gouvernement issu des élections à concrétiser aussitôt des intentions exprimées avant la campagne électorale en créant un „ « Ministère chargé de Rodrigues » (26) Jusqu'ici les affaires rodriguaises relevaient de la responsabilité du Premier Ministre. 2) Ainsi intronisée, l'O.P.R. a commencé véritablement son implantation à Rodrigues au cours de l'année 1977, sous l'impulsion de son fondateur Serge Clair, qui est à la fois le secrétaire et le coordinateur de l'Organisation, en même temps que le principal animateur au sein du comité directeur. Il n'est pas question d'analyser ici la structure et le fonctionnement interne de l'O.P.R., ni de parler en son nom, et, moins encore, à sa place. On voudrait seulement donner quelques indications sommaires sur la nature et sur l'orientation de ce mouvement. A l'heure actuelle au moins, il s'agit en effet davantage d'un Mouvement que d'un parti politique au sens classique - et limité - du terme.

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L'O.P.R. n'est pas un parti d'appareil et son action, qui se veut plutôt collégiale et directe, recherche moins des militants au sens partisan de l'expression que des auditeurs attentifs. Son objectif n'est pas de participer sous une forme ou sous une autre à la conquête du pouvoir dans l'Etat mauricien, mais de faire « reconnaître » la spécificité de la communauté rodriguaise dans l'ensemble national mauricien : sensibiliser et « conscientiser » d'abord les Rodriguais eux-mêmes et, parallèlement, instruire la population mauricienne de l'éveil rodriguais (27).

L'O.P.R. lançait en novembre 1976, dans le cadre de la campagne électorale, son premier manifeste intitulé « Projet socio-économico-politique de l’Organisation du Peuple de Rodrigues ». Un document d’une quinzaine de pages comportant une introduction et le programme politique proprement dit qui mettant d’entrée l’accent sur l'affirmation de la personne rodriguaise et sur la nécessité de définir une nouvelle relation avec Maurice, (28) s'articule autour de trois revendications complémentaires : d’abord une politique de formation et d'information des Rodriguais dont l’isolement matériel et intellectuel est à l'origine du décalage culturel (29) - et à cet égard la création dans l'île en juillet 1977 d'un journal hebdomadaire est un événement d'importance (30), ensuite une politique de développement économique axée en priorité sur le secteur rural et sur la formation d’animateurs capables de susciter chez les producteurs l’esprit d’initiative et de coopération (31) ; enfin une politique de restructuration administrative débouchant sur l'élaboration d'un nouveau statut de île Rodrigues qui est actuellement une simple circonscription administrative (un district) de Maurice (32). En bref, l'O.P.R. propose «un projet socialiste de développement » ; mais il s'agit d'un socialisme démocratique - non de collectivisme - et aussi d'un authentique personnalisme respectueux du pluralisme et, par-dessus tout, attentif « aux réalités rodriguaises qui sont bien différentes des réalités mauriciennes », ainsi que l'affirme l'une des résolutions adoptées au 1er Congrès de l'Organisation. Ce Congrès, tenu en avril 1977, a été en quelque sorte l'acte officiel de naissance de l'O.P.R. Les neuf résolutions votées à l'unanimité sous le titre « Une île Rodrigues nouvelle » (voir le texte en annexe) confirment solennellement le projet de société proposé six mois plus tôt par les fondateurs de l'Organisation. Il faut souligner que l'attachement à Maurice n'est nullement remis en cause. C'est pour permettre aux Rodriguais de mieux vivre dans le cadre de l'Etat mauricien que l'O.P.R. réclame vigoureusement un certain degré d'autonomie administrative, économique et financière de l'île: la création d'un « Conseil de l'Ile Rodrigues », composé exclusivement de Rodriguais élus au suffrage universel direct et doté de compétences d'attribution relativement étendues, apparaît désormais comme un minimum non négociable (33) En fait, l'introduction du principe de spécialité législative, la reconnaissance d'un droit de regard et de contrôle des rodriguais sur l'élaboration et la gestion de la part du budget de développement consacrée à leur pays, une «rodriguanisation» progressive des services publics et la création de quelques institutions spécifiques à Rodrigues (34) sont considérées par l'OPR comme des conditions essentielles au renouvellement des rapports entre les deux îles. Le droit à la différence qu'invoque Rodrigues passe par cette modification de statut. 3) Les difficultés matérielles pour l'O.P.R., qui dispose davantage de bonne volonté que de ressources, sont évidemment nombreuses. Mais elle est confrontée surtout à des problèmes et à des risques qui tiennent à l'ampleur de la tâche qu'elle s'est assignée et aux réactions diverses que son apparition sur une scène politique déjà bien garnie a pu susciter. Il lui faut travailler au changement des mentalités à Rodrigues et en même temps veiller à ce que

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les Mauriciens - autorités publiques et population - perçoivent exactement le sens de son action. Il lui faut donc, avant tout éviter l’écueil du travestissement de ses objectifs par des adversaires intéressés à sa liquidation et celui d'une éventuelle « récupération » par des formations déjà existantes.

L'O.P.R. se situe incontestablement à gauche sur l'échiquier politique mauricien, dans la mesure notamment où son programme cherche à éliminer les monopoles (quels qu'ils soient) et épouse en politique étrangère les thèses du non-alignement (35). Par ailleurs, l'Organisation critique avec vigueur et sans complexe la situation de dépendance économique et le système actuel de représentation de l'île à l'Assemblée législative mauricienne par des élus qui, n'étant ni originaires du pays ni résidents véritables, sont en fait, selon l'expression créole imagée des... « députés-flèches ». Mais soucieuse de préserver, elle aussi, son identité elle refuse de se fondre dans une gauche mauricienne dont elle ne serait qu'une branche régionale ou locale, et de se faire « piéger » par des rumeurs mal intentionnées. En décembre 1977, le comité directeur de l'Organisation faisait savoir par un communiqué officiel que « toute utilisation de l'O.P.R. au profit d'un parti politique de Maurice est condamnée d'avance » (36). A l'issue d'une visite effectuée à Rodrigues en avril 1978, M. Dev Virahsawmy, président du comité central du M.M.M.-S.P, invitait l'O.P.R. à adhérer au Front Démocratique et Patriotique Mauricien (37). Cette proposition, qui a d'abord fait l'objet d'une clarification par le comité directeur de l'O.P.R. (38), a finalement été repoussée en juillet 1978 dans un souci à la fois d'autonomie et de prudence (39). C'est là un point de vue que les partis mauriciens semblent maintenant comprendre et accepter : à l'O.P.R. de faire son expérience...

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L'O.P.R. a donc pris en mains en 1977 le destin du peuple de Rodrigues. Elle n'est pas un Mouvement de Libération - au sens politique et international du terme tel qu'il est utilisé dans le contexte de la décolonisation. Et l'on peut penser que ce serait le signe d'un grave échec pour Rodrigues comme pour Maurice si, un jour, l'agenda de l'Assemblée générale de l'O.N.U. devait s'alourdir d'une « Question de Rodrigues »... On n'en est pas là, fort heureusement.

Mais le problème de Rodrigues, tel qu'il est posé par l'O.P.R., n'est plus simplement un « problème créole » - avec ce que cette expression sous-entend de paternalisme débonnaire et d'éventuelle solution « octroyée » par les autorités métropolitaines responsables. Il s'agit bel et bien d'un problème hautement politique, la revendication d'un statut différencié qui réponde à la reconnaissance d'une identité culturelle pleinement affirmée.

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Souhaitons qu'entre les deux îles s'établisse et se développe un dialogue fructueux. Quoi qu'il en soit il faudra désormais, dans l'Océan Indien, rester à l'écoute de Rodrigues.

NOTES (1*) Professeur à la Faculté de Droit et de Science politique d'Aix-Marseille, Directeur de l'Institut d'Etudes politiques d'Aix-en-Provence, ancien Doyen de la Faculté de Droit et des Sciences économiques, Tananarive (Madagascar).

(1) L’île Rodrigues a été colonie française de 1725 à 1809 sous le nom d'Ile Marianne, après qu'elle ait été « découverte » au XVIIe siècle par le bressan François Léguât à l'occasion d'un séjour forcé qu’il a relaté dans son livre « Voyages et aventures de François Léguât en deux îles désertes des Indes orientales », publié en 1708.

(2) Durant les quelque 160 années où Maurice a été colonie britannique Rodrigues ne fut qu'une dépendance administrative de celle-ci « pratiquement oubliée et négligée, et ni Maurice ni a Grande Bretagne ne montrèrent le moindre désir d'améliorer son statut politique ». Cf. Alfred North-Coombes, The Island of Rodrigues 1971, p 287 et notre compte rendu de cet ouvrage dans cet Annuaire, III-1976, p 783-784. Voir aussi Recueil de documents pour servir à l'histoire de Rodrigues, par J.-F Dupon, Mauritius archives Publication, no 10, Port-Louis, 1969. On sait qu’au moment de la proclamation de l'indépendance de Maurice, en mars 1968, les Rodriguais avaient souhaité pour leur île une certaine forme d'association avec la Grande-Bretagne que celle-ci, pour des raisons compréhensibles refusa d'envisager. Il en résulta une tension politique assez sérieuse… Il y eut des protestations publiques le12 mars 1968 lorsque l’indépendance fut proclamée. Le nouveau drapeau national ne put être hissé à Rodrigues que le 12 mars 1969, et cela ne fut rendu possible qu'à la suite d’une action diplomatique longue et habile di commissaire-résident Jocelyn Forget » (A. North-Coombes, op, cit p 291-292). Les gouvernants mauriciens eurent la sagesse de ne pas considérer ces événements comme une tentative de sédition. Tout cela relève déjà de l’histoire. (3) Citons en particulier l'étude économique de J. Brown ; « Rodrigues, a case study in the social and economic developmant of isolated areas », Cambridge 1974', et les pages consacrées à cette île dans la thèse d’état de J. F. Dupon « Contraintes insiulaires et fait colonial aux Mascareignes et aux Seychelles », soutenu à Aix-en-Provence en 1976, publiée en 1977 par l'atelier de reproduction des thèses, Université de Lille III. (4) Nous remercions l'auteur Pierre Dinan de nous avoir communiqué son étude (texte dact. de 47 pages), qui a d’ailleurs été publié en une série d’articles sous le titre « Rodrigues : réalités économiques » dans le journal Le Mauricien du 6 au 10 février 1978. En août 1977, Pierre Dinan a été l’un des animateurs d’un séminaire tenu à Port Mathurin, « capitale » de Rodrigues, sur le thème « Économie et Productivité », organisé conjointement par l’Institut pour le Développement et le Progrès et le Mauritius Council of Social Service. Son étude, qui entend « bien marquer le fossé économique entre les deux îles », s’inscrit dans le cadre de travail de ce séminaire.

(5) Au 30 juin 1976 elle était de 26, 539 habitants (et 867, 885 pour Maurice). On estime qu'elle atteindra 31.000 en 1980 et sans doute plus de 60, 000 - soit la population actuelle des Seychelles - au tournant du XXIe siècle. (6) L'île se compose de 13 villages de 400 à 1, 200 habitants qui regroupent 34% de la population totale. Tout le reste est en mini-hameaux et cases isolées. Le problème des distances (scolaires) et du transport est l'un des plus lourdement ressentis par la population. (7) A Maurice, plus de la moitié des terres sont cultivées, mais à Rodrigues, un quart seulement des 25, 000 arpents (10, 550 hectares) sont sous culture, c'est-à-dire essentiellement des exploitations minuscules en

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terrassements, le reste étant constitué de pâturages naturels, plantations de forêts, brousse, terres de calcaire et habitations. (8) Elle a été en moyenne de 77/1000 contre 58/1000 à Maurice. Une sensible baisse de la mortalité infantile a été enregistrée en 1976 si l'on se réfère aux statistiques officielles. (9) En 1972, cinq travailleurs sur cent avaient pu pousser leurs études au-delà du primaire. Voir les tableaux présentés par P. Dinan, op. cit., p. 4. Le pourcentage n'a pas dû varier beaucoup depuis cette date. (10) Une comparaison des trois secteurs de main-d'œuvre les plus fournis donnait la répartition suivante en 1973 :

% de la population Rodrigues Maurice

- Agriculture et pêche 68,4% 32,8% - Construction 11,5% 9,5% - Services sociaux 10% 24,9%

(11) Au recensement de 1972 on enregistrait à Rodrigues 289 sino-mauriciens (dont 50 nés en Chine), 178 hindous et 90 musulmans, soit une population d'origine asiatique s'élevant seulement à 2,2 du total. A Maurice, à la même période, la « population générale » atteint à peine 29% du total. (12) Et l'eau courante dans les maisons est toujours un luxe. En 1972, 5,3% seulement des maisons en disposaient, tandis que 45,8% doivent recourir soit à l'eau des puits (11,7%), soit surtout à l'eau de rivière (34,1%). J.-F. Dupon, de son côté, relève que « les équipements sont restés très médiocres et (que) la pauvreté est grande sur cette terre ingrate qu'on s'efforce depuis peu de protéger d'une érosion catastrophique ». Cet Annuaire, tome I, 1974, p. 31. (13) Dont la pêche elle-même aurait subi les conséquences, le lagon privé des cours d'eau attirant moins de poissons (cité par P. Dinan, op. cit., p. 12). (14) Cf. P. Dinan, op. cit., p. 14 et s. La sécheresse n'a pas été la seule cause de cet échec ; le coût réel des opérations (terrassements notamment) a dépassé largement les prévisions des auteurs du plan. (15) Ou « travail de relève » introduit par le gouvernement mauricien dans un but d'aide sociale pour compenser les effets néfastes de la sécheresse. Ce système d'assistance, devenu plus ou moins permanent, a pratiquement transformé nombre de paysans en salariés du gouvernement. (16) De 1972 à 1975, les exportations d'oignons et d'ail vers Maurice tombent de 668 à 59 tonnes, et celles je poissons de 333 à 16. Les exportations de bœuf, porc et volatile en 1975 étaient loin d'atteindre les objectifs du premier plan de développement.

(17) Selon P. Dinan (op. cit., p. 19-20), le Rodriguais « dans l'état actuel des choses importe pratiquement tout ce qu'il lui faut pour vivre... de 1972 à 1975 la proportion delà nourriture par rapport aux importations totales a passé de 34 à 48 ». (18) Bien que l'absence de douane à Rodrigues même ne permette pas d'obtenir des chiffres sûrs, P. Dinan estime que la balance commerciale de Rodrigues a enregistré en cinq ans une détérioration d'au moins 20%. (19) Ce qui représenterait un revenu annuel par tête de 677 roupies à Rodrigues, contre 4.589 roupies à l'Ile Maurice (P. Dinan, op. cit., p. 17).

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(20) En francs français le P.N.B. par habitant à Maurice était en 1976 de 2.700 F, c'est-à-dire trois fois plus élevé que celui d'un Malgache (850 F) et quatre fois plus que celui d'un Indien (670 F). Cf. Altaseco 1977. Le Nouvel Observateur, p. 166. (21) Les auteurs du premier plan de développement ont notamment reconnu que les commerçants mauriciens réalisent des marges importantes sur la vente des produits en provenance de Rodrigues (P. Dinan, op. cit., p. 28).

(22) La tranche annuelle 1977-1978 est de l'ordre de 30 millions de roupies. En pourcentage l'infrastructure route et hydroélectricité notamment - compte pour 43 % du total, et l'ensemble agriculture et forêt 40,6 %. (23) Pour l'année 1977-78, le déficit du budget de fonctionnement rodriguais est estimé par P. Dinan à 21 millions de roupies, Rodrigues ne pouvant fournir, sur un total de dépenses d'environ 30 millions que 8,3 millions de recettes : 4 par l'impôt sur le revenu des personnes physiques, 4 par les impôts indirects et 0,3 par les loyers des terres versée au gouvernement. Quant au financement du budget de développement de Rodrigues, il se fait principalement par des emprunts de la Banque de Maurice sur le marché mauricien et par des prêts étrangers (Grande-Bretagne et Canada notamment).

(24) II s'agit du Independence Party (I.P.) qui était une coalition Parti Travailliste Comité d’Action Musulmane dirigée par le Premier Ministre sortant. Sir Seewoosagur Ramgoolam, du Parti Mauricien Social Démocrate (P.M.S.D.) - dont l'emblème est le coq - animé par Gaëtan Duval et du Mouvement Militant Mauricien (M.M.M.) dont Paul Bérenger est le secrétaire général. Cf. J. M Boisson et M. Louït, Les élections législatives du 20 décembre 1976 à l'Ile Maurice, Annuaire des Pays de l’Océan Indien III, 1976, p. 215 et s. (25) En raison notamment des prises de position de son leader G. Duval en faveur de Rodrigues. Le P M S D qui obtient donc à Rodrigues (11,638 électeurs et 9.941 votants) 54 % des voix, enregistre au plan national une lourde défaite avec seulement 16,87 des suffrages exprimés (et 7 députés) contre 37.94% (et 25 députés) au I.P, et 40.92% (30 députés) au MMM. Les deux élus P.M.S.D, les députes Guimbeau et François obtiennent respectivement 5, 392 et 5, 309 voix, tandis que Serge Clair et D. Perrine, candidat OPR totalisent 3,241 et 3,055. Les quatre autres candidats viennent très loin derrière avec des résultats tombant de 854 à 120 voix. C.f Boisson et Louit, op. cit., p. 257. (26) En mai 1976 le bulletin Perspective du Ministère de l'Information annonçait que « le gouvernement entend que l'avenir de Rodrigues soit bâti par des mains rodriguaises ». Cité par P. Dinan, op. cit., p. 42. Le député P.M.S.D. de Rodrigues N. François est actuellement titulaire de ce portefeuille ministériel, l'un des vingt et un du Gouvernement formé en décembre 1976. (27) Sous le titre « Rodrigues s'éveille », l'O.P.R. a édité en 1978 (texte ronéo) un recueil de poèmes composés en français et en créole par des enfants et adultes rodriguais. Serge Clair présente en termes chaleureux ces textes qui sont peut-être la première manifestation écrite d'une littérature populaire proprement rodriguaise. « Ce sont des poèmes écrits par des gens simples qui ont accepté dans un langage bien à eux, de faire revivre les battements de la terre rodriguaise »... L'0PR, par ailleurs, se propose d'organiser à Maurice, en novembre 1978, une première exposition sur Rodrigues. (28) L’introduction du projet de l’OPR s’exprime ainsi : « … Nous constatons aujourd’hui chez le peuple de Rodrigues un éveil à une conscience rodriguaise. Une lutte a commencé ; celle d’une pensée, d’une conscience longtemps refoulée. Ce petit peuple est à la recherche d’une identité, d’une personnalité, d’une voie juste pour accéder à la dignité, à la responsabilité et à la liberté. Il recherche un développement conçu et réalisé à Rodrigues et par les Rodriguais avec la coopération de l’île Maurice. Le peuple de Rodrigues ne vivra une relation nouvelle avec le peuple de Maurice que si le gouvernement mauricien fait confiance aux Rodriguais et les prépare à exercer une responsabilité. Il faut donner aux Rodriguais la possibilité de faire entendre leur voix et de proposer des solutions aux problèmes du pays… »

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(29) Dans son programme, l’OPR insiste particulièrement sur le besoin de formation professionnelle, mais tout autant sur le besoin de culture générale (absence de bibliothèques, problème sérieux de l’écoute radiophonique et des programmes, etc.) Il n’y a évidemment pas de télévision à Rodrigues. (30) Il parait sur 6 à 8 pages ronéo, sous le titre « L’Organisation (Le Petit Journal de Rodrigues) ». C’est au sens propre, une véritable gazette conçue par le fondateur de l’OPR, Serge Clair, qui en est à la fois, de Mont Lubin, le Directeur de publication, le rédacteur et l’imprimeur. Plus de 60 numéros régulièrement parus, et tirés à 1, 500 exemplaires, cela est un brillant résultat dans cette île où il n’y avait jusqu’ici aucun moyen d’information spécifique. La dénonciation dans de récents numéros de « différences » et de « scandales » dans le traitement administratif et social des Rodriguais, par rapport à leurs concitoyens originaires de Maurice, contribue sans aucun doute à la prise de conscience du particularisme rodriguais. Le courrier des lecteurs est à cet égard significatif. (31) La structure du mouvement coopératif est une des préoccupations immédiates de l'O P R. Les auteurs du 1er plan mauricien écrivaient déjà « un facteur-clé du développement économique de Rodrigues sera donc la mise sur pied d’une puissante coopérative qui vendra tous les produits rodriguais à Maurice afin que le producteur puisse bénéficier pleinement de la valeur de revente de son produit, compte tenu des frais de transport et de distribution et d’une marge de profit raisonnable pour les détaillants mauriciens ». (Cité par P. Dinan op, cit., p 16) L’actuelle Rodrigues Agricultural Production and Marketing Cooperative Society ne couvre que peu de produits, lesquels sont d’ailleurs en régression. « Cette coopérative n’a pas encore fait ce qu’on est en droit d’attendre d’elle » (ibid, p 41). En mai 1978, s’est tenu pour la première fois à Rodrigues, un séminaire sur les coopératives sous l’égide du ministère mauricien des coopératives. (32) Les points 19 et 20 du Programme politique de l'O.P.R. sont ainsi formulés : « Administration de Rodrigues

- la création d'un ministère pour Rodrigues. - le « lsland council » est nécessaire. C’est le moyen qui permettra aux Rodriguais de faire entendre leur

voix. - Un bâtiment moderne pour l'administration afin qu'il y ait plus d'efficacité. - Travailler pour que les Rodriguais puissent exercer des responsabilités au niveau de l’administration et

dans différents secteurs de la vie sociale et économique. -

Relation politique avec l'Ile Maurice - Nous recherchons des relations d’amitié franche et de justice ; que l’île Maurice aide les Rodriguais à

exercer la responsabilité de leur île. - Abolir des sentiments de haine - les préjugés entre habitants des îles Maurice et Rodrigues. - Élaboration des lois tenant compte du contexte rodriguais. - Nous refusons la soumission de Rodrigues à quelque puissance étrangère. - Nous refusons toute forme de préjugés venant de l’île Maurice ou d'un pays étranger - nous voulons un

esprit de coopération avec l'Ile Maurice et les payé étrangers. - Avec le développement du port nous souhaitons qu'à l'avenir Rodrigues puisse avoir des relations

commerciales avec d'autres pays. Création d'une taxa4ocale sur les marchandises. - 350 milles entre Rodrigues et Maurice, cela créé deux mondes différents unis clans l'amitié, la liberté, la

justice et la coopération ». (33) A la demande du Commissaire-Résident, l’O.P.R. a présenté, en avril 1977, ses suggestions concrètes en ce qui concerne ce Conseil de l'Ile (voir texte en annexe) dont la création effective ne saurait tarder si l'on en croit le Ministre chargé de Rodrigues. (34) P Dinan propose par exemple dé créer à Rodrigues une douane, un service de statistique, etc., afin, notamment de pouvoir mesurer le mouvement des échanges de toute nature entre Rodrigues et l'extérieur.

(35) Voir la résolution no 6 adoptée au Congrès du 3 avril 1977.

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(36) Voir en annexe ce document par lequel l'O.P.R. affirme avec force et son attachement à Maurice et sa volonté de militer pour un meilleur sort des Rodriguais. (37) Le Mouvement Militant Mauricien - Socialiste progressiste (M.M.M.-S.P.) est issu de l'aile gauche du MM. M. C est un parti officiellement marxiste-léniniste et qui est sans doute le parti mauricien le plus sensibilisé au problème du parler créole. Son emblème-est le soleil, et son journal, rédigé en grande partie en créole, est « 5oley Ruz » (Soleil Rouge). (38) Soley Ruz du 27 avril 1978 publiait en même temps un article très sévère sur Rodrigues (sous la manchette « le peuple de Rodrigues, un peuple violé quotidiennement ») et un communiqué de l'O P R faisant écho a la visite du président du M.M.M./S.P., mais rappelant que l'O.P.R. tient à garder son autonomie, ri est pas une organisation marxiste communiste et ne milite pas pour le séparatisme. Voir le texte en annexe. (39) Voir l'interview de Serge Clair au journal Le Mauricien (26 juillet 1978) et The Star : « Nous militons pour un plus grand rapprochement entre Rodrigues et Maurice, et il n'est pas du tout de notre intention d adopter une attitude négative à l'égard de nos frères et sœurs mauriciens. Nous pensons que les relations entre les deux îles et les deux populations méritent d'être refaites et que Maurice se doit de donner la possibilité aux Rodriguais de s'affirmer et d'affirmer leur personnalité » (The Star, 15 juillet 1978).

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ANNEXE I

Résolutions du premier Congrès de l'O.P.R.

« UNE ILE RODRIGUES NOUVELLE »

Résolutions prises le 3 avril 1977

Le Congrès de l'ORGANISATION DU PEUPLE DE RODRIGUES, réuni le 3 avril 1977 à Rodrigues, a adopté les résolutions suivantes : 1. OPR est une organisation créée en vue de répondre aux réalités rodriguaises qui ont bien différentes des réalités mauriciennes. Elle est une organisation visant le développement de Rodrigues par les Rodriguais eux-mêmes avec la coopération des Mauriciens et des étrangers travaillant à Rodrigues. Nous croyons que les relations à sens unique qui existent entre Maurice et Rodrigues doivent être abolies et remplacées par des relations réciproques et d'égalité, reconnaissant aux Rodriguais la capacité de représenter leur pays à l'Assemblée législative, de penser son développement et d'être responsable de son avenir. De ce fait, l'OPR ne peut se rattacher à aucune organisation ou à aucun parti politique dont la création est d'inspiration mauricienne. 2. OPR travaille à un nouvel esprit et à une nouvelle amitié entre les Mauriciens et le Rodriguais. Nous cherchons un esprit de coopération dans le service et l'égalité. Nous bannissons toute mentalité de domination, d'injustice, de supériorité et de jugement. 3. OPR veut travailler à une société nouvelle à Rodrigues. Pour construire cette île Rodrigues nouvelle, il faut changer l'homme en même temps que la base économique. La mentalité rodriguaise est fondamentalement communautaire. La voie d'un socialisme démocratique apparaît comme étant une réponse valable aux contradictions et aux injustices du néo-capitalisme : primat du profit et de rapports humains de puissance et d'exploitation engendrant le caractère de plus en plus inhumain du cadre de vie, de la formation et de la culture, des inégalités scandaleuses et privant les citoyens de la participation à l'élaboration de leur destin. 4. OPR est pour le respect des libertés fondamentales permettant notamment les pluralismes des expressions politiques, l'établissement de rapports plus communautaires, plus humains et plus démocratiques dans le domaine de la formation, de l'information, de la justice, etc., une redistribution des richesses au profit des plus défavorisés Notamment la limitation de l'éventail des revenus, le primat donné aux équipements et aux projets collectifs, l'accent mis sur la solidarité des travailleurs et les habitants de Rodrigues. 5. OPR veut installer à Rodrigues une mentalité créatrice et productrice, bannissant ainsi la mentalité d'assisté qui est néfaste pour l'avenir du pays. 6. OPR est consciente de la situation sociale et économique de Rodrigues. Elle est aussi consciente de la position stratégique de Rodrigues dans l'Océan Indien. Se détacher de Maurice pour être sous la tutelle d'une puissance étrangère serait aller contre le mouvement de

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libération des peuples dans le monde. OPR luttera contre toute occupation militaire étrangère de l'île Rodrigues. 7. OPR affirme que la politique du gouvernement au pouvoir ne doit pas empêcher ou exclure l'initiative privée à Rodrigues. Elle condamne toute tentative d'intimidation auprès de la population ou tout favoritisme politique. 8. OPR croît que c'est dans un engagement concret qu'elle peut mieux toucher le peuple de Rodrigues, le saisir, le comprendre, savoir ses besoins, l'aimer et travailler avec lui. Travailler dur dans la .liberté, la justice et l'amour au profit de Rodrigues ;

9. OPR croit que le « Rodrigues Island Council » mettra Rodrigues sur une voie nouvelle : celle de l'autonomie administrative et financière et de la responsabilité. Ainsi, une nouvelle société pourra naître à Rodrigues et une nouvelle amitié pourra être vécue entre les Mauriciens et les Rodriguais.

Serge CLAIR, Coordinateur de l'O.P.R.

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ANNEXE II

Projet pour un nouveau statut de Rodrigues présenté par l'O.P.R. en avril 1977

RODRIGUES ISLAND COUNCIL

CHAPIFRE PREMIER

Organisation et régime juridique Le district de Rodrigues devra acquérir la personnalité morale et une certaine autonomie administrative et financière justifiant la création d'un Rodrigues Island Council. Bien entendu, les Rodriguais auront tous les droits et les devoirs que leur donne la nationalité mauricienne. Le gouvernement de l'île Maurice devra prendre toutes les mesures propres à assurer le développement de Rodrigues, et il devra notamment négocier activement toute aide étrangère sur le plan économique et social. La gestion de cette aide devra être contrôlée par le Rodrigues Island Council qui en fixera l'utilisation sous la tutelle de l'autorité mauricienne à Rodrigues (Ministre ou Commissaire-Résident). Pour être appliquées à Rodrigues, les lois mauriciennes devront être expressément déclarées applicables dans l'île. Dans ce cas, les projets de loi devront être soumis pour avis au Rodrigues Island Council avant leur présentation à l'Assemblée législative. Les députés de Rodrigues devront tenir compte des vœux exprimés par le Rodrigues Island Council. Los lois existant avant la création du Rodrigues Island Council ne continueront d’être valables que si elles ne sont pas contraires aux présentes propositions.

CHAPITRE II

Autorité de l'Etat mauricien L'Etat mauricien continuera d'être responsable de la défense de l'île, des investigations criminelles, des activités des étrangers, de la surveillance des frontières (aériennes et maritimes), de la météo, des relations et communications extérieures (à l'exception des affaires purement commerciales), de l'enseignement, de la santé, de la justice et de l'état-civil et du fonctionnement des services des finances. Pour l’exercice de ses pouvoirs à Rodrigues, l'Etat mauricien disposera des services administratifs qui resteront sous l'autorité de son représentant à Rodrigues et ils, resteront à la charge de son budget.

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Le représentant de l'Etat mauricien à Rodrigues pourra prendre les mesures d’urgence nécessaires pour la bonne marche des institutions locales, la protection des citoyens et de leurs libertés, individuelle, religieuse et politique, et la sauvegarde de l'économie locale.

CHAPITRE III

Autorité locale (Rodrigues Island Council) Le représentant de l'Etat mauricien, Ministre ou Commissaire-Résident, sera le chef de Rodrigues. Il est l'exécutif des décisions prises par le Rodrigues Island Council ou sa commission permanente. Il représente en justice et contrôle l'exécution du budget local. Il est responsable de la publication officielle des décisions prises par le Rodrigues Island Council. Le Rodrigues Island Council siège à Rodrigues et il est composé de 14 membres (voir ch. 4) élus au suffrage universel, à l'exclusion de tout membre nommé. Le mandat des membres du Rodrigues Island Council et de toute fonction dans ses commissions seront gratuits. Cependant, des indemnités de perte de revenus, de séjour et de déplacement leur seront attribuées. Le Rodrigues Island Council pourra émettre des avis afin de créer des sanctions fiscales et pénales dans le domaine de ses attributions. Le Rodrigues Island Council désignera parmi ses membres une COMMISSION PERMANENTE de 5 membres (un par circonscription électorale) qui pourra être réunie à tout moment à l'initiative de ses membres ou chef de district. La commission permanente règle les affaires renvoyées par le Rodrigues Island Council. En cas d'urgence (impossibilité matérielle de réunir le Rodrigues Island Council dans le délai nécessaire), elle pourra délibérer ou émettre des avis dans toutes les matières relevant des pouvoirs du Rodrigues Island Council. Le Rodrigues Island Council se réunira au minimum une fois par mois. Toute réunion supplémentaire pourra être demandée par le chef du district ou par la majorité de ses membres. Le Rodrigues Island Council déterminera lui-même ses règlements intérieurs. Le Rodrigues Island Council est compétent dans tout domaine qui n'a pas été cité comme étant une attribution de l'Etat mauricien. Le Rodrigues Island Council a possibilité d'émettre des vœux adressés au gouvernement mauricien et à l'Assemblée législative dans tous les domaines qui ne sont pas de sa compétence.

CHAPITRE IV Mode d'élection de l’Island Council

Rodrigues pourra être divisé en 5 circonscriptions électorales correspondant aux 5 régions électorales actuelles (sauf modifications proposées en annexe pour certains villages).

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Chaque circonscription électorale pourra être représentée proportionnellement au nombre de ses électeurs, soit un conseiller pour mille électeurs ou portion de mille.

La Ferme 1,788 électeurs 2 conseillers Maréchal 1,733 électeurs 2 conseillers St Gabriel 2,704 électeurs 3 conseillers Port Mathurin 3,437 électeurs 4 conseillers Grande Montagne 1,973 électeurs 3 conseillers

14 (inclus les villages rattachés)

Sera éligible tout citoyen de nationalité mauricienne natif de Rodrigues ou résidant à Rodrigues depuis cinq ans.

LES CONDITIONS RESTRICTIVES DE CANDIDATURE VISANT LES FONCTIONNAIRES NE SERONT PAS APPLIQUEES. Ne pourront pas être candidats : le représentant de l'Etat mauricien à Rodrigues, Ministre ou Commissaire-Résident, les chefs de services administratifs et les membres de la police. Les candidats pourront se présenter par liste ou individuellement. Seront élus les candidats ayant recueilli le plus de voix dans chaque circonscription.

CHAPITRE V

Les finances locales L'existence réelle d'un Rodrigues Island Council passe par la création des finances locales ne dépendant pas de l'Etat mauricien, gérées exclusivement par le Rodrigues Island Council avec, en plus, la possibilité pour le budget local d’être augmenté :

a) par des subventions de l'Etat mauricien ; b) par des fonds provenant d'aides étrangères négociées par cet Etat ; c) par des dons et legs locaux.

Le maintien ou la création de toute taxe, impôt ou droit est un pouvoir exclusif du Rodrigues Island Council. Toutes les taxes, impôts ou droits payés par des résidents à Rodrigues appartiendront de droit au budget local. Exemples :

a) taxes de douane sur les marchandises achetées par des résidents à Rodrigues ; b) droits payés pour la consommation locale d'alcool et de tabac ; c) patentes et licences diverses ; d) droits de timbres et d'enregistrement, etc.

CHAPITRE VI

Modifications futures des statuts du Rodrigues Island Council

Le Rodrigues Island Council garde la possibilité de demander à l'Assemblée législative d'examiner toute demande de modification de son statut si cela s avérerait nécessaire dans le futur.

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CONCLUSION II est souhaitable que les rédacteurs de la future loi des statuts du Rodrigues Island Council viennent sur place à Rodrigues pour entendre toute explication qui sera nécessaire de la part des personnes ayant émis des suggestions.

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ANNEXE III

Communiqué diffusé à Rodrigues par l'O.P.R. en décembre 1977

O.P.R. INFORME LA POPULATION POUR FAIRE FACE AUX RUMEURS PERSISTANTES SUR LA POLITIQUE ET LES INTENTIONS DE L’OPR, LE COMITÉ TIENT A PARTAGER A LA POPULATION LES INFORMATIONS SUIVANTES : 1. Le Comité de l'OPR dénonce l'utilisation de l'OPR au profit d'un parti politique de Maurice. Toute utilisation de l'OPR au profit d'un parti politique de Maurice est condamnée d’avance. 2. L’OPR est né de l'esprit et du cœur des Rodriguais sur la terre rodriguaise Les Rodriguais ont tous les droits et toute la liberté de s'organiser eux-mêmes. Ils ont la capacité et l’intelligence pour le faire. 3. L’OPR ne travaille pas pour un parti politique de Maurice. Elle n'est pas l’enfant d’un parti politique de Maurice. 4. L’OPR n'a fait aucune alliance avec un parti politique de Maurice. 5. L’OPR tient sur ses propres pieds à Rodrigues. Elle n'a pas besoin des béquilles de la part d un parti politique de Maurice pour avancer. 6. L’OPR ne refuse aucun dialogue avec les différents partis politiques de Maurice et avec tous ceux qui veulent travailler pour plus de justice, de liberté et d’amour dans le monde. 7. L’OPR n'a aucune intention de détacher Rodrigues de Maurice pour l'attacher à la France, l’Amérique, l'Angleterre, la Russie, etc. 8. L’OPR est contre la présence militaire des grandes puissances à Rodrigues et dans l’Océan Indien. Les hommes ont besoin de justice, de liberté, de pain et de bonheur plutôt que des armes. 9. L’OPR croit que seule une politique socialiste et démocratique peut mettre Rodrigues sur le chemin du changement et du progrès. 10. L’OPR croit en la force, la capacité et l'intelligence des Rodriguais travaillant avec de vrais Mauriciens en vue d'un vrai changement à Rodrigues. 11. L’OPR luttera contre ceux qui veulent mettre dans l'esprit des Rodriguais le communalisme (c'est-à-dire, la haine d'une communauté pour une autre). 12. L'animateur de l’OPR, Serge Clair, n'a aucune intention de travailler pour un parti politique de Maurice, ni pour n’importe quel leader d'un parti politique de Maurice.

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13. L’OPR croit que la grandeur du Rodriguais est dans sa fidélité à la lutte pour être reconnu comme homme, comme Rodriguais et comme faisant partie d'un peuple capable de prendre en main son avenir comme les Mauriciens l'ont fait à Maurice et comme tous les peuples du monde l'ont fait. 14. OPR restera fidèle à sa politique et à ses intentions.

AVEC UN PEU DE CONFIANCE EN NOUS-MÊMES ET EN NOS FRÈRES

NOUS FERONS AVANCER RODRIGUES SUR LE GHEM1N DE LA LIBERTÉ DE LA JUSTICE, DE L'AMOUR ET DU BONHEUR.

UNITÉ - ORGANISATION - TRAVAIL

Le Comité de l'O.P.R.

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ANNEXE IV

Texte de la lettre des dirigeants de l'O.P.R. publiée dans le journal

mauricien « Soley Ruz » du 27 avril 1978 Mont Lubin Rodrigues 21 avril 1978

Monsieur le Rédacteur en Chef Port-Louis Maurice

Monsieur, Nous vous prions de bien vouloir publier dans votre journal le communiqué que nous vous faisons parvenir. Ce communiqué a été préparé à la suite des entretiens que M. Dev Virahsawmy a eu avec les dirigeants de l'O.P.R., dans le cadre de la création d'un Front Démocratique et Patriotique. Nous vous remercions d'avance et vous prions d'agréer l'expression de nos sentiments distingués.

Sincèrement vôtre, Zita Jean-Louis, Serge Clair.

COMMUNIQUÉ

Le mercredi 19 avril 1978, M. Dev Virahsawmy a eu un entretien avec les dirigeants de l'OPR à Rodrigues. L'OPR apprécie la démarche de M. Virahsawmy, venu à Rodrigues dans le but de prendre contact avec l'OPR dans le cadre de la création d'un Front Démocratique et Patriotique. Dans sa politique, l'OPR est ouverte au dialogue avec tous les partis politiques de Maurice. C'est dans cette optique que les dirigeants de l'OPR ont accepté de rencontrer M. Virahsawmy. Les dirigeants de l'OPR ont fait savoir à M. Dev Virahsawmy que : i) L'OPR tient à garder son autonomie, sa liberté d'action et de décision. Elle refuse toute manipulation de la part d'un parti politique de Maurice et qu'elle n'est affiliée à aucun parti politique de Maurice. ii) L'OPR n'est pas une organisation marxiste et communiste. iii) L'OPR croit que seul un socialisme démocratique peut mettre Rodrigues sur la voie du progrès et du vrai développement. Les réalités rodriguaises exigent une politique socialiste à Rodrigues.

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iv) L'OPR ne mène pas la lutte contre l'île Maurice et le Mauricien. Elle travaille pour la reconnaissance du peuple de Rodrigues et pour plus de justice, de liberté et de responsabilité, afin que les deux populations puissent vivre des relations d’interdépendance. v) L'OPR n'a aucune intention de séparer Rodrigues de Maurice et qu’elle est contre toute occupation militaire de Rodrigues par une grande puissance, qu'elle soit la France, les Etats-Unis et la Russie. Les dirigeants de l'OPR ont été satisfaits de la rencontre avec M. Dev Virahsawmy rencontre qui leur a permis de constater que la population de Maurice ne connaît pas suffisamment Rodrigues et l'OPR. Ainsi, l'OPR a un travail immense à faire : faire connaître Rodrigues et l'OPR à la population mauricienne. Enfin les dirigeants de l'OPR n'ont fait aucune réponse positive à M. Virahsawmy quant à la participation de l'OPR au Front Démocratique et Patriotique. L'OPR étudiera en profondeur la proposition de M. Virahsawmy.

Zita Jean-Louis (Présidente).

Serge Clair (Secrétaire).