PROFESSEUR

D'ÉDUCATION

PHYSIQUE

ET SPORTIVE :

PAR C. DORVILLÉ

Les ambiguïtés

d'une discipline

scolaire et d'un

corps professionnel

A propos de la thèse de

doctorat de sociologie de

Yves Gougeon

Dans son travail imposant (plus de 1 400 pages), Yves Gougeon a pris pour objet central les conceptions du

métier d'enseignant d'éducation physique et sportive et il s'efforce de montrer que ces conceptions ne peuvent se comprendre qu'à partir de leur genèse historique : automati­sation progressive, mais aussi poids des modèles (et des figures de légitimité) mili­taire, pédagogique, voire médical entre les­quels ce groupe professionnel en quête d'identité ne cesse d'être tiraillé, conflit entre excellence corporelle reconnue et excellence intellectuelle revendiquée. Dans sa partie introductive. le candidat pré­

sente son cadre d'analyse en s'appuyant sur des référents théoriques variés (Bourdieu, Merton, Tou-raine) et justifie son souci d'interroger les singulari­tés de l'histoire de la constitution de la profes­sion d'éducateur physique scolaire à la lumière de la problématique sociolo­gique et notamment les modèles de professionna-lisation.

Dans la première partie prenant appui sur différents

travaux de type historique ou socio-historique réali­sés par les auteurs du champ sur l'éducation physique scolaire (J. Ulmann. J. Thibault, P. Arnaud...), le candidat retrace avec précision l'évolution des concep­tions de l'éducation phy­sique de 1870 à nos jours et l'action des principaux acteurs théoric iens : Demeny, Tissié, Grousset, Coubertin, Hébert... A partir de ces généalogies reconstruites, il repère un certain nombre de thèmes permanents dans les débats internes de la disci­pline, ce qui constitue le

« noyau dur » à partir duquel s'articulent les débats parfois violents qui rythment la construction du « corps » des professeurs d'EPS : rapports conflictuels entre théori­ciens et praticiens, volonté de reconnais­sance institutionnelle, recherche d'identité, rapports au sport...

L'auteur s'efforce d'articuler des processus déjà mis en évidence tels que : la scolarisa­tion, la sportivisation, la « scientifisation ». l'éclectisme et la « corporatisation ». Dans la deuxième partie, Yves Gougeon, à partir d'une enquête par entretiens et ques­tionnaires complémentaires réalisée auprès

d'enseignants d'EPS en activité, repère et caractérise les diverses manières de définir, de vivre et surtout de dire le « métier » de professeur d'EPS. Il propose alors une typologie en 6 classes des différentes façons de se penser enseignants d'EPS : sportif, scientiste, psychopédagogue, humaniste chrétien, psychanalyste, philo­sophe.

Dans cette perspective, l'histoire se combine avec l'approche sociolo­gique afin de comprendre en profon­

deur comment se sont construites et parfois institutionnalisées des « conceptions ». Au delà de quelques remarques critiques inhé­rentes à toute soutenance (soumission théo­rique trop prononcée, déséquilibre du plan, exposé trop long), le jury reconnaît la forte culture sociologique et historique du candi­dat, le considérable travail empirique auquel il s'est livré, la finesse des interpré­tations. Son mérite est d'avoir posé avec talent les grands problèmes de l'éducation physique et ses ambiguïtés passées et pré­sentes. Par son dit et non-dit, cette thèse est le fidèle miroir d'une situation actuellement conflictuelle. Elle renvoie l'image d'une discipline scolaire et d'un corps profession­nel qui n'ont pas encore su affirmer leur spécificité et partant leur identité. L'intérêt du travail de sociologie historique accompli par Yves Gougeon est manifeste pour la communauté des chercheurs en STAPS. Il a regroupé une moisson d'infor­mations lui permettant de brosser un ta­bleau nourri de l'évolution de l'EPS de 1870 à nos jours et de poser les grands problèmes de l'EPS : les conflits de l'institutionnalisa­tion, les origines sociales peu favorisées des enseignants, les difficultés de l'approfon­dissement scientifique, le délicat rapport entre la théorie et la pratique. Sur la base de cette thèse, le jury a estimé que l'auteur pourrait à coup sûr écrire un manuel synthétique, exposant l'itinéraire tumultueux de l'EPS, existant actuellement, et dont les candidats aux différents concours de recrutement tireraient beau­coup de profit.

Christian Dorvillé Maître de Conférences,

Faculté des Sciences du sport et de l'éducation physique - Lille II.

Cette thèse à été soutenue le 9 décembre 1994, à l'Université des Sciences et Techno­logies de Lille I, devant un jury présidé par Pierre Parlebas, professeur à l'université Paris V et composé de la manière suivante : Michel Simon, directeur de thèse, Profes­seur de sociologie à l'université de Lille I. Claude Dubar, Professeur de sociologie à l'université de Versailles. Jean-Paul Clément. Maître de Conférences à l'université de Strasbourg. Cette thèse a reçu la mention « Très Hono­rable » décernée à l'unanimité.

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Revue EP.S n°263 Janvier-Février 1997 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé