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Mkw Monte dei Paschi di Siena est la plus ancienne banque au monde encore en activité . Reconnaître sa décadence est particulièrement douloureux pour les Siennois alors que la banque et la ville n'ont longtemps fait qu'une. Phoi o Alessia PierdomenicolBloumberg A Sienne, la gloire déchue de la vache à lait Monte dei Paschi F I NANCE ii Pendant des décennies, la troisième banque italienne et sa fondation ont vécu au-dessus de leurs moyens, arrosant généreusement l'économie locale et la classe politique. Au bord de la faillite, elle s'impose aujourd'hui une cure d'austérité drastique, qui va changer quelques habitudes... Olivier Tosseri -Correspondant à Rome S tenne se sent orpheline de « Babbo Monte ». « Papa Monte dei Paschi » est le surnom à la fois respectueux et affectueux de la ban que présidan t aux desti- nées des habitants de la ville, qui se sentent tous ses enfants. Ils ont coutume de dire qu'ils se divisent en trois catégories : ceux qui travaill entàMontedeiPaschidiSiena (MPS), ceux qui ont travaillé à MPS et ceux qui ont un parent qui travaille ou a travaillé à MPS. Jusqu'à récemment, l'établissement ban- caire et sa fondation fournissaient en effetun emploi à plus de 80 % des Siennois et assu- raient leur prospérité par le financement d'activités diverses et variées . Ils ont subi un véritable traumatisme en découvrant que la gestion de « Babbo Monte » n'avait pas vrai- ment été celle d'un bon père de famille ces dernières années. Pour éviter la faillite pure et simple , MPS a annoncé fin octobre un nouveau plan de sauvetage , passant par d'importantes réductions de coûts et plu- sieurs milliers de suppressions d'emplois. Si la plus ancienne banque au monde encore en activité , fondée en 1472, a connu de nombreuses crises , la dernière en date pourrait bien lui être fatale . Elle trouve ses

A Sienne, la gloire déchue de la vache à lait Monte dei Paschi · Les points à retenir • Fondé en 1472, Monte dei Paschi di Siena est passé au bord de la faillite. • A l'origine

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Monte dei Paschi di Siena est la plus ancienne banque au monde encore en activité . Reconnaître sa décadence est particulièrement douloureuxpour les Siennois alors que la banque et la ville n'ont longtemps fait qu'une. Phoi o Alessia PierdomenicolBloumberg

A Sienne, la gloire déchuede la vache à lait Monte dei PaschiF I NANCE ii Pendant des décennies, la troisième banque italienne et sa fondation ont vécu au-dessusde leurs moyens, arrosant généreusement l'économie locale et la classe politique. Au bord de la faillite,elle s'impose aujourd'hui une cure d'austérité drastique, qui va changer quelques habitudes...

Olivier Tosseri-Correspondant à Rome

S

tenne se sent orpheline de « BabboMonte ». « Papa Monte dei Paschi »est le surnom à la fois respectueux et

affectueux de la ban que présidan t aux desti-nées des habitants de la ville, qui se sententtous ses enfants. Ils ont coutume de direqu'ils se divisent en trois catégories : ceux quitravaill entàMontedeiPaschidiSiena (MPS),ceux qui ont travaillé à MPS et ceux qui ontun parent qui travaille ou a travaillé à MPS.Jusqu'à récemment, l'établissement ban-caire et sa fondation fournissaient en effetun

emploi à plus de 80 % des Siennois et assu-raient leur prospérité par le financementd'activités diverses et variées . Ils ont subi unvéritable traumatisme en découvrant que lagestion de « Babbo Monte » n'avait pas vrai-ment été celle d'un bon père de famille cesdernières années. Pour éviter la faillite pureet simple , MPS a annoncé fin octobre unnouveau plan de sauvetage , passant pard'importantes réductions de coûts et plu-sieurs milliers de suppressions d'emplois.

Si la plus ancienne banque au mondeencore en activité , fondée en 1472, a connude nombreuses crises , la dernière en datepourrait bien lui être fatale . Elle trouve ses

origines en 2007, avec l'achat de la banquevénitienne Antonveneta à l'espagnole San-tander. Vendue initialement 3 milliardsd'euros à ABN AMRO, la banque commer-ciale opérant dans le nord-est de l'Italie estcédée environ 6 milliards à l'établissementibérique..., qui le vend pour 10,3 milliardsd'euros à MPS. L'établissement de Siennedevient ainsi la troisième banque du pays.Mais à quel prix ! Il lui faut pour cela lourde-ment s'endetter et procéder à une premièreaugmentation de capital de près de 6 mil-liards d'euros.

C'est la Fondation Monte dei Paschi, néeen 1995 de la séparation entre la banque, pri-vatisée, et ses activités sociales, qui assumeral'essentiel de l'effort, en tant que principalactionnaire del'établissement financier. Silabanque estle « Babbo Monte » pourles Sien-nois, la Fondation est un peu la « mamma ».Ou plutôt, comme ils les surnomment, la« mucchina » (petite vache) pour la pre-mière et la « mucchona » (grande vache)pour la seconde. Aucun rapport avec leslointaines activités de la banque, qui se con-sacrait àl'origine à l'agriculture et à l'élevage,« paschi » signifiant pâturages. Ces surnomschampêtres font référence de manière expli-cite à la « vache à lait » que représentaitMPS, à travers sa fondation. De 1995 à 2008,les ressources directement distribuées àSienne et dans sa province s'élevaientà 2 milliards d'euros, avec une moyennede 150 millions d'euros par an (2008 seral'année record avec 233 millions d'euros)soit 2 % du PIB annuel du département.

La drogue de l'argent facileDe fait, les années 2000 furent bel et biendes années de vaches grasses. Sienne, petiteville de 54.000 habitants, est fière et nostal-gique de son passé. Celui de la fastueuserépublique indépendante et autarcique duXIIe siècle, qui menait des guerres victorieu-ses contre Florence et tenait tête à CharlesQuint. Elle ne voit donc rien d'anormal à cequ'elle vive au-dessus de ses moyens, pui-sant sans discernement dans son coffre-fort: la Fondation. Cette dernière finance lamoindre activité culturelle ou sportive,signe extérieur de la puissance retrouvée dela cité. Grâce aux 100 millions d'euros versésentre 2006 et 2013 au Mens Sana Basket,l'équipe domine à l'époque le basket-ballita-lien, remportant huit titres de championd'Italie, cinq Coupes d'Italie et sept Super-coupes. Elle sponsorise l'équipe de footballà hauteur de 13,5 millions d'euros par an. En2000 est fondée Siena Biotech, société derecherche biomédicale avec un siège de10.000 mètres carrés et 150 salariés. Avantde faire faillite en 2015, elle aura perçu160 millions d'euros de la Fondation, sanspour autant être à l'origine d'un brevet origi-nal ou d'une technologie particulière. C'estelle, également, qui a financé des restaura-tions d'églises, de théâtres mais aussi laréfection de la voirie ou l'installation deronds-points en centre-ville.

Une interprétation assez large de son rôlestatutaire, qui prévoit l'assistance et la bien-faisance, ainsi que l'utilité sociale dans les

secteurs de l'instruction, de la recherchescientifique, de la santé et de l'art. MaisSienne et MPS ne font qu'un. Tous les mai-res de la ville, à l'exception du dernier, ontété des dirigeants de la banque. Des repré-sentants de la municipalité, de la provinceet de la chambre de commerce siègent dansles organes dirigeants de la Fondation. Cestle fameux « système Sienne » : des relationsclientélistes baptisées « groviglio armo-nioso » (« enchevêtrement harmonieux »),des pouvoirs politiques et financiers n'arri-vant plus à démêler intérêt général et inté-rêts particuliers. Dans ce coeur rouge del'Italie qui bat traditionnellement à gauche,ce sont le Parti communiste et ses héritiersqui ont profité de ces largesses. Au temps desa gloire, le PCI atteignait lors des scrutins àSienne, pourtant sans classe ouvrière, 58 %des voix. Un score supérieur à celui qu'il réa-lisait dans sa citadelle électorale d'Emilie-Romagne.

« Sienne est l'emblème de l'Italie, estimel'économiste Luigi Zingales, un mélangeentre les pouvoirs politique et bancaire avecdes prêts attribués à des amis etpas toujours àdes personnes compétentes, ce qui expliquel'inefficacité du système. » En mars dernier,le maire de la ville, Bruno Valentini, a dresséle même constat devant une commissiond'enqu@te parlementaire : « La vie de Siennea été polluée parl'argent etle pouvoir deMPS.Les choix politiques ne sefaisaient pas parconviction maispar convenance. Le préjudicele plusgrave a été la culture diffuse que cela aprovoquée. Cela a créé une dépendance, uneréticence à prendre des risques et un manqued'esprit d'entreprise. »

Droguée par l'argent facile provenant deMPS,1'économie de la ville ressent cruelle-ment le régime sec imposé à une banquequi résolvaitjusqu'à présent tous les problè-mes. Sa crise, conjuguée à la récession qui adurement frappé l'Italie, a eu des effetsdévastateurs. De nombreux commercesont fermé, les panneaux « à vendre » ou « àlouer » ont fleuri aux fenêtres des maisonset même le Palio, cette course équestreannuelle remontant au Moyen Age àlaquelle les Siennois sont viscéralementattachés, a vu ses financements réduits.

Certains habitants avouent à demi-mot queleur ville s'est éteinte.

Reconnaître la décadence estparticulière-ment douloureux alors que le souvenir de lagrandeur estsivivace. Ainsi, laconvocationàMilan, et non à Sienne, des derniers conseilsd'administration pourélaborer les différentsplans de sauvetage de MPS a été vécuecomme un affront « On ne cesse de parler etde ressasser les causes et les responsabilités dece désastre », explique l'avocat Luigi DeMossi, défendant les parties civiles dans desprocès intentés aux ex-dirigeants de MPS.Les scandales à répétition, comme l'« opéra-tion Alexandria » - une série de manipula-tions douteuses et de maquillages de comp-tes visant à minimiser les conséquences deschoix hasardeux de la direction -, révélée parle journal « Il Fatto Quotidiano », font enra-

Les Siennois continuentde croire en un miracle,qui permettraitune résurrection de leurbanque, la seule chose enlaquelle ils avaient jusqu'iciune foi indéfectible.

ger les habitants de la ville. Leur colères'exprime sur de multiples blogs citoyens.Des menaces de mort ont également étéadressées à des dirigeants de la banque.

« Avant d'être un lien financier ou écono-mique,c'estun lien anthropologique qui unis-sait la banque et la ville, souligne Luigi DeMossi. Les habitants en étaient fiers, s'en sen-taient tous un peu propriétaires. Ils perdentune partie de leur identité. C'est un travail dedeuil qu'il faut effectuer. » Une métaphoreemployée également par une des cadres dela banque, qui y travaille depuis vingt-cinqans : « Lesgens sont sous le choc comme aprèsle décès d'un proche. Il observe un cadavre enpensant qu'il n'est pas mort, qu'il est justemalade et qu'il s'en remettra. »

La Fondation, elle, a bien compris queplus rien ne serait comme avant. L'instru-ment de la grandeur passée de la ville est

Les points à retenir

• Fondé en 1472, Montedei Paschi di Siena est passéau bord de la faillite.• A l'origine de la crise,le rachat de la banquevénitienne Antonvenetaà Santander, au prixd'un lourd endettement.• Pour Sienne, berceaude MPS, le traumatismeest sévère, la ville ayantlargement bénéficiédes largesses de la banqueet de sa fondation.• Le « système Sienne »qui prévalait alors mêlaitpouvoirs politiqueset financiers.• Une époque révolue. Aprèsdes scandales à répétition,MPS organise maintenantson sauvetage.

devenu le symbole de sa décadence. Elle avu son patrimoine divisé par 10, passant de5 milliards à moins de 500 millions d'eurosaujourd'hui. En décembre 2013, elle étaitmême techniquement en faillite avant quesa présidente, Antonella Mansi, n'amorceun difficile travail d'assainissement. Sa par-ticipation dans la banque n'a cessé d'êtrediluée passant de 30 % environ en 2014 à2,5 % en 2015, et 1,49 % aujourd'hui. Dans lemême temps, la « mucchona » a diminuéde façon drastique le montant des ressour-ces octroyées. En 2016, elles s'élevaient péni-blement à 2,7 millions d'euros et 4 millionsd'euros sont annoncés pour l'an prochain.

Retour à la vocation originelle« Rien ne sert de pleurer sur le lait renversé,prévient Marcello Clarich, son présidentdepuis 2014, qui devrait laisser sa place àAlessandro Falciai lors del'assembléegéné-rale extraordinaire convoquée le24 novembre prochain. Nous avons moinsde ressources, mais elles seront mieux distri-buées, sous le signe de la transparence. Je neveux pas être juste être un coffre-fort, maispromouvoir des projets pensés etgérés par lacollectivité pour lui être bénéfique. Je veuxune fondation responsable et ouverte au dia-logue. » Elle est ainsi retournée à sa vocationoriginelle, en soutenant notamment l'anprochain l'académie musicale Chigiana,internationalement reconnue, ainsi que lafondation Toscana Life Sciences, liée à l'uni-versité et aux entreprises, pour la recherchedans le domaine des biotechnologies.

« Je veux protéger la fondation de la politi-que politicienne, insiste Marcello Clarich. Jeparle avec tout le monde, représentants duprivé comme du public. Je suis le premier à nepas être allé rendre compte de notre activitédevant le conseil municipal, et ça en a choquéplus d'un. Nous sommes autonomes doréna-vant. Beaucoup ne l'ont pas encore compris,mais les Siennoisprennent conscience qu'uneépoque est définitivement révolue, mêmeaprès lefu tur sauvetage de MPS. » Cela ne lesempêche pas de continuer de croire en unmiracle, qui permettrait une résurrectionde leur banque, la seule chose en laquelle ilsavaient j usqu'ici une foi indéfectible. n