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Nouveau programme classe de 4eme : La ville lieu des possibles. Texte 1 : une page d’amour Zola 1878 Hélène, jeune veuve, vit une passion amoureuse intense pour le docteur Deberle, venu soigner sa fille Jeanne qui était sur le point de mourir. Pour elle, Paris se dévoirle sous un nouveau jour. Ce matin-là, l’amour s’éveillait, à peine un frisson qu’elle ne savait comment nommer et contre lequel elle se croyait bien forte. Aujourd’hui, elle était à la même place, mais la passion victorieuse la dévorait, tandis que, devant elle, un soleil couchant incendiait la ville. Il lui semblait qu’une journée avait suffi, que c’était là le soir empourpré de ce matin limpide, et elle croyait sentir toutes ces flammes brûler dans son cœur. (…) À droite, à gauche, les monuments flambaient. Les verrières du Palais-de-l’Industrie, au milieu des futaies des Champs-Élysées, étalaient un lit de tisons ardents ; plus loin, derrière la toiture écrasée de la Madeleine, la masse énorme de l’Opéra semblait un bloc de cuivre ; et les autres édifices, les coupoles et les tours, la colonne Vendôme, Saint-Vincent-de-Paul, la tour Saint-Jacques, plus près les pavillons du nouveau Louvre et des Tuileries, se couronnaient de flammes, dressant à chaque carrefour des bûchers gigantesques. Le dôme des Invalides était en feu, si étincelant, qu’on pouvait craindre à chaque minute de le voir s’effondrer, en couvrant le quartier des flammèches de sa charpente. Au delà des tours inégales de Saint-Sulpice, le Panthéon se détachait sur le ciel avec un éclat sourd, pareil à un royal palais de l’incendie qui se consumerait en braise. Alors, Paris entier, à mesure que le soleil baissait, s’alluma aux bûchers des monuments. Des lueurs couraient sur les crêtes des toitures, pendant que, dans les vallées, des fumées noires dormaient. Toutes les façades tournées vers le Trocadéro rougissaient, en jetant le pétillement de leurs vitres, une pluie d’étincelles qui montaient de la ville, comme si quelque soufflet eût sans cesse activé cette forge colossale. Des gerbes toujours renaissantes s’échappaient des quartiers voisins, où les rues se creusaient, sombres et cuites. Même, dans les lointains de la plaine, du fond d’une cendre rousse qui ensevelissait les faubourgs détruits et encore chauds, luisaient des fusées perdues, sorties de quelque foyer subitement ravivé. Bientôt ce fut une fournaise. Paris brûla. Le ciel s’était empourpré davantage, les nuages saignaient au-dessus de l’immense cité rouge et or. Hélène, baignée par ces flammes, se livrant à cette passion qui la

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Nouveau programme classe de 4eme : La ville lieu des possibles.

Texte 1 : une page d’amour Zola 1878

Hélène, jeune veuve, vit une passion amoureuse intense pour le docteur Deberle, venu soigner sa fille Jeanne qui était sur le point de mourir. Pour elle, Paris se dévoirle sous un nouveau jour.

Ce matin-là, l’amour s’éveillait, à peine un frisson qu’elle ne savait comment nommer et contre lequel elle se croyait bien forte. Aujourd’hui, elle était à la même place, mais la passion victorieuse la dévorait, tandis que, devant elle, un soleil couchant incendiait la ville. Il lui semblait qu’une journée avait suffi, que c’était là le soir empourpré de ce matin limpide, et elle croyait sentir toutes ces flammes brûler dans son cœur.

(…)

À droite, à gauche, les monuments flambaient. Les verrières du Palais-de-l’Industrie, au milieu des futaies des Champs-Élysées, étalaient un lit de tisons ardents ; plus loin, derrière la toiture écrasée de la Madeleine, la masse énorme de l’Opéra semblait un bloc de cuivre ; et les autres édifices, les coupoles et les tours, la colonne Vendôme, Saint-Vincent-de-Paul, la tour Saint-Jacques, plus près les pavillons du nouveau Louvre et des Tuileries, se couronnaient de flammes, dressant à chaque carrefour des bûchers gigantesques. Le dôme des Invalides était en feu, si étincelant, qu’on pouvait craindre à chaque minute de le voir s’effondrer, en couvrant le quartier des flammèches de sa charpente. Au delà des tours inégales de Saint-Sulpice, le Panthéon se détachait sur le ciel avec un éclat sourd, pareil à un royal palais de l’incendie qui se consumerait en braise. Alors, Paris entier, à mesure que le soleil baissait, s’alluma aux bûchers des monuments. Des lueurs couraient sur les crêtes des toitures, pendant que, dans les vallées, des fumées noires dormaient. Toutes les façades tournées vers le Trocadéro rougissaient, en jetant le pétillement de leurs vitres, une pluie d’étincelles qui montaient de la ville, comme si quelque soufflet eût sans cesse activé cette forge colossale. Des gerbes toujours renaissantes s’échappaient des quartiers voisins, où les rues se creusaient, sombres et cuites. Même, dans les lointains de la plaine, du fond d’une cendre rousse qui ensevelissait les faubourgs détruits et encore chauds, luisaient des fusées perdues, sorties de quelque foyer subitement ravivé. Bientôt ce fut une fournaise. Paris brûla. Le ciel s’était empourpré davantage, les nuages saignaient au-dessus de l’immense cité rouge et or. Hélène, baignée par ces flammes, se livrant à cette passion qui la consumait, regardait flamber Paris, lorsqu’une petite main la fit tressaillir en se posant sur son épaule. C’était Jeanne qui l’appelait.— Maman ! Maman !

texte 2 Désert de J M G le Clézio. 1980

Lalla vit au Maroc, aux portes du désert. Elle est amoureuse d’Hartani, un jeune berger qui l’abandonne lorsqu’il apprend qu’elle attend un enfant. Lala refuse le mariage arrangé par sa tante et s’enfuit. Elle arrive à Marseille.

Partout il y a la faim, la peur, la pauvreté froide, comme de vieux habits usés et humides, comme de vieux visages flétris et déchus.

Rue du Panier, rue du Bouleau, traverse Boussenoue, toujours les mêmes murs lépreux, le haut des immeubles qu'effleure la lumière froide, le bas des murs où croupit l'eau verte, où pourrissent les tas d'ordures. Il n'y a pas de guêpes ici, ni de mouches qui bondissent librement dans l'air où bouge la poussière. Il n'y a que des hommes, des rats, des blattes, tout ce qui vit dans les trous sans lumière, sans air, sans ciel. Lalla tourne dans les rues comme un vieux chien noir au poil hérissé, sans trouver sa place. Elle s'assoit un instant sur les marches des escaliers, près du mur derrière lequel pousse le

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seul arbre de la ville, un vieux figuier plein d'odeurs. Elle pense un instant à l'arbre qu'elle aimait là-bas, lorsque le vieux Naman allait réparer ses filets en racontant des histoires. Mais elle ne peut pas rester longtemps à la même place, comme les vieux chiens courbaturés. Elle repart à travers le dédale sombre, tandis que la lumière du ciel décline peu à peu. Elle s'assoit encore un moment sur un des bancs de la placette, là où il y a le jardin d'enfants. Il y a des jours où elle aime bien rester là, en regardant les tout-petits qui titubent sur la place, les jambes flageolantes, les bras écartés. Mais maintenant, il n'y a plus que l'ombre, et sur un des bancs, une vieille femme noire dans une grande robe bariolée. Lalla va s'asseoir à côté d'elle, elle essaie de lui parler.

« Vous habitez ici ? »

« D'où est-ce que vous venez ? Quel est votre pays ? »

La vieille femme la regarde sans comprendre, puis elle a peur, et elle voile son visage avec un pan de sa robe bariolée.

Au fond de la place, il y a un mur que Lalla connaît bien. Elle connaît chaque tache du crépi, chaque fissure, chaque coulée de rouille. Tout à fait en haut du mur, il y a les tubes noirs des cheminées, les gouttières. En dessous du toit, de petites fenêtres sans volets aux carreaux sales. En dessous de la chambre de la vieille Ida, du linge pend à une ficelle, raidi par la pluie et par la poussière. En dessous, il y a les fenêtres des gitans. La plupart des carreaux sont cassés, certaines fenêtres n'ont même plus de traverses, elles ne sont plus que des trous noirs béants comme des orbites.

Lalla regarde fixement ces ouvertures sombres, et elle sent encore la présence froide et terrifiante de la mort. Elle frissonne. Il y a un très grand vide sur cette place, un tourbillon de vide et de mort qui naît de ces fenêtres, qui tourne entre les murs des maisons. Sur le banc, à côté d'elle, la vieille mulâtresse ne bouge pas, ne respire pas. Lalla ne voit d'elle que son bras décharné où les veines sont apparentes comme des cordes, et la main aux longs doigts tachés de henné qui maintient le pan de sa robe sur la partie du visage qui est du côté de Lalla.

Peut-être qu'il y a un piège, ici aussi ? Lalla voudrait se lever et s'en aller en courant, mais elle se sent rivée au banc de plastique, comme dans un rêve. La nuit tombe peu à peu sur la ville, l'ombre emplit la place, noie les recoins, les fissures, entre par les fenêtres aux carreaux cassés. Il fait froid maintenant, et Lalla se serre dans son manteau brun, elle remonte le col jusqu'à ses yeux. Mais le froid monte par les semelles en caoutchouc de ses sandales, dans ses jambes, dans ses fesses, dans ses reins. Lalla ferme les yeux pour résister, pour ne plus voir le vide qui tourne sur la place, autour des jeux d'enfants abandonnés, sous les yeux aveugles des fenêtres.

Quand elle rouvre ses yeux, il n'y a plus personne. La vieille mulâtresse à la robe bariolée est partie sans que Lalla s'en rende compte. Curieusement, le ciel et la terre sont moins sombres, comme si la nuit avait reculé.

Texte 4 Extrait de A New York - Léopold Sédar SenghorEtiopiques 1956

A New York (extrait)

New York ! D'abord j'ai été confondu par ta beauté, ces grandes filles d'or aux jambes longues.Si timide d'abord devant tes yeux de métal bleu, ton sourire de givreSi timide. Et l'angoisse au fond des rues à gratte-cielLevant des yeux de chouette parmi l'éclipse du soleil.Sulfureuse ta lumière et les fûts livides, dont les têtes foudroient le cielLes gratte-ciel qui défient les cyclones sur leurs muscles d'acier et leur peau patinée de pierres.Mais quinze jours sur les trottoirs chauves de Manhattan– C'est au bout de la troisième semaine que vous saisit la fièvre en un bond de jaguar

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Quinze jours sans un puits ni pâturage, tous les oiseaux de l'airTombant soudain et morts sous les hautes cendres des terrasses.Pas un rire d'enfant en fleur, sa main dans ma main fraîchePas un sein maternel, des jambes de nylon. Des jambes et des seins sans sueur ni odeur.Pas un mot tendre en l'absence de lèvres, rien que des cœurs artificiels payés en monnaie forteEt pas un livre où lire la sagesse. La palette du peintre fleurit des cristaux de corail.Nuits d'insomnie ô nuits de Manhattan ! si agitées de feux follets, tandis que les klaxons hurlent des heures videsEt que les eaux obscures charrient des amours hygiéniques, tels des fleuves en crue des cadavres d'enfants.

Extrait de A New York - Léopold Sédar Senghor

Texte 5 Entrée dans New York sous l’orage, Andréée Chedid cavernes et soleil, 1979

Entrée de new york sous l'orage (Descriptif avec deux personnages)

Surgissant des trottoirs la pluie des gratte-ciel incise à rebours l'averse s'élance vers des fragments d'espace

Les trombes d'eau

se rabattent sur la ville

heurtent ces Goliaths de pierre

qui surplombent le marécage humain

Au sol

l'éclat safran des taxis

perce la confusion des hommes et de la brume

Parcours linéaire Signalisations casquées Rues sans nom Exaltation du chiffre

La foule

fantôme aux épaules rognées

se délaie dans l'aqueuse grisaille

Entre les parois jaunes du véhicule

le cuir s'écaille

les sièges s'éventrent

les mégots s'entassent

Derrière la vitre pare-balles qui rompt l'échange la nuque du conducteur barre l'horizon

Je parle

je questionne

Les sons patinent sur le verre

Je crie des mots

pour exister

pour franchir la glace

pour raccorder nos mondes

La nuque demeure d'acier

J'appelle

J'appelle plus fort

L'homme

enfin

se retourne

Et m'offre

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sa face

comme une bouée!

Tandis que la ville

se trouble sous les rafales d'eau

Que ses images chancellent sous l'ondée

la machine vorace

engloutit entre ses quatre roues

la langue d'asphalte

Nos mots d'ici nos mots d'ailleurs s'abordent se rejoignent apprivoisent la cité :

Gerbe ou taupinière de béton Inflexible géographie du siècle

Métropole

que l'œil rejette

dont l'œil s'éprend

New York

Aux carrefours de l'exploit et des terreurs

des fièvres et du prodige

auquel on résiste

auquel on consent

Vitre rabaissée entre nous Les paroles vont et viennent

Qu'importent à présent

averses menace pierres ou plomb!

Secouru par l'échange le souffle s'apaise le regard s'amarre

Etranger résonne comme un prénom.

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Soutine Chaïm, Les Maisons, 1920-21, huile sur toile, 58 x 92cm, Musée de l’Orangerie, Paris

Edward Hopper NigtHawks 1942