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Quelles nouvelles places

pour les religions et la laïcité

dans notre société ?

CHEMI

Centre des Hautes Etudes du Ministère de l'Intérieur

&

Journée d'Etude

de Réflexion

5

ACTES

2010

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Journée d’Etude et de Réflexion Actes 5 Quelles nouvelles places pour les religions et la laïcité dans notre société ?

Intervenants Frédéric LENOIR, Jean-Paul WILLAIME, Eric RAOULT,

Gilles KEPEL, Bernard ROUGIER, Laurent TOUVET, Henri-Michel COMET

Préfet référent Christiane BARRET

Préfets et Directeurs contributeurs Pierre de BOUSQUET, Fabienne BUCCIO, François-Xavier CECCALDI,

Denis CONUS, Nicolas DESFORGES, Christian de LAVERNÉE, Joëlle LE MOUËL, Pascal LELARGE, Jacques MILLION, Nicolas QUILLET, Jean-Marc REBIERE, Evence RICHARD, Richard SAMUEL

La photo de classe de la journée

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Journée d’Etude et de Réflexion Actes 5 Quelles nouvelles places pour les religions et la laïcité dans notre société ?

“ La mort est une an-goisse majeure de toute société humaine, une énigme sur notre exis-tence et ses interroga-tions inévitables ”

M. Frédéric LENOIR, Directeur de la rédaction du magazine Le Monde des religions,

philosophe, sociologue et historien des religions, a présenté une synthèse du fait religieux et de son évolution dans la France du XXIe siècle.

I.

1) La préhistoire Pour M. LENOIR, il est nécessaire de remonter très loin dans l’histoire de l’humanité

afin de comprendre la situation actuelle. Le sentiment religieux est sans doute né avec les hommes préhistoriques à partir du moment où ils ont été capables de s’interroger sur la question de la mort. Cette dernière est une angoisse majeure de toute société humaine, une énigme sur notre existence et ses interrogations inévitables. De là est né le rituel de la mort (il existait déjà différents rituels d’enterrement 100 000 ans avant notre ère) qui n’existe pas chez

les animaux1.

Les hommes préhistoriques croyaient en des es-prits et en des forces invisibles qui nous enveloppaient et auxquels les hommes se connectaient (grâce à l’intermédiaire des Chamans par exemple). M. Frédéric LENOIR insiste pour dire que l’expérience sensible ne

nous dit pas tout du réel. C’est la raison pour laquelle les

cultures chamaniques cultivaient le lien avec la nature. Cependant, au cours de l’évolution (passage au paléoli-thique au néolithique), avec le phénomène de la sédentarisation, l’homme, selon

l’expression du philosophe Max Weber, passe au « désenchantement du monde » qui signifie que le monde a perdu « son aura magique ». En effet, cette sédentarisation provoque une rationalisation accrue. Par ce processus, l’homme finit par se couper progressivement de la

nature et ne la considère plus comme un organisme vivant dont il peut manipuler les flux par la magie ou l’alchimie. Il s’en émancipe aussi. Les esprits de la nature deviennent alors les dieux de la cité et l’homme va entrer en relation avec eux (les dieux et les déesses gouvernent la cité et lui apportent sa protection). Il se produit des échanges mais ceux-ci sont d’une autre

nature : on va vers la pratique du sacrifice (offrir quelque chose en échange d’autre chose).

1 Le fait est tellement important, même encore de nos jours, que le rituel qui recueille le plus d’adhésion est celui

des funérailles, soit, en France, 3/4 des Français alors que seuls 10% d’entre eux pratiquent.

1. Introduction : le fait religieux remonte à la préhistoire

M. Frédéric LENOIR Directeur de la rédaction du magazine Le Monde des Religions

à Quelle évolution du paysage religieux pour la France d’aujourd’hui ? 1.

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Journée d’Etude et de Réflexion Actes 5 Quelles nouvelles places pour les religions et la laïcité dans notre société ?

“ Deux significations du mot religion : relier et recueillir ”

“ Toute la culture française et l’histoire de

France sont imprégnées par le christianisme ”

Cela signifie que l’homme en vient à une religion plus formalisée où « il fait le sa-cré » (étymologie même du mot sacrifice) alors qu’auparavant « il éprouvait le sacré ».

2) Le temps des empires de l’Antiquité : création du lien social et confusion du politique et du religieux

Lorsque les cités vont se faire la guerre, vont naitre des empires, facilitant ainsi la con-

naissance des autres pratiques religieuses. De même, les perceptions du religieux évoluent vers l’idée d’une hiérarchie dans le monde surnaturel. Il s’agit d’une hiérarchisation du ciel (les dieux et les anges). De cette idée qu’un dieu est supérieur aux autres, nait le mono-théisme : il n’y a qu’un seul Dieu (d’abord sporadiquement en Egypte, puis dans la tradition juive et dans le Mazdéisme). La religion a un rôle éminemment politique. Sa fonction principale est de créer du lien social, de réunir des individus au sein d’un peuple qui croit au même invisible. « Le fondement ultime de toute société humaine, c’est le religieux » dit Régis Debray. C’est alors la référence ultime à un « invisible » qui créé du lien social. Le religieux constitue désormais un facteur identitaire majeur, et la religion devient le point de rassemblement de nombreux individus. Elle permet d’avoir des valeurs et des

croyances communes. A coté du rôle politique du roi, on trouve le rôle social du religieux qui maintient la cohésion du groupe, créant ainsi la confusion des deux dans les sociétés antiques.

M. Frédéric LENOIR souligne l’impression en

France de la disparition de la religion, mais pour lui, l’Europe occidentale est une exception

au sein de l’humanité qui reste très religieuse. Les référents religieux reviennent d’ailleurs

dans l’espace politique quand une nation a besoin de se souder derrière une force supé-rieure (telle la guerre en Irak avec les discours de Saddam Hussein ou de Georges Bush).

Il existe deux significations du mot « religion » : · « religare » (relier). En effet, l’homme se relit à cette transcendance invisible

verticale, ce qui le relie de manière horizontale aux autres hommes, · ou encore « relegere » (recueillir). On reçoit en héritage des croyances, des va-

leurs, une foi, des rituels. Quelles que soient les formes de la religion, les rituels, les pratiques et les valeurs sont

vécus en communion entre les individus et les familles.

Les différentes religions et l’évolution de leur impact sur la société

1) L’idée du Dieu unique face au paganisme : la lutte contre les dieux

Le monde occidental est marqué par une forme particulière de religion, le monothéisme, qui reste un cas particulier, né tardivement dans l’histoire de l’humanité.

D’autres modèles religieux que le monothéisme conti-

2.

Les différentes religions et l’évolution de leur impact sur la société

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Journée d’Etude et de Réflexion Actes 5 Quelles nouvelles places pour les religions et la laïcité dans notre société ?

“ Chaque individu cherche à faire ses choix personnels dans ce qui l’intéresse au sein de la

religion ”

“ Un des phénomènes du retour au catholi-cisme provient de l’émergence de l’islam

qui n’a pas de corréla-tion culturelle profonde avec la France ”

nuent à exister en Afrique et en Asie. Certes, des penseurs grecs ont évoqué le monothéisme, fruit de la réflexion et de l’unicité, mais la naissance du Judaïsme, notamment, a véritable-ment été le premier courant religieux à affirmer durablement l’existence d’un dieu unique,

suivi par le christianisme puis l’islam. Cela apporte aux adeptes du monothéisme une très grande force, soutenue par de solides convictions face à des religions polythéistes. M. LENOIR ne dénie pas certaines valeurs au paganisme qui semble plus tolérant que le mo-nothéisme par son principe même de la diversité des dieux - ainsi les grecs honoraient même le « dieu inconnu » -, mais cela rend le paganisme plus perméable et plus fragile que le mono-théisme. D’ailleurs il est possible d’affirmer que l’histoire du dieu unique est l’histoire de la lutte contre les dieux.

Poursuivant son évolution historique, M. Frédéric LENOIR affirme que la religion, encore aujourd’hui, en France, reste issue d’une longue histoire marquée par la

place prédominante du catholicisme avec un rôle émi-nemment politique. Il évoque notamment une confusion entre le politique et le religieux (Louis XIII a consacré la France à la Vierge Marie en 1638). De ce fait, toute la culture française et l’histoire de France sont imprégnées par le christianisme. Même des personnes athées possèdent des réflexes catholiques dans la manière de concevoir le reli-gieux et les autres religions. Dans sa thèse sur le bouddhisme, M. LENOIR constate ainsi que des adeptes français du bouddhisme projettent leur vision du catholicisme sur la sagesse bouddhique.

2) Grandes religions, sectes et la tendance actuelle marquée par l’indifférentisme

Le catholicisme traverse depuis la Renaissance une crise très profonde (Réforme

protestante et Guerres de religions, Révolution française). Ces crises sont liées au pouvoir et au rôle que peut avoir la religion dans la société. Cependant, une autre crise plus profonde encore traverse notre société même si elle semble moins spectaculaire : l’évolution des

modes de vie avec le monde rural face au monde cita-din. On peut dire que l’évolution des modes de vie im-plique que la religion tend à disparaitre des espaces publics. En effet, le monde rural permet un ancrage alors que le monde citadin favorise le changement. Le développement de la raison critique et le triomphe de l’individualisme permettent à l’homme de se désinté-resser du collectif. L’homme cherche à se donner ses propres valeurs (pour le philosophe Kant, l’homme

cherche à devenir adulte). La religion subit donc une pro-fonde déstabilisation. Chaque individu cherche à faire ses

choix personnels dans ce qui l’intéresse au sein de la religion. Ainsi, de nombreuses per-sonnes vivent dans un mouvement permanent de la vie à tous les points de vue avec, en plus, une accélération de ce mouvement. Cela touche également la religion, mais cela ne veut pas dire que les individus se désintéressent totalement du sens métaphysique, de l’au-delà et de la spiritualité. Il est nécessaire de distinguer entre le niveau du besoin de sens, de la croyance, de l’identité religieuse et de la pratique. Pour exemple, plus des 2/3 des Français disent apparte-nir à une religion, mais sur ceux qui s’affirment catholiques, la moitié dit ne pas croire en

Dieu (sondage Monde des religions).

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“ La visibilité de l’islam avec ses caracté-ristiques culturelles diffé-rentes (place de la femme, etc.) crée des tensions so-ciales. De ce fait, la place de l’islam en France réac-tive la question de l’identité nationale ”

Il est intéressant de constater aujourd’hui, selon Frédéric LENOIR, qu’un des phéno-mènes du retour au catholicisme provient de l’émergence de l’islam qui n’a pas de corrélation

culturelle profonde avec la France. Il y a donc une identification d’opposition avec l’islam

qui est éloigné de notre culture. Cependant, ce retour au catholicisme ne veut pas dire forcément un retour à la pratique religieuse. En effet, seule une minorité de catholiques fréquente l’Eglise et encore moins de catholiques en suivent l’enseignement. Très peu d’individus vivent ainsi intégralement la religion. Des raisons culturelles ou intellectuelles peuvent donc mener nos contemporains au catholicisme, mais on constate une forme de « bricolage » (selon Claude Lévi-Strauss). Ces « bricolages » sont individuels, amenant cha-cun à faire sa synthèse personnelle. Les sociologues ont ainsi plus de mal à y définir des caté-gories et ne retrouvent pas les schémas simples d’antan. De ce fait, le catholicisme est con-currencé par l’indifférentisme religieux et non par d’autres religions. Ainsi un tiers des Français se dit sans religion. On peut d’ailleurs penser qu’une ma-jorité se déclarera « sans religion » dans une décen-nie.

En ce qui concerne la montée de l’évangélisme

2, il s’agit pour M. LENOIR d’un chris-

tianisme fondé sur un principe simple : « Jésus t’aime,

tu es sauvé, et tu vas en voir l’efficacité immédiate ». Il existe aussi une solidarité immédiate et d’entraide très

concrète qui permet à beaucoup de gens d’être soute-nus. Par ailleurs la place du corps et des émotions est importante tandis que l’expérience spirituelle s’est perdue dans le catholicisme et le pro-testantisme historique considérés comme « desséchants ». L’évangélisme propose ainsi

une expérience corporelle dans la joie avec une ferveur et une communion collective.

Quant à l’islam, M. Frédéric LENOIR souligne que la visibilité de cette religion n’est

apparue que depuis quelques décennies en France. Il serait faux de croire qu’il s’agit d’un

bloc monolithique car l’islam français est travaillé par les mêmes contradictions que dans le catholicisme (existence de tendances purement identitaires, d’autres spirituelles ou

communautaires). Il précise que sa visibilité, avec ses caractéristiques culturelles différentes (place de la femme, etc.), crée des tensions sociales. De ce fait, la place de l’islam en France

réactive la question de l’identité nationale. Le judaïsme reste très minoritaire avec environ 500.000 Juifs en France. Il se com-

munautarise en lien avec la politique de l’Etat d’Israël, provoquant ainsi de très nom-breuses tensions en son sein mais aussi dans ses rapports avec l’islam. On peut donc constater

une exportation du conflit israélo-palestinien en France à cause de ce vecteur identitaire3. Le bouddhisme reste minoritaire en France aujourd’hui. Il s’agit davantage pour

ceux qui le découvrent de mener une méditation personnelle pour arriver à acquérir plus de sérénité. Il est donc plus spirituel et moins culturel ou identitaire que le catholicisme ou d’autres religions.

2 NDLR : le troisième caractère de l’évangélisme se traduit par une relation individuelle avec Dieu qui s'articule

autour de la lecture de la Bible. 3 M. LENOIR rapporte une anecdote d’un journaliste d’une radio de jeunes auditeurs. Lorsque sur les ondes le journaliste évoque un épisode du conflit israëlo-arabe, de nombreux appels virulents sont lancés par les audi-teurs.

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“ Le retour à l’inté-grisme dans les religions est également une autre manifestation du déve-loppement de l’esprit

sectaire ”

“ Ce qui semble se profiler à l’horizon est la

montée de l’indifférence

religieuse et la prise de distance vis-à-vis des institutions ”

Les dérives sectaires existent partout et même au sein de toutes les formes de reli-gions, dans la mesure on l’on entend par ce terme la manipulation des individus. La grande

difficulté est de savoir comment définir une secte car il n’y a pas de définition juridique. Le

rapport parlementaire de 19954 a établi une liste que les sociologues déplorent car elle com-porte un mélange des genres sans cohérence. Pour Frédéric LENOIR, il vaut mieux voir ce qui ne va pas dans un groupe (religieux ou non) au cas par cas et sanctionner alors par la loi. Il faut éviter d’étiqueter des groupes et même sortir de l’obsession de la secte. Il semblerait d’ailleurs que ce sont les adeptes qui choisissent leur groupe sectaire. Il est donc difficile de dire comment ne pas y entrer puisque c’est presque toujours un choix libre et conscient qui répond à des besoins de sécurité, de re-pères intangibles. Les critères sont certainement plus forts que les seuls critères politiques5. Il est évident que les changements actuels dans notre monde créent des an-goisses et constituent un terreau favorable à l’émergence de groupes à tendance sectaire.

Le retour à l’intégrisme dans les religions est également une autre manifestation du développement de l’esprit sectaire. Il est aussi dû à ces phénomènes de changement rapide. Il

est possible d’affirmer que ce retour aux intégrismes permet de rassurer et de se rassurer avec des racines, une histoire et une identité retrouvée ou inventée.

Pour M. Frédéric LENOIR, notre monde est donc contradictoire. Ce qui semble se profiler à l’horizon est

la montée de l’indifférence religieuse et la prise de dis-tance vis-à-vis des institutions. A l’intérieur de ce mou-vement général existe une réactivation de l’identité,

surtout sur le plan culturel, avec une certaine forme d’intolérance. La classe politique et les média s’intéressent d’ailleurs beaucoup trop aux formes exté-rieures souvent marginales (comme le voile intégral dans le cadre du débat sur l’islam).

La question de la transmission est centrale. On assiste ainsi à une rupture de cette

chaine si longue dans laquelle les individus recevaient un héritage qu’ils voulaient trans-mettre. Aujourd’hui, ils veulent créer des valeurs nouvelles en permanence. Nous vivons dans une société de la nouveauté. Par exemple, la publicité nous fait croire que seule la nou-veauté perpétuelle est meilleure que l’ancien (autrefois, l’âge d’or était le rêve du retour au

passé). Ce qui est valable pour un téléphone l’est aussi pour les valeurs. Nous vivons une

4 Dixième législature. Rapport n° 2458 fait au nom de la commission d'enquête sur les sectes, Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 décembre 1995. Président M. Alain GEST, Rapporteur M. Jacques GUYARD, Députés. 5 Sont recensés aux USA plus de 20 000 groupes religieux, prouvant par ce fait même un éclatement du « reli-gieux classique ».

3.

Conclusion : Un monde contradictoire et en perte de transmission de valeurs

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“ Les valeurs d’aujourd’hui

sont la démocratie, les droits de l’homme, le respect de tous

les individus. Ce sont les va-leurs fondamentales de notre société, mais elles doivent s’entretenir par une histoire, une adhésion forte ”

émancipation profonde qui est en opposition avec l’ancrage ancestral et la culture que créent les religions.

Les valeurs d’aujourd’hui sont la démocratie, les droits de l’homme, le respect de tous

les individus. Ce sont les valeurs fondamentales de notre société, mais elles doivent s’entretenir par une histoire, une adhésion forte. Et l’adhésion s’entretenait avec l’histoire de la Répu-blique - que peu de jeunes connaissent aujourd’hui

- mais aussi par la perpétuation des valeurs chré-tiennes qui ont participé à la construction des va-leurs républicaines (liberté, égalité, fraternité : le message des Evangiles). Lorsqu’on ne connait

plus l’histoire républicaine ni la transmission des

valeurs, sur quelles bases peut-on construire l’avenir ? ¢

M. Jean-Paul WILLAIME se dit particulièrement heureux d’intervenir devant des pré-fets et dans le cadre du CHEMI car c’est la mission même de l’IESR d’établir des ponts entre

les recherches universitaires sur les phénomènes religieux d’une part, les institutions pu-bliques et leurs fonctionnaires d’autre part, afin de former à l’intelligence des faits religieux et

de la laïcité. L’IESR le fait non seulement en direction de l’Education Nationale qui a renfor-cé, depuis le rapport de Régis Debray (2002), la prise en compte des faits religieux dans l’enseignement, mais aussi en direction des autres ministères (Intérieur, Affaires étrangères et européennes, Justice, Culture, Santé).

M. Jean-Paul WILLAIME Directeur de l’Institut européen en Sciences des Religions (Ecole Pratique des Hautes Etudes, Sorbonne, Paris).

à Le Traité de Lisbonne et les relations religions-Etats en Europe

2.

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Journée d’Etude et de Réflexion Actes 5 Quelles nouvelles places pour les religions et la laïcité dans notre société ?

“ Les imaginaires na-tionaux sont en réalité moins sécularisés que les populations ”

“ Le schéma liant affirma-tion démocratique et réduction de la place de la religion dans la société n’est pas universel,

y compris en Europe ”

Pour M. Jean-Paul WILLAIME, l’Europe des 27 présente une grande diversité en ma-

tière de relations Religions-Etat. La façon dont chacun des Etats signataires du Traité de Lisbonne a résolu cette question est en effet très liée aux caractéristiques des histoires politiques et religieuses de chaque pays et l’on peut dire que les diverses solutions natio-nales adoptées sont une dimension non négligeable de l’identité de chaque pays.

Si la laïcité est une dimension importante de notre identité nationale, c’est telle ou telle

culture religieuse qui occupe cette place dans d’autres pays : · l’orthodoxie pour la Grèce, · le catholicisme pour l’Italie, · le protestantisme luthérien pour le Dane-

mark · le bi-confessionnalisme catholico-protestant

pour l’Allemagne. La diversité est aussi de règle dans certains

pays. Ainsi, le Royaume-Uni rassemble-t-il une Angleterre anglicane (Church of England), une Ecosse presbytérienne de tradition calviniste, un Pays de Galles marqué par les non-conformismes et une Irlande du Nord aux relations complexes et longtemps conflictuelles entre identité protestante et identité catholique.

Même s’il y a séparation Religions-Etat, cela n’efface pas le poids dominant qu’a

eu et que continue plus ou moins à avoir telle ou telle religion dans un pays : la France est certes laïque, mais le fait catholique a été tellement important dans son histoire et dans sa cul-ture, qu’il continue à marquer son identité (y compris dans la façon même de traiter le fait

religieux en général ou une autre religion en particulier : c’est parce que le modèle sous-jacent employé reste souvent le catholicisme que l’on a parlé, à propos de la France, de catho-laïcité). Les difficultés rencontrées à propos de la visibilité de l’islam (qu’il s’agisse de

constructions de mosquées avec ou sans minarets, de tenues vestimentaires ou de pratiques alimentaires) ne sont pas sans liens avec le fait que les imaginaires nationaux restent impré-gnés d’une représentation chrétienne de la religion, même si nombreux sont ceux qui ne fré-quentent plus régulièrement une église. Les imaginaires nationaux sont en réalité moins sécularisés que les populations.

Quant aux liens entre processus de démocratisation et religion, il est important, vu de

France, de remarquer que le schéma liant affirmation démocratique et réduction de la place de la religion dans la société n’est pas universel, y compris en Europe. Les pays de l’ex-bloc communiste qui ont eu à souffrir de l’athéisme d’Etat et de persécu-tions antireligieuses en savent quelque chose. Pour ces pays, le retour à la démocratie a aussi signifié un certain retour de la religion dans la vie sociale. Les deux rup-tures avec le totalitarisme qu’a vécues l’Allemagne avec

le nazisme et le communisme de l’ex-RDA ont également coïncidé avec un rôle reconnu des forces religieuses dans l’établissement de la démocratie.

1.

27 pays signataires du Traité de Lisbonne : 27 exceptions ou façons de concevoir la laïcité

s

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Journée d’Etude et de Réflexion Actes 5 Quelles nouvelles places pour les religions et la laïcité dans notre société ?

“ Dans l’Europe du Traité

de Lisbonne, il y a en fin de compte 27 exceptions concer-nant les modalités de relations Religions-Etat ”

Quant aux pays scandinaves, ils ont connu une évolution socioculturelle et politique moins conflictuelle dans leur rapport au religieux. Le culturel, le politique et le religieux y ont évolué au même rythme : il y eut des tensions et des conflits, mais pas de choc frontal comme en France. M. WILLAIME donne l’exemple de la démocratisation parallèle des

conseils de paroisses et des conseils municipaux d’une part, de l’admission des femmes au

pastorat au moment même où les femmes accédaient à diverses responsabilités profession-nelles dans la société séculière d’autre part.

Dans les pays fortement marqués par le catholicisme, si une histoire présentant

quelques similarités avec celle de la France a pu se dérouler dans certains pays comme l’Espagne (avec le catholicisme politique et le

franquisme, on a ainsi pu parler d’un conflit des

deux Espagne comme on a parlé du conflit des deux France), dans un pays comme la Belgique c’est un compromis libéral, celui de 1831, auquel a

participé le catholicisme belge, qui a présidé à la naissance de ce pays.

Si maintenant l’on se tourne vers l’usage

du terme de laïcité dans l’Europe des 27, on constate d’emblée que beaucoup de pays n’utilisent pas cette notion, le mot même de laïcité étant plus volontiers traduit dans les langues latines (espagnol et italien notamment) que dans d’autres langues comme l’allemand

et l’anglais. Le mot de laïcité ne figure ni dans le Traité de Lisbonne, ni dans la Charte des droits fondamentaux. Mais ce serait commettre une lourde erreur d’en conclure que

méconnaître le mot signifie méconnaître les principes fondamentaux auxquels il renvoie. Pour M. WILLAIME, même là où le mot est employé, il ne signifie pas exactement

la même chose : · Ainsi en Belgique, il existe une « laïcité organisée », voire « ecclésialisée » selon le

mot du sociologue Claude Javeau de l’Université Libre de Bruxelles, c’est-à-dire une laïcité qui est reconnue, à l’égal des religions, comme une conception particulière de la vie

s’attestant, non pas dans de quelconques représentations et pratiques religieuses, mais dans une philosophie humaniste et libre-penseuse. Dans le cas belge, la laïcité constitue donc, paradoxalement peut-on dire, un 7e culte reconnu et institutionnalisé par l’Etat

6. Un malade retenu dans un hôpital a ainsi le choix entre une assistance spirituelle laïque (on dit souvent dans ce cas « humaniste ») et une assistance spirituelle catholique, musulmane ou autre. En Belgique comme aux Pays-Bas, la majorité des écoles sont à identité confession-nelle. Et dans les écoles publiques dites « officielles », les élèves et leurs familles ont le choix entre un cours de religion (donné par des professeurs de l’une des six religions reconnues) ou

un cours de « morale non confessionnelle », c’est-à-dire laïque. Ainsi, alors que la laïcité re-présente des convictions, des militances et des organisations importantes dans la vie sociale, culturelle et politique belge, le Royaume belge n’est pas laïque au sens français : c’est un Etat

pluraliste où la laïcité, loin d’être conçue comme la référence de tous, est identifiée aux con-ceptions non-religieuses de la vie.

· En ce qui concerne la République italienne, si elle n’hésite pas à faire référence

au principe de laïcité (laicita), cela ne l’empêche pas de considérer le catholicisme

comme un « patrimoine culturel national » et de permettre aux citoyens de verser une partie de leurs impôts à une des religions ayant passé un accord avec l’Etat (selon le sys-

6 Ce 7e culte existe à côté des six autres cultes reconnus que sont le catholicisme, le protestantisme, l’anglicanisme, l’orthodoxie, le judaïsme et l’islam.

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Journée d’Etude et de Réflexion Actes 5 Quelles nouvelles places pour les religions et la laïcité dans notre société ?

“ Un juste équilibre entre la liberté fondamentale de reli-gion et la non moins fonda-mentale liberté d’expression ”

“ Le terme de laïcité n’apparaît ni dans le

Traité de Lisbonne […]

mais en matière de laïcité, la chose est plus importante que le mot ”

tème des « ententes »). Une récente décision de la Cour européenne des droits de l’homme

interdisant les crucifix dans une école a ainsi été perçue comme une atteinte à l’identité

nationale italienne7.

· Quant à la France elle-même, elle admet sur tout le territoire de la République une certaine diversité de laïcités non uniforme issue de régimes spéciaux, hérités de l’histoire, qui prévalent en Alsace-Moselle, en Guyane, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Mayotte… C’est la démonstration in concreto qu’un même principe peut être décliné avec des

variantes tenant compte des réalités du terrain.

Pour conclure ce premier point, M. Jean-Paul WILLAIME insiste sur le fait que, dans l’Europe

du Traité de Lisbonne, il y a en fin de compte 27 exceptions concernant les modalités de relations Religions-Etat, y compris dans la façon même de comprendre et de mettre en œuvre le principe de laïcité. Ce constat général n’empêche pas M. WILLAIME de soutenir une double thèse :

· il existe, au-delà de l’incontestable diversité des solutions nationales, une laïcité

européenne, · la singularité française suscite quelquefois une mécompréhension et des jugements

divers chez nos voisins européens.

1) Une laïcité européenne Si le terme de laïcité n’apparaît ni dans le Traité de Lisbonne, ni dans la Charte

des droits fondamentaux, cela ne signifie aucunement que l’UE n’est pas laïque. En ma-tière de laïcité, la chose est plus importante que le mot et les principes essentiels de l’idée de laïcité sont res-pectés au sein de l’UE et dans la majorité des pays qui en sont membres. Il y a en particulier une réelle indépen-dance de la gouverne politique de l’UE vis-à-vis des pou-voirs religieux (freedom from religion) et un réel respect, dans les limites de l’Etat de droit, de la démocratie et des

droits de l’homme, de la liberté religieuse des populations (freedom of religion).

Au sein de l’UE, c’est à travers les trois principes essentiels suivants que la laïcité

est une valeur respectée :

7 Affaire LAUTSI contre Italie, Cour européenne des droits de l’homme, 3 novembre 2009. La requérante, une finlandaise, alléguait que l’exposition de la croix dans les salles de classe de l’école publique fréquentée par ses

enfants était une ingérence incompatible avec la liberté de conviction et de religion ainsi qu’avec le droit à une

éducation et un enseignement conformes à ses convictions religieuses. La décision de la cour, qui lui a donné raison, a suscité de nombreuses réactions en Europe.

2.

Réalité européenne de la laïcité et singularité française

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urnée d’Etude et de Réflexion Actes 5 Quelles nouvelles places pour les religions et la laïcité dans notre société ?

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Journée d’Etude et de Réflexion Actes 5 Quelles nouvelles places pour les religions et la laïcité dans notre société ?

“ L’indépendance réci-proque implique aussi le droit pour les religions de faire va-loir leurs convictions dans l’espace public, y compris en

se prononçant contre un projet de loi ”

“ La tradition d’un Etat éman-cipateur et exerçant une sorte de magistère philosophique sur la population a aussi pesé dans les relations avec le religieux, comme si la vraie liberté était uniquement à chercher dans l’émancipation à

l’égard des religions ”

n 1er PRINCIPE. Un principe de liberté : la liberté de pensée, de conscience et de

religion (art. 9 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fon-damentales). Ce principe inclut la liberté de changer de religion ou de conviction, d’avoir

une religion ou de ne pas en avoir. Les seules limites à cette liberté sont « celles qui, pré-vues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sé-curité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la pro-tection des droits et libertés d'autrui » (art 9 §2 de la Convention). La liberté d’expression

(art. 10 § 1 de la Convention), comme toute liberté, a aussi certaines limites. Celles-ci étant réduites à « certaines mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité na-tionale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la préven-tion du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour ga-rantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. » (art. 10 § 2 de la Convention). Dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, on recherche constamment un

juste équilibre entre l’article 9 et l’article 10, c’est-à-dire entre la liberté fondamentale de reli-gion et la non moins fondamentale liberté d’expression qui inclut le droit non seulement de

critiquer la religion, mais aussi de s’en moquer (sans qu’il y ait cependant incitation à la haine

et trouble caractérisé à l’ordre public).

n 2e PRINCIPE. Un principe d’égalité, chaque citoyen ayant, quelle que soit sa religion ou sa conviction (y compris l’absence de toute

identification religieuse ou convictionnelle), les mêmes droits et les mêmes devoirs. Autrement dit, aucune personne ne peut être d’une quel-conque manière discriminée en fonction de sa croyance ou de son incroyance. Ce principe de non-discrimination est d’autant plus puissant en

Europe, que la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales consacre des droits et des libertés indivi-duelles protégeant les libertés de chacun. Régulièrement des Etats sont ainsi condamnés par la Cour de Strasbourg suite aux requêtes présentées, après épuisement des recours nationaux, par des citoyens contre l’Etat de leur propre pays. Entre autres décisions célèbres, celle condam-nant la Grèce suite à des plaintes d’un Témoin de Jéhovah condamné pour prosélytisme (af-faire Kokkinakis c. Grèce, 1993) et celle précitée de 2009 condamnant l’Italie pour la pré-sence de crucifix dans les salles de classes (cf. supra).

n 3e PRINCIPE. Le principe de l’autonomie respective du politique et du religieux,

leur indépendance réciproque : celle du politique par rapport au religieux, celle du reli-gieux par rapport au politique. Cette indépendance réciproque se déployant toujours dans le

cadre des acquis normatifs des sociétés démo-cratiques incluant non seulement l’Etat de droit,

mais aussi les droits de l’homme et de la

femme, l’égalité des sexes étant une valeur non

négociable des Etats européens. M. WIL-LAIME dit préférer parler d’autonomie et

d’indépendance réciproque car, à l’échelle

européenne, la séparation des religions et de l’Etat ne signifie pas obligatoirement ab-sence de coopérations religions-Etat dans différents domaines, notamment sociaux et éducatifs. Des Etats européens ont noué et

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Journée d’Etude et de Réflexion Actes 5 Quelles nouvelles places pour les religions et la laïcité dans notre société ?

nouent encore aujourd’hui, pensons par exemple à la République Fédérale d’Allemagne, de

véritables relations de partenariat avec des institutions religieuses pour remplir des missions d’intérêt public. Selon Emile POULAT8

, c’est justement parce qu’il y a séparation qu’il peut

y avoir coopération. Dans certains pays, l’indépendance réciproque va même jusqu’à ne pas

exclure le financement public direct ou indirect des institutions et activités religieuses. Cette indépendance réciproque des institutions et des gouvernes politiques par rapport au religieux inclut le respect de la liberté des religions à s’organiser selon les spécificités de leur auto-compréhension comme communauté religieuse. Ainsi, la loi française de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905, devant le refus de l’Eglise catholique de s’organiser en associa-tions cultuelles locales, a dû prendre en compte l’organisation épiscopale de l’Eglise romaine

et prévoir, en 1923-1924, des « associations diocésaines » respectant les règles propres d’organisation du culte catholique. L’indépendance réciproque implique aussi le droit pour les

religions de faire valoir leurs convictions dans l’espace public, y compris en se prononçant

contre un projet de loi, l’Etat restant libre de son côté d’adopter des lois ou des mesures qui rencontrent côté d’adopter des lois ou des mesures qui rencontrent l’opposition de telle ou

telle religion, fut-elle majoritaire.9 L’indépendance réciproque inclut le droit à l’orthodoxie et

à l’hétérodoxie : « la République respecte toutes les croyances ». La laïcité implique que l’Etat reste neutre par rapport aux croyances de ses citoyens tant que les comportements qui y

sont associés ne tombent pas sous le coup de la loi. Pour M. WILLAIME, ces trois principes définissent une « laïcité de reconnaissance

et de dialogue » que l’on retrouve aussi à la base du Traité de Lisbonne. Mais auparavant, il

souhaite étudier le modèle français à l’échelle européenne : comment est-il perçu ? La France est-elle ou n’est-elle pas, dans le domaine des relations Religions-Etat, au diapason de l’Europe ?

2) La singularité française de la laïcité : une neutralité de méfiance ? Selon M. WILLAIME, ses collègues étrangers sont souvent surpris par l’ampleur

et la vivacité des débats concernant les relations Religions-Etat en France. Même s’ils

comprennent vite que la laïcité est une passion française, ils s’interrogent néanmoins sur les

raisons d’une telle passion. Par ailleurs, ce qui frappe souvent les autres pays d’Europe,

c’est que la laïcité française serait une neutralité de méfiance plutôt que de confiance vis-à-vis des phénomènes religieux. Comme si, en France, le pouvoir politique voyait tou-jours dans le religieux une menace potentielle pour sa souveraineté et, s’agissant des indivi-dus, une contrainte et des limitations à leurs libertés (lorsqu’il est confronté à des fidèles sui-vant rigoureusement des normes comportementales propre à leur religion). M. WILLAIME a même vu dans une étude que le fait de pratiquer régulièrement l’islam était perçu comme un manque d’intégration à la communauté nationale !

Le fait que la France apparaisse, aux yeux de nos voisins européens, comme particuliè-

rement vigilante, voire excessivement intransigeante, en matière de lutte contre les dérives

8 Emile POULAT est historien et sociologue français, Directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, également directeur de recherche au CNRS. Spécialiste du catholicisme et de la laïcité, il a écrit de nombreux ouvrages, en particulier Notre laïcité publique. « La France est une République laïque », Paris, Berg International Editeurs, 2003. 9 Ainsi, en 1975, l’Interruption Volontaire de Grossesse a-t-elle été légalisée en France en dépit de l’opposition

de l’Eglise catholique. Mais cette légalisation inclut le respect de la liberté des femmes de recourir ou non à un avortement et la liberté de conscience du médecin qui, au nom de ses convictions, a le droit de ne pas pratiquer d’IVG.

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Journée d’Etude et de Réflexion Actes 5 Quelles nouvelles places pour les religions et la laïcité dans notre société ?

“ Lorsque l’on consi-dère les pratiques de la laïcité en France, celles-ci apparaissent assez libérales et en bonne harmonie avec ce qui se passe en Europe ”

“ Le préambule du Traité de Lisbonne constitue un bel exemple de compromis laïque ”

sectaires10, le fait qu’elle apparaisse très réticente, toujours aux yeux de nos voisins euro-

péens, à la « visibilisation » d’appartenances religieuses dans l’espace public11 ont pu entrete-

nir et peuvent continuer à entretenir l’image d’une France pratiquant une laïcité de méfiance à l’égard du religieux. Il s’agit ici d’images, voire de stéréotypes, qui méconnaissent le réel res-pect de la liberté religieuse qui prévaut en France, mais ces représentations sont d’autant plus

présentes que subsiste une singularité française en matière de relations Religions-Etat, une singularité qui nous vient de l’histoire.

En France, les relations Eglise catholique-Etat ont été beaucoup plus conflic-

tuelles et idéologiques que dans d’autres pays et le caractère centralisateur de notre

Etat a contribué à dresser l’une contre l’autre ces deux grandes institutions dans leur prétention, notamment en matière d’éducation. Le fait que la France, de par son his-toire et le caractère longtemps hégémonique du catholicisme, soit peu accoutumée au plu-ralisme religieux complique encore la situation alors que la pluralité religieuse et philoso-phique de la population française est pourtant bien réelle. La tradition d’un Etat émancipateur et exerçant une sorte de magistère philosophique sur la population a aussi pesé dans les relations avec le religieux, comme si la vraie liberté était uniquement à chercher dans l’émancipation à

l’égard des religions. Ainsi, dès que l’on manifeste une reconnaissance publique à

l’endroit du religieux, cela suscite vite des réactions de la part de ceux qui confondent laïcité et privatisation du religieux. Le président Jacques CHIRAC a officiellement reçu les organisations maçonniques en juin 2003 pour le 275e anniversaire de la fondation de la

maçonnerie. Qu’aurait-on dit s’il avait honoré des reli-gions dans les mêmes circonstances ? Pourtant la ren-contre entre le président Nicolas Sarkozy et Benoît XVI au Palais de l’Elysée le 12 septembre 2008 fut un

bel exemple d’une laïcité républicaine de reconnais-sance et de dialogue. La laïcité n’est ni l’athéisme

d’Etat, ni l’ignorance des religions, mais la neutrali-té de l’Etat, des institutions publiques et de leurs

agents vis-à-vis des croyances et des incroyances des uns et des autres.

A la question de savoir comment les européens voient le modèle français de relations

Religions-Etat, M. WILLAIME conclut en disant que ce modèle fascine et intéresse, bien qu’il soit difficilement compréhensible et souvent perçu comme une neutralité très méfiante à

l’égard du religieux et de son expression publique, particulièrement lorsqu’il s’agit de tradi-tions religieuses qui, tel l’islam, le protestantisme évangélique ou le pentecôtisme tzigane,

apparaissent trop souvent comme « étrangères » aux yeux de l’opinion. Le débat, pour M. WILLAIME, est trop idéologique en France et maints discours sur la laïcité ne sont pas à la hauteur des pratiques des relations Religions-Etat telles qu’elles se déroulent concrè-tement. En effet, lorsque l’on considère les pratiques de la laïcité en France, celles-ci appa-raissent assez libérales et en bonne harmonie avec ce qui se passe en Europe. La France est

10 Alors que la Miviludes (Mission Interministérielle de Lutte contre les Dérives Sectaires) continue à stigmatiser les Témoins de Jéhovah comme « secte », ce groupement fait partie des cultes reconnus dans d’autres pays

d’Europe. 11 Loi du 15 mars 2004 prohibant la manifestation ostentatoire d’une appartenance religieuse à l’école, et propo-sition de loi de 2010 sur la dissimulation du visage visant à interdire le port de la burqua dans tous les espaces publics.

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Journée d’Etude et de Réflexion Actes 5 Quelles nouvelles places pour les religions et la laïcité dans notre société ?

notamment au diapason de l’Europe dans ses pratiques de la laïcité à l’échelle des collectivi-tés locales.12

M. WILLAIME constate également à l’échelle de nombreux ministères la pratique

de cette laïcité d’intelligence et de dialogue : · mise en place d’instances régulières de dialogue entre autorités religieuses et autorités

politiques13, · traditionnelle cérémonie des vœux à l’Elysée rassemblant les représentants des princi-

paux cultes en France, · création en juillet 2009 d’un pôle « religions » au Quai d’Orsay

14, · nombreux financements indirects d’activités en lien avec des religions.

Pour lui, ces pratiques témoignent, non pas d’une épouvantable entorse au principe de

laïcité comme le pensent quelques esprits laïcistes, mais, au contraire, de la pratique d’une

laïcité de reconnaissance et de dialogue qui reconnaît socialement le fait religieux tout en res-tant parfaitement libre et indépendant par rapport à lui. Le renforcement d’un enseignement des faits religieux dans les écoles publiques (de l’école primaire au lycée) qui respecte la laïci-té scolaire et la déontologie propre à l’enseignement, s’inscrit aussi dans cette ligne. Il existe un hiatus entre la rhétorique de certains discours officiels et la pratique de la laïcité. Le fait qu’une telle pratique de la laïcité soit parfaitement en phase avec le Traité de Lisbonne devrait

en tout cas conforter la France dans cette orientation. L’UE de 27 membres concernée par le Traité de Lisbonne est constituée, il ne faut pas

l’oublier, de quelques pays de l’ancien bloc communiste qui ont souffert, à des degrés divers,

de l’athéisme d’Etat et d’entraves aux pratiques religieuses, voire de persécutions antireli-gieuses (les trois pays Baltes, la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie, la République tchèque, l’ex-RDA…). Alors qu’en France, on a pu avoir ten-dance à considérer que l’affaiblissement des appartenances et des pratiques religieuses

était un vecteur nécessaire au progrès de la démocratie, l’expérience de ces pays est

toute différente : la reconnaissance de la religion et la démocratisation sont ici allés de pair ! Ces nouveaux pays ayant rejoints l’UE ont mis en place de nouveaux textes concernant les relations Etats-religions qui représentent différentes variances d’une laïcité de reconnais-sance et de dialogue. Ils ne sont pas mus principalement par une méfiance ou un sentiment de

12 Ainsi les maires ont bien compris la nécessité d’une laïcité d’intelligence et de reconnaissance grâce à un dia-logue régulier avec les représentants des diverses communautés religieuses de leur ville (comme à Marseille, Roubaix, Bordeaux ou encore Strasbourg). 13 Inaugurée par Lionel JOSPIN pour le catholicisme en 2002, cette initiative a suscité de la part d’autres cultes

des demandes de rencontres similaires. 14 « Le fait religieux joue un rôle important dans les rapports entre les nations, les questions de développement ou les équilibres politiques internes. Il est donc nécessaire de conduire un travail de fond, multidisciplinaire, croisant des expertises religieuses avec d’autres approches privilégiant les aspects de sécurité, de développe-ment ou de société. » Source : http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/ministere_817/missions-organisation_823/structure-administration-centrale_808/creation-un-pole-religions-au-quai-orsay-27-juillet-2009_75555.html

3.

Le Traité de Lisbonne : une laïcité de reconnaissance et de dialogue

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Journée d’Etude et de Réflexion Actes 5 Quelles nouvelles places pour les religions et la laïcité dans notre société ?

“ Le Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne n’implique pas une

uniformisation des re-lations Religions-Etat des pays qui en sont membres, elle respecte les dispositifs natio-naux ”

devoir se défendre par rapport à l’emprise des religions comme cela a été le cas en France depuis la Révolution.

M. WILLAIME insiste sur le fait que le Traité de Lisbonne n’est pas une constitution

mais un traité modificatif de l’UE et de son fonctionnement. Il est intéressant de comparer le

préambule de la Charte des droits fondamentaux, qui avait été sujet à polémique, à celui du Traité de Lisbonne. Le préambule de la Charte des droits fondamentaux de l’Union euro-péenne signée par la France le 7 décembre 2000 indique : « Consciente de son patrimoine spirituel et moral, l’Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité hu-maine […] ». La mention des « héritages religieux » dans ce préambule avait été contestée par la France, le président CHIRAC et le premier ministre Lionel JOSPIN ayant estimé que faire référence à des héritages religieux dans un tel préambule était incompatible avec la laïci-té française. Cette vigoureuse réaction française avait été difficilement comprise en Europe, notamment en Allemagne et en Pologne, même si, in fine, tout le monde s’accorda sur l’expression « consciente de son patrimoine spirituel et moral ».

Or, le préambule de la version consolidée du Trai-

té sur l’Union Européenne dispose en son § 2 que : « S’inspirant des héritages culturels, religieux et huma-nistes de l’Europe, à partir desquels se sont développés

les valeurs inviolables et inaliénables de la personne hu-maine […] ». Cette fois, il est fait mention des « héritages religieux » à côté des héritages « culturels » et « huma-nistes », ce dernier qualificatif renvoyant aux convictions philosophiques non religieuses. Qui plus est, on ne dé-clare plus simplement « consciente de son patrimoine spirituel et moral », mais on dit, ce qui est beaucoup plus fort, « s’inspirant des héritages » (ce qui signifie que ces héritages sont toujours, aujourd’hui,

source d’inspiration alors que l’expression « consciente de » renvoyait à un patrimoine du passé). M. WILLAIME considère que ce préambule du Traité de Lisbonne constitue un bel exemple de compromis laïque : si aucun privilège n’est accordé aux héritages religieux dans

ce texte, ceux-ci sont reconnus, à côté des héritages culturels et humanistes, comme faisant incontestablement partie des sources et ressources de l’Europe « à partir desquels se sont dé-veloppés les valeurs […] ». Un compromis qui respecte les différentes sources et ressources de l’humanisme européen et qui ne fait pas l’impasse, sous prétexte de laïcité, sur les héri-tages religieux. Le fait qu’une telle formulation ait été finalement adoptée dans la version consolidée du Traité sur l’Union européenne est sans nul doute lié, outre que bien

d’autres sujets retenaient l’attention, au poids des pays de l’ancien bloc communiste au

sein de l’UE qui savent ce qu’il en coûte de vouloir éradiquer les héritages religieux ayant marqué l’histoire et la culture des pays dans lesquels on vit.

Mais un Préambule a une portée plus symbolique que juridique. L’article 17 du Trai-

té sur le fonctionnement de l’Union Européenne est bien plus important ; il compte trois alinéas :

· L’alinéa 1 indique que l’UE respecte les modalités de relations Etat-religions de chaque pays membre. Celles-ci ne sont pas de la compétence de l’Union : « 1. L'Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres. ». Autrement dit, l’UE

n’implique pas une uniformisation des relations Religions-Etat des pays qui en sont membres, elle respecte les dispositifs nationaux tels qu’ils ont été construits par l’histoire propre à

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Journée d’Etude et de Réflexion Actes 5 Quelles nouvelles places pour les religions et la laïcité dans notre société ?

“ L’UE ne constitue

en rien une remise en cause de la laïcité. Elle est profondément laïque et même plus laïque que maints Etats qui la com-posent ”

“ Le Traité de Lis-bonne constitue une vo-lonté de pratiquer une laïcité européenne de reconnaissance et de dia-logue, tout en garantis-sant la stricte indépen-dance réciproque des sphères politiques et reli-gieuses ”

chaque pays. Cela n’a pas empêché certains de percevoir le Traité de Lisbonne comme une

menace pour la laïcité française.

· L’alinéa 2 dispose que l’Union respecte également les organisations non confes-sionnelles et philosophiques : « 2. L'Union respecte également le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les organisations philosophiques et non confessionnelles. » Cet alinéa a été ajouté, notamment à la demande des Belges qui, conformément à ce qui prévaut dans leur pays, souhaitaient que soient également prises en compte les convictions philosophiques non religieuses et les organisations qui les portent. Avec cet alinéa 2, on peut dire qu’il y a, dans ce Traité européen, un élément d’institutionnalisation d’une laïcité à la belge, c’est-à-dire d’une laïcité identifiée, à côté des conceptions religieuses et de leurs organisations, aux conceptions non religieuses de la vie et à leurs organisations.

· L’alinéa 3 reconnait l’identité et la contribution spécifique des communautés re-

ligieuses et convictionnelles et affirme que l’UE souhaite entretenir avec elles « un dia-

logue ouvert, transparent et régulier » : « 3. Reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l'Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces églises et organisations. » Cette formulation reprend en partie une formule employée à l’art. 11 (du

Titre II : Dispositions relatives aux principes démocratiques) dans la version consolidée du Traité sur l’Union européenne à propos des « associations représentatives de la société ci-vile ». Lors des débats, certaines voix avaient émis le souhait qu’il n’y ait pas, dans le Traité de Lisbonne, un

article spécial concernant les organisations religieuses et philosophiques mais que l’on intègre celles-ci dans cet article 11 du Traité sur l’Union Européenne indiquant que

« les institutions entretiennent un dialogue ouvert, trans-parent et régulier avec les associations représentatives de la société civile ». Le fait, qu’in fine, un article spécifique soit consacré aux organisations religieuses et philoso-phiques avec cet article 17 du Traité sur le fonctionnement de l’UE est en soi révélateur. Cela signifie, et la formula-tion même qui est employée le confirme, que l’UE reconnaît la spécificité des organisations religieuses et philosophiques, tant par ce qu’elles représentent (leur identité) que par ce

qu’elles font (leur contribution). L’UE, à son échelle, ne pouvait guère mieux signifier sa

conception, dans ses relations avec les religions et organisations philosophiques, d’une

laïcité de reconnaissance et de dialogue. Ce Traité de Lisbonne constitue donc : · une reconnaissance officielle de la spécificité du phénomène religieux,

· une volonté de pratiquer une laïcité européenne de reconnaissance et de dialogue qui, tout en garantis-sant la stricte indépendance réciproque des sphères po-litiques et religieuses, s’ouvre à un dialogue ouvert

avec les représentants des religions et des philosophies. Bien entendu, il faudra suivre attentivement comment cet article 17 sera mis en œuvre et quelle résonance il

aura dans les différents pays membres de l’UE. Mais,

d’ores et déjà l’on peut dire que le Traité de Lisbonne

est au diapason de ce qui se passe pratiquement dans les différents pays de l’Union, y compris en France.

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“ La démocratie se fra-giliserait elle-même si elle ignorait ce type d’atouts : dialogues ouverts, trans-parents et réguliers avec les représentants des reli-gions et des conceptions philosophiques prévus par le Traité de Lisbonne ”

Avec ses « associations cultuelles » et ses « associations diocésaines », avec l’article 4

de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905 qui, en parlant des « associations qui, en se conformant aux règles d’organisation générale du culte dont elles se proposent d’assurer l’exercice », reconnaît l’organisation interne des cultes et les autorités respectives

des religions, avec le régime propre accordé aux congrégations, on peut dire que la France reconnaît à sa façon la spécificité du religieux. Quant au « dialogue ouvert, transparent et ré-gulier » entre autorités politiques et autorités religieuses, la République Française le pratique largement tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle locale. Ce dialogue, selon M. WILLAIME, pourrait sans doute être plus transparent et ouvert pour bien oser signifier que, loin d’être une atteinte à la laïcité, il en constitue au contraire une pratique intelligente. A condition aussi de reconnaître que l’indépendance réciproque et le dialogue, cela signifie aussi obligatoirement tensions et conflits, ce qui est tout à fait non seulement normal, mais aussi parfaitement sain en démocratie. C’est bien parce que le pouvoir politique a appris à re-noncer au pouvoir spirituel et que le pouvoir religieux a appris à renoncer au pouvoir temporel qu’une laïcité de reconnaissance et de dialogue est devenu possible en Europe.

En conclusion, M. WILLAIME estime que l’UE ne constitue en rien une remise en

cause de la laïcité. Elle est profondément laïque et même plus laïque que maints Etats qui la composent. La dominante en Europe est l’autonomie respective du religieux et du poli-tique associée à des pratiques reconnaissant des repré-sentants religieux comme des interlocuteurs légitimes de dialogues. Certes, comme on l’a vu, les dispositifs

nationaux de relations Religions-Etat restent assez différents d’un pays à l’autre et les réponses apportées

par chaque Etat aux défis que représente la pluralisa-tion accrue du paysage religieux européen sont diffé-renciées (notamment en matière de luttes contre les dérives sectaires, de règlementation concernant le port de signes religieux à l’école ou dans l’espace public,

d’approches scolaires des faits religieux). Mais il y a plus qu’une européanisation des défis, il y a aussi tendanciellement une européanisation des façons d’y faire face. Ainsi, dans le domaine des approches scolaires des faits religieux, si un ensei-gnement confessionnel des religions séparant les élèves selon les options religieuses ou non-religieuses de leur famille subsiste dans les écoles publiques de nombreux pays, l’Union eu-ropéenne15

, comme le Conseil de l’Europe16 et l’OSCE

17, promeut de plus en plus un ensei-gnement objectif et pluraliste des faits religieux s’adressant à tous les élèves quelle que soit leur religion ou conviction. Un tel enseignement, qui ne peut être que laïque, s’inscrit dans le

15 Luce PEPIN, L’enseignement relatif aux religions dans les systèmes scolaires européens, Bruxelles, Réseau des Fondations Européennes (NEF), 2009. 16 Livre blanc sur le dialogue interculturel. « Vivre ensemble dans l’égale dignité », Strasbourg, Conseil de l’Europe, 2008. 17 Toledo Guiding Principles on Teaching about Religions and Beliefs in public Schools, prepared by the ODIHR Advisory Council of Experts on Freedom of Religion or Belief, OSCE/ODIHR, 2007.

4. Conclusion

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cadre plus large d’une éducation scolaire ouverte à la pluralité culturelle et religieuse et con-tribuant à former des citoyens de plus en plus confrontés à cette pluralité. Dans ce domaine comme dans d’autres, en renforçant l’enseignement des faits religieux à l’école publique

laïque, la France, avec ses particularités, est au diapason de l’Europe18.

Pour que les dialogues ouverts, transparents et réguliers avec les représentants

des religions et des conceptions philosophiques prévus par le Traité de Lisbonne soient positifs, M. WILLAIME pense qu’il faut aussi considérer ce que les religions et convic-tions peuvent apporter au politique. Si, en effet, la séparation des pouvoirs exécutif, législa-tif et judiciaire, le respect des droits de l’homme sont les piliers objectifs de la démocratie,

celle-ci n’en est pas moins fragilisée si elle n’est pas constamment portée par des démocrates,

c’est-à-dire des personnes convaincues de son bienfondé et motivées pour la faire vivre. Face au désenchantement démocratique et à la crise de confiance envers les représentants de l’autorité publique, face à l’accentuation de l’individualisme et à l’affaiblissement des solida-rités, face à l’indifférentisme et au relativisme, face aux immenses enjeux démographiques,

éducatifs, économiques, énergétiques, écologiques, sécuritaires et autres qui caractérisent le monde actuel, les ancrages convictionnels religieux et philosophiques qui motivent les per-sonnes à s’engager et à participer à la vie collective sont des atouts précieux. La démocratie se

fragiliserait elle-même si elle ignorait ce type d’atouts.

M. WILLAIME dit se méfier de l’universalisme abstrait. L’universalisme des droits de l’homme et les valeurs essentielles dont il est porteur ont besoin d’être portés

par des langues, des cultures et des langages symboliques différents. L’universalisme

abstrait fait système avec le communautarisme : penser que l’on ne serait universel qu’en se débarrassant de ses identités particulières, considérer que l’espace public doit

être aseptisé de toute référence identitaire, c’est en réalité contribuer à la sectarisation du religieux, à sa communautarisation. Si l’espace public, y compris médiatique, doit être protégé contre toute captation communautaire, il doit aussi refléter la diversité culturelle et religieuse des populations. Tout est affaire d’ajustements et de réglages. Si, comme le sug-gère le philosophe Jürgen HABERMAS, les religions et les philosophies humanistes renon-cent à toute hégémonie du sens en acceptant de s’inscrire dans un cadre pluraliste et de parti-ciper au débat social en respectant les règles de la communication publique, ces conceptions religieuses et philosophiques, ainsi que les personnes et organisations qui les représentent, peuvent dès lors constituer des ressources utiles en démocratie. Quant aux tensions et aux conflits que cela suscite, ils témoignent de la vitalité démocratique ; c’est leur absence qui serait inquiétante car elle signifierait soit une absorption du religieux par le politique, soit une absorption du politique par le religieux. ¢

18 Dominique Borne et Jean-Paul WILLAIME (sous la direction de), Enseigner les faits religieux. Quels enjeux ? Paris, Armand Colin, 2007.

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Journée d’Etude et de Réflexion Actes 5 Quelles nouvelles places pour les religions et la laïcité dans notre société ?

“ Face au voile inté-gral, le Parlement inté-gralement ”

“ Les travaux de la commission ont permis de mettre en évidence que le voile intégral n’est pas la consé-quence d’un précepte coranique ”

Pour M. RAOULT, le débat national concernant le « voile intégral19 » et la laïcité a

heureusement glissé vers une pratique plus quotidienne et plus concrète, alors qu’auparavant il restait au niveau des enjeux idéologiques. Ce débat suscite beaucoup d’intérêt hors de France, à tel point qu’il y a peu de temps encore, l’ambassadeur du Qatar lui demandait une explication sur les intentions du Parlement français vis-à-vis de la question du voile intégral.

M. RAOULT a indiqué que la notion de laïcité

pouvait, selon les pays, faire l’objet d’interprétations dif-férentes : c’est ainsi que la laïcité à la française n’est pas

toujours bien comprise et dois être fréquemment explici-tée. Ce faisant, il s’agit d’une notion concrète, dont la

perception un peu militante, jugée parfois négativement ou avec suspicion, s’est atténuée. Lors des auditions que M. RAOULT a pu conduire dans le cadre des travaux de la commission, il a parfaitement ressenti ce besoin d’une approche et de solutions concrètes aux problèmes qui peuvent se présenter loca-lement.

Pour un maire ou un parlementaire en effet, la pratique de la laïcité est un cas bien con-

cret : il n’est pas question de laisser seul un instituteur ou un professeur face à des situations

délicates. La classe politique doit donc aider ceux qui ont à faire face à des questions au cœur du débat national et

prendre ses responsabilités en la matière, car cette problé-matique emporte des conséquences très pratiques20. De même, la question des repas servis dans les cantines des écoles publiques peut rapidement générer des crispations

et des tensions si l’on n’y prend pas garde. Les travaux conduits par M. Eric RAOULT et M André GERIN les ont amenés à en-

tendre des personnes de toutes origines. Ces auditions sont consultables sur le site de l’Assemblée Nationale, en particulier celles avec le CFCM (Conseil français du culte musul-

19 Le projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public a été adopté par l’Assemblée Na-tionale le 13 juillet 2010 et par le Sénat le 14 septembre 2010. 20 Le voile intégral ne permet pas, par exemple, de pouvoir retirer des billets à un distributeur automatique de billets puisque celui-ci fonctionne par visualisation des yeux et de la bouche pour permettre la remise d’argent

aux clients.

M. Eric RAOULT Ancien ministre, député-maire du Raincy Rapporteur de la mission d'information parlementaire sur la pratique du voile intégral sur le territoire national

à Quelle vision politique nationale pour la laïcité en 2010 ?

3.

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Journée d’Etude et de Réflexion Actes 5 Quelles nouvelles places pour les religions et la laïcité dans notre société ?

“ L’application de la

loi nécessitera un gros effort de pédagogie no-tamment pour expliquer ce que peut représenter le voile intégral ”

man). Les travaux ont permis de mettre en évidence que le voile intégral n’est pas la consé-quence d’un précepte coranique.

Pour M. RAOULT, la communauté musulmane est consciente des enjeux du débat et

elle comprend la position du gouvernement et de la représentation nationale. Au-delà de tous les musulmans, les services publics sont finalement satisfaits de voir que l’Etat prend des me-sures concrètes et assume ses responsabilités.

Un grand nombre de députés est ainsi tout à fait

d’accord pour une initiative législative et consensuelle. M. RAOULT résume l’enjeu : « Face au voile intégral, le Parlement intégralement ».

Dans le cadre du débat public et démocratique,

certains se sont affirmés pour la « liberté totale », y compris en matière d’excision, mais la très grande majorité a manifesté son souhait d’une réglementation face aux dérives que nous pou-vons connaître. C’est ainsi que la résolution sur le voile intégral a été votée à l’unanimité des

députés présents. Les difficultés pratiques d’une législation n’ont pas été ignorées dans les travaux des

parlementaires, qui ont pu échanger avec le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat. Pour M. RAOULT, l’application de la loi nécessitera un gros effort de pédagogie no-

tamment pour expliquer ce que peut représenter le voile intégral. Les préfets auront à faire face à des provocations patentes, comme à Nantes récemment. Ils devront, selon M. RAOULT, « faire preuve de doigté » pour l’appliquer.

Il importe que les Français développent une meilleure connaissance de l’islam et de

ses préceptes, de même qu’il y a lieu de toujours mieux expliciter le concept de laïcité à la française, qui n’est pas une « laïcité d’opposition ». M. RAOULT a souligné que le Chef de l’Etat et le Premier ministre, qui n’ont pas voulu aborder ce sujet en termes populistes, ont tenu à rappeler que la France a décidé la création d’un institut de la laïcité, dont le décret reste

à signer.

Grâce à ce débat, les parlementaires ont ainsi réussi à aborder des questions pratiques. M. RAOULT précise que depuis son élection comme député en 1986, il a noté une évolution dans les rapports avec le monde musulman. De l’exclusion de certains musulmans des lieux

de prière inappropriés lui est venue l’idée de construire des lieux de culte décents. Les préfets doivent prêter une attention toute particulière à cette question. ¢

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Journée d’Etude et de Réflexion Actes 5 Quelles nouvelles places pour les religions et la laïcité dans notre société ?

“ On ne peut com-prendre la situation présente sans examiner ce qui s’est passé dans

l’histoire ”

Pour le professeur Gilles KEPEL, il existe des enjeux d’évolution importants pour

comprendre les défis actuels. Il importe également de faire une incursion à l’extérieure de nos

frontières car il y a une implication directe pour la France. En effet, nous nous trouvons dans un système extrêmement complexe où la banlieue est complètement internationalisée21 avec notamment ce qu’on appelle le salafisme (qui sera évoqué par M. Bernard ROUGIER).

M. KEPEL a conduit la 1ère enquête sur l’islam en France il y a 25 ans22 qu’il va re-

conduire notamment en Seine-Saint-Denis. Pour M. Gilles KEPEL, il y a un contexte, une façon de percevoir l’islam avec des crispations identitaires liées à une relation à la fois d’immense proximité mais aussi de ruptures, de combats contre la France et de retrouvailles.

Le paradoxe a été pour certains musulmans de devoir fi-nalement être français sans le vouloir. C’est un enjeu de

significations extrêmement compliquées et bien réelles. Pour M. KEPEL, on ne peut comprendre la si-

tuation présente sans examiner ce qui s’est passé dans l’histoire. Avec la Première Guerre Mondiale, qui a ap-porté en France les 1ères mosquées (dites « mosquées à roulettes »), nous avons contracté une dette de sang im-

portante envers les soldats musulmans. Ce fait a permis de fonder leur identité en France. C’est ainsi que la grande mosquée de Paris verra le jour en 1926. Elle scelle une alliance entre

le royaume marocain et le gouvernement français23. Puis la période des indépendances et le développement économique de la France

amène les populations des pays du Maghreb à venir vivre en France. Nous assistons à des vagues massives d’émigration. C’est ensuite la période de l’instrumentalisation de la France,

la guerre du Kipour d’octobre 1973, le choc pétrolier qui s’ensuit, et le chômage massif. Les

travailleurs immigrés veulent rester en France car ils ont peur, s’ils quittent notre territoire, de

ne plus pouvoir y revenir et y pouvoir travailler. Alors la famille reste, provoquant par la-même une sédentarisation concrète de l’islam en France avec la politique du regroupement

familial.

21 Concernant cette internationalisation, le professeur KEPEL cite à titre anecdotique le cas d’une femme prenant conseil auprès d’un cheik - résidant hors de France - pour savoir si elle doit quitter l’Hexagone, étant donné qu’elle n’a pas de crèche pour son enfant selon des critères islamiques. 22 G. KEPEL, Les banlieues de l’islam / Naissance d’une religion en France, 1987, Ed. du Seuil, réed. coll. Points, 1991. 23 La première pierre de la grande mosquée de Paris a été posée en 1922 après que le financement par la France a été voté par une loi de 1920, que le terrain a été donné par la mairie de Paris pour un institut et non une mosquée. Il s’agit, pour M. KEPEL, d’une « petite entorse à la laïcité » (sic).

M. Gilles KEPEL Professeur des Universités, Directeur de la chaire «Moyen-Orient Méditerranée » de Sciences Po

à L’islam de France : quel degré d’intégration dans la République ? (1/2)

4.

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Journée d’Etude et de Réflexion Actes 5 Quelles nouvelles places pour les religions et la laïcité dans notre société ?

“ Après 1989, se pro-duisent plusieurs autres incidents et un emballe-ment médiatique et poli-tique tels que le prési-dent CHIRAC décide de mettre en place la com-mission STASI en 2003 ”

“ La France, plus grand pays musulman d’Europe, voit au-jourd’hui l’émergence

de cette classe moyenne musulmane ”

Comment s’est déroulée cette sédentarisation ? Jusqu’en 1989, on a graduellement une demande de culte et de visibilité dans l’espace

publique. Le phénomène des mosquées naît alors dans les usines, les cités HLM et les espaces pavillonnaires. Dans les usines il s’agit même d’un enjeu de pouvoir contre les syndicats (et

particulièrement la CGT) ou contre le patronat, chacun essayant de conquérir le champ du religieux. Mais à l’époque, les premières générations d’étrangers ne pouvaient pas voter. Cependant, avec la francisation des générations suivantes, le bulletin de vote suscite l’intérêt

de la classe politique. Il se produit un changement de comportement des maires pour la construction des mosquées. Rares sont ceux qui les refusent.

En 1989, on assiste également à un changement dans l’espace de l’éducation. Il ne

s’agit plus de vieux immigrés qui veulent prier, mais d’un enjeu qui concerne la jeunesse française ou, du moins, d’une jeunesse qui a voca-tion à vivre en France : l’islam s’installe dans la jeu-nesse. L’exemple médiatique le plus patent est celui de l’affaire du collège Gabriel-Havez de Creil du 18 sep-tembre 1989 avec les 3 jeunes filles voilées, 2 maro-caines et 1 tunisienne, qui avaient été exclues par le Principal et qui seront réintégrées trois semaines plus tard.

Après 1989, se produisent plusieurs autres in-

cidents et un emballement médiatique et politique tels que le président CHIRAC décide de mettre en place la commission STASI (juillet 2003) pour préparer une loi sur l’interdiction des signes rel i-gieux ostentatoires à l’école. La commission rend son rapport en décembre 2003 et la loi est votée en mars 200424. La France connaissait le Tabligh25, mais ce mouvement va céder la place au salafisme qui connaît un lancement en France grâce notamment à des affaires comme celle de Creil. En effet, jusqu’en 1985, la population musulmane était étrangère, relativement âgée, avec des enfants relativement jeunes. Après 1989, la pyramide des âges des populations émigrées est complètement inversée dans les cités par rapport à la popula-tion française. Cette population émigrée est massivement éduquée et le Tabligh ne signi-fie plus rien tandis que le salafisme se fraye un chemin grâce au facteur internatio-nal de l’Internet et le voyage. Les jeunes dans les cités sont les arabes en banlieues. Ils

sont influencés par les messages véhiculés depuis l’étranger.

Le Royaume-Uni a voulu gérer la question de l’islam dans une logique communautaire avec des imams

achetant la paix sociale pour une classe moyenne musul-mane venant des anciennes colonies d’Afrique de l’Est,

mais les attentats de Londres du 7 juillet 2005 ont montré les dangers de cette politique : « Seven, Seven, this is war and I am a fighter. » (7 juillet, c’est la guerre et je suis un

combattant).

24 NDLR : Le professeur Gilles KEPEL a été membre de cette commission. 25 Tabligh signifie « délivrer [le message] » et le Tablighi Jamaat présente sa mission comme visant à faire re-vivre cette obligation de prédication au sein de l'islam. Il s’agit d’un mouvement apolitique qui ne vise que la transmission d'une pratique musulmane fondamentaliste. Il est apparu d’abord en Inde. Il est arrivé en France

dans le début des années 1960 (source Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Tablighi_Jamaat).

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Journée d’Etude et de Réflexion Actes 5 Quelles nouvelles places pour les religions et la laïcité dans notre société ?

“ Nous sommes ac-tuellement dans un con-texte où l’esprit de

laïcité cadre avec une stratégie d’ascension

sociale ”

La France, plus grand pays musulman d’Europe, voit aujourd’hui l’émergence de cette classe moyenne mais notre pays ne connaît pas d’attentats réussis depuis 1996. Malgré les

émeutes de Clichy et de Montfermeil, elle connaît une situation globalement inverse à celle du Royaume-Uni.

La loi sur le port du voile à l’école a même pu être appliquée en raison de l’enlèvement des journalistes

Christian CHESNOT et Georges MALBRUNOT, en août 2004, par l’armée islamique en Irak. Ils avaient étaient

menacés d’être égorgés si jamais la France ne retirait pas la loi sur le voile votée en mars 200426. Les musulmans de France ayant, à ce moment-là, vivement condamné les revendications des terroristes, la loi ne fut ainsi pas menacée d’être retirée et put même être appliquée sans difficulté majeure.

Pour M. Gilles KEPEL, nous sommes actuellement dans un contexte où l’esprit de

laïcité cadre avec une stratégie d’ascension sociale. Cependant, deux problèmes se posent : · un ressenti, vrai ou faux, au sein de la population musulmane, d’un certain rejet social

qui provoque le départ de certains, jeunes pour la plupart, à Dubaï ou à Londres pour trouver un travail ;

· une situation de plus en plus inquiétante de la population salafiste qui, bien que non majoritaire, commence à s’affirmer au sein de la société et pose un problème majeur non du fait de sa masse mais par le modèle qu’elle véhicule. ¢

Pour M. Bernard ROUGIER, le cadre mental de la laïcité n’est pas remis en cause par

la population musulmane, même si des présupposés existent dans la mentalité musulmane.

La querelle du voile intégral se déplace sur le champ européen. Il faut savoir, en effet, que ce problème du voile intégral a également été soulevé dans le Golfe en même temps que l’histoire du voile à Creil. Au moment où le personnel politique s’interroge sur la place du

voile et des symboles religieux dans la société française, le Moyen-Orient connaît un vif af-frontement entre Frères musulmans et salafistes sur la légitimité islamique du niqâb – le voile qui recouvre l’ensemble du corps et du visage de la femme. Cette coïncidence présente un intérêt, car elle manifeste les premiers signes d’une mondialisation des enjeux religieux,

26 Ils seront libérés en décembre 2004.

M. Bernard ROUGIER Maître de conférences des Universités (HDR) Enseignant au Collège de France, chaire « Histoire du monde arabe contemporain », et à la chaire «Moyen-Orient Méditerranée » de Sciences Po à L’islam de France : quel degré d’intégration dans la République ? (2/2)

5.

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urnée d’Etude et de Réflexion Actes 5 Quelles nouvelles places pour les religions et la laïcité dans notre société ?

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Journée d’Etude et de Réflexion Actes 5 Quelles nouvelles places pour les religions et la laïcité dans notre société ?

“ Les premiers signes d’une mondialisation reli-gieuse ”

et anticipe une querelle qui divise aujourd’hui, dans les mêmes termes mais vingt ans plus tard, les milieux musulmans, mais cette fois dans l’espace de la société française.

Des différences importantes existent entre les sa-

lafistes et les frères musulmans. Issu de la matrice wah-habite saoudienne, même si certains se sont détachés de l’instance officielle qui la représente aujourd’hui, les sala-fistes reprochent aux Frères musulmans de participer au jeu politique et social et, ainsi, de s’exposer aux in-fluences de la société profane. Dans les sociétés musulmans, les Frères musulmans ont récon-cilié la politique moderne avec le vœu de faire appliquer la charî’a – la Loi religieuse. Selon la personnalité de leurs dirigeants, ils ont accepté le jeu politique (courant majoritaire) ou ont tenté de le renverser par la force (courant minoritaire, dit « qotbiste », partisans de Sayyid Qotb, pendu par Nasser en prison en 1966). Pour les salafistes, se mêler de politique institu-tionnelle est « harâm », interdit, il faut préserver la foi de telles influences, revenir au modèle des « premiers musulmans » (l’étymologie du mot « salaf »), chercher à les imiter en toute chose en recourant aux « hadîth » - aux récits prophétiques – actes, paroles, attitudes prêtés au Prophète Mohammed vis-à-vis des questions les plus diverses. Le salafisme « parle » ainsi aux milieux sociaux les plus simples.

Cette querelle possède également un prolongement dans la politique internatio-

nale. Les Frères musulmans se reconnaissent dans le Hamas, appuient le Hezbollah (même s’il s’agit d’une organisation chiite) et voient dans l’Iran un avant-poste de la lutte anti-impérialiste (d’où les liens noués avec l’extrême gauche et, parfois, également l’extrême

droite). Pour le courant majoritaire du salafisme (le cas du salafisme-jihadisme mériterait une analyse séparée), l’Iran est d’abord considérée comme une puissance chiite, hérétique, hostile

au véritable islam. La théologie déborde ainsi sur la politique – car pour les salafistes, la géné-ration des « meilleurs musulmans » comprend les quatre premiers califes. Or, les chiites ne reconnaissent que le seul Ali comme calife légitime (le mot chiisme vient de « chi’at Ali » : le « parti de Ali », le parti de ses partisans contre les partisans du troisième calife, Othman). La dynamique salafiste s’explique par différents facteurs :

· il restitue un sens de la dignité (les Frères musulmans sont souvent des ingénieurs, des

avocats. D’un point de vue salafiste, ils occupent des positions de pouvoir grâce à des qua-lités non musulmanes, reconnues par un ordre politique et social non musulman.). En se définissant comme salafiste, un adolescent sans qualification peut prétendre être « meil-leur musulman », car plus proche de l’origine présumée, que l’avocat frèriste. De plus, In-ternet permet de discuter d’une question concrète, liée à la vie dans une société non mu-sulmane, avec des « grands cheikhs » saoudiens. N’importe qui peut rédiger une question

sur un site salafiste, et un élève francophone répondra, au nom du cheikh, en prônant une solution « légale » sur le plan de la Loi religieuse, définie depuis la péninsule arabique (Arabie saoudite, Qatar, Koweït, EAU) pour s’appliquer en France ou, de manière plus

générale, en Europe. En Grande-Bretagne, des avis (fatwas) interdisent aux vendeuses d’origine musulmane dans les grandes surfaces de toucher des bouteilles d’alcool achetées

par les clients. Une revendication locale est ainsi apparue sur la base d’une « analyse » opérée à des milliers de kilomètres. Il est à noter que depuis le mois dernier (août 2010, le roi Abdallah d’Arabie saoudite a interdit aux religieux présents dans son royaume de déli-vrer des fatwas, réservant ainsi leur usage à la seule instance officielle (le « comité des grands oulémas saoudiens »). Cette mesure va dans le bon sens, car elle réduit les risques d’une multiplication des prescriptions de ce type.

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Journée d’Etude et de Réflexion Actes 5 Quelles nouvelles places pour les religions et la laïcité dans notre société ?

“ Le salafisme permet une réinvention du reli-gieux. […] Puisque

l’Arabie Saoudite du

Vème siècle n’a pas

grand-chose à voir avec les sociétés d’au-jourd’hui, il y a évi-demment réinterpréta-tion ”

“ Le salafisme un in-dicateur d’une crise du

lien social. Il manifeste, en parallèle, une crise du lien politique ”

· le salafisme permet une réinvention du religieux. Cette dimension n’est évidem-ment ni assumée, ni revendiquée par les salafistes. Mais l’essentiel du travail reli-gieux porte sur une mise en relation des textes du hadith, compilés au IXème siècle de notre ère, avec les situations de la vie quotidienne en 2010. Et puisque l’Arabie du

VIIème siècle, celle de Mohammed, n’a pas grand-chose à voir avec les sociétés d’aujourd’hui, il y a

évidemment réinvention, réinterprétation. Mais cette démarche n’est pas assumée par les intéres-sés. Au contraire, ils prétendent occuper le temps de l’origine, et ils ferment ainsi toute possibilité

d’évolution du message religieux.

· le salafisme réconcilie l’origine (et non la tradi-tion) avec les techniques horizontales de trans-mission. Il est porté, en quelque sorte, par la mondialisation. Les effets sont ravageurs pour ceux qui privilégient une transmission à l’ancienne, de type verticale, fondée sur

l’apprentissage humaniste des savoirs. En effet, outre les Frères musulmans, les salafistes ont pour ennemis les musulmans libéraux qui posent, eux, l’historicité du texte religieux, et cherchent, à l’image de Mohammed

Arkoun, à libérer le texte du poids de la tradition pour le rendre à nouveau intelligible, grâce à l’apport des sciences sociales, dans un autre contexte. Cet islam libéral doit

impérativement se faire entendre, car il répond aux aspirations d’une partie de la bour-geoisie d’origine maghrébine en France. Malheureusement, il n’est pas relayé par les

mêmes techniques que l’islam salafiste ou frère musulman (Internet, chaîne satelli-taire, paltalk, Facebook, etc.). S’il passe par des canaux d’influence non musulmans

(chaînes généralistes, valorisation par des élites intellectuelles « françaises »), il risque d’être disqualifié a priori. Une réflexion doit aujourd’hui porter sur les moyens

d’inverser les flux d’influence dans l’autre sens, c'est-à-dire de faire de l’Europe la

base d’une libération spirituelle en direction des pays musulmans. Cette politique passe évidemment par la promotion citoyenne de nouvelles élites d’origine arabe

se définissant comme français dans l’ordre politique, et musulman dans l’ordre

religieux, et voyant dans cette séparation des ordres une chance pour l’islam face

à ceux qui parlent en son nom.

· le salafisme est un indicateur d’une crise du lien

social. Il régule, par le religieux, des comportements qui ne sont plus régulées par d’autres sources (familles, école,

institutions politiques et administratives). Il offre une pa-noplie de « solutions » aux problèmes actuels, à partir d’une logique de l’enclave, de l’entre-soi, de la micro-société à reconstituer pour se protéger d’une société en-nemie sur un plan moral (permissive, hédoniste, dange-

reuse etc). Il manifeste, en parallèle, une crise du lien politique. Le débat ne se dé-roule plus dans les cadres institutionnels de la société française, il se déroule dans le champ mondialisé du salafisme, avec ses innombrables courants, cheikhs, textes. Les forums virtuels ont remplacé les enceintes démocratiques. Les « salafi » - ils n’aiment

pas se dire « salafistes », car cela évoque, pour eux, un univers politique qu’ils abhor-rent, avec les communistes, gaullistes, socialistes..) – ont constitué leur propre espace de références et de débats. Le voisin non salafiste est rejeté dans l’altérité, l’indonésien

salafiste est un frère dans la foi et la discussion. ¢

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urnée d’Etude et de Réflexion Actes 5 Quelles nouvelles places pour les religions et la laïcité dans notre société ?

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Journée d’Etude et de Réflexion Actes 5 Quelles nouvelles places pour les religions et la laïcité dans notre société ?

“ Pour bien com-prendre la loi de 1905, il faut l’inscrire dans le

contexte des débats po-litiques et religieux du début du XXème siècle ”

M. Laurent TOUVET a précisé tout d’abord que son exposé était orienté vers une

approche davantage politique et juridique que sociologique de cette question de la laïcité et de la liberté religieuse en France.

A la suite du rapport Machelon, la Direction des libertés publiques et des affaires juri-diques, en particulier le Bureau central des cultes, s’est attachée à rappeler le droit relatif aux

cultes par des circulaires visant à expliquer et faire connaître les lois, les règlements, les juris-prudences en vue de leur meilleure application. Dans la lignée de ce travail, M. TOUVET a souhaité proposer quelques éclairages sur les relations de droit et de fait entre État, reli-gions et laïcité en France.

1) Un principe à valeur constitutionnelle

La première chose à souligner est que la loi de 1905 est avant tout une loi qui ga-rantit la liberté religieuse. Celle-ci trouve sa source dans le principe constitutionnel for-mulé à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».

Mais pour bien comprendre la loi de 1905, il faut l’inscrire dans le contexte des

débats politiques et religieux du début du XXème siècle. La République veut s’affranchir

des fonctions civiles exercées par l’Eglise mais s’inquiète de l’influence de celle-ci sur les consciences, d’autant que le ralliement de l’Eglise à la République est récent. Cette

volonté d’indépendance à l’égard de l’Eglise s’est ma-nifestée dans les grandes lois laïques de la fin du XIXème siècle : la loi Ferry en 1882, la loi Goblet en 1886, la loi de 1901 qui introduit un contrôle accru des congrégations, ainsi que la loi de 1904 qui permet l’expulsion des religieux enseignants. La campagne

politique qui aboutit à la victoire du « Bloc des Gauches » en 1902 est dominée par les débats autour de la séparation des Eglises et de l’Etat.

M. Laurent TOUVET Conseiller d’Etat, Directeur de la Direction des Liberté publiques et des Affaires juridiques (DLPAJ)

à Laïcité et liberté religieuse en France

6.

1. La loi de 1905

est d’abord une loi qui garantit la liberté religieuse

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Journée d’Etude et de Réflexion Actes 5 Quelles nouvelles places pour les religions et la laïcité dans notre société ?

“ Cette loi n’est pas

uniquement une loi de liberté religieuse, mais bel et bien aussi une loi de séparation ”

Dans l’élaboration du projet de séparation, si le nom d’Emile Combes a marqué

l’opinion (peut-être parce qu’il avait, dans sa jeunesse, embrassé brièvement une voca-tion sacerdotale), il faut surtout retenir celui d’Aristide Briand, qui fut rapporteur de la

commission parlementaire chargée d’étudier la question, puis rédacteur d’un avant -projet en 1903. Son goût de la conciliation se manifestait déjà, en faisant travailler ensemble les concordataires et les séparatistes, pour établir un projet fondé sur deux principes : d’une part, la séparation pure et simple des Eglises et de l’Etat, c’est -à-dire la dénonciation du concordat et la suppression du budget des cultes ; et d’autre part la garantie du libre exercice des cultes.

L’année qui conduit au vote de la loi est chaotique, marquée par la rupture des

relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège, mais contre vents et marées, Briand parvient à maintenir le texte de sa commission. Le texte est examiné par l’Assemblée nationale pendant trois mois et demi avec de nombreux débats, puis adop-té par le Sénat, qui n’en change pas une virgule. La loi qui en résulte est conforme à

l’esprit de l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, l’article

1er de la loi disposant : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes ». On retiendra, à ce propos, la précision d’Aristide

Briand : « toutes les fois que l’intérêt de l’ordre public ne pourra être légitimement

invoqué, dans le silence des textes ou dans le doute de leur exacte interprétation,

c’est la solution la plus libérale qui sera la plus conforme à la volonté du législ a-

teur. »

2) « La République ne reconnaît aucun culte » : pluralisme et neutralité

Pour M. TOUVET, cependant, cette loi n’est pas uniquement une loi de liberté

religieuse, mais bel et bien aussi une loi de séparation. Cette séparation, formulée à l’article 2 de la loi (« La République ne reconnaît […] aucun culte »), permet à la fois de garantir le plura-lisme et la neutralité. Elle garantit le pluralisme, tout d’abord, dans la mesure où l’on se situe à l’opposé de la

religion d’Etat : l’acceptation du pluralisme conduit à ne privilégier aucune religion ; aucune religion n’étant

reconnue, les religions n’ont pas de statut dans l’Etat.

Ainsi, les ministres du culte ne sont pas nommés par l’Etat, exception faite du modus vivendi qui permet à

l’Etat de donner son avis pour la nomination des évêques. Ceci ne signifie pas que les re-ligions soient confinées dans la sphère privée : les auteurs de la loi de 1905 ne voulaient pas l’ignorance !

Du côté de la neutralité, la loi de 1905 fonde le principe de neutralité de l’Etat

et des agents publics. Ce principe, corollaire des principes de laïcité et d’égalité, est un

principe fondamental du service public, comme l’a reconnu à plusieurs reprises le Conseil

constitutionnel (en 1986 et 1996). Cette neutralité comporte notamment deux volets. D’une part, l’accès au service public ne peut pas être refusé pour des raisons religieuses.

M. TOUVET rappelle que la loi Goblet (1886) avait interdit l’accès de l’enseignement

primaire aux membres du clergé ; le Conseil d’Etat, dans son arrêt Abbé Bouteyre de 1912, avait étendu l’interdiction à l’enseignement secondaire, mais la jurisprudence a en-suite fait prévaloir la neutralité, notamment par l’arrêt Demoiselle Jamet de 1950. D’autre

part, les agents publics ne doivent pas manifester leurs croyances religieuses dans le ser-vice, comme l’a rappelé le Conseil d’Etat dans son arrêt Demoiselle Marteaux du 3 mai

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Journée d’Etude et de Réflexion Actes 5 Quelles nouvelles places pour les religions et la laïcité dans notre société ?

2000. Enfin, l’article 4 de la loi de 1905 prévoit le respect par l’Etat de l’organisation in-terne de chaque culte.

3) Interdiction d’accorder des subventions

Une des marques les plus claires de la séparation introduite par la loi de 1905 est l’interdiction d’accorder des subventions. Cette interdiction est absolue en ce qui concerne

les ministres du culte, qui ne peuvent pas être rémunérés par des personnes publiques. Pour les bâtiments et édifices du culte, la situation est plus nuancée, et dépend du propriétaire des édifices concernés, qui peut être soit une personne publique, soit une association. Si l’édifice appartient à une personne publique, qu’il s’agisse des édifices

constitués « biens de la nation » en 1789, ou des églises et cathédrales construites avant 1905, la personne publique qui en a la propriété, l’Etat, un département ou une commune,

peut y effectuer les travaux d’entretien et de conservation nécessaires. Ces dépenses ne sont pas obligatoires, mais elles peuvent être nécessaires pour éviter d’engager la respon-sabilité de la collectivité. En revanche, si les édifices sont propriété de personnes privées, et principalement d’associations cultuelles, ce sont elles qui ont la charge des réparations et charges de toute nature ; les collectivités publiques peuvent participer aux frais de répa-ration des édifices, à condition que ceux-ci appartiennent aux associations cultuelles rele-vant du régime de la loi de 1905, et non aux associations loi de 1901.

4) Le soutien public à certaines activités cultuelles

Mais cette interdiction de subventionner l’exercice du culte pose la question du soutien

public à certaines activités cultuelles. La loi de 1905 prévoit un soutien direct, celui qui vise à assurer la liberté religieuse par ses services d’aumônerie dans les lieux clos, c’est-à-dire dans les établissements d’enseignement secondaire, si les parents en font la de-mande, dans les hôpitaux à la demande des patients, dans les prisons et dans les ca-sernes. On compte ainsi un millier d’aumôniers en prison et environ 400 aumôniers militaires.

Au-delà de ce soutien direct, diverses mesures fiscales peuvent constituer une forme de sou-tien indirect, ainsi les exonérations d’impôts fonciers pour les lieux affectés à l’édifice du

culte, c’est-à-dire les églises, temples, mosquées et synagogues, mais non les salles de réunion ou les séminaires. Cette exonération porte sur la taxe sur le foncier bâti, pour les lieux de culte appartenant à des collectivités publiques ou à des associations cultuelles, ainsi que sur la taxe d’habitation, car les locaux affectés à l’exercice du culte ne sont pas « privatifs ». Il existe aussi des avantages fiscaux pour ceux qui accordent des dons à des associations cultuelles : pour l’impôt sur le revenu et sur les sociétés, ce régime est le même que pour les associations

de bienfaisance ; les donateurs sont aussi exonérés de l’impôt sur les successions.

Pour M. TOUVET, il est essentiel de mentionner le nouveau rôle dévolu aux pré-fets dans ce cadre, puisqu’ils sont dorénavant, depuis la loi du 12 mars 2009 et le décret

du 20 avril 2010, chargés d’apprécier la capacité juridique de l’association à recevoir des dons qui peuvent être exonérés pour les donateurs dans les conditions qui ont été évoquées. Une procédure de « rescrit administratif » a donc été créée, pour permettre à une association de demander le type de qualification qu’elle peut recevoir. M. TOUVET se permet

d’appeler l’attention des préfets pour s’assurer que ces dossiers sont suivis avec attention par

les directeurs en charge de la cohésion sociale.

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“ Cette liberté doit être conciliée avec d’autres principes cons-titutionnels, et en parti-culier celui du respect de l’ordre public ”

Ainsi, grâce aux dispositions constitutionnelles et à la loi de 1905, la liberté religieuse

et de conscience apparaît comme protégée et garantie en France. Cependant, cette liberté doit être conciliée avec d’autres principes constitutionnels, et en particulier celui du respect

de l’ordre public.

1) Laïcité, liberté religieuse et école publique

Les principaux lieux où cette conciliation doit se faire sont les écoles publiques. Les tribunaux comme le législateur ont ainsi précisé les modalités de conciliation de la liberté

religieuse et de la laïcité sur plusieurs sujets, à com-mencer par celui des dates d’examen. Shabbat étant le samedi, plusieurs élèves juifs ont demandé à bénéficier de dérogations pour les examens le samedi. Dans deux décisions du 14 avril 1995, le Conseil d’Etat a tranché : d’une part, les contraintes du temps scolaire en classe

préparatoire interdisent les dérogations systématiques (arrêt Koen) ; et il est possible de bénéficier d’autorisations d’absences pour exercer un culte ou

célébrer une fête religieuse, si ces absences sont com-patibles avec les études et avec l’ordre public (arrêt Consistoire central des israélites de France). Ainsi, chaque situation doit être traitée au cas par cas.

Sur le sujet des crucifix dans les salles de classe des établissements publics, c’est la

Cour européenne des droits de l’homme qui a tranché, dans sa décision Lautsi du 3 novembre 2009 : la présence d’un crucifix dans une classe est contraire à l’article 9 de la Convention

européenne des droits de l’homme, car la liberté de ne pas croire implique aussi la liberté de

ne pas voir un symbole religieux. Cette jurisprudence a fait l’objet, à l’échelle locale,

d’applications diverses : la Cour administrative d’appel de Nantes a ainsi estimé, en 1999, que

la présence d’un drapeau vendéen, avec un cœur surmonté d’une croix, sur une école, n’était

pas un signe religieux puisque ce drapeau se rattache à la culture locale…

Quant au sujet du voile, M. TOUVET rappelle simplement que l’avis du Conseil

d’Etat en 1989 prévoyait une interdiction des signes religieux ostentatoires. La loi du 15 mars

2004 a codifié cette interdiction des signes ou tenues « par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ».

2) La question des dérives sectaires Au-delà des sujets scolaires, la conciliation de la liberté religieuse avec d’autres consi-dérations amène inévitablement à la question des dérives sectaires. S’il y a liberté religieuse,

et si la République ne reconnaît aucun culte, il est impossible d’interdire une religion. La

question se pose alors : qu’est-ce qu’une religion ? Juridiquement, seul peut-être défini le culte, et qualifiées les associations cultuelles. Dans son arrêt Association locale pour le culte des Témoins de Jéhovah de Riom de 1998, le Conseil d’Etat a posé trois critères pour la

2.

Concilier la liberté religieuse avec d’autres principes constitutionnels

religieuse

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“ La notion de secte n’existe pas, seuls peu-vent être sanctionnés les comportements, donc les dérives sectaires ”

“ L’Etat et les cultes travaillent de concert pour garantir la liberté religieuse, la laïcité et le respect de l’ordre

public ”

reconnaissance comme association cultuelle : l’exercice

d’un culte ; le caractère exclusif de l’objet cultuel (sauf

activités en relation avec lui et strictement accessoires) ; et enfin le respect de l’ordre public. La notion de secte n’existe donc pas, et seuls peuvent être sanctionnés les

comportements, donc les dérives sectaires. Ceci a été pré-cisé dans des circulaires du 27 mai 2005 et du 25 février 2008, visant à rechercher et identifier toute activité sus-ceptible de placer les personnes en état de sujétion, d’emprise ou de dépendance, ainsi qu’à

prévenir tout agissement répréhensible, tels que l’abus d’état de faiblesse, l’abus de confiance

ou encore l’escroquerie.

3) Le maintien des traditions religieuses Enfin, dernier sujet quant à la conciliation de la liberté religieuse avec d’autres impéra-tifs : le maintien des traditions religieuses. Le principe est que les manifestations reli-gieuses sont acceptées, pourvu qu’elles ne troublent pas l’ordre public, mais des com-promis sont parfois nécessaires comme, par exemple, les photos d’identité pour les docu-ments officiels qui requièrent que l’on pose la tête nue, ce qui peut être contraire à certaines

traditions, sikhe et musulmane en particulier. M. TOUVET cite quatre exemples :

· En 2006, le Conseil d’Etat juge que l’obligation de poser tête nue ne constitue pas une

atteinte à la liberté religieuse, car elle n’oblige un sikh qu’à enlever momentanément son turban. · Un autre sujet de tension fut celui des processions, et ce tout au long du XXème siècle.

La jurisprudence administrative a été plutôt tolérante sur ce sujet, estimant que les cérémonies traditionnelles ne peuvent être interdites qu’en cas de menace sérieuse pour l’ordre public.

Pour les processions non traditionnelles, la jurisprudence sur les manifestations s’applique ; elle prévoit qu’une interdiction n’est légale que si elle est nécessaire.

· Les cimetières ont aussi fait l’objet de débats, notamment quant à la pratique des

carrés confessionnels. La loi du 14 novembre 1881 a posé le principe de la non discrimination dans les cimetières : ceux-ci sont des lieux publics où toute marque de reconnaissance des différentes confessions est prohibée dans les parties communes. Ces marques peuvent en re-vanche apparaître sur les tombes. Dans le respect de cette neutralité des cimetières, l’Etat en-courage cependant les regroupements confessionnels de sépulture, qui relèvent des pouvoirs du maire (cf. circulaire du 19 février 2008 de la DLPAJ).

· Un dernier exemple des adaptations nécessaires au

maintien des traditions religieuses est celui de l’abattage

rituel. L’enjeu des normes relatives à l’abattage rituel est

de concilier liberté religieuse et règles de sécurité sani-taire, et le sujet est d’autant plus sensible que ces règles

sont largement déterminées au niveau européen. Le ré-gime actuel prévoit que le principe est celui de l’étourdissement avant abattage, mais qu’une dérogation

est possible pour les méthodes particulières requises par certains rites. De la même façon, les bêtes doivent être abattues dans les abattoirs, mais des dérogations sont possibles pour des rites temporaires, comme la fête de l’Aïd.

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Ces exemples montrent que l’Etat et les cultes sont loin de s’ignorer, mais travail-lent de concert pour garantir la liberté religieuse, la laïcité et le respect de l’ordre public.

M. TOUVET a souhaité encore évoquer les pratiques et défis de la laïcité à la française. Selon lui, il faut bien garder en mémoire que, même si elles s’inscrivent dans un temps long, les

religions sont des activités enracinées dans l’humain, et donc vivantes ou déclinantes, suivant les cas. Il a mentionné trois enjeux : la construction de nouveaux lieux de culte ; le dialogue entre l’Etat et les religions ; et la question des statuts dérogatoires à la laïcité.

1) Les nouveaux lieux de culte Un des problèmes que cela suscite est celui des lieux de culte. Les religions chré-tiennes et israélites disposent de lieux de culte souvent grands et pas tous très fréquentés. A l’inverse, l’islam, présent en France depuis moins d’un siècle, ne dispose que de locaux rus-tiques et parfois trop petits. L’urbanisation crée des besoins nouveaux, pour toutes les re-ligions, à la périphérie des grandes villes. Or la loi de 1905 interdit aux personnes publiques de financer la construction de lieux de culte. Dans ces circonstances, comment aider les reli-gions à construire ? M. TOUVET précise que plusieurs dispositions, par « ordre croissant d’interventionnisme », offrent des ouvertures pour permettre la construction de nou-veaux lieux de cultes.

· En premier lieu, il est possible pour une commune de mettre des locaux à disposition pour les associations qui le demandent, y compris pour des manifestations religieuses, à condition que le prix de cette mise à disposition ne puisse être considéré comme une subvention déguisée.

· Il est également possible de participer à des travaux. · Dans les agglomérations en voie de développement, la commune peut garantir

l’emprunt d’une association cultuelle pour la construction d’édifices « répondant à des be-soins collectifs de caractère religieux ».

· Autre possibilité, très utilisée aujourd’hui pour les constructions de mosquées, celle

de recourir à un bail emphytéotique, celui-ci étant expressément permis, depuis 2006, pour « l’affectation à une association cultuelle d’un édifice du culte ouvert au public ».

· Enfin, il est possible de financer directement des activités non cultuelles rattachées à une structure cultuelle, comme cela se fait parfois dans les constructions de centres cultuels et culturels musulmans aujourd’hui.

2) L’organisation du dialogue de l’Etat avec les religions

En ce qui concerne le dialogue entre l’Etat et les religions, la disposition de la loi

de 1905 selon laquelle « La République ne reconnaît aucun culte » signifie qu’elle n’en

3.

Pratiques et défis de la laïcité à la française avec d’autres principes constitutionnels

religieuse

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Journée d’Etude et de Réflexion Actes 5 Quelles nouvelles places pour les religions et la laïcité dans notre société ?

“ Un dialogue existe donc entre l’Etat et les

religions, qui a connu des formes variables ”

préfère aucun, mais n’en ignore aucun. Un dialogue existe donc, qui a connu des formes variables – comme le Concordat napoléonien. Même après 1905, le dialogue n’a jamais été

interrompu, y compris avec l’Eglise catholique, long-temps représentée informellement par l’archevêque de

Paris. Plus récemment, en 2002, une structure de travail mixte a été créée entre l’Etat et l’Eglise catholique, qui y

est représentée par le nonce apostolique à Paris et le bu-reau de la Conférence des évêques de France. Cette ins-tance de dialogue est l’occasion de rencontres en prin-cipe annuelles qui permettent de faire avancer les dos-siers les plus lourds et délicats tels que, ces dernières années, l’octroi de visas et titres de

séjours pour les religieux étrangers venant en France, la reconnaissance des diplômes, ou encore de la réparation des églises rurales. Avec l’islam, le besoin d’un dialogue rapproché s’est fait ressentir à partir des

années 1990, du fait de la place croissante des musulmans dans la société française et des défis que cela impliquait sur des sujets comme les mosquées, l’abattage rituel, ou l’organisation du pèlerinage à la Mecque. Le manque d’interlocuteurs dans une religion

où le clergé n’est pas hiérarchisé a rendu la création de l’actuel Conseil français du culte

musulman (CFCM) lente et chaotique, lenteurs aggravées par la division de ses membres selon leurs origines nationales. Cependant, les organes dirigeants du CFCM s’affirment

progressivement, et celui-ci est aujourd’hui un interlocuteur utile, notamment dans les mo-ments de tensions. M. TOUVET ajoute que des contacts existent également avec les représentants des autres religions qui comptent un nombre significatif de fidèles ou qui ont une place privilégiée sur la scène internationale, notamment par le travail du Ministère de l’Intérieur.

3) La question des statuts dérogatoires Enfin, dernier défi de la laïcité à la française, et plus juridique celui-là, la question des statuts dérogatoires, c’est-à-dire des territoires où la loi de 1905 ne s’applique pas,

comme dans le Concordat d’Alsace-Moselle. Il existe également 5 régimes en outre-mer, dont certains sont très anciens – le régime guyanais remonte à 1828. Ces statuts déroga-toires concernent 5,5 millions de personnes, et pourraient être menacés dans le cadre de l’innovation que représente la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Pour bien évaluer la menace juridique que fait peser sur eux la QPC, M. TOUVET renvoie aux références constitutionnelles de ces statuts d’outre-mer. On pense bien sûr en premier lieu à la laïcité, mais l’interdiction de subventionner un culte n’a pas valeur

constitutionnelle, comme l’a rappelé le Conseil d’Etat en 2005 en autorisant une sub-vention pour reconstruire un presbytère détruit par un cyclone. Le principe d’égalité

semble plus problématique : les différences d’un territoire à un autre sont acceptées, mais que faire, dans un même territoire, de régimes de faveur accordés à certains cultes, comme au culte catholique, seul reconnu en Guyane ? En conséquence, le principe des statuts particuliers ne semble pas en cause, mais l’Etat pourrait être saisi, par exemple en Alsace-Moselle, de demandes d’autres cultes que

les quatre cultes reconnus pour bénéficier du statut avantageux de la reconnaissance…

Ces demandes seraient donc à examiner à la lumière de la contribution de chaque culte à

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Journée d’Etude et de Réflexion Actes 5 Quelles nouvelles places pour les religions et la laïcité dans notre société ?

“ La DLPAJ et le bu-reau central des cultes doivent être le point de contact des autorités religieuses avec l’Etat ”

la cohésion sociale et de considérations d’ordre public, et pourraient amener les autorités à

imaginer des statuts particuliers nouveaux, adaptés aux questions qui surgissent sur la ré-munération des ministres du culte, l’immobilier, l’enseignement religieux ou encore le statut des organes cultuels. Cependant, si une question prioritaire de constitutionnalité existe, certaines dispositions seront sans doute menacées, à l’instar de la rémunération

publique des seuls prêtres catholiques en Guyane. La DLPAJ essaye d’anticiper, tout en

évitant soigneusement de provoquer des mouvements avec effet domino.

M. TOUVET rappelle que la DLPAJ et le bureau central des cultes doivent être le

point de contact des autorités religieuses avec l’Etat, à gérer, décrire et appliquer les légi-slations applicables aux cultes, à sensibiliser les autres administrations de l’Etat aux ques-tions cultuelles, ainsi qu’à diffuser l’information aux préfectures.

Mais le rôle des préfets n’est pas moins im-portant. Outre les contacts et relations entretenus à l’échelon local, M. TOUVET rappelle que les préfets

doivent veiller à la bonne application des lois notam-ment quand il s’agit de qualifier une association cul-tuelle, ainsi que faire remonter l’information à Pa-ris, par le biais de la synthèse hebdomadaire, ou dès

qu’ils remarquent un événement qui mérite l’attention de

la DLPAJ et qui pourrait être un précurseur d’un mouvement plus large, tel de potentiels

référendums communaux sur le devenir de l’église du village trop coûteuse à réparer…

Car c’est parfois d’un événement anodin ou d’un jugement apparemment ordinaire que

germent les grandes idées ou les mouvements profonds. ¢

M. Henri-Michel COMET a rappelé que la place et le rôle de la reli-

gion au sein de la société constituent en France un enjeu de la plus haute importance, au cœur

du pacte républicain. Le religieux est redevenu en 2010 une question de politique publique pour les Etats (école et autres domaines par exemple).

M. Henri-Michel COMET Secrétaire général du Ministère de l’Intérieur,

de l’Outre-mer et des Collectivités territoriales à Les préfets, garants de la laïcité et de la liberté religieuse

7.

4.

Conclusion

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“ La loi de 1905 est, avant tout, une loi de li-berté. En effet, si elle est naturellement une loi de séparation des Eglises et de l’Etat, elle est aussi la

loi qui permet d’assurer le libre exercice des cultes ”

Cette laïcité est articulée autour de trois principes qui demeurent imbriquées par des

liens indissolubles : · la liberté de conscience, · la liberté de pratiquer le culte de son choix dans le respect de l’ordre public, · et enfin, l’égalité en droit de tous les citoyens.

Pour l’Etat et le corps préfectoral, la laïcité n’est pas le reniement ou le cantonnement

des religions. Elle n’est pas une option spirituelle particulière mais la condition de l’existence

même de toutes les options. La laïcité est la condition du respect des choix personnels les plus pro-fonds dans une société ouverte où histoire et patrimoine ont pu être, en partie, forgés par les grandes traditions spirituelles ou religieuses.

Pour les préfets de la République, dialoguer

avec les religions est donc essentiel car, pour reprendre les mots du Président de la République, Monsieur Nico-las SARKOZY, dans son allocution prononcée lors de la visite en France du Pape Benoît XVI, le vendredi 12 septembre 2008, les religions sont « des patrimoines vivants de réflexion et de pensée, pas seulement sur Dieu, mais aussi sur l’homme, sur la société. »

C’est le sens de la pratique de la laïcité que les

pouvoirs publics en France appellent de leurs vœux. La

loi de 1905 est, avant tout, une loi de liberté. En effet, si elle est naturellement une loi de sépara-tion des Eglises et de l’Etat, elle est aussi la loi qui permet d’assurer le libre exercice des cultes.

Notre République reconnaît la pluralité religieuse et assure le respect, sous réserve de

troubles éventuels à l’ordre public, de la constitution et de l’organisation propre des religions.

Le respect du droit interne de chaque culte, les multiples possibilités offertes pour gérer le culte en France – à travers les associations cultuelles prévues par la loi de 1905 mais aussi toutes les autres formes d’association – sont des signes tangibles du respect par les autorités publiques de la liberté d’exercice du culte.

Dès sa publication, établissant la synthèse et l’équilibre entre la liberté de conscience,

le libre exercice des cultes et la séparation des Eglises et de l’Etat, la loi de 1905 a autori-sé le financement de services d’aumôneries permettant l’exercice de la liberté religieuse

pour les personnes qui peuvent être empêchées du fait de la maladie, de contraintes scolaires ou universitaires, de leur engagement sous les drapeaux ou lorsqu’elles sont privées temporai-rement de liberté. Ce symbole-là renvoie directement aux textes fondateurs de notre Répu-blique tels que la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 dont l’article 10 établissait le principe de la liberté individuelle de conscience et de religion.

M. COMET s’est dit heureux que par le CHEMI, la dimension européenne de cette li-

berté ait pu faire l’objet d’une analyse. Le traité de Lisbonne intègre une déclaration des droits qui sera de plus en plus une référence juridique à laquelle les religions et mouvements religieux vont se reporter. Apprendre à utiliser le Traité de Lisbonne est nécessaire puisqu’il

est devenu un texte européen permanent de notre corpus juridique.

1. La laïcité est et demeure une valeur cardinale de notre Etat

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“ Le dialogue religieux peut être une source d’informations non né-gligeable. Les préfets ont à détecter et faire face à l’extrémisme religieux,

allant des dérives sec-taires à des expressions radicales ”

“ Par un dialogue ré-gulier, les préfets seront non seulement en me-sure de désamorcer cer-tains conflits, mais aussi pourront informer les autorités centrales ”

M. COMET a rappelé la forte volonté du ministère de l’Intérieur de doter la

France de mécanismes de discussion et de représen-tation des cultes dans le respect de leurs organisations respectives. C’est un travail d’ingénierie et

d’organisation du ministère de l’intérieur essentiel à

l’exercice des libertés dans notre pays avec un chantier

qui dure plusieurs décennies…

Parce que nous savons tous « qu’un pays bien

administré est un pays sûr », la « matière » religieuse est concernée, ce qui justifie que les préfets se mobilisent à cet égard.

La création et la pérennisation de l’instance de

dialogue avec l’Eglise catholique en 2002, comme

celle du conseil français du culte musulman en 2003, les rencontres avec la Fédération Protes-tante de France, l'Assemblée des Evêques Orthodoxes de France et le Consistoire central Israélite ou encore l’organisation de groupes de travail permettant d’explorer les voies et les

moyens de la mise en œuvre du rapport du Professeur MACHELON relatif aux relations des cultes avec les pouvoirs publics, sont autant de signes d’une volonté « d’une laïcité qui res-pecte, d’une laïcité qui rassemble, d’une laïcité qui dialogue », pour reprendre les termes du Président de la République.

Comment, concrètement, dans la pratique quotidienne de la mission préfectorale,

cette volonté de l’Etat d’aller de l’avant, à la rencontre de la réalité cultuelle foisonnante de la

France d’aujourd’hui, peut-elle se traduire ?

D’abord, en rappelant en toute occasion la stabilité, l’équilibre et la tranquillité profonde de la pratique religieuse que la loi de 1905 apporte, loi parfois battue en brèche par ceux, justement, qui la connaissent mal. Ensuite, en n’hésitant pas à ce que les préfets se forment pour entrer de plain-pied dans le monde religieux qui, loin des quatre cultes reconnus du Concordat, offre désormais en France une variété nouvelle.

Cela peut vouloir dire par exemple, au niveau régional et départemental, provoquer

dans le respect des règles de neutralité et d’égalité de traitement bien sûr, des rencontres avec les responsables cultuels, dont certains demeurent trop discrets, parfois, par crainte de l’Etat.

Le dialogue religieux peut être une source

d’informations non négligeable. Les préfets ont à détec-ter et faire face à l’extrémisme religieux, allant des dérives sectaires à des expressions radicales.

Le dialogue avec les autorités religieuses territo-

riales permettra de faire remonter auprès de l’administration centrale et aux ministres concernés les

2.

Notre action pour organiser les cultes en France, car « un pays bien administré est un pays sûr »

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difficultés dues à des positions extrémistes religieuses qui nieraient, selon la conception que nous avons en France :

· la dignité de l’être humain, · la neutralité de certains symboles (la burqa et les prescriptions vestimentaires, pou-

vant ensuite aller jusqu’au refus de femmes musulmanes de se faire soigner par des hommes dans des hôpitaux, refus de prises de sang, dérives sectaires, etc.).

Par un dialogue régulier, les préfets seront non seulement en mesure de désamorcer

certains conflits, mais aussi pourront informer les autorités centrales. En cas d’affaire mé-diatisée, ils doivent informer avec justesse et précision le ministre de l’Intérieur et le Gouvernement, par une appréciation qui doit être préparée avec technicité et dans la con-naissance des affaires religieuses et le jeu des acteurs locaux. M.COMET a insisté sur un tra-vail adapté au rythme des organes de presse et sur l’idée de tenir compte de plus en plus d’un

droit qui valorise la liberté religieuse.

Les préfets doivent pouvoir s’appuyer sur les services de l’administration centrale, et

en particulier le bureau central des cultes.

Le guide que la DLPAJ et le CHEMI ont élaboré à l’attention des préfets sera mis en ligne sur le site de la DLPAJ27 et adressé à l’ensemble des préfets.

Pour M. COMET, les préfets, comme les magistrats, contribuent à l’exercice effectif

des libertés publiques. Les préfets se doivent d’affirmer leur rôle de garants des libertés au sein de la République par la communication externe et « les contacts de terrain ». ¢

27 Au moment de la publication des Actes de cette 5e JER, le guide est en ligne sur le site de la DLPAJ : http://dlpaj.mi/images/stories/base_doc/cultes/recueil/2010-06-23_recueilchemi.pdf

Pour les préfets

Christiane BARRET Préfète des Deux-Sèvres,

préfète référente

4. Conclusion

3.

Le guide juridique des préfets élaboré par la DLPAJ et le CHEMI

s

Pour le CHEMI

Jean-Martin JASPERS Directeur

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Le SCRABBLE préfectoral de la laïcité et des religions

La complexité du paysage religieux s’accroît avec la mondialisation et les flux migratoires. Ce

« SCRABBLE préfectoral » retient 14 mots-clés qui ont marqué les échanges. Les préfets ont un rôle majeur dans la défense de la laïcité républicaine et de la liberté religieuse des citoyens. En 2010, la connaissance d’un « savoir religieux » plus étendu devient nécessaire pour exercer des fonctions préfectorales face à des croyances de plus en plus éclatées. Du salafisme aux sectes autorisées ou interdites, sans oublier l’émergence de nouvelles formes de

protestantisme et du besoin de parfaitement connaître l’Islam, qui est désormais la seconde religion en France après

le catholicisme, le préfet est confronté à des citoyens très divers dans leurs aspirations religieuses. La laïcité est plus que jamais la réponse de notre République, même si, en Europe, ce concept est très peu partagé, difficilement tra-duisible dans les langues majeures et va exiger un effort de défense et de propagation de la part du CHEMI.

CHEMI Création (Anne-Sophie BON, Sciences Po Paris) / Octobre 2010

Une illustration des débats de la journée

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L’approche historique du directeur du Monde des Religions,

M. Frédéric LENOIR

Mme Joëlle LE MOUËL (P. 39) et M. le préfet de région Jean-Marc REBIERE, Président du CSATE, attentifs aux exposés

Intervention pertinente du préfet Jacques MILLION (P. 16)

M. le conseiller d’Etat Laurent TOUVET, exposant le cadre juridique rénové de la laïcité et des libertés religieuses

La conviction de l’élu de terrain d’Eric RAOULT, député de Seine-Saint-

Denis, confronté aux problématiques que soulèvent l’islam et les autres religions

dans son département Fraternité préfectorale entre M. Pascal LELARGE (P.89) et M. Nicolas QUILLET (P. 58) au restaurant Le Procope

La journée du CHEMI en images…

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Discussion post-conférence entre M. Frédéric LENOIR et les préfets

M. Nicolas DESFORGES (P. 60), défend sa vision stratégique…

Pr. Jean-Paul WILLAIME, convaincant sur l’impact

du traité de Lisbonne sur les relations Etats-religions

Pr. Gilles KEPEL, venu exposer les caractéristiques de l’Islam de France

Echanges chaleureux entre Mme Fabienne BUCCIO (P. 27) et M. Richard SAMUEL (P. 49), sous l’œil attentif de Voltaire

M. Henri-Michel COMET, Secrétaire général du ministère,

partageant ses convictions

M. Jean-François CECCALDI (P. 26), au déjeuner, lors de

l’intervention d’Eric RAOULT

M. Denis CONUS (P. 32), fait part de son expérience préfectorale

Présidant les débats, Mme Christiane BARRET (P. 79),

préfète référente de la journée sur les religions et la laïcité

… de même que son voisin de

table, M. le préfet de région Christian de LAVERNÉE (P. 21)

Pr. Bernard ROUGIER expliquant le salafisme en France

et dans le monde

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2.

L à Laïcité et liberté religieuse en France Laurent TOUVET, DLPAJ, 2010

Ecrit à l’occasion de la 5ème journée d’Etude et de Réflexion du CHEMI « Laïcité, liberté de culte, liberté de conscience

sont autant de notions qui rappellent des débats pas-sionnés, voire passionnels, qui ont émaillé l’histoire

de France. Pour mieux en gérer l’application, les

praticiens de l’action publique, préfets, sous-préfets, élus, directeurs de collectivités territoriales, peuvent utilement revenir aux textes. C’est le sens et

l’ambition de ce recueil de textes que de rappeler les fondements juridiques qui déterminent l’action pu-blique en cette matière, éclairés par quelques déci-sions du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat. » (Extrait de l’introduction)

à Former des imams pour la République. L’exemple

français Sous la direction d’Olivier BOBINEAU, CNRS Edi-tions, 2010

« Former des imams pour la République ou comment

enseigner des valeurs, lois et principes de la République française aux futurs cadres cultuels et culturels musul-mans. L’enjeu est de taille : offrir aux musulmans de France des acteurs, des médiateurs, capables de promou-voir et d’incarner les valeurs républicaines.

Cet ouvrage retrace la genèse, les grandes lignes d’une expérience exemplaire, fruit d’un partenariat inédit

associant l’Etat, une institution catholique universitaire et

la société civile musulmane. »

à Atlas des Religions. Croyances, pratiques et

territoires Brigitte DUMORTIER, La Vie, 2008

« Les religions sont partout, que l’on soit

croyant ou athée. Elles ont organisé et organisent les systèmes de représentation, les règles de vie et pratiques culturelles, mais aussi les territoires. C’est

cette dernière dimension qui est explorée dans l’atlas des religions, conçu et réalisé par des géo-graphes. »

Pour aller plus loin… idées bibliographiques

1.

3.

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Circulaire n° 5209/SG du 13 avril 2007 relative à la charte de laïcité dans les services publics

Paris, le 13 avril 2007

Le Premier Ministre à Mesdames et Messieurs les ministres,

Mesdames et Messieurs les ministres délégués,

Objet : Charte de la laïcité dans les services publics

La Charte de la laïcité dans les services publics, dont vous trouverez ci-joint le texte, a été rédigée à ma demande sur la base d'un texte proposé par le Haut conseil à l'intégration.

La Charte rappelle le cadre tracé par notre droit pour assurer le respect, dans les services publics, du principe républicain de laïcité. Elle expose les garanties qu'il assure et les obliga-tions qu'il implique. L'objet de la Charte est de rappeler aux agents publics comme aux usa-gers des services publics quels sont leurs droits et leurs devoirs à cet égard, pour contribuer au bon fonctionnement des services publics.

Compte tenu de l'intérêt qui s'attache à la bonne connaissance de ce cadre, je vous deman-der d'assurer une large diffusion de la Charte de la laïcité dans les services publics au sein de vos services, par tout moyen que vous jugerez approprié. Vous veillerez, en particulier, à ce que la Charte soit exposée, de manière visible et accessible, dans les lieux qui accueillent du public. En tant que de besoin, vous en assurerez une présentation auprès des organisations syndicales ainsi que des agents des différents services de votre ministère.

Des exemplaires de la Charte vous seront prochainement transmis pour faciliter cet exer-cice d'information. Une version électronique susceptible d'être reproduite vous sera adressée et sera disponible sur le site du Premier ministre.

Je vous invite à me faire connaître toute difficulté que vos services pourraient rencontrer dans l'application de la présente circulaire.

Document

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ANNEXE Charte de la laïcité dans les services publics

La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'éga-lité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle garantit des droits égaux aux hommes et aux femmes et respecte toutes les croyances.

Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, notamment religieuses, pourvu que leur mani-festation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi.

La liberté de religion ou de conviction ne peut recevoir d'autres limitations que celle qui sont nécessaires au respect du pluralisme religieux, à la protection des droits et libertés d'au-trui, aux impératifs de l'ordre public et au maintien de la paix civile.

La République assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes dans les conditions fixées par la loi du 9 décembre 1905.

Les usagers du service public Tous les usagers sont égaux devant le service public.

Les usagers des services publics ont le droit d'exprimer leurs convictions religieuses dans les limites du respect de la neutralité du service public, de son bon fonctionnement et des im-pératifs d'ordre public, de sécurité, de santé et d'hygiène.

Les usagers des services publics doivent s'abstenir de toute forme de prosélytisme.

Les usagers des services publics ne peuvent récuser un agent public ou d'autres usagers, ni exiger une adaptation du fonctionnement du service public ou d'un équipement public. Ce-pendant, le service s'efforce de prendre en considération les convictions des usagers dans le respect des règles auquel il est soumis et de son bon fonctionnement.

Lorsque la vérification de l'identité est nécessaire, les usagers doivent se conformer aux obligations qui en découlent.

Les usagers accueillis à temps complet dans un service public, notamment au sein d'éta-blissements médico-sociaux, hospitaliers ou pénitentiaires ont droit au respect de leurs croyances et peuvent participer à l'exercice de leur culte, sous réserve des contraintes décou-lant des nécessités du bon fonctionnement du service.

Les agents du service public Tout agent public a un devoir de stricte neutralité. Il doit traiter également toutes les per-

sonnes et respecter leur liberté de conscience.

Le fait pour un agent public de manifester ses convictions religieuses dans l'exercice de ses fonctions constitue un manquement à ses obligations.

Il appartient aux responsables des services publics de faire respecter l'application du prin-cipe de laïcité dans l'enceinte de ses services. La liberté de conscience est garantie aux agents publics. Ils bénéficient d'autorisations d'ab-sence pour participer à une fête religieuse dès lors qu'elles sont compatibles avec les nécessi-tés du fonctionnement normal du service. ¢