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Acteurs, scénarios et discours: la mobilisation en réseaux de la Biodiversité 1 Cat alina T oro Pérez * * Professeur de L’Université Nacional - Bo- gotá, Colombie. Membre du groupe du re- cherche: “Gestión y Políticas Públicas”. 1 Cet article de recherche correspond au su- jet du Chapitre IV, de ma première version (Janvier 2004) du Thèse de doctorat a l´Institut d´Etudes Politiques de Paris (Sciences Po) sous la direction de Pierre MULLER, intitulé: La Transformation de L´Action Publique dans la gouvernance des biens communs. Le cas de la Politique de Biodiversité en Colombie. Recibido: Dic. - 2004 Aceptado: Jun. - 2004

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Acteurs, scénarioset discours: la mobilisation

en réseaux de laBiodiversité1

Catalina Toro Pérez*

* Professeur de L’Université Nacional - Bo-gotá, Colombie. Membre du groupe du re-cherche: “Gestión y Políticas Públicas”.

1 Cet article de recherche correspond au su-jet du Chapitre IV, de ma première version(Janvier 2004) du Thèse de doctorat al´Institut d´Etudes Politiques de Paris(Sciences Po) sous la direction de PierreMULLER, intitulé: La Transformation deL´Action Publique dans la gouvernance desbiens communs. Le cas de la Politique deBiodiversité en Colombie.

Recibido: Dic. - 2004Aceptado: Jun. - 2004

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“Ce Dieu multiple lui révélaque son nom terrestre était Feu,que dans ce temple circulaire(et dans d’autres semblables)on lui avait offert des sacrifi-ces et rendu un culte et qu’ilanimerait magiquement le fan-tôme rêvé, de sorte que toutesles créatures exceptées le Feului-même et le rêveur, le pren-draient pour un homme enchair et en os. Il lui ordonnade l’envoyer, une fois instruitdans les rites, jusqu’a l’autretemple en ruine dont les pyra-mides persistent en aval, pourqu’une voix le glorifiât dans cetédifice désert. Dans le rêve del’homme qui rêvait, le rêvés’éveilla” (Borges, 1944)

Introduction. La biodiver-

sité: une mythologie progra-

mmée?

Selon Barthes, on est en présenced’un mythe quand, en substance, le dis-cours mythique est récité à travers leschoses et les événements en apparen-ce les plus banals, quand l’imaginairecollectif donne une signification spé-ciale à des phénomènes «choisis parl’histoire», quand il existe une multi-tude de signifiants possibles pour ren-dre compte d’un même signifié. La po-litique de la biodiversité est un exem-ple de ces mythes, comme le sont lanouvelle solidarité entre le Nord et leSud, les bénéfices des générations fu-tures, l’humanitarisme, les «guerres

justes» et l’illusion identitaire. Com-me le sont aussi les définitions de cer-tains moments de l’histoire comme desmoments critiques, la notion de criseet, finalement la protection de la bio-diversité comme une idée globale quis’appuie sur l’idée de la protection desressources fondamentales pour la san-té et l’alimentation de la planète(Elliot, 1995).

Quelle fonction remplissent cescroyances? Celle de susciter des acteslégitimés globalement, de construireune société hors de l’histoire et horsde l’espace, fondement d’un au-delàimmuable et parfait. La mythologieprogrammée (Perrot, 1999) exprimeun ensemble ordonné d’imagesd’action sur la base d’un système decroyances socialement construites parl’imaginaire social, d´une certain so-ciété qui cherche universaliser uneidée, à partir de son histoire, pour ren-dre acceptable des pratiques et modesd´organisation sociale, pour le reste dela planète, orientées en fonction d’unfutur présenté comme légitime et né-cessaire.

Une société mythique, plus ances-tral, émerge comme nécessaire pourassurer la continuation du mythe dualentre deux mondes imaginés: celui dela «pensée sauvage» du XIXéme siècleet celui de l´avenir a l´aube du troisiè-me millénaire. Dans le théâtre des ré-férents et des communications, entreces deux visions stéréotypés, les mé-diateurs, apparaissent en tant quetraducteurs des images et langages de«ceux qui savent pour aider ceux qui

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ne savent pas». C’est le moment ducontrôle du corps et de l’esprit desmoins purs, des moins justes et desmoins bons de la planète, de la partdes savants. La science et la techni-que constituent les forces productivesles plus importantes de la société ducontrôle.

Repérer le lieu où se construisentles référents d´une institutionnalisationglobale des formes de penser las so-ciétés dites ancestrales, permet decommencer une autoréflexion sur la re-lation entre champ cognitive et champde pouvoir. On veut, dans cet article,montrer les origines du scénario de lanouvelle utopie pour le contrôle destiers monde, dans la rencontre del’environnementalisme universel, auSommet de la Terre a Rio 92, a traversde la constitution du pacte de la Poli-tique de la Protection Globale de laBiodiversité.

Nous voulons aussi présenter, com-ment la «société en réseaux», environ-nementaliste du premier monde, estchargé de traduire et imposer le réfé-rentiel sécuritaire et identitaire de labiodiversité, dans les sociétés dites duSud. Mais, elle n´est pas nécessaire-ment une nouvelle société dehors detout souveraineté: Elle répond, au con-traire, aux intérêts économiques et po-litiques des centres des pouvoir hégé-moniques.

Sous l‘argument de l’incertitude dela science et de l’aide humanitaire né-cessaire pour le Tiers monde, l´accèsaux ressources génétiques, l´expérimen-tation génétique sur les écosystèmes et

les habitants, devrait, selon elle, amé-liorer l´alimentation et l´environnementdes pauvres. L’histoire répondra auxsceptiques mais, dans l’attente, la scien-ce doit continuer. La science et la tech-nique, le nouveau Dieu, semblent plusque jamais liées à la domination cultu-relle des «experts» où une société tech-nifiée avec une politique «scientifisée»impose et oppose la technocratie enremplacement de la démocratie (Haber-mas, 1973).

1. La mobilisation de la

société en réseaux «The

Green W eb»: médiation, tra-

duction et appropriation en-

tre formes globales émer-

gentes et formes de sociali-

sations localisées

La «biodiversité» n’exprime passeulement l’immense variété d’espèces,d’organismes ou de structures molé-culaires à différent niveau et de com-plexité différente ou bien encore, unegrande diversité de cultures, d’ethnieset de pratiques sociales «vernaculai-res».

La biodiversité est, avant tout, uneconstruction de sens qui révèle une re-présentation institutionnelle de l’idéed’une société planétaire reconstruite atravers d´une nouvelle bio histoire.C’est l’expression d’un systèmed’intervention globale, construit parles sociétés du Nord pour les sociétésdu Sud dans le contexte global de lascience, des cultures et de l’économiepolitique.

ACTEURS, SCÉNARIOSETDISCOURS: LA MOBILISATION EN RÉSEAUX DE LA BIODIVERSITÉ

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C’est aussi une nouvelle vision demonde révélée comme le nouveauContrat Sociale du monde, émergeantdu transcodage du temps et del’espace, de l’avenir de la science etdu passé de la culture planétaire dansla mise en scène de la Grande Négo-ciation de la Biodiversité á Rio. Com-me un moyen de reconnaissance aussibien des membres exclus que desmembres dominants d’une société plusglobale, la biodiversité exprime aussile moment de la lutte politique pourl’intégration ou la désintégration d’unsystème social mondial.

Elle révèle en particulier unnouveau mode d’intervention globalede la société en réseaux dans l’universde sens des politiques publiques: lagouvernance. Cette notion, traduite del’anglais, désigne un nouvel ensemblede procédures institutionnelles, de ra-pports de pouvoir et de modèles degestion publique et privée, formelsaussi bien qu’informels, qui régissentl’action publique (Hermet et Al, 1998).Dans cette perspective, las instancespolitiques reconnues comme l‘État etles organisations internationales ne res-semblent détenir plus le monopole dela conduite des affaires publiques, cardans des sociétés de plus en plus com-plexes et fragmentées sur le plan cul-turel, spatial ou sectoriel, des méca-nismes de pouvoir privés ou associa-tifs, comblent les carences d’un exer-

cice vertical de gouvernement. Avecl´émergence de la corporation moder-ne, les corporations de métiers du Mo-yen Age, sont évoquées a nouveau,pour son esprit de corps, d´une caté-gorie professionnelle, soit groupe deexpression soucieux de préserver sesintérêts particuliers.

L’expression de «gouvernance glo-bale», qui appartient au langage de lamondialisation, associe parmi ses ac-teurs politiques décisifs non seulementles gouvernements nationaux ou lesinstitutions supranationales, mais éga-lement des corporations tels que desentreprises et centres des recherches.Des nouveaux réseaux de personnes,l’association entre individus y comprisà l’échelle internationale, constitue uneexpression du pouvoir et de la redis-tribution des ressources qui l’ accom-pagne.

Ces dynamiques, symbole dunouveau jeu trinitaire entre États, fir-mes et communautés, détournent deleur mise en ordre verticale une som-me de ressources et de valeurs centra-lisées par les institutions politiques etcontribuent à la formation d’un vasteespace horizontal et informel qui tendà modeler une nouvelle entreprise pla-nétaire : une organisation où les inté-rêts de ses initiateurs sont dictés parleurs stratégies et les valeurs sont larésultante du groupe en action2.

2 COLONOMOS Ariel. «L’acteur en réseau à l’épreuve de l’international» dansSMOUTS Marie-Claude. Les Nouvelles Relations Internationales. Pratiques et théo-ries. Paris. Presses de Science Po. 1998. p 211.

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Mais la gouvernance de la biodi-versité est aussi une construction cog-nitive, résultat de la médiation entremultiples interprétations dans la luttepour l’imposition d’une vision du mon-de dans le Forum de Politiques Publi-ques. A partir de diverses lectures, lesmédiateurs, les ONG environnemen-talistes, aident à reconstruire les imagesà travers lesquelles des sociétés repré-sentent son rapport au monde cherchantgérer leur historicité. Diverses repré-sentations de la biodiversité se rencon-trent dans le Forum des communautésdes politiques publiques: (1) cellesliées au recours au local traditionneldans les discours pour la défense dupatrimoine culturel des communautésethniques et locales, dépositaires desconnaissances, des innovations et despratiques vernaculaires ; (2) cellesliées à la nécessité de la protection glo-bale du patrimoine commun del’humanité de demain pour la voie dela appropriation privée des experts et(3), celles qui ont rapport aux reven-dications actuelles quant à la souvera-ineté de l‘État sur son patrimoine na-turel et culturel.

Sous la forme d’un schéma simple,l’opposition entre le référentiel «sécu-ritaire» planétaire et le référentiel«identitaire» indigène, apparaît la vé-ritable structure fantasmatique quisoutient toute la «théorie» institution-nelle de la biodiversité. Sous l’appareilscientifique, le socle mythique affleu-re. Avec la biodiversité, une visionuniverselle de gouverner le mondes’impose sur d’autres comme un pro-cessus de transcodage de l’espace etdu temps, du futur et de la tradition,du Nord et du Sud.

Le transcodage3 du référentiel sé-curitaire en référentiel identitaire estmis en œuvre à travers du processusde médiation (politique et économi-que) qui exprime l’opposition du maî-tre (de soi et donc, des autres) et del’esclave (de sens et des maîtres), pro-che de la théorie des climats de Mon-tesquieu, qui peut bien aider á illus-trer le schéma d’argumentation:

«Les gens du Nord sont plus cal-mes, plus travailleurs, plus honnêtes,plus entreprenants, plus dignes de foi,plus désintéressés que les gens duSud»4.

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3 LASCOUMES Pierre, (1994: P 23) «Transcoder, c’est d’une part agréger des infor-mations éparses et les lire comme une totalité. C’est aussi les traduire dans un autreregistre relevant de logiques différentes, afin d’en assurer la diffusion à l’intérieurd’un champ social et à l’extérieur de celui ci ». On considèrera ici que la notion demédiation peut être associée à celle du transcodage, dans le sens de l’activité que lesacteurs (en ce cas précis, les ONG environnementalistes) élaborent et recomman-dent comme référentiel sectoriel et identitaire.

4 GOUREAU Pierre, «Le déterminisme physique dans L’esprit des lois», L’Hommeseptembre décembre 1963, p. 5–11, cité par BOURDIEU Pierre, «La rhétorique de lascientificité dans Langage et pouvoir symbolique», Paris, Editions du Seuil 2001, p. 332.

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Dans un discours de double jeu,l’opposition entre le Nord et le Sud con-tinue à fonctionner comme l’oppositionentre des «pays développés» et les«pays en voie de développement», oùl’axe Nord-Sud, transposé de l’axeNord Midi de Montesquieu, exaltetoutes les vertus des peuples du Nord:

«Plus de confiance en soi-même,c’est-à-dire plus de courage; plus deconnaissance de sa supériorité, c’est àdire moins de désir de vengeance ; plusd’opinion de sa sûreté, c’est-à-dire plusde franchise, moins de soupçons, depolitique et de ruses»5.

Dans cette figure, les dispositionsrelâchées des gens de la périphérieapparaissent comme une humanitésoumise doublement au servage, vo-uée à subir la domination faute desavoir se dominer soi-même. Le dis-cours savant en tant que vérité mythi-que de l’opposition entre «l’air froidque resserre les fibres et l’air chaud quiles relâche», se livre à la logique «durésumé»:

«Il ne faut pas être étonné que lalâcheté des peuples des climats chaudsles ait presque toujours rendus escla-ves et que le courage des peuples desclimats froids les ait maintenus li-bres».6

Sous l’apparence de la science et àtravers le transfert ou la traductiond’une science considérée comme plusprestigieuse, avec l’imitation mécani-que de la biologie dans le domaine dusocial, on construit ainsi un préjugé,une imposition symbolique. La quellesupportée par la capacité des centresde pouvoir tels que les Etats-Unis etses alliés pour combiner a la fois, sonpouvoir particulier avec une théoriegénérale de la coordination globaleexpriment la matrice de sa propre his-toire sociale (Panitch, 2004).

2. Le champ de la biodi-

versité

Le champ scientifique révèle lemonde social dans lequel se produit laconnaissance de la nature et le lieu oùse structurent les mécanismes sociauxqui orientent la pratique scientifique.Les critères dits épistémologiques sontla formalisation de «règles du jeu»sociologiques, d’interactions, d’ argu-mentation et de communication quidoivent être observées dans le champ(Bourdieu, 2000). Le champ de la bio-diversité peut être considéré donc com-me le monde social dans lequel se pro-duit la reconnaissance du lien histori-que entre la science et la société et qui

5 Voir la comparaison qui apparaît dans le Tableau des oppositions mythiques fait parBourdieu à propos de L’esprit des lois, de MONTESQUIEU, Genève, 1748; et Paris,Classiques Garnier, 2 vols., 1973. Livre XIV, chap. 2. BOURDIEU Pierre, «Larhétorique de la scientificité» dans Science de la science et réflexivité. P. 336.

6 MONTESQUIEU, L’Esprit des lois, livre XVII, chap. 2, cité dans BOURDIEUPierre, «La rhétorique de la scientificité» Op. Cit., P. 339.

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oriente des discours et une pratiquepolitique particulière des modesd’interaction.

Bien que cette vision de mondeémerge comme le transcodage entredes communautés «ancestrales» duSud et «scientifiques» du Nord dansla mise en scène du mythe de la biodi-versité, elle est, avant tout, structuréepar la position relative dans le champde la biodiversité des trois forums(constitué chacun de réseaux, de com-munautés et de regroupements d’ ac-teurs spécifiques (Foilleux, 2001) oùse constitue la reconnaissance de sonimportance: le forum scientifique éco-nomique, le forum de la rhétoriquepolitique et le forum de la communau-té de politique publique.

a) Le forum scientifique–économi-que exprime la convergence entrescience et entreprise, dans laquelle labiodiversité est une construction socia-le qui s’appuie sur des connaissanceséconomiques, scientifiques et techni-ques. Selon cette instance, la politiquedoit répondre à la technique, et les pro-blèmes de recherches industrielles etde pratiques biotechnologiques do-ivent être permis et légitimés par desconventions internationales. L’accentmis sur la rationalité des acteurs ex-plique leur choix. La communauté desexperts est le principal type d’acteur,celui qui maîtrise une connaissancescientifique et technique qui est en in-teraction avec les autres acteurs indus-triels, politiques et les groups associa-tifs. Le discours scientifique est soumisaux lois générales de la production des

discours. C’est une production orien-tée par l’anticipation des profitsproposés par un certain marché.

b) Le forum des communautés depolitiques publiques renvoie aux dé-bats et aux controverses à partir des-quelles se concrétisent les programmesd’action politique. Les acteurs (États,Corporations, Experts) qui intervien-nent dans ces forums expliquent la di-fférentiation de l’inscription dunouveau référentiel de marché selonles domaines, les secteurs et les payset selon leur position géopolitique. LesÉtats hégémoniques comme les Etats-Unis, la Grande Bretagne et la Suisseinfluent sur la construction de la vi-sion prédominante face à d’autres.Certes, cela ne signifie pas qued’autres acteurs étatiques comme laColombie, le Brésil et le Kenya neconstruisent pas leur propre représen-tation du monde de la diversité. Maisla thèse que l’on défendra repose surl’idée d’un processus de traduction deslangages et des référentiels «identitai-res» et «sécuritaires» de la biodiversi-té réalisée par la société en réseauxdans un champ des forces de pouvoirqui affectent la construction d’une vi-sion du monde du social dans ces pays.

c) Le forum de la rhétorique poli-tique, enfin, exprime une autre lecturede la construction de la réalité socialeoù se modifient les termes de la rhéto-rique politique, dans un contexte detransition économique et politiqued’émergence de nouveaux intérêts etde nouvelles revendications. Les com-munautés indigènes, les communautés

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afro-américains, les paysans et lesONG locales appartiennent au groupedes anciens exclus des ordres institu-tionnels. Dans ce contexte, la biodi-versité est construite comme une don-née immanente avec des forces mys-térieuses qui doivent être préservéescontre les menaces des fonctionnairespublics.

Les hymnes au sauvage y sontnombreux, ce que fait renaître le pa-ganisme et le naturalisme naïf7. Lesacteurs impliqués dans ces récits sontdes acteurs mystiques, «le créateur» oula «mère - nature» comme expressiond’un ordre. Les hommes les plus «na-turels», les peuples indigènes, sontconsidérés comme le prolongement dela Création première et les principauxbénéficiaires de celle-ci en sont «lesvictimes». La source des conflits rési-de dans les actions d’accaparement etde prédation des connaissances ances-trales et des ressources génétiques dela part des envahisseurs.

Le rôle des communautés ethni-ques en tant que gardiens des ces con-naissances, nécessaires, pour la surviede la biodiversité comme la base de lasécurité alimentaire et de la santé dela planète, est évoqué par plus de 150pays réunis lors du Sommet de la Te-rre de Rio en 1992. La coopérationdans un monde interdépendant entrescientifiques qui planifient l’avenir etpeuples indigènes, héritiers de la bio-

diversité, s’avère alors fondamentale.En conséquence, c’est à l’intérieur duchamp de la biodiversité et non plus àl’intérieur des frontières nationales quele jeu du pouvoir et de l’exercice degestion de la biodiversité se définit auprofit d’une «politique mondiale»

3. Les médiateurs

Selon Pierre Muller, les média-teurs sont « les agents qui réalisent laconstruction du référentiel d’une poli-tique, c’est-à-dire, la création des ima-ges cognitives déterminant la percep-tion du problème par les groupes (… ).Ils formulent le «cadre intellectuel ausein duquel se déroulent les négocia-tions, les conflits ou les alliances quiconduisent à la décision (Muller1998)».

Avec l’émergence des ONG, unnouveau dispositif de médiation estmis en marche dans la négociation glo-bale entre firmes et nouvelles commu-nautés locales. Une nouvelle intermé-diation entre la société civile et le mar-ché s’avère nécessaire dans la cons-truction d’une gouvernance plus pro-che de celle exprimée dans le consen-sus de Washington. Le besoin de cons-truire des options nouvelles d’actionpolitique dans des «pays en voie dedéveloppement» ou des «États en cri-se» répond aux orientations des ban-ques de l’aide au développement. Il

7 LASCOUMES (1994: 69), « Le transcodage naturaliste-anecdotique une source delégitimité conservationiste » dans L’éco-pouvoir, environnement et politiques. Edi-tions la découverte. Textes à l’appui. Paris.

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faut diminuer la taille des États pourpouvoir approcher des groupesd’intérêt vers des marchés internatio-naux.

On a recours à de nouvelles repré-sentations des formes capitalistes deglobalisation, ou la gouvernance desbiens communs tels que la biodiversi-té devient le champ privilégié de con-frontation avec des représentations dessociétés globalisées et de mouvementsémergents localisées. La marge de jeudes politiques publiques se situe exac-tement à l’intersection entre l’état desrapports sociaux et les représentatio-ns que s’en font les acteurs de sa pla-ce dans la société globale.

Les nouveaux modes de médiationet de négociation révèlent un nouveaumode de construction des cadresd’interprétation du monde et del’action publique. Un certain nombrede questions apparaissent. Commentles acteurs concernés réalisent-ils laconstruction de la politique de la bio-diversité à partir de l’image cognitivequi leur est imposée dans le champgéopolitique des forces ? Si la percep-tion du problème de la biodiversité estdéfinie dans les divers forums ets’exprime par les référents «identitai-re» et «sécuritaire », comment les mé-diateurs et les acteurs convergent-ilsdans le processus de construction dela politique de la biodiversité lors dela «Grande négociation»? Va-t-on vers

la fin des relations internationales, auprofit d’une politique mondiale danslaquelle la distinction entre États etacteurs non étatiques n’est plus perti-nente8?

On cherchera à savoir comment leprocessus de médiation gère la cons-truction du monde de la biodiversitédepuis certains pays du Nord (Etats-Unis) vers certains pays du Sud com-me la Colombie.

L’approche cognitive des politi-ques publiques et des outils del’économie politique permet de recon-naître des cadres de pensée des acteursqui construisent des stratégies et mo-bilisent des ressources dans unnouveau cadre de domination globa-le. Dans le cas de la biodiversité, quisont ces acteurs? Comment construi-sent-ils le sens de la politique publi-que de la biodiversité en Colombie?

4. Le Forum scientifique–

économique: le rôle des

médiateurs dans le proces-

sus de traduction du réfé-

rentiel «sécuritaire» vers le

référentiel «identitaire»

La place et le rôle de l’expertisedans l’élaboration des politiques pu-bliques a été un sujet dominant dansl’étude de Policy making européen.Dans cette étude, la transformation del’expertise comme une ressource cen-

8 Cette question est posée dans les mêmes termes dans l‘Introduction de l’ouvrage deMarie-Claude SMOUTS, Les nouvelles relations internationales, Pratiques et théo-ries. Paris, Presses de Science Po, 1998.

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trale dans la recherche d’une nouvellegouvernance technocratique devient laprincipale caractéristique au détrimentdu suffrage universel. La gouvernan-ce globale de la biodiversité présentedes éléments qui permettent d’élaborerdes cadres d’analyse similaires. Dansce contexte, la production et l’ utili-sation de l’expertise sont présentéescomme des réponses rationnelles à desproblèmes apparemment précis.

Mais, même si l’expertise peut êtreconsidérée comme une réponse auxbesoins des pouvoirs publics en quêted’informations et d’arguments, on estgénéralement d’accord pour considé-rer que cela occulte une seconde di-mension, celle de son utilisation à desfins de contrôle du pouvoir. En priverdes acteurs qui participent à la négo-ciation globale de la biodiversité peutleur quitter la capacité de défendre leu-rs intérêts.

C’est dans ce sens que le rôle del’expertise est central dans la représen-tation du référentiel sécuritaire. En ter-mes de Saurugger, on peut parler d’une«représentation de l’expertise» qui estjoué par les ONG internationales, appu-yées par des centres de recherches, dansla construction et la traduction de lapolitique globale (Saurugger, 2002).

Les experts techniques partagent deplus en plus le pouvoir avec les autori-tés publiques et les élites économiquesdes sociétés, de sorte que les partis etles représentants politiques ont cédé laplace aux groups d’experts en biodiver-sité. Ce sont des biologistes, des ingé-nieurs spécialistes des molécules, des

ingénieurs de l’ informatique que seréintègrent à l’activité politique qui sontà la base de la formation des ONG en-vironnementalistes internationales te-lles que l‘UICN (l‘Union internationa-le pour la conservation de la Nature) etle W W F (World Wild Fund).

Dans le cadre de la gouvernanceglobale, ce ne sont pas toujours euxqui prennent les décisions politiques,mais ils servent de plus en plusd’intermédiaires entre des industriesbiotechnologiques, pharmaceutiqueset agricoles, des Etats et des groupesconcernés pour la politique d´accèsaux ressources génétiques, par exem-ple des communautés indigènes.

Cela implique également que lesexperts jouent le rôle de «courtier quimarchande des options politiques en-tre les élites politiques et les groupesd’intérêt concernés» (Saurugger,2002). Cette nouvelle formation so-ciétale constitue un monopole possé-dant des institutions internationales etéconomiques fortement liées entreelles. Ce qui marque une certainedépolitisation des politiques publi-ques, dont le trait dominant est uneforte approche «technocratique» danslaquelle les experts jouent un rôlespécifique au niveau du policy ma-

king supranational, que l’on peutalors caractériser comme une gouver-nance technocratique.

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5. L‘Union internationale

pour la gouvernance de la

Nature: une mission royale

pour la conservation biologi-

que des colonies tropicales

La politique publique est un proces-sus de médiation dans la mesure où sonobjet est de prendre en charge les ajus-tements qui peuvent intervenir entre unsecteur et la société globale. En consé-quence, une politique n’existe qu’à tra-vers l’intervention d’acteurs concretsqui entrent en relation ou s’affrontent àl’occasion de son élaboration.

Les médiateurs sont les agents quiparticipent dans la construction de lapolitique publique, a travers de son in-tervention en différents forums et réa-lisent un travail de traduction entre di-verses images cognitives déterminantainsi la perception du problème qu’ontles différents groupes (Muller, 1998).

Dans le cas de la biodiversité, lesmédiateurs, sont a la fois la UICN(l‘Union internationale pour la conser-vation de la Nature) et le W W F (Fondsmondial pour la Nature) dans la me-sure où elles sont les traducteurs deslangages entre acteurs divergents de ladécision (gouvernements, entreprises,groupes ethniques. Ils servent aussid’intermédiaires entre le Forum scien-tifique, le Forum de rhétorique politi-que et le Forum de politique publique.

Les médiateurs traduisent le «cadreintellectuel» où se déroulent les négo-ciations, les conflits et les alliances quimènent à la décision politique. Ce sontles créateurs de l’image cognitive qui

déterminent la perception du problèmepar les groupes impliqués et aident àconstruire le «référentiel» de la politi-que publique, dans la mesure où ils pro-viennent du Forum scientifique écono-mique qui orientent les deux autres.

On posera l’hypothèse que les mé-diadans l’après guerre et face auxeffets désastreux de la colonisation,avaient tenté de protéger la nature dansdes ares tropicales menacées du Tiersmonde en Amérique latine, en Asie eten Afrique). Elles deviennent ainsi unedes bureaucraties non gouvernemen-tales, les plus formidables du Nord qui,peu à peu, s’adapteront et subordon-neront les modestes mais efficaces etrentables organisations financièresorientées et gérées depuis les Etats-Unis bien qu’elles se présentent sousl’apparence d’un consensus global.

Ces médiateurs entre pays du Nordet régions tropicales ont leur propreplace dans l’histoire de la constructionet de la mise en œuvre du paradigmedominant de la biodiversité et de soninteraction entre des forums ethniques,économiques et politiques. Ils agissenten quelque sorte comme les nouveaux«marchands de la lumière (Bacon,1627)», qui conduisent la politique dela biodiversité dans les majorités despays méga divers comme la Colombieet dont l’histoire vaut la peine d’êtrerappelé.

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6. La jeunesse de l’ordre

institutionnel pour la préser-

vation de la nature

Les mouvements de conservationde Parcs nationaux naissent aux Etats-Unis en 1864 avec la reconnaissanceofficielle de Yosemite Valley en Cali-fornie. Avec le Parc de Yellowstonesurgit ne seulement la figure la plusrestrictive de la préservation de la na-ture, mais aussi le nouveau scénariopour la «recherche scientifique… », ungrand laboratoire offert par la nature.

Ce paradigme de la conservationmoderne est à la base de l’histoire del‘UICN (l‘Union internationale pour laconservation de la Nature) comme pro-moteur de l´«unpeopled Yellowstonemodel» qui allait inspirer l’ établisse-ment des Systèmes de Parcs nationauxdans les années soixante-dix en Afri-que, en Europe et en Amérique latine.

Le président Roosevelt fut le pre-mier qui inscrivit la conservation aucœur même de l’agenda international.Comme possesseur de une grandemaison de campagne, chasseur et ento-mologiste qu’il était, il avait «une vé-nération spéciale pour les arbres, sur-tout les conifères géants, qu’il avaittrouvés dans les Rocheuses» (Holdga-te, 1999).

Cette vénération envers la nature,évoquait la conservation des espècesen voie de la disparition, commel’étaient les quelques minorités indi-

gènes qui avaient survécu à l’expulsionet à l’extinction provoquées par lesexplorateurs et les colonisateurs an-glais à l’aube de la République duXIXe siècle. Au début du XXe siècle,Roosevelt propose de traduire sa vé-nération en une Commission nationa-le pour la conservation de la nature,cherchant à assurer l’intégrité de lanature encore à l’état sauvage (wilder-ness) en définissant des territoires spé-ciaux. «La conservation est une affai-re de démocratie» disait-il, «et les res-sources du domaine public devraientêtre utilisées pour le bénéfice de tousles peuples et pas seulement pour ce-lui des plus puissants» 9.

Pour cela il fallait protéger deszones singulières pour la conservationde manière restrictive. Le modèle desParcs nationaux émerge comme la ré-ponse a la nécessité de protéger la na-ture contre l’action de l’homme, conçudans ce moment la, comme coupablede la dégradation du paysage de la partdes visiteurs du premier monde à larecherche de paix et de bien-être dansdes sites exotiques. Cette pensée ren-contra de grandes difficultés d’ adap-tation dans des ares à la fois protégéeset en même temps habitées en Europe,où l’on pratiquait plutôt la protectiondu paysage dans des habitats humainset des réserves naturelles dans de pe-tites zones.

Après la création d’une cinquan-taine de réserves naturelles aux Etats-

9 SCHABECOFF. The American environmental movement. a fierce green fire. Sha-becoff. 1993 citado por Martin Holdgate.

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Unis par l’administration Roosevelt, lemouvement conservationniste devientinternationale. En 1872, le Conseil fé-déral suisse propose la création d´uneCommission pour la protection desoiseaux, en 1895 que devienne en lapremière Conférence internationale oùse signa une Convention souscrite par12 pays d‘Europe et les États-Unis.

En 1902, le Canada, le Mexique etles Etats-Unis fondent l‘Associationinternationale de pêche et de conser-vation de la Nature en vue de réunir àWashington une Conférence pour laconservation internationale des res-sources naturelles qui réunirait 58pays. Cependant, le changementd’administration aux Etats-Unis faitque le président Taft, successeur deLincoln, suspend l’aide du projet etdemande que le leadership en soit as-suré par les Etats-Unis, ce qui sera lecas pendant plusieurs décades. Maisce n’est qu’en 1948 que des organi-sations conservationnistes de quatrepays (France, Hollande, Angleterre etÉtats-Unis) créeront l‘Union interna-tionale pour la protection de la Nature(UIPN), dont la première assembléeofficielle aurait lieu en France.

Aldo Léopold, fondateur aussi dela Société américaine de la Nature (laWilderness Society), était l´un des prin-cipaux architectes du nouveau systè-me conceptuel, influencé par la pen-sée systémique selon laquellel’individu est considéré comme «unmembre parmi d’autre communautésconstruites des parties interdépendan-tes». Avec cette idée d’ interdépendan-

ce, les colonies africaines et asiatiquessont considérées comme faisant partiedes centres de conservation del‘Europe et des États-Unis. C’est ceconcept d’interdépendance que l’onreprendra à propos de la gouvernancede la biodiversité.

7. La stratégie politique

internationale pour la sauve-

garde des Tropiques

L‘UIPN exprime bien la rencontreentre Forums politiques (rencontresentre gouvernements) et Forum scien-tifique qui marque la genèse et les ca-dres cognitifs de la politique interna-tionale pour la conservation de la Na-ture. Naît en 1948, comme un ensem-ble d’institutions nationales devientresponsable des manifestations de lavie silvestre. 18 nations, dont la Fran-ce, la Hollande, le Royaume Uni et laBelgique, des monarchies anciennes etrécentes, assistent à la première ass-emblée en tant que représentants te-chniques du Symposium des pays dé-veloppés.

«La fascination de toutes ces au-tres manifestations de la vie, différen-tes de la nôtre, qui à travers tous lesproduits du même processus d’ évolu-tion, sont néanmoins un peu dans leu-rs propres droits, nous sont étrangères,nous offrent de nouvelles idées de pos-sibilités de vie. Elles ne pourront ja-mais être remplacés si elle disparais-sent, ni substituées par des produitsissus de l’effort des hommes (Holdga-te, 1999: 32)».

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A partir de ce moment, l‘UIPN sepropose de poursuivre deux objectifs:• Faciliter la coopération entre

gouvernements et organisationsnationales et internationales inté-ressées par la protection de la na-ture du monde.

• Recommander des actions de po-litique nationale et internationalepour la protection de la nature.

La nouvelle construction interna-tionale pour y arriver devienne en uneOrganisation intergouvernementale etnon gouvernementale a la fois (une«GONGO (Holdgate, 1999: 33)»avant l’heure), dont le caractère d’ ins-tance mixte entre gouvernements et or-ganisations scientifiques allait facili-ter le travail conjoint avec les Bureauxdes Nations Unies et les toutes nouve-lles ONG. Bien que la proposition fai-te par le British Foreign Office ait étébien acceptée, la dispute pour l’ orien-tation et la direction générale exprimebien les diverses divergences entreEuropéens et Américains quant à saconceptualisation.

Les premiers, en effet, défendaientl’idée d’une conservation plus intégréequi aurait comme base la civilisationhumaine, tandis que les seconds et laGrande Bretagne préféraient plutôt uncontrôle strict et disciplinaire des ai-res de préservation d’espèces pouréviter la dégradation occasionnée parl’impact des actions des êtres humains.Mais cette confrontation de forces ex-primait surtout la lutte pour le pouvoiret la domination dérivés de sa direc-

tion conceptuelle et politique quant àl’intervention sur la nature du monde«sauvage». On assistait ainsi à une sor-te de nouvelle lutte entre empires pourle gouvernement et la domination dumonde vert. Bien que des représentantsdes pays du Sud (Pérou et Argentine)aient été membres du Bureau exécu-tif, la direction intellectuelle de toutce processus a de toute façon était lo-calisé au Nord. Le premier Directeurgénéral, de l´UICN, aussi le promo-teur et directeur de l‘Institut des Parcsnationaux du Congo belge, et auteurdu livre «L’Afrique, la dégradation desâmes africaines sous l’influence de lacolonisation» affirmait:

«L‘application de la science orien-te la conservation et l’écologie doit êtremise au service de l’humanité commebase du développement social contrel’autodestruction de l’homme».

«… Il faut souder le minusculenoyau de naturalistes Européens etAméricains, déjà convertis à la con-servation dans un puissant, un cons-tant, un mondial… . réseau de “conser-vationnistes”, de tous les catégoriessociales : hommes politiques, écono-mistes, fonctionnaires publics, écolo-gistes pionniers, directeur d’ONG, quise connaissent les uns les autres,échangent des documents et se portentsecours les uns les autres».

Ces réunions internationales, qua-lifiées par certains à l’époque «d’ idéa-listes», mobilisent de grandes ressour-ces budgétaires destinées à la recher-che, aux publications et aux conféren-ces internationales mais surtout à la

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grande bureaucratie qui surgit alors deschasseurs, des voyageurs, des touris-tes et des chercheurs en route pour leslieux «exotiques» du Sud.

Il n’y a rien d’étrange à ce que 52% du budget initial provienne del‘Amérique du Nord, surtout des Etats-Unis (Old Dominium Foundation ofNew York puis Andrew Melon) et quele reste soit apporté par les États et lesmonarchies européennes les plus im-portants. La majorité des pays du Sudne participèrent pas à cette conceptua-lisation du monde vert, eux qui en sontles «objets» d’étude, le grand labora-toire. Devant cet oubli, ils réaliseronten 1952 la première réunion au Vene-zuela, où les pays du Sud commence-ront a exposer leurs visions de mondea travers de la identification des pro-blèmes critiques a observer pour con-server des ares protégées.

«Questions relatives aux problè-mes des populations humaines, dansles zones protégées:• L’impact des centrales hydroélec-

triques et des grands projets dedéveloppement dans les zones deconservation.

• La disparition de la faune et la flo-re dans les zones semi arides ducentre et du sud de l‘Amérique.

• Les conflits persistants entrel’agriculture et la conservation

• Les problèmes de la préservationdes espèces des îles des Caraïbes,dérivés des modèles d’urbanisationet de tourisme massif».

Les pays du Nord, soulignaient trèsclairement que:

«Bien que le Sud soit le principalfoyer d’intérêt, que plus de questionsde conservation débattues au sein del’Union concernait le monde dévelo-ppé, la connaissance et l’action vien-ne du Nord, mais pour se rapprocherau Sud… » (Holdgate, 1999).

Bien qu’on puisse penser quel’époque de la Colonie était dépassée,la réalité montre que les conservatio-nnistes des années soixante avaient uneapproche paternaliste et discrimina-toire de la situation réelle des pays duSud. On peut donc comprendre faci-lement que les gouvernements anglaiset belges aient été les premiers à créerdes Parcs nationaux dans leurs ancien-nes colonies a fin de exclure des po-pulations qui y habitaient. Cette origi-ne de la création du Système de Parcnationaux, devienne alors en une pra-tique qui va s’étendre dans le mondeentier grâce à l’appui de l‘UICN quisurgit alors comme le Forum de lagouvernance globale de la nature.

Le Pacifique colombien en est unbon exemple de l´implantation de cet-te vision du monde scientifique de laconservation des tropiques. La délimi-tation des Parcs nationaux dans lesannées quatre-vingt-dix, provoque unenouvelle étape du déplacement histo-rique des communautés noires depuisl’époque de l‘Empire espagnol. Aprèsavoir été capturés en Afrique et con-duits par les Espagnols dans leurs co-lonies de la Nouvelle Grenade dans leXIXeme siècle, ces communautés,

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après l’abolition de l’esclavage lors del’indépendance ont du émigrer vers deszones «inhabitées» dans les forêts sau-vages de la Côte du Pacifique. Dansles années soixante, à l’époque despolitiques d’expansion agricole, sesont a nouveau déplacés, et deviennentdes travailleurs dans des forêts «netto-yées» par des récents propriétaires te-rriens ou bien des réfugiés dans depetits centres de colonisation situésauprès des campements d’exploitationminière et de bois.

Avec la consolidation du Systèmedes Parc nationaux dans les années qua-tre-vingt-dix, ses petits villages sont ànouveau déplacés depuis que ces aressont déclarés «de protection spéciale».

Depuis la réunion de Caracas dansles années cinquante, les expertsallaient rencontrer la réponse correcteau problème de la population et auconflit dans les Zones de protectionspéciales, cohérente avec le cadre cog-nitif de la «conservation», construit etpensé par le Forum scientifique desbiologistes et des chasseurs, et qui nesaurait admettre qu’il existaient deshabitants dans les dites zones. WaltW hitman aurait certainement été ho-rrifié de ces présupposés au nom de la«science» positive. Plus de cinquanteans après la création des premiersparcs, avec la biodiversité on commen-ce, à peine, à repenser «le problème»de l’impact de la population dans lesnouvelles stratégies de conservationdes Zones protégées, comme un pro-blème qui va au-delà du contrôle de lanatalité:

Mais pour les experts preservatio-nniste des années cinquante:

«L’accroissement du nombred’êtres humains pèse d’une manièreindubitable sur les ressources nature-lles exploitées à des fins de nourritureet d’autres propos… »

La croissance démographique de-vient alors, une menace pour l’avenirde l’humanité, donc il fallait trouverune solution pour continuer à fairecroître la production sans que ce soitau détriment des ressources naturellesexploitées. Comme il n’y aurait guèred’espoir immédiat pour matérialiser unetelle solution, ils décident de installerl´idée du contrôle des naissances.

Le fait que le problème de la po-pulation était vu comme un problèmede contrôle de la natalité dans cettegouvernance environnementalenouveau-né obéissaient à une concep-tion politique claire. En effet, le rôlede l‘UICN était le support des Étatsquant à l’orientation et au développe-ment des politiques de conservation,conçu comme dépendantes d´un sys-tème vertical, centralisé et disciplinairequi avait pour fonction la préservationde l’intégrité des ressources naturelles.En Colombie ce support prend formeen 1969 avec le Statut forestier, et en1971 avec le Statut des Parcs nation-aux, tous développés par l´ancien IN-DERENA (Institut national des res-sources naturelles non renouvelables),un institut rattaché au ministère del’agriculture créé en 1968 et chargé dela préservation des zones considéréescomme «spéciales».

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La préservation y était «assurée»grâce à un système de contrôle et dedéfense dont sont chargés ses «gardesparc», émules des gardes forestiersaméricains. Mais qui, au lieu des soli-des structures administratives, finan-cières et de recherche dont disposentces derniers, devaient, eux seuls, etavec de maigres ressources à la foisgérer les Parcs et représenter l‘Étatdans territoires qui constituaient le10% du territoire national (174 km2)(1/3 de la France 543.965 km2, qua-tre fois la Suisse 41.285 km2) La mis-sion de « protéger la nature » qui leuréchoit n’était pas sans risque mêmes’ils la remplissaient avec un grandmysticisme, si l’on considère qu’ilsavaient à leur charge des zones plusétendues que des départements euro-péens, et dont les populations margi-nalisées, indigènes, afro-américains,qui représentaient près de 02% de lapopulation colombienne, étaient ex-clues depuis longtemps de l’action del‘État en matière de santé, d’éducation,de développement ou encore des poli-tiques de lutte contre la pauvreté.

Ces zones spéciales, interdites ouplutôt abandonnées aussi bien par lesecteur public que par les gouverne-ments territoriaux et locaux, devaientêtre en tant que Parc naturel national,dirigés seulement par «walkie-talkie»depuis l‘État central, a Bogotá enl’occurrence á la Direction des Parcsnationaux de l‘INDERENA devenueen 1995 l‘Unité autonome des Parcsnationaux, chargé de gérer les ressour-ces provenant de la coopération inter-

nationale. Depuis son siège, le direc-teur de parcs (connu pendant des an-nées sous le sobriquet de «LordMountbatten»), avait comme fonctionla régulation de l’accès des fonction-naires internationaux, des consultantsscientifiques et des touristes interna-tionaux spécialisés dans les Parcs amé-nagés à cet effet (seulement 3 Parcs -Gorgone, Amacayacu, Tuparro- sur 45étaient aménagés pour cet usage). Lamajorité des zones protégées allaientfinir par se dégrader, et deviennent enzones de conflit armé. Lointaines etméconnus de la plupart des habitantsdu pays, elles étaient connues des di-rigeants du mouvement internationalen faveur de l’environnement qui es-sayèrent d’y tester, depuis leurs bu-reaux des Etats-Unis ou d‘Europe, di-fférentes formules de conservation quiallaient depuis les plus restrictives jus-que aux plus intégrées de développe-ment rural, rarement essayées. Leurdistanciation de la problématique en-vironnementale des centres urbains etdu monde rurale isolait leur action deprotection du patrimoine naturel dupays. Comme on le verra, la popula-tion n’allait avoir aucune existence«officielle» dans les programmes deconservation de la nature en Colom-bie jusqu’à la naissance de la biodi-versité dans les années quatre-vingtdix.

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8. La rhétorique scientifi-

que et la médiation interna-

tionale dans la conservation

de la nature

Ce n’est qu’à partir de 1968 que lemonde scientifique de la biologie com-mença à prendre en compte le bien-être de l’homme dans un programmeinternational. Waddington, présidentde l‘Union internationale des sciencesbiologiques, propose alors de consi-dérer l’intérêt économique et social del’humanité.

Sous le slogan de «l’homme mo-dificateur de l’environnement avec laplus grande efficacité possible» etl’inclusion du discours du développe-ment durable dans l’institutionnalitéenvironnementale, surgit un débat en-tre partisans du préservationnismed’un côté et ceux qui défendaientl´écologie scientifique de l´autre:

L‘UICN d´une part, défendait lavision preservationiste à travers desréseaux internationaux de parcs afin depréserver les zones d’importance bio-logique pour le développement scien-tifique de l´humanité. Des accordsavec la British Nature Conservancypour créer le World Data Book of Na-tional Parks and Protected Areas, ain-si que la série Biotic Provinces of theWorld, dirigée par le professeur MiklosUdvardy de l‘Université de Californie,expriment la vision de l´époque.

La division des ressources nature-lles de l‘Unesco, d´autre part, avecl’appui de la FAO et la direction del’expert français Michel Bâtisse pro-

posaient encourager un accord de co-opération scientifique internationalepour l’usage rationnel et la conserva-tion des ressources de la biosphère, enintégrant l‘Homme et la Biosphère(stratégie dite «MAB» pour Man andBiosphère). Dans l’esprit de ses pro-moteurs, une nouvelle Conférenced´experts pourrait articuler l’étude dela triade: conservation, recherchescientifique et développement écono-mique, en embrassant tout le spectreterrestre y inclus les écosystèmescôtiers et continentaux, les zones po-laires et tropicales et les zones plus oumoins développées. Ce la impliquaitaussi un regard vers «l’intérieur» desactions des pays développés dont lesimpacts affectaient la conservation dela nature dans le Tiers monde. Cettemanière de pensée remettait en ques-tion le modèle de la conservation stric-te et au même temps du développementcivilisateur imposé sur toute la planè-te, qui imposaient «l’exclusion» de lapopulation locale.

Pour les dirigeants de l‘UICN, unetelle pensée, impliquait modifier leconcept de coresponsabilité internatio-nale et, en conséquence, l’orientationet l´utilisation des ressources écono-miques. Il revenait en effet moins cherde continuer à appuyer essentiellementdes conférences bureaucratiquesd’appui aux consultants internationauxpour la création de systèmes de Parcsnationaux dans les zones tropicales despays en voie de développement sanstrop s’interroger sur les problèmes quis’y passaient, ce qui permettait en outre

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d’éviter l’analyse des problèmes quisurgissaient des paradigmes et des pra-tiques que s’y appliquaient. La diver-gence fondamentale sur le gouverne-ment des «autres» était telle quel‘UICN et le W W F (World Wild Fund),créé plus tard, avaient commencé aprendre leurs distances vers les activi-tés de l‘Unesco et la FAO comme exé-cutrices de projet de développement,marquant ainsi jusqu’à la fin des an-nées quatre-vingt la séparation de lapréservation de l’écologie scientifique.

On trouve en Colombie deuxexemples du débat de l’époque entreles partisans de la préservation et ceuxdu développement durable. Le pre-miers défendaient l’imposition «depuisen haut» d’un modèle de conservation(celui de l‘UICN) dans le cas du Parcnational naturel de la Sierra Nevadade Santa Marta, dans les annéessoixante dix, modèle qui excluait etignorait la population. Le second va àvoir avec le processus de sélection dela Réserve de biosphère de San An-drés y Providencia par l‘Unesco «de-puis en bas» (l´an 2,000) comme uneinterprétation locale «native» du dis-cours global de la conservation et dudéveloppement.

Le premier cas, a dénomination deparc qui faisait l´Institut de Ressour-

ces Naturelles, INDERENA, guidé parles orientations de l‘UICN ne recon-naissait pas les visions du monde deshabitants de la Sierra Nevada, par ra-pport á l’organisation de leur territoire.Il s’agissait d’environ 32.000 membresdes cultures Kogi, Arhuaca, Wiwa etKankuano (Rodriguez, 2000), descen-dants des Taironas.

La déclaration comme Parc Natio-nal de la Sierra Nevada10, la « plus hautemontagne côtière du monde » (5,648 mà 46 km de la Côte des Caraïbes), si-tuée à l’interface entre la Cordillère desAndes et la région biogéographiquecôtière des Caraïbes, signifiait une dé-marcation restrictive pour le déplace-ment des communautés indigènes. Dansune zone que communiquait les sitessacrés de la haute montagne et les bas-ses terres et les côtes, la partition endeux réserves différents, signifiait frac-tionner le territoire et restreindre l’accèsà plus de 150,000 paysans et 1, 500,000habitants des villes dans une superficiede 17,000 km2 (un tiers de la Suisse)répartie entre 4 départements différents.

Mais, cette déclaration signifiaitaussi, une forte attraction pourl´investissement international. Pendantles deux dernières décades, la SierraNevada, était convertie en l´une dessites le plus importants en Amérique

10 Le massif montagneux de la Sierra Nevada de Santa Marta, une écorégion que ras-semble 14 communes de trois départements, deux parcs naturels et deux resguardosindigènes, est entouré par de grands domaines d’élevage extensif de bétail et deproduction bananière. Possède en effet, en plus de paysages fort beaux, 35 sourcesd´eau, 14 des 635 espèces d’oiseaux et l’un des habitats d’espèces uniques au mon-de aux côtés des écosystèmes des Paramos Andins.

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Latine pour les investisseurs de la con-servation de la nature, provenant aus-si bien de l‘Union européenne, que dela Banque Mondiale a travers duGEF11, de l‘UICN, de la USAID desEtats-Unis. Gérée par une seule orga-nisation non gouvernementale, la Fon-dation Pro Sierra, fondée en 1986, dontle principal promoteur, membre del‘UICN, serait nommé plus tard, mi-nistre de l’environnement (1998 et2002), devient la médiatrice entre lesorganismes de coopération internatio-nale et des communautés indigèneslocales. Avec une technocratie fort ren-table très rapprochée aux grandesONG, elle commençait à provoquerune grande résistance de la part descommunautés indigènes. Obligée a tra-vailler en dehors du territoire indigè-ne car la population locale com-mençaient a l’accuser de les manipu-ler et utiliser, ce n’est qu’en 2001 qu’elle entamera un processus de concer-tation avec les autorités indigènes or-ganisées (au risque de perdre les res-sources de coopération).

Le rôle du CTC (le Conseil terri-torial indigène des cabildos), qui re-présente quatre organisations indigè-nes de la Sierra a été fondamental dansl’affrontement entre les politiques in-ternationales, nationales et celles desONG pour modifier les objectifs et lesgrandes lignes des «stratégies de con-servation».

On peut dire qu’il s’agit certesd’une action assumée par une organi-sation «sans but lucratif» qui agit aunom de la société civile, mais, qui esten même temps articulée à une orga-nisation internationale, cherche a lafois, fournir de l’information scienti-fique aux ONGs globales et en mêmetemps, sensibiliser les habitants hété-rogènes de la Sierra sur leurs problè-mes, en conservant un grand budgetmonétaire, ce qui provoque des effetscontradictoires sur le territoire. Ils’agit en effet d’un processus qui, au-delà de chercher la conservation bio-logique et culturelle, ou bien de ac-compagner la construction d´une ré-seaux social local, engendre un pro-cessus d’ imposition d’une vision dumonde fort éloignée de celle de seshabitants.

L’action combinée des excès d’unestructure presque calquée sur celle dela Monarchie anglaise dans ses colo-nies (reproduite plus tard par le mo-dèle «Yellowstone»), l’affaiblissementde la structure publique et l’absenced’une gestion territoriale intégrée, pro-voque finalement l´envers d´une poli-tique publique de conservation de lanature: l´abandon du rôle de l´Etat,pour une figure de gestion non gouver-nementale fantasme, qui provoquel´accélération des processus de déboi-sement, la crise alimentaire ainsi quela fracture du tissu social et la absence

11 Les programmes GEF «à taux plein » suivent les politiques opérationnelles de laBanque mondiale, au cas présent celui en vigueur pour les peuples indigènes (OD.420), étant donné que la Sierra est située sur des territoires indigènes.

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de la légitimité de l‘action publiquedans ces régions.12

La Réserve de la biosphère la plusrécente et la seule promue et conçuepar ses habitants est la Seaflower Re-serve qui se trouve dans l‘Archipel deSan Andrés y Providencia dans la Merdes Caraïbes (une zone terrestre etmaritime de 378,000 km2 qui repré-sente presque 30 % du territoire co-lombien). Il s’agit d’une Réserve quicoïncide avec l’idée originale de Bâ-tisse, mais qui présente aussi son ori-ginalité, résumée bien dans ce princi-pe: «une Réserve de la biosphère- RB-ne saurait surgir contre la société con-cernée sinon avec elle et pour elle (Co-ralina, 1997-1998)».

La RB représentait pour la popu-lation des îles «un nouveau réveil», unealternative à la pauvreté attaché aumodèle de développement urbaine quiavait provoqué la dégradation del’environnement et la surpopulation.(80,000 habitants habitaient en 42km2). Selon ses promoteurs, sa nomi-nation signifiait «un effort collectifentre scientifiques, planificateurs, ad-ministrateurs et populations locales»

dont les bénéfices dépendraient de leurparticipation active et de leur gestionet, en même temps, de pourraient per-mettre «la récupération et la préserva-tion de la culture native» et le renouve-llent de l’administration publique.

Il faut noter que cette représenta-tion «alternative» surgit comme uneréponse à un violent processus de «co-lombianisation» qui avait conduit àimposer un modèle de développement«urbain» dans un écosystème insulai-re, ainsi comme la religion catholiqueet la langue espagnole, imposée parune élite politique et économique«continentale» qui y avait importé aus-si ses pratiques de corruption et de dis-crimination raciale.

Dans ce contexte, les organisatio-ns communautaires des habitants «na-tifs» interprètent la grammaire globa-le environnementale comme l’issuevers une reconstruction sociale et po-litique. Elles demandent donc au pro-gramme MAB de l‘Unesco, à traversles ministères colombiens de l’ éduca-tion et de l’environnement, d’être re-connues comme Réserve de la bios-phère, en entendant celle-ci comme un

12 La figure du Parc national, représenta pour ses habitants pendant longtemps le con-finement de son territoire, la marginalité, la pauvreté et le conflit et, pour plusieursdes chefs de parc, mystiques et solitaires dans ces zones très étendues, et conflic-tuels, le sacrifice de leurs vies. La Sierra Nevada, est devenu un vrai champ debataille pour les groupes d’autodéfense, les guérillas et les forces régulières del ‘Armée. Selon le journal El Espectador (21 septembre 2003, page 3A), 44 indigè-nes de la communauté Kankuamo y ont été assassinés en 2003, convertis en objectifmilitaire dans une région où la coca, la guaquería (pillages de tombes), la contre-bande, les rapts et l’extorsion font partie du décor permanent, aux côtés de courtiers,de fournisseurs et autres trafiquants de drogues ou protecteurs de cultures illicites.

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«programme pour affronter la crise13»économique, politique et sociale del‘Archipel, en s’appuyant sur la nouve-lle loi cadre sur l’environnement. Pen-dant une décade, à travers des proces-sus de participation citoyenne, ellescommençaient à construire un modèlede résistance au modèle de «dévelop-pement» et de marginalisation auquelils étaient soumis pendant des siècles.En cherchant un aménagement socialmarin et côtier différent ils voulaientconfronter le modèle de contrebandelibre et de corruption que signifiaitpresque un demi-siècle d’échangeclandestin de marchandises, d’armes,de drogues licites et illicites fans toutela partie occidentale des Caraïbes.

Ces deux exemples montrent bienles diverses manières dont se mettenten place les figures de «conservationscientifique» dans les pays tropicaux.On pourrait dire que c’est le produitdes bonnes intentions des forumsscientifiques internationaux, desgouvernements, des monarchies et desorganisations intergouvernementalesdu Nord. Mais ces processus d’apprentissage laissent plusieursleçons : s’il n’y a pas de transforma-tion dans les processus de décisionpublique, il y a une forte chance queles aides continuent de terminer dansla poche de la bureaucratie internatio-

nale et des directeurs des ONG quin’ont de compte à rendre à personneCe comportement affecte les rapportssociaux du territoire et entraîne desconfrontations violentes entre ses ha-bitants et contre l’Etat.

Dans le premier cas, on peut voircomme l‘Etat impose, de manière ar-bitraire et à travers des médiateurs nongouvernementaux, une figure de con-servation «scientifique» qui, à la fois,exclut, discrimine et confine la popu-lation qui y habite en l’obligeant à res-pecter la délimitation territorialequ’impose le caprice des fonctionnai-res publiques. Ils laissent un espacepour que des organisations privéesoccupent la place de l’administrationpublique en excluant aussi la faibleinstitutionnalité locale (maires,gouverneurs). Dans le second cas, onpeut voir comment le forum scientifi-que, à travers les médiateurs intellec-tuels, renforcent les organisations so-ciales quant à leur inclusion dans lesprocessus de décision et de restructu-ration des formes d’organisation ad-ministrative, générant ainsi de nouve-lles formes institutionnelles.

13 El MAB: Programa para afrontar la crisis. Pp. 9. Dans: Revista 360 grados. Unavisión global para entender los problemas ambientales que afectan nuestro pequeñorincón del Planeta. CORALINA. Corporación para el Desarrollo Sostenible del Ar-chipiélago de San Andrés, Providencia y Santa Catalina. Solidaridad con las futurasgeneraciones. MAB.UNESCO.

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9. Un nouveau scénario

de médiation globale: l’

émergence de la gouvernan-

ce de la biodiversité

«Les États-Unis encourageront laconservation mondiale de la naturesauvage, en particulier des espèces quise font rares» (Holdgate, 2000).

Dans la crise du paradigme preser-vationiste de la UICN, une nouvelle pa-radigme economiciste pour la gouver-nance de la nature s´installe. Avec le ren-forcement du Fonds mondial pour laNature (W W F), la rencontre entre pro-moteurs économiques et scientifiques seconsolide dans une écologie économi-que. Il s’agit d’une nouvelle économienaturelle dans un système économiquemodernisé, où budget, rendement, con-sommateurs, possesseurs, efficience,producteurs et exclusion deviennent lestermes nouveaux pour aborder l’ envi-ronnement et répondre aux critiques dumodèle des zones protégées.

«L’objet du Fonds est de collecteret de distribuer des fonds à traversd’organismes internationaux, nation-aux ou individuels pour la conserva-tion de la faune mondiale, de la flore,de forêts, de paysage, de sources etd’autres ressources naturelles grâce àl’acquisition et la gestion de territoire,la recherche, l’éducation à tous les ni-veaux, l’information et la publicité, lacoordination d’efforts, la coopérationavec d’autre parties intéressés etd’autres mesures appropriées… ».

Le prince Philippe d‘Edimbourgdevient son premier Président, avec

l´appuie des fonctionnaires améri-cains, qui seraient nommés en tant queadministrateurs du W W F, tous liés àl‘UICN, comme le directeur de l‘USFish And Wildlife Services, l’ex-Secré-taire à l’éducation de l‘Indiana, PinkGutermuth, (créateur de 500 clubs deconservation), deux anciens membresde la Cour des impôts des Etats-Unis,Hall Coollige (principal pont entre lesEtats-Unis et l‘UICN) et Russel Arun-del (créateur de la Fondation pour lavie sauvage en Afrique, plus tard pré-sident de la Fondation pour la conser-vation à New York et ancien chasseuret participant de safaris en Afrique).(Holdgate 2000).

Toute cette bureaucratie, était néesous le prétexte de surmonter les pro-blèmes de orientation intellectuel et dedéficit économique de l‘UICN. Mais,surtout elle rentra à remplacer l´anciencadre International de construction despolitiques de la nature. Le Fonds Mon-diale, W W F, devient alors une entre-prise avec une très forte financementpour des projets de protection d’ es-pèces en Afrique, d’achat de terres,comme les 65 Km2 dans le Coto Do-ñana dans l’embouchure du Guadal-quivir espagnol, et l’appui aux fonda-tions privés qui commençaient a ad-ministrer des anciens réserves naturels,comme la Fondation Charles Darwindans les îles Galápagos en Equateur.Mais, surtout, le Fond Mondiale de-viens le soutien intellectuel desgouvernements du Sud ainsi que lepilier financier des ONG locales quidois exécuter ses orientations.

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La W W F installa son siège à Was-hington, et prend en charge les Bureauxde conservation de la nature en Améri-que latine (sauf le Brésil), ce qui génèreun certaine prise de distance entre leschéma initial de l‘UICN, caractérisépar l’appui aux politiques de Parcs na-tionaux dans les États, et celui du Fondsmondial, plutôt orienté vers un schémade gestion de projets rentables finan-cés par la banque multilatérale et lesemprises des Etats-Unis.

Ceci a eu pour effet, comme le sig-nale Maurice Strong, la perte de res-ponsabilité politique (accountability)de la part de les Etats quant à l’ orienta-tion des ressources, produit d’un sché-ma purement mercantile où la naturedevient un système économique, un«État corporatiste», une chaîne de suc-cursales et une assemblée générale (Ru-therford, 1999). Il y a là une différencefondamentale entre le W W F et l‘UICNqui, tout au moins, devait montrer desrésultats aux pays donateurs.

A la fin des années soixante-dixEdward Wilson, le père de la socio-biologie, encourage alors la créationaux États-Unis de la Société pour labiologie de la conservation (Society forConservation Biology), nouvel essaipour chercher la convergence entrespécialistes des sciences sociales,hommes politiques et économistes au-tour du concept de «développement

soutenable» (durable) et de la biodi-versité. Avec une philosophie fort di-fférente de celle du programme MABet plus dangereuse sans doute, il de-vienne le défenseur du nouvellel´eugénisme, qui cherche, a travers dela modification génétique sur des or-ganismes vivants, á corriger les com-portements des hommes a fin d´obtenirdes sociétés meilleures.

En cherchant à partir de 1986 unerestructuration du système national degouvernement de la nature, on finit enréalité par soumettre l‘UICN, chargée del’orientation de la conservation dans lemonde, au W W F, plus efficient et plusrentable économiquement et dirigé prin-cipalement depuis les Etats-Unis. Lebureau des États-Unis du W W F devientalors le principal bailleur de fonds et ontente, avec la «Stratégie mondiale de laconservation», de sortir à nouveau del’impasse des graves impacts del’environnement dans les pays en voiede développement, sans rompre avec desattitudes d’intervention arbitraire.

L’idée du développement soutena-ble ou durable, chère aux Européensmais défendue maintenant par lesNord-américains, tente d’intégrer lavariable économique à une vision en-vironnementale plus libérale àl’encontre du préservationnisme para-dogiquement associé alors à la «Vie-lle Europe»14 et à la (maintenant) viei-

14 Pour reprendre le mot récent du Secrétaire américain à la Défense, Donald Rums-field, à propos de l’attitude « anti-américaine » de l‘Allemagne et de la France quantà l’intervention en Iraq. Cf. La « Vieille Europe ». Accrochage entre la France et lesÉtats Unis sur l‘Iraq Pp.2. Libération. Vendredi 24 Février 2003.

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lle UICN, bouc émissaire de tous leséchecs que les scientifiques des Etats-Unis et l´Angleterre entre autres,avaient provoqués. On pose donc com-me alternative une gestion plus plané-taire, mais dirigée par les Etats-Unis,sous le paradigme de sécurité et de lamulti culturalité en vogue. Pendant cetemps, l‘UICN perd progressivementson rôle et seuls quelques-uns de sesmembres participent à l’élaboration dePlans de conservation nationale com-me celui de Grande Bretagne.

Les Etats-Unis commencent alorsà rédiger le «Rapport global 2000, baseconceptuelle pour la Stratégie de con-servation mondiale», époque qui coïn-cide avec le développement fort rapi-de des adhésions nord-américaines auxnouvelles organisations environne-mentales. Des organisations nord-amé-ricaines comme la Fédération de la viesauvage avaient 4,5 millions de mem-bres, la société Audubon, 425,000 etle Sierra Club, 360,000, tandis queGreenpeace en compte plus de450,000 membres pour 50,000 à pei-ne en Grande Bretagne, 91,000 àW W F- Suisse et 30,000 à Friends ofthe Earth (Holdgate, 1999).

Ce n’est qu’en 1987 que commen-ce vraiment le boum de la mise en pla-ce des Stratégies globales de conserva-tion et de développement durable dansdes pays comme le Costa Rica, le Ken-ya, le Botswana, la Jordanie, la Mauré-

tanie, le Népal, le Pakistan, la Zambieet le Zimbabwe. De nouveaux projetssont alors conçus pour la Colombie, leSalvador et Oman. L’ objectif de cesprojets n’est autre que «d’alerter lespersonnes sur le développement dura-ble», dans le cadre duquel devraits’inscrire un agenda pour l’action. C’estune nouvelle conception qui, commel’antérieure, vient des groups scientifi-ques et économiques des Etats-Unis,Grande Bretagne et la suisse notam-ment, sous un habillage global:

«Les êtres humains dans leur quêtepour le développement économique etla jouissance des richesses de la naturedoivent arriver à un accord avec la réa-lité de la limitation des ressources et dela capacité des écosystèmes et prendreen compte les besoins des générationsfutures: c’est le message de la conser-vation. Car si l’objet du développementest de pourvoir au bien-être social etéconomique, l’objet de la conservationest d’assurer la capacité de la Terre poursoutenir le développement et supportertoute la vie»15.

La Banque mondiale voit dans cesPlans la possibilité de développer desPlans nationaux d’action environne-mentale qui seront développés dans denombreux pays, y incluse la Colom-bie, imposant ainsi ses propres priori-tés comme banque internationale etnon comme union internationale. C’estdans cette étape que surgissent les Sys-

15 Message pour la Stratégie de la conservation, signé par Mohamed Kassas, alorsdirecteur de l‘UICN, Mustafa Tolba, directeur de l‘UNEP et John Loudon, prédé-cesseur du prince Philippe comme président du W W F.

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tèmes régionaux de conservation pourl‘Amazonie, les Andes et l‘Himalaya,précurseurs du couloir biologiqueméso-américain, aujourd’hui appuyépar tout un pool d’institutions commela Banque mondiale, la GTZ (Agencede coopération internationale d‘ Alle-magne), le BID, le W RI (World Re-sources Institute), l‘UICN, le W W F etles nouvelles grandes ONG environ-nementales nord-américaines commeCI (Conservation International), TNC(The Nature Conservancy) et lenouveau Fonds global de l’ environ-nement (GEF), financé surtout par laBanque mondiale. Cette «nouvelleproposition» de consensus présentéeen juillet 2001 recueille toute cetteexpérience de conservation et formeun nouvel assemblage pour la gouver-nance suprarégionale. Présentée parKenton Miller, vice-président del‘Institut de conservation et de déve-loppement international et la (W RI)World Ressources Institute, dont le siè-ge est à Washington, ils commencenta répandre le concept de bio régiondans la Stratégie internationale pour labiodiversité, comme la nouvelle stra-tégie d’intervention, pour la périphé-rie bio diverse.

10. La construction envi-

ronnementale de l‘Amérique

Latine

La nécessité d’une justificationd’une action plus rentable pour lesdonneurs permet de mettre sur le tapisle problème de la perte de la diversité

biologique des pays en voie de déve-loppement pour le développement del’industrie alimentaire et pharmaceuti-que, un problème concret qui pourraitgénérer de grands profits et attirer lesinvestissements privées.

La vielle dichotomie entre préser-vationnistes et écologistes économi-ques semblait augmenter, ce qui mon-trait bien l’urgence de l’apparition d’unnouveau paradigme, cohérent avec latransformation d’un nouveau régimeglobal dont le référentiel mercantiledépassait largement la confrontationsentre États de l‘UICN et du systèmedes Nations Unies. La biodiversité sig-nifiait une manière d’articuler l’ éco-nomie et la culture, les présupposés dela nouvelle globalisation.

C’est dans ce changement quel‘UICN décide de modifier sa propreorganisation et de nommer un nouveauprésident, cette fois-ci du Tiers mon-de, un descendant des travailleurs in-digènes de la Guyane ex-anglaise, unpont de l’ex-Empire colonial anglaisau milieu de l‘Amérique du Sud es-pagnole et portugaise. Sa propositionexprimait ce que la majorité des paysdu Sud faisaient leur:

«Un développement durablejusqu’à ce que les pays développéssoient intéressés à commencer le dé-veloppement. Rien n’est soutenables’il n y a pas de développement Etlà où il n’y a pas de développement,il deviendra une priorité, éloignantle peuple des terreurs de la pauvre-té. La préoccupation pour la pauvre-té et l’ intérêt pour le pauvre doivent

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faire partie de ce qui nous concer-ne».16

On commence alors à écouter lesvoix du Sud, à entendre des déclara-tions sur l’inégalité des orientations etdes bénéfices dérivés de la Stratégiede la conservation entre le Nord et leSud. Tandis que l’agenda des premiersconsidère le problème de la contami-nation, de la consommation, des dé-chets, des recherches militaires et desrelations entre pays, les seconds envi-sagent de réviser les causes de la dété-rioration environnementale, la violen-ce, et la nécessité d’examiner les stra-tégies économiques et sociales qui sontla cause de l’instabilité et de la pau-vreté de ces pays.

On estime aussi nécessaire que lespopulations locales participent aumouvement conservationniste pourobtenir la légitimité des actions duNord, sans considérer le débat sur ledéséquilibre entre le Nord et le Sud entermes d’agriculture, de commerce etd’inégalités économiques et socialesqui sont tous des éléments sans les-quels il ne saurait y avoir conserva-tion.

Ce débat affecte de toute manièrele développement de la Stratégie pré-parée pour la Conférence sur le déve-loppement et l’environnement á Río92. La réunion entre le Départementde la vie sauvage et des sciences de lapêche du Texas, le W W F, l‘Agenceaméricaine pour le développement in-

ternational et l‘Association américai-ne pour l’avancée de la science, dontEdward Wilson était l’orateur princi-pal, allait inscrire la biodiversité danssa dimension biologique et culturellecomme partie de l‘Agenda de Rio.

Avec ces nouveaux apports, onconstruit une nouvelle Stratégie qui,traduite par deux nord-américains etun anglais à la tête de l‘UICN, duW W F et du W RI, débouche sur le con-cept du «sustainable development» (ledéveloppement durable), puis sur lacréation de la Commission pour le dé-veloppement durable et de la Conven-tion sur la diversité biologique, quiallait servir de guide à la Conférenceet à l‘Agenda de Rio. On voit com-ment le Forum de la rhétorique politi-que et scientifique de la vielle garde(UICN, W W F et W RI) se transformeavec l’aide du Forum scientifiqueémergent (Wilson) en un nouveau Fo-rum scientifique-économique-com-mercial.

L’accès à la biodiversité, au déve-loppement biotechnologique et à lapropriété intellectuelle de sa transfor-mation devient le cheval de bataille debiologistes et d’industriels de l’ ens-emble des entreprises (The Pharma-ceutical Manufacturers Association(Pharma), The Association of Biote-chnology Companies (ABC) et l‘ As-sociation industrielle de biotechnolo-gie- IBA) près du gouvernement desEtats-Unis. Ce cartel allait plus tard

16 Shridath Rampal 1991. “A question of survival. IUCN bulletin”, Vol. 19, No. 4-6April/June, cité par HOLDGATE W. The Green Web, Op cit. Pp. 64.

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défendre le nouveau consensus entre lesgens et la protection de la nature à tra-vers l’économie et le commerce et lanécessité d’une nouvelle gouvernanceglobale (Cf. Rist). Cette conjonctiond’arènes politiques termina par ce quecertains appelèrent une stratégie com-plexe et opaque qui justifie les nouve-lles réinterprétations de la domination

11. La «sympathie criti-

que» du Sud ou l’attitude

des gouvernés

Quelques peu représentants despays du Sud tel que le présidentSwaminathan de l‘Inde lors de la réu-nion préparatoire à la Conférence surle développement et l’environnemententendaient les nouvelles agendas en-vironnementales dans le cadre de laprotection des droits de l’homme, po-sition qui, petit à petit, fut dénaturéepar le discours de la rentabilité, desproduits et des contrats:

«Tandis que les violations des droi-ts de l’homme affectent les individus,les violations de l’héritage humain al-tèrent les supports de la vie de tellemanière que les dommages génétiquesauront des résultats sur les génératio-ns futures. Les violations de l’héritagenaturel minent la sécurité des moyensd’existence des générations présenteset des générations futures, en particu-lier des pauvres».”17

Bien que l’on ait nommé des fonc-tionnaires de pays du Sud dans despostes intermédiaires de la bureaucra-tie verte globale de l‘UNEP, du W W Fet de l‘UICN pour que «les intérêts duSud y soient représentés», on peut do-uter que certains d’entre eux aient étéréellement des représentants des inté-rêts de leur pays et encore plus desdiplomates et penser plutôt qu’ilsétaient tout simplement, comme dansle cas colombien, des fonctionnairessous l’influence des organisations in-ternationales.

Cette stratégie fit que d’anciensfonctionnaires de l‘INDERENA et desreprésentants des ONG s´insèrent,comme simples particuliers, a nom despays du Sud comme la Colombie dansl’écocratie globale pour légitimer aunom de la «société civile du Sud» laconsolidation de la domination dumonde vert, cette fois-ci sous l’empiredu marché.

Ce théâtre du Sud, exprimé par desattitudes individualistes, allait avoirune grande influence sur la possibilitéd’une politique cohérente et claire dedéfense des intérêts du Sud, brisant lespossibilités de créer des alliances ré-gionales, divisant les institutions pu-bliques et les organisations sociales etdétériorant ainsi le sens de l’ apparte-nance nationale.

En 2,000, le ministre colombien del’environnement (tout à la fois mem-

17 SWAMINATHAN Monkonbu. Address to the Ottawa Conference. JACOBS andMUNRO. Conservation with Equity. Cité par HOLDAGTE, The Green Web Pp. 66,159.

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bre de l‘UICN, fondateur de la Fon-dation Pro Sierra de Santa Marta-, co-ordinateur de plusieurs événementsinternationaux sur la protection de labiodiversité et autoproclamé le repré-sentant de la société civile), passe outresur les dénonciations et la disparitionultérieure des représentants indigènesdu peuple Emberá dans le départementde Córdoba (Pernía, 1999) qui protes-taient pour leur expulsion et leur re-localisation forcée, conséquence de laconstruction du barrage de Urrá prèsdu Parc national de Paramillo.

Tout porte à croire aussi que lesanciens « conservationnistes » des an-nées soixante, maintenant au gouver-nement, sont ceux qui soutien avec leplus de force dans l´année 2000, desnouvelles formes d’intervention dansles Biodiversité, avec des grandes pro-jets de exploitation pétrolière, la miseen œuvre des politiques de fumigationchimique, dans les territoires peupléspar des communautés indigènes dansles forêts tropicales de l‘Amazonie etde l‘Orinoquie colombiens.

Un bon exemple de ces incohéren-ces le fournit le cas du projet d’ appli-cation du champignon Fusarium Oxys-porum (arme biologique) présenté parl‘Institut Alexander von Humboldt (Ins-titut colombien de recherche des res-sources biologiques) comme un moyen

d’éradiquer les arbustes de coca, le rem-placement du cannabis des annéessoixante-dix, présentée comme le fléaude la jeunesse nord-américaine.

Avec l’utilisation de ce champig-non modifié génétiquement qui permetd’envahir une plante, le sol et tout unécosystème, le département de la dé-fense et l’agriculture des Etats Unischerchaient à expérimenter une nouve-lle stratégie: de «contrôle biologique»,fruit de travaux de recherches menésaprès la Seconde guerre mondialed’abord par l‘URSS (Russie) puis parles Etats-Unis. La modification géné-tique de ce champignon serait d’ ai-lleurs brevetée par celui qui plus tardallait devenir le conseiller du minis-tère de l’agriculture des Etats-Unis,David Sands (Hammond 2001)18 .Avec l’appui du Programme des Na-tions Unies de Lutte contre les Dro-gues (UNDCP), on devait expérimen-ter l’utilisation de ce champignon pourl’éradication du pavot en Afghanistanet de la coca dans l‘Amazonie colom-bienne.

Tandis que la Colombie organisaitles réunions du Protocole sur la biosé-curité, le ministère de l’environnementpréparait le projet d’application de«contrôle biologique» pour l‘ Amazo-nie, inspiré par l‘UNDCP et la Secré-tariat d‘État des Etats-Unis Amazonie,

ACTEURS, SCÉNARIOSETDISCOURS: LA MOBILISATION EN RÉSEAUX DE LA BIODIVERSITÉ

18 Rapport presenté au forum sur “La guerra contra las drogas y el uso de agentesbiológicos” Universidad Andina Simón Bolívar, Quito. Cf. aussi Sunshine Project.www.sunshine-project.org. JIGW OOD Jeremy. La Guerra bioquímica contra loscultivos ilícitos: El caso del Fusarium. Dans: Erradicación forzosa y conflictos:acción andina. No. 4-Juillet 2001.Tercer Mundo Editores. Bogotá.

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jusqu’à ce que la pression nationale etinternationale et le Sénat colombien lesoblige à se rétracter19.

De telles incohérences amènentcertains à s’interroger sur les objectifsdes défenseurs de la conservation, leu-rs origines conceptuelles, les justifica-tions de leurs modes autonomes d’agiret de leur responsabilité quant auxeffets sur les droits fondamentaux dela population.

Cet exercice contrastait de manièreparadoxale avec l’attitude de quelquesscientifiques étrangers qui s’efforçaitde défendre, plus que n’importe quelcolombien, les écosystèmes des forêtsandines et se risquaient même à défen-dre les communautés indigènes etnoires du Cauca et du Pacifique. Cequi faisait dire à certains que l’on étaitarrivé en Colombie à un processus de«colombianisation» des conseillersinternationaux, puisqu’on a vu danscertains cas isolés des anciens fonc-tionnaires du gouvernement des Etats-Unis qui devenaient d’ardents défen-seurs des propositions des mouve-ments locaux de résistance et les ac-compagnaient dans leurs luttes pour laprotection des droits de l’homme. Ona même vu le cas d’un sénateur démo-crate nord-américain (Paul Wellstone)voyager au sud du département de

Bolívar et au Putumayo pour expéri-menter sur lui-même, les impacts desfumigations aériens de glyphosate.

La perspective de la «sympathiecritique du Sud» s’arrête quand l’ in-térêt pour la protection de l’ environ-nement des autres affecte économiqueet politiquement ses intérêts particu-liers. Cette attitude soutiens la péné-tration des corporations et entreprisesbiotechnologiques dans leurs territoireset en même temps dans les espaces dedécision de politique publique, tels queles comités de biosécurité.

Cela permet aider a comprendrecomment les contingents militaires etcomerciels américains reçoivent uneinvitation aimable pour occuper lesréserves des ressources stratégiquessituées sur les flancs des plaines del‘Orénoque et des forêts de l‘ Amazo-nie et du Pacifique. Quoiqu’il en soit,l’aide américaine est possible avec elleses formes de intervention grâce a lasympathie critique du Sud.

12. Les puissances de la

biodiversité lors du Sommet

de Rio de 1992

Le Sommet sur la Terre de Rio de1992 marque une nouvelle étape del’incursion officielle des gouverne-

19 Proyecto: Formas alternativas integrales y productivas de protección de la Biodi-versidad en las zonas afectadas por cultivos de coca y su erradicacion. (SINCHI etInstituto “Alexander von Humboldt” 2000) Il s’agit du projet pour la mise en placedu contrôle biologique dans l‘Amazonie colombienne que l’on a déjà mentionné.Ce projet prévoyait l’aspersion de Fusarium oxysporum, un champignon interdit enFloride à cause des impacts toxiques sur l’environnement et la santé humaine.

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ments des pays du Sud dans les confé-rences internationales sur l’ environ-nement, car ce sont eux qui paraissentdétenir la richesse naturelle, tandis queles autres (les pays du Nord) apparais-sent comme les pauvres, dépendant…de la diversité. Cependant, malgré lesapparences, le cadre dans lequel sedessine la diplomatie ne change pas lecadre de subordination des pays duSud. Avec les nouveaux schémas deressources financières des pays duNord à travers les systèmes de réparti-tion de bénéfices dans le nouveau com-merce de la biodiversité et du dévelo-ppement durable, on entre en effet dansle jeu de la «grande négociation» (TheBig Bargain) entre nouveaux langageset cadres cognitifs, élaborés d’avancepar les médiateurs internationaux, etde vielles revendications en faveur desociétés plus justes.

«La Conférence sur la biodiversi-té garantit le droit indéniable des paysen voie de développement à être lesusufruitiers des dividendes économi-ques de la biodiversité»

Les nobles propositions des paysdu Sud ont toujours figuré en bonneplace dans les préambules des Conven-tions. Mais cela n´a pas de véritablesignification par rapport aux résultatsdes Conventions. Il est toujours pos-sible de proclamer les meilleurs prin-cipes dans les préambules, tandisqu’on accepte exactement l’opposédans le reste des traités.

On peut certes se demander auprofit de qui la protection de la naturedevient à partir du Sommet de Rio un

problème de transactions économiquespour assurer les meilleures affairespossibles. Mais il est clair que, aprèsle consensus de Washington qui pous-se à restructurer les Etats «non capa-bles» et à privatiser les institutionspubliques, le moment est arrivé denégocier directement sur la biodiver-sité. Les analyses dites «structuralis-tes» du problème de l’environnementcomme un problème politique et so-cial, associé à une structure politiqueet économique d’exclusion et subor-donnée au mandat hégémonique, sontalors appelées à disparaître.

Désormais, la rencontre entre lessociétés de la différence et de la diver-sité et «ceux qui savent» formera lagrande communauté multiculturelle etinterdépendante qui, pour survivre, de-vra s’émanciper des vielles et fort abî-mées barrières nationales des «autres».

Mettre en évidence les problèmesdes castes, des cultures et des races in-férieures permettra de générer denouveaux acteurs qui, enfin, pourrontparticiper comme individus au grandmarché du grand contrat de la biodi-versité.

13. La politique domesti-

que des Etats-Unis pour la

protection de la biodiversi-

té globale: la sécurité natio-

nale et la défense de la pro-

priété intellectuelle.

Bien que des scientifiques notam-ment des États-Unis soient ceux quiproposèrent le «nouveau régime» de

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la biodiversité, ils mirent un an avantde signer la Convention sur la biodi-versité et jusqu’à présent (2003) refu-sent de la ratifier, sans que cela signi-fie qu’ils n’y participent pas en tant quemédiateurs.

On a vu comment le forum scienti-fique ou si l’on veut en termes de Haas,«la communauté épistémique» forméepar les biologistes, les écologistes et leséconomistes ont construit les bases pourl’apparition d’un nouveau régime deprotection de la biodiversité à partir del’idée de la perte progressive d’espèceset d’ habitats sur la Planète. On a vuaussi comment ce forum où participentdes scientifiques du W RI, de l‘UICNet du W W F, auteurs de la Stratégie glo-bale de la biodiversité, joue un rôle im-portant dans la construction nationalede la décision politique grâce àl’influence d’une communauté demembres, «les experts», dans les com-munautés de politiques publiques.

Mais, les niveaux forts élevésd’incertitude scientifique que présen-te la biodiversité constituent un para-doxe, encore dix ans après Rio 1992.La profondeur et la signification duproblème n´est pas encore complète-ment compris. On recourant à unemétaphore, on pourrait dire que lacommunauté épistémique malgré tousses efforts pour constituer une arènede négociation, un agenda global, con-tinue d’ouvrir la boîte de Pandore.Néanmoins, les diverses interprétatio-ns et les différents niveaux d’analysen’empêchent pas la construction d’unnouveau régime de conservation. Le

texte préparé par l’équipe de l‘UICNet W W F avec l’appui du Groupe adhoc dans le cadre du PNUE a survécu,malgré d’importantes réformes, à lanégociation du traité et principes etobligations fondamentales s’y main-tiennent au moment de la signature des178 gouvernements.

Cependant, bien que sa fonctionsoit d’orienter les gouvernementsquant aux formes d’aborder le problè-me et d’orienter la politique, Raustia-la note que, curieusement, ce n’est pasce qui a servi pour orienter la positiondes États-Unis. Il existe certes diver-ses interprétations possibles de cetteaffirmation de Raustiala, mais il estcertain que dans le lobby avec legouvernement de Etats-Unis, grandepartie du «langage de l‘UICN» n’étaitplus utilisé quand les négociationstouchaient le terrain des négociationsdes firmes privées.

Quand les experts touchaient lethème de affaiblir les droits de la pro-priété intellectuelle et la nécessitéqu’exprimaient les pays du Sud departiciper de manière équitable dansle commerce des ressources, thèmesque certains jugeaient comme «péri-phériques» à celui de la conservation,leur influence dans le gouvernementétait minime. Mais quand il s’agissaitde réaliser des actions de lobby pourque les Etats-Unis signent le traitél’année suivante, ces mêmes expertsétaient effectivement écoutés parl’administration Clinton.

On pourrait dire qu’une fois con-venu avec les groupes industriels ce

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que devait être l’objet de la CDB, lePrésident pouvait respecter à la lettreles énoncés environnementaux «ambi-gus» sans affecter les intérêts oul’emploi des américains. A l’initiativedu secteur privé, un groupe de travaild‘ONG et de firmes biotechnologiqueset pharmaceutiques, y incluses Merck,Genentech et W RI, est créé en 1993pour discuter de divers aspects de lan-gage utilisé dans le traité. Ce groupe,après avoir évalué le système interpré-tatif en partant des intérêts des Etats-Unis, finit par se convaincre que laconvention était «sûre» pour les com-pagnies (ou tout au moins n’était pasdangereuse pour leurs bénéfices) etque la signature des Etats-Unis étaitessentielle.

En août de cette même année, leprésident Clinton décide donc de sig-ner la Convention, tandis qu’un groupeintersectoriel précisait que le traitén’impliquait aucun changement dansla législation des Etats-Unis et pouvaitdonc être mis en place dans le cadredes programmes existants20. Pour cer-tains, l’importance de cette commun-auté épistémique de biologistes,d’écologistes et de juristes environne-mentalistes résidait dans la nécessitéde permettre une concertation des in-térêts des États-Unis et de ceux « dureste du Monde » dans un traité glo-bal pour éviter l’extinction des espè-ces, dans une arène de négociation qui

facilite la création d’une conventioninternationale, la CDB.

Le fait que les États-Unis en tantque pays à l’origine de la source épis-témique de la CDB se refusent à la ra-tifier ne signifie pas que la conventionne bénéficie ni à eux ni aux intérêts dusecteur privé. En réalité, on trouve detout dans les articles de la Convention,même la protection de l’emploi desaméricains. Cependant, il faut biencomprendre pourquoi à Rio, commele dit le président Bush père:

«Le leadership exige souventd être seul (Raustiala: 1997)21».

«Etre seul» ne signifiait pas néces-sairement s’isoler du processus. Bienau contraire, cela signifiait participerd’une manière active au lobby bilaté-ral des processus de négociation auxcôtés de pays comme la Suisse, laGrande Bretagne et le Canada et éga-lement de la «communauté épistémi-que» elle-même. De la même manière,l’équipe d’appui de la Grande Bretag-ne, constituée par le W W F, le KewBotanical Gardens, Imperial Chemi-cal Industries et the Congress of Bri-tish Industries, cherchait à avoir uneincidence sur les positions des pays envoie de développement et à obtenir untexte final qui soit plus avantageuxpour les emplois des américains, desanglais et des canadiens mais surtoutdu secteur privé.

20 RAUSTIALA KAL The US Response to the global biodiversity loss. Dans: Globalbiodiversity protection in the United Kingdom and the United States. Pp. 52.

21 RAUSTIALA Op. Cit. Pp50.

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Par ailleurs, les Etats-Unis appu-yaient l’identification et le suivi desressources biologiques et la promotionde la conservation in situ et ex situ, cequi signifiait l’extension d’une expé-rience très importante de leur politi-que de conservation in situ, sanscompter que les banques de ressourcesgénétiques provenant de zones tropica-les les plus importants se trouvaient surleur territoire. D’autres thèmes «enmarge» de la biodiversité touchaienteux aussi la substantifique moelle desintérêts des entreprises de biotechno-logie, des firmes individuelles et desassociations d’industriels comme voixprédominantes du processus politique.Des thèmes comme l’affaiblissementdes droits de propriété intellectuellesur les innovations et les procéduresde la biotechnologie, une obligationpossible de transfert de technologievers les pays du Sud et la régulationde la biodiversité applicable aux res-sources dérivées de cette technologieétaient des thèmes sur lesquels onn’avait pas l’intention de céder, ce quiamena à dilater et à intensifier le pro-cessus de négociation. Pour les Etats-Unis, ce qui résulta de toutes ses dis-cussions est un traité incomplet quitraitait trop de thèmes d’une manièreinsatisfaisante pour tous les partici-pants, comme le montre bien ce dialo-gue entre la presse et la délégation desEtats-Unis lors de la CNUED

Question d’un journaliste non iden-tifié:

«Je voulais juste vous interrogersur l’attitude réelle du gouvernement

des Etats-Unis face à ce Sommet. Ici,votre délégation a vraiment été fortconstructive, tandis qu’à Washington,les fonctionnaires de l’administrationne parlent pas avec les journalistes etqualifient tout ce qui se passe ici com-me “un cirque”… Laquelle des deuxapproches représente la position rée-lle des États-Unis face à cette confé-rence?»

Réponse de Michael Young, Sous-secrétaire adjoint pour les affaires éco-nomiques du Département d‘État desEtats-Unis:

«Cirque n’est pas péjoratif. J’ es-time, nous estimons que c’est la ma-nière la plus aimable…»” (Raustiala:1997).

14. Libéralisme et sécu-

rité: la stratégie globale de

la biodiversité

Bien qu’après le Sommet de Rioon note un certain changement dans lastructure organisationnelle de la domi-nation de l’approche bioéconomiquedans l’écologie de systèmes, on peutdire que ce qui se renforce c’est uneattitude economique-commercielquant à la nature comme manière dejustifier l’intervention de entreprisessur les ressources de la Terre.

Jamison signale trois manières grâ-ce auxquelles les Etats-Unis donnentsa forme d’expression culturelle et ins-titutionnelle à l’école dite de «l’ éco-logie de systèmes». Tout d’abord, avecl’industrialisation de la science etl’influence de l’organisation industrie-

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lle qui permet de voir l’écologie com-me une ingénierie technique et socia-le; ensuite, avec la capacité et la po-pularité des Etats-Unis quand il s’agitde développer des technologies infor-matiques de modèles mathématiquesappliqués au processus naturels et en-fin, avec la tradition américaine decombiner l’influence de l’ère utilita-riste de la préservation avec la tradi-tion des années Trente quant à la pla-nification régionale, ce qui facilitait ledéveloppement d’une écologie quipermette la gestion et le contrôle en-vironnementaux sur une grande éche-lle (Rutherford, 2000)

A partir de là, les Etats-Unis vontdonc traduire leur nouveau cadre glo-bal institutionnel et culturel pour lemonde. La notion elle-même d’ envi-ronnement exprime d’ailleurs une pro-blématique développée par des scien-tifiques spécialistes du discours del’écologie.

Ce discours fournit ce que Rose etMuller (1992) appelèrent «la machi-nerie intellectuelle de l’ environne-ment» qui structure d’abord le champnormatif et institutionnel dans lequelles gouvernements et les programmesse retrouvent publiquement, de mêmeque leurs résultats. Ils fixent ainsi unetechnologie gouvernementale quioriente et qui «problématise» l’ am-biance dans laquelle on construira lesnormes juridiques avec la justificationtrès générale du bien-être et de la sé-

curité de l’humanité (de la populationdes Etats-Unis), ce qui donne une ra-tionalité écologique et permet l’autocontrôle et la régulation externe.

Dans cette perspective, les groupesd’intérêt doivent guider le gouverne-ment. C’est pour cette raison que lelibéralisme s’oppose à l’idée que legouvernement oriente et régule les ac-tivités privées car il n’a pas connais-sance de tout et doit donc se laisserguider par elles.

Dans une relation entre connais-sance et gouvernement, l’économieassume une grande autonomie, loin desnécessités de l‘État, ce qui dissoutl’unité entre connaissance et gouver-nement, entre le forum politique et leforum scientifique ce qui provoquel’inversion de l’équation «à régulationmaximale, effectivité du gouvernementelle aussi maximale». Il en résulte unenouvelle relation entre gouvernementet connaissance, une nouvelle «raisongouvernementale dans une configura-tion politico systémique à la foisnouvelle, compliquée et instable» 22 .

Cette machinerie intellectuelle re-produit, à travers des médiateurs com-me le W W F, conseillers de politiqueauprès des gouvernements, une trans-lation de langages, de cultures et deformes de «diminuer la taille desÉtats», remplacés alors par des firmes«plus légitimes» qui entrent en contactdirect avec les communautés localesdans le cadre de ce que Ellinor Ors-

22 COLIN GORDON cité par RUTHERFORD 1991 The entry of life into history. Pp.49.

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tom appellerait «l’action collective».C’est dans ce cadre que se construit lediscours de la participation, dans unenouvelle forme d’objectivisation dugouvernement en accord avec la glo-balisation.

Lors du quatrième congrès mondialdes Parcs nationaux en 1992, le W W Festimait déjà que: «les approches pourréconcilier les besoins des populatio-ns locales avec les zones protégées ontété des approches “de haut en bas”, quine prennent pas en compte les besoinsdes communautés locales, argumentque les communautés indigènes bran-dissent depuis la Conquête. La straté-gie est toujours de “les appuyer” pour“ les éduquer” et “les intégrer” plusque de les laisser participer».

Cette «découverte» que l’on défen-dait depuis la réunion de Caracas dansles années cinquante est maintenantinstitutionnalisée dans la manière donton légitime le discours du développe-ment durable dans les processus decoopération internationale entre leNord et le Sud. Dorénavant, on expri-mera ainsi la participation dans la lé-gitimation du mandat du développe-ment durable :

«Les nations et les peuples qui dé-pendent de la diversité biologique do-ivent, pour leur bien-être économique,veiller à ce que les intérêts économi-ques servent à un “développementdurable”qui évite la perte des espè-ces»23

La nécessité d’inscrire cette socié-té de réseau dans la structure écono-mique s’exprime donc dans l’appel quel’on lance pour s’assurer que les ré-seaux globaux incluent toute la struc-ture de la société (en particulier, lespeuples indigènes et locaux) et intera-gissent avec les organisationsglobales (scientifiques et des entrepri-ses) à travers un système d’informationglobal qui ait une couverture de tousles écosystèmes, depuis une structuremoléculaire jusqu’à l’ensemble plané-taire de la biosphère.

15. A manière de conclu-

sion: Le Forum de la commu-

nauté de politique publique:

Etats, experts et marchés:

politiques globales et poli-

tiques domestiques

Le forum de la communauté depolitiques publiques est constitué dediverses catégories de champs ou desous univers de sens. C’est aussi enmême temps un champ de forces dotéd’une structure, d’un champ de luttespour conserver ou pour transformer cechamp de forces Les communautésépistémiques (de scientifiques ou de«savants»), les États et les firmes mul-tinationales créent par leurs relationsdans le Forum de la politique de la bio-diversité l’espace même qui les défi-nit, et que n’existe que grâce auxchamps qui s’y trouvent placés et «qui

23 STRONG Maurice. Bulletin de l‘UICN, 1992. Cité par HOLDGATE, The GreenWeb, Op.Cit, p.

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déforment l’espace» à leur voisinageen conférant une certaine structure derelations.

C’est dans la relation entre diffé-rentes visions de monde que s’ engen-dre le champ scientifique, politique,économique, culturel. Le rapport deforces qui le caractérise est un «rapportde forces spécifique, proprement sym-bolique, étant donné la nature de laforce capable de s’exercer dans cechamp, espèce de capital symbolique»(Bourdieu, 2001) qui agit dans la com-munication et la négociation. Le poidsassocié a un acteur comme par exem-ple un État comme les Etats Unies etses alliés, qui subit le champ politiqueen même temps qu’il contribue à lestructurer, dépend de sa position rela-tive envers les autres États dans unespace de rapports de force.

La force attachée à un group d´acteurs (États, communautés scienti-fiques, firmes, communautés locales)dépend de ses différents atouts, de fac-teurs différentiels de succès que peutlui assurer un avantage, c’est-à-dire duvolume et de la structure du capital dedifférents types qu’il possède. Si lecapital scientifique est une espèce par-ticulière de capital symbolique, fondésur la reconnaissance et la connaissan-ce, la structure de la distribution ducapital détermine la structure duchamp. Or la structure de la distribu-tion du champ détermine le rapport deforces entre différents agents scienti-

fiques dans le grand champ ou forumde politiques publiques. La maîtrised’une quantité importante de capitalpar un État lui confère un pouvoir surle champ, y compris sur les agentsmoins dotés de capital (États non dé-veloppés ou faibles technologique-ment), et commande la distribution dechances de profit. La structure duchamp politique définie par la distri-bution inégale de capital symboliquepèse, en dehors de toute interactiondirecte, intervention ou manipulation,sur l’ensemble des acteurs, restreig-nant plus o moins le nombre de placespossibles dans le forum, c’est à diredans cette distribution.

Le champ de la biodiversité consti-tue un champ des forces dont les rappor-ts entre des acteurs déterminent la struc-ture de sens. En conséquence, c’est àl’intérieur de ce forum de négociationque la politique est construite. Pourtant,la politique comme on l’a vu n’est pasun politique entièrement globale. Onpeut démontrer comment des courants,ou lignes de politiques liés à des pro-cessus domestiques, affectent l’ orien-tation des politiques globales, qui à leurtour se traduisent par des politiques sec-torielles dans les pays du Tiersmonde. Un exemple c´est la Conven-tion sur la biodiversité, née des centresépistémiques provenant des Etats-Unisnotamment, et implanté comme Politi-que de la protection de la biodiversitédans les pays du Sud.

24 (LASCOUMES Pierre, 1997 : 77) « Les récits d’environnement, un patchwork malcousu » dans L’éco pouvoir.

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A l’intérieur des Etats, les acteursimpliqués dans ces représentationssont de divers types et s’y mêlent lesexperts liés au Centre d’informationinternational, les décideurs politiques,et la société civile (Lascoumes, Pie-rre, 1997: 77)24 . Les premiers, les ex-perts et les scientifiques, ont une lec-ture «scientifique» qui sert de pointd’appui à leurs diagnostics. Chaqueprotagoniste politique a ses experts (is-sus de l‘Institut Alexander Von Hum-boldt, le Ministère de l´ Environne-ment, les Universités) qui, à certainmoment, s’affrontent aux «expertsmédiatiques», aux ONG et aux repré-sentants des communautés ethniques.

Dans le cas de la Colombie, cesexperts appartiennent aux institutionsnationales de recherche scientifiqueconstamment en rapport avec les com-munautés scientifiques des Etats-Unis.

A niveau international, les commu-nautés scientifiques appartenant auxONG (W RI, UICN et W W F), les Jar-dins botaniques (The Royal Botani-cal Gardens Kew, The New York Bo-tanical Garden et The Missouri Bota-nical Garden), les Universités de Har-vard et de Californie, le CambridgeMonitor Centre comptent une majori-té de membres des Etats-Unis et deGrande Bretagne partagent des pers-pectives similaires et conseillent lesgouvernements du sud, dans une né-gociation en apparence globale25.

Le deuxième groupe d’acteurs sontles hommes politiques représentants dechaque Etat, divisées en deux catégo-ries: les applicateurs (avocats), char-gés de la mise en œuvre des réglemen-tations, et les négociateurs (économis-tes), qui, conseillés par les scientifi-ques, participent aux négociations glo-bales.

Les applicateurs dans leurs dis-cours mettent l’accent sur les défautsde cohérence et les déficits d’ applica-tion de leurs décisions. Les négocia-teurs, soulignent dans leurs interven-tions les dilemmes d’action dans les-quels ils sont pris et les effets négatifsde ces contradictions.

Le troisième groupe, celui de lasociété civile, inclut le mouvementenvironnementaliste local, et les délé-gués des groups autochtones (commu-nautés afro-américaines et indiennes).Ces mouvements comprennent diverspositionnements politiques, et partici-pent dans le forum de la politique pu-blique comme porte-parole de la so-ciété civile et ONG locales, et commeconseillers des fonctionnaires publi-ques. Parmi les groupes autochtones,certains se présentent comme issus desformes globales émergentes et d’autrescomme issus des formes localisées desocialisation contestataires.

Quelques-uns enfin apparaissentcomme des représentants des peuplesindigènes du monde, en étant soute-

25 C’est le cas par exemple de Martin Holdgate, chef de l‘UICN, et citoyen anglais, trèsproche du gouvernement de l’époque. Cf. RAUSTIALA Karl. Op. cit. P.52. La po-sition anglaise, très éloignée de celle de l‘Union européenne dans les négociations

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nus par des ONG globales (IndigentsPeoples Biodiversity Network ouIPBN,) ou encore, s’expriment en tantque délégués des organisations histori-quement localisées (ONIC, Organi-sation nationale indienne de Colombie).

Chaque constellation d’acteurs ex-prime un récit particulier dans le fo-rum de politiques publiques. En mêmetemps, ils partagent une même appro-che, celle de la pertinence de la politi-que de la biodiversité. Dans le cas pré-cis de l’accès aux ressources généti-ques, la légitimité pragmatique de cetteapproche s’appuie sur la capacité deproduire des résultats tangibles tels quedes ressources économiques supplé-mentaires, une délimitation de terri-toire, ou encore des accords cadres deprotection de la propriété individuelleou collective.

Mais cette vision du monde par-tagée est fortement liée aussi aux po-sitions dérivées du contexte des ra-pports internationaux dans la construc-tion du cadre global.

En effet, les politiques domestiquesdes États hégémoniques quant à la pré-servation de la biodiversité globales’imposent lors de la négociation in-ternationale quand ils défendent la sé-

curité nationale et la propriété intellec-tuelle des entreprises privés. Par ailleu-rs, les politiques de protection de labiodiversité domestique dans les payssubordonnés sont orientés vers le con-trol et la facilitation de l’accès aux res-sources et connaissances, la défense dedu droit en tant que pays d´ origine encherchant une «juste» distribution desbénéfices économiques.

Les groupes sociaux autochtonesémergeants devenus d’un jour à l’autreles propriétaires des biens collectivesde la planète hésitent entre une négo-ciation monétaire plus «juste» avec lesentreprises biotechnologiques et la né-gation de tout forme de commerce etde propriété sur ces connaissances tra-ditionnelles. Dans cette médiation en-tre marchés et communautés, quel estdonc devenu le rôle de l‘Etat dans lespays « méga divers », considéré com-me le principal détenteur du patrimoi-ne national cultural et biologique?

Ce qui est évidente, c´est que dansun système international inégal depouvoir, qui n’impose pas la mêmeperte d’autonomie à tous les paysl’émergence des nouveaux acteurstransnationaux consolide la voie d’une«gouvernance sans gouvernement».

sur la biodiversité, a toujours été beaucoup plus poche de celle des Etats-Unis, bienqu’il n’y existe pas une industrie biotechnologique aussi développée. Mais la com-munauté épistémique des scientifiques (Cambridge Monitoring Centers et Kew gar-dens), des entreprises privées (Imperial Chemical Industries, the Congress of Bri-tish Industries) et des organisations environnementales comme World Wild Fund forNature en Grande Bretagne participent activement à la préparation des documents etde l’organisation de chaque Conférence des parties prenantes de la Convention surla biodiversité.

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