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L’enseignement de l’éducation physique comme « action située » : propositions pour une approche d’anthropologie cognitive Nathalie Gal-Petitfaux 1 et Marc Durand 2 1 Université Clermont-Ferrand II, UFR-STAPS, Laboratoire d’Anthropologie des Pratiques Corporelles 2 Université de Montpellier 2, IUFM, Groupe ESTEREL Résumé Ce texte présente une approche anthropologique de l’enseignement de l’Education Physique. Il propose un cadre conceptuel et quelques résultats d’études susceptibles d’illus- trer les dimensions principales de ce cadre. L’action est envisagée comme une « action située », possédant des propriétés d’auto-organisation. Cinq propriétés de l’action de l’ensei- gnant sont présentées : 1) la co-détermination de l’action et de la situation : la situation est construite par l’acteur et n’a pas d’existence indépendante de son action ; 2) la construction de significations dans l’action : l’action est organisée en unités de significations construites in situ ; 3) les objets comme artefacts cognitifs : l’action est un accomplissement en contexte et l’enseignant utilise les objets comme des « ressources pour l’action » ; 4) l’organisation de l’action de l’enseignant par couplage avec l’action des élèves : l’enseignant organise son temps et son espace de travail ; en retour, cet arrangement spatial lui offre des ressources pour agir et définit la structuration temporelle et spatiale de son action ; 5) l’organisation de l’ac- tion et les structures archétypes : l’action présente un caractère cyclique et répétitif. Mots-clés : action « située », signification, enseignement, éducation physique, anthropologie cognitive. Physical Education teaching as a « situated action » : A framework suggestion for a cognitive anthropology approach Abstract This paper presents an anthropological approach to PE teaching. It proposes a conceptual framework, and illustrates some of its principal dimensions based on results of empirical studies. The action is viewed as a « situated action », having self-organizing properties. Five features of situated action are presented : 1) the action-situation coupling : the situation is constructed by the actor and has no existence outside of the action he or she produces ; 2) the meaning-building activity : action is organized as a chain of mea- ningful units which are built in situ ; 3) the objects as cognitive artifacts : action is an accomplishment that takes place in a context and the teacher uses the objects as « action resource » ; 4) the teacher’s action orga- nization coupled to the students action : the teacher defines a working space and time which in return pro- vides himself or herself resources for action and defines the spatial and temporal action structuring ; 5) the organization of actions and the archetypical sequences : the action is cyclical and repetitive. Key-words : situated action, signifiance, teaching, physical education, cognitive anthropology. STAPS, 2001, 55, 79-100 RAPPORT DE RECHERCHE

Actions, significations et apprentissages en EPS - L ......recherches en anthropologie cognitive des activités de travail (Theureau, 1992), le rapport intentionnel de l’acteur au

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L’enseignement de l’éducation physique comme« action située » : propositions pour une approche

d’anthropologie cognitive

Nathalie Gal-Petitfaux1 et Marc Durand2

1Université Clermont-Ferrand II, UFR-STAPS,Laboratoire d’Anthropologie des Pratiques Corporelles

2Université de Montpellier 2, IUFM, Groupe ESTEREL

RésuméCe texte présente une approche anthropologique de l’enseignement de l’Education

Physique. Il propose un cadre conceptuel et quelques résultats d’études susceptibles d’illus-trer les dimensions principales de ce cadre. L’action est envisagée comme une « actionsituée », possédant des propriétés d’auto-organisation. Cinq propriétés de l’action de l’ensei-gnant sont présentées : 1) la co-détermination de l’action et de la situation : la situation estconstruite par l’acteur et n’a pas d’existence indépendante de son action ; 2) la constructionde significations dans l’action : l’action est organisée en unités de significations construites insitu ; 3) les objets comme artefacts cognitifs : l’action est un accomplissement en contexte etl’enseignant utilise les objets comme des « ressources pour l’action » ; 4) l’organisation del’action de l’enseignant par couplage avec l’action des élèves : l’enseignant organise sontemps et son espace de travail ; en retour, cet arrangement spatial lui offre des ressources pouragir et définit la structuration temporelle et spatiale de son action ; 5) l’organisation de l’ac-tion et les structures archétypes : l’action présente un caractère cyclique et répétitif.

Mots-clés :action « située », signification, enseignement, éducation physique, anthropologie cognitive.

Physical Education teaching as a « situated action » :A framework suggestion for a cognitive anthropology approach

AbstractThis paper presents an anthropological approach to PE teaching. It proposes a conceptual framework,

and illustrates some of its principal dimensions based on results of empirical studies. The action is viewedas a « situated action », having self-organizing properties. Five features of situated action are presented :1) the action-situation coupling : the situation is constructed by the actor and has no existence outside ofthe action he or she produces ; 2) the meaning-building activity : action is organized as a chain of mea-ningful units which are built in situ; 3) the objects as cognitive artifacts : action is an accomplishment thattakes place in a context and the teacher uses the objects as « action resource » ; 4) the teacher’s action orga-nization coupled to the students action : the teacher defines a working space and time which in return pro-vides himself or herself resources for action and defines the spatial and temporal action structuring ; 5) theorganization of actions and the archetypical sequences : the action is cyclical and repetitive.

Key-words : situated action, signifiance, teaching, physical education, cognitive anthropology.

STAPS, 2001, 55, 79-100

RAPPORT DE RECHERCHE

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Cet article présente quelques possibili-tés d’exploitation d’un programme derecherche récent en sciences humaines etsociales, dit de « l’action située » ou« cognition située »1, dans le cadre del’analyse de l’enseignement del’Education Physique (EP). Plus précisé-ment, certains concepts clés de ce pro-gramme sont explicités et illustrés à partird’extraits provenant d’un observatoire del’action d’enseignants au travail (ESTE-REL, IUFM Montpellier 2).

Le programme de « l’action située » estau carrefour de la sociologie de l’action, del’anthropologie, des sciences de la cogni-tion et du langage. En dépit de cette diver-sité, deux convictions réunissent l’en-semble des chercheurs. D’une part, uneaction humaine est un accomplissementpratique, singulier, situé socialement et cul-turellement. D’autre part, l’activité cogni-tive mobilisée dans et par cette action a unespécificité contextuelle : elle est incompré-hensible hors contexte et doit être étudiée« en situation » (Dreyfus, 1984 ; Hutchins,1995 ; Lave, 1988 ; Suchman, 1987 ;Winograd et Florès, 1989). Ce programmerejoint ainsi une tradition de recherchefrancophone qui s’est, de longue date,donné pour objectif l’analyse du « travailréel » ou de l’activité au travail (Amalberti,Montmollin et Theureau, 1991 ; Durand,1996 ; Leplat, 1997 ; Ombredane etFaverge, 1955). L’action est considéréecomme une intervention dans le but demodifier un état de choses ; cette interven-tion consiste, soit à initier une transforma-tion, soit à arrêter une transformation encours, soit à empêcher une transformationqui risquerait de se produire si on n’inter-venait pas (Montmollin, 1995). Dans le

cadre de l’enseignement de l’EP, l’actionétudiée est l’action réellement accompliepar l’enseignant, c’est-à-dire la relationpragmatique qu’il entretient avec lecontexte spatial, temporel et social de laclasse. Conjointement à cette nécessitépragmatique d’intervention sur le monde,répondant à un principe d’économie cogni-tive (Dubois, Fleury et Mazet, 1993), l’ac-tivité de travail est une activité cognitive deproduction de signification. Un processusde donation de sens est couplé à l’accom-plissement même de l’action, dont ilémerge. Il désigne, selon l’option phéno-ménologique (Husserl, 1950 ; Isambert,1993 ; Schütz, 1987) adoptée par certainesrecherches en anthropologie cognitive desactivités de travail (Theureau, 1992), lerapport intentionnel de l’acteur au monde :la cognition en action est le processus men-tal par lequel l’acteur construit, dans et parl’action, une signification personnelle de lasituation qu’il vit. Penser n’est pas compu-ter à partir d’une syntaxe sur des symbolesphysiques, mais construire des significa-tions (Dreyfus, 1984 ; Varela, 1989 ;Winograd et Florès, 1989).

Nous proposons d’analyser l’activité detravail des enseignants au niveau où elle estsignificative pour l’acteur, c’est-à-dire auniveau où « elle est montrable, racontableet commentable par lui à tout instant de sondéroulement à un observateur-interlocu-teur » (Theureau et Jeffroy, 1994, p. 19).Nous nous référons au cadre d’analysesémiologique de l’action (Pinski, 1992 ;Theureau, 1992 ; Theureau et Jeffroy,1994). La définition de l’objet théorique du« cours d’action » repose sur le postulatque le niveau de l’activité qui est racon-table par l’acteur est un niveau d’organisa-

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1. Nous utiliserons sans distinction les notions d’ « action située » et de « cognition située ». Ce choix s’ex-plique par le fait qu’il existe deux traditions de recherche présentant actuellement des convergences importantes :une tradition sociologique et ethnnométhodologique ; une tradition psychologique et d’intelligence artificielle. Lapremière repose sur le paradigme de l’ « action située », terme introduit par Suchman (1987). Elle met l’accent surla « logique des situations sociales » : chaque cours d’action dépend de façon essentielle des circonstances sociales,et l’organisation de l’action est conçue comme un système émergent in situ de la dynamique des interactions(Conein et Jacopin, 1993 ; Lave, 1988). La seconde repose sur le paradigme de la « cognition située ». Elle traitede la relation entre contexte et cognition ; elle met l’accent sur le caractère social et distribué de la cognition et surla singularité des raisonnements pratiques (Hutchins, 1995 ; Kirsh, 1991 ; Norman, 1993). L’ensemble desrecherches défend l’idée d’une pragmatique de l’action et de la cognition : celles-ci se définissent mutuellementl’une et l’autre, par couplage. De ce fait, il n’y a pas de pertinence à distinguer la cognition et l’action.

2. Le programme de recherche de l’équipe ESTEREL porte sur une approche anthropologique des situationsde formation et d’enseignement ». Il vise à décrire : 1) l’organisation spatio-temporelle et la signification des situa-tions de formation et d’enseignement étudiées, 2) les facteurs susceptibles d’influencer cette organisation et cettesignification, et leurs effets.

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tion relativement autonome par rapport àd’autres niveaux d’analyse de l’activité etqu’il peut faire l’objet d’observations, dedescriptions et d’explications valides(Theureau, 1992). Ainsi, une approche dite« située » de l’action des enseignants(Brown, Collins & Duguid, 1989 ; Durand,1998a, 1998b, 2000a ; Rovegno, 1994)peut être qualifiée selon cinq traits princi-paux : a) la co-détermination de l’action etde la situation, b) la construction de signi-fications pour l’action, c) le rôle des objetscomme artefacts cognitifs, d) la configura-tion de l’action par couplage avec l’actiondes élèves, e) les structures archétypes dansl’organisation de l’action.

Nous développons chacun de cestraits, en les illustrant par des extraits decomptes rendus de recherche portant surdes leçons d’Education Physique enAthlétisme, Badminton, Gymnastique etNatation. Ces matériaux empiriques pro-viennent de protocoles de recueil de deuxtypes de données : a) des données d’ob-servation et d’enregistrement des actionsde l’enseignant et des élèves pendant laclasse, à l’aide d’un caméscope couplé àun micro HF fixé sur l’enseignant ; b) desdonnées d’auto-confrontation issues d’en-tretiens consécutifs à la leçon : les ensei-gnants étaient confrontés à l’enregistre-ment de leur leçon et ils étaient invités àcommenter le déroulement de leursactions, en explicitant ce qu’ils faisaient,ce à quoi ils pensaient, ce qu’ils perce-vaient, ce qu’ils ressentaient. Le traite-ment des données a consisté en deuxétapes : faire une description ethnogra-phique des actions et communications del’enseignant et des élèves pendant laclasse ; mettre en vis-à-vis ces descrip-tions de l’action et les verbatim de l’auto-confrontation, afin de reconstruire latrame événementielle de l’action auniveau où elle est significative pour l’ac-teur. Plusieurs travaux rendent compted’une présentation détaillée de cetteméthode dans le domaine de l’enseigne-ment (Durand, 2000 ; Flavier, Bertone,Méard et Durand, soumis ; Gal-Petitfaux,2000 ; Hauw, Flavier et Durand, 1999 ;Pérez, 1999 ; Ria, Saury, Sève et Durand,soumis) et dans le domaine de l’entraîne-ment (Saury, Durand et Theureau, 1997 ;Saury, 1998 ; Sève et Durand, 1999).

1. LA CO-DETERMINATIONDE L’ACTION ET DE LA SITUATION

L’action est toujours un accomplisse-ment contextualisé, et porte l’empreinte ducontexte physique et social dans lequel elles’inscrit. En plus de l’inscription dans uncontexte singulier, plusieurs chercheursavancent l’idée d’une élaboration mutuellede l’action et de la situation (Suchman,1987 ; Varela, 1989). En tant qu’expériencevécue, une situation n’est pas un« donné » : elle est construite par l’acteur etn’a pas d’existence indépendante de sonaction. L’action et la situation se définis-sent l’une l’autre dans un processus circu-laire. Ce couplage action - situation lors-qu’il est viable (c’est-à-dire pérenne)identifie un type d’action particulier et danscertains cas, un travail.

Deux épisodes illustrent cette notion deco-définition (Durand, 1998b). Ils concer-nent un enseignant d’Education Physiquequi a animé deux leçons de Gymnastiqueavec la même classe de 5e, comprenant 27élèves. Ces deux leçons étaient séparéesd’une semaine. Les objectifs étaient dans lesdeux cas de faire découvrir et répéter deséléments gymniques que les élèves allaientensuite lier en un enchaînement, pour le pré-senter au cours de la séance d’évaluation ter-minale. Chaque leçon a débuté par unephase d’organisation du temps et de l’espacede travail, après quoi prenait place la phased’interaction pédagogique proprement dite.

Au cours de la Leçon n° 1, le professeura installé quatre ateliers aux coins du gym-nase, et proposé aux élèves d’apprendre deséléments différents dans chacun d’eux. Laclasse était divisée en quatre groupesd’élèves, constitués au début du trimestre,qui ont opéré une rotation à raison de 20 à25 minutes par atelier. Le professeur s’estlui-même déplacé : il est demeuré deux àtrois minutes dans chaque atelier, rappelantles consignes et délivrant des instructionscomplémentaires. Il a réalisé quatre foisdeux rotations complètes au cours de laleçon de 90 minutes. Il est resté auprès dechaque groupe d’élèves à deux reprises àchaque atelier et huit fois sur l’ensemble dela leçon. Ses interactions verbales avec lesélèves ont été réparties comme suit : 27 %du temps total d’interaction en direction dela classe, 48 % vers les groupes et 25 %

L’ENSEIGNEMENT DE L’EDUCATION PHYSIQUE COMME « ACTION SITUEE » 81

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vers des élèves individuellement. Lesquatre groupes d’élèves ont été en contactdirect avec le professeur pendant des duréesanalogues : de 22 % à 27 % du temps totald’interaction (ils ont travaillé en l’absencede supervision durant 73 % à 78 % dutemps). L’ordre dans lequel l’enseignants’est adressé aux différents groupes étaitprévisible : il était directement lié au sens deson déplacement dans le gymnase. Demême il ne s’adressait en particulier qu’auxélèves de l’atelier qu’il visitait. Seuls 12élèves sur 27 ont eu au moins une interac-tion individualisée avec le professeur.

Au cours de la Leçon n° 2, le professeura installé quatre ateliers en parallèle, sur unemême ligne, et proposé à tous les élèves,répartis dans les quatre mêmes groupes,d’apprendre des éléments gymniques iden-tiques pour tous. Il a demandé aux élèves deréaliser les exercices un à un, en attendantleur tour derrière les tapis. Il se déplaçait enallers et retours devant les tapis, interagissantde façon quasi-permanente avec les élèves.Durant cette Leçon, 37 % du temps d’inter-action a été consacré par le professeur à laclasse entière, 18 % à des groupes et 45 % àdes élèves individuellement. Le temps totald’interaction était différent selon les groupes.Il a été de 22 % avec le Groupe 1, 40 % avecle Groupe 2, 30 % avec le Groupe 3 et 8 %avec le Groupe 4. Au total, 22 élèves sur 27ont eu au moins une interaction directe avecle professeur. Les deux groupes du centre ontété visités plus souvent que les deux groupesaux extrémités de la ligne, cela en raisonmême du dispositif spatial adopté : les dépla-cements en allers et retours ont conduit l’en-seignant à croiser plus souvent les élèvesappartenant aux deux groupes du centre etaucune compensation de ce déséquilibre n’aété faite. La disposition spatiale du début dela leçon a donc été génératrice d’une dispa-rité dans la répartition des temps de supervi-sion et d’interaction.

Alors que les élèves et l’activité spor-tive étaient les mêmes au cours de ces deuxleçons, que les objectifs, les élèves et leprofesseur étaient identiques, l’action de cedernier a présenté des singularités, relativesau fait que les interactions s’adressaientplutôt à des groupes d’élèves ou plutôt àdes individus, qu’elles étaient plus oumoins régulières et prévisibles, que leurdistribution dans le temps était plus ou

moins grande, et le contact direct profes-seur-élèves plus ou moins permanent. Il estprobable que les impacts éducatifs de cesdeux leçons ont été différents. Lors de laLeçon n° 1, les élèves ont eu à apprendrequatre éléments gymniques différents encoopérant entre eux à la fois pour s’entrai-der dans la réalisation des mouvements etpour organiser leur travail collectif. Ils ontbénéficié ponctuellement des conseils del’enseignant et leur expérience a sans douteété celle d’une intermittence, d’une leçondécoupée en moments avec ou sans profes-seur, en des lieux différents. Lors de laLeçon n° 2, les apprentissages étaient étroi-tement supervisés et guidés par l’ensei-gnant qui intervenait à la suite des tenta-tives des élèves se déroulant en parallèledans les quatre ateliers. Ces élèves ont vécuune expérience d’actions successivesbrèves et sous le regard attentif de l’ensei-gnant, dans des conditions très fortementstructurées par lui : ordre de passage,nombre de répétitions, progression pédago-gique dans les ateliers, erreurs à rectifier…

Les deux modes d’organisation au coursde ces leçons n’ont pas été imposés à l’en-seignant. C’est lui qui a conçu cette « miseen scène ». Son action a eu pour effet desélectionner les éléments du contexte perti-nents pour lui (agrès, tapis, matelas, partiesdu gymnase à occuper, surface utilisée…),et d’organiser ces éléments (mise en ordrespatiale et temporelle, constitution degroupes d’élèves, définition de la forme etdes contenus des communications, desmodalités d’accomplissement scolaire). Enretour, cette sélection a défini, marqué deson empreinte l’action du professeur.

L’espace de travail de l’enseignant et desélèves, défini par l’action de l’enseignantlui-même, définit en retour l’action de l’en-seignant. Cette observation, met en évidenceune « co-définition » action – situation.Dans ce cas on observe un décalage dans letemps entre la définition de l’espace parl’action de l’enseignant et la définition del’action de l’enseignant par l’espace préala-blement défini par lui. En réalité, ceci n’estqu’une illusion tenant à la nécessité del’analyse et de la présentation de cette actionsous forme de récit. Cette co-définition estpermanente, simultanée et à double sens.

Ceci conduit à envisager l’organisationde base de l’action comme un « couplage

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action – situation », c’est-à-dire une miseen contact particulière d’un acteur et d’uncontexte, guidée par l’intentionnalité de cetacteur. En d’autres termes, l’action de l’en-seignant n’est analysable et compréhen-sible que si l’on tient compte de la situationen regard de laquelle elle se déploie ; symé-triquement, il n’y a pas de sens à analyserou concevoir une situation indépendam-ment de l’action. Ces couplages sont adap-tatifs, dynamiques et globaux. Ils sont à lafois permanents, puisque l’action et l’adap-tation au contexte sont elles-mêmes conti-nues, et changeants d’un instant à l’autre enfonction de la dynamique de l’action.L’action « en train de s’accomplir » n’estpas l’effet de facteurs extérieurs à la situa-tion. En l’occurrence, si les représentationsmentales possédées par l’acteur avant l’ac-tion ou bien les stimulations de l’environ-nement servant d’inscription physique àl’action, constituent des variables, celles-ciparticipent à la configuration de l’actionselon un processus de co-détermination.L’action, en tant que couplage auto-orga-nisé, est dotée d’une dynamique intrin-sèque et autonome. Lorsque des facteursextérieurs sont susceptibles de perturber cecouplage, ils font alors partie de la situa-tion. Ils sont des variables extrinsèquesintrinsèquement significatives, et il devientimpossible de distinguer le « dedans » du« dehors » du système acteur – environne-ment (Varela, 1989). Cela implique derechercher l’explication de l’action dans lesdéterminations intrinsèques au couplageacteur – situation.

2. LA CONSTRUCTION DESIGNIFICATIONS DANS L’ACTION

Admettre l’idée du caractère situé del’action c’est reconnaître la singularité detoute situation et corrélativement de touteaction (Barbier, 2000). L’acteur est tou-jours engagé dans une activité de construc-tion d’une signification personnelle de lasituation. Même si des cadres culturels per-mettant des interprétations des contextessont disponibles, la signification de cescontextes et de l’action n’est pas donnée apriori mais construite par l’acteur in situ.Les actions reposent donc sur une sémioseet leur compréhension implique de décrireen détail les contenus des cognitions

consubstantielles à l’action, qui sont tou-jours des « cognitions pour l’action ».

Pour rendre compte de la significationde l’action, le chercheur doit recourir à desmodèles sémiologiques de la cognition(Winograd et Florès, 1989). Il s’agit derendre compte du processus de donation desens ou rapport intentionnel de l’acteur à lasituation. Par rapport intentionnel, nousnous référons au concept « d’intentionna-lité » selon l’option phénoménologique(Husserl, 1950 ; Lyotard, 1995 ; Merleau-Ponty, 1942 ; Quéré, 1993) selon laquelleune action « en train de s’accomplir » revêtles propriétés suivantes :

a) elle est caractérisable comme unvécu, et l’acteur en a un mode de saisiesubjectif, personnel et immanent à sa réali-sation ;

b) ce mode de saisie de l’action, parl’acteur lui-même, est la conscience quel’acteur a de ce qu’il accomplit, c’est-à-direde ce qu’il vise, ressent, perçoit, comprendet interprète, dans l’agir. L’action incarne,pour l’acteur, un état de conscience parti-culier et personnel de sa relation à la situa-tion, c’est-à-dire une conscience de « soi »comme agent et de l’environnement del’action simultanément. Elle est un « phé-nomène » au sens de « cela qui apparaît à laconscience, de cela qui est donné »(Lyotard, 1995, p. 5) ;

c) une action vécue à un instantdonné s’inscrit dans une dynamique tempo-relle plus large : des actions élémentairesou unités d’action s’enchaînent les unesaux autres pour composer un décours d’ac-tion, c’est-à-dire un cours d’expérience ouflux de vécus ;

d) la conscience personnelle de l’agirest une conscience incarnée, spontanée,engagée dans l’action, une intuition imma-nente ou « maintenant-de-conscience »(Husserl, 1950) : son contenu ou « sens »de l’action est implicite ;

e) le contenu de cette conscience resteobscur pour l’acteur tant que ce dernier neporte sur son vécu (situé à l’arrière-plan caraccompli) un regard réflexif, une attentionlui permettant d’opérer la conscience clairequ’il a de son action accomplie. Ce mode« d’attention » consiste en une descriptionde l’action telle qu’elle a été vécue, et per-met de transformer le vécu « non-encore-regardé » en un vécu « regardé et dévoilé ».

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Par une narration visant une description del’action, l’acteur peut construire une signifi-cation explicite de son action passée ;

f) l’analyse intentionnelle en phénomé-nologie consiste à déconstruire le mode desaisie de l’action par l’acteur lui-même,afin d’identifier les composantes constitu-tives du vécu et ainsi de mettre en relief lemode de constitution de l’action réelle. Cescomposantes correspondent à tout ce quiparticipe à la réalisation de l’action et à laconstitution de son contenu mental pourl’acteur. Elles ne sont pas réductibles auxintentions volontaires que l’acteur estcapable de projeter et rationaliser a priori,c’est-à-dire aux buts et moyens d’exécutionplanifiés en vue de la réalisation de l’ac-tion. Elles recouvrent de façon plus essen-tielle les intentions d’action émergeant lorsdu couplage action – situation, les connais-sances réellement mobilisées dans l’action,les événements de l’environnement quel’acteur perçoit et qui font signe pour lui.

Ainsi, « plutôt que de caractériser unacteur et son action, on cherchera à spéci-fier des engagementsde l’être humain avecun milieu qu’il éprouve et qui l’éprouve »(Thévenot, 2000, p. 217). Cela suppose derecourir à la capacité des acteurs à rendrecompte de leurs actions (« accounts »)selon des procédures d’explicitation del’action. Ces procédures déplacent le moded’entrée classique en analyse de l’ensei-gnement et accordent « un primat à l’in-trinsèque » : les actions sont étudiées auniveau où elles sont significatives pourl’acteur, c’est-à-dire susceptibles d’uneévocation, lors d’un entretien d’auto-confrontation (Pinsky, 1992).

Nous nous référons à l’approche déve-loppée par Theureau (1992), Theureau etJeffroy (1994), qui consiste en une exploita-tion de la théorie sémiologique de Peirce(1978) et que l’on peut résumer par la for-mule : « l’homme pense (et agit) parsignes ». Nous exploitons les propriétés de« pénétrabilité cognitive » d’une partie del’action pour identifier ce qui est significatifpour l’acteur (Theureau, 1992). Cela revientà considérer que si l’action est un flux ou un

continuum, on peut, pour l’analyse, dégagerdans ce continuum des unités d’actions élé-mentaires (USE) qui sont des unités designification. Chaque USE est considéréecomme sous-tendue par un signe triadique(Theureau, 1992)1. Un signe résulte de lamise en relation de trois composantes : l’ob-jet, le représentamen et l’interprétant.L’objet désigne le mode d’engagement del’acteur dans la situation, c’est-à-dire le fais-ceau de ses préoccupations ou intérêtsimmanents à l’action et découlant de sesactions passées. Le représentamen désignece qui dans la situation fait signe pour l’ac-teur (l’ancrage). Il correspond à un jugementperceptif (une affordance : « ici et mainte-nant je perçois X ») ou mnémonique (uneréminiscence : « ici et maintenant je me rap-pelle X »). L’interprétant désigne l’élémentde généralité mettant en relation le represen-tamen et l’objet. Il s’agit de connaissances,de types constituant la culture et l’expé-rience de l’acteur et qui s’actualisent sou-vent en un « suivi de règle ».

L’exemple qui suit concerne la signifi-cation de trois phases en apparence iden-tiques, au plan des comportements, de l’ac-tion d’un professeur (Durand, 2000a).Après avoir installé les ateliers pour desélèves de 4e pendant une leçon deGymnastique, celui-ci s’est déplacé entreles ateliers en regardant les élèves. Cetteséquence d’action d’apparence simple peutêtre étiquetée : « Se déplace entre les ate-liers en observant les élèves ». L’analysesémiologique, basée sur des donnéesd’auto-confrontation, révèle sous cetteidentité de surface, des significations com-plexes et différentes.

Phase n° 1 :– CHERCHEUR: « Tu observes, là ? »– PROFESSEUR: « Je passe entre les

tapis, je ne regarde pas ce qu’ils font vrai-ment. Je sais ce qu’ils vont faire ; tous lesélèves passent par les mêmes étapes enGymnastique. Non je marche comme ça ;ici c’est le déroulement classique d’uneséance de Gymnastique. Il n’y a rien departiculier donc ça va tout seul »

84 Nathalie GAL-PETITFAUX, Marc DURAND

1. Le cadre d’analyse sémiologique du cours d’action propose une modélisation de l’organisation intrinsèquede l’expérience humaine, individuelle et collective. Il fait aujourd’hui l’objet d’un développement dont le caractèreheuristique n’est pas encore totalement assuré : le dépassement du modèle du signe triadique vers un modèle dusigne hexadique n’a pas encore donné lieu à des publications empiriques (Theureau, 2000).

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– CHERCHEUR : « Tu te déplaces versun point précis ? »

– PROFESSEUR: « Je fais attention aubruit. Tu vois là ça s’agite un peu. Les deuxélèves au fond, je m’approche d’eux et ils secalment. Je suis guidé par le bruit des élèveson pourrait dire. Tu vois quand je m’ap-proche, tout le monde sait cela, ils arrêtentde faire les imbéciles. Ils se mettent au tra-vail. C’est ça qui me guide ».

Phase n° 2 :– CHERCHEUR : « Et là, pendant ta

marche, tu regardes qui ? »– PROFESSEUR: « En fait c’est… enfin

je regarde s’ils ont les jambes tendues.C’est très important dans cet exerciced’avoir les jambes tendues, sinon c’estcomme s’ils ne faisaient rien. Là je regardeen général ceux qui fléchissent »

– CHERCHEUR : « Tu interviens auprèsde cet élève ? »

– PROFESSEUR: « Oui tu vois Nicolasne respecte pas la consigne de tendre lesjambes. Je lui demande de respecter laconsigne. En Gymnastique il faut que lesélèves s’astreignent au respect strict desconsignes. Je veux un travail précis, sinonil n’y a pas de progrès. Mais eux ils n’ontplus cette capacité à se concentrer ; il fautsans cesse les rappeler à l’ordre ».

Phase n° 3 :– CHERCHEUR: « Tu regardes là ? »– PROFESSEUR: « Je cherche les élèves

qui vont trouver… Enfin, tu vois, Martin,là, je sens qu’il n’a rien compris… Pas lapeine de lui parler. Mais d’autres peuventêtre sur le point de comprendre, c’est seu-lement comme ça qu’on apprend, parsauts brusques… »

– CHERCHEUR: « Tu cherches quoi ? »– PROFESSEUR: « Je sens les choses ; je

ressens les mouvements qu’ils font, jecherche ceux qui sont sur le point de fran-chir un pas… »

– CHERCHEUR : « Tu vas vers cetatelier ? »

– PROFESSEUR: « Je vais là-bas parceque j’ai aperçu quelque chose » (...)« C’est Mathilde, c’est une élève quej’aime bien, je suis super content : elle afait un truc à la roue. Elle est en train desentir le passage au-dessus des appuis. Jem’approche pour l’aider quand elle varecommencer ».

Les composantes des signes tria-diques pour les trois USE (correspondantaux trois phases de la séquence : « Sedéplace entre les ateliers en observant lesélèves ») diffèrent notablement(Tableau 1).

L’ENSEIGNEMENT DE L’EDUCATION PHYSIQUE COMME « ACTION SITUEE » 85

TABLEAU 1 : Objets, représentamens et interprétants de l’USE « Se déplace entre les ateliers enobservant les élèves » au cours des Phases 1, 2 et 3.

OBJET REPRESENTAMEN INTERPRETANT

USE N° 1 - Contrôler le travail Le caractère tolérable ou non Les élèves travaillent bien lorsquede tous les élèves. du bruit que font les élèves le professeur est proche d’eux.

à chaque atelier. Les élèves ont tendance à minimiserle travail scolaire.Les élèves passent tous par les mêmesphases d’apprentissage.

USE N° 2 - Favoriser Le respect ou non de la consigne Les élèves ne sont pas capablesl’exécution des consignes par de tendre les jambes. d’un travail précis.tous les élèves. Le respect des consignes est

une condition de base de l’apprentissage.Le progrès en gymnastique dépend du strict respect des consignes.

USE N° 3 - Aider la découverte La sensation que les élèves L’apprentissage est un processusde certains élèves. sont ou non sur le point discontinu et qualitatif.

de franchir un seuil. La seule aide efficace est lorsqueles élèves sont au seuilde réorganisations motrices.

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La signification, pour les acteurs, des élé-ments de la situation pédagogique diffèreégalement. A titre d’illustration, les significa-

tions des élèves, du rôle du professeur et del’apprentissage, associées à ces unités d’ac-tion sont mises en exergue dans le Tableau 2.

86 Nathalie GAL-PETITFAUX, Marc DURAND

TABLEAU 2 : Signification dans l’action de certains aspects de l’enseignement de la Gymnastique.

LES ELEVES LE ROLE DU PROFESSEUR L’APPRENTISSAGE

PHASE N° 1 - Cherchent à Inciter au travail, dissuader Découverte d’éléments gymniques pourminimiser le travail scolaire. les conduites déviantes. tous les élèves.

PHASE N° 2 - Volontaires pour Délivrer des consignes Intégration de règles précises.travailler mais inattentifs. précises et veiller à leur respect.

PHASE N° 3 - Engagés dans Sentir ce que ressentent ou Réorganisations cognitives et motricesla recherche d’efficacité motrice comprennent les élèves personnelles.

pour les aider.

Cet exemple met en évidence trois traitscaractéristiques de l’action des enseignants :a) le caractère changeant de l’engagementdu professeur en cours d’action, qui alternedes phases de concentration intense, focali-sées sur l’apprentissage des élèves, avec desphases de supervision plus distante dudéroulement du travail ; b) la coordinationproblématique de la gestion d’un groupe etdu guidage individualisé des apprentissages,c) la complexité et la singularité des adapta-tions individuelles. Il montre aussi qu’il estsimplificateur d’aborder de façon globale etatemporelle les conceptions pédagogiques etdidactiques des professeurs. Ce cas esttypique d’une fluctuation pas à pas, inscritedans un couplage dynamique avec la situa-tion : le mode d’engagement et les significa-tions ne sont pas figés, algorithmiques, maisà l’inverse indéterminés, émergents.

3. LES OBJETS COMME ARTEFACTSCOGNITIFS

Envisager l’action comme un couplageauto-organisé implique d’abandonnerl’image de l’acteur comme un individu fai-sant face à un monde hostile, et s’efforçantde surmonter des contraintes pré-existanteset extérieures à lui, et de lui substituer celled’un individu agissant dans un monde com-plexe et énigmatique mais organisé, et uti-lisant ce que ce monde offre pour agir. Cesoffres sont des « ressources pour l’action »disponibles pour l’acteur selon ses inten-tions (Norman, 1993).

Dans ce monde, les objets fabriqués parl’homme ont des fonctions particulières.

Ce sont des amplificateurs de ses capacitéscorporelles et cognitives : un bâton aug-mente la force appliquée en un point donné,ou la distance à laquelle on peut agir ; uncalepin amplifie les capacités de mémoire,un porte-voix la distance d’interventionorale, etc. Conçus et exploités dans unenvironnement pédagogique, les objetspermettent une véritable concrétisation desintentions éducatives des enseignants. Ilssont des « artefacts », c’est-à-dire des arti-fices plus ou moins complexes qui guidentl’action et en assurent une économie cogni-tive. Leur analyse fonctionnelle offre l’oc-casion de comprendre la nature de l’actionqui s’accomplit à travers leur médiation.

La fonction la plus évidente est qu’ilsamplifient le pouvoir d’action de l’ensei-gnant et des élèves : mieux voir et entendre,agir et percevoir avec plus de rapidité,s’évaluer avec davantage de facilité et deprécision, etc. Ils sont à la fois des instru-ments qui aident à la lecture et l’évaluationdu contexte, et des outils pour agir sur etdans ce contexte.

Une autre fonction est celle de défini-tion de l’espace d’action et de zones danscet espace (Conein et Jacopin, 1993). Lesenseignants n’exploitent qu’en partie l’es-pace pédagogique qui leur est dévolu, déli-mitant par des objets l’arène au sein delaquelle va se dérouler l’interaction avec lesélèves. Les objets matérialisent aussi cettearène au plan temporel : ils servent à définirdes durées, des intervalles, à signifier qu’unévénement débute ou s’achève, et lemoment où cela se produit. L’arène pédago-gique est un territoire commun, limité et

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réservé. Sa définition contribue aussi à spé-cifier les modalités de circulation des élèveset des points de rencontre entre l’enseignantet les élèves : les objets balisent les lieux detravail et les moments d’attente des élèves,dans le but a) de rendre leur action plus effi-cace, et b) que l’action de chacun d’eux negêne pas celle des autres ou satisfasse despréoccupations de sécurité. L’espace n’estpas homogène : il est constitué de zonesobligatoires, interdites, conseillées… Demême, le temps n’est pas homogène : il arti-cule des phases d’action proprement dite,d’attente, d’observation…

Enfin les objets documentent l’actiondes élèves et de l’enseignant : ils définis-sent des objectifs à atteindre, des repèrespour l’action et l’évaluation, des interditsprévenant les réponses erronées ou mal-adroites. Leur présence a pour effet demodifier en profondeur l’action de l’ensei-gnant ou des élèves telle qu’elle sedéploierait sans eux, allant jusqu’à enchanger la nature. Dans ce cas, la présenced’objets contribue à changer leur tâche etleur offre par la même occasion, des possi-bilités nouvelles d’action.

Un épisode d’enseignement du Saut enLongueur avec une classe de 3e illustre cela(Durand, 2000a). L’enseignante a placé unélastique tendu entre deux poteaux en tra-vers de la fosse de réception à environ deuxmètres de haut et trois mètres de la zoned’impulsion et a dit aux élèves : « La têtelà. Celui ou celle qui parvient à toucherl’élastique avec sa tête a gagné. C’est leseul moyen d’aller loin, de grandir pendantle saut. Alors hop, vous venez vous cares-ser les cheveux avec l’élastique ». Elle acommenté ainsi ce dispositif : « C’est untruc classique : les élèves ne pensent qu’àla distance et ils oublient que pour aller loinil faut d’abord aller haut. Alors je mets sou-vent un repère en hauteur. Là j’avais vu queles trois derniers à passer avaient la têtebaissée et des sauts « rasants ». Donc jeleur donne un guide qu’ils ne peuvent pasoublier au moment où ils sont en action ».Durant la même leçon elle a disposé untremplin sur la zone d’impulsion et indiquéaux élèves : « Voilà ça ne change rien, saufque vous allez voler plus haut et plus long-temps. Vous n’y pensez pas, simplementvous essayez toujours de toucher l’élas-tique et de rester équilibrés en l’air ». Son

commentaire a été : « Tu vois ces pauvresélèves, je me demande ce qu’ils peuventvraiment apprendre en saut en longueur :ils sautent à 20 cm et je leur demande deme faire un saut avec tout le « tralala ».Bon le tremplin ça allonge la durée de lasuspension. Je ne sais pas si c’est vraimentefficace. En tout cas pour moi c’est pas simal parce que en plus, le bruit du sautm’indique s’ils bossent ou pas et s’ils pren-nent ou pas une vraie impulsion. Je peuxme consacrer à l’autre groupe sans avoir enpermanence le regard sur ceux-là ».

Le fait de devoir toucher un élastiquependant la phase de suspension en Saut enLongueur, concrétise une des composantesde la performance et de l’apprentissage danscette discipline, et impose aux élèves decoordonner deux sous-buts : sauter haut etsauter loin. Cela rend donc pour eux la tâchedifférente. Ces objets disposés dans l’arènede l’action sont aussi des supports d’infor-mation et rendent ces informations dispo-nibles de façon permanente. Le fait quel’élastique soit disposé « à demeure » faitqu’il est inutile pour les élèves d’avoir cetteinformation « en tête ». La mémoire desconsignes, des actions et des événements dela classe est en quelque sorte déposée, ins-crite dans les objets et à disposition.

Par ailleurs, le recours au tremplin enSaut en Longueur est, pour l’enseignante,un moyen de superviser à la fois la quantitéde travail des élèves et la qualité de leurssauts, sans avoir à les regarder. Pour elle, letremplin est un artefact qui code en infor-mations auditives des informations naturel-lement acquises selon une modalitévisuelle. Ceci lui permet d’allouer sonattention visuelle à d’autres événements dela classe, tout en étant « en prise » avec larotation et le travail des élèves à l’atelierSaut en Longueur.

Parce qu’ils induisent certains comporte-ments moteurs chez les élèves, ces objetsoffrent aux enseignants l’opportunité dedonner des consignes verbales sommaires etbrèves et donc de gagner du temps, sans quela compréhension de la tâche par les élèvesne s’en ressente. Plus profondément, ilscanalisent la recherche et facilitent la décou-verte et la réalisation par les élèves desactions attendues sans surcharger leurmémoire et en réduisant la durée de cetterecherche. Ils évoquent, induisent, appellent

L’ENSEIGNEMENT DE L’EDUCATION PHYSIQUE COMME « ACTION SITUEE » 87

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les réponses à produire. C’est ainsi que lerecours à un élastique par l’enseignante cor-respond à une intervention envers ses élèvesconçue comme indirecte. Elle explicite ainsison action : «…Tu vois, j’ai déjà remarquéque le simple fait de mettre un élastique, çafait qu’ils ralentissent un peu leur coursed’élan. Peut-être parce qu’ils pensent àl’élastique et qu’ils oublient de foncer, peut-être parce qu’ils s’organisent déjà incons-ciemment pour un saut vers le haut… Entout cas, ça leur donne un peu plus de tempspour l’impulsion et ils vont automatique-ment plus loin. C’est pas tellement le faitd’orienter autrement leur impulsion quim’intéresse, c’est qu’ils se donnent dutemps pour pousser plus complètement ».

Cet usage d’un objet à des fins pédago-giques est basé sur une expérience person-nelle (« j’ai remarqué que… »), et sur laconviction que cet artifice pédagogique a uneffet indirect (« ils s’organisent inconsciem-ment »). Cet effet demeure un peu mysté-rieux ; l’enseignante ne sait pas bien l’expli-quer, le comprend mal (« peut-être parceque… »). Elle fait prévaloir une conceptionde l’action des élèves comme partiellementnon contrôlée (« automatiquement »). Cetype de propriété des objets a été particuliè-rement étudié en ergonomie cognitive : unartefact efficacement conçu constitue unsupport « d’affordances » pour l’action. Ceterme désigne le fait que les propriétés fonc-tionnelles et perceptives des objets sontappréhendées simultanément (Gibson,1979). La perception de l’objet est immédia-tement liée au projet d’action dont elle estaussi porteuse. On perçoit tel objet comme« portable », « poussable », « lançable », detelle ou telle manière… Les objets possèdentune (ou des) valeur (s) d’utilité pour l’actiondans l’environnement et s’ils sont conçusavec finesse et ingéniosité, ils s’offrent pourl’action de façon quasi immédiate sans quel’utilisateur ait à faire d’effort (Norman,1993). Ils jouent le rôle de « contraintes »(Smith & Thelen, 1993), au sens où ils ont le

pouvoir de canaliser l’action vers les zonesattractives de l’espace de travail de l’ensei-gnant, comme celui de l’élève.

Certains objets sont à l’usage exclusifde l’enseignant ou des élèves, d’autres sontà disposition des deux. Dans ce cas, ils neremplissent pas toujours la même fonctionauprès des deux catégories d’acteurs. Lecas du tremplin en Saut en Longueur estexemplaire. D’une part, il aide les élèves àconstruire leur action ; d’autre part, il ren-seigne l’enseignante par le bruit desimpacts sur la fréquence des sauts et luipermet, ainsi, de contrôler facilement ledegré d’engagement des élèves et la qualitéde leur impulsion.

La problématique des objets contribue àdévelopper des modèles d’analyse de l’ac-tion contextualisée ou « située » (Conein etJacopin, 1993). Celle-ci ne peut pas êtreétudiée séparément de l’environnementdans lequel elle s’enracine et dont elle portel’empreinte (Hutchins, 1995). Les objets, depar leurs propriétés physiques offrent unmode de saisie particulier de l’environne-ment par les acteurs. A travers leur inter-face, ils présentent des opportunités d’ac-tion : ils permettent de simplifierl’environnement pour mieux s’y repérer, derendre certains indices plus saillants,d’orienter la perception et de guider l’exé-cution d’une action. Ils jouent ainsi un rôled’artefact en aidant les acteurs à reconnaîtrerapidement certains événements, en guidantleurs jugements perceptifs et en contribuantdu même coup à construire la significationqu’ils attribuent à ces événements.

La question de la contextualisation del’action, et de sa médiation par des arte-facts, est largement débattue au sein duprogramme de l’action située. Malgré lesdivergences entre les chercheurs1 sur lanature des artefacts d’une part, et sur lepouvoir organisateur accordé aux objetsd’autre part, l’action est analysée commeun couplage entre les intentions des acteurset des ressources environnementales.

88 Nathalie GAL-PETITFAUX, Marc DURAND

1. Nous soulignons ici que le courant de l’action située n’est pas un courant unifié quant au statut des artefactsdans l’action. Sans développer ces divergences, pour ne pas alourdir le propos, il convient de noter que la notiond’artefact cognitif est, soit réservée aux objets et instruments techniques (Hutchins, 1995 ; Norman, 1993), soitélargie aux instruments psychologiques comme le langage et les connaissances (Vygotski, 1934 / 1997). D’autrepart, le rôle des objets dans l’action est débattu selon que : a) les objets présentent un pattern de surface qui délivredes informations saillantes (Conein et Jacopin, 1993 ; Norman, 1993) ; b) les valeurs fonctionnelles des objets sontliées aux intentions des acteurs (Clot, 1999 ; Kirsch, 1991) ; c) les objets sédimentent une culture (Brown, Collins& Duguid, 1989 ; Clot, 1999 ; Cole, 1996 ; Ingold, 1993).

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4. LA CONSTRUCTION DE L’ACTIONDE L’ENSEIGNANT PAR COUPLAGEAVEC L’ACTION DES ÉLÈVES

Autrui est un cas particulier de « res-sources pour l’action », une opportunité decoopération. Cette coopération est une pro-duction, une émergence qui procède du cou-plage des actions individuelles. L’orga-nisation spatiale du matériel et des élèves parexemple 1 offre un interface à l’enseignantpour organiser ses interventions. Le statutd’artefact accordé précédemment aux objetsest étendu ici à celui des dispositifs organisa-tionnels. La cognition est envisagée commeétant « distribuée » entre les objets et lesacteurs (Salomon, 1993). Ce caractère distri-bué des cognitions a conduit certains cher-cheurs à considérer les lieux de travail telsque le cockpit d’un avion de ligne, ou le postede pilotage d’un navire comme des systèmescognitifs globaux (Hutchins, 1995). Par ana-logie on pourrait considérer qu’à certainségards la classe est un système cognitif et

l’expertise est partagée ou distribuée dans cesystème (Brown, Ash, Rutherford,Nakagawa, Gordon & Campione, 1993 ;Durand, 2000a). L’analyse de ces actions col-lectives dans la classe en est encore a sesdébuts, mais les quelques données dispo-nibles mettent en évidence l’émergence deconfigurations, de totalités complexes quisont à la fois organisées et organisantes. Unextrait d’un programme de recherche relatif àl’enseignement de la Natation illustre cetteidée (Gal-Petitfaux, Ria, Sève et Durand,1998 ; Gal-Petitfaux, 2000).

Pendant les leçons de Natation, lesenseignants demandent souvent une circu-lation en « file indienne » dans le bassin :les élèves opèrent des allers et retours enlongueur d’un mur à l’autre dans les lignesd’eau, en suivant un circuit en épingle àcheveux. Les enseignants, participant àl’étude, disposaient pour leurs élèves (d’unniveau « débrouillé » en Natation) de deuxlignes d’eau proches du bord latéral de lapiscine (Figure 1).

L’ENSEIGNEMENT DE L’EDUCATION PHYSIQUE COMME « ACTION SITUEE » 89

FIGURE 1 : Zones les plus souvent occupées par les enseignants au cours des leçons de natation etdéplacements des élèves dans les lignes d’eau (les élèves sont figurés par des flèches noires).

L’espace de la piscine n’est pas investi defaçon régulière. Les enseignants occupenttrois zones. Ils se situent la plupart du tempsdans les Zones 1 pour délivrer des consignescollectives aux élèves, ces derniers étantmassés et immobiles à l’extrémité des lignesd’eau. Leurs communications sont prolon-gées et visent surtout l’organisation, le lan-cement et le contrôle de la « file indienne » :« Vous prenez une planche et faites deux lon-gueurs en battements de crawl », « Vous par-tez les uns derrière les autres… ». Puis les

enseignants se positionnent dans les Zones 2ou 3 : ils s’engagent dans une phase desupervision de l’activité des élèves et com-muniquent individuellement avec eux pen-dant qu’ils nagent. Les interactions sont plusfréquentes avec les élèves se situant dans desparties de la ligne d’eau contiguës aux zonesoù se trouvent les enseignants. La distanceprofesseur – élève constitue un élément clépour l’instauration et l’entretien de ces com-munications. Ces interactions sont courtes.Elles peuvent aussi se dérouler pendant un

1. Nous nous intéressons uniquement aux composantes spatio-temporelles du couplage mais d’autres compo-santes pourraient être étudiées (par exemple, le couplage entre les significations de l’enseignant et celles des élèves).

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déplacement de l’enseignant assujetti à celuid’un élève (qu’il suit pendant quelquesmètres depuis le bord du bassin).

Trois modes d’organisation typiquespeuvent être identifiés au cours de la phasede « Supervision de l’action des élèves ».Dans le premier cas, l’enseignant, en Zone1, surveille principalement les départs, lespassages au mur et les arrivées des nageurs.Il encourage ou stimule les élèves qui onttendance à utiliser l’opportunité du change-ment de sens pour s’arrêter, communiquerentre eux, se reposer. Il observe les élèvesde face, en prolongement des lignes.Ponctuellement il améliore son point devue en montant sur un plot, accentuantainsi le caractère surplombant et panop-tique de sa position. Ce qui fait l’objet deson attention est la dynamique de la fileindienne : le défilement des nageurs, leuralignement, la continuité de leurs déplace-ments, notamment au moment des change-ments de direction. Les interactions ver-bales sont des rappels individuels aurespect des consignes : ordre dans la ligned’eau, régulation de la vitesse de déplace-ment, etc. : « On ne s’arrête pas »,« N’attends pas que tes camarades revien-nent pour partir ». Elles ont aussi pourfonction de contrôler les élèves déjà arrivéset inactifs, de les occuper sans initier, aunom d’un principe d’équité, la séquencesuivante en l’absence des retardataires. Lazone 1 devient une zone attractive de l’es-pace de travail quand le couplage ensei-gnant – élèves révèle principalement : a)l’intention de l’enseignant de relancer lesélèves qui s’arrêtent à l’extrémité du cou-loir, ou d’anticiper la reprise en main desélèves à la fin de leur travail ; b) des arrêtsde nage systématiques de la part des élèvesen bout de couloir, ou la fin du travail réa-lisé par les élèves partis en tête de file.

Dans le deuxième cas, l’enseignant seplace immobile au milieu de la plage, dans laZone 2. Il supervise et régule les actions desélèves par des feed-backs individualisés ettrès brefs qu’il leur adresse au moment où ilspassent devant lui : il exploite leur passageen file indienne et les intervalles les séparantcomme des « fenêtres » de communication,ces fenêtres correspondant à la partie du bas-sin qui se trouve à ses pieds. La plupart dutemps, il s’adresse aux élèves qui « viennentvers lui ». Il lance des sortes d’injonctions :

« Souffle dans l’eau », « Yohann, la tête dansl’eau », « Allonge-toi, allonge-toi bien ». Cesinjonctions reprennent les consignes initialessous forme d’ordres. Elles sont le plus sou-vent centrées sur la forme des mouvementsde nage et le respect de consignes d’exécu-tion. Mais elles révèlent aussi une dualité depréoccupations simultanées : « Je regardes’ils font bien ce que j’ai demandé, et si cen’est pas fait, je les corrige. J’en corrige unmaximum comme ça ils sentent que je suis là[…]. Je ne les lâche pas. Il ne faut pas que jeles lâche d’ailleurs, sinon ils ne feraient rien.Ils ne peuvent pas m’échapper en fait. Ilssavent que je les regarde et que je suis là[…]. Quand tu es au milieu là, c’est équilibrépour toi, tu les vois aussi bien à droite qu’àgauche. C’est équilibré aussi pour eux. Ils tevoient bien tout le temps […] ». Ces com-munications expriment des préoccupationssimultanées relatives à l’apprentissage destechniques de nage et au contrôle de laclasse. Trois aspects sont à noter. Le premierest que ces communications ont une fonctionphatique : elles visent à entretenir le contact,visuel et auditif, avec les élèves, et permet-tent ainsi de maintenir les élèves au travail.Le deuxième est que l’enseignant saisit lepassage des élèves arrivant dans la filecomme une opportunité de communicationavec eux. La densité de la file indienne et lafréquence d’apparition de nageurs dans la« fenêtre d’interaction » interdisent une acti-vité prolongée de diagnostic et d’analyse. Letroisième est la préoccupation d’être vu leplus possible par les élèves en dépit de leurposture horizontale dans l’eau et des trajetsd’un mur à l’autre. L’enseignant assure unaffichage ostensif de son activité de sur-veillance : en occupant une zone médiane, ildonne un point de repère aux élèves qui, lors-qu’ils se déplacent vers lui peuvent fixer leurregard et leur attention sur lui, dans l’attenteou en signe de demande d’une interventionverbale. La zone 2 devient une zone attrac-tive de l’espace de travail quand le couplageenseignant – élèves révèle principalement :a) l’intention de l’enseignant de corriger unmaximum d’élèves lors de leur passage, cou-plée à l’intention de garder le contrôle visuelde l’ensemble des élèves et de se rendrevisible pour tous ; b) des problèmes saillantsperceptibles sur le comportement des élèves,et la fragilité dans la continuité des déplace-ments.

90 Nathalie GAL-PETITFAUX, Marc DURAND

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Dans le troisième cas, l’enseignant estimmobile ou en déplacement, en Zone 3.Les communications sont individuelles etprolongées. Elles ont lieu avec un élèvearrêté ou en mouvement. Lorsque l’élèveest immobile à sa propre initiative ou à celledu professeur, les communications sontriches : « Ludo, arrête-toi. Souffle un peu…Tu es essoufflé, hein ? Et pourquoi ? Parceque tu ne fais pas ce que j’avais demandé.J’avais demandé de souffler dans l’eau, defaire des bulles en nageant. Et toi, qu’est-ceque tu fais ? Tu souffles hors de l’eau,dehors. Alors ça te prend tout ton temps ettu n’as plus le temps d’inspirer que déjà tuas la tête dans l’eau. C’est pour ça que tunages la moitié du temps en apnée. Tu com-prends ? Oui ? Alors, essaie de changer ça.Tu essaies de respirer en soufflant dansl’eau et inspirer dès que tu sors la tête del’eau ». Dans les autres cas, l’enseignantmarche le long de la plage en synchronisantson déplacement avec celui d’un nageursélectionné dans la file. La communicationest prolongée, et à son terme, l’enseignantabandonne l’élève qu’il suivait pour enprendre un autre en charge. Les communi-cations sont « hachées » et synchroniséesavec les mouvements de nage et lesmoments où l’élève sort la tête pour inspi-rer : « Essaie de… essaie de remonter unpeu plus tes pieds derrière […]. Tu neremontes pas assez […]. Voilà j’aime mieuxça […]. Voilà d’accord, remonte tes piedsen dedans… tes pieds […]. C’est bien […].C’est mieux comme ça ». Les rétroactionssont des demandes de modification d’unecomposante du mouvement, une évaluationde la modification réalisée, une consignecomplémentaire, une nouvelle évaluation,etc. L’intention de l’enseignant est nette-ment orientée vers l’apprentissage et lasupervision spécifique de l’activité de tel outel élève. Les préoccupations de contrôle dela classe sont au second plan, laissant mêmel’impression qu’elles peuvent être totale-ment absentes. Néanmoins, les suivisd’élèves n’interviennent que si les autresnageurs de la « file indienne » continuent detravailler sans supervision. De même, lesarrêts sont possibles et non perturbateursquand la densité d’élèves dans la fileindienne est faible ; lorsque cette densité estimportante, les arrêts ont lieu en bout decouloir pour ne pas gêner le flux de la file

indienne. Cette organisation en « suivid’élèves » ou par « arrêt » reflète une formed’équilibre instable, car même si elleconstitue une solution pertinente pour gui-der des apprentissages, elle ne permet pasun réel contrôle de la classe : non satisfac-tion de la fonction phatique précédemmentévoquée, perte de vue de l’ensemble desélèves par focalisation extrême de l’atten-tion sur un seul élève à la fois, etc. Danstous les cas de figure, l’intervention de l’en-seignant est subordonnée à la recherched’un équilibre, sans cesse menacé, entre lasupervision de la dynamique des déplace-ments du groupe dans le couloir de nage etle prolongement d’interactions individuali-sées avec des élèves en particulier. La Zone3 devient une zone attractive de l’espace detravail quand le couplage enseignant –élèves révèle principalement : a) l’intentionde l’enseignant d’apporter des explicationsplus approfondies pour que l’élève trans-forme véritablement son comportement ; b)un problème majeur perçu dans le compor-tement de l’élève.

Ces trois organisations typiques peu-vent être considérées comme des formestotalisantes qui se détachent sur un fond,émergeant des couplages locaux : les inter-actions de proche en proche conduisent àl’apparition d’un ordre ou configuration,qui a une certaine permanence et qui cor-respond à une sélection parmi un ensemblede possibles (Smith & Thelen, 1993). Cesorganisations procèdent du couplage entreles conditions environnementales et lescaractéristiques inhérentes aux acteurs(intentions, connaissances, etc.) (Vallacher& Nowak, 1997). Elles sont plus ou moinsstables. Plus elles le sont, plus ce sont de« bonnes formes ». Lorsqu’elles sontinstables, cela est dû à deux facteurs : laperte de contrôle de la file des élèves parl’enseignant, et sa rupture réelle ou poten-tielle. Ces formes émergent de l’interactiond’une multitude de variables : intention defaire apprendre les élèves, nécessité decontrôler l’engagement de l’ensemble de laclasse, niveau sonore dans la piscine etnécessité d’être proche des élèves pourcommuniquer, difficulté à communiqueralors que l’on nage, conceptions de l’ap-prentissage, etc. Elles intègrent toutes lesdimensions de l’acte éducatif : les contenusenseignés, la relation pédagogique, la ges-

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tion de la classe, le mode de décision, letype de rapport aux élèves, la docilité et/oul’adhésion des élèves aux propositions del’enseignant, leur degré de participation.

Ces formes sont des artefacts (Coneinet Jacopin, 1993 ; Norman, 1993). Ce sontà la fois les produits de l’action des ensei-gnants et leurs conditions. L’actionconsiste : d’une part, à mettre en place, lan-cer et entretenir la « file indienne » ;d’autre part, à s’y adapter, c’est-à-dire à enexploiter la configuration physique (lesopportunités de passage des élèves, lesfenêtres de communication crées par lesintervalles entre les nageurs, la vitesse denage des élèves, les arrêts à l’extrémité ducouloir, etc.) comme des occasions variéespour faire apprendre les élèves.L’enseignant s’installe dans une configura-tion plus ou moins stable. Puis, de façonponctuelle et transitoire, il « sort » de laconfiguration en cours. Cette transition alieu lorsqu’un élève réalise des mouve-ments de nage extraordinaires, et de façongénérale lorsqu’un événement atypique seproduit : fatigue excessive d’un élève,désorganisation de la file, etc. Un équilibrerelativement stable est atteint lorsque la fileest elle-même particulièrement stable,assurée, laissant à l’enseignant l’impres-sion qu’il peut sans risque en abandonnermomentanément le contrôle.

Au plan particulier de l’action de l’en-seignant, la file indienne et ses dérivésconstituent à la fois des instruments et desoutils. En tant qu’instruments, ils permet-tent de percevoir et observer les événe-ments dans la classe en Natation : ils ren-dent simple la lecture des actions desélèves, mettent en évidence le non respectdes consignes (un arrêt, une déviation.),éventuellement mettent en exergue les dif-ficultés d’apprentissage, offrent des pointsde vue panoptiques, rendent possible uneévaluation d’ensemble rapide du niveau oudes progrès, etc. En tant qu’outils, ils per-mettent d’agir sur les mouvements de naged’un groupe d’élèves (mise en activitésimultanée, supervision), d’aider ponctuel-lement ou systématiquement tel ou telélève (correction et guidage de ses mouve-ments et de son activité). Ces observationsen Natation montrent qu’il existe un cou-plage entre d’un côté, l’organisation del’action des élèves dans la ligne d’eau, et de

l’autre le positionnement et les interven-tions verbales de l’enseignant. Ce couplageest assez stable, bien qu’il soit sensible auxintentions momentanées de l’enseignant etaux actions des élèves.

Pour les élèves, les modalités de dépla-cement induites par ces formes pédago-giques imposent une vitesse et un rythmede nage commun à tous et des relations par-ticulières aux autres : ne pas perturber ledéplacement de celui qui suit, respecter ladistance par rapport à celui qui précède…Par ailleurs l’apprentissage est guidé pardes consignes délivrées massivement avantl’action ce qui leur impose de les maintenirà la conscience. La réception d’aides sousforme de consignes complémentaires,d’évaluations ou de messages plus laco-niques est soit tributaire de l’endroit où lesélèves se situent dans la piscine (à proxi-mité de l’enseignant), soit d’une demandemuette qu’ils adresseraient à l’enseignant,soit enfin de difficultés spectaculaires. Lesinteractions avec l’enseignant suscitent dif-férentes modalités et formes d’apprentis-sage : par application de consignes mémo-risées et recherche individuelle non guidéede solutions techniques (Forme n° 1), parapplication de consignes mémorisées etcorrections ponctuelles de la forme desmouvements en cas d’erreurs grossières(Forme n° 2), par application de consignesmémorisées et recherche guidée de solu-tions (Forme n° 3 avec suivi), et explica-tion, compréhension, mémorisation etapplication des principes de nage efficace(Forme n° 3 avec arrêt).

5. L’ORGANISATION DE L’ACTIONET LES STRUCTURES ARCHÉTYPES

En dépit de leur caractère singulier et deleur sensibilité aux circonstances, lesactions présentent d’une part une organisa-tion, d’autre part des régularités.L’organisation n’est pas conçue commel’expression d’un programme ou d’un ordrepréalable, mais comme procédant de ladynamique locale de l’action. En d’autrestermes, l’organisation émerge pas à pasdans le moment même où l’action se déve-loppe. Ces ordres émergents révèlent l’ap-parition d’attracteurs dans la dynamique dusystème acteur-environnement (Smith &Thelen, 1993). C’est à partir des régularités

92 Nathalie GAL-PETITFAUX, Marc DURAND

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qui définissent des formes typiques ouarchétypiques qu’une science de l’ensei-gnement est possible au-delà des cas singu-liers. Les extraits qui suivent, provenant deleçons de Badminton en EducationPhysique (Durand, 1998b, 2000a), illustrentce que peuvent être ces séquences organi-sées, et leur caractère de typicalité (Durand,2000b ; Gal-Petitfaux, 2000 ; Saury, 1998 ;Schütz, 1987 ; Theureau, 1992).

Un épisode met en scène une ensei-gnante face à des élèves de 3e. Après lesavoir regroupés, assis, en face d’elle, ellea précisé le thème de la leçon du jour :« Apprendre à tenir compte des positionset des déplacements de l’adversaire pourconstruire le point », puis a ensuiteénoncé une consigne très stricte(Tableau 3).

L’ENSEIGNEMENT DE L’EDUCATION PHYSIQUE COMME « ACTION SITUEE » 93

DONNÉES D’OBSERVATION DONNÉES D’AUTO-CONFRONTATION

TABLEAU 3 : Consignes délivrées par l’enseignante lors du premier regroupement des élèvesdans la leçon de Badminton (données d’observation), et verbalisations a posteriori explicitant

« ses pensées » lors de cet échange avec les élèves (données d’auto-confrontation).

PROFESSEUR: « Merci de vous asseoir rapidement…Donc aujourd’hui on va travailler la construction dupoint en fonction de l’emplacement, des positionsde l’adversaire. En Badminton, pour gagner lepoint, il ne suffit pas de savoir réaliser des coupsparfaits : il faut surtout envoyer intelligemment levolant. D’accord ? C’est-à-dire le placer là où ilfaut. Et là où il faut placer le volant, c’est bien sûrlà où l’adversaire ne se trouve pas. C’est pas facile.Parce que ça veut dire quoi ? Ça veut dire que vousdevez savoir en permanence où se trouve cet adver-saire sur le terrain, pour le feinter. Vous avez com-pris ? Donc la situation est la suivante. Sur chaqueterrain on a quatre zones : derrière à droite et àgauche, devant à droite et à gauche (elle montre surles schémas préparés). Tout le monde se repère ?Bon. Vous allez démarrer l’échange et faire chacundeux coups, en les comptant à haute voix : un, deux,trois, quatre (elle mine le déplacement du volant surle schéma). Et celui qui compte quatre, au momentde la frappe, doit aller très vite se placer dans un desquatre carrés : devant ou derrière, à droite ou àgauche. Compris ? L’autre, celui qui reçoit le volantdoit le placer dans le carré le plus éloigné de l’en-droit où est l’adversaire : s’il est à droite devant, leplacer à gauche derrière, s’il est à gauche devant leplacer à droite derrière, etc. Compris ? Qui n’a pascompris ? ».

OUSMANE : « On a le droit de le renvoyer si onpeut ? ».PROFESSEUR: « Le sixième coup ? On pourrait maisc’est pas ça qui m’intéresse. Ce qui m’intéressec’est que vous ayez bien observé où va votre adver-saire. Donc vous laissez tomber le volant par terre.Ça vous permet de savoir si c’est bon ou pas. Puisvous le ramassez et vous continuez. Chacun à sontour. Compris ? OK vous allez vous placer par deuxcomme vous étiez la semaine dernière à la fin ducours. Je vous avais demandé de vous rappeler avecqui vous jouiez. Normalement vous êtes de mêmeniveau. Vous allez sur le même terrain que lasemaine dernière avec le même partenaire. Pas dequestions ? Bon on y va pour quinze minutes ».

« Je les mets habituellement face au tableau pourpouvoir aller plus vite en faisant des schémas. C’està peu près toujours comme ça que ça se passe… Làje leur indique le thème général de la leçon. Je lefais toujours. C’est systématique : je pense qu’ilfaut qu’ils sachent ce qu’il y a à apprendre. Je sais àl’avance ce que je vais faire mais pas ce que je vaisleur dire.J’explique le moins possible et le plus possible.Qu’ils comprennent la situation et qu’ils sachentquoi faire. Après on y va très vite. Je ne veux pasperdre de temps pour qu’ils jouent et parce qu’ils onttendance à se chamailler dans ces regroupements…J’essaie d’expliquer clairement et de ne pasbafouiller parce que c’est toujours un moment unpeu dur… Je veux dire si tu n’es pas claire, ils necomprennent pas les exercices et ça te fout en l’air laséance… Donc il ne faut pas rater ce moment […] ».« […] C’est un exercice que j’ai prévu et que j’uti-lise souvent en début de cycle. Je pense qu’il permetde les décentrer, qu’ils pensent à l’adversaire et passeulement au volant et à leur raquette […]. Jecherche pas à compliquer. Il faut qu’ils travaillent leplus vite possible. Donc j’essaie d’être précise etsans ambiguïté en leur montrant sur les schémas eten expliquant le déroulement. ».« […] La question que je pose c’est pour m’assurerde deux choses : est-ce qu’ils ont compris ? Est-cequ’ils acceptent l’exercice ? »

« […] Là tu vois la question est bonne. Elle memontre qu’ils ont compris la tâche. Donc pas besoinde m’éterniser dessus ».

« […] Donc, j’enchaîne tout de suite […]. Je leurdemande de se rappeler avec qui et où ils étaient lasemaine dernière et on refait pareil. Ça gagne dutemps et des explications ».« S’il n’y a pas de questions, je ne traîne pas et jeleur donne rapidement le signal de se lever. Tu voislà je suis satisfaite, je pense qu’ils ont compris alorsque la situation est quand même compliquée, quej’ai été assez claire et que je n’ai pas pris trop detemps… pas mal quoi… (rire) ».

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Cet enchaînement d’actions élémentairesconstitue une séquence, c’est-à-dire uneconcaténation d’unités tenues entre elles pardes relations de dépendance telles qu’uneunité à un instant donné procède directementdu résultat de l’unité qui la précède, etc.Cette séquence est l’expression d’une orga-nisation plus générale dans la mesure où elle

est reproduite sous des formes proches, parcette enseignante, à l’occasion de chaqueregroupement d’élèves, lors de la leçon et aucours de leçons différentes. Le Tableau 4présente le déroulement de l’interaction entrecette enseignante et la même classe de 3e lorsdu regroupement suivant des élèves.

94 Nathalie GAL-PETITFAUX, Marc DURAND

TABLEAU 4 : Consignes délivrées par l’enseignante lors du deuxième regroupement des élèves dansla leçon de Badminton (données d’observation), et verbalisations a posteriori explicitant « ses pen-

sées » lors de cet échange avec les élèves (données d’auto-confrontation).

DONNÉES D’OBSERVATION DONNÉES D’AUTO-CONFRONTATION

PROFESSEUR: « Bon, allez, tout le monde assis.Attentifs. Bon deuxième exercice maintenant.Jusque-là ce que vous aviez à faire c’était de ren-voyer deux fois le volant et à la troisième frappe deregarder où était votre adversaire pour l’envoyer loinde lui. Ce qui fait que vous pouviez faire attention àlui seulement à ce moment-là. Maintenant ce quim’intéresse c’est que vous appreniez à observer enpermanence où il est sur le terrain, tout en jouant.D’accord ? Oui ? Alors on va faire un exercice pourça. On va garder les mêmes terrains et les mêmestraits au sol qui vous permettent de vous repérer.C’est compris ? Et vous allez faire des séries de cinqservices de suite. Celui qui retourne le service essaiede mettre à chaque fois le volant loin de l’endroit oùest l’adversaire. L’autre renvoie facile au milieu duterrain. D’accord ? Cinq fois puis on change celuiqui sert, et ainsi de suite. OK ? Pas de questions ?Bon vous vous mettez par deux mais cette fois-civous allez changer de partenaire. Ecoutez bien carc’est un peu compliqué. Vous allez aller dans le ter-rain où vous jouiez… Quand je le dirais… Ecoutezavant… Une fois sur le terrain, ceux qui sont de cecôté-ci du gymnase (elle montre), vous allez permu-ter avec votre voisin : le numéro 1 avec le numéro 2,le 3 avec le 4. Les numéros 5, 6 et 7 vous ferez unepermutation à trois, je serai avec vous. D’accord ?Qui n’a pas compris ? »

NATHALIE : « On joue avec qui on veut ? »

PROFESSEUR: « Non Nathalie, tu n’as pas écouté. Onpermute comme je l’ai dit : les numéros 1 et 2 entreeux, les numéros 3 et 4 entre eux et les numéros 5, 6et 7 ensemble avec moi. Je répète que c’est seule-ment les joueurs qui sont du côté des vestiaires quichangent ; les autres retournent dans le terrain où ilsétaient. Tout le monde a compris ?… Bon c’est partipour au moins vingt minutes. Et concentrez-vous ! »

« Là c’est le deuxième exercice. J’ai vu que le pre-mier avait bien marché dans l’ensemble… Tropbien même. Ils ont trop bien compris… Ils ne sepréoccupaient de l’adversaire qu’au moment de la 4e

frappe. C’était pas ce que je voulais. Donc je passeà un deuxième exercice que j’avais pas prévu. Tuvois je les rassemble… Ça leur permet de soufflerun peu… Mais je ne perds pas de temps non plus…J’explique très simplement la tâche ».

« Tu vois en disant cela je regarde leurs visages etleur position assise. Ils ne sont pas vautrés et ilsn’ont pas l’air essoufflés. Personne ne m’a demandél’autorisation d’aller boire. C’est que ça va et qu’onpeut enchaîner assez vite avec un autre exercice ».

« Juste je suis un peu inquiète pour les permuta-tions… C’est toujours l’occasion de discuter et deperdre du temps… Donc je leur impose un autrepartenaire… Ils n’ont pas le choix. Et je vais sur lesterrains du bout pour la permutation à trois ».

« Nathalie pose la question mais en fait elle a com-pris… mais elle voudrait jouer avec sa copineGaëlle… Alors elle tente le coup… Je me dis ça…Et comme c’est pas une question je n’y réponds paset je m’adresse à tout le monde. J’en profite pourrépéter la consigne ».

Cet épisode illustre un déroulement quel’on peut considérer comme typique(Tableau 5). Cette séquence « type » a étéconstruite en conservant, à partir de plu-sieurs occurrences similaires de cetteaction, ce qu’il y avait de commun à toutes.Elle est qualifiée de typique pour deux rai-

sons : d’une part, la régularité de ses occur-rences ; d’autre part, le processus de typi-calisation qui, selon Rosch (1978), est unefaçon de catégoriser les expériences à par-tir de jugements de ressemblance ou defamiliarité et non d’opération logiquesd’inclusion de classes.

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Cette succession d’unités élémentairesd’action est une séquence archétype : l’en-seignante énonce un aspect du travail àaccomplir, puis demande si cet aspect estcompris, ne présente le deuxième que si lepremier est compris, etc. Les deux épisodesdécrits plus haut sont des occurrencessituées de cette structure archétype, en cesens qu’ils produisent des enchaînementssimilaires mais « ouverts » aux interactionsavec les élèves : compréhension ou non,réceptivité ou non, réponse ou non aux ques-tions… Ils concrétisent en situation des anti-cipations : « J’ai pour chaque classe unagenda. Tu vois : page de gauche, j’inscrisles exercices que je veux faire avec eux…Bon la trame est à peu près toujours lamême, mais je tiens compte de leurs réac-tions. Je t’ai dit que le deuxième exercice jene l’avais pas prévu. C’est parce que les gar-çons ont réagi comme ça que je l’ai proposé[...]. Ces garçons me servent pour m’ajusterici [...]. Tu vois, ces choses importantes quise passent, je les note sur la page de droite.C’est ce qui me sert à préparer la séance sui-vante. C’est un aide-mémoire. Quelquefoisje m’en sers, d’autres fois pas ».

L’enseignante planifie son action au sensoù certains nœuds en sont prévus. Cette anti-cipation laisse la place à des réalisations nonanticipées : d’une part elle « invente » encours d’action des propositions nouvelles enréponse aux actions des élèves ; d’autre partle message qu’elle délivre aux élèves n’estpas programmé dans le détail. Il est large-ment dépendant de l’inspiration du moment

et de la dynamique du discours et de l’inter-action qui se développent. Sous l’apparentebanalité de cette séquence archétype, secache une complexité élevée et une pluralitéde préoccupations simultanées.

La première est l’extraordinaire souci deconcision et de précision dont fait preuvecette enseignante. Son obsession est de nepas rogner sur le temps de pratique desélèves par des consignes trop longues, et enmême temps de délivrer des informationsprécises de manière à rendre impossible les« flottements » en début d’exercice. Elle ditce qu’il faut mais pas plus : « j’explique lemoins possible et le plus possible ». Cetaspect constitue le critère principal d’éva-luation de son action (« je suis satisfaite…j’ai été claire… je n’ai pas pris trop detemps… pas mal quoi »). Cette séquence deregroupement de la classe est une occur-rence d’un dilemme fondamental : cadrerprécisément l’action des élèves, mais defaçon telle qu’ils puissent agir rapidementet avec assez de latitude.

Le deuxième aspect concerne la signifi-cation des questions adressées aux élèves etqui ponctuent le message de l’enseignante.Cette signification est double : s’assurer à lafois de la compréhension des élèves, et deleur adhésion. La préoccupation de favoriserla compréhension de la consigne justifie undécoupage en « sous-consignes » relatives authème, à l’espace, à l’action collective, à l’in-teraction entre élèves, au temps… Laréponse à la question posée par Ousmanecorrespond à la préoccupation de compré-

L’ENSEIGNEMENT DE L’EDUCATION PHYSIQUE COMME « ACTION SITUEE » 95

Enoncer en le justifiant le thème de la leçon.

S’assurer que le thème de la leçon est compris et accepté.

Enoncer le thème de l’exercice en l’articulant avec le thème de la leçon.

Décrire l’espace d’action des élèves.

S’assurer que la description des espaces d’action est comprise et acceptée.

Décrire l’action collective des élèves.

S’assurer que la description de l’action collective des élèves est comprise et acceptée.

Décrire la disposition des élèves dans l’espace et les modes de regroupement.

S’assurer que la description de la disposition des élèves dans l’espace et des modesde regroupement est comprise et acceptée.

Enoncer la durée de l’action des élèves.

Donner le signal de début.

TABLEAU 5 : Typicalité de l’enchaînement des unités d’action et de leur signification pour l’ensei-gnante, lors de la séquence de regroupement des élèves en Badminton.

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hension : « la question est bonne, elle montrequ’ils ont compris ». L’enseignante demeurealors sur ce registre de compréhensiondétaillée. Le souci simultané d’obtenir l’ad-hésion des élèves est concrétisé par des ques-tions redondantes pour s’assurer d’uneréponse positive de leur part ou d’uneabsence de réponse négative. L’interactionest précise et tendue de ce point de vue : l’en-seignante cherche l’accord point par pointdes élèves. Pour elle la signification de sesquestions répétées est aussi celle-ci : « Jecherche leur adhésion… j’ai la sensation ques’ils ne protestent pas au moment desconsignes, s’ils acceptent ce que je leur pro-pose, ils n’ont plus le droit ensuite de faireles imbéciles. C’est un contrat qu’on passeau fond… sans le leur dire. Je sens qu’ils per-çoivent les choses comme ça. S’ils ne disentpas qu’ils ne sont pas d’accord, ils n’ont plusle droit de ne pas travailler ensuite, et moi jepeux les « reprendre » dans ce cas ».

Le troisième aspect concerne la trèsgrande vigilance et réceptivité de l’ensei-gnante au moindre événement : elle observel’état de fraîcheur physique des élèves (« ilsne sont pas vautrés », « ils ne sont pasessoufflés », « ils ne demandent pas à allerboire ») ; elle interprète la question commeétant une vraie question ou une contestationdéguisée… Cette écoute vigilante n’exclutpas la détermination : on ne revient pas surune décision qu’elle juge importante. Cetteattitude à la fois d’écoute et de fermetéaboutit à des phases d’exploitation opportu-niste des micro-événements de la leçon.

Le quatrième aspect est la préoccupa-tion de lier ses propositions avec celles quiprécèdent. Cette inscription, explicite dansun continuum, affirme une lisibilité et unecohérence de son action aux yeux desélèves (« Ils voient que je ne fais pas n’im-porte quoi, que je sais où je vais… et çamet en perspective l’apprentissage »).

Enfin, l’action de cette enseignante pré-sente un élément typique de constructionde connaissances dans l’action. Son pre-mier exercice n’occasionne pas les effetsescomptés : elle décide alors de proposerune forme de travail non anticipée, et de nepas réutiliser cet exercice à l’avenir. Cettesimple évaluation en cours d’action est uneséquence clé de la constitution de l’expé-rience professionnelle des enseignants et del’acquisition d’expertise.

CONCLUSION

Cette revue notionnelle illustrée pré-sente une approche de l’intervention desenseignants en EP comme une « actionsituée ». L’action est envisagée comme uncouplage structurel entre l’acteur et lemonde (Varela, 1989) : elle est indisso-ciable de la situation dans laquelle elleprend forme et il convient de l’étudier insitu pour comprendre ce qui l’organise. Atravers l’approche anthropologique adop-tée, d’inspiration phénoménologique, nousavons montré que la pensée de l’acteur estcouplée à l’action et qu’elle procède parattribution de significations en contexte. Lecaractère dynamique de l’action et de lasignification a été souligné. D’une part,l’action est un processus continu, seconstruisant pas à pas dans l’interactiondynamique entre les intentions de l’acteuret les opportunités de coopération qu’offrel’environnement spatial, technique etsocial. Elle est, de ce fait, définissablecomme un cours d’action et revêt unedynamique relativement autonome(Theureau, 1992). D’autre part, la signifi-cation de l’action « en train de s’accom-plir » se transforme continuellement aucours de l’interaction.

L’action de l’enseignant en classe neconsiste pas en l’exécution de plans, maisen des émergences en contexte qui peuventêtre partiellement anticipées ou préparées,et qui obéissent fondamentalement à unedynamique intrinsèque. L’accomplissementde l’action, comme sa signification, est unetotalité irréductible à des causalités qui luiseraient externes. Son organisation n’est pascontenue dans un ensemble de commandesmentales a priori, ni dans un stimulus envi-ronnemental, mais relève d’une co-détermi-nation acteur – environnement.

Les exemples présentés ont montré queles objets et l’organisation de l’espacejouent le rôle d’artefact cognitif en soute-nant l’accomplissement de l’action.L’intérêt de la notion d’artefact est decontribuer à une approche « située » ou« contextualisée » de la cognition, et dedéfendre l’idée d’une autonomie ou auto-organisation de l’action (Varela, 1989).L’action peut alors être définie comme unecoordination entre un dispositif spatial,technique et humain, et les intentions d’agir

96 Nathalie GAL-PETITFAUX, Marc DURAND

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de l’acteur. Elle relève d’une « intelligencedistribuée » (Hutchins, 1995) : les moyensde conception et d’exécution de l’action ontla particularité d’une part, de se présenter enpartie au moment de l’action, d’autre partde se répartir « dans la tête » des acteurs etdans « le format fonctionnel de l’environne-ment » (Thévenot, 2000, p. 235).

Cette rapide présentation notionnelle nepeut que procurer une vision tronquée decette approche de l’analyse de l’action et deson exploitation dans le cadre de l’ensei-gnement. De façon encore trop schéma-tique, il nous semble que, par rapport auxapproches classiques de l’enseignement,une approche anthropologique permet desprogrès dont on a encore assez mal mesurél’importance. Parmi les avancées les plussaillantes qu’elle rend possible, on peutnoter : la compréhension du fonctionne-ment de la classe comme une totalité orga-nisée et organisante ; le caractère émergentde l’activité d’enseignement sur la based’une co-détermination entre l’expériencede l’enseignant et des ressources environ-nementales ; l’articulation serrée des pro-cessus d’enseignement et d’apprentissage ;le placement des significations construitesdans l’interaction professeur – élèves ; laprise en compte de la singularité de chaqueaction et leur modélisation vers une théoriequalitative de l’enseignement ; l’étude del’impact des environnements éducatifsdans la compréhension de l’action ; ledépassement de juxtapositions parfoisnaïves de discours disciplinaires.

Ce programme de recherche offre unregard neuf sur l’action d’enseigner. Ilinvite à considérer l’acte d’enseignementcomme une action humaine parmi d’autres,comportant un décours temporel et une sin-gularité. D’autre part, en dépit de leurcaractère idiosyncrasique, les études de casconduisent, par comparaison de cours d’ac-tion, à l’identification de régularités ; detelles structures typiques renseignent sur laconstruction des compétences et de la cul-ture professionnelle des enseignants. Enfin,ce programme vise à identifier les struc-tures anthropologiques de l’action humaineet donc à mieux comprendre celle-ci : lessituations d’enseignement sont des cas par-ticuliers qui, au-delà de leur spécificité,possèdent les propriétés génériques detoute action humaine.

Des ouvertures enfin se dessinent endirection de l’analyse des situations de for-mation dont les exploitations quasi immé-diates en matière de dispositifs et procé-dures de formation des enseignantsconstituent une contribution notable auxrecherches finalisées en éducation. Lesentretiens d’auto-confrontation, notam-ment, engagent les enseignants dans unepratique réflexive (Schön, 1983), les invi-tant à un effort de dévoilement du sensimplicite, tacite, de leur vécu profession-nel. Ils les invitent à exercer une auto-ana-lyse de leur action selon une visée a) decompréhension, b) de partage et deconfrontation avec d’autres acteurs profes-sionnels, et c) de remise en cause de leurpropre points de vue, dans une perspectivede transformation personnelle. Ils contri-buent ainsi à la construction de l’identitéprofessionnelle (Durand, 2000b).

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98 Nathalie GAL-PETITFAUX, Marc DURAND

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L’ENSEIGNEMENT DE L’EDUCATION PHYSIQUE COMME « ACTION SITUEE » 99

L’insegnamento dell’educazione fisica come « azione situata » :proposte per un approccio d’antropologia cognitiva

Riassunto:Questo testo presenta un approccio antropologico all’insegnamento dell’Educazione Fisica.

Propone un quadro concettuale ed alcuni risultati di studi suscettibili d’illustrare le dimensioni prin-cipali di questo quadro. L’azione è esaminata come una « azione situata », possedente delle proprietàdi auto-organizzazione. Sono presentate cinque proprietà dell’azione d’insegnamento : 1) la co-deter-minazione dell’azione e della situazione : la situazione è costruita dall’attore e non ha esistenzaindipendente dalla sua azione ; 2) la costruzione di significati dell’azione : l’azione è organizzata inunità di significati costruti in situ ; 3) gli oggetti come artefatti cognitivi : l’azione è una realizzazionein contesto e l’insegnante utilizza gli oggetti come delle « risorse per l’azione » ; 4) l’organizzazione

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dell’azione dell’insegnante insieme all’azione degli allievi : l’insegnante organizza il suo tempo ed ilsuo spazio di lavoro ; di ritorno, questa sistemazione spaziale gli offre delle risorse per agire e definiscela strutturazione temporale e spaziale della sua azione ; 5) l’organizzazione dell’azione e le strutturearchetipiche : l’azione presenta un carattere ciclico e ripetitivo.

Parole chiave :antropologia cognitiva, azione « situata », educazione fisica, insegnamento, significato.

La eseñanza de la educación física como « acción situada » :propuestas para un acercamiento de antropología cognitiva

Resumen:El texto presenta un aproximacion antropológica de la ensenanza de la Educacion Física. Se pro-

pone un cuadro conceptual y algunos resultados de estudios susceptibles de ilustrar las dimensionesprincipales de este cuadro. La acción esta considerada como una acción situada, que posee propiedadesde auto-organización. Cinco propiedades de la acción del enseñante son presentadas : 1) la co-deter-minación de la acción y de la situación : la situación esta construida por el actor y no tiene existenciaindependiente de su acción ; 2) la construcción de significados en la acción : la acción esta organizadaen unidades de significaciones construidas in situ ; 3) los objetos como artefactos cognitivos : la acciónes un hecho realizado en contexto que el enseñante utiliza los objetos como « fuentes para la acción » ;4)la organización de la acción del enseñante por acoplamiento con la acción de los alumnos : elenseñante organiza su tiempo y su espacio de trabajo ; en retorno, este arreglo espacial le ofrece fuentespara actuar y define la estructuración temporal y espacial de su acción ; 5) la organización de la accióny las estructuras arquetipos : la acción presenta un carácter cíclico y repetitivo.

Palabras-claves: acción situada, significación, enseñanza, educación física, antropología cognitiva.

Der Sportunterricht als Handlungssituation : Vorschläge für einenForschungsansatz aus Sicht der kognitiven Anthropologie

Zusammenfassung:Dieser Text stellt einen anthropologischen Forschungsansatz zum Sportunterricht dar. Er schlägt

einen konzeptuellen Rahmen vor und präsentiert Ergebnisse einiger Studien, welche dieHauptdimensionen dieses Rahmens veranschaulichen können. Die Handlung wird als eineHandlungssituation mit Eigenschaften der Selbstorganisation betrachtet. Fünf Eigenschaften derLehrerhandlung werden vorgestellt : 1) die gegenseitige Determiniertheit von Handlung und Situation :die Situation wird durch den Handelnden konstruiert und ist abhängig von seiner Handlung ; 2) dieKonstruktion der Bedeutungen innerhalb der Handlung : Die Handlung ist in Bedeutungseinheitenorganisiert, die in situ konstruiert werden ; 3) Gegenstände als kognitive Artefakte : Die Handlung isteine Ausführung im Kontext und der Lehrer nutzt Gegenstände als « Hilfen für die Handlung » ; 4) dieOrganisation der Lehrerhandlung in Verbindung mit der Schülerhandlung : Der Lehrer organisiert seineZeit und seinen Arbeitsraum ; im Gegenzug bietet ihm dieses räumliche Arrangement Handlungshilfenund definiert die räumliche und zeitliche Strukturierung seiner Handlung ; 5) dieHandlungsorganisation und archetypische Strukturen : Die Handlung besitzt einen zyklischen undwiederholenden Charakter.

Schlagwörter : Handlung in situ, Bedeutung, Sportunterricht, kognitive Anthropologie.

100 Nathalie GAL-PETITFAUX, Marc DURAND