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Douleurs, 2007, 8, 1 42 ACTUALITÉS LES BRÈVES DE « DOULEURS » Brefs échos des congrès et des sociétés savantes, notes de lecture des revues spécialisées à l’usage des cliniciens, cette rubrique est ouverte à tous. La revue Douleurs encourage tous ses lecteurs à lui faire parvenir des informations brèves issues de leurs lectures, de leurs rencontres, de leurs expériences, de leurs travaux, de leurs voyages ou de leurs navi- gations sur le web, à l’adresse suivante : [email protected] Une référence bibliographique pour ceux qui souhaitent en savoir plus, un court commentaire critique seront bienvenus. Activité physique et lombalgie : éduquer, rassurer les patients… et leurs médecins Les patients lombalgiques mettent en place des stratégies pour s’adapter à leur douleur. L’efficacité de ces stratégies dépend de nombreux facteurs, dont des facteurs cognitifs : l’existence de fausses croyances peut aboutir à des attitudes d’évitement, voire à un véritable catastrophisme. C’est notamment le cas pour le maintien de l’activité physique. C’est à cette dernière donnée que le service de rééducation fonctionnelle de l’hôpital Cochin a choisi de s’intéresser, livrant ses résultats dans 2 articles [1, 2] publiés dans la revue Pain. Afin de mesurer l’importance de ces facteurs cognitifs sur le maintien d’une activité physique, les auteurs ont utilisé la composante physique du « fear-avoidance beliefs questionnaire » (FABQ Phy). À l’intérieur d’une population à risque (lombalgie subaiguë) de chronicisation, 68 % des patients présentaient un score élevé au FABQ Phy [1], traduisant un comportement parti- culièrement inadapté et évitant. Ceci témoigne de l’inadé- quation entre l’attitude habituelle du lombalgique (le repos au lit et l’arrêt quasi-total des activités physiques) et les recommandations actuelles [3, 4]. Une activité profession- nelle physique, un faible niveau d’éducation, un mode de vie sédentaire, une consommation élevée d’antalgiques et un niveau élevé d’incapacités (score d’incapacités de Qué- bec) représentent des facteurs de risques intrinsèques. Il existe cependant un facteur de risque plus iatrogène : être pris en charge par un médecin qui présente lui aussi un score élevé au FABQ Phy. C’est le cas de 10 % des rhumatologues [1] et de 16 % des médecins généralistes [2] de leurs 2 études. Cette sous-catégorie de thérapeutes recommande en effet plus souvent un repos au lit strict pendant toute la période de crise douloureuse, une interruption des activités physiques une fois la douleur chronicisée, renforçant ainsi le comporte- ment inadapté du patient. À l’inverse les médecins présentant les plus faibles scores au FABQ Phy donnent plus fréquem- ment des informations adaptées sur la lombalgie, adressent leurs patients en école du dos ou à des programmes de res- tauration fonctionnelle, prescrivent moins d’arrêt de travail et favorisent au maximum le maintien des activités physiques et occupationnelles malgré la douleur. L’attitude de l’ensemble des praticiens n’est corrélée dans cette étude ni à leurs expé- riences douloureuses personnelles, ni à l’information médi- cale qui a pu être fournie les 3 années précédentes. Sur la base de ces résultats, les auteurs font le constat de l’insuffisance des stratégies de communication actuelles pour modifier une attitude médicale ancrée. En effet le repos au lit et la limitation des activités chez les patients lombalgiques ont été préconisés et enseignés à une grande partie des médecins français en exercice. Au-delà des campagnes grand public et de la formation médicale continue, le recours à des stratégies comportementales plus sophistiquées, avec mise en situation pratique, destinées aux médecins, pourrait s’avé- rer plus efficace, mais aussi plus coûteux… Alors, « Sommes-nous craintifs et évitants ?» : c’est la ques- tion que pose aux médecins un des éditoriaux [5] du numéro de la revue Pain où sont publiées ces 2 études. Et cette question en inspire 6 autres aux 2 éditorialistes : • Connaissons-nous assez bien l’impact de nos attitudes et croyances sur la santé de nos patients ? • Sommes-nous bien conscients des conséquences de nos peurs (peur de la douleur, de passer à côté d’un diagnostic, du jugement des autres praticiens) sur notre pratique ? • Mesurons-nous tous qu’un discours médical chargé de catastrophisme peut contribuer, du fait de son impact cognitif, à la chronicisation de la douleur ? • Comment être rassurant pour le patient lombalgique chronique sans s’appuyer sur une justification rationnelle de l’origine de sa douleur ? Rassurer doit-il rimer avec bana- liser, au risque de renforcer la nosophobie ? • Les recommandations internationales et nationales [3, 4] sur la prise en charge de la lombalgie vont-elles faire évo- luer les pratiques ? • Peut-on vraiment concevoir que le thérapeute peut, en interaction avec son patient, favoriser le passage d’une dou- leur aiguë à une douleur chronique ? Intrigués par les résultats des 2 études françaises, les 2 édi- torialistes poussent à la réalisation d’autres études sur l’intri- cation des facteurs cognitifs entre le patient et son médecin.

Activité physique et lombalgie : éduquer,rassurer les patients… et leurs médecins

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Douleurs, 2007, 8, 1

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A C T U A L I T É S L E S B R È V E S D E « D O U L E U R S »

Brefs échos des congrès et des sociétés savantes, notes de lecture des revues spécialisées à l’usage des cliniciens, cetterubrique est ouverte à tous. La revue

Douleurs

encourage tous ses lecteurs à lui faire parvenir des informations brèvesissues de leurs lectures, de leurs rencontres, de leurs expériences, de leurs travaux, de leurs voyages ou de leurs navi-gations sur le web, à l’adresse suivante : [email protected]

Une référence bibliographique pour ceux qui souhaitent en savoir plus, un court commentaire critique seront bienvenus.

Activité physique et lombalgie : éduquer,rassurer les patients… et leurs médecins

Les patients lombalgiques mettent en place des stratégiespour s’adapter à leur douleur. L’efficacité de ces stratégiesdépend de nombreux facteurs, dont des facteurs cognitifs :l’existence de fausses croyances peut aboutir à des attitudesd’évitement, voire à un véritable catastrophisme. C’estnotamment le cas pour le maintien de l’activité physique.C’est à cette dernière donnée que le service de rééducationfonctionnelle de l’hôpital Cochin a choisi de s’intéresser,livrant ses résultats dans 2 articles [1, 2] publiés dans larevue

Pain

. Afin de mesurer l’importance de ces facteurscognitifs sur le maintien d’une activité physique, les auteursont utilisé la composante physique du « fear-avoidancebeliefs questionnaire » (FABQ Phy).À l’intérieur d’une population à risque (lombalgie subaiguë)de chronicisation, 68 % des patients présentaient un scoreélevé au FABQ Phy [1], traduisant un comportement parti-culièrement inadapté et évitant. Ceci témoigne de l’inadé-quation entre l’attitude habituelle du lombalgique (le reposau lit et l’arrêt quasi-total des activités physiques) et lesrecommandations actuelles [3, 4]. Une activité profession-nelle physique, un faible niveau d’éducation, un mode devie sédentaire, une consommation élevée d’antalgiques etun niveau élevé d’incapacités (score d’incapacités de Qué-bec) représentent des facteurs de risques intrinsèques.Il existe cependant un facteur de risque plus iatrogène : êtrepris en charge par un médecin qui présente lui aussi un scoreélevé au FABQ Phy. C’est le cas de 10 % des rhumatologues[1] et de 16 % des médecins généralistes [2] de leurs 2 études.Cette sous-catégorie de thérapeutes recommande en effetplus souvent un repos au lit strict pendant toute la période decrise douloureuse, une interruption des activités physiquesune fois la douleur chronicisée, renforçant ainsi le comporte-ment inadapté du patient. À l’inverse les médecins présentantles plus faibles scores au FABQ Phy donnent plus fréquem-ment des informations adaptées sur la lombalgie, adressentleurs patients en école du dos ou à des programmes de res-tauration fonctionnelle, prescrivent moins d’arrêt de travail et

favorisent au maximum le maintien des activités physiques etoccupationnelles malgré la douleur. L’attitude de l’ensembledes praticiens n’est corrélée dans cette étude ni à leurs expé-riences douloureuses personnelles, ni à l’information médi-cale qui a pu être fournie les 3 années précédentes.

Sur la base de ces résultats, les auteurs font le constat del’insuffisance des stratégies de communication actuelles pourmodifier une attitude médicale ancrée. En effet le repos au litet la limitation des activités chez les patients lombalgiquesont été préconisés et enseignés à une grande partie desmédecins français en exercice. Au-delà des campagnes grandpublic et de la formation médicale continue, le recours à desstratégies comportementales plus sophistiquées, avec miseen situation pratique, destinées aux médecins, pourrait s’avé-rer plus efficace, mais aussi plus coûteux…

Alors, « Sommes-nous craintifs et évitants ?» : c’est la ques-tion que pose aux médecins un des éditoriaux [5] dunuméro de la revue

Pain

où sont publiées ces 2 études. Etcette question en inspire 6 autres aux 2 éditorialistes :

• Connaissons-nous assez bien l’impact de nos attitudes etcroyances sur la santé de nos patients ?

• Sommes-nous bien conscients des conséquences de nospeurs (peur de la douleur, de passer à côté d’un diagnostic,du jugement des autres praticiens) sur notre pratique ?

• Mesurons-nous tous qu’un discours médical chargé decatastrophisme peut contribuer, du fait de son impactcognitif, à la chronicisation de la douleur ?

• Comment être rassurant pour le patient lombalgiquechronique sans s’appuyer sur une justification rationnellede l’origine de sa douleur ? Rassurer doit-il rimer avec bana-liser, au risque de renforcer la nosophobie ?

• Les recommandations internationales et nationales [3, 4]sur la prise en charge de la lombalgie vont-elles faire évo-luer les pratiques ?

• Peut-on vraiment concevoir que le thérapeute peut, eninteraction avec son patient, favoriser le passage d’une dou-leur aiguë à une douleur chronique ?

Intrigués par les résultats des 2 études françaises, les 2 édi-torialistes poussent à la réalisation d’autres études sur l’intri-cation des facteurs cognitifs entre le patient et son médecin.

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Ils considèrent en effet que la recherche n’a pour le momentqu’effleuré la question…

RÉFÉRENCES

1.

Poireaudeau S, Rannou F, Baron G

et al.

Fear-avoidance beliefs about backpain in patients with subacute low back pain. Pain 2006;124:305-11.

2.

Coudeyre E, Rannou F, Tubach F

et al.

General practitionners’ fear-avoidancebeliefs influence their management of patients with low back pain. Pain2006;124:330-7.

3.

Diagnostic, prise en charge et suivi des malades atteints de lombalgie chroni-que. Recommandations pour la pratique clinique. ANAES décembre 2000.www.anaes.fr

4.

Prise en charge diagnostique et thérapeutique des lombalgies et lomboscia-tiques communes de moins de trois mois d’évolution. Recommandationspour la pratique clinique. ANAES, février 2000. www.anaes.fr

5.

Vlaeyen JWS, Linton SJ. Are we “fear-avoidant”? Editorial. Pain 2006;124:240-1.

Florentin Clère

Comment améliorer l’observance dans uncontexte de chronicité ?

Le numéro 2006/9 de la revue

Médecine

, en s’appuyant surla publication d’un article sur le sujet, a choisi de porter encouverture le titre suivant « Une bonne observance s’expli-que autant par la prescription que par le suivi ». Pourquois’intéresser à ce sujet ? Parce que l’observance thérapeuti-que, définie par l’exécution des prescriptions, médicamen-teuses ou non, du médecin, n’est que de 50 % dans uncontexte de chronicité. Il s’agit d’un processus complexe,multifactoriel, dépendant :

– du médecin : qualité de l’information, de la relation théra-peutique ;

– du patient et de son entourage : des croyances inappro-priées, des troubles du comportement, la dépression, lesconflits familiaux et la solitude sont des facteurs péjoratifs ;

– de la maladie : gravité, déni, effets secondaires…

Les auteurs de cet article développent 4 axes à privilégierpour améliorer cette observance :

– adapter les modalités de traitement à chaque situation sin-gulière : réduire au minimum les prises médicamenteuses,proposer un pilulier, prendre en compte le bénéfice réelapporté, l’espérance de vie et les préférences du patient,surtout s’il est âgé ;

– améliorer et renforcer la relation médecin-patient, savoir par-ler d’adhésion avec son patient : « comment vous organisez-vous avec ce traitement ? », « avez-vous trouvé des astucespour ne pas oublier ou vous tromper ? » ;

– développer l’éducation du patient et de sa famille : celanécessite d’abandonner le modèle du médecin « ordon-nant » en replaçant le patient au cœur du projet théra-

peutique, afin d’évoluer d’une observance passive vers uneadhésion active ;– mettre en place un suivi régulier, en s’appuyant sur l’ensem-ble des professionnels de santé : médecins traitants, spécialis-tes, infirmières, pharmaciens. En effet l’observance augmentenettement pendant les 5 jours qui suivent une consultation.Il est donc fort logique que les auteurs concluent à la néces-sité d’un concept bien connu des soignants impliqués dansla prise en charge de la douleur : la pluridisciplinarité !

RÉFÉRENCE

Gallois P, Vallée JP, Le Noc Y. L’observance des prescriptions médicales : quelssont les facteurs en cause ? Comment l’améliorer ? Médecine (De la méde-cine factuelle à nos pratiques) 2006;2:402-6.

Florentin Clère

Opioïdes forts et douleur chronique

L’éditorial du numéro de novembre 2006 de la revue

Pain

[1] se propose de faire le point sur l’utilisation des opioïdesforts dans un contexte de douleur non cancéreuse. Sonauteur se remémore les grands espoirs fondés sur la libéra-lisation des morphiniques : enfin l’« opiophobie » allait êtrevaincue et les patients douloureux chroniques retrouverune bonne qualité de vie. Qu’en est-il réellement ? Si lesessais randomisés ont pu confirmer l’efficacité des opioïdesforts sur la plupart des douleurs chroniques, peu d’informa-tions ont pu être collectées sur le long terme. C’est doncvers le Danemark, pays ou la consommation de morphini-ques par habitant est la plus élevée d’Europe, que la revuea choisi d’orienter son regard en publiant l’étude épidémio-logique d’Eriksen

et al

[2]. Un panel de 10 000 personnes apu être interrogé, au sein duquel 1 906 douloureux chroni-ques ont été identifiés. 228 d’entre eux (soit 12 %) utilisaientun opioïde fort : la satisfaction de ces patients vis-à-vis deleur traitement était la même que dans le groupe qui utili-sait un antalgique des autres paliers de l’OMS. Si l’intensitédouloureuse était plus élevée dans le groupe « opioïdefort », leur traitement n’a pas démontré de supériorité pour3 critères fondamentaux : le soulagement, le retentissementfonctionnel et la qualité de vie. Les auteurs en concluentque les bénéfices apportés par l’utilisation des opioïdesforts sont certains à court terme, mais s’épuisent fréquem-ment sur le long terme. Leurs effets peuvent même devenirdélétères, ce qui va dans le sens de la « spirale infernale »décrite il y 14 ans par Schofferman [3]. Comme le rappellel’éditorialiste, nous connaissons tous des patients doulou-reux chroniques dont la vie a été changée par l’utilisationprolongée de morphiniques et nul ne songerait à interrompre