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Activités de coordination et de catégorisation dans un Collectif de Sans papiers

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56 Actes des VIIèmes RJC ED268 ‘Langage et Langues’, Paris III, 15 mai 2004 56

Activités de coordination et de catégorisation dans un Collectif de Sans-papiers : une analyse conversationnelle

Natalia La Valle Torres

DEA Sciences du Langage, ILPGA, Paris3 - sous la dir. de M. Patrick Renaud orientation sociolinguistique

81, avenue de Paris, 94800, Villejuif, FRANCE Tél. : 01 53 14 31 77 – Tr. 0145295587

Courriel : [email protected] ; [email protected]

ABSTRACT In 2002 I began a fieldwork with a 'Collectif' of Parisian "Sans-papiers" (immigrants with no papers), in order to describe some of their verbal activities, through ethnographic observation and Conversational Analysis. I tried to empirically describe the procedures members of the 'Collectif' develop to manage their ordinary affairs, "treating as problematic phenomena the actual methods whereby members of a society make the social structures of everyday activities observable" [Gar67]. The observation of interactions –such as weekly meetings-, audio recording and transcription permitted to produce an extensive corpus, from which two main emerging phenomenons have been analysed: the members' coordination in "doing the meeting" and their social categorisations activities.

Plan

Cette communication présentera l'analyse d'extraits de transcription d'enregistrements audio, avec le but de partager les principes analytiques et les outils méthodologiques de l'Analyse Conversationnelle (AC), disci- pline qui étudie empiriquement les pratiques langagières et leur ordonnancement à travers les savoirs de sens commun mis en œuvre par les interlocuteurs.

Malheureusement, le manque de données vidéo ne me permettra pas de rendre compte de la dimension non- verbale de ces interactions.

1. Introduction théorique

Bref rappel des principes théoriques :

1.1. L'Analyse Conversationnelle (AC) d'inspiration ethnométhodologique ; 1.2. La linguistique interactionnelle dérivant de l'AC.

2. Analyse de deux phénomènes

Présentation de deux phénomènes interactionnels et leur articulation :

2.1. Coordination du "faire la réunion" ; 2.2. Activités de catégorisation sociale.

3. Conclusion

1. INTRODUCTION THÉORIQUE

1.1. L'Analyse Conversationnelle d'inspiration ethnométhodologique Ce courant, né aux Etats-Unis dans les années 1960, rend compte de la conversation en tant qu'activité structurée et structurante et la définit comme le lieu prototypique de la vie sociale. A travers l'analyse d'échanges langagiers très variés, l’Analyse Conversationnelle (désormais AC) d'inspiration ethnométhodologique cherche à décrire l’ensemble des procédés -ou méthodes- dont on dispose pour agir socialement : l'ordre social est ainsi abordé en tant qu'accomplissement, reconnu tout d'abord par les acteurs, pour qui la maîtrise du langage ordinaire est une question fondamentale.

Dans le champ de la linguistique, l’AC réalise une véritable rupture théorique : le langage n’est plus réductible à une combinatoire logique de la syntaxe, la morphologie, la sémantique : le sens des mots dépend, non seulement de la situation d’énonciation mais aussi de ce qui précède ou suit un tour de parole, de la dimension séquentielle et temporelle des échanges. C’est pourquoi en AC on transcrit les enregistrements de manière à préserver cette séquentialité : hésitations, chevauchements, pauses, débit, par ex., occupent une place centrale dans l’analyse (cf. les conventions de transcription en annexe).

1.2.1. La "machinerie" des tours de parole Les travaux de l’AC (cf. Sacks, Schegloff, Jefferson 1974), ont montré que la conversation est réglée par une « machinerie des tours de parole » [SSJ74] : un ordre basé sur l'alternance des tours. Les locuteurs sont constamment en train d'analyser et interpréter le comportement des interlocuteurs et la façon dont ils se coordonnent et s'orientent mutuellement est la garantie de cette alternance.

Il existe deux composantes principales dans cette "machinerie" : 1. les unités de construction des tours qui projettent des places de transition pertinente et 2. les techniques d'allocation des tours [G&M01].

1. La première composante met en lumière le fait que dans la conversation il existe des énoncés, phrases, unités lexicales, etc. qui permettent une projection du type

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d'unité en cours et de ce qu'il faudra à une unité pour qu'elle soit complétée. La première complétude possible constitue une "place de transition pertinente –TRP (anglais)".

2. La seconde composante rend compte du changement de locuteur, en rapport direct avec l'identification de ces TRP. Une fois les TRP identifiés, l'alternance peut se faire, par un des trois procédés suivants : a. hétéro-sélection (X donne la parole à Y), b. auto-sélection (Y prend la parole) et c. auto-sélection du même locuteur (X continue), souvent après un silence si a. ni b. n'ont pas eu lieu.

Dans tous les cas, à un nouveau TRP, les règles s'appliquent de façon récursive jusqu'à ce que se produise le changement de locuteur.

Avant de conclure ce point, rapellons que cette "machinerie" n'est qu'un savoir ordinaire permettant aux gens d’intervenir de façon ordonnée et significative dans une interaction verbale.

1.2.2. Les activités de catégorisation sociale Harvey Sacks, un des fondateurs de l'AC, s'est également intéressé de près à la catégorisation [Sac92] : il a décrit les procédés de production des catégories d'appartenance "qui opèrent dans une scène" sociale. Non pas pour en évaluer la "justesse" mais pour étudier les raisonnements pratiques par lesquels les locuteurs structurent leurs activités.

C'est sur cette base que je développerai le point 2.2.

1.2. La linguistique interactionnelle dérivant de l'AC : une approche praxéologique De cette approche dérive une certaine linguistique interactionnelle qui aborde le langage en tant qu'une des modalités de l’action. En effet, les pratiques langagières interviennent publiquement sur la réalité : on établit des relations intersubjectives et sociales, on produit des versions du monde et on s’oriente vers tel ou tel cours d’action. Et cela collectivement, de façon intelligible et descriptible (d'abord pour les participants, puis pour l'analyste).

C'est pourquoi dans ce courant on affirme que les pratiques sociales s’organisent de façon endogène : les participants définissent et gèrent, dans la temporalité de leur activité, l’événement dans lequel ils s’engagent, ainsi que les attentes, droits et obligations pertinents pour ce qu’ils ont à faire. Ainsi, la normativité (sociale, linguistique, etc.) est un émergeant observable des interactions, à la fois contrainte et ressource pour l'activité.

Enfin, puisque le langage est dynamiquement pris en charge par les participants, l'observation des interactions dans leur contexte d'occurrence s'impose en tant que véritable principe méthodologique.

2. ANALYSE DE DEUX PHÉNOMÈNES Les extraits traités ici ne sont qu’un aperçu des données produites et analysées. Il s'agit de l'enregistrement audio d'une réunion hebdomadaire du Collectif (où j'étais la seule "non-membre"), à laquelle participent une trenteine de personnes, dont certaines sont assises autour d'une table, notamment les délégués.

2.1. Coordination du "faire la réunion" EXTRAIT 1

Négociation des points de l’Ordre du jour (OJ) à traiter

De la ligne 1 à la 3 on observe des interventions coordonnées entre M et S pour clore le point précédent (okay suivi de pause) et démarrer le point "transport des musiciens" que les participants avaient défini en début de réunion comme étant le point à traiter une fois le point précèdent achevé.

Mais US chevauche le tour de S qui commençait à développer ce "point suivant", cette nouvelle activité, et propose de traiter "d'abord" quelque chose d'autre (l. 4-5), utilisant un indexical (pronom démonstratif ça) et en en thématisant le traitement prioritaire par rapport au cours d'action principal. A partir de ce tour de parole on observe comment le déploiement du topic "transport des musiciens" est suspendu au profit de la proposition de US.

Ainsi, le cours d'action principal est modifié sur plusieurs tours de parole : M (l.6), qui, depuis le début de la réunion prend des notes et rend compte publiquement du passage d'un point à l'autre de l'ordre du jour, s'auto-sélectionne et demande une clarification à US (assis loin de M) qui répète la fin de son tour (l.7), sans donner de référent au déictique "ça". Alors M manifeste à nouveau son incompréhension (l. 8) : il reprend le verbe du tour de US, celui qu'il semble avoir compris ("on va" à la place de "on voit"), terminant par une prosodie montante, qui, sur le plan séquentiel, demande une complétude de la part de son interlocuteur.

1 M: okey . le transport des musi[ciens/

2 E: [((XX))

3 S: matériels [et plus

4 US: [<((loin)) oui mais on

5 voit ça d’abord>

6 M: hein/

7 US: on voit ça d’abo[rd

8 M: [on va/

9 US: hier

10 M: ouais/

11 US: hier et [X

12 S : [<((vite))non non non non non>

13 c’est p-on a dEjà/ parlé:\ on dit/ ça

14 en dernière position on va parler de ça\

15 M : ah/ d’accord

16 S : ehr: ((rires))

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Mais US ne complète pas l'énoncé : il change de "tactique" et prononce le mot hier. Grâce aux notes ethnographiques, nous savons qu'il reprend partiellement ce qui avait été défini en début de réunion comme un point de l'OJ : le compte rendu d’hier, où lors d'une manifestation le Collectif avait rencontré des problèmes. Mais hier ne fait pas sens pour M qui invite US, par le continuateur "ouais/" à développer. US reprend et s'apprête à poursuivre son explication (l.11) quand S, anticipant son action, chevauche et tronque son tour. Cette interaction met en évidence une des caractéristiques de la conversation : sa projectibilité - la projectability en anglais, une notion fondamentale en AC. Les interlocuteurs interprètent en permanence ce qui se passe et sont capables de projeter ce qui va suivre. C'est là une ressource interactionnelle majeure dont disposent tous les acteurs sociaux.

Entre les lignes 6 et 11 on observe donc une séquence de réparation dans laquelle M formule des demandes d'explicitation auxquelles US donne satisfaction en déployant une série de réponses de plus en plus claires au cours de l'échange. Or, à partir de l'intervention de S le cours d'action est à nouveau radicalement modifié : avec un débit rapide, S formule cinq non successifs, suspend son énoncé (c’est p-), puis reformule utilisant l'argument « on a déjà parlé ». S prononce le mot « déjà » avec un ton réprobateur en direction de US : de cette façon il rappelle que le groupe s’est accordé sur l'ordre des « points » à traiter (utilisation de plusieurs on inclusifs) et que le topic (ou thème) proposé par US sera abordé « en dernière position », et non pas à ce moment-là.

Ce n’est qu'après cet échange que M comprend ce qui se passe (l.15), provoquant l’amusement de S. La séquence de sept tours dans laquelle s'engagent US et M est interprétée par S comme prenant une direction déviante par rapport au cours d’action principal. Au cours de la séquence de réparation, le mot hier est manifestement interprété par S comme introduisant un thème problématique à un moment non approprié : sur le plan séquentiel, S réoriente l'échange, produit un "account" de l’ordre des points en tant que planification collective et délégitime l'intervention de US.

Cet extrait rend compte de la façon dont les participants produisent interactionnellement et séquentiellement la topicalité de la réunion, mais aussi la manière dont la temporalité et la projectabilité sont exploités en tant que ressources. Les interlocuteurs s'orientant vers des détails pertinents du déploiement de l'activité, comme en l'a vu pour les interventions de US et S (3-4 et 11-12) qui modifient ou rétablissent le cours de l'interaction à des moments particuliers de la séquence.

- US utilise un passage transitionnel de la réunion : le point précédent vient d'être clos et le suivant a été présenté ; US chevauche le tour de S avant que celui-ci ne s'engage d'avantage dans le développement du point annoncé, ce qui "refermerait" la phase transitionnelle.

- Après une séquence de réparation dans laquelle M s'engage de plus en plus, attribuant à US un espace participatif de plus en plus important, ce qui semble ne pas être compris par M (notamment à partir du mot hier) l'est par S, qui s'auto-sélectionne pour rétablit l'activité principale. Il tronque le tour de US avant que ce dernier ne déploie davantage sa proposition, interprétée et décrite par S comme "déviante".

Ainsi, les droits et obligations des membres du Collectif ne sont pas donnés d'avance mais sont liés à la façon dont les interlocuteurs interprètent et structurent publiquement leurs activités. Le fait que S soit un des délegués du Collectif (et membre du bureau) ne pourrait pas tout expliquer car M aussi est délégué (et fait partie du bureau), alors que US est un plus jeune militant. Les responsabilités concernant la structuration de la réunion ne résident pas sur des attributs externes des participants mais sont liés aux rôles concrètement assumés par les interlocuteurs. La façon de faire de S configure son rôle de responsable du Collectif et le légitime publiquement.

EXTRAIT 2

Passer ou pas d’un point à un autre de l’Ordre du jour

A la ligne 1, M propose de changer de point thématique suivant l'ordre du jour établi et, suite à une reprise interrogative de U (2), M répète son énoncé (l. 3), créant ainsi une place de transition pertinente (TRP). Cette TRP est saisie par S, qui s'auto-sélectionne (l. 4). Il commence sont tour avec la conjonction mais, qui problématise d'emblée le tour précédent, puis il thématise l'inachèvement du topic en cours et invite (l.6) les participants à discuter immédiatement des " prix" à donner aux produits dont ils parlent depuis un moment. S réoriente ainsi l'activité, à la fois sur le plan thématique (topical) et séquentiel. A la l. 8, DJ, anticipant la fin du tour de S, s'oriente dans le même sens que ce dernier avec un chevauchement collaboratif sur la fin de son tour. DJ contribue ainsi à légitimer la nouvelle orientation proposée par S.

DJ traite le passage au point suivant comme un problème, non pas de façon absolue mais de façon rétrospective, par rapport à ce qui a été dit par ses interlocuteurs. Le "sous-point" des prix est présenté par S et DJ comme une extension et une complétion logique du point en cours ("les beignets et jus"), raison pour laquelle le sous-point

1 M : on va passer au point suivant/ 2 U : on va passer/ 3 M : on va passer au point suivant/ 4 S : mais/ on a pas encore fini/.. parce que/5 parce que/ t(out) ça là/ on le on le vend6 là . il faut donner les prix/. dès 7 ma[intenant/ 8 Dj: [voilà/ c’est ça le problème\

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des prix doit être abordé "dès maintenant". Les participants saisissent donc les occasions offertes par le développement séquentiel et thématique de la conversation pour proposer des nouveaux topics et la modalité de leur traitement, négocier des procédés ou réorganiser l'activité.

2.2. Activités de catégorisation sociale Selon H. Sacks les dispositifs de catégorisation sont des mécanismes de control social. Il souligne que les catégories d'appartenance (telle que "jeune", "noir", "médecin", etc.) "sont organisées dans des groupements naturels" : ce sont les collections de catégories (sexe, profession, etc.). Ces collections et leurs règles d'utilisation forment des "dispositifs catégoriels".

La règle d’économie rend compte du fait que, pour catégoriser quelqu’un, les participants en choisissent un seul trait, rendant pertinent un élément plutôt qu’un autre ; la règle de cohérence rend compte du fait qu’une fois ce trait choisi et une certaine catégorie appliquée, les autres catégorisations s’orientent vers la même collection.

Comme illustration, je vous invite à regarder les extraits suivants.

En gras, les catégories produites (pour en faciliter la lecture).

2.2.1. Le point "beignets et jus"

EXTRAIT 3

EXTRAIT 4 (suite extrait 3)

Ces échanges peu réglés sur le plan séquentiel et de l'attribution des tours de parole, sont caractérisés par des

tours brefs et des rires. Ce format de participation s’articule à une production thématique très dynamique, axée sur des questions pratiques (la préparation d’une vente de nourriture dans le quartier).

Dans cet extrait les dispositifs de catégorisation s’organisent essentiellemtn par paires catégorielles (pronominales et adjectivales) : nous/vous - toi/moi = notre quartier/ votre quartier, ton ou mon quartier (car "toi" ou "moi" sont des raccourcis pour parler des gens que ces participants représentent) ; Maliens/ (Ivoiriens), africain/ français-blanc. Ces catégories rendent pertinentes les différences et les liens culturels entre les nationalités présentes ainsi que le rapport à la société française : le groupe se rend visible comme étant multiple et hétérogène (différents quartiers d'arrondissement et différentes nationalités dans le collectif) mais aussi unifié dans le rapport aux Blancs (ou Français) : la catégorie africain les rassemblant tous, devenant une catégorie partagée par rapport à la catégorie blanc ou français.

2.2.2. Le point "Préfecture"

EXTRAIT 5

L'interaction en cours a été définie par les participants comme le "point Préfecture" (dernier point de la réunion). Elle est plus réglée que ce que l'on a vu précédemment : les tours sont plus longs et leur attribution, ritualisée et publiquement contrôlée. Ce pattern s’articule à une production thématique, ou topicale, axée sur des questions institutionnelles et de fonctionnement du Collectif.

Dans ces extraits, les principales paires catégorielles élaborées (plutôt nominales) sont manifestation/agé ; collectif/RG (renseignements généraux) ; collectif/ collectif ; vous/nous -plus complexe que dans l’extrait précédant car nous fait référence à tout le groupe (nous inclusif). Dans cette partie de la réunion on parle de la crédibilité du groupe face aux agents de la Préfecture et aux autres SansPapiers : le Collectif est défini comme tel, dans son caractère revendicatif (pour l'obtention des régularisa- tions) et il se doit d’être reconnu comme étant

1 RG : Reinsegnements Généraux 2 AG : assemblée générale

1 S : pour ça/ des caisses.. toi au niveau: 2 tu avais fait des quoi/ des gingembres et 3 tous tout le monde va faire des jus hein/. 4 des jus de chez vous: des jus de: chez 5 nous:: 6 ? : X 7 S : voilà des jus de chez nous:/

14 U : moi j’avais fait les gâteaux 15 ? : X 16 S : eux ils avaient fait gâteaux\. X 17 gâteaux il faut changer\. faut fai:re 18 gâteaux maliens là [X gâteaux des X là/ 19 ? : [((rires)) 20 S : faut faire/- 21 U : mais on a dit. des trucs africains/ XX 22 français 23 S : mais c’était afri/ c’était afri- vous 24 vous avez fait gâteaux là ça là le: il 25 est blanc X/ 26 ? : mais non\

20 U : (…) donc moi je pense que on met les

21 choses même quand on est énervé/. en

22 manifestation dans les trucs comme ça

23 où il y a les ergé1 y a tout/. il faut

24 il faut jamais se disputer. il faut

25 garder le silence jusqu’à l’agé2 pour se

26 donner des idées: […]

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homogène et organisé. Aussi, par ces procédés catégoriels, les participants structurent discursivement deux espaces d’action distincts : "en manifestation" (‘y a les RG y a tout’) = espace de confrontation et d’exposition politique), et l’AG, l'espace de parole collective propre au groupe.

L'activité de catégorisation des participants est ici configurée par le traitement de ce point de l'OJ à ce moment de la réunion, moment qui à son tour configure et produit la logique interne de ces catégories.

Les rapports à l’Etat, les relations de force et les enjeux institutionnels ssont produits en tant que questions pertinenetes pour les partuicipants, qui les traitent avec des procédés conversationnels différents de ce que l'on a vu pour les extraits précédents. Il s'agit toujors de catégorisation sociale, mais les logiques d'interaction changent, ainsi que les paires catégorielles et les traits rendus pertinents pour produire les catégories.

3. CONCLUSION D'abord on a vu des procédés collaboratifs de coordination : comment et dans quelles conditions l'ordre des points de l'OJ à traiter est-il négocié et géré par les interlocuteurs et comment est-il rendu observable dans la temporalité de l'échange.

Pour ne parler que de l'Ordre du Jour, on sait que dans ce Collectif les Sans-papiers co-élaborent l’OJ en début de réunion, ce qui constitue une des routines organisatrices de leurs réunions hebdomadaires. Mais cette façon de faire (nettement occidentale) n'est pas fixée une fois pour toute : les membres l'utilisent en tant que ressource, tout en appelant au caractère instituant de l'OJ. Cette pratique n'est bien sûr pas exclusive à ce groupe social.

Puis on a vu les catégories mobilisées : les participants s’engagent dans une activité d’abord moins puis plus contrôlée et ritualisée, d'où émergent, s’y ajustant et la configurant à la fois, des paires catégorielles différentes. Lors du point sur la nourriture, les activités de catégorisation sont le résultat de raisonnements de sens comlmun liés aux appartenances locales ou aux identifications culturelles. Les frontières culturelles entre les membres du Collectif et entre eux et les "Blancs" ne sont pas statiques : elles dessinent les contours d'une activités en train de se faire et viennent apporter des solutions à des problèmes pratiques. Rappelons qu'il s'agit d'une interaction où l'attribution des tours n'est pas centralisée par quelqu'un : les locuteurs s'auto-sélectionnent, les tours sont assez courts et le nombre de participants important.

Lors du point sur la Préfecture, au contraire, la parole est attribuée par une personne désignée, les tours de chaque locuteur sont plus longs et il y a une thématisation de la mise en discours du locuteur ("moi je pense"), qui ritualise davantage l'échange. Les catégorisations des participants se servent de raisonnements pratiques liés aux enjeux sociaux et politiques de l'affrontement avec l'Etat : il ne faut pas se montrer divisés devant les RG, par ex.

L'action militante des Sans-papiers est constituée ainsi, dans sa dimension conversationnelle, par des paires catégorielles qui constituent des frontières différentes au point précédent : ici c'est l'ensemble du Collectif, en tant que tel, qui est rendu pertinent, dans son rapport aux institututions de l'Etat. Encore une fois, la manière dont l'interaction s'organise façonne et est façonnée par les thèmes traités, mettant en évidence la relation de réflexivité entre ressources langagières et activité en cours.

Les résultats de ces analyses montrent que les interlocuteurs agissent de façon coordonnée (avec différents degrés d’accord), définissent des questions à traiter et la façon de les traiter et s'exhibent en tant que groupe.

Or, les activités rendent compte non pas d'un groupe unique, homogène, mais de groupes au pluriel : on produit une sorte d’entre-deux sur le plan culturel, entre la France et les pays d’origine (en Afrique occidentale) ce qui donne lieu à une configuration complexe du Collectif, sur le plan identitaire. Il ne s'agit pas uniquement d'une organisation revendicative ni uniquement d'un lieu de rencontre sociale : les constructions identitaires sont des accomplissements collectifs et instables, ancrés dans les activités en cours, orientant et orientées par des logiques d'action différentes et donc inséparables du déroulement de ces activités [H&E97].

Paradoxalement, les Sans-Papiers, bannis par les institutions de l’Etat, se donnent des moyens interactionnels et formels très fins pour agir collectivement.

BIBLIOGRAPHIE [Gar67] Garfinkel H. (1967), Studies in

Ethnomethodology, Englewood Cliffs, NJ: Prentice- Hall.

[Goo81] Goodwin Ch. (1981), Conversational Organization: Interaction Between Speakers and Hearers, New York: Academic Press.

[G&M01] Gülich E. & Mondada L. (2001), "Analyse Conversationnelle", in Holtus G., Metzeltin M. & Scmitt C. (eds), Lexicon der Romanistischen Lingvistik, vol. 1, 2, pp. 196-250.

[H&E97] Hester, S., P. Eglin, eds. (1997), Culture in action: studies in membership categorization analysis. Washington, D.C.: University Press of America.

[Sac92] Sacks H. (1992 [1964-1972]), Lectures on Conversation (2 vols.). Oxford: Basil Blackwell.

[SSJ74] Sacks H., Schegloff E. & Jefferson G. (1974), "A Simplest Sytematics for the Organization of Turn-Taking for Conversation", Language, 50, 4, 696-735.

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Natalia LA VALLE TORRES

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ANNEXE Conventions de transcription

[[ [ chevauchements (les crochets en indiquent le début)

. .. … pause (micro, moyenne, longue)

X syllabe incompréhensible / \ intonation montante/ - descendante\ dEjà segment accentué (intensité-volume de la voix) ((rire)) phénomènes non-transcrits : allongement vocalique

par- troncation