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« Un codétenu a des problèmes pour se lever du lit. […] Si personne ne l’aide, il ne peut pas prendre de douche*. » C’est le témoignage d’un détenu parvenu à l’association Ban public. « Tant qu’il n’y a pas de système organisé pour venir en aide aux personnes handicapées, nous assistons à des situations épouvan- tables », alerte Jean-Marie Dela- rue, contrôleur général des lieux de privation de liberté. À cela s’ajoute une surpopulation carcérale. Les services médicaux et sociaux sont débordés. « À la désolation des surveillants, c’est le règne de la débrouille », poursuit-il. « Mais sans état des lieux précis, comment éva- luer les besoins ? » s’interroge pour sa part François Bès, responsable santé à l’Observatoire international des prisons (OIP). L'administration pénitentiaire a donc réalisé en 2013 une enquête nationale sur le handicap et la dépendance, qui portait égale- ment sur les handicaps sensoriels. Les résultats de cette enquête devraient être connus d’ici fin juin 2014. Entre la multiplication des escaliers, les impératifs sécuri- taires et les contraintes de la vie collective, « la maison prison n’est pas faite pour le handicap », estime Jean-Marie Delarue. « Rien n’est prévu » pour les personnes sourdes ou aveugles, déplore François Bès. Et pour cause : l’arrêté du 4 octobre 2010 fixant les règles d’accessibilité des établissements pénitentiaires ne s’applique qu’aux constructions L’adaptation des prisons aux personnes en situation de handicap révèle encore bien des lacunes. Dans le même temps, la surpopulation carcérale freine une prise en charge décente des détenus handicapés. Zoom sur cette question brûlante. neuves et ne définit que les normes pour les handicaps moteurs. En août 2012, l’OIP saisissait le Défenseur des droits sur le cas d’un détenu sourd, placé en quartier disciplinaire en raison du tapage qu’il aurait fait en cognant pen- dant plusieurs heures sur sa porte pour tenter de communiquer son malaise. « Les sourds souffrent le martyre en détention. Tout y est oral. Il n’est pas bon de ne pas entendre les consignes des surveillants, ou les détenus qui vous menacent », pour- suit Jean-Marie Delarue. « Il faut y faire entrer la langue des signes, grâce au Génepi [groupement étudiant national d'enseignement aux per- sonnes incarcérées, ndlr] », insiste Anne-Sarah Kertudo, coordina- trice du collectif “Sourds et prison”. « Un film a aussi été réalisé avec la fondation M6. Il peut être diffusé au moment de l’entrée en prison pour en expliquer le fonctionnement. » Le collectif plaide également pour la création d’un établissement Adapter la prison… ou la peine 329 personnes handicapées recensées dans les prisons au 1 er janvier 2013 ACCESSIBILITÉ n°131 être . Handicap Information 41

Adapter La Prison... Ou La Peine

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  • Un codtenu a des problmes pour se lever du lit. [] Si personne ne laide, il ne peut pas prendre de douche*. Cest le tmoignage dun dtenu parvenu lassociation Ban public. Tant quil ny a pas de systme organis pour venir en aide aux personnes handicapes, nous assistons des situations pouvan-tables , alerte Jean-Marie Dela-rue, contrleur gnral des lieux de privation de libert. cela sajoute une surpopulation carcrale. Les services mdicaux et sociaux sont dbords. la dsolation des surveillants, cest le rgne de la dbrouille , poursuit-il. Mais sans tat des lieux prcis, comment va-luer les besoins ? sinterroge pour sa part Franois Bs, responsable sant lObservatoire international des prisons (OIP).L'administration pnitentiaire a donc ralis en 2013 une enqute nationale sur le handicap et la dpendance, qui portait gale-ment sur les handicaps sensoriels.

    Les rsultats de cette enqute devraient tre connus dici fin juin 2014. Entre la multiplication des escaliers, les impratifs scuri-taires et les contraintes de la vie collective, la maison prison nest pas faite pour le handicap , estime Jean-Marie Delarue. Rien nest prvu pour les personnes sourdes ou aveugles, dplore Franois Bs. Et pour cause : larrt du 4 octobre 2010 fixant les rgles daccessibilit des tablissements pnitentiaires ne sapplique quaux constructions

    Ladaptation des prisons aux personnes en situation de handicap rvle encore bien des lacunes. Dans le mme temps, la surpopulation carcrale freine une prise en charge dcente des dtenus handicaps. Zoom sur cette question brlante.

    neuves et ne dfinit que les normes pour les handicaps moteurs.En aot 2012, lOIP saisissait le Dfenseur des droits sur le cas dun dtenu sourd, plac en quartier disciplinaire en raison du tapage quil aurait fait en cognant pen-dant plusieurs heures sur sa porte pour tenter de communiquer son malaise. Les sourds souffrent le martyre en dtention. Tout y est oral. Il nest pas bon de ne pas entendre les consignes des surveillants, ou les dtenus qui vous menacent , pour-suit Jean-Marie Delarue. Il faut y faire entrer la langue des signes, grce au Gnepi [groupement tudiant national d'enseignement aux per-sonnes incarcres, ndlr] , insiste Anne-Sarah Kertudo, coordina-trice du collectif Sourds et prison. Un film a aussi t ralis avec la fondation M6. Il peut tre diffus au moment de lentre en prison pour en expliquer le fonctionnement. Le collectif plaide galement pour la cration dun tablissement

    Adapter la prison ou la peine

    329 personnes handicapes recenses dans les prisons au 1er janvier 2013

    ACCESSIBILIT

    n131 tre . Handicap Information 41

  • pnitentiaire spcifique, avec des surveillants qui savent signer. Les sourds seraient regroups l, sils le souhaitent.

    Une accessibilit dfaillante315 cellules ont dj t amna-ges pour les personnes mobi-lit rduite, selon la Direction de ladministration pnitentiaire. Par exemple, dans une maison darrt de lEst de la France [] [une] cel-lule adapte [est] implante comme les autres cellules ltage, avec un ascenseur , mentionne le rapport 2012 du contrleur gnral des lieux de privation de libert.Mais 243 de ces cellules adaptes ne sont pas totalement aux normes. Et Jean-Marie Delarue numre : La largeur des cellules ne permet pas un fauteuil de tourner. Une per-sonne ma dit quelle tait tombe cause de la petite marche lentre de sa cellule. Les units mdicales sont au premier tage. Un autre dtenu a donc t oblig de descendre de son fauteuil [pour sy rendre], quasiment oblig de ramper . Quand tout va bien, prcise Franois Bs, ces cel-lules sont situes au rez-de-chaus-se, o se trouvent les rgimes ferms . Une localisation qui isole et entrane une dsocialisation supplmentaire .

    Des conventions avec les associations Les impratifs de scurit ont pr-valu dans larchitecture moderne de la prison, constate Jean-Marie Delarue. Ceux qui en ralisent les plans doivent penser demble au handicap. Ils doivent aussi sap-puyer sur lexpertise des personnes handicapes et des associations.Certaines, comme lAssociation des paralyss de France (APF), agissent en faveur des dtenus, parfois grce des conventions. Cela permet de faciliter lentre rgulire dintervenants extrieurs la prison , prcise Alain Duche-min, prsident du comit local de

    lassociation Valentin-Hay Char-leville-Mzires (Ardennes), qui en a sign une avec la maison darrt de la ville. Faute de convention, les procdures sont trs longues chaque fois que quelquun souhaite se rendre la prison. Nous pour-rons ainsi venir faire de la lecture aux dtenus aveugles ou prter du mat-riel adapt. Mais cette conven-tion demeure unique en son genre concernant les dtenus aveugles. Outre laspect matriel, le handi-cap, en particulier moteur, peut ncessiter une aide humaine, le plus souvent confie aux codtenus. Sils sont gnralement solidaires, cet tat de dpendance comporte un risque de racket. Le milieu car-cral est une socit de pnurie , explique Jean-Marie Delarue.La solution consiste faire inter-venir des aidants professionnels, financs par les conseils gnraux. L encore, cela passe par la signa-ture de conventions avec les ta-blissements pnitentiaires. Pour linstant, il en existerait une ving-taine. Tout reste faire. Or la popu-lation carcrale vieillit et la situation risque donc de saggraver, poursuit-il. Nous devons dfinir un plan han-dicap et prison, avec la mise en place dun comit interministriel.

    milie Lay

    * Enqute prison/handicap, Ban public et Association des

    paralyss de France, 2012.

    DES SORTIES ANTICIPES PEU APPLIQUES Si le rgime carcral ne permet pas la personne handicape d accder toutes les prestations, sans difficult suppl-mentaire, il faut la faire sortir , tranche Jean-Marie Delarue (photo), contrleur gnral des lieux de privation de libert. La peine pourrait alors sexercer en milieu ouvert. Cest le sens de la loi du 4 mars 2002, qui prvoit la sortie anticipe des personnes condamnes prsentant un tat de sant

    durablement incompatible avec leur maintien en dtention . Mais elle est difficilement applique. On exige maintenant que deux experts mdicaux mettent des conclusions concordantes. Ils doivent tre capables dappr-cier ltat de sant associ la dtention. Or ils nont pas de connaissance de la prison.

    DOUBLE PEINE POUR LES HANDICAPS INVISIBLES Pour que le handicap soit pris en compte, encore faut-il quil soit reconnu. Or il arrive que la surdit soit mal dtecte en prison. Les sourds mettent des sons plus ou moins audibles. Nombre dentre eux sont illettrs. Ils sont donc parfois assimils soit des trangers sous le choc, soit des personnes ayant un retard mental important , observe Anne-Sarah Kertudo, coordina-trice du collectif Sourds et prison.

    Par ailleurs, la prsence de dtenus en situation de handicap mental nest pas recense prcisment. Il existe des chiffres sur la sant mentale, mais ils portent sur le caractre pathologique , indique Franois Bs, responsable sant lObservatoire international des prisons. Nous recevons des cour-riers de dtenus chez qui on peroit des difficults de comprhension, au-del de lillettrisme. Nous sommes alerts par des codtenus ou les familles...

    Selon Jean-Marie Delarue, il y a en prison beaucoup dgars. En cause, les nouvelles dispositions du Code pnal datant de 1994. Les personnes peuvent dsormais tre dclares irresponsables au moment de linfrac-tion, mais pas globalement irresponsables. Il y a beaucoup moins dirrespon-sables pnaux dclars par an et placer en dtention des personnes souffrant dun handicap mental profond, cest les envoyer au massacre .

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    42 tre . Handicap Information n131