Adler y Cartry- 1971- La Transgression Et Sa Derision

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  • 7/22/2019 Adler y Cartry- 1971- La Transgression Et Sa Derision

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    Michel CartryAlfred Adler

    La Transgression et sa drisionIn: L'Homme, 1971, tome 11 n3. pp. 5-63.

    Citer ce document / Cite this document :

    Cartry Michel, Adler Alfred. La Transgression et sa drision. In: L'Homme, 1971, tome 11 n3. pp. 5-63.

    doi : 10.3406/hom.1971.367194

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1971_num_11_3_367194

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_hom_4950http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_hom_5112http://dx.doi.org/10.3406/hom.1971.367194http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1971_num_11_3_367194http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1971_num_11_3_367194http://dx.doi.org/10.3406/hom.1971.367194http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_hom_5112http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_hom_4950
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    LA TRANSGRESSION ET SA DRISION

    parALFRED ADLER et MICHEL CARTRY

    Les problmes thoriques du symbolisme en anthropologie apparaissentaujourd'hui au centre des proccupations de nombreux chercheurs qui sentent lancessit de soumettre un nouvel examen l'quivalence, souvent admise depuisMauss, entre le culturel et le symbolique. En qualifiant l'ordre culturel de symbolique, on nonce une de ses proprits essentielles, qui se rattache la fonctiondu langage. Mais cette fonction est ce point prdominante qu'elle semble soumettre sa loi toutes les autres, y compris celles de production et de reproduction,si bien que tous les aspects de la culture peuvent tre dits symboliques, terme quin'est plus un prdicat mais la substance mme dont il est indiscernable.La parent apparat comme un terrain d'lection pour en apporter la preuve,car elle est simultanment ralit sociologique et fait de langage ; en elle, plus quepartout ailleurs, les choses (interdits, rgles de mariage, rgime de descendance etattitudes) ne sauraient prexister aux mots. On a donc affaire ici une institutionqui, parce qu'elle est solidaire de celle du langage dans l'acte mme qu i l'instaure,est, en principe du moins, contemporaine de l'mergence de la pense symbolique.Morgan avait dj, sa manire, soulign cette solidarit lorsqu'il crivait en 1871 : Un arrangement formel des catgories des consanguins les plus proches dans deslignes de filiation, avec l'adoption d'une certaine mthode pour distinguer unparent d'un autre et pour expliquer la valeur de la relation, aura t parmi lespremiers actes de l'intelligence humaine (Morgan 1968).Qu'on ne puisse plus croire, comme l'poque o crivait Morgan, qu'il soitpossible de retracer la gense de ces premiers actes qui sont ceux par lesquelss'est institu l'ordre symbolique, cela tient, on le sait, de multiples facteurs. Lacritique par Radcliffe-Brown de la mthode de l'histoire conjecturale et peut-tre surtout le renversement de perspective marqu par l'avnement de la phonologie structurale ont t, croyons-nous, les plus dcisifs.

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    6 ALFRED ADLER ET MICHEL CARTRYMais si l'ethnologie comme la linguistique modernes se rencontrent dans leurrejet des principes de l'explication volutionniste classique, les systmes synchro-niques de la langue et de la parent ne sont pas pour autant dans une situation

    identique quant au rle qu'y tient le problme des origines. Dans les tudessur la parent, en effet, la recherche d'un fondement aux symboles sociauxn'a jamais cess de se poursuivre. On en voit le tmoignage dans les tentativessans cesse renouveles d'explication psychologique des attitudes de parent, voiredes rgles de mariage1. Que signifieraient l'insistance sur la relation gniteurs-enfants, l'accent particulier mis sur la proximit biologique et affective avec lamre, sinon le souci de remonter une fons origo d'o les liens avec les diverstypes de parents pourraient tre drivs ? Plus loquente encore est la positiond'un Robin Fox qui n'hsite pas rouvrir le dbat avec Freud sur la lgitimitd'une interprtation en termes de phylogense de la prohibition de l'inceste et conclure en lui donnant raison pour une large part (Fox 1967a)2. C'est biend'ailleurs cette question de l'interdit de l'inceste que se ramne toute interrogation sur le problme des origines dans le champ de la parent. Et c'est bienaussi la bute sur laquelle elle vient se heurter.Notre propos n'est pas de rcuser une telle interrogation mais de la soumettre un examen nouveau. Pour y rpondre, Freud, s'appuyant sur Darwin et lesauteurs de son temps, avait forg un mythe : au terme de sa reconstruction, ilaboutissait la structure dipienne de la famille contemporaine. Rexaminantl'uvre de Freud, R. Fox tente de dmontrer que le mythe d'origine prsentdans Totem et tabou permet de comprendre l'mergence des socits matrilinaires rituels totmiques labors. Pour rendre compte des socits matrilinaires sanstotmisme, il nous propose une nouvelle version du mythe forg par Freud, ol'limination du pre ne prend plus la forme du meurtre et de la manducationmais celle du dni du rle du gniteur dans la production des enfants. Pourintressante que soit cette dmarche, il nous semble prfrable de s'adresser auxmythologies elles-mmes3. Certaines d'entre elles nous ouvrent une direction derecherche d'un ordre diffrent, qui a trait ce que nous appellerons l'en-de del'inceste. On a coutume de considrer les relations incestueuses dans le mythe soitcomme l'expression du dsir ou de la nostalgie d'un monde o de telles relationsseraient permises ou indiffrentes, soit comme l'expression d'une fonction structu-

    1. Nous pensons en particulier la position de Homans et Schneider telle qu'elle estprsente et svrement critique par R. Needham dans son ouvrage Structure and Sentiment (1962). Mais Cl . Lvi-Strauss, qui tait pris partie par ce s deux auteurs, leur avaitdj rpondu dans une longue note Anthropologie structurale (1958 : 344).2. R. Fox revient sur ce thme dans son livre Kinship and Marriage o il crit : Toexplain the near universality of some kind of incest avoidance, I think we must take up thequestion of origins. This is why I was chary of dismissing Freud... (1967b : 64).3. Nous rservons entirement le problme thorique du rapport entre le mythe etl'inconscient social.

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    SUR LA. TRANSGRESSION 7raie d'inversion de la rgle sociale, fonction destine fonder l'interdiction et satransgression par des personnages investis d'un caractre sacr ( des fins de souverainet ou autres). Mme si, un certain niveau, de tels pisodes sont justiciablesd'interprtations de ce type, on peut dire que dans l'un et l'autre cas, on se donnecomme dj constitu ce qui est prcisment l'mergence d'un ordre que le mytheraconte et explique. En d'autres termes, on raisonne comme si le mythe mettaiten scne des personnes dfinies comme pre, mre, fils et sur, alors que ces rlesparentaux appartiennent l'ordre constitu par la prohibition. En fait, c'estavant tout d'entits pr-personnelles que le mythe nous parle. C'est du moins cequ i ressort l'vidence du domaine africain qui est le ntre. Mais il y a davantage.Dans la plupart des grandes mythologies cosmogoniques connues de l'Afriqueoccidentale, sont relates les aventures d'tres dont la maturation organique n'estpas encore acheve. Nous pensons en particulier aux populations de la Boucle duNiger ou de la zone ctire, notamment dans la rgion du Bnin o il semble bienque c'est l'ordre de la vie qu i est pens, ordre qui ne va pas sans le contre-ordrerendu manifeste par l'existence des thmes tratologiques qui y tiennent une sigrande place. A cet gard la mythologie des Dogon du Mali est encore plus loquente, qu i nous raconte les avatars de membres disjoints, d'organes projetsdans l'espace, de morceaux de placenta permettant la descente des premirescratures sur une terre encore peine forme.C'est cette mythologie que nous nous attacherons suivre en centrant notreattention sur les thmes de l'unit et du morcellement de la cration. Elle seranotre matire premire dans cet article qui vise, non prsenter ou esquisser une thorie des attitudes de parent, mais offrir quelques rflexions sur lasymbolique qui est la leur dans une aire de civilisation noire dont l'extension estencore dcouvrir. Ce choix s'impose d'autant plus imprieusement qu'existedj l'tude que M. Griaule a consacre l'oncle utrin (1954) et dont on peuts'tonner que les problmes qu'elle soulve aient suscit si peu de controverses1.Assurment sa mthode avait de quoi dconcerter les anthropologues soucieuxd'explication positive. Rechercher dans le mythe les rponses au problme del'avunculat ne relve-t-il pas de l'idalisme le plus classique ? Et le mytheaurait-il valeur de thorie indigne ne s'arrte-t-on pas en chemin tenir pourl'interprtation du phnomne une partie du phnomne lui-mme qu'il s'agitd'expliquer ? Il est difficile d'carter ces objections. Et il faut reconnatre quel'uvre de Griaule press qu'il tait de mener leur terme de multiples enqutesdont le plan avait t trac sitt entrevue l'ampleur des spculations intellectuellesdes initis dogon sur leur socit n'y a pas elle-mme entirement rpondu. Nous

    1. Il n'existe, notre connaissance, que deux textes qui dgagent l'importance thorique de cette tude : ceux de L. de Heusch (1958 : 160-231) et de S. F. Moore (1967 :63-75)-

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    8 ALFRED ADLER ET MICHEL CARTRYaurons nous-mmes l'occasion de souligner les nombreux problmes qui restenten suspens dans le texte consacr l'avunculat. Nous pensons nanmoins que parsa dmarche, il ouvre une voie dont la fcondit est loin d'avoir t puise. Maissurtout, la publication du premier fascicule du Renard Ple (Griaule et Dieter-len 1965), en nous donnant accs dans leur version intgrale aux thmes mythiquesseulement esquisss dans les articles antrieurs, nous permet de lever certainesde ces obscurits. Peut-tre pouvons-nous mme attendre d'une analyse exhaustivedu mythe du Renard , qui sera l'objet d'un travail ultrieur, une mise en perspective nouvelle du problme des attitudes de parent.

    Avant de reprendre l'argumentation de Griaule sur le problme de l'onclematernel, problme qu'on a considr bon droit comme le point de dpart detoute thorie des attitudes (Lvi-Strauss 1958 : 47), on nous permettra derappeler deux des thories les plus connues.La thse, dj ancienne (1924), de Radcliffe-Brown porte sur des faits recueillisdans des socits patrilinaires d'Afrique et de Polynsie. Elle repose, on s'ensouvient, sur le principe de l'quivalence des siblings1 qui, au moins dans lessystmes labors de classification de la parent, aboutit traiter ou parfois traiter et dsigner la sur du pre et le frre de la mre respectivementcomme un pre fminin et une mre masculine (Radcliffe-Brown 1968 :83-102). A ce principe s'ajoute celui d'une distance plus grande d'un homme unefemme l'intrieur du mme lignage. En faisant jouer ces deux principes, etconnaissant les attitudes primaires d'Ego l'gard de chacun des deux gniteurs,on peut alors dduire les traits marquants de sa relation aux membres de leurslignages respectifs. Ainsi, dans un grand nombre de socits patrilinaires del'Afrique et de la Polynsie, traitera-t-on la sur du pre avec encore plus derespect que le pre et attendra-t-on du frre de la mre encore plus d'indulgenceque de la mre. Le schma de la figure 1 illustre ce raisonnement.Mais l'usage qui est fait du principe d'extension ne se limite pas ces seulsfaits. En d'autres termes, on s'efforcera conjointement d'tablir que le type decomportement qui est prescrit l'gard de l'oncle maternel s'tend non seulement tous les parents maternels mais galement aux dieux ou aux anctres du groupematernel. En ce qui concerne ces derniers, on montrera que, loin d'tre objets decrainte, ils sont avant tout considrs comme gurisseurs et que l'une desfonctions du troupeau donn dans certaines socits l'oncle maternel titre depaiement pour le mariage de la fille de sa sur, est de fournir une rserve pourles sacrifices destins au rtablissement de la sant des enfants de la sur.

    1. Qualifi dans une tude ultrieure du mme auteur (1941) de principe structuralde base permettant d'interprter des institutions aussi diffrentes que les formes de mariage(polygynie sororale, sororat, lvirat) ou l'organisation en clans ou moitis (Radcliffe-Brown 1968 : 123-167).

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    SUR LA TRANSGRESSION

    - respectEgo respect redoubl

    + attente d'indulgence+ + indulgence redoubleFIG. I.

    Cette dmarche marque un progrs par rapport aux tudes antrieures, dansla mesure o elle fait l'conomie d'hypothses volutionnistes rigoureusementinvrifiables et o elle parvient intgrer dans un systme unique des coutumesque les tenants de l'histoire conjecturale croyaient indpendantes.Si Radcliffe-Brown lve en partie l'nigme de l'avunculat en traitant la relation entre l'oncle et le neveu comme une variable d'un ensemble fonctionnel cinq termes, Lvi-Strauss (1958 : 37-62) fait preuve d'une audace beaucoup plusgrande dans l'attitude rductrice, puisque le modle d'atome de parent qu'il nouspropose n'aboutit rien moins qu' dissoudre un problme qui, comme le totmisme, avait pendant si longtemps mis l'preuve la sagacit des anthropologues.Point n'est besoin de se demander comment l'oncle en vient occuper une place sigrande dans les relations familiales puisque ce parent est donn au dpart commebeau-frre, ds l'instauration de la relation d'alliance. Radcliffe-Brown tait restprisonnier du modle biologique de la famille et avait recours, en consquence, un principe d'extension pour expliquer les attitudes l'gard des collatraux partir de celles que le systme de filiation impose l'gard des gniteurs. A ceprincipe, qui est celui d'une assimilation des termes les plus loigns aux termesles plus proches auxquels Ego est li par des liens de dpendance naturelle, Lvi-Strauss oppose un principe de diffrenciation entre des termes, dont le fondementest trouver dans les relations cres par l'change matrimonial o un hommeobtient comme pouse une sur cde par un autre homme. Les attitudes formentds lors des couples de relations antithtiques et complmentaires les unes desautres, correspondant aux quatre couples de termes de l'atome de parent : frre/sur ; mari/pouse ; pre/fils ; oncle maternel/fils de sur. Si l'on reprsente lesrelations de familiarit par un signe + et celles fondes sur la distance et lerespect par un signe on aura donc ncessairement, selon la socit considre,l'une ou l'autre des quatre variantes possibles de la mme structure (tableau 1,infra, p. 10).

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    10 ALFRED ADLER ET MICHEL CARTRYTableau i frre de lamre/filsSocits

    Trobriandais (matri.)Siuai (matri.)L. Kutubu* (patri.)Tcherkesses (patri.)Tonga (patri.)

    frre /surx+

    mari /femme++

    pre /fils de la sur+l =

    ++

    * Lvi-Strauss ajoute le cas des Kutubu, qui tombent dans la mme catgorie que lesSiuai mais qui sont patrilinaires, pour montrer que la filiation n'entre pas en ligne de compte.Ayant, conformment son propos, retrouv dans le domaine de la parentune situation comparable celle de la phonologie, Lvi-Strauss, au dbut de sadmonstration, s'tait content de l'opposition simple : familiarit /respect (+/ .Au terme de celle-ci, il propose un systme quatre valeurs : mutualit et rci

    procit, qui sont des relations bi-latrales, droit et obligation, qui correspondentrespectivement la position de crancier et de dbiteur. Et il ajoute que dansbeaucoup de systmes, la relation entre deux individus s'exprime souvent nonpar une seule attitude mais par plusieurs d'entre elles formant, pour ainsi dire,un paquet... (Lvi-Strauss 1958 : 60).Ces thses ont fait et font encore l'objet de commentaires nombreux. Il n'entrepas ici dans notre propos de savoir si la seconde prsente un degr de gnralisationlus lev que la premire et si elle est pour cette raison plus satisfaisante.Notre perspective est tout autre. Si nous pouvons qualifier le fonctionnalisme et lestructuralisme de dmarches rductionnistes, ce n'est pas que les Dogon oud'autres populations africaines nous apporteraient des faits nouveaux exigeantune thorie encore plus gnrale, c'est en raison du principe qui leur est commun :traiter les attitudes comme des signes. L'analyse de Griaule, dans la mesuremme o elle place au premier plan l'explication indigne et la pense dont elleprocde, met en cause un tel principe. Avant de voir avec quelque dtail commentcette analyse se dveloppe, nous devons nous expliquer sur l'usage de ce principedans chacune des deux thories.Le modle fonctionnaliste auquel se rfre Radclife-Brown l'oblige assigner chacun des traits pertinents retenus pour dfinir l'avunculat une fonction socialepositive. Nous devons mme dire que cette fonction est pour lui symbolique sinous appliquons l'avunculat ce qu'il di t ailleurs de l'interdit de la belle-mre(Radcliffe-Brown 1953 : 70) : Ainsi l'ensemble du comportement impos dansces relations doit tre considr comme un comportement symbolique et les rgles

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    SUR LA TRANSGRESSION IIqui le prcisent comme une tiquette. Les prescriptions positives et ngatives sontl'expression symbolique et conventionnelle1 de la position relative des individusdans les relations ou situations sociales. Mais cette assimilation du symboliqueau conventionnel quivaut bien une rduction des signes dans la mesure oles diffrents traits d'une relation donne entre parents ou allis expriment lesexigences d'quilibre de la structure sociale. Au cours de leur existence, les individus changent de statut social en fonction de leur passage d'une classe d'ge laclasse suprieure, le mariage leur cre des liens nouveaux ; ces modifications,parmi d'autres, entranent une modification corrlative de leurs positions respectives. La ncessit de la convention rpond ainsi la ncessit du maintien del'quilibre du systme des relations sociales dont les agencements sont soumis unperptuel rajustement. La fonction du symbolique est celle d'une rgulation ducomportement des acteurs sociaux ; sa nature est celle d'une expression du sentiment et des valeurs en accord avec la structure sociale.Pour Lvi-Strauss, le systme des relations sociales n'est plus l'expressiond'un rel psychologique et biologique mais l'expression d'une structure cacheplus profonde, structure de communication dans laquelle les relations sont constituespar les changes entre groupes. Le symbole conventionnel qui s'attache auxrelations est un signe qui rpond non aux contraintes d'un rel mais aux contraintesdu systme lui-mme. Ce signe exprime pour le sujet le rapport paralllismeou distorsion entre la structure profonde et l'organisation empirique observable.On attendrait donc, si nous avons bien compris, que la thorie structuraliste del'avunculat mette en corrlation des types de mariage (patrilatral ou matri-latral) avec les diffrentes ralisations du systme des quatre couples de relationsrsultant des combinaisons des termes primitifs de l'atome de parent. Or il n'enest rien : Lvi-Strauss, s'il considre la filiation comme non pertinente, la retientpourtant comme critre pour distinguer les systmes qu'il prend pour exemple.Par ailleurs, comme le note E. R. Leach (1970 : 186), il ne croit pas utile dedistinguer les systmes de filiation des rgimes de descendance. Certes, il y abien un essai pour rintroduire la fonction explicative de l'change quand ilnous prsente les quatre valeurs fondamentales qu'il affecte aux attitudes lmentaires.Mais les termes qu'il substitue au vocabulaire psychologique ordinaire mutualit, rciprocit, droit, obligation ont prcisment le caractre juridiqueet contractuel qui exigerait une analyse des principes varis qui rgissent lesrapports de descendance. Ils ne confrent de ce fait qu'une apparence d'homognitun ensemble o manque trangement la relation la mre. Cette absencerevient traiter la relation mre-enfant comme un invariant ou, si l'on veut,comme un fait de nature et rduit la fonction femme celle d'un terme circulantentre un ple sur et un ple pouse, alors que les beaux-frres qui sont respecti-

    1. Soulign par nous.

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    12 ALFRED ADLER ET MICHEL CARTRYvement frre et mari sont en plus oncle et pre. Allguer comme une donnepremire le fait que les hommes seuls sont changistes, ne suffit pas puisque l'onsait aussi que, selon les socits, la mre pourra tre par rapport ses enfants plusou moins allie ou plus ou moins parente (c'est--dire faiblement dtache deson groupe d'origine ou, au contraire, puissamment intgre dans le groupe de sonmari). Le rapport qu'une femme entretient avec ses enfants est donc un traitaussi essentiel la structure que les quatre relations dfinies partir de l'atomede parent. Lvi-Strauss a sans doute raison de nous rappeler l'universalit dela prohibition de l'inceste dont la relation avunculaire, sous son aspect le plusgnral, n'est qu'un corollaire, tantt manifeste et tantt envelopp . Mais s'ilfaut entendre cette proposition comme une indication de la voie suivre pourdchiffrer le symbolisme du comportement d'Ego l'gard de son oncle maternel,on ne saurait se contenter d'une conception de l'arbitraire des signes, quels quesoient les correctifs proposs. Il s'agit plutt de s'enfoncer dans le contenu dtermin des reprsentations qui, dans une socit particulire, prsident aux institutions amiliales et aux comportements ritualiss qu'elles prescrivent. C'est ce quefait Griaule dans son article sur l'oncle utrin au Soudan (1954), o il entendrestituer une contribution indigne un dbat qui nous dit-il est loinencore de sa clture et que nous allons maintenant examiner.

    Quelques mots de description d'abord. L'attitude du neveu vis--vis de sononcle maternel est celle d'un parent mangu, c'est--dire d'un parent plaisanterie.Cette traduction plus qu'approximative est rejete par Griaule et nous reviendrons plus loin sur cette question dont la porte est essentielle. Il nous suffit desavoir ici qu'elle s'oppose de faon trs classique la relation d'Ego avec son prequi est faite de rivalit, fadena, disent les Bambara, dans une expression qu'onpeut traduire : manire d'tre pre-fils . Le neveu plaisante, injurie son oncle,il le vole aussi. Lorsqu'on annonce sa mort, ou au moment de la clture du deuil,le neveu et ses compagnons de classe d'ge se livrent des rafles de btail et dedenres chez leurs utrins. Cette diminution de l'oncle (ninu walu) s'accompagne galement de quolibets et d'obscnits l'adresse de l'pouse de l'oncle.La premire explication de ce comportement est une justification de l'agressivitu neveu, sous la forme du raisonnement suivant : Toutes les choses quevole le neveu mangou, c'est cause de sa mre : c'est cause de la colre qu'ilressent l'ide qu'il n'y a pas eu mariage entre son oncle utrin et sa mre. Si leneveu insulte la femme de son oncle, c'est parce qu'elle est la place de sa mre.La colre contre le pre c'est, symboliquement, parce que la mre n'est pas restemarie avec l'oncle. Le ressentiment est donc provoqu par la nostalgie d'uneunion idale qui serait celle d'un frre et d'une sur reproduisant l'union mythique

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    14 ALFRED ADLER ET MICHEL CARTRYNommo

    - O(Yasigmma /\ z: ) (Yasigui I)

    AEgo (Ogo-Yurugu)FIG. 2.

    substitue son oncle maternel et tout se passe, nous dit Griaule, comme sil'inceste n'tait vit que par une union relle avec une femme ne des uvres desa tante et jouant son rle . Le mariage prfrentiel avec la fille de l'oncle supposedonc le raisonnement suivant : Ego se rattache son placenta et se sent commeune partie de sa mre ; il appartient la mme gnration qu'elle. Il est donc laplace de son oncle, jumeau mythique de sa mre. A cette place il rencontre nonpas sa mre mais l'pouse de son oncle. Celle-ci est interdite mais reprsente unepouse plaisanterie. En revanche sa fille est non seulement permise mais prescrite.Cette union licite ne donne pourtant pas satisfaction au neveu yurugu, prcisment arce qu'elle est licite : comme telle, elle est leurre et moquerie. La poursuitedes enqutes chez les Dogon nous a d'ailleurs appris que ce mariage n'est pratiquementamais ralis parce qu'il est trop parfait (mythiquement) et indissoluble(rellement). Une imitation de l'inceste, c'est encore trop. Tout ce qui le frle estobjet de drision.Rcapitulant ensuite les comportements agressifs du neveu l'gard de sononcle (vols et insultes) d'une part, l'gard de l'pouse de ce dernier (obscnits,simulacre d'inceste) d'autre part, il montre qu'ils obissent un mcanisme depurification. Ceci lui permet d'interprter l'ensemble de l'institution en termes dersolution cathartique des tensions inhrentes la vie familiale.

    Pour fixer en quelques formules l'essentiel de l'argumentation qui vient d'trerappele et faciliter ainsi la lecture du commentaire que nous allons en faire, nousproposons d'y distinguer les trois niveaux thoriques suivants : i) un schmatisme, 'est--dire un ensemble de rgles permettant d'oprer le passage entre lesfonctions dans le mythe et les fonctions de parent ; 2) un mcanisme inconscientde substitution mtaphorique, expliquant comment Ego en arrive rencontrerdans la fille de son oncle sa jumelle idale ; 3) un mcanisme religieux de purification,endant compte de la fonction cathartique des injures et des vols dont l'oncleet son pouse sont l'objet.

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    SUR LA TRANSGRESSION 15A chacun de ces niveaux, des questions vont se poser, des difficults vontsurgir qui, si Ton s'en tenait exclusivement l'article des Cahiers internationauxde Sociologie, ne pourraient tre rsolues. Malgr son incontestable richesse, nous

    admettrons bien volontiers que cet article reste imprcis dans la prsentation decertaines donnes ethnographiques et passe trop htivement sur certains dveloppements thoriques. Nous dirons qu'il reprsente comme un arrt, comme unepause dans le mouvement d'une pense que la mort prmature de l'auteur amalheureusement laiss inachev. Pournous, le prix de cette tude tient surtout la direction de recherche qu'elle indique dj fortement. Peut-tre est-il possible dela prolonger en interrogeant d'autres travaux sur les Dogon (les siens et ceux de sescollaborateurs) et surtout en analysant plus profondment le grand mythe cosmo-gonique que l'ouvrage magistral publi par G. Dieterlen nous a rendu accessible.Avec des diffrences plus ou moins marques, ce mythe se retrouve chez plusieurs populations d'Afrique occidentale et l'on peut supposer que son substratoriginel s'est form dans l'ancien Empire du Mand. D'une somme considrable,o Luc de Heusch nous invitait ici mme (1968) lire une mythologie de la graineet du poisson, une mythologie forgeronne et un Roman du Renard , nousavons tent de donner une vue gnrale en centrant notre rsum sur le personnage u Renard et les thmes relatifs l'identification au second univers cr parAmma du corps remembr du Nommo sacrifi. Bien qu'ils soient galementd'une importance capitale, nous avons volontairement pass sous silence les nombreux dveloppements contenus dans l'ouvrage sur la place des signes et de laparole dans la cosmogonie dogon. Il nous importait surtout de donner au lecteurune ide du prodigieux foisonnement des reprsentations lies l'histoire de cescorps divins dont le dcoupage et le remembrement cernent, dessinent et dfinissent'espace intrieur et extrieur, individuel et social de l'homme dogon. Car cesont ces reprsentations qu i constituent le fond de la grande opposition entrela vie humide et gmellaire du Nommo et la vie sche et solitaire du Renard qui permet de penser la situation du neveu par rapport son oncle utrin.Soucieux de ne pas rompre le fil de notre expos, nous avons prfr renvoyerle lecteur un Appendice o il trouvera un rsum du texte mythique dogon1et la justification de nos assertions.

    1. Cf. infra, pp . 46-62.Les auteurs du Renard Ple ne laissent planer aucun doute sur la provenance du corpusqu'ils nous prsentent sous l'tiquette de mythe. Ils indiquent plusieurs reprises qu'iln'existe de ce mythe aucun texte en langue dogon. Outre certaines invocations en langue duSigui (crmonie soixantenaire) et certaines prires en langue dogon, qui dans les deux cas nedonnent que des versions condenses des pisodes mythiques, le corpus prsent consiste end'innombrables rcits d'informateurs livrant seulement certaines squences titre de commentaires de rites, de techniques, de comportements, de mots et surtout de signes ou figuresexcuts sur des sanctuaires ou des autels. Un long dveloppement serait ncessaire pourdfinir la nature de ce corpus et cerner sa spcificit par rapport d'autres mythes d'Afriqueou d'ailleurs. Nous ne pouvons nous y arrter dans cet article.

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    l6 ALFRED ABLER ET MICHEL CARTRYI. Le schmatisme

    A partir de notre rsum du mythe et des indications de Griaule ou, quandces indications font dfaut, en suivant l'esprit de sa mthode1, il nous faut maintenantenter l'laboration de ce que nous avons appel le schmatisme. C'est qu'eneffet, bien loin de faire des fonctions et vnements du mythe l'expression transpose des reprsentations et des sentiments qu'engendreraient les rapports sociauxrels, Griaule, renversant la perspective habituelle, nous invite suivre la dmarchedes Dogon eux-mmes pour qui le mythe, par le moyen de schemes de reprsentations , sert de systme de rfrence et d'explication aux institutions.Dans cette socit qu'on peut dfinir sommairement comme fonde sur lesprincipes de descendance patrilinaire et de rsidence virilocale, les rapports del'individu avec les deux lignes dont il est issu sont conus travers les catgoriesmises en uvre par le mythe du Renard (telles, par exemple, la gmellit, lagmelliparit, l'androgynie, l'incompltude et l'impuret) et ceci selon le schemedes positions respectives qu'occupent l'un par rapport l'autre Anima et Nommo.Ces positions varient selon les partitions envisages sur l'ensemble de la parent.Si nous faisons abstraction des relations dyadiques, nous avons d'abord la bipartition suivante : Parents paternels masculinit AmmaParents maternels fminit Nommo

    La premire quivalence pose par Griaule se dduit aisment de la versiondu mythe prsente dans Dieu d'eau. Dans ce texte, en effet, Amma s'unit laterre et sa fonction de mle, gniteur et pre est immdiatement donne. Letableau se complique dans Le Renard Ple, o l'androgynie (3 + 4) et la fonctionmaternelle (la calebasse d'Amma comme matrice du monde) sont aussi des aspectsd'Amma crateur. En dpit de cette ambivalence qui tient la dualit des modlesselon lesquels les Dogon se reprsentent la cration (modle de la reproductionbiologique et modle de la cration artisanale) et qui rpond galement au soucide ne pas enfermer le crateur dans les limites de la division sexuelle, une dominante mle y apparat, qui rend compte de l'impulsion originaire de l'acte crateur (rplique d'Amma, le fto est reprsent par 16+6 signes, c'est--dire uncorps -f- un sexe mle) Quant la fonction paternelle, elle apparat, cela va sansdire, tous les niveaux : engendrement du p, des Nommo, des anctres, etc.1. L'argumentation qui va suivre s'appuie non seulement sur la littrature publie surles Dogon mais galement sur des documents non publis que Mme Germaine Dieterlen nousa aimablement communiqus : notes de terrain de Griaule et notes personnelles. QueMme Dieterlen, qui a bien voulu se donner la peine de revoir le manuscrit de cet article et yapporter d'importantes corrections, trouve ici l'expression de notre profonde gratitude.

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    SUR LA TRANSGRESSION 17Mais le rapport d'Amma sa fminit comme sa crature est conu commeun rapport de gmellit ( il est jumeaux originels , disent les Dogon). Non seulement la crature est gmellaire, mais le principe de gmellit est pos comme loi de

    l'union de Dieu avec l'univers. Amma est immanent l'univers cr, il est dans leplacenta originel dont il ne se distingue que par le mouvement mme par lequelcelui-ci se scinde pour former l'unit premire, elle-mme gmellaire, des jumeauxengendrs et du non-jumeau. Il faudrait mme dire qu'Amma est pre, non pasen tant que l'Un crateur mais parce qu'il est dieu captif , lui-mme soumis la loi de gmellit rsultant de la cration. C'est du moins ce que semblent suggrer certains commentaires dogon sur l'un de leurs signes graphiques (Griauleet Dieterlen 195 1 : 22).En ce qui concerne la deuxime quivalence, elle se dduit sans peine de cequi prcde. Comme lep auquel ils succdent dans l'ordre de cration, les Nommopeuvent tre considrs ce stade comme le reprsentant global de l'univers cr.Conus dans leur unicit, ils sont le complment gmellaire femelle d'Amma.Mais comme par ailleurs ils sont les crateurs des anctres de l'humanit, ilsconstituent les rpondants de la ligne utrine d'Ego. On obtient donc bien dupoint de vue d'Ego (Ogo) une relation du type : les parents paternels sont auxparents maternels ce qu'Amma est sa crature Nommo. Telles sont, noussemble-t-il, les mdiations impliques dans cette premire application du schmatisme.Mais ce traitement formel auquel nous venons de soumettre Amma etNommo suppose qu'on ne prenne en considration que les vnements survenusantrieurement aux transgressions du Yurugu. Or, ce stade originaire de lagense du monde, la diffrence des sexes n'est pas encore vraiment pose puisqu'elle n'apparatra qu'avec la perte de l'androgynie, surtout marque parl'viration du Nommo.Si maintenant on tient compte de la succession des gnrations, Amma reprsente le niveau des grands-parents ; quant aux couples de Nommo, selon qu'ilssont considrs respectivement comme agents d'ordre (Nommo Semu et sajumelle) ou de dsordre (Yurugu et sa jumelle), ils seront l'image du pre et de sasur d'une part, de la mre et de son frre d'autre part1. Ces correspondancesou, selon le langage des sociologues, ces projections de la parent dans le mythe,

    1. Dans son commentaire sur l'oncle utrin, M. Griaule, qui ne disposait alors que d'uneversion incomplte du mythe, fondait sa dmonstration sur la simple opposition entre leNommo, futur sacrifi et rorganisateur, et le Nommo, futur Renard Ple. Comme nousl'avons dcrit dans notre rsum du mythe, il s'agit en fait d'une opposition entre deuxcouples de jumeaux mles, respectivement placs dans le placenta du haut et le placentadu bas. Mais l'introduction de cette complication n'invalide nullement son raisonnement,car le couple du haut ne nous offre qu'une image statique de la gmellit. Dans la partieinfrieure de l'uf, en revanche, on a affaire l'opposition entre les deux jumeaux antagonistes t complmentaires. On comprend ainsi que seuls ces derniers peuvent servir de pled'identification pour le reprage des positions symboliques de s membres de s deux lignesd'Ego.

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    18 ALFRED ADLER ET MICHEL CARTRYn'ont pas un sens parfaitement clair dans l'article qui nous occupe. Certes, oncomprend pourquoi dans une socit o l'identit et le statut social d'un individusont dtermins en fonction de l'appartenance un patrilignage (ginna), lesparents paternels et , en premier lieu, le couple pre-sur du pre incarnentl'ordre et la loi et peuvent ce titre tre reprsents sous le signe du Nommo etde sa jumelle (c'est au patriarche de la ginna qu'incombe le culte du Nommo).Que du ct maternel les siblings, image en miroir du premier couple des Nommodans la bipartition primordiale au sein de l'uf du monde, soient les reprsentantsdu dsordre, on ne le comprendrait qu' condition de lier l'apparition de cedsordre l'acte incestueux d'Ogo pntrant son placenta, avatar de sa mre. Bansce cas, en effet, les tensions familiales rsultant du dsir de l'enfant pour sa mretrouveraient leur rpondant dans les bouleversements survenus dans le placentad'Ogo. Or, c'est prcisment cette correspondance entre le dsordre dans le mytheet une situation qu'on ne pourrait qualifier que d'dipienne qui fait pour nousproblme. Griaule, dans le rsum trs succinct qu'il donne de l'aventure du Renard,semble cder la tendance de rassembler toutes les transgressions sous l'uniquerubrique de l'inceste. L'tude (African Worlds (1954) nous offrait dj un tableauplus nuanc. Dans Le Renard Ple, Ogo aura largement enfreint la rgle d'Ammaet donc introduit le dsordre avant que le thme de l'inceste avec la Terre-Mreapparaisse. On pourrait peut-tre nous objecter que la pulsion incestueuse versla sur est donne ds le dpart comme le ftrimum movens et qu'il y a l commeune figure dguise de l'inceste maternel. Mais si nous avons bien lu les Dogon,la sur, la jumelle, n'est pas une personne de substitution mais l'cart minimal,la diffrence encore peine bauche entre le complment d'Ogo comme partiede soi et l'autre de soi-mme. Comme nous l'avons indiqu dans notre rsum dumythe, la sur comme tre discernable n'apparat qu'au moment o Amma creles mes de sexe du Nommo Semu et , plus nettement encore, quand il procde son eviration dans la phase subsquente. La sparation d'avec son placenta parcoupure du cordon opre dans le mme acte, est l'image de l'interdit qui doitdsormais s'attacher l'union sexuelle avec sa jumelle. On est donc fond direque la sparation d'avec la jumelle comme entit autre que soi-mme, et parconsquent la possibilit d'une union sexuelle avec elle, s'effectue dans l'actemme qui l'interdit comme partenaire sexuelle.Restent cependant deux pisodes qui semblent donner raison aux tenants d'unschma dipien : mme s'ils ne sont pas l'unique cause du dsordre, la pntration'Ogo dans son placenta devenu terre ainsi que le dpt ultrieur dans cettemme terre du p, semence d'Amma, apparaissent dans le mythe comme lesfacteurs principaux du bouleversement du plan initial de la cration et de lancessit d'une uvre de rgnration. C'est du moins ce que soulignent M. Griauleet G. Dieterlen, particulirement propos des reprsailles du Nommo titiyaynecontre l'acte d'ensemencement, qui, par l'crasement et le pourrissement du

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    SUR LA TRANSGRESSION 10,morceau de placenta vol, vont rendre la terre sche et strile. Mais lorsqu'ils nousdisent qu'Ogo, ayant pntr dans son placenta, s'est uni un avatar de sa mre,donc sa mre, ils ne prcisent pas suffisamment, croyons-nous, le sens de lacopule marque par le terme donc . On peut s'en tonner, car ce sont eux-mmesqui nous ont rvl la complexit de la notion dogon de me (placenta) .Les Dogon n'ignorent pas que c'est par le placenta que s'effectuent les changesnourriciers entre l'enfant et sa mre. Assimilant le ftus un silure, ils considrentqu'il respire directement par ses branchies dans le liquide amniotique. Il n'est pasdouteux par ailleurs qu'ils se sont form une ide de la double nature de la substance placentaire issue la fois du corps de la mre (endomtre) et du ftus(chorion). On peut mme dire que toute une partie de leur construction mythologique et de leurs rites relve d'une spculation sur cette dualit biologique. Parailleurs, ils conoivent le placenta non seulement comme partie du corps de lamre mais comme jumeau de l'enfant : aprs l'accouchement, on attend anxieusementa sortie comme on attendrait, en cas de naissance gmellaire, la venue dudeuxime enfant. Enfin et surtout, matire riche, contenant les quatre lments,et donc ce titre matire pure, il est considr comme la substance cratrice parexcellence, la possibilit de reproduction de toute chose . C'est ce titre que,sur le plan du mythe, il est assimil la jumelle comme sa rplique sans laquelleil ne saurait y avoir de fcondit. Des choses sorties du ft avec leur placenta, ondira qu'elles sont toutes jumelles. Si nous tenons compte de cette conception duplacenta, il est clair que l'acte d'Ogo pntrant le fragment devenu terre donnede l'inceste une image diffrente de celle qui est voque par le schma dipien.Certes, le futur Renard s'unit une partie de sa mre, donc une partie delui-mme, mais la mre n'est pas le tout du placenta drob. Le tout est le placentalui-mme, non pas en tant qu'enveloppe o le Renard espre retrouver sa jumelle,mais en tant que substance cratrice avec laquelle il voudrait l'inventer , l'imitation d'Amma et contre lui. Ce tout comme objet de sa qute est, la limite, ununivers, l'autre univers qui serait sien, c'est--dire jumeau de lui-mme. C'est aussien ces termes qu'on peut d'abord interprter le vol de la semence du ft, car sila recherche de sa jumelle fu t vaine lorsqu'il monta au ciel, la graine qu'il drobadans l'espoir de la faire germer combla pour un temps son dsir.Le dsir d'Ogo est en effet dsir de cration et en dfinitive dsir de mettre profit la connaissance qu'il a des secrets d'Amma et de l'univers pour trecausa sui. C'est peut-tre ce regard jet derrire le voile, l'enveloppe du placenta,qui est la vritable dmesure du Renard. Au regard de cette dmesure absolue,ce que nous nommons inceste n'est peut-tre que la figure travestie du dsir primitif rendu mconnaissable. Tout se passe comme si la socit, soucieuse deconjurer la menace que ce dsir fait peser sur l'ordre de la vie incarne par leNommo, le rduisait au manque. Comment ce manque pose maintenant la questiondu rapport entre un inceste maternel prohib dans le mythe comme dans la socit

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    20 ALFRED ADLER ET MICHEL CARTRYet une union gmellaire mythiquement idale mais socialement interdite, c'est ceque nous ne pourrons voir qu'en tudiant les mcanismes de substitution.Du ct de ses paternels, Ego se voit assigner une position et une seule, cellede la gnration qui suit celle de son gniteur. Du ct de ses maternels, soninscription dans l'ordre des gnrations est plus problmatique. Issu d'un placenta qui est une partie de lui-mme en mme temps qu'une partie de sa mre, ilappartient autant la gnration de celle-ci qu' la sienne propre. C'est cettedouble inscription dont il est difficile de rendre compte sur le plan du mythe, etc'est parce qu'il y parvient que le texte d'African Worlds nous offre la meilleureformulation du schmatisme. Dans ce deuxime schma de l'avunculat dogon(tableau 2), les deux lignes sont mises en rapport avec la double gense mythiquede l'humanit, d'une humanit, rappelons-le, qui participe autant de la naturedu Renard que de celle du Nommo.

    Tableau 2NRATIONS1. Ba

    2. Unum3. Tire4. Dyene5. Kumo

    Grand-pre

    Fils et Filles(4 mles +Petits-fils et jetites-filles j

    Ligne= Nommo

    = 8 anctres4 femelles)= 12 descendants

    PATERNELLETrisaeul =

    Bisaeul =Grand-pre =PreEgo

    Nommo

    8 anctres12 descendants

    22 descendants

    LigneGrand-prematernel =Mre et \Frre de > =la mre )Ego =

    MATERNELLE

    AmmaNommo dont OgoOgo-Yurugu

    Image de Tordre, la ligne paternelle trouve son rpondant dans l'ordre defiliation mythique qui se droule conformment au plan d'Amma et dont le pointde dpart est le Nommo ressuscit qui, contrairement son jumeau Ogo, estrest la place que lui a assigne le crateur. Sur ce canevas gnral, deux formulessont possibles dans le mode de reprsentation de la ligne paternelle. Selon quecette ligne est envisage indpendamment d'Ego ou au contraire est centre parrapport lui, on aura besoin de 3 ou de 5 gnrations. Dans le premier cas, Nommoet les 8 anctres issus de lui sont dans l'ordre des crations successives d'Amma,et il suffit de la gnration tire, celle des 12 descendants issus d'une reproductionbisexue, pour arriver aux anctres proprement humains. Dans le second cas, on

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    SUR LA TRANSGRESSION 21part d'Ego pour remonter au premier gniteur, le Nommo cr par Dieu. Les5 gnrations reproduisent celles qui se sont succd pendant la priode de 60 ansqu i a suivi la descente de l'arche du Nommo sur la terre. Du point de vue du destinde l'individu, seules comptent vritablement les 4 gnrations suprieures car,au-del du trisaeul, un anctre n'intervient plus directement dans la vie de sesdescendants.Si l'on se tourne maintenant vers la maison des maternels, on peut dire quel'insoluble problme, auquel la socit se trouve confronte, d'y assigner une position fixe l'individu trouve son scheme dans le dsordre des vnements et l'irrgularit des gnrations que la dmesure d'Ogo introduisit dans le sein d'Amma.Pour l'laboration de ce scheme, il faut et il suffit de 3 gnrations : Amma, quivalent du grand-pre maternel, les jumeaux Nommo de sexe oppos dont Ogo,quivalents de la mre et du frre de la mre, enfin Ogo devenu Yurugu, quivalent'Ego.Ces quivalences apparatront moins obscures si, reprenant Griaule {AfricanWorlds : 92), nous dgageons les implications logiques qui les sous-tendent. Ensortant de la matrice avant mme que sa maturation ne soit acheve et en emportant n morceau de son placenta, Ogo, avons-nous dit, reste encore une partie desa mre. Son aventure donne sous une forme accuse une expression adquate aucontenu latent de la relation la mre. On peut dire en effet que mme s'il quitte terme le sein de sa mre, tout individu continue possder son caractre prnatalcomme partie du corps de sa mre . Ainsi identifi sa gnitrice, il est considrcomme appartenant sa gnration autant qu' la sienne propre. S'il s'agit d'unmle, il est donc du mme coup assimil un frre de sa mre. En d'autres termes,il est comme le substitut de son oncle maternel, le mari idal de sa mre .On aperoit mieux maintenant la raison d'tre du scheme. Ego est Yuruguen tant que ce dernier est considr comme partie jamais dtache de son placenta-mre qu'il a quitt prmaturment ; mais il est en mme temps Ogo-Nommo,un fils d'Amma tout d'abord destin comme ses frres vivre dans l'union permanente avec l'une de ses surs jumelles. Cette identification la mme craturemythique considre deux temps diffrents permet de comprendre l'attituderevendicatrice d'Ego lorsqu'il se rend dans la maison de son oncle. Dans sonobstination retrouver le bien essentiel dont il est frustr, il est le Yurugu incomplett impuissant dont l'impatience et la colre font rire. Mais dans le sentimentqu'il a de la lgitimit de son droit, il est Ogo, ce fils d'Amma, qui aurait ddevenir Nommo et qui en tant que tel tait destin recevoir sa jumelle. TanttYurugu, il considre son oncle comme d'une gnration suprieure la sienne,tantt Ogo-Nommo, il le traite comme un substitut de lui-mme. Cela revient dire que l'pouse de cet oncle-Nommo sera elle-mme considre tour tour soitcomme une femme de mme gnration que sa mre, soit comme sa sur jumelle,l'pouse idale qu i lui est due.

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    22 ALFRED ADLER ET MICHEL CARTRYEst-il possible d'aller plus loin dans l'laboration du schmatisme ? A lire lescommentaires qui accompagnent les notes de terrain qu'il a prises sur ce sujet,il semble que telle ait t d'abord l'intention de Griaule. Malgr les ttonnements ue reflte cette premire laboration de matriaux, on y dcouvre, rapidement squisse, une tentative de mise en correspondance systmatique des principauxpersonnages du mythe et des catgories de parents directement impliquesdans la relation avunculaire (fig. 3).

    ^J jumelle /\ Z Q~^ jumelle ou m e femelleou m e femelle Nommo d'Ogo-Yurugu : future Yasiguide Nommo

    AYurugu FIG. 3.

    L'utilisation qui est faite ici du mythe se ramne d'abord au rappel d'un deses pisodes marquants : l'acte d'Amma qui, pour mettre l'me femelle (la futurejumelle) d'Ogo l'abri des atteintes de ce dernier, la confie entre autres au NommoSemu, lequel avait dj sa propre me femelle. Il suffit alors d'une rinterprtatione cet pisode en termes psychologiques pour construire une grille qui puisses'appliquer un aspect de la relation avunculaire. Ds lors que la femelle d'Ogoconfie aux Nommo est ramene aux dimensions d'une partenaire sexuelle quicircule entre les divers jumeaux et qui finit par tre engrosse par Nommo Semu,on peut lgitimement, semble-t-il, en faire le rpondant de l'pouse de l'oncle,puisque celle-ci comme celle-l ont en commun aux yeux du neveu-Yurugud'avoir t appropries indment par l'oncle-Nommo. Mais si la jumelle d'Ogo, lafuture Yasigui, est mythiquement l'pouse de l'oncle, alors la sur de ce dernier,donc la mre d'Ego, ne peut elle-mme avoir d'autres rpondants que la jumelledu Nommo.On peut comprendre pourquoi Griaule n'a pas repris ce modle dans sespublications, car il devait sentir que l'laboration d'un scheme ne peut treconfondue avec la mise jour d'un jeu de correspondances terme terme entre unpisode du mythe et une situation sociale. Ce qui fait nos yeux l'intrt du schemed'African Worlds, c'est que les vnements du mythe n'y sont sollicits qu'en tantqu'lments d'une structure qui, dans la catgorie du temps, met en jeu deuxmodles opposs de filiation gnalogique : l'une qui est place sous le signe du

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    SUR LA TRANSGRESSION 23Nommo et qui se situe dans un temps linaire et continu (ligne paternelle = succession rgulire des gnrations), l'autre qui est branche directement sur le DieuAmma et qui suppose un temps disloqu (ligne maternelle = confusion desgnrations)Une telle opposition appartient en propre au schmatisme, car elle donne sonfondement ultime la diffrence dans l'ordre des lignes, comme l'opposition l'intrieur des premiers couples de jumeaux crs donnait son fondement ladiffrence des sexes. Quant aux dterminations particulires du rcit, elles sont considrer comme des paraboles dont la valeur heuristique prsuppose qu'onait dj procd au dcoupage en catgories du texte mythique.

    II. Le mcanisme de substitutionRappelons les diffrents moments de ce mcanisme de substitution. De l'onclecomme mari idal de ma mre auquel mon pre s'est substitu indment, je passe l'identification l'oncle par le moyen de la copulation simule avec la femmedont il est le possesseur et , par l, je cherche ma mre comme sur. De mme queYurugu cherchait en vain sa jumelle et l'intgrit de son placenta; le neveu est enqute d'une femme qui soit par rapport lui comme ce mme complment idal.Mais la femme qui occupe cette position est inaccessible. Il n'a donc plus commeseul recours que de se mettre en qute de la femme de son oncle, mais, celle-ci

    tant interdite comme pouse1, il masque son dsir incestueux en la plaisantantet en chapardant chez elle. Reste alors sa fille, qui est non seulement permisemais thoriquement prescrite.Deux problmes essentiels sont ici poss : comment expliquer le passage de lamre la femme de l'oncle et de cette dernire la fille de l'oncle ?Avant de rpondre ces questions, il est indispensable d'essayer de dfinir lanature mme de l'explication qui est ici requise. S'il est vrai qu'expliquer, c'estencore ce niveau rendre compte de la manire dont la socit dogon met enrelation l'ordre social et les vnements et personnages mythiques, il est clairqu'il ne s'agit plus seulement de mettre en lumire les catgories au moyen desquelles elle se pense, mais de reprer les traits ou aspects de tel personnage qu'elleslectionne pour son usage. Dans le schmatisme, le discours mythique est prendre comme une totalit qui nous offre la condition de possibilit d'une penseglobale de l'ordre social qui se rflchit en lui. Dans les mcanismes de substitution,nous avons affaire quelque chose de bien diffrent, qui n'est pas sans voquerce que Mauss, critiquant la notion de participation chez Lvy-Bruhl (Mauss 1969 :130), appelait un effort pour faire se ressembler (fzotGxn) . Cet effort n'est pas

    1. Il semble que des rapports sexuels entre le neveu utrin et la femme de son onclesoient tolrs dans la socit dogon. Cf. African Worlds : 92 .

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    24 ALFRED ADLER ET MICHEL CARTRYune opration d'identification mais un prlvement dans le mythe de modles quela socit assigne des personnes dans des relations sociales particulires. Maison ne saurait voir dans ces modles l'expression directe des valeurs qui rgissentles comportements symboliques ainsi que le voulaient Radcliffe-Brown et l'colefonctionnaliste. Le mythe n'est jamais un discours axiologique, sinon de faonsubsidiaire et dtourne quand il sert formuler des injonctions qui, comme telles,doivent demeurer voiles.Comprendre comment le neveu est tantt Yurugu, tantt Nommo, commentla mre d'Ego, l'pouse de son oncle utrin et enfin la fille de ce dernier sont tour tour Yasigui, suppose qu'on ait dgag le caractre cach de l'injonction qui servle comme le moteur et le but des mcanismes de substitution. C'est peut-trepour avoir nglig ce point que, chez Griaule, le ressort profond du mcanisme quipermet de passer de la mre d'Ego l'pouse de son oncle reste obscur. Il avaitbien montr que l'institution avunculaire chez les Dogon assigne celle-ci uneposition essentielle dans la structure. Nous ajouterons que s'il fallait dire commeLvi-Strauss que l'introduction de ce terme ne peut s'interprter que comme unedilution de la structure lmentaire dans une unit de construction plus complexe (Lvi-Strauss 1958 : 59), il faudrait alors en conclure que le vol rituel des biensde l'oncle n'appartient pas non plus en propre la structure avunculaire. Cetargument est dcisif mais insuffisant et la difficult qu'prouve Griaule situerla position de la femme de l'oncle se reflte d'ailleurs dans les termes mmes dontil fait usage. La substitution ne va pas de soi. Ombre , rplique , etc., masquentplutt qu'ils ne dvoilent son intuition quant la nature des dplacements quisont ici en cause. Sa formulation semble suggrer que le dsir du neveu de s'unir sa mre comme pseudo-sur ne peut le conduire qu' une femme qui soit la pseudosur e son oncle. Or nous avons vu qu'il avait lui-mme abandonn le schemequi aurait rendu possible le passage immdiat de l'une l'autre sous la figure deYasigui. Outre les raisons de principe invoques plus haut, une donne de faits'impose : la femme de l'oncle maternel est d'abord une allie et le mythe neconnat que des jumelles. Or la question est ici de comprendre comment uneallie est transforme en parente.Nous savons que si la tante est plaisante au mme titre que la belle-sur, elleest la seule dans cette classe des allis tre vole. Plaisante, vole, elle estmangu du neveu utrin de son mari. Sur ce point, nous reviendrons longuementplus tard, mais nous sommes bien d'accord pour dire ici avec Griaule qu'elle estavant tout Yasigui.Comment comprendre cette allie comme Yasigui ou Yasigui comme allie ?Le mythe, nous l'avons bien marqu, ne connat pas l'alliance mais seulementl'union gmellaire. Ou plutt, l'alliance, sous la forme de l'change gnralisque pratique la socit, n'apparatra vraiment qu' la 5e gnration des anctresmythiques (les kumo), au moment o le cycle mythique relatant la gense de

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    SUR LA TRANSGRESSION 25l'humanit est clos. Pourtant, quelque chose comme une prfiguration de l'alliancenous est donn dans la remise de l'me femelle d'Ogo aux mains du Nommo del'autre partie de l'uf. Car, de mme qu'Ogo quittant son placenta prfigure lesnaissances uniques qui seront le lot de l'humanit, de mme Yasigui retire de sonplacenta, donc constitue comme tre unique comme femme prfigure lemariage humain puisqu'elle circulera comme femme entre les Nommo. Chacunde ceux-ci tant dj pourvu d'une me femelle, l'me femelle d'Ogo apparat biencomme cette femme dtache (l'allie), comme cette femme en plus dont la seuleprsence bouleversera la loi du tte--tte de chacun avec sa jumelle. N'est-ce passous ces traits qu'on peut se reprsenter la femme de l'oncle ? Si le dsir d'Egod'tre le produit intgral de la racine (du) de sa mre postule une relation troistermes (frre-sceur-fils de sur) qui vise reconstituer la situation placentairedu mythe, ne faut-il pas dire alors que, par rapport cette relation, l'pouse del'oncle est bien la femme en trop ?Mais cette Yasigui est bien aussi ce qu'elle tait d'abord, savoir la jumelled'Ogo. Au rebours du mythe, qui transforme une jumelle en allie possible, lemcanisme de substitution assimile une allie une parente utrine. Ce faisant, ilindique Ego la place de son me sur. On voit donc que la femme de l'onclen'est pas une rplique de la mre, mais que, de celle-ci celle-l, il y a un changement e signes. Pour rsumer la transformation ainsi opre, on peut dire qu'onest pass de la gmellit comme diffrence minimale (relation la mre et lajumelle non dtache) la gmellit comme diffrence maximale dans l'identique.Par ce mouvement de diffrenciation maximale, on atteint la limite entre l'inceste et l'exogamie. Plaisanter et voler la femme revient en effet la marquercomme objet de dsir incestueux sous la forme d'union gmellaire. Et c'est dansle mme mouvement que la socit invite Ego transgresser l'ir.terdit et qu'elletourne cette transgression en drision.Mais au neveu en qute d'une femme qui soit l'image de la jumelle idale, ilfaut offrir un objet de satisfaction qu i soit autre chose qu'un leurre, autrement ditune Yasigui que les rgles d'exogamie (que les Dogon conoivent sous la formed'un partage ordonn de contenus claviculaires) n'interdiraient pas. Cette nouvelle Yasigui, c'est prcisment la femme ne des uvres de sa tante et jouantson rle . Cette union prfrentielle est bien le but de l'institution puisque saralisation marquera la fin de la dette de l'oncle vis--vis de son neveu et , parl'octroi d'un champ, l'intgration de ce dernier dans son ginna paternel. Qu'untel mariage ne soit, comme nous l'avons dit, pratiquement jamais ralis maisseulement propos comme un but au dsir du neveu, c'est, disent les Dogon, parcequ'il est trop parfait. Quelle est cette injonction qui prescrit au sujet un objetaccessible dans le rel sans pourtant l'y astreindre, comme si elle admettaitqu'entre le mariage effectif et la qute absolue du neveu-Renard, toute mdiationn'tait que leurre ? Assurment, nous sommes loin d'une injonction dipienne. Le

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    26 ALFRED ADLER ET MICHEL CARTRYdsir incestueux et le dsir de retrouver la jumelle ne sont pas identiques, ils serecoupent simplement et leur lieu de recouvrement est comme le point aveugledu systme que nous dcrivons ici.

    C'est peut-tre pour avoir gliss sur cette diffrence et considr le mariageavec la cousine croise matrilaterale comme un prlvement rel dans le groupedes utrins, que Griaule lui fait correspondre un mariage symtrique entre la fillede la sur et un cadet du frre. La symtrie entre ce mariage oblique et le mariageavec la fille de l'oncle maternel est parfaite. En effet, comme l'crit Griaule(1954 : 42) : Les cadets [de l'oncle utrin] prennent donc possession, par assimilationsuccessives, d'une rplique de leur sur. Ainsi est ralise par cet acteoblique la mise sur le mme plan de deux gnrations diffrentes ; mais cette foisc'est la femme qui, rellement la plus jeune, est la disposition d'une gnrationrellement antrieure alors que dans le mariage entre cousins, c'est--dire entredeux lments faisant rellement partie d'une mme gnration, c'est par correspondances successives que l'pouse est fictivement substitue la mre de sonconjoint. Cette belle construction repose sur des donnes inexactes, car lesrecherches trs rcentes faites par Franoise Izard sur le systme de parentdogon montrent que ce mariage oblique dont fait tat Griaule est interdit s'ils'agit d'un vritable agnat de la mre1. Le fait que les Dogon appellent galementninu les frres d'une co-pouse de leur propre mre et /ou les frres (ou les fils deces derniers) d'une co-pouse du pre du vritable oncle maternel, explique peut-tre cette erreur de Griaule. Les ninu appartenant cette catgorie et euxseuls peuvent en effet raliser ce mariage oblique. Nous pouvons supposer quela symtrie invoque par Griaule relve d'une idologie de l'change qu'il a tropvite prise pour argent comptant2.

    III. Le mcanisme de purificationSi nous passons de la compensation sur le plan des femmes la compensationen matire de biens, nous quittons cette idologie pour entrer dans une dialectique

    trs particulire. Non seulement le neveu pille la maison de son oncle, mais ildtruit tout, en vidant les choses de toute substance, les rendant par l mmeimpures. Cet inconvnient est tourn par des vols partiels quivalant undpouillement total. Mais le fait essentiel est que les premiers enfants d'unefemme sont levs chez leurs utrins. L-bas, ils tirent leur pouvoir du contenu1. Nous remercions trs vivement Mme Izard qu i nous a fourni ce s indications.2. Il est remarquable d'ailleurs que, dans ses notes de terrain, il prsente les mmes faitsd'une tout autre faon puisque la nice y apparat comme une sorte de captive de son onclequi peut la vendre l'un de ses frres, et ceci mme si elle est dj marie.

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    SUR LA TRANSGRESSION 27de leurs clavicules qui, de 8 graines, nombre octroy tout homme vivant ,passe 16. Comme tels, ils sont des allis mangu qui jouissent d'une vertu purificatrice dont l'exercice restitue l'excdent reu. Piller et rendre ce n'est pas changer. ussi le neveu parvient-il chez son oncle une telle situation de surpuissancequ'il doit y tre mis fin. Il quittera la maison de ses maternels ds qu'il aura prisfemme. Ainsi sera ralis l'quilibre entre consanguins et utrins, Yurugu devientNommo, sa surpuissance n'tant que l'envers de son impuissance.Nous avons vu que les vols commis par le neveu chez la femme de son oncleutrin avaient pour signification de la transformer en parente par la simulationde rapports incestueux avec elle. Ce n'tait l qu'un aspect du symbolisme du vol,car l'quivalence du vol avec l'inceste ne signifie nullement une rduction dupremier au second. Le neveu dpossde son oncle, mais il le dpossde de bienautre chose que de la somme des petits larcins qu'il peut commettre chez lui. Lamenace qu'il reprsente vise la substance mme des choses qu'il voit et qu'iltouche dans la maison de son oncle. Les alles et venues incessantes qu'il y faitsont comme les descentes et remontes successives d'Ogo recherchant la substance(la graine de fonio) afin de dpossder Amma. Par l'effet de sa seule prsence, lamaison de l'oncle se trouve plonge dans un tat de viduit comme l'aurait tl'uf du monde vid du p ftilu si Amma n'y avait rintroduit les lments que leRenard ne sut garder. On conoit que face une telle menace une formule decompromis soit ncessaire : ce compromis est ralis au moyen des vols partielsauxquels le neveu est encourag par ses paternels. Mais plus essentielle encore est la prcaution consistant pour l'oncle absorber le groupe des pillards en lapersonne de l'an de ses neveux (Griaule 1954).Mais ici une inversion va se produire, d'une importance capitale. Le changement e statut du neveu par rapport la maison de son oncle, le passage de l'tatde visiteur celui de rsident, entrane un changement de signes des traits de lapersonnalit du neveu. Le Yurugu porteur d'impuret se transforme en Nommopurificateur rparant les fautes de son jumeau. Que dans cette position de rsident,le neveu soit sous le signe du Nommo, la devise qui lui est donne dans l'invocationprononce lors de la fte des semailles en tmoigne. Chat noir , disent les Dogondans un texte1 qu'on peut considrer comme une action de grces adresse

    1. Ce texte a t publi dans le recueil Textes sacrs d'Afrique Noire (Dietkrlen 1965b).G. Dieterlen explique dans une note introductive que l'invocation dite ' nom d'Amma '(amma boy) intervient dans toutes les crmonies collectives [...] Elle clture la crmonie :elle est rcite soit par le patriarche d'un lignage, soit par l'homme le plus g du groupeintress [...] Chaque membre de phrase, nonc sur un ton, est rpt par un neveu utrindu groupe, gnralement sur un ton diffrent. Cette rpartition qui fait intervenir paralllement les consanguins et les utrins confre l'nonc du texte la compltude (mle etfemelle la fois) et l'efficacit ncessaires .Voici le passage concernant le neveu (p. 36) : Au neveu utrin, au chat noir, il dit que la parole qu'il a entendue dans la maison de

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    28 ALFRED ADLER ET MICHEL CARTRYAsama, le premier neveu mythique. Le chat noir, en effet, symbolise l'amnios duNommo, la chose la plus pure de la cration, comme le chien symbolise l'amniosdu Renard. Asama est le parangon du purificateur. Fils de Dyongou Srou et dela sur de Binou Srou, il est le rparateur des fautes de son pre. Dyongou Srouqui avait la charge de la graine de p, la sema, on s'en souvient, dans le champ duRenard, puis la rcolta, l'engrangea et la consomma en solitaire. Cette successionde fautes ayant entran sa mort, Asama resta avec sa mre, mais, aux semaillessuivantes et contre toute attente, il rapporta la graine son oncle Binou Srou,devenu chef de lignage. Asama est lou non pour avoir simplement restitu l'unedes 8 graines au ginna paternel mais pour avoir, par son acte, purifi, augmentle patrimoine commun des anctres mythiques gr par Binou Srou.Il nous faut maintenant expliquer sommairement comment fonctionne cemcanisme de purification.L'opposition puret /impuret chez les Dogon G. Dieterlen y insistait djfortement dans son tude de 1947 recouvre l'opposition compltude/incompl-tude, du point de vue des lments qui appartiennent l'essence de l'tre ou dela chose considre. A l'ide de souillure et de miasme qu'on associe habituellementla notion d'tre impur, s'ajoutent celle de perte ou de fuite, de dsintgrationu de dispersion des forces matrielles ou spirituelles qui l'animaient et ,inversement, celle d'adjonction d'une force trangre. Corrlativement, la purification est conue comme le dpart des forces trangres et comme le retour, larintgration ou la rquilibration des forces perdues. Ainsi peut-on comprendrequ'on appelle inn omo (lit. homme vivant ) la personne en tat de puret etqu'inversement le maximum d'impuret soit li l'tat de cadavre ou de chosemorte. A propos de l'crasement du sexe d'un Andoumboulou, on voit dans lemythe comment la strilit, forme d'incompltude lie l'impuret, conduit lamort. Le nyama (force vitale) et les 8 symboles des graines cultives que leshommes portent dans les clavicules sont les deux entits qui se retirent d'unepersonne devenue puru (impure) la suite d'une rupture d'interdit. Si un hommemange le p et que cette graine soit l'interdit de son anctre tutlaire (nani), ceson pre, il ne l'apporte pas dans la maison de sa mre. La parole qu'il a entendue dans lamaison de sa mre, qu'il ne l'apporte pas dans la maison de son pre.Il dit aux femmes (des oncles) de ne pas apporter (aux neveux utrins) une chose mauvaise (le poison).Il vous dit : ' Qu' (Anima) vous accole aux bouts des seins de vos mres. ' A eux, il le ditencore une fois.Il dit (aux neveux utrins) de bousculer et de manger,Car dans la maison de la mre, il n'y a rien de rouge [pas de rancune]Neveu utrin, fils de ma sur, neveu des ' pres ', neveu de la socit de s Dyon, neveude l'hivernage gris, Dyon qu'on n'a pas oubli, Dyon qui a travaill, dont on a fait sortir letravail.Fils an au long cou, il leur di t : ' Salut de fatigue '. Il leur dit (aux neveux) : ' Salut ;il dit : ' Fils de la sur, salut de brousse '.

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    SUR LA TRANSGRESSION 29dernier retire de son sang le nyama qu'il lui avait antrieurement dlgu. A laplace du vide ainsi provoqu, s'introduit le nyama de l'interdit consomm, unnyama qui deviendra malfique parce que intgr dans une composition trangre.Quand un Dogon revient de voyage, on considre galement qu'il est en tatd'impuret, soit que les graines de ses clavicules aient t contamines par l'absorptione nourriture trangre, soit que certaines d'entre elles se soient retires delui. Il faut donc le soumettre un rite de purification qui consiste lui fairepasser un pi de mil du pays sur les clavicules. On remet ainsi en lui le mil familialet ce transfert a pour effet de vider l'pi de mil de son principe vital1.Ce dernier exemple nous conduit examiner la nature du potentiel biologique(graines claviculaires) qui rend possible l'action purificatrice du neveu dans lamaison de son oncle. Nous savons qu'Amma, lui-mme dfini comme 4 claviculessoudes, faonna les premires cratures vivantes en commenant par la clavicule, et en y suspendant ensuite l'ensemble du squelette. Les Dogon savent quel'ossification des clavicules se poursuit jusqu' la 22e anne et qu'il faut encore8 annes pour qu'elles soient soudes au sternum. Cette soudure est le signe quel'homme dsormais compltement achev peut se marier. Les 8 graines primitives se logent dans les clavicules lorsque l'enfant commence ses premiers pas.Elles ne seront dfinitivement fixes et ordonnes dans leur rceptacle qu'auterme du processus de maturation rendant l'individu apte au mariage.Que reprsentent ces graines? Nourriture de l'homme, elles ne symbolisent pas,comme on aurait tendance le dire trivialement, la substance de ce qui maintientl'homme dans l'existence mais, tmoins en l'homme de l'identit des diversesformes de productivit productivit de la nature et productivit du travailhumain elles sont inscrites dans son corps en un lieu qui rcapitule et marqueles tapes de sa croissance. Elles sont comme l'image du corps o se mesure l'tatsans cesse mouvant de la relation symbiotique qui unit l'homme l'univers.Image de l'univers par lui-mme, l'homme porte en lui cette image qui garantitson intgrit en tant que membre d'un lignage, produit d'une chane d'anctres,dtenteur d'une position statutaire, fix en un lieu (quartier, village, rgion) etsitu dans un temps dtermin du cycle de la vie et du monde. Les variations statutaires sont elles-mmes inscrites dans le corps : alors que le Hogon (chef detribu) reoit aprs son intronisation 8 graines de plus que celles qu'il possdaitdj, le cordonnier, en raison de ses affinits avec le Renard, n'en dtient qu'unnombre rduit. Les rites de passage, et notamment la circoncision, perturbentl'quilibre claviculaire : au cours de la retraite initiatique, l'une des mes emporte

    1 . Il faut convenir que la notion dogon de puru contient galement d'autres dterminations.ans son compte rendu de Dieu d'eau, J . Vernant (1948) avait dj remarqu uneoscillation de cette notion entre deux ples bien diffrencis : une conception de la puret entermes d'changes nergtiques et une conception, qui nous est plus familire, d'une absencede souillure.

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    30 ALFRED ADLER ET MICHEL CARTRYles graines dans la mare afin de les conserver vivantes et de les faire rintgrerleur support lors de la crmonie de clture. Pour remdier cette absence onnourrit les enfants de plats comprenant successivement chacune des 8 graines.Enfin, c'est le contenu claviculaire des diverses ethnies voisines qui dtermineles possibilits d'alliances matrimoniales entre elles.A l'instar du Hogon au terme de son intronisation, le neveu rsidant chez sesutrins voit son contenu claviculaire doubler. On comprend ainsi qu'il alimenteau fur et mesure des besoins les vides prsents par les biens devenus impurs.Par choc en retour le contenu claviculaire du neveu est reconstitu par absorptionde nourritures et autres substances prleves sur le patrimoine protg . Il attireainsi dans la maison de son oncle toutes les richesses, qu'elles viennent du dehorsou de dedans (Griaule 1954)Mais la puissance grandissante du neveu est bientt perue par les utrinscomme excessive et , comme telle, susceptible d'entraner une rupture d'quilibre,non pas dans la rpartition des richesses, mais dans celle des forces vitales. Aussicette situation prend-elle fin lorsque le neveu obtient une pouse. Il retourne alorsdans son ginna paternel et s'y voit attribuer l'usufruit d'un champ, ce qui luiconfre dfinitivement son nouveau statut.

    Tel est, dans ses principaux moments, le mouvement d'inversion de la situation qui tait au point de dpart de l'avunculat. Le neveu, Renard, incestueuxet voleur, a accept comme Asama de se placer sous la loi du Nommo. L'incesteet le vol ont marqu son apprentissage.Mais, dira-t-on, cette spculation dogon sur le mcanisme de l'impuretmasque plus qu'elle n'explique la signification sociologique du phnomne. Leseul point que sans doute on nous accordera est qu'au moins dans les socitsd'Afrique occidentale, l'essentiel de l'institution avunculaire consiste dans les volsrituels commis par le neveu chez son oncle. Telle serait en tout cas la positiond'un Jack Goody qui n'examine les faits que sous l'angle des rapports de proprit.On nous permettra de nous tendre quelque peu sur une thse qui entend rpondreaux exigences d'une explication positive.Goody (1959) commence par rduire les traits spcifiques de l'institution auxvols rituels (ritual snatching) qu'il qualifie en reprenant les termes de Hocart d'agression privilgie. Les plaisanteries entre oncle et neveu utrins relvent dela mme interprtation que le vol dont elles ne sont que l'aspect complmentaire,l'essentiel selon Goody, qui s'oppose sur ce point Radcliffe-Brown, tant l'agressivitmanifeste l'gard de la proprit de l'oncle plutt que la familiarit. Lasource de cette agressivit, il faut la chercher non dans une extension des attitudesqui prvalent dans les relations intra-familiales (Radcliffe-Brown), ni dans lastructure lmentaire de l'change qui est au fondement du groupe familial(Lvi-Strauss), mais dans le systme largi des rapports sociaux comportant des

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    SUR LA TRANSGRESSION 31liens de parent extra-claniques. Ainsi, comparant deux socits du nord du Ghanaqui appartiennent la mme culture, les LoDagaba matrilinaires, et les LoWiilipatrilinaires, Goody observe que l'absence d'avunculat chez les premiers et laprsence de cette institution chez les seconds ne peuvent s'expliquer ni par lemode de filiation ni par les rgles qui rgissent les rapports d'autorit au sein dugroupe familial. La seule diffrence pertinente en rapport avec le ritual snatching,il la voit dans le systme de transmission des biens. Chez les LoDagaba, le matri-clan d'Ego constitue pour lui une property holding corporation, l'intrieur delaquelle il hrite d'une part des biens meubles (rcoltes, argent, btail) de sononcle utrin. C'est parce qu'entre oncle et neveu on partage qu'il n'y a pas vol.En revanche, chez les LoWiili, o tous les biens se transmettent au sein du patri-lignage, Ego n'a, en tant que fils de sur, que des liens symboliques avec sesutrins. Pour les expliquer, Goody prend comme point de dpart un texte deRadcliffe-Brown propos des relations plaisanterie : Les droits et les devoirsles plus importants attachent l'individu ses parents paternels, vivants ou morts.Il appartient la ligne ou au clan patrilinaire. Pour les membres de la lignede sa mre, il est un tranger bien qu'il soit, de la part de certains d'entre eux,l'objet d'un intrt trs vif et d'une grande tendresse [...] Fait d'attachement oude conjonction, et de sparation ou de disjonction... (Radcliffe-Brown 1968).De la convergence de cette disjonction et de cette conjonction, autrement dit del'ambivalence de la relation neveu-oncle, nat, selon Goody, l'institution de laparent plaisanterie. Reste expliquer cette ambivalence dont on ne voit pas,aprs tout, pourquoi elle ne caractriserait pas toutes les relations dyadiques l'intrieur des groupes de parent. N'est-ce pas d'ailleurs ce qui est sous-jacentdans la formulation de Lvi-Strauss quand il propose de substituer aux relationsentre les termes de la famille biologique les relations entre les couples antithtiques ormant l'atome de parent et dont les variations corrlatives sont seulespertinentes ? Pourtant face cette thorie qui privilgie l'alliance et qui possdecet avantage aux yeux de Lvi-Strauss d'liminer l'arbitraire et l'obscuritpsychologique dans l'analyse des attitudes de parent, Goody demeure fidle auprimat de la descendance et aux principes de l'unit lignagre. Disciple de Radcliffe-Brown, il prtend aller au-del du matre, en utilisant la notion de siblingrsiduel qui donne toute sa porte sociologique l'ambivalence du rapport filsde la sur-frre de la mre. Il observe d'abord qu'il y a conflit, voire contradictionntre le fameux principe de l'quivalence des siblings et le principe de descendance unilinaire. Dans les systmes patrilinaires, par exemple, la femme esttrs souvent une sorte de mineure sur les plans politique, religieux et juridique.Par elle rien ne se transmet, sinon ces biens fminins qu i passent de la mre lafille mais ne concernent pas le patrimoine proprement parler. Elle est commepouse dans le groupe de son mari, c'est--dire plus ou moins trangre car ellereste membre de son groupe paternel au sein duquel, dans certains cas, elle

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    SUR LA TRANSGRESSION 33celui des Dogon, mais galement l'ensemble des croyances et des attitudes relatives au rle qui est attribu au sibling de sexe oppos dans la fcondit et la procration d'Ego autant que dans la destine des enfants qu'il a engendrs. End'autres termes, l'aventure de Yurugu et de Nommo est comme un paradigmequi claire ce qui est le thme majeur de nombreuses idologies de descendance , savoir l'ide d'une filiation symbolique partir d'un couple de siblings.Divers exemples tirs des rgions les plus loignes et concernant des socitstant patrilinaires que matrilinaires sont donns qui illustrent cette idologie dela descendance. Ils sont prcieux pour nous et nous aurions pu souhaiter queMoore leur donne un dveloppement plus important. Nanmoins la thse fonc-tionnaliste qu'il dfend (maintenir la continuit de la relation entre groupesallis) lui fait manquer la spcificit de la relation gmellaire, qu'il rduit n'trequ'un doublet de la relation entre siblings.A ne considrer que l'Ouest africain, on constate que la notion du mariage idalcomme union de jumeaux de sexe oppos n'est pas prsente seulement chez lesDogon. Chez les Bambara, lors de la crmonie de mariage, les futurs conjointssont assis l'un ct de l'autre dans une position qui rappelle la position ftaleet sont envelopps dans une mme couverture qui symbolise le placenta (Dieter-len 1954). Parmi les nombreuses crmonies de mariage que nous avons pu nous-mmes relever chez les Gourmantch (Haute-Volta), l'une, appele tinampudi,prsente un symbolisme analogue. Elle concerne au moins la fraction locale duclan royal qui est implante dans plusieurs villages de la rgion du Gobnangou etse prsente comme une initiation au mariage des fils et des filles ans des famillesappartenant cette fraction de clan. Les rites clbrs mettent en pleine lumirel'ide que les siblings ans de sexe oppos forment un couple de jumeaux incestueux, en mme temps qu'ils tmoignent de la dcision collective de mettre fin cette vie gmellaire afin de rendre les jeunes gens aptes au mariage et la procration. La strilit ou la mort, tels sont les risques encourus par les jeunes gensqui iraient au mariage sans avoir t soumis ces rites de passage. On prcisemme que tinampudi doit prcder tout change sexuel.La crmonie a lieu en hivernage, juste aprs les premires pluies et de prfrence quand le petit mil commence germer. Cette dtermination temporelle estessentielle, car toute l'initiation doit se drouler sous le signe de l'humidit. Quandson fils et sa fille ans ont atteint l'ge pr-pubertaire (entre 10 et 13 ans), chaquepre de famille fixe le jour, aprs consultation du devin gomancien. Gnralement,lusieurs familles se regroupent et clbrent la crmonie chez un an delignage. Une partie des dpenses qu'elle entrane (fourniture d'animaux sacrificielst de nourriture) est la charge des fiancs des jeunes filles inities.Pendant une nuit entire et une partie de la journe qui la suit, les diffrentscouples de frres et de surs doivent rester cte cte, compltement nus, dans

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    34 ALFRED ADLER ET MICHEL CARTRYla maison de l'an du lignage avec l'obligation de s'abstenir de boire, d'uriner etde dfquer. L'aprs-midi, alors que le soleil est encore chaud, on fait sortir lesanmpula (tel est le nom donn aux initis) de la maison et , couple aprs couple,on les fait asseoir dans des trous humides et boueux pralablement amnags dansla cour extrieure, sous un hangar spcial. Les anmpula ainsi installs, on lesrecouvre entirement de boue sauf l'endroit de leur sexe. Des mdecines spcialesmises dans les trous ont pour fonction de protger les couples contre d'ventuelssorciers et de leur permettre de rsister leurs propres tentations. Ils restent danscette position plusieurs heures, pendant qu'autour d'eux des femmes de leur clan,elles-mmes compltement nues, dansent et chantent. Quiconque n'a pas subicette initiation se voit interdire l'accs des lieux.Dans la soire, l'an de lignage sacrifie plusieurs poulets et en verse le sangsur le front des anmpula. Une pre bataille, peine simule, se droule ensuiteentre les assistants pour le partage des restes des animaux immols. La journes'achve par le rasage des cheveux des jeunes gens et par la remise de braceletsspcialement forgs pour la circonstance : deux bracelets au bras droit pour lejeune homme, quatre bracelets au bras gauche pour la jeune fille. Quand vient lanuit, les couples de frres et surs regagnent la maison et vont dormir sur unemme natte.Si les jeunes filles anmpula sont dj fiances, c'est le lendemain de cetteinitiation qu'elles se rendront pour la premire fois dans la maison de leur futurmari, pour un sjour dfinitif ou temporaire. Durant tout le trajet, la jeune filledevra s'arrter plusieurs fois et , chaque arrt, rpondre aux questions de sonfianc, intrigu par sa conduite, en disant qu'il y a trop d'pines sur la route. Pourqu'elle se remette en route, le fianc devra chaque fois donner une somme d'argent ses accompagnateurs. Parvenue au terme de ce difficile voyage, la nouvelleinitie devra encore se soumettre plusieurs rites, dont un bain purificateur.Les anmpula, garons et filles, ne devront plus jamais remettre les habitsqu'ils portaient avant la crmonie.Si le mariage maintient l'ide de l'union symbolique d'un frre et d'une sur(S. F. Moore), si le rite gourmantch le fait prcder d'une dissociation du coupledes siblings jumeaux, il faut donc bien en conclure que le fils de la sur n'est pasun enfant rsiduel de ses utrins qui aurait faire valoir ses droits dans une familledont il est exclu. Symboliquement, c'est dans cette famille qu'il est d'abord, et iln'y a plus se demander comment il en vient considrer la maison de l'onclecomme galement sienne. La question qui s'impose, au contraire, est de savoircomment l'en dtacher. Mais ici une brve mise au point est indispensable si l'onveut comprendre que la notion d'appartenance symbolique est autre chose qu'uneconstruction idologique.Avec sa notion de property holding corporation, Goody nous annonait unethorie fonde sur des critres exclusivement juridiques. Or nous constatons que

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    SUR LA TRANSGRESSION 35pour justifier l'ide de parent rsiduel , il quitte brusquement le plan des rglespour introduire dans son argumentation le raisonnement indigne que nous avonsdj relev et qui fonde la revendication du frre sur les enfants de sa sur surl'image d'un monde o les surs ne sont pas des pouses qu'on cde mais seraientcomme des frres qu'on garde. Comment n'a-t-il pas vu qu'il s'agit l d'un modede pense qui est tout fait du mme ordre que celui qui nous a constammentoccup ici ? En aurait-il pris conscience qu'il aurait ressenti la ncessit d'entrerplus avant dans l'univers des reprsentations, plutt que de chercher expliquerun comportement symbolique comme le vol rituel par rfrence l'idologiesuppose d'une socit lignagre.Qu'en est-il de la proprit de l'oncle ? Le code juridique n'explique pas lesymbolisme du vol, car il ne s'agit pas de droits de proprit, lesquels ne sont pastouchs. La privation que le neveu subit du fait de son oncle n'est pas une privation de droit, ni sur une femme ni sur des biens, et l'on se condamne ne riencomprendre si l'on interprte le pillage de ces biens comme une protestationcontre un tat d'alination ou de spoliation. Quelle est donc la nature du mouvement ui met en cause le patrimoine de l'oncle ?Nous savons que larcins, pillage, diminution, anantissement, accroissement,n'ont pratiquement rien chang l'quilibre domestique. C'est dire que le mouvement ui affecte ici les biens ne les concerne pas en tant que valeurs mesurablesmais en tant que signes de la graine de fonio et signes de la jumelle dont la possession ou la privation dtermine le statut ontologique du neveu-Yurugu. Ce quiintresse le neveu n'est pas la possession d'un bien consommable mais celle d'unemachine de production ou de reproduction , donc de ce qui, sur ce mode, lui sera jamais refus. Griaule, dans ses notes de terrain, nous rapporte l'histoire de soninformateur Amadign qui, ayant vol une poule chez son oncle, se vit encouragerpar la victime la consommer immdiatement parce que ses ufs ne pourraientplus germer . On peut peut-tre rsumer la revendication du neveu en disantqu'elle s'exprime dans une loi du tout (la rintgration dans l'uf d'Amma) ou durien (le maintien dans la gnration dont il fait rellement partie). Ainsi s'clairela phrase nigmatique de Griaule : C'est sur ce dernier [l'oncle], c'est--dire surl'accapareur la fois de sa personnalit et de son pouse mythiquement possible,que se porteront ses ractions [celles du neveu] beaucoup plus que sur son pre,sorte de comparse tranger qui ne le frustre que d'une femme. En effet, cettefemme, ma mre, en tant qu'elle a t obtenue par mon pre dans le cadre normaldes changes matrimoniaux, est l'quivalente de n'importe quelle femme. Que monpre en jouisse et qu'il m'en barre l'accs, ce n'est pas pour moi un problme,puisque lui-mme s'est soumis la loi d'exogamie. Par contre, je reconnais dansle frre de ma mre le responsable d'une frustration dont aucune possession ne melibrera jamais totalement. Certes, nous avons vu que la dette de l'oncle prenaitfin lorsque le neveu, ayant pris femme, accdait la proprit d'un champ per-

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    36 ALFRED ADLER ET MICHEL CARTRYsonnel dans le lignage paternel. Mais cette prise de possession simultane d'unefemme et d'un champ n'est pas seulement l'achvement d'un apprentissage(Yurugu est devenu Nommo), le signe d'une maturit sociale dfinitivementatteinte. Elle postule une quivalence entre la femme et le champ, en tant queleurs capacits de reproduction et de production sont assujetties la loi communede gmellit. Elle est donc la conjonction de deux actes complmentaires, conjonctionui remdie la perte de la gmelliparit. Durant la vie des premiers anctresmythiques, rappelle G. Dieterlen (1956), les naissances uniques apparurent lasuite du partage des champs (les enfants qui naquirent alors sont dits enfants desmariages des partages des champs ) . Partage des champs l'intrieur du lignageet mariage l'extrieur, l'un et l'autre prfigurs par les actes du Renard etaccomplis au cours des gnrations successives des anctres mythiques, aboutirent la rpartition dfinitive des terrains cultivs et de ce fait la rpartitiongnrale des graines de clavicules entre les diffrents membres des quatre lignages et marqurent le dbut de l'change gnralis (Dieterlen 1956 : 109). C'estcet tat de dmembrement et d'uniparit que tout mariage rpte et rparepartiellement en runissant une femme et un champ jumeaux, producteurs dercoltes et d'enfants galement jumeaux.

    Au terme de cette analyse, nous devons nous demander si la dmarche quenous avons suivie a tenu ses promesses. Nous cherchions, la suite de Griaule eten le prolongeant quand ses intentions n'taient qu'esquisses, projeter unclairage nouveau sur l'institution avunculaire en tentant d'en dvoiler la logiqueinterne l'aide des catgories et des schemes offerts par le mythe. Une telle utilisatione la mythologie nous a conduit reconnatre dans les attitudes de parent,non pas des conventions exprimant, conformment aux ncessits de l'ordresocial, des valeurs nonces dans le langage du mythe, ni des formations decompromis rsultant des tendances inconscientes en conflit avec l'ordre social,mais bien des injonctions qui, prenant l'apparence d'une satisfaction donne audsir inconscient, n'offrent pour tout objet que des simulacres dont