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le Courrier SEPTEMBRE 1988 9 FF L' Egypte au temps des Pharaons EHMHii

Aegyptu

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Ancient egyptian things

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  • le CourrierSEPTEMBRE 1988 9 FF

    L' Egypte au temps des Pharaons

    EHMHii

  • Ada LouxorEn mai 1987, soit 116 ans aprs sa crationen 1871, le clbre opra du compositeuritalien Giuseppe Verdi a t donn dans lesruines du temple de Louxor, l'ancienneThbes o se droule une partie de l'action,devant un public international. Celui-ci apu admirer une distribution brillante et ledploiement, sur cette scne grandiose, de1 500 choristes, danseurs et figurants, ainsique des chevaux et mme un lion nonsans que le Service des Antiquits del'Egypte se ft assur au pralable que lematriel technique ne risquait pasd'endommager les monuments. Inspird'une ide de l'gyptologue AugusteMariette, le livret repose sur la rivalitd'Amnris, fille du pharaon prise du jeunegnral Radams, et de la captive Aida, filledu roi d'Ethiopie vaincu par Radams.Ayant trahi pour l'amour d'Ada,Radams est enseveli vivant avec elle.

  • Septembre 1988

    Le fleuve du tempsL 'Egypte vivait au rythme des crues du Nilpar John Baines

    8

    Savants et aventuriers la dcouverte

    de l'Egypte oubliepar Jean Vercoutter

    12

    La science des btisseurs de pyramidespar Rainer Stadelmann

    17

    La conception gyptienne du mondepar Jean Yoyotte

    26

    La vie au pays des pharaonspar Christiane Desroches-Noblecourt

    30

    L'Egypte et le monde mditerranenpar Gaballa Ali Gaballa

    33

    Rve et ralit

    La persistance d'une certaine image del'Egyptepar Richard Fazzini

    36

    L'Unesco et le sauvetage des trsors del'EgypteDes temples de Nubie la bibliothqued'Alexandrie

    par Gamal Mokhtar

    Notre couverture : peinture de la tombe dePachedou Thbes (XIXe dynastie, v. 1307-1196avant J.-C). Le dfunt boit l'eau d'un tang, l'ombre d'un palmier.Photo G. Dagli Orti, Paris

    Couverture de dos : chambre funraire de

    Merenptah (v. 1224-1214 avant J.-C), treizimefils et successeur de Ramss II.

    Photo B. Brake Rapho, Paris

    le CourrierMUnefentre ouverte sur le monde 4 1e anne

    pc Mensuel publi en 35 langues Franais&> Anglais Espagnol Russe AllemandQ Arabe Japonais Italien Hindi' Tamoul Persan Hbreu Nerlandaisg Portugais Turc Ourdou Catalan

    Malais Coren Kiswahili Croato-

    Serbe Macdonien Serbo-Croate

    u Slovne Chinois Bulgare Greco Cinghalais Finnois Sudois Basque Tha Vietnamien Pachto Haoussa

    L'Egypte ancienne, qui a de tout temps sduitsavants et voyageurs, conserve aujourd'hui encore,deux cents ans aprs la naissance de l'archologiegyptienne moderne, son pouvoir de fascination.L'gyptologie est un domaine qui ne fait ques'tendre mesure que les spcialistes progressentdans leur patient travail de reconstitution partirde vestiges remarquablement conservs dans l'airsec et le sable du dsert d'une civilisation quilivre ses richesses tout en gardant bien des secrets.Et les foules qui se pressent aux expositionsinternationales d'art gyptien tmoignent del'attrait croissant qu'exerce la culture de l'Egypteancienne sur le grand public. Mais l'imaginationgarde aussi ses droits et la grandeur des pyramides,la splendeur des tombeaux et des temples de lavalle du Nil, le mystre des hiroglyphes gravsdans la pierre ou peints sur le papyrus entretiennentune vision de l'Egypte ancienne qui, si elle s'carteparfois de la ralit historique, n'en a pas moins faitrver, au fil des sicles, les artistes, les architectes,les crivains et les musiciens.

    La redcouverte de l'Egypte ancienne l'poquemoderne et les ralisations monumentales de

    l'architecture pharaonique sont quelques-uns dessujets abords dans le prsent numro du Courrierde l'Unesco, dont le propos essentiel est toutefois defaire ressortir certains aspects plus intimes (mis enlumire par l'gyptologie actuelle) de la vie desanciens Egyptiens, leur perception d'eux-mmes etde leur univers, leur existence et leurs occupations

    quotidiennes au rythme des saisons et de la crueannuelle du Nil, les divinits tranges, complexes etomniprsentes de leur panthon, leur conception del'au-del. L'image qui en ressort est celle d'unesocit dans laquelle le sacr et le sublime sefondaient intiment dans la trame du quotidien,d'une civilisation qui fit une synthse unique de cequi est phmre et de ce qui est ternel. Cela, c'estpeut-tre l'art qui l'exprime le mieux, dans laprcision du dtail, le rendu des nuances les plussubtiles dans l'expression et le mouvement, leportrait saisissant qu'il donne d'un peuple, d'unpays et d'une poque o tous les lments de la vieterrestre le travail de la terre, la famille, les

    divertissements revtaient un caractre sacr et

    cosmique.

    Ce numro comprend 40 pages et un encan publicitaire de 4 pages situcntrelesp. 2-3ct 38-39.

  • ve du temps-3LR JOHN BAINES L'Egypte vivait

    au rythmedes cru^du Nil

    AVEC un taux de pluviosit presquenul, l'Egypte serait un dsert peuprs inhabitable sans la prsence du

    Nil, qui la traverse du sud au nord depuis leshauts plateaux thiopiens et l'Afrique centrale jusqu' la Mditerrane. En fait, c'estgrce ce fleuve qu'elle fut pendanttrois millnaires, de 3000 avant J.-C. jusqu'la conqute romaine en 30 avant J.-C, l'Etatle plus vaste et le plus prospre de laMditerrane orientale. Elle a retrouv cette

    position eminente au Moyen Age, et c'estencore aujourd'hui le pays le plus importantet le plus peupl du Proche-Orient. Cettecontinuit millnaire est d'autant plus remarquable que les frontires de l'Egypten'ont gure vari au cours des sicles.

    Pendant toute l'Antiquit, la prosprit del'Egypte dpendit de la richesse de son agriculture et donc du Nil : pourtant cette agriculture n'est pas ne spontanment, mais est

    apparue progressivement au cours de la prhistoire. De toute faon, le rle du Nil et plusgnralement de la gographie de l'Egypten'a pas seulement t conomique, mais aussipolitique et mme idologique.

    Voici quelque 12 000 ans, la fin duPleistocene, l'Egypte faisait encore partie duSahara occidental, sillonn par des bandes dechasseurs-cueilleurs nomades. Le climat

    tait plus hospitalier qu'aujourd'hui et certaines rgions actuellement arides et dsertiques taient alors habites. La valle et ledelta du Nil n'taient qu'un immense marcage dont les rserves d'eau attiraient chasseurs et gibier, et dont on exploitait les ressources vgtales et halieutiques. Vers cettemme poque, les habitants de la rgioncommencent galement cueillir des plantessauvages qui pourraient tre des crales etdont la consommation exige davantage deprparation que les autres produits de la

    cueillette. On peut en dduire que la pressionsur les ressources naturelles allait en

    augmentant.

    A partir de l s'amorce un lent processusde dsertification du Sahara, qui prsentaitdj, vers 2000 avant J.-C, la mme physionomie qu'aujourd'hui. De 10 000 5000avant J.-C, les derniers reprsentants del'ge de pierre se concentrent sur les pointsd'eau, exploitant encore plus intensivementles ressources disponibles, dans le dsertcomme au bord du Nil. Le mode d'exploitation n'tait pas encore diversifi comme il ledeviendra avec l'apparition des premirescommunauts villageoises individualises.Le passage l'agriculture est intervenu quelque part dans le dsert ou au bord du Nil, entout cas proximit de l'eau, des dates quel'on situe vers 7000 5000 avant J.-C, soitbeaucoup plus tard qu'en Asie mineure.Mais l'absence de vestiges ne permet pas

  • La crue du Nil, qui tous les ans transformait lavalle du fleuve en un long ruban verdoyant dansle dsert.

    Cette statuette d'un homme barbu en brche

    rose, mesurant 50 cm, fut sculpte dans la Valledu Nil par un artisan de la premire priode du

    Nagada, une culture qui se dveloppa auxalentours du quatrime millnaire avant

    notre re.

    Photo{0 Almasy, Pans

    d'exclure l'hypothse d'une date plusrecule.

    La valle du Nil a commenc se peupleravec le dveloppement de l'agriculture.Vers 4000 avant J.-C, on ne comptait plusen Egypte que deux grandes civilisations, lavieille culture Merimdeh dans la rgion duDelta, et la culture badarienne autour

    d'Assiout en Haute-Egypte. De leur unionnaquit, avant 3100 avant J.-C, l'Etat gyptien le premier grand Etat-nation del'histoire.

    Depuis cette date, l'Egypte n'a cess deprosprer et sa population de crotre jusqu'la conqute romaine. L'unit politique et lastabilit des institutions, mais aussi la possibilit d'exploiter de nouvelles terres fertiles,y contriburent considrablement. Les semailles s'effectuaient aprs la crue annuellequi recouvrait la valle et le delta du Nil de lafin juillet septembre : irriguer tait peine

    ncessaire et la moisson s'effectuait de mars

    mai. On pouvait augmenter le rendement encanalisant les eaux en crue pour les retenir,tandis que le drainage des eaux rsiduelles etle dpt des limons permettait d'tendre lessurfaces cultivables. En revanche, les parcelles consacres aux cultures marachres

    devaient tre arroses toute l'anne, ce qui sefaisait la main jusqu' ce qu'apparaissent,vers 1500 avant J.-C, les premires norias.D'autres cultures, comme le palmier dattierdont les fruits mrissent la fin de l't et

    dont les racines vont chercher l'eau du sous-

    sol, ne ncessitaient pas d'arrosage.On ignore encore quelle date ces pro

    cds artisanaux ont fait place un systmecollectif d'irrigation grande chelle. La pratique de l'irrigation par bassin, traitantcomme une seule grande unit d'importantessections de la plaine inondable, tait djbien tablie sous le Moyen Empire(vers 2040 - 1640 avant J.-C), mais rien neprouve qu'elle ait t connue dans l'AncienEmpire (3e millnaire avant J.-C), l'poque des grandes pyramides. Les rares mentions de problmes d'eau et d'irrigation dansles textes gyptiens fournissent peu d'informations quant l'volution des techniquesemployes. Seule exception, les inscriptions la gloire des potentats locaux de la priodetrouble marquant la transition entrel'Ancien et le Moyen Empire (2134 - 2040avant J.-C), qui leur attribuent la construction de canaux et la fourniture d'eau leurs

    sujets alors que d'autres en taient privs. Enpriode de prosprit, de tels dtails taientsans doute jugs trop anodins pour figurerdans des proclamations publiques. La seuleentreprise d'irrigation de grande envergureatteste avant la priode grco-romaineconcerne la dpression marcageuse duFayoum, vaste oasis situe au sud-ouest duDelta. Les souverains du Moyen Empireavaient entrepris d'en asscher les terres enconstruisant un canal latral pour irriguer lebassin en contrebas, mais leur oeuvre ne leur

    survcut pas.

    La rgularit des crues et la fcondit desterres le long du Nil et dans le Delta faisaientde l'Egypte une oasis de prosprit, d'autantplus que la stabilit politique permettait deconstituer des rserves de vivres en prvisiond'ventuelles disettes. Mais cette situation

    n'offrait qu'un avantage relatif : des cruesinsuffisantes ou excessives, de mauvaises r

    coltes, des pidmies et d'autres dangers demme nature pouvaient tout moment freiner la croissance de l'Egypte ancienne, o

    contrairement ce qui se passe de nosjours on ne pratiquait qu'une rcoltepar an.

    Les deux cultures principales taient descrales : le bl pour le pain et l'avoine pourla bire. Ces produits faciles conserverconstituaient la base de l'alimentation. On

    cultivait aussi le lin, dont on tirait aussi bien

    des cordages que les plus fins tissus pourl'exportation, ainsi que le papyrus (plantemarcageuse, qui poussait peut-tre d'ailleurs l'tat sauvage). La racine du papyrusservait d'aliment, et ses tiges taient affectes de multiples usages, allant de la fabricationde barques et de tapis, celle de feuilles pourcrire, que l'on exportait aussi. On cultivaitpar ailleurs divers fruits et lgumes. Les anciens Egyptiens consommaient relativementpeu de viande d'levage, mais ils chassaientles oiseaux des marcages et pchaient lespoissons du Nil, qui constituaient la principale source de protines animales pour laplupart d'entre eux.

    Nourricier de l'Egypte, le Nil tait aussison principal axe de communication, telle

  • enseigne que l'image d'un bateau figure dansla plupart des hiroglyphes se rapportant auvoyage. Tout ce qui tait lourd pouvait tretransport par voie d'eau, avec une facilitqui a contribu forger l'unit du pays, enmme temps que le labyrinthe des chenauxdu Delta protgeait l'arrire-pays des invasions. En fait, les communications avec

    l'Afrique saharienne ou l'Asie taient incomparablement plus difficiles qu'entre la Hauteet la Basse Egypte. Mais le fleuve pouvait

    de main-d'luvre discipline, celle-l mmequi construisit les tombes royales et les monuments funraires des hauts dignitaires duMoyen Empire, ses fortifications et ses pyramides; celle aussi qui rigea les temples et lesncropoles du Nouvel Empire (vers 1550 -1070 avant J.-C), dont elle alimentait galement les armes conqurantes, et que l'onretrouvera enfin sur les chantiers de la priode grco-romaine.

    Tout cela a t rendu possible par le per

    Fragment de la tte en calcaire d'une massue ^crmonielle de la priode prdynastique tardive

    (v. 3000 avant J.-C), figurant le roi appel Scorpion du nom de l'animal reprsent

    prs de son visage creusant les fondations d'untemple.

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  • ignorons quels pouvaient tre leurs sentiments envers leur pays et la personne de leursouverain.

    On peut s'tonner que le Nil, qui joue untel rle dans l'conomie de l'ancienne

    Egypte, ait occup si peu de place dans sareligion. Pour les Egyptiens, leur ordre taitl'ordre du monde et le Nil tait simplement le fleuve . Il n'est mme pas certain que lemot Nil soit d'origine gyptienne. D'ailleurs, ce n'tait pas le fleuve placide quiapportait richesse et prosprit, mais bienson mouvement de crue, incarn par le dieuHapy. Et s'il personnifiait l'abondance, Ha-py n'tait mme pas une figure marquante dupanthon gyptien, plutt un dieu familierauquel les rois et les potentats aimaient s'identifier pour signaler leur prosprit etcelle qu'ils taient censs apporter leurssujets. Nous avons conserv un hymne Hapy qui chante le caractre bienfaisant deson action mais sans le rattacher aux autres

    dieux, comme c'tait pourtant la coutume.

    En fait Hapy est moins reprsent comme undieu que comme un personnage adipeux quiapporte aux dieux les fruits de l'abondance.Il n'avait d'ailleurs pas de temple, mais onclbrait son culte chaque anne au dbut descrues par des sacrifices et des hymnes Gabal-al-Silsila, site sans doute rvr depuisles temps prhistoriques, o la valle dufleuve se resserre au nord d'Assouan.

    L'importance du Nil se retrouve dansd'autres aspects de la vie de l'ancienneEgypte. Par exemple, contrairement la plupart des peuples, les Egyptiens s'orientaientvers le sud, c'est--dire vers les sources du

    Nil, si bien que pour eux, la direction bnfique (celle de la main droite) se trouvait l'ouest, o ils situaient le passage vers l'autremonde. Le calendrier suivait les mouve

    ments du fleuve et des toiles, l'anne

    commenait la mi-juillet, dbut des crues,qui concidaient avec la rapparition dans le

    ciel aprs 70 jours d'clips de l'toile Sothis(Sirius). L'anne tait divise en trois saisonsde quatre mois correspondant aux grandesphases du Nil : la crue, akhet (t - automne); Pclosion et la croissance, perer (denovembre mars) lorsque la terre rapparatet peut tre cultive; et la moisson, chemou,priode des rcoltes o le fleuve est sontiage.

    Le grand dieu gyptien le plus troitementassoci au Nil est Osiris, pharaon mythiqueassassin sur le bord du fleuve par son frreSeth, qui avait ensuite dpec son cadavre. Sas et pouse Isis parvint toutefois reconstituer son corps et le ranimer pourconcevoir son fils posthume, Horus. Osirisne revient pas la vie mais devient roi desenfers. Le cycle de sa mort et de sa rsurrection symbolise la fertilit de la terre .d'Egypte. Pendant la priode de crue, on .plantait en grande crmonie dans des statuettes d'Osiris en argile humide des grainesd'avoine dont la germination symbolisait lerveil de la terre fconde par l'eau du Nil : ily avait donc toute une symbolique complexeassociant Osiris, la terre, et les crues du Nilautour des ides-forces de fertilit et de

    renaissance.

    L'autre divinit associe au fleuve tait

    Khnoum, le dieu tte de blier que l'onvnrait Elephantine dans l'extrme sud dupays. Dieu crateur et bienfaisant, il rgnaitsur la cataracte par laquelle le Nil pntre enEgypte. Mais ce culte ne faisait que se substituer celui, plus ancien, de la desse Satis,dans le temple de laquelle on clbrait laconjonction de l'astre Sothis et de la montedes eaux. Bien qu'elle ft plus prcoce quepour les rgions plus peuples du nord, ladate des crmonies tait celle de la monte

    des eaux Elephantine.Nous sommes peut-tre plus sensibles

    l'importance et au rle bnfique du Nil queles anciens Egyptiens, qui parlaient de lapluie, si rare chez eux, comme d'une inondation du ciel . Pour comprendre cette apparente indiffrence, il faut tenir compte desdistinctions opres par les anciens entre lesacr et le profane, l'humain et le divin. LesEgyptiens acceptaient l'existence du Nilcomme un phnomne naturel, dont lescrues pouvaient tre dvastatrices, mais quiexerait une influence bnfique sur leur vie;la plupart de leurs dieux taient des tresbeaucoup plus complexes et qui se situaienten dehors du monde de tous les jours. Paradoxalement, c'est aux Grecs et aux Romains

    qu'il appartiendra de diviniser le Nil, commeils le faisaient d'ailleurs pour n'importe quelfleuve. *

    JOHN BAINES, du Royaume-Uni, est professeurd'gyptologie l'Universit d'Oxford depuis 1976.Il est l'auteur d'un Atlas de l'Egypte ancienne(1980) ralis en collaboration avecjaromir Mleket traduit en de nombreuses langues, ainsi que d'unouvrage, Fecundity Figures (1985, Symboles defcondit), qui contient une tude consacre audieu Hapy, personnification des crues du Nil, ainsique divers articles portant, entre autres, sur lareligion et la royaut dans l'Antiquit gyptienne,lia donn de nombreuses confrences sur ces sujetsen Afrique, en Europe et aux Etats-Unis.

  • Savants et aventuriers la dcouverte de l'Egypte oublie

    LE 27 septembre 1822, Jean-FranoisChampollion lisait devant l'Acadmie des inscriptions et belles-lettres

    la Lettre M. Dacier relative l'alphabet descritures phontiques employes par lesEgyptiens, texte clbre qui est la source dela redcouverte de l'Egypte ancienne.

    De tout temps, la civilisation pharaoniquea suscit intrt et tonnement par la majestde ses monuments et les aspects bizarres de

    .sa religion. Dj, les rcits d'Hrodote,Diodore de Sicile, Strabon et Plutarqueabondaient en dtails prcieux sur la vie et lespratiques religieuses des anciens Egyptiens.Cependant, au 4e sicle de notre re, la reli

    gion chrtienne s'imposa dans l'empire romain et, en 391, Thodose Ier ferma tous les

    temples paens. Les prtres gyptiens, quiseuls enseignaient l'criture hiroglyphique,disparurent peu peu, et celle-ci devint enconsquence lettre morte. Ds le 6e sicle,personne ne sait plus lire les textes gravs surles monuments ou conservs sur les papyrus.

    Il faudra attendre le 17e et surtout le

    18e sicle pour que des voyageurs curieuxattirent l'attention sur l'Egypte, ses monuments et son criture mystrieuse. Les ou-

    -4 Dcouverte prs de l'embouchure duNil par un officier de l'arme deNapolon Bonaparte en 1799, la pierrede Rosette (ci-contre) livra la cl del'criture hiroglyphique, perduedepuis longtemps. Cette stle en basaltenoir, datant de 196 avant J.-C, portaitdes inscriptions en hiroglyphes, endmotique (la langue populaire del'Egypte l'poque) et en grec,correspondant visiblement troisversions d'un mme texte : tin dcret

    commmoratif du couronnement de

    Ptolme V Epiphane rdig par desprtres. Parmi les spcialistes deslangues orientales qui s'attelrent sondchiffrement, le Franais Jean-Franois Champollion ( 1 790- 1 832) 'ci-dessus, dans un portrait anonymedul9csicle fut le premier tablir :une liste complte des hiroglyphes etde leurs quivalents grecs, qui devaitservir par la suite de base toutes lestraductions des textes gyptiens.

  • PAR JEAN VERCOUTTER Les nombreux savants qui se joignirent l'Expditiond'Egypte de Napolon Bonaparte en 1798-1799 avaient pourmission d'tudier la civilisation gyptienne, ancienne etmoderne, sous tous ses aspects. Ils consignrent leursobservations dans une monumentale Description de l'Egypte(1809-1830) qui contribua la vogue que connaissait alors cepays en Europe. Ci-dessous, deux illustrations de cetouvrage reprsentant les temples de Dendrah en Haute-Egypte, dues au graveur Vivant Denon (1747-1825).

    vrages de Benoit de Maillet et Claude Sicard,le Voyage en Egypte et en Syrie (1787) deConstantin Franois de Volney apportentdes prcisions sur la gographie et les grandstemples du pays. Enfin, un personnage trsattachant, la vie mouvemente, VivantDenon, va par ses dessins faire connatrel'Egypte aux Europens.

    Aprs avoir t gentilhomme de lachambre de Louis XV, secrtaire d'ambassade Saint-Ptersbourg et Naples sousLouis XVI, Vivant Denon obtient deBonaparte d'accompagner l'Expditiond'Egypte malgr son ge : il a 50 ans ! Auretour d'Egypte, Napolon le nomme Directeur des Muses, et c'est lui qui crera leMuse Napolon, le Louvre actuel.

    L'ouvrage de Vivant Denon, Voyage dansla Basse et la Haute Egypte marque le dbutde la renaissance de l'Egypte ancienne. Publi en 1 802, il connat un succs foudroyantdans l'Europe entire : quarante ditionssuccessives, ainsi que des traductions en anglais et en allemand. Denon avait suivi ledtachement du gnral Desaix en HauteEgypte o, souvent au pril de sa vie, parfoismme faisant le coup de feu, il avait dessintous les monuments pharaoniques qu'il dcouvrait. Le charme de ses dessins voca-teurs contribue 1' gyptomanie quitouche le monde savant, mais aussi le grand

    public : meubles et bibelots l'image de l'artgyptien se multiplient et, consquence inattendue, le vol des antiquits se dveloppe.

    La publication de l' de VivantDenon prcde de peu celle des travaux desquelque 150 savants que Bonaparte avait emmens avec lui en Egypte. Ceux-ci ont mesur, dessin tous les monuments, composant

    l'impressionnante Description de l'Egypte enneuf volumes de textes et onze grands atlasde planches qui paraissent de 1809 1822. Acette date encore, faute de pouvoir lire leshiroglyphes qui couvraient les murs desmonuments gyptiens, il tait impossibled'avoir une connaissance relle de l'Egypte

    des pharaons.En aot 1799, au cours de travaux de

    terrassement prs de Rosette, l'estd'Alexandrie, un officier de l'arme de

    Bonaparte remarqua une pierre noire couverte d'inscriptions. Son chef, le gnralMenou, la fit transporter Alexandrie et lamontra aux savants de l'Expdition. Lapierre comportait trois textes : l'un, en haut,en caractres hiroglyphiques, le second, aumilieu, dans des caractres rappelant un peul'arabe et le troisime, en bas, en caractres

    grecs. Les savants, dont plusieurs connaissaient le grec, dchiffrent immdiatement ledernier texte, un dcret de l'poque dePtolme V(196 av. J.-C.) et supposent juste titre qu'il est une traduction desdeux premiers; il est donc susceptible defournir la cl de l'criture hiroglyphique. Ilsen prennent des estampages et de nombreuses copies. Heureuse initiative ! Car,lors de la capitulation des troupes franaises,

    les Anglais saisissent la pierre de Rosette comme butin de guerre. Elle est aujourd'huiexpose au British Museum, Londres.

    La dcouverte de la pierre de Rosette futtrs vite connue en Europe. Aussitt, se dclencha une vive comptition : qui saurait lepremier dchiffrer la mystrieuse criture ?

    Le plus ardent, le plus jeune aussi, desconcurrents est Jean-Franois Champollion,g alors d'une douzaine d'annes. N Figeac en 1790, il grandit dans un milieupassionn d'Egypte. Son frre, Jacques-Joseph, qui n'a pas pu participer l'Expdition, est le secrtaire de Fourier, prfet del'Isre; celui-ci, au retour d'Egypte, collabore la Description de l'Egypte dont ilrdige la longue prface historique. Eleventre ces deux hommes, Jean-Franois seprend, lui aussi, de passion pour l'Egypte. Ala vue d'une copie de la pierre de Rosette, ilse jure d'tre le premier lire les hiroglyphes. Dans ce but, il apprend ( 13 ans !) nonseulement le grec et le latin, mais aussi l'hbreu, l'arabe, le syriaque, l'aramen.A 17 ans, il y ajoute le persan et surtout lecopte, car ds ce moment, il est convaincuque le copte n'est rien d'autre que l'gyptienancien transcrit en caractres grecs.

    Aprs avoir connu diverses msaventurespour s'tre ml de politique, Jean-FranoisChampollion s'installe en 1821 Paris, prsde son frre, maintenant secrtaire de Bon

    Joseph Dacier, un hellniste qui est le Secrtaire perptuel de l'Acadmie des inscrip-

  • tions et belles-lettres. Il se consacre alors

    entirement ses recherches, tout en suivant

    avec angoisse les progrs de ses rivaux : l'Anglais Thomas Young, le Sudois Johan DavidAkerblad et le Franais Sylvestre de Sacy,qui de leur ct travaillent au dchiffrementde l'criture gyptienne.

    Tous, comme Champollion lui-mme, seheurtent la mme difficult : l'criture

    gyptienne est-elle idographique ou phontique ? Autrement dit, chaque signe correspond-il une ide ou un son ? C'est le14 septembre 1822 que Champollion a l'intuition que l'gyptien est lafois idographique et phontique. A l'aide de la pierre deRosette et de copies d'inscriptions provenantd'autres monuments envoyes d'Egypte pardes amis, il dchiffre les noms de souverains

    grecs et romains : Alexandre, Cloptre,Arsino, Auguste, Nron... A partir de cesnoms, il trouve les signes alphabtiques debase. Des noms des Ptolmes et des Csars,

    il passe ceux des pharaons gyptiens, lesThoutmosis, les Ramss. Augmentant chaque fois le nombre de signes hiroglyphiquesqu'il comprend, il arrive les lire tous. Ils'attaque des textes de plus en plus longs : ilmatrise l'gyptien !

    Malgr la jalousie qu'elle suscite, sa dcouverte est peu peu reconnue. Soutenu parquelques grands seigneurs de la Cour, il estnomm Conservateur des collections gyptiennes du muse du Louvre. En 1827, on lui

    confie une mission d'exploration en Egypte :

    Le buste en granit de Ramss II (v. 1290-1224avant J.-C.) tait tout ce qui restait d'une statuecolossale du pharaon qui se dressait dans son vastetemple funraire, le Ramessum, sur la rive ouestdu Nil Thbes. Cette aquarelle reprsentant lehalage bras d'homme du buste vers le fleuve a tralise en 1816 par Giambattista Belzoni,chasseur d'antiquits italien qui avait t chargd'en organiser l'expdition au British Museum Londres.

    le rve de sa vie. Il part en 1828. Pendantquinze mois, accompagn de bons dessinateurs comme Nestor L'Hte, et d'une quipeitalienne dirige par son lve et amiRossellini, il parcourt la valle du Nild'Alexandrie Assouan, sjourne AbouSimbel, se rend jusqu' la deuxime cataracte. Il peut alors crire avec fiert Dacier, sonprotecteur : J'ai le droit de vous annoncerqu'il n'y a rien modifier dans notreLettre sur l'alphabet des hiroglyphes, notrealphabet est bon, il s'applique avec un galsuccs (...) aux inscriptions de tous lestemples, palais et tombeaux des poquespharaoniques.

    Alors que Champollion, tout comme sesrivaux, travaillait avec acharnement au d

    chiffrement des hiroglyphes, 1' gyptoma-nie mise la mode par Vivant Denon et laDescription de l'Egypte avait eu pour premier effet d'exciter les convoitises des collec

    tionneurs, et en particulier des grands muses europens. Tous voulaient leur collection d'antiquits gyptiennes. Par ailleurs,nombreux taient les aventuriers attirs en

    Egypte par l'espoir d'une fortune rapide.L'Egypte tait en principe sous la tutelle

    du sultan de Constantinople, mais en fait levice-roi, Mehemet Ali, rgnait en souverainabsolu. Il voulait moderniser le pays, lesantiquits ne l'intressaient gure. Aussi,profitant des facilits que leur donnent leursqualits de diplomates, les consuls trangersobtiennent de Mehemet Ali les autorisations

    ncessaires pour faire des fouilles et transporter les monuments anciens. Ils recrutentdes agents parmi les aventuriers, qu'ils chargent d'effectuer les fouilles pour eux et derapporter des antiquits dcouvertes ouachetes en leur nom. Ainsi se constituent

    d'importantes collections.Le clbre diplomate et collectionneur ita

    lien, Bernardino Drovetti, nomm consul de

    France en 1810 (poste qu'il gardera jusqu'en 1829), en profite pour faire de fructueuses oprations de trafic d'antiquits.Parfois, il dirige lui-mme les recherches etses agents pillent sans vergogne, surtout la

    Le nom de FEgyptologue franais AugusteMariette(1821-1881)est rest associ ladcouverte, Saqqarah, du Srapeum de

    Memphis, la ncropole souterraine des taureauxApis, incarnations du dieu memphite Ptah.

    En 1851, Mariette exhuma des chambres

    souterraines 64 momies de taureaux Apis. Surcette gravure de 1858, on voit l'une des portes

    d'entre nouvellement dcouvertes du Srapeum.

    rgion thbaine. Il propose une premirecollection Louis XVIII, qui en trouve leprix trop lev : elle est acquise par le roi du'Pimont. Le muse de Turin devient ainsi

    possesseur de la premire collection gyptienne de grande qualit.

    Encourag par ce rsultat, Drovetti runitune deuxime collection. Sur les conseils de

    Champollion, Charles X l'achte pour lemuse du Louvre. Puis il constitue une troi

    sime collection, que le roi de Prusseacquiert en 1836. Moins importante que lespremires, celle-ci est cependant trs belle.

    Le peintre Henry Sait, nomm consuld'Angleterre en 181 6, suit l'exemple deDrovetti. Lui aussi runit trois collections

    successives. La premire est achete par leBritish Museum, sauf la plus belle pice lesarcophage en albtre de Sthi Ier qui estvendue un particulier pour le mme prixque le reste de la collection. La seconde,beaucoup plus importante, est acquise parCharles X en 1824. Grce ses collections

    Sait et Drovetti, le Louvre devient l'gal dumuse du Turin. La troisime collection sera

    vendue aprs la mort de Sait et achete engrande partie par le British Museum.

    Ces collections exceptionnelles n'auraientpu tre runies sans l'activit inlassable desagents des consuls, en particulier du FranaisJean-Jacques Rifaud pour Drovetti et, pourSait, du Grec Giovanni d'Athanasi et surtoutde l'extraordinaire Giambattista Belzoni. Ce

    dernier, n Padoue, pense l'g de vingtans se faire moine, puis part pourl'Angleterre o, devenu saltimbanque, iltonne les foules par son extraordinaire forcephysique. On le retrouve ensuite auPortugal, en Espagne, Malte, en Egypteenfin, o il met au point une machine hydraulique pour faciliter l'irrigation. Son in-,vention n'a gure de succs : Mehemet Alirefuse de l'acqurir. Sans ressources, il estrecommand Sait, qui le prend son service. Son habilet et sa force prodigieuse apparaissent tout au long du rcit qu'il a laiss deses Voyages en Egypte et en Nubie, durantlesquels il amassa des antiquits pour Sait.

    La dcouverte de Champollion et les publications dont elle fut suivie servirent former

    les premiers gyptologues dont certains sedistinguent tout particulirement.

    L'Allemand Karl Lepsius, venu Parissuivre les cours du Collge de France, apprend lire les hiroglyphes dans les ouvrages posthumes de Champollion. Il dirigede 1842 1845 une grande expdition enEgypte organise par le roi de Prusse.

  • Nomm professeur l'Universit de Berlin,il fonde l'gyptologie allemande avec sonsuvre matresse Denkmler aus Aegyptenund Aethiopien (Monuments d'Egypte etd'Ethiopie) qui dcrit tous les monuments dela valle du Nil, de la quatrime cataracte laMditerrane.

    John Wilkinson renonce une carriremilitaire pour s'installer en Egypte, o il faitdes fouilles pendant plus de dix ans. Il peuttre considr comme le pre de l'gyptologie anglaise. Il est le premier dcrire dansManners and Customs ofAncient Egyptians(MAurs et coutumes des anciens Egyptiens)la vie quotidienne des artisans et paysans del'poque pharaonique reprsente dans lespeintures des tombes.

    Le Franais Emile Prisse d'Avennes, aprsdes tudes d'ingnieur et d'architecte, a unejeunesse aventureuse : il combat en More(Grce) contre les Turcs, devient le secrtairedu Gouverneur gnral des Indes, et finit pars'installer en Egypte et par se consacrer l'archologie. Prisse offrit au Louvre la chambre du roi ou salle des anctres

    enleve du temple de Karnak juste avantl'arrive de Lepsius qui venait pour enprendre possession ! Il fit don la France du Papyrus Prisse , long et prcieux document datant de 2000 av. J.-C, que l'on a puqualifier de plus vieux livre du monde.

    Enfin, Auguste Mariette assure l'avenir del'archologie gyptienne naissante en met

    tant fin au trafic qui, depuis le dbut du19e sicle, avait permis nombre d'antiquits, monuments et papyrus de quitterl'Egypte sous le couvert d'autorisations officielles, mais aussi la suite de fouillesclandestines.

    C'est en regardant les dessins de NestorL'Hte que Mariette, professeur au collgede Boulogne-sur-Mer, est saisi d'un attraitirrsistible pour l'Egypte. Avec la Grammaire de Champollion, il s'initie seul lalecture des hiroglyphes, puis aprs avoirobtenu un modeste emploi au muse duLouvre, il est envoy en mission en 1850pour acheter des manuscrits coptes enEgypte. En attendant les autorisations ncessaires pour cet achat, il visite Saqqarah. Lavue de quelques sphinx, demi enfouis dansle sable, lui rappelle un texte de Strabon quifait allusion une alle borde de sphinx quiconduisait aux tombes des taureaux Apis.Renonant aux manuscrits coptes, il suit l'alle qu'il a dcouverte et arrive bien auSrapeum, o il va dgager les normes sarcophages des taureaux sacrs et tout ce quiles entourait.

    Cette dcouverte fait grand bruit et vaut Mariette une rputation internationale. Maissurtout, pendant ces mois de recherches fivreuses, il a connu les joies du travail sur leterrain, l'ivresse de la dcouverte : il ne peutplus s'en passer. Grce l'intervention deFerdinand de Lesseps, le vice-roi d'Egypte,

    Sad Pacha, confie Mariette la mission de

    protger les antiquits gyptiennes. En 1858,il le nomme directeur des travaux d'antiquiten Egypte et lui donne tous les moyens pouragir. Ds lors, Mariette entreprend desfouilles Gizeh, Saqqarah, Abydos, Thbes,Elephantine et runit toutes ses trouvaillesau Caire.

    Mariette, qui veut assurer la protection detous les objets et monuments de l'Egypteancienne, aura les plus grandes difficults fajre appliquer les mesures ncessaires. Cependant, grce lui, les fondements de ce quiva devenir le Service des antiquits del'Egypte et le Muse du Caire sont poss. Asa mort, en 1881, Gaston Maspero, qui leremplace, pourra continuer son ouvre. Dsormais, la voie est trace. Elle mne vers les

    grandes dcouvertes qui feront mieuxconnatre l'Egypte pharaonique : la cachettedes momies royales Deir-el-Bahari, le tombeau de Toutankhamon, les tombes royalesdeTanis.

    JEAN VERCOUTTER, membre de l'Acadmiedes inscriptions et belles lettres de l'Institut deFrance, a dirig le Service des Antiquits duSoudan et l'Institut franais d'archologie orientale au Caire. Il a galement enseign l'gyptologie l'Universit de Lille en France. Il est l'auteur de

    nombreux ouvrages sur l'ancienne Egypte, dontTextes biographiques du Srapeum de Memphis(1962) et A la recherche de l'Egypte oublie(1986).

    11

  • La science des btisseurs

    de pyramides PAR RAINER STADELMANN

    La grande salle hypostyle du temple d'Amon Karnak, rige par Sthi Ier et acheve par son

    fils Ramss II (v. 1290-1224 avant J.-C). Sescolonnes aux chapiteaux papyriformes portantd'normes architraves jusqu' 24 m de hauteur,tmoignent par leur imposante monumentalit

    de techniques de construction parfaitementmatrises.

    QUI a contempl, ne serait-ce qu'unefois, la masse extraordinaire des pyramides, s'est invitablement pos

    la question de savoir comment ces merveillesont t construites, comment on a transportces normes pierres, quelles connaissancestechniques et mathmatiques possdaient lesanciens Egyptiens et quels taient les instruments ou les machines qu'ils employaient.

    Ces questions, on se les pose nouveaudevant les oblisques de Louxor ou deKarnak, et en particulier devant les colossesde Memnon, monolithes extraits des car

    rires au nord-est du Caire et transportsjusqu' Thbes sur une distance de 700 km.

    Techniques et sciences ne reprsentaientpas pour l'Egyptien ancien des disciplinesspciales : elles faisaient partie de la formation et de la fonction du scribe, un homme

    attach au service des gouverneurs des provinces ou du roi. L'ducation du scribe d

    butait avec l'apprentissage difficile de l'art dela lecture et de l'criture, dans des textes decaractre littraire certes, mais srement aus

    si dans des ouvrages mathmatiques et techniques, dont quelques exemplaires sur papyrus, moins nombreux que les textes littraires, nous sont nanmoins parvenus.

    Il existait par ailleurs, et depuis l'poque laplus recule, un certain nombre de mtiersordinaires qui taient fort probablement organiss dans des sortes de corporations familiales. L'artisanat spcialis est attest enEgypte ds l'poque archaque par la production de poteries trs labores, d'un outillage lithique hautement perfectionn, dercipients en pierre aux formes varies etd'une mtallurgie. Ds l'poque prhistorique, l'on dcouvrit sans doute les mines d'ordu dsert oriental ou les gisements de cuivredu Sina, et l'on prospecta diffrents filons de'pierres prcieuses des valles dsertiques dusud-est. A l'poque historique, ce fut la dcouverte et l'exploitation de carrires depierres dures rares, souvent trs loignes dela valle du Nil. Sous l'Ancien, Empire(3e millnaire avant J.-C), la technique de lataille de la pierre se perfectionne dans lasculpture, en bas-relief et en ronde-bosse,pour aboutir aux premires statues colossales, comme le Grand Sphinx de Gizeh ou leseffigies royales de la Ve dynastie(v. 2465-2323 avant J.-C).

    Les conditions naturelles du sol gyptien,soumis sur les rives du Nil des crues an

    nuelles exigeant chaque fois la redistribution des terres cultiver, ont favoris le

    dveloppement de l'arpentage et donc du

  • calcul mathmatique. La monte des eaux, lahauteur annuelle de la crue, taient calcules

    et enregistres l'aide de nilomtres ausud Elephantine, au nord prs deMemphis , car de la hauteur de l'eau dpendait la perception des taxes sur les revenus des diffrentes catgories de champs, etsurtout des plantations situes sur des terrains surlevs. L'observation de la venue

    plus ou moins rgulire de la crue du Nil et samise en relation avec des phnomnes astronomiques ont entran l'tablissement d'uncalendrier annuel suivant le rythme natureldes saisons, qui a marqu un progrs sensiblepar rapport l'ancien calendrier lunaire. Lesconnaissances tires de l'organisation agraireet de l'observation du ciel et des astres ont

    constitu le fondement thorique des futuresconstructions monumentales de l'Ancien

    Empire.Le fleuve tait aussi l'artre principale du

    pays. On remontait et on descendait le Nil en. bateau et en barque. Dans le Delta lui-mme,

    les ramifications du Nil servaient de voies decommunication. Des canaux les reliaient les

    unes aux autres, et c'est galement un rseaude canaux qui assurait la liaison entre lesinstallations bordant la valle du Nil. Mme

    d'un temple l'autre, les transports de marchandises s'effectuaient par voie d'eau. Letransport de charges plus lgres, parexemple de sacs de grains l'intrieur d'unchamp, et d'un champ un canal ou aufleuve, se faisait dos d'ne. En revanche, lesvhicules roues, dont l'usage ne s'est rpan

    du que sous le Nouvel Empire (v. 1550-1070avant J.-C), taient exclusivement des charsde guerre ou des voitures de chasse. S'ilspouvaient servir aux promenades desmembres des classes leves, ils ne consti

    tuaient jamais des moyens de transport proprement parler. Sous l'Ancien Empire,les hauts dignitaires employaient des chaises porteurs sur de courts trajets, mais empruntaient le Nil pour les longs parcours.

    On a exhum au sud de la pyramide deChops une barque royale de 44 m environ.Equipe de cinq paires d'avirons et de deuxnormes rames tenant lieu de gouvernail, elleporte des traces d'usure prouvant l'vidence qu'elle a navigu. Elle n'a probablement servi qu' relier la rsidence royale auxvilles voisines du Delta, car les btiments

    parcourant le Nil taient habituellement munis de mts escamotables. Vers l'amont, ilsallaient au vent du nord, et vers l'aval, lamture tait rabattue- et la force des rames

    suffisait. La navigation en haute mer vers les

    villes du littoral phnicien est atteste depuisla Ire dynastie (v. 3000 avant J.-C). Des bateaux un mt apportant les produits descontres syriennes furent reprsents sous laVe dynastie. Les charges trs lourdes taienttransportes sur des chalands spciaux. Letransport par chalands de colonnes palmi-formes arrimes sur des traneaux est reprsent sur le mur sud de la voie d'accs du

    temple funraire d'Ounas (v. 2356-2323avantJ.-C). Celui des oblisquesd'Hatchepsout (v. 1473-1458 avant J.-C.) figure sur le portique sud de la terrasse infrieure du temple de la reine, Deirel-Bahari : les deux oblisques aligns,points l'un vers la poupe l'autre vers laproue, sont maintenus par des cordages. Uneflotte entire, compose de 27 bateaux, haiele chaland qu'accompagne un bateau pilote.

    Pour le transport du colosse nord dutemple de Memnon, qui pse 800 tonnes,Amenophis fils de Hapou, architecte degnie qui fut le matre d' du templede Louxor et du temple funraired'Amenophis III Thbes, fit construirevers 1350 avant J.-C. un bateau spcial qu'il

    L'une des barques retrouves dans l'ensemblefunraire de Chops (v. 2551-2528 avant J.C.);elles devaient, pense-t-on, servir la traverse

    du pharaon dans l'au-del. Mise au jour en 1954prs de la face sud de la pyramide, celle-ci mesure

    plus de 40 m de long. Ses lments en bois decdre taient marqus et purent tre assembls

    comme un jeu de construction.

    baptisa bateau de huit , ce qui semblesignifier que ses dimensions taient huit foisplus grandes que celles d'un chaland normal.Un problme technique pineux a d cependant se poser au moment du chargement dumgalithe et ensuite, une fois Thbes, pourson dlestage. Le transport des oblisquesncessitait la construction de plans inclinssur lesquels on halait les mgalithes jusqu'un canal spcialement creus entre la carrireet le Nil. On a donc d imaginer un procdanalogue pour le transport du colosse deMemnon : charg de masses de pierres ou debriques, le chaland attend au fond du canal;

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  • >5- :.5M*Hfc

    La rsidence d'ternit du roi Djser(v. 2630-261 1 avant J.-C.) Saqqarah. Cettepyramide six degrs de calcaire blanc estconsidre comme le premier monument enpierre de l'histoire.

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    on y hisse l'oblisque ou le colosse amarrhorizontalement sur un traneau; on dleste

    le chaland des pierres ou des briques; celui-cifait alors surface et peut tre hal par desremorqueurs.

    Sur des parcours rduits, on pouvait tirerune charge d'environ 60 tonnes sur une pisteaplanie, comme le montre la fameuse reprsentation du transport par traneaud'une statue colossale du nomarque1Djehoutihotep dans sa tombe El-Bercheh.Le colosse d'albtre qui mesurait 13 coudesd'aprs les inscriptions, aurait pes prsd'une soixantaine de tonnes : cal sur un

    norme traneau de bois par des cordages, ilest hal par 172 hommes rpartis sur 4 files.Une cruche la main, un ouvrier juch sur lespieds du colosse verse de l'eau devant letraneau pour faciliter son glissement sur lapiste argileuse.

    Quant aux oblisques, on les faisait probablement glisser, aprs les avoir arrims l'aide de cordes solides, sur une rampeconstruite avec des briques crues et du sablevers un puits quadrangulaire rempli de sable.Pendant que l'oblisque, demi inclin, taitencore maintenu par les cordages, oncommenait vider le puits de son sable, oubien on laissait le sable couler par des fentes

    mnages dans les parois du puits. Nanmoins, lorsqu'on redressait sur sa base l'oblisque jusque l couch sur un de ses flancs,maniuvre complique, on courait le risqued'endommager ses artes, et surtout de voirsa masse norme rebondir sur le socle et s'ydcentrer, les artes de sa base n'tant plus dece fait parallles aux artes du socle. On peutobserver un incident de cet ordre, bien queminime et peine visible, sur le socle del'oblisque de Thoutmosis III Karnak.

    Cependant, c'est dans la technique de laconstruction monumentale que rside laprouesse la plus extraordinaire. Ds laIIe dynastie (v. 2770-2649 avant J.-C), lesarchitectes gyptiens connaissent la vote eten font usage dans les superstructures destombes, comme sans doute dans les habita

    tions, qui n'ont pas t conserves. De plus,pendant cette mme dynastie, on voit l'emploi progressif de la pierre de taille dans lesmonuments funraires en brique, et aussil'introduction des pierres dures. La grandeinnovation a lieu sous le roi Djser(v. 2630-261 1 avant J.-C.) vers le dbut de laIIIe dynastie Saqqarah, avec la premireconstruction monumentale en pierre de taille, la pyramide degrs, qui fut leve en unetrentaine d'annes. En analysant les diffrentes phases de sa construction, nousconstatons que les architectes gyptiens ontappris, en l'espace d'une gnration, matriser le nouveau matriau.

    Pendant la premire phase de la construction du mastaba2 initial degrs, on sembleavoir mani la pierre exactement comme s'ils'agissait de la brique habituelle : les blocs depierre, conus comme des briques de dimensions plus larges, sont disposs par assises

    horizontales et lis l'aide d'un gros mortierd'argile. En revanche, la deuxime phase, quiest celle de la transformation du mastaba

    degrs en pyramide degrs, montre unetechnique diffrente : la masse du matriauemploy est de loin plus importante : lesblocs de pierre de taille psent prsent unedemi-tonne chacun. La maonnerie est dispose en tranches inclines, dont les lits sedversent vers le c de l'difice avec un

    angle d'inclinaison de 1 8 degrs, de sorte queleur face extrieure prsente dj le fruit de72 degrs qu'offrira, en sa dernire phase, lapyramide agrandie.

    L'emploi de blocs de grandes dimensionset la disposition des assises lit dversconstituent indubitablement une innovation

    gniale permettant une conomie importantede travail d'quarissage et un gain de temps,puisqu'on vitait ainsi de tailler en biseau laface extrieure des blocs de parement et,paralllement, on obtenait plus facilement ;l'angle d'inclinaison voulu. Cette techniquene sera abandonne, la dynastie suivante,que lorsqu'on aura atteint la forme de lapyramide dfinitive dont l'angle d'inclinaison plus aigu (45 54 degrs) favorisera le lithorizontal et exigera la taille de la face extrieure des blocs de parement en biseau.

    La construction d'une pyramide mettaitl'Etat devant des problmes d'organisationet des difficults techniques. L'organisationdes masses de travailleurs, la prospection descarrires et leur exploitation, le transport

    1. Nomarque : gouverneur d'une province ou nome.(N.D.L.R.)

    2. Mastaba : tombeau en forme de pyramide tronque.(N.D.L.R.)

  • ^ L'hypothse selon laquelle une seule rampeperpendiculaire l'une des faces de la pyramideaurait servi au transport et la pose des blocsjusqu'au sommet est aujourd'hui dpasse... Ilest plus probable qu'on a eu recours au dbut une srie de petites rampes rayonnant autour dela pyramide (fig. 1) sur lesquelles on pouvaithaler les blocs sur une hauteur de 25 30 m...

    puis une rampe latrale plus importante (fig 2)dont le ct s'appuierait sur l'une des faces de lapyramide...

    . Niveau utilis pour le nivellement du litde la pyramide de Chops.T

    Instrument permettant de dterminer lenord sur le trac de la bissectrice de

    l'angle form par les vises sur les levers etcouchers d'une toile polaire sur

    l'horizon.

    A

    rgulier des blocs de pierre jusqu'au chantieret leur stockage, la formation des tailleurs depierre, des ouvriers-maons, des transporteurs, des architectes et des matres-d''uvre,sont autant de ralisations qui tmoignent del'admirable organisation de l'administrationgyptienne.

    Entre la pyramide degrs de Djser etcette merveille du monde qu'est la grandepyramide de Gizeh (v. 2550 avant J.-C),nous assistons une amlioration consid

    rable du savoir-faire technique, ainsi qu'auperfectionnement des connaissances gomtriques, qui deviennent de plus en plus prcises. Les monuments funraires ont toujoursune orientation extraordinairement prcise.Dans la pyramide degrs, cette orientationprsente encore un cart moyen de 3 degrs.Dans la pyramide de Chops, il n'est djplus que de 3 minutes 6 secondes. Uneorientation parfaite s'obtenait, sur un terrainpralablement nivel, par l'observation destoiles polaires partir d'un point situ l'angle nord de la future pyramide. Les instruments utiliss sont le merkhet, barre hori

    zontale munie d'un fil plomb, et le bay,baguette de bois cran de mire dans l'extrmit suprieure. On note sur un arc de cerclela position du lever et du coucher d'unetoile du nord. Pour dterminer le vrai

    nord, les Egyptiens divisaient en deux l'angleform par la position d'une toile polaire aulever, celle de l'observateur et celle de lamme toile au coucher. Une fois dtermin

    ce nord, une cordelette reliant diffrentspoints fixes dans la direction nord-sud permettait d'obtenir l'un des cts de la pyramide. A l'aide de rgles, on dterminait lalongueur voulue. L'angle droit tait obtenu

    Dessins Rainer Sladclmann

    Pour riger un oblisque, il est probable qu'on lefaisait glisser sur une rampe de briques crues etde sable vers un puits quadrangulaire rempli desable. Pendant que l'oblisque, demi inclin,tait encore maintenu par des cordages, oncommenait vider le puits de son sable et redresser l'oblisque sur sa base, jusqu' ce qu'ilrepose sur son socle.

    Cet oblisque inachev dans une ^carrire aux environs d'Assouan

    aurait mesur 42 m. Son poids estestim prs de 1 200 tonnes.

    15

  • par un jeu d'arcs de cercle. Si le thorme dePythagore sur la relation des cts d'untriangle n'tait pas encore formul, il devaitnanmoins tre appliqu dans la pratique.

    La prcision des angles droits la pyramide de Chop^.qui accuse' un cart moyende 2 minutes 48 secondes seulement, force,

    aujourd'hui encore, l'admiration, de mmeque le nivellement des quatre coins, quimontrent un cart minime de 2,1 cm. Le

    nivellement n'a pu tre ralis qu'au moyend'un niveau prsentant la forme d'unegrande querre de bois munie d'un fil plomb, compos de branches gales se coupant angle droit; entre ces deux, une barrette transversale place horizontalementporte un cran de repre mdian sur lequelpasse le fil du peson lorsque le plan sur lequelrepose le peson est parfaitement horizontal.Toute autre thorie, comme par exemplecelle qui consiste remplir d'eau un lacartificiel mnag autour de la pyramide, est carter.

    Aucune description antique ne nous renseigne sur la mthode de construction proprement dite. Ce que Hrodote rapporte cesujet repose sur des informations recueilliesauprs de ses contemporains; or, 2000 ansaprs la construction des pyramides, ceux-cin'en savaient pas plus que nous leur sujet.Prs des pyramides de Meidoun et de

    Imhotep, le ministre-architecte du roi Djser,dont il conut le tombeau comme unmonumental escalier vers le ciel, qu'ilconstruisit entirement en pierre pour le rendreternel. Penseur et moraliste, il rdigea aussi lepremier recueil sapiential, inaugurant un desgenres les plus riches de la littraturegyptienne. Divinis quelque deux mille ans plustard, il fut honor la Basse Epoque (713 - 332avant J.-C.) par des statuettes (ci-contre enbronze) comme divinit protectrice,notamment des scribes. Les Grecs l'identifirent

    Asklpios en raison de ses talents mdicaux.

    Un scribe et ses assistants mesurent un champde bl pour la perception de l'impt. Tombe de

    Menna, fonctionnaire du cadastre sous la

    XVIIIe dynastie (v. 1550-1307 avant J.-C).

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    Dahchor, on discerne encore aujourd'huiles restes de rampes ayant servi transporterle matriau de pierre. L'hypothse selon laquelle une seule rampe perpendiculaire l'une des faces de la pyramide aurait servi autransport et la pose des blocs jusqu'ausommet de la pyramide est aujourd'hui dpasse. Pour la pyramide de Chops, unetelle rampe aurait mesur 3,3 km et reprsent un volume 3,5 fois plus important quecelui du monument lui-mme. De mme,

    une ramp -iveloppante est du point de vuetechnique impossible imaginer, puisqu'elleaurait masqu et les quatre faces de la pyramide et les quatre artes, rendant impossiblele contrle des angles et de l'inclinaison desfaces. Il est plus probable qu'on a eu recoursau dbut une srie de petites rampes rayonnant autour de la pyramide, sur lesquelles onpouvait haler les blocs sur une hauteur de 25 30 m; ce stade, 50 % de la masse est djen place. Ensuite, une rampe latrale plusimportante dont le ct s'appuierait sur l'unedes faces de la pyramide permettant uneconomie de la moiti du volume d'une

    rampe libre et lui donnant en mme tempsplus de stabilit servait au transport despierres jusqu' une hauteur lgrement infrieure au sommet de la pyramide. A 100 mde hauteur, on aurait dpos, en prenantl'exemple de la pyramide de Chops avec des146,60 m de hauteur, les 96 % de la masse,les derniers 20 30 m ont probablement ncessit une construction en gradins. Quantau pyramidion, pierre de sommet, il n'a putre pos qu'au moyen d'un chafaudageappropri, ce qui laisse supposer que lesEgyptiens auraient connu la poulie, mme siaucune reprsentation ne nous en est parvenue. L'existence de leviers plus simples, ainsique de traneaux est atteste. Dans l'illustration de travaux d'irrigation, on a reprsentle Chadouf, qui permet un levage par suspension. Ce procd a trs bien pu tre appliqu aux matriaux de construction.

    Ce qui est remarquable, c'est que les plusgrandes conqutes scientifiques, techniqueset artistiques, non seulement de la civilisation gyptienne mais aussi de l'histoire del'humanit, de la dcouverte de l'criture aux

    progrs de la mdecine, ont eu lieu manifestement dans la premire moiti du troisimemillnaire avant notre re. Dans les sicles

    suivants, on ne fera qu'approfondir lesconnaissances et perfectionner les techniques acquises cette poque. Pour que surviennent d'autres innovations capablesd'agrandir le champ de vision du mondescientifique et technique, il faudra attendrel'avnement des penseurs grecs des 7e et6e sicles avant J.-C.

    RAINER STADELMANN, de la Rpubliquefdrale d'Allemagne, dirige l'Institut archologique allemand au Caire, ainsi que les fouilles del'Institut au temple de Sthi I" Gourna/Thbeset de la Pyramide de Snfrou Dahchor. Il apubli de nombreux articles spcialiss et diversouvrages, dont Syrisch-Palstinensische Gottheiten in gypten (Les divinits syro-palestiniennesen Egypte) et Die gyptischen Pyramiden (1986,Les pyramides d'Egypte).

  • La conception gyptiennedu monde

    PAR JEAN YOYOTTE

    Relief d'un temple figurant, droite,Thoutmosis III (v. 1479-1425 avant J.-C.) coiffde la couronne rouge de Basse-Egypte.A gauche, le dieu Amon, crateur du monde etprotecteur des vivants, tenant YAnkh, lesymbole de vie, et portant le mortier surmontde deux plumes qui est l'un de ses principauxattributs.

    LyEGYPTE antique a laiss d'immenses temples et de vastes monuments funraires. Ces construc

    tions et la profusion d'hiroglyphes qu'on yvoit tonnent, leur utilit et leur significationne sont pas videntes pour un esprit d'aujourd'hui : les Grecs, dj, considraient lespyramides de Gizeh comme une absurde etoppressive manifestation d'orgueil royal.Pareils monuments gardent leur majest etperdent de leur gigantisme inquitant, si l'ony reconnat le fruit des conceptions que lesEgyptiens avaient formes de leur univers etdes rponses que ces conceptions apportaient aux problmes de leur propre socit,selon des faons de penser et d'agir qui noussont aujourd'hui proches et lointaines.

    Le surhumain n'est pas rductible par une

    analyse linaire. Les mmes processus ouphnomnes peuvent tre approchs par plusieurs images, par plusieurs rcits sacrs. Leciel impntrable est un ocan, un toit, unevache, un corps fminin. Toute image ancredans la tradition reste pertinente, en dpit dece qui nous semble contradictoire, et permetde traiter, de grer le divin. Cette diversitdans les approches s'exprime souvent travers un mode de penser dualiste, une totalit se rduisant l'opposition et l'union dedeux modalits : la monarchie est double

    ment double, terre noire et dsert, haute et

    basse Egypte. En outre, le langage, l'critureet l'image sont autre chose que des symbolesconventionnels. Entre ce qu'on nomme etdessine et l'objet, il y a sympathie. Ainsi lesmots crent les choses d'o la place du

  • PAGES EN COULEUR

    Reliefen granit rose l'effigie de Nout, desse duciel et protectrice des morts, qui ornaitl'intrieur du couvercle du sarcophage dePsousenns Ier (1040-992 avant J.-C) San el-Hagar (la Tanis grecque) dans le delta du Nil.Conserv au Muse du Caire, le mobilierfunraire de Psousenns rivalise de richesse avec

    celui de la tombe de Toutankhamon.

    calembour dans les rcits de la cration et

    la parole contraint les choses. Ce sont l deuxprincipes de la pense dite magique . Portant les paroles divines , le systme hiroglyphique, fait d'images empruntes la nature et n en mme temps que les arts graphiques, explicite la ralit. La reprsentationd'un tre vivant, dment accompagne deson nom, est ddoublement de cette personne. Une passion quasiment maniaque du direet du figurer durablement la ralit pour la rassurer par une haute magie caractrisela culture pharaonique et explique ses merveilleuses performances monumentales etpigraphiques.

    L'horizon des Egyptiens embrassel'troite terre noire (kernet, ce qui donnera Kmi, nom copte de l'Egypte), autrementdit la plate valle alluviale du Nil, et la terrerouge (desherei), l'immense Sahara d'alentour, sec et montueux. Le Noir est l'espacecultiv, humanis, familier. Le Rouge estterrible, trange, et cela de deux manires.De rares populations arrires et agressivesle hantent et les invasions, venues de plus oumoins loin, dboucheront de ses pistes (l'hiroglyphe figurant le gehel note l'ided' tranger ). Mais le dsert confine aussi,l-bas, avec les horizons o le soleil nat et

    meurt; ses roches immuables, ses sables purssont accueillants aux morts et cachent des

    renaissances. Une masse liquide infinie englobe l'univers solide. Les mers en sont lesproches affleurements. Cette eau constitue lavote cleste o croisent les astres. Elle ali

    mente le fleuve souterrain o le soleil navi

    gue d'ouest en est durant la nuit et il enmonte chaque anne un flux nouveau : la

    mm crue du Nil.

    Peupl de mystrieux tres somnolents,cet ocan et les tnbres emplissaient toutl'espace jusqu'au jour o le soleil, R-Atoum, se leva, rejetant les tnbrescompactes la priphrie. Une butte mergea d'o le dieu organisa le monde actuel, yinsufflant l'air, la lumire, la vie, non sansavoir combattre les forces du nant. Puis il

    cra les dieux et les hommes, les animaux et

    les plantes. Ce ne fut que La PremireFois . Chaque soir, le soleil vieillit, chaquematin, rajeuni et purifi dans les eaux, ilrecre l'univers et livre combat; chaque jourle dragon Apopi menace son priple. Unervolte des hommes a fait fuir R vers les

    cieux, mais il veille toujours au maintien de lajuste rgle, Mat, qu'il a instaure et qui faitsa vie. Les tres vivants sont vous vieillir et

    rajeunir ici-bas, au rythme d'un perptueltemps cyclique (neheh) l'instar du soleil,jusqu'au jour o, touchs par la mort, ilsentreront dans l'ternit statique (djet)comme Osiris. Quand Atoum retournera son inertie premire il n'y aura plus ni espaceni temps.

    Diversit des approches et prtentions locales obligent, plusieurs mythes, plusieursdoctrines racontent leur manire l'

    du dmiurge unique. Selon la doctrine prdominante, ne Hliopolis, c'estR-Atoum qui a mis les choses en place,mais, selon les prtres de Memphis, c'estPtah, la terre, qui est apparue la premire,puis a lev le ciel et suscit le soleil. Lessavants disent que Dieu a conu l'univers ensonc (c'est--dire dans son esprit) et l'aralis par sa bouche (c'est--dire son verbecrateur).

    La pense pharaonique pose la dualitsexuelle comme inhrente l' de vie,

    bien avant que les hymnes du NouvelEmpire ne chantent en Dieu le pre et lamre . Deux mythes, celui du Kamoutef'etcelui de 1' de R situent la dimension

    fminine. Tout dieu majeur est flanqu d'unecompagne qui est la fois sa fille, son pouseet sa mre. Il est mis au monde par cettedesse et il la fconde, tant son propre fils etle Taureau de Sa Mre (Kamoutef).

    Page de droite

    La tombe de Sennefer, maire de Thbes et

    intendant des jardins d'Amon sousAmenophis II (v. 1427-1401 avant J.-C), estl'une des plus richement dcores de la ncropoledes notables thbains dans la rgion de l'actuelCheikh Abd-el-Gourna. Elle est aussi appele Tombe des vignes cause des pampres quiornent son plafond. Sennefer y est reprsentsur les piliers, parfois en compagnie de l'une deses trois pouses.Photo B. Brake Rapho. Paris

    Pages centrales

    A gauche en haut : pectoral l'effigie d'Osiris,l'un des nombreux trsors livrs par la tombe dujeune roi Toutankhamon (v. 1333-1323avant J.-C), dcouverte en 1922 parl'gyptologue britannique Howard Carter etdont le contenu est conserv au Muse Egyptiendu Caire.

    Photo G. Dagli Orti, Paris

    Je ne te quitteraipas,Ma main restera en ta main.

    Toi et moi nous nouspromneronsEn toutes sortes de lieuxplaisants. (Pome extrait du Papyrus Harris datant del'poque de Ramss II).A gauche en bas : dtail d'une peinture de latombe de Nfertari, premire pouse deRamss II (v. 1290-1224 avant J.-C). (Voiraussi photo page 22).Photo B Brake Rapho, Paris

    A droite en haut : tte dmesurment allonged'une princesse, ralise dans le trs particulierstyle amarnien. Les artistes de la cour du roiAkhenaton (v. 1353-1335 avant J.-C.)attribuaient les dfauts anatomiques dusouverain, notamment son crne ovode, tout

    son entourage.

    Photo J Vertut, Paris

    A droite en bas : le bateau, dont on trouve de

    nombreuses reprsentations en bois dans lestombes, tait le moyen de transport privilgi enEgypte. Celui-ci date du Moyen Empire(v. 2040-1640 avant J.-C.) : il est quip l'arrire de deux grandes rames faisant office degouvernail. Les vents dominants dans la valledu Nil tant des vents du nord, on remontait lefleuve la voile mais on le descendait la rame.

    PhotoG Dagli Orti, PansV

    Lectures

    Textes sacrs et textes profanes de l'ancienneEgypte, traduction et commentaires par ClaireLalouette, prface de Pierre Grimai. CollectionUnesco d'oeuvres reprsentatives, srie Egypte an-'cienne, Ed. Gallimard 1984.

    L'Egypte ancienne, par Arne Eggebrecht. Ed.Bordas, Paris 1986.

    Les btisseurs de Karnak, par J.-C. Golvin et J.-C.Goyon. Ed. Presses du CNRS 1987.

    La femme au temps des pharaons, par ChristianeDesroches-Noblecourt. Ed. Stock/Laurence

    Pernoud, Paris 1987.

    A la recherche de l'Egypte oublie, par JeanVercoutter. Ed. Dcouvertes Gallimard, Paris 1986.

    La dcouverte des trsors de Tanis, par GeorgesGoyon. Ed. Persea, Paris 1986.

    L'art gyptien, Ecole du Louvre. Ed. Descle deBrouwer 1973.

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  • D'autre part, cette compagne est aussi sonsource des flammes et de la lumire, qui

    s'est loign de lui en colre et qu'il a dpacifier : image de l'ambivalence du sacr,elle est la bonne Hathor, dsir et joie, et ladangereuse Sekhmet, agent lonin des calamits et cobra qui est la force de frappecontre les ennemis et les pcheurs.

    Deux couples divins issus du dmiurgereprsentent la mise en place de l'universphysique : air, lumire-feu, terre et ciel. Lagnration suivante, proche de la conditionhumaine, affronte ses drames : la questiondu pouvoir et de la mort. Osiris tu par Sethtrouve une nouvelle vie par les soins d'Isis etde Nephthys, et gagne la souverainet sur lamort et les morts. Son fils posthume Horusreconquiert la royaut terrestre sur son oncleSeth. Celui-ci, le perturbateur qui ne deviendra un Satan absolu que dans la religion despoques rcentes, est une figure ambigu. Saviolence divine est incontournable et fait

    dboucher la vie sur l'ternit et elle aide R

    et le pharaon contre l'tranger et le dragondu nant. D'o des lgendes contradictoires : le pouvoir partag entre Horus matredu Noir et Seth matre du Rouge; ou Seth roidu Sud et Horus roi du Nord, indissoluble

    ment confdrs; ou encore, le plus souvent,Horus expulsant Seth et rgnant seul sur lemonde organis.

    Ces enchevtrements d'images et d'idesservent de support une thologie politiquequi a marqu si fortement l'histoire et laculture gyptiennes que les historiens quali-

    , fient lgitimement celles-ci de pharaoniques , le mot pharaon, nous transmis parla Bible, tant une dsignation spcifique du

    Page de gauche

    Sur cette peinture murale de la tombe deNfertari, l'une des plus belles de la Valle desReines, on voit gauche le dieu Khpri,incarnation du soleil levant; son emblme, unscarabe, lui tient lieu de tte. A droite, la dessede l'Occident, Hathor, et R-Horakhti ou

    Horus de l'horizon , la forme diurne du dieu

    du soleil, reprsent par un homme la tte defaucon surmonte d'un disque solaire.Photo E.Thiem, Lotus I ilm, Kauibcurcn

    roi d'Egypte. Ce roi reprsente le divin et,dogmatiquement, il est le seul acteur dans lesprocessus conomiques, sociaux et politiques. Incarnation d'Horus depuis les tempsarchaques, fils de R depuis l'poque desgrandes pyramides, le dieu parfait remplit le rle des dieux dont il est l'image,l'hritier et le serviteur. Il unit en lui Horus

    et Seth. Son avnement est celui d'Horus et

    en mme temps une nouvelle apparition dusoleil, le dbut d'une re nouvelle. Il main

    tient Mat parmi les hommes et assure lascurit en repoussant les barbares et enimposant l'ordre gyptien hors de la valledu Nil. Lui seul est dpositaire de la forcesurnaturelle qui assure la victoire et de lasagesse politique. Il dcrte seul et nomme tous les emplois. Initi et lettr, il entretientla vie des divinits par les arts et par les rites.

    Les bases doctrinales de la lgitimit desrois se trouvent, non dans l'hrdit, mais

    dans une immdiate prdestination, un choixde Dieu, ce qu'illustre la fiction de sa procration par le dieu lui-mme (mythe de lathogamie). Du moment o il a pris lescouronnes et fix le cobra sur son front, le

    nouvel Horus est entr parmi les dieux. C'esten tre surhumain qu'il passera dans l'terni

    t. Sa tombe, les crmonies de son enterrement, traduisent cette diffrence d'avec les

    hommes : pyramides de l'Ancien et du Nouvel Empires avec leurs vastes templesroyaux, syringes de la Valle des Rois et Chteaux de Millions d'Annes du

    Nouvel Empire. Une des rares conqutessociales des sujets au long de l'histoire gyptienne sera la dmocratisation des privilges funraires qui s'instaure au profit desmortels ordinaires chacune des Priodes

    intermdiaires, quand le pouvoir centralfaiblit. Mais chaque Empire qui restaurel'unit monarchique invente de nouvellesdiffrenciations.

    Assurment, l'Egypte ancienne n'a conuni pratiqu la dmocratie. Elle a pouss l'extrme, intgre dans sa cosmologie, ladlgation du pouvoir transcend un chef.Peu port l'abstraction, l'Egyptien prphilosophique n'eut pas de mot pour Etat , ni pour Nation , mais il investitla personne du roi solaire de tous les attributsde l'Etat. Les vocables divers qui dsignent leroi ne s'appliquent pas aux souverains trangers, et, eh parlant de Pharaon, l'hommeantique intriorise son sentiment national,mme si les conteurs savent bien que ce dieu

    Relief amarnien en calcaire peint, reprsentantle roi Akhenaton (v. 1353-1335 avant J.-C.) avecson pouse Nfertiti et trois de leurs filles. Cette

    scne familiale intime, propre l'iconographieroyale sous Akhenaton, est claire par lesrayons bienfaisants d'Aton, le dieu solaire

    reprsent par un disque. Pendant une douzained'annes, Akhetaton (l'actuelle Tell-el-Amarna)

    fut la capitale de l'Egypte et le foyer du culteexclusif d'Aton impos par le roi. Ce fut la seulepriode monothiste dans l'histoire de l'Egypte

    ancienne.

  • ^ Bas-reliefen bois de la tombe de Hsir, Chefdesscribes, des dentistes et des mdecins sous la

    IIIe dynastie (v. 2649-2575 avant J.-C), Saqqarah. Il porte sur son paule le matriel duscribe : l'tui de roseau et la palette pour dlayerles encres rouge et noire.

    Sur cette peinture de la tombe de Sennedjem,haut fonctionnaire sous Sthi rr(v. 1306-1290avant J.-C), le dfunt et son pouse Iynefertisont reprsents en adoration devant un groupede divinits (voir aussi photo de gauche, page 6).

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    partage les faiblesses physiques et morales denotre espce. Scribes et prtres cultivrent leloyalisme monarchique et lui donnrent finalement une dimension icumnique quifacilita l'acceptation de matres trangers,dtenteurs d'un Empire universel : lesPerses Cambyse et Darius, Alexandre leGrand, Auguste le Romain.

    Cette socit unanimiste et dont les

    pomes sacrs chantrent l'unit de la cration et le mystre du crateur fut en mmetemps radicalement polythiste et obstinment idoltre. La nation gyptienne prenden compte toutes les divinits que rvlentles immmoriales traditions des divers ter

    roirs. Les noms, les lgendes, les attributsmajeurs, les reprsentations consacres dechacune la rendent unique en son genre .Chaque dieu de ville est cher aux habi

    tants du canton dont il est le seigneur etdont il assure le bonheur. Mais tous les

    dieux et desses sont simultanment recon

    nus comme pre ou mre du pharaon quipourvoit l'entretien de tous et en attend laprotection.

    Avec le temps, une certaine logique organise cet innombrable panthon par des hirarchisations et des identifications. Ainsi

    tout dieu principal d'une province est unemanifestation du soleil : on dit Amon-R,Montou-R, Sobek-R. Finalement, toutes

    les divinits deviennent, thoriquement, desformes ou des enfants d'un lointain Dieu

    unique, tandis que leurs personnalits offrent aux rituels d'Etat et aux dvotions lo

    cales un mdium pour approcher la Divinitl o elle est et comme elle se manifeste. Le

    coup d'Etat clair du clbre Akhenaton,

    imposant le culte exclusif du soleil visible(Aton) ne pouvait durablement russir, d'autant que le polythisme avait profondmentmodel, non seulement la spiritualit tolrante des Egyptiens mais les structures conomiques et sociales du pays.

    Quelle fut donc la place des hommes et desfemmes dans cet univers o tout le collectif

    semble pens et gr en termes de communication entre un seul tre de chair le roi

    et le divin multiforme ? L'espace de l'individu y est tonnamment large ! Par comparaison avec les autres peuples du Proche-Orientancien, l'Egypte est singulirement moderne . Les humains sont gaux devant le crateur et ne doivent en principe leur promotionqu'au choix judicieux du pharaon. Ni aristocratie statutaire, ni instance intermdiaireentre l'Etat et l'individu. Un homme se dfi

    nit par le nom de ses gniteurs immdiats etpar son titre dans l'appareil administratif. Lacapacit juridique de la femme est gale celle de l'homme, encore que le foyer soitpatrilocal et l'activit des pouses tournevers leur rle, honor, de matresse de

    maison . L'aspiration un bonheur casaniers'exprime joliment dans les images des tombeaux et dans la littrature. Les enfants sont

    souhaits et soigns, non pour perptuer uneligne, mais pour le plaisir et pour fairerevivre leurs parents par les rites funraires.La convivialit est intense l'chelle du

    village.

    Mat prescrit d'assister les dmunis, et,ds le IIIe millnaire, les Sagesses disent lacharit et l'aumne en des formules qui prfigurent nos religions abrahamiques. CesSagesses de fonctionnaires, paternalistes etformalistes au demeurant, prchent la bonnetenue, la rserve, l'absence de gesticulation,toute une discipline qu'on retrouve, typique,dans le dessin et la statuaire pharaoniques.

    La mdiation royale omniprsente est loind'exclure les relations directes de l'individu

    avec les dieux. Certes les particuliers quandils n'exercent pas leur fonction de prtre, nepntrent pas dans l'enceinte des templesmajeurs qui sont en quelque sorte des usines entretenir l'nergie de l'univers, mais, laporte des enceintes sacres, dans des oratoires de village et dans leur for intrieur, ilsprient les dieux de leur choix et consultentleurs oracles pour rsoudre leurs problmesde sant et de carrire. Les thories du nom, '

    de l'crit, de l'image, offrent d'ailleurs unmoyen magique d'obtenir la faveur divine deson vivant : une statue, une stle, place dansun lieu saint vous transforme en commensal

    du dieu et fait bnficier indirectement- de

    1' offrande que lui donne le Roi , laquellepermet au dieu de vous dispenser la prosprit, la longvit et la promesse d'une bonnespulture.

    Car il est un champ o la conceptionpharaonique accorde l'homme la possibilit d'affirmer son ego, en usant de toutes lesmagies de l'art, de l'criture et du rite pourassurer la prennit de sa dpouille momifie, de son nom, de son me mobile (bai) etde son nergie individuelle (ka). Une vieternelle leur est offerte, vie vraiment royalepuisque chacun se transforme en Osiris, vie

  • ^WaBBSS^SSsB

    Dans la chambre ovale du sarcophage deThoutmosis III (v. 1479-1425 avant J.-C), une

    peinture murale illustrant une scne del'Amdouat, nom d'un livre dcrivant le parcours

    souterrain du soleil la nuit et qui est crit, partir de la XVIIIe dynastie, sur les parois destombes royales. Ici, la barque du dieu Soleil a

    atteint la 12e heure de la nuit, heure laquelle ledieu et sa suite entrent dans le corps d'un

    serpent gant pour en ressortir rajeunis, sous laforme de jeunes enfants . La justification du mort, une des nombreuses

    formules places dans les tombes sous le NouvelEmpire et faisant partie de ce qu'il est convenud'appeler le Livre des morts. Sur ce fragment de

    papyrus, le dieu Anubis tte de chacal,inventeur des rites d'embaumement et matre de

    la ncropole, pse le cyur du dfunt dans unplateau oppos celui deMat la juste

    rgle . A ses cts, Thot, dieu de l'criture,observe et note le rsultat. Si le coeur du mort et

    Mat (dont le symbole est une plume ou unedesse accroupie tenant une plume) sont en

    quilibre, le dfunt est prsent triomphalement Osiris.

    o

    Q

    d

    e

    h. f k.