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Afrique SCIENCE 06(3) (2010) 54 - 63 ISSN 1813-548X, http://www.afriquescience.info Doudou DIOP et al. 54 Étude des caractères anatomiques du limbe des Ficus L . (Moraceae) au Sénégal Doudou DIOP 1* , Mame Samba MBAYE 2 , Aboubacary KANE 2 et Kandioura NOBA 2 1 Université Cheikh Anta Diop, Institut Fondamental d’Afrique Noire/CAD, Laboratoire de Botanique, BP 206 Dakar-Fann, Sénégal 2 Université Cheikh Anta Diop, Département de Biologie végétale, Laboratoire de Botanique et de Biodiversité, BP 5005 Dakar-Fann, Sénégal ________________ * Correspondance, courriel : [email protected] Résumé L’étude des caractères anatomiques des espèces du genre Ficus a été entreprise, à partir des coupes anatomiques pratiquées dans le 1/3 inférieur du limbe, pour trouver des caractères discriminants nouveaux permettant d’améliorer l’identification de 23 espèces dont une nouvelle pour la Flore du Sénégal : F. conraui Warb. Les résultats obtenus ont permis de distinguer : F. cordata par son épaisse couche de cuticule, F. sycomorus par la présence des cryptes pilifères stomatiques, F. ingens par son mésophylle centrique et 11 autres espèces à partir de caractères de l’épiderme supérieur, du mésophylle et des cystolithes. Seules 9 espèces n’ont pu être déterminées avec précision. L’étude montre, en outre, l’importance des caractères anatomiques dans les stratégies d’adaptation des espèces du genre Ficus aux différentes conditions de leurs milieux de vie. Mots-clés : anatomie, Ficus (Moraceae), mésophylle, systématique. Abstract The anatomical characters of the limb of Ficus L . (Moraceae) in Senegal The study of the anatomical characters of species of the genus Ficus, from anatomical cuts practised in the 1/3 inferior part of the limb, was undertaken to find out new discriminating characters making it possible to improve the identification of 23 species of which a new one for the Flora of Senegal: F. conraui Warb. The results obtained made it possible to distinguish : F. cordata by its thick layer of cuticle, F. sycomorus by the presence of the stomatic piliferous crypts, F. ingens by its centric mesophyll and 11 other species according to the characters of the higher skin, the mesophyll and cystoliths. Only 9 studied species were not determined with precision. The study shows, moreover, the importance of the anatomical characters in the adaptation strategies of species of the genus Ficus in various conditions of their life media. Keywords : anatomy, Ficus (Moraceae), mesophyll, systematic.

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Doudou DIOP et al.

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Étude des caractères anatomiques du limbe des Ficus L . (Moraceae) au Sénégal

Doudou DIOP 1*, Mame Samba MBAYE

2, Aboubacary KANE 2 et Kandioura NOBA

2

1Université Cheikh Anta Diop, Institut Fondamental d’Afrique Noire/CAD, Laboratoire de Botanique, BP 206 Dakar-Fann, Sénégal

2Université Cheikh Anta Diop, Département de Biologie végétale, Laboratoire de Botanique et de Biodiversité, BP 5005 Dakar-Fann, Sénégal

________________ * Correspondance, courriel : [email protected] Résumé L’étude des caractères anatomiques des espèces du genre Ficus a été entreprise, à partir des coupes anatomiques pratiquées dans le 1/3 inférieur du limbe, pour trouver des caractères discriminants nouveaux permettant d’améliorer l’identification de 23 espèces dont une nouvelle pour la Flore du Sénégal : F. conraui Warb. Les résultats obtenus ont permis de distinguer : F. cordata par son épaisse couche de cuticule, F. sycomorus par la présence des cryptes pilifères stomatiques, F. ingens par son mésophylle centrique et 11 autres espèces à partir de caractères de l’épiderme supérieur, du mésophylle et des cystolithes. Seules 9 espèces n’ont pu être déterminées avec précision. L’étude montre, en outre, l’importance des caractères anatomiques dans les stratégies d’adaptation des espèces du genre Ficus aux différentes conditions de leurs milieux de vie. Mots-clés : anatomie, Ficus (Moraceae), mésophylle, systématique. Abstract

The anatomical characters of the limb of Ficus L . (Moraceae) in Senegal The study of the anatomical characters of species of the genus Ficus, from anatomical cuts practised in the 1/3 inferior part of the limb, was undertaken to find out new discriminating characters making it possible to improve the identification of 23 species of which a new one for the Flora of Senegal: F. conraui Warb. The results obtained made it possible to distinguish : F. cordata by its thick layer of cuticle, F. sycomorus by the presence of the stomatic piliferous crypts, F. ingens by its centric mesophyll and 11 other species according to the characters of the higher skin, the mesophyll and cystoliths. Only 9 studied species were not determined with precision. The study shows, moreover, the importance of the anatomical characters in the adaptation strategies of species of the genus Ficus in various conditions of their life media. Keywords : anatomy, Ficus (Moraceae), mesophyll, systematic.

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1. Introduction Le genre Ficus L. est l’un des genres les plus diversifiés de la flore de l’Afrique de l’ouest. Il renferme 70 espèces recensées [1,2]. Au Sénégal, il est, sans aucun doute chez les ligneux, le genre le plus diversifié avec 30 espèces [3]. Cette diversité spécifique continue de susciter un intérêt systématique pour beaucoup de botanistes. Plusieurs d’entre eux ont proposé des clés d’identification basées pour l’essentiel sur les caractères macro et micromorphologiques de l’appareil végétatif et des organes reproducteurs [1,4,5]. Toutefois, l’identification de certaines espèces demeure encore difficile à cause de la grande variabilité des caractères foliaires induite par les conditions écologiques très diverses. Une approche de la structure anatomique du limbe des espèces du genre Ficus nous a paru intéressante à considérer pour deux principales raisons : - d’une part, elle permet de trouver des caractères discriminants nouveaux et donc de compléter les

observations au plan morphologique comme l’ont souligné Metcalfe & Chalk [6]; - d’autre part, elle permet de comprendre, en partie, la réponse adaptative de l’anatomie des espèces du

genre Ficus L. pour s’adapter aux différents milieux de vie. Cette étude porte sur 23 espèces autochtones du genre Ficus au Sénégal qui occupent des biotopes assez variés allant de la savane du centre du pays, aux galeries forestières et forêts humides au sud du Sénégal [5].

2. Matériel et méthodes 2-1. Matériel Le matériel végétal utilisé a été prélevé sur des individus vivants dans : � les savanes soudaniennes et soudano-guinéennes des régions situées au centre du pays (Dakar, Fatick

et Tambacounda) en ce qui concerne les espèces suivantes : F. abutilifolia, F. cordata, F. dicranostyla, F. glumosa var. glaberrima, F. glumosa var. glumosa, F. ingens, F. iteophylla, F. platyphylla, F. sur, F. sycomorus, F. thonningii et F. vallis-choudae ;

� les galeries forestières et forêts guinéennes des régions situées plus au sud (Tambacounda et de Ziguinchor) en ce qui concerne les espèces suivantes : F. conraui, F. elasticoides, F. exasperata, F. lutea, F. natalensis, F. ottoniifolia, F. ovata, F. polita, F. scott-eliotii, F. sur, F. sycomorus, F. thonningii, F. trichopoda et F. umbellata.

Pour chaque espèce étudiée, des feuilles adultes fraîches ont été récoltées sur 3 à 5 individus, puis conservées dans une solution de F.A.A. (Formol-Alcool-Acétone). 2-2. Méthodes Des coupes anatomiques ont été pratiquées sur des feuilles dans le 1/3 inférieur pour observer l’importance systématique de la variabilité anatomique de cet organe pour les différentes espèces étudiées. Ces coupes anatomiques, observées au microscope optique au grossissement x 40, ont été réalisées au microtome à paraffine dont les différentes étapes sont : la fixation, la déshydratation, l’inclusion, le déparaffinage, la coloration et le montage des coupes. L’étude des caractères anatomiques du limbe a porté sur les 6 caractères suivants : l’épaisseur de la cuticule, le nombre d’assises cellulaires épidermiques, la présence ou l’absence de cystolithes, le nombre

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d’assises du parenchyme palissadique, le rapport épaisseur parenchyme palissadique/ épaisseur parenchyme lacuneux et la présence de cryptes stomatiques. 3. Résultats Les résultats obtenus sont mentionnés dans le Tableau 1.

Tableau 1 : Caractères anatomiques du limbe des espèces du genre Ficus L.

Limbe

Nombre d’assises ccellulaires épi. / cuticule

Cystolithes

Caractères Espèces Epi. Sup. Epi. Inf Epi.

sup. Epi. Inf

Type de

mésophylle

Rapport parenchyme palissadique/ parenchyme lacuneux

Nbre d’assises parenchymes palissadiques

Cryptes

F. abutilifolia 4/mince 1/ mince Pr. Abs Asymétrique 1/ 2 1 Absent F. conraui 2/mince 1/ mince Abs Abs Asymétrique 1/ 3 1 Absent F. cordata 1/épaisse 1/ épaisse Abs Pr. Asymétrique 1/ 4 1 Absent F. dicranostyla 3/mince 1/ mince Abs Pr. Asymétrique 1/ 2 2 Absent F. elasticoides 3/mince 1/ mince Pr. Abs Asymétrique 1/ 2 2 Absent F. exasperata 1/mince 1/ mince Abs Pr. Asymétrique 1/ 2 2 Absent F. glumosa var. glaberrima

3/mince 1/ mince Pr. Abs Asymétrique 1/ 2 3 Absent

F. glumosa var. glumosa

3/mince 1/ mince Pr. Abs Asymétrique 1/ 2 3 Absent

F. ingens 1/mince 1/ mince Abs Pr. Centrique 4 Absent F. iteophylla 2/mince 1/ mince Pr. Abs Asymétrique 1/ 2 1 Absent F. lutea 2/mince 1/ mince Pr. Abs Asymétrique 1/ 2 3 Absent F. natalensis 2/mince 1/ mince Pr. Abs Asymétrique 1/ 5 2 Absent F. ottoniifolia 2/mince 1/ mince Pr. Abs Asymétrique 1/ 2 2 Absent F. ovata 2/mince 1/ mince Pr. Abs Asymétrique 1/ 2 1 Absent F. platyphylla 4/mince 1/ mince Abs Abs Asymétrique 1/ 3 1 Absent F. polita 2/mince 1/ mince Pr. Abs Asymétrique 1/ 6 1 Absent F. scott eliotii 3/mince 1/ mince Pr. Abs Asymétrique 1/ 7 1 Absent F. sur 2/mince 1/ mince Abs Pr. Asymétrique 2 3 Absent F. sycomorus 3/mince 1/ mince Pr. Abs Asymétrique 2 2 Présent F. thonningii 2/mince 1/ mince Pr. Abs Asymétrique 1/ 4 1 Absent F. trichopoda 2/mince 1/ mince Abs Pr. Asymétrique 1, 4 2 Absent F. umbellata 2/mince 1/ mince Pr. Abs Asymétrique 1/ 2 3 Absent F. vallis-choudae 2/mince 1/ mince Abs Pr. Asymétrique 1, 75 2 Absent

Abs.= absent ; épi= épidermique ; Pr. = présent ; Nbre = nombre

L’analyse des résultats obtenus montre que le nombre d’assises cellulaires de l’épiderme supérieur chez les Ficus permet de distinguer des espèces à : - une assise cellulaire avec : F. cordata, F. exasperata et F. ingens (Planche 1, Figures 3 et 6 et Planche 2, Figure 1) ;

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- deux assises cellulaires comme chez : F. conraui, F. iteophylla, F. lutea ; F. natalensis, F. ottoniifolia, F. ovata, F. polita, F. sur, F. thonningii, F. trichopoda, F. umbellata et F. vallis-choudae ; - trois assises cellulaires (Planche 1 et Planche 3) observées chez F. dicranostyla, F. elasticoides, F. glumosa var. glaberrima, F. glumosa var. glumosa, F. scott-eliotii. et F. sycomorus ; - plus de 3 assises cellulaires chez F. abutilifolia et F. platyphylla (Planche 1, Figure 1 et Planche 2, Figure 7). Chez les espèces à épiderme supérieur constitué d’une assise cellulaire, le nombre d’assises cellulaires du parenchyme palissadique permet de distinguer les trois espèces suivantes : - F. ingens (Planche 2, Figure 1) avec un parenchyme palissadique à quatre assises cellulaires ; - F. exasperata (Planche 1, Figure 6) avec un parenchyme palissadique à deux assises ; - F. cordata (Planche 1, Figure 3) avec un parenchyme palissadique à une assise cellulaire. Par ailleurs, d’autres caractères permettent également de reconnaître ces espèces, il s’agit : - du mésophylle centrique de F. ingens (Planche 2, Figure 1) qui singularise cette espèce des autres

étudiées qui présentent un mésophylle asymétrique ; - de la taille des cellules de l’épiderme supérieur chez F. exasperata (Planche 1, Figure 6) plus grande

que celle de F. cordata (Planche 1, Figure 3) et de F. ingens (Planche 2, Figure 1). - de l’épaisse couche de cuticule présente uniquement chez F. cordata (Planche 1, Figure 3) alors

qu’elle est mince chez toutes les autres espèces étudiées ; Parmi les espèces dont le nombre d’assises cellulaires de l’épiderme supérieur est égal à 2, seule F. conraui (Planche 1, Figure 2) est dépourvue de cystolithes. Chez les autres espèces la localisation des cystolithes permet de distinguer deux groupes d’espèces : - Un premier groupe d’espèces dont les cystolithes sont localisés dans l’épiderme supérieur du limbe ; ce sont F. iteophylla, F. lutea, F. natalensis, F. ottoniifolia, F. ovata, F. polita, F. thonningii, F. umbellata ; chez ces espèces, le parenchyme palissadique permet de distinguer : - des espèces dont le parenchyme palissadique est à une assise cellulaire ; ce sont F. iteophylla, F. ovata,

F. polita et F. thonningii ; dans ce groupe, comparé au parenchyme lacuneux, le parenchyme palissadique est beaucoup moins développé que chez F. polita et F. thonningii que chez F. iteophylla et F. ovata ;

- des espèces dont le parenchyme palissadique est à plus d’une assise cellulaire ; chez ces espèces on peut distinguer également deux groupes :

- les espèces dont le parenchyme palissadique est à deux assises ; il s’agit de : F. natalensis. F. ottoniifolia et F. trichopoda ; le rapport parenchyme palissadique / parenchyme lacuneux permet de reconnaître ces 3 espèces avec, dans l’ordre décroissant, 1,4 pour F. trichopoda, 0,5 pour F. ottoniifolia et 0,2 pour F. natalensis ;

- les espèces dont le parenchyme palissadique est à trois assises avec F. lutea et F. umbellata (Planche 2, Figure 3 et Planche 3, Figure 6) ;

- un deuxième groupe d’espèces dont les cystolithes sont localisés dans l’épiderme inférieur du limbe ; ce sont F. sur et F. vallis-choudae. Chez ces deux espèces, le nombre d’assises du parenchyme palissadique permet de distinguer F. sur (Planche 3, Figure 2) de F. vallis-choudae (Planche 3, Figure 7) avec respectivement 3 et 2 assises cellulaires.

Chez les espèces présentant un épiderme à trois assises cellulaires, trois espèces se singularisent : o F. sycomorus (Planche 3, Figure 3) par la présence des cryptes stomatiques pilifères qui sont

absents chez toutes les autres espèces étudiées ; o F. dicranostyla (Planche 1, Figure 4), la seule espèce présentant des cystolithes sur l’épiderme

inférieur ;

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o F. scott-eliotii (Planche 3, Figure 1) par son rapport parenchyme palissadique / parenchyme lacuneux plus faible (1/7).

Les caractères étudiés n’ont pas permis de reconnaître F. elasticoides et les deux variétés de F. glumosa. Chez les espèces dont l’épiderme supérieur est à plus de 3 assises cellulaires, la présence des cystolithes dans l’épiderme supérieur de F. abutilifolia (Planche 1, Figure 1) permet de distinguer cette espèce de F. platyphylla (Planche 2, Figure 7) qui n’en présente pas.

Planche 1 : Coupes anatomiques du limbe chez les Ficus L. Figure 1 : F. abutlifolia ; Figure 2 : F. conraui ; Figure 3 : F. cordata ; Figure 4 : F. dicranostyla ; Figure 5 : F. elasticoïdes ; Figure 6 : F. exasperata ; Figure 7 : F. glumosa var. glaberrima ; Figure 8 : F. glumosa var. glumosa

cel. hyp. = cellules hypodermiques ; cryp. pil. = crypte pilifère ; cyst. = cystolithe ; épi. Inf. = épiderme inférieur ; épi. sup. = épiderme supérieur ; par. pal. = parenchyme palissadique ; par. lac. = parenchyme lacuneux.

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Planche 2 : Coupes anatomiques du limbe chez les Ficus L. Figure 1 : F. ingens ; Figure 2 : F. iteophylla ; Figure 3 : F. lutea ; Figure 4 : F. natalensis Figure 5 : Ficus ottoniifolia ; Figure 6 : F. ovata ; Figure 7 : F. platyphylla ; Figure 8 : F. polita

cel. hyp. = cellules hypodermiques; cryp. pil. = crypte pilifère ; cyst. = cystolithes ; épi. Inf. = épiderme inférieur ; épi. sup. = épiderme supérieur ; par. pal. = parenchyme palissadique ; par. lac. = parenchyme lacuneux.

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Planche 3 : Coupes anatomiques du limbe chez les Ficus L. Figure 1 : F. scott- elliotii ; Figure 2 : F. sur ; Figure 3 : F. sycomorus ; Figure 4 : F. thonningii ; Figure 5 : F. trichopoda ; Figure 6 : F. umbellata ; Figure 7 : F. vallis-choudae cel. hyp. = cellules hypodermiques ; cryp. pil. = crypte pilifère ; cyst. = cystolithe ; épi. Inf. = épiderme inférieur ; épi. sup. = épiderme supérieur ; par. pal. = parenchyme palissadique ; par. lac. = parenchyme lacuneux.

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4. Discussion L’examen des résultats issus de l’observation des coupes anatomiques faites au niveau du limbe des 23 espèces de Ficus montre que l’épaisseur de la cuticule, la structure des épidermes et celle du mésophylle sont variables au sein de ce genre. En ce qui concerne la cuticule, nos résultats ont montré que son épaisseur est beaucoup plus importante chez F. cordata (Planche 1, Figure 3) que chez les autres espèces étudiées où elle est mince. La présence de cette épaisse couche de cuticule chez F. cordata constitue donc un bon critère discriminant. Elle pourrait constituer chez cette espèce un caractère important pour minimiser les pertes d’eau par évapotranspiration [5,7,8]. La structure des épidermes des espèces étudiées a montré que le nombre d’assises cellulaires qui compose l’épiderme supérieur ainsi que la présence, l’absence et la localisation des cystolithes sont très variables d’une espèce à l’autre. La présence de ces assises cellulaires sous-épidermiques, immédiatement au-dessus du parenchyme palissadique a été signalée chez certaines espèces du genre Ficus [6,7,9]. Ces assises cellulaires appelées hypoderme ont été aussi signalées chez des espèces vivant en zone désertique [8]. Cette variabilité au niveau de la présence, de l’absence et de la localisation des cystolithes a permis de reconnaître F. conraui (Planche 1, Figure 2) et plusieurs groupes d’espèces étudiées. Elles ont permis de caractériser 2 espèces de Chénopodiacées sur les 14 espèces étudiées par Saadoun [8]. La présence de cystolithes chez les Moraceae a été signalée par certains auteurs [6,7]. Toutefois nos résultats ont permis de préciser la localisation des cystolithes dans l’épiderme supérieur ou inférieur chez les espèces de Ficus. Ce caractère a permis de reconnaître deux groupes d’espèces et constitue un fait nouveau dans la systématique des espèces du genre Ficus.

La présence des cryptes n’a été observée que chez F. sycomorus (Planche 3, Figure 3). Ces cryptes permettent de reconnaître cette espèce des autres espèces étudiées qui en sont dépourvues. La présence de ces cryptes constitue un caractère discriminant pertinent qui n’a pas été, jusqu’ici, utilisé dans la systématique des espèces du genre Ficus. L’examen du mésophylle des feuilles des 23 espèces étudiées montre que le type de mésophylle, le nombre d’assises cellulaires du parenchyme palissadique et le rapport parenchyme palissadique/parenchyme lacuneux sont également variables. Seule F. ingens (Planche 2, Figure 1) présente un mésophylle centrique avec un parenchyme palissadique à 4 assises de cellules. Chez les autres espèces le mésophylle est asymétrique avec un parenchyme palissadique à une ou plusieurs assises de cellules allongées. En revanche, nos résultats confirment ceux de Metcalfe & Chalk [6] en ce qui concerne l’existence des 2 types de mésophylles chez les Ficus. Le type centrique chez F. ingens apparaît ainsi comme un caractère discriminant pertinent pour identifier cette espèce des autres espèces étudiées. Ce caractère n’a pas été utilisé, jusqu’ici, dans la systématique des espèces du genre Ficus. Chez les autres espèces dont le mésophylle est asymétrique, la variabilité du nombre des assises cellulaires du parenchyme palissadique et celle du rapport parenchyme palissadique/parenchyme lacuneux ont permis de préciser davantage les quatre groupes d’espèces identifiées. L’utilisation de ces deux caractères dans la systématique des espèces du genre Ficus n’a pas été signalée jusqu’ici dans la littérature. Toutefois ils peuvent être de bons caractères discriminants chez les espèces de ce genre. Au total, cette étude anatomique a permis d’identifier 14 espèces sur les 23 espèces étudiées sur la base des caractères anatomiques du limbe. Seules 9 n’ont pas pu être déterminées. Cette étude anatomique de la feuille a permis également de mettre en évidence des caractères anatomiques qui sont habituellement rencontrés chez les xérophytes [8,9,10,11]. Il s’agit en particulier :

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- d’une épaisse cuticule présente uniquement chez F. cordata ; l’absence de poils et de cellules hypodermiques chez cette espèce est palliée par la présence de cette épaisse cuticule qui réduirait fortement l’évapotranspiration du limbe et évitait une dessication létale [5,8,12] ;

- de cryptes stomatiques pilifères chez F. sycomorus (Planche 3, Figure 3) qui protégent les stomates des intempéries climatiques tendant à augmenter l’évapotranspiration au niveau du limbe ; la présence de ces cryptes chez F. sycomorus explique la grande plasticité écologique de cette espèce présente même dans des milieux arides comme le désert du Sahara [13,14];

- des assises hypodermiques chez toutes les espèces étudiées sauf chez F. cordata, F. exasperata (Planche 2, Figure 6) et F. ingens ; selon les auteurs, l’hypoderme permet d’accentuer l’adaptation des espèces végétales à un environnement chaud et sec par une diminution de la transpiration [8,9,10,11]; l’absence d’assises hypodermiques en particulier chez F. exasperata pourrait expliquer le fait que cette espèce soit inféodée aux galeries et forêts humides.

Il apparaît ainsi que ces caractères anatomiques du limbe permettent aux espèces du genre Ficus de s’adapter à leur environnement naturel chaud et sec comme les savanes et humide comme les galeries et les forêts du sud-est du Sénégal. Ces observations sont en conformité avec la présence de certains caractères macro et/ou micromorphologiques qui contribuent à réguler l’équilibre hydrique chez les espèces du genre Ficus [5,9,14,15,16]. Le limbe hypostomatique, la disposition enfoncée des stomates, la présence des poils et un système racinaire développé sont autant de stratégies développées par ces espèces pour réduire leurs pertes en eau [5,8,14]. L’effet combiné des caractères macromorphologiques, micromorphologiques et anatomiques contribue, en partie, à la large distribution géographique et la diversité des biotopes chez les espèces du genre Ficus L. 4. Conclusion L’étude anatomique de la feuille des espèces montre que sur les 23 espèces étudiées, 14 ont pu être identifiées sur la base des caractères différentiels : - F. cordata (Planche 1, Figure 3) par son épaisse cuticule ; - F. ingens (Planche 2, Figure 1) par son mésophylle centrique ; - F. sycomorus (Planche 3, Figure 3) par la présence de cryptes stomatiques pilifères ; - un groupe de 11 espèces par le nombre d’assises cellulaires de l’épiderme supérieur et du parenchyme palissadique ainsi que l’absence, la présence et la localisation des cystolithes ont permis de caractériser 11 autres espèces étudiées. Seules 9 espèces n’ont pu être identifiées avec précision à partir des caractères anatomiques. L’ensemble de ces résultats montre l’importance taxonomique des caractères anatomiques qui, jusqu’ici, ont été très peu utilisés dans la systématique des espèces du genre Ficus L. Cette étude permet en outre de montrer, en partie, l’importance relative des caractères anatomiques comme la présence de la cuticule, de l’hypoderme et des cryptes pilifères, dans l’adaptation des différentes espèces du genre Ficus à des milieux de vie très variés.

Remerciements

Les auteurs remercient Asiyla Gum Compagny et le Pr. Aminata Sall Diallo (UCAD) pour leurs encouragements et soutiens financiers.

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