ak-voyage

Embed Size (px)

Citation preview

  • 8/4/2019 ak-voyage

    1/77

  • 8/4/2019 ak-voyage

    2/77

  • 8/4/2019 ak-voyage

    3/77

    IMPRESSIONS GENERALES

    _____

    Notre premire tourne spirite, qui eut lieu en 1860, se borna Lyon et

    quelques villes qui se trouvaient sur notre route. L'anne suivante nous

    ajoutmes Bordeaux notre itinraire, et cette anne-ci, outre ces deux

    villes principales, durant un voyage de sept semaines et un parcours de

    six-cent-quatre-vingt-treize lieues, nous avons visit une vingtaine de

    localits et assist plus de cinquante runions. Notre but n'est point de

    faire un rcit anecdotique de notre excursion ; nous en avons recueillitous les pisodes qui, un jour peut-tre, ne seront pas sans intrt, car ce

    sera de l'histoire ; mais aujourd'hui nous nous bornons rsumer les

    observations que nous avons faites sur l'tat de la doctrine, et porter

    la connaissance de tous les instructions que nous avons donnes dans les

    diffrents centres. Nous savons que les vrais Spirites le dsirent, et nous

    tenons plus les satisfaire que ceux qui ne cherchent que la distraction ;

    d'ailleurs, dans ce rcit, notre amour-propre serait trop souvent intress,

    et c'est un motif prpondrant pour nous de nous abstenir ; c'est aussi laraison qui nous empche de publier les nombreux discours qui nous ont

    t adresss, mais que nous conservons comme de prcieux souvenirs.

    Ce que nous ne pourrions nous empcher de constater sans ingratitude,

    c'est l'accueil si bienveillant et si sympathique que nous avons reu, et

    qui et suffi pour nous ddommager de nos fatigues. Nous devons

    particulirement des remerciements aux Spirites de Provins, Troyes,

    Sens, Lyon, Avignon, Montpellier, Cette, Toulouse, Marmande, Albi,

    Sainte-Gemme, Bordeaux, Royan, Meschers-sur-Garonne, Marennes, St-Pierre d'Olron, Rochefort, St-Jean d'Angly, Angoulme, Tours et

    Orlans, et tous ceux qui n'ont pas recul devant un voyage de dix et

    vingt lieues pour venir nous rejoindre dans les villes o nous nous

    sommes arrt. Cet accueil et vraiment t capable de nous donner de

    l'orgueil si nous n'avions considr que ces dmonstrations s'adressaient

    bien moins nous qu' la doctrine dont elles constatent le crdit, puisque

    sans elle nous ne serions rien et l'on ne penserait pas nous.

  • 8/4/2019 ak-voyage

    4/77

  • 8/4/2019 ak-voyage

    5/77

    VOYAGE SPIRITE EN 1862 5

    aujourd'hui, plusieurs villes ont des runions presque exclusivement

    composes de membres du barreau, de la magistrature et de

    fonctionnaires ; l'aristocratie fournit aussi son contingent d'adeptes,

    mais, jusqu' prsent, ils se contentent d'tre sympathiques et se

    runissent peu, en France du moins ; les runions de ce genre se voient

    plutt en Espagne, en Russie, en Autriche et en Pologne, o le Spiritisme

    a des reprsentants clairs dans les rangs les plus levs.

    Un fait plus important encore peut-tre que le nombre est ressorti de

    nos observations, c'est le point de vue srieux sous lequel on envisage la

    doctrine ; partout on en recherche, nous pouvons dire avec avidit, le

    ct philosophique, moral et instructif; nulle part nous n'avons vu en

    faire un sujet d'amusement ni rechercher les expriences comme sujet dedistraction ; partout les questions futiles et de curiosit sont cartes.

    La plupart des groupes sont trs bien dirigs ; beaucoup mme le sont

    d'une manire remarquable et avec la connaissance des vrais principes de

    la science. Tous sont unis d'intention avec la socit de Paris et n'ont

    d'autre drapeau que les principes enseigns par le Livre des Esprits.

    Il y rgne gnralement un ordre et un recueillement parfaits ; nous en

    avons vu Lyon et Bordeaux, composs habituellement de cent deux

    cents personnes dont la tenue ne serait pas plus difiante dans une glise.C'est Lyon qu'a eu lieu la runion gnrale la plus importante, elle se

    composait de plus de six cents dlgus des diffrents groupes, et tout

    s'y est admirablement pass.

    Ajoutons que nulle part les runions n'ont prouv la moindre

    opposition, et nous devons des remerciements aux autorits civiles pour

    les marques de bienveillance dont nous avons t l'objet en plusieurs

    circonstances.

    Les mdiums se multiplient galement, et il y a peu de groupes qui

    n'en possdent plusieurs, sans parler de la quantit bien plus

    considrable de ceux qui n'appartiennent aucune runion, et n'usent de

    leur facult que pour eux et leurs amis ; dans le nombre, il en est d'une

    grande supriorit comme crivains propres aux diffrents genres ; ceux

    qui dominent sont les mdiums moralistes, peu amusants pour les

    curieux, qui feront bien d'aller chercher des distractions ailleurs que dans

    les runions spirites srieuses. Lyon a plusieurs mdiums dessinateursremarquables ; un mdium peintre l'huile qui n'a jamais appris ni le

  • 8/4/2019 ak-voyage

    6/77

    6 VOYAGE SPIRITE EN 1862

    dessin ni la peinture et plusieurs mdiums voyants dont nous avons pu

    constater la facult. A Marennes, il y a aussi une dame mdium

    dessinateur, qui est en mme temps trs bon mdium crivain pour les

    dissertations et les vocations. A Saint-Jean d'Angly, nous avons vu un

    mdium mcanique qu'on peut regarder comme exceptionnel ; c'est une

    dame qui crit de longues et belles communications tout en lisant son

    journal ou en faisant la conversation et sans regarder sa main. Il lui

    arrive mme quelquefois de ne pas s'apercevoir quand elle a fini. Les

    mdiums illettrs sont assez nombreux, et l'on en voit souvent qui

    crivent sans avoir jamais appris crire ; cela n'est pas plus tonnant

    que de voir un mdium dessiner sans avoir appris le dessin. Mais ce qui

    est caractristique, c'est la diminution vidente des mdiums effets

    physiques, mesure que se multiplient les mdiums

    communications intelligentes ; c'est que, comme l'ont dit les Esprits, la

    priode de la curiosit est passe, et que nous sommes dans la seconde

    priode qui est celle de la philosophie. La troisime, qui commencera

    avant peu, sera celle de l'application la rforme de l'humanit.

    Les Esprits, qui conduisent fort sagement les choses, ont voulu d'abord

    appeler l'attention sur ce nouvel ordre de phnomnes et prouver la

    manifestation des tres du monde invisible ; en piquant la curiosit, ils sesont adresss tout le monde, tandis qu'une philosophie abstraite

    prsente au dbut n'et t comprise que d'un petit nombre, et l'on en

    et difficilement admis l'origine ; en procdant par gradation, ils ont

    montr ce qu'ils pouvaient faire. Mais comme, en dfinitive, les

    consquences morales taient le but essentiel, ils ont pris le ton srieux

    quand ils ont jug suffisant le nombre des personnes dispos les

    couter, s'inquitant peu des rcalcitrants. Maintenant, quand la science

    Spirite sera solidement constitue, quand elle aura t complte etdgage de toutes les ides systmatiques errones qui tombent chaque

    jour devant un examen srieux, ils s'occuperont de son tablissement

    universel par des moyens puissants ; en attendant, ils sment l'ide par

    tout le monde, afin que, lorsque le moment sera venu, elle trouve partout

    des jalons, et ils sauront bien alors surmonter tous les obstacles, car que

    peuvent contre eux et contre la volont de Dieu, les obstacles humains ?

    Cette marche rationnelle et prudente se montre en tout, mme dans

    l'enseignement de dtail, qu'ils graduent et proportionnent selon les

  • 8/4/2019 ak-voyage

    7/77

    VOYAGE SPIRITE EN 1862 7

    temps, les lieux et les habitudes des hommes ; une lumire clatante et

    subite n'claire pas, elle blouit ; aussi les Esprits ne l'ont-ils prsente

    que petit petit. Quiconque suit le progrs de la science Spirite reconnat

    qu'elle grandit en importance mesure qu'elle pntre de plus profonds

    mystres ; elle aborde aujourd'hui des ides dont on ne se doutait pas il y

    a quelques annes, et elle n'a pas dit son dernier mot, car elle nous

    rserve bien d'autres rvlations.

    Nous avons reconnu cette marche progressive del'enseignement par

    la nature des communications obtenues dans les diffrents groupes que

    nous avons visits, compares celles d'autrefois ; elles ne se

    distinguent pas seulement par leur tendue, leur ampleur, la facilit de

    l'obtention et la haute moralit, mais surtout par la nature des ides qui ysont traites, et le sont quelquefois d'une manire magistrale. Cela

    dpend sans doute beaucoup du mdium, mais ce n'est pas tout ; il ne

    suffit pas d'avoir un bon instrument, il faut un bon musicien pour en tirer

    de beaux sons, et il faut ce musicien des auditeurs capables de le

    comprendre et de l'apprcier, autrement il ne se donnerait pas la peine de

    jouer devant des sourds.

    Ce progrs, du reste, n'est pas gnral ; abstraction faite des mdiums,

    nous l'avons constamment vu en rapport avec le caractre des groupes ;

    il atteint son plus grand dveloppement dans ceux o rgnent, avec la foi

    la plus vive, les sentiments les plus purs, le dsintressement moral le

    plus absolu, les Esprits sachant trs bien o ils peuvent placer leur

    confiance pour les choses qui ne peuvent tre comprises de tout le

    monde. Dans ceux qui se trouvent dans de moins bonnes conditions,

    l'enseignement est bon, toujours moral, mais se renferme plus

    gnralement dans les banalits.

    Par dsintressement moral, nous entendons l'abngation, l'humilit,

    l'absence de toute prtention orgueilleuse, de toute pense de domination

    l'aide du Spiritisme. Il serait superflu de parler du dsintressement

    matriel, parce que cela va de source, et en outre parce que nous avons

    vu partout une rpulsion instinctive contre toute ide de spculation, qui

    serait regarde comme un sacrilge. Les mdiums intresss et de

    profession sont inconnus partout o nous sommes alls, l'exception

    d'une seule ville qui en compte quelques-uns. Celui qui, Bordeaux ouailleurs, ferait mtier de sa facult, n'inspirerait aucune confiance ; bien

  • 8/4/2019 ak-voyage

    8/77

  • 8/4/2019 ak-voyage

    9/77

    VOYAGE SPIRITE EN 1862 9

    C'est sans doute beaucoup de croire, mais la croyance seule est

    insuffisante si elle n'amne pas de rsultats, et il y en a malheureusement

    beaucoup dans ce cas, c'est--dire pour qui le Spiritisme n'est qu'un fait,

    une belle thorie, une lettre morte qui n'amne en eux aucun changement

    ni dans leur caractre, ni dans leurs habitudes ; mais ct des Spirites

    simplement croyants ou sympathiques l'ide, il y a les Spirites de

    coeur, et nous sommes heureux d'en avoir rencontr beaucoup. Nous

    avons vu des transformations qu'on peut dire miraculeuses ; nous avons

    recueilli d'admirables exemples de zle, d'abngation et de dvouement,

    de nombreux traits de charit vraiment vanglique, qu'on pourrait

    juste titre appeler : Beaux traits du Spiritisme. Aussi les runions

    exclusivement composes de vrais et sincres Spirites, de ceux en qui

    parle le coeur, prsentent-elles un aspect tout spcial ; toutes les

    physionomies refltent la franchise et la cordialit ; on se sent l'aise

    dans ces milieux sympathiques, vrais temples de la fraternit. Les Esprits

    s'y plaisent autant que les hommes, et c'est l qu'ils sont le plus

    expansifs, qu'ils donnent leurs instructions intimes. Dans celles, au

    contraire, o il y a divergence dans les sentiments, o les intentions ne

    sont pas toutes pures, o l'on voit le sourire sardonique et ddaigneux

    sur certaines lvres, o l'on sent le souffle du mauvais vouloir et del'orgueil, o l'on craint chaque instant de marcher sur le pied de la

    vanit blesse, il y a toujours gne, contrainte et dfiance. L, les Esprits

    sont eux-mmes plus rservs, et les mdiums souvent paralyss par

    l'influence des mauvais fluides qui psent sur eux comme un manteau de

    glace. Nous avons eu le bonheur d'assister de nombreuses runions de

    la premire catgorie, et nous avons inscrit avec joie ces sances sur nos

    tablettes comme un des plus agrables souvenirs qui nous soient rests

    de notre voyage. Les runions de cette nature se multiplieront sans aucundoute mesure que le vritable but du Spiritisme sera mieux compris ;

    ce sont aussi celles qui font la plus solide et la plus fructueuse

    propagande, parce qu'elles s'adressent aux gens srieux, et qu'elles

    prparent la rforme morale de l'humanit en prchant d'exemple.

    Il est remarquable que les enfants levs dans ces ides ont une raison

    prcoce qui les rend infiniment plus faciles gouverner ; nous en avons

    vu beaucoup, de tout ge et des deux sexes, dans les diverses familles

    spirites o nous avons t reu, et nous avons pu le constater par nous-

  • 8/4/2019 ak-voyage

    10/77

    10 VOYAGE SPIRITE EN 1862

    mmes. Cela ne leur te ni la gaiet naturelle, ni l'enjouement ; mais il

    n'y a pas chez eux cette turbulence, cette opinitret ces caprices qui en

    rendent tant d'autres insupportables ; ils ont, au contraire, un fonds de

    docilit, de douceur et de respect filial qui les porte obir sans effort, et

    les rend plus studieux ; c'est ce que nous avons remarqu, et cette

    observation nous a t gnralement confirme. Si nous pouvions

    analyser ici les sentiments que ces croyances tendent dvelopper en

    eux, on concevrait aisment le rsultat qu'ils doivent produire ; nous

    dirons seulement que la conviction qu'ils ont de la prsence de leurs

    grands-parents qui sont l, ct d'eux, et peuvent sans cesse les voir,

    les impressionne bien plus vivement que la peur du diable, auquel ils

    finissent bientt par ne plus y croire, tandis qu'ils ne peuvent douter de

    ce dont ils sont tmoins tous les jours dans le sein de la famille. C'est

    donc une gnration spirite qui s'lve, et qui va sans cesse

    s'augmentant. Ces enfants, leur tour, levant leurs enfants dans ces

    principes, tandis que les vieux prjugs s'en vont avec les vieilles

    gnrations, il est vident que l'ide spirite sera un jour la croyance

    universelle.

    Un fait non moins caractristique de l'tat actuel du Spiritisme, c'est le

    dveloppement du courage de l'opinion. S'il est encore des adeptesretenus par la crainte, le nombre en est vraiment bien peu considrable

    aujourd'hui ct de ceux qui avouent hautement leurs croyances et ne

    craignent pas plus de se dire Spirites que de se dire catholiques, juifs ou

    protestants. L'arme du ridicule a fini par s'mousser force de frapper

    sans faire brche, et devant tant de personnes notables qui arborent

    hautement la nouvelle philosophie, elle a d s'abaisser. Une seule arme

    reste encore suspendue : c'est l'ide du diable ; mais c'est le ridicule lui-

    mme qui en fait justice. Du reste, ce n'est pas seulement ce genre decourage que nous avons remarqu, c'est aussi celui de l'action, du

    dvouement et du sacrifice, c'est--dire de ceux qui se mettent

    rsolument la tte du mouvement des ides nouvelles dans certaines

    localits, en payant de leur personne et en bravant les menaces et les

    perscutions. Ils savent que, si les hommes leur font du mal dans cette

    courte vie, Dieu ne les oubliera pas.

    L'obsession est, comme on le sait, un des grands cueils du

    Spiritisme ; nous ne pouvions donc ngliger un point aussi capital. Nous

  • 8/4/2019 ak-voyage

    11/77

    VOYAGE SPIRITE EN 1862 11

    avons recueilli ce sujet d'importantes observations qui feront l'objet

    d'un article spcial de la Revue, dans lequel nous parlerons des possds

    de Morzine, que nous avons aussi t visiter dans la Haute Savoie. Nous

    dirons seulement ici que les cas d'obsession sont trs rares chez ceux qui

    ont fait une tude pralable et attentive du Livre des Mdiums et se sont

    identifis avec les principes qu'il renferme, parce qu'ils se tiennent sur

    leurs gardes, piant les moindres signes qui pourraient trahir la prsence

    d'un Esprit suspect. Nous avons vu quelques groupes qui sont

    videmment sous une influence abusive, parce qu'ils s'y complaisent et y

    donnent prise par une confiance trop aveugle et certaines dispositions

    morales ; d'autres, au contraire, ont une telle crainte d'tre abuss qu'ils

    poussent la dfiance pour ainsi dire l'excs, scrutant avec un soinmticuleux toutes les paroles et toutes les penses, prfrant rejeter ce

    qui est douteux que de s'exposer admettre ce qui serait mauvais ; aussi

    les Esprits trompeurs, voyant qu'ils n'ont rien faire l, finissent par s'en

    aller, et vont se ddommager auprs de ceux qu'ils savent moins

    difficiles, et o ils trouvent quelques faiblesses et quelques travers

    d'esprit exploiter. L'excs en tout est nuisible ; mais en pareil cas, il

    vaut encore mieux pcher par trop de prudence que par trop de

    confiance.Un autre rsultat de notre voyage a t de nous permettre de juger

    l'opinion concernant certaines publications qui s'cartent plus ou moins

    de nos principes, et dont quelques-unes mme y sont franchement

    hostiles.

    Disons tout d'abord que nous avons rencontr une approbation

    unanime pour notre silence l'gard des attaques qui nous sont

    personnelles, et que nous recevons journellement des lettres de

    flicitation ce sujet. Dans plusieurs des discours qui ont t prononcs,

    on a hautement applaudi notre modration ; l'un d'eux, entre autres,

    contient le passage suivant : La malveillance de vos ennemis produit

    un effet tout contraire ce qu'ils en attendent, c'est de vous grandir

    encore aux yeux de vos nombreux disciples et de resserrer les liens qui

    les unissent vous ; par votre indiffrence vous montrez que vous avez

    le sentiment de votre force. En opposant la mansutude aux injures, vous

    donnez un exemple dont nous saurons profiter. L'histoire, cher matre,comme vos contemporains, et mieux encore qu'eux, vous tiendra compte

  • 8/4/2019 ak-voyage

    12/77

    12 VOYAGE SPIRITE EN 1862

    de cette modration quand elle constatera, par vos crits, qu'aux

    provocations de l'envie et de la jalousie, vous n'avez oppos que la

    dignit du silence. Entre eux et vous, la postrit sera juge.

    Les attaques personnelles ne nous ont jamais mu ; il aurait pu en treautrement de celles qui sont diriges contre la doctrine. Nous avons

    quelquefois rpondu directement certains critiques quand cela nous a

    paru ncessaire, et afin de prouver qu'au besoin nous pouvions relever

    un gant. Nous l'eussions fait plus souvent, si nous avions vu que ces

    attaques portaient un prjudice rel au Spiritisme, mais quand il a t

    prouv par les faits que, loin de lui nuire, elles servaient sa cause, nous

    avons admir la sagesse des Esprits employant ses ennemis mme pour

    le propager, et faire, la faveur du blme, pntrer l'ide dans desmilieux o elle ne futjamais entre par l'loge. C'est un fait que notre

    voyage a constat pour nous d'une manire premptoire, car, dans ces

    mmes milieux, il a recrut plus d'un partisan. Quand les choses vont

    toutes seules, pourquoi donc s'escrimer combattre des attaques sans

    porte ? Quand une arme voit que les balles de l'ennemi ne l'atteignent

    pas, elle le laisse tirer tout son aise et user ses munitions, bien certaine

    d'en avoir meilleur march aprs. En pareil cas, le silence est souvent

    une feinte ; l'adversaire auquel on ne rpond pas croit n'avoir pas frappassez fort ou n'avoir pas trouv le point vulnrable ; alors, confiant dans

    un succs qu'il croit facile, il se dcouvre et se coule lui-mme ; une

    riposte immdiate l'et mis sur ses gardes. Le meilleur gnral n'est pas

    celui qui se jette corps perdu dans la mle, mais celui qui sait attendre

    et voir venir. C'est ce qui est arriv quelques-uns de nos antagonistes ;

    en voyant la voie o ils s'engageaient, il tait certain qu'ils s'y

    enfonceraient de plus en plus ; nous n'avons eu qu' les laisser faire ; ils

    ont bien plus et plus tt discrdit leurs systmes par leurs propresexagrations, que nous n'eussions pu le faire par nos arguments.

    Pourtant, disent de soi-disant critiques de bonne foi, nous ne

    demanderions pas mieux que de nous clairer, et si nous attaquons, ce

    n'est point par hostilit de parti pris, ni mauvais vouloir, mais pour que

    de la discussion jaillisse la lumire. Parmi ces critiques, il en est

    assurment de sincres ; mais il est remarquer que ceux qui n'ont en

    vue que les questions de principes discutent avec calme et ne s'cartent

    jamais des convenances ; or, combien y en a-t-il ? Que contiennent la

  • 8/4/2019 ak-voyage

    13/77

  • 8/4/2019 ak-voyage

    14/77

    14 VOYAGE SPIRITE EN 1862

    que notre silence est une preuve de notre impuissance rpondre ; d'o

    elles concluent que nous sommes bien et dment battus, foudroys et

    pourfendus. Qu'est-ce que cela nous fait, puisque nous ne nous en

    portons pas plus mal ? Ces crits ont-ils fait diminuer le nombre des

    Spirites ? Non. Notre rponse et-elle converti ces personnes ? Non. Il

    n'y avait donc aucune urgence les rfuter ; il y avait avantage au

    contraire, les laisser jeter leur premier feu.

    Quand Sophocle fut accus par ses enfants, qui demandaient son

    interdiction pour cause de clmence, il fit Oedipe, et sa cause fut gagne.

    Nous ne sommes pas capables de faire un Oedipe, mais d'autres se

    chargent de rpondre pour nous : notre diteur d'abord, en mettant sous

    presse la neuvime dition du Livre des Esprits (la premire est de1857) et la quatrime du Livre des Mdiums en moins de deux ans ; les

    abonns de la Revue Spirite en doublant de nombre et en nous mettant

    dans la ncessit de faire une nouvelle rimpression des annes

    antrieures, deux fois puises ; la Socit Spirite de Paris, en voyant

    crotre son crdit ; les Spirites, en se dcuplant d'anne en anne et en

    fondant de toutes parts, en France et l'tranger, des runions sous le

    patronage et d'aprs les principes de la Socit de Paris ; le Spiritisme

    enfin, en courant le monde, consolant les affligs, soutenant les couragesabattus, semant l'esprance la place du dsespoir, la confiance en

    l'avenir la place de la crainte. Ces rponses en valent bien d'autres,

    puisque ce sont les faits qui parlent. Mais, comme un coursier rapide, le

    Spiritisme soulve sous ses pieds la poussire de l'orgueil, de l'gosme,

    de l'envie et de la jalousie, renversant sur son passage l'incrdulit, le

    fanatisme, les prjugs, et appelant tous les hommes la loi du Christ,

    c'est--dire la charit, la fraternit. Vous qui trouvez qu'il va trop

    vite, que ne l'arrtez-vous, ou mieux, que n'allez-vous plus vite que lui ?Le moyen de lui barrer le passage est bien simple : faites mieux que lui ;

    donnez plus qu'il ne donne ; rendez les hommes meilleurs, plus heureux,

    plus croyants qu'il ne le fait, et on le quittera pour vous suivre ; mais tant

    que vous ne l'attaquerez que par des mots et non par des rsultats plus

    moraux, qu' la charit qu'il enseigne vous ne substituerez pas une

    charit plus grande, il faudra vous rsigner le laisser passer. C'est que

    le Spiritisme n'est pas seulement une question de faits plus ou moins

    intressants ou authentiques, pour amuser les curieux ; c'est par-dessus

  • 8/4/2019 ak-voyage

    15/77

    VOYAGE SPIRITE EN 1862 15

    tout une question de principes ; il est fort surtout par ses consquences

    morales ; il se fait accepter, moins en frappant les yeux qu'en

    touchant le coeur ; touchez le coeur plus que lui, et vous vous ferez

    accepter ; or, rien ne touche moins le coeur et la raison que l'acrimonie et

    les injures.

    Si tous nos partisans taient groups autour de nous, on pourrait y voir

    une coterie, mais il n'en saurait tre ainsi des milliers d'adhsions qui

    nous arrivent de tous les points du globe, de la part de gens que nous

    n'avons jamais vus et qui ne nous connaissent que par nos crits. Ce sont

    l des faits positifs, qui ont la brutalit des chiffres, et qu'on ne peut

    attribuer ni aux effets de la rclame ni la camaraderie du journalisme ;

    donc si les ides que nous professons, et dont nous ne sommes que letrs humble diteur responsable, rencontrent de si nombreuses

    sympathies, c'est qu'on ne les trouve pas trop dpourvues de sens

    commun.

    Bien que l'utilit de la rfutation que nous avons annonce ne nous

    soit plus aujourd'hui clairement dmontre, les attaques se rfutant

    d'elles-mmes par l'insignifiance de leurs rsultats, tandis que les adeptes

    ne se comptent plus, nous le ferons nanmoins ; mais les observations

    que nous avons faites en voyage ont modifi notre plan, car il y a bien

    des choses qui deviennent inutiles, tandis que de nouvelles ides nous

    ont t suggres. Nous tcherons que ce travail retarde le moins

    possible les travaux bien autrement importants qui nous restent faire

    pour accomplir l'oeuvre que nous avons entreprise.

    En rsum, notre voyage avait un double but : donner des instructions

    o cela pouvait tre ncessaire, et nous instruire nous-mme en mme

    temps. Nous tenions voir les choses par nos propres yeux, pour jugerl'tat rel de la doctrine et la manire dont elle est comprise ; tudier

    les causes locales favorables ou dfavorables ses progrs, sonder les

    opinions, apprcier les effets de l'opposition et de la critique, et

    connatre le jugement que l'on porte sur certains ouvrages. Nous tions

    dsireux surtout d'aller serrer la main de nos frres Spirites, et de leur

    exprimer personnellement notre bien sincre et bien vive sympathie en

    retour de celle dont ils nous donnent de si touchantes preuves par leurs

    lettres ; de donner, au nom de la Socit de Paris et au ntre enparticulier, un tmoignage spcial de gratitude et d'admiration ces

  • 8/4/2019 ak-voyage

    16/77

    16 VOYAGE SPIRITE EN 1862

    pionniers de l'oeuvre qui, par leur initiative, leur zle dsintress et leur

    dvouement en sont les premiers et les fermes soutiens, marchant

    toujours en avant sans s'inquiter des pierres qu'on leur jette, et mettant

    l'intrt de la cause avant leur intrt personnel. Leur mrite est d'autant

    plus grand qu'ils travaillent dans un sol plus ingrat, vivent dans un

    milieu plus rfractaire, et n'en attendent en ce monde ni fortune, ni

    gloire, ni honneur ; mais aussi leur joie est grande quand parmi les

    ronces ils voient s'panouir quelques fleurs. Un jour viendra o nous

    serons heureux d'lever un panthon aux dvouements Spirites, en

    attendant que les matriaux en soient rassembls, nous voulons leur

    laisser le mrite de la modestie : ils se font connatre et apprcier par

    leurs oeuvres.

    A ces divers points de vue, notre voyage a t trs satisfaisant et

    surtout trs instructif par les observations que nous avons recueillies. S'il

    pouvait rester quelques doutes sur l'irrsistibilit de la marche de la

    doctrine et l'impuissance des attaques, sur son influence moralisatrice,

    sur son avenir, ce que nous avons vu suffirait pour les dissiper. Il y a

    certainement encore beaucoup faire, et dans beaucoup d'endroits elle

    ne pousse que des rejetons pars, mais ces rejetons sont vigoureux et

    donnent dj des fruits. Sans doute la rapidit avec laquelle se propagentles ides spirites est prodigieuse et sans exemple dans les fastes des

    philosophies, mais nous ne sommes qu'au commencement de la route, et

    il reste encore faire la plus grande partie du chemin. Que la certitude

    d'atteindre le but soit donc pour tous les Spirites un encouragement

    persvrer dans la voie qui leur est trace.

    Nous publions ci-aprs le discours principal que nous avons prononc

    dans les grandes runions de Lyon, de Bordeaux, et de quelques autres

    villes. Nous le faisons suivre des instructions particulires donnes,

    selon les circonstances, dans les groupes particuliers, en rponse

    quelques-unes des questions qui nous ont t adresses.

  • 8/4/2019 ak-voyage

    17/77

    DISCOURS

    prononc dans lesREUNIONS GENERALES DES SPIRITES

    DE LYON ET DE BORDEAUX

    I

    Messieurs et chers frres Spirites,

    Vous n'tes plus des coliers en Spiritisme ; je laisserai donc

    aujourd'hui de ct les dtails pratiques, sur lesquels j'ai t mme de

    reconnatre que vous tes suffisamment clairs, pour envisager la

    question sous un aspect plus large et surtout dans ses consquences. Ce

    ct de la question est grave, le plus grave, sans contredit, puisqu'il

    montre le but o tend la doctrine et les moyens de l'atteindre. Je serai un

    peu long peut-tre, car le sujet est bien vaste, et pourtant il resteraitencore beaucoup dire pour le complter ; aussi rclamerai-je votre

    indulgence en considration de ce que, ne pouvant rester que peu de

    temps avec vous, je suis forc de dire en une seule fois ce qu'autrement

    j'aurais pu rpartir en plusieurs.

    Avant d'aborder le ct principal du sujet, je crois devoir l'examiner

    un point de vue qui m'est en quelque sorte personnel. Si pourtant ce ne

    devait tre qu'une question individuelle, assurment je n'en ferais rien ;

    mais il s'y rattache plusieurs questions gnrales d'o peut ressortir une

    instruction pour tout le monde ; c'est le motif qui m'a dtermin,

    saisissant ainsi l'occasion d'expliquer la cause de certains antagonismes

    qu'on s'tonne de rencontrer sur ma route.

    Dans l'tat actuel des choses ici-bas, quel est l'homme qui n'a pas

    d'ennemis ? Pour n'en pas avoir, il faudrait n'tre pas sur la terre, car c'est

    la consquence de l'infriorit relative de notre globe et de sa destination

    comme monde d'expiation. Suffit-il pour cela de faire le bien ? Hlas !non ; le Christ n'est-il pas l pour le prouver ? Si donc le Christ, la bont

  • 8/4/2019 ak-voyage

    18/77

    18 VOYAGE SPIRITE EN 1862

    par excellence, a t en butte tout ce que la mchancet peut imaginer,

    faut-il s'tonner qu'il en soit de mme l'gard de ceux qui valent cent

    fois moins ?

    L'homme qui fait le bien - ceci dit en thse gnrale - doit doncs'attendre trouver de l'ingratitude, avoir contre lui ceux qui, ne le

    faisant pas, sont jaloux de l'estime accorde ceux qui le font ; les

    premiers, ne se sentant pas la force de s'lever, cherchent rabaisser les

    autres leur niveau, tenir, par la mdisance ou la calomnie, ce qui les

    offusque. On entend souvent dire dans le monde que l'ingratitude dont

    on est pay endurcit le coeur et rend goste ; parler ainsi, c'est prouver

    qu'on a le coeur facile endurcir, car cette crainte ne saurait arrter

    l'homme vraiment bon. La reconnaissance est dj une rmunration dubien que l'on fait ; ne le faire qu'en vue de cette rmunration, c'est le

    faire par intrt. Et puis, qui sait si celui qu'on oblige et dont on

    n'attendait rien ne sera pas ramen de meilleurs sentiments par de bons

    procds ? C'est peut-tre un moyen de le faire rflchir, d'adoucir son

    me, de le sauver ! Cet espoir est une noble ambition ; si l'on est du,

    on n'en aura pas moins fait ce qu'on doit.

    Il ne faut pas croire, pourtant, qu'un bienfait demeur strile sur la

    terre soit toujours improductif ; c'est souvent une graine seme qui negerme que dans la vie future de l'oblig. Nous avons souvent observ

    des Esprits, ingrats comme hommes, tre touchs, comme Esprits, du

    bien qu'on leur avait fait, et ce souvenir, en rveillant en eux de bonnes

    penses, leur a facilit la voie du bien et du repentir, et contribu

    abrger leurs souffrances. Le Spiritisme seul pouvait nous rvler ce

    rsultat de la bienfaisance ; lui seul il tait donn, par les

    communications d'outre-tombe, de montrer le ct charitable de cette

    maxime : Un bienfait n'est jamais perdu, au lieu du sens goste qu'on

    lui attribue. Mais revenons ce qui me concerne.

    Toute autre question personnelle part, j'ai d'abord des adversaires

    naturels dans les ennemis du Spiritisme. Ne croyez pas que je m'en

    chagrine : loin de l ; plus leur animosit est grande, plus elle prouve

    l'importance que prend la doctrine leurs yeux ; si c'tait une chose sans

    consquence, une de ces utopies qui ne sont pas nes viables, ils n'y

    feraient pas attention, ni moi non plus. Ne voyez-vous pas des crits,bien autrement hostiles que les miens aux ides reues, o les

  • 8/4/2019 ak-voyage

    19/77

    VOYAGE SPIRITE EN 1862 19

    expressions ne sont pas plus mnages que la hardiesse des penses, et

    dont cependant ils ne disent pas un mot ? Il en serait de mme des

    doctrines que j'ai cherch rpandre si elles fussent restes dans les

    feuillets d'un livre. Mais ce qui peut sembler plus tonnant, c'est que j'aie

    des adversaires, mme parmi les partisans du Spiritisme ; or, c'est ici

    qu'une explication est ncessaire.

    Parmi ceux qui adoptent les ides spirites, il y a, comme vous le savez,

    trois catgories bien distinctes :

    1. Ceux qui croient purement et simplement aux phnomnes des

    manifestations, mais n'en dduisent aucune consquence morale ;

    2. Ceux qui voient le ct moral, mais l'appliquent aux autres et non

    eux ;

    3. Ceux qui acceptent pour eux-mmes toutes les consquences de la

    doctrine, qui en pratiquent ou s'efforcent d'en pratiquer la morale. Ceux-

    l, vous le savez aussi, sont les VRAIS SPIRITES, les SPIRITES

    CHRETIENS. Cette distinction est importante, parce qu'elle explique

    bien des anomalies apparentes ; sans cela, il serait difficile de se rendre

    compte de la conduite de certaines personnes. Or, que dit cette morale ?

    Aimez-vous les uns les autres ; pardonnez vos ennemis ; rendez le bienpour le mal ; n'ayez ni haine, ni rancune, ni animosit, ni envie, ni

    jalousie ; soyez svres pour vous-mmes et indulgents pour les autres.

    Tels doivent tre les sentiments d'un Vrai Spirite, de celui qui voit le

    fond avant la forme, qui met l'Esprit au-dessus de la matire ; il peut

    avoir des ennemis, mais il n'est l'ennemi de personne, parce qu'il n'en

    veut personne ; plus forte raison ne cherche-t-il faire de mal

    personne. Ceci, comme vous le voyez, messieurs, est un principe gnral

    dont tout le monde peut faire son profit. Si donc j'ai des ennemis, ce nepeut tre parmi les Spirites de cette catgorie, car en admettant qu'ils

    eussent des sujets lgitimes de plainte contre moi, ce que je m'efforce

    d'viter, ce ne serait pas un motif de m'en vouloir, moins forte raison si

    je ne leur ai point fait de mal. Le Spiritisme a pour devise : Hors la

    charit point de salut ; il est tout aussi vrai de dire : Hors la charit

    point de vrais spirites. Je vous engage inscrire dsormais cette double

    maxime sur votre drapeau, parce qu'elle rsume la fois le but du

    Spiritisme et le devoir qu'il impose.

  • 8/4/2019 ak-voyage

    20/77

    20 VOYAGE SPIRITE EN 1862

    Etant donc admis qu'on ne peut tre bon Spirite avec un sentiment de

    haine dans le coeur, je me flatte de n'avoir que des amis parmi ces

    derniers, parce que si j'ai des torts ils sauront les excuser. Nous verrons

    tout l'heure quelles immenses et fertiles consquences conduit ce

    principe.

    Voyons donc les causes qui ont pu exciter certaines animosits.

    Ds que parurent les premires manifestations des Esprits, beaucoup

    de personnes y virent un moyen de spculation, une nouvelle mine

    exploiter. Si cette ide et suivi son cours, vous auriez vu pulluler

    partout des mdiums, ou soi-disant tels, donnant des consultations tant

    la sance ; les journaux eussent t couverts de leurs annonces et de

    leurs rclames ; les mdiums se fussent transforms en diseurs de bonneaventure, et le Spiritisme et t mis sur la mme ligne que la divination,

    la cartomancie, la ncromancie, etc.. Dans ce conflit, comment le public

    aurait-il pu discerner la vrit du mensonge ? Le relever de l n'et pas

    t chose facile. Il fallait empcher qu'il ne prt cette voie funeste ; il

    fallait couper dans sa racine un mal qui l'et retard de plus d'un sicle.

    C'est ce que je me suis efforc de faire en montrant, ds le principe, le

    ct grave et sublime de cette science nouvelle ; en la faisant sortir de

    la voie purement exprimentale pour la faire entrer dans celle de laphilosophie et de la morale ; en montrant enfin ce qu'il y a de

    profanation exploiter les mes des morts, alors qu'on entoure leurs

    cendres de respect. Par l, et en signalant les invitables abus qui

    rsulteraient d'un pareil tat de choses, j'ai contribu, et je m'en glorifie,

    discrditer l'exploitation du Spiritisme, et par cela mme amen le

    public le considrer comme une chose srieuse et sainte.

    Je crois avoir rendu quelques services la cause ; mais n'euss-je faitque cela que je m'en fliciterais. Grce Dieu, mes efforts ont t

    couronns de succs, non seulement en France, mais l'tranger ; et je

    puis dire que les mdiums de profession sont aujourd'hui de rares

    exceptions en Europe ; partout o mes ouvrages ont pntr et

    servent de guide, le Spiritisme est envisag sous son vritable point

    de vue, c'est--dire sous le point de vue exclusivement moral ; partout

    les mdiums, dvous et dsintresss, comprenant la saintet de leur

    mission, sont entours de la considration qui leur est due, quelle que

  • 8/4/2019 ak-voyage

    21/77

    VOYAGE SPIRITE EN 1862 21

    soit leur position sociale, et cette considration s'accrot en raison mme

    de l'infriorit de la position rehausse par le dsintressement.

    Je ne prtends nullement dire que parmi les mdiums intresss il ne

    puisse s'en trouver de trs honntes et de trs estimables ; maisl'exprience a prouv, moi et bien d'autres, que l'intrt est un

    puissant stimulant pour la fraude, parce qu'on veut gagner son argent, et

    que si les Esprits ne donnent pas, ce qui arrive souvent, puisqu'ils ne

    sont pas notre caprice, la ruse, fconde en expdients, trouve aisment

    moyen d'y suppler. Pour un qui agira loyalement, il y en aura cent qui

    abuseraient et qui nuiraient la considration du Spiritisme ; aussi les

    adversaires n'ont-ils pas manqu d'exploiter au profit de leur critique les

    fraudes dont ils ont pu tre tmoins, en en concluant que tout devait trefaux, et qu'il y avait lieu de s'opposer ce charlatanisme d'un nouveau

    genre. En vain objecte-t-on que la sainte doctrine n'est pas responsable

    des abus ; vous connaissez le proverbe : Quand on veut tuer son chien,

    on dit qu'il est enrag .

    Quelle rponse plus premptoire peut-on faire l'accusation de

    charlatanisme que de pouvoir dire : Qui vous a pri de venir ?

    Combien avez-vous pay pour entrer ? Celui qui paye veut tre

    servi ; il veut en avoir pour son argent ; si on ne lui donne pas ce qu'il

    attend, il a droit de se plaindre ; or, pour viter cela, on veut le servir

    tout prix. Voil l'abus, mais cet abus menaant de devenir la rgle au lieu

    d'tre l'exception, il a fallu l'arrter ; maintenant que l'opinion est faite

    cet gard, le danger n'est craindre que pour les gens inexpriments. A

    ceux donc qui se plaindraient d'avoir t dups, ou de n'avoir pas obtenu

    les rponses qu'ils dsiraient, on peut dire : Si vous aviez tudi le

    Spiritisme, vous auriez su dans quelles conditions il peut tre observ

    avec fruit ; quels sont les lgitimes motifs de confiance et de dfiance, ce

    qu'on peut en attendre, et vous ne lui auriez pas demand ce qu'il ne peut

    donner ; vous n'auriez pas t consulter un mdium comme un tireur de

    cartes, pour demander aux Esprits des rvlations, des renseignements

    sur des hritages, des dcouvertes de trsors, et cent autres choses

    pareilles qui ne sont pas du ressort du Spiritisme ; si vous avez t

    induits en erreur, vous ne devez vous en prendre qu' vous-mmes.

    Il est bien vident qu'on ne peut considrer comme exploitation lacotisation que paye une socit pour subvenir aux frais de la runion. La

  • 8/4/2019 ak-voyage

    22/77

    22 VOYAGE SPIRITE EN 1862

    plus vulgaire quit dit qu'on ne peut imposer ces frais celui qui reoit,

    s'il n'est ni assez riche, ni assez libre de son temps pour le faire. La

    spculation consiste se faire une industrie de la chose, convoquer le

    premier venu, curieux ou indiffrent, pour avoir son argent. Une socit

    qui agirait ainsi serait tout aussi rprhensible, plus rprhensible mme

    qu'un individu, et ne mriterait pas plus de confiance. Qu'une socit

    pourvoie tous ses besoins ; qu'elle subvienne toutes ses dpenses et

    ne les laisse pas supporter par un seul, c'est de toute justice, et ce n'est l

    ni une exploitation ni une spculation ; mais il n'en serait plus de mme

    si le premier venu pouvait acheter le droit d'y entrer en payant, car ce

    serait dnaturer le but essentiellement moral et instructif des runions de

    ce genre, pour en faire une sorte de spectacle de curiosits. Quant aux

    mdiums, ils se multiplient tellement que les mdiums de profession

    seraient aujourd'hui compltement superflus.

    Telles sont, Messieurs, les ides que je me suis efforc de faire

    prvaloir, et je suis heureux d'avoir russi plus facilement que je ne

    l'aurais cru ; mais vous comprenez que ceux dont j'ai djou les

    esprances ne sont pas de mes amis. Voil donc dj une catgorie qui

    ne peut me voir d'un bon oeil, ce dont je m'inquite fort peu. Si jamais

    l'exploitation du Spiritisme tentait de s'introduire dans votre ville, jevous invite renier cette nouvelle industrie, afin de n'en point accepter la

    solidarit, et que les plaintes auxquelles elle pourrait donner lieu ne

    puissent retomber sur la doctrine pure.

    A ct de la spculation matrielle, il y a ce qu'on pourrait appeler la

    spculation morale, c'est--dire la satisfaction de l'orgueil, de l'amour-

    propre ; ceux qui, sans intrt pcuniaire, avaient cru pouvoir se faire du

    Spiritisme un marchepied honorifique pour se mettre en vidence. Je ne

    les ai pas mieux favoriss, et mes crits, aussi bien que mes conseils, ont

    contrecarr plus d'une prmditation, en montrant que les qualits du

    vrai Spirite sont l'abngation et l'humilit selon cette maxime du Christ :

    Quiconque s'lve sera abaiss . Seconde catgorie qui ne me veut

    pas plus de bien et qu'on pourrait appeler celle des ambitions dues et

    des amours-propres froisss.

    Viennent ensuite les gens qui ne me pardonnent pas d'avoir russi ;

    pour qui le succs de mes ouvrages est un crve-coeur ; que lestmoignages de sympathie qu'on veut bien m'accorder empchent de

  • 8/4/2019 ak-voyage

    23/77

    VOYAGE SPIRITE EN 1862 23

    dormir. C'est la coterie des jaloux, qui n'est pas plus bienveillante, tant

    s'en faut, et qui est renforce de celle des gens qui, par temprament, ne

    peuvent voir un homme lever un peu la tte sans tre prt lui tirer

    dessus.

    Une coterie des plus irascibles, le croiriez-vous, se trouve parmi les

    mdiums, non pas les mdiums intresss, mais ceux qui sont trs

    dsintresss, matriellement parlant ; je veux parler des mdiums

    obsds, ou mieux, fascins. Quelques observations ce sujet ne seront

    pas sans utilit.

    Par orgueil, ils sont tellement persuads que ce qu'ils obtiennent est

    sublime, et ne peut venir que d'Esprits Suprieurs, qu'ils s'irritent de la

    moindre observation critique, au point de se brouiller avec leurs amislorsque ceux-ci ont la maladresse de ne pas admirer ce qui est absurde.

    L est la preuve de la mauvaise influence qui les domine car, en

    supposant que, par un dfaut de jugement ou d'instruction, ils ne vissent

    pas clair, ce ne serait pas un motif pour prendre en grippe ceux qui ne

    sont pas de leur avis ; mais cela ne ferait pas l'affaire des Esprits

    obsesseurs qui, pour mieux tenir le mdium sous leur dpendance, lui

    inspirent de l'loignement, de l'aversion mme pour quiconque pourrait

    lui ouvrir les yeux.

    Il y a ensuite ceux dont la susceptibilit est pousse l'excs ; qui se

    froissent de la moindre chose, de la place qu'on leur donne dans une

    runion et ne les met pas assez en vidence, de l'ordre assign la

    lecture de leurs communications, ou de ce qu'on refuse la lecture de

    celles dont le sujet ne parat pas opportun dans une assemble ; de ce

    qu'on ne les sollicite pas avec assez d'instances pour donner leur

    concours ; d'autres trouvent mauvais qu'on n'intervertisse pas l'ordre destravaux pour se plier leurs convenances ; d'autres voudraient se poser

    en mdiums en titre d'un groupe ou d'une socit, y faire la pluie et le

    beau temps, et que leurs Esprits directeurs fussent pris pour arbitres

    absolus de toutes les questions, etc.. Ces motifs sont si purils et si

    mesquins qu'on n'ose pas les avouer ; mais ils n'en sont pas moins la

    source d'une sourde animosit qui se trahit tt ou tard ou par le mauvais

    vouloir ou par la retraite. N'ayant pas de bonnes raisons donner, il en

    est qui ne se font pas scrupule d'allguer des prtextes ou desimaginaires. N'tant nullement dispos me plier devant toutes ces

  • 8/4/2019 ak-voyage

    24/77

    24 VOYAGE SPIRITE EN 1862

    prtentions, c'est un tort, que dis-je ! un crime impardonnable aux yeux

    de certaines personnes que naturellement je me suis mises dos, ce dont

    j'ai encore le plus grand tort de me soucier comme du reste.

    Impardonnable ! Concevez-vous ce mot de la part de gens qui se disent

    Spirites ? Ce mot devrait tre ray du vocabulaire du Spiritisme.

    Ce dsagrment, la plupart des chefs de groupe ou de socit l'ont

    prouv comme moi, et je les engage faire comme moi, c'est--dire

    ne pas tenir des mdiums qui sont plutt une entrave qu'un secours ;

    avec eux on est toujours mal l'aise, dans la crainte de les froisser par

    l'action souvent la plus indiffrente.

    Cet inconvnient tait plus frquent autrefois que maintenant ; alors

    que les mdiums taient plus rares, il fallait bien se contenter de ceuxqu'on avait ; mais aujourd'hui qu'ils se multiplient vue d'oeil,

    l'inconvnient diminue en raison mme du choix et mesure que l'on se

    pntre mieux des vrais principes de la doctrine.

    Le degr de la facult part, les qualits essentielles d'un bon mdium

    sont la modestie, la simplicit et le dvouement ; il doit donner son

    concours en vue de se rendre utile et non pour satisfaire sa vanit ; il ne

    doit jamais prendre fait et cause pour les communications qu'il reoit,autrement il ferait croire qu'il y met du sien, et qu'il a un intrt les

    dfendre ; il doit accepter la critique, la solliciter mme, et se soumettre

    l'avis de la majorit sans arrire-pense ; si ce qu'il crit est faux,

    mauvais, dtestable, on doit pouvoir le lui dire sans crainte de le blesser,

    parce qu'il n'y est pour rien. Voil les mdiums vraiment utiles dans une

    runion et avec lesquels on n'aura jamais de dsagrment, parce qu'ils

    comprennent la doctrine ; les autres ne la comprennent pas ou ne veulent

    pas la comprendre. Ce sont ceux aussi qui finissent par obtenir lesmeilleures communications, parce qu'ils ne se laissent point dominer par

    des Esprits orgueilleux ; les Esprits trompeurs les redoutent, parce qu'ils

    savent ne pouvoir les abuser.

    Et puis vient la catgorie des gens qui ne sont jamais contents ; les uns

    trouvent que je vais trop vite, d'autres trop lentement ; c'est vraiment la

    fable du Meunier, son fils et l'ne. Les premiers me reprochent d'avoir

    formul des principes prmaturs, de me poser en chef d'cole

    philosophique. Est-ce que, toute ide spirite part, je n'ai pas le droit de

  • 8/4/2019 ak-voyage

    25/77

    VOYAGE SPIRITE EN 1862 25

    crer, comme tant d'autres, une philosophie ma guise, ft-elle

    absurde ? Si mes principes sont faux, que n'en mettent-ils d'autres la

    place et ne les font-ils prvaloir ? Il parat qu'en gnral on ne les trouve

    pas trop draisonnables, puisqu'ils rencontrent un si grand nombre

    d'adhrents ; mais ne serait-ce pas cela mme qui excite la mauvaise

    humeur de certaines gens ? Si ces principes ne trouvaient point de

    partisans, fussent-ils ridicules au premier chef, on n'en parlerait pas.

    Les seconds, qui prtendent que je ne vais pas assez vite, voudraient

    me pousser, par bonne intention, je veux bien le croire, car il vaut mieux

    croire le bien que le mal, dans une voie o je ne veux pas m'engager.

    Sans donc me laisser influencer par les ides des uns et des autres, je

    poursuis ma route ; j'ai un but, je le vois, je sais quand et comment jel'atteindrai, et ne m'inquite pas des clameurs des passants.

    Vous le voyez, Messieurs, les pierres ne manquent pas sur mon

    chemin ; j'en passe et des plus grosses. Si l'on connaissait la vritable

    cause de certaines antipathies et de certains loignements, on serait fort

    surpris de bien des choses ; il faudrait y ajouter les gens qui se sont mis

    mon gard dans des positions fausses, ridicules ou compromettantes, et

    qui cherchent se justifier, en dessous main, par de petites calomnies ;

    ceux qui avaient espr m'attirer eux par la flatterie, croyant m'amener servir leurs desseins et qui ont reconnu l'inutilit de leurs manoeuvres

    pour me faire entrer dans leurs vues ; ceux que je n'ai ni flatt ni

    encenss et qui auraient voulu l'tre ; ceux enfin qui ne me pardonnent

    pas de les avoir devins, et qui sont comme le serpent sur lequel on met

    le pied. Si tous ces gens-l voulaient se mettre seulement un instant au

    point de vue extra-terrestre, et voir les choses d'un peu haut, ils

    comprendraient combien ce qui les proccupe tant est puril, et ne

    s'tonneraient pas du peu d'importance qu'y attache tout vrai Spirite.

    C'est que le Spiritisme ouvre des horizons si vastes, que la vie

    corporelle, si courte et si phmre, s'efface avec toutes ses vanits et ses

    petites intrigues devant l'infini de la vie spirituelle.

    Je ne dois cependant pas omettre un reproche qui m'a t adress :

    c'est de ne rien faire pour ramener moi les gens qui s'en loignent. Cela

    est vrai, et si c'est un reproche fond, je le mrite, car je n'ai jamais fait

    un pas pour cela, et voici les motifs de mon indiffrence.

  • 8/4/2019 ak-voyage

    26/77

    26 VOYAGE SPIRITE EN 1862

    Ceux qui viennent moi, c'est que cela leur convient ; c'est moins

    pour ma personne que par sympathie pour les principes que je professe.

    Ceux qui s'loignent, c'est que je ne leur conviens pas, ou que notre

    manire de voir ne concorde pas ; pourquoi donc irais-je les contrarier,

    et m'imposer eux ? Il me semble plus convenable de les laisser

    tranquilles. Je n'en aurais d'ailleurs vraiment pas le temps, car on sait

    mes occupations qui ne me laissent pas un instant de repos, et pour un

    qui s'en va, il y en a mille qui viennent ; je me dois donc ceux-ci avant

    tout, et c'est ce que je fais. Est-ce la fiert ? Est-ce mpris des gens ?

    Oh ! assurment non ; je ne mprise personne ; je plains ceux qui

    agissent mal, je prie Dieu et les Bons Esprits de les ramener de

    meilleurs sentiments, et voil tout ; s'ils reviennent, ils sont toujours les

    bienvenus, mais pour courir aprs eux, jamais je ne le fais, en raison du

    temps que rclament les gens de bonne volont ; en second lieu, parce

    que je n'attache pas certaines personnes l'importance qu'elles attachent

    elles-mmes. Pour moi, un homme est un homme, et rien de plus ; je

    mesure sa valeur ses actes, ses sentiments, et non son rang ; ft-il

    haut plac, s'il agit mal, s'il est goste et vain de sa dignit, il est mes

    yeux au-dessous d'un simple ouvrier qui agit bien, et je serre plus

    cordialement la main d'un petit dont le coeur parle, que celle d'un granddont le coeur ne dit rien ; la premire me rchauffe, la seconde me glace.

    Les personnages du plus haut rang m'honorent de leur visite, et jamais

    pour eux un proltaire n'a fait antichambre. Souvent dans mon salon le

    prince se trouve cte--cte avec l'artisan ; s'il s'en trouvait humili, je

    dirais qu'il n'est pas digne d'tre Spirite ; mais, je suis heureux de le dire,

    je les ai vus souvent se serrer fraternellement la main, et je me suis dit :

    Spiritisme, voil un de tes miracles ; c'est l'avant-coureur de bien

    d'autres prodiges ! .

    Il ne tenait qu' moi de m'ouvrir les portes du grand monde ; je n'ai

    jamais t y frapper ; cela me prendrait un temps que je crois pouvoir

    employer plus utilement. Je place en premire ligne les consolations

    donner ceux qui souffrent ; relever les courages abattus ; arracher un

    homme ses passions au dsespoir, au suicide, l'avoir arrt sur la pente

    du crime peut-tre, cela ne vaut-il pas mieux que la vue des lambris

    dors ? J'ai des milliers de lettres qui valent mieux pour moi que tous les

    honneurs de la terre, et que je regarde comme mes vrais titres de

  • 8/4/2019 ak-voyage

    27/77

    VOYAGE SPIRITE EN 1862 27

    noblesse. Ne vous tonnez pas si je laisse aller ceux qui ne me

    recherchent pas.

    J'ai des adversaires, je le sais ; mais le nombre n'en est pas aussi grand

    qu'on pourrait le croire d'aprs l'numration que j'ai faite ; ils setrouvent dans les catgories que j'ai cites, mais ce ne sont toujours que

    des individualits, et le nombre est peu de chose compar ceux qui

    veulent bien me tmoigner de la sympathie. D'ailleurs, jamais ils n'ont

    russi troubler mon repos ; jamais leurs machinations ni leurs diatribes

    ne m'ont mu ; et je dois ajouter que cette profonde indiffrence de ma

    part, le silence que j'ai oppos leurs attaques n'est pas ce qui les

    exaspre le moins. Quoi qu'ils fassent, jamais ils ne parviendront me

    faire sortir de la modration qui est la rgle de ma conduite ; jamais onne pourra dire que j'ai rpondu l'injure par l'injure. Les personnes qui

    me voient dans l'intimit savent si jamais je m'occupe d'eux ; si jamais

    la Socit il a t dit un seul mot, ou fait une seule allusion les

    concernant. Dans la Revue, jamais je n'ai rpondu leurs agressions,

    quand elles se sont adresses ma personne, et Dieu sait si ce sont les

    occasions qui ont manqu !

    Que peut d'ailleurs leur mauvais vouloir ? Rien, ni contre la doctrine,

    ni contre moi-mme. La doctrine prouve par sa marche progressive

    qu'elle ne craint rien ; quant moi, je n'occupe aucune position, donc on

    ne peut rien m'enlever ; je ne demande rien, je ne sollicite rien, donc on

    ne peut rien me refuser ; je ne dois rien personne, donc, on ne peut rien

    me rclamer ; je ne dis de mal de personne, pas mme de ceux qui en

    disent de moi ; en quoi pourraient-ils donc me nuire ? Il est vrai qu'on

    peut me faire dire ce que je n'ai pas dit, et c'est ce qu'on a fait plus d'une

    fois ; mais ceux qui me connaissent savent ce que je suis capable de dire

    et de ne pas dire, et je remercie ceux qui, en pareil cas, ont bien voulu

    rpondre de moi. Ce que je dis, je suis toujours prt le rpter, en

    prsence de qui que ce soit, et quand j'affirme n'avoir pas dit ou fait une

    chose, je me crois le droit d'tre cru.

    D'ailleurs, que sont toutes ces choses en prsence du but que nous,

    Spirites sincres et dvous, poursuivons tous ! de cet immense avenir

    qui se droule nos yeux ? Croyez-moi, Messieurs, il faudrait regarder

    comme un vol fait la grande oeuvre les instants que l'on y droberaitpour se proccuper de ces misres. Pour ma part, je remercie Dieu, pour

  • 8/4/2019 ak-voyage

    28/77

    28 VOYAGE SPIRITE EN 1862

    prix de quelques tribulations passagres, de m'avoir donn dj ici-bas

    tant de compensations morales, et la joie d'assister au triomphe de la

    doctrine.

    Je vous demande pardon, Messieurs, de vous avoir si longtempsentretenu de moi, mais j'ai cru qu'il tait utile d'tablir nettement la

    position, afin que vous sussiez quoi vous en tenir selon les

    circonstances, et que vous soyez bien convaincus que ma ligne de

    conduite est trace, et que rien ne m'en fera dvier. Du reste, je crois que

    de ces observations mmes, et en faisant abstraction de la personne il a

    pu en ressortir quelques enseignements utiles.

    Passons maintenant un autre point, et voyons o en est le Spiritisme.

    II

    Le Spiritisme prsente un phnomne inou dans l'histoire des

    philosophies, c'est la rapidit de sa marche ; nulle autre doctrine n'a

    offert un exemple pareil. Quand on songe aux progrs qu'il fait d'anne

    en anne, on peut, sans trop de prsomption, prvoir l'poque o il sera

    la croyance universelle.

    La plupart des pays trangers participent ce mouvement : L'Autriche,la Pologne, la Russie, l'Italie, l'Espagne, Contantinople, etc. comptent de

    nombreux adeptes et plusieurs socits parfaitement organises. J'ai plus

    de cent villes inscrites o il existe des runions. Dans le nombre, Lyon et

    Bordeaux occupent le premier rang. Honneur donc ces deux cits,

    imposantes par leur population et leurs lumires, qui ont plant haut et

    ferme le drapeau du Spiritisme. Plusieurs autres ambitionnent de

    marcher sur leurs traces.

    Je suis mme de voir beaucoup de voyageurs ; tous s'accordent dire

    que chaque anne, ils trouvent un progrs dans l'opinion ; les rieurs

    diminuent vue d'oeil. Mais la raillerie succde la colre ; nagure on

    riait, aujourd'hui on se fche ; c'est de bon augure, selon un vieux

    proverbe, et cela fait dire aux incrdules qu'il pourrait bien y avoir

    quelque chose.

    Un fait non moins caractristique, c'est que tout ce que les adversaires

    du Spiritisme ont fait pour en entraver la marche, loin de l'arrter, en aactiv le progrs, et l'on peut dire que partout le progrs est en raison de

  • 8/4/2019 ak-voyage

    29/77

    VOYAGE SPIRITE EN 1862 29

    la violence des attaques. La presse l'a-t-elle prn ? Chacun sait que loin

    de lui donner un coup d'paule, elle lui a donn des coups de pied tant

    qu'elle a pu ; eh bien ! ces coups de pied n'ont abouti qu' le faire

    avancer. Il en est de mme des attaques de toute nature dont il a t

    l'objet.

    Il y a donc une chose constante, c'est que, sans le secours d'aucun des

    moyens employs vulgairement pour faire ce qu'on appelle un succs,

    malgr les entraves qu'on lui a suscites, il n'a cess de grandir, et qu'il

    grandit tous les jours comme pour donner un dmenti ceux qui lui

    prdisaient sa fin prochaine. Est-ce une prsomption, une forfanterie ?

    Non, c'est un fait qu'il est impossible de nier. Il a donc puis sa force en

    lui-mme, ce qui prouve la puissance de cette ide. Il faut bien que ceuxque cela contrarie en prennent leur parti, et se rsignent laisser passer

    ce qu'ils ne peuvent arrter. C'est que le Spiritisme est une ide, et que

    lorsqu'une ide marche, elle franchit toutes les barrires ; on ne l'arrte

    pas la frontire comme un ballot de marchandises ; on brle les livres,

    mais on ne brle pas une ide, et leurs cendres mmes, portes par le

    vent, vont fconder la terre o elle doit fructifier.

    Mais il ne suffit pas de lancer une ide de par le monde pour qu'elle

    prenne racine ; non certes. On ne cre volont ni des opinions, ni deshabitudes ; il en est de mme des inventions et des dcouvertes : la plus

    utile choue si elle vient avant son temps, si le besoin qu'elle est destine

    satisfaire n'existe pas encore. Ainsi en est-il des doctrines

    philosophiques, politiques, religieuses ou sociales ; il faut que l'esprit

    soit mr pour les accepter ; venues trop tt, elles restent l'tat latent, et,

    comme des fruits plants hors de saison, elles ne prosprent pas.

    Si donc le Spiritisme trouve de si nombreuses sympathies, c'est queson temps est venu, c'est que les esprits taient mrs pour le recevoir ;

    c'est qu'il rpond un besoin, une aspiration. Vous en avez la preuve

    dans le nombre, considrable aujourd'hui, des personnes qui l'accueillent

    sans surprise, comme une chose toute naturelle, lorsqu'on leur en parle

    pour la premire fois, et qui disent qu'il leur semblait que les choses

    devaient tre ainsi, mais sans pouvoir les dfinir. On sent le vide moral

    que l'incrdulit, le matrialisme font autour de l'homme ; on comprend

    que ces doctrines creusent un abme pour la socit ; qu'elles dtruisentles liens les plus solides, ceux de la fraternit. Et puis instinctivement,

  • 8/4/2019 ak-voyage

    30/77

    30 VOYAGE SPIRITE EN 1862

    l'homme a horreur du nant, comme la nature a horreur du vide, c'est

    pourquoi il accueille avec joie la preuve que le nant n'existe pas.

    Mais, dira-t-on, ne lui enseigne-t-on pas chaque jour que le nant

    n'existe pas ? Sans doute on le lui enseigne ; mais alors comment se fait-il que l'incrdulit et l'indiffrence aillent sans cesse croissant depuis un

    sicle ? C'est que les preuves qu'on lui donne ne lui suffisent plus

    aujourd'hui ; qu'elles ne sont plus en rapport avec les besoins de son

    intelligence. Le dveloppement scientifique et industriel a rendu

    l'homme positif ; il veut se rendre compte de tout ; il veut savoir le

    pourquoi et le comment de chaque chose ; comprendre pour croire est

    devenu un besoin imprieux, c'est pourquoi la foi aveugle n'a plus

    d'empire sur lui. Selon les uns c'est un mal, selon les autres c'est unbien ; sans discuter le principe, nous dirons que telle est la marche de la

    nature ; l'humanit collective, comme les individus, a son enfance et son

    ge mr ; quand elle est l'ge mr, elle secoue ses langes et veut faire

    usage de ses propres forces, c'est--dire de son intelligence ; la faire

    rtrograder est aussi impossible que de faire remonter un fleuve vers sa

    source.

    Attaquer le mrite de la foi aveugle, dira-t-on, c'est une impit, parce

    que Dieu veut qu'on accepte sa parole sans examen. La foi aveuglepouvait avoir sa raison d'tre, je dirai mme sa ncessit, une certaine

    priode de l'humanit ; si, aujourd'hui, elle ne suffit plus pour affermir la

    croyance, c'est qu'il est dans la nature de l'humanit qu'il en soit ainsi ;

    or, qui a fait les lois de la nature ? Dieu, ou Satan ? Si c'est Dieu, il ne

    saurait y avoir impit suivre ses lois. Si, aujourd'hui, comprendre pour

    croire est devenu un besoin pour l'intelligence, comme boire et manger

    en est un pour l'estomac, c'est que Dieu veut que l'homme fasse usage de

    son intelligence, autrement il ne la lui aurait pas donne. Il est des gens

    qui n'prouvent pas ce besoin ; qui se contentent de croire sans examen ;

    nous ne les blmons nullement, et loin de nous la pense de les troubler

    dans leur quitude ; le Spiritisme ne s'adresse point eux ; du moment

    qu'ils ont ce qu'il leur faut, il n'a rien leur donner ; il ne donne point

    manger de force ceux qui dclarent n'avoir pas faim. Il ne s'adresse

    donc qu' ceux qui la nourriture intellectuelle qu'on leur donne ne

    suffit plus, et le nombre en est assez grand pour qu'il n'ait pas s'occuper

    des autres ; de quoi donc ceux-ci ont-ils se plaindre, puisqu'il ne va pas

  • 8/4/2019 ak-voyage

    31/77

    VOYAGE SPIRITE EN 1862 31

    les chercher ? Il ne va chercher personne ; il ne s'impose personne ; il

    se borne dire : Me voil, voil ce que je suis ; voil ce que j'apporte ;

    que ceux qui croient avoir besoin de moi viennent ; que les autres restent

    chez eux ; je ne vais pas les troubler dans leur conscience ; je ne leur dis

    point d'injures ; je ne leur demande que la rciprocit.

    Pourquoi donc le matrialisme tend-il supplanter la foi ? C'est que

    jusqu' prsent la foi ne raisonne pas ; elle se borne dire : Croyez,

    tandis que le matrialisme raisonne. Ce sont des sophismes, j'en

    conviens, mais bonnes ou mauvaises, ce sont des raisons qui, dans la

    pense de beaucoup, l'emportent sur ceux qui n'en donnent pas du tout.

    Ajoutez que l'ide matrialiste satisfait ceux qui se complaisent dans la

    vie matrielle ; qui veulent s'tourdir sur les consquences de l'avenir ;qui esprent, par l, chapper la responsabilit de leurs actes ; en

    somme elle est minemment favorable la satisfaction de tous les

    apptits brutaux. Dans l'incertitude de l'avenir, l'homme se dit :

    Jouissons toujours du prsent ; que me font mes semblables ? Pourquoi

    me sacrifier pour eux ? Ce sont mes frres, dit-on ; mais que me font des

    frres queje ne reverrai plus ! qui peut-tre demain seront morts et moi

    aussi ? que serons-nous alors les uns pour les autres ? Rien, si une fois

    morts il ne reste rien de nous. Que me servirait de m'imposer desprivations ? quelle compensation en retirerais-je, si tout finit avec moi ?

    Fondez donc une socit sur les bases de la fraternit avec des ides

    semblables ! L'gosme, telle en est la consquence toute naturelle ; avec

    l'gosme, chacun tire soi et c'est le plus fort qui l'emporte. Le faible dit

    son tour : Soyons goste, puisque les autres le sont ; ne pensons qu'

    nous, puisque les autres ne pensent qu' eux.

    Tel est, il faut en convenir, le mal qui tend envahir la socitmoderne, et ce mal, comme un ver rongeur, peut la ruiner dans ses

    fondements ! Oh ! qu'ils sont coupables ceux qui la poussent dans cette

    voie ; qui s'efforcent de tuer les croyances ; qui prconisent le prsent

    aux dpens de l'avenir ! Ils auront un terrible compte rendre de l'usage

    qu'ils auront fait de leur intelligence !

    Pourtant, l'incrdulit laisse aprs elle une vague d'inquitude ;

    l'homme a beau chercher se faire illusion, il ne peut se dfendre de

    penser quelquefois ce qu'il en adviendra de lui ; l'ide du nant le glace

  • 8/4/2019 ak-voyage

    32/77

    32 VOYAGE SPIRITE EN 1862

    malgr lui ; il voudrait une certitude, et il n'en trouve pas, alors il flotte,

    il hsite, il doute, et le doute le tue ; il se sent malheureux au milieu

    mme des jouissances matrielles qui ne peuvent combler le gouffre du

    nant qui s'ouvre devant lui, et o il croit qu'il va tre prcipit.

    C'est ce moment que vient le Spiritisme, comme une ancre de salut,

    comme un flambeau dans les tnbres de son me ; Il vient tirer l'homme

    du doute ; il vient combler l'horreur du vide, non par une vague

    esprance, mais par des preuves irrcusables : celles de l'observation des

    faits ; il vient ranimer sa foi, non en lui disant simplement : Croyez parce

    que je vous le dis, mais : Voyez, touchez, comprenez et croyez. Il ne

    pouvait donc venir dans un moment plus opportun, soit pour arrter le

    mal avant qu'il ne ft incurable, soit pour satisfaire aux besoins del'homme qui ne croit plus sur parole, qui veut raisonner ce qu'il croit. Le

    matrialisme l'avait sduit par ses faux raisonnements ; ses sophismes

    il fallait opposer des raisonnements solides appuys sur des preuves

    matrielles ; dans cette lutte, la foi aveugle n'tait plus assez puissante ;

    voil pourquoi je dis que le Spiritisme est venu en son temps.

    Ce qui manque l'homme, c'est donc la foi en l'avenir, et l'ide qu'on

    lui en donne ne peut satisfaire son got du positif ; elle est trop vague,

    trop abstraite ; les liens qui le rattachent au prsent ne sont pas assezdfinis. Le Spiritisme, au contraire, nous prsente l'me comme un tre

    circonscrit, semblable nous, moins l'enveloppe matrielle dont elle s'est

    dpouille, mais revtue d'une enveloppe fluidique, ce qui dj est plus

    comprhensible, et en fait mieux concevoir l'individualit. De plus, il

    prouve, par l'exprience, les rapports incessants du monde visible et du

    monde invisible, qui deviennent ainsi solidaires l'un de l'autre ; les

    relations de l'me avec la terre ne cessent point avec la vie ; l'me, l'tat

    d'Esprit, constitue un des rouages, une des forces vives de la nature ; ce

    n'est plus un tre inutile, qui ne pense plus et n'agit plus que pour lui

    pendant l'ternit, c'est toujours et partout un agent actif de la volont de

    Dieu pour l'excution de ses oeuvres. Ainsi, d'aprs la doctrine Spirite,

    tout se lie, tout s'enchane dans l'univers ; et dans ce grand mouvement

    admirablement harmonieux, les affections se survivent ; loin de

    s'teindre, elles se fortifient en s'purant.

    Si ce n'tait l qu'un systme, il n'aurait sur l'autre que l'avantage d'treplus sduisant, sans offrir plus de certitude ; mais c'est le monde

  • 8/4/2019 ak-voyage

    33/77

    VOYAGE SPIRITE EN 1862 33

    invisible lui-mme qui vient se rvler nous ; nous prouver qu'il est,

    non dans les rgions de l'espace inaccessibles mme la pense, mais l,

    nos cts ; qu'il nous entoure et que nous vivons au milieu de lui,

    comme un peuple d'aveugles au milieu de voyants. Cela peut dranger

    certaines ides, j'en conviens ; mais devant un fait, bon gr, mal gr, il

    faut s'incliner. On aura beau dire que cela n'est pas ; il faudrait prouver

    que cela ne peut pas tre ; des preuves palpables, il faudrait opposer

    des preuves plus palpables encore ; or, qu'oppose-t-on ? La ngation.

    Le Spiritisme s'appuie donc sur des faits ; les faits d'accord avec le

    raisonnement et une rigoureuse logique, donnent la doctrine Spirite le

    caractre de positivisme qui convient notre poque. Le matrialisme

    est venu saper toute croyance, enlever toute base, toute raison d'tre lamorale, et miner les fondements mmes de la socit en proclamant le

    rgne de l'gosme ; les hommes srieux se sont alors demand o un tel

    tat de choses pouvait nous conduire ; ils ont vu un abme, et voil que

    le Spiritisme vient le combler ; il vient dire au matrialisme : Tu n'iras

    pas plus loin, car voici des faits qui prouvent la fausset de tes

    raisonnements. Le matrialisme menaait de faire sombrer la socit en

    disant aux hommes : Le prsent est tout, car l'avenir n'existe pas ; le

    Spiritisme vient la relever en leur disant : Le prsent n'est rien, l'avenirest tout, et il le prouve.

    Un adversaire a dit quelque part dans un journal que cette doctrine est

    pleine de sductions ; il ne pouvait, sans le vouloir, en faire un plus

    grand loge et se condamner d'une manire plus premptoire. Dire

    qu'une chose est sduisante, c'est dire qu'elle plat ; or, c'est l le grand

    secret de la propagation du Spiritisme. Que ne lui oppose-t-on quelque

    chose de plus sduisant pour la supplanter ! Si on ne le fait pas, c'est

    qu'on n'a rien de mieux donner. Pourquoi plat-elle ? C'est ce qu'il est

    facile de dire.

    Elle plat :

    1) parce qu'elle satisfait l'aspiration instinctive de l'homme vers

    l'avenir ;

    2) parce qu'elle prsente l'avenir sous un aspect que la raison peut

    admettre ;

  • 8/4/2019 ak-voyage

    34/77

    34 VOYAGE SPIRITE EN 1862

    3) parce que la certitude de la vie future fait prendre en patience les

    misres de la vie prsente ;

    4) parce qu'avec la pluralit des existences, ces misres ont une raison

    d'tre, on se les explique, et au lieu d'en accuser la Providence, on lestrouve justes et on les accepte sans murmure ;

    5) parce qu'on est heureux de savoir que les tres qui nous sont chers

    ne sont pas perdus sans retour, qu'on les reverra, et qu'ils sont souvent

    auprs de nous ;

    6) parce que toutes les maximes donnes par les Esprits tendent

    rendre les hommes meilleurs les uns pour les autres ;

    et bien d'autres motifs que les Spirites peuvent seuls comprendre. Enchange, quels moyens de sduction offre le matrialisme ? Le nant.

    C'est l toute la consolation qu'il donne pour les misres de la vie.

    Avec de tels lments, l'avenir du Spiritisme ne saurait tre douteux, et

    cependant, si l'on doit s'tonner d'une chose, c'est qu'il se soit fray un

    chemin si rapide travers les prjugs. Comment, et par quels moyens

    arrivera-t-il la transformation de l'humanit, c'est ce qu'il nous reste

    examiner.

    III

    Quand on considre l'tat actuel de la socit, on est tent de regarder

    sa transformation comme un miracle. Eh bien ! c'est un miracle que le

    Spiritisme peut et doit accomplir, parce qu'il est dans les desseins de

    Dieu, et l'aide de son mot d'ordre : Hors la charit point de salut. Que

    la socit prenne cette maxime pour devise et y conforme sa conduite, au

    lieu de celle-ci qui est l'ordre du jour : La charit bien ordonnecommence par soi, et tout change. Le tout est de la faire accepter.

    Le mot charit, vous le savez, Messieurs, a une acception trs

    tendue. Il y a la charit en penses, en paroles et en actions ; elle n'est

    pas seulement dans l'aumne. Celui-l est charitable en penses qui est

    indulgent pour les fautes de son prochain ; charitable en paroles, qui ne

    dit rien qui puisse nuire son prochain ; charitable en actions, qui assiste

    son prochain dans la mesure de ses forces. Le pauvre qui partage son

    morceau de pain avec un plus pauvre que lui est plus charitable et a plus

  • 8/4/2019 ak-voyage

    35/77

    VOYAGE SPIRITE EN 1862 35

    de mrite aux yeux de Dieu que celui qui donne de son superflu sans se

    priver de rien. Quiconque nourrit contre son prochain des sentiments de

    haine, d'animosit, de jalousie, de rancune, manque de charit. La charit

    est la contre-partie de l'gosme ; l'une est l'abngation de la

    personnalit, l'autre l'exaltation de la personnalit ; l'une dit : Pour vous

    d'abord et pour moi ensuite ; l'autre : Pour moi d'abord, et pour vous s'il

    en reste. La premire est toute dans cette parole du Christ : Faites pour

    les autres ce que vous voudriez qu'on ft pour vous ; en un mot, elle

    s'applique, sans exception, tous les rapports sociaux. Convenez que si

    tous les membres d'une socit agissaient selon ce principe, il y aurait

    moins de dceptions dans la vie. Ds que deux hommes sont ensemble,

    ils contractent, par cela mme, des devoirs rciproques ; s'ils veulent

    vivre en paix, ils sont obligs de se faire des concessions mutuelles. Ces

    devoirs augmentent avec le nombre des individus ; les agglomrations

    forment des touts collectifs qui ont aussi leurs obligations respectives ;

    vous avez donc outre les rapports d'individu individu, ceux de ville

    ville, de province province, de contre contre. Ces rapports peuvent

    avoir deux mobiles qui sont la ngation l'un de l'autre : l'gosme et la

    charit, car il y a aussi l'gosme national. Avec l'gosme, l'intrt

    personnel passe avant tout, chacun tire soi, chacun ne voit dans sonsemblable qu'un antagoniste, un rival qui peut marcher sur nos brises,

    qui peut nous exploiter ou que nous pouvons exploiter ; c'est qui

    coupera l'herbe sous le pied de son voisin : la victoire est au plus adroit,

    et la socit, chose triste dire, consacre souvent cette victoire, ce qui

    fait qu'elle se partage en deux classes principales : les exploiteurs et les

    exploits. Il en rsulte un antagonisme perptuel qui fait de la vie un

    tourment, un vritable enfer. Remplacez l'gosme par la charit, et tout

    change ; nul ne cherchera faire de tort son voisin ; les haines et les jalousies s'teindront faute d'aliment, et les hommes vivront en paix,

    s'entraidant au lieu de se dchirer. La charit remplaant l'gosme,

    toutes les institutions sociales seront fondes sur le principe de la

    solidarit et de la rciprocit ; le fort protgera le faible au lieu de

    l'exploiter.

    C'est un beau rve, dira-t-on ; malheureusement, ce n'est qu'un rve ;

    l'homme est goste par nature, par besoin, et le sera toujours. S'il en

    tait ainsi, ce serait triste, et il faudrait alors se demander dans quel but

  • 8/4/2019 ak-voyage

    36/77

    36 VOYAGE SPIRITE EN 1862

    le Christ est venu prcher la charit aux hommes ; autant aurait valu la

    prcher aux animaux. Examinons cependant.

    Y a-t-il progrs du sauvage l'homme civilis ? Ne cherche-t-on pas

    tous les jours, adoucir les moeurs des sauvages ? Dans quel but, sil'homme est incorrigible ? Etrange bizarrerie ! vous esprez corriger des

    sauvages, et vous pensez que l'homme civilis ne peut s'amliorer ! Si

    l'homme civilis avait la prtention d'avoir atteint la dernire limite du

    progrs accessible l'espce humaine, il suffirait de comparer les

    moeurs, le caractre, la lgislation, les institutions sociales d'aujourd'hui

    avec celles d'autrefois ; et cependant les hommes d'autrefois croyaient,

    eux aussi, avoir atteint le dernier chelon. Qu'et rpondu un grand

    seigneur du temps de Louis XIV si on lui et dit qu'il pouvait y avoir unordre de choses meilleur, plus quitable, plus humain que celui d'alors ?

    que ce rgime plus quitable serait l'abolition des privilges de castes, et

    l'galit du grand et du petit devant la loi ? L'audacieux qui aurait dit

    cela et peut-tre pay cher sa tmrit.

    Concluons de l que l'homme est minemment perfectible, et que les

    plus avancs d'aujourd'hui pourront sembler aussi arrirs dans quelques

    sicles que ceux du moyen-ge le sont par rapport nous. Nier le fait

    serait nier le progrs qui est une loi de la nature.

    Quoique l'homme ait gagn au point de vue moral, il faut convenir

    cependant que le progrs s'est plus accompli dans le sens intellectuel ;

    pourquoi cela ? C'est encore l un de ces problmes qu'il tait donn au

    Spiritisme de nous expliquer ; en nous montrant que le moral et

    l'intelligence sont deux voies qui marchent rarement de front ; tandis que

    l'homme fait quelques pas dans l'une, il reste en arrire dans l'autre ;

    mais plus tard il regagne le terrain qu'il avait perdu, et les deux forcesfinissent par s'quilibrer dans les incarnations successives. L'homme est

    arriv une priode o les sciences, les arts et l'industrie ont atteint une

    limite inconnue jusqu' ce jour ; si les jouissances qu'il en tire satisfont

    la vie matrielle, elles laissent un vide dans l'me ; l'homme aspire

    quelque chose de mieux : il rve de meilleures institutions ; il veut la vie,

    le bonheur, l'galit, la justice pour tous ; mais comment y atteindre avec

    les vices de la socit, avec l'gosme surtout ? L'homme voit donc la

    ncessit du bien pour tre heureux ; il comprend que le rgne du bienpeut seul lui donner le bonheur auquel il aspire ; ce rgne, il le pressent,

  • 8/4/2019 ak-voyage

    37/77

    VOYAGE SPIRITE EN 1862 37

    car instinctivement, il a foi en la justice de Dieu, et une voix secrte lui

    dit qu'une re nouvelle va s'ouvrir.

    Comment cela arrivera-t-il ? Puisque le rgne du bien est incompatible

    avec l'gosme, il faut la destruction de l'gosme ; or, qui peut ledtruire ? La prdominance du sentiment d'amour, qui porte les hommes

    se traiter en frres et non en ennemis. La charit, c'est la base, la

    pierre angulaire de tout difice social ; sans elle, l'homme ne btira

    que sur du sable. Que les efforts et surtout les exemples de tous les

    hommes de bien tendent donc la propager ; qu'ils ne se dcouragent

    s'ils voient une recrudescence dans les mauvaises passions ; elles sont les

    ennemies du bien, et en le voyant avancer, elles doivent se ruer contre

    lui ; mais Dieu a permis que, par leurs propres excs mmes, elles setuent ; le paroxysme d'un mal est toujours le signe qu'il touche sa fin.

    Je viens de dire que sans la charit l'homme ne btit que sur le sable ;

    un exemple le fera mieux comprendre.

    Quelques hommes bien intentionns, touchs des souffrances d'une

    partie de leurs semblables, ont cru trouver le remde au mal dans

    certains systmes de rforme sociale. A quelques diffrences prs, le

    principe est peu prs le mme dans tous, quel que soit le nom qu'onleur donne. Vie commune pour tre moins onreuse ; communaut de

    biens pour que chacun ait quelque chose ; participation de tous l'oeuvre

    commune ; point de grandes richesses, mais aussi point de misre. Cela

    tait fort sduisant pour celui qui, n'ayant rien, voyait dj la bourse du

    riche entrer dans le fond social, sans calculer que la totalit des richesses

    mises en commun crerait une misre gnrale au lieu d'une misre

    partielle ; que l'galit tablie aujourd'hui serait rompue demain par la

    mobilit de la population et la diffrence entre les aptitudes ; quel'galit permanente des biens suppose l'galit des capacits et du

    travail. Mais l n'est pas la question ; il n'entre pas dans mon cadre

    d'examiner le fort et le faible de ces systmes ; je fais abstraction des

    impossibilits dont je viens de parler, et me propose de les envisager

    un autre point de vue dont je ne sache pas qu'on se soit encore

    proccup, et qui se rattache notre sujet.

    Les auteurs, fondateurs ou promoteurs de tous ces systmes, sans

    exception, ne se sont propos que l'organisation de la vie matrielle

  • 8/4/2019 ak-voyage

    38/77

    38 VOYAGE SPIRITE EN 1862

    d'une manire profitable pour tous. Le but est louable sans contredit ;

    reste savoir si, cet difice, il ne manque pas la base qui seule pourrait

    le consolider, en admettant qu'il ft praticable.

    La communaut est l'abngation la plus complte de la personnalit ;chacun devant payer de sa personne, elle requiert le dvouement le plus

    absolu. Or, le mobile de l'abngation et du dvouement, c'est la charit,

    c'est--dire l'amour du prochain. Mais nous avons reconnu que le

    fondement de la charit, c'est la croyance ; que le dfaut de croyance

    conduit au matrialisme, et le matrialisme l'gosme. Dans un systme

    qui, de sa nature, requiert pour sa stabilit les vertus morales au suprme

    degr, il fallait prendre le point de dpart dans l'lment spirituel ; eh

    bien ! non-seulement il n'en est tenu aucun compte, le ct matriel tantle but unique, mais plusieurs sont fonds sur une doctrine matrialiste

    hautement avoue, ou sur un panthisme, sorte de matrialisme dguis ;

    c'est--dire dcors du beau nom de fraternit ; mais la fraternit, pas

    plus que la charit, ne s'impose ni ne se dcrte ; il faut qu'elle soit dans

    le coeur ; ce n'est pas le systme qui l'y fera natre si elle n'y est dj,

    tandis que le dfaut contraire ruinera le systme et le fera tomber dans

    l'anarchie, parce que chacun voudra tirer soi. L'exprience est l pour

    prouver qu'il n'touffe ni les ambitions ni la cupidit. Avant de faire lachose pour les hommes, il fallait former les hommes pour la chose,

    comme on forme des ouvriers avant de leur confier un travail ; avant de

    btir, il faut s'assurer de la solidit des matriaux. Ici les matriaux

    solides sont les hommes de coeur, de dvouement et d'abngation. Avec

    l'gosme, l'amour et la fraternit sont de vains mots, ainsi que nous

    l'avons dit ; comment donc, sous l'empire de l'gosme, fonder un

    systme qui requiert l'abngation un degr d'autant plus grand, qu'il a

    pour principe essentiel la solidarit de tous pour chacun et de chacunpour tous ? Quelques-uns ont quitt le sol natal pour aller fonder au loin

    des colonies sous le rgime de la fraternit ; ils ont voulu fuir l'gosme

    qui les crasait, mais l'gosme les a suivis, et l encore il s'est trouv des

    exploiteurs et des exploits, parce que la charit a fait dfaut. Ils ont cru

    qu'il leur suffisait d'emmener le plus de bras possible, sans songer qu'ils

    emmenaient en mme temps les vers rongeurs de leur institution, ruine

    d'autant plus vite qu'ils n'avaient en eux ni une force morale ni une force

    matrielle suffisantes.

  • 8/4/2019 ak-voyage

    39/77

    VOYAGE SPIRITE EN 1862 39

    Ce qu'il leur fallait, c'tait moins des bras nombreux que des coeurs

    solides ; malheureusement beaucoup ne les ont suivis que parce que,

    n'ayant rien su faire ailleurs, ils ont cru s'affranchir de certaines

    obligations personnelles ; ils n'ont vu qu'un but sduisant, sans voir la

    route pineuse pour l'atteindre. Dus dans leurs esprances, en

    reconnaissant qu'avant de jouir il fallait beaucoup travailler, beaucoup

    sacrifier, beaucoup souffrir, ils ont eu pour perspective le dcouragement

    et le dsespoir ; vous savez ce qu'il est advenu de la plupart. Leur tort est

    d'avoir voulu btir un difice en commenant par le fate, avant d'avoir

    assis des fondements solides. Etudiez l'histoire et la cause de la chute des

    Etats les plus florissants, et partout vous verrez la main de l'gosme, de

    la cupidit, de l'ambition.

    Sans la charit, il n'y a pas d'institution humaine stable, et il n'y a

    ni charit ni fraternit possibles, dans la vritable acception du mot,

    sans la croyance. Appliquez-vous donc dvelopper ces sentiments qui,

    en grandissant, tueront l'gosme qui vous tue. Quand la charit aura

    pntr les masses, quand elle sera devenue la foi, la religion de la

    majorit, alors vos institutions s'amlioreront d'elles-mmes par la force

    des choses ; les abus, ns du sentiment de la personnalit, disparatront.

    Enseignez donc la charit, et surtout, prchez d'exemple : c'est l'ancre desalut de la socit. Elle seule peut amener le rgne du bien sur la terre,

    qui est le rgne de Dieu ; sans elle, quoi que vous fassiez, vous ne

    crerez que des utopies dont vous ne retirerez que des dceptions. Si le

    Spiritisme est une vrit, s'il doit rgnrer le monde, c'est parce qu'il a

    pour base la charit. Il ne vient ni renverser le culte, ni en tablir un

    nouveau ; il proclame et prouve les vrits communes tous, bases de

    toutes les religions, sans se proccuper des points de dtail. Il ne vient

    dtruire qu'une chose : le matrialisme, qui est la ngation de toutereligion ; ne renverser qu'un seul temple : celui de l'gosme et de

    l'orgueil, et donner une sanction pratique ces paroles du Christ qui sont

    toute sa loi : Aimez votre prochain comme vous-mmes. Ne vous

    tonnez donc pas qu'il ait pour adversaires les adorateurs du veau d'or,

    dont il vient briser les autels. Il a naturellement contre lui ceux qui

    trouvent sa morale gnante, ceux qui auraient volontiers pactis avec les

    Esprits et leurs manifestations, si les Esprits se fussent contents de les

    amuser ; s'ils n'taient venus rabaisser leur orgueil, leur prcher

  • 8/4/2019 ak-voyage

    40/77

    40 VOYAGE SPIRITE EN 1862

    l'abngation, le dsintressement et l'humilit. Laissez-les dire et faire ;

    les choses n'en suivront pas moins la marche qui est dans les desseins de

    Dieu.

    Le Spiritisme, par sa puissante rvlation, vient donc hter la rformesociale. Ses adversaires riront sans doute de cette prtention, et

    cependant elle n'a rien de prsomptueux. Nous avons dmontr que

    l'incrdulit, le simple doute sur l'avenir, porte l'homme se concentrer

    sur la vie prsente, ce qui tout naturellement dveloppe le sentiment

    d'gosme. Le seul remde au mal est de concentrer son attention sur un

    autre point et de le dpayser, pour ainsi dire, afin de lui faire perdre ses

    habitudes.